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UNE VIL LE AFRICAINE , SINGULIERE ALAIN SINOU ÉDIT I NS KAR THA LA

Le comptoir de Ouidah : une ville africaine singulière

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Page 1: Le comptoir de Ouidah : une ville africaine singulière

UNE VIL L E AFRICAINE,

SINGULIERE

ALAIN SINOUÉDITI NS KARTHA LA

Page 2: Le comptoir de Ouidah : une ville africaine singulière

DÉCOUVERTE ET CONQUÊTE DE LAGUADELOUPE

GUADELOUPE, ANTILLESET RÉVOLUTION

IMAGES D'AFRIQUE

PORTO-NOVa

DJENNÉ, IL YA CENT ANS

MAURITANIETERRE D'ACCUEIL

DJEI\J I\J É, CHEFD'ŒUVRE ARCHITECTURAL

LESBEAUX LIVRES AUX ÉDITIONS KARTHALA

Page 3: Le comptoir de Ouidah : une ville africaine singulière

ALAII\J SII'lOU

LE COMPTOIR DE OUIDAH

UNE VILLE AFRICAINE SINGULIÈRE

EDITIOI'lS KARTHALA

1 .

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Page 4: Le comptoir de Ouidah : une ville africaine singulière

Cet ouvrage a été réalisé avec le concours financier de la Mission française de coopération et d'actionculturelle en République du Bénin

© Édition Karthala. 1995. ISBN: 2-86537-566-8

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Page 5: Le comptoir de Ouidah : une ville africaine singulière

ALAIN SINOU

LE COrvlPTOIR DE OUIDAH

UNE VILLE AFRICAINE SINGULIÈRE

avec la collaboration de :

Bernardin AGBOImbert AKIBODEWilfrid CAPOPatrick ECOUTINLuc GNACADJAAimé GONCALVEZBlandine LEGONOU-FANOUKadya TALL

Editions KARTHALA22-24/ boulevard Arago 75013 PARIS

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1

Page 6: Le comptoir de Ouidah : une ville africaine singulière

Cet ouvrage a été élaboré à partir d'une recherche menée en 1990 sur laville de Ouidah, réalisée dans le cadre d'une action de coopération entrel'ORSTOM, Institut français de recherche scientifique pour ledéveloppement en coopération, et le SERHAU, Service d'étudesrégionales d'habitat et d'aménagement urbain de la République

du Bénin

Cette recherche a réuni, sous la direction d'Alain Sinou, architecte­urbaniste et docteur en sociologie, actuellement maître de conférences àl'Institut Français d'Urbanisme de l'Université Paris 8, une équipe dechercheurs et de techniciens béninois et français, qui ont cherché àcomprendre le développement de la cité et à en analyser les

éléments patrimoniaux

Bernardin Agbo, urbaniste et responsable de la recherche au niveaudu SERHAU, a dressé un état de lieux de la ville aujourd'hui, en faisantétablir de nombreuses cartes thématiques. Un urbaniste, Wilfrid Capo,a complété l'analyse de sites par des enquêtes et par l'étude de

tissus urbains

Luc Gnacadja a apporté son savoir-faire et celui de son agence d'archi­tecture à Cotonou dans le relevé et la mise en forme d'un certain nombrede bâtiments significatifs de Ouidah. Aimé Gonçalves, architecte, a étudiél'état des bâtiments relevés et a préconisé certaines actions à mener,

en vue de leur conservation

Imbert Akibodè, historien, a apporté des éléments d'information surl'histoire de la cité

Kadya Tall, anthropologue de l'ORSTOM, a développé une approcheanthropologique des cultes "vodouns". Elle a été assistée par BlandineLégonou-Fanou, sociologue du Centre Béninois de la Recherche Scienti­fique et Technique, qui a également effectué des enquêtes socio-histo­riques et a poursuivi la recherche en la centrant sur les relations entre

Ouidah et Abomey

Un photographe, architecte de formation, Patrick Ecoutin, a établi unecouverture photographique de la ville et a conçu la maquette de ce livre

L'ensemble des données collectées, des analyses et des propositionsd'actions a été rassemblé dans un rapport, "Ouidah et son patrimoine",

diffusé en France et au Bénin en 1991

Page 7: Le comptoir de Ouidah : une ville africaine singulière
Page 8: Le comptoir de Ouidah : une ville africaine singulière

8 INTRODUCTION

10 REPERES HISTORIQUES

PREMIERE PARTIE

12 LES ETABLISSEMENTS HOUEDAHS

13 UN ENVIRONNEMENT SEDUISANT

18 UNE MOSAIOUE DE PEUPLES

21 L'ECONOMIE DE TRAITE

24 LE ROYAUME HOUEDAH

33 UN ETABLISSEMENT NOUVEAU

la fondation 33

la hameau 35

38 LE DEVELOPPEMENT COMMERCIAL

les Français 39

les Anglais 42

les Hollandais 43

les Portugais 45

le peuplement de l'établissement 47

49 UNE SOCIETE RELIGIEUSE

le culte des ancêtres 51

les cultes des vodouns 54

les vodouns houédahs 61

6

1

SECONDE PARTIE

70 LE COMPTOIR FON

71 LA COI\lOUETE DAHOMEENNE

77 LA DOMINATION FON

l'administration 78

le peuplement fon 82

les lieux politiques 83

l'itinéraire d'Abomey à la mer 88

90 LES FORTS

le fort français 93

le fort anglais 96

le fort portugais 97

99 LE DEVELOPPEMENT DE LA CITE

103 DE LA TRAITE NEGRIERE AU COMMERCE DE L'HUILE DE PALME

108 UNE SOCIETE AFRO-BRESILIENNE

le quartier afro-brésilien 111

le Chacha de Souza 113

119 LA PERMANENCE DU RELIGIEUX

le culte royal 120

les cultes populaires 123

les autres croyances 128

les fonctions des cultes 130

Page 9: Le comptoir de Ouidah : une ville africaine singulière

TROISIEME PARTIE

132 UNE VILLE AU VINGTIEME SIECLE

133 L'ENTREPRISE DE COLONISATION

136 LES RESEAUX DE TRANSPORT

141 UNE BOURGADE COLONIALE

le régime foncier 141

le quartier colonial 144

les transformations urbaines 148

154 LES RELIGIONS IMPORTEES

les missions chrétiennes 155

l'islam 159

164 UN CENTRE SECONDAIRE

168 CONCLUSION: QUELLES TRACES?

168 L'ESPACE URBAIN

173 UN PATRIMOINE ARCHITECTURAL

les lieux du commerce 173

les sites religieux 175

les lieux politiques 178

l'espace domestique 179

182 LES SUPPORTS CONCEPTUELS DU PATRIMOINE

188 BIBLIOGRAPHIE

7

1

Page 10: Le comptoir de Ouidah : une ville africaine singulière

Ouidah, Juda, Ajuda,Whydah, Grégoy,Gléhoué ... Toutes cesappellations différentesdésignent un mêmeespace et renvoientchacune à des catégoriesd'habitants. Les

premières sont d'origine européenne et ladernière est considérée comme étantd'origine fon, le groupe ethnique lié auroyaume du Dahomey qui domine la région auXVIIIe et au XIXe siècle. Paradoxalement, onne peut attribuer à aucune de ces populationsla fondation de la cité qui relève du peuplehouédah.

Ces appellations «étrangères»soulignent le caractère cosmopolite de la ville.En effet la raison d'être de la cité pendantdeux siècles est le commerce et en particuliercelui des esclaves. De la moitié du XVIIesiècle au milieu du XIXe, Ouidah est un lieu destockage et d'échange du «bois d'ébène».Le négoce ne met pas en jeu seulement laville mais concerne une vaste région quifonctionne dans une économie guerrière,chaque royaume cherchant à capturer le plusgrand nombre d'hommes en vue de lesvendre aux négriers.

Le royaume d'Allada domine la régionjusqu'au début du XVIIIe siècle et contrôle leroyaume houédah centré sur la capitaleSahè/Savi dont dépend la place de Ouidah.Après une brève période d'autonomie politiqueliée à la disparition du royaume d'Allada, leroyaume houédah est à son tour anéanti parles troupes du Dahomey. La capitale est alorsdétruite, mais Ouidah est épargné carFrançais, Portugais et Anglais y ont établi desfortins. La cité conservera sa fonction destockage et deviendra le principal lieu devente des esclaves du Dahomey, royaumedont la capitale, Abomey, est distante de lacôte d'une centaine de kilomètres.

Si les puissances occidentales sedésengagent de la traite négrière à la fin dusiècle, le négoce continuera, notamment avecle Brésil, jusqu'au milieu du XIXe siècle.Parallèlement, depuis ce pays, s'amorce à

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1

cette époque, un mouvement de retour desesclaves. Le plus souvent, ils ne souhaitentpas revenir dans leurs terres ancestrales qu'ilsignorent, et se fixent dans les établissementscôtiers.

Ouidah accueille une part importantede cette communauté qui se regroupe autourd'un personnage emblématique, Francisco deSouza, dit Chacha, un aventurier brésilien. Cegroupe introduit dans la ville des éléments demodernité (culinaire, vestimentaire, éducative,architecturale... ), et forme une nouvelle élite.De plus, il développe une activité desubstitution au commerce négrier, la culturedu palmier à huile, qui intéresse des maisonsde commerce occidentales. A la mêmeépoque, les missions chrétiennescommencent leur oeuvre d'évangélisation ets'établissent sur la côte.

Ouidah perd son dynamisme avec lacolonisation française. Le nouveau maître dela colonie décide d'installer la capitale dans uncomptoir voisin et concurrent, Porto-Novo.Malgré un accueil favorable auxcommunautés étrangères, Ouidah reste unecité du royaume du Dahomey, hostile auxcolonisateurs.

Au début du XXe siècle, lescommerçants émigrent vers Porto-Novo puisvers Cotonou, un petit hameau côtier oùl'administration installe des infrastructuresportuaires. Ouidah se vide progressivementde ses forces vives et devient une villesanctuaire, mémoire de la traite des esclavesqui a marqué pendant plus de deux sièclesl'Afrique noire.

Ouidah est aujourd'hui une ville«moyenne» d'une vingtaine de milliersd'habitants, située entre la frontière togolaiseet Cotonou. Evitée depuis quelques annéespar la route côtière qui relie les quatregrandes métropoles Accra-Lomé-Cotonou­Lagos, la cité semble à l'écart du monde.

Le visiteur qui s'aventure dans la citéne trouve guère d'éléments susceptibles deretenir son attention: le temple des pythons,attraction pour les touristes de passage, necontient que quelques reptiles enfermés dans

Page 11: Le comptoir de Ouidah : une ville africaine singulière

une case; la basilique catholique qui lui faitface rappelle les autres églises coloniales de

la côte; quant au fort portugais récemmentréhabilité, ses murailles n'impressionnent

guère et les collections du musée qu'ilaccueille sont pauvres et poussiéreuses.

Telles sont pourtant les principales «curiositésde la ville» déjà recensées dans le guide bleude 1957 1 Eloigné d'une mer où la barre rend

impossible toute baignade, le site ne peut nonplus prétendre à un développement

touristique; les bâtiments inachevés d'unhôtel «en construction» depuis presque dix

ans en témoignent.L'urbaniste ne trouvera pas non plus

dans cette cité des éléments d'une grandeoriginalité. La ville a perdu son caractère de

«village africain» : comme sur toute la côte, lamajorité des habitants a depuis longtemps

remplacé les murs en terre par des parpaingset le chaume des toits par de la tôle ondulée.

Quant aux quartiers du centre ville, quisemblent plus «authentiques» avec leurs

ruelles «étroites et tortueuses» etl'enchevêtrement des cours, des passages et

des constructions, ils surprennent par leurquiétude voire leur silence que ne troublent

pas les cris des vendeuses du marché,lui aussi est déserté.

Il peut sembler curieux de raconterl'histoire d'une bourgade de quelques milliers

d'habitants, pauvre en faits d'armes, ainsiqu'en monuments, et qui ne peut même pas

se glorifier d'un titre de capitale, ou d'uneréputation de microcosme ethnologique.

Ouidah ne rentre pas dans les catégories quiqualifient la ville patrimoniale dans les cultures

occidentales.Mais ce lieu de rencontre et

d'opposition de cultures très différentestémoigne d'un genre urbain original, lecomptoir, que l'on retrouve décliné en

d'autres points de la côte africaine, (de Porto­Novo à Saint-Louis du Sénégal), ainsi que sur

les côtes asiatiques et sud-américaines.De plus, à une histoire

mouvementée, s'ajoute la présence dans laville d'un système religieux particulier.

La multitude de cultes vodouns qui s'y sontdéveloppés rend compte de certaines

permanences culturelles qui contrebalancentles transformations engendrées par les

influences étrangères. En ce sens, la citéfonctionne également comme une mémoired'un système de croyance particulièrementcomplexe à comprendre pour le non initié.

A différents titres, Ouidah est uneville particulière en Afrique. Moins spectaculaireau niveau architectural que d'autres comptoirscomme l'île de Gorée au Sénégal, cette place

a vue transiter un grand nombre d'esclaves.Le développement de la cité ne s'est pas

traduit comme en Europe par la productiond'un patrimoine architectural et urbain majeur.Les traces en sont plus discrètes, et méritent

d'être soulignées afin d'être identifiées etappréciées.

Néanmoins, elles existent:le ralentissement de l'urbanisation et le départ

des forces vives au XX e siècle ontparadoxalement permis à la ville ancienne de nepas être détruite. Dans un contexte culturel oùune forme spatiale ancienne n'a pas de valeuren tant que telle, il est logique de détruire leshabitations lorsqu'elles sont dégradées et de

les remplacer par des constructions neuves. Cemouvement n'a que partiellement eu lieu dans

le centre ville. La pauvreté a permis deconseNer un patrimoine bâti qui, dans un autre

contexte économique, aurait disparu depuislongtemps. Il est néanmoins très menacé du

fait de sa lente dégradation.

Ce livre cherche à mettre en évidenceles composantes historiques et

anthropologiques de la cité à travers la lecturede formes architecturales et urbaines qu'il estsouvent difficile de saisir immédiatement. Les

facteurs culturels qui lesont générés doivent êtred'abord analysés, et leurmatérialisation décodée,car elle ne s'accorde pasavec les règles du mondeoccidental et ses canons

esthétiques.

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1

Page 12: Le comptoir de Ouidah : une ville africaine singulière

la Côte des Esclaves à la fin du XIXe siècle, dressée par l'abbé Bouche, in Foa, 1895

LA PÉRIODE HOUÉDAH XVIe siècle

XVIIe siècle

166416661670168117041721172417251727

LA PÉRIODE FON 17411750177217971818183018491851186518761884188518901892

.A PÉRIODE COLOI\JIALE 1892189519021909

L'INDEPENDANCE 1960

197219751991

1994

10

1

Naissance du royaume houédah centré sur la capitale Sahè/SaviRencontre entre le roi Kpassé et les PortugaisRelations entre le roi d'Allada et les négriers hollandaisLe royaume d'Allada domine la régionVenue de missionnaires capucins dans le royaume d'AlladaVoyage du Français Villault de Bellefond le long des côtesConstruction d'une loge à Ouidah par la Compagnie française des Indes OccidentalesInstallation de la compagnie anglaise dans les mêmes conditionsLe corsaire Jean Doublet fait bâtir une nouvelle fortification à OuidahInstallation des Portugais dans leur nouveau fortPrise d'Allada par le roi du DahomeyVoyage du Chevalier de MarchaisOccupation et destruction de la capitale houédah par le Dahomey

Mise en place d'une administration fon à Ouidah, dirigée par le YovoganLa ville compte, au milieu du siècle, de 8 à 10000 habitants, Abomey, plus de 20000Séjour de l'abbé Bullet dans le fort français de OuidahEvacuation du fort français par ses derniers occupantsFrancisco de Souza, dit Chacha, représente le roi Guézo dans les affaires commercialesDébut du retour des Afro-BrésiliensGuézo reçoit des Anglais venus négocier la cessation de la traiteGuézo reçoit des Français venus négocier des garanties de commerceConstruction de la première chapelle catholique à OuidahRetour des missionnaires à OuidahBlocus de la plage de Ouidah par les AnglaisConférence de Berlin qui prépare le partage colonial de l'AfriqueAttaque française menée contre Ouidah suite à l'arrestation de négociants françaisCapitulation de Béhanzin face à Dodds le 30 Novembre

Installation de troupes françaises à OuidahCréation de la fédération de l'A.O.F. à laquelle est intégrée la colonie du DahomeyAchèvement du wharf de CotonouConsécration de la Basilique de Ouidah

Indépendance du DahomeyCotonou, première ville du pays, compte environ cinquante mille habitants,la capitale, Porto-Novo, une trentaine de milliers et Ouidah environ dix huit milleRévolution politique. Le régime, d'inspiration marxiste, est dirigé par M. KérékouLe pays prend le nom de BéninTransition démocratique aboutissant à des éléctions libres 1

installant à la tête de l'Etat N. Soglo SCotonou compte 536000 habitants; Porto-Novo, 179000 et Ouidah environ 25000 ~I

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Page 14: Le comptoir de Ouidah : une ville africaine singulière

LES ETABLISSEMENTS HOUEDAHS

12

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Page 15: Le comptoir de Ouidah : une ville africaine singulière

U N ENVIRONNEMENT

Le royaume houedah qui apparaît sansdoute au XVIe siècle est situé dans une

région relativement peu boisée si on lacompare aux grandes forêts qui bordent lescôtes des pays voisins. Son territoire estcomposé de deux zones physiquement très

distinctes. En bordure de mer, sur

SEO U 1 SAN T une largeur de quelques centainesde mètres, se développe un cordonlagunaire bas et sablonneux

difficilement accessible par voie maritime enraison de la «barre». Il est isolé du nord parune lagune et des marécages. Au-delà decette bande étroite, s'étend sur plusieursdizaines de kilomètres une plaine basse au solen «terre de barre» (du portugais barro quisignifie argile). propice à la culture. Cetterégion se termine par des plateaux de bassealtitude, couverts par une savane plus oumoins dense où s'installeront d'autrespopulations, en particulier les Fons.

Le contraste entre une côte peuhospitalière et un intérieur fertileexplique en partie le peuplement dela région. La bande côtière n'est pasun pôle privilégié de regroupement.Les habitants s'implantent au nord dela lagune et y développent uneagriculture très diversifiée. Même lespêcheurs préfèrent s'installer au borddes lagunes, des lacs ou des rivières.Plusieurs fleuves, provenant de lazone des plateaux, traversent cettevaste plaine et rejoignent la mer.Les communications s'avèrent doncparticulièrement faciles, que ce soitpar voie fluviale ou terrestre.(R. Cornevin rapporte que jusqu'audébut du XXe siècle, il était possiblede circuler en pirogue de Lagos àGrand Popo).

13

1

Page 16: Le comptoir de Ouidah : une ville africaine singulière

Jusqu'à l'arrivée des Occidentaux, au

XVe siècle, ces régions n'entretiennent guère

de relations avec le monde extérieur par voie

maritime. Les populations côtières sont

tournées vers le nord où sont situés les

grands royaumes et d'où partent les routes

caravanières qui rejoignent la Méditerranée.

Tous les voyageurs qui visitent la

région et qui se désolent de la monotonie

des côtes rectilignes et sablonneuses, sont

séduits par l'environnement qu'ils découvrent

en s'aventurant à l'intérieur des terres.Ils s'accordent pour vanter la richesse des

cultures, l'abondance des vergers et la beauté

des paysages. Le capitaine Phillips remarque

en 1694 que ((le chemin (menant à la capitalehouédah) est une belle plaine, couverte debled d'Inde et de Guinée, de patates,d'ignames et d'autres fruits dont le paysproduit deux moissons chaque année» (cité

par S. Berbain, 1942). A la même époque, le

Hollandais Bosman note qu'au delà des

marais et lagunes, la campagne ((offre unaspect ravissant; ce ne sont que lacs,fleuves, ruisseaux, prairies, bosquets d'arbresgigantesques, bouquets de bananiers etd'arbustes à travers lesquels on aperçoitdes cases nombreuses)). Un peu plus tard,

l'Anglais Guillaume Smith en dresse un

tableau encore plus élogieux

(cf. description ci-contre)

14

1

Les paysages aux environs de Ouidah au début du XVIIIe siècle:(( .. Tous ceux qui y ont été

conviennent unanimement que c'estun des plus agréables pays du monde.

La quantité prodigieuse et la variétéinfinie de beaux arbres de hautefutaie, qui semblent être plantés

exprès pour servir d'ornements, debeaux fossés ...des champs du plus

vert du monde cultivés partout, et quin'on t d'autre séparation que des

fossés, et dans d'autres endroits unpetit sentier; des campagnes ornéesd'une quantité prodigieuse de petits

et jolis villages, entourés chacun d'unmur bas de terre, et bâtis

régulièrement en face de tout ledistrict qui les environne; toutes cescirconstances concourent à former laplus belle vue qu'on puisse imaginer,

et il n 'y a ni montagne, ni colline quil'arrête. Le pays s'élève par une pente

douce et presque imperceptible,jusqu'à quarante ou cinquante millesde la mer. Il n 'y a pas d'endroits dansle royaume, d'où l'on ne voit en pleinl'océan, et plus on s'en éloigne, plusle pays paraÎt beau et peuplé. En un

mot, la plume ne saurait exprimer lescharmes de cet admirable royaume;

c'est pourquoi je n'en dirai davantage,et je me contente d'assurer mon

lecteur, que les beautés imaginairesdes Champs Elysées n'approchentpas les beautés réelles de ce pays.

Cependant il ne fournit point d'or... ))G. Smith, Nouveau voyage de Guinée, (1744).

Page 17: Le comptoir de Ouidah : une ville africaine singulière

LES ETABLISSEMENTS HOUEDAHS

Ces récits contrastent avec lesreprésentations en Europe de la natureafricaine, présentée alors comme une terrede déserts ou de forêts impénétrables,

peuplée de bêtes sauvages et monstrueuses.La description de Smith qui évoque le paradisantique des Champs-Elysées rappelle lemythe élaboré par les conquistadors,qui rêvent de découvrir dans les «terras

incognitas» des royaumes fabuleux et desrichesses immenses (l'Eldorado). Si la

description des hommes et de leurs moeurstempère ce tableau, il n'en demeure que ces

visions neuves et pleines de louanges d'unenature jusque-là unanimement décriée carconsidérée hors de la protection de Dieu,participent à l'élaboration d'images plus civiles

du continent.

la lagune, habitée par les pêcheurs, longe la côte; l'alternance d'étendues d'eau et de zones végétales dessine un paysage heureux et contrasté

15

Page 18: Le comptoir de Ouidah : une ville africaine singulière

LES ETABLISSEMENTS HOUEDAHS

depuis les navires mouillés au large, des pirogues font passer la barre aux hommes et aux marchandises, in Foa, 1895

Ces images sont souvent sous­tendues par un projet économique: ellessuggèrent que les Européens peuvent ydemeurer, notamment pour acheter lesproductions locales mais surtout les esclavesdont ont besoin les plantations d'Amérique.Les voyageurs ne remettent d'ailleurs pas encause la représentation dominante enOccident qui pose les Noirs comme à peinehumains.

Le royaume houédah se déploiedepuis la côte sur cette vaste plaine occupéepar des champs et des bois, où la densitéd'habitants est élevée. La lagune elle-mêmeest habitée: des villages lacustres sontconstruits sur les îlots recouverts par les eauxlors des crues.

A proximité de Ouidah, le petitvillage de Djegbadji rend encore compte de cetype d'établissement dont l'exemple le pluscélèbre est le village lacustre de Ganvié sur lalagune de Cotonou. Il est dispersé surplusieurs îles peuplées par différentes ethniesaux activités diverses: certains sontpiroguiers, d'autres pêcheurs, d'autres encoreextraient du sel dans les marais salants. Leurhabitat fut longtemps élaboré à partir defeuilles de palmiers.

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1

Page 19: Le comptoir de Ouidah : une ville africaine singulière

Quant aux habitants qui cultivent laplaine, ils se regroupent en villages de petitetaille, proches les uns des autres. Lesvoyageurs parlent d'une multitude de hameauxqui couvrent la campagne. Ils utilisent la terreargileuse pour bâtir les murs de leursmaisons, le bois et le feuillage des arbres

pour les toitures Certains établissementshumains sont plus peuplés que d'autres enraison des marchés où sont échangés lesproduits, mais les fortes concentrations sontrares dans cette économie agricole. Les villesrésultent de l'organisation politique dessociétés en royaumes, centrés sur descapitales, toujours situées à l'intérieur desterres et éloignées de la mer.

L'économie de la région estprofondément bouleversée par la traite

négrière qui se développe au XVIIe siècle.Néanmoins, la maJorité de la populationdemeure attachée à l'exploitation des sols etcontinue à vivre dans les villages.

La principale mutation du paysagevégétal entre le XVIIIe siècle et aujourd'huirésulte de l'introduction intensive de cocotierset de palmiers. Si ces arbres existaient à l'étatnaturel à cette époque et fournissaient del'huile aux habitants, au début du XIXe siècle,les Occidentaux encouragent la plantation deces espèces à des fins économiques:l'Europe est demandeuse de produitsoléagineux. Les champs de culture commeles bois sont progressivement remplacés surdes centaines d'hectares par les alignementsréguliers qui impriment un paysage nouveau àla côte comme à l'intérieur des terres.

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1

Page 20: Le comptoir de Ouidah : une ville africaine singulière

La fertilité du sol, la facilité descommunications favorisent les échanges

entre les hommes et le développementd'une civilisation agraire basée sur la chasse,la pêche puis sur l'exploitation du sol.Parallèlement, des entités politiques sedessinent et favorisent la constitutiond'identités sociales particulières que lesEuropéens qualifient d'ethnies. Les groupesfon et houédah, présentés comme lesprincipales composantes sociales de la régionqui nous intéresse, concernent descommunautés de relatives petites tailles(quelques centaines de milliers depersonnes), ayant acquis leurs spécificitésdans l'histoire, et qu'il est nécessaire dereplacer dans un environnement plus vaste.

UNE MOSAIQUE o E PEU P LES Les travaux des historiens, quiremontent jusqu'au Ville siècle,

permettent de distinguer deux grandspeuples, les Yoroubas, les plus anciens, et lesAdjas. Les premiers sont localisés à l'est deOuidah (actuel Nigeria) et les limites de leurpeuplement sont pendant longtemps les rivesdu fleuve Ouémé. Quant à l'influencepolitique et culturel de cette société, elle estdéterminante sur toute la côte: la quasitotalité des royaumes qui s'y développententretiennent des relations de vassalité avecles royaumes yoroubas (d'lIé-lfé puis d'Oyo)qui dominent la région du XIIIe au XIXe siècleLa société Adja, elle-même peut-êtreoriginaire du monde yorouba (Gayibor 1985),s'est en revanche développée à partir de lacité de Tado (située dans l'actuel Togo) vers leXIIIe siècle et ensuite a essaimé vers l'est.

La structure sociale de ces deuxgroupes possède un certain nombre de pointscommuns (Mondjannagni, 1977).La communauté de base est le clan, fondé à

partir d'un ancêtre divinisé; ce groupe sedivise en lignages aux fondateurs généra­lement identifiables. Le système religieuxs'organise à partir de ces unités: la solidaritésociale s'exprime dans les cultes rendus auxancêtres et aux vodouns. Avec le temps,des particularismes se forment aux niveauxculturel et linguistique: par exemple,ces peuples, originellement animistes,ne subissent pas de la même façonl'influence de l'Islam, diffusé par lesroyaumes musulmans du nord (les Yoroubasseront plus fortement islamisés).

LES

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1

Page 21: Le comptoir de Ouidah : une ville africaine singulière

~ABLISSEMENTS

Les sociétés ne se structurent pastoutes uniquement sur des bases claniques:des royaumes se dessinent. D'importance etde durée inégales, ils sont dirigés par dessouverains qui ont pour mission de conserver,voire d'agrandir, le patrimoine des ancêtres, etdonc les terres desquelles ils tirent leur force.Les structures politiques dans la civilisationyorouba seront établies bien avant celles desroyaumes adjas et feront fonction de modèle.

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CÔTE DES ESCLAVES

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schéma des migrations adja (traits tiretés) et yoruba (traits pointillés)estampe européenne représentant le roi d'Allada en 1670, in Berbain, 1942

Les migrations des Adjas sont à

l'origine de la constitution de plusieursroyaumes dans le sud du Bénin (terme utilisépour désigner l'espace géographique du paysactuel et non pas l'ancien royaume du Bénin,situé au sud du l'actuel Nigeria). Au xve

siècle, plusieurs lignages quittent la ville deTado et vont s'installer plus à l'est, à Notséet à Aliada. Leur départ est généralementprésenté, conformément à la traditionmythique, comme un récit de chasse. Lesétudes d'historiens montrent plutôt que ledépart de populations résulte de querelles depouvoir au sein des familles, et plusgénéralement de conditions socio­économiques: les famines et les guerresprovoquent les migrations, de même que ledéveloppement de nouveaux pôleséconomiques qui attirent les espritsentreprenants. Quant à l'installation desmigrants sur un site particulier, elle estgénéralement décrite par les mythes comme

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1

Page 22: Le comptoir de Ouidah : une ville africaine singulière

LES ETABLISSEMENTS HOUEDAHS

le produit d'une rencontre avec une forcedivine bénéfique, qui manifeste son accord ensuscitant par exemple une chasseparticulièrement prolixe.

Le royaume d'Allada tient son nomde la ville royale, située à une cinquantaine dekilomètres au nord de la côte. Il domine larégion au XVIIe siècle mais reste soumis àl'autorité d'Oyo A son apogée, sa zoned'influence va de la rivière Volta (au Ghana)aux confins du royaume du Bénin (au Nigeria).Il se développe grâce au commerce desesclaves et établit des contacts réguliers avecles Occidentaux: les Hollandais fondent uncomptoir dans la capitale et plusieursmissions religieuses tentent, sans succès,de l'évangéliser.

Une mésentente entre des princesd'Allada serait à l'origine de la fondation denouveaux royaumes à la fin de ce siècle, celuide Porto-Novo au Sud-est et celui d'Abomey,plus au nord L'origine de la dispute varieselon les récits· querelle de famille à proposd'une femme (Cornevin, 1962), ou mêmerefus par certains de la présence de traitantshollandais dans la capitale. Les deux frères duroi quittent la cité. L'un d'eux s'installe avecles siens dans un village qui deviendra lacapitale d'un nouveau royaume, Agbo Mè,littéralement «à l'intérieur des remparts».Peu à peu, par la ruse et la force, ce groupedomine la région. Au tout début du XVIIIesiècle, le Dahomey envahit Allada.

En marge de ce royaume guerrier, età l'est du puissant royaume yorouba d'Oyo,auquel le Dahomey restera longtempsinféodé, une multitude de petits étatscoexistent le long des côtes, comme celuifondé à l'est par un autre frère du roi d'Allada.Installé dans le village d'Akron, il supplanterala chefferie locale et se développera à partirde cet établissement, appelé au XVIIIe sièclePorto-Novo par les Portugais (Sinou/Oloudé,1989). Ces royaumes, pour la plupart vassauxdes précédents, acquièrent avec la traitenégrière un pouvoir économique nouveau ettentent d'en jouer politiquement. L'histoire duroyaume houédah, situé au sud de celuid'Allada et dont il dépend, en est une bonneillustration.

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Page 23: Le comptoir de Ouidah : une ville africaine singulière

L'ECONOMIE o E TRAITE

Jusqu'au début du XVIIe siécle, la "Côtesous le Vent» n'intéresse guère les

compagnies de commerce européennes qui

lui préfèrent la "Côte de l'Or» (auJourd'hui la

côte du Ghana) plus accessible aux navires et

où est négocié l'or, extrait des mines situées

plus au nord. Sur la Côte sous le Vent, ne sont

troqués que des étoffes, de l'ivoire et du

poivre. Les Portugais, les premiers à y

commercer et à s'y installer, recherchent dès

le XVIe siècle des esclaves pour leurs colonies

américaines mais ils les trouvent plutôt en

Angola et au Congo Les Hollandais qui

expulsent les Portugais de leurs places fortes

de la Côte de l'Or (conquête de El Mina en

1637), y développeront le commerce des

esclaves. S'y ajouteront rapidement les

Anglais et les Français, tant la demande est

grande pour les plantations des <<Îles» des

Caraïbes et des côtes américaines.

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Page 24: Le comptoir de Ouidah : une ville africaine singulière

Le négoce, saisonnier, n'appelle pasbeaucoup d'établissements permanents. Lesnavires poussés par les alizés descendent lelong des côtes occidentales d'Afrique puislongent celles du Golfe de Guinée.Ils font escale sur la Côte de l'Or pours'approvisionner en vivres et en piroguiersavant de poursuivre vers la Côte sous le Ventqui prendra le nom de Côte des Esclaves. Lesnégriers envoient des émissaires dans lesgrands royaumes et concluent des accordsauprès des chefs côtiers où arrivent lesesclaves. Ceux-ci sont pour la plupartcapturés à l'intérieur des terres, lors de

-razzias ou à la suite de batailles.Les échanges sont d'abord organisés

depuis les navires, les Européens craignant dedébarquer sur la côte: l'Afrique est uncontinent qui symbolise la barbarie dansl'imaginaire chrétien et l'enjeu économiquedoit être suffisamment important pour que lesEuropéens s'aventurent sur ces terres.

Au XVIIe siècle, afin de s'assurerl'exclusivité d'une filière d'approvisionnement,les compagnies de commerce occidentalescommencent à établir dans les sites où l'offreest abondante (villages côtiers, voire villesde l'intérieur) des postes de commerce.Ils les appelleront factorerie (le facteur de lacompagnie s'y rend de temps en temps). loge(il y demeure), ou comptoir, expression la pluscourante qui rend bien compte de la raisond'être de ces places: l'échange économique.Leur venue est généralement souhaitée parles souverains des petits royaumes côtiers quivoient ainsi la traite se développer.

Dès 1640, la Compagnienéerlandaise des Indes Occidentales, envoierégulièrement des émissaires s'appro­visionner auprès du roi d'Allada (plusieursmilliers d'esclaves transitent chaque annéedans leur comptoir). En 1660, cettecompagnie installe une «loge» à Offra,un village côtier du royaume. Elle est rejointetrois ans plus tard par une compagnie anglaisequi obtient du roi le droit de s'établir àproximité dans le village de Jacquin,le souverain approvisionnant les deux sites.En 1670, la Compagnie française des Indes

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LES ETABLISSEMENTS HOUEDAHS

Occidentales tente, sans succès, de se fixerà Offra mais s'installe finalement plus àl'ouest, dans le royaume houédah.

L'établissement des compagnies estsoumis aux aléas des approvisionnements.Les grands royaumes, Oyo, Allada, punissentrégulièrement les petits royaumes côtiers quitentent d'acquérir plus d'indépendance dansle négoce. Tantôt ils envoient leurs troupesdétruire les places rebelles, tantôt ils arrêtentles caravanes d'esclaves. Toute la région estrégulièrement embrasée par les guerres.En fonction de leurs issues, les compagniesdéplacent leurs commis: Offra perd de sonimportance pour Ouidah à la fin du XVIIesiècle, mais certaines années, les deux placessont quasiment abandonnées par lesEuropéens, en raison de la pénuried'esclaves.

La concurrence que se livrent lesOccidentaux n'amène pas la présenced'importantes communautés dans les lieux detraite. Quelques représentants de lacompagnie y résident, souvent moins d'unedizaine d'hommes, auxquels peuvent s'ajouterdes négriers indépendants. Leurs armes à feu(canons et fusils) servent à négocier et àprotéger les marchandises; afin d'assurer leursécurité, ils évitent d'intervenir directementdans les conflits locaux.

L'histoire de la traite n'est paslinéaire. Elle possède au niveau internationaldes moments de stagnation, de croissance etde récession. En outre, localement, les négriersrecherchent les comptoirs où les esclavessont les plus nombreux et les moins chers.

Page 25: Le comptoir de Ouidah : une ville africaine singulière

Dans ce contexte, la durée de vie d'un comptoirpeut être courte et les investissements y sonttoujours limités. Si Ouidah devient un importantcentre de traite, la place sera concurrencéepar d'autres comptoirs, notamment celui dePorto-Nova où sont acheminés les esclavesen provenance du royaume d'Oyo et ceux,tout proches, de Jacquin et d'Offra.

les «barracons», lieux où sont enfermés les esclaves, in Héduy, 1985

un esclave attaché par une fourche, in Héduy, 1985

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Page 26: Le comptoir de Ouidah : une ville africaine singulière

La première hypothèse suggère quecette population, d'origine yorouba, se seraitfixée au bord de la lagune de l'Ouémé puis àproximité du lac Nokoué avant d'émigrer surles rives du lac Ahémé ; pour d'autres, lesHouédahs seraient un sous-groupe de lapopulation houélah (appelée également Popo)installée autour du lac Ahémé, qui émigreraensuite vers la côte, un peu plus à l'est, autourde l'établissement aujourd'hui appelé Grand­Popo. Cette supposition repose sur le cultecommun du python chez ces peuples. Uneautre hypothèse leur donne comme origine laville de Tado, d'où aurait émigré un lignage.

Quoiqu'il en soit. il est à peu près sûrque les Houédahs se fixent au bord du lacAhémé puis migrent vers la côte. Ils s'établissentdans le site de Ouétokpa, avant de s'installerà Sahè, capitale d'un royaume identifié auXVIIe siècle par les Européens. Celui-ci s'étenddes environs de Ouidah jusqu'à l'embouchuredu Mono (Bertho, 1936), et ses limites au nordsont les terres contrôlées par le royaumed'Allada. Ce peuple possède plusieurs caracté­ristiques permettant de le distinguer, en premierlieu, la déification du python. Par ailleurs, lapêche semble occuper une part importante dela population, comme en témoigne lalocalisation de ses différentes installations

L'établissement à Sahè remonteraitau XVIe siècle Il aurait été fondé par le plusancien roi houedah, Aholo. Ce site n'est pasclairement identifié; il est sans doute localiséà proximité du village de Savi (à une dizainede kilomètres au nord de Ouidah), avec lequels'établit parfois une confusion: Savi est-ilfondé par les Fons au début du XVIIIe siècleou est-il déjà un lieu de résidence du lignageroyal houédah ? Cette dernière hypothèseest privilégiée parC Merlo (1984),L'appellation de lacapitale visitée parles Européens à lafin du XVIIe siècle,Xavier, ne permetpas de privilégierl'une de ces deuxsolutions,

HOUEDAHROYAUME

L'origine du peuple houedah est malconnue. C. Merlo et P Vinaud ont analysé,

à travers l'étude des cultes et des lignages,les différentes hypothèses apparemmentcontradictoires. Néanmoins, le milieuphysique et en particulier la présence de deuxgrands fleuves (l'Ouémé à l'est et le Mono àl'ouest), d'une lagune côtière et des lacsAhémé et Nokoué facilitent les mouvementsde populations qu'il est difficile de suivreprécisément sur plusieurs siècles.

L E

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Page 27: Le comptoir de Ouidah : une ville africaine singulière

LES ETABLISSEMENTS HOUEDAHS

Description de la capitale du royaume houédah :La capitale ({ne mérite pas ce titre..

C'est la résidence du roi etdes directeurs des compagnies des

Européens qui trafiquent dans le paisC'est quelque chose, mais aussi c'esttout, car on n 'y voit aucun alignement

de rues. Chaque famille estrenfermée dans une enceinte de

murailles qui est plus ou moinsgrande selon le nombre de casesdont elle a besoin, et toutes ces

enceintes sont isolées. Ils laissentdes espaces entre ces isles que l'on

pourrait regarder comme des rues, oùplutôt comme des chemins dont lesunes sont assez larges, et les autres

si étroites que deux personnes n'ypeuvent passer de front. On a mêmeassez de peine à passer par les pluslarges, à cause des trous dont elles

sont remplies qui rendent le passagedifficile, et même dangereux ,et

surtout la nuit. Comme les nègres nebâtissent que de terre, ils la tirent leplus près qu'ils peuvent des lieux oùils veulent s'établir, et font des trous

dont tous les dehors de leursenceintes sont environnés.

Ils y jettent ensuite toutes sortesd'immondices, qui causent une

puanteur insupportable... ))Chevalier de Marchais, (1725)

marchés, ruelles étroites et dépôts d'ordures, décrits par le Chevalier de Marchais, n'ont pas disparu aujourd'hui du paysage urbain

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Page 28: Le comptoir de Ouidah : une ville africaine singulière

LES ETABLISSEMENTS HOUEDAHS

D'après leurs récits, il est en revanche clairque la capitale est détruite par les troupes fons,celles-ci s'implantant sur le site ou à proximité,en un lieu nommé Savi.

Le nombre de souverains houédahsest difficile à établir. Au fondateur Aholo,succède Kpassé (qui aurait créé le hameau deGléhoué à la fin du XVIe siècle), puis Haye­Houinè Ama au XVIIe siècle et Houffon, ledernier souverain. Mais les historienss'accordent pour penser que bien d'autresrois ont régné.

La capitale politique possèdeégalement une fonction économique. Elle estun lieu d'échange de marchandises entreAfricains et Européens. A l'approvisionnementen vivres (poisson, viande, sel, légumes,fruits ... ), s'ajoute au milieu du XVIIe siècle lavente d'esclaves. Ceux-ci sont capturés parles armées du royaume d'Allada qui lesacheminent ensuite vers les côtes, maiségalement par des ,drancs-tireurs» quiattaquent les personnes isolées.L'enrichissement que procure le négoceinduit de nombreux conflits entre lesroyaumes. Ceux des côtes tentent de profiterau maximum de leur fonction d'intermédiairemais restent dépendants des fournisseurs.

Les descriptions du royaumetémoignent de son dynamisme: (quoiquel'étendue du royaume ne soit pas bienconsidérable... quatorze ou quinze lieues d'est

en ouest et huit à neuf lieues à partir de lacôte (soit au maximum 2000 km2), le paisest tellement peuplé et rempli de hameaux,que tout l'Etat ne paraÎt que comme une trèsgrande ville, divisée en plusieurs quartiers,séparés les uns des autres par des terrescultivées avec soin, qui semblent n'être quedes Jardins, dont le sol est d'une siprodigieuse fécondité qu'à peine une récolteest-elle faite, que la même terre est seméeou plantée sur le champ d'autre chose, demanière qu'on y fait trois ou quatre récoltespar an)). Voyage du Chevalier de Marchaisen Guinée (1725)

L'importance du peuplement setraduit par une forte densité de hameaux etune intense activité agricole et commerciale,remarquées par tous les voyageurs.Les appréciations de la capitale sont pluscontrastées. Le Chevalier de Marchais, quidresse un tableau minutieux des comptoirsoccidentaux, critique les descriptionsélogieuses, comme celle de Smith(cf documents ci-contre) La différenced'appréciation de la ville résulte d'une part dela personnalité de l'auteur, d'autre part de sesconditions de voyage: faute d'outils précis decomptage, l'évaluation de la taille d'une villeet de sa population est très subjective;elle peut enfler ou diminuer simplement enfonction de l'impression donnée par la villeprécédemment visitée.

comptoirs des Européens à Savi vers 1725; les bâtiments ouvrent tous sur des cours intérieures, in Labat,1731

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Page 29: Le comptoir de Ouidah : une ville africaine singulière

Serait c= laltUJ du. "7ù;yd'e Jr.tda/a. Xanér

Com?tUl.·r.r a'eJ tu.rOJ'U,n.rct Judct..

palais du roi et des comptoirs des Européens(figurés par des drapeaux) dans la capitale houédah vers 1725, rapporté par le Chevalier de Marchais

Description de la capitale houédah :«La ville n'avait pas moins de cinqmilles dans sa circonférence; les

maisons étaient bâties avec assez depropreté, quoiqu'elles fussent

couvertes de chaume. Le pays n'a pasde pierres; on n 'y trouve pas mêmeun caillou de la grosseur d'une noix;

cependant, les comptoirs étaient bâtisà la manière de l'Europe; ils étaient

solides, spacieux, bien ouverts, etcomposés de plusieurs appartements

fort commodes qui avaient chacunleur salle et des balcons pour prendrel'air. Les magasins étaient au rez-de­chaussée, et les logements faisaient

le second étage. De si bellesdemeures contribuaient non

seulement à la satisfaction maisencore à la santé des Européens. La

ville était si peuplée qu'il était difficileà toute heure de marcher dans les

rues, quoiqu'elles eussent beaucoupde largeur. 1/ s 'y tenait tous les jours

des marchés, bien fournis demarchandises d'Europe et d'Afrique,

et d'une grande variété de provisions.Près des comptoirs de l'Europe, onvoyait une grande place, plantée de

beaux arbres, à l'ombre desquels lesmarchands et les capitaines traitaientde leurs affaires comme une espèce

de bourse»Smith, pages 130-132.

Description du palais royal en 1725 :«••• L 'enceinte (du palais royal)

est fort grande, elle est fermée par unmur de terre de 8 à 10 pieds de

hauteur (2,5 à 3 m) ; le chaperon deces murs est couvert de paille, afin

que les pluies ne le détrempent pas etne la fassent pas ébouler. Les angles

sont couverts de tours rondes de lamême hauteur et de la même matière

que les murs; elles servent à mettreles sentinelles.

On distingue (sur le plan) legrand et le petit sérail; ce dernier sert

d'entrée au grand. C'est une grandecour environnée de bâtiments de trois

côtés... il ya au dehors douze piècesde canon sur des affûts de marine à

plate terre sans embrasures... Lelogement du premier valet de

chambre du roi occupe l'aile droite decette cour. On entre de cette cour

dans celle des cuisines du roi, et decelle-ci dans une troisième que l'on

appelle la cour des coutumes, parceque c'est dans celle-ci que l'on payeles droits au roi, tant ceux qu'il exige

de ses sujets que ceux que lesEuropéens sont obligés de lui payer.

Le fond de cette cour est occupé parun grand salon, qui sert de salle

d'audience. Le trône du roi est ungrand fauteuil posé sur une large

estrade couverte d'un tapis deTurquie; il y a des nattes sur tout le

reste du plancher, et des fauteuilspour les blancs qui vont à

l'audience... »Voyage du Chevalier de Marchais,

in Etudes dahoméennes, pages 82-83.

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LES ETABLISSEMENTS HOUEDAHS

De Marchais est sensible au manqued'ordonnancement des voies et à l'absenced'hygiène, ses remarques sont corroboréespar d'autres voyageurs qui visitent les villesvoisines. En cela, il rend compte d'unepréoccupation qui ira en se développant et quijustifiera l'installation des Européens endehors des villages «indigènes)) (Sinou, 1993)Smith s'appuie en revanche sur d'autressources car la ville a été détruite peu detemps avant son voyage Il reprend ladescription qui en a été faite par un directeuranglais du fort de Ouidah et n'apporte pasd'éléments péjoratifs au tableau très élogieuxqu'il dresse de toute la contrée.

Ces documents sont riches enenseignements sur la capitale et les modesde construction. Les comptoirs anglais,français, hollandais et portugais sont situésdans le domaine du roi, à proximité de sonpalais. L'ensemble ressemble à une suite decours bordées chacune de bâtiments, chaquecour accueillant une compagnie. Le domaineréunissant le roi et les comptoirs est localisé àproximité du village, sans y être rattaché: ilforme un quartier, quasi autonome, fermé parune enceinte fortifiée.

L'origine des traditions palatialesremonte au monde yorouba (Ojo, 1966)Certains domaines royaux peuvent couvrirplusieurs dizaines d'hectares et accueillir unecour de plus de mille personnes. Les palaisd'Abomey et de Porto-Novo, plus tardifs,s'inspireront également de ce modèle spatialoù les bâtiments ne se différencient guèreentre eux. Seules les galeries bordant lesfaçades, remarquables également dans lepalais de Savi, constituent un facteur dedistinction. La construction sur plusieursniveaux est exceptionnelle (les matériaux nesont guère adaptés à ce principe et la placene manque pas) Les quelques bâtiments àétage de la capitale houédah ont étéconstruits à l'initiative des Européens.

L'organisation générale de la cité nerecherche ni les proximités ni les densités. Lacapitale est composée de hameauxréunissant un ou plusieurs lignages, souvent

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séparés par des zones végétales fréquemmentcultivées, et reliés par des sentiers; le hameaudu lignage du chef ou du roi est généralementle plus développé, notamment en raison dumarché qui y siège Ce type d'organisation seretrouve dans les descriptions de presquetous les voyageurs qui visitent cette côteMalgré les enceintes et le marché, Sahè nerépond guère aux critères de l'urbanitéoccidentale, d'un point de vue spatial commed'un point de vue économique: la traitenégrière, activité temporaire, n'occupe pastoute la population dont une grande partiecontinue à vivre de l'agriculture.

Les modes de constructionn'appellent pas une main-d'oeuvre spécialisée.Le bâtisseur, généralement un chefde lignage ou de famille, s'adresse au chefdu village pour obtenir une terre Celui-ci luidonne volontiers, l'accueil de nouveaux venusétant un moyen d'accroître son prestige et dedévelopper l'économie locale. Le demandeurconsulte ensuite le «chef de terre)) (s'il diffèredu chef de village) qui préside une cérémoniepour s'assurer de la bienveillance des espritsdu lieu et pourfaciliter l'instal­lation des divi­nités propresau lignage Cetype de ritueldonne lieu à

des échangessymboliqueset monétaires(cauris).

Page 31: Le comptoir de Ouidah : une ville africaine singulière

la cour d'un temple, couverte de coquillage

Une fois installé, le chef de famillefait appel à ses dépendants, membres de lafamille, esclaves, pour débroussailler le terrainet extraire la «terre de barre», terre argileusequi affleure. Les bâtisseurs montent ensuite,avec la terre mélangée à de la paille pour larenforcer, les murs par bandes successivesqui sèchent au soleil. Un toit en paille, supportépar une structure en bois, est finalement posésur les murs une fois secs. Les ouvertures,toujours peu nombreuses et de petite taille,font de l'habitat un espace obscur, quicontraste avec la luminosité ambiante.

Les maisonnées (que les Européensappelleront «concessions») n'ont qu'une oudeux entrées. Centrées sur les coursintérieures, elles sont isolées de l'extérieurpar un mur en terre ou en paille tressée reliantles différents bâtiments. Le développement deconflits guerriers amène souvent les souverainsà fortifier les murailles autour des capitales oudu moins des quartiers où ils résident.

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Page 32: Le comptoir de Ouidah : une ville africaine singulière

LES ETABLISSEMENTS HOUEDAHS

L'économie du royaume reflète uneprospérité due principalement au négoce desesclaves. A la fin du XVIIe siècle, le Chevalierd'Amon, un négrier français, négocie avec leroi la fourniture de 10000 captifs par an.Le récit du Chevalier de Marchais souligneégalement cette richesse: (des coutumes ouprésents ordinaires que les Européens font auroi pour être assurés de sa protection et avoirla liberté du commerce, lui produisent unrevenu considérable de sorte qu'on peut direqu'un Etat des plus petits de la Côte deGuinée... ne laisse pas de faire un royaumetrès riche et un roi des plus puissantsseulement par le commerce des esclaves quiest le plus considérable de toute la côtell.

La traite doit être cependant replacéedans un système économique dominé pard'autres royaumes. La capitale houédah resteconcurrencée par d'autres places, en particulierOffra-Jacquin (appelé aussi Petit-Ardres ouPetit Allada), également contrôlé par Allada.Cet essor si rapide, particulièrement visible àla fin du XVIIe siècle, résulterait des mesuresde rétorsion d'Allada vis à vis d'Offra-Jacquinconsidéré jusqu'au milieu du siècle comme leprincipal débouché du royaume.

Face à ses velléités d'indépendance, ((le roid'Allada ferma les chemins de ce port etouvrit ceux d'Ajuda (Ouidah))} (Barbot cité parPazzi, 1979).

Les négriers s'adaptent rapidement àcette nouvelle donne et se déplacent dans leroyaume houédah, certains acceptantd'abandonner Jacquin comme l'exige le roid'Allada. En échange, celui-ci offre auxcommerçants certains avantages, comme ledroit de résider dans la ville d'Allada et doncde se passer de certains intermédiaires(traditionnellement, les souverains refusentde côtoyer des étrangers). A la fin du siècle,le royaume houédah cherchera à son tour às'affranchir d'Allada, et profitant des luttesque mène celui-ci contre son nouveau voisindu nord, il bénéficiera au tout début du XVIIIesiècle d'une courte période d'autonomie.

La présence dans la capitalehouédah de comptoirs de nationalitésdifférentes est rare dans une région où lesEuropéens n'hésitent pas à se livrer bataillepour obtenir le monopole du commerce dansun lieu de traite. Elle résulte de la volonté duroi qui, contrairement aux autres souverains,leur refuse toute exclusivité:

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BAYE DE BENIN

Page 33: Le comptoir de Ouidah : une ville africaine singulière

le couronnement du roi : le souverain, assis devant sa résidence à colonnes, est protégé par un parasol (emblèmeroyal), les Européens sont assis; les guerriers, musiciens, sujets et esclaves sont regroupés en divers coins de la cour

Chevalier de Marchais, 1725

«il convoqua les Français, les Anglais etles Hollandais, et leur proposa un accord quipermettrait de vendre régulièrement desesclaves, tout en maintenant la paix dans larade... Le roi fixa les peines qui frapperaientceux qui porteraient atteinte au traité: celuiqui s'emparerait d'un vaisseau d'une autrenation dans la rade devrait payer la valeur dehuit esclaves pour chaque pied de la longueurdu bâtiment capturé» (Van Dantzig, 1980).

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COTE D'AFRIQUECompreolatlt 1" FI,,"-vC'" \/oil.. ,

L.E CAP .l'.AOOS,

ET

ROYAUME DE BENIN

Le traité assure la coexistence entreOccidentaux ainsi qu'une demande plus forted'esclaves à laquelle le souverain tente derépondre. Il ne protège cependant pas desvoisins. Lors de l'attaque de la capitale par leDahomey, les Européens se réfugient dansleurs fortifications de Ouidah, tandis qu'ungrand nombre de Houédahs sont massacrés.

La conquête de la capitale en 1727marque la fin du royaume. Les survivants sedispersent; certains se réfugieront à Ouidahtandis que d'autres rejoindront les rives du lacAhémé. La vie économique se déplace plusau sud, vers le site de Ouidah où sont installésles forts des Européens. Dans le mêmetemps, la vie politique se déplace au nord,dans la capitale du royaume vainqueur,Abomey.

L'établissement de Savi, habité parles Fons, ne possède pas d'activité de traite.Sa population sera d'abord composée dessoldats installés lors de la conquête puis defamilles d'Abomey, notamment celles dedeux fils du roi Agadja, Soglo et Aza, àl'origine des deux grands quartiers actuels.Les familles fons s'installeront souvent dansle même temps à Ouidah, tissant denouveaux liens entre ces différentes places.Savi, reléguée à une fonction d'étape sur l'axeAbomey Ouidah, ne se développera guère,comme en témoigne encore aujourd'hui sonaspect essentiellement rural.

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LES E T A B L 1 S SEM E N T S HOU E D A H S

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U N E T A B LIS SEM E N T

La tradition orale la plus entendueraconte que la naissance du hameau est liéeau roi Kpassè, un des successeurs d'Aholo,qui aurait fondé une petite ferme appeléeGléhoué (littéralement la maison des champs).Elle aurait donné plus tard son nom, encoreutilisé actuellement, à l'établissement toutentier, ((Gléhoué Kpassè-Tomè». Le récit defondation du hameau mélange comme le veutla tradition un événement à une histoire dechasse, mais il s'en écarte en racontant larencontre entre un Houédah et un Européen(cf. texte page 34). Ce scénario sesubstitue au cadre habituel qui met en scène

un autochtone et unN 0 U V EAU migrant d'une région

voisine. L'intégration d'unEuropéen dans ce type de récit marque lanature radicalement nouvelle de l'établis­sement, tourné vers le commerce et la mer,contrairement aux autres cités.

Ouidah apparaît clairement dans les récitsoccidentaux à la fin du XVIIe siècle, du

fait de l'installation des traitants, mais le lieuest habité depuis plus longtemps et possèdeune autre appellation, Gléhoué. Les plusanciennes mentions qui en sont faitesremontent au XVIe siècle mais elles sontimprécises: Gavoy relate que vers 1580, àproximité de la côte, ((les nouveaux venus(les Portugais) firent cadeau au roi et auxsiens de tissus, choses inconnues à cetteépoque où l'on se servait de couvertures deraphia. Le roi de son côté leur donna desvivres et des chèvres. Etonnés de voir cesanimaux, les Européens demandèrent d'où ilsvenaient; ils apprirent ainsi que la région étaithabitée et qu'il y avait une ville un peu plus aunord (sans doute Sahé))).

L A FOI\JDAT o N

D'autres récits, moins populaires,s'intéressent à la fondation du hameau et lalient à un certain Glé, sans doute un paysanmais dont on ne retrouve aucune trace dansl'histoire de la cité ou dans les lignages:Glé houé serait la maison de Glé. Enfin, pourd'autres encore, le site aurait d'abord étéfréquenté par des lignages houélah, guin etmême issus du royaume d'Allada.

L'appellation Gléhoué pose unproblème d'ordre linguistique car elleappartient à la langue Fon. Il est étonnantqu'un site houédah puisse porter à l'origine unnom fon. On peut se demander dans quellemesure les appellations européennes quidésignent la localité par le nom proche decelui qualifiant la population, le Juda desFrançais, l'Ajuda des Portugais, le Fida desHollandais et le Whydah des Anglais, ne sontpas les plus anciennes, même si elles necorrespondent pas au nom exact du lieu-dit.

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Page 36: Le comptoir de Ouidah : une ville africaine singulière

LES ETABLISSEMENTS HOUEDAHS

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Le mythe de fondation de Ouidah:((un nommé Kpaté était

chasseur et pêcheur de tradition.Un jour, Kpaté, accompagné d'un

camarade appelé Zingbô, pourchassaitdes crabes de terre dans les environsde la plage de Ouidah. ils étaient tous

les deux vêtus de tissu de raphia. Toutà coup, sur l'océan, ils virent passer

tranquillement un bateau. Zingbô n'enavait jamais vu, quant à Kpaté, il

connaissait déjà et les bateaux et lesEuropéens lorsqu'il fréquentait jadis

les pays de Papas (à l'ouest) avantl'émigration de sa tribu Audacieux,

Kpaté attache un pagne de raphia aubout d'une perche en guise de

drapeau, au moyen duquel il envoyaplusieurs signes d'appel vers le navire.

Les navigateurs l'avant aperçu,conclurent que la côte était habitée. Le

bateau mouilla au large, et au moyend'une barque, il envoya des hommes à

la plage. Quand ceux-ci eurent mispied à terre, Kpaté les aborda, ils

étaient tous blancs. Zingbô, qui n'avaitjamais vu de telles créatures

humaines, ne put supporter leurapproche,' il prit la fuite en s'écriant

((ZO dja gué, Zo dja gué t)) ce quivoulait dire que des êtres lumineux ont

surgi de l'océan, vifs et brillantscomme le feu

Cependant, Kpaté causaitavec les nouveaux venus tantôt

verbalement, tantôt par gestes et ilréussit à les emmener au village et à

les présenter au roi Kpassé après leuravoir offert des oranges pour se

désaltérer. .. Le roi Kpassé fit bonaccueil aux Européens présentés par

Kpaté A titres de présents, ils luiremirent, pour lui et les siens, destissus, des glaces, des pipes, des

perles, et divers autres objetsjusqu'alors inconnus dans le pays))

Récit rapporté par Casimir Agbo, (1959)

Page 37: Le comptoir de Ouidah : une ville africaine singulière

Il n'existe pas de description très ancienne

de Gléhoué, qui sans doute se développaconformément à l'usage à partir d'un lignageou d'un segment de lignage, (peut-être royal),qui fit construire une habitation à usageagricole. Si l'établissement est antérieur auXVIIe siècle, il ne semble guère croître jusqu'à

cette époque. Le Chevalier d'Elbée, qui serend auprès du roi D'Allada en 1668, n'en faitpas mention; l'année suivante, il décided'installer un comptoir dans un nouveau sitequi pourrait être le hameau de Gléhoué.Ducasse qui visite la côte entre 1687 et 1688pour la compagnie de Guinée remarquel'établissement de Ouidah et sa ,doge»française. Ille décrit comme le centre de

traite le plus important de la région.Parallèlement à l'installation des compagnies,il est probable que se développe dans le

hameau un certain commerce animé pard'autres négriers. La Côte est depuislongtemps visitée par les Occidentaux.Aux commis des compagnies s'ajoutent destraitants qui travaillent pour elles ou pourleur propre compte. Leur présence est plusdifficile à établir car il s'agit souvent denégociants indépendants que ne recensentpas les registres et les mémoires descompagnies, principales sourcesd'information sur cette question

L E H A M E A u

L'établissement dans un hameau

distant de cinq kilomètres de la côte peutsurprendre, d'autant qu'il n'existeni embouchure de fleuve ni rade protégée

qui facilite le stationnement des naviresou le transbordement des marchandises.Au contraire, la «barre» rend difficilel'accostage des pirogues reliant la côte auxbateaux mouillés au large. Les navigateurs

sont obligés de faire appel à une populationcôtière, les Mina, pour les aider à débarqueret embarquer les productions. La Hollande,qui contrôle alors le fort et la région d'El Minad'où sont originaires les piroguiers, loue ces

hommes aux capitaines des navireset contrôle ainsi leurs mouvements.

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1

Page 38: Le comptoir de Ouidah : une ville africaine singulière

Il n'existe cependant pas demouillage véritablement protégé de la barresur la côte et les navires doivent toujoursstationner au large. Pendant les mois detraite, la rade de Ouidah peut en accueillirsimultanément une demi-douzaine.Les marchandises sont transportées jusqu'à laplage par des pirogues ou par flottage.Les produits sont ensuite entreposés dansdes enclos surveillés par des gardes armés;puis ils sont acheminés vers les comptoirs.

Le Directeur du fort anglais proposaen 1715, afin d'éviter le désordre occasionnépar la traversée de la lagune, «le creusementd'un canal artificiel reliant la mer à la lagune:ainsi les pirogues pourraient livrer directementleur cargaison au-delà de la lagune sans lanécessité du portage à têtell (Dunglas, 1956) ;mais cette idée fut rejetée par les autoritéslocales qui la jugèrent «peu naturelle».

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1

LES ETABLISSEMENTS HOUEDAHS

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Page 39: Le comptoir de Ouidah : une ville africaine singulière

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L'importance du trafic, la durée du

voyage (il existe sur le parcours plusieurs

douanes du roi qui ralentissent le transport

des hommes et des marchandises) rendent

parfois impossible d'accomplir le trajet entre

la plage et la capitale houédah en une seule

journée. Afin de se prémunir contre les

voleurs qui profitent de la nuit, les Européens

demandent au souverain le droit de bâtir des

enclos à mi-parcours. Ce souhait répond

également à un souci de sécurité, les

Occidentaux préférant stocker les produits

dans des sites non habités et éloignés des

lieux de stationnement des troupes royales:le Chevalier d'Amon invoque (cie bel air au

bord de la mer qui lui serait plus sain)), pour

tenter d'échapper aux propositions du roi qui

veut le retenir dans la capitale (Dunglas,

1956). Le hameau de Gléhoué fut l'heureux

bénéficiaire de ces nécessités.

Il est aujourd'hui difficile de localiser

l'emplacement initial du ou des hameaux. Ils

étaient peut-être situés au nord-est de la ville

actuelle, dans une zone dont les limites

seraient à l'ouest, le lieu-dit Gléhoué (àproximité de la cathédrale) et, à l'est, la forêt

sacrée de Kpassè. Des cultes y sont célébrés

pour perpétuer la mémoire du roi déifié. De

plus, il existe dans ce quartier, Tové, plusieurs

familles houédahs, comme par exemple celle

des Adjovi, considérée comme une des plus

anciennes et qui se réclame comme la

descendante du fondateur de la ville (version

évidemment contestée par d'autres lignages).

D'autres récits suggèrent que le

quartier Docomé aurait été fondé par Kpatè.

Le troisième quartier d'origine houédah,

Adamè, aurait été créé par un successeur de

Kpassè, sans doute à la fin du XVIIe siècle. Il

est situé au sud-ouest de Tovè et ne semble

pas avoir été aussi important que les deux

précédents. Les traditions orales évoquent

aussi le site de Gléhoué-Bedji, aujourd'hui

appelé Agoli, à proximité duquel se trouve le

temple aux pythons. Cet emplacement aurait

été habité par un dignitaire descendant du roi

Houffon, Zossoungbo, qui aurait ensuite

fondé un nouveau quartier, Sogbadji.

Tous ces lieux, s'ils s'avèrent avoir

été fondés par des Houédahs, ne formaient

pas une agglomération compacte et n'étaient

sans doute pas peuplés uniquement par eux:

il est probable que des familles de pêcheurs

et de piroguiers houélahs et guins s'y soient

fixées à la même époque. Aucun récit ne

parle de fortifications. L'établissement qui se

développe grâce aux Occidentaux sera

protégé, non pas par une enceinte, mais par

leurs canons.

coupe sur une habitation à la structure en bois recouverte de terre et de chaume au niveau du toit(village de Djegbadji)

le grand nombre de sentiers identifiés sur cette carteatteste de la densité et de la dispersion de l'habitat; les axes rectilignes, routes et chemin de fer, ont été tracés au XXe siècle

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1

Page 40: Le comptoir de Ouidah : une ville africaine singulière

L E DEVELOPPEMENT COMMERCIAL

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1

Page 41: Le comptoir de Ouidah : une ville africaine singulière

Ce sont sans doute les représentantsde la compagnie française qui s'établirent lespremiers de façon permanente dans lacapitale houédah, vers le milieu du XVIIe siècle.Arrivés dans la région après les Hollandais quiavaient des liens étroits avec le royaumed'Allada, ils ne réussissent pas à s'implanterdans les lieux de traite existants et recherchentd'autres sites En 1670, le commissaire généralde la Marine, le Chevalier d'Elbée, débarque à

Offra, le principal comptoir alors du royaumed'Allada, accompagné d'un marchandbrandebourgeois Caerlof (écrit égalementCaroloff) auparavant au service des Hollandais.Il demande au chef local, le «fidalgo»(appellation portugaise), le droit d'y fonder uncomptoir et envoie dans le même temps sonémissaire négocier avec le roi d'Allada. Celui­ci accueille favorablement le représentant dela France' un ambassadeur est même envoyéà la cour de Louis XIV; mais la compagniehollandaise obtient finalement le départ deCaerlof qui, pour s'assurer la fournitured'esclaves, vendait à moitié prix sesmarchandises (Van Dantzig, 1980)

Barbot rapporte que Caer lof allas'établir plus à l'ouest, à Pillau, et suggèreque ce site serait celui de Gléhoué. D'autressources signalent que le Chevalier d'Elbéenégocie directement auprès du roil'établissement d'un fortin sur le site deGléhoué. Les récits des voyageurs mélangentsouvent Gléhoué avec la capitale du royaume:ils emploient les mêmes termes, Juda,Whydah, etc., sans qu'il soit toujours possiblede savoir s'ils parlent du royaume, de sapopulation ou du site Il est donc difficile dedistinguer les deux établissements et leursfonctions Il est cependant probable que vers1670, un lieu de stockage des marchandisesait été élevé à Gléhoué.

Le premier édifice, élaboré à partirdes matériaux disponibles sur place, est sansdoute très sommaire (S. Berbain parle d'unecase). En 1698, la compagnie demande ausouverain le droit de bâtir une nouvelleconstruction, demande qui sera d'abordrefusée, le souverain préférant voir lestraitants résider dans la capitale.

SFRA N ç ALES

Au milieu du XVIIe siècle, Colbert décidede combler son retard sur les autres

nations européennes dans le commercetriangulaire et le roi accorde le privilège decommercer sur les côtes africaines à

plusieurs compagnies. Sur la côte occidentale,la compagnie du Sénégal s'installera àl'embouchure de ce fleuve et créera lecomptoir de Saint-Louis. Sur la Côte desEsclaves, la compagnie des IndesOccidentales envoie plusieurs représentantsen vue d'y fonder des comptoirs (voyage deVillault de Bellefond en 1666)

l'Afrique en 1633 selon Henricus Hondius, in Kupcik, 1980

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de simples canons posés devant les habitations suffisent pour protéger les établissements des Occidentaux

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1

Page 42: Le comptoir de Ouidah : une ville africaine singulière

LES ETABLISSEMENTS HOUEDAHS

La construction du fort français en 1671 :((quatre cents manoeuvres ont été fournis

par le roi; ils commencent par creuser desfossés, rejettent la terre à l'intérieur tandis

que les autres arrosent cette terre, ilsincorporent de l'herbe ou de la paille

hachéeet pilonnent le tout avec les pieds.

Après un bon pilonnage, les manoeuvresmaçons fabriquent rapidement entre les

mains des pâtons molasses d'environ unkilogramme et les lancent à la volée auxmaçons qui s'en servent pour édifier les

murs.Ouand l'assise de terre demi-molle atteint

trente centimètres de haut, on laissesécher, sinon le mur s'affaisserait puis

on met enplace une nouvelle assise))cité par S. Berbain, (1942).

~...

plan du fort français vers 1725, rapporté par le Chevalier de Marchais

Le fort français vers 1727 :((il est composé de

quatre bastions, avec desfossés larges et

profonds, sans chemincouvert, glacis ni

palissades, excepté à unouvrage en forme de

demi-lune qui couvre laporte, qui, outre les

ventaux, se ferme avecun pont-levis. il y a trente

canons montés tant surles bastions que sur les

courtines, et principalement sur cellequi regarde le fort des Anglais. Les

quatre corps de logis, qui forment unegrande place d'armes carrée, servent

de magasins, de logement pour lesofficiers et la garnison, et de

captiverie; c'est ainsi que l'on appellele lieu où l'on garde les captifs, en

attendant de les embarquer. Il y a aumilieu de cette place une chapelle, où

l'on dit la messe quand il ya unaumônier. Ce fort est sous le

commandement du lieutenant dudirecteur général qui demeure à

Xavier (Savi) ville capitale du royaume.La garnison n'est que de dix soldatsblancs, deux sergents, un tambour.

deux canotiers et trente esclavesbambaras qui appartiennent à la

compagnie... ))

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1

Page 43: Le comptoir de Ouidah : une ville africaine singulière

.......

Mais sous la pression du corsaire JeanDoublet, originaire de Honfleur et qui agitalors pour la Compagnie de l'Assiente, le roirevient sur sa décision. Arrivé à Ouidahle 27 septembre 1704, il le convainc, peut­être grâce aux cinquante canons qu'il vient dedébarquer et dont le roi pense qu'ils l'aiderontà acquérir plus d'autonomie vis-à-vis de sonpuissant voisin du nord. Le souverain luifournit plusieurs centaines d'esclaves pour laconstruction, et en quelques semaines, unfortin est élevé, «à une portée de fusil» dubâtiment construit par les Anglais.

Alors même que la constructions'engage, la compagnie néerlandaise ayant euouïe dire de ce coup de force, envoie desémissaires ((pour convaincre le roi de Fida,avec amabilité ou violence, de chasser lesFrançais et les autoriser à construire un fortconsidérable)) (Van Dantzig ). L'entrepriseéchoue, le roi refusant de remettre en causele principe de libre accueil des traitants.

Avant de repartir, Doublet y installele commis français, Gommet (ou Gommat)jusqu'alors établi dans la capitale. Celui-cidevient en 1704 le premier directeur du fort«Saint-Louis de Grégoy», appellation quirappelle comme le veut la tradition le roirégnant en France, à laquelle est ajoutée latranscription du lieu-dit «Grégoy» quicorrespond à Gléhoué. Le choix du terrain sefait dans une zone inhabitée à l'ouest duvillage existant. Un nouveau quartier se formeà proximité du fort, d'abord peuplé d'esclavesfournis par le roi. Il sera appelé «Ahouandjigo»,littéralement «où il est interdit de fairela guerre», en référence au traité imposantla paix entre les négociants européens.

Le fort occupe alors un terrain decent mètres sur quatre-vingt. Les mursd'enceinte comme les habitations sontmontés en terre de barre et peints d'unecouche de chaux élaborée à partir de la cuissondes coquillages ramassés sur la plage; lestoits sont couverts de chaume. Le personnelde la compagnie est composé de quelqueshommes, le directeur, le contrôleur, le teneurde livres, le garde-magasin, l'aumônier et lechirurgien. Un établissement permanentd'Européens prend forme alors à Ouidah,au détriment de la capitale.

Dans les années suivantes,des travaux sont engagés pour l'améliorer:de nouveaux bâtiments sont élevés, un corpsde garde, un corps de logis et un magasin.Construits en matériaux locaux, les édificesdoivent être reconstruits régulièrement;en outre, les toits en chaume s'enflammentfacilement et peuvent entraîner la destructionde tout l'établissement. En 1727, Le Chevalierde Marchais présente le fort comme le plusimportant de la place (cf. description ci­contre). L'allure générale ne semble guères'être modifiée mais on notera que desesclaves y sont gardés et qu'une chapelle aété bâtie (même si elle semble manquer alorsd'aumônier). Le directeur général de lacompagnie continue de résider dans la capitale.

la localisation des trois forts de Ouidah

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Page 44: Le comptoir de Ouidah : une ville africaine singulière

L'installation des Anglais dans le royaumehouedah résulte également de la

concurrence que se livrent les nationseuropéennes et de la domination desHollandais. Déjà installée à Offra, la RoyalAfrican Company y a une activité réduite. En1681, le capitaine d'un navire de la compagniedébarque à Ouidah où il remarque la présencede traitants français et portugais et la grandequantité d'esclaves disponibles. Le souverainlui propose d'y fonder un comptoir. Malgrél'opposition du roi d'Offra, la compagniedécide l'année suivante de s'y installer

Le roi impose que le comptoir soitsitué dans la capitale, à proximité des autres,mais dans le même temps, un entrepôt estbâti dans le village de Gléhoué (Van Dantzig,1980) Barbot, qui visite la côte en 1682,décrit le fort William comme «un carré decent yards de côté avec quatre ouvrages deflanquement portant vingt et un canons etcomptant une garnison de vingt Européens etde cent esclaves)).

A plusieurs reprises incendié,le fortin sera reconstruit sur le même site,notamment en 1712 par le capitaine Wiburne.Le plan dressé par le Chevalier de Marchaisen 1725 semble correspondre à l'édificerebâti un peu plus tôt; il décrit alors la placede la façon suivante:

«Le fort des Anglais est à l'est decelui des Français, à une grande portée defusil; il est carré; au lieu de bastions, sesangles sont couverts de boulevards avec desfossés secs, larges et profonds, sanspalissades et sans chemins couverts. Il ya unpont-levis et vingt-six canons, ils y ont unegarnison à peu près comme celle du fortfrançais, commandée par le lieutenant deleur directeur général qui réside aussià Xavier».

La place, fortifiée de manière trèssimple, fait fonction d'entrepôt et abrite,comme le fort français, le logement d'unegarnison dont la fonction est d'assurer laprotection des différentes marchandises.

a terre est le matériau de base utilisé par les Européens pour bâtir les forts

LES A N G L A S

plan du fort anglais vers 1725, rapporté par le Chevalier de Marchais

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1

Page 45: Le comptoir de Ouidah : une ville africaine singulière

LES HOLLANDAIS

LES ETABLISSEMENTS HOUEDAHS

Particulièrement dynamique depuis le XVIesiècle dans la région, la Compagnie

néerlandaise des Indes Occidentales (W.I.C.)ne bâtit pas de comptoir fortifié à Ouidah (cequi confirme que le développement de ce sitene date que de la fin de ce siècle). Déjàinstallée à Offra, elle ne se rend dans lenouveau comptoir que vers 1690, en raisond'une pénurie d'esclaves, mais sesreprésentants se heurtent à l'opposition desAnglais, des Français et même deBrandebourgeois qui y sont alors installés.

En 1692, à la suite de la destructiondu comptoir d'Offra, ils se rendent de nouveauà Ouidah à un moment où le roi d'Alladaenvisage d'attaquer le royaume houédah quimanifeste clairement des velléités d'indépen­dance. Chargé par la compagnie d'une missionde bons offices entre les deux souverains,son représentant revient, faute d'un accord,avec ses employés sur la Côte de l'Or.Les affaires à Ouidah s'avèrent alorsmauvaises; le capitaine anglais, Phillips,signale en 1694 l'état de grande misèredes employés français «qui n'ont vuaucun navire de leur nationalité depuisquatre ans)) (Van Dantzig, 1980).

le site du fort anglais dont les ruines étaient encore visibles dans les années cinquante, est aujourd'hui occupé par différents commerces

Le roi d'Allada tente de convaincreles Hollandais de revenir s'installer sur sonterritoire mais la compagnie refuse, préférantorganiser le négoce depuis la Côte de l'Or etenvoyer des navires mouiller dans la rade, letemps de l'approvisionnement.

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1

Page 46: Le comptoir de Ouidah : une ville africaine singulière

LES ETABLISSEMENTS HOUEDAHS

En 1698, un employé de la compagnie, Bosman,est envoyé à Ouidah où le commerce est ànouveau florissant, mais il quitte la placequelques années plus tard. En 1703, unnouveau représentant s'y rend pour étudierles meilleurs moyens d'y rétablir un comptoir.A peine installé, il exige en contrepartie du roil'expulsion des Français et l'autorisation deconstruire un fort. Son projet est refusé et lescommis hollandais qui résident dans la villesubissent les conséquences de ces intrigues:leur habitation est incendiée à plusieursreprises en 1706.

La puissance de la compagniehollandaise va alors en s'amenuisant tout lelong des côtes du Golfe de Guinée. Elle estconcurrencée par les Anglais, les Françaisainsi que par les Portugais qui obtiennent ledroit d'y revenir traiter. La conquêteterritoriale menée par le Dahomey marque lafin de tout un système d'alliances et derapports de force entre les différentsroyaumes, toujours plus ou moins contrôléspar Oyo. La compagnie néerlandaise, qui ytirait sa force, s'oppose à l'hégémonie duDahomey et perd son réseau de relations à lasuite de la disparition du royaume d'Allada.A Ouidah, ses revendications d'exclusivitésont contraires aux règles mis en place par lesouverain houédah et conservées par le roi fon ;En conséquence de quoi, elle n'obtiendrajamais le droit d'ériger un fort. La dominationdu Dahomey amènera le départ de sesreprésentants dans les années 1730-1740.

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1

Il n'existe guère de trace de laprésence hollandaise, ancienne et discrète,à Ouidah. Les représentants de la compagnie,lorsqu'ils y résident, se contentent de louerune habitation où ils installent leur comptoir,à la manière de ce qui fut fait li Sahé et Allada.Celui-ci n'est évidemment pas toujourslocalisé dans la même habitation, du fait duva-et-vient des commis. Le seul élément derepérage est l'ancienneté des quartiers.Ces comptoirs devaient être nécessairementsitués dans des quartiers ayant existéau XVIIe et au début du XVIIIe et nedépendant pas des autres nations présentes:C. Agbo propose Sogbadji ou Adamé.

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Page 47: Le comptoir de Ouidah : une ville africaine singulière

LES PORTUGAIS

ci-dessus et ci-contre: deux plans du fort portugais du début du XVIIIe sièclequi proposent deux organisations spatiales différentes

La construction du fort portugais en 1721 (cf. plan ci contre) :IlLe capitaine fit construire la maison

de la factoreriede 45 brasses de longueur et 40 de

largeur. Plus de cinq cents personnesy travaillèrent pendant plus de trente

jours effectifs, et avant d'avoir terminécette maison qui a plus grande

capacité que celle des autresétrangers, il commença la construction

d'une forteresse, édifiant un fort ronden un lieu élevé avec capacité de 16

pièces d'artillerie...1/ entoura ce fort d'une muraille

quadrangulaire de 100 brasses de longet 80 de largeur et huit palmes

d'épaisseur, et d'un fossé de 22 delarge qui l'entoure, avec un pont-levissous la porte. A l'intérieur des murs,

il fit une maison pour le chef,une caserne pour les soldats,

avec cuisine séparée... 11

Verger, (1966).

Premiers navigateurs à longer la côteafricaine (le mythe houédah suggère que

le roi Kpassé rencontre des Portugais). ils sontchassés du Golfe de Guinée par les Hollandaisau début du XVIIe siècle, à l'exception desnégociants de Bahia (au Brésil) qui obtiennentle droit d'écouler leur tabac dans quatre ports,Popo, Ajuda (Ouidah). Jacquin et Apa (Verger,1966). Le Portugal créera à l'instar des autresEuropéens une compagnie de commercebasée sur un voyage triangulaire et tenterad'empêcher les négociants de Bahia de traiterailleurs que dans leurs possessions africaines.Tout au long du XVIIIe siècle, une rivalitésubsistera entre la compagnie portugaise et lacolonie brésilienne, plus entreprenante dansle commerce avec l'Afrique.

Jusqu'à la fin du XVIIe siècle, lesnégociants portugais (du Brésil et du Portugal)développent le commerce depuis leursnavires et dans des comptoirs installéstemporairement dans les villages côtiers.C'est vers 1680 que se dessine l'idée d'établirun fort à Ouidah, projet qui n'aboutit pas alorsmais qui est repris en 1698 par le gouverneurdu Brésil et celui de Saô Thomé qui informentleur souverain que «le roi d'Ajuda acceptaitqu'une factorerie fut érigé sur ses terresll(Verger, 1966). Le Conseil d'Outremer deLisbonne s'oppose à cette demande, lacompagnie ne rapportant guère de profits.Malgré ce refus, le commerce s'intensifieavec Bahia, notamment grâce aux Portugaismulâtres, qui résident de façon permanentedans les lieux de traite, et qui concurrencentles représentants des autres nationseuropéennes.

Ce n'est qu'en 1720 que le vice-roide Bahia réactive le projet et autorise lenégociant d'esclaves, Joseph de Torres,à faire édifier une fortification. Après denombreux débats, notamment sur lapersonne de ce capitaine connu pourtransgresser la loi portugaise interdisant decommercer avec d'autres nations, le projetest accepté par Lisbonne.

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Page 48: Le comptoir de Ouidah : une ville africaine singulière

L'investissement est limité: {(tout cetouvrage doit être de pisé, comme le sont lesautres qui sont éngés là et qui servent de

fortification; parce que sous le nom defactorerie, on fait une sorte de forteresseayant bastions, murailles, parapets, fossesd'artillerie, palissades, comme en ont fait lesFrançais et les Anglais dans ce même portd'Ajuda et qui, bien qu'elles soient en pisé, se

conservent bien, car on donne une épaisseursuffisante aux murs)) (Verger, 1966).

Le souverain houédah proposeun terrain (le futur quartier Docomé), à l'estdes forts anglais et français, et fait «raser lalocalité» existante. En 1721, les travauxcommencent grâce à la cinquantained'esclaves fournis par le roi. La construction,dénommé Fort Sao-Jao-Batista d'Ajuda(Saint-Jean Baptiste), n'a sans doute pas lasplendeur que suggèrent le plan et lesdescriptions qui en sont faites. Bien que lesautres traitants s'inquiètent del'établissement des Portugais, aucun d'entreeux ne signale la nouvelle fortification. LeChevalier de Marchais note seulement leurprésence dans la capitale. Cette implantationn'empêche d'ailleurs pas le capitaine de Torresde faire bâtir quelques années plus tard unautre fortin dans le comptoir de Jacquin, à unmoment où Ouidah manque d'esclaves.

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l'enceinte récemment restaurée du fortin portugais de Ouidah

un enclos du village de Zoungbodji où étaient marqués les esclaves

la plage d'où les esclaves étaient embarqués pour l'Amérique

Page 49: Le comptoir de Ouidah : une ville africaine singulière

LES ETABLISSEMENTS HOUEDAHS

LE PEUPLEMENT DE L'ETABLISSEMENT

A UX Occidentaux résidant dans les forts,mandatés par les compagnies de

commerce, s'ajoutent des traitantsindépendants, d'origines diverses(brandebourgeois, danois .. ), dont la durée deséjour est difficile à déterminer précisémentLa campagne de traite, c'est-à-dire le momentpendant lequel les Européens troquent leursmarchandises contre des esclaves, ne dureque quelques mois Pendant cette période,propice aux échanges de toutes sortes, lecomptoir se peuple pour perdre avec le départdes navires une partie de sa population. Lareconduction chaque année de cette migrationest soumise aux aléas des guerres quipeuvent arrêter l'approvisionnement. Tous lescomptoirs se retrouvent certaines années enpartie désertés. Ils sont également à plusieursreprises détruits, pour les mêmes raisons.

Dans ce contexte, comment qualifierun résident) Les esclaves destinés àl'exportation, enfermés parfois plusieurs moisdans les geôles en attendant d'être vendus,grossissent la population sans jamais êtrecomptabilisés 1 Les travaux historiquess'appuient pour la plupart sur les sourcesécrites laissées par les Occidentaux; ellesvalorisent obligatoirement une population qui

se compte au mieux en dizaines et qui est peustable: les directeurs des compagnies sesuccèdent rapidement et les employésaspirent à partir au plus vite d'un continentdont ils craignent les ,dièvres» (paludisme,fièvre jaune .. ) , les épidémies sont fréquenteset déciment les Européens. La population laplus permanente est composée desintermédiaires dans la traite, que dominent lesdescendants mulâtres des négriers et deleurs «épouses" africaines.

Aux hameaux fondés avant laconstruction des forts, s'ajoutent ceux créés àcette occasion. L'Image d'un groupe dehameaux plutôt que d'une ville composée dequartiers reste toujours valable. Cesétablissements, AhouandJigo, Sogbadji,Dokomé, situés respectivement à proximitédes forts français, anglais et portugais,connaissent le même type de peuplementA l'origine habités par les manoeuvresesclaves chargés de la construction, ils segonflent progressivement d'une populationvivant de la présence du fort: autrescatégories d'esclaves, intermédiaires dans latraite, (les courtiers), fournisseurs de denrées,soldats employés par la compagnie.

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Page 50: Le comptoir de Ouidah : une ville africaine singulière

Cette population n'est pas nécessai­rement exclusivement houédah. Les piroguiersminas amenés de la Côte de l'Or par lesnégriers s'installent dans l'établissement. Lespêcheurs houélahs fournissent le comptoir enpoissons, tandis que les populations del'intérieur qui y émigrent se chargent d'autresbesognes, en premier lieu le portage desmarchandises entre la mer et les marchés.

Quant aux esclaves, il faut distinguerceux destinés à l'exportation de ceux quioccupent des fonctions d'employés auprèsdes traitants. Les premiers peuvent secompter en milliers: certaines années, plusde dix mille personnes y transitent (Berbain,1942). Ils logent dans différents endroits.Avant d'être acheminés dans les forts puisdans les navires, ils stationnent, enchaînés,dans des enclos à l'extérieur de la ville.

Les «esclaves de case)) constituenttrès certainement le groupe résidant le plusnombreux des comptoirs. Il est fréquentqu'un riche traitant soit entouré d'unedomesticité forte de plus de cent personnesqui logent dans son domaine. Ce groupe estd'ailleurs hiérarchisé et spécialisé (cultivateur,porteur, artisan, cuisinier, serviteur, garde... ).Leur concentration dans le domaine du maîtreexplique la taille de certaines concessions,composées de plusieurs dizaines debâtiments et de cours et formant à elles seulesun petit quartier. Les descendants de cettepopulation perdent parfois le statut de captifet peuvent être intégrés dans le lignage.

L'accroissement de la population (aumilieu du XVIIIe siècle, le comptoir se rapprochede la dizaine de milliers d'habitants) se traduitpar l'extension et le rapprochement deshameaux; lorsqu'ils ne se touchent pas, dessentiers les relient au travers de zones encoreboisées ou cultivées. De plus, Ouidah est sur lapiste qui va de la capitale houédah à la mer. Lesactivités économiques suscitent la productiond'espaces spécifiques, les forts, mais il n'existepas d'organisation spatiale globale du comptoir.Chaque unité, dotée de son réseaud'approvisionnement, est gérée de façonautonome par son chef qui distribue, à son gré,les terrains vacants. Les souverains houédahs,repliés dans leur capitale, ne semblent guèreintervenir dans l'organisation foncière ducomptoir ou dans son fonctionnement.

la «concession mère)) d'un ancien lignage dans le quartier Sogbadji ; aux piècesd'habitation (CH chambre, SA salon, CU cuisine, Ta toilette, MA magasin) s'ajoutent les espaces religieux (AS pièce aux Assins, TOM tombe, FE fétiche-vodoun)

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LES ETABLISSEMENTS HOUEDAHS

La principale caractéristique de l'aireculturelle qui va aujourd'hui du sud du

Togo au sud du Nigeria, est l'existence d'unsystème religieux basé sur le culte des morts,qui se manifeste de deux façons: au cultedes ancêtres (présent dans la plupart dessociétés africaines), s'ajoute celui des divinitésappelées «vodounn dans le monde Adja et«Orishan dans le monde yorouba.Cette croyance, particulièrement UNEforte encore aujourd'hui, s'est enoutre diffusée avec la traite des esclaves enAmérique latine, notamment aux Antilles etau Brésil où elle prend le nom de Candomblé.

Ce système de croyance, qui ne semanifeste pas par des rites et des formesspatiales aussi facilement identifiables quedans les religions monothéistes, estprofondément ancré dans les mentalités etfonctionne à différents niveaux: il permetd'interpréter tous les événements de la viequotidienne et aide à établir des choix dansl'existence; il définit les rapports entre leshommes et la nature et a donc desconséquences économiques à travers lerapport à la terre; enfin, les rituels propres àchaque culte comme l'appartenance à unculte particulier permettent de marquer leshiérarchies entre les groupes composant lasociété et assurent ainsi la reproduction d'uncertain ordre social. En ce sens, ce système,inventé par les hommes, est essentiellementtourné vers eux, même si les messages quileur sont adressés passent par l'entremisedes morts et des esprits.

SOCIETE RELIGIEUSE

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LES ETABLISSEMENTS HOUEDAHS

ancien rituel houédah du culte des ancêtres

Il Il consistait à déterrer les crânes des morts àla dixième ou douzième lune et à lesconserver dans une salle où ils étaientexposés au cours des cérémonies funéraires.La légende veut que cette pratique provienned'un fait réel survenu dans les temps anciens:un chef de famille revenu de voyage ayantappris la mort de sa femme pendant sonabsence aurait exigé qu'on lui montre le crânede son épouse défunte tant il avait du mal àcroire à son malheur. Après la profanation dela tombe, d'autres décès survinrent au villageet l'oracle consulté indiqua que cetteprofanation était à l'origine de ces décès, etque pour effacer cette faute, il fallait réitérercet acte de façon ritualisée. Cette pratique,qui existait également chez les Fons a étésupprimée par les premiers rois d'Abomey.

La chambre où les crânes étaient déterréscontinue parfois à être un lieu de rituels lorsde la célébration des funérailles. Comme dansla chambre des morts, on y immole des cabrislors des fêtes: les crânes sont exposés dansla cour, sur des caisses en bois et une vieillefemme préposée aux offrandes y verse unpeu du sang des animaux immolés avant des'agenouiller avec ses pairs devant les crânespour entonner des louanges à la mémoire desdisparus. JJ

(K. Tall/B. Légonou-Fanou).

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un arbre sacré du village de Savi

assurer les différentes dépenses: toutes lesfemmes d'un lignage se parent d'une mêmetoilette achetée pour l'occasion; des présentssont offerts aux vivants et aux morts; desrepas sont préparés pour les centainesd'invités; des prêtres de cultes vodouns sontinvités pour honorer les morts et des artistespour animer les festivités ..Ces cérémonies éphémères sont le signe leplus visible du culte et se déroulent dans

l'espace domestique dulignage: aucun templen'est érigé à l'extérieurpour cette activité. Parfois,les familles font construireà l'intérieur de laconcession un bâtimentdestiné aux invités demarque. Ces pièces de«réunion», qui ne serventau mieux que quelquesjours par an, n'ont nilocalisations. ni formesparticulières. En revanche, ilexiste toujours dans lesmaisons où ont lieu lescérémonies une pièceréservée aux ancêtres, quiaccueille leurs reliques, les«assins».

Les «assins» sont desreprésentations des mortsqui prennent la formed'objets métalliques,composés d'une tigesurmontée d'un disque, lui­même bordé de figurinesse rapportant au souvenirdu défunt: (<la canne et le

chapeau sont en général les symboles d'unchef de famille. l'éléphant est celui de larichesse du disparu et le baobab celuide sa nombreuse descendance»(Tall/Légonou-Fanou, 1991). Ces objetsétaient confectionnés par des artisans quitravaillaient les métaux (fer, cuivre et parfoisor) et qui manifestaient leur génie créatif,notamment au niveau des figurines.

DES ANCETRES

Il repose sur l'idée que toute personne estla réincarnation d'un parent

plus ou moins lointain. Son existence met enjeu l'échelle sociale du lignage ou du clan quicommémore à l'occasion de la mort du chef

son origine commune et les liens existantentre tous les membres.

Il se manifestedans ces sociétés (yorouba,

houédah, fon, éwél pardes cérémonies qui se

déroulent dans les maisonsoù ont résidé les chefs des

«collectivités familiales».Elles sont organisées à

l'occasion des décès demembres importants de lafamille (même si elles ont

lieu souvent plusieurs moisaprès le décès effectif, le

temps de préparer la fête).puis à intervalles irréguliers,

une fois par an ou une foistous les deux ou trois ans,

afin de rappeler aux vivantsl'existence de tous les

ancêtres.Funérailles et

commémorations sontorganisées à peu près de la

même façon et sontd'abord l'occasion de

gigantesques ripailles.Pendant plusieurs Jours,

des centaines depersonnes liées aux mortsse retrouvent et festoient

dans la concession familiale, qui ne suffit pluspour les recevoir. Des ruelles et des placettes

sont détournées de leur trafic pour accueillirles nombreux hôtes.

L'importance sociale de la cérémonie(elle marque la puissance du groupe) se

traduit par un coût économique, tant pour lesorganisateurs que pour les invités qui

épargnent pendant plusieurs mois pour

LE CULTE

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comme dans les cérémonies vodouns, les fidèles «s'habillent» à la sortie de la Basilique

un fabricant de cercueils à Ouidah

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Les assins les plus anciens et les plustravaillés sont aujourd'hui pour la plupartpossédés par des collectionneursoccidentaux, publics (Smithonian Institutenotamment) ou privés. De nos jours, desalliages plus légers ont remplacé les premiersmétaux; une fois confectionnés de manièresouvent standardisée par les «ferblantiers»,ils sont vendus sur les marchés.

Les assins sont parfois plantés dansle sol des cours, mais le plus souvent ils sontréunis dans la «chambre des morts». Celle-cin'a pas non plus une morphologie spatialeoriginale ou une localisation particulière. Ils'agit d'une simple pièce qui acquiert du faitde la présence des assins une valeur sacrée.Ce caractère entraîne un filtrage des visiteurs:ne peuvent y pénétrer que les membres de lafamille, eux-mêmes surveillés par le gardiendu culte qui demeure généralement dans laconcession. L'espace n'est d'ailleurs vraimentouvert qu'à l'occasion des cérémonies.Chacun apporte alors sa part de victuailles auxmorts qu'il dépose sur les assins, ou à leurspieds; parfois des sacrifices d'animaux ontlieu et leur sang est répandu sur ces reliques.((les morts viennent y extraire l'esprit desmets tandis que les vivants partagent le reste,communiant ainsi avec leurs défunts»(TaIIlLégonou-Fanou, 1991).

'..... "':T'

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des assins, autels dédiés aux ancêtres, déposés dans la chambre des morts

Le culte des morts se manifesteégalement par la présence de nombreusestombes dans les concessions. Celles-ci sontinstallées dans les cours comme dans lespièces d'habitation. Cette pratique souligne lelien qui demeure entre morts et vivants quicohabitent ainsi dans le même lieu: cet usagevise aussi à protéger les vivants desmanipulations magiques qui pourraient êtreréalisées avec le cadavre; les défunts neperdent pas avec la mort tous leurs pouvoirset les vivants pour survivre doivent protégerleurs dépouilles.

Le culte des ancêtres demeure trèsprésent à Ouidah. Ceci s'explique d'abord parl'ancienneté de la cité. De nombreux Béninoisy ont un aïeul et se rendent dans la ville pourle célébrer. Plus généralement. la cérémonieaux ancêtres reste un moment privilégié deréunion du lignage et de rappel des rapportssociaux qui existent au sein du groupe.

La présence de chambres des morts(où plusieurs centaines d'assins peuvent êtreréunies) et de tombes dans les habitationstémoigne de cette vivacité et affectent à denombreuses concessions une valeur denécropole. Les espaces consacrés aux mortssont presque toujours en meilleur état queceux réservés aux vivants, grâce à l'argentcollecté lors des cérémonies: un cimetièrefamilial bien entretenu marque bien plus auxyeux des autres la notoriété d'un lignagequ'une habitation bien tenue.

Cette pratique ne s'accompagne pasd'une conservation des sites, bien aucontraire. Les pièces des morts sont closespar des portes métalliques afin de lesprotéger des voleurs (il existe un traficinternational étant donné la valeur marchandedes assins chez les antiquaires).Les tombes, souvent restaurées avec desmatériaux contemporains, sont faciles àidentifier: les membres de la collectivitén'hésitent pas à les orner de carrelages decouleurs vives 1

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Nous écrivons {(vodoun))de cette manière afin dele distinguer du ((vaudou))haïtien. Ce terme s'écritaussi {(vodun)) ou {(vodù))

en référence àl'orthographe phonétique

Les bâtiments sont en généralreconstruits en matériaux «modernes» afin demarquer l'investissement du groupe enversses ancêtres. L'existence de constructionsanciennes, en terre et en chaume, témoignede la pauvreté de la collectivité ou de sondésintérêt vis-à-vis des ancêtres, ce quiconstitue socialement un manquement à larègle. Certains grands lignages de Ouidah, lesOuénum par exemple, ont bâti un véritablesanctuaire pour leurs morts. La demeurefamiliale, récemment reconstruite, estcomposée d'une habitation, inoccupée, et denombreuses pièces réservées aux morts. Desgrandes salles sont destinées aux cérémonies,tandis que les tombes sont toutes disposéesautour d'une petite cour, dont l'organisationspatiale rappelle les cours des palais(cf. photo ci-dessous). Cette villa est sansdoute l'une des plus luxueuses de la ville.

Le culte desancêtres constituela facettedomestique d'unsystème religieuxqui possède unedimension plussacrée à traversle culte desdivinités appeléesvodouns.

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LES CULTES DES VODOUNS

Ces divinités apparaissent comme desoutils de compréhension du monde: tout

phénomène jugé inexplicable est attribué à unvodoun. En d'autres termes, la divinitéreprésente une force mystérieuse capable deproduire ce qu'un vivant ne peut pas faire.Cette force provient soit d'un élément naturel,soit d'un animal, soit d'un ancêtre mythiqueLes vivants doivent composer avec ces forcesoccultes pour «habiter le monde».

Les vodouns occupent une placeprépondérante dans la vie sociale en raison dupouvoir qui leur est accordé: leur puissancepeut être mise au service des hommescomme à l'encontre de ceux-ci, mais ellen'est pas reconnue par tous de la mêmefaçon. Les vodouns sont innombrables,parfois éphémères, et la même divinité peutêtre crainte par certains tandis que d'autresne lui accordent qu'un pouvoir mineur. Lesdivinités sont d'ailleurs calquées sur leshumains' elles naissent. disparaissent(certaines peuvent même renaître sous uneautre appellation donnée par le groupe quis'en est emparé, de gré ou de force); elles senourrissent, s'abreuvent (parfois de sang);elles ont chacune un caractère, se regroupenten famille, voire en couple.

la concession Quenum, les tombes sont disposées dans des pièces ouvrant sur une cour co

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le dans les palais; ci-dessus, une tombe dans une maison; ci-contre, dans un cimetière

L'appartenance à un culte spécifiqueprésente souvent une dimension identitaire etprotectrice vis-à-vis d'autres populations:les rituels permettent de s'approprier lesforces du vodoun qui peuvent être utiliséescontre des ennemis ou retournée contre soi,si l'on transgresse certaines règles. A la foiscraintes et adorées, ces divinités définissentégalement une morale.

Les cultes vodouns ont dans leurfonctionnement un certain nombre de pointscommuns. Certains vodouns nécessitent unintermédiaire pour entrer en contact avec euxainsi qu'une initiation, tandis que d'autressont accessibles plus directement. Dans lepremier cas, le culte est présidé par un prêtre,le «vodoun non», littéralement maître,propriétaire du vodoun : «il consulte l'oraclepour connaÎtre les dates propices aux rituelset le montant des sacrifices à fournir.Cependant, à tout moment un adepte peutconsulter le vodoun. Il lui expose sesproblèmes et le gardien du culte ou un de sesadjoints, grâce à la parole divinatoire,transmet les messages de la divinitéinterpellée)) (Tall/Légonou-Fanou, 1991)

Lorsque le culte repose sur uneinitiation, les «vodoun si», c'est-à-dire lesdisciples, logent parfois plusieurs mois dansle «couvent» du temple.

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images d'autels vodouns

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Le système de culte vodounest souvent comparé à lareligion grecque de l'Anti­quité par les anthropologues(Marc Augé en particulier).Cette analyse est égalementune façon de réhabiliter cettereligion animiste en larapprochant d'un système depensée hautement valorisédans les sociétés occidentales

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Pendant cette période d'isolement. le prêtreleur apprend le langage du vodoun et sesdifférents rituels (danses, chants ... ). Lescérémonies propres à chaque culte ontplusieurs fonctions. Elles sont l'occasion deremodeler et de régénérer les divinités par dessacrifices, de recruter de nouveaux adeptes et,plus globalement, en mettant en scène lesrelations entre les dieux et les hommes, ellesenseignent et rappellent l'ordre social.

Selon le type et l'importance de ladivinité, les rituels sont plus ou moinsdéveloppés, et l'initiation plus ou moins longueet difficile. Les vodouns les plus puissantssont de ce point de vue les plus exigeantstandis que les vodouns propres à un petitgroupe ou liés à la protection de l'espacedomestique ne nécessitent pas d'initiation.

Il est difficile de classer et de hiérar­chiser les vodouns. Ils sont trop nombreuxpour être comptabilisés mais il existe presquetoujours des liens entre eux. Ces relations quidiffèrent selon les sociétés, peuvent constituerun critère d'identification d'un groupe social.

Les anthropologues distinguent plusieurscatégories. La première est composée devodouns dont l'audience est très large et lapuissance reconnue par tous. Ils constituentun premier cercle et renvoient directement à

la nature: vodouns de la création du monde,(Mahou et Lissa), vodouns célestes (Héviossola foudre, Dan l'arc-en-ciel), vodouns de laterre comme Sakpata et vodouns de la mer.

Le groupe suivant dans la hiérarchiese compose de vodouns dont l'origine renvoie àun clan ou à un lignage. Certains acquièrentune audience et une autorité considérable, à

l'égal des précédents, tels ceux liés auxlignages royaux dont ils symbolisent la force,puisée chez certains animaux dont lessouverains sont la réincarnation, le pythonchez les Houédahs, l'éléphant chez lesYoroubas, la panthère chez les Fons.M. Palau-Marty suggère même que lapuissance de certains lignages royaux reposesur l'union physique entre un animal,considéré comme l'élément masculin,et un homme, l'élément féminin

le python houédah est figuré sur de nombreuses façades

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Il existe également un autre genrede vodouns, au service des précédentset qui font fonction d'intermédiaires avec leshommes, les "Legbas,) et d'une certainemanière le "Fa» qui ont été analysés en détailpar l'anthropologue B. Maupoil Enfin, il estpossible de réunir dans une autre catégorietous les vodouns personnels aux pouvoirsplus limités, sortes de dieux lares liés auxindividus et à l'espace domestique.

La recherche menée par K. Tall etB. Légonou-Fanou a permis de distinguer cesdifférents groupes à Ouidah. Les pluscélébrés sont liés aux royaumes présentsdans la région, houédah puis fan. D'autresvodouns, présents sur cette côte, concernenttoute la population, Sakpata, Héviosso...On remarque également de nombreux culteslignagers, qui ne sont pas accessibles à tous,contrairement aux vodouns attachés à lapersonne humaine. Ouidah, ville cosmopolitequi reçoit dans son histoire des populationsd'origines très diverses, a accueilli unemultitude de cultes' au début du XXe siècle,C. Merlo en a identifié plusieurs centaineset il a compté plus d'une centaine de grandstemples. Très peu sont liés aux premiersrésidants, les Houédahs. La plupart sontapportés par différentes communautés,les Fons, mais également les Yoroubas etdivers autres groupes adjas.

Ce système de classification doitêtre relativisé car la place des vodouns varieselon le statut de l'interlocuteur. Certainesdivinités propres à un groupe sont parfoisréappropriées par un autre groupe, parexemple à l'issue d'un conflit. Cette nouvelledonne se manifeste de diverses manières:depuis l'intégration pure et simple dans unnouveau panthéon jusqu'à de simples signesd'assujettissement d'une divinité à une autrequi peuvent se lire dans certains rituels. Enoutre, un vodoun lignager peut faire partie dupanthéon d'un vodoun royal Les relations deparenté entre différents vodouns (rapportd'aîné à cadet, rapport féminin/masculin)peuvent également recouper ce principe declassification.

Les vodouns se distinguent aussi parleur caractère. Certains sont bienveillant etprotecteur (les vodouns domestiquesnotamment) ; d'autres sont ambivalents, à lafois protecteurs et malfaisants, selon larelation qui s'établit entre la divinité et l'homme.Il y en a de particulièrement violents et cruelsqui s'alimentent de sacrifices humains(le vodoun de la foudre) tandis que d'autres,plus proches des hommes, ne sont pasdépourvus d'humour et d'arrogance (leslegbas). Quel que soit son caractère, le vodounest considéré comme un "juste» et sesmanifestations ne sauraient être mises encause; en définissant le destin de chacun, iln'est pas seulement un reflet des structuressociales mais remplit une fonction deconservation de l'ordre social.

Il aura fallu le travail des anthropo­logues pour percevoir la fonction de cultes quiexistent depuis des siècles et que lesEuropéens reléguèrent au rang de croyancesprimitives, à l'image de la barbarie supposéede leurs adorateurs. La connotation trèspéjorative attribuée à ce système de croyancerésulte en partie du manque de manifestationsmatérielles des cultes. Les vodouns sontgénéralement symbolisés par des objets depetite taille (des poteries, des monticules deterre, des pièces de métal, des statuettesparfois anthropomorphes, voire desassemblages de ces différents genres 1). Lerésultat visible se limite souvent à un petit tasd'objets hétéroclites recouverts de traces desacrifices, sang, lait, huile de palme, nourriture.

De plus, la localisation des symbolesdes cultes ne s'accompagne pas d'une miseen valeur esthétique. Les vodouns domestiquessont souvent disposés à même le sol, dansune encoignure de mur ou dans un coin decour. Quant aux vodouns qui appellent unclergé, ils sont installés dans des "temples»qui ne sont ni plus ni moins que de classiqueshabitations. Le caractère sacré du site nes'accompagne pas de techniques constructivesparticulières mettant en scène le culte ou ladivinité. Il se manifeste uniquement par laproduction d'interdits de circulation et defrontières immatérielles.

les différents éléments disposés sur les disques des assins figurent l'ancêtre dans son environnement (assis sur une chaise, entourés d'arbre!

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LES ETABLISSEMENTS HOUEDAHS

Le temple se divise généralement enune partie profane accessible à tous lesvisiteurs, où résident généralement le prêtreet sa famille, et une partie sacrée plusréservée. Dans les pièces où le prêtre écouteles demandes de ses visiteurs, ceux-ci sonttenus d'observer certaines postures, parexemple de se déchausser. La zone la plus«privée» est composée du sanctuaire duvodoun et du «couvent» où se retirent lesadeptes qui entrent en communication avec ladivinité. On peut établir une hiérarchie desespaces du temple, du plus profane au plussacré, à la manière des templesmonothéistes, mais il n'existe pas de modede distinction constructif d'un espace,généralement séparé d'un autre par uneporte, un morceau de tissu, voire une ligneimmatérielle La parole du prêtre et laprésence de certains éléments du culte (autel,tam-tam ... ) suffisent pour désigner lecaractère sacré du lieu. Aux bâtiments,s'ajoutent évidemment les cours intérieureset souvent une placette qui jouxte le temple,servant à recevoir les nombreux adeptes lorsdes grandes cérémonies.

Si le vodoun n'exige pas demarquage particulier de l'espace bâti, il semanifeste sur les corps des adeptes, qui fontfonction d'espaces de représentation pendantles cérémonies. Outre les scarificationspropres à chaque culte, traces indélébiles,leurs corps sont alors parés, en hommage à ladivinité avec laquelle ils rentrent en contact.Des pagnes aux couleurs vives sont revêtuspar les adeptes tandis que la divinité esthabillée: la parure composée d'ailes enplumes colorées accrochées à une richeétoffe dont se couvre le porteur de la divinitéest sans doute la plus spectaculaire.

Bien qu'omniprésents dans la viequotidienne, les cultes vodouns ne sont misen scène que lors des cérémonies.En dehors de ces moments particuliers,le vodoun repose dans le temple, protégé nonpas par des frontières physiques, mais pardes rituels, qui font que tout un chacun nepeut entrer en contact avec lui et avoir accèsà son pouvoir.

ainsi que des symboles de certains cultes vodouns (le cercle et le croissant représentent le couple fondateur, Mahou, la lune et Lissa le soleil)

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LES ETABLISSEMENTS HOUEDAHS

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autel vodoun dédié au python mythique la buvette "Kpassé» du nom de l'ancien roi houédah

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LES VODOUNS HOUEDAHS

NOUs ne qualifions de houédahs que deuxcultes. D'autres divinités sont respectées

par cette population, notamment celle de lamer qui est commune à tous les peuplescôtiers. Cette sélection résulte de l'analyse del'origine des cultes et surtout de la place qu'ilsont auprès de la population. Le culte dédié aupython, confère une valeur identitaire auxHouédahs, contrairement à d'autres régions(chez les Fons, dans le royaume du Bénin) oùl'animal est également divinisé mais où il nepossède ni le même pouvoir, ni la mêmefonction. Le second culte houédah repose surla divinisation d'un ancêtre royal, le roiKpassé, entré en contact avec les Européens.L'association d'un vodoun animal et d'unvodoun royal permet de caractériserégalement d'autres peuples de la région.

Le culte du python, «Dagbé», quisignifie le bienfaiteur, est déjà repéré audébut du XVIIIe siècle par le visiteur anglaisSmith comme par le Chevalier de Marchais,qui notent sa popularité. Il concerne toute lapopulation houédah qui considère que chaquepython est la réincarnation du pythonmythique. Cette adhésion se manifeste pardes scarifications (deux sur le front, deux surchaque tempe et deux sur chaque joue) quirappellent celles de la tête de l'animal. Encoreaujourd'hui, un Houédah est identifié à traversla présence de ces marques; en revanche, iln'est pas tenu de subir une initiation, réservéeaux serviteurs directs du vodoun.

La divinité, qui symbolise la prospéritéet la protection, est directement attachée à laroyauté. Certaines traditions orales indiquentqu'elle aida le souverain à vaincre un ennemi.Le Chevalier de Marchais rapporte que lesHouédahs, lors d'une bataille contre l'arméed'Allada, virent un gros serpent s'échapper del'armée ennemie et rejoindre leurs troupes.Son comportement leur parut amical et unprêtre s'en empara et l'éleva en l'air pour lefaire voir aux soldats qui, étonnés devant sonattitude, se prosternèrent devant l'animal.

Celui-ci leur donna suffisamment de forcepour anéantir l'ennemi, et la victoire futattribuée au serpent. Le dernier roi houédah,Houffon, paiera fort cher cette certitude faceaux Fons dont il se sentait protégé grâce àl'animal. Leurs armées décimèrent ses troupes.

Le python n'est pas le seul serpentdu panthéon houédah qui en comprendd'autres, mâles ou femelles, aux audiencesplus limitées. Le culte principal donne lieu àdes cérémonies qui mettent en jeu toute lacommunauté houédah. La plus célèbre estcelle appelée Dagbé gozen, littéralement lajarre du serpent, qui consiste à aller chercherdans un marigot sacré de l'eau pour la divinité{cérémonie décrite en détail par K.Tali etB. Légonou-Fanoul.

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La cérémonie est assezreprésentative d'un rituel identifiable dans denombreux cultes Dirigée par le prêtre et laprêtresse attachés au culte, elle réunit lesserviteurs, en majorité des femmes (fillettesou femmes ménopausées afin d'éviter toutsaignement qui risquerait d'exciter la divinité)Elie débute dans un bois où sont déposéesdes offrandes, se poursuit par la présentationdans le temple d'animaux qui seront sacrifiés.Après des chants et de nombreuses danses,le cortège traverse la ville: selon C. Agbo quidécrit la cérémonie au début du siècle,«plusieurs centaines de jeunes filles viergesrichement parées et portant les jarres surleurs têtes marchaient les yeux baissés l'unederrière l'autre».

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LES ETABLISSEMENTS HOUEDAHS

le temple des pythons, les animaux sont réunis dans une seule pièce (rectangulaire) et sont protégés par des autels vodouns installésdans les autres bâtiments

Des arrêts permettent l'échanged'objets rituels et de présents ou sontl'occasion de marquer l'allégeance desHouédahs au pouvoir en place (le Yovogan duDahomey). La procession se dirige ensuitevers le marigot, situé à un kilomètre au sud dela cité. Après avoir recueilli l'eau sacrée, lesadeptes reviennent vers le temple; le prêtreimplore la protection de la divinité pour lapopulation et fait procéder aux sacrificesd'animaux. La cérémonie se termine par desdanses et des chants; la divinité se manifesteauprès des fidèles par les transes quisaisissent les adeptes.

. ;

le temple des pythons (coupe)

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Cet acte constitue le moment le plusfort du culte et concerne, directement ouindirectement, toute la population de la cité.Le temple principal où résident les pythonsn'accueille qu'une partie des rituels dontcertains se déroulent hors de la cité et desregards indiscrets, dans des bois ou au bordd'une mare. Il existe dans la ville d'autrestemples dédiés aux divinités serpents (unedizaine environ) que ne visite pas la cérémonie.En outre, le python est partout présent dansla cité, comme en témoignent encoreaujourd'hui les nombreuses fresques muralesdans les concessions.

Le temple du python, situéactuellement face à la Basilique catholique,a peut-être connu d'autres localisations. Lesvoyageurs qui visitent la ville le remarquent auXVIIIe siècle mais certains d'entre eux parlentd'un temple plus ancien, localisé près du sitede l'actuel grand séminaire qui seraitégalement antérieur à celui implanté dans lacapitale du royaume. D'après GuillaumeBosman (1692). «la maison du serpent estéloignée d'environ deux lieues du village oùdemeure le roi et bâtie sous un arbre fortbeau et fort élevé; c'est là, disent-ils, que setiennent le chef et le plus grand de tous lesserpents» (cité par C. Merlo). Il est probableque ce temple soit situé à Ouidah, même s'ildemeure possible que cette descriptionconcerne un autre site.

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la grande cérémonie du culte dédié au python part dulieu dit Gléhoué (1), contourne le temple des pythons (2),rejoint un arbre sacré (3), revient sur ses pas jusqu'aulieu dit de <d'expiation» (4), passe devant le domaine deChacha (5), s'arrête devant le marché (6) pour quitterensuite la ville par le sud en direction de la mare sacrée (7)

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LES ETABLISSEMENTS HOUEDAHS

Pruneau de Pommegorge, directeur du fortfrançais de Ouidah en 1763, mentionne {(queles Houédahs lui bâtirent une case en terretelle que celle qu'ils habitent eux-mêmes. Ilsen ont une à trois portées de fusil des forts oùl'on porte à boire et à manger à cet animal))(e. Merlol

Le temple a sans doute d'abord étéconstruit dans la capitale. Si aucun élémentne nous permet de situer son installation àOuidah avant 1727 (description du Chevalierde Marchais), nous savons que le temple étaitprésent en 1763 sur un site correspondant à

l'emplacement actuel. Il est probable que lesHouédahs aient bâti ce temple à la suite de ladestruction de leur capitale.

le temple des pythons d'après une gravure de la fin du Xlxe siècle

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fresque sur un mur du temple des pythons représentant une adepte portant une jarre sacrée

L'aspect du temple ne semble pasavoir été particulièrement remarquable quelleque soit ['époque' vers 1870, l'Abbé Lafitte ledécrit ainsi «Whydah ne possède qu'un seulmonument, oeuvre du génie nègre, et s'ilattire l'attention, c'est plus par les hôtes qu'ilrenferme que par son architecture. Cebâtiment, de forme circulaire, haut de dixpieds, bâti en terre et couvert d'herbesdesséchées est le temple d'une fraction dedivinités dahoméennes. Une vingtaine desuperbes couleuvres y sont adorées... ))

Le bâtiment en terre serarégulièrement reconstruit Jusqu'à ce que des

matériaux plus durables soient employés: auxxe siècle, le parpaing de ciment se substitueà la terre et la tôle à la paille. D'autres petitsbâtiments lui seront adjoints, accueillant lesvodouns protecteurs de la divinité; le prêtre

du culte demeure dans une concessionvoisine. L'ensemble a une taille réduite(il n'existe pas de couvent d'initiation).

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Le culte du python au début du XVIIIe siècle:«On en entretient plusieurs (pythons)dans les maisons de fittish (fétiche),

ou temples bâtis exprès pour cetusage dans les fossés .. Les Laïquesmarchent la nuit en grandes bandes,

battant le tambour et sonnant destrompettes faites de dents d'éléphant,

pour faire leurs dévotions, pourdemander une heureuse journée, un

beau temps, une bonne récolte ouautre besoin. Pour être exaucés du

serpent, ils lui font leurs offrandes ets'en retournent chez eux. toute cettenation est si bigote, et a un respect si

décidé pour cet animal, que siquelque nègre en touchait un avec un

bâton, ou lui fairait le moindre mal, ilserait sur le champ condamné au

feu. .. !!

Smith, pages 141-142 (1751)

La cérémonie à la gloire du python«Avant la colonisation, la procession

était précédée de deux cérémoniesLa première, Adiminmé, littéralement

châitment expiatoire, permettait depurifier les personnes qui avaient

commis un méfait ou un sacrilège àl'encontre du python. Pour réparer

l'offense, les coupables devaient seprésenter au temple et confesser leurfaute. Il leur était versé sur la tête de

l'huile de palme mélangée à de lafarine. Oes chatons, des chauve­

souris et des rats ainsi que diversobjets étaient accrochés au cou des

fautifs rassemblés dans une huttecouverte de paille. Un grand feu y

était allumé et les coupabless'en fuyaient vers la rivière

pourchassés par la foule. Une foisaccomplis des ablutions dans la

rivière, ils étaient rasés puis libérésLors de la seconde cérémonie, le

doyen des pythons, Ahwamba,transporté dans un hamac, traversaitla ville. Nul ne devait le regarder, ce

qui obligeait les habitants às'enfermer chez eux))

Tall-Légonou-Fanou, (1991).

Page 69: Le comptoir de Ouidah : une ville africaine singulière

LES ETABLISSEMENTS HOUEDAHS

Le site devient une curiositétouristique avec la colonisation (il est cité dansle Guide Bleu de 1957). fonction qu'il conserveencore aujourd'hui. Ses visiteurs n'admirent nison architecture assez médiocre (malgré larécente opération qui a amélioré son aspectextérieur), ni sa taille. les bàtiments,implantés au milieu d'une vaste place, sontécrasés par la masse des grands fromagers etpar le volume de la Basilique qui leur fait faceLes touristes sont en revanche friands duspectacle des serpents qui sommeillent dansla «case» et que le gardien installe sur sesépaules moyennant espèces sonnantes!

La simplicité du site, pour ne pas diresa banalité, s'accorde mal avec l'importancedu culte (les descriptions faites dans le passéne suggèrent pas qu'il ait existé uneconstruction plus grandiose). La comparaisonde l'édifice avec d'autres temples confirmeégalement cette hypothèse. la cérémonie estle moment fort de communion avec ladivinité, le temple n'étant que sa résidence«privée» où seul le prêtre peut entrer encontact avec elle.

une mare sacrée, destination d'une cérémonie vodoun

la nature toute entière est sacralisée dans le système de pensée vodoun

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Page 70: Le comptoir de Ouidah : une ville africaine singulière

LES ETABLISSEMENTS HOUEDAHS

Si certains cultes existent dansdifférents groupes ethniques (même lorsqu'ilssont appropriés par l'un d'entre eux). celuidédié au roi Kpassé est propre aux Houédahs ;il est né d'un événement historique, larencontre du roi avec des Européens. neconcernant que cette communauté.

«Kpasséloko». littéralement l'arbrede Kpassé. est la divinisation du roimatérialisée dans un arbre situé dans un petitbois appelé Kpassézoumé. le bois de Kpassé.(dans le quartier Tové). A son pied. sontdisposés lors des cérémonies les offrandes etles sacrifices. L'intermédiaire de la rencontreentre le roi et les Européens. Kpaté. estégalement divinisé et le culte. moins célèbre.est animé par ses descendants.

L'arbre sacré de Kpassé estaujourd'hui localisé à l'intérieur d'un bâtimenten ruine. bâti dans le bois sacré vers lesannées 1920 par un membre de la collectivitéAdjovi. une ancienne famille houédah. Lescérémonies qui s'y déroulent sont de deuxsortes: celle qui concerne toute la populationhouédah et celle qui consacre l'intronisationdu chef de la collectivité Adjovi : chaquenouvel élu doit demeurer enfermé dans lamaison pendant plusieurs semaines avant

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1

d'être promené dans un hamac à travers laville puis de revenir vers le bois où l'attend leprêtre qui procède à l'intronisation (la dernièrecérémonie a eu lieu en janvier 1984).

On raconte que le 18 novembre1988. un vent très violent déracina septarbres de la forêt dont l'un en barratotalement l'accès. Ouelques semaines aprèsla première bourrasque. alors que lesmembres de la collectivité Adjovi tentaient decouper un des arbres abattus, le vent se remità souffler et l'arbre se redressa. Cetévénement fut accompagné d'un longsifflement dans la concession de Kpassè.Les témoins attribuèrent ce son à la divinitéqui manifestait ainsi sa colère.

le bâtiment construit dans le bois sacré Kpassé

Page 71: Le comptoir de Ouidah : une ville africaine singulière

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Cette anecdote contemporaine, quisouligne la vivacité des cultes, permetde mieux comprendre cettecroyance. Les divinités Kpaté etKpassé sont à l'origine liées à deslignages et acquièrent avec le tempsune audience chez tous ceux qui seconsidèrent houédahs. Aujourd'hui,les cérémonies dédiées aux vodounscélébrés par toute la ville débutenttoujours chez les descendantsde Kpaté.Parallèlement, la collectivitédéveloppe sur le même site sonpropre culte et rentre même enconflit avec certains responsables duculte de Kpassé qui considèrent quecette collectivité tente des'approprier abusivement le vodoun :l'abattage des arbres et lesévénements magiques qui suivirent

doivent être situés, selon ces mêmessources, dans le cadre du conflit opposantle prêtre et la collectivité sur la gestion dubosquet. D'autres témoignages suggèrentencore que le bois actuel n'est pas le siteoriginel d'installation du vodoun.

Ces récits, au-delà d'uneinterprétation en termes de véracité, nousrenseignent aussi sur la mobilité des vodounsou plutôt sur la capacité des hommes àdéplacer dans certaines circonstances le lieud'adoration, ainsi que sur la réceptivité d'unmême site qui peut accueillir plusieursdivinités. Plus encore, le système de culte estun filtre à travers lequel se manifestent desrapports sociaux: en tentant de contrôler lesrituels et de s'approprier un site sacré, ungroupe affirme son autorité et sa suprématiesur un autre. Cette attitude reprend un modede fonctionnement ancien déjà employé par leroyaume du Dahomey lors de son installationà Ouidah.

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Page 72: Le comptoir de Ouidah : une ville africaine singulière

L E c o M p T o R F o N

Maître du royaume d'Allada depuis 1724,le Dahomey s'empare de la capitale

houédah en 1727. Quatorze ans plus tard,Ouidah est à son tour investie par les troupesdu roi qui y installe progressivement sonadministration. La domination du Dahomeys'achèvera avec la conquête coloniale, à la findu XIXe siècle. Pendant cent cinquante ans,OUidah deviendra le pôle d'échanges du

royaume avec le monde extérieur. De simple entrepôt, l'établissement se métamorphosera en ville.

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Page 73: Le comptoir de Ouidah : une ville africaine singulière

emblème du roi du Dahomey, Agadja, qui rappelle la conquête de la côte

L A CONQUETE D A HOM E E N N E Les raisons expliquant l'attaquecontre les Houédahs sont d'abord

d'ordre économique. Le Dahomey,

situé à l'intérieur des terres, n'a pasd'accès direct à la mer et doit traiter avec leroyaume côtier qui détient ainsi un outil depression et de ponction: il prélève des taxessur tous les produits en transit et bloque àplusieurs reprises le commerce vers l'intérieurdes terres En occupant le territoire houédah,le Dahomey se libère d'un intermédiaireindocile Selon R. Arnold (19521. il occupe la

côte afin de se ménager des territoires derepli, en cas d'attaque par les armées d'Oyo

L'invasion doit être aussi replacée dansl'organisation politique originale du DahomeyContrairement aux royaumes voisins où lesrapports de pouvoir reposent sur une relationde vassalité (les Houédahs étaient

subordonnés à Allada, lui-même Inféodéà Oyol. le Dahomey développe unepolitique d'opposition à la domination

yorouba et engage de nombreusesactions guerrières. L'ancien systèmefaisait l'économie des conquêtesterritoriales; si un vassal remettait encause l'ordre des choses, il suffisait decouper les routes économiques oud'envoyer quelques troupes pour que lerebelle verse de nouveau les «coutumes».La nature nouvelle du Dahomey nerésulte pas seulement d'élémentsculturels propres; les enjeux

économiques du négoce des esclaves,l'introduction sur la côte de nouvellesarmes, en particulier les fusils, modifientles rapports de force C Agbo (1959)relate que (Iles rois houédahs avaientparalysé l'essor commercial des Etats quiles avoisinaient dans le nord Le roi

Houffon de Sahè vendait aux roisd'Abomey des fusils d'efficacitédiminuée en les amputant de leurschiens)). En outre, le souverain pouvaitcraindre que les Houédahs,

intermédiaires directs des Européens etprotégés par leurs forts, ne cherchent àrompre définitivement avec lui comme ilsl'avaient fait peu avant avec Allada

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Page 74: Le comptoir de Ouidah : une ville africaine singulière

LE COMPTOIR FON

Le roi Agadja (également écrit Akadja),s'engage vers 1720 dans une guerre deconquête en direction de la côte. Après avoirconquis et détruit Allada, il se dirige quelquesannées plus tard vers la capitale houédah. Lecomportement de leur roi servit de prétexte(cf. description ci-contre). Le roi Houffon,nouvellement couronné, n'évalue pas lapuissance de son voisin et compte sur sasupériorité en armes à feu et sur le pouvoirdu python divinisé. 1\ sait également que lesouverain du Dahomey est en prises avecl'armée d'Oyo qui, en avril 1726, envahitAbomey et brûle la cité; le roi fon ne doitalors son salut qu'à une fuite précipitée dansla brousse. Néanmoins, à peine un an plustard, il a reconstitué son armée et s'avancevers le sud.

La tradition orale rapporte que la prisede la capitale houédah résulte de la trahisonde l'épouse d'origine fon du roi qui facilita lavictoire de l'ennemi, version qui permetd'oublier les faiblesses de l'armée houédah.Les troupes pénétrèrent dans la ville enfévrier 1727 et l'incendièrent. Le PortugaisFrancisco Pereyra Mendes témoigne del'invasion (Verger, 1966) : «la guerre eut lieudans ce royaume, dont celui du Dahomés'est emparé et où ceux de Ajuda ont offertsi peu de résistance, que dans les cinq jours,ils ont tout abandonné, laissant plus de cinqmille morts et plus de onze mille prisonniers.Le roi, ayant battu en retraite, s'est retranchédans !'Île de Popo (au sud-ouest) où il disposed'un peu d'artillerie .. , A l'occasion de cetteguerre, la plupart des Blancs qui se trouvaientlà ont été faits prisonniers tant Portugais queFrançais et Anglais, les factoreries ont étébrûlées et rasées... A la fin, ils les laissèrentaller, les détroussant de tout ce qu'ilspossédaient)). Cette violence est confirméepar d'autres voyageurs, Smith et Snelgraveen particulier, qui soulignent l'état dedésolation de toute la région, où les terres nesont plus cultivées.

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Le prétexte de l'attaque du royaume houédah :«vers 7723, à l'occasion d'une

cérémonie, le roi d'Allada invita nonseulement son petit neveu Agadja

mais aussi son voisin Houffon, roi deSahè. A la fin du banquet et peut-être

excité par la boisson, le roi houédahse vanta d'être le monarque le plus

riche de la région et comme preuve, ildéfia les autres princes d'exhiber unemerveille comparable à celle qu'il se

disait seul à posséder. Devant sesconfrères étonnés et secrètement

vexés, il retira d'une petite coquille ungrand pagne blanc en mousseline de

soie, chef-d'oeuvre de tissage chinoisrapporté des Indes par des Hollandais,

et s'en drapa entièrement, fitmajestueusement le tour de

l'assemblée pour recevoir desfélicitations...

l'épisode du Huamevô (pagne dans lacoquille) blessa profondément

Agadja»Dunglas, (page 148).

Description de la région de Savi après la conquête du Dahomey:«dévastations, cases incendiées,

maisons ruinées, populationsdispersées, ça et là de nombreux

cadavres achevant de sedécomposer. .. la campagne était

magnifique mais déserte, les villagesdétruits. Il n'était pas rare de

rencontrer des squelettes))Capitaine William Snelgrave, (1727).

Page 75: Le comptoir de Ouidah : une ville africaine singulière

Le monarque se garde d'attaquerOuidah. où les compagnies possèdent desfortins bien armés. Après s'être assuré de laneutralité des Occidentaux capturés dans lacapitale. il les autorise à rejoindre les forts àla condition qu'ils continuent à commerceravec lui. Les troupes fons s'installent à Savidont l'appellation, «la clef». marque safonction de contrôle: Ouidah est verrouillée.Les directeurs des forts n'interfèrent pasdirectement dans le conflit, mais tolèrentl'organisation d'une certaine résistance parles Houédahs. leurs partenaires habituels.De plus. ils tentent de déplacer le commercevers d'autres comptoirs non soumis aunouveau royaume. Juste après la conquêtede la ville. les armées duDahomey étendent leursconquêtes et pourchassentles réfugiés houédahs dansla région de Popo. En 1732.elles parviennent à occuperJacquin où les négriers ontréactivé la traite afin decompenser la diminutiond'activité à Ouidah. Le roi faitprisonnier la totalité desEuropéens et pour les punir.brûle leurs factoreries etconfisque toutes leursmarchandises. Dans lesannées qui suivent, il réduitles poches de résistance etbrûle à nouveau le comptoirde Jacquin (1734). Maître militairement de lacôte. il ne peut cependant installer sonadministration et contrôler toutes les activitésde traite car il mène dans le même temps unautre front contre l'armée d'Oyo.

Ouidah n'est pas directement gérée parle Dahomey et se retrouve sous l'autorité desdirecteurs de forts qui assurent la police et lacontinuation des activités économiques. S'ilscomblent momentanément un vide politique.leur pouvoir est fragile car le monarque peutà tout moment engager des opérations dereprésailles: en 1728. le gouverneur du fortfrançais. Gallot, voit son établissementincendié pour avoir soutenu les Houédahs.

Quelques années plus tard. le gouverneur dufort anglais. Testaford (appelé par les Français

Testefollel. qui soutient activement larébellion des Houédahs. sera tué par les

soldats du royaume dahoméen.A la mort d'Agadja. en 1740. le

royaume du Dahomey s'affirme dans larégion. Son successeur. Tegbessou.

poursuivra l'oeuvre de conquête.L'occupation définitive de Ouidah par

les Fons résulte paradoxalement de l'appuiapporté par le directeur du fort anglais. En

1741, profitant du déplacement des troupesdu Dahomey, les Houédahs se rendent maître

de la place trois mois durant avant que lestroupes de Tegbessou ne se présentent devant

la ville. Une bataille s'engagedevant les Européens qui. deleurs forts. se contentent d'ob­server. Alors que les soldatshouédahs semblent avoir ledessus, une balle. provenantde leur camp. atteint le fortanglais et tue la femme dudirecteur. Celui-ci pointealors ses canons contre lecamp houédah, distribue desarmes à feu aux soldats fonset modifie le rapport de forceau profit du Dahomey. Latradition rapporte que le chefhouédah. du nom de Foli. sesuicida sur le site de l'actuelleplace Kendji, dénommée

ensuite «Foli-ouli». Le vainqueur, rapporteC. Agbo, détruit en représailles deux quartiers,

Docomè et Ahouandjigo, et massacre denombreux habitants.

On peut considérer que la dominationfon à Ouidah date de cette époque, même si

les Houédahs continuent de harceler lestroupes du Dahomey. En 1743. ils organisent leblocus des forts pendant plusieurs mois avant

d'être délogés par Tegbessou. A cetteoccasion, le directeur du fort portugais est

emprisonné, puis expulsé. pour avoir soutenula rébellion. Quatre ans plus tard, la garnison

dahoméenne stationnée sur la plage estattaquée (Akinjogbin, 1967).

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1

Page 76: Le comptoir de Ouidah : une ville africaine singulière

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LE COMPTOIR FON

En 1763, une armée composée de Houédahset de Houélahs assiège la villeLe représentant du Dahomey ne doit sasurvie qu'aux canons français. Lesescarmouches ne s'achèveront réellementqu'à la fin du siècle

En une vingtaine d'années, l'attitudedes Européens change radicalement· aprèsavoir soutenu les Houédahs, ils portentfinalement secours aux armées fons,préférant se ranger aux côtés de ceux qu'ilsjugent les plus forts. Afin de marquer sonautorité dans la place, Tegbessou nomme unreprésentant chargé des affaires avec lesBlancs, le Yovogan (littéralement le chef desBlancs) Parallèlement, il chasse de nombreuxHouédahs et développe, comme le roi Agadjal'avait fait à Savi, une politique depeuplement fon.

A partir du milieu du XVIIIe siècle,Ouidah connaît une nouvelle phase depeuplement et d'urbanisation, contrecarréecependant par l'économie guerrière La traitecesse presque entièrement dans lespremières années du règne de Tegbessou •vers 1744, les comptoirs d'Anécho, d'Ekpèet de Badagry effectuent chacun plus detransactions que Ouidah (Newbury, 1961)Le roi réussira un peu plus tard à rétablirle commerce, mais il ne retrouvera jamaisles niveaux atteints au début du siècle.

Page 77: Le comptoir de Ouidah : une ville africaine singulière

le bord de la mer à proximité de Ouidah

L'excès de zèle et les nombreusesexactions des fonctionnaires fons limitentégalement l'activité: Labarthe observele déclin de la traite qui passe de 10150

esclaves exportés en 1776, à 3065 en 1787

et l'attribue à l'augmentation exagérée descoutumes payées au roi et au pnx élevé desesclaves que les Fons fixent arbitrairement(cité par Labat)

Sous le règne d'Agonglo (1789-1797),

la situation semble se modifier((pour ses débuts, le roi Agonglo fit une

impression sur les commerçants de OuidahprinCipalement sur les Européens, car ilsupprima certaines taxes et coutumes))(Dunglas, 1956). La traite demeure un facteurd'attraction comme en témoignent l'activitédu marché et la venue de migrants de plusen plus lointains.

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Page 78: Le comptoir de Ouidah : une ville africaine singulière

LE COMPTOIR FON

La description d'Isert (ci-contre), montrela force des liens qui existent entre lesdifférents agents du commerce et suggèreque la traite n'est pas sous la seule autoritédu roi, même s'il demeure le principalfournisseur d'esclaves. Le comptoirfonctionne comme un port, isolé du reste duterritoire et en contact quelques mois par anavec les capitaines négriers.

Outre la concurrence des comptoirsà l'ouest, Ouidah subit celle d'un nouveaucomptoir à l'est, «Porto-Novo», dont leroyaume d'Oyo a suscité la création, et quicontrôle une portion de côte (Sinou-Oloudé,1989). Les rois du Dahomey, malgré leurpolitique belliqueuse, n'aboutiront pas à lamaîtrise de l'ensemble des activités de traite.Le royaume d'Oyo possède, jusqu'au débutdu XIXe siècle, les moyens de détournercertains circuits commerciaux et d'écouleren d'autres lieux les esclaves.

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L'activité du comptoir:«Il n 'y a proprement que ces trois nations

(française, anglaise et portugaise)qui puissent faire le commerce ici. Mais

comme les revenus du roi y gagnentlorsque d'autres nations

y apportent leurs marchandises,on m'en accorda la permission

(Isert est danois).Chaque navire qui arrive ici pour

faire le commerce ouvre une factorerie etfait ses affaires lui-même.

Pour ce privilège, il paie au roi,s'il est à trois mâts, la valeur de douze

esclaves,s'il n'est qu'à deux mâts,

il n'en paie de sept.Cette circonstance a souvent engagé

les Français à abattre leur mât de derrière,avant d'arriver à la rade, pour épargner

les cinq esclaves.Les gouverneurs ont tous liberté entière

de commerce pour les marchandisesqu'ils ont dans le fort, à raison de quoi le

roi tire son tribut...))«... Dans la factorie, on a outre cela

deux courtiers et deux Nègrespour le travail,

tous ces gens sont ordonnés par le vice-roi.Les courtiers vont tous les matins par

toute la ville demander à chaquenégociant

s 'il lui est arrivé des esclaves.Ils le font savoir au facteur,

qui va avec eux, la mesure à la main,dans la maison de ces négociants noirs,

voit les esclaves,et s'ils lui conviennent, il les achète,

donne une spécificationdes marchandises d'échange

dont ils sont convenus, et imprimesa marque à feu

sur le corps des esclaves.Ceux-ci, s'ils ne sont point esclaves du

roi,sont transportés dès le soir même

au fort ou dans la factorie ;mais si ce sont des nègres du ro,;

ils doivent demeurer chez le marchand,jusqu'à ce qu'ils puissent être

transportés de suite à bord...Les marchands d'esclaves

ont un privilège particulier du roi.Un simple voyageur n'oserait vendre

lui-même ses esclaves aux Européens.Les marchands d'esclaves sont ici de

grands capitalistes:ils sont souvent en compte avec les Blancs,

par où il leur revient jusqu'àmille risdallers ;

ils ne se présentent volontiersavec leurs reconnaissances que

Page 79: Le comptoir de Ouidah : une ville africaine singulière

L A

quand ils savent queles marchandises qui leur sont destinéessont au fort,ce qui n'est pas toujours praticableà cause des incommodités etdes risques de la barre.Les marchandisesqui ont le plus grand cours ici sontl'eau de vie, les cauris, le tabac, lesbassins de laiton, les coraux de verre,le fer et les toiles etétoffes propres à faire des pagnes... »

P. E. Isert, {1785l.

OOMII\JATION FON La prise de contrôle duroyaume houédah

marque pour le Dahomey son implicationdirecte dans le négoce des esclaves, depuisla capture jusqu'à la vente aux Européens.Les souverains développent à cet effet uneadministration composée de deux groupes.Les militaires sont chargés des conquêtesterritoriales et de l'approvisionnement enesclaves; les «fonctionnaires civils» vendentles esclaves et les produits importés, etprélèvent les taxes. Ceux qui possèdent desarmes sont séparés de ceux qui manientl'argent. Ils ne résident d'ailleurs pas dansles mêmes lieux. Les uns sont plutôt àAbomey tandis que les autres logent àOuidah, dont la fonction commerciale estaffirmée. Ce principe vise à éviter que ne sereconstituent des entités politiques capablesde remettre en cause le pouvoir central.

Cette politique s'accompagne d'unvéritable contrôle territorial. Le Dahomeyinterdit la libre circulation des négociants.Les Occidentaux sont cantonnés dans lecomptoir de Ouidah et sont tenus de s'adresseraux courtiers du roi pour commercer. Ils nepeuvent sortir de l'établissement que surconvocation du roi. Un corps de policesurveille très étroitement les mouvementsde personnes et des postes de contrôle sontinstallés sur les routes ainsi qu'auxdifférentes sorties d'Abomey et de Ouidah.

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L'ADMINISTRATION

Le signe le plus visible de la domination duDahomey est la présence à Ouidah de

son représentant, le Yovogan. Les rois duDahomey, dont les mouvements obéissent àune étiquette rigoureuse, ne peuvent quitterla capitale en temps de paix. De plus, lesouverain et sa cour ne veulent pas côtoyerdes étrangers, en particulier ceux quipossèdent des fusils et des canons.Le souverain préfère les cantonner dans lecomptoir côtier, où il ne se rend Jamais(un interdit religieux lui proscrit de voir la mer).Le rôle dévolu au comptoir l'amène à créer ceposte, qualifié de vice-roi par les Européens,mais qui correspond plutôt à un ministre desaffaires étrangères et du commerce.

Ses attributions couvrent initialementuniquement les relations avec les Blancs.Son installation à Ouidah résulterait de lademande d'un chef de guerre, installé sur lesite de Zoungbodli, qui aurait demandé au roila venue d'un autre dignitaire pour s'occuperdes relations avec les Européens, afin qu'il

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puisse s'employer exclusivement à la luttecontre les rebelles (A Gavoy et C. Agbol. Onpeut penser que le roi lui-même est à

l'origine de cette venue, afin d'éviter quece guerrier n'acquiert trop de pouvoir.L'anéantissement des derniers résistants à lafin du siècle en fera le seul chef de Ouidah;il Jouera un rôle essentiel dans le négoce(cf document ci-contre).

La puissance du Yovogan et par làmême du roi, est attestée par les récits quidécrivent les rituels qui le mettent en scène:aux relations commerciales s'ajoutent desrelations institutionnelles plus formellescomme la cérémonie de réception d'undirecteur de fort (cf. description page 81).Elle n'est qu'un aperçu de celles qui ont lieuà Abomey, notamment lorsque les Européenssont reçus par le roi. Les gouverneurs deforts doivent effectuer conjointement unefois par an ce voyage pour régler lescoutumes (les droits à commercer) ;ils redoutent le séjour dans la capitale car leroi leur affirme son autorité de multiplesmanières, y compris en les conviant àassister à des sacrifices humains.

Le Yovogan peut à l'inverse semontrer répressif à l'égard destraitants et des directeurs deforts qu'il fait parfois expulser:Le Chevalier d'Amon relate ((qu'à

la suite de difficultés avec leYavagan, deux directeurs du fortfrançais furent expulsés deOuidah et embarqués de forcesur ordre du roi Tegbessau)) en1742 et 1747 (Dunglas, 1956)Cependant, il reste soumis àl'autorité du roi: celui-ci, en1743, le punit à la suite d'uneplainte du directeur du fortfrançais. En outre, représentantdirect du souverain, le Yovoganest en première ligne lors desconflits: d'après Newbury(1961), le premier Yovogan futtué en 1744 lors de l'attaque dufort anglais

Page 81: Le comptoir de Ouidah : une ville africaine singulière

LE COMPTOIR FON

la lagune à proximité du village de Djégbadji

L'autorité du Yovogan et du roi repose à

Ouidah, sur une administration nombreuse etsur l'apport de populations d'origine fon. Lesecond personnage de la ville est leKoussougan plus particulièrement chargé dela sécurité des hommes et des marchandises.Il existe en outre de multiples «fonctionnaires»qui ont une charge spécifique: Bosmanidentifie les «capitaines des esclaves, dumarché, de la côte, des prisons, du fort anglais,du fort français... JJ. A ces hommes, s'ajoutenttous les intermédiaires dans l'organisation etle contrôle des transactions commerciales.

De nombreux «douaniers» surveillent lecommerce dans la ville et sur le cheminemprunté par les esclaves afin d'éviter toutetraite clandestine (objectif qui, selon certainshistoriens, ne sera pas atteint). S. Berbain(1942) signale que deux camps de soldatsdéfendent la ville contre les incursions etassurent la police.

Le négoce:« .. Le directeur du Fort Saint-Louisdépêche vers le navire (négrier) sa

pirogue avec une lettre derenseignements sur les ressourcesdu pays en esclaves tandis que Yo­

vogan ne cesse d'insister auprès delui afin de faire descendre le capi­

taine. Sur la grève, les hommes deYovogan ne manquent pas de venir

souhaiter la bienvenue, attention quivaut naturellement à toute l'aimablecompagnie quelques rasades d'eau

de vie (de la part du négrier!. Lepremier soin est d'établir une listedes marchandises qui serviront à

payer les coutumes ou droits de traitedus au roi liste que le Yovogan

discute. Yovogan loue (au négrier) surla plage une baraque de paille et de

roseau où seront entreposéesprovisoirement les marchandises du

bord avant leur transport au comptoirIl choisit pour lui un chapeau bordé

d'or une pièce de satin pour sesjupes, 4 pièces de mouchoirs et

perçoit pour son entremise 47 livresde cauris, un ancre d'eau de vie et un

baril de boeuf salé. Ces dernièreslibéralités coûtent 6 onces auCapitaine... Le débarquement

s'effectue. Un garçon procuré parYovogan assure la réception des

marchandises. Deux courtiers fournispar Yovogan s'occupent chaque matin

à courir la ville afin de connaÎtre lesarrivages d'esclaves .. ))

S Berbain, (page 70)

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LE COMPTOIR FON

L'un est situé au nord du fort français, l'autreest établi au sud du village de Zoungbodji. Ilssurveillent toutes les allées et venues depuisle rivage vers Abomey et ils perçoivent undroit de passage au nom du Yovogan.

Enfin, le Yovogan, pour lutter contre lesrebelles houédahs comme pour contrôler lecommerce, recrute conformément à l'usageune multitude d'espions. Tenu ainsi aucourant des moindres faits et gestes, iln'hésite pas à emprisonner, voire à exécuterles contrevenants. Une partie de sondomaine sert d'ailleurs de prison.

La présence des employés du roi, dontle nombre ira en s'accroissant avec le temps,suscite un climat de suspicion dans la ville quin'existait pas à l'époque houédah où le roi neprétendait pas contrôler de manière aussirigoureuse les activités. Les Européens eux­mêmes, dont les intérêts ne s'accordent pastoujours avec ceux du roi, ne se sentent plustotalement à l'abri, comme en témoignent lesarrestations de plusieurs directeurs. Cettesituation explique le développement decomptoirs situés hors du Dahomey, oùn'existe pas un tel contrôle.

Le nombre exact de Yovogans n'est pasprécisément établi (Agbo, 1959) Cettecharge n'est pas héréditaire et relève de ladécision des souverains qui n'hésitent pas à

en relever certains. Les rois préfèrentd'ailleurs choisir comme Yovogan deshommes n'appartenant pas aux lignagesprinciers afin de mieux les contrôler.L'histoire du développement du royaumehouédah, aux velléités d'indépendance,encourage le souverain à conserver unemainmise très forte sur cet homme.

L'autorité des Yovogans diffèreégalement selon les époques. Premierpersonnage public à Ouidah jusqu'àla fin du XVIIIe siècle, il perd de son prestigeet de son pouvoir lorsque le roi Guézos'appuie sur un aventurier brésilien pourcommercer dans cette ville. Si le Chacha deSouza l'éclipse, le titre de Yovogan perdure etne disparaîtra qu'avec la conquête de la villepar l'armée coloniale.

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1

représentation occidentale du roi Agadja (1708-1740), in Verger, 1968

Page 83: Le comptoir de Ouidah : une ville africaine singulière

La réception d'un gouverneur par le Yovogan :((Lorsqu'un nouveau commandant

arrive à Grégoy, le roi du Dahomey luienvoie aussitôt un ou deux de sesvalets ou gardes du corps, avec la

canne du prince, qui est la marquequ'on vient de sa part. Cet envoyé,en arrivant à Grégoy, va descendre

chez Yovogan... et lui fait part del'objet de sa mission. Le gouverneur

nègre, après l'avoir entendu,assemble aussitôt la suite de sa

dignité, qui consiste ordinairement ensoixante-soixante-dix hommes armés,

qui marchent en tête, chantant leslouanges, et tirant force coups de

fusils, pour lui faire honneur. Derrièrele cortège est placé Yovogan, sous un

très grand parasol, qu'un hommeplacé derrière lui porte au dessus de

sa tête. Plusieurs domestiquessuivent, portant sa chaire de dignité,

et quelquefois Yovogan a le corpscouvert d'un grand cordon de corail,

comme le portent nos cordons bleuset nos cordons rouges, suivant sa

dignité. " amène avec lui l'envoyé duroi, qui a la moitié de la tête rasée,

l'autre moitié de la tête avec tous sescheveux, une bandoulière, comme

nos gardes du corps, si ce n'estqu'elle est composée de quatorze ou

quinze rangs de dents d'hommes,enfilées les unes contre les autres, et

pour tout vêtement, une espèce depetit jupon de soie, de vingt à vingt

deux pouces de hauteur.Avec cette suite, qui fait grand

bruit le long du chemin, ils se rendenttous au fort, à l'appartement du

nouveau commandant... arrivé à lachambre d'audience, chacun se place

assis par terre; le seul Yovogan a lapermission de s'asseoir sur une

chaise, et le nouveau commandantdes forts à ses côtés. Alors l'envoyé

du roi, assis par terre, au pied duYovogan, lui remet entre les mains la

canne de son maÎtre.Aussitôt Yovogan, avant de

parler, tire cette canne de sonfourreau; à cette vue, chaque nègre,

de quelque qualité qu'il soit, estobligé de se jeter à plat ventre, le

visage en terre, de se couvrir la têtede poussière. Après cette marque de

respect, le gouverneur nègre met lacanne entre les mains du nouveau

commandant, et lui fait part desordres qu'il vient de recevoir, qui

consistent ordinairement à lui direque le roi, ayant appris son arrivée au

fort, il lui envoie faire escompliments, et le prie de venir le

voir au plus tôt, pour faireconnaissance et concerter ensemble

les arrangements du commerce.Ensuite l'on congédie l'envoyé,

avec quelques petits présents. Lelendemain, le commandant du fort

envoie à son tour son interprète, avecsa canne chez le prince, le remercier

et lui annoncer qu'il ira le voir danshuit ou quinze jours...

Ensuite, pour effectuer sa promesseet rendre son voyage fructueux, il

ramasse tout ce qu'il a rapporté deplus précieux d'Europe pour ce

souverain, comme velours, satin,damas, et grands parasols d'étoffe

d'or, capables de couvrir douzepersonnes. Ce parasol se vend

toujours fort cher, et donne un trèsgrand bénéfice... ))

Pruneau de Pommegorge,(directeur du fort français en 1763-64) in Etudes dahoméennes, n018, page 68.

carte du commerce triangulaire entre l'Europe, l'Afrique et l'Amérique

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Page 84: Le comptoir de Ouidah : une ville africaine singulière

LE PEUPLEMENT FON

Pour compenser l'exode des populationshouédahs, des familles fons s'implantent

dans la ville. Elles obtiennent des terrainsdans les quartiers existants, notammentà Tovè et Ahuandjigo, et dans des zonesencore inoccupées, telles celle qui allaitdevenir Fonsramè, littéralement le quartierdes Fons. Ce quartier a sans douteété fondé par le premier Yovogan au milieudu XVIIIe siècle, sur un site au nord des fortsIl accueille les dignitaires du royaume,chargés de contrôler les échanges et degérer la ville ainsi que de nombreuxintermédiaires commerciaux (interprètesroyaux, conseillers du Yovogan, courtiers duroi, "prospecteurs» d'esclaves qui parcourentles marchés de la région .. ). Le Yovogan yavait sa résidence. Les deux autres quartierscréés à cette époque, Kaosramé etBoyasramé, l'ont été par deux chefs deguerre, Kaos et Boya.

Au début du Xlxe siècle, avec ledéveloppement de l'agriculture, lepeuplement fon s'accroît et s'ouvre à denouveaux groupes d'hommes. Aux membresde l'administration et aux commerçants,s'ajoutent des paysans et des esclaves queles souverains déplacent. La plupart desimmigrants conservent des relations avec lesmembres de leurs lignages installés à

J'intérieur du royaume. Ces liens se lisentdans l'existence de cultes claniques etlignagers, centrés sur la ville d'Abomey(Légonou-Fanou, 1993)

Le contrôle du souverain sur lecomptoir se manifeste également par le rôlequ'il joue au niveau foncier. A travers l'actiondu Yovogan, il distribue le sol aux futursrésidents et façonne ainsi le peuplement dela cité. Seuls les quartiers des fortséchappent à cette mainmise: les directeursdes compagnies en demeurent les uniquesgestionnaires.

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LE COMPTOIR FON

Page 85: Le comptoir de Ouidah : une ville africaine singulière

LES LIEUX POLITIQUES

Ouidah ne sera jamais un centre politique.Les rois du Dahomey préfèrent

demeurer dans leur capitale, Abomey, villequi ne présente pas une configurationsemblable aux autres capitales. L'originalitéde son organisation spatiale repose surl'existence de différents palais royaux. Laplupart des princes héritiers s'installent àl'extérieur du noyau urbain existant et se fontconstruire sur le domaine foncier attribué parle roi une nouvelle demeure qui deviendra lenouveau palais à leur avènement. Autour decelui-ci se développe un quartier.

Ce principe est contraire à la traditiondominante dans l'aire Adja ou Yorouba oùtous les monarques résident dans le mêmepalais (cf. Porto-Novo ou Oyol. Le centrepolitique d'Abomey évolue donc avec lessouverains, ce qUI contribue à un grandétalement de la ville. En revanche, les palaisprésentent les mêmes caractéristiques quedans les autres royaumes: ce sont de vastes«concessions» où les bâtiments ouvrent surdes cours, l'ensemble pouvant réunir plusd'une centaine de pièces. Les groupementsd'habitations sont réservés à un groupe (unlignage royal, un dignitaire) ou à une fonction(cour des cérémonies ... ). Les édifices deprestige sont entourés, conformément à latradition, de galeries.

Abomey, capitale politique est aussi uncentre religieux, du fait de la sacralisation duroi. La ville est parsemée de temples où sontorganisées les grandes cérémonies descultes diffusés dans tout le royaume

La cité ne compose pas un ensemblecompact, les quartiers n'étant pas touscontigus. Les espaces boisés et cultivésalternent avec les zones habitées, pour partieprotégées de l'extérieur par une muraille deterre. La concentration de personnes (lapopulation de la ville est estimée à certainesépoques entre 15 et 25 000 habitants) n'induitpas de fortes densités spatiales.

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Page 86: Le comptoir de Ouidah : une ville africaine singulière

LE COMPTOIR FON

Ouidah n'a qu'une fonctioncommerciale, aussi, ne possède-t-elle pas depalais et son développement est d'aborddicté par le négoce. Le seul espace politiqueest celui du Yovogan, décrit par plusieursvoyageurs et localisé sur la carte de l'abbéBullet. Le représentant du roi du Dahomeys'installe à proximité du temple du python quiperpétue le souvenir du royaume houédah.Un tel choix vise à mettre en valeur lenouveau pouvoir dans la ville. Le Yovoganmanifeste également son autorité lors de lagrande cérémonie dédiée au python quis'arrête devant son domaine; il distribuealors des grappes de cauris et des boissonsaux adeptes, acte que l'on peut interpréter demanière ambivalente: respect oumansuétude? (Tall/Légonou-Fanou, 1991).

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groupements d'habitations centrés sur

plan du domaine occupé par les descendants du dernier Yovogan, Dagba, qui adû quitter le centre ville avec la colonisation pour se fixer en péripherie; plusieurs temples y sont installés dont un est dédié à la divinité royale Ninssouhoué

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Page 87: Le comptoir de Ouidah : une ville africaine singulière

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le palais de Porto-Novo, récemment restauré, est composé de plusieursdes cours et bordés de galeries hypostyles; les temples dédiés aux ancêtres, de forme ronde, sont situés au sud du domaine

La résidence du Yovogan est décrite parIsert comme «très spacieuse, sur un seulétage, bâtie de terre glaise et couverte depaille. On y trouve tant de cours et avant­cours que c'est un labyrinthe dans lequel onse perd. Dans le centre est une salle danslaquelle on conduit les Européens lorsqu'ilsont quelque chose à traiter avec legouverneur. Elle est ouverte d'un côtécomme une galerie et soutenue de colonnes.On n 'y voit d'autres meubles que des siègesde Nègres, et de temps en temps une chaiseeuropéenne. Les sièges de Nègres sont icid'une invention particulière. fis sont plushauts que chez les autres nations. ils sontfaits de bâtons de palmier, ajustés en carrétrès artistiquement; l'on y est assiscommodément)}.

(les sites religieux sont indiqués par des hachures)

Les galeries et les colonnes constituentun des rares signes distinctifs del'architecture «aristocratique». Cet espaceintermédiaire entre le dehors et le dedanspermet de présider à certaines cérémonies etintroduit une hiérarchisation spatiale,habituellement absente. En dehors de ceséléments, l'organisation du domaine nediffère pas fondamentalement dans sonprincipe de celle des habitations populaires:des corps de bâtiments ouvrent sur descours et délimitent des zones, réservées àcertains groupes, voire à certaines fonctions,religieuses par exemple. On y trouve untemple dédié au vodoun Ninssouhoué, signede l'autorité royale. D'autres voyageurssignalent la présence de prisons et d'un lieude jugement.

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en haut à gauche, conservé par le dernier de ses descendants, le parasol du Yovogan ... objet de prestige

Ce site constitue le siège du pouvoirpolitique à Ouidah, même si la fonction estconcurrencée au XIXe siècle par le Chacha deSouza qui s'installe dans un autre quartier. Asa mort, d'autres Yovogans seront nomméset demeureront dans le domaine qui leur estpropre mais leur autorité sera réduite du faitde la disparition du négoce des esclaves.

Le dernier Yovogan, Dagba, chassé parl'administration coloniale, déménagera dansle quartier Gomé où il installera les reliquesde son lignage, et fera édifier un templeNinssouhoué, encore présent aujourd'hui.Ses descendants conservent également lesgrands parasols, signes du pouvoir royal.Autrefois portés par les esclaves, ilsprotégeaient du soleil et de la pluie, maissurtout marquaient la singularité du statut desdignitaires et du roi Les négociantseuropéens remarquent d'ailleurs très tôtcette fonction symbolique et chargent leursnavires de parasols qu'ils échangent sur place«à bon prix».

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Les descriptions des palais des roiscomme de la demeure du Yovogan soulignentque l'habitat n'est pas un espace privilégié dedistinction sociale (comme il le devient enEurope). Celle-ci se manifeste d'abord auniveau du marquage des corps (scarificationspropres au roi, à certains cultes, habillement,parures, attributs, attitudes... ).

Page 89: Le comptoir de Ouidah : une ville africaine singulière

L E COMPTOIR FON

ci-dessus, temple Ninssouhoué réservé aux dignitaires royauxà gauche, galerie à colonnes caractéristique des lieux de pouvoir (Porto-Novol

ci-dessous, façade d'un bâtiment du domaine du descendant du dernier Yovogan (Ouidah)

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Page 90: Le comptoir de Ouidah : une ville africaine singulière

LE COMPTOIR FON

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. plan origirlé

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LAM E RD'ABOMEY AL'ITINERAIRELa «Route des Esclaves»,entre Ouidah et la plage,

n'est que la partie finale de l'itinéraire accomplipar les esclaves. Les hommes capturés parles troupes du roi étaient regroupés dans laville d'Abomey avant d'être envoyés à Ouidah.Ils y étaient comptabilisés afin de limiter lesfraudes. Enfermés dans des camps ou desprisons, ils étaient attachés les uns aux autrespar de lourdes chaînes ou des tiges en boisqui ne leur laissaient guère l'espoir de s'enfuir.

La saison de traite correspondait à celledes alizés car ceux-ci favorisent la circulationdes navires entre l'Europe et l'Afrique. LeKoussougan faisait alors acheminer lesesclaves vers Ouidah. Sous la surveillance degardes armés, ils parcouraient à pieds plus decent kilomètres.

Cette voie était moins importante avantla conquête dahoméenne, les esclaves étantacheminés par différents chemins. En 1727,le roi Agadja demande à son conseiller chargédes travaux, le «Tokpo,l> de tracer une routeet de la mesurer: (r/'opération donna un totalde 23502 perches de bambou de cinq mètres,soit une distance d'environ 117510 mètresdu palais royal d'Abomey au littoral)} (cité parLégonou-Fanou, 1993). Plusieurs centainesd'esclaves participèrent aux travaux.

L'accès à la capitale depuis la côte sefaisait exclusivement par cette route oùétaient installés de nombreux postes degarde et de douane. Au début du XIXe siècle,le voyageur anglais Burton note que deshommes y stationnaient à distance régulièreet qu'en l'espace de quelques heures, unmessage ou un objet pouvaient être envoyésau roi depuis la plage, sans l'aide de véhicule.Voie économique et politique, elle possédaitune dimension sacrée: le roi Agadja installaplusieurs vodoun «Legba» tout le longpour le protéger et pour rappeler saconquête.

Le nouvel axe modifie lagéographie de la région où la plupartdes échanges se faisait par la lagunecôtière, parallèle à l'océan. Désormais uneverticale nord-sud ordonne un royaume qui

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Page 91: Le comptoir de Ouidah : une ville africaine singulière

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s'étend à l'intérieur ducontinent sur presque deux

cents kilomètres.Lorsque la route atteint Ouidah,

les gardes enferment à l'extérieurde l'agglomération les esclaves dans

des «barracons», expression d'origineportugaise qui désigne un enclos gardé

où sont disposées des «baraques)) enpaille servant d'abri. Les dignitaires

choisissent les esclaves auxquels ils ont droitet les tractations commencent entre lescourtiers et les Européens. Les esclaves sontensuite acheminés vers les forts, avant d'êtreconvoyés vers les navires mouillés dans larade. Ils empruntent alors la route des Esclavesqui, à cette époque, devait être plus sinueuseque l'actuel tracé qui date du début du siècle.

A titre d'illustration, en nous référant àl'étude de Simone Berbain, nous en proposonsla description suivante: elle rend compte decertaines modalités de la traite qui ontcertainement évolué avec le temps.

Les esclaves, après avoir quitté la ville,passent près de «l'arbre des Capitaines». Souscet arbre (aujourd'hui disparu), le roi Agadjaaurait rencontré des négriers et auraitdébouché pour la première fois une bouteillede gin prise dans un bateau. Il y installa unautel au vodoun Legba. L'arbre fut divinisé etappelé Agadjatin. Les négriers qui rendaientvisite au roi y faisaient une pause. LeKoussougan, le «douanien), y choisissait lescadeaux destinés au roi, au Yovogan, auxcabécères (terme portugais désignant lesdignitaires) et à lui-même. Si les cadeaux'étaient suffisants, il autorisait les donateurs àpoursuivre leur chemin. Dans l'autre sens, lesesclaves en partance faisaient trois fois letour de l'arbre sacré «afin d'y laisser leurhaine contre celui qui leur assigna ce sort)).Ensuite, ils reprenaient la route jusqu'auvillage de Zoungbojdi, sans doute fondé par leroi Agadja. Les esclaves étaient marqués aufer chaud dans le barracon de son chef, undignitaire fon Osert signale que des esclavesétaient également marqués dans les forts).

Les esclaves étaient ensuite amenésau bord de la lagune où étaient amarrées despirogues pour les faire traverser. Ils étaientdivisés en fonction du type d'échange auquelils étaient destinés (tabac, fusils, alcool. ..). Lamarchandise qui n'était pas stockée dans lesforts était apportée depuis les navires jusqu'àce site où elle était échangée. Les piroguestraversaient ensuite la lagune, composée deplusieurs bras à certaines époques, et lesesclaves étaient réceptionnés par unreprésentant du roi, Gankpè, qui effectuait undernier contrôle avant de les remettre auxnégriers. Ces derniers les dirigeaient vers laplage et les regroupaient dans des enclos enattendant l'arrivée des pirogues qui lestransportaient jusqu'aux navires. Ce dépla­cement, de quelques dizaines de kilomètres,nécessitait la totalité d'une journée.

1de l'abbé Bullet (1772) qui représente Ouidah (en bas) et ses environs jusqu'à la côte où sont embarqués les esclaves (cf. plan détaillé page 99)

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le fort portugais en 1759

LES

Les forts de Ouidah situés à environ troiskilomètres de la côte, ne possèdent pas

réellement de fonction défensive. Ils nesauraient repousser l'accostage d'un navired'une nation concurrente, d'autant que leursdirecteurs sont tenus par les rois, d'accepterla venue dans le comptoir de négriers detoutes nationalités. D'autre part, malgré leursfortifications et leur puissance de feu, ils nepeuvent tenir un siège très longtemps contredes troupes ennemies, autochtones oueuropéennes.

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LE COMPTOIR FON

Ces établissements sont d'abordconçus comme des entrepôts: ils serventprincipalement à protéger les marchandisesdes pillards et éventuellement de refuge pourles Européens, en cas de débordements des«indigènes». Ils ne présentent pas lesqualités défensives des forts hollandais oudanois de la Côte de l'Or, bâtis dès le XVIIesiècle, en «dur» et en bordure de mer.

Avec la destruction en 1727 de lacapitale houédah, les Occidentaux seregroupent dans les fortins de Ouidah, quideviennent les principaux lieux de traite. Afind'accueillir ces nouvelles activités, desbâtiments sont construits; certainscomportent un étage. Chaque directeur defort propose des améliorations qui ne sont

guère suivies, faute de

FOR T S ressources et de pérénnité ducommandement pour engagerde véritables travaux.

Les forts français, anglais et portugais ontapproximativement les mêmes dimensions(cf. description ci-contre). Cette similitudene résulte pas de principes constructifs oudéfensifs qui peuvent admettre desdimensions différentes, notamment au niveaudes murs d'enceinte. C'est sans doute lesouverain qui imposa aux demandeur lamême surface que celle attribuée au premiervenu, au nom de l'égalité de traitement desdifférentes compagnies.

Les constructions édifiées restentrelativement précaires car les compagniesrechignent à investir dans ces terreslointaines dont elles ne voient guère lesbénéfices, souvent détournés par lesdifférents intermédiaires, depuis lesdirecteurs des forts jusqu'aux capitaines desnavires. Paradoxalement, alors que le négoceenrichit considérablement ces hommes, les

Page 93: Le comptoir de Ouidah : une ville africaine singulière

sociétés sont souvent mises en faillites,notamment les compagnies «à privilège»françaises qui possèdent l'exclusivité ducommerce sur une portion de côte.

En outre, l'irrégularité desapprovisionnements, soumis aux conflitsopposant les royaumes, n'incite pas à investirlourdement sur un seul site. Les compagniespréfèrent avoir une «loge)) dans le plus grandnombre de villages côtiers afin d'être toujoursprésentes lors d'une arrivée d'esclaves.La concentration n'est pas à l'ordre du jour,malgré les demandes répétées des chefslocaux qui voudraient ainsi pérenniserl'établissement d'Occidentaux et conforterla fonction commerciale du comptoir. Lademande de construction d'un fort, réitéréeà plusieurs reprises par le roi de Porto-Novo,est refusée par la compagnie française; celle­ci préfère maintenir simplement quelquesreprésentants sur place car elle craintd'indisposer le roi d'Abomey qui y verrait unsigne de trahison et qui pourrait exercer desreprésailles contre les Français de Ouidah.

Les différents plans des fortssoulignent les similitudes des établissementsde Ouidah. Les enceintes respectent toutesle plan en carré, forme issue des principesdéfensifs élaborés par les ingénieursmilitaires européens (du corps du Génie enFrance). La puissance accrue des canonsrend obsolète la construction de murailles degrande hauteur (à la manière des châteauxforts), mais nécessite des parois d'unegrande épaisseur. Les enceintes sont bâtiesen terre et sont renforcées aux quatre anglespar des bastions, circulaires ou triangulairesoù sont installés la plupart des canons. Lesbâtiments sont accolés au mur d'enceinte oudisposés à l'intérieur de la cour.

Les forts en 1785 :Il... Il ya ici trois forteresses;

une française, une anglaise et uneportugaise. Elles sont toutes les trois

construites sur le même plan. Ellesconsistent en un amas de maisonsqui forment un carré; ces maisons

sont couvertes de paille; sur le frontelles ont deux étages, les autres

côtés n'en ont qu'un. Les flancs sontgarnis de bastions, mais élevés de

trois pieds de terre au plus. Chaquebastion a douze canons de fer. Le fortest entouré d'un fossé, de vingt pieds

de large sur autant de profondeur,dans lequel il vient rarement de l'eau;

sur le front est un pont, qui en casd'attaque peut être facilement levé.

Le fort français est le mieuxentretenu, et le portugais est dans leplus mauvais état. Le premier a des

bastions ronds. Sur celui de l'est, il ya une haute cour de briques

d'Europe, qui sert de piédestal pour yarborer le pavillon. Les bastions des

autres forts sont carrés. Tous ont leurmagasin à poudre dans le milieu de la

cour, qui est également couvert depaille, et en forme de pigeonnier...Les forts français et anglais ont de

grands jardins avec des alléesd'orangers. Ils en tirent pendant toute

l'année toutes sortes de légumes,des oranges, des citrons, limons et

autres fruits. Le fort français occupecent vingt Nègres seulement pour

l'entretien du jardin... Il

PE. lsert, (1785).

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Page 94: Le comptoir de Ouidah : une ville africaine singulière

le fort français vers 1772; la construction est bordée à l'ouest par un jardinpotager et un verger qui fontégalement fonction de promenadeAbbé Bullet, Archives Nationales,C6,27bis

LE COMPTOIR FON

L'organisation interne comme l'aspectdes édifices ne sont pas radicalementdifférents des comptoirs installés dans lacapitale houédah. Le gros oeuvre desconstructions est monté en matériaux locaux.Les bâtiments ouvrent sur des coursintérieures comme l'habitat local, mais ellessont plus vastes et les densités deconstructions y sont plus faibles. Lesdirecteurs des forts tentent de respecterles principes d'implantation des militaires quiinsistent sur la présence à l'intérieur desenceintes de grands espaces vides afin deséparer les catégories d'habitants, d'affirmerles hiérarchies, et de mieux contrôler lesmouvements: personnes, marchandises,vents.... La circulation de l'air est considéréecomme un des seuls moyens de lutter contreles «miasmes», particules minuscules jugéesresponsables de l'insalubrité ambiante qui semanifeste par les fièvres et les dysenteriesauxquelles sont particulièrement sensiblesles Européens.

L'isolement du fort du monde extérieurvise à répondre à ce «fléau)) qui décimechaque année une partie des résidents ainsiqu'à les isoler des «indigènes» aux moeursqualifiées de «barbares». Les directeurs,chargés d'organiser et de contrôler le négocedans leur quartier, sont censés y faire régnerles disciplines occidentales. Ils craignentnotamment qu'au contact des autochtones,les employés de la compagnie désertent lefort et la garnison pour traiter à leur compteen vivant en compagnies de femmesafricaines, crainte fondée comme entémoigne par exemple le destin du Chachade Souza (cf. chapitre sur les Afro-Brésiliens).

Les forts ont une durée d'activitérelativement courte: environ un siècle séparela date de leur création du moment de leurabandon par les compagnies européennes.De plus, ils sont à plusieurs reprises désertéspar leurs occupants. La dégradation desconstructions semble rapide du fait de leurmédiocrité structurelle et de l'absenced'entretien. En effet, les directeurs, à leurarrivée, les jugent immuablement en ruines.

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Construits à une époque où lesOccidentaux imaginent se protéger dumonde qui les entoure par desmurailles, ils perdent rapidement leurraison d'être: le développement deséchanges, l'installation d'Européensdans les quartiers, rendent inutilesces fortifications qui ne leurrentpersonne. Les capitaines des navires,plutôt que de résider à l'étroit dans lesforts, prennent l'habitude de logerdans le quartier avoisinant et d'ytraiter directement en louant unehabitation (ce que font égalementles représentants de la compagniehollandaise), Ils entrent en contactdirect avec les représentants du roi sans avoirà subir l'intermédiaire du directeur du fort quiexige en échange de ses services une partdes bénéfices des tractations. Le mémoire del'abbé Bullet (1772) souligne la difficulté dudirecteur du fort français à contrôler lesactivités de traite dans son quartier.

L'abandon des forts s'expliqueégalement par le départ des compagnies etmarque le désengagement «officie!» desnations européennes. Les négriers quidemeurent continuent à traiter depuis leurshabitations, comme à Porto-Novo, où aucunfort ne sera bâti.

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Page 95: Le comptoir de Ouidah : une ville africaine singulière

L E FOR T FRANÇAIS

Il Il

Aucune trace ne reste du plus ancien fortde Ouidah. En revanche, son aspect au

XVIIIe siècle est bien connu grâce aux plansconseNés en France, aux Archives Nationales.En outre, une maquette, élaborée à partir deces documents, est actuellement conseNéedans le musée historique du fort portugais.

Les premiers bâtiments ont une duréede vie limitée et font l'objet de reconstructions.Le corsaire Jean Doublet rebâtit le fortinfondé en 1671. Il sera à plusieurs reprisesmodifié et laissé à l'abandon. Peu de tempsaprès la conquête de la ville, un nouveaudirecteur, Pruneau de Pommegorge, trouveen 1750 l'établissement en ruine. Il faitfabriquer sur place des briques cuites pourconsolider les tourelles, la poudrière et unlogement qu'il surmonte d'un colombier.L'intérieur est meublé d'articles locaux, tapistressés yoroubas et d'objets importés,armoires. tables...

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1

Page 96: Le comptoir de Ouidah : une ville africaine singulière

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dessin établi par F. Bourgeon d'après la maquette conservée au musée historique de Ouidah, in .des passagers du vent», tome 3, 1981

En 1772, l'abbé Bullet y compte unesoixantaine de canons contre une quinzaineau début du siècle et il en fait un descriptiftrès précis. Si les fortifications ne semblentguère avoir évolué, l'intérieur s'est densifié.Certains bâtiments sont accolés à l'enceinte:à l'ouest, celui accueillant le directeur(à l'étage) et au nord, ceux destinés auxesclaves, en rez-de-chaussée.

Les autres édifices s'articulent autourd'une vaste cour intérieure et forment uneenceinte supplémentaire, Les pièces oùlogent les Occidentaux (chirurgien, commisaux écritures, sous-directeur, aumÔnier. .. ) etoù ils se retrouvent (salle à manger, office,chapelle .. ,) sont tournés vers la cour, tandisque celles des esclaves et des domestiques(cellules, cuisine, magasin, écuries.. ,) ouvrent

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1

sur l'enceinte. Les communications entre cesdeux zones se limitent à quelques portes pourdes raisons de sécurité. D'éventuelles révoltespeuvent être matées depuis les bastions etl'étage d'où il est facile de pointer des armes,précautionneusement mises à l'abri.

Au centre de la grande cour, trône lapoudrière où est stockée cette matièred'échange précieuse. délivrée avecparcimonie aux Africains. Certains bâtiments.comme ce dernier, sont construits en briquescuites, afin de les solidifier. L'abbé Bulletsignale qu'un four a été installé à l'extrémitédu grand jardin extérieur. D'autres cours etjardinets sont disposés à l'intérieur del'enceinte. La plupart du personneldomestique loge dans le quartier attenant,«le camp français».

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L'organisation des activités est calquéesur le système mis en place sur les bateaux:la cloche du fort sonne chaque matin le débutdu travail (l'abbé Bullet se plaint de la paressedes hommes qui tardent à rejoindre le fort ouse font porter malades !). Les officiers enposte appartiennent d'ailleurs à la Marine etse représentent le fortin comme un navireancré dans un environnement dangereuxavec lequel les contacts doivent être réduits.Ce sont souvent d'ailleurs les mêmes qui ontdirigé ou dirigeront un navire négrier.

M. Gourg, directeur de 1786 à 1791,équipe le fort d'un paratonnerre, commence à

faire remplacer la paille des toits par une dalleen ferraille et en glaise et se livre à différentstravaux visant à solidifier l'édifice Sonmémoire précise que plus de deux cents«Nègres et Négresses» sont attachés au fort ;ils résident dans le quartier attenant Tous cesesclaves «de case» ont des activités précises:ils sont interprète, gardien, charpentier,maçon, cuisinier, boulanger, pêcheur,forgeron, piroguier, tailleur, tonnelier..

Quelques années après son passage,le régime révolutionnaire en France abolitl'esclavage, (décret du 4 février 1794). Le fortest délaissé par la compagnie de commerce;trois ans plus tard, le dernier Français, le gardemagasin, est évacué. L'établissement estlaissé à un employé africain de la compagnie.

u~····

le site du fort français aujourd'hui: une place plantée a étéaménagée sur les anciens jardins

Ce dernier semble être encore dans les lieuxen 1841, lorsque le site est concédé par l'Etatfrançais à la maison Régis Celle-ci obtient ledroit d'en faire usage pour son commerce àcondition de le remettre en état et del'entretenir.

localisation vraisemblable du fort français sur la place actuelle

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Page 98: Le comptoir de Ouidah : une ville africaine singulière

ANGLAISFOR TL E

Le fort William, très semblable au fortSaint-Louis de Grégoy, en était éloigné de

quelques centaines de mètres. Son activitéperdure jusqu'au début des années 1780,l'Indépendance des Etats-Unis signifiant pourles négriers anglais la perte d'un débouchéimportant pour leur négoce. Concurrencéepar les Français et les Portugais, lacompagnie anglaise délaisse alors plusieurspostes sur la côte.

Le fort de Ouidah est définitivementabandonné en 1807 Depuis la fin du siècle,son activité est réduite et les bâtiments nesont plus entretenus. Quelques années plustard, le site est vendu à la maison decommerce allemande de Hambourg, Goedelt,qui achète l'huile de palme aux planteurs. Denouvelles constructions sont élevées et lesfossés sont comblés. Ne subsistent quequelques murs d'enceinte, à plusieursreprises remaniés.

La maison allemande est amenée àquitter la place avec la victoire française à lafin du premier conflit mondial. La maisonanglaise, John Walkden, s'y substitue. Denouveaux édifices sont bâtis. Dans lesannées cinquante, le Guide Bleu signalequ'une portion d'enceinte est encore visible.Aujourd'hui, elle a disparu de même que la

maison de commerce anglaise.Seules les limites de l'îlotpermettent de localiserl'implantation du fort. Sa proximitéavec le marché y a favoriséJ'installation de négociants quitiennent de nos jours descommerces de proximité. Lebâtiment le plus ancien, au style«coloniaj)" à étage, date sans doutedu tout début du XXe siècle.

En 1860, le docteur Repin, chirurgiende la Marine, remarque les dégradations desfortifications, à moitié écroulées et envahiespar la végétation. Les bâtiments quidemeurent abritent les ateliers de tonnelageet des machines pour traiter les huiles.Quatre ans plus tard, un incendie détruit unegrande partie de l'établissement. La maisonde commerce Régis reconstruit d'autresbâtiments sans restaurer les fortifications,inutiles depuis longtemps.

"En 1890, les fossés étaient comblés,le pont-levis avait disparu; les bastionsétaient déserts et les canons dormaient surl'herbe, la plupart à moitié enterrés. L'ouvrageen demi-lune qui défendait la porte étaitremplacé par un balcon. La chapelle n'existaitplus. Il Vavait un beau jardin planté d'orangers,et la forteresse à l'aspect menaçantd'autrefois, qui servait de prison à des milliersd'esclaves, s'était changée en une maisonpaisible. JJ (Foa, Le Dahomey, 1895).

Le départ de la maison de commerceau début du XXe siècle entraîne la dégradationpuis la disparition des derniers vestigesL'Etat colonial n'entretient plus les bâtimentset en 1908, l'administrateur fait combler lesderniers fossés. Peu après, un hôpital estélevé, sans doute sur le site du fort. La placeplantée, aménagée dans les annéescinquante, est probablement localisée surune partie de l'ancien jardin qui le bordait.

le fort anglais, vers 1746, semblable aux autres fortins de Ouidah, in Abbé Prévost, tome IV

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Page 99: Le comptoir de Ouidah : une ville africaine singulière

LE COMPTOIR FON

L E FOR T PORTUGAIS

détails du fort portugais récemment restauré

Lefort portugais ne connaît pas une telledestinée. Il est le seul à subsister encore

aUJourd'hui. Son aspect cependant n'a plusgrand chose à voir avec les fortificationsbâties au XVIIIe siècle Les différents plansanciens montrent son évolution «théorique»,les représentations graphiques correspondantparfois à des souhaits dont on ne sait s'ilsfurent réalisés Ces documents signalent enrevanche une emprise au sol stable.

A peine le premier gouverneurportugais installé en 1721 (cf 1er chapitre),Ouidah est conquise par le roi du Dahomey

La destruction du comptoir de la capitaleamène également les Portugais à s'yregrouper. A cette occasion, les bâtimentssont remaniés (cf plans)

Au gouverneur suivant qui protège lesHouédahs (ce qui lui vaudra d'êtreemprisonné par le roi puis expulsé),succèdent d'autres hommes qui ajouterontdes bâtiments mais la puissance portugaisese désintéresse de la place et lesinvestissements restent très limités En

1788, le négociant brésilien, Francisco Félixde Souza, arrive dans la place pour en assurerle commandement et découvre un site en

ruines. Après y avoir logé quelques années, ilva commercer dans des comptoirs voisins; àson retour, en 1818, il s'installe dans un autrelieu. Le fort est alors totalement abandonné.

Ille restera Jusqu'en 1861, date àlaquelle il est occupé par les missionnairescatholiques français récemment arrivés àOuidah. L'église est alors restaurée maisplusieurs bâtiments sont détruits peu aprèspar la foudre et les prêtres déménagentL'autorité portugaise reprend possession dufort en 1865 et y installe un Résident

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Page 100: Le comptoir de Ouidah : une ville africaine singulière

L'établissement, dénommé«Residencia de Sâo Baptista de Ajuda», estconsidérablement remanié. Les anciensbâtiments sont détruits et le Résident se faitconstruire un nouveau logement (la maison àétage qui demeure aujourd'hui). L'intérieur del'enceinte devient un vaste jardin planté demanguiers et d'orangers et occupé par unpotager. Quant aux murailles devenuesinutiles, elles se dégradent progressivement.

La colonisationfrançaise ne remet pasen cause la souverai-neté portugaise surle fort qui conserveson autonomie symbo­lique : jusqu'en 1960,le drapeau portugaisflotte sur l'enclave quiconnait dans la colonieun statut relativementsemblable à celui despremiers forts dans leroyaume du Dahomey.A l'indépendance, lebâtiment est rendu auBénin mais un litigeapparaît entre le Rési­dent portugais et lesnouvelles autorités, etle fortin est incendiélors de son départ.L'ensemble demeuretrès dégradé pendantde longues années.Vers la fin des annéessoixante, l'Etat du Dahomey restaure le bâti­ment à étage et y installe un musée historique,où sont exposés des objets relatifs à la traiteet au royaume du Dahomey. Dans les annéesquatre-vingts, la France décide de restaurerles fortifications mais peu après, la fondationportugaise Calouste Gulbenkian propose uneaction de plus grande envergure.

En 1984, un ingénieur portugais définitles bases du projet qui vise à restaurer lesmurailles, à reconstruire quelques bâtimentsdisparus et à édifier un théâtre en plein air, àdes fins culturelles, Les références historiques

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de ce projet semblent être issues d'un plandatant de 1890 où figurent les bâtiments dela caserne, du corps de garde et de l'égliseaujourd'hui reconstitués en matériaux«durables» (parpaings de ciment, tuilesmécaniques.. ,), L'opération a été achevée en1990; le musée a été réinstallé dans le bâti­ment à étage. Quant aux autres édifices, ilsn'étaient pas encore occupés au moment del'élaboration de ce travail.

Le plan levé vers 1772 ..... /' .par l'aumônier du fort I.A.:,.; .~ IJ.:.....

français souligne ',' /iJ!;':!Ù.iJt'l'extension de la cité (L) _/ ::-" r' .., ..'au nord du domaine du·· ,:.::. ~ .....r··

Vovogan (M) .::.::>;./ _ .Ces quartiers forment ",..,...__1 .,'

un demi-cercle ,/ .et représentent environ 90% de==-..::'~:::::::::::::~

l'agglomération , ..' ~.~

Ils accueillent le marché (Tl . '.:. . ~

Les «villages» (R) . S0des forts anglais (0) ......,

et portugais (S)-.~~"~-;··--.", <forment au sud, un quartier isolé tandis que le .'; •.~~~

«village» (G) . ~~du fort français (E)

borde les quartiers fons à l'ouestLe domaine du chef guerrier

Caquaracon (I)~...qui surveille la cité, est établi au nord-ouest, :.. '

non loin de l'actuel camp militaireL:abbé Bullet signale également de nombreux

temples «fétiches» établis hors de la ville (H, X)ou à la limite des quartiers (F)

auxquels ils sont attachés.Il attribue au Vovogan la responsabilité

du temple des pythons (N),localisé sur son site actuel. ./"

Il remarque encore les traces §:;des talus élevés par les guerriers houédahs ,/

en lutte contre les Fons (V) ;:::-..; ....

Page 101: Le comptoir de Ouidah : une ville africaine singulière

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C 1 T E S i la durée defonctionnement

des forts est relati­vementcourte, ces

établissements sont néanmoins à l'origine defoyers de peuplement. Tout autour de chaquefort, se forme un quartier où logent d'abordles esclaves attachés à la compagnie puisd'autres populations attirées par la protectionqu'offre le directeur qui fait toujours fonctionde chef de quartier. Le Yovogan n'y interfèrequ'en cas de délit mettant en cause sonautorité et tolère certains particularismesculturels, comme la pratique de la religionchrétienne. Peu à peu, le quartier du fort toutentier fait fonction de lieu de traite, le fortinn'accueillant que les représentants de lacompagnie.

Aux trois quartiers des forts s'ajoutecelui dirigé par le Yovogan dont la taille va ens'accroissant. Il est centré sur sa demeure etsur un nouvel équipement, le marché, signalépar tous les Européens au XVIIIe siècle.Duncan évalue sa surface à un demi-hectare(cité par Verger, 1968) ; Isert le décrit en 1788 :

({les vendeurs viennent au matinavec leurs marchandises, et s'enretournent au soir. Chaquequatrième jour est jour de marché,auquel les étrangers peuventétaler. On trouve dans cesboutiques toutes sortes demarchandises européennes, aussibien que celles du pays, à des prixqui ne sont point trop surfaits».

L AD EDEVELOPPEMENTL E

Page 102: Le comptoir de Ouidah : une ville africaine singulière

LE COMPTOIR FON

Le marché Zobé entouré de nombreux commerces: la halle date du milieu du xxe siècle

autel du vodoun Ayizan, protecteur du marché

Le marché, appelé Zobé, est localisé àl'est de la ville, non loin des forts portugais etanglais et du domaine du Yovogan (il n'ad'ailleurs pas bougé depuis sa création) Lecommerce qui s'y déroule est contrôlé par un

dignitaire royal qui affecte les places, assurela police ... Toutes sortes de biens y sontéchangées par des vendeurs spécialisés:nourriture, étoffes, plantes médicinales,

produits importés d'Europe, à l'exception desesclaves dont le négoce est assuré end'autres lieux.

Ce marché, ouvert aux habitants de laVille comme aux équipages des navires. estle seul qui existe en ville Cette concentrationpeut être analysée comme le signe de lavolonté du roi de contrôler toutes les formesde transaction dans la ville (Arnold, 1952)

Traditionnellement, les marchés sont localisésà proximité des palaiS et le roi y exercetoujours un contrôle des activités. Il sembleque ce marché «central» se développe à la

suite de la disparition du royaume houédah,époque où les échanges commerciaux dansle royaume étaient concentrés dans lacapitale, conformément à l'usage. Ladisparition de cette ville et l'éloignementd'Abomey nécessitent la création d'unnouveau pôle d'échanges vivriers sur la côte.

Ouidah où sont déjà troqués les esclaves etoù se concentre une population importanteest bien placée pour l'accueillir

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Page 103: Le comptoir de Ouidah : une ville africaine singulière

La disparition du commerce desesclaves ne remettra pas en causel'existence du marché qui conservera safonction et qui continuera à attirer lescommerçants de la région. Certainss'établiront souvent dans le voisinage

immédiat. Ce quartier accueillera aussi aucours du XIXe siècle une nouvelle catégorie

de négociants, les représentants des maisonsde commerce occidentales.

Jusqu'à l'arrivée des Afro-Brésiliens,l'habitat urbain ne semble guère évoluer.L'habitant témoigne de son identité culturelle,"ethnique», par le système de culte et nonpar un marquage particulier de l'architectureToutes les constructions sont de plain-pied;elles sont édifiées en terre de barre etcouvertes de toits en chaume (la brique deterre, crue puis cuite, introduite par lesEuropéens, leur est d'abord réservée) Lesmurs d'enceinte sont également en terre,recouverts de feuilles de palme pour les

protéger des pluies.Il est difficile d'établir une antériorité de

la forme circulaire des bâtiments sur la formecarrée ou rectangulaire Les plus anciensvoyageurs au XVIIe siècle signalent laprésence des deux figures, contrairement àd'autres régions d'Afrique où la "case» rondedomine Les édifices au dessin rectangulairesemblent plutôt rèservés aux hommes dotésd'une autorité, notamment les souverains.

Plusieurs éléments peuvent expliquerce particularisme. Les rituels royauxmobilisent des centaines de personnes qui,

en fonction de leur statut, n'assistent qu'àcertaines cérémonies Les plus intimes nepeuvent se dérouler dans les cours et ont lieuà l'intérieur de bâtiments qui doiventnéanmoins pouvoir accueillir un nombreimportant d'individus

La forme circulaire réduit lespossibilités d'extension d'un édifice, enraison de la structure conique du toit qui nepeut être agrandie au-delà des limitesconstructives' la portée des poutres en boisn'est pas extensible. La forme rectangulaireautorise au contraire le développement d'unbâtiment· si la largeur reste limitée par la

portée des poutres, la longueur peuts'accroître, et la surface d'une piècefinalement augmenter

De plus, les édifices royaux appellent laprésence de zones d'attente pour lesnombreux courtisans et de lieux de filtrage oùse tiennent les gardes qUI font égalementrespecter l'étiquette. Les bâtisseurs semblentrépondre à cette nécessité par l'adjonction aucorps de bâtiment d'une galerie extérieuresur une ou plusieurs façades, remarquable

dans tous les palais ainsi que devant certainstemples. Celle-ci, généralement assez large(1,5 à 2 mètres), s'accorde plus facilement

avec la forme rectangulaire d'un bâtiment.Enfin, l'édification de murs d'enceinte

autour du domaine du souverain rendpossible l'édification de bâtiments mitoyensqui s'y appuient. La forme rectangulaires'accorde également mieux à cet usage

Au regard des relevés effectués, il estimpossible de distinguer morphologiquementl'habitat houédah de l'habitat fon (il en est de

même entre les différentes ethnies de larégion). Les techniques constructives sontidentiques ainSI que les modes d'organisationspatiale. Seule la présence d'assins et designes propres aux cultes permettent de

repérer des appartenances (par exemple, lesfresques murales figurant le python Ou bienla présence d'un temple Ninssouhouéremarquable par ses parois tachetées).

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Les domaines familiaux qui continuentà regrouper des lignages ou des segments delignages et leurs esclaves domestiquess'organisent toujours autour de coursintérieures et réunissent plusieurs dizaines depièces, voire plus. Leurs formes ne diffèrentguère selon les activités qui s'y déroulent.

La population, qui avoisine au milieu duXVIIIe siècle la dizaine de milliers d'habitants,n'est toujours pas stable: elle évolue d'unesaison sur l'autre ou d'une année sur l'autre,en fonction de l'intensité du commerce. Ledocument graphique rapporté par l'abbéBullet en 1772 permet d'apprécier ledéveloppement spatial de la cité. Ce plandessine une agglomération compactecontrairement aux documents antérieurs quine signalent que la présence de forts (ce quine veut pas dire que des quartiersd'habitation n'existaient pas). La ville estlimitée au sud par les forts, situés à l'écartdes habitations par crainte des incendies etd'éventuelles révoltes.

Les quartiers des forts ne constituentplus qu'une petite partie de la ville composéepar ailleurs d'une vaste zone au nord,occupée par les Fons. La présence duYovogan depuis une trentaine d'années abousculé le mode d'établissement. Il estprobable qu'il exige que tout nouvel arrivants'installe dans son quartier, ceux des fortsn'accueillant que la population employée parla compagnie.

Les visiteurs ne signalent plus à cetteépoque la discontinuité urbaine et la présencede vastes terrains cultivés à l'intérieur del'agglomération; l'abbé Bullet remarquesimplement la présence de jardins et deplantations dans les cours des habitations.

La ville, d'après son plan (cf page 84)et l'évaluation du voyageur Danois Isert, quidate de la même époque, a un périmètred'environ trois kilomètres, soit moins que lacapitale houédah dont la circonférence étaitévaluée par Smith en 1727 à au moins cinqmiles (environ 8 km). En terme de superficie,celle de Ouidah serait proche de 60 hectares,soit bien moins que Savi.

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Il est cependant difficile de comparerces deux sites dans la mesure où l'espacemesuré à Savi n'est sans doute pastotalement bâti, contrairement à celui deOuidah. Un autre élément de comparaisonest la surface occupée par le plus grandpalais royal d'Abomey qui atteint 40 hectares(la population de cette ville étant estimée en1772 par Norris à 24 000 personnes). Làencore, les comparaisons sont délicates:un domaine royal n'est pas une ville; il estcomposé d'une multitude de cours et debâtiments occupés temporairement lors decérémonies, entrecoupés de zones nonbâties. Toutes ces données tendent à laisserpenser que, malgré son accroissement,Ouidah n'est pas, d'un point de vuedémographique comme en termes desuperficie, la plus grande ville du royaume.

Malgré la continuité du tissu urbain etla présence d'éléments structurants commeles forts, le marché et la demeure duYovogan, il est difficile d'établir uneorganisation spatiale de l'ensemble de la ville.Aucun axe ne la traverse; les circulationssemblent toujours définies par les contoursdes murs des domaines familiaux. De même,aucune grande place ne semble se dessiner.Les visiteurs signalent simplement laprésence de placettes, situées souvent àproximité des temples vodouns et quipermettent d'accueillir la foule des adepteslors des cérémonies. D'autres remarquentnon loin du fort anglais (quartier Sogbadji) uneplace de sinistre réputation, occupée par unpetit marché: plusieurs centaines de victimesy auraient été inhumées au tout début duXIXe siècle, à la suite d'une épidémie.

Ce paysage confirme le fait que la citén'est toujours pas dirigée par une autoritéunique. Si le Yovogan commande la populationde son quartier, les directeurs contrôlent lesquartiers des forts. Ce schéma reste dans laforme assez proche de l'agglomération dehameaux qui prévalait dans le royaumehouédah; néanmoins, le développement duquartier fon et la relative stagnation desautres quartiers marquent la prédominancecroissante du Dahomey dans la cité.

Page 105: Le comptoir de Ouidah : une ville africaine singulière

LE COMPTOIR FON

DE LA TRAITE NEGRIERE AU COMMERCE DE L'HUILE DE PALME

Les velléités guerrières du Dahomeyconstituent un des fondements du

royaume. Tout au long du XVIIIe et du Xlxesiècle, il attaque les royaumes voisins afin decapturer des esclaves et de contrôler lesvoies d'accès à la mer, mais également pouraffirmer son autorité dans la région.

Le roi Kpengla qui succède àTegbessou en 1774 poursuit la lutte contreles troupes houédahs et gagne une batailledécisive vers le lac Ahémé. Le chef houédahest exécuté et plusieurs centaines deprisonniers sont vendus comme esclaves(Cornevin, 1962). Parallèlement, ce souverain,puis ses successeurs, Agonglo {1789-1797let Adanzoza (1797-18181, entreprennent desguerres contre tous les proches voisins: lespopulations de l'Ouémé à l'est, les Mahi, aunord, les habitants des comptoirs côtiers àl'est, Ekpé et Badagry notamment, et mêmecontre ses propres royaumes vassaux, celuid'Agouna et Porto-Novo par exemple. Ilsn'hésitent pas non plus à lancer leurs arméescontre les royaumes yorubas. Les violentesbatailles se traduisent par des pertesd'hommes qui se comptent parfois enmilliers, auxquels s'ajoutent les centainesde prisonniers qui seront «exportés».

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Page 106: Le comptoir de Ouidah : une ville africaine singulière

Le roi Guézo (1818­1858), poursuit cettepolitique; toutefois il voitpendant son long règnese transformer l'économie

locale. Le souverain Joueun rôle important dansl'affirmation du Dahomey

dans la région. Son actionfut étudiée par un grandnombre d'historiens qui ont eu accès à dessources plus nombreuses du fait del'accroissement des contacts politiquesdirects entre le monde occidental et leroyaume. La somme de ces travaux ainsi queceux concernant son successeur, Glélé, fontque parfois la puissance et l'organisation duroyaume dahoméen qui se développe sur

deux siècles sont assimilées à celles de cemoment «d'apogée»

Guézo réussit, contrairement à sesprédécesseurs, à s'affranchir de la tutelle du

royaume d'Oyo, dont la puissance régionaleest remise en cause par les attaques desPeuls venus du nord. Afin d'alimenter lesnégriers, il poursuivra les razzias chez sesvoisins, notamment en terre yorouba et dansle pays Mahi, mais il établit dans le mêmetemps des contacts diplomatiques avec les

Européens. Confronté à la diminution de lademande en esclaves, il favorise ledéveloppement de plantations, cultivées par

ses esclaves.A son action politique et économique,

s'ajoute une réorganisation «administrativo­religieuse» du royaume. Il découpe leterritoire en provinces, nomme de nouveauxresponsables à leur tête (notamment un Afro­Brésilien à Ouidah - cf. chapitre suivant),redéfinit l'assiette de l'impôt sur lesmarchandises de traite et impose le culte

dans tout le royaume de certaines divinitésqui témoignent de son autorité (les vodounsTohossou et Héviosso en particulier)

Ce souverain mène à terme le projetde contrôle des populations et des activités

engagé par ses prédécesseurs, enintervenant dans de nombreux champs dela vie sociale. l'économie, la police,

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les cultes .... Seloncertains historiens,Akinjogbin en particulier,

le Dahomey constitue enAfrique noire un exemplequasi unique de royautéabsolue, à la manièreoccidentale, paropposition aux autres

royaumes dont lefonctionnement est plus proche duféodalisme, où les relations entre les entitéspolitiques sont en termes de vassalité plutôtque de domination directe.

Son action dans le domaine religieuxest parfois analysée comme un «retour auxvaleurs». Il semble plutôt qu'à traversl'instauration de cultes royaux, il tented'affirmer un peu plus son pouvoir. On peutégalement interpréter cette action commeune tentative d'alignement des cultesvodouns sur les religions monothéistes quicommencent à se manifester sur la côte;en valorisant certaines divinités, il pense

accroître leur audience et pouvoir rivaliseravec les «vodouns chrétiens».

Ouidah, le «ventre» du royaume, est aucentre de ce projet politique et économique.En fonction des victoires, le comptoir voitaffluer des milliers d'esclaves qui attirent lesnavires négriers. En revanche, les échecs del'armée du Dahomey paupérisent lapopulation de la ville (et du royaume) qui n'a

momentanément plus aucun produit àéchanger La disparition du commerce desesclaves ne bouleverse cependant pasradicalement le développement de la cité où

de nouveaux acteurs économiques, Afro­Brésiliens et Européens, s'implantent etdéveloppent les cultures de plantation.

Il existe deux histoires de la fin de latraite négrière, la première faite de traités

signés en Europe, et la seconde, sur le terrainqui montre le décalage entre les piècesécrites et l'activité des négociants Cecommerce, ouvertement critiqué en Europedepuis le milieu du XVIIIe siècle par lesphilosophes puis par d'autres courants

Page 107: Le comptoir de Ouidah : une ville africaine singulière

progressistes de la société, subit unepremière déconvenue avec l'indépendancedes Etats-Unis dont pâtissent les négriersanglais En France, la Révolution entraînel'abolition de la traite, rétablie un peu plustard par Napoléon Le Danemark sera lepremier pays européen à l'abolirdéfinitivement, en 1802, suivi cinq ans plustard par l'Angleterre qui instaurera en 1819une brigade maritime chargée d'arraisonner le

long des côtes africaines les navires négriers.La disparition de la brigade en 1869

marque la fin effective d'un commerce, quine survit pas à l'abolition de l'esclavage aux

Etats-Unis proclamée quatre ans plus tôtEntre-temps, les autres nations européennesimpliquées dans la traite ont également abolil'esclavage, la France en 1848, mais ne sesont pas toujours opposées vigoureusementà sa continuation sur le terrain. Cette positionambiguë explique la politique des royaumesafricains qui poursuivent cette activité. Siofficiellement, les nations occidentales nesont plus présentes depuis le début du Xlxe

siècle dans le comptoir de Ouidah, lesnégociants indépendants, en particulier ceuxoriginaires du Brésil, continuent à assurer le

négoce qui structure depuis presque deuxsiècles l'économie locale (Dunglas, 1956)Les nations occidentales s'attachent avecplus ou moins de succès à proposer auxsouverains négriers des activités desubstitution. Ils encouragent l'installation de

maisons de commerce dans les comptoirs etengagent des négociations politiques

Le passage en quelques dizainesd'années d'une économie où l'esclave

"produit d'exportation" devient producteur debiens, s'explique localement par l'existencede structures favorables: un milieu naturelpropice aux cultures deplantation (le palmier àhuile), une main-d'oeuvre

abondante et disponible(les esclaves), la présencedes intermédiaires (lesmarchands qui cherchent

à se reconvertir), et enfinun réseau de distribution,

satisfaisant (les marchés des villages de

l'intérieur et les comptoirs). Dans les années1840, des firmes françaises, allemandes et

anglaises (les plus dynamiques), s'installentsur la côte, notamment à Lagos où l'adminis­tration anglaise commence à s'implanter

La première mission politique menéeauprès du roi Guézo est conduite en 1849 parl'Anglais Sir John Beecroft, qui propose de luiverser une indemnité s'il consent à cesser latraite négrière. Il se heurte aux réticences dusouverain et des négociants, pour lesquels le

commerce des produits agricoles sembleincertain Le roi refuse de s'engager tant que

les autres ports, Lagos, Sèmè, Agoué. Porto­Séguro, continueront la traite.

Du côté français, en 1851, le lieutenantde vaisseau Bouët se contente d'entretenir leroi sur les intentions de la France depromouvoir le développement de l'agricultureLes articles du traité signé à l'issue de cetterencontre insistent surtout sur la protectiondes maisons de commerce françaises Ins­tallées à Ouidah. En 1846, environ 800 tonnes

d'huile sont exportées vers la FranceProgressivement des autochtones se lancentdans l'agriculture, encouragés par le roi qui

confie la gestion des nouvelles palmeraies àdes dignitaires (les familles Adjovi et Quenumsont particulièrement entreprenantes)

Parallèlement, les maisons de commerces'implantent dans d'autres sites: la maisonRégis se fixe à Porto-Novo, ville autour delaquelle commence à se développer unevaste palmeraie et où la France établit en1863 un traité de protectorat avec le roi En1876, environ 1700 tonnes sont exportésdepuis Ouidah; plus de 4000 tonnes quittentà la même époque la côte (1 Houéchenou,

1985) Les derniers esclaves" invendus" sontemployés dans leschamps de culture du roiLa propriété foncière

devient un facteurd'enrichissement mais

cette valeur nouvelle dusol ne va pas sanssusciter des conflits entreles nouveaux acteurs.

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Des rivalités existent entre les maisons decommerce de différentes nationalités, entrecelles-ci et les acteurs locaux, en particulier leroi qui contrôle un vaste domaine et les Afro­Brésiliens. La conquête coloniale entreprise àla fin du siècle s'inscrit dans ce contexteéconomique.

Les maisons de commerce occidentalesà Ouidah ne sont pas nombreuses, environune dizaine au milieu du XIXe siècle.Certaines négocient le droit d'occuper lesanciens forts comme la maison Régis quis'installe en 1841 dans le fort français. Aprèsaccord du roi du Dahomey, le site sertd'habitation et de lieu de stockage des fûtsd'huile de palme. D'autres, en l'occurrence lamaison Swanzy de Londres et la maisonGoedelt de Hambourg, se font construire desbâtiments non loin du marché. En 1864,l'abbé Bouche remarque quelques maisonsà étage, habitées par des Européens.

L'influence sur le développementurbain des acteurs économiques européensest beaucoup plus faible que celle de leursprédécesseurs. Leurs établissements sontpour la plupart installés dans un quartierexistant, qui possède déjà une vocationcommerciale. Ils ne génèrent pas comme lesforts la formation de nouveaux quartiers: lamain-d'oeuvre, contrôlée par le roi, travailledésormais dans les champs.

Dans la première moitié du Xlxe siècle,d'autres populations migrent vers lescomptoirs. Les esclaves en route versl'Amérique dont les navires ont étéarraisonnés par les vaisseaux anglais sontd'abord ramenés dans leurs bases, enparticulier dans la ville nouvelle de Freetownen Sierra Leone. Une partie d'entre eux,originaire du monde Adja et Yorouba, émigrerarapidement vers les comptoirs de la Côte desEsclaves. Cette communauté, présente àOuidah dès le début du XIXe siècle (Verger,1968), s'installe dans les quartiers existantset loge dans les habitations des propriétairesde plantations qui les emploient pour cultiverou comme domestiques. Leur statut n'estpas radicalement différent de celui desanciens esclaves.

A ces hommes s'ajoutent des Yorubasvenus de l'ouest, des terres du royaumed'Oyo. Ils fuient le nouveau pouvoir peul quidomine désormais la région et demandentasile aux habitants des comptoirs aveclesquels ils ont depuis longtemps des liens.Ils s'installent selon les mêmes modalitésque les anciens esclaves et n'ont pas nonplus nécessairement un statut meilleur. Unautre groupe, les Afro-Brésiliens, aura à cetteépoque une toute autre place dans lescomptoirs et une toute autre incidence surleur développement.

la plantation de palmier à huile amène la constructior

vue cavalière du fort français de Ouidah en 1846 occupé par la factorerie Régis

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1

Page 109: Le comptoir de Ouidah : une ville africaine singulière

à la fin du XIXe siècle, de raffineries, comme celle-ci, bâtie à la périphérie de Ouidah

Il .. Le 5 octobre 1841, lecapitaine Provençal commandant le

Syrien appareille avec une cargaisonvalant 299500 francs et l'ordre de

restaurer le fort. Le gros oeuvre estaisément radoubé par les travailleurs

indigènes; pour les logements et

LE COMPTOIR FON

les magasins, des matériaux ont étéapportés de France. Un maÎtre

charpentier et un forgeron procèdentaux montages exigeant du métier.

Le plan général mesure 140 mètressur 120. La terre argileuse du fossé

de cinq mètres de large sur quatre deprofondeur avait servi lors de la

construction, à édifier le murd'enceinte haut de cinq mètres et

épais d'un mètre au sommet, revêtud'un enduit au mortier de chaux. On

pénètre dans la cour du fort par unpont levis face à l'est. Au centre, un

fortin carré sert de poudrière. Entre lerempart sud et une ligne de superbes

orangers, des baraquements sontaffectés au logement du personnel

européen et au comptoir. Au nordsont les magasins. A l'ouest des

cases rondes de chaume sontconstruites pour la milice indigène

forte d'une cinquantaine d'hommes.Une convention passée avec le roi

Guézo fixe le statut de ce personnel.Un armement de six canons du

calibre 6, cinquante fusils du derniermodèle avec les munitions

nécessaires et cinquante uniformessont envoyés par la maison. C'est

l'agent directeur qui fait fonction decapitaine avec ses employés français

comme officier. .. Peu à peu la vierégulière s'organise. Le dimanche a

lieu une parade suivie de dansespopulaires. Les habitants de la

contrée, sensibles au bon ordre et auprestige de l'autorité forment bientôtautour de la factorerie un petit village

de 1200 âmes. Nombre d'entre cesnoirs viennent là chercher aide et

protection contre les exactions deleurs maÎtres ordinaires qui pactisent

trop souvent avec des trafiquantsportugais sans scrupule. Cette

agglomération, désignée à la rondesous le nom de Salam (quartier)français constitue un centre de

formation élémentaire aux travauxmanuels répondant aux aptitudes des

naturels ainsi qu'un foyerd'organisation sociale... Un service de

guet fonctionne nuit et jour. Untélégraphe marin dans le style des

sémaphores côtiers est installé sur lefortin pour communiquer avec le

poste de la plage ainsi qu'avec lesbâtiments mouillés à proximité. On

entreprend la construction d'unwharf... !!

la factorerie Régis à Ouidah, J.F. Régis, Revue municipale de Marseille (3 è série, n° 76, 1er trimestre, p. 52-54, 1969).

107

1

Page 110: Le comptoir de Ouidah : une ville africaine singulière

LE COMPTOIR FON

UNE SOCIETE AFRO-BRESILIENNE

On appelle afro-brésilien des catégories depopulations d'origines différentes:

le terme désigne d'abord la population noiredéportée au Brésil et revenue en Afrique àpartir du début du Xlxe siècle Celle-ci estissue de différentes régions du continent(mondes yorouba, haoussa, adja) auxcultures différentes' de nombreux Yoroubaset Haoussas sont déjà islamisés lorsqu'ils

quittent l'Afrique et conserveront souventleur religion au Brésil. Leur durée de séjouren Amérique est également très variable.

Certains reviennent en Afrique après unséjour forcé qui se compte en années;d'autres, à leur retour, ne connaissent pasleur pays d'origine: ce sont leurs parents

ou leurs grands-parents qui ont été déplacés.Par ailleurs, le statut des esclaves

africains au Brésil peut évoluer avec le tempsLes nouveaux arrivants sont souvent soumisaux tâches les plus dures (les plantations etles mines) tandis que les autres peuventparfois pratiquer des activités moins pénibleset vivre à proximité des familles des maîtresen faisant partie de la domesticité immédiateou en devenant artisans. Certains esclavespeuvent également être affranchis et

développer alors des activités propres,en s'installant par exemple commecommerçants en ville D'autres encore sontJournaliers pour le compte d'un maître etdoivent ramener chaque jOur une certaine

somme d'argent, libre à eux de gagner pluset d'économiser pour se racheter.

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1

Enfin, le retour des anciens esclavesen Afrique ne se passe pas toujours selonle même scénario Certains y retournentvolontairement, d'autres y sont expédiéscontre leur volonté par le gouvernement du

Brésil, notamment à la suite de leurs violentesrévoltes en 1835 à Bahia (Verger, 1968)

Page 111: Le comptoir de Ouidah : une ville africaine singulière

La diversité des statuts induit des

niveaux différents de «brésilianisation ou de

Bahianisation» comme le souligne l'écrivain

brésilien Gilberto Freyre Leur «intégration»

dans la société brésilienne se remarque

notamment au niveau religieux. Si ces

peuples apportent les cultes vodouns à Bahia,

et même pour certains l'islam, dans le même

temps, certains investissent la religion

catholique et diffuseront ce culte à leur retour

en Afrique.

Tous ces hommes, en arrivant en

Afrique, ont un statut particulier et la plupart

d'entre eux ne retournent pas dans leurs

villages «ancestraux», que souvent ils

ignorent. Ils préfèrent s'installer dans les

comptoirs dont l'économie leur rappelle plus

le monde où Ils ont vécu de longues années

Ils y rencontrent ceux qui les ont précédés

dans le retour mais également d'autres

«étrangers» qui leur sont culturellement

souvent plus proches que les «autochtones»

Il s'agit des commerçants et des navigateurs

brésiliens et portugais qui ont cherché à faire

fortune en Afrique dans le négoce des

esclaves de manière indépendante ou en

représentant les intérêts des maisons de

commerce de Bahia ou de la compagnie

portugaise de traite. Ils sont également

qualifiés d'Afro-Brésiliens et sont installés

parfois depuis plusieurs générations dans les

comptoirs où ils ont formé une micro société.Ce type d'acteur économique est

d'ailleurs présent sur toute la côte ouest de

l'Afrique, de Saint-Louis du Sénégal à l'Angola.

Quelle que soit leur nationalité d'origine, ces

négociants se sont unis «à la mode du pays»

avec des Africaines. Leurs descendants,

qualifiés selon les lieux de mulâtres, métis ou

créoles, deviennent des agents économiques

très dynamiques du fait de leur connaissancede deux mondes culturels.

Les éléments qui réunissent tous ces

hommes sur la Côte des Esclaves sont l'usage

du portugais et l'exercice de certaines activités.

La majorité des Afro-Brésiliens qui reviennent

n'était pas assignée au Brésil aux tâches les

plus dures et vivait dans les villes. Ils

recherchent en Afrique des sites où ils

peuvent exercer leurs savoir-faire et se fixent

dans les comptoirs où existe une certaine

demande et où les échanges sont

monétarisés. Ils y introduisent de nouvelles

activités, telles que les métiers de charpentier,

peintre, maçon, boulanger, pâtissier, tailleur,

coiffeur. Dans le même temps, d'autres font

du commerce, en devenant parfois

intermédiaires à leur tour dans le négoce des

esclaves, d'autres enfin se consacrent à

l'agriculture dans les périphéries des villes.

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1

Page 112: Le comptoir de Ouidah : une ville africaine singulière

LE QUARTIER AFRO-BRESILIEN

Les populations lusophones se regroupentau sud-est de la ville, dans un nouveau

quartier dénommé «Brésil». Ce site estconsidéré par les voyageurs européens commele quartier «civilisé». Les maisons y sontconstruites selon de nouvelles techniques:Les murs des habitations principales sont faitsen briques cuites; un four est construit à ceteffet et permet de cuire la terre argileuse. Afind'assembler les briques, un ciment est fabriquéà partir d'une technique très ancienne maispeu employée sur cette côte, consistant àécraser puis à cuire les coquillages ramassésau bord de la mer. Ce mode de construction,plus solide que l'habituel adobe, permet debâtir de plus grands volumes et même d'élever

une maison brésilienne à proximité de Bahiaune maison afro-brésilienne de Ouidah

un étage. Les murs en briques peuventdésormais porter des poutres (généralementen rônier, une espèce de palmier au boisrésistant) capables de supporter un plancher.

A des morphologies nouvelles, s'ajouteun souci décoratif. Les ouvertures sur lesfaçades principales sont bordées de bandeauxen stuc peints de couleurs vives. Certains toitssont couverts de tuiles importées du Brésil.Les Afro-Brésiliens s'inspirent des demeuresde leurs anciens maîtres, les fazendas, etoccupent des terrains suffisamment vastespour accueillir plusieurs constructions et unjardin. Ces hommes font également venird'Amérique ou d'Europe des meubles, destapis et de la vaisselle.

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Page 113: Le comptoir de Ouidah : une ville africaine singulière

LE COMPTOIR FON

Afin d'accroître leur activité, ilsn'hésitent pas à leur tour à envoyer leursemployés se former au Brésil, pour suppléerau manque de main-d'oeuvre (ce principe sertégalement de subterfuge pour pratiquer latraite). Les relations qu'entretient cettecommunauté avec l'Amérique sontnombreuses. Elles reposent d'abord surl'exportation depuis l'Afrique de différentesmarchandises (y compris des esclaves) et surl'importation depuis le Brésil de produitsmanufacturés. Certains capitaines de navire,lorsqu'ils ne naviguent pas entre les deuxcontinents, résident tantôt à Bahia, tantôtdans un comptoir de la côte africaine.

Les Afro-Brésiliens deviennent sur lacôte les premiers supports de propagationdu catholicisme. Certains se mobilisent pourconstruire dans les comptoirs de petiteschapelles où des messes sont célébrées, augrand plaisir des prêtres européens qui visitentces places au XIXe siècle et qui y trouvent«des îlots de civilité» (les abbés Bouche etLafitte notamment). A Ouidah, une école estouverte en 1862 par des missionnaires dansl'enceinte du fort portugais grâce à l'appuides Afro-Brésiliens. Leurs enfants sont lesseuls à la fréquenter, le roi du Dahomeyinterdisant à ses sujets de s'y rendre.

Les missionnaires soulignent l'entrainet l'enthousiasme des Afro-Brésiliens àorganiser les fêtes chrétiennes: la Saint-Jean,Noël, l'Immaculée Conception et le «Seniorde Bomfin», la plus fastueuse, qui donne lieuà un grand rassemblement au bord de la meroù sont dégustés des plats brésiliens.A Ouidah ainsi qu'à Porto-Novo, cettecommunauté introduit une autre festivité,le «burian» (du portugais borilho qui signifievacarme), sorte de carnaval qui a lieu àJ'occasion des mariages, des baptêmes, desdécès, et des fêtes de Noël et de Pâques.

La fête brésilienne du burian :(tElle est l'occasion de danses

de gigantesques marionnettes quiévoluent au rythme d'un orchestre

composé de cuivres et depercussions. La divinité Mami Wata,est la reine de la fête et elle évolueavec Papayé, son mari qui porte un

masque d'éléphant. D'autresmasques représentant des animaux

(cheval, canard, etc.) sont de la partie.Plusieurs groupes burian se côtoient

encore aujourd'hui à Ouidah; ceuxdes De Souza et des Nevis sont les

plus importants et conservent lesmasques et les instruments de

musique. Le groupe De Souza célèbreson burian le 4 octobre, jour de la fête

de sa collectivité, en mémoire del'anniversaire du Chacha, Francisco

De SouzallTall/Légonou-Fanou, (1991).

le domaine de Chacha en 1991 (élévation ouest de l'ilot)

Page 114: Le comptoir de Ouidah : une ville africaine singulière

Outre les habitations «mieux tenues»,le quartier se distingue par une esquissed'ordonnancement spatial engagé par leChacha de Souza qui fait tracer quelques ruesrectilignes le long desquelles commencent à

s'aligner les clôtures des domaines familiaux.Tous ces éléments physiques, ainsi que lesactivités nouvelles, confèrent au quartier uneallure plus européenne Globalement, ilstransforment Ouidah, un simple comptoird'échanges, en un lieu plus proche de l'idéeque les Européens ont de la ville.

Au début du XIXe siècle, l'AnglaisDuncan décrit ainsi le quartier: «la partieportugaise de Ouidah dépassait dans toutel'acception du terme, et la partie anglaise etla partie française. Ceci pouvait être attribué à

la supériorité de leurs connaissances enagriculture, en économie domestique etconfort .. Leurs maisons sont propres etconfortables et sont situées aux points lesplus beaux que l'imagination peut peindreIl est très agréable de trouver de façoninattendue une maison où vous êtes reçu à lamanière européenne, et prié d'accepter unrafraÎchissement» (cité par Verger, 1968)

Progressivement, l'usage de la langueportugaise, les habitudes culinaires etvestimentaires des Afro-Brésiliens, les formesarchitecturales nouvelles deviennent unmodèle de développement. Tous ceséléments fonctionnent comme facteurs de

distinctionsociale, peuà peu, unepartie de lapopulationlocale lesadoptera,comme entémoigneencoreaujourd'hui legrandnombre dedemeuresdécorées à lamanière afro­brésilienne

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éléments architecturaux et décoratifs propres aux constructions afro-brésiliennes

Page 115: Le comptoir de Ouidah : une ville africaine singulière

LE COMPTOIR FON

LE CHACHA DE SOUZA

La notoriété de la communauté à Ouidahest symbolisée dans un personnage,

Francisco de Souza, dit le "Chacha», quiacquiert une dimension quasi mythique et quis'intègre dans le système de culte, tel unancêtre divinisé auquel sont associés certainsvodouns (les Dan). Ce personnage arécemment inspiré l'écrivain anglais BruceChatwin dans le roman "le vice-roi deOuidah», et le cinéaste allemand WernerHerzog qui reprend des éléments de ce livredans le film "Cobra Verde».

L'itinéraire de Francisco de Souza,métis brésilien (mi-portugais, mi-indien) sur lacôte africaine est riche en rebondissements.Obligé de quitter le Brésil à la suite decertains délits, il arrive vers 1788 à Ouidah entant que commandant du fort portugais,

mais il démissionne quelques années plustard et se rend dans un autre comptoir plus àl'est, Badagry, où il vend des esclaves. Vers1800, il se fixe à Anecho où il continue soncommerce. Il développe également le négocedepuis Ouidah avec le roi du Dahomey, mais àla suite d'un différend, le roi l'emprisonne etFrancisco ne doit son salut qu'à l'appui d'unprince qui le fait évader. Réfugié à Anecho, ilaide ce prince à prendre le pouvoir en luifournissant des armes.

Lorsque celui-ci parvient à ses fins, en1818, Francisco de Souza vient résider àOuidah et le nouveau roi, Guézo (qui régneraquarante ans), en fait son représentant auprèsdes Européens. Son statut est semblable àcelui du Yovogan, mais son titre est celui deChacha (dont personne n'a pu vraiment définirl'origine). Parallèlement, il poursuit ses activitéscommerciales depuis les autres comptoirs oùil installe ses enfants dont certains sontenvoyés au Brésil pour se former.

Le roi Guézo, conscient du déclin de latraite, encourage également la plantation decocotiers, de palmiers et la culture de produitsde subsistance (maïs, manioc, gombo... ).

portrait de Francisco Felix de Souzain Verger, 1968

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1

Page 116: Le comptoir de Ouidah : une ville africaine singulière

Le Chacha, soutenu par le souverain et aidépar les Afro-Brésiliens participe activement àla transformation économique et sociale ducomptoir: tout en organisant le négoce desesclaves vers l'Amérique, il développe laplantation des palmiers à huile sur les terresdu roi. Au plus fort de sa fortune, il possèdeplus de cent navires qui assurent les liaisonsentre cette côte et l'Amérique (Verger, 1968)

le lit de Chacha conservé dans le domaine familial

la tombe du premier Chacha ; à l'extérieur, le cimetière de la collectivité

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1

LE COMPTOIR FON

Le Chacha est à l'origine du dévelop­pement urbain au Xlxe siècle. Le roi lui octroieà la limite ouest de Ouidah un grand domaineoù il fait bâtir une des premières maisons àétage, «Singbomè», qui donne encore sonnom à l'enclos familial couvrant aujourd'huiun vaste îlot A l'Intérieur du domaine, organiséà la manière d'une concession, habitent sesfemmes, ses descendants et sa domesticiténombreuse (au moins plusieurs centaines depersonnes) Les esclaves destinés à la ventesont enfermés non loin, dans des «barracons»Parallèlement, il encourage l'installation desAfro-Brésiliens tout autour de sa résidence enleur cédant des terres.

Négociant tout autant que gouverneur, etdonc artisan à deux titres du développementde la ville, il en profite pour lui donner uneallure plus «moderne», en faisant tracer desrues et en employant une partie de sesnombreux esclaves (on parle de plusieursmilliers) à des travaux «publics» : nettoyagedes rues, dragage de la lagune afin depermettre aux pirogues de rejoindre Cotonou.

Le Chacha est aussi à l'origine d'autresquartiers, Zoma·l, AdJido, Abata et Maro. Cedernier, le «quartier des étrangers, »auraitégalement accueilli des esclaves affranchisyorouba et haoussa Il est d'ailleursaujourd'hui difficile de distinguer clairementles descendants des «grandes familles» etceux issus de familles d'esclaves: lesesclaves «de case» étaient progressivementintégrés à une collectivité et adhéraient à sescultes. Certains descendants de Chachademeurèrent dans le domaine familial tandisque d'autres s'implantèrent dans les quartiersqu'il fonda. L'un deux s'installa à Zomal dontle nom, qui signifie «où le feu ne va pas»,témoigne d'une préoccupation particulière

Page 117: Le comptoir de Ouidah : une ville africaine singulière

L'incendie prend une valeur nouvelleavec les investissements immobiliers desAfro-Brésiliens. Très fréquents dans lesétablissements humains en raison desmatériaux employés pour les toitures et del'installation des feux de cuisson à l'intérieurdes habitations, ils sont considéréstraditionnellement comme une fatalité, voireun châtiment. Les habitants, ne sachantcomment lutter contre le fléau, s'enremettent aux divinités pour les protéger.Après avoir consulté les vodouns appropriés,ils reconstruisent leurs maisons, ce qui dansl'économie locale ne nécessite pas uninvestissement important: les matériaux(terre, bois et paille) sont trouvés sur place etles esclaves fournissent une main-d'oeuvreabondante et gratuite.

La densification des constructions dansles comptoirs (cf. plan de l'abbé Bullet)accroît les dangers. En 1864, un incendieravage les deux tiers de la ville y compris lefort qui accueille alors la maison Régis. Deplus, les Afro-Brésiliens (comme lesEuropéens). en investissant sur le bâti etdans l'ameublement. accordent plus devaleur à l'habitation et refusent la fatalité del'incendie. Le tracé des premières voies decommunication dans le tissu urbain s'inscritdans cette logique.

D'autres Afro-Brésiliens eurent leurheure de prospérité à Ouidah, par exemple,Pedro Félix d'Almeida, qui se livra aucommerce d'huile de palme ou Sabino Viera,un des anciens esclaves de Chacha, originairedu Nigeria. La richesse et la puissance duChacha disparaissent avec sa mort en 1849.Ses biens sont partagés entre le roi Guézo etsa nombreuse descendance (il reconnut unecinquantaine de fils).

L'incendie de la ville en 1864 :(rie commencement de l'année fut

marqué par une terrible catastrophe,qui détruisit les deux tiers de notre

ville. Le vent du nord soufflait depuishuit jours. En traversant le désert, ce

vent acquiert une chaleur quidessèche bien vite toute végétation;

et les toits, recouverts d'herbessèches, présentent une matière

inflammable que la moindre étincellesuffit à embraser... en moins de

quarante minutes, la ville était enflamme, et l'incendie devint si

intense, qu'il gagna les campagnes, etne s'arrêta qu'aux premières nappesd'eau qui lui barrèrent le passage. La

factorerie française offrit un spectacleindescriptible: de vastes bâtiments,

de grands chantiers, des centaines detonneaux d'huile de palme et d'eau­

de-vie, des marchandises de touteespèce formaient un foyer dont laflamme s'élevait vers le ciel à une

immense hauteur»P. Borghéro, cité par A. Bouche in la côte des Esclaves (1885).

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1

Page 118: Le comptoir de Ouidah : une ville africaine singulière

....

~13 ~ q

le domaine de Chacha occupe un vaste îlot du quartier Brésil,il abrite le cimetière privé et les bâtiments réservés aux cérémonies familiales (hachurés)

Politiquement, le successeur du roi Guézo nes'appuie plus aussi directement sur cettefamille; l'un de ses descendants, Chacha «Vn,commettra d'ailleurs l'erreur de tenter defaite signer au roi Glélé un traité de protectoratentre le royaume et la puissance portugaiseen lui dissimulant certaines clauses. Lorsquele roi s'aperçut de cette supercherie, il ne dutson salut qu'à la fuite.

Si la fortune des Chacha se dissout aupoint de n'être plus identifiable quelquesdizaines d'années après sa mort, en dehorsdes propriétés foncières (qui n'ont pas en villeune valeur monétaire importante). lacommunauté afro-brésilienne acquiert uneplace essentielle dans l'économie locale. Ellene constitue cependant pas un groupe trèsnombreux. Le Résident français recense en1884 une centaine de personnes à Porto-Novo(il s'agit sans doute des chefs de famille) ;on peut penser qu'il y en a à peu près lemême nombre à Ouidah à cette époque.

A Lagos, l'administration anglaisel'estime en 1871 à 1237 personnes, chiffrequi ira en s'accroissant du fait del'encouragement des autorités britanniques.Celles-ci, conscientes de l'innovationqu'apporte ce groupe, feront de Lagos leurprincipal pôle de regroupement sur la côte ets'appuieront sur cette communauté pourdévelopper des activités nouvelles.

plan du cimetière de la collectivité de Chacha récemment restauré grâce aux dons des descendants, y compris ceux qui habitentaujourd'hui au Brésil

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1

y

Page 119: Le comptoir de Ouidah : une ville africaine singulière

plans d'une villa «afro-brésilienne» : les pièces communiquent entre elles,contrairement aux concessions où chaque pièce ouvre directement sur l'extérieur

1

Le Chacha ((bâtit une vaste etcommode maison pour sa résidence

principale dans un site pittoresque,près d'un ancien fort portugais enruines. Tous les conforts de la vie,

tout ce que le luxe peut imaginer pourla gratification des sens abondaient

dans son établissement. La Havane,Londres et Paris étaient égalementmis à contribution par lui. Les vins,

les mets les plus exquis chargeaientsa table. Sa garde-robe aurait fait

honneur à plus d'un prince; les plusbelles femmes de la côte ne

résistaient pas à l'appât de son or. Ontrouvait chez lui plusieurs billards, des

tables de jeux ouvertes auxnavigateurs sur la côte qui

éprouvaient le besoin de distractions.En un mot, le trafiquant mulâtre vivait

en sybarite et en sardanapale, aumilieu des pompes de Satan, assez

bien représenté par le roi duDahomey)}

Capitaine Théodore Canot cité par Verger page 462.

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La présence d'Afro-Brésiliens dans lescomptoirs n'est pas sans poser de problèmevis-à-vis des populations locales qui regardentd'abord de haut ces esclaves ou ces descen­dants d'esclaves. Tout en les plaçant au basde l'échelle sociale, ils remarquent égalementleur mode de vie puis leur richesse. Le rôlepolitique et économique que joue le premierChacha suscite bien des jalousies.

De leur côté, les Afro-Brésiliens auxrevenus bien supérieurs aux autres habitants,se considèrent comme les éléments civilisésde la région. Ils forment une classe à part, semarient entre eux.

Méprisant fortement les autochtones qu'ilsqualifient de sauvages, ils n'ont de cessed'affirmer leur différence. L'adhésion au cultecatholique fonctionne de ce point de vuecomme le vodoun ; il est un vecteur d'identité.Leur concentration dans un quartier témoigneégalement du même souci. A Lagos, d'oùpartent fréquemment des navires versl'Amérique, les Afro-Brésiliens, qui résidentdans un quartier également appelé Brésil,font venir en 1880 une compagnie dramatiqueen l'honneur de la naissance de l'empereurdu Brésil. Certains d'entre eux possèdent deschevaux de courses (Verger, 1968).

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Page 120: Le comptoir de Ouidah : une ville africaine singulière

LE COMPTOIR FON

Sans atteindre ces extrêmes, les Afro­Brésiliens de Ouidah et de Porto-Novoforment également une société a part,qui s'identifie généralement aux modèlesoccidentaux sans renier certains traitsculturels comme les cultes vodouns.La puissance du roi Guézo et de son royaumes'appuie paradoxalement sur un groupeéconomique nouveau au détriment del'aristocratie traditionnelle, groupe quifavorisera un peu plus tard l'installation desOccidentaux. Mais tel n'est pas le moindredes paradoxes d'un royaume qui combattrade toutes ses forces l'entreprise colonialemais qui tire sa richesse de la vente de sesesclaves aux puissances occidentales.

Un peu plus tard, les Afro-Brésiliens,par leur dynamisme et leurs fonctionsacquéreront un statut intermédiaire dansla société coloniale. Leur position vis-à-visdes Européens n'est pas non plus sansposer des problèmes. A lafin du XIXe siècle, ce sontles premiers acteurs éco-nomiques des comptoirs:ils contrôlent la majoritédes activités commerciales,la totalité de ,'artisanat etpossèdent des plantationsd'exportation et de culturesvivrières. Les premièresmaisons de commerceeuropéennes rivalisenttrès difficilement avec cesconcurrents qui maîtrisenttous les circuits d'approvi­sionnement. Mais dans lemême temps, les Occiden­taux n'ignorent pas qu'ilspeuvent compter sur cettecommunauté dont lesmoeurs leur sont proches.L'entreprise coloniales'appuiera d'abord sur cegroupe, mais dès que lesFrançais auront éliminé leroyaume du Dahomey, lanouvelle administrationn'aura de cesse de réduireson pouvoir économique.

((De Souza vit dans une demeure bienconstruite par ses soins. "s'en estréservé une partie pour son usage

personnel .. une autre partie estouverte aux capitaines des navires

négriers qui mangent et dorment là,le reste est réservé pour la traite ..Près de la résidence de Souza sontles barracons ou dépôts d'esclaves,

qui sont de grands espacesdécouverts entourés de murs, ou de

fortes palissades, à l'intérieurdesquels sont les abris pour les

Nègres en cas de mauvais temps,pendant l'extrême chaleur du jour, ou

pendant la nuit ..Le repas témoigne de la richesse de

Sauza, le service est de belleporcelaine de Chine, avec des verres

admirablement taillés, des platsd'argent, cuillères et fourchettes

en or même;tout ce que les manufactures

anglaises produisent décore la tableet prouve la nature rémunératrice de

la traite des esclaves))Commandant Huntley en 1830 cité par Verger, pages 463-64.

le porche ouvragé d'une habitation afro-brésilienne

118

1

Page 121: Le comptoir de Ouidah : une ville africaine singulière

L A P E R MAN E NeE D U RELIGIEUX

ftOUN NON llNDj[DOMN

représentationsreligieuses surles murs d'habi­tations; à droite,la panthère des

Fons

La société fon, comme la sociétéhouédah, est fortement

structurée par le système decroyance reposant sur le culte desvodouns. Celui-ci se manifeste,comme dans les grands royaumes,par la divinisation de la lignée royaleet de certains rois (le pouvoir royalappartient au Dahomey à un mêmelignage, les souverains étant choisischez les descendants mâles du roiou chez ses frères). Le souverain està la fois le père de tous les hommeset un dieu invincible et vindicatif, àl'image de la panthère Agassou,dont il est la réincarnation.

Le roi manifeste son autorité dans les paysconquis en instaurant le culte de nouvellesdivinités ou en insérant dans les cultesexistants des rituels rappelant saprédominance. En revanche, il ne semble pasque certains cultes aient été interdits. Celuiréservé au python, propre au peuplehouédah, perdure. Le "génie du paganisme»(Augé, 1982), repose sur la production denouvelles idoles en fonction des événementset non pas sur la substitution d'un nouveaudieu à un ancien (système propre aumonothéisme) .

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Page 122: Le comptoir de Ouidah : une ville africaine singulière

LE COMPTOIR FON

Le caractère divin du roi se manifeste dedifférentes façons, qui ont sans doute

évolué avec le temps: les analyseshistoriques des cultes concernent en prioritél'époque des «grands rois», Guézo et Gléléau XIXe siècle. La personne du roi fait l'objetde multiples marquages qui le différencientde tout un chacun: tatouages du corps,attitudes et déplacements définis selon uneétiquette rigoureuse; le souverain ne peut sedéplacer en certains lieux, par exemple aubord de la mer, et ses contacts avec les«humains» sont limités. Son statut particulierse manifeste également par le port decertains attributs mettant en valeur son corps(sceptre, colliers...). par son habillement (luiseul porte des vêtements rouges). par dessièges ouvragés (coutume reprise de latradition des rois Ashantis). La confection deces ornements mobilise de nombreuxartisans (de même que les parures desvodouns lors des cérémonies). Le génieartistique ne s'exprime quasi exclusivementqu'à l'intérieur de cet espace social.

Le culte de la dynastie royale estcomplété par une autre croyance qui marqueplus directement la toute puissance du roi:Les divinités «Tohossou», enfants monstresfruits d'une alliance entre un homme et unêtre inhumain, sont directement attachéesaux rois. L'adhésion au culte, d'abord réservéaux dignitaires royaux, implique le respectd'un certain nombre de règles pour bénéficierde la puissance du vodoun et bien entenduun respect total de la personne royale et deses décisions. En d'autres termes, l'adhésionau culte constitue un acte de soumissionpolitique.

Cette dimension n'est pas manifestedès l'apparition du culte, qui serait d'ailleursantérieur au royaume du Dahomey. Tohossou,déjà adoré par les habitants du plateau oùs'installèrent les Fons, aurait été dérobé parle roi Agadja qUI le convoitait (comme lepython) en raison de J'invincibilité qu'ilprocura à un chef guerrier (Hertzkovits, 1938).

"O~'", ••••••• 1 '.'

De nouveaux vodouns ?((Le roi Guézo avait depuis

longtemps voulu s'initier à notrereligion à laquelle il attribue notre

supériorité sur les noirs; comprenantdifficilement l'idée abstraite que nous

nous faisons de l'être suprême, ilpouvait encore moins la rendre

saisissable à son entourage et, àforces d'instances, il avait obtenu de

la factorerie française qu'on luienvoyât à Abomey un certain nombre

de statues représentant Dieu etquelques saints, et, comme celles qui

ornent nos églises, destinées à fixerles idées des néophytes de son

royaume...Au nombre des cadeaux que la

factorerie destinait à Guézo, il y avaitsept statues de grandeur naturelle:

une majestueuse figure de Dieu,Saint-Paul, Saint-Laurent, Saint­

Etienne, Saint-Roch, Saint-Vincent-de­Paul et Saint-Bernard, auxquelles le roi

avait ordonné de rendre les plusgrands honneurs»

ln revue coloniale, cité par Cornevin, Histoire du Dahomey, page 282.

ROY A LCUL T EL E

plan du temple Ninssouhoué {CH chambre, FE fétiche, SA salon, TE temple, TOM tombel

120

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marques caractéristiques des murs des temples Ninssouhoué

Selon d'autres sources, c'est sonsuccesseur Tegbessou qui l'aurait installée,sous l'influence de sa mère. La diffusion duculte s'étale sur une longue période. Ilsemble que les rois Guézo et Glélé aient jouéun rôle important dans ce processus. Sousleur règne, chaque clan fon est affilié au cultequi acquiert une fonction identitaire et quiordonne les relations entre les différentescomposantes de la société

Contrairement à la majorité des autrescroyances, il se manifeste par la présence denombreux temples immédiatementidentifiables par leur forme: un bâtiment touten longueur, de forme rectangulaire et defaible hauteur, souvent bordé par descolonnades de section carrée. En outre, lesmurs sont presque toujours parsemés detâches rouges (couleur royale), à l'image del'ancêtre animal, la panthère. Lors descérémonies, les adeptes se peignent le corpsde tâches identiques.

La plupart des souverains se fontconstruire un temple Tohossou à proximité deleur palais: on en compte onze à Abomey,auxquels s'aloutent les petits temples privésdes dignitaires royaux.

L'entreprise de colonisation fon setraduit par l'installation à Ouidah et dans sarégion du culte royal qui se manifeste sousune appellation particulière: les divinitésprennent le nom de Ninssouhoué,(Nensuxwe), tout en étant intégrées aupanthéon des vodouns Tohossou. (Cettedistinction n'est pas totalement éclaircie;selon S Agninikin, 1985, Tohossou etNinssouhoué constituent deux facettes dumême culte).

Comme à Abomey, la divinité,représentée par une série de petits pots enterre percés de trous, est toujours logée dansun bâtiment rectangulaire assez bas et touten longueur, également reconnaissable par lebadigeon de chaux blanche tachetée derouge qui recouvre les murs. A Ouidah, letemple est situé dans le quartier Fonsramé.Au bâtiment abritant la divinité, s'ajoute unevaste concession occupée par le prêtre etquelques adeptes. L'une des pièces accueilleles assins des ancêtres. D'autres templesNinssouhoué sont bâtis dans les domainesdes dignitaires royaux (on en dénombreaujourd'hui sept à OUidah).

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LE COMPTOIR FON

en haut: intérieur du temple Mahou Adimoulaau centre: un temple Ninssouhoué d'un dignitairen bas: tam-tams réservés aux cérémonies

Ces édifices, de moindre taille, et plutôtde forme circulaire, se limitent à un seulbâtiment abritant un autel; ils sont

identifiables par les tâches rouges quiparsèment les murs.

La pratique du culte, réservée auxlignages de dignitaires royaux, fait l'objet defestivités annuelles. Celles qui se déroulent à

Ouidah sont moins importantes que cellesd'Abomey, mais reprennent le même rituel.La procession réunit les différentescollectivités concernées qui, après avoirpréparé divers plats, partent du grandcouvent pour se rendre à un marigot. non loinde la route de Savi.

Les initiés portent des mets destinés àla divinité et les assins des anciens chefs descollectivités: culte des ancêtres et cultevodoun sont ici associés Ces assins, trèsdécorés, sont protégés sous des enveloppesde tissus et portés sur la tête des adeptesqui marchent en chantant les louanges duvodoun. Au bord de la mare, après avoirdégusté les mets en honneur des ancêtres,les adeptes puisent de l'eau qui seraultérieurement transvasée dans les Jarres setrouvant dans les chambres des morts. Cetteeau servira aux libations lorsdes veillées De retour par lemême chemin, ils rejoignentle temple où sont rangés lesassins.

Quelques jours après

ce rituel, les adeptes serendent au marché Zobè ety transportent les assins.Des libations et des divina­

tions y sont accomplies puis lecortège retourne au couvent.La cérémonie se poursuit parle sacrifices de moutons dansles différents temples(cf. Tall/Légonou-Fanou, 1991)

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LES CULTES POPULAIRES

Si les cultes royaux sont apportés par le

Dahomey, de nombreuses autres croyances

présentes à Ouidah résultent d'autres

migrations. La ville draine une population

venant d'horizons divers, du monde AdJa au

monde yorouba. Certains cultes ont une large

audience sur la côte et peuvent êtrepratiqués par tout un chacun; d'autres sont

plus privés. A partir de la recherche menéepar Mmes Légonou-Fanou et Tall, nous

présentons ici ceux qui sont encore

particulièrement vivants dans la cité.

Présent dans les sociétés adja et

yorouba, le culte de la divinité Héviosso a étéencouragé par les Fons, en particulier par le

roi Guézo, qui l'ont progressivement diffusé

dans tout le royaume et ont ainsi affirmé leur

domination (sa place et sa fonction ont été

notamment étudiées chez les Ouatchi, une

population côtière localisée aUJourd'hui à lafrontière du Togo, in Gilli, 1976)

Divinité céleste de la foudre et de la

pluie, qui symbolise à la fois le feu et l'eau,

elle présente comme tous les vodouns

plusieurs aspects: elle est à la fois un

bienfaiteur (la pluie alimente les cultures) et

un justicier implacable. La foudre qu'elle

envoie n'est jamais le fruit du hasard mais un

châtiment divin: la personne qui pérît à cette

occasion est considérée coupable des pires

méfaits et ne mérite même pas d'être

enterrée; sa dépouille appartient aux

adeptes: ((ils s'approprient le cadavre, letraÎnent dans la rue en le maltraitant et enl'injuriant, puis ils exigent des parents defortes sommes d'argent pour apaiser ladivinité. Seule une partie du corps du cadavre(ongles, cheveux et crâne) est restituée à lafamille pour les funérailles La place Sogbadji,littéralement l'emplacement de 50, la foudre,est le lieu où l'on procédait aux interrogationsde cadavres)) (Tall/Légonou-Fanou, 1991).

Cheveux et ongles ont une

valeur particulière dans les

cultes vodouns. Ils

constituent les symboles de

la croissance de la personne

et sont particulièrementprécieux. Le chef d'un culte

peut exiger que les adeptes

donnent au vodoun ces

éléments, signes de leur

soumission (les adeptes des

cultes ont généralement le

crâne rasé). Tout

manquement à la règle peutêtre ainsi puni par le chef du

culte qui conserve ces

éléments. De même, leur vol

ou leur confiscation permet

les pires manipulations.

vêtue de rouge, une prêtresse du temple Ninssouhoué ; lors des cérémonies, hommes et femmes se parent de leurs plus beaux vêtements

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Page 126: Le comptoir de Ouidah : une ville africaine singulière

ci-dessus: le temple de Dagbo Hounonci-dessous: une adepte du culte au crâne rasé et Dagbo Hounon, le «chef des féticheurs»

Le vodoun ne possède cependant pasde temple propre à Ouidah, contrairement àd'autres lieux mais il est souvent représentésur les façades des temples des autresdivinités La double hache stylisée,généralement de couleur rouge, couleurroyale, rappelle de manière discrète lasuprématie du Dahomey. Ses liens avec lesautres divinités sont nombreux et diffèrentselon les régions. Dans le royaume yoroubad'Oyo, Héviosso est associé au vodoun dufer et de la guerre, Ogoun. Dans le mondefon, il est placé dans une relation de cadetface à son aîné, le vodoun de la terre,Sakpata (Palau-Marti). Dans le même temps,il est associé à la divinité de l'arc-en-ciel, Dan,qui symbolise la prospérité: l'arc-en-cielapparaît souvent après l'orage où la foudrepeut se manifester. A Ouidah, il est présentdans d'autres cultes, notamment les culteslignagers, et dans celui d'Adantohou, levodoun de la mer.

Ce dieu cruel et implacable, à l'imagede la royauté, n'épargne pas les étrangers:Un prêtre catholique fut même jeté en prisonen 1863 car la foudre était tombée sur le fortportugais où il résidait. Finalement, il futcontraint, face à la vindicte populaire, depayer une forte amende.

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Page 127: Le comptoir de Ouidah : une ville africaine singulière

le temple de Mahou Adimoula,dans tous les temples, organisés comme des concessions, de nombreuses pièces servent aux retraites des adeptes

La divinité Mahou Adimoula corresponden fait à celle communément appeléeMahou-Lissa, que l'on retrouve égalementdans le monde yorouba sous une autreappellation. Située au sommet de lahiérarchie des vodoun, elle est à l'origine dumonde et se compose de deux éléments,Mahou, la lune, j'élément féminin et Lissa, lesoleil, l'élément masculin. Le couple créateuraurait été apporté dans le royaume duDahomey, selon certaines traditions, par lamère du roi Tegbessou ; le culte est déjàremarqué en 1660 par les capucins espagnolsdans le royaume d'Allada (Cornevin, 1962).

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A Ouidah, la divinité possède un templequi abrite le vodoun et le prêtre du culte; unepartie de la construction est réservée au culteproprement dit, l'autre permettant d'accueillirles adeptes. L'ensemble ressemble à unehabitation ordinaire; seules les fresquesmurales et la présence de recoins abritant lesautels signalent la dimension sacrée du site.Le domaine, qui n'est habituellement occupéque par le prêtre du culte et sa famille,se remplit à J'occasion de la cérémonieannuelle et plus encore à l'occasion d'unegrande cérémonie qui se déroule environ tousles sept ans. Bien qu'elle soit à l'originedu monde, la divinité possède un culterelativement discret.

Divinité de l'arc-en-ciel, symbolisée parun serpent qui se mord la queue, Dan est unserviteur du créateur Mahou-Lissa. Assurantle mouvement entre le ciel et la terre,il réside dans la mer. C'est lui qui porte lemonde «tel un serpent lové autour du globe)).

Symbole de richesse et de prospérité, il estprésent dans de nombreuses maisons.C. Merlo compte à Ouidah plus de centautels qui lui sont dédiés. Les plus connussont ceux possédés par le Chacha de Souza,qui symbolisent sa prospérité. En lesvénérant, ses proches et ses descendantsespéraient être associés à sa richesse.

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LE COMPTOIR FON

un autel dédié au vodoun «Gou»

.-if

Page 129: Le comptoir de Ouidah : une ville africaine singulière

considéré comme responsable des accidents de la route

Le culte le plus célèbre à Ouidah, peut­être en raison de la grande cérémonie qu'iloccasionne, est celui dédié à la divinitéincarnant la mer, Adantohou, initialementhonorée par les pêcheurs houélahs. Cevodoun génère plusieurs sous divinités(Hou, le père, Naété, la mère.), composantun panthéon et figurées chacune par différentsétats de la mer, calme ou déchaînée ..

Adantohou est placée sous l'autorité dela divinité fon Heviosso. Le chef de culte,Dagbo Hounon est également considérécomme le chef de l'ensemble des cultesvodouns à Ouidah Le vodoun de la merpossède le plus grand temple de la ville etle plus grand nombre d'initiés. L'édifice oùréside le prêtre, ne présente pas d'intérêtarchitectural (cf plan page 124)

Il s'organise comme de nombreuseshabitations autour de plusieurs cours; certainsbâtiments, réservés aux adeptes, forment le«couvent», occupé de manière temporaire.

La grande fête de célébration de ladivinité, dont les rituels s'étalent sur unequinzaine de Jours, ne semble pas s'êtredéroulée selon un rythme très régulier, mêmesi elle est très ancienne: plusieurs voyageursoccidentaux du XVIIe siècle la décrivent.Actuellement, elle a lieu tous les sept-huit ans.

Elle est caractérisée par une grandeprocession allant de Ouidah à la plage où initiéset non initiés se réunissent pour festoyer.Entouré des adeptes portant des jarres et lessymboles du culte, le prêtre se rend à la plagepuis monte seul sur une barque qui s'éloigneen pleine mer. La légende raconte qu'ilpénétrait autrefois dans la mer et s'y enfonçaità la rencontre du vodoun. Les adeptesdéposent dans des plats qui flottent lesoffrandes afin que la divinité se restaureA son retour, les festivités commencent.Il est fréquent que des femmes entrent dansdes transes interprétées comme desmanifestations du vodoun. Une fois les jarressacrées remplies d'eau de mer, le cortège semet en marche vers la ville tout en chantantet en dansant. Les femmes saisies detranses iront ensuite se retirer dans lecouvent afin d'être initiées.

Le pouvoir de la divinité Dan:(Source de richesses

merveilleuses, - ne dit-on pas que sesexcréments sont des perles et despierres précieuses -, cette divinité

protège également les orphelins etaide les femmes stériles. Son avatar

moderne est Mami Wata que l'onretrouve sur toute la côte du Golfe de

Guinée. Considéré comme un espritbienfaiteur, Oan dans son aspect

négatif est terrifiant .' il peutapparaÎtre sous les traits d'une

femme n'ayant qu'un seul sein aumilieu de la poitrine ou encore

comme un homme très grand recou­vert d'un drap blanc. Ces apparitions

sont considérées comme pouvantentraÎner la mort"

(Tall/Légonou-Fanou op. ciL)

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AUJourd'hui, tous les chefs de culte deOuidah se retrouvent dans cette fête, pouvantréunir plus d'un millier de personnes. Lanotoriété de la cérémonie, qui attire denombreux touristes, est liée à sa dimensionfestive mais également à la diffusion du culteau Brésil par les esclaves: une cérémoniesimilaire a lieu régulièrement sur une plagebordant la ville de Bahia.

La divinité Sakpata est également trèsprésente dans la ville. Elle incarne un autreélément naturel, la terre, et manifeste saforce par les maladies éruptives etcontagieuses. L'apparition d'épidémies devariole fut longtemps considérée comme lesigne d'une offense à Sakapta. D'origineyorouba, elle a été diffusée sur cette côte parl'ethnie mahi qui lui voue un culte trèsimportant Le roi Agadja la leur auraitsubtilisée lors d'une guerre pour décimer lestroupes ennemies A Ouidah, d'autresvodouns relèvent du panthéon Sakpata, maisaucun temple ne lui est consacré.

Il faut encore citer Gou (également écritOgou ou Ogoun), la divinité du fer et de tousceux qui manipulent ce métal, forgerons,cultivateurs, guerriers et aujourd'huimécaniciens et chauffeurs. D'origine yorouba.elle aide les hommes et les vodouns dansleur vie quotidienne. Comme la divinité dutonnerre, Gou a des manifestations trèsviolentes: autrefois les guerres et les crimescommis avec des armes blanches,aujourd'hui les accidents de la route et lesmeurtres perpétrés avec des armes à feu,sont les signes d'un châtiment divin ou de lasollicitation du vodoun par un ennemi.

Afin de connaître les coupables desmorts violentes, il est fréquent de l'invoqueret de lui offrir des présents. Honorée à

l'intérieur des habitations, et dans certainstemples, la divinité est représentée par unamas de pièces métalliques, aujourd'huisouvent composé de pièces usagées demoteurs automobiles ou d'autres objets enmétal (machine à coudre... ), installés le plussouvent dans les cours. A Ouidah aucuntemple ne lui est dédié.

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LES AUTRES CROYANCES

Aux cultes qui touchent une grande partde la population, s'ajoutent ceux réseNés

à un clan ou à un lignage L'enquête menée àOuidah identifie plusieurs dizaines de clansassociés à des ancêtres éponymes. Lesvodouns de chacun de ces clans sont pour laplupart rattachés au panthéon de la divinitéHéviosso.

le temple du «Legba» dédié au roi Agadja, situé au nord de la ville

Page 131: Le comptoir de Ouidah : une ville africaine singulière

D'autres cultes ont une dimension plusdomestique et plus personnelle, à la manièredes dieux lares de l'Antiquité. Ils nenécessitent pas d'intermédiaires humains

pour bénéficier de la protection de la divinitéet protègent les familles et leur maisonnée.Celui dédié à "Houéli» qui signifielittéralement "asseoir la maison», est présentdans toutes les habitations, excepté cellesdes Yoroubas. Il rend serein l'espacedomestique en chassant les mauvais espritsqui voudraient s'y introduire. L'autel auvodoun, généralement isolé des autres

autels, est situé dans une petite cour ou dansun renfoncement de mur.

Les Jumeaux sont également perçuscomme des divinités protectrices et fontl'objet de rites particuliers. Dans leshabitations et aux abords des temples, lesautels ont la forme de petites poteriesretournées. En outre, les personnes envoyage peuvent emporter un petit autelportatif ressemblant à une maison de poupées.

Enfin, certaines divinités ont un statut

original. Plus proches des humains, elles nepossèdent pas le pouvoir et la cruautéattribués aux précédents vodouns.Le Fa est à la fois une divinité personnelle etun art divinatoire qui permet de communiqueravec les divinités et de connaître son destin.La plupart des familles possèdent un "Fa»,dont la matérialisation est un petit autel,présent dans l'habitation Le culte, d'origine

yorouba, aurait été apporté à Ouidah au coursdu Xlxe par un prince vendu à un marchandd'esclaves.

Le culte dédié à Legba, l'enfant terribledu couple créateur Mahou-Lissa, est trèspopulaire. A la fois bon et mauvais, Legba estle plus humain de tous les vodouns.Généralement présenté par un phallus ou

sous une forme humaine grossièrementtaillée, il est présent à la campagne(aux carrefours de routes) comme en ville:le Legba du marché Zobé, Ayizan, en est le

gardien; la légende raconte que son autel estbâti sur le corps d'un homme sacrifié.

Protecteur des lieux et des gens qui lesfréquentent, on le retrouve à l'entrée de laplupart des maisons familiales. Doté d'un statut

de messager et de médiateur, il est présentdans les temples (souvent à l'entrée) et se

manifeste sous la forme d'un autel. En outre,les adeptes rappellent son existence lors descérémonies vodouns : ({coiffés de chapeauxet vêtus de jupes de paille, couverts denombreux colliers de perles et de cauris .. ilsbrandissent au cours de la cérémonie, cachésous leur jupe, un volumineux phallus debois, ce qui ne manque pas de faire hurler derire l'assemblée» (Tall/Légonou-Fanou, 1991)

Enfin, certains souverains se l'appro­

prient et l'utilisent pour marquer le territoire.Le roi Agadja dispose des Legba le long de laroute reliant Abomey à la mer et encadre aunord et au sud l'établissement de Ouidah de

deux autels qui rappellent sa conquête. L'unest localisé dans le village de Zoungbodji ;l'autre est aUJourd'hui situé dans la périphérienord de Ouidah, au carrefour de deux routes,non loin du temple Ninssouhoué, où ont lieu

les cérémonies dédiées à "Agadja Legba».

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LES FONCTIONS DES CULTES

La vie cultuelle à Ouidah se structure aucours de l'histoire autour de quelques

grandes divinités. Celle du python est propreaux Houédahs. Ninssouhoué et Héviosso(et dans une moindre mesure Agadja Legba)marquent de différentes façons laprédominance du Dahomey dans la cité.Les «Dan» symbolisent l'accès à la richessematérielle qu'incarne le Chacha De Souza.En d'autres termes, ces cultes mettent enscène une étape de l'histoire sociale.

Aux grands cultes, aux rituels parfoisspectaculaires, il faut ajouter ceux dont lesrites sont plus discrets, en particulier Sakpataet Gou, qui rappellent la place prépondérantede la civilisation yorouba, et de sesroyaumes. Leur force à Ouidah (on peutégalement citer le culte des Revenants). rendcompte du peuplement de la ville:de nombreux esclaves y ont fait souche.Même s'ils ont été assimilés aux familles deleurs maîtres, et sont qualifiés de fon, leurscroyances religieuses les renvoient à leursorigines. En outre, depuis le début duXlxe siècle, des Yorubas ont émigré de pleingré dans la cité.

Les cultes familiaux permettentégalement d'identifier les appartenancessocioculturelles des groupes résidants. Quantaux cultes domestiques, ils n'ont pas unefonction identitaire aussi lisible maisrappellent, au niveau quotidien,l'omniprésence du sacré.

La multitude de cultes, qui sedéveloppent à différents niveauxsociologiques, souligne la force d'une penséereligieuse qui préside à la plupart desactivités humaines, et qui, dans le mêmetemps, permet de distinguer les groupessociaux. Ce système de distinction estaccompagné de manifestations qui scellentl'union de toutes ces communautés.La grande cérémonie dédiée à la mer,d'origine sans doute Houélah, reprise par lesHouédahs puis contrôlée par les Fons, et quiréunit aujourd'hui tous les chefs de culte,

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indique la raison d'être de la cité et de seshabitants, l'échange avec les sociétésd'Europe et d'Amérique. Dans le mêmetemps, elle rappelle le brassage social àl'intérieur de la ville. En ce sens, Ouidahaffirme sa différence avec les sociétés ruralesvoisines, généralement peu ouvertes surl'extérieur.

Ce système de croyance établitégalement une représentation originale del'espace. La maisonnée accueille les assinsdes ancêtres et les autels des vodounslignagers et domestiques. Les assins sontgénéralement localisés dans une pièce tandisque les autels des vodouns peuplent plutôtles cours.

Les temples ne sont bâtis que pour lesgrands cultes qui exigent généralement desrituels d'initiation enseignés dans les piècesqualifiées de «couvents». Les constructions,à l'exception de celles de la divinité royaleNinssouhoué, ne sont pas repérables par leurarchitecture. Seul un drapeau blanc accrochéà un mât ou surmontant un toit signale laprésence d'un temple (pratique ancienneremarquée par de nombreux voyageurs). Lespeintures murales peuvent égalementrappeler la présence d'un espace religieux.

Il faut encore signaler les nombreuxautels propres à certains cultes, installés aubord des rues et des routes. Il est parfoisdifficile de les identifier tant leur volume etleur forme sont peu remarquables pour unoeil occidental: petites poteries posées dansun renfoncement de mur, monticule de terrede quelques dizaines de centimètres dehaut... Enfin, il convient d'ajouter dans cettegéographie sacrée les sites des cérémoniesqui relèvent plus directement del'environnement naturel: les mares où lesadeptes vont puiser l'eau pour lescérémonies, les bosquets où ont lieu certainsrituels, la mer... ).

La diversité et la dispersion desespaces sacrés font que tout l'environnementhumain est traversé par une penséereligieuse, qu'il est difficile encore aujourd'huid'autonomiser de la vie sociale. La fondationd'une habitation nécessite toujours d'obtenir

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la protection du génie du lieu et son accordpour qu'il cohabite avec les divinitésfamiliales; à cette fin, des rituels sontaccomplis. Les sites des lieux de cultes nesont cependant pas figés: les vodouns et lesreliques sacrées peuvent être transportés enfonction d'événements qui modifient lesrapports sociaux et économiques (guerres .. .).Mais ce déplacement ne peut se faire demanière inconséquente, au risque de perdrela protection de la divinité.

A de nombreuses reprises réinstallésdans de nouvelles constructions, voire denouveaux sites, les vodouns de Ouidahparticipent à l'élaboration d'unereprésentation du monde que plusieurssiècles d'histoire mouvementée n'ont puradicalement modifier. La matérialité des lieuxdes cultes est presque inversementproportionnelle à la puissance attribuée auxvodouns. Le système de culte repose sur lacroyance en cette société imaginaire, doublede la société humaine, composée de divinitésregroupées en familles et rappelant dans leurhiérarchisation l'ordre politique en place touten définissant une morale extrêmementsévère. Tout individu pour avoir une placedans la société est tenu de respecter l'ordreInstitué par les cultes et de subir ou desupporter l'inhumanité des divinités.

Des centaines d'esclaves, hommes etfemmes, seront régulièrement sacrifiés lorsdes cérémonies dédiées aux grands cultes(Héviosso, Ninssouhoué, Gou ... ) afin que lesvodouns, ainsi régénérés, assurent laprotection et la prospérité du roi et de sacour. La puissance du vodoun ne se donnepas à lire dans la magnificence des lieux deculte mais repose plutôt sur le nombre depersonnes dont la vie est offerte à la divinité.

L'apparition de nouvelles religions, enparticulier le catholicisme à la fin du XIXesiècle ne remet pas en cause ce système,même si les prêtres vodouns voient d'unmauvais oeil le traitement de faveur accordépar les colonisateurs à la nouvelle divinitéqu'incarne le Christ. L'adhésion des habitantsà ce culte, souvent perçu comme un moyend'ascension sociale dans l'économie

LE COMPTOIR FON

coloniale, ne les amène pas à abandonner lesanciennes croyances. Malgré ledéveloppement de religions monothéistes, lesystème vodoun est toujours présent etconserve les mêmes fonctions chez une partencore importante de la population, enparticulier à Ouidah, ville mémoire d'unsystème religieux et politique, au même titrequ'Abomey.

Ce dynamisme s'explique par lafonction sociale des cultes mais égalementpar leurs très grande adaptabilité à lamodernité. Si les sacrifices humains ontdisparu, le système d'interprétation et lesrituels intègrent régulièrement des élémentsdu monde d'aujourd'hui, comme entémoignent la place accordée aux accidentsde voitures dans le culte du vodoun Gou oubien le regroupement de toutes lescérémonies vodouns à une même époque,en dehors de la saison des cultures,demandé il y a quelques années dans unsouci de rationalité économique par legouvernement à tous les prêtres<,féticheurs». Dans ce contexte, il n'est pasétonnant de voir comment la matérialisationdes cultes (autel, construction ... ) fait appel àdes matériaux contemporains, parfois derécupération.

En outre, la valeur accordée à unedivinité implique la construction d'un espacecultuel digne d'elle, c'est-à-dire faisant l'objetd'un sacrifice, qui se traduit aujourd'huiprincipalement par des dépenses d'argent.L'usage de matériaux coûteux, donc importés(ciment, carrelage ...) atteste du respectaccordé à la divinité; à l'inverse, laconservation d'un temple en matériauxlocaux aUJourd'hui marque, comme pour leculte des ancêtres,la perte de notoriétévoire de puissancedu vodoun. Noussommes bien loindu système de valo­risation patrimonialedes lieux de cultedans les sociétésoccidentales !

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L'ENTREPRISE

Apartir du milieu du XIXe siècle, lesgrandes nations européennes, en

particulier la France et l'Angleterre,développent un projet de colonisation dumonde. EnAfrique, lesdeux paysse trouvent

D E COLONISATION

en concurrence Sur la Côte des Esclaves, lesAnglais sont les plus présents car ils sontdéjà impliqués dans la lutte contre la traiteclandestine. Ils envoient des missions auprèsdes souverains locaux, visant à obtenir soninterdiction et à développer des cultures deplantation.

Dès 1851, ils s'installent dans lecomptoir de Lagos, situé à une centaine dekilomètres à l'est de Ouidah. L'établissementet les terres environnantes serontprogressivement annexés par l'administrationanglaise qui en fera sa première zone decolonisation dans la région. Dans le mêmetemps, les Anglais entrent en contact avec leroi du Dahomey. Dès 1840, un consul estnommé à Ouidah. Il tente à plusieurs reprisesd'obtenir du souverain la cessation ducommerce d'esclaves.

La France, inquiète de cet activisme,engage aussi des négociations, d'abordmenées par le représentant de la maisonRégis installée à Ouidah. En 1851, uneconvention est établie avec le roi du

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Dahomey autorisant les Français àcommercer dans ce comptoir. Le souverainles préfère aux Anglais qui n'hésitent pas àuser des armes pour imposer leurs vues:leurs navires de guerre bloquent à plusieursreprises les ports et empêchent tout trafic.

Un accord avec les Français lui sembleun bon moyen de contrer leur pouvoir. Deplus, ils sont moins regardants en ce quiconcerne le commerce des esclaves etbénéficient sur place du soutien de tous ceuxencore impliqués dans ce négoce. Desnégociations sont engagées par la Franceavec d'autres autorités politiques. en particulierle souverain de Porto-Novo qui subit lesattaques des troupes du Dahomey. Un premiertraité de protectorat est établi en 1863.

Page 135: Le comptoir de Ouidah : une ville africaine singulière

l'Afrique de l'ouest coloniale au tout début du XXe siècle

EMETGNv

Un peu plus à l'ouest (actuel Togo), untroisième acteur, l'Allemagne, s'ajoute à laFrance et à l'Angleterre. Les maisons decommerce allemandes font pression sur leurgouvernement, initialement hostile à la miseen œuvre d'une politique coloniale, etobtiennent en 1884 le débarquement detroupes qui concluent avec les chefs côtiersun traité de protectorat

Les négociations des Européens avecle Dahomey sont plus difficiles: le royaumepossède une armée puissante et refuse touteallégeance. En 1864, un traité est signé entrela France et le roi concernant la cession d'unebande de terre en bordure de la plage duvillage de Cotonou, situé à une trentaine dekilomètres à l'est de Ouidah. En échanged'une redevance annuelle, les Françaispeuvent y installer un poste de commerce. Laconcurrence est vive entre les deuxpuissances coloniales; l'Angleterre tenterad'empêcher les Français d'occuper le site deCotonou et bloquera le trafic sur la lagune.

Ouidah ne fait pas l'objet d'un traitéparticulier entre les puissances en présence.Le roi du Dahomey tient à continuer à yexercer ses prérogatives. La ville, où sontimplantées les maisons de commerceeuropéennes, devient un enjeu de la rivalitéfranco-britannique. Les Anglais établissent àplusieurs reprises un blocus de la rade afinque cessent les activités illicites de traite

(Coquery-Vidrovitch,1962). Le commercesubit les conséquencesde ces opérations etplusieurs maisonsinstallent des succursalesdans les comptoirsvoisins, plus tranquillespolitiquement(Porto-Novo, Grand-Popo,Anécho.J

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Page 136: Le comptoir de Ouidah : une ville africaine singulière

En 1885, la Conférence de Berlin définitdes principes d'action pour la conquêtecoloniale de l'Afrique noire. Les militairesoccidentaux sont tenus de respecter lestraités déjà conclus entre des Européens etdes souverains africains. Cette règle changeles rapports de force sur le terrain :le Dahomey ne peut plus jouer des unscontre les autres pour conserver son pouvoir.La France, déjà présente dans la région, enprofite pour préparer un projet de colonisation.

Quatre ans plus tard, le roi Glélé meurt.Les premiers conflits entre son successeur,Béhanzin, et la France apparaissent à proposde Porto-Novo qui tire profit de la protectionde la puissance coloniale pour détourner unepart du commerce régional. Le négoce àOuidah en subit les conséquences et lesouverain, mécontent de l'autonomie de sonvassal et du jeu de la France dans cetteaffaire, remet en cause le traité concernantCotonou, où les échanges échappentégalement à son royaume.

Ouidah se retrouve au coeur du conflit:Les soldats français installés à Porto-Novoemprisonnent les représentants du roi àCotonou, lequel prend en otage, en mesurede rétorsion, toute la communauté européennede Ouidah (dix à vingt personnes). L'arméefrançaise menace alors de bombarder la villedepuis une canonnière et de l'occuper; tousles otages sont finalement libérés. Unenouvelle négociation permet de conclure unaccord qui stipule que le roi Béhanzin, d'unepart, reconnaît à la France le droit d'occuperCotonou en échange d'un loyer annuel, etd'autre part, s'engage à respecter leprotectorat de Porto-Novo (Cornevin, 1962).

Ces épisodes font apparaître au sein dela population de Ouidah deux camps quimodifient les clivages traditionnels. Destraitants brésiliens apportent leur aide au roiBéhanzin tandis que d'autres rejoignent lesOccidentaux, également soutenus par certainsdignitaires dahoméens ayant eu maille à partiravec le roi. Ils profitent de l'occasion pourprendre leur revanche et se tournent vers lesFrançais en leur fournissant des vivres.

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Cette situation crée une ambiance desuspicion; le Yovogan arrête et parfoisexécute les personnes soupçonnéesd'appuyer les Français. C. Agbo rapportequ'une rafle enleva plus d'un millier depersonnes qui furent réparties dans les chaînesde Mêhou et de Gbêdavo : (des détenus de lachaÎne de Mêhou, dont un grand nombreétaient des mulâtres et des mulâtresses,périrent tous d'une mort affreuse».

Le roi Béhanzin, refusant de voir sonautorité diminuer, ne respecte guère le traité.La France saisit cet argument pour faireintervenir la troupe. En mars 1892, elle occupesans difficulté Ouidah puis avance sur la villed'Abomey qu'elle investit quelques mois plustard. Le roi s'enfuit tandis qu'un de ses frèress'allie aux Français et le remplace. Peu après,Béhanzin est fait prisonnier.

En 1894, un traité de protectorat estétabli. Le successeur de Béhanzin nedemeurera sur le trône que peu de temps etsera à son tour exilé. Le traité sera aboli unpeu plus tard, le territoire devenant la coloniedu Dahomey, sous administration directe d'unGouverneur. Elle sera intégrée à la fin dusiècle dans la Fédération de l'AfriqueOccidentale (A.O.F.) et placée sous l'autoritéde son Gouverneur général. Le Lieutenant­Gouverneur installé dans le chef-lieu de lacolonie, Porto-Novo, sera chargé de mettreen oeuvre les choix politiques décidés depuisles deux nouveaux centres décisionnels,Dakar, la capitale de la Fédération, et Paris,distants de plusieurs milliers de kilomètres.

L'Allemagne et l'Angleterre ont desdémarches analogues. Cette dernière contrôleun vaste territoire à l'est du Dahomey, leNigéria, et installe son administration dans laville de Lagos, ainsi qu'un autre territoire plusà l'ouest, la «Golden Coast)) (futur Ghana) quiest séparée du Dahomey par la colonieallemande du Togo (gérée par la Société desNations après 1914 puis rattachée à l'UnionFrançaise après 1945). Le découpage, quiprivilégie l'Angleterre, permet aux grandespuissances occidentales d'avoir chacune unecolonie ouvrant sur le Golfe de Guinée.

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Pour la France, l'enjeu est aussi stratégiquedans la mesure où le Dahomey devient ledébouché sur l'océan de ses colonies del'intérieur, la Haute-Volta et le Niger.

Les nouveaux centres économiques etpolitiques des quatre colonies côtières sontassez proches les uns des autres, d'est enouest: Lagos, Porto-Novo, Lomé et Accra.Quelle que soit l'étendue de chaque territoire,seules les zones côtières font l'objet d'uneexploitation agricole. Les rivalités colonialesne sont néanmoins pas totalement éteinteset les relations entre ces villes sont peudéveloppées. Une nouvelle géographie sedessine rapidement.

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LESAvant la période coloniale, lacirculation des hommes et

des marchandises se faisait selon deux grandsaxes L'un longeait la côte, par la mer ou parla lagune; l'autre mettait en relation lescomptoirs côtiers avec les villes de l'intérieur:Porto-Novo avec le monde yorouba, Ouidahavec la capitale fon, Abomey.

La colonisation, en définissant denouvelles frontières politiques, modifie cesystème. Le territoire, découpé en subdivisionset en cercles, réunit des régions qui avaientjusqu'alors peu de contacts, par exemplel'ancien territoire du Dahomey et les régionsmontagneuses du nord, peuplées par despopulations culturellement très différentes.De plus, le statut de capitale coloniale dePorto-Novo établit une nouvelle hiérarchieurbaine dont bénéficient ses habitants et queles autres populations supportent mal. Enfin,le long de la côte, les activités d'échanges sontconcentrées dans quelques sites, desservispar un réseau ferroviaire.

RÉSEAUX D E TRANSPORT

les nouveaux moyens de communication:en haut, la voie férrée Cotonou-Ouidah-Segbohoué ; ci-dessous, le wharf de Cotonou; ci-dessus, une rue de Ouidah et ci-contre un bâtiment colonial à

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,rand-Popo

LA VILLE AU VINGTIEME SIECLE

Aux deux pôles, Porto-Novo etCotonou, s'ajoutent sur la côte des centressecondaires, Ouidah et Grand-Popo. Lesautres comptoirs perdent leur activitééconomique; ceux qui n'acquièrent pas defonction administrative disparaissent de lacarte. Ouidah devient le «chef-lieu» d'uncercle regroupant plusieurs «cantons».

Le choix de Porto-Novo comme capitales'explique d'abord par l'existence du traité deprotectorat. En outre, la ville est devenue uncentre d'échanges très dynamique,notamment en raison de sa proximité avecLagos. Les maisons de commerceoccidentales et les Afro-Brésiliens y sontnombreux et n'y subissent pas lescontraintes de l'ordre politique du Dahomey.Ouidah ne bénéficie pas de la même réputationdu fait de sa place dans ce royaume.

En 1885, le résident français estime lapopulation de Porto-Novo à environ trentemille personnes. Ce chiffre semble surestimési l'on se réfère aux recensements ultérieurs.Ouand bien même il approcherait les vingtmille, il représenterait presque le double de lapopulation de Ouidah qui stagne depuislongtemps. Afin de brosser un tableau de larégion, rappelons que Lagos dépasse 25 000habitants dès 1865 et qu'Abomey en compteà la fin du siècle près de 40 000.

Ce rapport se modifie fortement enquelques dizaines d'années. La «mise envaleuf» coloniale ne se préoccupe guère desanciennes hiérarchies urbaines. La villed'Abomey, bien que liée à l'économie côtière,se retrouve située dans une zone de plateauxoù les plantations sont moins rentables.L'ancienne capitale devient rapidementexcentrée par rapport aux nouveaux espaceséconomiques et politiques et perd sondynamisme. Une partie des habitants, poursurvivre, doit émigrer sur la côte. En 1900, sapopulation est estimée à une dizaine demilliers de personnes.

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Si l'administration coloniale s'implanted'abord dans certains comptoirs, elle vise,dans un projet idéologique de transformationsociale, à produire de nouveauxétablissements, plus conformes à l'idéalurbain occidental. En Afrique de l'Ouest, laville nouvelle de Dakar qui se substitue auxanciens comptoirs de Gorée, Rufisque etSaint-Louis du Sénégal, en est le meilleurexemple: elle accueille la capitale fédérale(Sinou, 1993). Au Dahomey, le projet prendforme plus lentement, par manque demoyens; la colonie est géographiquementexcentrée dans la fédération et ne constituepas une priorité.

Les autres nations occidentalesadoptent le même schéma avec plus oumoins de célérité. Le gouverneur de lacolonie allemande du Togo se fixe d'aborddans l'ancien comptoir d'Anécho, avant defaire bâtir une capitale sur le site de Lomé,plus à l'ouest. La ville nouvelle, au plan radio­concentrique, bénéficie d'investissementsimportants (wharf, chemin de fer... ) : 7 000habitants y sont recensées en 1913 contreenviron deux milliers à Cotonou (Lulle, 1993).La France, lorsqu'elle reprend la colonie aprèsle premier conflit mondial, s'installe quelquesannées à Anécho avant de confirmer la ville«allemande» de Lomé comme capitale.

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La création de Cotonou fait l'objet denombreux débats au sein de l'administration.A ceux qui considèrent le projet inutile etcoûteux, les autres répondent qu'il convientde créer une véritable capitale colonialeadaptée aux nécessités économiques et quipropose un cadre «moderne» d'habitation.

Les débats animent le cercle restreintdes officiers, des cadres coloniaux et desnégociants; ces derniers, réunis dans unechambre de commerce, regimbent devant lestravaux qui ne sont pas liés directement àl'exploitation économique et qui accroissentles taxes. Plus globalement. ils critiquent lecentralisme colonial: la plupart des projetssont instruits à Dakar et à Paris par desfonctionnaires qui ignorent le pays. Auxnégociants, dans la lignée des négriers, quin'ont que faire d'un appareil administratif,s'opposent certains cadres porteurs d'un projetpolitique d'intégration des colonies dans leterritoire national dont le signe visible est laproduction d'un paysage urbain «moderne».

La localisation de Porto-Novo et deOuidah ne s'accorde guère à ce projet. Ellesprésentent l'énorme inconvénient d'êtreéloignées de la côte de plusieurs kilomètres.La construction d'un port (c'est-à-dire alorsd'un appontement, le wharf) impliqueraitun dédoublement de l'agglomération.

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EPOQUE OUIDAH ABOMEY PORTO-NOVO COTONOU

XVIIIe 8 à 10000 25000 5000XIXe 10 à 15000 30 à 40000 10 à 20000

1900-1910 10000 10000 1175années 1920 12500 12000

1937 12800 27000 68001947 12880 16770 29900 198001958 18830 31000 565301961 161001992 25000 66000 179000 536800

y compris Bohicon

Sources: Gomez, 1985 ; Codo/Anignikin, 1985 ; Sinou/Oloudé, 1989 ; recensement 1992Ces chiffres, en particulier les plus anciens, sont sujets à caution. Les données du dernierrecensement marquent le fort accroissement de tous les centres urbains. Pour Ouidah, lechiffre proposé concerne la ville, celui du recensement incluant les villages environnants

En outre, le percement de voies rectilignes,pour faciliter la circulation, se heurterait auxpratiques des habitants qui ignorent lesrégularités géométriques; de même, lacréation de lotissements pour accueillir lespopulations nouvelles remettrait en cause desdroits fonciers. Aussi, un nouvel établissementest finalement créé sur un des premiersterritoires annexés par la France, celui deCotonou, situé entre ces deux villes. Bienque l'endroit soit marécageux et sablonneux,il est retenu en raison de la proximité de lamer et de l'absence d'habitants.

Dès 1892, un plan de lotissement estdessiné Si l'établissement se peuplelentement (en 1905, on compte unecinquantaine de lots occupés et un millierd'habitants), le projet se veut de longuehaleine. L'administration encourage la venuedes maisons de commerce françaises en leurconcédant quasi gratuitement des terrains eten engageant des travaux d'infrastructures.

Dès 1902, le wharf est achevé.Quelques années plus tard, une voie dechemin de fer relie le port à la région deSegbohoué à une cinquantaine de kilomètresà l'est. Cet axe qui dessert Ouidah traversetoute une zone de plantation et permet de

le réseau ferré sur la côte vers 1930

transporter les productions agricoles.Parallèlement, une autre voie ferrée estconstruite depuis Porto-Novo en direction dunord (Pobé-Sakété), pour les mêmes raisons.L'édification un peu plus tard d'unembranchement depuis l'axe côtier endirection d'Allada et d'Abomey évitantOuidah, coupera cette ville de son arrière­pays tourné désormais vers Cotonou.

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Page 142: Le comptoir de Ouidah : une ville africaine singulière

LA VILLE AU VINGTIEME SIECLE

Ouidah subit plus que Porto-Novo laconcurrence du nouveau port. La voie ferréene relie pas encore la capitale à Cotonou enraison de la traversée de la lagune et de zonesmarécageuses qui nécessitent de gros travaux(ponts et remblaiements). La rupture de charge(les marchandises arrivant à Porto-Novo sontacheminées à Cotonou par pirogues) protègel'économie de la ville, confortée par laproximité de Lagos. Les navires venantd'Europe sont plus nombreux à desservir leport anglais et le coût du transport desmarchandises est moins élevé pour lesmaisons de commerce. A Ouidah, ne subsisteau début du siècle qu'un petit trafic maritimedont témoigne l'ancien bâtiment de la douaneconstruit en bordure de la plage.

L'achèvement en 1938 des travaux dela voie de chemin de fer entre Porto-Novo etCotonou renforce la hiérarchie urbaine. Lagrande majorité des marchandises transitedésormais par la ville portuaire. Ouidah subitde plein fouet cette concentration et perdtout échange maritime. L'ancien comptoirdevient une simple halte le long de la voie dechemin de fer. Sa proximité avec Cotonou, oùont émigré les commerçants, empêche toutdéveloppement économique, comme entémoigne la faible urbanisation tout autour dela gare. Habituellement, cet équipementdevient dans l'économie coloniale le principalpôle de développement urbain. Porto-Novo,grâce à son statut administratif et aux lienscommerciaux qui demeurent avec Lagos,conserve une activité importante.

Les relations entre les différentes villesse lisent dans leur démographie. Ouidah connaîtjusqu'aux années cinquante une stagnationde sa population évaluée à environ 12000personnes. Pendant cette période, Porto-Novocroît régulièrement pour atteindre la trentainede milliers d' habitants. Cotonou connaît enrevanche une très forte croissance: de 6800habitants en 1937, elle passe à 19800 dix ansplus tard. A la veille de l'indépendance,elle dépasse les cinquante mille habitantset prend la première place dans la colonie,suivie de Porto-Novo qui dépasse les trentemille et de Ouidah qui atteint les dix-huit mille.

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l'économie colonillie trllnsforme le pllyslIge urbain comme le pllyslIge rurlll

l'étage des maisons de commerçllnt sert de logement 1

Page 143: Le comptoir de Ouidah : une ville africaine singulière

UNEOuidah acquiert avecla colonisation une

fonction de centre admi-nistratif «secondaire». Pendant la période deconquête (jusqu'en 1898), les troupeschargées de combattre le Dahomey ystationnent. Une fois la guerre achevée,l'administration décide d'y installer unegarnison permanente et les services civils du«cercie» dont la ville est le «chef-lieu».

BOURGADE COLONIALE

les bureaux du «Commandant de Cercle» entourés par la palmeraie

le rez-de-chaussée de magasin

L E R EG 1 M E FON CIE R

A fin d'organiser l'exploitation économique,l'Etat colonial du Dahomey, d'abord dirigé

par des militaires, use du droit du vainqueurpour occuper les terres, en particulier cellesdu roi. La légitimation de l'occupation estconfortée par le régime foncier établi en 1904par une loi valable dans toutes les possessionsfrançaises d'Afrique de l'Ouest. Le régimepermet à l'Etat de prendre possession desterres {(vacantes et sans maÎtresll, c'est-à-.dire inexploitées et inhabitées. En cas decontestation, c'est à l'intéressé d'apporter lapreuve de sa propriété, ce qui est évidemmentextrêmement difficile dans une société dedroit oral, sans pièces écrites enregistrant lespropriétaires.

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Page 144: Le comptoir de Ouidah : une ville africaine singulière

\carte foncière du centre de Ouidah en 1955 qui indique le nombre de parcelles officiellement «immatriculées» par l'administration coloniale

Ce système laisse de fait un pouvoirtrès large à l'administration qui favorise saclientèle. Les grands perdants sont leshabitants qui ignorent le nouveau régime etqui se font léser par les autorités colonialeset parfois par des congénères mieux informés.

Dans les régions de plantation, lescultivateurs refusent cependant d'êtredépossédés des terres qu'ils exploitent.même s'ils n'en sont pas propriétaires.Nombre d'entre eux n'hésitent pas à saisirles tribunaux. Les conflits sont nombreux(certains demeurent encore aujourd'hui).Ceux qui arrivent à obtenir la reconnaissancede leurs biens vont former une nouvelleclasse de propriétaires terriens: elle estd'abord composée d'Afro-Brésiliens, qui

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connaissent les régimes fonciers coloniaux etd'employés de l'administration, notamment lesmilitaires qui obtiennent. en récompense deleurs faits d'armes, des droits sur des terres.

A Ouidah, certaines familles quiprennent parti pour la France, en participantaux guerres ou en approvisionnant les colons,obtiennent d'importants domaines fonciers.La collectivité Adjovi demande dès 1892 lareconnaissance de ses droits sur plusieursterrains, en particulier celui occupé par le boisoù sont célébrés les rituels en l'honneur del'ancien roi houédah Kpassé. Ce n'est qu'audébut du siècle que les tribunaux accepterontses revendications (P. Manning, 1983).

D'autres hommes perçoivent aussi lesnouvelles mécaniques d'accès au sol.

Page 145: Le comptoir de Ouidah : une ville africaine singulière

Le phénomène a été étudié à Lagos(K. Mann, 1987) où les négociants yoroubasusent et abusent des prêts usuriers qu'ilsdélivrent aux particuliers et récupèrent ainside vastes domaines imprudemment gagés.Dans la périphérie de Porto-Novo et Cotonou,les volumineuses villas des Yorubastémoignent aujourd'hui des emprises foncièresacquises depuis le début du siècle. Cesédifices s'inspirent de ceux édifiés par lesSaoudiens, qu'ils découvrent lors de leurpèlerinage à la Mecque.

différents tissus urbains en 1990

Afin de réduire le pouvoir économiqueque pourrait générer la propriété deplantations, l'Etat colonial renforce lesprivilèges accordés aux maisons decommerce françaises qui acquièrent unvéritable monopole. Cette situation entraînele départ de nombreux commerçants quiémigrent dans les colonies voisines, enparticulier à Lagos, où les règles ducommerce sont plus souples. La France,en voulant favoriser à outrance ses colons,reproduit les mêmes erreurs que du tempsde la traite où une compagnie «à privilège»possédait le droit exclusif de négocier danstoute une région.

A Ouidah et à Abomey, les transfertsde terres sont peu importants. La baisse desactivités limite le marché foncier et n'entraîneguère de spéculations. De plus, les échangesde terres en ville sont limités par leur valeurspirituelle: de nombreux chefs de lignagesont enterrés dans les «maisons mères» ;leurs occupants ne sont que les gardiens dessanctuaires et ne peuvent vendre le bien. Enoutre, lors des successions, la maison mère,considérée comme un tombeau familial, estrarement partagée; elle demeure dans lerégime de la propriété indivise. Le systèmesocio-religieux fait fonction dans ces villesde conservateur de la propriété foncière.

Le nouveau régime foncier n'est guèreutilisé par les populations locales, enparticulier dans les vieilles cités.Peu nombreux sont ceux qui demandentl'immatriculation foncière de leurs biens.Beaucoup ignorent la nouvelle loi qui sertd'abord à entériner l'occupation du sol parles colons. En outre, Celle-ci exige, an nomde l'hygiène, que les constructions soientédifiées en matériaux «durables» (briquescuites, parpaings, tuiles, tôle ondulée) queseuls les Occidentaux et les Afro-Brésiliensont les moyens d'acheter. Les droits fonciers«traditionnels», déterminés par les relationslignagères, restent dominants à Ouidah,y compris aujourd'hui.

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Page 146: Le comptoir de Ouidah : une ville africaine singulière

LE QUARTIER COLONIAL

A u moment de la conquête,l'administration coloniale, par manque de

moyens, se contente de louer des bâtimentspour accueillir ses services. Une fois leterritoire «pacifié», elle cherche à produire

son espace propre dans la ville, penséecomme le lieu privilégié d'apprentissage desnouvelles règles sociales et économiques.L'idéologie qui préside à son organisationrepose sur un principe de séparation descommunautés en fonction de leur degré

«d'occidentalisation». Les fonctionnairescoloniaux, militaires puis civils, sont placés au

sommet de cette nouvelle pyramide sociale et«méritent» d'habiter dans un lieu où sontréunies les meilleurs conditions de confort etd'hygiène (Sinou, 1993).

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Page 147: Le comptoir de Ouidah : une ville africaine singulière

ci-contre: Ouidah en 192ci-dessus et ci-dessous: rez-de-chaussée et façade sud de la «résidence du Commandant de Cercle

page 144: la poste et la «résidence du Commandant de CercleLes bâtimentsadministratifs sontdispersés sur devastes parcelles afinde respecter lesréglementationshygiénistes quiproscrivent toutesformes depromiscuités,«sources d'infectionset de propagationdes épidémies)). Lalocalisation à l'ouest(comme à Porto­Novo ou à Lomé)répond également àcette crainte. Lesvents dominantsviennent de cettedirection et sontcensés repousser<des miasmesmaléfiques quiémanent desquartiers indigènes)) !

A Porto-Novo comme à Ouidah, l'Etatenvisage d'établir ses quartiers, conformémentà la tradition militaire, à la périphérie.A Abomey, il préfère installer ses services àplusieurs kilomètres des quartiers royaux,dans un site peu habité, Bohicon. Desservipar la voie de chemin de fer, il deviendra lenouveau pôle administratif et commercial del'agglomération et marginalisera un peu plusl'ancienne cité royale.

Au début du XXe siècle, la France n'estplus présente à Ouidah depuis presque unsiècle. Le site de l'ancien fort a été concédéà une maison de commerce. Aussi, l'Etatcolonial recherche de nouveaux terrains et lestrouve à l'ouest de "agglomération, sur desterres appartenant aux descendants du Chachade Souza. Dès 1894, plusieurs hectares sontcédés, à très bas prix (la communauté afro­brésilienne donne ainsi une preuve de sabonne volonté au colonisateur).

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Page 148: Le comptoir de Ouidah : une ville africaine singulière

architectures coloniales à Ouidah: ci-dessus, le tribunal; ci-dessous, les ruines du «chalet Carder» et la résidence du Commandant de Cercle en 1984

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le quartier colonial, à l'ouest de la ville; au nord, le camp militaire

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Page 149: Le comptoir de Ouidah : une ville africaine singulière

De plus, le domaine présente la qualitéd'être quasiment inhabité, ce qui évite d'avoir

à «faire déguerpir» les occupants. Son

éloignement des quartiers existants permet

aussi de le protéger des risques d'incendie.

De fait, comme les Afro-Brésiliens, les

Français veulent s'isoler des autochtones et

invoquent diverses raisons. Les incendies

sont encore fréquents (en 1873, le feu détruit

totalement le comptoir d'Agoué dont la

population était de 6000 habitants) La tôle ne

remplacera la paille des toitures qu'à partir du

début du XXe siècle.

La résidence du Commandant de

Cercle (cf. p. 145 et 146) est sans doute

le bâtiment colonial le plus ancien de Ouidah

et architecturalement, un des plus intéressants

de cette époque. L'édifice est construit à

partir d'une structure métallique sur plusieurs

niveaux, qui ménage tout autour du corps

central d'habitation une véranda queferment des menuiseries en bois ajouré

afin d'assurer une bonne ventilation et en

même temps une protection contre le soleil.

Le bâtiment illustre un moment

de l'architecture coloniale, synthèse

de savoir-faire locaux et de techniques

importées. L'utilisation du métal

résulte de la construction des voiesde chemin de fer et celui du bois est

lié à la présence des artisans afro­

brésiliens. Les ingénieurs militaires

respectent les principes d'une archi­

tecture tropicale modélisée, validedans l'ensemble du domaine colonial,

tout en respectant les contrainteslocales (Sinou, 1993)

Peu à peu, l'administration

civile abandonne l'usage du bois dans

les revêtements extérieurs comme

dans les structures. Ce matériau

nécessite un entretien régulier et

supporte mal les assauts des pluies,de l'ensoleillement et des termites.

Le métal est également abandonné

au profit de la brique cuite puis du

béton armé, plus résistants.

Les édifices bâtis à partir des années

vingt ne se distinguent plus de ceux des

autres colonies: des catalogues de

constructions coloniales sont élaborés en

France par les ingénieurs du Ministère et mis

à disposition du personnel local. L'ancien

tribunal est un parfait exemple d'une

architecture modélisée, où toutes les formes

et les dimensions sont pré-définies. La

véranda qui borde chaque côté du bâtiment

devient le symbole d.'un style visant avant

tout à protéger le colon des «rigueurs» du

climat (ensoleillement, chaleur, pluies)

A cet espace civil, s'ajoute le camp

militaire qui s'étend sur plusieurs hectares au

nord. Il est agrandi dans les années quarante,

lorsque l'Etat décide d'y concentrer un plus

grand nombre de soldats, au point d'attribuer

une nouvelle réputation à la cité, celle d'une

ville de garnison. AUJourd'huI, les plus anciens

bâtiments se distinguent par leurs vérandas,les autres ont perdu cette figure, au profit

d'appareils de climatisation artificielle installés

au bas des fenêtres.

le bureau du Commandant de Cercle

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1

Page 150: Le comptoir de Ouidah : une ville africaine singulière

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LES TRANSFORMATIONS URBAINES

l'ancien Bureau du Commandant de Cercle

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A fin d'accroître les échanges, l'Etat colonialrenforce le réseau de transport. Dès 1896,

un pont en bois est jeté au dessus de la lagunepour faciliter le transport des marchandises etla circulation des soldats jusqu'au champ de tirde la plage. La voie de chemin de fer qui bordela cité au sud est doublée d'une route qui reliePorto-NoVa, Cotonou, Ouidah et Grand-Popo,et qui devient l'axe principal de communicationsur la côte. Enfin, la piste vers Abomey via Saviest améliorée. Tous ces travaux sont exécutéspar les «sujets» africains réquisitionnés dansle cadre du travail obligatoire.

A l'intérieur de la ville, l'ouverture de ruesnouvelles se heurte à l'enchevêtrement dubâti. Le plan de 1926 permet de distinguerune zone sud où sont tracés des axesrectilignes. Certains ont été réalisés par leChacha, d'autres reprennent d'ancienschemins, notamment ceux reliant les forts;d'autres encore mettent en relations lesnouveaux pôles urbains. Une rue relie d'esten ouest le marché au quartier français.

En raison du faible nombred'occupants, le quartier «blanc»n'est pas organisé selon un plande lotissement. Plus simplement,il s'agit d'un urbanisme de voirie.

Des rues rectilignes sontouvertes sur lesquelles viennents'aligner des parcelles, matéria­lisées par des clôtures. Un axenord sud reliant le camp militaireà la résidence du commandantde cercle structure le réseau.

Le quartier se distingue aussi l'ancien tribunalpar la faible densité de cons-tructions et par la plantation,le long des rues comme dansles jardins, d'arbres (orangers,manguiers, citronniers, caïlcé-drats ... ). Ils s'ajoutent à ceuxdéjà existants et visent à agré-menter l'établissement en luidonnant un cachet de «cité-jardin». Le modèle urbanistiqueanglais reste une référence.((Des milliers d'orangers et decitronniers répandent, au tempsde la floraison, leur suave parfum par la ville,semant sous les pieds du passant leurs joliesfleurs blanches, semblables à des flocons deneige)) (Foa, 1895). Si le paysage végétalcontinue à séduire les Occidentaux, laplantation régulière d'arbres dans la villerépond aussi à certaines nécessités: lesalignements le long des rues donnent uneconsistance à une voirie encore embryonnaireet les ombrages protègent les hommes et leshabitations de la violence de l'ensoleillement.

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Cette esquisse de ville blanche n'a pasla taille de celle de Porto-Novo; le nombre deconstructions reste limité; Ouidah n'estqu'un chef-lieu de Cercle. Elle s'étendnéanmoins sur plusieurs hectares et limite ledéveloppement vers l'ouest de la cité. Lequartier conserve aujourd'hui une vocationadministrative et résidentielle et demeureexcentré. Les fonctionnaires de l'Etat duDahomey puis du Bénin ont remplacé depuisl'Indépendance les «petits Blancs».

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Page 151: Le comptoir de Ouidah : une ville africaine singulière

En revanche, au nord d'une ligne allant de laplace du fort français au fort portugais, peud'opérations ont lieu: quelques voiesnouvelles sont ébauchées au nord de la villemais ne rejoignent pas encore le centre.

Trente ans plus tard, on peut mesurerl'importance des percements réalisés (planp. 153). A l'exception du quartier Fonsraméaux tracés encore irréguliers, toute la ville esttraversée de voies rectilignes. Au nord,apparaissent deux autres pénétrantes, tandisqu'au sud, un axe presque parallèle à la routede ceinture devient la nouvelle route d'accès.A cette époque, le quartier administratifprésente une configuration spatiale quasidéfinitive et forme la limite ouest de la cité.

A l'est, le fort portugais marque l'entréede Ouidah. Son extra-territorialité, tolérée parl'Etat français, ne favorise pas l'extension duquartier. Autrefois pôle d'urbanisation, le fortdevient une limite. La cité, bloquée égalementau sud par des marécages, ne peut s'étendreque vers le nord.

Le réseau de voirie améliore lacirculation mais ne joue pas un rôlestructurant. Toutes les rues ont à peu près lemême profil et délimitent des îlots d'assezpetite taille. Les administrateurs reproduisent

les modèles français: la largeur de 8 à 10mètres s'inspire des normes en vigueur pourla «petite voirie». Ce surdimensionnement nefavorise pas la création de points de fixationou de concentration dans la cité. Le tissuurbain, déjà peu dense en habitants, devientencore plus lâche.

La puissance coloniale se manifesteaussi par un équipement nouveau, lecimetière public. La putréfaction rapide descadavres sous ces climats amène les médecinsmilitaires à exiger dans toute implantationd'Occidentaux, la création d'un cimetière àl'extérieur de l'établissement afin de réduireles risques d'infection. Cette pratique seheurte aux usages des habitants qui ontl'habitude d'enterrer leurs morts dans le solde la «maison mère», afin de les honorer etde les protéger des pilleurs de cadavres.Seules les épidémies, qui peuvent décimeren quelques semaines plusieurs centaines depersonnes ont amené, dans le passé, lacréation de charnier: la place «Kindji» àproximité du domaine de Chacha, occupée parun petit marché vivrier, aurait eu cette fonctionà la suite d'une épidémie particulièrementmeurtrière au début du XIXe siècle, ce quiexpliquerait son surnom de place maudite.

l'étendue de Ouidah en 1772, 1926, 1955 et 1991

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Tout d'abord, J'administration n'interfère pasdans ce domaine hautement sensible et créeun cimetière pour les soldats français mortspendant la conquête. Il est localisé à l'est, afinde favoriser la dispersion des "émanationspestilentielles» sous l'action des vents d'ouestdominants Un peu plus tard, le cimetièreaccueille les missionnaires et lesfonctionnaires morts dans la cité. Lesautorités catholiques encouragent lesChrétiens à y enterrer leurs morts, pratiquequ'adoptent peu à peu les Afro-Brésiliens.

L'augmentation du nombre de tombesamène l'administration, dans les annéescinquante, à créer un cimetière "pluspopulaire» : la partition «indigène/évolué» quiprévaut dans la société coloniale est reproduitechez les morts. Mais, il est encore toléré queles chefs de lignage et de culte soient inhumésdans les maisons mères. Situé au nord de laville, le cimetière est agrandi à plusieursreprises, signe de l'évolution des mentalités.Mais les habitants se plaignent du manquede gardiennage qui favorise les profanationsde sépulture. Dans la même logique, il estcréé un cimetière pour les Musulmans. Leurfaible nombre limite son expansion.

La création d'un quartier administratifne déplace pas les activités commerciales,traditionnellement concentrées autour dumarché. On y trouve la plupart des maisonseuropéennes ( la maison Fabre est à l'écart,sur le terrain de l'ancien fort français) Le sitedu fort anglais, proche du marché, est lôti etplusieurs négociants s'y installent.

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Aux commerçants européens s'ajoutentdes négociants d'origines diverses, brésilienne,fon et même libanaise dès les années 1910Le dynamisme de Ouidah attire, jusqu'audébut du XXe siècle, des habitants descomptoirs voisins La stratégie des négociantsconsiste à posséder une succursale dans leplus grand nombre d'établissements côtiers(Porto-Novo, Cotonou mais aussi Lagos ouLomé), afin de devenir des interlocuteursobligés des sociétés occidentales.

Le commerce de l'huile de palme profiteen priorité aux Européens mais leursinvestissements immobiliers sur place restentfaibles; le Dahomey n'est pas une colonie depeuplement et les Occidentaux y sont rares:quelques dizaines à Ouidah, célibataires pourla plupart; de plus, ils ne restent que peud'années dans la colonie et après leur brefséjour, ils se rendent vers d'autres coloniesplus dynamiques ou retournent en France.

la mosquée de Porto-Nova, un bâtiment d'inspiration brésilienne

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D'ordinaire, les colons font édifier desconstructions d'un étage; l'agent commercialy réside et le rez-de-chaussée fait office demagasin et d'entrepôt. Les édifices sontgénéralement plus simples que les bâtiments

administratifs. Les négociants refusentd'investir pour respecter des principeshygiènistes et pour bâtir des vérandas. Cetype de bâtiment, souvent en briques cuites,

parfois en pierres, s'avère massif et. d'unecolonie à une autre, il ne présente guèred'originalité constructive ou décorative

La construction de «villas» est l'oeuvre

d'autres commerçants qui s'appuient sur lesavoir-faire des artisans afro-brésiliens. Ceux­ci impriment un «style" à ces habitations,remarquables notamment par la décoration

en stuc des façades et des ouvertures.Le style afro-brésilien connaît au début

du xxe siècle une large diffusion dans toutesles villes côtières, de Lagos à Lomé Les

villas aux enduits colorés et aux porchesouvragés sont nombreuses dans les villescommerçantes Mais les notables desvillages font également appel à ces hommespour apporter une touche décorative à leurshabitations. En outre, dans les villes où lesnégociants musulmans d'origine afro­brésilienne forment une communautéimportante, ils demandent à ces artisans debâtir des mosquées, lesquels s'inspirent deséglises catholiques de San Salvador deBahia 1 La grande mosquée de Porto-Novo

est sans doute l'exemple le plus abouti

les marques coloniales sur la ville: la villa Adjavon, le monument aux morts, la poste (en haut)

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LA VILLE AU VINGTIEME SIECLE

Certaines maisons de commercepossèdent un style particulier, comme celle dela famille Adjavon. Bâtie en 1922, la maison dece riche négociant africain exportateur d'huilede palme, auparavant installé à Anécho, sedistingue de tous les autres édifices de Ouidah.Elle est composée d'un corps principal, bordéde deux ailes, surmontées chacune par un toitoctogonale, qui encadrent la façade, rythméeau rez-de-chaussée et à l'étage par descolonnes ornées d'un motif géométriqueoriginal. La qualité architecturale résulte dutalent du bâtisseur, sans doute simple maçon.D'autres maisons de commerçants dans lesvilles côtières (notamment Lomé),témoignent de ce génie constructif.

La localisation de la villa Adjavon rendcompte aussi du dynamisme économique audébut du siècle Le bâtiment est situé à

proximité de la Basilique et non pas à côté dumarché; d'autres négociants s'y implantent,ne trouvant sans doute pas suffisamment deterrains dans le quartier commercial.

Peu après, le départ de négociants offredes opportunités foncières. Le domaine du fort,abandonné par la maison Régis, revient à l'Etatqui y implante différents équipements publicsdont un hôpital. Tous ces aménagementss'adressent aux colons et aux «évolués».

Au début des années cinquante, l'ancienjardin du fort, abandonné depuis longtemps,est transformé en une place publique, plantéede nombreux arbres. L'espace est bordé dessymboles de l'Etat colonial «moderne» :la poste, le «centre culturel», tous deuxremarquables par les brise-soleil des façadesqui assurent avec les ventilateurs la protectionclimatique (à la place des vérandas). Lemonument aux morts africains disparus enEurope lors des deux conflits mondiaux estérigé à la croisée de plusieurs routes quirejoignent la place: à son tour, la coloniesacrifie au rite de célébration des morts 1

A cette époque, un nouveau pôle urbain sedessine autour de ce site; il s'ajoute auquartier commercial et fait plutôt fonctiond'espace public.

La société urbaine coloniale est dominéepar des groupes aux relations conflictuelles.Au couple fonctionnaire/commerçant français,s'ajoutent, juste en dessous, les Afro-BrésiliensLeur pouvoir économique est néanmoinsremis en cause par l'Etat colonial, bien qu'ilsaient en majorité soutenu la colonisation.De plus, l'administration tente, par le biais dudroit, de les assimiler à la population«indigène», en les assujettissant auxréglementations valides pour cette population

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bâtiments de commerçants

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Dès le début du siècle, ils demandent lacréation d'une juridiction spécifique pour lacommunauté et font appel à un avocat métisde Saint-Louis du Sénégal, Germain Crespin,qui interviendra aussi à Porto-Novo. CertainsAfro-Brésiliens, cadres de l'administration, sonten poste dans la capitale fédérale et ont établides contacts avec le groupe des métissénégalais dont le statut est assez proche.En 1936, à l'occasion d'une réorganisationadministrative de Ouidah, ils obtiennent que lequartier brésilien constitue une entité libéréede l'autorité des «chefs indigènes» et qu'il soitdirigé par un descendant du Chacha de Souza.Cette volonté d'autonomie rappelle l'histoirede la cité: le quartier Brésil (comme ceux desforts) échappe à l'autorité du Yovogan.

Les Afro-Brésiliens, christianisés etlettrés, possèdent une place particulière. Ilsconstituent les auxiliaires indispensables descolons, trop peu nombreux pour gérer le pays.Ils les assistent même dans d'autres colonies.Conscients de leur rôle, ils constitueront àpartir des années trente, le fer de lance desmouvements de contestation de l'ordre colonial.

A Ouidah, un autre groupe s'opposeaussi aux colons sur des bases différentes.Il regroupe les responsables des cultes quisupportent mal la concurrence de la religioncatholique et la lutte de l'administration contreles cultes vodouns (non respect par les colonsdes interdits, prohibition de certains rituels...).

Ce groupe «traditionaliste)) s'oppose au

précédent, plus moderniste. Il manifeste à denombreuse reprises son hostilité, notammenten 1912 : plusieurs centaines d'habitationssont incendiées dans les quartiers Ahouandjigoet Tové en représailles d'un sacrilège commis

par un prêtre vodoun(Codo/Anignikin, 1985).La construction detemples pour accueillirles nouvelles religions,encouragée parl'administration coloniale,est aussi une occasionpour ces hommes demanifester leur courroux.

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Ouidah en 1955

façade de la villa Tognisso située à proximité de la Basilique 153

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LES MISSIONS CHRETIENNES

La colonisation de l'Afrique noire est l'oeuvrede fonctionnaires, de commerçants mais

aussi de missionnaires, qUI interviennent dansla production du paysage urbain. Les missionsreligieuses, principalement catholiques dansles colonies françaises, assistentl'administration dans la gestion des populationslocales, voire s'y substituent lorsque celle-cin'est pas assez nombreuse, notamment dansles villages et bourgs ruraux. A Ouidah, tenuecomme Abomey pour être un centre dediffusion du paganisme, les missionnairesdéveloppent une activité importante, afin deprouver la suprématie de leur Dieu.

L'histoire de l'évangélisation dans larégion est ancienne Au milieu du XVIIe siècle,plusieurs missions de Capucins espagnolsvisitent le royaume d'Allada mais neconnaissent guère de succès (Labouret-Rivet,1929) La présence durable de prêtres estliée aux forts, mais pendant longtemps, ilsn'ont pas de projet d'évangélisation et fontsimplement fonction d'aumônier pour lepersonnel européen. Les offices sont célébrésdans une simple pièce qualifiée de chapelle

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les édifices catholiques à Ouidah: le grand séminaire et la Basilique

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IMPORTÉESLES RELIGIONS

Les relations sont néanmoins tenduesavec le représentant du Dahomey, encouragépar les prêtres vodouns • en 1863, le prélatcatholique est rendu responsable de la chutede la foudre sur le fort; cet événement,interprété comme une manifestation de la

divinité Héviosso, luivaudra d'être emprisonnéet de payer une forteamende. Deux ans plus

tard, le représentant du Portugal réinvestit leslocaux du fort et lui demande de partir. Leprêtre obtient un terrain excentré à l'ouest dela ville où il fait élever un bâtiment sommairefaisant fonction d'église En 1871, il estaccusé par la population d'être responsablede la sécheresse et doit quitter la ville pourse réfugier à Porto-Novo.

Ce n'est qu'en 1884 qu'un prêtrecatholique revient à Ouidah. Le père Dorgères'appuie sur les Afro-Brésiliens et ouvre uneécole avec un des leurs. Dans le mêmetemps, il fait construire une petite chapelledans le quartier Zomaï. Ses rapportsdemeurent touJours aussi difficiles avecl'autorité dahoméenne. Il lui faudra attendre ladisparition de ce royaume pour commencerl'oeuvre d'évangélisation.

Le retour, au début du XIXe siècle, desanciens esclaves du Brésil, pour partiechristianisés dans ce pays, est à l'origine dudéveloppement d'une petite communautécatholique à Ouidah remarquée par lesmissionnaires de passage. En 1860, lamission africaine de Lyon envoie le pèreBorghéro qui s'installe dans le fort portugaisalors désaffecté. Quelques baptêmes etmariages sont célébrés par le prêtre quiouvre une petite école chrétienne destinéeaux enfants afro-brésiliens.

escalier du grand séminaire

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~~ &\'C'cl.. c." .. ~.~ -'â-'~- _. -'Î ê" }'~...- \) ~fl \:I;.r </, <'~~.0'-3:'1~. ~';.:..la surface au sol de la Basilique contraste avec la taille des construction du quartier (en bas, le temple des pythons)

En 1896, l'administration accorde à lamission catholique une parcelle de l'anciendomaine du Yovogan, dépossédé d'une partiede ses biens fonciers après la conquête. Ellecherche sans doute à marquer le site dupouvoir fon d'une empreinte nouvelle. Enoutre, pour les prêtres, la construction d'unemission sur les ruines des anciennes geôlesdu Yovogan où certains des leurs furentemprisonnés, est un acte symbolique, voireune juste revanche. Malheureusement, lesmoyens sont limités et dans un premier temps,seul un petit bâtiment en terre est élevé. Ilsert tantôt d'école, tantôt de lieu de prière.

En 1900, 2500 Chrétiens sont recensésà Ouidah. L'édifice ne suffit plus et le premiervicaire apostolique, Monseigneur Dartois,décide de faire bâtir une église digne de lacommunauté. En 1902, le choix se porte surun terrain, face au temple des pythons. Lesite retenu n'est pas non plus le fruit duhasard: le prêtre espère sans doute que lafoule des adeptes du culte le plus fameux dela ville déviera son chemin pour se rendredans le nouveau temple dont la masse doitécraser la case des pythons !

Le prêtre se rend en France pour établirle projet avec le service constructeur de l'ordremissionnaire. En août 1903, la première pierreest posée. L'édifice est construit en briquescuites mais des poteaux métalliques renforcentla structure. La charpente du toit, en bois, est

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1

couverte de tôle ondulée. Malgré l'oppositiondes prêtres vodouns qui tentent d'interromprele chantier en menaçant les ouvriers despires malédictions, le projet est poursuivi.Le père Steinmetz, devenu évêque, dirigetoujours les travaux et déploie toute sonénergie pour mobiliser la population, y comprisles animistes (cf. texte page 157).

Le bâtiment, consacré en 1909 et dédiéà l'immaculée Conception, mesure 58 mètresde long sur 14 de large avec une hauteur de15 mètres. Il constitue le plus grand édificede Ouidah et son clocher est plus élevé quela cime des vieux fromagers qui bordent le

temple dupyt~~

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L'édification d'un séminaire entre Quidahet Savi complète ces interventions urbaines.L'idée en revient également au père Steinmetzqui décida, en 1899, de créer une ferme afinde nourrir la communauté religieuse etd'accroître ses ressources (le domaine compteaujourd'hui 11000 caféiers, 2000 cocotiers,1700 palmiers à huile répartis sur une centained'hectares). Afin de favoriser l'instruction desfuturs prêtres et de les soustraire à l'influencedes <déticheurs», il décida d'implanter leséminaire dans ce site isolé.

L'établissement, inauguré en 1914, reçutaussi les séminaristes des colonies voisines.En 1929, le diocèse suisse de Saint-Gall endevint le tuteur et finança la construction denouveaux bâtiments. Ce nom lui fut alorsattribué. Aujourd'hui, le centre continue àaccueillir de nombreux novices africains.

Toute la région est marquée par l'oeuvremissionnaire des prêtres catholiques. A cesgrandes implantations, s'ajoutent dans denombreux villages de petites églises, et auxcroisées des routes, des croix, comme celledressée sur la plage de Ouidah. Se faisant,les missionnaires tentent de marquerle territoire des symboles de leur Dieu etde signifier saprééminenceface aux idolesqui peuplent cemonde.

La construction de la Basilique((II fallut beaucoup de sable;

on le cherchait sur la route de laplage, à une petite distance au sud de

l'école Brésil. Avec le concours etl'entremise de Monsieur Agnilo,

bokonon réputé (grand prêtre du Fade Ouidah et ami du père qui le

convertit sous le nom de Simon), tousles quartiers de la ville allaient à tour

de rôle au sable. Les femmesportaient le sable dans des

calebasses, les hommes avaient destonneaux en bois de 800 litres qu'ils

remplissaient et roulaient jusqu'àl'église. Le quartier Tovè avait

toujours le plus gros tas de sable.Les féticheurs les plus notables

étaient assis à la carrière et veillaientà ce que les récipients fussent bien

replis. Le soir, ils venaient me rendrecompte et dégustaient le petit goûter

que je leur avais préparé: Pain et vin»texte de Monseigneur Steinmetz au dos d'une carte postale.

La Basilique a récemment été restauréepour le centenaire du retour des prêtrescatholiques à Ouidah. A cette occasion,d'importants travaux de réfection ont étéentrepris. La construction d'un mur de clôturea d'ailleurs suscité la colère des prêtresvodouns qui regrettent son édification surl'itinéraire de la grande cérémonie du python.La Basilique est aussi le point de départ d'unchemin de croix qui aboutit à l'entrée est dela cité, où fut élevé en 1961 un calvaire, pourcélébrer le centenaire de l'arrivée des premiersmissionnaires. Sur les terrains de la mission,des édifices ont peu à peu été construits,notamment des établissements scolaires.

localisation de la grande mosquée ( M ), des autres mosquées ( m ), des cimetières ( c ), du temple protestant ( p ), de la basilique ( B ) et des autres églises ( e )

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L'installation des missions protestantesdans la région, à partir du milieu du Xlxesiècle, concerne d'abord les territoirescolonisés par les Allemands et les Anglais.Au Togo, les missions de Brême débutent leuraction dès 1847. La première missionméthodiste est établie par les Anglais enGold Coast (actuel Ghana) ; son fondateurcréera ensuite des postes à Badagry etAbeokouta dans l'actuel Nigeria. Il se rendégalement auprès du roi Guézo pour demanderl'autorisation de fonder une mission à Ouidahet obtient en 1843 le droit d'exercer ce culte.Le prêtre s'installe dans les bâtiments del'ancien fort anglais. Un peu plus tard, le roiGlélé fait fermer le temple et le prêtre ainsique les fidèles doivent se réfugier à Agoué età Grand-Popo où ont été créées entre-tempsd'autres missions méthodistes.

En 1878, le pasteur John Milum obtientdu roi l'autorisation de se réinstaller à Ouidah;la mission sera rouverte en 1881, trois ansavant le retour des catholiques; un autrecentre, plus important. sera établi à Porto­Novo à la même époque. En 1905, l'une desfamilles protestantes de Ouidah, les Gnanwi,qui réside dans le quartier Fonsramé, offre unterrain pour la construction d'un temple.

Dans les années cinquante, un édifice«en dur» est édifié sur cet emplacement. Letemple, construit en briques cuites, doté d'unecharpente métallique et couvert d'un toit entôle, n'est pas plus remarquable d'un point devue architectural que la Basilique, sans enposséder l'important volume.

Les ordres missionnaires qui bâtissentdes temples en Afrique noire, ne détiennentni les moyens ni le génie créatif de leursprédécesseurs d'Amérique latine. Le templeprotestant ressemble à ceux des comptoirsvoisins. Il passe d'autant plus inaperçu qu'ilest excentré et qu'il n'est pas entouré d'uncentre évangélique. Cette communauté n'apas bénéficié de l'appui de l'administrationcomme ce fut le cas dans les coloniesvoisines, et ne joue pas le rôle d'auxiliaire del'appareil colonial qu'assurent les missionscatholiques

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LA VILLE AU VINGTIEME SIECLE

le temple protestant

La pensée chrétienne s'est néanmoinsdiffusée par le canal du protestantisme quis'adapte mieux que le catholicisme aucontexte culturel. L'absence d'une hiérarchiereligieuse et la diversité des Eglises permettentune plus grande appropriation des rituels etun métissage avec d'autres pratiquesreligieuses. Le développement tout le long dela côte des églises syncrétiques témoigne dece mouvement. A Ouidah, seul leChristianisme céleste semble avoir fait souche.

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ci-dessus, l'intérieur de la plus vieille mosquée de la ville; en haut, la grande mosquée avec au premier plan un pelillemple dédié il la divinité de la mer

L' S LAM

Cette religion, peu présente à Ouidah, yest néanmoins pratiquée depuis

longtemps. Les premiers Musulmans furentsans doute les intermédiaires yoroubas venusvendre des esclaves, dès la fin du XVIIesiècle, provenant pour la plupart du royaumed'Oyo. De plus, les guerres qUI agitèrent ceroyaume au début du XIXe siècleprovoquèrent une importante émigration versles comptoirs côtiers.

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La présence dans la ville d'esclavesyorubas fut un autre facteur d'islamisation, demême que plus tard, l'arrivée du Brésild'anciens esclaves musulmans. Néanmoins,les enquêtes menées chez les Afro-Brésiliensde Ouidah montrent qu'ils étaient en majoritécatholiques. Il est probable que ceux de foimusulmane se soient plutôt installés dansd'autres comptoirs côtiers plus à l'est,Lagos, Porto-Novo, Badagry, où l'islam étaitdéjà bien implanté.

Outre les originaires du monde yoruba,on compte aussi à Ouidah des Musulmansd'origine haoussa (nord du Nigeria). Ilsseraient les descendants d'esclaves ayantappartenu au Chacha de Souza : certains seseraient fixés dans la ville vers 1818, tandisque d'autres, envoyés au Brésil à cetteépoque, y seraient revenus une trentained'années plus tard. Le premier imam,identifié vers 1850, aurait appartenu à cegroupe (Marty, 1926).

La communauté musulmane est detout temps peu nombreuse (deux centscinquante pratiquants sont comptabilisés en1920) et elle n'est pas socialementhomogène. Elle réunit des hommes auxorigines et aux statuts très différents:yoruba ou haoussa; descendants d'esclavesou de trafiquants d'esclaves, Afro-Brésiliens...

De plus, elle ne développe pas,comme dans d'autres villes, une activitécommune. Le déclin des activités n'attire pasles riches négociants yoroubas qui joue unrôle actif dans l'économie de Porto-Novoou de Lagos.

Les Musulmans de Ouidah neparticipent guère à la vie locale et sonttournés économiquement et socialementvers les communautés musulmanes desgrandes villes voisines: la cérémonied'intronisation de l'imam se fait en présencede délégations des autorités religieuses dePorto-Novo et Cotonou.

plan de la plus ancienne mosquée de Ouidah

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Ce groupe a longtemps été concentrédans deux quartiers. Maro, dans la vieilleville, et un quartier au nord où se retrouvent.conformément à l'usage, les Haoussas Dansla plupart des villes d'Afrique de l'Ouest.ceux-ci ont pris l'habitude de vivre à part,dans un quartier spécifique, qu'ils appellentZongo. Dans chacun de ces quartiers, unemosquée est édifiée.

L'idée de construire une grandemosquée à Ouidah apparaît au début dusiècle; elle est encouragée parl'administration coloniale qui propose le siteoù aurait été construit le premier templedédié à la divinité de la mer, dont l'audienceest très forte dans la ville. Le choix del'emplacement rappelle celui opéré pour laBasilique (face au temple du python), ettémoigne de la volonté des autorités detenter de réduire l'audience des cultesvodouns, en favorisant le développement desreligions monothéistes

Un premier hangar en bambous futd'abord élevé, remplacé un peu plus tard parun bâtiment en terre. L'idée de construire unédifice plus Imposant se dessine dans lesannées vingt Elfe fait l'objet de longuestractations oL intervient l'administration etrappelle la situation de Porto-Novo où lesdifférents clans musulmans furent enconcurrence pour avoir la maitrise de laconstruCtiOn (Marty, 1926) L'allure dupremier bâti lent, d'inspirationafro- résihenne, évoque aussi celle de lamosquée de Pal to-Novo, dont la constructiondébute au même moment.

Le chantier, faute de moyens, s'étaleSUr plusieurs dizaines d'années et n'esttoujours pas vraiment achevé. A la partie lap! s ancièl1ne à l'ouest. remarquable par safaçade au style inspiré des édifices religieuxbaroques du Brésil, s'oppose aujourd'hui lapartie à l'est. dominée par deux tourellestaisant fonction de minaret.

intérieur d'une mosquée de quartier

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LA VILLE AU VINGTIEME SIECLE

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Son aspect rappelle plutôt celui desmosquées contemporaines des pays du GolfePersique qui font actuellement figure demodèle dominant. Cette hétérogénéité seremarque également au niveau des matériauxqui ont successivement été utilisés pour sonédification: à la brique de terre cuite dubâtiment d'origine, ont succédé les parpaingsde ciment et le béton.

façade sud de la grande mosquée de Ouidah

Le bâtiment est ouvert principalementpour la prière du vendredi. Contrairement àPorto-Novo, où elle marque le centrecommercial de la cité, la grande mosquée deOuidah ne constitue pas un pôle urbain. Laplace «Maro», où elle est édifiée, indiqueplutôt la limite ouest des quartiers centraux.

Les fidèles n'envisagent guère sonachèvement, c'est-à-dire la réalisation dusecond oeuvre et la décoration (une simplecouche de peinture blanche a été récemmentpassée sur une partie de la façade). A l'étroitdans le centre de la cité, ils profitent del'urbanisation au nord pour déménager et yconstruire de nouvelles mosquées.

L'implantation des lieux de culte desreligions chrétienne et musulmane ne modifieguère l'organisation spatiale de la ville.

Les différents temples n'induisent pas denouveaux foyers de peuplement ou d'activité.Ils font plutôt figures d'éléments isolés dansle tissu urbain.

La mission catholique, qui occupe devastes parcelles, constitue une limite entreplusieurs quartiers plutôt qu'un centre. Enoutre, l'aura de cette communauté s'estaujourd'hui déplacée vers le site excentré dugrand séminaire, à l'audience internationale(le dynamisme des cultes vodouns àl'intérieur de la ville de Ouidah n'y est sansdoute pas étranger).

Les temples vodouns ne constituentpas non plus des pôles urbains.N'étant occupés la plupart du temps quepar le prètre et sa famille, ils n'attirent lesfoules que lors des grandes cérémonies quisont en général annuelles.

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Les religions ont imprégné l'histoire deOuidah. De nombreux lieux de culte sontdispersés dans tous ses quartiers.Paradoxalement, son organisation ne semblepas marquée par ceux-ci, qui ponctuentl'espace plus qu'ils ne le structurent. Enrevanche, l'omniprésence des cultes confèrentà la cité une image inquiétante, plus prochede la nécropole que de la métropole.

façade ouest de la grande mosquée de Ouidah

On peut même se demander si leur présencen'est pas plutôt un élément repoussoir enraison du pouvoir accordé au vodoun.

La proximité physique des hommes etdes dieux n'est pas souhaitable dans unereligion où les relations entre les uns et lesautres sont médiatisées par les prêtres et oùtout manquement à la règle est sévèrementsanctionné. Dans ce système, il est plustranquille de résider à l'abri des regards de ladivinité et de ses porte-parole.De même, il n'est pas imaginable de bâtirune construction dont certaines ouvertures(par exemple les fenêtre d'un étage)ouvriraient sur les cours et les bâtiments dutemple. Une telle action serait perçue commeune intrusion dans l'intimité du culte, voirecomme une tentative de s'emparer dequelque secret !

A la fin de l'ère coloniale, Ouidah nepossède pas vraiment de centre ville,concentrant les principales activités. Lacolonisation ajoute quelques pôles, le quartieradministratif à l'ouest qui constitue unenouvelle limite urbaine, la gare, les îlots de lamission, la place de l'ancien fort français. Al'inverse, le quartier de l'ancien fort portugaisperd de son importance, de même que lequartier Brésil, après le départ de nombreuxnégociants. Seul le quartier du marché, oùdemeurent quelques maisons de commerce,conserve une certaine activité.

La ville vit pendant cette période undéveloppement contrasté. Après avoirbénéficié au tout début de la colonisation dela présence des Français, elle perdrapidement sa raison d'être et devient unesimple bourgade, au rythme ralenti.

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extrait de la carte IGN de la région de Ouidah (1991) :

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L'indépendance de la colonie en 1960 nemodifie pas immédiatement le réseau

urbain de la côte. Porto-Novo conserve safonction de capitale, tandisque Cotonou, dotée d'un porten eaux profondes, renforcesa position de centre économique. Cette villevoit sa population croître considérablement;elle devient un pôle d'Immigration pour toutle pays, y compris pour la classe politique.les services de l'Etat émigrent les uns aprèsles autres vers le port Aujourd'hui, bien quePorto-Novo conserve son titre de capitale, onn'y trouve plus que quelques servicesadministratifs subalternes. Néanmoins, cette

cité compte plus de cent soixante millehabitants et conserve une fonctioncommerciale grâce à sa proximité avec Lagos.

La géographie urbaine de la région doitd'ailleurs intégrer cette métropole forte deplusieurs millions d'habitants, malgré lesfrontières, fermées à plusieurs reprises, quin'empêchent pas les échanges. Cotonou, quicompte aUJourd'hui plus de cinq cents millehabitants, en bénéficie économiquement·les navires qui ne peuvent débarquer à Lagosleurs marchandises se détournent vers le portbéninois

En revanche, Ouidah ne profite guèredes villes voisines. Sa population commenceà croître après 1970, mais de façon trèsmodérée en comparaison avec ces cités.Elle est estimée aUJourd'hui à environ

25000 personnes.Cette situation s'explique d'abord par

sa localisation. Distante d'une trentaine dekilomètres de Cotonou, elle ne peut ni fairefonction de banlieue, ni prétendre redevenirun lieu d'ouverture vers l'étranger sur unecôte où l'on compte aujourd'hui quatregrands ports en eaux profondes (et quatreaéroports internationaux) sur moins de quatrecents kilomètres. De plus, la cité est enclavéeL'axe Ouidah-Abomey n'est plus qu'une piste

à peine fréquentée, concurrencée par le«goudron» reliant Cotonou au nord du pays;

quant à la route côtière, elle évite la citédepuis la construction au début des annéesquatre-vingts de la déviation au nord.

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1

Page 167: Le comptoir de Ouidah : une ville africaine singulière

LA VILLE AU VINGTIEME SIECLE

'oute côtière (au nord) contourne désormais l'agglomération limitée au sud par la voie ferrée

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1

Enfin, la rigueur budgétaire imposée à l'Etatpar les grands organismes internationaux(F.MI/Banque Mondiale) a amené toutrécemment la fermeture de l'axe ferroviaire

qui desservait la ville.Cet isolement s'explique aussi par les

pesanteurs sociologiques Depuis plusieursgénérations, une partie des habitants refusel'ordre social imposé par les cultes et tented'y échapper en émigrant Le départ au débutdu siècle des acteurs économiques ainsi quel'éloignement des Européens de la cité doiventêtre aussi analysés par rapport à ladynamique des cultes vodouns : seule lamission catholique reste implantée en centreville, mais elle protège ses novices dans legrand séminaire.

AUJourd'hui encore, Ouidah, commeAbomey, symbolise un ordre «traditionnei>J

que les Jeunes Béninois ne valorisent plus.Aucun jeune ne souhaite y demeurer et lesenfants du pays aspirent à vivre à Cotonou.Lorsqu'ils arrivent à y émigrer, ils hésitent

même, par crainte de représailles de leursaïeux, à revenir à Ouidah

Enfin, l'économie de plantation depalmiers à huile subit depuis des années laconcurrence internationale et les exportationsvers l'Europe diminuent Les planteurs et les

intermédiaires en subissent les conséquences.L'huilerie située sur la route de Cotonou acessé depuis longtemps son activité

Enclavement, déclin économique,pesanteurs sociales font que l'Etat est leprincipal acteur du développement de la cité.Mais ses moyens sont limités et les projetsne peuvent naître que si des bailleursétrangers interviennent En 1985, la Chinepopulaire, qui mène une politique active decoopération avec le pays alors dirigé par ungouvernement d'idéologie marxiste, finance

la construction d'une usine d'allumettes et decigarettes, implantée le long de la routenationale, à la limite nord de Ouidah. Sontalors créées plusieurs centaines d'emploisdont profitent les citadins. Mais au début desannées quatre-vingt-dix, l'entreprise sera

privatisée et le nombre d'emplois réduit

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Page 168: Le comptoir de Ouidah : une ville africaine singulière

A cette époque, un riche commerçantenvisage de construire un petit hôtel en bordde mer; un chantier est ouvert à l'arrivée del'ancienne route des esclaves sur la plage,mais à ce jour, il reste inachevé. Les raisonsen sont multiples: les capitaux ne suiventpas et le projet, monté sans l'assentiment dela communauté «ouidanienne», est vivementcritiqué.

La croissance relativement faible de lapopulation urbaine ne justifie pas d'importantsinvestissements en matière d'équipements etd'infrastructures de la part d'un Etat dont lesmoyens sont comptés. La priorité est donnéeaux réseaux d'électricité et d'adduction d'eau,progressivement étendus à de nouveauxquartiers. Quelques voies nouvelles relient lecentre ville à la route côtière. Si certainesrues sont goudronnées, dans le mêmetemps, d'autres perdent leur trafic, commel'ancienne voie traversant la cité, etdeviennent à peine praticables.

La construction de la déviation déplaceau nord le centre de gravité del'agglomération. Des commerces et un hôtels'installent en bordure; un marché y estimplanté. Quant aux habitants, nombreuxsont ceux qui acquièrent un terrain dans lazone entre la ville et cet axe, autrefoisplantée de palmiers à huile. Un tissu urbainà dominante résidentielle s'y dessine.Les nouveaux venus «s'arrangent» avecun propriétaire terrien pour obtenir le droitd'occuper un sol et de bâtir. La faiblepression foncière permet d'obtenir dessurfaces assez grandes, souvent plus d'unmillier de m2, qui seront ensuite souventde nouveau divisées.

Cette démarche intéresse lesémigrants comme les habitants des vieuxquartiers qui aspirent à vivre ailleurs que dansles concessions familiales, inconfortables etporteuses de pesanteurs sociales, et danslesquelles il est difficile d'affirmer sapropriété. Les terrains périphériques secouvrent progressivement de maisons enparpaings même si la vocation agricole nedisparaît pas totalement: les enclos sontsuffisamment vastes pour que les occupants

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plantent des arbres fruitiers et développentdes cultures maraîchères.

Ce mode d'implantation n'est passpécifique à la cité; il est aujourd'huidominant dans la plupart des agglomérationsafricaines. Plutôt que de chercher às'implanter dans les quartiers centraux, lesnouveaux citadins préfèrent se fixer (parfoisaprès un temps de résidence dans les vieuxquartiers) dans des «périphéries» encore peuhabitées. Le manque de services urbains,auxquels ils ont de toutes façons souventdifficilement accès par manque de moyens,est compensé par un accès plus facile etmoins coûteux au sol et par des contraintessociales moins lourdes.

Ce mode d'urbanisation aboutit dansles vieilles villes à une nouvelle partition:aux anciens quartiers désertés par les forcesvives, mais paradoxalement dotés d'uncertain nombre d'équipements, datant pour laplupart de l'époque coloniale, s'opposent lesquartiers neufs aux faibles densitésd'habitants et de constructions. Longtempsconsidérés comme des banlieues, ceux-ciacquièrent un mode de fonctionnement deplus en plus autonome.

L'urbanisation progressive de lapalmeraie témoigne du regain de croissancedémographique de la cité. Les nouveauxarrivants sont, d'une part des populationsvenant du nord et attirées par les «richesses»de la côte, d'autre part des populations vivantde l'économie générée par l'axe Accra-Lomé­Cotonou-Lagos. Ouidah fait fonction de villeétape où le manque d'activité est compensépar un accès facile au sol; après quelquesannées, une partie des habitants émigre versles grandes métropoles, les membres moins«actifs» des familles (enfants, vieillards...)demeurant plus longtemps à Ouidah.

Les événements politiques peuventavoir aussi une incidence sur l'accroissementdémographique de certaines villes. Il y aquelques années, le Nigeria, confronté à lacrise liée à la baisse de la rente pétrolière,ferme ses frontières et fait expulser de Lagosles émigrés étrangers dont un grand nombrese fixe le long de la côte.

Page 169: Le comptoir de Ouidah : une ville africaine singulière

Plus récemment, une partie des habitants deLomé fuit la répression politique sanglante durégime du général Eyadéma et trouve refugeau Bénin. Certains s'établiront à Ouidah.

L'Etat ne trouve pendant longtempsrien à redire à la croissance «informelle»des villes, notamment lorsque celles-ci neréunissent qu'une ou deux dizaines demilliers d'habitants. L'effort en matièrede politique urbaine concerne en prioritéCotonou, et dans une moindre mesure Porto­Novo. Ce n'est qu'en 1986 qu'est prise ladécision de lotir les quartiers nord de Ouidah.Des études sont menées mais les projetsn'aboutissent pas en raison de la complexitédu statut des terrains. De multiples cessionsse sont déroulées entre des occupants et despersonnes se jugeant responsables d'un solqui relevait de fait de toute une «collectivité»,mais dont ils étaient les seuls représentantsprésents.

L'intervention de l'Etat estparticulièrement difficile dans la mesure oùelle implique avant de lancer une opérationd'aménagement d'un domaine privé, uneidentification précise de tous les propriétairesfonciers. Ceci s'avère impossible dans lesfamilles n'ayant pas divisé leurs biensfonciers depuis souvent plusieursgénérations. Face aux conflits entre ayantsdroit que ce type de mesure risquerait desusciter, la puissance publique préfèrerenoncer à toute intervention.

Telle est également sa position vis-à-visdes quartiers anciens. Lorsque des divisionsde domaines ont eu lieu, elles se sont faitessans, pour la plupart, avoir été enregistréesofficiellement (la carte foncière établievers 1955 répertorie seulement quelquesdizaines de propriétés immatriculées à despersonnes privées). De plus, aujourd'huiencore, les limites physiques des domainesne sont même pas toujours matérialisées.La mise en place de procédures derégularisation foncière provoquerait desconflits encore plus violents en réveillant lesjalousies et les querelles qui peuvent existerentre les habitants.

Dans ce contexte, les opérationsd'urbanisme ne concernent que le domainede l'Etat (privé et public). quand celui-ci n'apas été occupé «illégalement» par deshabitants comme dans le nord de la cité. Surles terrains autrefois immatriculés au nom dela colonie et dont il a hérité en 1960, l'Etatfait bâtir quelques équipements, bâtimentsadministratifs, école, dispensaire... L'aide dela Chine a permis récemment de construireune salle de spectacle le long de la voiereliant la place du fort français à la déviation.

Parallèlement, les vieux quartiers sontabandonnés, tant par la puissance publiqueque par les habitants qui auraient les moyensd'investir et qui préfèrent bâtir ailleurs. Lesconstructions nouvelles dans le centre ville secomptent en unités, tandis que les anciennesmaisons familiales sont de plus en plusdésertées; n'y demeurent que les «vieux etles vieilles» qui font fonction de gardiens desreliques familiales et des secrets des cultes.Seules les fêtes dédiées aux vodouns et auxancêtres, auxquelles les membres desfamilles ne peuvent se soustraire, sontl'occasion de la venue dans les «maisonsmères» de centaines de personnes qui,une fois la cérémonie achevée, se hâtent deretourner dans leurs lieux de résidence.

Le contraste entre les vieux quartiersen voie de taudification et le tissu périphériqueen extension se remarque dans la plupart descentres urbains anciens de la côte d'Afriquede l'Ouest. A Saint-Louis du Sénégal, unnouveau centre urbain se constitue sur la rivecontinentale du fleuve, au carrefour des axesroutiers, et concurrence le vieux centre établisur l'île, qui perd ses habitants et sesactivités. Comme à Ouidah, l'identificationdes propriétaires fonciers devient de plus enplus complexe avec le temps et bloque toutinvestissement immobilier.

En l'espace de quelques dizainesd'années, les sites urbains témoins del'histoire africaine, sont entrées dans unelogique de disparition. La question de laconseNation des signes physiques du passése pose désormais dans l'urgence.

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Page 170: Le comptoir de Ouidah : une ville africaine singulière

CONCLUS o N QUELLES T R ACE S ?

L'ESPACE URBAIN

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AUJourd'huI, les différentes phases del'urbanisation disparaissent sous la trame

posée au milieu du XXe siècle Ses tracésrectilignes découpent l'espace en îlots,comme dans la plupart des villes d'Afrique

noire De nos jours, le visiteur ne percevraplus de différence fondamentale entre Ouidahet certains quartiers de Cotonou. A ceprocessus, s'ajoutent d'autres éléments quicomplexifient une lecture patrimoniale.

La construction en terre concourt à la

précarité des édifices, régulièrementrebâtis en raison des conditionsclimatiques et des incendies. les pluiesdégradent rapidement les

soubassements et les toits en paillefavorisent la propagation du feu.Par ailleurs, la facilité d'accès aux maté­riaux (bois, terre, paille), la simplicité

des modes de construction et pendantlongtemps l'abondance de la main­

d'oeuvre servile, ont incité les habitants àreconstruire plutôt qu'à réhabiliter. Cetteopération pouvait être l'occasion d'unréaménagement, voire d'un déména­

gement, si le site d'origine ne répondaitplus aux aspirations du moment.

Page 171: Le comptoir de Ouidah : une ville africaine singulière

Aussi, retrouver dans une optiquepatrimoniale les formes et la localisationd'origine d'un bâtiment se révèle difficile etquelque peu ethnocentriste. D'une part, lestraces anciennes s'effacent rapidement etseules des fouilles archéologiques feraientpeut-être apparaître des vestiges (les quelquestentatives réalisées n'ont pas été concluantes)

D'autre part, la figure de l'antériorité,utilisée comme modalité de légitimation d'uneoccupation foncière, n'est pas présentetraditionnellement dans cette société. Elle aété introduite récemment et imparfaitementpar les Occidentaux. Pendant plusieurs siècles,les chefferies ne s'y réfèrent pas pour marquerleur autorité comme en témoignent les mythesde fondation des établissements et la capacitédes rois à s'emparer de divinités étrangèrespour asseoir leur pouvoir. Néanmoins, ellecommence à apparaître avec le développementde l'économie de plantation. A partir du débutdu XXe siècle, des groupes en contact avecles Européens en usent (et en abusent), afinde se forger une image sociale et d'affirme leurcontrôle sur certains domaines fonciers. Il fautdonc lire avec prudence les informationsrecueillies sur l'origine des lieux.

Le développement de Ouidah n'estpas non plus composé d'un continuumd'événements construisant une histoireurbaine linéaire. Pendant la période de traite,la cité subit des crises économiques, liées auxguerres et aux pénuries d'esclaves qu'ellesprovoquent. Ouidah perd à plusieurs reprisesune partie de sa population L'abandon desforts, que relatent les mémoires des Directeurs,a sans doute été accompagné du départd'autres habitants émigrant vers descomptoirs plus actifs.

Cette croissance irrégulière empêchede définir un moment d'apogée de la ville,figure incontournable du discours patrimonial.Plusieurs historiens signalent l'intensitémaximale de la traite à l'époque houédah oùOuidah était composée de quelques hameaux.Seul peut être affirmé son déclin économiquedepuis le début du XXe siècle.

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localisation des origines ethniques des maisons mères de Ouidah

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carte topographique de Ouidah: les trois forts ont été implantés au dessus di

D'un point de vue démographique, ilsemble qu'il y ait eu une forte croissance dela population pendant la première moitié duXVIIIe siècle, mais celle-ci se stabilisa pendantlongtemps autour de la dizaine de milliersd'habitants, ce qui s'avère bien inférieur à lacapitale politique, Abomey, ou même à d'autrescomptoirs, comme Porto-Nova ou Lagos.Paradoxalement, la ville ne connait unecroissance démographique régulière quedepuis le milieu du xxe siècle.

Aujourd'hui, on ne trouve guère detraces des hameaux houédahs et il n'y a pasnon plus de certitude sur l'existence dequartiers fondés par cette ethnie. Il n'estmême pas certain que le bois sacré Kpasséet le temple aux pythons aient toujours étélocalisés sur leur site actuel.

L'agglomération ne s'est développéequ'à la suite de la conquête fon et il subsistedavantage de traces de leur présence.Plusieurs quartiers ont été fondés à l'initiativedu Yovogan. Néanmoins, d'autres groupessont venus s'y installer et, à l'exception desHaoussas réunis dans le quartier Zongo, aucunsite ne présente une population homogène.Il n'est donc pas possible de parler d'un moded'urbanisation propre à une ethnie: l'économiemarchande de la ville remet en cause ce modede découpage social; la cité se développed'abord en fonction d'intérêts commerciaux.

Abomey, la ville «sainte» où lesétrangers ne pénétrent qu'exceptionnellements'oppose à Ouidah, ouverte sur l'extérieur,espace «profane» et profané, qui ne sedéveloppe pas à partir des lieux d'exercice dupouvoir politique, mais depuis ceux de la traite.L'économie n'est toutefois pas la seule règleprésidant à l'organisation de l'espace; lesystème socio-religieux s'y manifeste aussi.

De façon simplifiée, deux niveaux delecture peuvent se distinguer, l'un économiqueet l'autre religieux. Le premier se réfère auxusages occidentaux, emprunte son vocabulaire,marché, lieux de commerce, fort, réunis pardes chemins progressivement transformés enrues; il est repéré par les visiteurs européens(il n'est cependant pas évident que cet ordresoit perçu de la même façon par les habitants).

1900 1910 1920 1930 1941

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Page 173: Le comptoir de Ouidah : une ville africaine singulière

Quant aux domaines d'habitation deslignages, ils forment des groupements deconstructions aux tailles très diverses et dontles contours irréguliers définissent descheminements. Le percement de voies auxxe siècle a fait disparaître la plupart desruelles dans le centre de l'agglomération maiselles demeurent dans d'autres quartiers.

L'histoire de la ville la plus facile àreconstituer est évidemment celle de sonurbanisation «occidentale». Les acteursdominants en sont d'abord les négriers quiont construit des forts autour desquels sesont développés des quartiers. Mais lesvéritables initiateurs de l'aménagementrestent les Afro-Brésiliens qui introduisent desformes spatiales nouvelles et font tracer desvoies rectilignes. Leur influence se lit jusqu'audébut du xxe siècle dans le développementde certaines pratiques architecturales etdécoratives. Cependant, le quartier Brésil,habité aujourd'hui par une populationcomposite, ne témoigne plus guère de laprésence de ce groupe, en dehors d'uneappellation et de quelques édifices.

L'arrivée de nouveaux acteurs à la findu XIXe siècle, l'administration coloniale et lesmissionnaires chrétiens, éclipse les Afro­Brésiliens. Les premiers fondent leur quartierà la périphérie, développent le réseau devoirie dans la ville; quant aux missionnaires,ils s'implantent à l'intérieur de la cité.

Bien que la ville ait été dominée pardifférents groupes souvent concurrents,chaque nouveau maître n'a pas, comme dansd'autres civilisations, éradiquersystématiquement les signes du passé: si lacapitale houédah et plusieurs quartiers ducomptoir ont été détruits par les Fons, ceux-ciont respecté les cultes existants et leurstemples. Les logiques des différents acteursse sont souvent juxtaposées: les directeursdes forts ont contrôlé chacun leur «village»,tandis que le Yovogan dirigeait le reste de lacité. Le chef de la communauté afro­brésilienne fonde son propre quartier, puis à lafin du Xlxe siècle, l'administration colonialeinvestit des terres à l'extérieur de la ville.

OUIDAH

PORTO-NOVO

COTONOU

ABOMEY

Le marquage social de l'espace nese lit pas aussi facilement; les espacessacralisés se manifestent par des morphologiestrès diverses: placettes, temples, couvents,lieux-dits, bosquets, situés à proximité oudans les concessions. La localisation destemples ne semble pas obéir à un principe decentralité: sur la carte levée au XVIIIe siècle,les temples sont dispersés dans toute la ville.Certains se retrouvent à l'extérieur de la cité.Les grands temples sont éloignés les uns desautres et ne dessinent pas un pôle religieux;plusieurs sont même situés à proximité de lieuxde commerce.

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lénivelé

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1950 1960 1970 1980

évolution des populations de Porto-Novo, Ouidah, Cotonou et Abomey 171

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Page 174: Le comptoir de Ouidah : une ville africaine singulière

Différents éléments expliquent cettedémarche· tout d'abord, il n'existe pas decontraintes physiques qui limiteraient

l'extension spatiale et Justifieraient de fortesconcentrations. Par ailleurs, l'installation dans

des lieux déjà habités et dotés d'une valeursacrée peut susciter de nombreux problèmesaux nouveaux arrivants. Qu'ils soientoriginaires des régions voisines ou d'Europe,

les immigrants craignent tous de subir lesmaléfices des vodouns locaux et préfèrents'en éloigner, le temps que leurs propresdieux puissent les en protéger.

souverain houédah impose aux négriers laconcurrence entre eux et la cohabitation, ceqUI déroge à leurs usages. Le royaume duDahomey, malgré ses tendances centralisa­trices, reconduit cette règle et, au XIXe siècle,favorise la venue des Afro-Brésiliens Peut-êtrefaut-il voir dans ce principe, la transposition àl'échelle spatiale d'une règle de fonctionnementsocial nécessaire à ceux qui, dans leursnombreuses migrations, sont amenés à

cohabiter avec d'autres: la coexistence, voirela concurrence, des divinités à l'intérieurd'une même société, conforte cette analyse.

Ouidah

Plus largement, une installation sur un site

inhabité permet de respecter les différencesculturelles, y compris dans la vie quotidienne.Chaque nouveau groupe préfère d'abord seréunir en un même lieu, caractéristique qUIs'estompe généralement avec le temps.Enfin, ce mode d'implantation évite aussi lesconfrontations souvent conflictuelles entre lesacteurs économiques qui obtiennent chacunleur territoire d'action.

Ce principe de coexistence s'avèretrès ancien: dès le milieu du XVIIe siècle, le

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1

La juxtaposition n'efface pas lesrapports de force qui s'expriment souvent àtravers les cultes, véritables vecteurs desrelations sociales. Elle ne supprime pas nonplus les interventions des migrants. Lahiérarchie entre les vodouns évolue en

fonction des rapports politiques. Le repré­sentant du Dahomey; tout en imposant lescultes royaux, se fixe à proximité du templeaux pythons et interfère dans les rituels. Lesétrangers adoptent cette stratégie. Le Chachas'empare d'un vodoun et l'érige en grand culte

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Les colonisateurs font bâtir la Basilique faceau temple des pythons et encouragent laconstruction d'une grande mosquée à la placed'un temple vodoun Mais, toujours inquietsde la force du système de culte vodoun,ils préfèrent fonder leur capitale sur un siteinhabité, Cotonou L'apparition d'un espacepropre à chaque acteur du développement

urbain empêche la création d'un centreréunissant les principales activités. La citéfonctionne à partir de plusieurs pôles, pourcertains éphémères, sans qu'aucun nedomine les autres. Telle est sans doute, pourune si petite ville, la principale singularitE' ,1 .

niveau organisationnel, qu'elle conser ..encore aUJourd'hui.

U N PAT R M 0 N E ARC H TECTURAL

Cette recherche a permis d'inventorier différentes catégories de bâtiments qui témoignent chacun d'un traitsocial ou historique. Certains ont disparu, mais d'autres sont encore identifiables.

Gorée

LES LIEUX DU COMMERCE

Il n'existe plus guère de traces de la traite.Deux des trois forts ont été détruits Le

dernier, transformé à la fin du XIX e siècle enrésidence, est devenu récemment un espaceculturel Quant à la Route des Esclaves, elle estaujourd'hui perçue simplement comme unchemin menant à la plage en traversant despaysages pittoresques. Il est en effet difficiled'évoquer une activité de transit (les esclavesrésidaient peu de temps à Ouidah) qui bienévidemment n'appelait pas d'importants inves­tissements matériels. les prisonniers étaient

enchaînés dans des cases à l'intérieur des fortsou dans des enclos en plein air Le long de cetitinéraire, aucune construction n'estsusceptible de rappeler la traite. Le seulbâtiment présent en bord de mer, bâti pour ladouane au début du xxe siècle, a récemmentété intégré dans l'hôtel en constructiondepuis plusieurs années. Un projet de mémo­risation impliquerait d'inventer des formesnouvelles de marquage de l'espace. Unepremière tentative a eu lieu à l'occasion duFestival des Arts Vodouns à Ouidah en 1992 •

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des oeuvres ont été commandées à desartistes africains et installées sur ce trajet.

Restaurer ou réhabiliter de tels sitespose néanmoins des problèmes spécifiques,comme sur l'île de Gorée au Sénégal où lesréponses apportées présentent une certaineambiguïté. Cet ancien comptoir d'esclaves,visité quotidiennement par des centaines detouristes, est aujourd'hui le site le plus pitto­resque et le plus reposant de l'agglomérationdakaroise. Les propriétaires se sont d'ailleursregroupés afin d'aider à la réhabilitation desmaisons et à la plantation d'arbres et de fleurs.Le paysage coloré des bougainvilliers quibordent les ruelles en sable soigneusementnettoyées n'évoque guère la violence de latraite; de même, les façades colorées etl'élégant escalier à double volée de «la maisondes esclaves», récemment restaurée, fontoublier les geôles du rez-de-chaussée d'oùpercent à travers les meurtrières l'éclatanteluminosité de la mer et du ciel. Seule la parolepuissante et imagée du guide rappelle ladouleur des hommes qui y ont séjourné.

Une valorisation touristique (un clubde loisirs a imaginé racheter la totalité de l'îlepour la transformer en village de vacances)s'accorde difficilement avec le projet d'évoquerla barbarie; elle a plutôt tendance à labanaliser. Dans le même esprit, aux Antilles,certaines cases abritant autrefois les esclavesont été transformées en chambres d'hôtel,les plantations accueillant des activités de loisir.

La mise en valeur culturelle n'est pasnon plus à l'abri de ce risque. Evoquer lasouffrance des esclaves ne peut se suffire dudépôt de quelques souvenirs de l'époque oud'une simple réhabilitation des bâtimentsprésentant des qualités architecturales. Telleest l'ambiguïté de l'opération de restaurationdu fort portugais qui repose sur la mise envaleur d'éléments défensifs (les bastions, lescanons), d'une chapelle, d'une caserne et dela Résidence, autant d'équipements destinésaux seuls négriers. Les centaines d'esclavesqui y ont transité ne sont rappelés que par lesquelques objets et images récupérés par lesconservateurs bien avant cette opération etdéposés dans le petit musée.

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1

L'aménagement en jardin des espacesextérieurs, la création d'une salle de spectacleen plein air et de bâtiments d'expositionsrisquent de faire oublier la fonction originelledu site. Cette question se pose pour tous leslieux «étapes», comme par exemple la cité deDrancy dans la banlieue parisienne qui a vutransiter entre 1942 et 1944 des milliers dejuifs déportés vers les camps de concentration.

Les lieux de commerce les mieuxconservés à Ouidah datent de la fin du XIXeou du début du XXe et réfèrent au négoce,plus civil, de l'huile de palme. Celui-ci estégalement évoqué par le paysage rural autourde la ville, depuis les alignements de cocotiersle long de la côte jusqu'aux plantations depalmiers qui couvrent des dizaines d'hectares.

De nombreuses maisons présententun intérêt architectural. Leur style n'est pastoujours clairement identifiable dans la mesureoù il emprunte à différentes influences. Lesédifices renvoient tantôt à l'architecturebrésilienne, par les motifs décoratifs, tantôt àl'architecture coloniale, par l'organisationinterne et les modes de construction. Ils sontlocalisés à proximité du marché et le long dequelques axes.

La disparition progressive ducommerce a entraîné leur abandon par lespropriétaires. Lorsque des occupants y sontencore installés, ils n'ont ni les moyens nil'envie de les entretenir et encore moins deles restaurer. Les bâtiment vides sedétériorent sous J'effet des des pluies et deschauves-souris qui logent sous les toitures.Aujourd'hui, la plupart de ces maisons sonttrès dégradées bien qu'elles imprimentencore un paysage particulier et permettentde distinguer Ouidah de n'importe quelleautre bourgade.

La réhabilitation de quelques maisonsde commerce ne pose pas de questionéthique comme pour la traite des esclaves (enEurope, on restaure les maisons bourgeoiseset les châteaux). Néanmoins, il convient de sedemander quel usage pourrait être fait d'édificesqui ont perdu depuis longtemps leur fonction,

~ d'autant que L'Etat béninois a d'autrespriorités en matière d'aménagement urbain.

Page 177: Le comptoir de Ouidah : une ville africaine singulière

le temple du chef des «féticheurs» de Ouidah; sur le mur, les emblèmesdu vodoun fon «Héviosso», en forme de double hache, rappellent la domination du Dahomey

CONCLUSION

LES SITES RELIGIEUX

Legrand nombre de temples et d'autelsvodouns témoigne de la vivacité des

pratiques religieuses à Ouidah. Cettecaractéristique est diversement appréciée.Si l'image d'une cité, «berceau des cultesvodouns», excite l'imagination de quelquesvisiteurs étrangers, elle continue à inquiéterde nombreux Béninois. La sévérité des rituelset les craintes de maléfices provoquent desattitudes de rejet. en particulier des jeunesgénérations, qui dans leur refus des cultess'opposent en fait à l'ordre social qu'ilsdéfinissent. Seuls les «adeptes» ont unrapport affectif positif aux temples qu'ilsfréquentent sans se poser la question de leurvaleur patrimoniale.

Les temples vodouns sontgénéralement de simples concessions«habitées» par les divinités qui se substituent

dans certaines pièces aux humains:le vodoun principal repose dans unesalle tandis que les divinitéssecondaires qui le protègent nichentdans des encoignures de murs.La banalisation du temple, résidenceprivée de la divinité, renvoie à ladimension terrestre des dieux. Si leurpouvoir est infini, leur mode de vie serapproche de celui des hommes.Le prêtre du culte leur rend honneuren les logeant dans la constructiondont il aurait envie et leur réseNe desmatériaux «nobles» : le parpaing,le béton et la tôle.

Les divinités elles-mêmes sontreprésentées à l'aide de matériauxcontemporains. Les carburateursusagés et les machines à coudrefatiguées remplacent les pièces en fer

sculptées pour figurer le Vulcain local, Gou.Tout regard esthétique ne doit cependant pasêtre proscrit dans ce mode de représentation.Les assemblages de pièces métalliques pourévoquer ce dieu ne sont pas sans rappelerceux du sculpteur suisse Tinguély.

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Enfin il n'existe pas de relationsystématique entre la taille ou le nombre detemples et la notoriété d'un culte, comme entémoigne le temple des pythons. La force dela croyance s'exprime d'abord dans le pouvoirque les habitants accordent au vodoun et dansles rituels cérémoniels dont le temple n'estque le point de départ et d'arrivée.

Dans cette perspective, le paysagedes temples ne s'accorde guère avec l'idéeque l'on se fait dans le monde occidental dupatrimoine bâti. Reproduire à l'échelle de cesbâtiments les pratiques de «restauration»semble déplacé et ne pourrait aboutir qu'àune dévalorisation d'un système culturel:les récits des visiteurs occidentaux tout aulong des siècles mesurent la barbarie de lapopulation à leur incapacité de bâtir desmaisons «dignes» de leurs idoles. Les«adeptes» ne manifestent d'ailleurs jamaisl'intention de conserver en état certainsbâtiments «anciens». Les rituels sont déjà làpour rappeler la continuité des relations entreles vivants et les morts. L'analyse des cultesvodouns implique que l'on ne fonde pasd'échelle de valeur à partir des signes matérielsqui marquent cette pensée (ce qui n'est pasfacile pour un Occidental qui vit depuislongtemps dans ce système de représentation).

De plus, l'idée même d'intervenir surl'espace physique des temples afin deles valoriser, voire d'en faire des pôlesd'attraction, est délicate à manier. Ellen'intéresse pas les adeptes qui préfèrentgarder une certaine discrétion au lieu.Contrairement à l'église ou à la mosquée,maison de Dieu ouverte à tous, le templevodoun concerne une communautéparticulière et fait d'abord fonction derésidence de la divinité, gérée par le chef duculte. L'intervention d'une instance extérieureau groupe des initiés, quel que soit le motif,serait toujours perçue comme une intrusion.En outre, une action visant à modifier lepaysage du temple serait difficilementcompréhensible : son organisation spatialecomme son ornementation n'obéissent pas àun modèle ou même à des règles bien établies.

Les édifices chrétiens répondentmieux aux critères patrimoniaux occidentaux.Conçus comme des monuments, ils dominentl'espace où ils ont été implantés. Les tours dela basilique et du grand séminaire, imaginéescomme des signaux, surplombentrespectivement la ville et la campagneenvironnante.

Le bon entretien de ces édificestémoigne d'ailleurs de la place ducatholicisme, fortement implanté dans larégion (à l'inverse, la discrétion du templeprotestant marque la diffusion relativementfaible de cette religion dans le pays).

Quelles que soient leur symboliqueet leur audience, ces bâtiments ne présententhélas guère d'intérêt architectural. Composésdans un style très «composite», ilsempruntent à différents vocabulairesesthétiques sans en former un nouveau. Deplus, aucun édifice ne possède d'originalitémarquante; au contraire, bâtis pour la plupartau début du XXe siècle, ils présentent tous enAfrique noire une certaine similarité pour nepas dire une certaine banalité.

En revanche, la construction demosquées au début du XXe siècle a étél'occasion d'un curieux métissage culturel.Les premiers bâtiments des grandesmosquées de Ouidah et Porto-Novo, bâtiessous l'impulsion des Afro-Brésiliens, seréfèrent aux formes des églises baroques deSan Salvador de Bahia (comme d'ailleurscelles de Lagos).

Malheureusement, l'édifice à Ouidahest resté inachevé et ne possède pas lasplendeur de celui de Porto-Novo, bienentretenu et régulièrement repeint, dans destonalités à chaque fois différentes. Bien quele bâtiment, contrairement aux temples ouaux concessions, se réfère à un genrearchitectural précis, les «décorateurs» necherchent pas non plus à conserver lesmêmes couleurs et plus globalement àrespecter le modèle initial. L'adjonctionrécente de minarets d'inspiration moyenorientale montre d'où proviennent lesinfluences aujourd'hui.

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CONCLUSION

LES LIEUX POLITIQUES

Ouidah ne fut jamais un centre politiqueet elle n'accueille que des espaces à

vocation administrative. Au nord de la ville,le village de Savi rappelle la conquête par leDahomey. A Ouidah même, le domaine duYovogan a disparu. De la domination duroyaume fon, ne demeurent que les autelsdu roi Agadja, qui verrouillent la cité au nord etau sud, et les temples dédiés au culte desdivinités royales.

Les bâtiments administratifsimplantés à l'ouest de la ville et autour du sitede l'ancien fort français témoignent desdifférents styles de l'architecture coloniale.Les fonctionnaires béninois qui les occupentaujourd'hui en critiquent le manque defonctionnalité, le coût élevé d'entretien etaspirent à résider et à travailler dans desédifices «modernes», comme les nouveauxbureaux de la Circonscription Urbaine. Dans lemême temps, les anciens édifices sont peu àpeu désertés et se dégradent.

élévation de la «résidence du Commandant de Cercle» avant restauration (en haut) et après (en bas)

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). ~- .... -.

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Seule la résidence du «Commandant deCercle» a fait l'objet de travaux. Ceux-ci,hélas, ont fait disparaître une de sesprincipales caractéristiques architecturales,les cloisons extérieures en panneaux de boisajourés, remplacées par des murs en «dur».

Les critiques «rationnelles» portéessur l'architecture coloniale et sa disparitionprogressive, remarquable dans tous les paysafricains, témoignent de la difficulté d'intégrercette époque à l'histoire nationale. Même si lesujet est moins sensible que celui de la traite,il renvoie à un moment historique douloureuxpour la majorité des Béninois.

La disparition des bâtimentscoloniaux pose finalement la question de larelation qu'une population «dominée» peutavoir avec son passé. Peut-on espérer que lesnouvelles générations porteront rapidementun regard plus patrimonial sur ces édifices,comme d'autres peuples l'ont fait, parexemple en Amérique latine? Au-delà de laconservation de ces vestiges, une telledémarche marquerait sans doute leur passageirréversible dans la modernité.

L'ESPACE DOMESTIOUE

Les concessions à Ouidah sont composéesde groupements d'habitations ouvrant sur

des cours, de plus ou moins grande taille.Il n'existe pas morphologiquement dedifférence très visible entre ces constructionset celles des villes environnantes. On notela disparition progressive de l'utilisation dela terre au profit du parpaing. En outre,la dégradation de nombreux édifices ancienss'explique par la disparition des activitéséconomiques et par le rejet de pratiquesconsidérées comme rétrogrades (laconstruction en terre) dans la société africainecontemporaine. Faut-il cependant en conclureque l'habitat à Ouidah n'est simplementqu'une illustration des problèmesdu logement dans les villes d'Afrique noire?

Cette analyse serait insuffisantemême si elle n'est pas fausse en soi.Les concessions de Ouidah possèdent pourla plupart une dimension patrimoniale,au sens premier du terme.

la «concession mère» de la collectivité Dossou-Vovo dans le quartier Sogbadji

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CONCLUSION

Le lien entre un espace et une famille se litdans la concession de diverses façons(tombes, pièces aux assins, pièces et coursréservées aux cérémonies). Bien qu'occupéespar peu d'habitants, les maisons mèresvoient, à l'occasion des cérémoniescommémoratives des ancêtres, revenir laquasi totalité des membres du lignage.

Aujourd'hui ces maisons, où l'oncompte parfois plus de tombes qued'habitants, sont souvent dégradées. Lesfamilles n'entretiennent que les espacessacrés et se désintéressent généralementdes espaces d'habitation, occupés par lesgardiens. Les plus riches ont élevé desbâtiments en «dur)) pour les cérémoniestandis que les plus pauvres se contentent depetites pièces aux murs de terre.

Quel que soit leur état, les maisonsfamiliales ne sont pas désaffectées. Unepartie des «espaces habités)) à Ouidahs'adresse non pas aux résidents mais auxancêtres (dont les vivants se considèrentsouvent comme la réincarnation). Poser laquestion de la réhabilitation s'avèreégalement délicat.

les différentes concessions de la collectivité Quénum (hachuré), autour de la «maison mère)) (en noir)la villa afro-brésilienne «Saint Pierre))

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façade d'un bâtiment afro-brésilien d'une concession Quénum

Pour essayer de se représenter la situation,il faut s'imaginer que nous avons affaire à unevaste nécropole où chaque maison est unmonument funéraire sous le régime de lapropriété indivise. Cette vision n'est pasnécessairement péjorative et morbide.Elle marque la force de l'unité socialelignagère et la continuité entre les morts etles vivants, réunis régulièrement sous unmême toit.

La villa se différencie de laconcession, aux nombreux bâtimentsrégulièrement agrandis et remodelés, par uneforme architecturale stable, généralementinspirée d'un modèle. A Ouidah, les Afro­Brésiliens ont apporté cette façon deconstruire, avant qu'elle ne soit diffusée par lacolonisation. Leurs villas peuvent êtrefacilement abordées selon des critèrespatrimoniaux. Aux signes esthétiques quiproviennent à l'origine du monde occidental(porches, moulures en stuc, balustres...)s'ajoute l'originalité du métissagearchitectural: quoi de plus exotique que dedécouvrir, au hasard d'une promenade entreles murs épais en terre rouge desconcessions, un encadrement de porte auxformes baroques!

Cette tradition demeure encorevisible à Ouidah et Porto-Novo. A Lomé etLagos, devenues capitales, les anciennesbâtisses ont été remplacées par desimmeubles de plus grande taille. D'unecertaine façon, le déclin politique etéconomique des petites villes a figé certainsquartiers et a permis de conserver l'espacebâti. Paradoxalement, si les habitantspouvaient se loger selon leurs envies, ilsauraient fait bâtir à la place des concessionset des villas afro-brésiliennes desconstructions «modernes» et les édificesanciens auraient disparu depuis longtemps.

Néanmoins, de nombreuses maisonssont au bord de l'écroulement et les motifsdécoratifs ne sont plus aujourd'hui entretenus.A Ouidah, un seul artisan spécialisé a pu êtreidentifié: sa dernière commande provient desdescendants de Chacha qui lui ont demandérécemment de reprendre les moulures desouvertures du bâtiment où se réunissent lesmembres de la famille à l'occasion de la fêtede célébration des ancêtres.

Tout autant que la conservation dequelques édifices, il conviendrait de formerdes ouvriers spécialisés afin que la traditionconstructive puisse se perpétuer.

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CONCLUSION

LES SUPPORTS CONCEPTUELS DU

Il est difficile d'appliquer à Ouidah les critèresphysiques d'appréciation liés au patrimoine

architectural dans le monde occidental. Outrele fait que certains événements ont produitpeu de traces, celles qui demeurentéchappent aux canons habituels.

La notion de monumentalité n'estguère représentée dans la ville. A l'exceptionde la Basilique et de la grande mosquée, tousles édifices, de petite taille, se fondent dansle tissu urbain. Le fort lui-même, de plusgrand gabarit, passe souvent inaperçu. Lecaractère grandiose, qui attire les foules, estabsent de Ouidah dont l'histoire ne se déclinepas à partir de superlatifs. De plus, le patrimoinearchitectural non monumental est plus facile àmettre en valeur lorsqu'il est réuni dans unquartier et mieux encore dans le «coeur de lacité)). Malheureusement, l'Histoire n'a pas

généré de véritable centre urbain et les sitespatrimoniaux sont dispersés.

Il n'est pas nonPAT R 1MOI N E plus facile

d'attribuer à tousces lieux une valeur de modèle ou à l'inversed'élément singulier, voire d'exception,comme c'est souvent le cas pour les misesen valeur architecturales. Aucun bâtiment nepeut être considéré comme un archétyped'un genre ni, par ailleurs, être observécomme une prouesse technique ou untémoignage exceptionnel du génie humain.

Les palais et les temples sont plusremarquables à Abomey; Porto-Novopossède un grand nombre d'édifices afro­brésiliens qui présentent, de surcroît, uneornementation particulièrement riche. Lesforts sont plus impressionnants le long de lacôte ghanéenne et l'architecture coloniale estmieux représentée dans les capitalescôtières. L'intérêt de Ouidah est de ce pointde vue «secondaire», à l'exception de la villaAdjavon dont l'architecture et la décoration enfont une oeuvre sans doute uniqueaujourd'hui sur cette côte.

façade principale de la villa Adjavon

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Ouidah ne témoigne pas non plusd'une société qui se serait conservée à l'abrides influences extérieures tout au long de sonexistence. Au contraire, la cité n'existe quepar les échanges et les métissages qui s'ysont opérés.Son paysage urbain, évidemment composite,ne s'accorde donc pas avec l'imaged'homogénéité sociale et spatiale que l'onprojette généralement sur les établissementshumains des sociétés «primitives)) dont lepeuple dogon est un des archétypes enAfrique noire. Ce critère, allié à ceuxd'ancienneté et de rareté, est indispensablepour qualifier un site architectural«traditionnel». L'espace urbain en Afriquen'est généralement pas considéré commepouvant relever du patrimoine: trop récent,il ne saurait restituer que des influencesextérieures et des transformations sociales,bonnes ou néfastes selon les discours.

Enfin, les bâtiments de Ouidah netémoignent pas non plus d'un passé trèséloigné, dont ils seraient les derniers vestiges.Les modes de construction en terre nepermettent pas d'identifier des constructionstraditionnelles très anciennes. Il est possibleque la grande majorité des maisons en terrecrue encore présentes datent au plus dudébut du siècle. Paradoxalement, les édificesles plus vieux sont peut-être ceux édifiés enbriques cuites par les Afro-Brésiliens et lesmaisons de commerce occidentales dans laseconde moitié du Xlxe siècle.

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toiture de la villa Adjavon

étage de la villa Adjavon

rez-de-chaussée de la villa Adjavon

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plan partiel de Ouidah en 1991 où sont localisés les principaux sites «historiques» (IGN-INC-ORsrOM-SERHAUl

Toutes ces constructions rappellentdes moments passés mais n'ont pas étéconçues pour évoquer des événementsprécis. à la différence des sites«commémoratifs» (par exemple les arcs detriomphe). Cette relation au passé s'appuiepour les habitants sur les rituels qui y prennentplace et pour les Occidentaux sur la relationmentale établie entre un événement et unebâtisse. Il existe une certaine contradictionentre ces deux modes d'analyse.

Le premier repose sur une pratique socialeplus que sur un support spatial. tandis que lesecond oublie généralement l'usage actuel dusite. La transposition de ce mode dereprésentation dans la société béninoise n'estpas sans poser des questions qui ne selimitent pas à des considérationsmorphologiques.

Le concept de patrimoine dans lessociétés africaines ne se fonde pas sur leculte d'objets dotés d'une valeur évocatrice

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transcendante. La relation au passé s'exprimeavant tout au Bénin par des pratiquesreligieuses qui relient les hommes à leursancêtres et aux divinités qui les ont engendrés.Les temples et les maisons familiales ne sontque des lieux d'accueil de cérémonies et n'ontpas de valeur en tant que tels. Le caractèresacré qui leur est affecté est temporaire: ilpeut disparaître à l'occasion du déplacementdes assins dans une autre habitation du lignageou du fait de la perte d'audience d'un vodoun.

Il est donc un peu paradoxald'imaginer la conservation de temples ou deconcessions pour marquer, comme lepatrimoine bâti le rappelle dans le mondeoccidental, la continuité de l'espèce humaine.Les cultes assurent déjà cette fonction.

L'image de Ouidah en tantqu'élément du patrimoine national présenteau Bénin deux facettes contradictoires. Leshabitants émigrés depuis longtemps dans lescentres économiques du pays valorisent lacité et s'y rendent pour les fêtes familiales.Une association, l'UGDO, témoigne dessolidarités qui unissent symboliquement lesOuidanais «de la diaspora du xxe siècle». Iln'existe cependant pas un mouvement deretour vers cette ville, par exemple desretraités, car le dynamisme des cultes vodounscontinue d'inquiéter. Les jeunes générationsne s'y trompent pas: elles sont singuliè­rement absentes de la cité et répugnentmême à y retourner lors des cérémonies.

Avant d'engager une politique demise en valeur du patrimoine, il convient dedéfinir précisément ce que l'on veut valoriser:au niveau sociologique, quel sens y-a-t-il àvouloir présenter comme un élément d'uneculture nationale un système de culte quireste profondément ancré dans les mentalitéset auquel certains voudraient échapper. Leschâteaux en Europe ont été intégrés aupatrimoine national à partir du moment où lesnobles n'ont plus dominé la société.

Le passé à Ouidah n'est passimplement lié au système de culte vodoun età sa fonction sociale. Il porte à travers lesouvenir de l'esclavage une connotationdouloureuse qui ne cadre guère avec l'idée devalorisation du patrimoine bâti. Celle-ci reposegénéralement sur des événementshistoriques qu'une communauté peut investirpositivement, quitte à oublier les élémentsblessant pour l'orgueil national et à mythifierles moments valorisants: l'Antiquité gréco­romaine et l'idée de démocratie; Alésia et lanaissance du nationalisme, les châteaux de laRenaissance et le développement de lapensée humaniste, technique et artistique...

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A chaque fois, au-delà de la remémoration dela richesse d'une culture, c'est aussi le génieuniversel de l'homme qui est rappelé, danslequel tout un chacun peut se reconnaître.

Cette démarche est là encoredifficile à établir dans le cadre d'une sociétélongtemps organisée sur le commerce desesclaves. Guel que soit le degré deresponsabilité des Occidentaux dans sondéveloppement. il n'en demeure pas moinsqu'une partie des habitants de cette côtefurent pendant plusieurs siècles soit esclaves,soit marchands d'esclaves. La remémorationde la traite se heurte à cette constatationblessante (que connaissent aussi les Antillaispour lesquels il est si difficile de se penser endescendants d'esclaves).

Dans ces conditions que veut-on seremémorer, que veut-on «restauren> et quiveut engager une telle démarche? Laquestion mérite d'être discutéeparticulièrement dans un pays neuf où lanotion d'identité nationale est fragile. Atravers le rappel de l'esclavage et de sesacteurs locaux (les royaumes houédah et duDahomey), ne risque-t-on pas également derappeler la suprématie politique etéconomique des peuples côtiers par rapport àceux du nord dont les terres furent longtempsparcourues et «razziées» par les armées desprécédents à la recherche d'esclaves?

Les vieux quartiers de Ouidah, oùsont installés les temples et les concessionsmères, qui rappellent également la traite etparfois la colonisation, sont des symbolesambigus, souvent qualifiés péjorativement de«vieilleries» : nombreux sont ceux quiaimeraient voir ces traces évocatrices d'unpassé douloureux disparaître ou se banaliser àl'image des quartiers neufs de Cotonou. Dansce contexte, on comprend mieux pourquoi ladégradation des vieilles demeures et destemples n'est pas vécue comme un problème.Ce phénomène n'est d'ailleurs pas spécifiqueà Ouidah. Il constitue un élément d'explicationde l'abandon de la plupart des centres urbainset des vieilles demeures des villes historiques,de Saint-Louis du Sénégal à Abomey ouPorto-Novo en passant par Grand-Bassam.

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N'oublions pas non plus qu'enEurope, les actions de conservation dupatrimoine bâti ancien ne sont pas nées àn'importe quel moment de l'Histoire.Elles se développent à la suite de laRévolution industrielle et s'inscrivent dans uncontexte de modernisation sociale etéconomique. Souvent prôné d'ailleurs commeun outil de lutte contre le «Progrès» quiéradique au nom de l'hygiène et du conforttoutes traces du passé, le mouvement estparticulièrement fort dans les sites quiconnaissent un développement important:ce qui n'est pas le cas de Ouidah qui reste àl'écart des circuits économiques depuis detrès nombreuses années et où les bâtimentsde moins de dix ans dans les quartiersanciens se comptent en unités. La questionne peut donc se poser dans les mêmestermes: ces quartiers témoignent d'abord del'abandon de cette ville dans l'économiecoloniale puis nationale.

Tous ces éléments d'ordresociologique sont sans doute plusdéterminants que le manque de moyensfinanciers et humains pour expliquerl'absence d'une politique du patrimoine.En l'état actuel, celle-ci ne peut susciter uneadhésion populaire et en reste au niveau desvoeux pieux et de quelques interventionssymboliques qui intéressent principalementquelques historiens nationaux et quelquesexperts internationaux.

La situation n'est cependant pasirréversible. Le rejet de certains événementsde l'histoire est une attitude que l'on trouvedans toutes les sociétés et qui prend desformes plus ou moins violentes. Les périodesde la traite et de la colonisation. vues souventdans une continuité, sont encore aujourd'huioccultées comme si elles étaient tropproches. Mais peu à peu, l'éloignement dansle temps et surtout les nouvelles influencesextérieures font qu'un certain détachementse manifestera au point qu'un regardesthétique pourra être porté sur les paysagesévocateurs de ces périodes. C'est déja le caspar exemple dans la société brésilienne.

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Dans ce contexte, qui se développera d'autant plus vite que le pays trouvera un certainéquilibre politique et économique, une valorisation patrimoniale du passé reposant sur lapréservation de vestiges physiques prendra tout son sens. Le prix à payer sera l'inscriptionirréversible des habitants dans la modernité et dans la distance qu'elle induit au passé etdonc au mode de fonctionnement social contenu dans les croyances religieuses tradition­nelles. Ce jour là seulement, il sera également possible de valoriser ce système de pensée

qui appartiendra alors aux «temps anciens».Dans l'attente, il convient néanmoins de susciter sur place un débat qui ne se limite pas à laquestion du choix des sites à conserver ou valoriser. Celui-ci ne pourra être établi par lesBéninois que si leurs enjeux symboliques sont abordés et discutés. Il sera alors possibled'inventer des modalités d'action adaptées aux sites et aux conditions socio-économiques.C'est à ce prix que l'idée de préservation du patrimoine bâti sortira de la liste des «curiosités»

du monde occidental et pourra être portée par les forces politiques et sociales.

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Achevé d'imprimer par Corlet, Imprimeur, S.A. - 14110 Condé·sur-Noireau (France)N" d'Imprimeur: 10151 - Dépôt légal: juin 1995 -Imprimé en C.E.E.

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LA VILLE DE OUIDAH AU BÉNIN,

CONNUE COMME L'UN DES PRINCIPAUX COMPTOIRS DE TRAITE DES ESCLAVES SUR LA CÔTE AFRICAINE, FUT

UN CREUSET DU SYSTÈME DU CULTE « VODOUN», DIFFUSÉ EN AMÉRIQUE LATINE PAR LES NOIRS DÉPORTÉS. CET OU

RECOMPOSE L'HISTOIRE DE LA CITÉ EN ANALYSANT LES TRACES ARCHITECTURALES ET URBAINES; SE FAISA~ )

S'INTERROGE SUR LE REGARD PATRIMONIAL QU'EUROPÉENS ET AFRICAINS PORTENT AUJOURD'HUI SUR UN

MÉMOIRE D'UNE HISTOIRE DOULOUREUSE ET D'UNE SOCIÉTÉ ORIGI

ALAIN SINOU, ARCHITECTE-URBANISTE ET DOCTEUR EN SOCIOLOGIE, A TRAVAILLÉ PENDANT PLUSIEURS ANNÉES

L'URBANISATION DES VILLES AFRICAINES. IL A RÉCEMMENT PUBLIÉ SUR CE SUJET « PORTO-NOVO, VILLE D'AFRIQUE N~ï'!:s~g~~~~AUX ÉDITIONS PARENTHÈSES ET « COMPTOIRS ET VILLES COLONIALES D'AFRIQUE NOIRE» AUX ÉDITIONS KAR 1

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