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Bibliothèquedu Parlement
Library ofParliament
LE CONTROLE DES DROGUES:LE DEBAT SUR LA DECRIMINALISATION
Helen McKenzie
Division desaffairespolitiques et sociales
Le 10 octobre1990
Servicederecherche
Le Service de recherche de Ia Bibliothèque du Parlementtravaille exciusivement pour le Parlement, effectuant desrecherches et fournissant des informations aux parlementaireset aux com~tésdu Sénat et de Ia Chambre des communes~Entre autres services non partisans, II assure Ia redaction derapports, de documents de travail et de bulletins d’actualrtéLes attaches de recherche peuvent en outre donner desconsultations dans leurs domaines de competence.
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CANADA
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LE CONTROLE DES DRUGUES:
LE DEBAT SUR LA DECRIMINALISATION
~ON~TE
Ni 1 ‘ interdiction a long terme accompagnée de sanctions
pé, ra la récente “guerre contre la drogue “ n ‘ ont réussi a enrayer la
consommation très répandue de drogues illicites. Aussi a-t-on repris dans
certains milieux le débat, en suspens depuis plusieurs années, sur les
autres méthodes de contrôle et la décriminalisation.
Au Canada, 1 ‘ interdiction qui touche les opiacés remonte au
debut du siècle et la consommation du cannabis est illégale depuis 1923.
La Loi sur les stupéfiants de 1961, modifiée, interdisait et frappait de
peines la possession, la , 1 ‘ importation et la culture des , de
la cocaIne et du cannabis.
, durant les années 60 et 70 , la consommation de
drogues illicites a considérablement augmenté, le cannabis étant devenu
facilement accessible. Vers le milieu des années 80, la popularité de la
marijuana chez les jeunes a seniblé se stabiliser, mais la consonimation de
cocaine a nettement progressé parmi la population adulte . Le nonibre annuel
de condamnations prononcées en vertu de 1 ‘ ensemble des lois antidrogue
fédérales a augmenté de façon assez constante entre 1983 et 1 987 , année oü
le gouvernement fédéral a établi de nouvelles strategies preventives.
Bien que les habitudes de consoinmation de chaque drogue
changent avec le , 1 ‘ experience acc~ise depuis de nombreuses décennies
démontre que 1 ‘accoutuniance aux drogues est une constante dans notre
société et une pratique qui coüte cher tant du point de vue social
~u’économique Reconnaissant que la consommation de drogues continuait de
poser de graves problèmes malgré le système de justice penal en place, le
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gouvernement a institué en 1 987 un nouveau progranime , la Stratégie
nationale antidrogue , qui propose un ~certain nonibre de solutions aux
problèmes inhérents a la drogue.
Face a 1 ‘ échec des efforts déployés qu’ ici pour mettre un
terme au trafic et a la consommation des drogues illicites, et en raison du
coflt énorme des mesures ‘ application de la loi , on a fait valoir que la
légalisation de ces substances (ainsi que leur réglementation et leur
assujettissement a des taxes) constituerait une façon plus efficace de
réduire leur attrait et leur consonimation . La légalisation ne vise pas afaciliter 1 ‘ accès aux drogues dangereuses , mais plutat a substituer au
système de justice pénale en place une formule, axée sur la sante, le
bien-~tre et la sensibilisation du public , qui permettrait de remédier a la
toxicomanie.
Selon H11a Patricia Erickson, responsable du programme de
recherche sur la politique concernant les drogues mis sur pied a la
Fondation de la recherche sur la toxicomanie (FRT) , a , la société a
recours a des lois de plus en plus restrictives a cause de l’absence
d’autres solutions, mais il serait possible d’exercer un contrôle moms
rigoureux et de favoriser 1 ~utilisation d a autres moyens.
ARGUMENTS EN FAVEUR DE L~DECRIMINALISATION
Les tenants de la décriminalisation fondent lear argumenta-
tion sur les experiences antérieures de prohibition, sur le coüt des
mesures d a application de la loi et sur le fait qu’ il est irrationnel
d a interdire 1 a utilisation des stupéfiants tout en permettant la consomma-
tion d a alcool et 1 a usage du tabac . Aux Etats-Unis , les mesures de contr~le
fondées sur le système de justice pénale sont critiquées notamment par
William F . Buckley, Ethan Nadelmann, professeur a 1 a Université Princeton,
et Milton Friedman, économiste . Au Canda, le professeur Chester Mitchell
soutient, dams un ouvrage qu a il vient de publier , que toutes les drogues
psychothropes sont dangereuses, qua il n a existe pas, sur le plan de la
pharmacologie, de distinction entre les drogues légales et illégales et que
les mécanismes de contrôle devraient être fondés sur la science, la justice
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et une evaluation des coflts et des avantages sociaux . Certains
journalistes ont pour leur part propose qu a on envisage la décriminalisation
comme solution de rechange a la aaguerre contre la drogue aa~
En 1 972 , la Commission LeDain a appuyé 1 a idée de décri-
minaliser la simple possession de marijuana et, en 1981, M. Richard
Gilbert , de la Fondation de la recherche sur la mani, a propose la
légalisation de cette drogue . D a autres ont suggéré que soit décriminalisé
1 a usage de toutes les drogues destinées a des fins personnelles . En bref,
les prises de position qui précèdent reposent sur les arguments indiqués
ci-après.
L a interdiction gui frappe les stupéfiants peut se révéler
plus nuisible pour la société que la consonimation des drogues elle-même.
En effet , elle favorise 1 a existence d a un marché noir qui rapporte gros aux
trafiquants, mais elle necessite par ailleurs l1application de mesures très
cthteuses pour la société. La décriminalisation mettrait fin au marché
noir ainsi qu a aux crimes et a la violence lies au trafic de la drogue.
L a échec de la prohibition de 1 a alcool en Amérique du Nord et les
consequences néfastes qu a elle a eues étayent cet argument.
L a interdiction peut aussi , en raison de 1 a intérêt que
portent les médias aux activités liées au trafic des stupéfiants, avoir,
par inadvertance , pOur effet de montrer la drogue sous un aspect éduian,
de mousser sa publicité et d a accroItre 1 a attrait des gens pour ce produit
gui , autrement , resterait moms connu . D a oü la possibilité d a un
accroissement de la consonimation.
On fait valoir que la substitution daune forme de
réglementation a 1 a interdiction actuelle rendrait les aarevendeurs aa inutiles
et que les enfants et les jeunes seraient , du coup, mieux protégés contre
les dangers de la drogue.
Les impuretés contenues dans les drogues vendues sur le
marché noir peuvent causer des malaises et m~meprovoquer la mort . Si les
drogues étaient légalisées, un système de contrôle pourrait être mis en
place pour veiller a ce que les consommateurs reçoivent un produit sans
impureté et en quantité contrôlée, qui serait moms nuisible ciue les
produits obtenus sur le marché noir. En outre, cette solution pourrait
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peut-~tre enrayer la propagation du sida par des injections intraveineuses
clandestines de drogues.
Si les drogues étaient , leur vente pourrait ~tre
taxée et ce ne serait plus les criminels mais les gouvernements qui en
tireraient profit . Les recettes fiscales importantes ainsi générées
pourraient servir a la réadaptation des toxicomanes et a 1 a application de
mesures preventives . En outre , les fonds actuellement utilisés pour
1 a application de la loi pourraient servir a 1 a amelioration des méthodes de
sensibilisation et a 1 a aménagement de centres de traitement et de réadapta-
tion . La décriminalisation aiderait également les toxicomanes a se debar-
rasser de leurs criantes et de leurs inhibitions et les inciterait a se
faire soigner .
Certains appuient les approches de ce type , car ils estiment
que , entre toutes les mesures de contrôle , ces solutions sont
peut-être les moms nuisibles pour la société . ‘ autres font plutôt
ressortir le volet ladroits de la personneaa de laquestion.
En effet, on fait valoir que la legislation actuelle en
matière de drogues empiète sur la liberté de choix . Citant John Stuart
1 les tenants de cette opinion soutiennent que 1 a imposition d a une telle
contrainte par 1 a Etat n a est justifiée que lorsqu a il existe une menace
réelle pour la population, et que les pouvoirs publics doivent se borner aprendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité du public . Compte
tenu du fait que ce sont plutôt les consommateurs de drogue , et non le
grand public, qui souffrent le plus des effets de la toxicomanie, soit sous
forme de problèmes de , de diminution de leur espérance de vie ou de
pénalités économiques et sociales, certains affirment que le recours au
système de justice pénale constitue une forme de contrôle inadéquat et
superflu.
En outre , les méthodes d a application de la , qui reposent
en bonne partie sur 1 a utilisation d a agents d a infiltration et de techniques
de piégeage, peuvent donner lieu a des violations des droits de la
personne. La décriminalisation favoriserait un plus grand respect de la
loi et un meilleur sens civique.
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ARGUMENTS CONTRE LA DECRIMINALISATION ~.
Les opposants a la décriminalisation avancent les arguments
donnésci-après.
La décriminalisation éliminerait 1 ‘ opprobre et les restric-
tions légales qui entourent la drogue; une telle mesure transmettrait par
consequent un message erroné aux jeunes et minerait les efforts de
sensibilisation.
La légalisation aurait vraisemblablement pour effet
d a abaisser le prix des drogues et d a accroItre leur consommation . L a alcool,
par exemple , est devenu socialement plus acceptable et sa consommation a
connu une forte croissance au Canada et aux Etats-Unis après la
prohibition . Selon M. Mark H. Moore , professeur de droit a la aavéritable
leçon a titer de la prohibition, c a est que ~les lois peuvent bel et bien
contribuer a réduire la consommationde drogues aa ~
La décriminalisation permettrait en outre de faire la
publicité des drogues nouvellement légalisées , ce gui aurait pour effet
d a encourager leur consonimation . Compte tenu des dommages que causent
1 a alcool et la , soutient-on, il serait insensé d a agir de manière aexcuser ou a favoriser la consommation d a autres drogues peut-~tre encore
plus nocives.
Toutes les drogues ne sont pas identiques et ne doivent pas
~tre traitées de la m~mefaçon . L a héromne et la In, par ,
I par essence , dangereuses et ne devraient jamais , quel que soit leur
niveau de consommation, ~tre considérées comme inoffensives ou socialement
acceptables.
Une consommation accrue de stupéfiants entramnerait un
accroissement des coflts sociaux . On pourrait notamment s a attendre a une
augmentation du nombre de problèmes de sante physique et mentale , a un
accroissement de la mortalité , a une augmentationdes cotIts de traitement
et de réadaptation et, sans doute, a uné augmentation du nombre
daincendies, daaccidents et de suicides.
De nombreux travailleurs du système de justice pénale
affirment que 1 a abus des drogues est une cause majeure de criminalité et
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que des mesures qui favoriseraient une consommation accrue de drogues
actuellement illégales feraient monter la courbe de la criminalité. Des
etudes ont notamment démontré que , chez les hérolnomanes , le taux de
criminalité était environ sept fois plus élevé qu a avant qu a ils ne5 a adonnent a la consommation d a heroIne . En tr, dans. les villes
américaines oii des enqu~tes ont eu lieu, environ 70 p . 100 des personnes
arr~tées pour vol ou pour des infractions commises avec des armes avaient,
selon les résultats des tests de dépistage auxquels elles ont été soumises,
consommé de 1 a In, de la cocaine ou des PCP.
Toute tentative de contrôler les ventes par voie de
réglementation aurait pour effet , soutient-on, non pas de détruire le
marché noir mais seulement de le réorienter . L a assujettissement de
certaines drogues a 1 a obtention d a une ordonnance ne constituerait pas non
plus un moyen de contrôle adéquat . A 1 a appui de cet argument , on rappelle
les cas d a abus de médicaments sur ordonnance .
Laorganisation mondiale de la sante a reconnu que les
stupéfiants sont des drogues dangereuses . Le Canada doit respecter les
accords internationaux qu a il a signés et qui visent a restreindre le
commerce et la consommation de ces drogues . En 1 989 , le directeur exécutif
de la Fondation des Nations Unies pour la lutte contre 1 a abus des drogues a
pressé tous les gouvernements de mener une lutte contre les drogues
illégales.
Les opposants a la légalisation affirment que cette solution
est trop simple pour régler les problèmes très complexes liées a 1 a abus des
drogues . La resolution de ces problèmes exige en effet toute une gamme de
mesures , dont 1 a education du public , des tr, la réadaptation et
1 a imposition de sanctions pénales . La loi dans toute sa rigueur doit
constituer 1 a un des nombreux moyens de venir a bout des activités liées au
trafic de la drogue .
Certains indices donnent a penser que 1 a approche actuelle-
ment utilisée au Canadaest efficace. La consommation totale de drogues
illicites saest stabilisée ces dernières année~::et le nombre de jeunes qui
consomment de la marijuana a diminué. Ce serait par consequent faire
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preuve d a irresponsabilité que de favoriser maintenant une solution gui
comporte des risques considérables.
cCNCLUSICN
La décriminalisation a deja fait 1 a objet de nombreuses
discussions aux Etats-Unis et a soulevé la controverse au Canada il y a une
vingtaine d a années , soit lors des audiences de la Commission LeDain . La
question a ressurgi récexnment aux Etats-Unis et dans une moindre mesure au
Canada, oü les problèmes relies a la drogue sont moms graves et oü la
recherche de solutions répond a un besoin moms urgent . Le sujet a été
a.bordé en 1 989 a 1 a occasion d a une série de conferences de la Fondation de
la recherche sur la toxicomanie , en 1 990 au cours de la conference
Atlantique sur la ~ dans les années goaa ainsi que dans la
presse.
Bon nombre de personnes voient dans la décriminalisation une
proposition frivole et potentiellement dangereuse . Pour d a autres , elle est
la solution du bon sens . La tolerance grandissante de la société
canadienne face a la consommation daalcool depuis quelgues décennies est la
preuve que 1 a opinion publique évolue avec le temps . Les politiques
sociales changent quelquefois au fur et a mesure qu a évolue 1 a idée qu a on se
fait d a un danger public . Il ne faut donc pas s a étonner devant des
propositions gui visent a adoucir les peines prévues en cas de consommation
de certaines substances.
Avant de prendre position dans le débat, le public et les
autorités doivent bien connaltre les differences gum existent entre les
diverses drogues illicites, les risques gue présente leur consommation et
les changes de succès des strategies a 1 a étude . La complexité du problème
doit ~tre reconnue, et les objectifs daune politique officielle doivent
§tre clairenient définis . M~e Erickson a rappelé que les objectifs des
mesures de contrôle doivent ~tre réalisables et faire 1 a objet d ~une
evaluation claire et réaliste. Elle prédit que, d a ici une quarantaine
d a années, 1 a evolution de la réglementation et des strategies visant aprévenir les problèmes lies a la drogue va entramner une diminution de
1 a importance du droit criminel.