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Le Corps du delit - les litiges funeraires ou les premisses du contentieux successoral (septembre 2009)

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Les recompositions des familles sont à l’origine de contentieux divers. Se déclinant en de multiples variantes post-ruptures et post-divorces, puis, en bout de chaîne, en litiges-fleuves successoraux, les comptes se règlent et se dérèglent sur parfois toute une vie… puis toute une mort. Ainsi les familles se disputeront parfois au sujet des modalites d'obsèques telles que l'organisation d'un ceremonial de nature ou non religieuse, le principe d'une inhumation ou d'une incineration, le lieu de l'enterrement ou les modalite de conservation de l'urne cineraire...

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Page 1: Le Corps du delit -  les litiges funeraires ou les premisses du contentieux successoral (septembre 2009)

N° 18 - septembre 200916

Le Corps du délit…Les litiges funéraires ou les prémisses du contentieux successoral

Les recompositions des familles sont à l’origine de contentieux divers, expé-rimentés par la plupart d’entre nous. Se déclinant en de multiples variantes post-ruptures et post-divorces, puis, en bout de chaîne, en litiges-fleuves succes-soraux, les comptes se règlent et se dé-règlent sur parfois toute une vie… puis toute une mort.

Ainsi dans une espèce récente diverses juridictions, des ressorts grassois puis ni-çois, ont eu à connaître d’un litige survenu entre une veuve de deuxième noces et les deux filles de premières noces (jusque-là hélas, du très classique en la matière). L’originalité - si l’on peut dire - est que la veuve avait fait interrompre les obsèques en cours de cérémonie car la dispute por-tait sur …les cendres du défunt.Certes, les parties s’étaient ici entendues sur le principe de l’incinération (c’était déjà çà). La dispute portait en fait sur le sort de l’urne funéraire et, dans une moindre mesure, celui de deux « reliquai-res » dans lesquels ces cendres avaient été réparties. Et oui, les cendres aussi peuvent faire l’objet d’un partage (et d’un contentieux spécifique correspondant)! Est-ce à dire que l’indivision ouverte au décès porte aussi sur ces dernières ? Mais ceci est un autre débat... En substance, les deux filles voulaient qu’à l’issue d’une cérémonie catholique, l’urne soit inhumée dans le caveau de leur frère, fils prédécédé du défunt issu de sa première union. La veuve souhaitait de son côté que l’urne lui soit confiée pour en disperser le contenu sans rite religieux préalable, alléguant de l’athéisme et de la volonté du défunt.Le Conseil des deux filles avait alors sai-si de ce litige le Tribunal d’Instance (de Cannes), dans le ressort duquel était do-micilié le défunt. Il se fondait en cela sur une compétence allouée spécifiquement à cette juridiction, telle que codifiée aux articles 1061-1 du CPC : « En matière de contestation sur les conditions des fu-nérailles, le tribunal d’instance est saisi

à la requête de la partie la plus diligen-te… » et R 221-7 du COJ : « Le Tribunal d’Instance connaît des contestations sur les conditions des funérailles ». Malheureusement le confrère avait omis de se référer à l’article R 221-47 du COJ prévoyant une compétence territoriale que l’on pourrait qualifier de dérogatoire à celle usuelle en matière de contentieux « post-mortem » (= le ressort du domicile du défunt). En effet cet article prévoit ex-pressément qu’en ce cas « …la demande est portée devant le tribunal dans le res-sort duquel s’est produit le décès… ». En l’espèce, le décès étant survenu à Nice, la demande, rejetée à Cannes, fut portée devant la juridiction d’instance voisine… et de nouveau déclarée ir-recevable ! Le Tribunal d’Instance de Nice indiquant en effet : « … le tribunal d’instance n’est plus compétent lorsque le litige est soulevé postérieurement aux funérailles, même si les conditions dans lesquelles elles se sont déroulées en sont la cause ». Il apparaît donc qu’une fois réglé le sort du corps (soit, par hypothèse, après l’in-humation ou l’incinération), la juridic-tion d’exception ne soit plus compétente. Le litige sera alors du ressort du Tribu-nal de Grande Instance (a priori celui du lieu d’ouverture de la succession), ce en vertu de sa plénitude juridictionnelle. Les débats porteront sur l’interprétation de la volonté du défunt, étant ici rappelé la règle toujours applicable issue d’une Loi du 15 novembre 1887 sur la liberté des funé-railles, laquelle prévoit en son article 3 :« Tout majeur ou mineur émancipé, en état de tester, peut régler les conditions de ses funérailles, notamment en ce qui concerne le caractère civil ou religieux à leur don-ner et le mode de sa sépulture. Il peut char-ger une ou plusieurs personnes de veiller à l’exécution de ses dispositions.Sa volonté, exprimée dans un testament ou dans une déclaration faite en forme testa-mentaire, soit par-devant notaire, soit sous signature privée, a la même force qu’une disposition testamentaire relative aux

biens, elle est soumise aux mêmes règles quant aux conditions de la révocation ».En l’absence de dispositions écri-tes du défunt, il est de jurisprudence constante que ses volontés exprimées (même oralement) quant à sa sépul-ture et ses funérailles soient respectées. A cet égard, les Juges ont instauré une « présomption de savoir » au bénéfice de l’épouse ou de la compagne du dé-funt, confirmant systématiquement que celles-ci étaient les mieux « à même de connaître les volontés du défunt quant à ses funérailles » cf par exemple Cour d’Appel de Reims, Chambre civile RG 01/00254 arrêt du 1er février 2001 (dis-ponible sur www.legifrance.gouv.fr). Egalement cf Cour d’Appel de Douai 7 juillet 1998 JCP 98 II 10173 : un concu-binage stable donne à une concubine qualité suffisante pour, en connaissance de la volonté du de cujus, organiser ses obsèques. Cependant il a aussi été posé des limi-tes à cette présomption prétorienne: « la concubine n’a pas un droit absolu à dé-terminer le lieu de sépulture de son com-pagnon » (Cour d’Appel de Bordeaux, 30 septembre 1999, JurisData n° 044742). Au final, l’appréciation souveraine du Juge de Fond fera foi et …loi.Comme quoi et dès lors, mes chers confè-res, il conviendra de plaider.Et rendez-vous dans quinze ans (au mieux), à l’issue du contentieux de compte-liquidation-partage successoral qui ne manquera sûrement pas de s’en-suivre. A l’évidence, de tels « litiges funéraires » laissant en effet augurer de quelques futurs différends « liquidatifs » (doux euphémisme).

Mais après tout, qu’importe la durée, car comme se plaisait à le répéter ce défunt - de son vivant (!) - « quand on est mort, c’est pour la vie …».

Agnès PROTONAvocat au Barreau de Grasse