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B ousculant cette stabilité au motif que « la complexité de la réalité sociale impose une flexibilisation du droit successoral permettant d’anticiper la multitude de modèles familiaux », le Parlement fédéral a voté cet été une nouvelle loi qui réforme partiel- lement le droit des successions en Belgique. Modification de la réserve des descendants et des ascendants Les règles de la dévolution successorale voulues par Napoléon avaient pour objectif d’instaurer l’égalité entre les héri- tiers et de supprimer la distinction entre les enfants légitimes et naturels lors du partage de la succession. Ce principe, qui empêchait de privi- légier un héritier au détriment des autres et qui sous le couvert de l’éga- lité, répondait à l’objectif politique de dissoudre les grandes fortunes de France par le mécanisme des successions en inter- disant « de faire un aîné », est demeuré fondamental dans tous les pays de droit civil. La loi du 31 juillet 2017 apporte quelques modifications à ce principe puisque le législateur assouplit les règles de la réserve héréditaire qui accordent à certaines catégories de suc- cessibles (les enfants et les parents) le droit irrévocable de prétendre à une part de l’héritage d’une personne. En ce qu’elle touche les enfants, cette règle leur permet de prétendre à une par- tie du patrimoine de leurs parents. Cette quote-part qui leur est réservée s’exprime en un pourcentage qui varie selon le nombre d’enfants. Concrètement, si vous avez un enfant, la part de votre patrimoine qui lui est réservée exclusivement est de 50 %, vous ne pouvez donc le défavoriser au profit d’une autre personne pour plus de 50 % de votre patrimoine. En pré- sence de deux enfants, la part dont vous pouvez disposer à votre guise (la quotité disponible) est de 33 % et enfin, en présence de 3 enfants et au-delà, cette part est réduite à 25 %. Suite à la réforme instaurée cet été, vous pourrez librement disposer de 50 % de votre patrimoine et ce, quel que soit le nombre d’héritiers réservataires présents lors de votre succession. Les règles seront donc plus géné- reuses pour le parent qui souhaite favo- riser l’un de ses enfants ou un tiers à partir de deux enfants réservataires. Les parents peuvent également pré- tendre actuellement à une part réser- vataire de la succession de leurs enfants lorsque ceux-ci n’ont pas d’enfant. Cette part réservataire est de 25 % par ligne. En d’autres termes, la ligne pater- nelle peut prétendre à 25 % du patri- moine de l’enfant défunt et la ligne maternelle à 25 % du même patri- moine. Cette règle qui était d’ordre public peut désormais être levée, il est donc désormais possible de priver vos parents de la part de votre patrimoine à laquelle ils avaient droit jusqu’ici. Le nouveau régime présente un inté- rêt non négligeable pour ceux qui sou- haitent transmettre l’ensemble de leur patrimoine à leur partenaire en l’absence de descendance alors qu’ils ne pou- vaient, avant la réforme, lui transmet- tre que 50 % de leur patrimoine (et l’usufruit pour le surplus), les 50 % restants remontant irrémédiablement dans le giron familial du défunt. En contrepartie de cette règle, les ascendants pourront réclamer une rente alimentaire aux héritiers. Le rapport des libéralités Lorsque vous faites un don à l’un de vos enfants au cours de votre vie, vous pouvez considérer que ce don s’im- pute sur la quotité disponible (cette part dont vous pouvez librement dis- poser, il s’agit d’une donation opérée par préciput, et hors part) ou considé- rer que cette donation est une avance sur leur héritage (en avance d’hoirie). Le rapport est l’opération par laquelle un héritier qui a été privé d’une par- tie de sa part réservataire peut agir contre les autres personnes qui ont été gratifiées pour obtenir la part à laquelle il a droit. Il existait une situation probléma- tique lorsqu’un immeuble était concerné puisque le rapport doit intervenir en nature si l’un des enfants a été défavorisé par rapport à l’autre, ce qui peut poser des difficultés en pratique puisque le donataire doit se dessaisir de l’immeu- ble qui lui a été donné. À l’avenir, ce rapport n’intervien- dra plus qu’en valeur, l’enfant qui a été favorisé pourra conserver l’immeuble à charge pour lui d’indemniser ses frères et sœurs lésés. Enfin, la valorisation des donations préalablement consenties en vue de la réduction, soit l’action par laquelle un héritier lésé peut réclamer sa réserve à celui qui a été favorisé, est désormais réalisée sur la base de la valeur intrin- sèque des biens donnés au jour de la donation, mais indexée au jour du décès, alors que, seule la valeur au moment du décès était prise comme point de référence auparavant. Les pactes sur successions futures Le Code civil enseignait jusqu’à pré- sent qu’il était contraire à la moralité publique de conclure des « pactes sur successions futures », c’est-à-dire des pactes qui ont pour objet de régler la succession d’un ascendant ou d’un des- cendant avant son décès. Le législateur modifie ces règles dans un souci d’offrir aux parents « la pos- sibilité d’atteindre un règlement sur mesure de la situation familiale concrète » et d’éviter« les conflits entre les enfants après le décès des parents ». Cette faculté connaît cependant tou- jours certaines limites. Il n’est pas ques- tion pour les enfants de régler seuls, par un contrat, la répartition de la succes- sion de leurs parents. En effet, les parents peuvent désormais s’installer autour d’une table avec l’ensemble de leurs héritiers pour régler leur succes- sion à l’avance. Ce pacte pourra par exemple per- mettre de répertorier l’ensemble des donations qui ont été consenties par les parents au cours de leur vie, de régler le régime applicable à chacune d’entre elles et de déterminer par exemple si elles sont imputables ou non sur la succes- sion. Ce pacte pourrait également élever au rang de donations certaines dépenses 38 Le journal du Médecin | 20 octobre 2017 | N° 2514 Gestion La réforme du droit successoral Le droit des successions est l’une des branches du droit les plus stables que connaît notre législation. Solidement ancrée au sein du Code civil par Napoléon pour rompre avec le modèle de l’ancien régime féodal en 1804, cette matière n’a subi que très peu de modifications au cours de ces deux derniers siècles. SUCCESSION Règles actuelles Nouvelles règles 25% 25% 25% 25% 17% 50% 17% enfant 1 enfant 2 quotité disponible enfant 3 enfant 1 enfant 2 quotité disponible enfant 3 17% ©Infographie A.Zamora — Journal du Médecin JDM2514-038 17/10/17 17:45 Pagina 38

La réforme du droit successoral

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Bousculant cette stabilité aumotif que « la complexitéde la réalité sociale imposeune flexibilisation du droit

successoral permettant d’anticiper la multitude de modèles familiaux », le Parlement fédéral a voté cet étéune nouvelle loi qui réforme partiel-lement le droit des successions enBelgique.

Modification de la réservedes descendants et desascendants

Les règles de la dévolution successoralevoulues par Napoléon avaient pourobjectif d’instaurer l’égalité entre les héri-tiers et de supprimer la distinctionentre les enfants légitimes et naturelslors du partage de la succession.

Ce principe, qui empêchait de privi-légier un héritier au détriment desautres et qui sous le couvert de l’éga-lité, répondait à l’objectif politique dedissoudre les grandes fortunes de Francepar le mécanisme des successions en inter-disant « de faire un aîné », est demeuréfondamental dans tous les pays de droitcivil.

La loi du 31 juillet 2017 apportequelques modifications à ce principepuisque le législateur assouplit lesrègles de la réserve héréditaire quiaccordent à certaines catégories de suc-cessibles (les enfants et les parents) ledroit irrévocable de prétendre à une partde l’héritage d’une personne.

En ce qu’elle touche les enfants, cetterègle leur permet de prétendre à une par-tie du patrimoine de leurs parents.Cette quote-part qui leur est réservées’exprime en un pourcentage qui varieselon le nombre d’enfants.

Concrètement, si vous avez un enfant,la part de votre patrimoine qui lui estréservée exclusivement est de 50 %,vous ne pouvez donc le défavoriser au

profit d’une autre personne pour plusde 50 % de votre patrimoine. En pré-sence de deux enfants, la part dontvous pouvez disposer à votre guise (laquotité disponible) est de 33 % et enfin,en présence de 3 enfants et au-delà,cette part est réduite à 25 %.

Suite à la réforme instaurée cet été,vous pourrez librement disposer de50 % de votre patrimoine et ce, quel quesoit le nombre d’héritiers réservatairesprésents lors de votre succession.

Les règles seront donc plus géné-reuses pour le parent qui souhaite favo-riser l’un de ses enfants ou un tiers àpartir de deux enfants réservataires.

Les parents peuvent également pré-tendre actuellement à une part réser-vataire de la succession de leurs enfantslorsque ceux-ci n’ont pas d’enfant. Cettepart réservataire est de 25 % par ligne.En d’autres termes, la ligne pater-nelle peut prétendre à 25 % du patri-moine de l’enfant défunt et la lignematernelle à 25 % du même patri-moine.

Cette règle qui était d’ordre public peutdésormais être levée, il est donc désormaispossible de priver vos parents de lapart de votre patrimoine à laquelle ilsavaient droit jusqu’ici.

Le nouveau régime présente un inté-rêt non négligeable pour ceux qui sou-haitent transmettre l’ensemble de leurpatrimoine à leur partenaire en l’absencede descendance alors qu’ils ne pou-vaient, avant la réforme, lui transmet-tre que 50 % de leur patrimoine (etl’usufruit pour le surplus), les 50 %restants remontant irrémédiablementdans le giron familial du défunt.

En contrepartie de cette règle, lesascendants pourront réclamer une rentealimentaire aux héritiers.

Le rapport des libéralitésLorsque vous faites un don à l’un de

vos enfants au cours de votre vie, vouspouvez considérer que ce don s’im-pute sur la quotité disponible (cettepart dont vous pouvez librement dis-poser, il s’agit d’une donation opéréepar préciput, et hors part) ou considé-

rer que cette donation est une avancesur leur héritage (en avance d’hoirie).

Le rapport est l’opération par laquelleun héritier qui a été privé d’une par-tie de sa part réservataire peut agircontre les autres personnes qui ont étégratifiées pour obtenir la part à laquelleil a droit.

Il existait une situation probléma-tique lorsqu’un immeuble était concerné

puisque le rapport doit intervenir ennature si l’un des enfants a été défavorisépar rapport à l’autre, ce qui peut poserdes difficultés en pratique puisque ledonataire doit se dessaisir de l’immeu-ble qui lui a été donné.

À l’avenir, ce rapport n’intervien-dra plus qu’en valeur, l’enfant qui a étéfavorisé pourra conserver l’immeubleà charge pour lui d’indemniser sesfrères et sœurs lésés.

Enfin, la valorisation des donationspréalablement consenties en vue de laréduction, soit l’action par laquelle unhéritier lésé peut réclamer sa réserve àcelui qui a été favorisé, est désormaisréalisée sur la base de la valeur intrin-sèque des biens donnés au jour de ladonation, mais indexée au jour dudécès, alors que, seule la valeur aumoment du décès était prise commepoint de référence auparavant.

Les pactes sur successionsfutures

Le Code civil enseignait jusqu’à pré-sent qu’il était contraire à la moralitépublique de conclure des « pactes sursuccessions futures », c’est-à-dire despactes qui ont pour objet de régler lasuccession d’un ascendant ou d’un des-cendant avant son décès.

Le législateur modifie ces règles dansun souci d’offrir aux parents « la pos-sibilité d’atteindre un règlement sur

mesure de la situation familialeconcrète » et d’éviter« les conflitsentre les enfants après le décèsdes parents ».

Cette faculté connaît cependant tou-jours certaines limites. Il n’est pas ques-tion pour les enfants de régler seuls, parun contrat, la répartition de la succes-sion de leurs parents. En effet, lesparents peuvent désormais s’installerautour d’une table avec l’ensemble deleurs héritiers pour régler leur succes-sion à l’avance.

Ce pacte pourra par exemple per-mettre de répertorier l’ensemble desdonations qui ont été consenties par lesparents au cours de leur vie, de réglerle régime applicable à chacune d’entreelles et de déterminer par exemple si ellessont imputables ou non sur la succes-sion.

Ce pacte pourrait également élever aurang de donations certaines dépenses

38 Le journal du Médecin | 20 octobre 2017 | N° 2514

Gestion

La réforme du droit successoralLe droit des successions est l’une des

branches du droit les plus stables que connaît notrelégislation. Solidement ancrée au sein du Code civilpar Napoléon pour rompre avec le modèle del’ancien régime féodal en 1804, cette matière n’a subique très peu de modifications au cours de ces deuxderniers siècles.

SUCCESSION

Règles actuelles Nouvelles règles

25%25%

25%25%

17%

50%

17%

enfant 1

enfant 2

quotitédisponible

enfant 3

enfant 1

enfant 2

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enfant 3

17%

©Infographie A.Zamora — Journal du Médecin

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réalisés au profit d’unhéritier ainsi avantagé au détri-ment d’un autre, en y intégrant parexemple, la prise en charge d’études quisont normalement des dépenses quin’entrent pas en ligne de compte dansle cadre d’une succession.

Ces pactes peuvent également inter-venir de manière limitée entre certainsmembres de la famille, voire porteratteinte à la réserve à l’avance si lesenfants y consentent. À titre d’exem-ple, les parents pourront avantager unenfant handicapé au-delà de la quotitédisponible à l’avance pour lui garantirune vie décente, si l’ensemble des autreshéritiers marquent leur accord.

La conclusion d’un tel pacte seranéanmoins soumise à un formalismeimportant, tant en termes de forme,puisqu’il nécessitera un acte notarié,qu’en termes de procédure, puisqu’ilnécessitera une réunion préalable, le res-pect de divers délais, etc.

Entréeen vigueur

La loi votée adop-tée le 20 juillet dernierentrera en vigueur le 1er août2018. Elle sera applicable aux suc-cessions qui s’ouvriront après cettedate et aux donations qui auront étéconsenties avant cette date, moyen-nant certaines exceptions.

ConclusionCes nouvelles règles modifient fon-

damentalement le droit successoralbelge, ouvrent de nouvelles perspec-tives de planification successorale etnécessiteront probablement de révi-ser les planifications déjà opérées parle passé.

Loin de rom-pre totalement à l’esprit et la volontéde Napoléon, la réforme instaurée parla loi de juillet 2017 assouplit considé-rablement les règles de la réserve suc-cessorale. Il deviendra donc beaucoupplus facile de favoriser un héritier audétriment des enfants ou des parentsréservataires.

La possibilité de conclure des pactessuccessoraux aura également pour avan-tage de pouvoir ouvrir librement ladiscussion sur le sort du patrimoinedes parents après leur décès s’ils le

souhaitent et depouvoir rompre avec

le secret qui accompagnece type de questions au sein des

familles.En effet, après une réforme du droit

de la famille et notamment de la pro-cédure de divorce qui est intervenue ily a environ 10 ans, le législateur tientaujourd’hui compte de l’évolution desfamilles dans le droit successoral.

Cette réforme qui apporte une dimen-sion plus libérale dans le droit succes-soral dont chacun mesurera le bienfondé en fonction de ses convictionsouvre incontestablement de nouvellesperspectives. On pourra cependantregretter que ce régime soulève un lotde nouvelles questions complexes dif-ficiles à mettre en œuvre sans l’aide deprofessionnels.

Jérôme Havet Avocat

Gestion

©iStock

= 14,95€

= 7,47€

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