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Le corps en jeu Dossier à l’attention des enseignants Service éducatif du musée des Augustins © Ville de Toulouse, musée des Augustins, document réalisé par le service éducatif, (Catherine Lemonnier, 2008).

Le corps en jeu · Le corps humain s’inscrit dans un carré si son centre est au-dessus du pubis et dans un cercle si son centre est le nombril. L’organique rejoint le géométrique,

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Le corps en jeu

Dossier à l’attention des enseignants

Service éducatif du musée des Augustins

© Ville de Toulouse, musée des Augustins, document réalisé par le service éducatif, (Catherine Lemonnier, 2008).

Page 2 sur 15 © Ville de Toulouse, musée des Augustins, document réalisé par le service éducatif, (Catherine Lemonnier, 2008).

Sommaire Introduction De la forme … à la matière > Représentation du corps

Schématisation ou mimesis ? Archétypes et interdits Anatomie

> Le corps figuré

Entre symbolisme et réalisme Théâtralité du corps Corps et identité

> Corporalité de l’œuvre

De la matérialité du corps … … au corps in situ

> Le corps en action

Le corps de l’artiste à l’œuvre Le corps du spectateur dans l’œuvre

Jalons pour une exploitation pédagogique > Vocabulaire > Notions > Problématiques Repères bibliographiques

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Introduction Peinture et sculpture ont fait du corps un sujet privilégié. Il ne s’agira pas pour autant de traiter l’un puis l’autre mais bien de penser le corps comme une entité transversale à différents moyens d’expression. Que la sculpture prenne la forme d’un chapiteau, d’un bas-relief ou d’une ronde-bosse, qu’elle soit funéraire ou commémorative, que la peinture soit historique ou religieuse, le corps est omniprésent dans les collections permanentes du musée des Augustins. Nous nous attacherons donc à montrer la permanence et la singularité des questionnements concernant la figuration du corps dans les œuvres peintes et sculptées depuis le Moyen Âge jusqu’à l’aube du XXe siècle tout comme nous nous intéresserons à repérer les ruptures qui ont marqué les siècles écoulés et les voies nouvelles ouvertes. Au-delà d’une approche chronologique et linéaire, il s’agira de poser la question du corps dans ses relations à la société, à la connaissance et à l’art. Comment le corps peut-il signifier ? Comment peut-il lui-même être un signe, faire signe ?

De la forme … à la matière Représentation du corps Dans l’histoire des représentations, la variété des images du corps témoigne du rapport complexe que l’homme entretient avec lui-même et de la manière dont il se définit par rapport au monde. C’est la raison pour laquelle on ne peut réduire la représentation du corps humain à la simple imitation de ce que nous offre la vision naturelle. > Schématisation ou mimesis ? Les premières représentations du corps il y a 40000 ans montrent combien l’homme tient à laisser son empreinte, à porter sa marque sur le monde qui l’environne. Des mains peintes au pochoir comme celles de la grotte de Castillo en Espagne témoignent d’une motivation essentielle : celle de se projeter sur le monde en y inscrivant sa marque et de s’annexer le monde en le faisant sien. Les représentations humaines sont l’expression d’une iconographie soit mimétique, soit schématisée. « La femme est le plus souvent représentée sans tête (sein, ventre et pubis compris sommairement dans un cercle que prolongent en s’effilant le torse et les jambes) ou par des signes évoquant pubis et vulves. Ces figures évoluent en signes schématisés, abstraits : triangles à base inférieure, ovales, rectangles coupés de deux lignes latérales et signes claviformes. Les représentations masculines, plus rares, sont inscrites dans des scènes tragiques de chasse, hommes gisant étendus devant l’animal. Ce sont souvent des visages isolés, des faces et surtout, des silhouettes de profil courbées en avant, dans la position de l’invocation. »1 Ce qui leur confère un caractère sacré. > Archétypes et interdits Même si l’interdiction de la représentation humaine est inscrite dans les textes sacrés de plusieurs religions, certaines civilisations l’admettent. On peut citer dans l’Antiquité l’art grec ou l’art égyptien par exemple. Elle apparaît sur les vases, dans la statuaire, dans les chapelles funéraires avec des bas-reliefs ou encore des peintures murales. Elle joue le rôle de dévotion et de vénération. Le christianisme attribue à la figure humaine et plus généralement à l’image une

1 Jean-Claude FOZZA, Anne-marie GARAT, Françoise PARFAIT, Petite fabrique de l’image, Ed. Magnard, 1988.

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valeur pédagogique. L’iconographie privilégie des sujets fortement symboliques, qui souvent évoquent un monde imaginaire et monstrueux, correspondant aux conceptions religieuses d’alors. La sculpture romane s’attache aussi bien à enseigner la vie des apôtres et des saints que d’illustrer des passages de l’Ancien Testament. L’allégorie, l’histoire ou la mythologie en sont les principaux supports. L’art médiéval, quand il illustre les textes sacrés, accorde à la représentation humaine une échelle inférieure dans la hiérarchie symbolique : l’homme est toujours plus petit que tous les personnages divins. L’écart d’échelle entre les figures représentées permet de montrer l’importance spirituelle des personnages, c’est-à-dire la supériorité de Dieu sur l’homme. La mesure du corps prend sens dans l’œuvre. Elle s’affirmera d’autant plus à la Renaissance lorsque Léonard de Vinci effectuera de nombreuses mesures anthropométriques. En 1489, elles lui permettront de corriger la théorie de Vitruve. Le corps humain s’inscrit dans un carré si son centre est au-dessus du pubis et dans un cercle si son centre est le nombril. L’organique rejoint le géométrique, c’est la théorie de la divine proportion. Dès lors, la représentation du corps fait l’objet de recherches non seulement esthétiques mais aussi anatomiques. Puisque désormais l’humanisme accorde à la raison le droit d’accéder à l’intelligibilité du monde, elle permettra de comprendre le fonctionnement du corps humain. Les recherches scientifiques de la médecine contribueront à fonder la connaissance du corps humain sur une conception animiste du monde qui se veut synthèse universelle, basée sur l’expérimentation. L’homme comprend tout : le monde matériel, les astres et Dieu. Il est matière, esprit et âme. Dans ce sens, Vésale, Léonard de Vinci, s’emparent du scalpel, instrument de la connaissance organique et forcent les frontières du corps. Ses représentations donnent lieu à des dessins, des planches, des cires anatomiques diversifiant les points de vue sur une réalité analysable. Dans ce sens, Valverde et ses écorchés, hommes sans peau révélant les muscles, les nerfs et les réseaux sanguins, sont à la fois l’expression d’un réalisme et d’une certaine cruauté. On pourrait aussi citer la Vierge de Pitié avec Jean et Marie-Madeleine, dernier quart du XVe siècle provenant de l’église des Récollets (Toulouse) qui représente le corps du Christ avec une vérité anatomique : musculature, veines, cotes, articulations. Vierge de Pitié avec Jean et Marie-Madeleine, dernier quart du XVe siècle.

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Le corps figuré Le corps représenté dans l’œuvre nous permettra d’interroger l’espace bidimensionnel ou tridimensionnel de la peinture ou de la sculpture : comment le corps est-il représenté ? Est-il signe ? Fait-il signe ? En quoi le corps a-t-il un pouvoir expressif ? Le corps figure-t-il la mémoire de l’homme, de Dieu ? Quelle disposition spatiale du corps, des corps dans l’œuvre ? Quelle(s) signification(s) ? > Entre symbolisme et réalisme D’emblée une relation s’instaure entre l’art du Moyen-Âge et cette expression « entre symbolisme et réalisme ». Le gisant, sculpture funéraire représentant un personnage couché comme s’il se tenait debout, les plis des vêtements tombant verticalement, marque la présence de personnages réels dans le sacré. Les exemples les plus remarquables sont sans doute ceux de Guillaume Durant et de Jean Tissendier datés tous deux du XIVe siècle. Ces sculptures sont le témoignage de deux personnes ayant réellement vécu et au-delà l’expression d’une individualité. Dans le Paragone, hymne à la gloire de la peinture, Léonard de Vinci dit «… il m’est arrivé de peindre un tableau religieux qui fut acheté par quelqu’un qui l’aimait si fort qu’il aurait voulu que l’on fit disparaître tout le décor sacré pour pouvoir l’embrasser sans remords... »2 Dans ce sens, il s’agit de montrer comment le pouvoir expressif du corps se manifeste dans un art à vocation religieuse. Et donc établir qu’expression du corps et religion ne sont pas antinomiques.

Les chapiteaux provenant de Notre-Dame de la Daurade, en particulier ceux du Deuxième atelier (vers 1120 à 1130) traduisent une certaine émotivité, voire même un certain humanisme. Les sujets tels que la souffrance du Christ, l’idéal de la vie apostolique ou les lieux saints contribuent à l’émergence d’une sensibilité religieuse devenant petit à petit plus intime. Jésus au jardin des oliviers ou encore L’Arrestation exprime la douleur du Christ tandis que Le Lavement des pieds met l’accent sur un moment d’intimité que le Christ vécut avec ses disciples. De même la statuaire et plus précisément le bas-relief Saint André attribué au sculpteur Gilabertus témoigne de cette humanité de plus en plus marquée. Une vie intérieure semble animer les corps. La verticalité et l’apaisement des figures contribuent à l’expression de ce sentiment.

Gilabertus, Saint-André, entre 1120 et 1140, calcaire, provient de la Cathédrale Saint-Etienne, Toulouse.

D’autre part, l’ensemble des quinze statues polychromes en pied provenant de la chapelle de Rieux (construite entre 1333 et 1343 dans le couvent des Cordeliers à Toulouse), révèle des détails naturalistes. Leur caractère physique est exprimé avec précision. La vieillesse de Saint Paul est rendue par les rides sur le front et sur le contour des yeux, par des paupières flétries. Le visage est creusé, les veines apparaissent sous la peau des mains. Cette expressivité du corps naissante dans l’art du Moyen-âge va progressivement gagner d’autres territoires

2 Meyer SCHAPIRO, Style, artiste et société, Gallimard, 1982.

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artistiques ; la peinture par exemple. C’est ainsi que les deux visages féminins dans l’œuvre de Cristofano Gherardi, Visite de la Vierge à sainte Elisabeth, (1541-1545) attestent d’une valeur expressive.

Cristofano Gherardi, Visite de la Vierge à sainte Elisabeth

Mais l’exemple le plus marquant est à rechercher dans l’œuvre de Pierre Paul Rubens (1577-1640), Le Christ en croix. L’expressivité des personnages est rendue par le dessin (musculature du Christ traitée dans les moindres détails), par la lumière (modelé des corps et des visages), par la composition (axe vertical et central dominé par la croix) et par la couleur (traitement pictural par la touche). Tant l’expressivité des corps chez Rubens semble s’extérioriser, tant celle de Nicolas Tournier (1590-1639) parait s’intérioriser. Les visages dans Le Christ descendu de sa croix paraissent absorbés et hébétés.

> Théâtralité du corps Dans l’espace de l’œuvre, les corps sont assujettis à de véritables mises en scène. Elles sont élaborées suivant des dispositions spatiales réfléchies. C’est le corps tout entier qui en est le principal acteur. Le Deuxième atelier avec le chapiteau comprenant quatre scènes : L’Arrestation, La Flagellation, La Comparution devant Pilate et Le Portement de croix provenant du cloître du prieuré Notre-Dame de la Daurade (Deuxième atelier, 1120 -1130) répartit et dispose les corps de manière continue en prenant en compte la totalité de la corbeille sans opérer de segmentation de l’espace. La gestualité et une composition dynamique des corps contribuent à mettre en place un dispositif narratif et didactique. Dans la peinture du XIXe siècle, on retrouve une répartition des personnages en frise pour donner à l’œuvre un caractère

scénique. Tu Marcellus eris (1811-1820) de Jean-Auguste-Dominique Ingres, inspiré par l’histoire antique, exploite l’unique source lumineuse pour la faire rejaillir sur les drapés des vêtements et ainsi focaliser l’attention sur les personnages.

L’expression des visages repose sur la distribution et la direction des regards. Dans Nostre-Dame de Grasse, sculpture gothique, la posture de Marie tournée vers la droite et de l’enfant vers la gauche est accompagnée par l’inclinaison des deux visages dont les regards s’échappent dans des directions opposées. Ce qui pourrait laisser supposer la présence d’autres éléments de part et d’autre de la sculpture… Cette prégnance des visages est particulièrement explicite dans la peinture de Jean-Baptiste Jouvenet, Le christ

descendu de la croix (1714). Chaque personnage, par l’expression de son visage exprime une certaine Jean-Baptiste Jouvenet,

Le Christ descendu de la croix

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souffrance. La Vierge interroge le ciel tandis que derrière elle, deux saintes femmes pleurent. Les deux personnages entourant le corps du Christ ont le visage fermé et les traits tirés. Il se dégage alors du tableau une grande intensité dramatique. La gestuelle est élaborée grâce aux positions des mains et des bras. La statue de L’Evêque Jean Tissendier (deuxième quart du XIVe siècle) témoigne du geste du donateur. Il est représenté semi agenouillé portant la maquette d’un projet de chapelle dite de Rieux. Par ce geste, s’apparentant à une offrande, il contribue spirituellement et matériellement à désigner le monument qu’il a créé. Dans une autre perspective, la gestuelle des corps peut accompagner un mouvement. Le Sac de Troie (anciennement considéré comme un Enlèvement des Sabines) d’Antoine Rivalz (1667-1735) représente une scène de combat dans laquelle la théâtralité de l’ensemble est soulignée par l’ampleur des gestes des combattants. Sans pour autant les opposer de manière artificielle, il parait intéressant de remarquer la grâce des attitudes presque maniérées dans Le mariage de la Vierge (1640-45) de Jacques Stella. Dans la moitié inférieure du tableau, la scène se trouve rythmée par les positions des mains suivant une ligne horizontale gauche / droite. Les poses et postures des corps se manifestent dans la position du tronc et des jambes. Par exemple, le déhanchement spécifique à la statuaire du XIVe siècle est nettement visible dans l’ensemble de statues provenant de la chapelle de Rieux. La statue de Saint Michel terrassant le démon de la fin du XVe siècle (?), bien que pensée pour être adossée comme le

montre son dos plat, atteste d’une posture qui amorce une rotation, elle-même accompagnée par le plissé du vêtement. Celle-ci lui permet de se développer presque en trois dimensions à l’image d’une ronde bosse. Cette pose contribue à renforcer le mouvement donné et confère à l’ensemble un caractère presque tragique.

La théâtralité du corps serait-elle le propre d’un art dévoué à la gloire de Dieu ? Les sujets symboliques tels les Vierges de Pitié ou les crucifixions procèdent de gestes, de poses et de postures pour magnifier l’image de Dieu. Dans la Vierge de Pitié dite des Récollets, les gestes et les poses de la Vierge, secondée par saint Jean et par Marie-Madeleine, témoignent d’une retenue quasiment naturelle. La Vierge a les mains jointes posées en signe de communion au-dessus du supplicié et son visage est légèrement fléchi en direction du corps étendu. Tandis que saint Jean soutient avec grâce la tête du Christ mort, Marie-Madeleine semble s’être agenouillée. Dans la

crucifixion de Pierre Paul Rubens Le Christ entre deux larrons (vers 1635), le corps du Christ est rendu omniprésent par une position centrale dans le tableau et par un point de vue en contre plongée.

Saint Michel terrassant le démon, fin du XVe siècle (?)

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> Corps et identité La figuration du corps humain traduit le regard que l’homme porte sur lui-même. Dans la société médiévale, la mort mais aussi l’incertitude du sort du défunt après celle-ci est au centre de la pensée. Dans ce contexte, le monument funéraire prend tout son sens. Il est là pour perpétuer le souvenir du défunt dans le monde des vivants mais aussi pour témoigner de la réussite du passage vers l’au-delà. Les premières formes de cette expression sont la stèle. Le musée possède une croix (XIVe siècle ?) présentant à la fois l’épitaphe et un écu dont les emblèmes se réfèrent probablement à la vie et à la condition de la défunte, Guillemette Azémar. On trouve dans le médaillon central du sarcophage d’un Chevalier de la famille de Palaïs (fin du XIIIe siècle) la silhouette du défunt. Il est représenté en cavalier casqué d’un heaume et protégé par un bouclier laissant apparaître le blason de cette famille. Ici, il s’agit davantage de figurer son statut de chevalier avec ses symboles (cheval, armure et armoiries) plutôt que son individualité. Dans ce sens, on peut évoquer la notion d’identité comme étant la représentation symbolique de son statut social.

Dès le XIIe siècle, sculpter l’image du défunt couché sur la dalle du tombeau est de plus en plus fréquent. Les gisants de Guillaume Durand et de Jean Tissendier donnent l’image de corps plus individualisés. Les traits des visages sont marqués, les yeux sont clos et les mains repliées sur la poitrine. Peut-on pour autant parler d’une personnalisation des figures ? Dans les deux œuvres, les statues présentent un visage rond, un front plissé, des yeux enfoncés et marqués de petites rides. Ces caractéristiques physiques s’attachent à représenter et à montrer la dignité des personnes.

A la fin du XIIIè siècle, une nouvelle conception de l'homme émerge : l'homme en tant qu'image de Dieu, imago Dei. Les relations entre l’homme et Dieu sont posées. La représentation humaine indique la proximité de l’homme à Dieu. La figuration du Christ sur le crucifix dans un portrait collectif Le Christ en croix et les capitouls (1622-23) de Jean Chalette n’est pas sans rappeler le Moyen-Âge dans son rapprochement à Dieu. Les personnages raides et compassés se juxtaposent artificiellement derrière la croix. Ils se cachent derrière leur fonction de capitoul et agissent au nom du Christ crucifié. Le portrait privilégie la fonction au détriment de l’individu. Le portrait de groupe Réception d’Henri d’Orléans, duc de Longueville, dans l’ordre du Saint-Esprit de Philippe de Champaigne en est un exemple.

Valentin de Boulogne, Judith

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La représentation rigoureuse des personnages et l’envahissement de l’espace par un décorum presque exagéré permettent de dissimuler les individus derrière leur fonction. N’est-ce pas la fonction du portrait d’apparat ? L’importance de la personne dans la hiérarchie est affirmée non plus comme référence à l’image de Dieu mais à l’image du souverain, le roi. Le tableau d’Hyacinthe Rigaud Portrait présumé de Germain-Louis de Chauvelin, garde des sceaux (1727) le représente dans son costume de premier magistrat. Remarquons que le vêtement et les attributs (plume, pli adressé au roi) sont signifiants. Ils témoignent de la solennité du personnage. A l’opposé, l’œuvre de Valentin de Boulogne Judith (vers 1625) s’éloigne de la référence au souverain en peignant une femme de l’Ancien Testament. L’expression lasse et mélancolique du personnage évoquant une violence sublimée domine comme s’il avait cherché à privilégier le sentiment plutôt que l’apparence.

Corporalité de l’œuvre > De la matérialité du corps … Le parti pris choisi sera d’aborder le corps du point de vue de la technique exploitée, des matériaux employés et des qualités physiques présentes dans l’œuvre. Les bas-reliefs de saint André et de saint Thomas (1120-1140) ornaient les piliers du cloître de la salle capitulaire de la cathédrale Saint-Etienne (?). Ils sont attribués au sculpteur Gilabertus et à son atelier. La verticalité est rendue par le traitement plastique des formes : les drapés finement ciselés moulent presque naturellement les corps. On observe un goût pour le détail : traitement de la barbe, des vêtements, des broderies, des gemmes et des orfrois. La pierre (calcaire) est taillée et épannelée diagonalement dans un bloc rectangulaire ; ce qui permet de tirer partie de sa profondeur. Les figures paraissent se projeter vers l’avant comme si elles voulaient se dégager du bloc de pierre qui les retient encore ! Cet élan vers la troisième dimension est traité différemment dans une œuvre datée de la fin du XVe siècle. Malgré son dos plat, le corps de de Saint Michel terrassant le démon amorce une rotation marquée par l’avancée de la jambe gauche et soulignée par le traitement du drapé.

En se détachant de l’architecture, la sculpture va gagner une forme d’autonomie. La statue s’enrichit alors des possibilités offertes par la tridimensionnalité. Dans La Vierge à l’enfant (milieu du XIVe siècle) sculpture significative du développement de la statuaire de dévotion, la verticalité est assouplie par un principe de déhanchement. L’emploi de matières précieuses est privilégié : marbre rehaussé de couleur et de dorure. Ceci contribue à favoriser l’émergence d’un style raffiné où la qualité de la matière et l’élégance de la forme se rejoignent. On retrouve l’emploi du marbre dans le gisant de Guillaume VI Durant, Evêque de Mende (deuxième quart du XIVe siècle). La surface est ciselée laissant deviner le grain fin du marbre blanc et par là même l’outil utilisé. La profusion ornementale (crosse sculptée d’un calvaire, mitre aux fins remplages gothiques par exemple) contribue au surgissement de l’individualité du défunt.

Par le traitement de la matière, le corps démontre sa présence et témoigne de son existence passée. Dans Le Christ en croix de Rubens, le traitement pictural par touches larges et enlevées donne une impression tactile au point d’avoir la tentation de toucher le corps du Christ.

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Cézanne déclarera à propos de Cellini, Véronèse, Rubens ou encore Vélasquez : « Leurs chairs ont un goût de caresse, une chaleur de sang… Quand Cellini secouait la tête saignante au bras de Persée, il avait vraiment tué, senti un jet tiède engluer ses doigts… Un meurtre par an, c’était sa moyenne. »3 Cette phrase de Cézanne renvoyant à la matérialité de la peinture ne nous laisse pas indifférent lorsqu’on regarde un détail du Massacre des innocents, un bas-relief en terre cuite d’Ambroise Frédeau (1589 ?- 1673). Le très faible relief produit un effet presque pictural. Un graphisme ondulant, contribuant à rendre les formes expressives, est sculpté dans la matière. Le doute s’installe alors ne sachant plus si on se trouve face à une sculpture ou à une peinture.

Ambroise Frédeau, Le Massacre des innocents

> … au corps in situ Même si l’art du Moyen-Âge concourt à provoquer la remémoration et l’émotion, il est aussi conçu comme un enseignement. L’art participe à l’élan de ferveur de la chrétienté comme moyen d’élévation des âmes. L’Eglise est omniprésente et rythme la vie du chrétien. L’architecture est celle des édifices religieux : églises et monastères. Le décor se distribue de la façon suivante : à l’intérieur, on le trouve sur les chapiteaux, les colonnettes des arcatures et des encadrements de fenêtres ; à l’extérieur, il peut s’étendre à toute la façade. Il peut aussi orner les absides, être présent dans des frises et des pourtours de fenêtres. Répondant à la règle qui veut que le décor s’intègre à l’architecture pour en souligner les articulations et les points forts, il se loge partout et se transforme en triangles, losanges, spirales et finit par occuper toute la surface de son support en respectant la loi du cadre. Dans ce sens, le corps figuré s’inscrit pleinement dans le lieu sachant qu’il a lui-même été conçu pour ce lieu. Au-delà de son rôle didactique, il est une partie constitutive de l’édifice et fait partie intégrante de l’architecture. Ce n’est pas sans faire écho à certaines démarches artistiques du XXe siècle qui conçoivent l’œuvre pour un lieu spécifique. Dans ses sculptures, Richard Serra engage un dialogue avec l’espace environnant «… Les sculptures conçues pour un lieu s’élaborent avec les composantes de l’environnement d’un espace donné. L’échelle, les dimensions et l’emplacement des pièces en extérieur dépendent de la topographie, qu’il s’agisse d’une ville, d’un paysage ou d’un ensemble architectural. L’œuvre devient partie du site et restructure son organisation aussi bien sur le plan de la conception que de la perception… » 4

3 Conversations avec Cézanne, Editions. Macula, 1978, p.115 4 Richard SERRA, « Conférence à l’université de Yale », in Art en théorie, 1900-1990, pp 1225-1226 (cité par Jean-Yves BOSSEUR, Vocabulaire des arts plastiques).

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Au cours du XIVe siècle, la sculpture fut bouleversée par le transfert des programmes iconographiques de l’extérieur sur l’intérieur. La statue libère la sculpture de son cadre et va s’approprier progressivement un espace en trois dimensions. Elle ouvre la voie à une nouvelle forme d’expression qui trouve sa place sur les jubés, les clôtures de cœur ou les retables par exemple. On pourrait citer l’exemple des Vierges à l’enfant, support de dévotion fréquent au XIVe siècle mais aussi les statues et les bas-reliefs de la chapelle de Rieux qui étaient répartis dans la nef et le chœur de l’église. Plus tardivement, un engouement sculptural se manifeste au XIXe siècle. L’Etat français se pose en véritable protecteur des arts. La commande publique est largement répandue ; elle inonde les espaces urbains de sculptures commémoratives ou funéraires qui font apparaître principalement la figure humaine. On les rencontre dans les jardins, sur les places, devant les bâtiments municipaux ou dans les cimetières. Elles sont situées dans un espace public mais font-elles partie intégrante du lieu qui les accueille ?

Saint-Paul, 1326-1350, Provient de la Chapelle de Rieux, Toulouse

Le corps en action > Le corps de l’artiste à l’œuvre A la Renaissance, l’artiste émerge en tant qu’individu pensant. On lui reconnaît un statut, celui d’artiste. D’ailleurs, de très nombreuses œuvres sont signées. Dès le XIIe siècle, un chapiteau de colonne d’angle provenant du Prieuré Notre-Dame de la Daurade (Monastère Notre-Dame

de la Daurade, Toulouse) représente un sculpteur taillant avec un maillet et un ciseau un chapiteau corinthien. La représentation de cet homme, sans caractère sacré, témoigne d’une reconnaissance progressive du statut de l’artiste dans la hiérarchie sociale. Comment l’artiste construit son identité ? Est-elle synonyme de singularité, d’universalité ? Qu’est-ce qui fait la singularité de l’artiste et l’universalité de l’œuvre ? Lorsqu’on regarde Le Christ en croix de Rubens, on est frappé par la facture : touche picturale, et harmonie colorée par masses qui font qu’on ne pourra jamais le confondre avec Le Christ porté au tombeau de Nicolas Tournier qui procède d’une facture au dessin précis. Le style rend compte de l’identité de l’artiste. D’ailleurs, les démarches

Sculpteur taillant un chapiteau, 1176-1200 Provient du prieuré de Sainte-Marie-de-la-Daurade.

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scientifiques des historiens pour dater une œuvre, l’attribuer à un artiste relèvent parfois « d’exercices acrobatiques » ! Comment l’artiste laisse l’empreinte de son geste dans l’œuvre ? En regardant les gargouilles (XIIIe ou XIVe siècle), on peut encore lire les traces des outils utilisés pour tailler la pierre. Mais ces empreintes encore visibles sont probablement dues à la fonction première de ces éléments architecturaux. Compte tenu de leur position très élevée dans l’édifice, il n’était pas jugé nécessaire d’accorder plus de temps pour les sculpter. De même, dans la sculpture du XIXe siècle, présentée dans le grand escalier du musée, les traces d’appareillage de moulage sont encore apparentes aujourd’hui. Le processus de fabrication de l’œuvre fut laissé visible par l’artiste.

> Le corps du spectateur dans l’œuvre La visée pédagogique de l’art du Moyen Âge implique une participation du fidèle et sa déambulation dans l’espace. Il est non seulement spectateur (immobilité) de l’œuvre mais aussi acteur (mobilité) dans l’œuvre. Il est spectateur, en position frontale lorsqu’il regarde un bas-relief par exemple. Il est acteur lorsqu’il regarde/lit un chapiteau. Le principe narratif incite le fidèle à parcourir les différentes faces sollicitant un déplacement dans l’espace. L’artiste lui-même incite à rendre acteur le spectateur dans son œuvre ! Dans La Visite de la Vierge à sainte Elisabeth, le peintre Cristofano Gherardi interroge le spectateur et nous sollicite. Le personnage de droite au premier plan est retourné vers nous comme pour nous inciter « à rentrer dans l’œuvre ». D’une autre façon, dans Tu Marcellus eris, Ingres guide l’œil du spectateur en utilisant une seule source de lumière. Elle nous permet de déplacer notre regard en suivant les différents protagonistes de la scène. Dans un autre registre, Rubens donne, par sa facture, une impression tactile au point d’avoir la tentation de toucher et d’éprouver une véritable sensation physique face à l’œuvre.

Deuxième atelier de la Daurade, L’Arrestation, Chapiteau de colonne triple, entre 1120 et 1130, Deuxième atelier de la Daurade.

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Jalons pour une exploitation pédagogique Vocabulaire

Architecture Anatomie Anthropométrie Anthropomorphe

Bas-relief Blason

Canon Caricature Corbeille Chapiteau Commande publique

Dorure Drapé

Echelle

Facture

Gargouille Gemme Gisant

Heaume

Iconographie

Matière Matériau Métaphore Mimesis Modelé

Orfroi

Plissé Pochoir Pose Posture Proportion

Raccourci Ressemblance Ronde-bosse

Schématisation

Tailloir

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Notions Ressemblance

> référent > représentation > hybridation > caricature

Mesure

> mesurer l’œuvre avec le corps Proportions

> échelle > un corps proportionné … le modulor de Le Corbusier ou la poupée Barbie ?

Expressivité

> corps expressif > corps expressionniste > expression du corps

Théâtralité

> geste, pose et posture > mise en scène > narration

Identité et mémoire

> autobiographie > portrait

Matérialité

> matière et texture > matériaux > facture

Espace

> loi du cadre > espace scénique > in situ

Le corps en action

> le corps de l’artiste à / dans l’œuvre > le corps du spectateur dans l’œuvre

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Problématiques

> Le geste de l’artiste, fait-il partie intégrante de l’œuvre ?

> Pourquoi laisser visible la trace du geste de l’artiste dans l’œuvre ?

> Comment, au travers de l’implication du corps, comprendre la notion d’espace ?

> Comment faire pour que l’élève prenne en compte son corps comme élément constitutif dans une production plastique ?

> En quoi la posture (attitude physique) et la démarche pédagogique de l’enseignant vont-elles faciliter l’apprentissage de l’élève ?

Repères bibliographiques > BOSSEUR Jean-Yves, Vocabulaire des arts plastiques, Minerve, 1998. > DEBRAY Régis, Vie et mort de l’image, Folio essais, 1992. > DE MEREDIEU Florence, Histoire matérielle et immatérielle de l’art moderne et contemporain, Larousse, 2004. > GOMBRICH E.H., L’art et l’illusion, Gallimard, 1987. > SCHAPIRO Meyer, Style, artiste et société, Gallimard, 1982. > SOURIAU Etienne, Vocabulaire d’esthétique, PUF, 1990. Crédits photographiques

© Toulouse, musée des Augustins – clichés Daniel Martin.