Upload
others
View
0
Download
0
Embed Size (px)
Citation preview
© Philippe Audet, 2020
Le corps prothétique - Analyse de la conception du corps parasportif dans le paralympisme
Mémoire
Philippe Audet
Maîtrise en anthropologie - avec mémoire
Maître ès arts (M.A.)
Québec, Canada
Le corps prothétique
Analyse de la conception du corps parasportif dans le paralympisme
Mémoire
Philippe Audet
Sous la direction de :
Stephanie Lloyd, directrice de recherche
ii
Résumé
En tentant de mettre en lumière les ressemblances et les dissonances entre les descriptions
faites du corps handicapé, et les compréhensions que les athlètes paralympiques ont et ont
eus de leur propre corps, on cherchera à voir dans quelle mesure cela s’inscrit dans une
perspective plus large. L’objectif n’est donc pas de mettre de l’avant un portrait de la vie
d’un para-sportif de haut niveau, mais plutôt de tenter de tisser les liens et les relations qui
existent dans la conception de ce corps parasportif. En observant ce corps lubrique de tous
les excès, ce corps symbolisant pour l’Homme sa victoire la victoire de l’Homme sur les
caprices de la Nature, contournant les coups du sort. Ce sont ces désirs et ces velléités de
ce corps que nous tenterons de percevoir, et cela en suivant le fil d’Ariane qui nous guidera
au travers du labyrinthe d’influences qui constituent l’identité de ce corps handicapé.
iii
Table des matières
RESUME .......................................................................................................................... II
REMERCIEMENTS ........................................................................................................... VI
INTRODUCTION ............................................................................................................... 1
CHAPITRE 1 : CONTEXTUALISATION SOCIO-HISTORIQUE DU SPORT, DE L’OLYMPISME ET
DU PARALYMPISME ......................................................................................................... 4
1.1 LE SPORT ................................................................................................................... 4
1.2 L’OLYMPISME ............................................................................................................ 8
1.3 LE PARALYMPISME ................................................................................................... 10
CHAPITRE 2 : CADRE THÉORIQUE ................................................................................... 12
INTRODUCTION ............................................................................................................. 12
2.1 L’ANTHROPOLOGIE DU CORPS ................................................................................. 13
2.2 SCIENCE AND TECHNOLOGY STUDIES (STS) .............................................................. 18
CHAPITRE 3: CADRE CONCEPTUEL .................................................................................. 22
INTRODUCTION ............................................................................................................. 22
3.1 LE CORPS, CORPORALITÉ ET OBJET/CORPS ............................................................... 23
3.2 HANDICAP ET CORPS HANDICAPÉ ............................................................................ 27
iv
3.3 L’HYBRIDITÉ, CYBORG ET BIONIQUE ......................................................................... 31
CHAPITRE 4 : MÉTHODOLOGIE ....................................................................................... 35
CHAPITRE 5 : MÉTHODE ET COLLECTE DES DONNÉES ..................................................... 38
CHAPITRE 6 : RÉSULTATS DE L’ANALYSE. CORPS HANDICAPÉ ET CORPS SAIN : ................ 41
LA CLASSIFICATION NORMATIVE DES ATHLÈTES PROTHÉTIQUES. ................................... 41
INTRODUCTION ............................................................................................................. 41
CHAPITRE 7 : LA CLASSIFICATION ................................................................................... 44
CHAPITRE 8 : CORPS ADAPTÉ, CORPS RÉHABILITÉ .......................................................... 48
CHAPITRE 9 : RÉPARATION, AMÉLIORATION ET CAPACITÉ .............................................. 50
CHAPITRE 10 : CORPS SAIN ET LE CORPS HANDICAPÉ ..................................................... 56
CHAPITRE 11 : LA COMPARAISON ENTRE LES CORPS PROTHÉTIQUES ET LES CORPS
« NORMAUX ». .............................................................................................................. 58
CHAPITRE 12 : LE « CORPS SPORTIF », CORPS PERFORMANT .......................................... 61
CHAPITRE 13 : LE CORPS PROTHÉTIQUE ET LE SPORT ..................................................... 64
CHAPITRE 14 : CORPS CYBORNFIÉ ET CORPS HYBRIDÉ ; CONCEPTIONS DES « CAPACITÉS »
DU CORPS PROTHÉTIQUE .............................................................................................. 67
CHAPITRE 15 : CORPS MESURABLE, CORPS MOYEN ........................................................ 72
CHAPITRE 16 : LES INSTITUTIONS ET LE CORPS ............................................................... 75
CHAPITRE 17 : ÉGALITÉ DES CHANCES ET AVANTAGES DITS INJUSTES ............................ 79
v
CHAPITRE 18 : CORPS « NORMAL » ET CORPS PERFORMANT ......................................... 88
CONCLUSIONS ............................................................................................................... 91
BIBLIOGRAPHIE ............................................................................................................ 101
SITE INTERNET ............................................................................................................. 114
ARTICLES DE JOURNAUX .............................................................................................. 116
LITTÉRATURE GRISE ..................................................................................................... 118
vi
Remerciements
J’aimerais remercier les professeurs du département d’anthropologie du l’Université Laval
qui ont cru en moi et qui m’ont aidé tout au long de mon cheminement. J’aimerais
également remercier les personnes qui m’ont aidé à la rédaction de ce mémoire, Jocelyne
Audet, Camille Vissouarn, Anthony Melanson, Corinne Gravel ainsi que Marianne Amar.
Je souhaite également faire un remerciement spécial à M. Roger Boileau qui m’a fait
réfléchir à plusieurs aspects du sport et de la corporalité tout en me permettant de faire de
la recherche.
1
Introduction
Dans la présente étude, nous poserons un regard sur la pratique sportive et parasportive,
ainsi que sur les changements historico-sociaux et organisationnels qui ont touché le
mouvement olympique et paralympique. Nous tenterons plus précisément d’analyser
l’évolution des différents concepts et idées du corps handicapé avec prothèse dans une
pratique sportive de haut niveau en lien avec les changements de compréhension, de
perspective et d’analyse des différents acteurs qui sont engagés dans le réseau institutionnel
et scientifique du paralympisme. Pour ce faire, nous nous interrogerons sur l’identité
multiple de ce corps, un corps handicapé, un corps « accapable », mais aussi un corps
hybridé, un corps bionique, un corps cyborg, un corps performant. L’objectif ici, sera de
comprendre comment la conception et l’identité du corps handicapé se sont modifiées en
lien avec le réseau d’influence qui existe dans l’univers sportif, et comment ces images et
ces perceptions s’allient et se confrontent. En somme, on observa le corps être objectivé
par la science, l’institution, mais aussi parfois par les athlètes eux-mêmes. On verra
comment le corps parasportif devient réparable, manipulable voire, transformable.
Pour être en mesure de brosser un portrait satisfaisant de la question, nous tenterons
d’illustrer, à l’aide d’articles de journaux, d’archives vidéo et d’une littérature grise variée
(rapports officiels, systèmes de classifications, plans stratégiques, etc.), les différentes
manières de concevoir et de définir le corps parasportif. En dressant un portrait des écarts
et des rapprochements entre les différentes conceptions du corps parasportif, nous espérons
être en mesure de tracer les chemins, quoique sinueux, d’un certain nombre de
transformations du corps paralympien, depuis l’avènement des Jeux paralympiques en
1988, jusqu’en 2012, tout en contextualisant le tout de manière historique, c’est-à-dire en
exposant les prémisses qui ont permis la naissance du paralympisme. Cela devrait nous
permettre d’illustrer les forces et les tensions qui ont agi et agissent sur la conception de
ces corps parasportifs.
2
L’utilisation d’un cadre théorique axé sur une approche de l’anthropologie du corps et sur
les Science and technology studies (STS), permettra de rendre compte de la transformation
des métadiscours qui chapeautent certaines compréhensions du corps. Après avoir inscrit
notre étude dans un cadre théorique, nous définirons les principaux concepts qui s’allient
à notre problématique et à notre méthodologie. Le concept de corps sera un pivot important
à notre étude, pour ce faire, nous en définirons les principaux éléments qui le composent,
ce qui nous permettra d’encadrer notre analyse. En suivant cette idée, nous nous
pencherons sur le concept de handicap en cherchant à y extraire les principales définitions
qui alimenteront notre réflexion. En ayant mis de l’avant le socle conceptuel de l’étude,
nous nous devons alors de décrire les principaux concepts qui s’insèrent dans la conception
de l’amalgame du corps et des biotechnologies dans le contexte d’une pratique parasportive
de haut niveau. La question de l’hybridité sera un concept duquel nous tenterons d’extirper
les composantes majeures. Nous verrons également que le concept d’hybridité n’est qu’une
des manières de définir l’incorporation de technologies au corps, le concept de bionique
comme le concept de cyborg, nous permettront de prendre la mesure des regards qui sont
posés sur le corps prothétique, c’est-à-dire le corps avec prothèse, en pratique sportive de
haut niveau. Par la suite, nous entrerons au cœur de notre étude et nous ferons l’analyse
des différentes données que nous aurons recueillies.
Comme l’élément central qui constitue le présent travail est le corps, nous avons segmenté
l’analyse selon les diverses conceptions observées au travers la collecte de données
colligées. Au fil des lectures et de l’analyse, on remarque assez rapidement que le corps
humain n’est pas uniquement polysémique, il est également multidimensionnel dans la
matérialité du corps, mais également dans sa représentation, et ce, d’autant plus pour le cas
qui nous occupe, puisque le corps handicapé pose, par les processus adaptatif et réadaptatif,
la question de la finitude et des frontières du corps.
En premier lieu, nous tenterons de comprendre et d’observer de quelle manière le corps
prothétique est-il conceptualisé comme étant un corps malade, et comment celui-ci est-il
mis en relation par l’entremise de la science médicale, avec une conception du « corps
sain » et du « corps normal ». L’isométrie entre « le corps sain » et « le corps handicapé »
3
se constitue, nous le verrons, sur la base de systèmes de mesures que les divers domaines
de la science instituent sur l’assise de normes biologiques et physiologiques du corps.
Le « corps normal » étant élaboré et conçu par les différents domaines de la science, à partir
des connaissances qu’ils en dégagent et de leur compréhension des phénomènes corporels,
ils se positionnent au premier plan dans le réseau d’influences qui se forme autour du corps
parasportif. Il est à noter que nous ne nous lancerons pas ici dans une analyse sémantique
des différents vocables utilisés, mais nous tenterons plutôt de voir comment, à travers les
contradictions, les confluences et les paradigmes, s’élabore une conception du corps
parasportif de haut niveau.
Ce qui nous conduira à la section suivante, où nous analyserons les questionnements sur la
manière dont le corps prothétique est conceptualisé comme étant un corps malade, et
comment celui-ci est-il mis en relation par l’entremise de la science médicale, avec une
conception du « corps sain » et du « corps normal » en observant les diverses conceptions
du corps parasportif à travers le corps mesurable.
En somme, dans cette partie de l’étude, nous avancerons que les processus normatifs qui
régissent nos compréhensions du corps, régissent également les limites acceptables des
« capacités humaines ». Nous verrons que les cadres normatifs que la science et l’institution
imposent, ne prennent pas le ressenti de l’athlète paralympique en compte dans la mesure
de la limitation et dans la mesure de la norme. C’est ce que nous tenterons d’éclaircir tout
en cherchant à comprendre comment cela se décline dans la réglementation et la
légiférassions du sport paralympique, et quels en sont les résultantes.
Pour conclure, nous verrons comment les innovations et la science influencent et agissent
sur le corps et sa conception dans l’institution paralympienne. Nous nous attarderons
également à la polysémie du corps qui s’imbrique à la fois dans le mouvement, dans la
pratique et dans la corporalité, constituant ainsi un corps multiple qui se confronte et
confronte les aprioris et les concepts qui en sont faits. Le parasport se trouve ainsi aux
points de jonction du paradigme de la corporalité et des limites qui lui sont émissent.
Observons tout d’abord de quelle manière prend racine le phénomène sportif et de quelle
manière il s’imbriquera à la renaissance de l’olympisme moderne et à la naissance du
paralympisme.
4
Chapitre 1 : Contextualisation socio-historique du sport, de l’olympisme et du paralympisme
1.1 Le sport
Les jeux, les affrontements, la compétitivité sont des phénomènes bien antérieurs à la
naissance du sport moderne. Le sport doit plutôt être perçu comme étant une « Magna
carta1», c’est-à-dire, la mise en place d’un système de réglementation et d’élaboration d’un
code de bienséance, le « fair play ». Le sport2 issu de l’aristocratie britannique, systématise3
les pratiques corporelles compétitives contrairement aux pratiques populaires qui
évoluaient selon des conventions locales et des règles non-écrites 4 . Le sport est un
divertissement pour la nouvelle aristocratie qui émerge sous Henri VII.
« À la fin du Moyen Âge, les techniques guerrières nouvelles réduisent l'importance des
chevaliers. La guerre de Cent ans, puis, la véritable guerre civile dite des Deux-Roses
achèvent de décimer la haute noblesse anglaise au profit du pouvoir royal d'Henri VII et
d'un nouvel allié, la bourgeoisie, instaurant sous son règne (1485-1505), la dynastie des
Tudor associée à l'Angleterre moderne. Jouant un rôle secondaire dans la marche du
royaume et possédant terres et temps libre, cette noblesse s'adonne dorénavant en dilettante
aux activités de son patrimoine social (équitation, chasse, escrime, etc.) » (Boileau 2007 :
26).
C’est donc le temps loisible5, obtenu par une certaine paix, qui permis à cette aristocratie
de s’adonner à des pratiques sportives. L’expansion graduelle des pratiques sportives se
fera en partie par l’élargissement de l’aristocratie et de la bourgeoisie. Le club deviendra
1 http://encyclopediecanadienne.ca/fr/article/magna-carta/ 2 « Par sport, il faut comprendre une activité physique de compétition, amusante, pratiquée en vue d'un enjeu,
selon des règles précises et un esprit particulier : le désir de vaincre loyalement un adversaire de calibre »
(Guay 1987 : 23). 3 « La volonté de comparer les performances impose alors l'établissement de règles pour mieux contrôler le
déroulement des épreuves. Ces règles sont fixées dans un esprit chevaleresque à l'image du style de vie et
des valeurs des promoteurs » (Boileau 2007 : 26). 4 « (…) les jeux populaires observés en Angleterre au Moyen Âge ressemblent à ceux pratiqués en Europe.
Les jeux physiques sont plutôt violents et régis par des conventions locales non écrites permettant la
perpétuation, sous forme ludique, des animosités entre localités, des différences et parfois des tensions entre
les catégories sociales comme les plus jeunes contre les plus âgés, les gens mariés contre les célibataires,
etc. » (Boileau 2007 : 26). 5 « En rétrospective, on constate que cette classe « oisive » présente des caractéristiques particulières : elle
dispose de temps libre pour s'exercer et exceller dans les jeux de son choix ; elle dispose de la richesse
nécessaire pour acquérir des biens (yacht, chevaux, terres, clubs, etc.) et des domestiques qu'elle utilise dans
ses divertissements ; elle dispose de la motivation et de l'énergie pour se faire valoir, affirmer sa supériorité ;
elle connaît le décorum et l'applique à ces formes ludiques pour qu'elles lui ressemblent » (Boileau 2007 :
107).
5
le lieu de diffusion principal de la pratique sportive, puisqu’il est au cœur de la culture
britannique du sport. « Le modèle britannique repose sur la formule du club, lieu de
rassemblement où s'exercent à la fois une certaine sociabilité et la vie sportive elle-même »
(Boileau 2007 : XIX).
L’élargissement et la diffusions des pratiques sportives et des clubs sportifs fut permis, en
bonne partie, par le colonialisme britannique (Boileau 2007 : 3). Ce fut, entre autres, le cas
au Canada et au Québec avec l’apparition, à la fin du XVIIIe siècle et durant la première
moitié du XIXe siècle, de clubs réunissant des adeptes d’un ou de plusieurs sports (Metcalfe
1996 : 46). À partir des décennies 1860-1870, la récréation se transforme
considérablement. Les compétitions sont moins sporadiques et le résultat devient de plus
en plus important. S’adjoignant à cela, l’urbanisation et l’industrialisation amènent de
profonds changements sociaux qui permirent, entre autres, une diffusion plus large du sport
dans les diverses couches de la population. C’est vers la fin du XIXe siècle que s’amorce
l’une des transformations les plus importantes du sport moderne, alors que celui-ci passe
essentiellement d’une pratique axée sur la sociabilité et l’hygiène, pour se métamorphoser
en une pratique agonistique s’ancrant dans la professionnalisation des athlètes (Bourgeois
1995 : 153). Ce processus réside à la fois dans une volonté de victoire et de popularité, ce
qui implique l’achat ou la mise sous contrat de joueurs venus de l’extérieur (Bourgeois
1995 : 153). Pour maintenir la ferveur et le niveau de compétitivité, les propriétaires de
clubs mettront sous contrat des joueurs venus de l’extérieur. En ce sens, vers la fin du XIXe
siècle et aux débuts du XXe siècle, les clubs perdent graduellement au courant du siècle
émergeant leur filiation dans la communauté, le lien d’identification d’une population à
son équipe ne résidera plus alors dans le lien entre les joueurs et la communauté, mais
prendra une forme nouvelle, modelée par les médias.
La naissance d’une presse de masses au début du XXe siècle permettra, une nouvelle
identification d’une communauté à une équipe sportive ou à un athlète passant
principalement par les canaux de la commercialisation et de la spectacularisation du sport
(Bourgeois 1995 : 155). Ainsi, en étant rémunérés de manière de plus en plus importante
tout au cours du XXe siècle, les athlètes deviennent l’objet d’attentes de performances et
de résultats. Pour ce faire, le sportif aura recours à diverses méthodes d’entraînement afin
6
d’augmenter ses capacités et améliorer ses performances. S’instrumentalise alors une
scientifisation du sport et des performances athlétiques. L’évolution de la pratique sportive
au courant du siècle dernier, est grandement tributaire des nombreuses évolutions socio-
technologiques qui émergent. De plus, la croissance exponentielle des moyens de
communication va, quant à elle, permettre de diminuer l’impact des distances physiques,
mais aussi psychologiques entre les différentes nations, ce qui fera naître la planète sport
(Brohms 1976 : 16). De ce fait, les records et les champions symboliseront, d’une certaine
manière, l’universalité de l’humanité, le sport devient ainsi un « fait social massif »
(Brohms 1976 : 16). Comme le spécifie Jean-Marie Brohms, sociologue, philosophe et
spécialiste de l’éducation physique et sportive, la science et la technologie se sont insérées
dans le domaine sportif pour créer une véritable révolution. De nombreux aspects du sport
se transforment alors, entre autres, les infrastructures organisationnelles et matérielles, les
instruments de mesure, les techniques d’entraînement, ainsi que les appareils
d’enregistrement. La science et la technologie transformeront également le sport sur les
aspects de la biomécanique du corps, mais aussi sur la technologie du sport en elle-même6.
Le sport olympique et paralympique verront, au cours de cette période, les records et les
performances constamment repoussés. L’innovation des moyens d’entraînement et de
locomotion comme les équipements sportifs, les prothèses et le fauteuil-roulant vont
transformer à la fois la performance des athlètes et la compétitivité, le tout s’inscrivant
dans le continuum de la progression des technologies7. Dans cette révolution, le « corps
6 « En 1985, la revue Innove en consacrant un numéro spécial au sport, aux techniques et technologies du
sport. Des articles majeurs comme ceux de Parlebas, qui étudie l’articulation entre les grands modèles de
machine, l´évolution de la pensée technique et les moyens de penser le corps (Parlebas, 1985); de Defrance
qui, à partir de l’exemple de l’invention de la perche en fibre de verre, analyse la réception de l’innovation
technique et les formes d’appropriation ou de résistance à la nouveauté au sein des groupes de pratiquants
(Defrance, 1985); de Aupetit qui, à partir de l’exemple de l’ULM (Ultra-Léger Motorisé) réfléchit à l’impact
des technologies sur le développement des sports (Aupetit, 1985); de Vigarello et Vivès qui prolongent leur
analyse du discours technique (Vigarello & Vivès, 1985); de plusieurs économistes, enfin, qui abordent la
question des réseaux de l’innovation technique et sportive, participent à rendre crédible et à renforcer un
intérêt encore fragile autour de l’histoire des techniques et technologies sportives » (Robène 2014 : 98). 7 « Les athlètes commençaient à utiliser les fauteuils de course à trois roues qui sont aujourd’hui la norme,
mais les règlements stipulaient que tous les fauteuils devaient avoir quatre roues. Bo Lindquist participa aux
épreuves de Gasparilla dans un fauteuil à trois roues conçues par la société américaine Top End et doté d’une
petite roue stabilisatrice supplémentaire. Le fauteuil avait bien quatre roues, c’était incontestable, et bientôt,
les organisateurs et responsables durent admettre que les règlements ne pouvaient faire obstacle à cette
évolution majeure dans la conception des modèles de course » (Black 2012 : 142).
7
sportif » ou plutôt le « corps sportivisé »8, est objectivé, c’est-à-dire qu’il ne devient plus
que l’instrument de la réussite, imbriqué dans une logique positiviste9. Cette utilisation du
terme « corps sportif » ou « corps sportivisé » met en perspective la transformation du
corps des sportifs au courant des dernières décennies. Nous ne tentons pas ici de réifier le
concept, mais plutôt d’exposer les divers changements qui se sont opérés sur ces corps et
comment cela a affecté la conception du « corps sportif », ou « corps sportivisé », c’est-à-
dire l’agglutination des représentations et des symboliques de ce corps. Puisque ce « corps
sportif » appartient au domaine de la symbolique, il n’est que l’image renvoyée par nos
perceptions de ces corps, il n’en est que le reflet. C’est donc pour ces raisons que nous
utiliserons le terme de « corps sportif » ou « sportivisé » pour parler des conceptions de ces
corps prothétiques, puisqu’ils se réfère à ces images mise de l’avant par les différents
acteurs scientifiques, institutionnels et médiatiques pour expliquer et comprendre ces
corps. Pour revenir à la question de la transformation du phénomène sportif en lui-même,
notons que les innovations technologiques obligeront les organisateurs d’évènements
sportifs, comme les Jeux olympiques et paralympiques, à modifier leurs classifications et
leurs réglementations, puisque la légitimité de ses institutions repose sur leurs capacités à
se maintenir sur la mince ligne qui sépare les capacités dites « naturelles », des capacités «
augmentées », du capable, du plus-que-capable. Nous nous pencherons d’ailleurs sur la
question des capacités, des limites et des normes sur lesquels les institutions sportives
s’appuient pour établir ses classifications et sa réglementation. Mais avant de nous lancer
sur cette avenue, nous nous devons tout d’abord de préciser la contextualisation socio-
historique de l’avènement de l’olympisme et du paralympisme moderne pour bien
comprendre l’analyse qui suivra.
8 « (…) l’entraînement du champion entre en résonance avec une « sportivisation » du corps et des mœurs
(…) » (Queval 2011 : 197). 9 « L’optimisation toujours renouvelée des paramètres techniques et psychologiques de la performance
illustre un héritage des Lumières dont le XIXe siècle, celui de la naissance du sport moderne, consacra
l’effectivité en étalonnant la force et le mouvement humains : le culte du progrès » (Queval 2011 : 197).
8
1.2 L’olympisme
Le projet que chérissait le baron Pierre de Coubertin lorsqu’il a introduit les Jeux
olympiques à la fin du XIXe siècle était empli d’un désir humaniste. Roger Boileau,
sociologue et spécialiste du sport et l’éducation physique, écrit d’ailleurs que la définition
du sport qu’il (Coubertin) propose, épouse les contours de son projet humaniste : « Le sport
est le culte volontaire et habituel de l'exercice musculaire intensif appuyé sur le désir du
progrès et pouvant aller jusqu'au risque » (Boileau 2007 : 18). Il a été question
précédemment de l’apparition et du déploiement de la pratique sportive au cours du XIXe
et XXe siècle, l’avènement de l’olympisme moderne10 deviendra un point de jonction dans
l’ascension de la pratique sportive. Coubertin utilisera le prestige de l’olympisme antique
pour y intégrer le sport britannique dans son pays, la France. Il faut comprendre que la
création de l’olympisme moderne ne s’inscrit pas dans un continuum avec l’olympisme
antique qui a eu cours, d’environ 776 avant J.-C. jusqu’à son interdiction par l’empereur
chrétien Théodose en 393 après J.-C 11 . La version moderne s’inspire du caractère :
« périodique, artistique et religieux » de l’olympisme antique. Coubertin procède par
étapes : 1894, restauration des jeux et de leur périodicité ; 1906, rétablissement des
manifestations artistiques ; 1910, premières articulations de la religio athletae qu'il
développera jusqu'à la fin de sa vie » (Boileau 2007 : 16). Pierre de Coubertin écrivait
d’ailleurs ceci à ce propos :
« (…) L’aspect religieux dans l’olympisme se transbordera en une glorification d’un culte
patriotique. En ce siècle laïcisé, une religion était à notre disposition ; le drapeau national,
symbole du moderne patriotisme montant au mât de la victoire pour récompenser l'athlète
vainqueur, voilà ce qui continuerait le culte près du foyer rallumé » (Boileau 2007 : 16).
Le sport, croit-on, se doit d’être un vecteur de rapprochement entre les peuples. Des
affrontements compétitifs dénués de politique, c'est ce qui prime dans l’esprit qui redonne
10 Le baron de Coubertin écrivit : « Un seul moyen me parut pratique pour y parvenir : créer des concours
périodiques auxquels seraient conviés les représentants de tous les pays et de tous les sports et placer ces
concours sous le seul patronage qui pût leur donner une auréole de grandeur et de gloire, le patronage de
l'antiquité classique. Faire cela, c'est rétablir les Jeux Olympiques : le nom s'imposait. Il n'était pas possible
même d'en trouver un autre » (Boileau 2007 : 16). 11 « Toutefois, la popularité des concours sportifs et des fêtes culturelles persiste jusqu’au 6e siècle après J.-
C. dans de nombreuses provinces de l’Empire romain encore sous influence grecque » (Musée olympique :
Les Jeux Olympiques de L’Antiquité : 13).
9
naissance à l’olympisme. Ce courant humaniste s’inspire fortement de l’esprit des
Lumières, concevant les rapports humains dans une perspective universaliste. S’opposant
à une vision mécaniste du corps, l’humaniste tend à poser son regard non seulement sur
l’hygiène du corps, mais également l’hygiène de l’esprit. Coubertin croyait en l’humanisme
de l’olympisme, mais également en son aspect religieux12, c’est-à-dire qu’il tente de réifier
le dogme religieux dans la nature du « corps sportif ». L’on peut comprendre cette référence
religieuse de l’olympisme avec des analogies à la mythologie grecque que l’on utilise
parfois pour parler des athlètes, comme par exemple : « les dieux du stade ». Cette
référence, quoique purement symbolique, démontre bien tout l’aspect scolastique qui
entourent le nouveau culte du corps olympien : « Des dieux parmi les hommes ». Cette
conceptualisation de l’olympisme, vise à nous aider à comprendre les racines structurelles
de l’humanisme et de l’aspect religio athletae du nouvel olympisme, s’enracinant dans un
nouveau culte, un culte au corps de l’athlète olympien, mais également de la patrie.
12 « (…) (Vers) la fin de sa vie, en 1935, les Jeux olympiques étant bien inscrits dans les mœurs occidentales,
Coubertin en réitère le caractère religieux : La première caractéristique essentielle de l'olympisme ancien
aussi bien que de l'olympisme moderne [...] c'est d'être une religion. En ciselant son corps par l'exercice
comme le fait un sculpteur d'une statue, l'athlète antique honorait les Dieux. En faisant de même, l'athlète
moderne exalte sa patrie, sa race, son drapeau. J'estime donc avoir eu raison de restaurer dès le principe,
autour de l'olympisme rénové, un sentiment religieux transformé et agrandi par l'Internationalisme et la
Démocratie (...) » (Boileau 2007 : 18).
10
1.3 Le paralympisme
En ce qui concerne plus particulièrement le mouvement paralympique, qui prend naissance
de manière concrète au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, on en fixe l’origine en
1948 avec les efforts mis en place par, entre autres, le Dr Guttmann 13 , éminent
neurochirurgien et responsable du National Spinal Injuries pour présenter les Stoke
Mandeville games (Mauerberg-deCastro 2016 : 112). Dès lors, des visées internationales
émergent du mouvement, l’expérience se répétant en 1952, toujours au Stoke Mandeville
hospital (Mauerberg-deCastro 2016 : 112). À partir de 1960, les Paralympiques sont
présentés pour la première fois dans le même pays que les Olympiques, l’Italie (Rome).
« The Paralympic Games began officially in 1960 and have evolved to become the second
largest multisport event in the world, and the pinnacle of sporting achievement for athletes
with disability. The transformation from a medical model in which sport was used for the
purposes of rehabilitation to one focusing on elite athlete performance has occurred due to
a myriad of personalities and events that led to significant organizational and structural
change » (Legg 2011: 1099).
La transformation du paralympisme est, entre autres, initiée par des phases de
développement organisationnelles et structurelles qui ont permises à l’institution de
prendre son envol. Le tout débute avec une première phase dans les années 1970, avec les
premiers paralympiques d’hiver qui eurent lieu en 1976, à Örnsköldsvik en Suède14. Puis,
avec une nouvelle phase qui transforme les paralympiques en Jeux paralympiques à partir
de 1988 à Séoul 15 . On forme alors en 1989 le Comité International paralympique,
combinant les différentes fédérations internationales (Purdue & Howe 2013 : 27). Basé à
13« (…) Guttmann’s 1944 sport programs as the origin of Paralympism. This move downplays the importance
of competitive sports that were being organized by members of Deaf communities by 1888, that were
practiced in schools for the blind by 1909, and that were invented by the patients of Stoke Mandeville before
Guttmann even began his sports programs there.(…) Although both histories briefly mention some of these
events, they do not treat them as significant enough to challenge Guttmann’s declared paternal role or to call
into question the passivity of athletes within the Movement. Furthermore, constructing Guttmann as Father
of the Paralympic Movement conceals significant social shifts that contributed to the construction of
disability as sites of both tragedy and potential athletic rehabilitation. These developments include: post-war
urbanization and industrialization; increased state control over the health and productivity of populations; the
construction and popularization of statistical (ab)normality; and the institutionalization of medicine’s power
over defining, treating, discovering and controlling disabilities » (Peers 2009 : 33-34).
14 https://www.paralympic.org/ornskoldsvik-1976 15 « In part, this can be understood by the relatively short history of the Paralympic Games with the first
official Games being held in 1960 and the modern Games starting in 1988 » (Legg 2011: 1099).
11
Bonn, en Allemagne, l’organisme qui réunit plus de 160 comités paralympiques nationaux
aspire, à la base, à changer les perceptions et les stéréotypes qui existent face aux personnes
avec un handicap, et à s’assurer que le système de classification des athlètes soit intègre et
de qualité16. La naissance de cet organisme et la complicité du mouvement olympique
seront d’importants catalyseurs au développement du mouvement et à son ascension.
Le changement de regard semble fonctionner en ce qui a trait à la perception du public, s’il
faut en croire la progression de la vente des billets, ainsi que les déclarations de Sébastian
Coe, chef du comité organisateur des Jeux olympiques de Londres, qui stipule que le grand
public, dans une portion de 70%, perçoit le paralympisme comme étant du sport de haut
niveau17. C’est par l’entremise des grandes valeurs, qui sont au cœur du mouvement
paralympique, telles que le courage, la détermination, inspirée et l’égalité, que l’on tente
de changer les perceptions du public (Legg 2011: 1101).
Qui plus est, nous verrons que le fait que le handicap s’insère aussi rapidement dans la
logique sportive semble être une piste explicative à la naissance du mouvement, en ce sens
que l’utilisation du sport dans la réhabilitation des personnes avec un handicap étant bien
ancrée dans les processus de réhabilitation18, cela a permis voir incite à la compétition et à
la performance, transformant ainsi la pratique du parasport, et l’entraînant graduellement
vers une pratique du parasport de haut niveau.
Or, ces grandes transformations, que nous observons chez les athlètes et dans l’institution,
sont tributaires d’un changement de paradigme dans la sphère techno-médicale et palliative
qui, nous le verrons, les entraineront vers des processus d’hybridation des corps
handicapés, de plus en plus élaborés et de plus en plus performant. Avant de nous lancer
pleinement dans notre étude, érigeons les bases qui constitueront notre cadre théorique et
conceptuel, nous permettant par la suite de présenter notre méthodologie qui a servi au
dépouillement de nos données et à leurs analyses.
16 International Paralympic Committee Strategic Plan 2011-2014, 2010: 3. 17http://www.sport.fr/handisport/jeux-paralympiques-2012-record-avec-2-7-millions-de-spectateurs-
280189.shtm
18 « Practice of physical exercise was officially identified in hospitals in North America and Europe in the
early 20th century, primarily as a division of physical medicine and rehabilitation » (Mauerberg-deCastro
2016 : 112).
12
Chapitre 2 : Cadre théorique
Introduction
Le corps au contact d’acteurs et d’intervenants qui agissent et influencent la conception de
celui-ci, se voit démultiplier dans sa compréhension. Que ce soit par l’entremise de
l’incorporation de technologies ou par la mise en place d’un système de gestion du corps
dans la pratique sportive, les acteurs qui circulent sur le réseau d’influence qui gravite
autour du corps, et dans ce cas précis autour du corps parasportif prothétique, conçoivent
celui-ci par des lunettes et des perspectives différentes.
Le réseau qui existe autour du corps prothétique en pratique sportive de haut niveau, est
composé d’acteurs qui interprètent ce corps et en dessinent des frontières, des limites, des
normes qui transforment le regard du monde social, c’est-à-dire, la perception des médias,
du public, de son entourage, ainsi que sa relation avec le « monde naturel », soit, ses
capacités, ses limites, sa corporalité. Chacun de ces éléments est soumis à la conception
des différents acteurs institutionnels, scientifiques et médiatiques qui, en interprétant ses
caractéristiques, engendrent des conceptions qui ne s’accordent pas nécessairement entre
elles et avec celles des athlètes.
Pour bien délimiter les tenants et aboutissants de notre analyse, nous utiliserons deux
approches anthropologiques qui vont nous aider à naviguer dans ces enchevêtrements
relationnels qui s’initient autour du corps parasportif prothétique. Les récentes études
issues des Disability studies comme celles de Gary L. Albrecht (1999), Colin Barnes (2010)
ou encore d’Henri J. Stiker (2014) ne seront pas ignorées, toutefois notre regard ne se
portant pas sur l’expérience à proprement parler du handicap, mais sur les conceptions
informationnelles et normatives du corps prothétique. Ainsi, l’approche axée sur les
Disability studies demeurera en périphérie de notre étude. C’est donc dans cette perspective
que nous utiliserons plutôt une approche de l’anthropologie du corps ainsi qu’une approche
des Science and Technology Studies (STS) pour notre étude.
13
2.1 L’anthropologie du corps
Élément central à notre étude, le corps, s’explique, se comprend et se théorise sous de
multiples façons. La pensée théologique, scientifique et métaphysique, ont influencé notre
conception du corps. Divers courants et diverses figures ont théorisé ce champ d’étude, que
ce soit en histoire, philosophie ou en anthropologie, on a questionné la place du corps dans
nos sociétés, son utilisation, sa ritualisation. Nous n’avons qu’à penser, entre autres, aux
travaux de Van Gennep (Les rites de passages 1909) sur la ritualité autour de la naissance
de l’enfant, la puberté, ou encore aux travaux de Mauss (Les techniques du corps 1934) sur
l’évolution et la transformation de la marche, du sommeil et des repas à travers le temps et
les sociétés. Nous pouvons également penser aux travaux de Merleau-Ponty sur le monde
vécu et l’expérience de la corporalité (Phénoménologie de la perception 1945), sans oublier
ceux de Foucault sur le handicap et les maladies mentales (Histoire de la folie 1972) et sur
la sexualité (Histoire de la sexualité 1976). Le champ s’est grandement diversifié,
observant et analysant les usages sociaux du corps, ses rapports à son environnement
(design, architecture, urbanisme) comme les travaux de Kevin Lynch (Good city forms
1981) où il propose une révision des grandes métaphores qui ont servi à penser la ville et
l’urbanisme incluant celle de la machine du corps, ou encore les travaux de Marion Ségaud
sur la spatialité, la représentation de l’espace, et sur les formes et les usages de cette espace
(Anthropologie de l’espace 2007). Les penseurs, les chercheurs et les théoriciens qui
s’inscrivent dans une approche de l’anthropologie du corps ont également cherché à voir
de quelle manière le corps est-il compris et quels sont les modèles qui incarnent notre
corporalité. On peut penser, entre autres, aux travaux de Margaret Lock sur la biomédecine,
à ses études sur la ménopause, la mort et l’épigénétique (An Anthropology of biomedecine
2010).
Ces études, de divers chercheurs et penseurs, ont permis de mettre en lumière la présence
de l’homme dans son environnement incluant son contexte historique, structurel, politique,
culturel et matériel, mais également, les multiples interactions et compréhensions du
monde social et naturel auxquelles il est confronté. Nous inscrivons notre étude dans cette
approche, puisque nous chercherons à comprendre comment, à partir de l’interaction des
14
corps paralympiens avec les institutions et les biotechnologies, émanent des conceptions
diverses de ces corps. Nous tenterons de démontrer que l’élaboration des conceptions qui
sont faites des corps prothétiques en pratique sportive de haut niveau, le sont en lien avec
des perspectives et des logiques paradigmatiques. Car c’est bien ce que l’anthropologie du
corps nous permet, c’est-à-dire exposer les transformations cognitives et sociétales, mais
aussi de rendre compte de la corporéité et de son expérience. Notre compréhension du
corps et notre capacité à le théoriser sont tributaires des discours et des pensées qui
prédominent. C’est ce que Marcel Mauss cherchait à exposer et c’est ce que l’anthropologie
du corps nous permet de faire, c’est-à-dire, d’observer une pratique ou une technique du
corps et d’en noter les variations, les transformations entre les sociétés et à travers les
époques. Les travaux de Sébastien Darbon sur le corps et la pratique du Rugby, nous
permettent de voir que les conceptions du corps et, entre autres, dans le sport, se
transforment en liens avec :
« (…) les propriétés formelles des pratiques sportives considérées (qui se manifestent ici
par les règles du jeu) et les combinaisons des pratiques, comportements, rapports au corps
et systèmes de valeurs correspondantes. Les « invariants » culturels ainsi définis sont mis à
l’épreuve de l’influence des contextes culturels locaux dans lesquels ces pratiques sont
immergées, suggérant une nouvelle approche de la question traditionnelle de la diffusion
géographique différenciée des sports dans le monde » (Darbon 2002 : 23).
Ce qui est mis en lumière ici, est le fait que non seulement le corps est en perpétuel
changement par rapport aux comportements et aux relations qui l’entourent, mais
également le fait que cet environnement dans lequel il change (institutions,
réglementations, etc.) qui semble parfois intangible, est soumis à plus d’inflexions qu’il
nous apparaît aux premiers abords. Ce que nous nous devons de comprendre ici est le fait
que le corps change dans des pratiques, dans des sociétés et dans le temps.
En utilisant une approche de l’anthropologie du corps, cela nous permet également d’avoir
un regard sur la conception qui est fait du vécu et de l’expérience du corps prothétique.
L’étude des ontologies par une approche phénoménologique représente à elle seule un pan
des approches que l’on peut utiliser pour théoriser le corps, il n’en demeure pas moins qu’il
nous faut s’intéresser à la perspective du parasportif, à son ressentit et à sa corporéité. Pierre
Ancet maître de conférences en philosophie à l’Université de Bourgogne, et théoricien
d’une approche ontologique du corps handicapé écrit :
15
« Le corps vécu tel que nous l’entendons se manifeste à travers l’ensemble de nos actions
actuelles ou potentielles. À ce titre, il n’est pas aussi clos sur lui-même que nous avons
l’habitude de nous le représenter. Il est un corps « ouvert sur le monde », il y développe ses
potentialités d’actions » (Ancet 2008 : 97).
Il nous paraît nécessaire d’aborder la question sous cet angle, puisque le corps est non
seulement notre enveloppe charnelle19, notre rapport au monde, qui se définit par nos sens,
notre expérience, notre vécu, il est également le vecteur de notre bien-être. Ce bien-être,
est d’ailleurs un des idéaux que l‘olympisme et le paralympisme recherche (Rapport
officiel Séoul, 1988 : 832).
Or, ce bien-être est lié à l’état de santé, qui est à la fois qualitatif et quantitatif, en ce sens,
qu’il s’exprime par l’entremise du ressenti de la personne, par sa capacité à vulgariser son
état, et par les modèles informationnels20 ébauchés par les divers domaines des sciences de
la santé pour exprimer le bien-être ou la maladie. Sylvie Fainzang cite les propos de Marc
Augé en y apportant toutefois quelques précisions :
« Nombres d’ethnologues qui n’avaient pas la maladie pour objet premier de leur recherche,
ont constaté qu’ils ne pouvaient pas essayer de comprendre la vie sociale, politique et
religieuse des sociétés sans prendre en considération du système nosologique (l’élaboration
du diagnostic, les prescriptions thérapeutiques, les institutions, les agents), bref la dimension
sociale de la maladie. ». Toutefois parler de la dimension sociale de la maladie, ce n’est pas
seulement parler de la cause sociale de la maladie, mais de l’« armature intellectuelle » qui
sert à penser la maladie » (Fainzang 2000 : 12).
Cette armature intellectuelle en est une informationnelle, vulgarisée par la machine, nous
permettant de décrire la santé et la maladie, elle se décuple en sens et en processus
d’interprétation, par la mesure des procédés métaboliques, biologiques, physiologiques ou
encore physiques, mais aussi par la compréhension des procédés et des structures du corps,
le rendant transformable, manipulable, améliorable vis-à-vis des corps biologiques21.
19 « L’existence de l’homme est corporelle. Et le traitement social et culturel dont celui-ci est l’objet, les
images qui en disent l’épaisseur cachée, les valeurs qui le distinguent nous parlent de la personne et des
variations que sa définition et ses modes d’existence connaissent d’une société à une autre. Parce qu’il est au
cœur de l’action individuelle et collective, au cœur du symbolisme social, le corps est un analyseur d’une
grande portée pour une meilleure saisie du présent » (Le Breton 2008 : 10).
20 « Ainsi, la matérialité de l’information peut prendre une signification différente quand le regard se porte
sur les données. En fait, les pratiques de connaissances du monde contemporain se caractérisent par la
classification, le stockage et la redistribution des données à des échelles de plus en plus grandes » (Gherardi
2017 : 172). 21 « Aujourd’hui, dans les discours des sciences médicales et biologiques, le corps est soumis à un processus
de dissolution dans les mécanismes physico-chimiques considérés comme les représentants exclusifs de la
16
« De même, le rapport au corps est lui-même de plus en plus technique. Déjà au cours des
années 1940, le modèle informationnel produisait une importante césure dans l’épistémè
occidentale. Ce paradigme a permis l’essor de plusieurs disciplines telles que la biologie
moléculaire, l’intelligence artificielle et les sciences cognitives, chacune élaborant des
conceptualisations d’un corps dont les composantes (ADN, organes, neurones, etc.) sont
potentiellement re-programmables. Ceci nourri l’illusion d’un corps informationnel
manipulable à souhait. Dans le contexte contemporain où l’individu « fait équipe » avec son
corps, où il a le sentiment de posséder un corps plutôt que d’être un corps, ce dernier peut
rapidement devenir l’objet de profondes transformations » (Robitaille 2008 : 8).
Ce qui explique pourquoi nous utiliserons une approche axée sur l’anthropologie du corps,
mais c’est également pourquoi nous utiliserons une approche Science and technogy studies
pour circonscrire notre étude, car bien que l’anthropologie du corps soit un champ vaste et
pertinent, l’angle de notre étude nous obligera à utiliser une approche qui prendra
également en compte les intrications et les interactions qui se dessinent entre les différents
acteurs. Pour sa part, l’anthropologie du corps va nous permettre d’avoir une perspective
autant sociologique que longitudinale, ancrant notre étude dans un cadre d’intelligibilité
évolutif et vivant comme l’expriment les principaux penseurs de cette approche (Mauss
1934, Foucault 1976, Lock 1993, Le Breton 2008). En prenant en considération les théories
qui s’incarnent autour de l’anthropologie du corps, nous tenterons de comprendre quels
sont les schémas qui l’instituent, c’est-à-dire comment les représentations, les symboliques
et les images que nous avons du corps se sont transformées.
L’approche de l’anthropologie du corps nous permettra d’observer et d’analyser notre
problématique avec un regard particulier et ainsi pouvoir ancrer la pratique parasportive
dans une démarche à la fois cohérente avec une réalité, mais aussi avec des réalités, en ce
sens, qu’il existe la réalité des parasportifs dans la pratique et au quotidien et les réalités
qui entourent et constituent la pratique, soit les réalités institutionnelles et
biotechnologiques. Nous ne chercherons pas ici à spéculer sur le devenir de l’Homme, mais
nous tenterons de comprendre l’essence des rapports qui se dessinent entre le corps et les
réalité objective. Les sciences ne semblent avoir rien d’autre à nous dire sur le corps que ce qui peut être mis
en chiffres, en équations et en diagrammes » (Caune 2014 : 54).
17
actions22 sur celui-ci. Il semble important de préciser la nature de « l’action », puisque
l’action est liée au savoir.
« Bien sûr, le savoir a toujours eu une fonction dans la vie sociale ; en fait, on serait porté à
y voir une constante anthropologique : l’action de l’homme est fondée sur le savoir. Les
groupes et les rôles sociaux de toutes sortes dépendent du savoir, et celui-ci remplit à leur
égard une fonction de médiation. Les relations entre les individus sont basées sur la
connaissance réciproque. De même, le pouvoir est souvent fondé sur la supériorité en
matière de savoir et non seulement sur la force physique » (Stehr 2000 : 158).
Pour être apte à prendre la mesure de cette idée et comprendre comment les réseaux
d’influences et d’actions se dessinent autour du corps parasportif, il nous faut non
seulement positionner notre analyse dans une approche de l’anthropologie du corps, mais
il nous faut également prendre en compte les travaux qui s’inscrivent dans ce que l’on
appelle les Science and Technology Studies (STS).
22 En prenant en compte l’étymologie : Le mot « Acte » nous vient du latin « acta » qui est le pluriel de
« actum » signifiant une « action » et du verbe latin « agere », qui signifie « agir », « pousser », « faire »
(http://www.lexilogos.com/latin/gaffiot.php?q=actio).
18
2.2 Science and Technology Studies (STS)
L’apport des Science and Technology Studies (STS) dans l’étude et la compréhension des
relations et des effets des innovations scientifiques et technologiques sur les sociétés est
important. Le mouvement qui a mené aux études dites des Science and technology studies
prend son envol à partir des années 1960 avec, entre autres, les études de Thomas Kuhn
sur les changements et la transformation des idées scientifiques (The Structure of Scientific
Revolutions, 1962). Dans cet ouvrage, il explique que la recherche scientifique évolue sous
deux phases, celle de la science normale qui confirme et renforce le paradigme existant et
celle de la science extraordinaire qui repousse les limites et confronte les discours
dominants. Kuhn amène l’idée que l’évolution de la pensée scientifique est induite par la
rupture du paradigme existant sous l’impact des diverses salves qui attaque et mettre en
doute la pensée dominante, amenant une période de crise et d’incertitude, jusqu’à ce qu’un
nouveau paradigme émerge. D’autres auteurs importants contribueront aux Science and
technology studies, on n’a qu’à penser à Karl Popper (Conjectures et réfutations : la
croissance du savoir scientifique 1962), qui pose la question des processus distinctifs entre
la science et la pseudo-science (problèmes de Kant), ainsi que les problèmes inductifs
(problème de Hume).
Des travaux fondateurs, comme ceux de Bruno Latour sur les laboratoires (La vie de
laboratoire : la production des faits scientifiques 1979, 1986) et les scientifiques (Science
en action 1987), se questionnent également sur les processus internes de la science qui
permettent de construire un fait scientifique. Ainsi, en utilisant cette approche, cela nous
permettra également de mettre en lumière les interactions et les relations des composantes
structurantes du monde scientifique, présentant l’interdépendance des différents acteurs,
mais aussi les liens avec la société et la temporalité dans laquelle ils baignent.
Qui plus est, par la nature de notre étude, il semble que l’utilisation d’une approche STS
est une manière à la fois d’analyser la performance des parasportifs, mais aussi de mieux
comprendre la complexité des relations entre les différents acteurs. La nature de l’approche
STS nous permet de mettre en lumière les processus latents qui existent à l’intérieur des
domaines scientifiques.
19
« Le champ des études sur les sciences et les techniques est vaste et divers. Il traite des
pratiques scientifiques et techniques, des dispositifs matériels et des technosciences
émergentes, des espaces physiques et sociaux de production, des usages et des pratiques
sociales, de l’univers économique, des institutions de régulation et du politique, et des
questions théoriques » (Pestre 2011 : 210).
Ces processus sont pleinement liés et interactifs à la pratique scientifique. Les travaux de
Michel Callon en sont un bel exemple. Dans son article, « Éléments pour une sociologie
de la traduction : La domestication des coquilles Saint-Jacques et des marins-pêcheurs dans
la baie de Saint-Brieuc » (1986), Callon tente d’analyser la progression durant les années
1970 du savoir scientifique sur les coquilles St-Jacques (Callon 1986). Apportant le
concept de traduction aux études sociologiques, Callon contribue aux travaux sur les
sciences et techniques en théorisant la question des acteurs (actants) nous présentant avec,
entre autres, Bruno Latour et John Law (Science for social scientists, 1984), la théorie de
l’acteur-réseau, élément central à la compréhension de l’approche STS. Cette théorie,
permet de cartographier les relations, les liens, les points de passages et de rupture de
l’objet scientifique. Comme l’explique Bruno Latour à propos du concept de réseau et
d’acteur-réseau : « A network is all boundaries without inside and outside. The only
question one may ask is whether or not connection is established between two elements.
The surface “in between” networks is either connected – but then the network is expanding
– or non-existing. Literally, a network has no outside » (Latour 1996 : 372).
En prenant le corps comme pivot à notre étude, nous nous trouvons aux confins de plusieurs
champs d’action. L’utilisation de l’approche STS et la théorie de l’acteur-réseau devrait
nous permettent de mettre de l’avant les interconnexions qui existent, et ainsi, exposer les
raisons qui expliquent certains désaccords et débats qui ont cours dans l’univers
paralympique. En s’intéressant aux processus d’amélioration de la performance, dans
l’univers parasportif par le biais d’une approche des STS, cela nous permettra de prendre
en compte les différents discours et de tenter de voir, comment ils s’articulent entre eux et
quels sont leurs liens ou leurs dissonances. Dans son article phare sur la cueillette des
20
coquilles Saint-Jacques, Michel Callon présente l’étude de ces liens et ces dissonances
comme un processus inévitable de par l’intrication23 entre les différents acteurs du réseau.
L’approche STS nous permettra également de rendre compte de la multiplicité des corps,
c’est-à-dire que les diverses conceptions que la science érige des modèles de corporalité se
basent sur les mesures des processus et les structures du corps, un corps régit par les lois
de la thermodynamique 24 , ou un corps métabolique 25 , dressant une image souvent
unidimensionnelle du corps, gardant ainsi à distance le rapport ontologique au corps. Anne-
Marie Mol (The body multiple : Ontology in Medical practice, 2002) aborde cette question
du corps multiple et pose son regard sur l’objet médical. Comment cet élément singulier
qu’est le corps devient, dans la sphère médicale, un objet aux multiples facettes qui se lie
à diverses pratiques et usages. L’assemblage et l’intrication des diverses pratiques
scientifiques dans la décision médicale expose un corps à la fois objectivé par les données
scientifiques et multiplié par leurs interprétations. Le corps est perçu et interprété, à la fois
par plusieurs domaines de la médecine qui interprètent les phénomènes corporaux à travers
des modèles et des perceptives différentes, mais également à travers des existences
différentes. Qui plus est, le corps est également interprété et ressenti par son hôte, qui
vulgarise du mieux qu’il le peut son état (Mol 2002 : 5). De cette façon, bien que la
médecine tente de standardiser et d’unifier les interprétations des phénomènes corporaux
par des échelles de mesures et des normes, le corps est malgré tout multiplié par la réalité
des possibles que représente la compréhension et l’interprétation de celui-ci. Ainsi, en
utilisant une approche STS et une approche de l’anthropologie du corps, cela nous permet
23 « La problématisation initiale, qui avançait des hypothèses sur l'identité des différents acteurs, leurs
relations et leurs objectifs, a laissé place au terme des quatre étapes décrites à un réseau de liens
contraignants » (Callon 1986 : 198-199). 24 « Cet imaginaire du corps-machine est l’héritier d’un vaste ensemble de représentations, élaborées
notamment au XVIIe siècle, dont Descartes puis La Mettrie seront des figures emblématiques, et qui repose
sur l’application des lois de la mécanique au corps humain. À la fin du XVIIIe siècle, les lois de la
thermodynamique mettent l’accent sur la nécessité de fournir le corps en énergie, d’où la place que prend
l’alimentation (Rabinbach 1992 ; Le Breton 1990) : un bon régime alimentaire permet de créer et de maintenir
la force de travail, d’optimiser les ressources productives du corps « (Régnier 2017 : 148).
25 « Par ailleurs, certaines combinaisons de régions spectrales peuvent permettre d’établir un « profil
métabolique » discriminant. Ce profil est constitué par les caractéristiques métaboliques (glycémie, contenus
protéiques, cholestérolémie…) nécessaires et suffisantes pour pouvoir séparer plusieurs populations
d’individus. A titre d’exemple, cela nous a permis de différencier trois populations (diabétiques, sportifs et
contrôles) » (Petitbois 2001 : 85).
21
de mieux observer les divers acteurs qui agissent sur le corps, mais aussi de percevoir les
structures et les réseaux qui s’interconnectent à travers le corps prothétique sportif, et de
cette manière, mieux nous informer sur les diverses conceptions et interprétations du corps
prothétique.
22
Chapitre 3: Cadre conceptuel
Introduction
Le cas de figure des athlètes paralympiens apparaît être un bon point d’ancrage pour tenter
de comprendre comment la technologie peut transformer voire modifier le corps. Nous
tenterons donc de définir les principaux concepts qui paraissent englober la problématique
de la transformation du corps des parasportifs par la biotechnologie. En premier lieu, il
semble pertinent d’élaborer sur notre canevas de base, soit le corps, la corporalité et
l’objet/corps. Puis, nous nous pencherons plus particulièrement sur les concepts de
handicap et de corps handicapé. Nous observerons par la suite, comment les
transformations et le développement de la pratique parasportive sont en partie induits par
les changements en ce qui a trait à la technoscience et l’incorporation des technologies au
corps handicapé, et ce, en observant le concept d’hybridité. Pour être en mesure de bien
comprendre les tenants et aboutissants de ce concept et être capable de le lier à notre
problématique, nous nous devons de définir le terme d’hybridité en relation avec les
concepts de bionique et de « cybornification », ce qui constituera la dernière partie de notre
cadre conceptuel.
23
3.1 Le corps, corporalité et objet/corps
En tant que corps nous sommes à la fois notre corps et en même temps toujours plus que
celui-ci. Parce que nous devons prendre position vis-à-vis de notre propre corps, nous nous
tenons à distance de lui et, par-là de nous-même (Körnter 2011 : 340). Lorsque l’on explore
la conception du corps, et particulièrement chez Foucault, il faut savoir que ce n’est pas le
« corps naturel » qui est central, mais plutôt son statut dans une épistémè26 donnée, c’est-
à-dire l’ensemble des connaissances scientifiques, du savoir et des présupposés d’une
époque (Boullant 2009 : 48). Il explique que le corps s’inscrit dans un régime où il est le
point zéro27, ce qui le rend friable et malléable, en ce sens que le corps, sans les analyses,
les discussions et les conceptions sur son fonctionnement, ses limites, ne serait qu’un
simulacre charnel. C’est en le rendant intelligible que le corps prend ses diverses formes,
c’est pourquoi le corps nous apparaît être un point zéro. Le corps devient, dans cette
perspective, l’artéfact de notre existence, la matière physique qui se meut dans l’espace et
le temps. Il faut donc, dans l’approche foucaldienne, que l’on conçoive le corps à travers
les discours qui le constituent. Foucault expose, par l’intermédiaire de l’histoire, la
transformation des discours et des savoirs. Le corps évolue ainsi, sous l’impulsion de
nombreux domaines d’action, il semble être en perpétuel changement.
On l'observe, entre autres, avec la Seconde Guerre mondiale, où les affres de la guerre ont
eu des conséquences importantes sur les corps. Ce sont d’ailleurs des soldats meurtris par
cette guerre qui formeront les premiers athlètes aux Stoke Mandeville games. Ils sont tous
issus des efforts misent en place par le Dr Guttmann le Stoke Mandeville hospital situé à
Aylesbury au Royaume-Uni. L’influence, dans ce cas précis de la médecine, souligne
l’importance qu’on eut les nouvelles politiques de gouvernance des personnes en situation
26 « Car reconnaître la relativité de concepts et de catégories - comme par exemple le normal et le
pathologique - ne doit pas conduire au relativisme culturel. Il convient en effet d'envisager ces notions non
pas comme figées, comme des constructions culturelles données de toute éternité, mais comme des
constructions sociales, à l'intérieur d'une même société, sujettes aux variations des contextes sociaux dans
lesquels elles ont été élaborées » (Fainzang 2000 : 15).
27 « (…) : un simple « insert » dans la trame du monde, toujours déjà déterminé depuis ces champs du savoir
et du pouvoir qui requièrent. Le corps naturel, le corps biologique (anatomique ou physiologique), ne vit que
d’une vie léthargique, élémentaire et muette : comme souterraine et en dessous du dicible » (Boullant 2009 :
49).
24
de handicap et, entre autres, celles du plan Beveridge28. L’issue du Report on Social
Insurance and Allied Services consistera à instaurer des filets sociaux, qui s’inspirent des
recommandations faites par Williams Beveridge, elles font, entre autres, une place
primordiale à la médecine et à sa conception du corps. D’une part, parce que la médecine
est contributive au système de soins qui s’adjoint à la sécurité sociale, et d’autre part, parce
que la discipline agit directement sur les institutions en place, comme nous le verrons.
Ce qu’il faut comprendre ici, c’est que la médecine dégage un savoir de sa pratique, mais
également qu’elle a la capacité d’ordonner les métadiscours qui la régissent. La médecine
possède donc un savoir qui la transcende et un pouvoir29 qui lui permet d’agir par ce savoir
(Blais 2006 : 153). Or, lorsque l’on observe concrètement notre rapport au corps, on réalise
que bien que la médecine joue un rôle prépondérant dans notre conception de la corporalité,
il existe d’autres discours, d’autres courants, d’autres institutions qui pensent le corps
différemment, ou à tout le moins, qui basent leurs paradigmes sur des éléments
dissemblables. Nous nous attarderons en ce sens à la manière que la physique, la biologie,
la médecine et l’ingénierie conçoivent le corps, dans notre cas de figure le corps
prothétique. Cette démultiplication des interprétations et des conceptions du corps, nous
expose un corps fractionné permis par le cloisonnement et la spécialisation de ce dernier.
Cette spécialisation est paradoxalement issue de la fragmentation qu’a connue le corps
depuis les années 1960 (Rozenberg 2007 : 19). Le morcellement de la corporalité provoque
à la fois la spécialisation de ses parties, mais cela a également pour effet d’engager le corps
dans une logique technique et marchande (Queval 2011 : 195).
Ces processus sont permis, entre autres, par sa molécularisation et sa cellularisation, faisant
disparaître graduellement le corps matériel au profit d’un corps informationnel (Lafontaine
2014 : 31). Dans la perception de divers domaines de la science, comme la médecine et la
biologie, le corps devient non plus un objet, mais des objets. Dans cette perspective, il est
28 « (…) la publication du célèbre rapport Beveridge, en décembre 1942, qui proclamait le droit de tous, non
seulement à l'assurance (en cas de maladie, chômage et invalidité) mais aussi à un minimum vital » (Leruez
2014 : Encyclopædia Universalis en ligne). 29 « Pareille conception de la subjectivité est l’héritière de l’œuvre de Michel Foucault. On y retrouve, en
effet, non seulement la notion de bio-pouvoir, – entendons d’un pouvoir qui, à la place de s’exercer par un
droit de mort ou par une loi clairement identifiée, aurait plutôt tendance à s’exercer par un contrôle constant
et diffus sur nos vies, un pouvoir plus producteur qu’interdicteur » (Bourlez 2013 :13).
25
composé de cellules, de plaquettes, de molécules, de bactéries, qui informent sur le corps,
sur son état de santé et de sa proximité avec la norme. C’est pourquoi nous tenterons de
comprendre comment cette idée de l’objet/corps est définie et redéfinie à travers la pratique
paralympienne. Dominique Vinck explique à propos de l’objet/corps : « (…) il est question
de prendre en compte l’hétérogénéité des mondes sociaux des sciences, de suivre les
acteurs et de rendre compte de leurs activités et pratiques effectives y compris au niveau
de la mise en forme des connaissances, des objets et des arrangements sociaux » (Vinck
2009 : 52).
En prenant en compte la théorie de l’objet/corps, cela va nous permettre un double niveau
d’abstraction. D’une part, il nous sera possible d’observer les processus anthropologiques
en filagrammes du non-humain et leurs interactions avec l’humain et, d’autre part, pour
tenter de comprendre comment, par l’entremise de ces interactions, le corps devient un
objet-intermédiaire, un objet-frontière30, c’est-à-dire un objet ou la limite entre et le naturel
et l’artificiel, entre l’humain et le non-humain devient flou.
En représentant le corps par le néologisme objet/corps, nous pouvons illustrer les multiples
interactions qui s’insèrent dans notre problématique. En somme, ce concept d’objet/corps
nous permet de circonscrire les nombreux entrelacements qui entourent le corps parasportif
prothétique et d’observer les interactions que chacun de ses acteurs effectuent en relation
avec celui-ci. Un corps/objet certes, mais un objet en mouvement, un objet-frontière31,
frontières du corps et frontières de la corporalité.
Le corps se démultipliant à la fois dans ses compréhensions et dans ses représentations. La
rupture et la fin des grandes idées explicatives entraîneront l’avènement de nouveaux
30 « Boundary objects are objects which are both plastic enough to adapt to local needs and the constraints of
the several parties employing them, yet robust enough to maintain a common identity across sites. They are
weakly structured in common use and become strongly structured in individual- site use. These objects may
be abstract or concrete. They have different meanings in different social worlds but their structure is common
enough to more than one world to make them recognizable, a means of translation. The creation and
management of boundary objects is a key process in developing and maintaining coherence across
intersecting social worlds » (Star & Griesemer 1989 : 393). 31 « En tant que concept analytique, la notion d’objet-frontière rend possible la description à la fois des
processus de mise en relation et du poids de cette inertie qui affecte les infrastructures informationnelles. Il
permet de décrire tout mécanisme d’interface entre la connaissance et les acteurs ; il matérialise et transporte
une infrastructure invisible faite de standards, de catégories, de classifications et de conventions qui sont
spécifiques à un ou plusieurs mondes sociaux » (Gherardi 2017 : 170).
26
regards et de nouvelles conceptions de la corporalité, et également de nouvelles pratiques
et de nouveaux usages (Lyotard 1979 : XXIV). Cet éparpillement du corps qui s’ensuit
s’emballera considérablement avec les nombreuses avancées technologiques qui furent
permises par l’avènement de l’informatique et de la cybernétique dans les années 70. En
observant, entre autres, des sphères aussi importantes que l’informatique, l’automation, la
génétique ou encore les sciences cognitives, on peut aisément prendre en compte l’impact
colossal du renversement épistémologique auquel elles ont procédé (Lafontaine 2003 :
206).
En basant ses fondements de l’organisation sociale sur un modèle informationnel, la
cybernétique a transformé à la fois la compréhension que la science et la médecine ont de
notre corps, mais également le rapport que l’on entretient avec celui-ci, nous permettant de
mieux le comprendre et l’adapter. Cette adaptation et cette aide, que la technologie nous
apporte, permettent l’émergence de technologies palliatives plus performantes. Ce qui nous
amène à nous pencher sur la conception du handicap afin de bien mesurer la place de la
technologie et de la médecine autour de celui-ci, et ce, en particulier dans l’univers sportif
de haut niveau qu’est le paralympisme.
27
3.2 Handicap et corps handicapé
À la base, le terme handicap serait une contraction de l’expression anglo-saxonne « hand
in cap »32 référant à un jeu de hasard, puis il se transformera progressivement pour en venir
à désigner, dans le monde équestre, « l’attribution d’un désavantage imposé aux
concurrents les plus dotés, soit un avantage accordé aux moins forts, en vue d’égaliser les
chances » (Mezani 2012 : 25). Parfois, pour maintenir cette parité durant les courses de
chevaux, on appliquait du lest, ce que l’on appelait un handicap, élément important dans
le domaine équestre33. Henri-Jacques Stiker, anthropologue de l’infirmité, explique que :
« L’invasion de ce vocabulaire du handicap correspond à la volonté sociale que les infirmes
redeviennent performants grâce aux techniques de réparation et de compensation, bref de
remplacement généralisé » (Stiker 2014 : 6). L’utilisation qui est faite aujourd’hui du terme
est plutôt récente. D’autres termes étaient souvent utilisés avec des connotations
péjoratives pour désigner les personnes que l’on qualifie aujourd’hui, de personne
handicapée ou en situation de handicap, entre autres, impotente, incurable, infirme, mutilée,
idiot (Chabrol 2009 : 912). Il existait à la fin du XVIIe siècle une démarche d’enfermement
envers les personnes handicapées qui était incitée par les craintes faces à l’épidémie. Il faut
comprendre que l’Europe sortait d’une grave épidémie de peste (1666) et que la figure du
handicapé était souvent associée à la malédiction et à la maladie, c’est pourquoi on verra
apparaître des établissements comme l’Hôpital-Général de la Salpêtrière à Paris (Chabrol
2009 : 912).
Les idées de démocratie et d’humanisme liées à l’époque des Lumières et plus
particulièrement en ce qui a trait à l’éducation et son universalité, comme en font foi
l’apprentissage chez les aveugles et les sourds, et l’avènement de la psychiatrie,
contribueront à changer ce système d’enfermement (Chabrol 2009 : 912). Puisque la pensée
humaniste qui émerge des Lumières, tente de comprendre la maladie mentale plutôt que de
32 http://www.fondshs.fr/vie-quotidienne/accessibilite/origines-et-histoire-du-handicap-partie-1 33« Une fois que l’on peut comparer ces concurrents, le handicapeur détermine la manière dont on va égaliser
les chances au départ de la compétition. Si l’idée de charge pesant seulement sur certains fait partie de la
sémantique turfiste, celle d’égalisation, pour que le concours ait lieu dans des conditions telles que l’on puisse
voir le mérite des concurrents, est plus déterminante » (Stiker 2014 : 6).
28
classer ces personnes sous un régime dogmatique où la folie et l’anormalité sont comprises
par l’action du divin sur l’Homme et non par des phénomènes physiques, chimiques et
psychopathologiques. Il faut savoir que la philosophie qui en émane est animée par un
humanisme et un universalisme latent qui se rattache à l’idée que tous ont droit à une
éducation sans distinction (Stiker 1982 : 120). Ainsi, les personnes qui sont en marge de la
société et qui sont souvent prises en charge par les ordres religieux comme, entre autres,
les personnes avec des problèmes mentaux, ainsi que les handicapés et autres types de
marginaux à l’époque, sont étudiées. Il nous faut mettre de l’avant ici l’idée phare que
l’humaniste porte en son sein, soit celle qu’ils diffusent dans leur célèbre encyclopédie,
c’est-à-dire la démocratisation du savoir et une scientification du savoir. Ce qui explique,
entre autres, la prise en charge, l’aide, et l’éducation des personnes handicapées, que l’on
nommera d’ailleurs dans le monde anglo-saxon « disable34 ». Toutefois, le terme ne
s’instrumentalise pas à cette époque, mais il a toutefois fallu ce changement de rapport
pour qu’émerge au XXe siècle le concept de handicap et le système de réadaptation35. Pour
comprendre le changement qui se dresse au XXe siècle en occident, Stiker pose le regard
sur deux éléments importants qui vont rendre nécessaire une nouvelle conception de la
condition d’infirme, soit les nombreux accidents de travail36 dus aux conditions difficiles
dans les usines et la catastrophique Grande Guerre de 1914-1918. En outre, ils sont les
catalyseurs de cette mouvance, puisqu’ils engendrent une masse incroyable de
handicapés37.
34 On remarque dans la littérature scientifique anglophone, le terme « handicap » n’est pas véritablement
utilisé, la notion de « disabled » est plutôt privilégiée.
« Disability: any restriction or lack (resulting from an impairment) of ability to perform an activity in the
manner or within the range considered normal for a human being.
Handicap: a disadvantage for a given individual that limits or prevents the fulfillment of a role that is
normal » (http://www.pediatrics.emory.edu/divisions/neonatology/dpc/Impairment%20MX.html).
35 « Le système de la réadaptation est un système qui a émergé au XXe siècle et qui est bien séparé des
systèmes précédents, comme il sera suivi d’autres systèmes. C’est la leçon essentielle de Foucault, en
l’occurrence » (Stiker 2014 : 6). 36 « À la fin du XIXe siècle, le problème des accidentés du travail devient majeur. Les notions de réparation
et de compensation des atteintes liées au risque du travail apparaissent » (Chabrol 2009 : 912). 37 « Dans les deux cas la masse, quantitativement très importante, d’hommes abîmés par ces faits sociaux a
entraîné l’exigence de ramener ces anciens travailleurs et anciens actifs à reprendre une activité. Il fallait
reclasser, redresser, réinsérer, c’est-à-dire tenter de retrouver la situation antérieure donc de se référer à une
moyenne de production et de performance. Les deux événements des accidentés du travail et des invalides
de guerre, par leurs exigences de redonner une place à ceux que des faits totalement indépendants d’eux
29
Les chiffres sont effarants, seulement au Canada, on dénombre plus de 172 000 blessés
pendant la Première guerre mondiale38. Au total, on compte 12,8 millions de blessés du
côté des Alliés et plus de 21,2 millions du côté des puissances centrales39. Les autorités se
doivent alors de trouver des moyens d’adaptation pour cette masse d’estropiés.
L’apparition en masse de personnes en situation de handicap permettra, entre autres, la
mise en place d’un régime de pensée, de discours et de métadiscours sur les prothèses et
les « réparations » du corps, qui constitueront la base conceptuelle à l’avènement de la
matérialité du cyborg, concept que nous tenterons de mettre en parallèle avec ces processus
palliatifs. L’idée de cyborg que nous élaborerons un peu plus loin dans l’étude n’est pas
directement liée à cette masse de nouvelles personnes handicapées, toutefois, leur prise en
charge par, entre autres, la sphère médicale et l’avènement de la cybernétique au sortir de
la Seconde guerre mondiale, seront des terreaux fertiles à son émergence.
Comme nous l’avons vu, la médecine est d’ailleurs profondément impliquée dans les
processus d’adaptation qui s’opèrent. Les discours de régularisation de la médecine
établissent des normes, mais surtout, établissent ce qui n’en fait pas partie, c’est-à-dire ce
qui est « anormal ». Ce regard de normalité qu’elle porte sur le corps humain teintera
grandement la manière dont elle conçoit le handicap, puisque les discours qu’elle produit
autour du handicap, se caractérisent par un désir de normalisation, de réintégration, de
réadaptation (Nicogossian 2008 : 42). À partir des années 1950, les gouvernements, ainsi
que les instances médicales, proposeront des cadres conceptuels afin de catégoriser les
variétés de handicaps. On y apportera des transformations majeures durant les années 1960
et 1970, ce qui conduira éventuellement à l’avènement de l’ICIDH (International
Classification of Impairments, Disability and Handicap). Colin Barnes, professeur émérite
membre du Centre de recherches sur les Disability studies de l’Université Leeds, précise à
cet effet que malgré les divers efforts mis de l’avant pour améliorer la place et les
conditions des personnes en situation de handicaps, comme les diverses règles nationales
écartaient de la vie ordinaire, trouvaient un appui dans la sociologie de la moyenne. Outre que désormais la
nature et le hasard, disparaissant derrière la responsabilité sociale, obligent les États à mettre en place des
dispositifs de compensation fondés sur une solidarité sociale » (Stiker 2014 : 6). 38 http://www.museedelaguerre.ca/premiereguerremondiale/histoire/apres-la-guerre/legs/le-cout-de-
laguerre-du-canada/ 39 http://www.ladocumentationfrancaise.fr/dossiers/premiere-guerre-mondiale/mobilises-tues-blesses.shtml
30
et internationales instaurées à partir des années 1970, il réside en filigrane dans ce système
de classification une anormalité de la condition de handicapé (Barnes 2010 : 29). En ce
sens, cette classification instaure un statut particulier aux personnes qui en font partie, un
statut autre, distinct de la normalité.
Le sport deviendra, lui aussi graduellement, un vecteur important de transformation de la
société, mais également de la conception du handicap. Comme nous le verrons, le sport fait
non seulement partie intégrante du processus de réadaptation qui s’est développé au XXe
siècle, mais il est l’exemple de la performabilité du corps, c’est-à-dire la capacité de rendre
le corps performant40, rendant parfois le corps en un objet distant de la personne. Cette
question de la performance deviendra non seulement un enjeu important dans la définition
du modèle sportif, mais également dans la définition même du handicap puisque, comme
nous le verrons, la progression des technologies palliatives transformera l’image et la
conception qui est fait des athlètes prothétiques. Ce qui nous amène à brièvement définir
les principaux concepts qui sont élaborés autour de l’incorporation de biotechnologies.
40 « (…) en tant que mesure du degré de réussite individuelle, la performance se réfère au concept équivoque
de normalité. L’irruption des biotechnologies a d’évidence modifié le rapport du sujet contemporain à son
propre corps. Mais cette évolution fut conditionnée par les normes socio-médicales définissant la notion de
normalité. Parallèlement aux découvertes physico-physiologiques, le discours médical a instauré ses propres
normes et les bases d’un point de vue théorique sur la maladie. Mais les tentatives de définition de la
pathologie vont se heurter à plusieurs obstacles » (Carrive 2008 : 135).
31
3.3 L’hybridité, cyborg et bionique
La question de l’hybridité41 est inhérente aux nouvelles représentations du corps. Tentons
tout d’abord d’établir les bases conceptuelles du terme et en quoi il consiste exactement.
Thierry Hoquet, philosophe et spécialiste des sciences naturelles et des technologies,
explique à propos de l’hybridité, qu’il existe une filiation sémantique avec le concept de
cyborg, en ce sens qu’il existe une hétérogénéité initiale à la nature de l’homme et de la
machine. Il explique également que le caractère latent qui se diffuse derrière l’idée
d’hybridité est qu’il y a un état de pureté initial, ce qui a pour contingence de lui attribuer
une nature impure, dégradante, moralement et physiquement dégénérée (Hoquet 2011 :
44). La nature de l’hybridité révèle à la fois son sens et sa connotation, puisqu’elle dérange,
trouble l’ordre, car s’il y a hybridité, il y a chaos. Cette essence cosmologique, voire
religieuse, de l’hybridité induit à la fois son sens et sa subjectivité latente (Guïoux 2004 :
187). Remettant en question les frontières qui ont été instaurées, elle pose un profond
questionnement sur les limites du biologique et de la corporalité. L’hybridité inquiète,
angoisse et implante de nouvelles manifestations, de nouvelles représentations. L’hybride,
explique Bernard Andrieu, professeur en écologie corporelle et en philosophie du corps à
l'Université de Rouen, s’inscrit dans le corps en incorporant des techniques, des procédés,
des programmes, des machines qui se substituent aux défaillances (Andrieu 2007 : 35-36).
Ces modifications positives ou négatives sur l’organisme s’exemplifient dans tout
dispositif ou disposition hybride qui change la matière initiale du corps ainsi que ses
fonctions psychophysiologiques (Andrieu 2007 : 36). Pour la médecine, tout comme pour
les personnes en situations de handicap, il n’y pas plus de handicap, il n’y a qu’altérité et
vies hybrides, écrit Andrieu.
41 Il est intéressant de constater de prime à bord, que le mot hybride est issu du vocable latin ibrida qui veut
dire sang-mêlé, « bâtard ». Le terme aurait par la suite subi une contraction avec le mot grec hybris qui
signifie excès. (Guïoux 2004 : 187). La contraction des termes nous donne l’orthographe actuelle, hybride.
Hoquet, spécialiste de la philosophie des sciences naturelles, explique pour sa part que le terme d’hybridité
aurait un ancrage différent, c’est-à-dire qu’il désignerait à la base le produit d’un croisement entre deux
espèces de mulets (Hoquet 2011 : 43).
32
Nous constatons également que les hybridations du corps font apparaitre de nouvelles
interactions avec le monde, ainsi, en théorie, le corps naturel n’est plus le seul référant
puisque les moyens technologiques permettent de niveler la perte de fonction42. Le fait
d’être hybride, c’est le devenir, être dans la multiplicité des possibles, provisoire et
éphémère. Le corps n’est donc pas stable :
« (…) il varie sans cesse en modifiant son intensité et ses états. La vitesse est remplacée
aujourd’hui par le mouvement, forçant à une mobilité mentale, corporelle et sexuelle ce qui
favorise l’isolement pour ceux et celles qui ne peuvent s’hybrider aux changements de
l’environnement. Cette multiplicité ne se contrôle pas, elle déborde les frontières identitaires
en hybridant le sujet à ses autres possibilités d’être » (Andrieu 2007 : 38).
Pour qu’un corps qui n’est pas considéré comme normal par rapport aux a priori qui
existent sur la nature du corps humain puisse le devenir, il doit nécessairement être soumis
à une hybridation (prothèse, greffe, lunette, appareillage auditif, etc.43). Il faut comprendre
que cela est possible et institué par l’idée de réparation du corps44, qui elle, est induite par
la conformité du corps aux normes sociales et esthétiques (Andrieu 2007 : 39). Le réseau
(network) qui s’active autour des processus réparateurs du corps est une partie prenante de
leur hybridation. Pour Bruno Latour, hybridité et réseau sont pleinement liés :
« Les « réseaux » numériques, les normes capitalistes dupliquées et les systèmes
algorithmiques ne sont plus qu’en partie « humains », ce sont des hybrides. L’adjectif qui
connotait des qualités ou des défauts sans les dénoter se substantive faisant des hybrides des
acteurs à part entière, des collectifs, bref une entité agissante. Selon lui (Latour) le monde
post-moderne est peuplé d’acteurs non-humains, hybrides « proliférants », issus des sphères
politiques ou économiques » (Bernadot & Thomas 2014).
Comme nous le verrons, ses relations et ses intrications qui composent le réseau d’acteurs
qui existe autour du corps handicapé, et plus précisément autour du corps handicapé
prothétique en pratique sportive de haut niveau, s’influencent entre elles, mais elles
s’opposent et se confrontent également, de là, émergent diverses représentations et diverses
42 « L’hybride peut désormais remplacer tout partie du corps naturel car il s’incorpore dans des habitus, des
postures, des gestes. En s’habituant à son hybridation, le corps acquiert une nouvelle autonomie et s’habitue.
La personne âgée, malade, handicapée, amputée… trouve ainsi dans les objets techniques un moyen
d’acquérir de nouvelles capacités » (Andrieu 2007 : 37).
43 « Plutôt que de suivre l’hybridité inter-spécifique, ce qui aurait orienté la démarche vers des considérations
ressortant plus de la philosophie biologique que de l’anthropologie, le terrain du cyborg a l’avantage d’entrer
en résonance avec une contemporanéité humaine de plus en plus marquée : par nos lunettes, nos prothèses
cardiaques ou auditives, nos dispositifs de prolongations « scopiques », nous entrons à petits pas, mais
sûrement dans les chemins de la cyborgie, voire de la cyb-urgie » (Guïoux 2004 : 187-188). 44 « Ainsi naît l’idée que des hybrides peuvent être constitués à partir des pièces les plus efficaces chez l’un
et chez l’autre. Cependant, alors que la fusion de la chair et du métal est souvent perçue, dans la réalité et
dans la fiction, comme pourvoyeuse d’un pouvoir supplémentaire pour celui qui fusionne, elle est en réalité
synonyme d’un contrôle social accru puisque, comme le soulignent Haggerty et Ericson (2000), c’est par le
corps que passent principalement les mécanismes du contrôle » (Cerqui 2010 : 60).
33
conceptions de ces corps, et la figure du cyborg en est un bon exemple. Le cyborg qui se
révèle être l’une des représentations de l’hybridation d’un corps, c’est-à-dire, un alliage
entre le corps humain et la machine45, questionne et dérange. Donna Haraway, philosophe,
anthropologue et auteur du manifeste du cyborg, avance que cette figure permettrait à la
fois la fin de la lutte des classes et la fin de l’exploitation de l’homme par la machine en
l’incorporant à lui-même46 (Andrieu 2007 : 33). Pour Haraway, c’est la fin du mythe
originel, c’est-à-dire cette idée que le cyborg n’a pas à proprement parler d’origine divine
puisqu’il est issu de la main de l’homme, il décloisonne la question du genre et met fin au
dualisme.
« There are several consequences to taking seriously the imagery of cyborgs as other than
our enemies. Our bodies, ourselves; bodies are maps of power and identity. Cyborgs are no
exception. A cyborg body is not innocent; it was not born in a garden; it does not seek
unitary identity and so generate antagonistic dualisms without end (or until the world ends);
it takes irony for granted. One is too few, and two is only one possibility. Intense pleasure
in skill, machine skill, ceases to be a sin, but an aspect of embodiment. The machine is not
an it to be animated, worshipped, and dominated. The machine is us, our processes, an aspect
of our embodiment » (Haraway 1991: 180).
Ainsi pour Haraway, il n’existe pas d’opposition entre nous et la machine, elle n’est qu’une
incarnation de notre volonté de progrès, elle est le prolongement de notre volonté. Afin de
mettre en exergue cette position, Haraway utilise des néologismes comme nature-culture,
auxquels s’apparente le cyborg47. En somme, il permettrait à l’homme de se libérer de la
technique par l’entremise du monstre technologique. Pour Haraway, cette libération de tous
les aspects intrinsèques du travail technique : effort, fatigue, productivité, contrôle et
sexisme seraient évacués (Andrieu 2007 : 35). Les frontières s'effondrent ensuite à mesure
45 « The cyborg as a living organism modified by technology coincides with the emergence of mechanized
war, mass production, electronic communications and reproductive technology in the past century. Its
moment of origin could be situated in 1948 with the publication of Nobert Wiener’s Cybernetics, a schema
for a new science of cybernetics (…) » (Muri 2007: 3). 46 Andrieu poursuit en expliquant que pour Haraway : « Le cyborg est conçu ainsi comme un instrument
révolutionnaire à l’intérieur même du corps car il incorpore la machine en l’homme, la prothèse dans
l’organe, l’imaginaire dans le réel » (Andrieu 2007 : 33). 47 « « Nature culture » ou « cyborg » nous installent dans la confusion : ils nous obligent à ne plus rechercher
l’origine, ils font un pied de nez à la créature de Frankenstein. Car la créature de Frankenstein comme le
cyborg sont tous deux des tissus mal rapiécés : des entités bancales et impures, faites de pièces et de morceaux
épars, réunies sur une table de travail par le miracle des fils du tailleur et de la fée électricité. Comme le
cyborg, la créature est aussi, à la fois, indissociablement organique par les éléments qui la constituent et
artificielle par l’opération qui la fit exister ou l’énergie qui l’anime » (Hoquet 2010 : 148).
34
que les technologies convergent, donnant lieu à de nouvelles conceptions de l'humain qui
s'incarnent, de surcroît, dans d'inédites pratiques biomédicales (Robitaille 2008 : 15-16).
L’idée de bionique se lie également au concept d’hybridité et de cyborg puisque ce sont les
capacités bioniques du cyborg qui sont le principal objet de la recherche scientifique. En
instrumentalisant et en imitant les capacités du corps humain, les scientifiques nous
proposent de nouvelles avenues pour les personnes démunies d’un organe, d’un système
ou d’un membre. Cherchant à élaborer des systèmes artificiels selon des principes
biologiques, la bionique vise en quelque sorte à égaliser voire améliorer les capacités
biologiques. La prothèse dite bionique a donc pour but de remplacer une partie ou une
fonction de l’organisme perdu (Pracontal 2002 : 180). La question de la bionique pose une
myriade d’interrogations sur le processus et les limites du remplacement par un
appareillage de ce qui a été « naturel », puisqu’une fois les capacités initiales retrouvées,
pourquoi s’y limiter? L’innovation de la technologie semble inéluctable et elle engage :
« (…) l’avenir de la nature humaine » que certains envisagent sous la forme d’une post-
humanité où l’on serait capable de maîtriser l’essentiel des fonctions organiques, mais aussi
de les potentialiser à l’aide d’artefacts, de prothèses et de modification biogénétique du
corps. C’est donc l’avenir d’un méta-corps possible qui est dorénavant envisagé. Or, il y
existe aujourd’hui quatre univers praxéologiques qui engagent ce devenir du corps post-
humain et qui expérimentent les formes que pourrait prendre le méta-corps de l’homme
bionique, en le « recréant », le « reconstruisant » ou en le « refaçonnant » (Bouratsis 2011 :
56).
Ce corps construit, ce corps modelé, s’instrumentalise dans l’objet bionique, il en devient
le paroxysme, le but à atteindre. Avant de nous lancer pleinement dans notre étude, posons
les bases méthodologiques et procédurales de la collecte et l’analyse de nos données.
35
Chapitre 4 : Méthodologie
Le travail que nous nous appliquerons à faire dans ce mémoire s’orientera vers une
compréhension historique de la problématique. En choisissant d’inscrire cette étude dans
une perspective anthropo-historique de la pratique parasportive, nous chercherons à la fois
à mettre en contexte et à analyser le développement de l’identité du corps parasportif à
l’intérieur de l’institution paralympique. En posant notre regard sur le corps et sur son
agencement avec la biotechnologie à travers la pratique sportive de haut niveau, nous
constatons qu’il est soumis à diverses conceptions d’acteurs qui gravitent autour de celui-
ci qui le classifie, l’étudie et l’interprète selon les cadres d’intelligibilité scientifiques et
médicaux. En conservant cette idée en tête, nous avons tenté d’orienter la recherche vers
une étude qui pourrait mettre en exergue les interrelations qui constituent les principales
influences sur le corps parasportif.
Dans le cas qui nous intéresse, on réalise assez rapidement qu’il nous faut adopter une
perspective à angles multiples, puisque le corps, qui est au centre de notre réflexion, et
particulièrement le corps handicapé avec prothèse (corps prothétique), nous oblige à
prendre en compte plusieurs posture et plusieurs disciplines tels que la médecine, la
biologie, la physique, pour être en mesure de bien comprendre ses diverses conceptions.
De plus, avec les observations préliminaires que nous avons faites, nous avons constatés
que le changement de rapport des athlètes avec un handicap face au sport est également un
point important sur lequel nous devons nous attarder, car comme nous le verrons, le
parasport deviendra de plus en plus compétitif et les athlètes qui y participent de plus en
plus performants. Pour bien comprendre cet aspect du parasport, nous devrons prendre en
compte, non seulement les différents discours sur le corps, mais également ceux sur la
performance de ce dernier. Les paradoxes qui habitent les conceptions du corps prothétique
dans cette situation de haute performance qu’est le sport paralympique, constitue le point
de départ de notre étude. Comment peut-on concevoir à la fois le corps des parasportifs
comme étant malade et réadaptable, mais aussi comme un corps bionique et plus-que-
capable. Dans ce contexte, la conception du handicap par les institutions sportives se doit
non seulement d’être repensé, mais aussi redéfini.
36
L’intérêt d’une étude axée sur les témoignages d’athlètes paralympiens de haut niveau,
écrits via les médias et la littérature grise et scientifique, réside dans le fait que le sujet se
compose d’un éventail interdisciplinaire nous donnant accès aux diverses facettes de la
problématique. De plus, les nombreuses embûches, et la difficulté d’accès aux institutions,
nous ont obligés à redéfinir notre angle d’approche pour, à la fois, la collecte des données,
mais également pour la problématique. On a donc procédé, dans un premier temps, de
manière déductive à la fois en répertoriant nos données et en élaborant nos concepts-clés,
c’est-à-dire, qu’en observant en premier lieu la situation du paralympisme, et en lisant les
penseurs qui ont réfléchi sur la question, nous constatons que la classification des corps,
ainsi que les processus qui structurent cette classification et cette réglementation, sont
litigieux (Howe 2011, 2013, Marcellini 2010, Peers 2009, Purdue 2013). Nous nous
sommes donc interrogés sur la nature de ces litiges et leurs concordances avec la
transformation des performances des parasportifs, mais aussi avec celle des technologies.
Cette performance, cette réussite d’athlètes prothétiques s’est révélé la pierre angulaire
pour la suite de notre travail, puisque cela a orienté la collecte de nos données dans la
mesure où nous avons tourné notre regard vers les paralympiens, et plus précisément vers
les meilleurs parmi ceux-ci. Nous avons ainsi, répertorié le plus d’articles et de
témoignages ayant rapport à ces paralympiens. Nous cherchions de cette manière à
structurer le canevas de notre étude et ainsi faire émerger des concepts et des idées clé pour
aider à l’orientation de l’analyse.
Cela nous a amené à observer ce qui se disait des meilleurs athlètes paralympiens et ce
qu’eux disaient sur leurs réussites, leurs échecs, leurs quotidiens. Nous avons, à partir de
ses observations, élaboré des mots-clés, c’est-à-dire des idées, des noms, des concepts qui
orienteraient la recherche et le dépouillement de la masse de données qui s’offraient à nous.
Une première analyse sommaire nous a permis de constituer une grille d’analyse des
données, puis nous avons avec des analyses plus approfondies de nos données collectées,
peaufiné notre cadre analytique. En procédant de cette manière, nous avons établi des
cadres thématiques et analytiques afin d’arrimer notre travail avec les orientations et les
questionnements qui émanent des différents regards sur le corps prothétique.
37
En se laissant guider par les données qui émanent, soit de manière inductive48, nous nous
inspirons de travaux comme ceux de Malinowski (1922), mais également de ceux d’Oliver
de Sardan (1995) en ce qui concerne la façon d’aborder les sources écrites, en ce sens que
les sources écrites sont : « un moyen de mise en perspective diachronique et
d’élargissement indispensable du contexte et de l’échelle, à la fois une entrée dans la
contemporalité de ceux qu’il étudie » (Sardan 1995 : 38). Le choix de cette méthode
s’appuie sur le fait qu’une multitude de sources et de domaines sont en relation avec notre
sujet de recherche, mais aussi, il s’appuie sur le désir de comprendre le rôle que joue chacun
des acteurs dans la mise en œuvre du corps prothétique en pratique sportive de haut niveau.
Comment donc, par l’entremise des biotechnologies, le sport handicapé est-il passé d’un
phénomène palliatif et adaptatif vers un mouvement mélioratif?
En orientant notre étude en ce sens, cela aura pour effet que nous ne pourrons pas observer
les nombreuses identités que peuvent revêtir les athlètes. En centrant ainsi notre regard sur
les paralympiens et sur leurs relations avec le cadre institutionnel et sportif, et en limitant
le cadre méthodologique de la recherche, nous croyons être capable de mettre en lumière
les différentes facettes qui composent les conceptions du corps prothétique en pratique
sportive. Plus précisément encore, cela devrait nous permettre d’observer les contradictions
qui s’installent entre les diverses conceptions qu’ont de cette notion du corps la médecine,
la science, l’institution, et les athlètes eux-mêmes.
L’objectif est de continuer d’ouvrir le chemin pour une éventuelle analyse plus large sur
les innombrables liens qui existent avec la transformation du corps et de l’identité du
handicap.
48 « L’approche inductive élabore de façon formelle son canevas de recherche en cours de collecte de
données pour en faciliter l’analyse rigoureuse » (Hlady Rispal, 2002, p. 51). Si l’on peut se focaliser sur une
problématique, comprise ici comme manière spécifique d’envisager un problème et proposition de lignes de
force en réponse à la question initiale, cette problématique se précise néanmoins au cours de la recherche.
L’approche inductive diffère en cela de l’analyse déductive qui pense cette problématique complètement a
priori » (D’Arripe 2014 : 98).
38
Chapitre 5 : Méthode et collecte des données
Les données qui composeront notre étude, proviennent d’interviews écrites ou audio-
visuelles réalisées avec des para-athlètes par divers médias, mais aussi de rapports officiels
des institutions et organismes fédérateurs, ainsi que de la littérature scientifique.
Cela permet d’avoir accès à une manne d’informations sur des éléments autant passés que
récents49. Nous avons suivi le modèle d’autres anthropologues et sociologues comme, entre
autres, ceux de Vlado Kotnik (2007) qui utilise l’étude des médias audio-visuels pour
observer et comprendre comment ceux-ci agissent sur la relation entre une idéalisation de
l’identité nationale et le ski, ou encore les travaux d’Anne Marcellini (2010), sociologue
du sport et de l’adaptation physique, sur le cas d’Oscar Pistorius50, toutefois dans le cas
présent, nous tenterons de nous inscrire dans une temporalité plus large, afin de mettre en
relief les changements dans les différentes conceptions du corps prothétique sportif. En
utilisant des articles de journaux et des témoignages d’athlètes, d’experts et de
scientifiques, nous croyons être en mesure d’exposer certain des traits qui unissent et
opposent les conceptions du corps prothétique en pratique de sport de haut niveau. On
tentera de voir et analyser les transformations qu’ont subies les biotechnologies, et
constater comment celles-ci ont eu une influence sur la vie sportive de ces athlètes. Il nous
a également fallu définir quelles seraient les bases du dépouillement de ces articles et quel
serait le nombre d’articles suffisant pour que l’analyse soit assez étoffée et circonscrite.
Les articles de journaux qui ont été sélectionnés (88 articles de journaux), se centrent,
autour des athlètes médaillés et des athlètes de haut niveau, et ce, en raison de la multitude
49 « Les sources écrites sont donc pour l’anthropologue à la fois un moyen de perspective diachronique et
d’élargissement indispensable du contexte et de l’échelle, et à la fois une entrée dans la contemporanéité de
ceux qu’il étudie » (Sardan 2007 : 42-43). 50 « L’étude proposée ici s’inscrit dans une démarche casuistique qui vise à explorer et approfondir le « cas
Pistorius » pour en proposer une interprétation de portée plus générale, concernant le handicap, le spectacle
sportif et la question de la définition des « frontières de l’humain » dans la société contemporaine. Il s’agit
ici, au travers de cette étude de cas, de faire émerger l’institution, dans sa dimension symbolique, en montrant
comment sont discutées et construites différentes rationalités pour aboutir à une décision concernant Oscar
Pistorius. Pour cela, nous avons travaillé à partir de sources institutionnelles, de données de presse et de
données issues de la littérature scientifique » (Marcellini 2010 :141).
39
et la qualité des entretiens effectués avec ceux-ci. Le choix d’observer ces athlètes pour
nous aider à constituer notre base de données s’explique également par le fait, que ses
athlètes nous semblent exacerber le caractère des relations avec les différents acteurs et les
conceptions qui en découlent. Ces conceptions des corps prothétiques en pratique sportive,
ont un effet important, nous le verrons, à la fois sur la classification des corps dans la
pratique paralympienne, mais aussi sur la manière dont les corps sont quantifiés, compris
et analysés par les scientifiques. Qui plus est, les relations entre les athlètes au sommet de
la pyramide sont intrinsèquement liées avec les acteurs scientifiques, médicaux,
institutionnels, médiatiques, et même juridiques et politiques.
En analysant les conceptions qui entourent ces athlètes par la lunette médiatique et
journalistique, cela nous permet d’avoir une idée plus large de toutes ses relations qui
gravitent autour de ces corps et de voir, comment au fil des années les interactions entre
les acteurs ont changé. Afin de répertorier les articles les plus conséquents à notre sujet,
nous avons effectué une recherche par mot-clé sur des bases de données d’archives
journalistiques, dont en particulier Factiva et Eureka. Nous avons consulté, au préalable,
les résultats des épreuves dans les archives officielles de l’institution paralympienne51, et
répertorié le nom des athlètes qui y ont participé pour ensuite s’en servir comme mot-clé.
Nous avons également utilisé d’autres mots-clés qui ont émané de nos premières
recherches et nous avons particularisé les mots-clés et nous les avons parfois croisés entre
eux comme par exemple : paralympique, prothèse, biotechnologie, flex-foot, sport,
handicap etc. De plus, il nous a fallu pour des raisons pratiques (temps et moyens) limiter
le nombre d’articles à étudier, ainsi que la plage chronologique de la production de ces
articles.
Une des façons pour limiter le nombre d’articles a été la répétition des mots-clés, mais
aussi la répartition chronologique de nos données, puisque nous avons rapidement fait le
constat que le nombre d’article de journaux traitant de notre sujet, était beaucoup plus élevé
en ce qui a trait aux années les plus récentes, donc, pour ne pas surreprésenter les
conceptions récentes des corps prothétiques, nous avons limité le nombre d’articles par
plages chronologiques, soit par Jeux paralympiques, à environ une quinzaine. Dans les
51 https://www.paralympic.org/results/historical
40
étapes précédant le dépouillement, nous avons arrêté notre décision sur l’année 1988
comme limite chronologique, puisque c‘est l’année des premiers Jeux paralympiques, mais
aussi parce que c’est l’année où l’on a décidé de présenter pour la première fois les Jeux
paralympiques sur le même site que les Jeux olympiques.
En concomitance, nous ferons l’analyse de la littérature grise (rapports officiels, système
de classification, plan stratégique, etc.) produite par les organismes qui chapeautent les
parasportifs afin de voir quels sont les relations et les rapports entre l’institution et les
athlètes, toujours sur la question de la conception et l’image du parasportif. Le but, est
d’être en mesure de comprendre comment les biotechnologies ainsi que l’institution
sportive, ont influencé, transformé et ont agi sur la conception de la corporalité des athlètes
paralympiens avec prothèses aux membres inférieurs, et ce en lien avec la mesure de leur
corps et les normes acceptables qui s’y rattachent. L'utilisation des rapports officiels sera
utilisée afin de comprendre les lignes directrices du mouvement et leurs liens avec les
athlètes. Nous chercherons également à voir de quelles façons les biotechnologies
s’insèrent-elles dans les rapports et la transformation de ces conceptions ?
Pour ce qui a trait à la littérature scientifique (articles scientifiques, rapports de recherches),
nous avons circonscrit notre collecte autour de revues scientifiques (Prosthetics and
Orthotics International, Journal of Prosthetics and Orthotics, Journal of Rehabilitation
Research and Development), se centrant sur la question de l’immixtion entre la prothèse et
le corps amputé, et ce en raison de leur spécificité par rapport à la présence de la prothèse
dans le sport, ainsi que de l’apport important que ces revues amènent à la connaissance
scientifiques dans ce domaine. Tout comme les données recueillies par l’analyse de la
littérature grise, les données obtenues de l’analyse d’articles scientifiques, serviront dans
notre étude à alimenter les propos et à mettre en perspective les données obtenues par
l’analyse des articles de journaux, puisque ceux-ci représentent le noyau de notre étude. En
procédant dans cette optique à l’analyse de nos données, l’objectif est de dresser la carte
interactionnelle qui alimente les diverses conceptions du corps et en particulier celle de la
science, de la médecine, mais aussi des institutions, le tout en comparant ces perspectives
entre elles, mais aussi en comparant le regard de l’athlète sur son propre corps.
41
Chapitre 6 : Résultats de l’analyse. Corps handicapé et corps sain :
La classification normative des athlètes prothétiques.
Introduction
Le corps handicapé qu’il soit de naissance ou de cause accidentelle passe sous la loupe de
la science médicale52. L’évaluation de la condition du handicap est comprise et mise de
l’avant par la médecine en ces termes, cela signifie que le corps handicapé est souvent
conceptualisé par les classifications médicales et ce, d’après une opposition entre le corps
malade53, le « corps sain », et le « corps normal ». Ce qui nous paraît intéressant d’observer
sur cette question est que :
« D’un point de vue socio-anthropologique, les représentations du corps sain et du corps malade, en
tant qu’elles se trouvent façonnées par le contexte social et culturel, connaissent des évolutions et
transformations. Les pratiques et usages du corps, les réalités du corps souffrant, malade ou
handicapé, la manière dont le corps est vécu, sa valeur intrinsèque (pour le sujet) et extrinsèque (sur
un certain marché) ainsi que le regard porté sur lui par ceux qui en font le métier et par la société en
santé se caractérisent par de constants bouleversements » (Bourquin 2015 : 394).
S’ajoute à cela le fait que la science médicale cherche dans sa pratique, à identifier
l’anormalité ou l’incapacité et à pallier vers la norme (Mus 2013 : 36). Dans cette optique,
la norme est une condition de santé, or, la notion de santé est relative à la fois au bien-être
et à des valeurs biologiques, physiologiques et physiques (Andrieu 1999 : 2).
Le corps handicapé est en règle générale, nous l’avons vu, pris en charge par la science
médicale, qu’y lui appose un diagnostic et lui inscrit une condition (Delcey 2002 : 4). Cette
condition insère l’individu dans un canevas, dans une case qui ne lui convient pas
52 « Le corps humain est l’objet privilégié d’action de la médecine, mais aussi réalité vécue, image, symbole,
représentation et l’objet d’interprétation et de théorisation. Tous ces éléments constitutifs du corps
influencent la façon dont la médecine le traite » (Saraga 2015 : 394). 53 « Or, la maladie, censée définir la santé, est déjà en elle-même une objectivation du corps, car elle considère
la pathologie comme extérieure au sujet malade. D’autre part, le pathologique est de l’ordre de la normalité,
puisqu’il est continuation de la vie sous une autre forme, et répond comme l’état normal, à une normativité
propre. La médecine caractérise un état pathologique, en interprétant la baisse quantitative de certaines
performances comme un insuccès » (Carrive 2008 :135).
42
nécessairement 54 . Cette remise en question de la condition médicale que l’on verra
graduellement apparaître, émerge avec l’avancement des droits et de l’émancipation des
personnes handicapées55, ainsi qu’avec les avancées technologiques56. Cette progression
de la technologie et l’amélioration des performances induite par les nouveaux matériaux57
composant les prothèses, vont non seulement permettent à ces paralympiens de se
rapprocher des normes de la performance humaine, et de même dépasser les « capacités
moyenne ». De cette manière, les athlètes en viendront à questionner à la fois, la légitimité
de ces normes, mais aussi leurs objectivités 58 . Puisque lorsque nous observons
l’élaboration du système de classification qui chapeaute les compétitions paralympiennes
et qui permet une légitimité à ses compétitions, nous remarquons que le point d’ancrage de
ce système de classification est le corps « dit » normal. Observons la question de la
54 « Ce sont ces difficultés conceptuelles et ce souci de ne pas réduire le handicap à un diagnostic qui ont
conduit à l’élaboration de la première CIH (Classification Internationale des handicaps (1980) (…) » (Delcey
2002 :4). 55« Dans les années 70, la notion de droits fondamentaux des personnes handicapées commence à être plus
largement admise sur le plan international. L’Assemblée générale a adopté, en 1971, la Déclaration des droits
du déficient mental, puis, en 1975, la Déclaration sur les droits des personnes handicapées, qui définit des
normes pour l’égalité de traitement de ces personnes et leur accès à des services leur permettant d’accélérer
leur insertion sociale. L’Année internationale des personnes handicapées (1981) a débouché sur l’adoption,
par l’Assemblée générale, d’un Programme d’action concernant les personnes handicapées, ensemble
d’orientations visant à promouvoir l'égalité et les droits des personnes handicapées et leur entière
participation à la vie sociale. La Décennie des Nations Unies pour les personnes handicapées (1983-1992) a
donné lieu à l’adoption des Règles pour l’égalisation des chances des handicapés. Chaque année, un
rapporteur spécial contrôle l’application de ces Règles et rend compte de ses travaux à la Commission du
développement social, organe subsidiaire du Conseil économique et social (ECOSOC). Dans son article 23,
la Convention relative aux droits des enfants (1989) reconnait tout particulièrement la vulnérabilité des
enfants handicapés et prône la non-discrimination »
(http://www.un.org/fr/rights/overview/themes/handicap.shtml). 56« Cela serait dans sa nature : « L’expansion de notre potentiel est justement la principale distinction de
notre espèce ». À leurs yeux, l’hybridation entre l’humain et la machine est légitime, voire nécessaire, mais
elle est également naturelle. Cette assertion se voit renforcer par l’idée selon laquelle une relation existe entre
l’avancement technologique et le progrès humain. De ce point de vue, les avancées technologiques ne peuvent
être que fortement encouragées, d’autant plus si elles conduisent à la convergence tant espérée des NBIC
(domaines qui associent les nanotechnologies, les biotechnologies, l’informatique, les sciences cognitives) »
(Robitaille 2011 : 33). 57 « Tabi King, spokeswoman for RGP Prosthetics, a San Diego-based prosthetics research firm. "Today, it's
all about carbon fiber, titanium and suspension. They certainly allow athletes to excel." » (Meyer, The
Associated Press, 19 août 1996).
58 L’avènement d’une médecine d’amélioration, orientée vers la finalité d’optimiser les performances
humaines grâce aux technosciences, autant que le développement d’un imaginaire du « posthumain » porté
par les militants du mouvement transhumaniste questionnent plus que jamais les frontières entre l’humain, la
société et la vie. Les avancées technoscientifiques et biomédicales font entrer inexorablement le vivant en
société » (Le Dévédec 2016 : 8).
43
classification d’un peu plus près et tentons de voir comment la place du concept de corps
« normal », oriente et influence cette classification.
44
Chapitre 7 : La classification
La question de la classification est centrale dans la problématique qui nous occupe, et cela,
nous l’observerons sur deux points, sur l’égalité des chances entre compétiteurs et sur
l’évaluation de la condition de la personne. Dans un premier temps, nous avons constaté
que l’institution paralympienne base son système de classification sur les paramètres que
la science médicale établit. Toutefois, nous verrons que ses paramètres s’ancrent dans une
conception idéalisée du « corps sportif », une conception humaniste qui semble parfois
négliger les profondes disparités entre les athlètes. Nous nous attarderons plus longuement
sur ce point un peu plus loin dans notre étude, observons pour le moment les paramètres
initiaux à la classification. Ceux-ci se centrent autour de 10 types de conditions comme il
nous est présenté dans le Guide explicatif de la classification paralympique :
Ten eligible impairments
The Paralympic Movement offers sport opportunities for athletes with physical, visual and/or
intellectual impairments that have at least one of the following 10 eligible impairments:
1. Impaired muscle power: Reduced force generated by muscles or muscle groups, may occur in one
limb or the lower half of the body, as caused, for example, by spinal cord injuries, Spina Bifida or
Poliomyelitis.
2. Impaired passive range of movement: Range of movement in one or more joints is reduced
permanently. Joints that can move beyond the average range of motion, joint instability, and acute
conditions, such as arthritis, are not considered eligible impairments.
3. Limb deficiency: Total or partial absence of bones or joints, from birth or as a consequence of
trauma (e.g. car accident or amputation) or illness (e.g. bone cancer).
4. Leg length difference: Bone shortening in one leg from birth or trauma.
5. Short stature: Reduced standing height due to abnormal dimensions of bones of upper and lower
limbs or trunk, for example due to achondroplasia or growth hormone dysfunction.
6. Hypertonia: Abnormal increase in muscle tension and a reduced ability of a muscle to stretch, which
can result from injury, illness or a health condition such as cerebral palsy.
7. Ataxia: Lack of co-ordination of muscle movements due to a neurological condition, such as
cerebral palsy, brain injury or multiple sclerosis.
8. Athetosis: Generally characterised by unbalanced, uncontrolled movements and a difficulty in
maintaining a symmetrical posture, due to cerebral palsy, brain injury, multiple sclerosis or other
conditions.
9. Visual impairment: Vision is impacted by either an impairment of the eye structure, optical nerve/
pathways or the part of the brain controlling vision (visual cortex).
10. Intellectual Impairment: A limitation in intellectual functioning and adaptive behaviour as
expressed in conceptual, social and practical adaptive skills, which originates before the age of 18.
(Explanatory guide to Paralympic classification in Paralympic summer sports: 2).
45
Notre étude repose sur les personnes faisant partie de la quatrième condition, les amputés
aux membres inférieurs (Leg length difference). Dans les données que nous avons
récoltées, nous observons que l’amputation des membres inférieurs est parfois subite à la
suite d’un accident, ou à une maladie, parfois il y a tout simplement absence de membres
inférieurs à la naissance, due à une malformation ou une maladie ou un syndrome. Or, ce
qui ressort de nos données sur ce point, est qu’il n’existe pas de différenciation sur la
« provenance » ou la « nature » de l’absence de membres, puisque les athlètes qui
possèdent une prothèse sont classifiés par l’absence ou la longueur de leurs membres
inférieurs et non par la nature de l’absence du membre ou encore par rapport à leur capacité
de se mouvoir.
L’effacement des historiques et des conditions multiples des parasportifs aplanissent les
différents processus et acteurs mis en place pour « construire » un champion paralympique.
Il nous est apparu clair à la lecture des articles de journaux et des témoignages qu’ils
relataient, que bien que l’institution paralympienne fasse des efforts pour maintenir une
classification juste et équitable, le développement des technologies, les processus de
réhabilitation et l’assistance technique pour parfaire l’amalgame entre la prothèse et le
corps, ne sont pas accessible à tous également. Ce qui fait que nous observons un
développement des performances et des technologies par cascade, c’est-à-dire que les
athlètes les plus performants sont souvent approchés par des laboratoires de technologies
palliatives pour aider à designer et développer de nouvelles prothèses plus performantes59.
Ce sont donc les athlètes les plus performants qui bénéficient souvent les premiers de ces
nouvelles prothèses. De cette manière, les avancées se répandent principalement du haut
de la pyramide vers le bas.
« In the final heat of the Paralympics," laments Reinertsen (Sarah Reinertsen, a finalist for the U.S.
Paralympic track team in the 100-meter event), "everyone is wearing a Flex-foot, and they're all
from countries like England, the U.S., Germany and Australia » (Russo, The Village Voice, 25 avril
2000).
59 « The improved designs - many in the last five years - have resulted in better athletic performances. For
instance, Tony Volpentest, a double- leg amputee runner, took the gold in the men's 100 meters at the
Barcelona Paralympics, finishing with a world record 11.63 seconds - just 1.78 seconds shy of Donovan
Bailey's Olympic record » (Higginbotham, Atlanta Journal and Constitution, 13 août 1996).
46
La technologie de la prothèse Flex-foot se démocratise ainsi très lentement, l'accès à cette
technologie n'est clairement pas possible pour tous, le cas du Cambodge est à ce propos
assez frappant.
« It saddens me because Cambodia has so many amputees because of land mines 35,000 of them.
That's like all of USC, a whole university of amputees » (Sarah Reinertsen, a finalist for the U.S.
Paralympic track team in the 100-meter event) (Russo, The Village Voice, 25 avril 2000).
Certes la technologie devient un peu plus accessible, alors que l'on voit des athlètes de pays
moins nantis performer, comme le Brésil (Alan Fonteles Cardoso Oliveira et Andre
Oliveira), l'Afrique du sud (Oscar Pistorius et Arnu Fourie) ou encore le Cap Vert (Marcio
Miguel Da Costa Fernandes), toutefois, les changements de cette technologie demeure
principalement accessible60 aux meilleurs athlètes et provenant des pays les mieux nantis.
Comme le precise Tabi King, porte-parole pour RGP Prosthetics (San Diego-based
prosthetics research firm):
« Not all athletes have the advantage of this technology, and in a way that is unfair, King said. »
Some athletes still have to wear legs that can be 10 to 15 pounds heavier than the latest innovations
» (Meyer, The Associated Press, 19 août 1996).
La question de l’accès aux technologies prothétiques demeure toute de même tout comme
le système de classification inégale. Puisqu’il nous semble important de relever
l’importance qu’a la classification dans la légitimité du paralympisme et d’observer le
précaire équilibre sur laquelle cette classification repose.
« Athlete classification is a crucial part of Paralympic Sport and the Paralympic Games.
Classification systems must reconcile an athlete-friendly and just application with the need for
consistent rules as outlined in the Code which will ultimately ensure equitable competition. This will
also attract and keep many new athletes within the Paralympic Movement » (International
Paralympic Committee Strategic Plan 2011-2014: 8).
Or, nous le verrons, les efforts mis de l’avant par l’IPC (International Paralympic
Commitee) pour avoir une classification juste et égale, n’empêcheront pas l’émergence de
controverses reliées à la réglementation et à la classification. Puisqu’en basant la
classification sur le diagnostic médical, cela contraint l’institution à choisir entre des
compétitions égales, mais où le nombre d’athlètes est limité, ou une classification un peu
60 Les prothèses de sport ou de haute technologie sont peu accessibles (les premières ne sont pas remboursées,
quand les secondes ne sont prescrites qu’à des patients répondant à un cahier des charges précis et exigeant)
(Gourinat 2015 : 81).
47
plus laxiste combinant61 certaines catégories afin d’avoir assez d’athlètes pour que le
niveau de compétition soit assez relevé. On peut l’observer, entre autres, avec la présence
du Sud-africain Oscar Pistorius classifier dans la catégorie T-43, mais compétitionnant
dans une autre catégorie (T-44) au Jeux paralympiques d’Athènes en 2004.
« Of the 16 semi-finalists (Paralympics game Athens in 2004), Pistorious was the only double below-
the-knee amputee, which corresponds to the "T43" classification » (AFP, Agence France Presse, 24
septembre 2004).
Puisqu’il faut comprendre que la valeur de la performance ou son importance décroît
devant l’absence de compétition, car dans le sport, l’athlète légitimise sa réussite par
l’opposition et l’adversité. Cette question de l’opposition et de l’adversité nous amène à
nous pencher sur la question des processus qui entourent l’adaptation et la réhabilitation de
ces personnes en situation de handicap, puisqu’à la lumière de nos observations il semble
se dessiner une profonde dichotomie entre les différents processus d’adaptation et de
réhabilitation, qui paraissent être guidés par des désirs de normalisation de l’état de la
personne, et des processus mélioratifs qui sont intrinsèques au sport62. Analysons tout
d’abord les processus normatifs que l’on retrouve en lien avec la question de l’adaptation
et la réhabilitation du corps handicapé pour, par la suite, se pencher sur la nature du sport
et de l’olympisme.
61 « They would only have two or three in a race, so they combined them all into one, which is pretty
unfortunate for someone like Aimee. It's not a level playing field » (It’s unfortunate for someone like Aimee
who have more than a disability) (Ed Harrison, spokesman for Disabled Sports USA) (Hente, The
Washington Post, 17 août 1996). 62 « Le sport conduit à la recherche de performances et à la spécialisation extrême du geste » (Queval 2011 :
204).
48
Chapitre 8 : Corps adapté, corps réhabilité
Le handicap et l’amputation génèrent autour des personnes en cause, des processus et des
interconnexions qui varient si la personne a subi la perte d'un membre ou si elle est dans
cette condition « naturellement »63. Dans le premier cas, soit la perte d’un membre à la
suite d’une amputation subit après un accident ou une maladie, la personne doit passer par
la sphère médicale pour l’intervention sur son membre, mais également à la suite de
l’intervention, par l’entremise d’un processus d’adaptation, et de réhabilitation. Ces deux
processus impliquent d’adapter et de réhabiliter64 le corps de la personne au mouvement
de son corps en coordination avec une prothèse. Dans le second cas, soit les personnes
handicapées à la naissance ou en très bas âge65, on parle plutôt d’adaptation, puisque leur
corps et la prothèse seront tout au cours de leur existence en processus d’adaptation.
La relation entre le corps et la prothèse, lorsque l’on parle d’adaptation et de réhabilitation,
est différente. L’adaptation se fait sur une longue période et la personne apprend à vivre
avec son handicap au cours de sa croissance, changeant plusieurs fois de prothèse pour
s’adapter à sa physionomie, mais aussi pour plusieurs autres raisons (problème
d’emboîtement, bris, etc.). Alors que pour les personnes qui ont subi une amputation au
cours de leur existence, le processus d’adaptation et de réhabilitation est souvent plus
difficile et plus long, ce qui semble avoir une certaine influence sur la conception de leur
corps et sur leurs performances. Comme le suggère Hugh Herr, ingénieur et biophysicien
et spécialiste des prothèses:
« It hasn’t been studied, the effects of age and amputation as they relate to athletic performance,”
he said. “Clearly, since his (Oscar Pistorius) legs were amputated at a very young age, he’s had a
63 On parle ici de processus « naturels » entre autres dans le cas présent, la naissance. On parle donc d’une
condition conséquente à un accouchement, pour autant que les processus qui entourent l’accouchement
aujourd’hui soient naturels. 64 Sir Harry Platt chirurgien orthopédique, explique la différence qu’il observe entre les deux termes, et
expose son aversion du terme réhabilitation: « Another great orthopaedic surgeon, Sir Harry Platt, disliked
the term rehabilitation, which he thought was a “mischievous word”, and he was extremely dismissive of
rehabilitation medicine. I quote from a lecture, in which he said, “Rehabilitation medicine, so called, is a
form of managerial medicine,” spoken with a downward inflection of the voice. Despite this condemnation,
he was right in his choice of words, because rehabilitation of the amputee is the active management of his
problems and disability » (Day 1998: 92). 65 « For an infant or child we should try to restore any abilities which have been lost and encourage normal
increase in capability as the child’s mental and physical skills develop » (Day 1998: 92).
49
great deal of time to optimize his physiology. So among a population of amputees, I would
hypothesize that that would clearly be at an advantage » (Sokolove, New York Times, 22 janvier
2012).
Un corps contraint versus un corps adaptable, dans un cas, il y a un désir de retrouver les
capacités perdues, alors que dans l’autre cas, le pouvoir de l’adaptation à sa prothèse rend
la personne moins accapable 66 . Cette normalisation de la condition induite par
l’incorporation de biotechnologie, implique non seulement, des processus visant à la
réparation du corps amputé, mais il vise à l’amélioration de son état67. Observons le sujet
brièvement.
66 Le terme « accapable » est la traduction libre du terme anglais « disabled ». L’ajout du préfixe « a » amène
la négation du mot, donc dans ce cas précis non-capable se distingue du mot incapable qui nous apparait
comme étant péjoratif, alors que le terme accapable pareil plus neutre, et s’associe à l’accomplissement d’une
tâche ou d’une action et non directement à la personne. 67 « (…) si la "prothétique" a commencé comme inclusion ou adjonction de corps étrangers sur le corps
humain, son aboutissement n’a lieu qu’au moment où "elle crée des corps d’extension qui non seulement
réparent les vieux corps, mais en augmentent les capacités et le transfigurent » (Sloterdijk, 2001, p. 265-266).
50
Chapitre 9 : Réparation, amélioration et capacité
L’hybridité des corps est en perpétuel changement, les moyens techniques et les
connaissances misent de l’avant par les entreprises privées et le complexe industrio-
militaire68 entraîne le corps prothétique vers des avancement qui cherchent à déborder du
cadre de la normalité, tendant vers une post-humanité. Or, cette conception du corps
prothétique ne reflète pas nécessairement la réalité d’un grand nombre de personnes avec
une amputation, car bien que les progrès technologiques et les capacités des athlètes se
soient grandement améliorées au cours des dernières années et que les performances de
plusieurs athlètes dépassent celles de l’« homme moyen », celles-ci ne surpassent pas pour
l’instant les « capacités humaines » maximales enregistrées. Ce sont les conclusions que
nous tirons de l’analyse de nos données et c’est ce qui guide notre argumentaire en ce qui
concerne la question de la frontière entre l’humanité et la surhumanité. Car, il nous apparaît
que cette frontière que l’on tente de tracer est représentée par, d’un côté, une médecine
réparatrice ou thérapeutique et de l’autre par une anthropotechnie, que l’on peut définir
comme étant un : « art ou technique de transformation extra-médical de l’être humain par
intervention sur le corps », cette frontière entre ces deux visions, demeure floue (Goffette
2013 : 91).
Cette frontière, cette ligne que nous tentons de comprendre, est un point de discussion
majeur dans la compréhension de la situation, et ce, autant pour les législateurs sportifs que
pour les scientifiques, car certains définissent clairement la distinction de cette frontière69,
68 « Pour le DARPA, il s’agit en fait de la notion d’un humain amélioré, et non plus réparé, ou reconstruit,
qui fait appel à des biomatériaux (des matériaux de reconstruction extérieurs au corps humain). Sa nécessité
est perçue comme évidente dans le domaine militaire, pour lequel, selon Michael Goldblatt, du DARPA,
« l’humain est devenu le chaînon le plus faible, d’un point de vue autant physiologique que cognitif » (Roco,
2002 : 337). Cela tient au fait que « les systèmes militaires sont limités dans leur performance par l’incapacité
du corps humain à tolérer des hauts niveaux de température, d’accélération, de vibration ou de pression ou
bien par les besoins humains en air, eau et en nourriture » (Roco, 2002 : 291). C’est pour cette raison que le
DARPA finance des recherches scientifiques sur l’augmentation de la performance humaine, fonctionnelle,
afin de redoubler l’efficacité du combattant en lui adjoignant des capacités super physiologiques et
cognitives, et de minimiser / réduire le taux de létalité des conflits » (Nicogossian 2012 : 227).
69 « Dès lors, si l’on accepte la démarche prospective selon laquelle, par un exercice singulier de la pensée,
le futur doit être rendu présent afin d’envisager tous les scénarios possibles sur cet « homme qui vient »,
d’autres lignes de réflexion sont également apparues. Évaluatives et normatives, d’abord : quel est, par
exemple, le niveau de transformation corporelle socialement acceptable et quelles pourraient être les règles
51
puisque pour eux, la médecine par son modèle basé sur la maladie et la pathologie70,
cherche à normaliser l’état d’une personne. D’autres croient plutôt que la médecine intègre
pleinement le modèle du human enhancement, c’est-à-dire, un modèle fondé sur
l’amélioration de la condition définie comme « normal » (Goffette 2013 : 91). Ce qui nous
paraît intéressant de noter à ce propos est la double épaisseur que l’on retrouve dans les
processus de normalisation, soit une normalisation médicale71 qui vise dans le cas qui nous
intéresse, à atténuer les contraintes de la pathologie, du handicap. Alors que le second
processus de normalisation est, quant à lui, induit par le social, soit par la capacité de
performer et le désir d'égalité.
Ce qui nous apparaît émerger des données que nous avons colligées en lien avec ses
processus socio-normalisateurs, est que l’insertion du corps handicapé dans le schéma du
sport de haut niveau brouille la frontière entre la médecine réparatrice et l’anthropotechnie,
puisque la ligne entre le palliatif et le mélioratif devient floue lorsque l’on insère la notion
de performance, car la performance incite au dépassement de soi. Comme décrit par Justin
Keogh, spécialiste de l’exercice, du sport et de la biomécanique :
« The growth of the Paralympic Games has coincided with a change in the views of society; athletes
with a disability are now often considered as ‘athletes’ first and foremost. These changes in public
perception appear to be associated with an altered research emphasis, whereby more research in
this area is conducted with a sports performance rather than rehabilitative focus » (Keogh 2011:
235).
C’est, entre autres, ce qui ressort de l’analyse de nos données, et ce principalement lorsque
nous observons les conceptions que l’on fait du corps prothétique, un corps à la fois limité
et « accapable » (disabled) et un corps surhumain et plus-que-capable (supergrip) par
rapport à un corps dit « normal ». Il nous semble que ce soit la notion de performance qui
puisse permettre la présence de conception diamétralement opposée pour représenter un
sociales pouvant guider, orienter et encadrer l’utilisation des technologies convergentes dans la modification
de l’humain ? Peut-on envisager une réflexion éthique normative sur la seule notion de plasticité du vivant ?
N’y a-t-il pas un seuil, dans cette malléabilité, dont le dépassement serait synonyme de basculement dans la
non-humanité ? » (Uhl 2011: 8). 70 « L’état pathologique n’est-il qu’une modification quantitative de l’état normal », le grand spécialiste des
sciences de la vie nous explique qu’il est impossible de définir objectivement le pathologique. Car d’une part,
le point de vue subjectif du malade est indissociable de sa maladie » (Carrive 2008 : 135). 71 « At the outset, sports practices for the disabled were most often designed by doctors, pedagogues or
teachers with objectives related to re-education or rehabilitation. The meanings associated with these
practices were ‘recovery’ of functional abilities or ‘catching up’ on previously lagging development; in either
case, a return to the norm was desired » (Bancel 2018: 588).
52
même corps, car la performance expose la réussite et la capacité de progresser, tout en
oblitérant les difficultés, les échecs, les blessures que rencontre les parasportifs
prothétiques. Une double interrogation ressort de se constate, d’une part, si l’institution
prend en compte chaque particularité de chaque athlète les confrontations entre les
compétiteurs et le système de classifications deviendrait inadéquat au déroulement de
compétitions légitime, et à l’inverse en prenant plus ou moins en compte la situation de
chaque athlète, on peut se retrouver avec d’importantes disparités entre les compétiteurs.
Qui plus est, le travail qui s’exécute alors sur le corps handicapé en est un de
normalisation72, mais aussi hybridation73, et il est induit par des technologies palliatives
dites bioniques, c’est-à-dire qui imitent les procédés biologiques. Comme l’écrit
l’anthropobiologiste Judith Nicogossian dans sa thèse de doctorat intitulé « De la
reconstruction a l’augmentation du corps humain en médecine restaurative et en
cybernétique » : « (…) s’inscrivant dans le cadre thérapeutique de la restauration du corps
humain handicapé, la prothèse bionique est le point de départ d’une reconstruction
anthropomorphe imitant à se méprendre les fonctions et l’esthétique (…) (Nicogossian
2008 : 179).
Passant par une hybridation du corps humain handicapé, cette normalisation de l’état dans
un cadre compétitif occasionne des questionnements sur la norme et sur les frontières
acceptables pour les institutions sportives, de l’hybridation du corps. Nous nous
pencherons sur ce point de division qu’engage l’hybridation du corps dans l’univers sportif
de haut niveau dans la prochaine section, pour le moment observons les diverses
conceptions qui émanent autour du corps prothétique et des processus réparateurs.
Précisons tout d’abord que ces processus qui émanent de cette normalisation ne sont pas
une sinécure pour les personnes en cause, toutefois la réduction de l’inconfort, de la douleur
et des problèmes d’emboitements, permettent aux paralympiens avec une amputation aux
membres inférieurs, de s’entraîner plus fort plus longtemps. Ce qui fait que les désirs de
72 « Notre postulat est qu’il apparaît clairement que la normalisation systématique du corps humain et le
développement des techniques – incarnées aujourd’hui dans la bionique en tant que concept – participe
ensemble à l’émergence progressive des pratiques hybrides neuves » (Nicogossian 2008 : 24). 73 « En effet l’hybridation est une technique qui utilise les matériaux biologiques du corps pour compléter les
déficits fonctionnels du corps par des apports technologiques » (Andrieu 2010 : 99).
53
conformité, propulsés par l’adaptation et la réhabilitation de leur corps avec l’incorporation
de système prothétique, en viennent à bousculer les normes que les institutions mettent en
place. Nous le verrons plus attentivement un peu plus loin dans l’étude que cette capacité
des athlètes parasportifs à dépasser les normes et la normalité est à la fois litigieuse et
contradictoire. Puisque d’un côté la médecine et l’institution continuent d’apposer
l’étiquette de handicapé à ces athlètes, et de l’autre côté, soit, entre autres, dans les médias
et la culture populaire74, on les conçoit comme étant des cyborgs, des êtres plus-que-
capables.
S'ajoute à cela, le fait que la capacité des athlètes est dépendante de plusieurs facteurs, dont
l’amalgame du corps à la prothèse, soit la capacité de s’adapter à celle-ci et à la capacité
de la technique, c’est-à-dire les concepteurs et les créateurs de prothèse (laboratoire),
d’adapter la prothèse, au corps de l’athlète. Comme l’explique l’ancien champion
paralympique Todd Schaffhauser:
« We've done the clinics in Australia, France, Italy, Spain, China, Mexico and in several cities in
the U.S.,'' Schaffhauser said. ''You can give an amputee the best prosthetic in the world, but if they
don't know how to use it, what good is it? » (Todd Schaffhauser) (Tarik El-Bashir: New York Times,
16 Août 1996).
Ces relations, ces liens que doivent entretenir les athlètes avec les concepteurs est non
seulement important pour la maîtrise de la technologie palliative, mais aussi pour
l'amélioration et la progression de ses technologies. Ce que nous avons également observé,
est le fait que la situation entre 1988 et 2012 a drastiquement changée sur la question de
l’adaptation et de réhabilitation et de la performance. Une des raisons qui nous semble
expliquer ce changement, est que nous sommes passés d’une production de prothèse semi-
industrielle, où la prothèse était quasi-uniforme pour tous, et où l’on tentait d’imiter
l’apparence de la jambe, à une production hyper individualisée75, où les laboratoires testent
74 Il y a plusieurs exemples d’une représentation de corps handicapé augmenté par des technologies
prothétiques dans la culture populaire, on peut penser aux films Kingsman 1 ou l’actrice Sofia Boutella arbore
des prothèses aux membres inférieurs qui se transforment en lames, ou encore Luke Skywalker portant une
prothèse futuriste afin de remplacer son avant-bras perdu durant un combat de sabre laser. Plusieurs films,
séries télé, bande-dessinés, livre etc, s’inspire de l’immixtion entre l’Homme et la machine pour créer leurs
personnages et leurs univers. Sans s’attarder plus longuement sur la question, précision que l’image que
dépeignent ses diverses représentations du cyborg et de l’homme augmenté dans la culture populaire ont une
certaine influence dans la conception que les médias ont de transposer la réalité des athlètes prothétiques. 75 « La dynamique d’individualisation des produits n’a pu s’effectuer que grâce à la haute technologie fondée
sur la microélectronique et l’informatique. Les nouvelles technologies industrielles ont permis l’essor d’une
54
et construisent leurs prothèses avec l’aide des athlètes les plus performants et dont
l’apparence du mouvement de ses prothèses, prévaut sur leur l’esthétique anthropomorphe.
Dennis Cole, président et propriétaire de Austin Prosthetics Center, Inc dit à ce propos :
« Cole said it took about 150 to 200 hours to put the entire prosthesis together. » Sometimes you
have to work with them from morning to night to actually get everything right," he said. "Sometimes
you have to work with trial and error. It's different for every person. » (McCarthy, Austin American-
Statesman, 26 décembre 1992).
En individualisant le processus d’adaptation entre le corps et la prothèse, comme nous le
verrons, cela aura plusieurs incidences sur le niveau de performance des athlètes, ainsi que
sur la transformation du mouvement paralympien puisque les athlètes avec prothèses
auront, pour les mieux nantis, la capacité de mieux performer et de battre constamment les
nouvelles marques. On observe en ce sens, que le processus de production industrielle des
prothèses à fait place à une conception du sur-mesure qui a transformé la pratique
parasportive de haut niveau. Comme l’expose le Domenico Ménager, docteur en médecine
physique et de réadaptation :
« Depuis dix ans, ces lames de carbone ont véritablement révolutionné le sport de haut niveau pour
handicapés, reconnaît le Dr Domenico Ménager. Elles ont plus de nervosité, plus de résistance. » À
Atlanta, Tony Volpentest a couru avec des prothèses encore plus perfectionnées, celles du Pr John
Sabolich (...). Il s'agit d'un manchon où se glisse le moignon de jambe, prolongé d'une latte flexible
en composite de carbone. Elle pèse 1,5 kilo et a été redessinée trois fois sur mesure » (Marie-Ange
Rodeaud: Libération, 22 août 1996).
Pour ce qui est des processus d’adaptation et de réhabilitation impliqués autour de ces
athlètes, ils se sont grandement transformés, car cette adaptation et cette réhabilitation
passent non seulement par l’amalgame entre le corps et la prothèse, mais également par la
capacité du corps à soutenir l’effort. Ce que nous constatons également à partir de l’analyse
de nos données colligées, est que la conception du corps handicapé par la lunette médicale,
a permis un changement majeur dans la performance des parasportifs, entre autres, par
l’entremise de méthodes d’entraînement et de réhabilitation, mieux adaptée aux limites et
aux difficultés du corps handicapé.
Le développement des méthodes d’entraînements 76 ne doit pas être perçu comme un
facteur externe aux progressions récentes des performances des athlètes prothétiques, mais
« production sur mesure de masse » consistant à assembler de manière individualisée des modules
préfabriqués » (Lipovetsky 2006 :87). 76 « Training programs and technology are more sophisticated, » (Michael Mushett of Westland, Mich.,
chairman of the U.S. team) (Tunney, The Associated Press, 25 octobre 1988).
55
plutôt vu comme étant pleinement intégré aux développements technologiques, puisque
chacune de ses améliorations et possible grâce à une meilleure compréhension des corps
handicapés et ce, autant en ce qui concerne les limites métaboliques ou physiques des corps
handicapés. Les programmes d’entraînement et de réadaptation tels que ceux utilisés par
Mr. Oehler and Mr. Schaffhauser deux anciens champions paralympiques ont dû être
adaptés pour répondre aux particularités de leur condition :
« Their program originally was pitched toward athletes like themselves. But the most common
reasons for amputations are peripheral artery disease and complications from diabetes, ailments
that afflict mainly older people, so the program's been adjusted to take this into account » (Kelly,
Pittsburgh Post-Gazette, 25 avril 2011).
Au-delà des programmes d’entrainement, on remarque que les prothèses sont mieux
adaptées et plus confortables, permettant un entraînement plus intense et plus long, ce qui
a pour effet de repousser les limites du corps parasportif prothétique et d’atteindre de
nouveaux sommets.
« Amputees can now run marathons. They could do it before, but they would get damaged tissue and
blisters. Now, they can train long and hard without any damage to their residual limb," Russell said
» (Tony Russell, vice president of sales and marketing for Flex- Foot Inc.) (Higginbotham, Atlanta
Journal and Constitution, 13 août 1996).
Une meilleure compréhension du corps handicapé ainsi qu’une meilleure compréhension
des limites physiques et métaboliques du corps handicapé permet une meilleure adaptation,
une meilleure réhabilitation et un entraînement plus efficient. Comme l’explique Tony
Russell, vice-président du marketing et du sport chez la société Flex-foot Inc., à ce propos :
« This has meant amputee athletes can train harder and longer and as a result, we are seeing the
gaps close between their times and Olympic times," said » (Tony Russell, vice president of sports
and marketing for Flex-Foot Inc., an Aliso Viejo, Calif.-based prosthetic design firm) (Meyer, The
Associated Press, 19 août 1996).
Nous avons vu que l’utilisation du sport pour aider à la réhabilitation des personnes avec
prothèse s’est progressivement transformée, passant d’une pratique réadaptative et
hygiénique, le parasport devient une pratique agonistique et performative. Ce constat nous
amène à nous questionner sur la conception du corps handicapé en relation avec l’état de
santé et la performance.
56
Chapitre 10 : Corps sain et le corps handicapé
À la base dans la compréhension de la médecine, la perspective et l’analyse du corps sain
ne se positionnent pas en opposition au handicap, et à la maladie, mais comme un cadre
normatif. Cela signifie que l’on calcule, mesure, et évalue la condition de la personne
d’après des standards spécifiques qui définissent l’état de santé77. Ce que nous constate à
ce propos, est que la condition du handicap est hors du cadre normal définissant la santé.
Ce que nous remarquons également, est que la conception du corps handicapé est relative
à des pratiques ou des techniques du corps, puisque le handicap se révèle dans l’incapacité
de la personne à exécuter certaines pratiques ou certaines techniques du corps, comme entre
autres le sport.
Pourtant, lorsque nous observerons attentivement la question, on remarque que les
conceptions qui sont associées aux sports, sont relatives à un corps sain78. Cela nous expose
un double paradoxe sur la question du parasportif, puisque dans un premier temps, le corps
sain et le corps handicapé dans une conception médicale de la corporalité sont
antinomiques, et que par définition, la pratique sportive est l’apanage des personnes en
santé. Puis dans un second temps, nous remarquons que la pratique parasportive est
instituée à la base pour maintenir une condition de santé alors que pourtant, la pratique
intensive du sport expose l’athlète à de nombreuses blessures et douleurs qui eux
s’opposent à l’état de santé du corps79.
Ce que nous tenterons de faire dans la prochaine partie de l’analyse est d’observer comment
cette conception du corps sain s’inscrit dans la carte conceptuelle qui instrumentalise la
corporalité du parasportif et comment les diverses oppositions et contradictions dans le
77 « Les standards industriels ou étatiques concernant les diagnostics et les traitements dépendent, en retour,
de très grosses banques de données, et cela parce qu'ils sont de plus en plus produits par des développements
connexes comme la médecine fondée sur la preuve et sur les résultats » (Clarke 2000 : 27-28).
78 « Mais on marque aussi une tension nette entre le sport de haut niveau, qui valorise la performance et
l’exploit pour lui-même, et une conception du sport-santé, qui valorise l’amélioration équilibrée du corps en
vue de la santé » (Queval 2011 : 195). 79 « Dans quelle mesure assiste-t-on aujourd’hui, dans le sport de haut niveau, mais aussi amateur, à une
dissociation entre sport et santé? En effet, la pratique du sport devrait tendre à la préservation du corps, or,
on a de plus en plus l’impression que les athlètes cherchent un dépassement d’eux-mêmes qui ne tient plus
compte des équilibres de la santé » (Vigarello 2013 : 131).
57
regard posé sur les athlètes se sont constituées en étalon de l’institutionnalisation du corps
parasportif. Ce qui nous conduira à l’analyse de la conception que se font les para-athlètes
de leur propre corps et comment les domaines de la science le comprennent, le découpe et
le mesure.
58
Chapitre 11 : La comparaison entre les corps prothétiques et les corps « normaux ».
En se penchant consciencieusement sur les données que nous avons recueillies, on a pu
constater que le corps parasportif est le lieu d’agglutination de diverses conceptions qui le
définissent, le redéfinissent et se redéfinissent. Puisqu’il faut comprendre qu’en utilisant
les savoirs de la science médicale pour codifier et segmenter le corps prothétique, nous
projetons celui-ci à travers un prisme qui nous renvoie une image distorsionnée, une image
alambiquée de ce corps. Car la médecine conçoit le corps prothétique comme étant un corps
malade, un corps que l’on se doit de rapprocher de la norme, le corps sain. En ce sens, la
médecine élabore des modèles, des valeurs, et des éléments qui constituent la condition de
santé, et la base normative de l’état de santé80, c’est-à-dire celle qu’elle établit à partir des
nombreuses mesures des éléments et des systèmes du corps humain. En conservant à
l’esprit ce rapport au corps handicapé, il nous semble y avoir deux niveaux de complexité
dans la conceptualisation de ce corps dans la pratique sportive, soit l’idéal santéiste et
l’idéal corporel que représente le sport de haut niveau. Le « corps sportif » est perçu autant
par la population en général, que par les parasportif, comme étant un idéal à atteindre. Les
performances des paralympiens sont d’ailleurs constamment comparées avec celle des
athlètes dit réguliers ou valides. Comme le décrit Michael Mushett dirigeant à l’époque
(1988) de l’équipe américaine :
« Disabled athletes compare their times and training to able-bodied athletes and many say they
regularly train with them.
"These people are looked at as athletes who happen to have a disability, not disabled people who
happen to be a recreational athlete," said Michael Mushett of Westland, Mich., chairman of the U.S.
team) » (Tunney, The Associated Press 25 octobre 1988).
80 « Ses efforts de réduction des qualités sensibles à des données numériques et des formules mathématiques,
sont à l’origine de la physicalisation et de fonctionnalisation de la physiologie. Car à la physiologie, discipline
initialement médicale, s’est greffé un « …. intérêt spéculatif pour l’explication des mécanismes fonctionnels
de l’organisme humain ». La possibilité aujourd’hui offerte à chacun, de mesurer simplement ses propres
constantes physiologiques, pour évaluer les fonctions et donc l’état général de son corps, découle en définitive
de cette entreprise initiale d’arraisonnement du réel » (Carrive 2008 : 134).
59
Il semble y avoir là, un réel désir de se comparer et s'identifier aux athlètes « réguliers »
dans le but, il nous semble, d'être vu comme étant des athlètes à part entière et non
uniquement des personnes avec un handicap qui pratiquent un sport. En analysant les
données que nous avons répertoriées, forcé de constater que le rapport comparatiste qui
s’est installé entre les athlètes « valides » et les athlètes « invalides » a considérablement
changé la conception du corps prothétique sportif au cours des trente dernières années.
La comparaison avec les athlètes réguliers parait inévitable, puisque leurs performances
sont en soi l’ultime but à atteindre, la preuve que leur handicap n’est en somme, qu’un
simulacre conceptuel. Pour Michael Mushett, dirigeant de l’équipe américaine en 1988:
« The ultimate goal for the elite of the disabled is to compete against the able-bodied," he said »
(Michael Mushett of Westland, Mich., chairman of the U.S. team) (Tunney, The Associated Press,
25 octobre 1988).
Nous pouvons voir que la comparaison avec les athlètes dit « réguliers » va au-delà de la
simple comparaison entre les performances, elle représente un accomplissement, la preuve
que le handicap a moins ou plus d’emprise sur la performance du corps.
On remarque, que le désir d’atteindre des performances semblables ou comparables aux
athlètes olympiques est bien ancré dans l’univers parasportif. Pour Tony Russell de chez
Flex-Foot Inc.:
« (…) maker of the carbon-steel feet that Volpentest uses, says it is only a matter of time before able-
bodied athletes and those who rely on prosthetics, line up in the same races.
"How long before the disabled equal the able-bodied? I think it's done," he said. "We're still closing
the gap on the Olympians but we're getting closer all the time » (Reed, Daily Telegraph, 24 août
1996).
La progression des performances et de l’efficience dans l’utilisation et la mise en œuvre
des technologies prothétiques entraîneront peu à peu un renversement dans le regard et la
conception de la pratique parasportive passant de la brebis galeuse ou l’enfant bâtard81 du
sport, à une menace potentielle à l’intégrité de l’olympisme et du corps sportif (Marcellini
2010 : 160). Le point à atteindre devient celui à dépasser, à transcender. La volonté derrière
la réhabilitation et l’adaptation du corps handicapé par l’entremise du sport, n’est plus
81 « Someone once called the Paralympics `the bastard child of the Olympics,' " Mullins said. »Sometimes I
can see why » (Aimee Mullins, Paralympienne) (Hente, 17 août 1996 The Washington Post).
60
simplement de maintenir le corps amputé dans un état de santé et de bien-être82, elle devient
le véhicule de la réussite. Certains vont même jusqu’à dire que la technologie prothétique
serait en mesure de dépasser les « capacités naturelles ». Comme l’explique le Dr
Domenico Ménager, médecin chef au centre de rééducation et d'appareillage de Valenton
(Val-de-Marne)
« La société californienne Flex-Foot lui propose une latte de fibres de carbone longue de 18
centimètres : elle plie sous le poids du corps lorsqu'elle touche le sol et se détend ensuite en projetant
le coureur en avant, « plus efficacement qu'un pied humain », assure la publicité » (Rodeaud,
Libération, 22 août 1996).
Pour certains athlètes, ils n’ont pas l’impression d’être handicapés, ils ont même le
sentiment que la prothèse est aussi efficiente qu’un membre « naturel », c’est entre autres,
le sentiment que partage l’ancien champion paralympique Marlon Shirley :
« Instead of thinking how fast would I run if I had two good feet," said Shirley, a 23-year-old Utah
State University flight technology student, "I can't help thinking how fast would Maurice Greene
(ex-champion olympique) be if he had a prosthetic foot. I don't feel I'm disabled » (Marlon Shirley)
(Halley, The Salt Lake Tribune, 4 septembre 2001).
Pour le moment, les technologies prothétiques ne permettent pas de supplanter les
meilleures performances, toutefois, l’ombre prométhéenne du cyborg plane au-dessus du
monde sportif, et l’athlète paralympique n’en est que la face visible (Marcellini 2010 :
164).
Nous reviendrons d’ailleurs plus longuement sur cette question de la frontière entre
l’humaine et le non-humain et sa place dans le sport olympien et paralympien, attardons-
nous pour le moment à cette conception symbolique, voire mystique de cet idéal sportif et
cherchons à voir comment cela influence les perspectives et les regards sur ces corps
prothétiques.
82 « Idéale de bien-être de l’olympisme vers le paralympisme » (Rapport officiel des Jeux olympiques de
Séoul 1988 : 832).
61
Chapitre 12 : Le « corps sportif », corps performant
Ce que nous avons observé dans les données recueillies est que, l’aspect santéiste qui
prévaut à la base dans l’utilisation du sport, et dans la réhabilitation des personnes
handicapées, n’est plus le pivot central de la pratique parasportive, et cela s’explique
principalement, étant donné le désir de réussite et de performance que le sport de haut
niveau implique, et le désir de sublimer le handicap. Nous l’avons vu l’entraînement des
parasportifs est devenu plus intense et plus adéquat à leur condition, il n’en demeure pas
moins que le surentraînement, les blessures, la douleur et les bris affectent la santé et le
bien-être de ses athlètes.
La douleur et la souffrance semble être une partie intégrante du sport de haut niveau, le
questionnement sur l’aspect santéiste du sport demeure d’autant plus, lorsque nous
observons le point de vue des athlètes, mais aussi de leur entourage. L’entraîneur de
l’ancienne championne paralympiques Shea Cowart, Myron Parran dit à propos de son
athlète :
« She likes to feel the pain. She has a personal integrity that pushes her twice as hard as someone
else might go." Cowart knows that she has had a fulfilling workout when she vomits at the end »
(Tierney, The Atlanta Journal Constitution, 10 décembre 2000).
Le passage d’une pratique hygiénique et santéiste à une pratique performative et
compétitive, agit sur le corps prothétique et sur la conception de celui-ci. Il n’est plus un
« corps accapable » en processus de réhabilitation, il est un corps bionique, un corps qui
tente de se rapprocher de la norme, de la normalité, autant dans le mouvement de son
corps83, que dans la capitalisation de ses capacités. Puisqu’il faut se rappeler, que le sport
s’est pleinement intégré au système capitaliste. Le sport suit en quelque sorte le courant de
diffusion du mode de production capitaliste84. Il s’insère dans une logique de rationalisation
83 « (...) the Flex-Foot, made in Laguna Hills, Calif., which are designed to simulate normal leg and foot
motion, creating a powerful spring in the step » (BWR,1 septembre 1992 Business Wire).
84 « Le sport n’est pas simplement une homologie du monde capitaliste, mais qu’il contribue à perpétuer et à
naturaliser l’ordre social des dominants avec ce qu’elle appelle, la suprématie de la productivité et de la
concurrence » (Laberge 1995 : p.58).
62
et de rentabilité, et ce, principalement avec l’avènement des grandes compétitions comme
le Tour de France ou les Jeux olympiques (Brohm 1976 : p. 59). Suzanne Laberge
anthropologue du sport et de l’activité physique, écrit à ce propos que le système sportif,
présente les conditions de possibilité d’une dépossession de sa pratique ludique et
spontanée pour en faire une pratique rationnelle dominée par la volonté d’améliorer sans
cesse ses performances (Laberge 1995 : p.58).
Le système sportif enrobe ainsi les athlètes dans cette logique de réussite et de
capitalisation, en plus de leur imposer des cadres réglementaires et institutionnels où, pour
être en mesure de performer et d’améliorer constamment ces résultats, il se doivent de se
soumettre à des substrats extérieurs à la discipline qu’il pratique. On a qu’à penser à la
médecine, la biomécanique, la psychothérapie, la psychologie, toutes ses disciplines
deviennent nécessaires à l’atteinte des objectifs (Laberge 1995 : p.58). La maitrise du corps
dans une pratique sportive n’implique donc pas uniquement l’athlète, elle implique
également une myriade d’acteurs qui s’engage à plusieurs niveaux pour conduire l’athlète
au sommet de la pyramide. La professionnalisation des athlètes paralympiens et de leur
l'entourage, au même titre que les athlètes olympiens, nous paraît être un élément important
à la progression des performances comme c’est le cas, entre autres, pour le comité
olympique australien :
« This involved a number of initiatives including recruiting coaches who were not necessarily part
of the disabled scene as such, but just good at their job, trying to mirror the Australian Olympic
Committee's training and support programs, and making the Federation itself more professional »
(Reed, Daily Telegraph, 24 août 1996).
Or, cette professionnalisation de l'entourage et des athlètes permet une progression
importante des performances et le mouvement paralympien s’y voit entraîné.
« This is what the Paralympics have become: high-level competition with full-time athletes who have
endorsement opportunities at stake » (Kragthorpe, The Salt Lake Tribune 23 septembre 2004).
Ces corps deviennent le véhicule du triomphe de la technique sur la nature, l’image de la
maîtrise de l’homme sur le corps. Pour Laberge, le corps se retrouve alors déshumanisé et
pratiquement abandonné aux objets de connaissances, il en vient ainsi à être objectivé par
les divers acteurs, mais également par l’athlète lui-même. Nous sommes d'avis que cette
63
vision quoiqu'un peu exagérée n'est pas complètement éloignée de la réalité, puisque le
rythme d'entrainement, l'alimentation, mais aussi les techniques du corps, la récupération
après l'effort, la concentration, bref, chaque aspect psycho-physiologique de la
performance sont pris en compte par des professionnels qui accompagnent les athlètes
paralympiens85.
Le corps handicapé et sa condition sont donc en ce sens, objectivés et le but éprouvé est
d’atteindre une normalité par rapport aux autres athlètes, mais aussi par rapport à la
normalité du corps « naturel ». Le but est également d’atteindre des performances, et ce,
en façonnant une santé physique avec l’aide des connaissances et la compréhension que les
divers domaines de la science ont de ce corps. Un problème particulier nous semble
émerger pour les athlètes en lien avec cette quête de performance, c'est l’abnégation du
corps. On observe en ce sens, un écart important entre la conception que l’on se fait du
corps parasportif prothétique, un corps réadapté, réhabilité, un corps en santé, et le
quotidien de ses athlètes soumis aux régimes, aux entraînements, aux résultats, aux
blessures, à la douleur et aux limites de l’amalgame entre leur corps et leur prothèse. Par
exemple, la variation du poids de l’athlète, peut potentiellement causer des problèmes
« d’emboîtement » entre la prothèse et le corps de l’athlète. Nous observons que la
conception que l’on tente de nous renvoyer de ces corps prothétiques dans une pratique
sportive de haut niveau est distorsionnée, puisque que l’état physique et de bien-être des
paralympiens n’est pas toujours arrimé avec l’image santéiste que l’on tente de véhiculer
de la pratique sportive et parasportive. Car bien que les records soient battus et que les
performances des paralympiens se rapprochent de celles des olympiens, il existe une limite
pour l’instant au confort et à l’agilité de ceux-ci. Pour mieux comprendre ses limites et
prendre la mesure des efforts déployés, observons brièvement le rapport qui se dessine
entre le corps prothétique et le sport de haut niveau.
85 « Dans les cinq groupes spécifiques endurance, force, psychologie, sports d’équipe et matériel, des
connaissances scientifiquement fondées et pertinentes en termes de performance sont évaluées et traitées au
profit des entraîneurs, des sportifs et des responsables de fédération. Des projets scientifico-sportifs sont
initiés conjointement avec les fédérations. Ceux-ci visent des objectifs réalistes, axés sur des succès
internationaux, et sont utilisables par les entraîneurs et les sportifs dans leur entraînement quotidien » (Swiss
olympic 2010 :32).
64
Chapitre 13 : Le corps prothétique et le sport
Ce que nous tenterons de faire dans cette partie de l’analyse, est d’apposer notre loupe sur
les points de jonction, mais surtout sur les points de rupture entre les diverses conceptions
du « corps sportif » afin de mettre de l’avant certaines causes des problèmes qui affligent
le mouvement paralympien et qui requestionnent les valeurs intrinsèques du paralympisme.
Nous l’avons vu, les processus d’adaptation et de réhabilitation ne sont pas des plus faciles
et les éléments qui mènent aux recouvrements de leur capacité ou à l’atteinte de certaines
capacités ne sont pas accessibles également à tous. En somme, les athlètes disent que la
prothèse leur permet de faire du sport compétitif, mais que leur mobilité et leurs
mouvements sont souvent limités par la relation entre leur corps et la prothèse.
En observant des archives vidéo de compétitions disputées à Séoul en 1988 lors des 1e Jeux
paralympiques, on remarque que les athlètes qui concourent dans l’épreuve du 100m
catégorie A2a9, contrôle difficilement la réaction de leur prothèse86. Le tout est souvent
douloureux et difficile pour les athlètes, le fait de pousser le corps à la limite, aux limites
d’un corps adapté, à un impact sur la santé et le bien-être de l’athlète. Comme l’exprime
Dennis Cole, prothésiste spécialisé dans le sport: « When we ask a person to subject himself
to running with a prosthesis, we're asking for trouble, because initially, it's traumatic to
the residual limb » (Pennington, Austin American-Statesman, 5 décembre 1989).
Certains athlètes relatent également des problèmes qu’ils ont rencontrés à la suite d’un
effort important.
« My body went into shock after that," he said. “Hence the reason I could barely run today or walk »
(Marlon Shirley) (Schaack, Deseret Morning News, 26 juin 2004).
Les parasportifs prothétiques réussissent à courir certes, mais leur corps est soumis à des
chocs qui limitent parfois les déplacements pendant un certain moment. Pour Tony Russell,
vice-président du marketing et du sport chez Flex-foot Inc. :
« In every other event (i.e. évènement “régulier”), the athletes compete in the same foot that they
walk around the street in," said Russell. The same shock absorption qualities that improve a high
jumper's performance allow amputees to perform everyday tasks without chafing and without the
86 https://www.youtube.com/watch?v=TCQpNYDTV-Q
65
heavyweight drag of an old-fashioned wood or rubber prosthesis, he said » (Tony Russell, vice
president of sales and marketing for Flex- Foot Inc.) (Higginbotham, Atlanta Journal and
Constitution, 13 août 1996).
Tout de même, les ajustements sont constants et les prothèses doivent être adaptées à
chaque individu pour permettre une utilisation optimale. Les ajustements pour adapter la
prothèse au corps de chaque athlète sont constant.
« Because there’s no control over the device, the knee has to go into full extension and then you
need a damper in the last few degrees so it doesn’t create any shock. You still need a range of
adjustment because each individual is different. Each damper, both flexion and extension, will have
an adjustment screw that can be tuned. Once the athlete starts running, the hydraulics can adapt
accordingly » (Kevin Harney, Asia regional president for manufacturer Otto Bock.) (Harris, The
Engineer, 19 septembre 2012).
Malgré les efforts pour maintenir une égalité, par l’entremise de la classification, une
certaine disparité existe entre les différents concurrents, révélant une distorsion avec une
conception des parasportifs prothétiques comme étant « plus-que-capable » ou encore ce
que l’on désigne anglais comme étant des « supercrip »87. Il faut savoir que les diverses
conceptions du corps prothétique en pratique sportive, sont soumises à une multitude
d’ajustements techniques et technologiques qui ont à la fois, une influence sur les
performances des athlètes, mais également sur la perception que les médias et le grand
public se fait de ces athlètes, instrumentalisant autour de ces perceptions, de ses corps, une
image du cyborg, ainsi que du « supercrip »
« Specifically in the context of Paralympic sport and for the purpose of this article, the supercrip is
the athlete who wins and also gains a relatively high-profile media exposure. Those athletes who
win but do not receive recognition in mainstream media are not supercrip in the context of the
Paralympics as they are often marginalized by the degree or nature of their impairment. This
marginalization is in part determined by the classification process that sports people with
impairments must undergo to determine their eligibility to compete. Also of importance in this article
is whether or not athletes use mobility technologies and, by extension, the degree to which they are
cyborgs. The process of making a cyborg I articulate as cyborgification as it is useful to understand
that in the contemporary world all our bodies use technology in some way. Our bodies can be placed
along a continuum from those that require very little technological aid to those whose lives benefit
from a great deal from technology. Paralympian wheelchair racers and prosthetic-wearing athletes
are the most explicit examples of cyborgification in sport today. » (Howe 2011: 869).
Pour David Howe anthropologue du sport, le terme supercrip que l’on appose aux athlètes
qui réussissent et sont reconnus, amène un questionnement sur le double standard qu’il
semble y avoir entre les athlètes dits supercrip et les autres paralympiens, qui paraissent
87 « In the context of Paralympic sport the most successful cyborg athletes may be seen as ‘supercrips’ »
(Howe 2011:869).
66
être maintenu dans la marginalité. Cette marginalité est selon David Howe induite par le
degré « d'incapacité » de la personne et la classification, mais nous pouvons aussi voir que
cette marginalisation des athlètes paralympiens se fait vis-à-vis des athlètes réguliers.
Puisque, malgré le fait, comme l'explique David Howe, que cette cybornification des
athlètes paralympiens ne soit que l'articulation du continuum technologique qui nous
affectent tous, ils en deviennent dans le regard des médias, la figure emblématique du
cyborg, du supercrip et ils sont maintenus de cette manière dans une certaine marge.
Encore là, c'est la question de la « capacité » de ses athlètes dans la pratique sportive de
haut niveau qui semble être le point de litige pour les diverses institutions qui régissent la
pratique, toutefois dans ce cas, ce sont les « capacités plus-que-humaines » qui
marginalisent ces athlètes. Nous constatons à la lumière de ces faits que les difficultés et
les efforts mis de l’avant par les parasportif pour atteindre un tel niveau de performance,
sont oblitérés par l’évaluation de leurs capacités. Nous le verrons cette question des
capacités prothétiques demeurent encore aujourd’hui un point de discussions importantes
sur l’avenir du sport et de l’olympisme et du paralympisme. C'est pourquoi dans la
prochaine section de l'analyse nous nous attarderons sur la place de la technologie et de
l'hybridation du « corps sportif » dans les mœurs et valeurs olympiennes et paralympiennes.
67
Chapitre 14 : Corps cybornfié et corps hybridé ; conceptions des « capacités » du corps prothétique
Les images du cyborg, de l’hybride et de l’homme bionique sont bien ancrées dans les
discours qui circulent sur ses athlètes prothétiques. Bien qu’aux regards de nos
observations, la technologie la plus récente utilisée par les athlètes, le Cheetah Flex-foot
permet d’avoir des résultats et des performances impressionnantes, l’équilibre, la mobilité
et la puissance demeurent tout de même, des points discutables et ce autant pour les
scientifiques qui évaluent les performances des athlètes, que pour les institutions sportives.
Puisque, comme nous pouvons l’observer avec, entre autres, le cas d’Oscar Pistorius,
comme avec bien d’autres, la perception et le regard que posent les médias comme le public
sur ces athlètes, les assujetties à une conception cybornifiante de leur corps, ce qui oblitère
la fragilité et les faiblesses que peuvent revêtir ces paralympiens.
« Wearing the Cheetahs, Pistorius looked fragile and unbalanced, less like a gazelle and more like
a young deer » (Samuel, New York Daily News, 1 juin 2008).
Il est intéressant de constater que les médias vont à la fois décrire et concevoir les athlètes
prothétiques comme Pistorius comme étant fragiles et vulnérables face à la technologie,
tout en projetant une image futuriste et cybornifiante, comme par exemple, en utilisant des
icônes de la culture populaire88 pour mettre en évidence leur différence. Paradoxalement,
dans une certaine recherche de normalité à travers une pratique sportive, les athlètes
prothétiques se retrouvent coincés entre les extrêmes, entre la fragilité et la superhumanité,
sans véritablement réussir à s'en extraire. De plus, selon ce que nous avons observé, cette
conception du corps prothétique, vient avec le développement des performances et de la
technologie, mais également avec l’esthétique du mouvement, c’est-à-dire, que plus les
technologies s’améliorent et plus le mouvement et la démarche de la personne, semble plus
« naturelle ». Pourtant, la technologie du Flex-foot s’inspire du règne animal et du système
88 Les références sont nombreuses mais notons particulièrement l'Homme de 6 millions « The Six Million
Dollar Man), série de science-fiction basé sur le roman Cyborg de Martin Caidin et diffusée entre le 16
janvier 1974 et le 6 mars 1978 sur le réseau ABC, ou encore Blade runner titre d'un film futuriste culte de
1982 de Ridley Scott, et sobriquet que l'on a affublé Oscar Pistorius en référence à ses lames (blades) qui est
le terme utilisé pour désigner la partie inférieure de sa prothèse, et au fait qu'il soit un coureur (runner).
68
de propulsion de l’antilope ou du guépard. La forme en « J » de la prothèse Cheetah Flex
foot est une imitation des pattes arrière de ces animaux.
Crédit: Emaze
Ce nouveau design de prothèses, est un bon exemple de la redéfinition des processus
biologiques permis par la fragmentation et le refaçonnement du corps. (Lafontaine 2008 :
150). Il devient un ensemble de systèmes ou de processus, il devient manipulable
transformable redéfinissable89. On ne cherche plus alors à imiter l’apparence, mais plutôt
le mouvement, permettant ainsi l’émergence de ces nouvelles technologies.
Bien que cette jambe, ou cette prothèse ait des limites (bris, inconforts, déséquilibres), il
n’en demeure pas moins qu’il y a eu des changements majeurs en ce qui a trait à
l’amalgame entre le corps handicapé et les prothèses. Cette transformation autour du corps
89 (...) la technoscience, dont la matrice est le modèle cybernétique, affecte, transforme et désagrège la
conception des êtres humains, conçus aujourd’hui comme un assemblage d’organes manipulables et
interchangeables, ou encore comme des êtres purement « informationnels », héritiers d’un riche patrimoine
génétique (Rodriguez 2004 : 110).
Crédit :Shutterstock
69
et de la prothèse, sont mises en exergue avec les performances qu’a réalisé le Sud-africain,
Oscar Pistorius.
Puisqu’en tentant de se qualifier pour les Jeux olympiques de Pékin de 2008, l’athlète
parasportif démontre, que le paralympisme n’est pas une pratique sportive de seconde
zone90, il devient alors un élément perturbateur à l’équilibre tacite du sport, un équilibre
illusoire qui tente de maintenir « l’artificiel » hors de ses arènes. Pourtant, cette vision
idyllique du sport de haut niveau est non seulement attaquée de toutes parts, mais elle
repose sur une dichotomie nature/culture qui s’enracine dans une vérité erronée, liée à une
image du sport exaltant les « capacités humaines » aux « naturelles »91.
« Coubertin met ainsi en garde contre « le culte du corps » qui risquerait d’engendrer un « monstre
sportif » (Coubertin 1913 p. 103-104), et contre « une initiation fallacieuse à la seule efficacité
technique » (Boulongne 1975 p. 23).
Cette frontière entre l’inné et l’acquis, entre talent et entraînement, entre nature et culture,
est au cœur de plusieurs débats, et le sport n’y fait pas exception. Plusieurs penseurs et
théoriciens se sont questionnés sur la place de la nature et de la culture sur le
développement du corps, que ce soit par les techniques du corps (Mauss 1934), l’habitus
(Bourdieu 1979) ou encore l’épigénétique (Lock 2013). La place qui est dévolue à la nature
(biologique) et la culture (société) est constamment retracée et la question de l’épigénétique
environnementale en est un exemple patent, puisqu’en intégrant l’histoire sociologique aux
affectent biologiques la ligne séparant ses idées s’en voit repousser voir pratiquement
effacé92. « En outre, cette conception de l’incorporation moléculaire de l’environnement
90 « Ces olympiades demeurent les parents pauvres des mouvements sportifs en termes de budget,
d’encadrement, de médiatisation » (Héas 2012 : 57). 91 « The idea of mutual construction of culture and nature and of organic interdependence between humans
and nature is not, of course, new. Engels (1934) saw what he called a ‘dialectics of nature’ operating in the
way in which nature and the natural environment affects and impacts on, as well as constrains and limit,
human (natural and cultural) activity, and vice versa. Nature and culture operate in a complex, dialectical
relationship both within and outside the human, and between them in what Marx calls the interchange or
metabolism (Stoffwechsel) of humans with nature (...) » (Giblett 2008: 17).
92 « Ainsi, les scientifiques tentent d’identifier les effets moléculaires de ces facteurs environnementaux sur
les corps des individus. Par exemple, comment le stress peut être corrélé avec des hormones comme le
cortisol. L’identification de tels liens conduit les scientifiques à penser qu’ils observent l’impact de
l’environnement au niveau moléculaire. Par exemple, comment le stress peut être corrélé avec des hormones
70
supprime toute distinction claire entre environnement interne et externe (…) » (Lloyd 2014
: 4).
Ce que nous remarquons également à ce chapitre, est que l’olympisme, qui se targue de
nous présenter un sport pur, représentant l’exaltation du corps humain au naturel, présente
pourtant des sportifs performant avec l’aide de plusieurs procédés d’entraînement et de
récupération, parfois légaux d’autres fois non, et ce, afin d’améliorer leurs performances.
Ainsi, lorsque la question des technologies palliatives s’insère dans le débat, on peut se
questionner face à la levée de bouclier de plusieurs, entre autres, de l’International
Association of Athletics Federations sur la place des prothèses dans le sport. Car en tentant
de compétitionner contre des « corps capables » (able-bodies)93 les athlètes avec prothèse
comme Oscar Pistorius questionneront non seulement l’idée du handicap et du modèle
sportif, mais également de l’humanité 94 , puisqu’il en vient à remettre en question
l’amélioration du corps humain et les limites qu’on lui impose et ce, autant dans le
quotidien, que dans la pratique sportive de haut niveau.
« Yes, every time Pistorius screws on his Cheetahs and lines up against able-bodied competition,
he'll inspire the masses. But he'll also force the sporting world to redefine the term "performance
enhancer," to reevaluate what is considered cheating and what is not » (Samuel, New York Daily
News, 1 juin 2008).
C’est pourquoi, il nous est apparu nécessaire de s’interroger sur les éléments constitutifs
des argumentaires institutionnels et scientifiques, car ce que nous remarquerons, est que la
conception du corps prothétique est démultipliée par les modélisations scientifiques des
comme le cortisol. L’identification de tels liens conduit les scientifiques à penser qu’ils observent l’impact
de l’environnement au niveau moléculaire » (Lloyd 2014 : 4).
93 « Le concept de « validisme » (ableism) utilisé dans les analyses anglo-saxonnes indique un biais des
programmes censés intégrer justement les PVAH. La pertinence du concept permet aux analyses
sociologiques de mieux prendre en compte, au-delà des douleurs physiques, les souffrances des personnes
ostracisées qui continuent d’être individuellement et collectivement confrontées aux barrières, aux injustices
et aux vexations dans leur vie sportive » (Héas 2012 : 57). 94 « Ils insistent ensuite sur le développement des technologies réparatrices du corps, en mettant en avant les
questions que cela pose sur la nature de l’humanité et les limites de celle-ci, et considèrent que le débat n’est
donc pas seulement un débat technique et sportif, mais un débat qui doit prendre en compte les nouvelles
possibilités de transformations technologiques du corps et les angoisses collectives suscitées par celles-ci
avant d’exclure ainsi un athlète « appareillé » (Marcellini 2010 : 153).
71
capacités du corps, et que ces modèles servent de basent décisionnelles aux institutions
face aux litiges qui émanent de la présence prothétique dans le sport. Observons la question
de plus près.
72
Chapitre 15 : Corps mesurable, corps moyen
La médecine 95 joue un rôle prépondérant dans la conception du corps paralympien
prothétique, nous l’avons constaté, ce que nous observerons dans cette partie de l’analyse,
est que la médecine n’est pas l’unique vecteur d’influence dans le réseau qui miroite autour
de ce corps, il y a d’autres domaines de la science qui ont une incidence dans l’univers
conceptuel du corps prothétique sportif, tels que la biologie, la physique, la chimie, et ce
particulièrement, lorsque nous observons la manière dont on évalue les capacités des
athlètes prothétiques. Nous verrons en ce sens, que la description des corps handicapés
dans la pratique parasportive est comprise en des termes quantifiables96 et circonstanciés.
De plus, ses données quantitatives recueillies par les experts et les scientifiques mandatés
par les institutions, décrivent plus souvent une vérité et non la vérité. Ce que nous voulons
signifier par cette affirmation, est le fait que le corps est souvent décrit par les différents
domaines de la science, comme la biologie, la physique, la chimie, par l’intermédiaire d’un
certain régime d’intelligibilité ce qui a pour effet en l’occurrence, que l’on présente parfois
une seule des nombreuses facettes de la performance sportive, limitant ainsi la valeur de la
comparaison. N’oublions pas que cet esprit de comparatisme97 est au cœur du modèle
sportif, et le corps parasportif prothétique n’y fait pas exception. Il est constamment
comparé dans ses performances et ses capacités, au corps sain, mais à quel corps sain ? Au
corps sain sportif et olympien ou à une norme biologique moyenne ?
Cet homme moyen fictif98 qui est érigé par les modèles scientifiques se veut une manière
de simplifier les questionnements sur la frontière entre la réparation et l’adaptation des
95« Les progrès de l’anatomie et plus généralement de la médecine et de la biologie ont précisé les arcanes
corporels. A tel point qu’aujourd’hui «la problématique des performances corporelles (est) indissociable du
discours médical » (Héas 2009 : 1). 96 « En d'autres termes, le système sportif fonctionne d'autant plus efficacement et le corps sportif est d'autant
plus productif que, d'une façon générale, les individus sont réduits à des unités purement quantifiables, et, en
particulier, leur corps est fractionné » (Bordeleau 1985: .257).
97 « La comparaison est d’ailleurs au fondement même du sport de compétition dès lors que la performance
suppose l’existence d’un classement permettant de discriminer les sportifs et leurs résultats » (Gasparini 2015
: 9).
98 « La fiction normative de la typologie n’avait pas de réalité observable, mais l’homme moyen est chimère
aussi. » (Boëtsch 2006: 29).
73
corps humains et l’amélioration des corps humains. Gilles Boëtsch écrit à ce propos : « (…)
toutes sciences construisent à titre d’idée régulatrices et de modèles explicatifs des fictions
théoriques réductionnistes afin de simplifier les systèmes complexes » (Boëtsch 2006 : 28-
29).
Ce qu’il faut comprendre sur ce point à notre avis, est que les modèles utilisés par les
scientifiques qui se sont penché sur la question de la place du corps prothétique dans le
monde olympique, ont exemplifié le corps avec ses capacités, ses limites, ses frontières à
l’intérieur du cadre sportif, se limitant à des a priori du corps handicapé. En ce sens, les
scientifiques qui se sont penchés sur la place des athlètes prothétiques dans le monde
olympique, ont tendance à apposer des modèles régulateurs au corps prothétique, ce qui a
pour effet d’évacuer les particularités et les subtilités de performer avec une prothèse. Les
véritables capacités physiques que ces parasportifs déploient pour maîtriser leur corps sont
souvent ignorées.
De plus, le fait de simplifier la situation des paralympiens en comparant les corps
prothétiques aux corps « normaux » expose une certaine subjectivité dans l’interprétation
des données, puisqu’en simplifiant et en modélisant, on choisit nécessairement des points
sur lesquels on s’appuie. Les problèmes sur l’interprétation des capacités physiques de
certains paralympiens provoqueront une controverse lorsqu’il sera question de comparer
les performances des paralympiens et des olympiens.
Car il faut se rappeler, que la comparaison des performances est en soi au centre de
l’univers sportif, la compétition sert à comparer les athlètes et à déterminer qui parmi les
compétiteurs est le meilleur de sa discipline. Le fair-play99 et l’égalité des chances sont des
valeurs intrinsèques au sport, nous l’avons vu, ils obligent aux athlètes qui compétitionnent
et se comparent, qu‘ils aient la même chance de l’emporter100. Pourtant, ce que nous
observons fréquemment dans le sport de haut niveau, est l’utilisation de procédés ou de
substances pour améliorer les performances. À ce chapitre, le paralympisme n’y échappe
99« Initially, out of a deeply ingrained sense of fair play, the gentleman amateurs rejected any form of
specialisation and (intensive) training, which they associated with the working culture of the lower classes
(Renson 2009: 11). They were convinced that real sport was more of an avocation than a vocation »
(Tolleneer 2013: 36). 100 « Les données chiffrées permettent, idéalement, de mettre en place les recommandations préventives ad
hoc : lois ou décrets visant la protection des jeunes sportifs, campagnes de sensibilisation à la violence
valorisant le respect de l’autre ou bien le fair play » (Héas 2009:2).
74
pas, l’utilisation de substances illicites a été répertoriée101. Ce qui nous intéresse toutefois
dans le cas présent, c’est la perception et la mesure de l’illicéité par la science et par les
institutions.
« There are three pillars to the WADA (The World Anti-Doping Agency) Code: for a ban to be
declared, a substance or technique must reflect at least two of them (WADA 2016a, pp. 30–31), as
summarised here
(1) A drug or method is, or has the potential to be, performance enhancing.
(2) A drug or method is, or has the potential to be, a risk to the health of athletes.
(3) A drug or method is against the ‘spirit of sport » (Adair 2017: 134).
À ce sujet, ce qui ressort de nos observations, est le fait que les interprétations des instances
institutionnelles sur les limites et les normes acceptables de la liciter du corps prothétique
diffèrent d’une institution à l’autre. Penchons-nous quelques instants sur la question des
institutions sportives et parasportives.
101 « Also like Olympians, some Paralympians have been found guilty of doping. As Collier has put it, ‘some
[adaptive] athletes inspire, others cheat’ (Collier 2008, p. 524). There is, nonetheless, an important ideal of
what is labelled ‘clean sport’, around which the Paralympic Games are a showcase » (Adair 2017: 134).
75
Chapitre 16 : Les institutions et le corps
Pour bien comprendre la suite de l’analyse attardons-nous quelques instants sur la question
de l’interrelation entre les acteurs et la complexification des différentes échelles
institutionnels qui s’emboîtent. L’institution olympienne et paralympienne coalisent les
principales fédérations sportives, qui elles chapeautent les fédérations nationales, qui à leur
tour rassemblent les organismes régionaux 102 . Elles ont leur propre système de
réglementation qui n’est parfois pas similaire à la réglementation olympienne et
paralympienne, ce qui occasionne des tensions à l’intérieur même des fédérations
nationales et régionales 103 . Dans le cas qui nous intéresse, nous observons, que les
décisions prises par l'Association internationale des fédérations d'athlétisme (IAAF:
International Association of Athletics Federations) ne s’allient pas à celles de l’institution
olympienne et paralympienne, puisqu’il semble exister un laissez-faire104 de la part de
l’institution olympienne et paralympienne, ce qui, avec, entre autres, le cas de d’Oscar
Pistorius occasionne des tensions et des conflits avec les autres instances fédératives105. Le
102 « Dans la majorité des pays, les mêmes types d'acteurs institutionnels se retrouvent au cœur
des transformations. Nous pouvons en repérer quatre : l'entité gouvernementale en charge des sports,
les comités olympiques et paralympiques, les fédérations sportives traditionnelles et les fédérations
sportives spécifiques. Au-delà de cette typologie commune, les relations entre les organisations et les
rôles joués par chacune d’elles sont néanmoins très mouvants en fonction du pays, de l’histoire des
espaces « sports et handicaps », des structures et des institutions. Chaque pays possède un mode de
gouvernance du sport très distinct, un ministère ou non chargé des sports, des relations plus ou moins
resserrées entre l’État et les organisations sportives, un nombre de fédérations spécifiques pour les
personnes handicapées différentes et une coopération aléatoire entre les fédérations. En lien avec ces
faits, les objectifs des politiques sportives auprès des personnes handicapées sont différenciés et
entraînent des organisations propres à chaque pays » (Bouttet 2015 : 9). 103 « L'étude des relations avec les fédérations spécifiques ou avec le ministère des sports, notamment par
l'intermédiaire du pôle ressources national sport et handicaps, met alors en exergue des luttes pour la manière
d'organiser la pratique des personnes handicapées. Ces luttes renforcent la visibilité et le positionnement des
différents acteurs impliqués dans les processus d'engagements fédéraux. Elles permettent aussi la
caractérisation d'un espace national « sports et handicaps » en pleine recomposition face à l'enjeu de
l'intégration des personnes handicapées au sein du monde sportif » (Bouttet 2015 : 386). 104 « The laissez-faire position is that advances in equipment—whether they be faster wheelchairs or more
efficient prosthetic limbs—have ripple effects in terms of the technical needs of sub-elite adaptive athletes,
or even non-athletes with adaptive needs » (Adair 2017 : 134). 105 « L'étude des relations avec les fédérations spécifiques ou avec le ministère des sports, notamment par
l'intermédiaire du pôle ressources national sport et handicaps, met alors en exergue des luttes pour la manière
d'organiser la pratique des personnes handicapées. Ces luttes renforcent la visibilité et le positionnement des
différents acteurs impliqués dans les processus d'engagements fédéraux. Elles permettent aussi la
caractérisation d'un espace national « sports et handicaps » en pleine recomposition face à l'enjeu de
l'intégration des personnes handicapées au sein du monde sportif » (Meziani 2012 : 25).
76
cas d’Oscar Pistorius est doublement intéressant en ce qui a trait au laxisme des institutions
et à la mesure du corps prothétique, puisque deux controverses entourant l’athlète ont
éclaté, et que ses controverses sont relatives à une conception du corps induit par la lunette
de la moyenne et de la normalité. La première controverse concerne l’évaluation des
capacités de l’athlète prothétique en comparaison aux capacités des athlètes olympiques de
courte piste. Ce que nous observons, est que la compréhension scientifique qui englobe les
décisions institutionnelles impose, comme nous l’avons vu, des conceptions modélisées du
corps, c’est-à-dire, un corps compris en des termes quantifiables106.
En observant le cas de Pistorius, nous constatons que les éléments quantifiables sur lesquels
s’appuient l’IAAF et le mouvement olympien pour prendre leur décision par rapport à la
présence d’un corps prothétique parmi les athlètes « réguliers », ne semblent pas
s’accorder. L’argumentaire de chacune des parties décisionnelles décrit le corps par des
éléments quantifiables qui a priori, semblent être objectif, or, en se penchant sur la question
d’un peu plus près, il nous apparaît que les mesures107 et les niveaux de compréhension
impliqués sont empreints de subjectivité108.
Ce qu’il faut comprendre ici, est le fait que, malgré les efforts incessants de la science pour
tenter d’être objectif 109 , nous observons qu’elle ne vit pas en vase clos, qu’elle est
106 « Les performances des (corps) sportifs sont de plus en plus quantifiées. Cette caractéristique n’est pas
nouvelle et existait au moins dans son principe dans le cadre des Jeux antiques en Grèce, celui des cirques de
l’empire romain ou des pratiques corporelles au cours du Moyen Age ou de la Renaissance. Par contre,
l’association de la performance avec la notion de record est plus récente » (Héas 2009 :2). 107 « La mesure des corps humains n’est pas une nouveauté. Elle peut même être considérée comme l’une
des avancées majeures des sciences occidentales. La mesure objective (en fait culturelle !) avec les
centimètres, les secondes, etc., spécifie le rapport au corps humain en Occident par rapport aux usages
corporels dans d’autres aires culturelles. Le corps occidental a été progressivement mis à plat, objectivé, en
distendant ses relations avec la Nature, avec les Autres [1] et finalement avec l’Individu lui-même. Ce
processus d’objectivation au long cours a permis l’émergence de cet objet scientifique : le corps anatomisé »
(Héas 2009 : 71). 108 « Sur un supposé donné biologique stable s’opèrent des modifications sociales et culturelles différentes,
selon la place occupée dans une société particulière à une époque donnée. Ce faisant, ces articles montrent
bien que les savoirs sur le corps ne sont jamais neutres. Ils masquent trop souvent l’ethnocentrisme des
frontières culturelles, de classes sociales, d’âge ou de sexe » (Fournier 2008 :3). 109 « Comme toute pratique, les statistiques sont polysémiques, la mesure est ambivalente. La mesure sportive
ou artistique devient « fétiche faitiche » selon le jeu de mot de B. Latour (1996). L’auteur rappelle ainsi que
dans la culture occidentale comme dans toutes les civilisations, des événements qui se répètent notamment
font partie intégrante de croyances, ou à tout le moins d’usages fétiches. En Occident, les découvertes et les
avancées scientifiques peuvent être utilisées aussi dans ce sens mythologique » (Héas 2009 :5).
77
imbriquée dans la vie sociale et politique110, et plus encore, la science est interdépendante
d’elle-même, c’est-à-dire du développement et des interconnexions entre les diverses
sphères de la science où s’entremêle, entre autres, dans le cas qui nous occupe, l’ingénierie,
la médecine, mais également l’institution sportive et ses structures, médiatiques,
financières et politiques, qui encadrent et régissent le développement du corps prothétique
dans la pratique sportive. Ce réseau d’interaction comme l’ont décrit Latour, Law et Callon
(1979, 1984, 1986), agit à la fois sur la compréhension des corps et sur les corps eux-
mêmes, puisqu’en observant les liens qui unissent ces acteurs autour du corps de l’athlète,
forcé de constater, qu’ils ont tous une influence sur ce corps, mais aussi sur les autres
acteurs comme les entraîneurs, physiothérapeutes, préparateurs physique, mais aussi les
médecins et scientifiques qui sont pris à partie dans ce contexte de sport de haut niveau. Ce
que nous avons observé en ce sens, est que le développement des technologies force
constamment les institutions à réviser leur système de classification, ce qui contraint
parfois, les laboratoires prothésiste à adapter leurs prothèses aux contraintes
réglementaires, c’est entre autres, le cas avec la place des technologies actives et de
proprioception111 dans la légifération olympienne paralympienne.
Cela a, entre autres, pour effet de limiter la transformation de certaines technologies, mais
également cela provoque une certaine disparité entre les athlètes, principalement en ce qui
concerne l’accès aux technologies les plus récentes. La compréhension des structures
internes et externes du corps, et leur imitation par système bionique résultant dans le cas
présent à une prothèse, est circonvenue d’une part, par l’avancement des technologies, des
matériaux, mais aussi par un certain changement des comportements et du rapport de la
société face au handicap. Le questionnement qui nous occupe réfère implicitement à la
perception du handicap dans notre société et à la limite que nous nous imposons face à
110 « Les technosciences désignent la science telle qu’elle se fait et non telle qu’elle se dit (science pure,
autonome), en substituant aux ruptures et démarcations une population hétérogène d’acteurs liés en réseaux »
(Bensaude-Vincent 2012 : 591). 111 « Proprioception is a main sensory channel facilitating feedback information about force, velocity,
displacement or actual position of a segment relative to another segment or the whole body relative to
gravity. Proprioceptive information arrives via different sensors in the skin, muscles and joints during either
static or dynamic conditions in reaction to self-motion of the segments or the whole body, and provides
sensation of movement (kinesthetic sense), muscle tension, balance and force (a sense of effort) »
(Liebermann 2006 : 9 ).
78
notre devenir. Ces questionnements conditionnent également le régime égalitaire qui doit
exister dans l’univers sportif.
79
Chapitre 17 : Égalité des chances et avantages dits injustes
En se penchant sur le paralympisme, et, entre autres, sur les athlètes avec amputations aux
membres inférieures, nous pouvons observer que la compréhension du corps amputé avec
prothèse se fait sur la base d’une compréhension scientifique du corps qui évalue les
aptitudes de l’athlète en des termes quantifiables et normatifs. On parle, entre autres, de la
biométrie112, anthropométrie113, et du métabolisme de l’athlète, c’est-à-dire, la mesure des
composantes chimiques et biologiques du corps qui détermine une valeur normative que le
corps humain peut développer. Plus spécifiquement dans le cas qui nous occupe, soit les
athlètes paralympiques prothétiques la question de l’évaluation des capacités développées
est mise en cause.
« Finally it was shown that fast running with the dedicated Cheetah prosthesis is a different kind of
locomotion than sprinting with natural human legs. The "bouncing" locomotion is related to lower
metabolic cost » (Joshi, Bar & Bench, 24 juillet 2012).
Nous l’avons vu le métabolisme et la réaction du corps amputé à l’effort intense, n’est pas
la même qu’un corps non-amputé. C’est pourquoi des régimes et des entraînements
spécifiques ont été élaborés pour les athlètes prothétiques. Il nous apparaît en ce sens, que
les bases de comparaison que les institutions sportives et juridiques utilisent pour quantifier
les capacités des parasportifs devraient être révisées, c’est-à-dire, que l’on devrait prendre
en compte les différences systémiques des corps amputés, sans pour autant tomber dans le
particularisme. Puisqu’il faut toute de même convenir, que chaque athlète à son unicité :
112 « (…) biométrie, « traçabilité » des conduites alimentaires ou dopantes appartiennent à ce dernier registre.
Or le sport, et en particulier le sport de haut niveau comme laboratoire expérimental de la performance
humaine, incarne pleinement cette dynamique. L’optimisation toujours renouvelée des paramètres techniques
et psychologiques de la performance illustre un héritage des Lumières dont le XIXe siècle, celui de la
naissance du sport moderne, consacra l’effectivité en étalonnant la force et le mouvement humains : le culte
du progrès » (Queval 2011 : 197). 113 « D’où, au XIXe siècle, avec l’apparition des sciences humaines, l’essor des mesures et statistiques
appliquées à l’humain (sociométrie, économétrie, anthropométrie) et l’invention d’appareils graphiques
destinés à quantifier la force humaine. L’objectif est de définir l’être humain normal, moyen comme chez
Adolphe Quételet, autant que de spécifier les marges de l’anormal ou de l’extraordinaire » (Queval 2011 :
200).
80
« They also need to recognise that each athlete is unique and understand how this uniqueness may
require some modification to their coaching style and/or coaching emphasis to obtain the greatest
performance enhancement with the lowest risk of injury » (Keogh 2011: 236).
Or, les instances fédératives et particulièrement IAAF, ont tenté d’exclure ces athlètes et
en particulier, Oscar Pistorius des compétitions avec les athlètes « réguliers » sous prétexte
que la présence de la prothèse Cheetah Flex foot procure à l’athlète Sud-africain un
avantage sur les autres athlètes qui n’ont pas incorporé cette technologie. L’IAAF base sa
décision d’exclure Pistorius en s’appuyant sur des données scientifiques qui semblent
prouvées hors de tout doute que l’athlète, par l’utilisation d’une prothèse de type Cheetah
Flex foot, possède un avantage sur les autres athlètes dits « régulier ». Ainsi, après avoir
observé et analysé les capacités de l’athlète en laboratoire, les scientifiques mandatés par
l’IAAF ont conclu que l’utilisation de la prothèse procurait à Pistorius un avantage injuste
sur les autres athlètes n’utilisant pas cette technologie.
« During a two-day study of Pistorius in mid-November, German professor Gert-Peter Bruggemann
discovered that the carbon-fiber blades were energy-efficient, generating power. He also found that
Pistorius consumed 25% less oxygen than the average runner » (Samuel, New York Daily News, 1
juin 2008).
En concevant le corps prothétique sportif à travers un modèle énergétique et d’oxygénation,
non seulement on réduit la complexité du corps, mais également on utilise une approche
sélective dans le choix des éléments à considérer comme étant relié à une situation juste ou
injuste de la part des instances institutionnelles. Puisqu’il semble que pour l’institution, de
modifier son corps par des paramètres externes (prothèse) n’est pas, dans l’optique de
l’IAAF acceptable, alors que d’utiliser des technologies qui modifient les composantes
internes du corps comme par exemple la tente à oxygène, est acceptable.
« The IAAF, while placing limits on devices that assist athletes, has at the same time embraced
technology, allowing, for example, athletes to sleep in tent-like structures designed to improve their
ability to carry oxygen » (McLaughlin, The Scotsman, 13 juillet 2007).
Pourtant, dans les deux cas, il semble y avoir un écart à la norme humaine en ce qui a trait
au niveau d’oxygénation du sang. Toutefois, l’utilisation de tente à oxygène n’est pas
prohibée. Pour bien comprendre l’arbitraire114 qui réside dans ce cas de figure, il nous faut
114 « A certain arbitrariness exists when it comes to determining which technologies are acceptable," he says
(George Dvorsky, a director at the Institute for Ethics and Emerging Technologies) (13 juillet 2007 The
Scotsman)"Tiger Woods has Lasik surgery. Does that mean he's cheating?" says Gilbert. "Is it cheating to
have Tommy John surgery? Where do you draw the line? » (Samuel, 1 juin 2008 New York Daily News).
81
mettre le corps parasportif en perspective et être capable de prendre la mesure de
l’importance des valeurs qui animent le mouvement olympien et paralympien. Le désir
humaniste, quasi-religieux, qui est au cœur de l’institution, que nous avons observé plutôt,
expose la volonté de maintenir par le sport le culte de l’humain115. Ainsi, lorsqu’émerge
l’athlète paralympien avec des prothèses presque aussi efficaces que les membres naturels
d’un athlète olympien, la figure idolâtrique qu’est le champion olympique, est remise en
question. La conception naturelle du corps, ce « corps-œuvre116 », qui se dégage des
valeurs olympiennes entre en conflit avec l’utilisation de technologies palliatives,
puisqu’une aide mécanique, une aide artificielle est en rupture avec l’idéal corporel
olympien, qui lui est « naturel », pour les normes institutionnelles en place.
La question de la transformation du corps par la technologie semble à la fois influencée par
les valeurs institutionnelles face à l’égalité des chances, et par leur conception dualiste du
corps que nous avons observée précédemment. L’argumentaire scientifique se limite
souvent à un cadre normalisateur, élaboré autour de normes et de capacité que le corps
humain peut développer, alors que la véritable place des processus palliatifs et réparateurs
dans le sport est souvent évacuée. En évitant ou en négligeant de se poser des questions
comme : Comment les athlètes évoluent-ils avec les prothèses ? Est-ce uniquement la
prothèse qui procure un avantage ? En passant outre ces interrogations, on limite la
compréhension de la situation à des mesures quantitatives.
La question de l’avantage ou non sur les autres athlètes nous paraît relative, dans la mesure
où, d’un produit à l’autre et d’un athlète à l’autre, la performance sera différente.
L’étiquette d’avantage injuste117 que l’on a tenté d’accoler à certains parasportifs comme
Oscar Pistorius, se base sur l’idée que ces parasportifs ne devraient pas être en mesure de
dépasser la limite naturelle que leur « corps normal » pourrait leur procurer. On peut à ce
115 La « sportivisation des moeurs » répond, en ce sens, à ce nouveau culte d’un corps comme vaisseau amiral
de la vie bonne. Les critères de l’intégration sociale et professionnelle sont confortés par des pouvoirs
affirmés, techniciens sur le corps : santé, beauté, jeunesse éternelle, « forme » (Queval 2011 : 209). 116 « (…) l’injonction médicale à faire de l’exercice, révèle le culte contemporain d’un corps-œuvre,
indéfiniment perfectible » (Queval 2012 : 26). 117 « The role of unfairness is only applicable, though, if the nature of the product in question is determined
as an advantage over other athletes or as an "advantage over the sport" » (Gardner 1989: 25).
82
chapitre s’interroger sur le choix des limites imposées à ces athlètes par les institutions et
les domaines de la science impliqués dans les prises de décisions.
« What needs to be established is: what is deemed to be an advantage and on what basis is that so?
Is it the mechanics or the physiology? Although we agree that these two are interconnected in terms
of biomechanics, there should be some kind of limit or a regulation as to what can be influenced by
a prosthetic designer or manufacturer. Moreover, to what extent is the use of prosthetic aids similar
to the use of performance-enhancing drugs or, perhaps more importantly, the use of technology in
sporting equipment and accessory design/manufacture (for example, swimsuits, footwear,
footballs)? » (Chockalingam 2011: 482).
Le dopage comme la prothèse incarne ainsi la rupture de cet idéal du corps humain au
« naturel ». Cela s’explique en partie par le fait que le sport incarne :
« (…) encore un idéal de la démocratie – égalité des chances, ascenseur social, transparence des
règles et de l’État de droit, un mythe de la pureté et de la santé, que le dopage trahit. La « traçabilité
» de la performance est le leitmotiv du sport, le garant de sa crédibilité. En écho d’une nouvelle
passion sociale pour la transparence, la traçabilité, la pureté, et non sans des excès certains et des
questionnements quant au respect des « droits de l’homme » par la lutte antidopage dans ses
contrôles longitudinaux par exemple, la tricherie apparaît inacceptable à ce titre. L’enceinte
méritocratique du sport entretient le mythe d’une contre-société vertueuse » (Queval 2011 :207-
208).
C’est ce qui nous semble être le point de fracture des litiges qui sont apparus sur cette
question de l’avantage que pourrait procurer une prothèse comme la Cheetah flex-foot. Il
faut à ce chapitre se rappeler que le sport dans son essence vise à couronner celui qui se
démarque du lot, celui qui est au-dessus de la normale. Or, cette normalité est changeante
selon ce que la science connaît et comprend des phénomènes corporels nous l’avons vu, ce
qui est important d’observer ici, est la manière dont on détermine ce qui est plus que
normal, ce qui est plus qu’humain. Ce regard que pose les institutions sportives sur le corps
prothétique et les paramètres de la surhumanité sont biaisés d’une part, par l’idée
symbolique qu’ils entretiennent du corps au naturel, et d’autre part, par l’idée que la science
et principalement, la science médicale, est en mesure de tracer une frontière entre des
capacités supérieures « normales » et des capacités supérieures « anormales ». Puisque
comme l’explique la sociologue du sport et de l’adaptation physique Anne Marcellini :
« (…) la fonction symbolique majeure du spectacle sportif est certes, celle d’une mise en
scène du dépassement de l’Homme, mais aussi et dans le même temps, celle de
l’affirmation et de la recherche des limites biologiques de l’Homme » (Marcellini 2010
:142)
83
Cet aspect de la problématique, nous l’observons lorsqu’on se penche sur la version de la
défense d’Oscar Pistorius devant le tribunal arbitral du sport. On observe que l’analyse des
performances de Pistorius par des scientifiques du MIT (Massachussetts Institute of
Technology) conclu que la technologie qu’utilise l’athlète ne lui procure pas davantage
significatif sur les autres athlètes qui n’utilisent pas cette technologie. Au contraire, l’étude
conclut que l’utilisation de la prothèse est moins efficiente qu’une jambe « normalement
constituée ». Ce qui fait que d’un côté on évalue que l’oxygénation du sang ainsi que le
retour énergétique des prothèses sont supérieures à une jambe normalement constituée,
alors que de l’autre on arrive plutôt à la conclusion que le retour énergétique est supérieur
pour la jambe dite « naturelle », et que la meilleure oxygénation du sang due à l’absence
de circulation sanguine dans la prothèse n’avantage pas significativement la performance
de l’athlète.
« The IAAF tested Pistorius in laboratory conditions last November in Cologne. Scientists there
decided he had a considerable advantage. Pistorius himself obtained contrasting opinions from
American experts at the Massachusetts Institute of Technology in Boston » (Wilson, Daily Mail, 17
mai 2008).
Les conclusions des experts du MIT sont considérablement éloignées de celles qu’ont tirées
les scientifiques allemands mandatés par l’IAAF alors que pour eux :
« The "J" curve is compressed at impact, storing energy as well as absorbing high levels of stress
that would otherwise be absorbed by the knee, hip, and lower back. The "J" then returns back to its
original shape, releasing a percentage of the stored energy and propelling the user forward. Studies
have shown the "J" curve can return around 90% of the load applied to it. In contrast, a normal
able-bodied foot and ankle system can return 249 % » (Samuel, New York Daily News, 1 juin
2008).
Étant également plus près de l’avis des scientifiques du MIT, Donna Fischer, prothésiste
chez Ottobock, soit la firme à l’origine de l’élaboration des prothèses Cheetah flex-foot,
précise que les lames renvoient le même niveau d’énergie produit par l’athlète.
« Fisher, who works for Ottobock, which provides repairs for Paralympic athletes, added: "The
blades will give energy back out, but the energy is equal to the energy that goes in -- and that's
powered by the athletes » (prosthetist Donna Fisher) (Lee, Agence France Pressse, 3 septembre
2012).
Ce que nous constatons ici, est que les domaines de la science conçoivent le corps sur
différents régimes de représentation ce qui permet une place non seulement à
l’interprétation, mais aussi laisse de la place à la critique, puisque les cadres et les limites
84
imposés sont relatifs à des modèles d’intelligibilités réductionnistes. C’est ce qui explique
en partie les disparités entre les différentes conclusions obtenues par les scientifiques
mandatés. On parle ici, entre autres choses, d’un corps régi par les lois de la
thermodynamique exposant un corps qui emmagasine l’énergie et la libère. Selon cette
conception :
« Le corps humain est modélisé par un système ouvert (avec entrées et sorties de masses : aliments,
air inspiré et expiré, etc.), qui transfère de l’énergie (chaleur et travail) avec son environnement.
Lorsque l’homme se nourrit, les aliments absorbés sont dégradés en éléments simples selon des
transformations biochimiques qui fournissent de l’énergie. L’énergie produite lors de ces processus
(appelée métabolisme en physiologie) est comparable à celle qui résulte d’une combustion. Les
réactions chimiques relatives à la transformation des aliments en énergie s’accompagnent de pertes.
De même, la dissipation dans les vaisseaux sanguins, ainsi que les différents transferts-chaleur
internes avec chute de température, sont sources de pertes. Ces pertes sont appelées irréversibilités
internes en thermodynamique. Elles sont liées à l’accroissement d’entropie, dû aux opérations
internes, qui est toujours positif ou nul selon le Deuxième principe (De la loi de la
thermodynamique) » (Batato 1989 : XIII).
Si l’on se fie à la logique empirique de la science et aux lois de la thermodynamique, les
études et les résultats obtenus devraient être relativement similaires, si en effet la
compréhension que l’on se fait de ce corps se limitait à une mesure des capacités
énergétiques qu’il possède, or, les résultats qu’obtiennent les scientifiques sont fluctuants.
La question de l'énergie développé et du retour énergétique118 de la prothèse est un bon
exemple des problèmes que peuvent occasionner une compréhension partielle du corps des
athlètes prothétiques.
« With the introduction of prosthetic feet specialized for running and sprinting, amputees can
achieve higher running speeds with lower energy consumption than would be possible using regular
prosthetic feet. Furthermore, using running-specific prostheses may allow amputee runners to
achieve higher speeds and similar metabolic costs compared to non-amputee runners. Nevertheless,
data regarding the influence of running-specific prostheses on metabolic costs and running speeds
are still controversial, and more research is needed to clarify this point » (Bragaru 2012: 292).
Selon ce que nous avons observé, cela s’explique en partie parce que la méthodologie varie
d’une fois à l’autre, et parce que dans un cas, on calcule les capacités déployées sur toute
la course, alors que dans l’autre cas, c’est-à-dire les scientifiques mandatés par l’IAAF on
calcule les capacités de l’athlète au maximum de sa performance, c’est-à-dire en pleine
vitesse, sans prendre en compte les importantes variations qui existent dans les différentes
118 « Based on biomechanical experiments, it was reported that he (Oscar Pistorius) was able to run at the
same speed as able-bodied athletes with lower energy consumption » (Chockalingam 2011: 482).
85
étapes de sa course (départ, virage, problèmes techniques, etc.). Cela, on l’observe avec les
limites et les difficultés que ces prothèses imposent dans la gestion de la course.
« There are other drawbacks to the skinny prosthetics. No traction on rain-soaked tracks. Little
balance in the starting blocks. And then there are the falls. Without the freedom of motion of a
normal ankle, Pistorius struggles to negotiate curves. For every moment that he puts the world on
notice, there's a race where he hits the track - hard » (Samuel, New York Daily News, 1 juin 2008).
Qui plus est les scientifiques sont également dépendants des changements technologies
d’analyse et de capture d’image119.
« These data seemed to confirm their finding of similar swing times between prosthetic and intact
limbs; a finding that would tend to contradict the view of Weyand and Bundle (2010b) that bilateral
transtibial amputee sprinters produce supra-physiological step frequencies as a result of the
reduced inertial characteristics of their prostheses. However, Weyand and Bundle (2010c) contend
that the use of 30 Hz video footage by Grabowski et al. (2010) is insufficient to make such a
conclusion » (Keogh 2011: 239).
Les instruments120 qu’utilisent les scientifiques pour mesurer et comprendre le corps sont
supposés distancer le scientifique de son sujet et ainsi instaurer une objectivité à l’étude.
Le corps prothétique demeure tout de même conçu par des perspectives dans lesquelles sa
compréhension est engagée, c’est-à-dire, qu’en mesurant les capacités de l’athlète par le
retour énergétique développé par foulée, et par sa capacité d’oxygénation de son corps
durant l’effort, en comparaison à une moyenne relative, on interprète le corps prothétique
à travers un cadre d’intelligibilité qui est restreint. C’est pourquoi certains scientifiques
dont le professeur en génie des systèmes industriels, James Richard Wilson, questionnent
119 « A large assortment of motion analysis systems were used in the investigations (Table2), with the vast
majority being validated and commercially available systems 17–20 such as Vicon (Vicon Motion Systems
Inc., USA), MAC (Motion Analysis Corporation Inc., USA) and Qualisys (Qualisys AB, Sweden). In the past,
capacity and processing limitations of the available systems meant that a limited number of markers could
be placed and the processing time took several minutes 17 depending on the system utilized. In a comparison
study of different systems, Eharaetal. 17 applied five markers (active or passive, depending on the system) to
one side of the body and collected three seconds of data at 50–60Hz. The processing time for the systems
ranged from 10 seconds to 28 minutes, with the fastest system utilizing an active marker setup, although
many passive systems were very close (15–47seconds). Frequency of data capture in the reviewed studies
ranged from 50 Hz (23papers) to 600 Hz (1 paper 21) (mean 85, SD 78) » (Rusaw 2011: 11-12). 120 « Il distingue trois phases dans lesquelles gestion des instruments et production de savoirs sont
mutuellement redéfinies. Il rend compte des liens complexes entre politique technique et production de
connaissances en mobilisant la notion de régimes de savoirs. Morgan Jouvenet montre alors l’importance du
rapport des chercheurs à leurs instruments, notamment à travers la valorisation des pratiques de « bricolage
» qui caractérisent la culture professionnelle dont se réclament les physiciens d’un groupe de laboratoires en
nanosciences » (Vinck 2007 : 162).
86
cette approche qui réduit le niveau de complexité de la problématique à une conception
thermodynamique de ce corps.
« Some studies have investigated transtibial amputee biomechanics in terms of muscle work and
energy transfer. The influence of the prosthetic device has been explored using the energy transfer
approach as well as the traditional gait analysis approach, comparing kinematic and kinetic
variables. Each of these studies has contributed to the advancement of the descriptive techniques
used to gain insight in to the physiological adaptations the amputee employs to run; however, it
should be noted that such methods assume rigid body kinematics. Rigid body models have been used
extensively and are a useful, convenient approach to studying able-bodied biomechanics, but these
models may not be ideally suited to observing amputee biomechanics, especially when considering
the use of running prosthetic devices. It has been suggested that the varying levels of amputation
and differences in the prosthetic devices prevents direct comparison between sound and prosthetic
limbs or between subjects when using rigid body models. Amputees tend to exhibit asymmetric gait
patterns, so it is not surprising that inter-limb symmetry has been investigated extensively by
comparing measured gait parameters of amputees » (Wilson 2009: 219).
Ce modèle du corps rigide (rigid body models) explique-t-il, peut s’appliquer à une analyse
cinématique, c’est-à-dire, l’étude des mouvements indépendamment des éléments qui les
produisent, le tout dans une perspective temporelle, ainsi qu’à une analyse cinétique se
rapportant dans ce cas au mouvement du corps et aux mécanismes impliqués dans la
progression du mouvement d’un corps apte (able-body), mais pas à l’analyse d’un corps
handicapé et encore moins un corps avec prothèse. Devant ce constat, la légitimité de
statuer clairement sur l’avantage ou non d’un athlète comme Oscar Pistorius, sur des
athlètes aptes, semble très faible, ce qui entraîne un vide et positionne les athlètes comme
Pistorius dans un cadre conceptuel ambivalent que certains qualifient de monstrueux121.
« Under these conditions, when the South-African contended with able-bodied opponents, questions
remained concerning how he could be ranked amongst the other competitors. With regard to
category, his predicament was unthinkable: it constituted a monstrosity » (Issanchou 2018: 698).
Cet embrouillement de la corporalité cette perte de frontière 122 entre le corps et la
technologie engendre un questionnement sur la limite et la mesure de cette limite, c’est-à-
dire qu’il apparaît difficile de déterminer cette limite, cette frontière entre la nature et la
121 « Celles-ci ne savent pas déterminer si ses performances sont dues à son corps ou à ses prothèses. Ainsi,
lorsqu’il est autorisé à concourir contre des athlètes non appareillés elles le placent dans une situation de «
monstruosité » car tout en le catégorisant comme « sportif » elles ne lui octroient pas les caractéristiques de
cette catégorie : la comparabilité certifiée des performances qui hiérarchisent les concurrents entre eux »
(Léséleuc 2016 : 513). 122 « L’effacement des frontières entre médecine thérapeutique classique et médecine d’amélioration
constitue une des caractéristiques principales de la biomédecine du XXIème siècle. Dans la biomédecine
contemporaine, les nouveaux médicaments et technologies thérapeutiques peuvent être utilisés non seulement
pour soigner le malade, mais aussi pour améliorer certaines capacités humaines. La médecine n’est plus
thérapeutique » (Missa, 2009 7).
87
culture, entre l’humain et le plus-que-humain. De manière spécifique, il apparaît pour
l’instant difficile de théoriser sur les éléments qui composent cette limite, c’est-à-dire quels
sont les valeurs systémiques du corps qui exposent un avantage ou non sur les autres
athlètes. Car comme nous l’avons vu, l’utilisation des modèles basés sur l’échange
énergétique et la thermodynamique sont difficilement duplicable et souvent incomplet.
Nous verrons d’ailleurs dans la prochaine section que d’autres méthodes de mesure ont été
utilisées pour déterminer l’illicéité des prothèses dans l’univers sportif.
88
Chapitre 18 : Corps « normal » et corps performant
Après une récente participation aux Jeux olympiques, Oscar Pistorius entame les
compétitions paralympiennes avec une tonne de pression. Contre toute attente, le sud-
africain se fait ravir la première place lors des épreuves de 100m et de 200m dans la
catégorie T44 par respectivement le britannique Jonnie Peacock123, et le brésilien Alan
Oliviera124. Une nouvelle controverse éclate cette fois entre le Brésilien Oliviera et le Sud-
africain. Pistorius amer de sa défaite soutient que le brésilien, a profité d’un avantage
injuste en utilisant des prothèses démesurément longues.
« A year ago, these guys were over here," Pistorius said, holding his hand level with his nose. Then,
raising it above his head, he added: "They're a lot taller and you can't compete (in) stride length."
"He's never run a 21-second race and I don't think he's a 21-second athlete »
(Leicester, Associated Press Newswires, 5 septembre 2012).
Pistorius avance, que son opposant qui l’a battu n’est pas un coureur capable de descendre
sous la barre des 21 secondes, que sa physionomie « normal » ne devrait pas lui permettre
ce type de performance. Ce que Pistorius induit par cette idée est à la fois, la complexité
de la situation et le fait que le corps à sa propre limite, que seul un avantage injuste peut
lui permettent d’excéder.
« It just doesn't make sense to be walking around on your day legs at one height and then you're six
inches or so taller on your running prostheses," he said » (Oscar Pistorius) (Leicester, Associated
Press Newswires, 5 septembre 2012).
Pourtant, Oliviera arbore des prothèses tout à fait conformes aux règles instituées. Ces
règles en question s’ordonnent autour du postulat que, la mesure des corps se base sur une
anthropométrie normative, ce qui représente l’extrapolation d’un corps normalement
constitué. Cette extrapolation du corps handicapé, se base sur la mesure des segments du
corps de l’athlète, qui eux sont croisés avec une échelle de mesure normative établie à partir
d’une moyenne des corps normaux du même acabit.
« Upper limits for artificial leg lengths are calculated using a mathematical formula based on the
length of an athlete's arm span as well as the distance from their sternum (chest) to the tip of the
affected limb or limbs » (Lee, Agence France Presse, 3 septembre 2012).
123 https://db.ipc-services.org/sdms/hira/web/results/event/PG2012ATM00144010000 124 https://db.ipc-services.org/sdms/hira/web/results/event/PG2012ATM00244010000
89
Nous remarquons que la manière de déterminer la limite de la longueur de jambes
artificielles, est calculé selon les mesures des segments du corps de l’athlètes, puis selon
les mensurations de celui, il extrapole la longueur probable du membre remplacé ou absent,
avec une certaine marge de manœuvre.
« An additional 3.5 percent of that calculation is factored in to replicate running action, where a
non-disabled athlete runs on his or her toes, he explained » (Peter Van Der Vliet, the IPC's medical
and scientific director) (Lee, Agence France Presse, 3 septembre 2012).
L’approximation due à une conception normative des mesures anthropométriques, a pour
résultat que l’institution permet un écart de 3.5 % en ce qui concerne la longueur des
prothèses. Que peut-on en déduire de ses observations, d’abord, que le « manque de clarté
» 125 de l’institution sur cette question s’inscrit dans la logique performative que s’impose
le sport de haut niveau, et que cela a pour conséquence, un développement inégal des
performances et des technologies.
« Although the material and design aspects of the prosthesis might have a mechanical advantage
over the ‘human leg’, it is difficult to quantify these ‘skills’ and ‘clinical intervention’. Furthermore,
the ‘performance’ will also be based on the clinical condition or the pathogenesis » (Chockalingam
2011: 482).
Qui plus est, il nous paraît notable que la présence du mouvement olympique, ainsi que les
moyens logistiques, financiers et médiatique qui s’y adjoignent, ont propulsés les
paralympiens dans un tourbillon mélioratif. En cherchant à repousser constamment les
limites et la réglementation que les institutions imposent, certains athlètes ne répondent
uniquement qu’à l’appel de la réussite126.
125 « The CAS Panel concluded that it had no doubt in finding that the IAAF has failed to satisfy the burden
of proof. The main reasons advanced by the CAS Panel are summarized hereinafter:
(1) Lack of clarity as to what constitutes a "technical device": The CAS Panel was scathing in its assessment
of Rule 144.2 (e), when it concluded that this rule was "a masterpiece of ambiguity". The Panel asked the
parties to the proceedings, what constitutes a "technical device", as the IAAF Rules did not contain any
definition or guidance of what would be construed as a "technical device". The CAS Panel then mentioned
that it was prepared to assume that a passive prosthetic such as the Cheetah Flex-Foot is to be considered
as a "technical device", even though this proposition may not be wholly free from doubt.
(2) Lack of clarity as to what constitutes a device that "incorporates springs": The CAS Panel also raised
the issue of what constitutes a device that incorporates springs. The Panel was of the view that, technically,
almost every non-brittle material object is a "spring" in the sense that it has elasticity. The Panel also
concluded that while the Cheetah Flex-Foot is a "spring", it was not sure if it incorporated a "spring". The
Panel also concluded that a natural human leg is itself a "spring" » (Joshi, Bar & Bench, 24 juillet 2012). 126 « L’optimisation exacerbée de tous les paramètres de la performance – matériaux, matériels, science
médicale et entraînements, techniques gestuelles, diététique, préparation psychologique et stratégique –
illustre un culte du progrès hérité des Lumières et dont le XIXe siècle, celui de la naissance du sport moderne,
90
Au terme de nos observations sur la compréhension de la science du corps, et de la mesure
de celui-ci, on peut conclure que malgré la volonté des domaines de la science de
conceptualiser et de modéliser le corps prothétique dans la pratique sportive, la frontière
entre le légal et le prohibé, entre juste et injuste, demeure difficilement saisissable ce qui
occasionne, nous l’avons vu, plusieurs polémiques à la fois sur la question de la corporalité,
mais également sur la question de la performance.
Sous quelle logique normative maintiendra-t-on le paralympien dans une conception
hybridée du corps, une conception bionique, voire cybernétique, alors que le corps de
l’athlète olympien, tout comme le corps humain l’est tout autant hybridé, étant modelé et
influencé par des technologies aussi hybridante et cybornifiante que sont les téléphones
cellulaires, les montres intelligentes, la vidéo, mais aussi la chirurgie réparatrice, ou encore
la médication. Tous ces procédés ou ces éléments de la vie quotidienne modulent et
transforment notre corps, en l’améliorant, en l’informatisant, ou en le droguant. La question
se pose alors, comment maintenir cette conception idyllique du sport, comme étant
l’exaltation de la pureté et de la volonté humaine, pendant que, des scandales de dopages
étatiques éclatent au grand jour, et que les athlètes tout comme leurs entourages utilisent
tous les moyens possibles, légaux ou non, pour en arriver à leurs fins.
L’utilisation de prothèse active sera éventuellement remise sous la loupe des comités
d’éthique qui régissent le sport, et ceux-ci auront à se demander si leur prohibition n’est
pas une manière de maintenir le mouvement dans un aveuglement volontaire, de ne pas
voir ce qui est déjà là.
consacra l’effectivité en étalonnant la force et le mouvement humains. Par son essence – l’amélioration des
performances –, le sport de haut niveau figure un évolutionnisme schématique – adaptation, sélection,
progression – dont le dopage est un ingrédient logique, si ce n’est moralement ou médicalement légitime »
(Queval 2012 : 26).
91
Conclusions
En posant notre regard sur le monde paralympique, nous cherchions à comprendre
comment la transformation de la pratique parasportive s’est opérée au cours des trois
dernières décennies et comment cela a affecté le corps des athlètes paralympiens et la
conception de celui-ci. Nous nous sommes intéressés aux athlètes arborant une prothèse
aux membres inférieurs. Nous avons expliqué ce choix par le fait que nous désirions
comprendre quels étaient les processus qui ont été mise en place afin de permettre
l’émergence de performances aussi impressionnantes de la part des parasportifs127. Car il
faut se rappeler, que ces athlètes au cours de cette courte période, ont amélioré leurs
performances à un tel point qu’ils en sont venus à questionner leur place dans le sport
paralympique, mais également dans le sport olympique. En cherchant à comprendre
comment le corps handicapé a été transformé par le sport, nous avons constaté que la
transformation de ce corps a également eu un impact sur la transformation du sport et des
technologies.
C’est pourquoi nous avons orienté notre étude autour d’éléments constituants l’univers
paralympien, soit le corps, les biotechnologies et l’institution. En centrant notre regard sur
ses trois composantes du monde parasportif, nous avons cherché à mettre en exergue les
interactions et les liens qui se tracent entre ceux-ci. Nous avons également tenté de
comprendre, quel est la place de chacun dans les changements du corps parasportif.
En ce sens, ce que nous cherchions principalement à savoir, est, comment le corps des
athlètes est-il objectivé par les processus scientifiques et médicaux, et comment ce rapport
au corps de l’athlète influence son développement à l’intérieur de l’institution
paralympienne et sportive ? Il nous fallait tout d’abord circonscrire notre étude et alimenter
127 « À Sydney, en 2000, le meilleur amputé fémoral, Connor a couru le 100 m. en 12,61 secondes et le
meilleur tibial, Marion Shirley, en 11,09 secondes. Ce dernier a fait passer en 2003 le record du monde sous
la barre symbolique des 11 secondes avec 10,97 secondes lors des championnats du monde d’athlétisme de
Paris, au stade de France. Le changement de type de prothèse, en 1988, a fait gagner aux amputés tibiaux
plus de deux secondes et le record n’a ensuite progressé, fruit d’un entraînement intense, que de quelques
dixièmes de seconde. Pour les fémoraux, de 1976 à 1992 (date pour eux de l’utilisation de pieds à lame en
carbone) le gain a été de plus de cinq secondes, tandis que depuis 1992 il n’a été que de 65 centièmes de
seconde » (Pailler 2004 : 375).
92
notre argumentaire à l’aide d’un cadre théorique et conceptuel efficient. En choisissant de
s’intéresser au corps prothétique en pratique sportive de haut niveau, il nous apparaissait
évident que l’on se trouvait aux confins de plusieurs domaines et de plusieurs matières, et
que devant ce constat nous nous devions de segmenter le mieux possible notre étude. C’est,
entre autres choses, pourquoi nous avons choisi de centrer notre travail autour de deux
grandes approches anthropologiques, soient l’anthropologie du corps et une approche axée
sur les Science and technology studies
L’anthropologie du corps nous a permis de rendre compte que la compréhension du corps
est en constant changement, et que cela affecte non seulement notre conception du corps,
mais cela à un effet sur la manière dont on aborde le corps, et dans le cas qui nous a occupés,
le corps handicapé. Le fait de s’interroger sur la question du corps handicapé dans une
pratique sportive, en empruntant l’approche de l’anthropologie du corps, cela nous a permis
de percevoir les débats constants qui résident toujours sur la nature du corps et ses limites.
L’anthropologie du corps nous a également aidé à comprendre que le corps n’est pas
immuable, qu’il est en perpétuel changement, que la science de par l’évolution de sa
compréhension des phénomènes du corps a influencé nos conceptions. Qui plus est, le fait
d’altérer sa corporalité pour performer n’est pas un phénomène unique au sport, les gens
s’adaptent, adaptent leur corps sous la pression de la réussite de l’accomplissement, de
livrer la marchandise, et ce, que ce soit par l’utilisation d’appareils ou de stimulants. En
étant soumis au diktat de la logique mercantile, nous en venons à transformer notre corps,
à lui faire subir des traitements afin de le faire perdurer, le faire performer 128 . Cette
transformation de notre corps par l’utilisation de drogues ou de technologies implique un
réseau d’acteurs divers autour du corps. La présence de plusieurs acteurs scientifiques et
institutionnels autour des athlètes prothétiques nous a incités à utiliser une approche STS.
128 « Trouvant dans le culte néolibéral contemporain de la performance un terreau fertile pour s’épanouir, les
pratiques visant à améliorer les capacités humaines constituent d’ores et déjà une réalité sociologique. À
l’image de Jean-Paul Sartre qui achevait dans les années 1970 sa fameuse Critique de la Raison dialectique
en ingérant quantité d’amphétamines l’usage de psychotropes aux fins d’améliorer ses performances
intellectuelles se répand aujourd’hui dans plusieurs milieux professionnels et étudiants. Entre 16 et 25% des
étudiants de certains campus américains auraient aujourd’hui recours au dopage intellectuel » (Le Dévédec
2016 : 4).
93
En orientant notre étude autour de l’approche des Science and technology studies (STS),
cela nous a été utile afin de rendre compte de cette influence qu’ont la science et les
institutions sur la conception du corps, mais aussi celle du réseau d’acteurs qui miroitent
autour du corps prothétique sportif. La présence prépondérante de la science médicale dans
le giron de ce corps, ainsi que le regard que posent les institutions sportives et scientifiques
ont connotées le chemin qu’a entrepris le corps parasportif au cours des trente dernières
années. En adoptant une approche STS, cela nous a permis de mettre de l’avant les
différents processus et les nombreuses compréhensions du corps qui se chevauchent et
s’entrechoquent, ainsi que les limites qui s’imposent à ces systèmes de compréhensions du
corps.
En tentant d’illustrer la question qui nous occupe, nous avons mis de l’avant la théorie de
corps-objet, un objet-frontière 129 aux limites des interactions entre les acteurs. En
s’orientant de cette manière, cela nous a également permis d’observer le dualisme
nature/culture qui réside dans la logique olympienne130. Nous avons vu que cette logique
ne s’ancre pas dans la réalité, puisqu’il nous est apparu difficile d’identifier où tracer la
ligne séparant ces deux conceptions. En objectivant le corps, c’est-à-dire en le faisant entrer
dans le domaine des objets, nous cherchions à effacer la discrimination qui persiste entre
technologie et le corps. Ainsi, en percevant le corps comme un objet cela nous permettait
de mettre de l’avant les processus souvent invisibles qui agissent sur ces corps prothétiques.
Les théories de l’objet-corps131 et de l’objet-frontière, nous ont permis de voir le corps
129 « La notion d’objet-frontière, l’est aussi quand il s’agit d’analyser l’articulation en les acteurs scientifiques
et d’autres acteurs de la société, (…) sur les instances publiques de la bioéthique comme organisation
frontière, (…) sur le dépassement des frontières scientifiques rendu possible par le débat public, (…) »
(Trompette 2009 : 14). 130 « C’est elle surtout qui montre combien l’institution sportive et les médias qui l’« orchestrent » défendent
un mythe : celui d’un sport installé en contre-société idéale de la nôtre. L’image est précise et socialement
efficace : modèle de perfection proclamée, fondé sur le principe démocratique (tout le monde peut
« participer ») et méritocratique (la distinction s’obtient par le travail et le talent), possédant ses héros, ses
notables, ses experts, ses juges, le sport projette un idéal performant à l’aide d’un univers ludique et
« décalé ». Mythe important parce qu’il donne du sens au jeu, fait rêver, permet de construire des histoires,
nourrit l’imaginaire. Rien d’autre que le feuilleton populaire d’aujourd’hui. Ce que confirme d’ailleurs la
manière dont les « grands » sportifs s’imposent régulièrement en tête des personnes préférées des Français »
(Vigarello 2013 : 129).
131 « Ainsi, précisément si mon corps est localisé globalement et en parties, c’est parce qu’il est personnel,
parce qu’il n’est pas seulement un objet de perception extérieur ou l’objet d’une abstraction réflexive, mais
qu’il est dans un certain sens ce que je suis. C’est en effet par lui et à travers lui que les fonctions vitales
94
prothétique sous un autre angle, en ce sens, que nous avons pu percevoir que le corps,
comme la technologie, est en constante transformation, bref, que ce soit par l’entremise de
processus naturels ou artificiels, le corps, notre corps s’adapte et est adapté à la vie. Sur
cette question nous avons dû prendre en compte les discours régulateurs que la médecine
entretient autour de ce corps, discours centrés par une médecine normalisatrice, et une
médecine réparatrice.
La place que possède la médecine sur la question des parasportifs est double puisque la
médecine est au cœur des processus diagnostiques, palliatifs et réparateurs, en plus d’être
un vecteur en ce qui a trait aux savoirs et aux connaissances qui légitimisent et instaurent
les processus de réglementation et de classification132. La science médicale est de plus à
l’origine du paralympisme avec, nous l’avons vu, l’avènement des Stoke Mandeville games
en 1948, initié par le Dr Guttmann. En se positionnant ainsi autour du corps parasportif, le
rôle que joue la médecine dans la conception de ce corps devient primordial. Un corps que
l’on se doit de normaliser, de réparer, un corps que l’on doit rendre sain, or, la dichotomie
sur laquelle la médecine base sa conception du corps handicapé, efface les subtilités et les
particularités qui émergent de chaque cas.
De plus, un paradoxe semble naître de la nature santéiste de la normalité, puisque la
conception santéiste du corps, c’est-à-dire un corps dans un état de santé et de bien-être133,
ne s’accorde pas avec le véritable état des athlètes, car comme nous l’avons vu la volonté
de réussir et de performer qui réside dans le sport de haut niveau imposent parfois aux
athlètes de pousser leur corps au-delà de leurs propres limites, provoquant des blessures,
ampoules et des bris (prothèse). Devant l’abnégation de nombreux parasportif face à leur
corps et à la douleur et la souffrance qu’ils peuvent s’imposer afin de s’améliorer, forcé de
constater, que la logique santéiste du sport ne peut s’appliquer systématiquement aux
compétitions de haut niveau.
trouvent leur unité et à partir de lui que se joue mon orientation dans un contexte, car me donnant une
orientation, il me confère un sens » (Frogneux 2014 : 11-12).
132 « Initialement pensée par les médecins qui lancèrent le sport pour handicapés les classifications étaient
naturellement fondées sur les critères médicaux, les types et la quantification de la déficience » (Pailler 2004 :
375). 133 « (…) un idéal rationnel ou l’empirisme des conduites personnelles cèdent le pas à la raisons
technoscientifique pour accéder au bien-être » (Billaud 2015 : 801).
95
Nous avons également vu que la nature du handicap peut être variable et multiple et que
les processus qui mènent à une normalisation de sa condition sont souvent d’une personne
à l’autre, assez différents. La logique normalisatrice de la médecine qui tente de rapprocher
le corps handicapé vers la « norme humaine134 », agit sur ce corps en évolution avec la
technique et la compréhension du corps et de son amalgame avec la prothèse. La
progression de l’efficacité des prothèses a été permise par des matériaux issus de
développements militaires et privés, entre autres, issu de l’aérospatial135. Cela a amené les
institutions sportives à devoir se questionner constamment sur la réglementation et la
classification des athlètes paralympiens.
Nous avons vu d’ailleurs, que plusieurs problèmes persistent sur la question de la
classification et de la réglementation entourent les paralympiens, puisque l’institution
sportive s’accordant aux savoirs médicaux, oriente sa logique argumentaire autour d’une
condition normale du corps basé sur l’agglutination de statistiques et de moyennes. Or, ce
que nous remarquons, est qu’au cours des trente dernières années, les performances de
plusieurs athlètes paralympiens ont dépassé les performances de l’homme moyen
statistique. Comment alors maintenir ces athlètes dans un tel paradigme? Comment
continuer de concevoir ces athlètes par l’intermédiaire des cadres normalisateurs de la
médecine qui lui apposent une condition inférieure ?
Ces interrogations nous ont amené à nous questionner sur la place de l’athlète prothétique
dans l’univers sportif, est-il un athlète de seconde zone face à l’olympien, ou est-il un
élément perturbateur dans la logique stoïcienne du mouvement olympien ? Ce qui nous est
apparu au regard de notre analyse, est que les valeurs qui rythment le paralympisme soit
celle du courage, de la détermination, de l’égalité, mais aussi le devoir d’inspirer et de
changer les perceptions, véhiculent des idéaux nobles, qui deviennent paradoxales voire
incompatibles, avec l’évolution des performances et le désir de réussite. En se penchant sur
134 « (…) le développement des technologies réparatrices du corps, en mettant en avant les questions que cela
pose sur la nature de l’humanité et les limites de celle-ci, et considèrent que le débat n’est donc pas seulement
un débat technique et sportif, mais un débat qui doit prendre en compte les nouvelles possibilités de
transformations technologiques du corps et les angoisses collectives suscitées par celles-ci avant d’exclure
ainsi un athlète « appareillé » » (Marcellini 2010 : 153). 135 « From aerospace and aeronautical field to biomedical applications, fiber-reinforced polymers have
replaced metals, thus emerging as an interesting alternative » (Gloria 2011: 151).
96
la question de l’évolution du corps paralympien, nous avons également observé que
plusieurs débats animent la pratique du parasport, et que la présence des prothèses dites
bioniques dans l’univers sportif provoque des questionnements sur la nature même du sport
et plus largement sur notre conception de la corporalité. C’est ce que nous avons pu voir
avec, entre autres, le cas d’Oscar Pistorius136 . Ces questionnements sont relatifs aux
processus de transformation qui ont conduit les paralympiens, à axer leur pratique autour
de la performance et de la réussite.
Ce point de renversement que nous avons observé sur la nature réadaptative et hygiénique
du paralympisme, à entraîner non seulement une amélioration considérable des
performances et de la visibilité du mouvement, mais aussi conduit les différentes
institutions sportives à s’interroger sur les limites et la réglementation que l’on impose au
parasportif. L’évolution des biotechnologies, qui amènent des refontes constantes en ce qui
a trait aux règles et à la classification qui régissent la pratique, est la preuve de l’inconfort
que représente cette question de la normalité. À ce propos, le cas d’Oscar Pistorius est
devenu emblématique de ses questionnements sur les limites de la « normalité »137.
Il faut comprendre que le pouvoir du sport moderne et de l’olympisme est d’incarner la
performance humaine, il est un culte du corps-œuvre. (Queval 2011 : 197). C’est en
véhiculant une image idyllique du sportif, en présentant un corps performant, un corps aux
frontières des « capacités humaines », que le sport est capable de captiver, or, cette idée
que le sport tente de nous renvoyer du corps, s’enracine dans une conception d’un corps
naturel. C’est cette asymétrie entre nature/culture, entre l’humain et la machine qui semble
brouiller les pistes de questionnement qui émanent autour de la définition de normalité138.
136 « C’est précisément le caractère d’« hybride technologique » de Pistorius qui est mis en cause ici, celui-
ci perturbant gravement la logique sportive de comparaison et d’ordonnancement hiérarchique de la diversité
des capacités humaines naturelles » (Marcellini 2010 : 156).
137 « Le cas d’Oscar Pistorius, athlète équipé de prothèses de jambes et participant aux compétitions des
valides est éloquent, puisque cette participation a fait débat au motif que ses prothèses constituaient un
avantage. Mais tout n’est-il pas recherche d’avantages dans le progrès sportif ? Et, conséquemment, l’artifice
technique peut-il inclure les exosquelettes ? » (Queval 2011 : 212).
138 « Ce qui ne veut pas dire que les normalités médicales et juridiques restent étrangères l’une à l’autre. Elles
échangent leurs compétences, ainsi que Foucault l’a bien montré, afin de renforcer des types de pouvoir
inhérents aux dispositifs disciplinaire. Que serait le pouvoir judiciaire sans l’expertise médicale fournie par
le psychiatre ? Que serait le pouvoir psychiatrique sans la possibilité de la sanction juridique? Les normalités
97
Ce que nous avons remarqué à ce propos est qu’il semble y avoir une subjectivée apparente
qui se dessine sur la question d’une aide technologique à la performance de la part des
différentes instances fédératives, ainsi que des divers domaines de la scientifique.
Nous avons vu que les normes sur lesquelles la science et l’institution se basent,
représentent une extrapolation de la normalité, une projection de moyennes normales
observées chez des sujets donnés. Sans chercher à faire l’apologie du particularisme et du
relativisme, forcé de constater que cet homme normal n’existe pas et qu’il n’est qu’au plus
une médiane des performances, un point au travers un spectre quasi-infini. Puisqu’il faut
comprendre, que les performances varient autant entre tout un chacun, qu’entre nos propres
performances.
Nous avons également vu que la méthodologie qu’utilisent les divers domaines de la
science ne prend pas en compte l’entièreté des performances en considération, car on
évalue ceux-ci à leur développé maximal et non sur la performance réelle. En procédant
ainsi, nous chercherons à démontrer l’avantage injuste que représente l’incorporation de
telles technologies prothétiques, et de cette manière, maintenir l’hybridation139 du corps
hors des arènes sportives. De plus, en ne prenant pas en compte la perspective de l’athlète
et en réduisant sa performance à la mesure de ses foulées maximales, ou à la quantité
d’énergie ou d’oxygène consommée, on expose un corps qui n’existe pas, un corps
monochromique isolé de lui-même. Puisque ce corps qui est soumis à sa prothèse, et aux
limites qu’elle lui impose ; départ difficile, virage précaire, bris, ampoules, blessures, n’est
pas aussi bionique que l’on tend à l’avancer.
Nous l’avons observé, la mesure des « capacités humaines », est relative à la perspective
et à la conception du regard qui se pose sur le corps prothétique en pratique sportive de
haut niveau. Nous avons également vu qu’au contact des divers acteurs qui entourent cette
pratique, le corps dans ces conceptions se démultiplie, il devient un corps extrapolable, un
corps anthropométrique, biométrique, un corps thermodynamique, métabolique. Ces
échangent leurs pouvoir sur fond d’un conflit de leurs compétences la normalité est le fruit non univoque
d’un jugement produit au sein des empiricités » (Le Blanc 2002 : 149). 139 « Les exploits des athlètes olympiques ou du coureur de marathon, s’ils témoignent d’une forme d’hybris
ou d’une recherche du sacré au travers de prouesses, ne contredisent pas toutefois cette idée-force : l’homme
ne progresse pas au-delà de la nature » (Queval 2011 : 203).
98
manières d’expliquer les phénomènes corporels sont induits par des processus et des
logiques de pensées qui se représentent le corps comme un objet, un objet au naturel140.
Les limites que le paralympisme et l’olympisme s’imposent en ce sens en matière de
technologie, s’enracinent dans l’idée, que le sport se doit d’être l’exaltation des « capacités
humaines » « naturelles ».
Une double contradiction141 ressort de cette idée, c’est-à-dire, que les performances des
olympiens et des paralympiens sont loin d’être permises par leurs « capacités naturelles »,
elles requièrent l’aide de procédés techniques, physiologiques, ou encore elles sont
permises par un surentraînement. La deuxième contradiction qui émerge de cette logique
normalisatrice des performances athlétiques, réside dans le fait que le principe même du
sport est de couronner une personne qui s’élève au-dessus des autres, alors comment cela
devient-il possible si les athlètes sont contraints de ne pas excéder une norme humaine ?
Les institutions sportives, par des discours médicaux et scientifiques, imposent un double
standard à l’anthropotechnie142, en ce sens, que la norme maximale ne peut être dépassée,
c’est-à-dire que, les technologies prothétiques ne peuvent pas permettent à l’athlète d’avoir
de meilleures performances que le champion olympique, toutefois, l’utilisation de
technologie aidant à la performance, comme la vidéo, la tente à oxygène ou encore des
140 « La réflexion s’engage aujourd’hui sur ce que sont le corps naturel, le corps augmenté, le corps hybridé,
c’est-à-dire sur les contours de l’identité humaine. Isoler une « naturalité » du corps humain n’est-ce pas
occulter l’« humanité » même, dans ce qu’elle est culture, technique ? Toute amélioration, tout progrès ne
sont-ils pas artifices, eux aussi par essence, et en particulier dans le sport ? » (Queval 2011 : 212).
141 « C’est que celui-ci est le lieu de l’excès et donne par là à penser ; plus précisément, à voir et à penser. La
spectacularisation, l’entraînement intensif, les innovations technologiques, l’hypermédicalisation, les intérêts
économiques, l’exhibition de prototypes humains (les champions) ; enfin, tous les enjeux que pointe le sport
font sens dans une société obsédée par la technique et l’utopie de la santé parfaite. Ce n’est pas sans
contradictions : là où, ailleurs dans le champ social s’esquissent des réflexions sur la limitation du temps de
travail ou les effets pervers du progrès à tout prix, rien de tel dans le sport d’élite. Arc-bouté sur son axe
essentiel : l’amélioration de la performance et la progression systématique de tous les records, ce dernier doit
compter aussi avec les blessures, pathologies chroniques ou reconversions désastreuses qui entachent l’idéal
d’une surhumanité sportive » (Queval 2011 : 198).
142 « (…) « l’expression anthropotechnique » désigne un théorème philosophique et anthropologique de base
selon lequel l’homme lui-même est fondamentalement un produit et ne peut donc être compris que si l’on se
penche, dans un esprit analytique, sur son mode de production. Ce que vient désigner en premier lieu le
concept d’anthropotechnie, c’est en effet le caractère construit et indéterminé de la nature humaine » (Le
Dévédec 2013 : 237).
99
technologies bio-réparatrices sont permises, et peuvent ainsi aider à dépasser les normes et
les « capacités humaines ».
Ce que nous constatons également à la lumière de nos observations est le fait que, dans la
conception médicale et institutionnelle du corps prothétique sportif, la logique normative
et la logique santéiste qui en émanent ne s’accordent pas avec les changements de la
pratique sportive. Ces paradigmes conceptuels se doivent d’être reconsidérés si nous
voulons être en mesure d’adopter une perspective qui s’insère dans le développement de la
pratique parasportive et être capable de comprendre de manière plus consensuelle les
évolutions qui affectent et affecteront l’univers sportif. Ce qui nous a amené à essayer de
comprendre pourquoi les instances fédératives ont tenté d’empêcher Oscar Pistorius de
participer aux compétitions olympiques. Pour ce faire, il nous a fallu observer la nature de
ce refus, c’est-à-dire, les argumentaires, et les conceptions qui ont été mis de l’avant. Ce
que nous avons analysé dans cette partie, est que ce refus ne s’ancre pas dans une politique
discriminatoire envers les athlètes prothétiques, mais plutôt dans une crainte de la perte de
l’essence même du sport, ce sport-spectacle, miroir de notre société et de sa nature
capitaliste143. Puisque dans cette idée de capitalisation et de réussite sociale :
« Le champion, comme beaucoup de ceux qui s’attellent à la construction quotidienne d’un corps
sportif, mêlant diététique, cosmétologie, entraînement physique, etc., souscrit au profil ascétique :
obsession de l’agir (le faire), valorisation du travail (la «profession-vocation»), rationalité, contrôle
de soi, éthique référentielle, individualisme, utilitarisme, esprit de méthode et de sérieux, esprit de
système, ascèse entendue comme un style de vie, enfin constitution et entretien d’un capital. Ceci
est emblématique d’une capitalisation sur soi et de ses modalités, parmi lesquelles une relation
particulière à la douleur et au temps » (Queval 2011 : 210).
En limitant obstinément le progrès des technologies palliatives, cela risque éventuellement
de provoquer des scissions entre les athlètes olympiens, paralympiens et prothétiques,
puisqu’il existe déjà certaines technologies plutôt efficientes, que les paralympiens pourrait
utiliser éventuellement. Les premiers jeux cyborg (Cybathlon) ont d’ailleurs déjà eu lieux
143 « Cela nous permettra d’explorer ensuite de façon approfondie les différents temps de développement du
débat autour du « cas Pistorius », des Jeux Paralympiques de 2004 à l’autorisation donnée à Pistorius de
concourir pour les Jeux Olympiques de 2008, en montrant que si les arguments et les prises de position des
instances sportives à l’égard d’Oscar Pistorius génèrent un débat politique vif, dans et hors de celles-ci, c’est
parce qu’elles questionnent la signification même du sport et donc de façon intrinsèque, les représentations
symboliques de l’Homme que le spectacle sportif, comme reflet théâtral de nos sociétés, met en scène »
(Marcellini 2010 : 142).
100
à Kloten en Suisse en 2016. Ces technologies prothétiques à implant neuronals, capable
d’anticipation, pourraient provoquer un profond requestionnement de « la nature » même
du sport144. Pour l’instant, certaines prothèses utilisent ce type de système principalement
pour des prothèses aux membres supérieurs, ils permettent aux personnes qui les utilisent,
de se mouvoir plus naturellement, mais surtout « ressentir » son corps.
Paradoxalement, plus les athlètes auront l’impression d’avoir un corps « normal » et en
santé, et plus le questionnement de leur place dans le monde sportif sera important.
L’aptitude d’ajustement au corps des prothèses actives, permet une réduction de l’inconfort
et des blessures, et donc permet de se rapprocher d’un état de santé. Toutefois, le niveau
d’anthropotechnie de ce type de prothèse rompt avec l’utopie olympienne d’une pratique
sportive « naturelle » et « humaniste ».
Cette recherche de la réussite n’est pas l’unique lot du sport moderne, il englobe
pratiquement toutes les sphères de la société, le sport de haut niveau, n’en est que le
paroxysme. Le corps face à la vie est confronté au changement et à l’adaptation, seule la
nature et l’ampleur de l’adaptation varient. Confronté à la pratique sportive, il devient un
objet liminal, coincé dans les mailles du filet éthique qui drape l’univers sportif.
144 « Despite recent advances in technology for upper-limb prostheses, artificial arms and hands are still
unable to provide users with sensory feedback, such as the “feel” of things being touched or awareness of
limb position and movement. Without this feedback, even the most advanced prosthetic limbs remain numb
to users, a factor that impairs the limbs’ effectiveness and their wearers’ willingness to use them. In a step
toward overcoming these challenges, DARPA has awarded prime contracts for Phase 1 of its Hand
Proprioception and Touch Interfaces (HAPTIX) program » (https://www.darpa.mil/news-events/2015-02-
08).
101
Bibliographie
- ALBRECHT, G. L., DEVLIEGER, P. J., 1999, « The disability paradox: high
quality of life against all odds », Social Science & Medecine, 48, 8, 977-988.
- ANCET, P., 2008, « Le corps vécu et l’expérience du handicap », Revue
européenne de recherche sur le handicap, volume 2, avril- juin, 95-108.
- ADAIR, D., 2017, Managing Paralympics. Londres, Palgrave Macmillan.
- ANDRIEU, B., 2007, « Contre la désincarnation technique, un corps hydride »,
Actuel Marx, 1, 41, 28-39.
- ANDRIEU, B., 2010, « L’hybridtion performative ou la fin du mythe de la
perfection », Culture – Science – Technique, 95-103.
- BARNES, C., 2010, A brief History of discrimination and disabled people. 20-32
in. L. J.Davis, The disability studies reader. Londres, Routledge.
- BANCEL, N., CORNATON, J., MARCELLINI, A. 2018 « From the making of
Paralympic champions to justification of the bio-technical improvement of man.
The ideology of progress in action », Sport in society, 21, 4, 587-590.
- BATATO, M., 1989, Énergétique du corps humain, Lausanne, Presses
polytechniques et universitaires romandes.
- BESAUDE-VINCENT, B., 2012, « Vies d’objets. Sur quelques usages de la
biographie pour comprendre les technosciences », Critique, 781-782, juin-juillet,
588-598.
- BERNADOT, M., THOMAS, H., 2014, Notes sur l’hybridité », Revue Asylon(s),
13, url de référence: http://www.reseau-terra.eu/article1327.html.
- BILLAUD, M., X., GUCHET, 2015 « L’invention de la médecine personnalisée
Entre mutations technologiques et utopie », Médecine/sciences, 31, 797-803.
- BLACK, K., 2012, « Une conception inclusive du sport », La nouvelle revue de
l’adaptation et de la scolarisation, 2, 58, 139-144.
102
- BLAIS, L., 2006, « Savoir expert, savoirs ordinaires : qui dit vrai ? : Vérité et
pouvoir chez Foucault », Sociologie et sociétés, 38, 2, automne, 151-163.
- BLOK, A., T. E., JENSEN, 2011, Bruno Latour: Hybrid Thoughts in a Hybrid
World. Abingdon, Routlegde.
- BOETSCH, G. 2006, Représentations du corps. Le biologique et le vécu. Normes
et normalité. Presses Universitaires de Nancy, Édition universitaire de Lorraine.
- BOILEAU, R., 2007, Les dimensions religieuses et les pratiques corporelles de
type agonistiques. L’Église et le sport au Québec à la lumière du concept
d’acculturation. Thèse de doctorat, Département de sociologie, Université Laval.
- BOURGEOIS, Normand, WHITSON, D. 1995, « Le sport, les médias et la
marchandisation des identités », Sociologie et sociétés, 27, 1,151-163.
- BOULLANT F. 2009, Michel Foucault : le réseau des corps. 47-94. In Memmi D.,
Guilo D., Martin O., La Tentation du corps. Paris, Éditions de l’EHESS.
- BOURATSIS, S. E., 2011, « Auto-métamorphoses : Biotechnologies et fictions
scientifiques dans l’art d’aujourd’hui », Cahiers de recherche sociologique, 50,
printemps, 55-76.
- BOURLEZ, F. 2013, « Corps contemporains : vers des pulsions « post-
humaines » ? », Champs psy, 2, 64, 9-24.
- BOUTTET, F. 2015, Organiser la pratique sportive des personnes handicapées.
Entrepreneurs et dynamiques institutionnelles dans la construction de l’action
fédérale. Thèse de doctorat, STAPS, Sciences sociales du sport, Université de
Strasbourg.
- BORDELEAU, L.-P., 1985, « Un nouveau paradigme : le corps sportif (suite) »,
Philosophiques, 12, 2, automne, 247-279.
- BOULONGNE, Y. P., 1975, La Vie et l’œuvre pédagogique de Pierre de
Coubertin, Ottawa, Éditions Leméac.
- BRAGARU, M., DEKKER, R., 2012 « Sport prostheses and prosthetic adaptations
for the upper and lower limb amputees: an overview of peer reviewed literature»,
Prosthetics and Orthotics International, 36, 3, 290-296.
103
- BROHM Jean-Marie, 1976, Sociologie politique du sport. Paris, Éditions Jean-
Pierre Delarge.
- BROHM Jean-Marie, 2006, La tyrannie sportive : théorie critique d’un opium du
peuple. Paris, Éditions Beauchesne.
- CALLON, M., 1986, « Éléments pour une sociologie de la traduction. La
domestication des coquilles Saint-Jacques dans la Baie de Saint-Brieuc », L'Année
sociologique, 36, 169-208.
- CARRIVE, L. 2008 « La performance corporelle : de la mesure aux limites »,
Champ psy, 3, 51, 129 à 146
- CAUNE, J., 2014, « Le corps, objet de discours, moyen de relation », Hermès La
revue, 1, 68, 53-58.
- CERQUI, D., B., MÜLLER, 2010, « La fusion de la chair et du métal : entre
science-fiction et expérimentation scientifique », Sociologie et sociétés, 42, 2,
Automne, 2010, 43-65.
- CHABROL, B., C., Halbert, M., Milh, J., Mancini, 2009, « Handicap: définitions
et classification », Service de Neurologie Pédiatrique, Hôpital d’Enfants, Table
ronde, 912-914.
- CHOKALINGAM, N., 2011, « By designing ‘blades’ for Oscar Pistorius are
prosthetists creating an unfair advantage for Pistorius and an uneven playing field?
», Prosthetics and Orthotics International, 35, 4, 482-483.
- CLARKE, A., FISHMAN, J., FOSKET, J.R., 2000, « Technosciences et nouvelle
biomédicalisation : racines occidentales, rhizomes mondiaux », Sciences Sociales
et Santé,18, 2, 11-42.
- CORRIGAN, T., J., Paton, E., Holt, M., Hardin, 2010, « Discourses of the “Too
Abled”: Contested Body Hierarchies and the Oscar Pistorius Case », International
Journal of Sport Communication, 3, 288-307.
- DARBON, S. 2002, « Pour une anthropologie des pratiques sportives. Propriétés
formelles et rapport au corps dans le rugby à XV », Sports et corps en jeu, 39, 1-
24.
104
- D’ARRIPE, A. 2014, « L’approche inductive : cinq facteurs propices à son
émergence », Approches inductives, 1, 1, Automne, 96-124.
- DAY, H. J. B., 1998, « The Knud Jansen Lecture: Amputee rehabilitation – finding
the niche », Prosthetic and Orthotics international, 22, 2 92-101.
- DELCEY, M. 2002, « Notion de situation de handicap (moteur). Les classifications
internationales des handicaps », In Deficiences motrices et situations de handicaps,
APF France Handicap.
(http://www.moteurline.apf.asso.fr/IMG/pdf/classifications_internationales_hp_M
D_1-18.pdf)
- DESCHENAUX, Julie, 2014, Donna Haraway et la remise en question du corps
propre, Mémoire de maîtrise, Département de science politique, Université Laval.
- DYER, B.T.J., 2013, An Insight into the Acceptable Use & Assessment of Lower-
limb Running Prostheses in Disability Sport. Thèse de doctorat, Faculté des
sciences et technologies, Faculté de Philosophie, Bournemouth University,
- FAINZANG, S., 2000, « La maladie un objet pour l’anthropologie sociale »,
Ethnologie comparées, no. 1, 1-18.
- FLECK, L., 1935, Genesis and development of a scientific fact. Chicago, University
press of Chicago.
- FOCAULT, M., 1972, Histoire de la folie à l’âge classique, St-Amand, Gallimard.
- FOUCAULT, M. 1976, Histoire de la sexualité I. La volonté de savoir. Paris,
Gallimard.
- FOURNIER, L.-S., G., RAVENEAU, 2008, « Anthropologie des usages sociaux et
culturels du corps », Journal des anthropologues, 1, 112-113, 9-22.
- FRANKLIN, S., M., Lock, 2003, Remaking Life and Death: Toward an
Anthropology of the Biosciences. Santa Fe, School of American Research Press.
- FROGNEUX, N. 2014, « Les corps en perspectives », Parcours anthropologiques,
9, 8-23.
- GARCIA, R., 2004, « « Être » ou « avoir » un corps : intention implicite d’échapper
à la condition humaine? », Revue Phare, 5, automne, 107-124.
105
- GARDNER, R., 1989, « On performance enhancement substances and the unfair
advantage argument », Journal of the Philosophy of Sport, 16, 59-73.
- GASPARINI, W., KOEBEL, M. 2015, « Pratiques et organisations sportive: Pour
un comparatisme réflextif », Sciences sociales et sport, 1, 8, 9-19.
- GHERARDI, S., 2017, « La théorie de la pratique serait-elle à court de carburant ?,
Revue d’anthropologie des connaissances, » 11, 2, 165-176.
- GIBLETT, R., 2008, The Body of nature and culture. Londres, Palgrave
Macmillan.
- GLORIA, A., RONCA, D., RUSSO, T., 2011, « Technical features and criteria in
designing fiber-reinforced composite materials: from the aerospace and
aeronautical field to biomedical applications », Appl Biomater Biomech, 9, 2, 151-
163.
- GOFFETTE, J. 2013, De l’humain réparé à l’humain augmenté : naissance de
l’anthropotechnie. 85-106 dir. E. Kleinpeter, L’humain augmenté. Paris, Éditions
CNRS.
- GOURINAT, V., 2015, « Le corps prothétique : un corps augmenté ? », Revue
d’éthique et théologie morale, 4, 286, 75-88.
- GRANJOU, C., 2003, « L’expertise scientifique à destination politique », Cahiers
internationaux de sociologie, 1, 114, 175-183.
- GUAY, D., 1980, L’histoire de l’éducation physique au Québec : conceptions et
événements (1830-1980). Chicoutimi, Édition Gaétan Morin.
- GUAY D., 1987, Introduction du sport au Québec. Montréal, Édition VLB.
- GUAY D., 1996, Problèmes de l’intégration du sport dans la société canadienne au
XIXe siècle. 21-38. In J-P. Augustin, « La culture du sport au Québec ». Talence,
Édition de la maison des sciences de l’homme d’aquitaine.
- GUÏOUX, A., LASERRE, E., GOFETTE, J., 2004, « Cyborg : approche
anthropologique de l’hybridité corporelle bio-mécanique », Anthropologie et
société, 28, 3, 187-204.
106
- HARAWAY, D., 1991, Simians, Cyborgs and Women: The Reinvention of Nature,
New York, Routlegde.
- HÉAS, S. 2009, « La mesure des performances corporelles extraordinaires dans les
métiers du sport, du luxe et de l’art », Magma, 7, 3, 1-5.
- HÉAS, S, 2012, « Des sports toujours discriminants pour les personnes vivant avec
un handicap aujourd’hui ? », Revue européenne de recherche sur le handicap, 6,
1, Janvier- Mars, 57-66.
- HOQUET, T., 2011, Cyborg philosophie : penser contre les dualismes. Paris,
Édition du Seuil.
- HOWE, D., 2011, « Cyborg and supercrip: the paralympics technology and the
(dis)empowerment of disabled athletes », Sociology, 45, 5, 868 - 882.
- HUBERT, M., VINCK, D., 2014 « Des pratiques d’ingénierie aux transitions
sociotechniques. Retour sur la notion d’ingénierie hétérogène dans le cas des micro
et nanotechnologies », Revue d'anthropologie des connaissances, 2, 8, 2, 361-389.
- ISSANCHOU, D., FEREZ, S., 2018 « Technology at the service of natural
performance: cross analysis of the Oscar Pistorius and Caster Semenya cases »,
Sport in society, 21, 4, 689-704.
- JANSON, Gilles, 1995, Emparons-nous du sport. Canadiens français et le sport au
XIXe siècle. Montréal, Édition Guérin.
- JANSON Gilles 1996, La lente émergence d’une culture sportive chez les
francophones montréalais, 1800-1900. 73-88, in J-P. Augustin, La culture du sport
au Québec. Talence, Édition de la maison des sciences de l’homme d’aquitaine.
- KASPI, André, 2002, Les Américains. Les États-Unis de 1945 à nos jours. Paris,
Édition sur le Seuil.
- KEOGH, J., 2011, « Paralympic sport: An emerging area for research and
consultancy in sports biomechanics », Sports Biomechanics, 10, 3, 234-253.
- KERSCHEN, Nicole, 1995 « L'influence du rapport Beveridge sur le plan français
de sécurité sociale de 1945 », Revue française de science politique, 45e année, 4,
570-595.
107
- KNORR-CÉTINA, K., 1981, The Manufacture of Knowledge. New York,
Pergamon.
- KÖRNTER, U., 2011, « Corps et vie refléxions sur l’éthique et la phénoménologie
de la corporalité, Études théologiques et religieuses », 3, 86, 339-350.
- KOTNIK, V. 2007, « Skiing Nation: Towards an Anthropology of Slovenia's
National Sport », Studies in ethnicity and nationalism, 7, 2, septembre, 56-78.
- KUHN, T. 1962, The Structure of Scientific Revolutions, Chicago, University of
Chicago press.
- LABERGE Suzanne, 1995, « Sport et activités physique : modes d’aliénation et
pratiques émancipatoire », Sociologie et société, 27, 1 printemps, 53-73.
- LAFONTAINE, Céline, 2003, « Nouvelles technologies et subjectivité : les
frontières renversées de l’intimité », Sociologie et sociétés, 35, 2, 203-212.
- LAFONTAINE, Céline, 2008, La société post-mortelle, : la mort, l'individu et le
lien social à l'ère des technosciences, Paris, Le Seuil.
- LAFONTAINE, Céline, 2014, « Le corps cybernétique de la bioéconomie »
Hermès la revue, 1, 68, 31-35.
- LATOUR, B., Woolgar, S. 1986, Laboratory Life: The Social Construction of
Scientific Facts. 2e édition, Princeton, Princeton University Press.
- LATOUR, B., 1987, Science en action. Cambridge, Harvard University press.
- LATOUR, B., 1996, « On actor-network theory. A few clarifications plus more
than a few complications », Soziale Welt, 47, 369-381.
- LATOUR, B, 2001, Le métier de chercheur. Regard d'un anthropologue. 2e édition
revue et corrigée, Paris, Éditions Quae.
- LAW, J., LODGE, P. 1984, Science for Social Scientists, Londres, Palgrave
Macmillan.
- LE BRETON, D. 2002, « Vers la fin du corps : cyberculture et identité. » Revue
Internationale de Philosophie, 4, 222, 491-509.
- LE BRETON, D., 2008, Anthropologie du corps et modernité. Paris, Presses
universitaires de France.
108
- LE BLANC, G. 2002, « L'invention de la normalité », Esprit, 284, 5, mai, 145-164.
- LE DÉVÉDEC, N., GUIS, F., 2013, « L’humain augmenté, un enjeu social »,
Sociologies, [En ligne], consulté le 10 janvier 2018,
http://journals.openedition.org/sociologies/4409.
- LE DÉVÉDEC, N., 2016, « L’homme augmenté, la biomédecine et la nécessité de
(re)penser la vie », Sociologies, 1-12.
- LEGG, David, Steadward, Robert, 2011, «The Paralympic Games and 60 years of
change (1948–2008): unification and restructuring from a disability and medical
model to sport-based competition », Sport in Society, 14, 9, 1099–1115.
- LÉSÉLEUC, É., ISSANCHOU, D., 2016, « Sport and disability: Pistorius does not
fit with the categories », Revue international de sociologie, 26, 3, p. 513-528.
- LIEBERMANN, D., 2006, « Enhancement of motor rehabilitation through the use
of information technologies », Clinical Biomechanics, 21, 8-20.
- LIPOVETSKY, G. 2006, Le bonheur paradoxal. Essai sur la société
d'hyperconsommation. Paris, Gallimard.
- LLOYD, S., RAIKHEL, E, 2014, « L’épigénétique environnementale et le risque
suicidaire : Reconsidérer la notion de contexte dans un style de raisonnement
émergent », Revue internationale francophone d’anthropologie de la santé, 9, 1-
23.
- LOCK, M. 1993, « Cultivating the Body: Anthropology and Epistemologies of
Bodily Practice and Knowledge», Annual Review of Anthropology, 22, 133-155.
- LOCK, M., 2002, Twice Dead: Organ Transplants and the Reinvention of Death.
Berkeley, University of California Press.
- LOCK, M., Nguyen, K., 2010, An anthropology of biomedicine. Oxford, Wiley-
Blackwell.
- LOUCHARD, Jean, 1983, « Le corps machinisé. Réflexion sur les avatars de la
pathologie industrielle. », Centre de recherche sur la culture technique, 11, 235-
241.
109
- LUNDBERG, M., HAGBERG, K., BULLINGTON, J., 2011, «My prosthesis as a
part of me: a qualitative analysis of living with an osseointegrated prosthetic limb»,
Prosthetics and Orthotics International, 35, 2, 207-214.
- LYNCH, K., 1984, Good city forms. Cambridge, MIT press.
- LYOTARD, J. F., 1979, La condition postmoderne. Paris, Éditions de Minuit.
- MALINOWSKI, B. 1922 (1999), Les Argonautes du Pacifique occidental. St-
Amand, Éditions Gallimard.
- MARCELLINI, A., VIDAL, M., FÉREZ, S., 2010, « La chose la plus rapide sans
jambes » Oscar Pistorius ou la mise en spectacle des frontières de l'humain »,
Politix, 2, 90, 139-165.
- MAUERBERG-DECASTRO, E., CAMPBELL, D. F., 2016, « The global reality
of the Paralympic Movement: Challenges and opportunities in disability sports»,
Motriz. The Journal of Physical Education, 22, 3, 111-123.
- MAUSS, M. 1934, « Les techniques du corps », Journal de Psychologie, 3-4, 15
mars - 15 avril 1936. Communication présentée à la Société de Psychologie le 17
mai 1934, p. 1-23.
- MAZZOCCHETTI, J., 2014, « Le corps comme permis de circuler. Du corps-héros
au corps souffrant dans les trajectoires migratoires et les possibilités de
régularisation. », Présence du corps et kinésie, 9, 133-154.
- MERLEAU-PONTY, M., 1945, Phénoménologie de la perception, Paris Éditions
Gallimard.
- MESSINGER, S, 2013, Sport, disability, and the reframing of the post-injury
soldier. 163-179, in N. Warren, Reframing disability and quality of life, a global
perspective, Dordrecht, Edition Springer.
- METCALFE A., (1996), L’évolution de la récréation physique organisée A
Montréal, 1840-1895. 45-72 in J-P. Augustin, La culture du sport au Québec,
Talence, Édition de la maison des sciences de l’homme d’aquitaine.
- MEZIANI, M., HÉBERT, T. 2012, « L’(in)égalisation des chances dans le sport »,
Revue Européenne de Recherche sur le Handicap, 6, 1, Janvier-Mars, 24-38.
110
- MISSA J.-N. & L. PERBAL, (2009), « Enhancement ». Éthique et philosophie de
la médecine d’amélioration. Paris, Éditions Vrin.
- MOL, A.-M., 2002, The body multiple: Ontology in Medical practice. Durham,
Duke University press.
- MURI, A. 2007, The Enlightenment Cyborg: A History of Communications and
Control in the Human Machine, 1660-1830. Toronto, University of Toronto Press.
- MUS, M. 2013, « Quelle place pour les personnes handicapées dans la société? »,
Le journal des psychologues, 1, 304,33-37.
- NICOGOSSIAN, J. 2008, De la reconstruction à l’augmentation du corps humain
en médecine restaurative et cybernétique. Thèse de doctorat, Faculté de Médecine,
Anthropologie biologique, Université de la Méditerranée.
- NICOGOSSIAN, J., 2012, « La prothèse de guerre : réparation du corps soldat »,
Corps, 1, 10, 225-232.
- PAILLER, D. SAUTREUIL, P. 2004 « Évolution des prothèses des sprinters
amputés de membre inférieur », Annales de réadaptation et de médecine physique
47, 374-381.
- PEERS, L.D., 2009, Governing Bodies: A Foucaultian Critique of Paralympic
Power Relation. Master of Arts Physical Education and recreation, University of
Alberta.
- PESTRE, D., 2011, « Des sciences, des techniques et de l’ordre démocratique et
participatif », Participations, 1, 1, 210-238.
- PETITBOIS, C., CARZORLA, G., LÉGER, L. 2001, « Les analyses métaboliques
dans le contrôle biologique de l’entraînement », STAPS, 1, 54, 77-88.
- POPPER, K., 1962, Conjectures et réfutations : la croissance du savoir
scientifique, Paris, Payot.
- PURDUE, D., Howe, D., 2013, « Who’s In and Who Is Out? Legitimate Bodies
within the Paralympic Games », Sociology of sport journal, 30, 24-40.
- PRACONTAL, M., 2002, L’homme artificiel. Paris, Denoël.
- QUEVAL, I., 2011, « Nature » et « surnature » du corps sportif », Les Cahiers du
Centre Georges Canguilhem, 5, 195-215.
111
- QUEVAL, I., 2012, « L'industrialisation de l’hédonisme. Nouveaux cultes du
corps : de la production de soi à la perfectibilité addictive », Psychotropes, 1, 18,
23-43.
- RAIL G., 1995, « Le sport et la condition post-moderne », Sociologie et société,
27, 1, printemps, 139-150.
- RÉGNIER, F., 2017, « Vers un corps féminin sur mesure : l’alimentation et les
techniques de la corpulence en France et aux États-Unis (1934-2010) », L’année
sociologique, 1, 67, 131-162.
- ROBÈNE, L. 2014, « L’histoire des techniques et des technologies sportives. Une
matrice « culturelle » franco-française de l’histoire du sport ? », Mouvement &
sport sciences, 4, 86, 93-104.
- ROBITAILLE, M., 2008, « Le cyborg contemporain. Quand les technosciences
visent le remodelage du corps humain », Interrogations, 7, décembre, 1-11.
- ROBITAILLE, M., 2011, « Natural born cyborg », Chimères, 75, 1, 33-44.
- ROZENBERG, J., 2007, Introduction. 19-33, in Boetsch, G., Corps normalise,
corps stigmatise, corps radicalise. Louvain-la-neuve, De Boeck supérieur.
- RUSAW, D., RAMSTRAND, N., 2011, « Motion-analysis studies of transtibial
prosthesis users: a systematic review», Prosthetics and Orthotics International, 35,
1, 8-19.
- SARDAN, O.,1995, La politique du terrain. Sur la production des données en
anthropologie, Les terrains de l’enquête, 1, 71- 109.
- SARDAN, O., 2007, La politique du terrain. Sur la production des données en
anthropologie. 25-53, in S. Lagrée, Les journées de Tam Dao, Nouvelles approches
méthodologiques appliquées au développement. 13 - 20 juillet.
- SARAGA, M., BOURQUIN, C., 2015 « Pluralité des corps: 1. Les corps de la
médecine », Revue médicale suisse, 11, 385-388.
- Schmid-Kitsikis, E., 2008, « La démarche analogique. Esquisse d’une réflexion
épistémologique », Revue française de psychanalyse, 1, 72, 185-200.
- SÉGAUD, M., 2007, Anthropologie de l'espace. Habiter, fonder, distribuer,
transformer. Paris, Armand Colin.
112
- SLOTERDIJK, P., 2001, L’heure du crime et le temps de l’œuvre d’art, Paris,
Hachette Littératures.
- STAR, S.L., GRIESEMER, J., 1989, « Institutionnal ecology, ‘Translations’ and
Boundary objects: amateurs and professionals on Berkeley’s museum of vertrebate
zoology », Social Studies of Science, 19, 387-420.
- STEHR, N., 2000, « Le savoir en tant que pouvoir d’action. », Sociologie et société,
32, 1, printemps, 157-170.
- STIKER, H.-J., 1982, Corps infirmes et sociétés. Paris, Aubier Montaigne.
- STIKER, H.-J., 2014, « Une perspective en histoire de l’handicap », European
journal of disability, 8, 1-9.
- SWARTZ, L. Watermeyer, B., 2008, « Cyborg anxiety: Oscar Pistorius and the
boundaries of what it means to be human », Disability & Society, 23, 2, 187-190.
- TOLLENEER, J, 2013, Self, Other, Play, Display and Humanity: Development of
a Five-Level Model for the Analysis of Ethical Arguments in the Athletic
Enhancement Debate. 21-43, in J. Tolleneer, Athletic Enhancement, Human Nature
and Ethics. Threats and Opportunities of Doping Technologies, (Ebook), Springer
Link.
- TROMPETTE, P., VINCK, D., 2009, « Retour sur la notion d’objet-frontière »,
Revue d’anthropologie des connaissances, 3, 1, 5-27.
- UHL, M., 2011, « Présentation : images d’un corps hanté par la technologie »,
Cahiers de recherches sociologiques, 5-13.
- VAN DE VILET, P., 2014, Sport for indivuduals with an impairmen. 7-21, in
Elizabeth Broad, Sports nutrion for Paralympic athletes, Boca Raton, CRC Press.
- VAN GENNEP, A., 1909 (1981), Les rites de passages. Paris, Éditions A. et J.
Picard.
- VIGARELLO, G., BEJA, A. 2013, « Le dopage et limites du corps », Esprit, 2,
février, 129-131.
- VINCK, D., 2007, « Retour sur le laboratoire comme espace de production de
connaissances », Revue anthropologique des connaissances, 1, 159-165.
113
- VINCK, D., 2009, « De l’objet intermédiaire à l’objet-frontière », Revue
d’anthropologie des connaissances, 3, 1, 51-72.
- WILSON, J. R., ASFOUR, S., 2009, « A new methodology to measure the running
biomechanics of amputees», Prosthetics and Orthotics International, 33, 3,
septembre, 218-229.
114
Site internet
- DUMÉRY, (http://www.universalis.fr/encyclopedie/axiologie/), février 2015.
- LERUEZ, Jacques, 2014, « Royaume-Uni- La société britannique contemporaine
», http://www.universalisedu.com.acces.bibl.ulaval.ca/encyclopedie/royaume-uni-
la-societe-britannique-contemporaine/ [en ligne], décembre 2014.
- LERUEZ 2014 : Encyclopædia Universalis en ligne), Rapport Beveridge,
(https://www.universalis.fr/encyclopedie/rapport-beveridge/) février 2015
- (https://www.darpa.mil/news-events/2015-02-08), septembre 2017.
- (http://www.ac-grenoble.fr/lycee/vincent.indy/spip.php?article772), septembre
2017.
- Musée olympique : Les Jeux Olympiques de L’Antiquité
(www.olympic.org/documents/reports/fr/fr_report_658.pdf), mai 2017.
- (http://www.sport.fr/handisport/jeux-paralympiques-2012-record-avec-2-7-
millions-de-spectateurs-280189.shtm), mai 2017.
- Encyclopédie canadienne, (http://encyclopediecanadienne.ca/fr/article/magna-
carta/), 2016 novembre.
- http://www.fondshs.fr/vie-quotidienne/accessibilite/origines-et-histoire-du-
handicap-partie-1 2018 juin.
- Musée canadien de la guerre, Le Canada et la Première guerre mondiale, Le coût
de la guerre du Canada,
(http://www.museedelaguerre.ca/premiereguerremondiale/histoire/apres-la-
guerre/legs/le-cout-de-la-guerre-du-canada/), Mars 2015
- (http://enpleinelucarne.net/2012/09/les-jo-paralympiques-684), février 2015.
115
- (http://www.pediatrics.emory.edu/divisions/neonatology/dpc/Impairment%20MX.
html, Janvier 2016.
- La documentation française, Mobilisés, tués et blessés de la Grande Guerre,
(http://www.ladocumentationfrancaise.fr/dossiers/premiere-guerre-
mondiale/mobilises-tues-blesses.shtml), Mars 2015.
- Official web site of Paralympic movement, (https://db.ipc-
services.org/sdms/hira/web/results/event/PG2012ATM00144010000), février
2018.
- Official web site of Paralympic movement, (https://db.ipc-
services.org/sdms/hira/web/results/event/PG2012ATM00244010000), février
2018.
- https://www.paralympic.org/ornskoldsvik-1976 (septembre 2017)
- (http://www.sport.fr/handisport/jeux-paralympiques-2012-record-avec-2-7-
millions-de-spectateurs-280189.shtm), Avril 2015.
- (http://www.lexilogos.com/latin/gaffiot.php?q=actio). Mars 2015.
- Official web site of Paralympic movement,
(https://www.paralympic.org/results/historical), Avril 2015.
- L’ONU, et les droits de l’homme, Droits des personnes handicapés,
(http://www.un.org/fr/rights/overview/themes/handicap.shtml). Novembre 2017.
- https://www.youtube.com/watch?v=TCQpNYDTV-Q), Mars 2015.
116
Articles de journaux
- AFP, Three Paralympic runners qualify for marquee final in 100m sprint, Agence
France Presse, 24 septembre 2004.
- BWR, Business Wire, `Disabled' athletes going for the gold in Barcelona games,
1 septembre 1992.
- EL-BASHIR, Tarik, Amputee Takes Sheer Speed and Will to Atlanta, New York
Times 16 août 1996.
- HALLEY, Jim, Utah Paralympian Ready to Challenge America's Top Able-
Bodied Runners, The Salt Lake Tribune, 4 septembre 2001.
- HARRIS, Steve, Blade runners and rolling thunder: developing Paralympic
equipment, The Engineer, 19 septembre 2012.
- HENTE, Karl, Sure Bet for Mullins: She Was Born to Run; Area Student to
Compete in Paralympics, The Washington Post, 17 août 1996.
- HIGGINBOTHAM, Mickey, PARALYMPIC GAMES Advances serve
nonathletes, too Improvements in equipment for Paralympic competitors often lead
to better prostheses and wheelchairs for the general disabled population, Atlanta
Journal and Constitution, 13 août 1996.
- HMSP, Connor adds another medal to Paralympic collection, The Hamilton
Spectator, 27 octobre 2000.
- JOSHI, Amrut, The Inspirational Tale of Oscar Pistorius- Revisiting the Cheetah
Flex-Foot with an eye on London 2012, Bar & Bench, 24 juillet 2012.
- KELLY, Jack, Steps to recovery program offers advice and exercises routines to
amputees, Pittsburgh Post-Gazette, 25 avril, 2011.
- KRAGTHORPE, Kurt, Paralympian Shirley enjoying life in the fast lane, The Salt
Lake Tribune, 23 septembre 2004.
- LEE, Katy, Paralympics: Science unclear over Pistorius claims – IPC, Agence
France Presse, 3 septembre 2012.
- LEICESTER, John, Column: Having made Olympic history, Oscar Pistorius hurts
cause with anger over rivals' limbs, Associated Press Newswires, 5 septembre 2012.
117
- MCCARTHY, Yulanda, BEYOND HIS BOUNDARIES // Austin's Bourgeois
beats birth defect to shine as 1 of world's top parathletes 26 décembre 1992 Austin
American-Statesman).
- MCLAUGHLIN, Martyn, Why 'Blade Runner' has sport on edge of a moral
dilemma, The Scotsman, 13 juillet 2007.
- MEYER, Tara, High-Tech Wheelchairs, Prostheses Showcase of Paralympics,
The Associated Press, 19 août 1996.
- PENNINGTON, Richard, Amputees pick up the pace, Austin American-
Statesman, 5 décembre 1989.
- REED, Ron, Elite hard to beat / Professionalism, technology pave way for the
new, Daily Telegraph, 24 août 1996.
- RODEAUD, Marie-Ange, L'homme qui valait trois médailles avec ses prothèses,
Volpentest a décroché de l'or à Barcelone et Atlanta, Libération, 22 août 1996.
- RUSSO, Francine, Bionic wowen, The Village Voice, 25 avril 2000.
- SAMUEL, Ebenezer, BLADE RUNNER. Pistorius' Olympic quest sparks debate
on track, New York Daily News, 1 juin 2008.
- SCHAACK, Steve, Paralympian sprinter runs at Provo meet, Deseret Morning
News, 26 juin 2004.
- SOKOLOVE, Michael, The fast live, New York Times, 22 janvier 2012.
- TIERNEY, Mike, Standing tall on an legs. Lifelong upbeat attitude fueling
amputee's success in life, setting track records, The Atlanta Journal
Constitution10 décembre 2000.
- TUNNEY, Kelly, Paralympics – Records, The Associated Press, 25 octobre 1988.
- (21 septembre 2004 Associated Press Newswires).
- WILSON, Neil, Pistorius and chambers are in the Beijing running again; athletics,
Daily Mail, 17 mai 2008.
118
Littérature grise
- Seoul Olympic Organizing Committee, Official report, Games of the XXIVth
olympiad Seoul 1988, Séoul 1988, volume 1-5.
- COOB’92, Official Report of the Games of the XXV Olympiad Barcelona 1992,
volume 1-4.
- Atlanta Committee for the Olympic Games (ACOG), The Official Report of the
Centennial Olympic Games, Atlanta 1996, volume 1-3.
- Sydney Organising Committee for the Olympic Games, Official Report of the
XXVII Olympiad, Sydney 2000, volume 1-2.
- Athens 2004 Organising Committee, for the Olympic Games Official Report of the
XXVIII Olympiad, Athènes 2004, volume 1-2.
- Beijing Organising Committee for the Games of the XXIX Olympiad (BOCOG),
Official Report of the Beijing 2008 Olympic Games, Beijing 2008, volume 1-2.
- The London Organising Committee of the Olympic Games and Paralympic Games,
London 2012 Olympic Games Official Report, Londres 2012, volume 1-3.
- International Paralympic Committee (IPC), Strategic Plan 2011-2014.
- International Paralympic Committee (IPC), Annual report, 2004-2012.
- International Paralympic Committee (IPC), IPC Classification code and
internationals standards, novembre 2007.
- International Paralympic Committee (IPC), Explanatory guide to Paralympic
classification in Paralympic summer sports, July 2015.
- Swiss olympic, « Concept du sport d’élite suisse » Continuité de la promotion
relève-élite 2010.