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Le Coton et l'Indigène (Afrique Occidentale Française)

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International African Institute

Le Coton et l'Indigène (Afrique Occidentale Française)Author(s): Henri LabouretSource: Africa: Journal of the International African Institute, Vol. 1, No. 3 (Jul., 1928), pp.320-337Published by: Cambridge University Press on behalf of the International African InstituteStable URL: http://www.jstor.org/stable/1155634 .

Accessed: 14/06/2014 08:48

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LE COTON ET L'INDIGENE

(AFRIQUE OCCIDENTALE FRAN?AISE)

PAR HENRI LABOURET

[Le Probleme du Coton. - Le Coton en Afrique Tropicale. - Culture Irriguee et Dry Farming; l'Squipement Industriel. - Le Collaborateur Indigene, son tiducation et les Consequences de celle-ci. - Bibliographie.]

LE PROBLEME DU COTON

TE probleme du coton, qui a pris tant d'importance depuis un quart de siecle, est pose en realite depuis plus de cent ans et il semble

bien que les tentatives faites pour le resoudre au debut du xixe siecle dans la vallee du Senegal furent les premieres de cette nature realisees en Afrique.

Lorsque la France recouvra dans ce continent ses etablissements de la c6te occidentale, en execution du traite de Paris du 30 mai 1814, confirme sur ce point par le traite du 20 novembre i8 5, elle eut a choisir une politique nouvelle. Les territoires qu'elle reoccupait n'avaient produit jusqu'alors que de la gomme achetee aux Maures dans les escales du fleuve, de l'or, un peu de cire, des peaux et, surtout, des esclaves. Or, la traite des Noirs venait d'etre supprimee et, du meme coup, les colonies a plantations, comme les Antilles, perdaient le moyen de renouveler leur main-d'oeuvre, tandis que le Senegal se voyait prive d'un commerce lucratif.

Cette situation amena le Baron Portal, Directeur au Ministere, puis Ministre, a concevoir un plan de colonisation qui fut tente avec des modes d'application divers a Madagascar, a la Guyane, et, enfin, en

Afrique occidentale. En ce qui concerne cette possession, on decida d'y developper la culture des denrees dites coloniales par des 'mains libres'. Dans ce but on obtiendrait des chefs indigenes, moyennant des redevances annuelles, la concession de bonnes terres et le recrute- ment d'ouvriers noirs, qui seraient mis a la disposition de colons

A summary of this article in English appears on p. 401.

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LE COTON ET L'INDIGENE 3 2

venus de France et disposant d'un capital d'au moins 5,000 francs, d'habitants de Goree et de Saint-Louis, et de soldats liberes.

En 1816, des instructions speciales sont donnees dans ce sens au Colonel Schmaltz nomme Gouverneur du Senegal. En i8I8, apres deux ans d'etudes, cet officier rend compte que la vallee du fleuve est salubre, d'une fertilite merveilleuse et propre a la culture du coton et de l'indigo. Des plantations y sont tentees aussitot, mais l'hostilite des Maures ne permet pas de les continuer.

Les essais sont repris en I824 par un nouveau Gouverneur, le Baron Roger, qui organise un service special de l'agriculture, forme des inspecteurs, des jardiniers, engage des ouvriers, fait une propa- gande intense, en meme temps qu'il distribue des graines de coton americain et des instruments aratoires aux habitants de la basse vallee du Senegal. Cette initiative etait prematuree, car la situation politique restait delicate et la securite mal assuree; aussi, les cultures ayant ete bient6t abandonnees, l'ancienne politique commerciale fut reprise.

Mais, en I86o, la guerre de Secession eclate aux ltats-Unis. Les filateurs alsaciens, craignant d'etre prives de matiere premiere, inter- viennent aupres du General Faidherbe, alors Gouverneur du Senegal, et lui demandent de les aider. Celui-ci, administrateur du plus grand merite, favorise aussit6t la culture du coton et fait proceder, en 1864 et i865, a la station agricole de Richard-Toll, a des experiences conduites par le jardinier en chef Lecard. Ce dernier affirme bientot que la plante textile est susceptible de fournir en terre irriguee un coton d'aussi belle qualite et aussi abondant que celui de la Louisiane ou de l'lgypte. Les filateurs alsaciens installent alors quelques plantations sur les rives du fleuve.

Malheureusement cette interessante initiative n'est pas suivie. Faidherbe rentre en France, quelques difficultes locales se produisent, l'interet et l'activite economique se tournent de plus en plus vers l'Algerie, le Senegal est oublie.

Quarante-deux ans plus tard une nouvelle crise particulierement grave amene l'industrie europeenne a proceder a de nouveaux essais en Afrique tropicale. En I902 la production mondiale du coton est estimee, en effet, a I6 millions de balles, dont iI proviennent des Etats-Unis, 3 de l'Inde, i de l'Egypte, i des autres parties du monde.

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Cette situation exceptionnelle provoque chez les producteurs ameri- cains le desir de controler le marche. En consequence, certains speculateurs de New-York accaparent la recolte et l'Europe ne peut approvisionner ses filatures. I1 en resulta l'annee suivante un ch6mage force affectant de la maniere la plus dure les fileurs, tisseurs, cardeurs et souffleurs, ainsi que les industriels; les pertes qu'il causa furent considerables.

Cependant les positions des adversaires se precisent, et quatre ans plus tard les planteurs americains des Etats du Sud annoncent au Congres d'Atlanta (Georgie) leur decision de ne plus livrer le coton qu'au prix qui leur conviendrait, ils s'efforcent en meme temps de regenter dans le monde le cours de cette matiere premiere. Les evenements ne leur permirent pas de maintenir cette pretention, qui determina neanmoins en Europe une nouvelle crise financiere et economique presque aussi grave que la precedente.

Dans la meme periode l'industrie cotonniere americaine prouvait sa prosperite en manufacturant chaque annee une quantite plus con- siderable de textile et proclamait son intention d'utiliser bientot toute la fibre des Etats-Unis.

Une pareille situation offrait pour l'Allemagne, l'Angleterre, et la France des dangers evidents. La premiere de ces puissances occupe en effet au travail du coton I,500,000 ouvriers, on estime que pres du quart de la population de la Grande-Bretagne vit egalement du coton, tandis qu'en France i,2oo industriels et 6oo,ooo ouvriers peuvent etre plonges dans la misere par l'arret de l'approvisionnement en matiere premiere.

L'Angleterre, etant la plus menacee, s'emut des I901. La Chambre de Commerce d'Oldham, puis celles de Liverpool et de Manchester, formerent alors des Comites, qui deciderent la fondation le i2 juillet I902 de la 'British Cotton Growing Association'. Cette Institution etait erigee en Compagnie a Charte le 27 aout I904. Elle s'assura pour cinq ans, au moyen de taxations diverses consenties par les industriels et les associations ouvrieres, un revenu de 2o10,ooo, et se mit au travail en installant des usines d'egrenage, en achetant le coton indigene, et en entreprenant des essais de culture. Ses efforts furent couronnes de succes, puisque la Grande-Bretagne a tire en i926 de

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~~~~~~^ ~AFRIQUE OCCIDENTALE im chute annuelle des pluies.

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ses possessions africaines 5 oo,ooo balles de coton, la Nigeria en ayant fourni pour sa part 39,059 contre 12,37i en 1916.

De son cote l'Allemagne avait poursuivi au Togo, des I900, la realisation d'un programme etabli avec soin dans le double but d'ameliorer les varietes de coton indigene et d'introduire dans le pays des plants americains. Malgre certaines difficultes qui generent son action au debut, elle etait parvenue en 1914 a exporter 2,ooo balles de fibre.

En France les industriels, pousses par les memes preoccupations que dans les pays voisins, fondent le 3 novembre I902 une 'Associa- tion Cotonniere Coloniale', qui commence l'annee suivante une serie d'experiences particulierement interessantes et utiles dans la vallee du Senegal et celle du Niger. Malheureusement l'argent manque a ce nouveau groupement qui n'a au debut de son action, ni l'appui des hommes d'affaires, ni celui de l'opinion publique, encore mal avertie des conditions du probleme et de l'urgence qu'il y a a le resoudre. Mais a partir de I919 la conscience nationale s'eveille en France, l'Association Cotonniere Coloniale entreprend de se reorganiser et d'augmenter ses ressources, en meme temps, les pouvoirs publics portent avec faveur leur attention sur l'Afrique tropicale.

LE COTON EN AFRIQUE TROPICALE

I1 est parfaitement logique d'esperer de cette contree une importante production de textile, puisque le cotonnier y est cultive depuis des sieles et que sa fibre est utilisee par les indigenes.

Nous ne possedons aucune notion sur l'epoque a laquelle la plante en question a ete introduite dans le pays, mais l'etude des diverses varietes qu'elle presente aujourd'hui a permis de les diviser en deux categories tres nettes, l'une renfermant des types analogues a ceux qu'on trouve en Orient, l'autre offrant des types provenant a n'en pas douter d'Amerique. Sans entrer ici dans le detail d'une nomenclature com- pliquee, nous signalerons que les derniers se rencontrent dans la region cotiere, en Guinee frangaise, au Sierra-Leone, au Liberia, a la Cote d'Ivoire, en Gold-Coast, au Togo, au Dahomey, et en Nigeria; du littoral ils se sont repandus dans l'interieur, produisant dans cer- taines regions favorables, notamment au Baoule, dans la partie

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LE COTON ET L'INDIG1fNE 325 moyenne du Togo, de la Gold-Coast et du Dahomey, un coton comparable au sea-island des lEtats-Unis. Ils ont gagne ensuite le Soudan meridional, la Haute Volta, on les rencontre aussi en Sene- gambie. I1 n'est pas temeraire de supposer que ces plantes ont ete apportees sur la cote, a partir du xvIe siecle, en meme temps que le manioc, le mais et l'arachide, par les navires qui se livraient au com- merce et a la traite des esclaves dans ces parages. Les varietes de cotonnier analogues aux types orientaux sont au contraire frequentes dans la vallee du Senegal, dans le Soudan, dans la Haute-Cote d'Ivoire, le Dahomey et le Togo moyens.

Comme le remarque tres justement M. Monteil:

'L'introduction des cotonniers d'origine orientale est indubitablement plus ancienne que celle des cotonniers americains et il est vraisemblable de l'attribuer aux Semites qui, 'a des epoques tres lointaines, se sont installes dans le nord du Soudan occidental et ont joue un role capital et encore persistant dans l'evolution des peuples de l'Afrique occidentale.

'On attribue couramment aux Musulmans l'implantation de la culture cotonniere dans l'Afrique du Nord et la mise en ceuvre de son produit, mais il est remarquable que le gossypium herbaceum, propage par eux, du Ixe au XIe siecles, dans les pays mediterraneens, n'a pas ete signale en Afrique occidentale, ou existent par contre les especes orientales importees par des immigrations bien anterieures.

'Ces especes qualifiees d'indiennes sont nettement en regression par suite de la faveur dont jouissent, de plus en plus, les varietes americaines precitees qui sont tres bien acclimatees et donnent un produit superieur.'

M. Delafosse ecrit d'autre part: 'Les Carthaginois, en meme temps qu'ils vendaient aux Noirs des tissus

et des sortes de chemises, leur apportaient, vraisemblablement, des semences de cotonniers et leur apprenaient a tisser les fibres de coton et a coudre les etoffes.'2

I1 parait en effet tres probable que les Negres de l'Ouest-Africain sont entres en contact avec les habitants du Nord beaucoup plus tot qu'on ne le suppose d'ordinaire. Nous savons que leurs groupements colonisaient le Sahara a l'epoque prehistorique et les geographes, ainsi

I C. Monteil, Le Coton che7 les Noirs. Public. du Comitd d't5t. Hist. et Scient. de l'Afr. Occ. Franf. Paris, Larose, 1927, p. 46.

2 M. Delafosse, Les Noirs de l'Afrique. Paris, I921, p. 34.

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que les voyageurs arabes du moyen-age, mentionnent l'existence d'agglomerations importantes dans des zones aujourd'hui desertes, mais dans lesquelles il pleuvait alors suffisamment pour qu'on s'y livrat a la culture. Des relations suivies ont donc pu s'eetablir de bonne heure et facilement entre Blancs et Noirs, les echanges qui en resul- terent sont attestes, semble-t-il, par une preuve materielle. On ren- contre en effet dans certaines regions peuplees de Negres des perles en verre tres particulieres, bien connues des navigateurs europeens des le XvIe siecle et designees par eux sous le nom depierres d'aigri ou aggry beads. Ces objets sont identiques a ceux decouverts dans les sepultures de l'Egypte, de l'Assyrie, de la Phenicie. On les trouve egalement dans diverses contrees de l'Afrique, mais aussi en plusieurs points du littoral europeen et en Asie, si bien qu'on peut se demander s'ils n'y ont point ete amenes par des expeditions commerciales pheniciennes ou carthaginoises.

D'autre part, l'etude approfondie des idiomes les plus importants du Soudan revele l'existence de racines empruntees a une langue semitique autre que l'arabe et introduites sans doute a une epoque ou l'arabe n'avait pas encore penetre en Afrique. I1 est admissible que le Phenicien, soit sous sa forme primitive, soit sous la forme du dialecte punique, a pu fournir aux populations noires vivant autrefois dans le Sahara actuel certains termes relatifs a des animaux ou a des objets importes, notamment a l'equitation et au coton. Le nom de ce textile est en effet dans les dialectes mandingues: koto, kote, et koro.

Sans pretendre determiner avec exactitude l'epoque a laquelle cette plante a ete introduite au Soudan, on peut cependant remarquer qu'elle etait deja fort repandue dans cette region lorsque Bekri la visita au xie siecle. Les Noirs ne surent pas lui garder ses qualites premieres, elle degenera bientot, donnant des soies courtes inegales et peu resistantes, utilisables sur les metiers indigenes, mais jugees d'abord insuffisantes pour etre employees par l'industrie europeenne.

Cependant cette derniere, poussee par la necessite apres la guerre, et ayant modifie son outillage, admit au cours de ces dernieres annees que le coton a fibre courte pouvait etre accepte par elle, pour peu qu'il fut conditionne et homogene. Cette attitude nouvelle influa manifestement sur le plan d'action adopte par le Gouverneur general

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LE COTON ET L'INDIGIENE 327 de l'Afrique Occidentale en 1924 et qui prevoit le developpement parallele de la production par irrigation et culture seche, en utilisant des varietes locales ameliorees et en introduisant des types exotiques bien choisis et eprouves.

CULTURE IRRIGUE,E ET DRY FARMING

L'EQUIPEMENT INDUSTRIEL

Ceux qui ont envisage la culture du coton dans les possessions francaises apres 1918 se partagerent 'a l'origine en deux categories, formees des partisans de la culture irriguee et des partisans de la culture seche. Les conclusions des etudes realisees depuis quelque temps ont fait adopter une solution mixte permettant de produire la fibre dans certaines vallees faciles a inonder, et utilisant d'autre part le dry farming dans des regions recevant au minimum 800 millimetres et au maximum I,200 millimetres d'eau par an.

Les conditions locales n'etant pas favorables au coton dans les pays situes sur le littoral du Golfe de Guinee, l'equipement des rivieres qui aboutissent dans cette partie de la cote n'avait pas a etre etudie; il n'en etait pas de meme pour le Senegal et le Niger.

Le premier offre des possibilites d'amenagement et l'on a examine l'opportunite de relever le plan d'eau du fleuve a l'etiage jusqu'a Bakel, et meme jusqu'a Kayes, par la creation de barrages sur les seuils rocheux existants. Mais les travauxa effectuer dans ce but seraient considerables et d'une grande complexite. On peut se demander par ailleurs si leur prix repondrait a leur utilite dans certaines regions bien situees, comme Bakel par exemple, mais ou la densite de la population est seulement de 2.i habitants au km.q. sur la rive droite et de I-4 habitants sur la rive gauche, c'est-a-dire respectivement en Mauritanie et dans le desert du Ferlo Senegalais. Dans ces conditions le projet des grands amenagements a ete abandonne de ce cote, toutefois on envisage des travaux moins importants et moins onereux, qui permettraient de creer des reserves d'eau destinees a irriguer de faibles etendues et a favoriser l'arrosage des champs au moyen de pompes.

Le Niger parait offrir au contraire des conditions beaucoup plus

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favorables. Ce fleuve comporte deux biefs en territoire frangais: Kouroussa-Bamako et Koulikoro-Ansongo; de plus, il est longe a la hauteur de Segou par un autre cours d'eau important, le Bani, avec

lequel il forme une sorte de delta avant de se perdre dans le lac Debo.

Des I919, M. l'Ingenieur Belime proposait de tirer parti de cette situation et deposait l'annee suivante un rapport detaille, dans lequel il etudiait les conditions techniques de l'irrigation dans la vallee moyenne du Niger. Ses conclusions signalaient la possibilite de traiter utilement 750,0oo hectares moyennant certains dispositifs dont l'etude fut confiee a une societe privee, la Compagnie Generale des Colonies.

Apres examen on arreta provisoirement le programme suivant: 10. Un barrage regulateur construit a Sotouba en aval de Bamako permettra de deriver les eaux du fleuve sur la rive droite au moyen d'un canal qui commanderait les irrigations entre Niger et Bani. 2?. Un autre barrage a Sansanding assurerait une retenue d'eau suffisante pour irriguer sur la rive gauche du fleuve les plaines de

Sansanding et du Macina, prealablement garanties, par des digues appropriees, contre les inondations en periode de crue.

En decembre 1925 une premiere tranche de travaux a ete entreprise, elle comprend: la construction d'un barrage pres de Bamako au lieu dit le 'seuil des aigrettes' et le creusement d'un canal ouvert sur 14 km. de long et d'ou ont ete extraits 432,800 m3 de terre, et l'endiguement en aval de Sansanding de la partie septentrionale du Haut Macina.

Parallelement l'administration locale, la Compagnie Generale des Colonies et plusieurs entreprises privees poursuivaient des essais afin de determiner les especes de coton susceptibles d'etre cultivees aussi bien dans les terres irriguees que par le procede du dry farming.

De ces differentes tentatives on a pu tirer les conclusions suivantes: io. Les cotonniers a longues soies du type egyptien sont capables de donner sous irrigation, dans la vallee du Senegal, des rendements aussi eleves qu'en Egypte a condition de pratiquer une culture soignee et de maintenir, par les moyens voulus, la fertilite du sol. 2z. Les experiences faites par la Compagnie de Culture cotonniere du Niger cultivant deja "a Dire 3,000 hectares demontrent que la vallee du Niger

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se prete egalement avec succes a la culture du coton egyptien. 30?. En culture irriguee dans la vallee du Niger les varietes americaines don- nent un rendement de 200 a 500o ks. de fibre a l'hectare. 40. En dry farming, dans les sols profonds, fertiles et bien cultives on peut escompter avec les memes cotonniers americains un rendement de oo a 15 o ks. de fibre a l'hectare.

I1 est evident que ce dernier mode de culture est le plus facile a developper utilement en attendant la mise en valeur des terres irriguees. Mais ce procede n'est susceptible d'un rendement industriel qu'a la condition de selectionner les graines, de developper les sur- faces plantees, d'ameliorer les methodes locales, de conditionner le produit et de l'evacuer.

Sous l'impulsion energique du Gouverneur General, M. Carde, des dispositions ont ete prises depuis 1924 par les administrations locales, par l'Association Cotonniere Coloniale et par certaines entreprises pour distribuer aux indigenes des graines de semence choisies des- tinees a remplacer celles que fournissent les varietes locales souvent abatardies. De plus, dans chaque colonie, des fermes modeles ont servi de champs d'experience et de demonstration, en meme temps que de centres d'enseignement pour des jeunes gens qui viennent y recevoir une education agricole pratique, dont ils font beneficier leur entourage.

La production du textile serait depourvue d'utilite si le culti- vateur n'etait pas assure d'ecouler sa recolte. Dans ce but on ne pouvait songer a sillonner de chemins de fer nouveaux l'immense territoire de l'Afrique occidentale frangaise; mais les voies de com- munication deja existantes ont ete completees au moyen de routes et de pistes, qui permettent aux automobiles du commerce de visiter tous les centres d'achat. I1 existe actuellement 32,40oo km. de routes carrossables, dont 7,350 peuvent etre parcourues toute l'annee, et 25,050 seulement pendant la saison seche. En outre, I5,ooo km. de pistes sont accessibles aux voitures legeres.

D'autre part, 54 installations mecaniques pour l'egrenage et le pressage ont ete construites dans les contrees ou peut pousser le coton. L'Association Cotonniere Coloniale, realisant un remarquable effort, a depense plus de 6 millions de francs pour mettre en ordre de marche

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I6 centres industriels, les autres ont ete etablis par les colonies inte- ressees ou des societes privees; ils se repartissent ainsi:

Senegal . . . . . . . 9 Soudan francais . . . . . . 8 Haute Volta . . . . . . I4

Guinee . . . . . . . i Cote d'Ivoire . . . . .. 5 Dahomey . . . . . . . I 3 Territoire sous mandat du Togo . . . 4

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Ces differentes installations placees au centre des regions coton- nieres ont ete pourvues d'amenagements susceptibles de recevoir, le cas echeant, un materiel plus important et correspondant au develop- pement escompte de la production. Celle-ci s'est elevee en i926 a 5,700 tonnes de fibre exportee.

Tel qu'il est aujourd'hui, ce premier reseau sera bientot insuffisant, c'est pourquoi l'on etudie des 'a present l'organisation d'usines secondaires mobiles, qui pourraient se deplacer suivant les besoins pour egrener et presser la recolte dans les regions trop eloignees des installations fixes.

Ainsi l'equipement agricole et industriel du Gouvernement General a ete realise dans des conditions tres satisfaisantes pour exploiter au mieux les possibilites du dry farming, en attendant que soit execute le vaste programme d'irrigations prevu dans la vallee du Niger.

Toutes les mesures necessaires ayant ete prises du cote europeen, il convenait d'agir aussi sur l'indigene, collaborateur indispensable de toute entreprise de cette categorie; il fallait obtenir de lui une extension de ses cultures, une augmentation sensible de la superficie plantee en cotonniers et en meme temps l'emploi de procedes propres a intensifier le rendement a l'hectare, qui est notoirement insuffisant. C'est de toute evidence la partie la plus delicate de la tache adminis- trative.

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LE COTON ET L'INDIGENE

LE COLLABORATEUR INDIGENE: SON RDUCATION ET LES

CONSE1QUENCES DE CELLE-CI

I1 ne faut pas se dissimuler en effet que le programme prevu ne concerne pas seulement le coton, il s'applique en realite a toute la vie agricole du Soudan geographique et va modifier profondement les conditions d'existence de cette contree. Une reforme economique aura donc, comme on peut s'y attendre, une repercussion sociale dont les consequences seront considerables.

Depuis moins de quarante ans trois phenomenes importants ont contribue a faire evoluer les Noirs dans cette region, ce sont: la suppression de l'esclavage, la desintegration familiale, et l'extension du pecule personnel. La transformation de l'outillage agricole, inter- venant a son tour, va susciter d'autre part des notions nouvelles dans les consciences.

A ne considerer que la faculte de production et sans tenir compte des autres facteurs, il semble bien que la suppression radicale et brusque de l'esclavage, telle qu'on la realisa en territoire frangais, ait profondement influe sur le rendement agricole, car les familles libres, privees du jour au lendemain de leurs ouvriers habituels, ont restreint les surfaces qu'elles ensemengaient autrefois. Ainsi, par un etrange paradoxe, la paix qu'imposait la domination europeenne, tout en favorisant, en theorie, l'extension des cultures, limitait en realite celles-ci a cause de la suppression du labeur servile.

En meme temps, la securite generale au lieu de resserrer les liens unissant autrefois les membres de la famille etendue semblait les relacher. Dans le passe les individus issus d'une meme origine et groupes sous l'autorite d'un patriarche vivaient, produisaient, et se defendaient ensemble dans des villages fortifies ou dans les curieux chateaux-forts du pays Gourounsi, qui sont imprenables. L'alliance la plus etroite etait alors necessaire pour lutter contre la nature et les voisins hostiles, elle ne favorisait ni l'initiative, ni l'emulation, ni 1'invention.

Quelques annees de securite ont suffi pour faire adopter un regime beaucoup moins coherent. Presque partout le noyau primitif de la famille etendue s'est fractionne en plusieurs groupes restreints, com-

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332 LE COTON ET L'INDIGENE

prenant les descendants d'un meme ancetre. Dans chacun de ces groupes l'autorite du chef qui remplaga le patriarche a diminue; les jeunes gens echappent a son influence au moment du service militaire et beaucoup d'entre eux ont pris l'habitude de s'absenter durant des periodes assez longues pour s'employer dans des entreprises euro- peennes ou indigenes des regions cotieres. L'argent qu'ils gagnent ainsi constitue pour eux un pecule dont ils ne doivent compte a personne et qu'ils font souvent fructifier eux-memes en s'etablissant a part. A leur exemple les autres membres de la famille, demeures sur place, s'efforcent d'augmenter leurs ressources propres par la culture ou le commerce sur les marches voisins. Ils acquierent ainsi une independance autrefois inconnue et qui parait offrir certains inconvenients.

Aujourd'hui les grandes familles de 00oo ou 50 individus sont devenues rares. Les centres qui les reunissaient autrefois par quartier ont ete partiellement abandonnes par les anciens occupants et ceux-ci ont fonde au loin de petits villages de culture, bientot transformes en residence definitive. Lia, les nouveaux groupes, issus de la famille etendue, vivent et produisent separes les uns des autres.

Ceux que j'ai personnellement observes comptent d'ordinaire une

vingtaine de personnes. I1 n'est pas sans interet d'examiner les modalites de leur travail en consideration de la reforme agricole projetee par l'administration. Prenons comme exemple une exploita- tion comprenant 18 personnes: 6 hommes, 7 femmes, 5 enfants de 7 a I2 ans, et cultivant 9 hectares de terre, soit 2 hectare par individu. On peut admettre qu'au cours de l'annee tropicale i8o jours sont impropres au labeur par suite de la secheresse ou de la pluie. Le reste du temps chaque homme s'adonne en moyenne a la culture pendant 55 jours, chaque enfant pendant 30 jours, chaque femme pendant 10 jours. A part cela les membres du groupe, suivant leur age et leur sexe, s'occupent aux soins domestiques, a la reparation des maisons et des greniers, a celle des armes et des outils, a la chasse, aux visites, aux voyages, ils se rendent aux funerailles de leurs parents ou amis, celebrent des fetes politiques ou religieuses et conversent entre eux. Tout cela denote en somme peu d'activite, et nous serions volontiers enclins a taxer le Negre de paresse. Ce serait une erreur que le Dr.

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LE COTON ET L'INDIGItNE 333 Cureau a rectifiee dans un jugement porte par lui sur les populations equatoriales, mais qui s'applique parfaitement ici. Nous dirons donc avec lui que le Noir est seulement inoccupe, n'ayant aucun motif serieux pour travailler davantage. En effet, dans une contree oiu la population est encore tres disseminee on n'a pas besoin de s'y disputer le terrain pour vivre, l'indolence de l'indigene n'est qu'une application de la loi du moindre effort. Elle n'est paresse que par contraste avec notre agitation. Celle-ci serait sterile, voire nuisible, dans les condi- tions d'existence propres a l'indigene africain, car la nature se montre relativement prodigue a son egard et un faible effort suffit a la satis- faction de ses besoins, qui sont limites.

Grace au travail effectue par ses membres le groupe que nous avons considere est assure d'une recolte d'environ 6,700 ks. de grains en periode normale, ce qui procure a chaque personne une ration journaliere et suffisante de i k. Mais cette quantite n'est pas con- sommee par les enfants et, de ce fait, une fois les semences mises de cote, il reste disponible pres d'une tonne de grain qui est vendue, ou transformee en biere pour etre debitee. Un benefice appreciable est realise par ce commerce, les profits tires de la cueillette, des petites industries domestiques, des volailles, des moutons, des chevres et meme des bovins, viennent s'y ajouter. Lorsque le groupe a cultive accessoirement des arachides et du coton, meme sur une faible super- ficie, il dispose de ressources relativement importantes.

Mais dans ses conditions actuelles d'existence le Negre soudanais, s'il est nourri de maniere suffisante, n'est pas alimente de fa9on copieuse, en outre il ne dispose en general d'aucune reserve de pro- visions, ce qui est un grave danger. Chaque annee, les mois qui precedent la recolte sont penibles pour lui, car il a consomme jusque- la sans prevoir, et se trouve reduit a la portion congrue en attendant le mil nouveau. Les Mandingues amateurs d'expressions imagees nomment cette periode, qui correspond au mois de septembre, su-nkalo: lune du jeiune ou de la privation.

Pour remedier a cette situation, bien nourrir le Noir et obtenir de lui des textiles ou d'autres produits agricoles, il suffirait evidemment

1 Dr. A. Cureau, Les Societes primitives de l'Afrique Jtquatoriale. Paris, 1912, p. 6i, n. i.

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d'etendre les surfaces cultivees ou d'augmenter le rendement des superficies actuelles. Mais cela semble impossible avec le materiel et les methodes dont usent les indigenes abandonnes a eux-memes. Ceux du Soudan n'emploient en fait que deux outils: la hache pour abattre les arbres de leurs champs, et une houe tout juste bonne a remuer la couche superficielle du sol sur une profondeur de dix centimetres a peine. De tels instruments ne permettent ni de des- soucher ni d'enlever les quartiers de roches, c'est pourquoi les semis sont faits trop souvent entre les obstacles les plus divers, quelquefois meme sur des champs de cailloux.

Dans certaines regions ou les cultures sont mieux soignees, pour parer a l'insuffisance de la houe qui ne peut ni bien creuser ni aerer la terre vegetale, on seme en buttes. Ce procede constitue un reel progres et gagnerait a etre generalise, il ne serait en tout cas qu'un pis-aller. Une reforme complete de l'outillage s'impose si l'on veut obtenir les resultats cherches.

L'Union Coloniale Frangaise et l'administration ont fait etudier dans ce but, et distribuer, plusieurs modeles de houes permettant de travailler le sol plus profondement. Ceux qui donneront satisfaction seront repandus dans les regions d6pourvues de betail.

Dans les pays jouissant d'un abondant cheptel on s'efforce au con- traire, suivant les instructions du Gouverneur General, de developper le dressage des animaux et d'introduire des instruments aratoires simples et robustes, charrues et herses par exemple, dont l'emploi permettrait de pratiquer utilement de nouvelles cultures et de tripler les recoltes actuelles, en faisant passer normalement celles de grain de 600 ks. a I,500 ou I,700 ks. a l'hectare.

Les colonies dans lesquelles se trouvent des chevaux, des anes et des bceufs, c'est-a-dire, le Senegal, le Soudan, la Haute-Volta, la Guinee, ont commence depuis plusieurs annees les essais necessaires, qui se montrerent decisifs. Certaines sont arrivees a des resultats particulierement intferessants, puisqu'a l'heure actuelle dans la seule Guinee frangaise 3,520 laboureurs indigenes ont mis en valeur 12,490 hectares en employant 3,401 charrues, 2,121 herses, 8,777 bceufs de trait.

Ainsi donc, l'administration s'efforce partout de repandre des

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LE COTON ET L'INDIGENE 335 cultures utiles et d'accroitre la production agricole par des methodes nouvelles, tendant a augmenter des benefices et a diminuer dans la mesure du possible le travail physique de l'homme. I1 n'est pas douteux qu'en perseverant dans cette voie elle n'obtienne une amelioration considerable de la vie indigene et des avantages serieux pour la metropole. D'autre part, il est evident que les bases de la societe vont se trouver modifiees par les conditions nouvelles ainsi developpees, car, apres la desintegration de la famille ;etendue, l'individualisme, deja affirme par l'acquisition et la libre disposition du pecule personnel, va se developper encore. N'y a-t'il pas la un danger ?

Tel cultivateur reclamant autrefois le concours de i6 hommes pour retourner son champ, semer et transporter la recolte, effectuera le meme travail avec une paire de bceufs. Mais ayant pris la peine de nettoyer, de dessoucher et de labourer la terre qu'il aura faite sienne, il pretendra la garder pour lui seul. Ainsi naitra une conception nouvelle, qui n'avait pu se faire jour dans l'esprit du Noir, maniant avec peine sa houe et contraint d'abandonner tous les quatre ans un

maigre sol bientot 6puise pour defricher ailleurs. La propriete im- mobiliere remplacera donc partout l'usufruit et l'usage, et il est vraisemblable que dans nombreuses regions les regles de l'heritage seront modifiees. En meme temps disparaltra la notion de responsa- bilite collective civile et penale, que le droit indigene impose encore dans beaucoup de cas aux membres du clan et de la famille etendue.

On peut craindre dans ces conditions que l'individualisme ne degenere en anarchie et ne detruise les cadres de la societe indigene. Une telle inquietude serait certainement fondee si toutes les tribus de l'Afrique frangaise jouissaient d'une organisation hierarchisee et aussi bien etablie que dans certaines contrees des possessions britan- niques. Mais en dehors des peuples du Mossi, du Gourma, et du Dahomey ayant garde intactes leurs institutions seculaires, bien peu de groupements peuvent se vanter de posseder des chefs obeis. Cette inexistence du commandement est une des plus graves preoccupations du Gouvernement franpais qui cherche 'a imposer dans ses possessions une autorite indigene digne et bien choisie, conforme aux traditions et aux coutumes, et presentant toutes les garanties voulues.

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L'adoption de procedes perfectionnes de culture, le developpement de la richesse et de la propriete individuelle faisant place a la possession collective du sol et du bien familial, ne sauraient troubler ce pro- gramme parfaitement logique et sage. Tout au plus sera-t-il oriente d'une maniere legerement differente et base plutot sur des considera- tions economiques que sur les seules donnees politiques, comme autrefois.

D'autre part l'evolution des Noirs de l'Ouest-Africain, au cours des vingt dernieres annees, revele chez eux des preoccupations nouvelles et une rare qualite d'adaptation, demontree par la facilite avec laquelle ils ont adhere aux societes de prevoyance et de credit agricole, d'abord lancees au Senegal, puis etendues progressivement aux autres colonies.

Aujourd'hui ces institutions sont connues et appreciees partout, et les jeunes generations en apprennent de bonne heure le fonctionnement ainsi que l'utilite, grace aux associations mutuelles existant dans toutes les ecoles officielles.

Rassure par cette constatation, on ne peut donc redouter que la culture individuelle mene a l'anarchie et au desordre, car elle force en

quelque sorte le travailleur isole a se rattacher a un groupement de caractere economique. Cette obligation est surtout remarquable lorsqu'il s'agit d'acquerir, d'entretenir ou d'augmenter l'outillage. Le Noir est actuellement incapable d'assumer les depenses resultant de ces operations et que la colonie ne pourrait supporter non plus, il est par suite naturellement conduit vers la societe de prevoyance, qui l'aide, l'administre et lui repete la devise de la mutualite apprise autrefois a l'ecole: 'Un pour tous, tous pour un.'

Ainsi se noue entre l'isole et le groupement economique un lien etroit que la tribu a ete incapable de creer et de maintenir parmi ses membres, dans beaucoup de contrees de l'Afrique fran9aise. I1 est evident que cette situation facilitera dans la plupart des cas l'exercice de l'autorite et son action.

On voit par ce qui precede l'importance qu'une question, d'ordre purement industriel et agricole comme celle du coton, est susceptible de prendre dans la vie indigene d'Afrique. Trop souvent les pro- blemes analogues sont resolus sans tenir compte du producteur et sans garantir les droits de celui-ci: ce n'est pas le cas pour la region

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qui nous occupe. On s'en convaincra aisement en lisant la circulaire de I924, a laquelle j'ai fait allusion plus haut et qui precise les direc- tives du Gouverneur General a ce sujet. Elle contient tout un pro- gramme excellent destine a developper et ameliorer les cultures des Noirs grace a des methodes appropriees et rationnelles, a fournir a l'indigene une nourriture copieuse qui le rendra plus robuste, a lui assurer enfin une prosperite materielle favorisant son bien-etre, son education et son evolution.

La crise europeenne du coton aura donc ete le pretexte et l'occasion d'une campagne de progres dont les consequences sociales peuvent etre incalculables pour les Noirs.

HENRI LABOURET.

BIBLIOGRAPHIE

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