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vendredi 18 février 2011 LE FIGARO A 14 débats OPINIONS LE S BL OGS Laurent Suply BLOG.LEFIGARO.FR/HIGHTECH/ SUIVEZ LE GEEK Marie-France Calle BLOG.LEFIGARO.FR/INDE/ NAMASTE§ SALAM! La priorité est à la question agricole neutralité : d’ailleurs, dans la liste évoquée plus haut, nombre de produits comme le riz, le beurre, la viande bovine ou le poivre ne possèdent pas – à l’échelle mondiale – de marché financier représentatif et se trouvent de facto ignorés par les grands indices qui concentrent la plus grande partie de la spéculation financière sur les matières premières. Ce que les marchés constatent aujourd’hui, c’est la négligence dont a été victime pendant des décennies l’agriculture dans de très nombreux pays en développement, c’est le recul d’une certaine forme de productivisme alors même que, du fait de la croissance tant démographique qu’économique, les besoins alimentaires ne cessaient d’augmenter. A ujourd’hui, les équilibres des bilans mondiaux sont tellement précaires que les marchés sont à la merci du moindre accident climatique, surtout lorsque celui-ci affecte un grand pays exportateur comme ce fut le cas en 2010 et 2011 avec le Canada, la Russie, l’Australie et l’Argentine pour les céréales et les oléagineux. Au-delà des tensions du court terme, le message que nous adressent les marchés par le biais de ces hausses de prix est simple et de bon sens : les déséquilibres alimentaires mondiaux sont là pour durer. Et, comme d’habitude, ce sont les plus pauvres qui souffrent. Ces hausses de prix ont en effet provoqué deux types de réactions suivant les pays : des crises politiques pour les uns, des tensions inflationnistes et des débats sur les prix et les marges pour les autres. Pour les premiers, on paie là le résultat de décennies de mal gouvernance et d’abandon des politiques agricoles au nom du libéralisme mal digéré des institutions de Washington (Fonds monétaire international et Banque mondiale). Espérons seulement que l’indignation internationale puisse se traduire en espèces sonnantes et trébuchantes pour financer le développement agricole de tous ceux qui en ont besoin, et le modèle de la politique agricole européenne (la PAC dans sa première version, celle des années 1960) est probablement le plus pertinent pour les pays les plus pauvres. Dans les pays développés, et surtout en Europe, la hausse des prix agricoles provoque d’autres tensions, à l’intérieur des filières elles-mêmes et jusqu’au consommateur. Avec la disparition des « vieilles » politiques agricoles de stabilisation des marchés et des prix, c’est presque la première fois depuis les années 1950 que se pose la question de la transmission de l’instabilité agricole aux produits alimentaires. D ans un pays comme la France, ces hausses font surtout éclater au grand jour le malaise existant presque à tous les stades des filières industrielles et commerciales, l’absence de confiance entre les acteurs et le climat délétère qui préside aux négociations de prix. Les quelques mois à venir jusqu’à la nouvelle campagne dans l’hémisphère Nord (juillet) resteront très tendus sur des marchés nerveux, même si on peut penser que la plupart des grands importateurs ont, à l’image de l’Égypte ou de l’Algérie, « couvert » leurs approvisionnements. Ensuite tout dépendra de la production 2011-2012, de la situation en Russie notamment, des surfaces ensemencées en maïs ou en soja aux États-Unis, du climat et des hommes un peu partout. Souhaitons que la campagne à venir permette de reconstituer les stocks des grands exportateurs et que les marchés relâchent donc leur pression. Mais souhaitons aussi que 2011 ne passe pas à la trappe aussi vite que 2008, que le monde une fois de plus n’oublie pas ses paysans. Car, demain – et c’est là notre seule certitude – le monde aura encore faim ! * Auteur de « Le monde a faim », Bourin éditeur E n ce début de 2011, les tensions sont extrêmes sur les marchés agricoles mondiaux : les prix des céréales et des oléagineux mais aussi du sucre et de nombreux produits tropicaux comme le café, le cacao ou même le poivre, ceux du beurre ou de la viande bovine affichent des hausses parfois historiques. La seule exception notable à cet emballement des cours est le riz. Sur nombre de marchés, et notamment ceux des « grains » (blé, maïs, soja), la situation est même inquiétante et on ne peut exclure de nouvelles hausses durant les prochains mois. En ce sens, les autorités politiques ont raison d’alerter l’opinion publique mondiale et il faut saluer la décision française de faire de la question agricole et alimentaire un des thèmes majeurs de sa présidence du G20. Disons-le tout net, la spéculation – dans sa dimension financière – n’a joué qu’un rôle secondaire dans cette crise, contrairement à ce qu’affirment certains. Depuis les années 1930, toutes les études académiques réalisées sur le rôle de la spéculation ont conclu à sa Philippe Chalmin* À la veille de l’ouverture du Salon de l’agriculture, l’économiste, professeur à l’université Paris-Dauphine, explique pourquoi les déséquilibres alimentaires mondiaux vont durer. sexué. Examinons plutôt le mouvement que les « styles » masculin et féminin impriment à notre culture. Le style féminin devient un modèle parce que notre culture a du mal avec les « valeurs » traditionnelles du style masculin, comme l’autorité et le sens du conflit. Le sexe masculin fut le sexe de référence. Il l’est encore, d’une manière détournée : plus que la féminisation de la société, c’est la récusation d’une figure du masculin dont il s’agit. Cette récusation est d’ailleurs portée par les hommes qui ont institué un partage du pouvoir. « Ils » sont encore aux « manettes » dans les entreprises et en politique, alors qu’« elles » investissent certaines professions (médecine, justice) et que les familles deviennent clairement « matricentrées ». D ans l’univers de l’entreprise, certains auteurs relatent l’émergence du management de type féminin, mettant en avant une éthique de persuasion, de discussion, voire de compassion. Mais ces valeurs sont mises en place par un encadrement largement masculin. Nous fuyons les hiérarchies explicites, les décisions pyramidales : le style féminin est appelé à la rescousse d’un pouvoir qui se veut plus subtil et d’une agressivité qui se souhaite plus oblique. On met au centre la capacité d’initiative, la flexibilité de l’employé. On se veut écoutant. Mais la pression demeure forte, et la conduite des projets s’avère de plus en plus complexe, puisque les différents niveaux d’implications et de responsabilités s’entrecroisent. Ce recours plus marqué au « style » féminin concerne aussi la politique, univers encore largement masculin. L’intérêt de Martine Aubry, critiqué cependant dans les rangs du PS, pour la philosophie du « care » se situe dans la lignée de ces « valeurs » féminines de proximité des personnes, de sollicitude, de « réparation » du monde. De plus en plus sensible à un univers risqué, notre culture politique intègre des aspects maternants : il s’agit d’œuvrer « à l’intérieur » du monde, de ranimer un corps social asthénique, plutôt que de tenter de le projeter en avant, dans un progrès auquel nul ne croit. Derrière cet habillage constitué par la féminisation paradoxale du monde social, ne trouve-t-on pas en fait une crise de la responsabilité, longtemps accaparée par les hommes d’une manière hiérarchique, explicite, parfois écrasante ? La famille est le siège des mêmes symptômes que la politique et le monde du travail : les parents prônent un discours libéral, se refusent à une position autoritaire, mais exercent une pression subtile, souvent séductrice, voire un chantage affectif pour arriver quand même à leur fin. Nous sommes tous, hommes et femmes, soucieux d’expression, de sensibilité et désireux d’être entendus et reconnus. Mais sommes-nous désireux de nous exposer, d’assumer nos responsabilités et d’en payer le prix, devant nos proches, nos enfants, nos collaborateurs ? L es plus jeunes, les plus exposés à la compétition sociale, n’ont plus en face d’eux des autorités claires, vis-à-vis desquelles ils peuvent se situer et exercer d’éventuels recours, et ne bénéficient pas toujours d’interlocuteurs consistants. Cette fuite de la responsabilité, et cette ouverture générale du parapluie du discours de précaution, entraîne ainsi l’inflation de la recherche juridique des responsables, dans les petites affaires de nos vies comme dans les grands scandales qui secouent notre monde. Mais aucun jugement ne pourra réinstituer le sens de la responsabilité ! * Enseigne à l’Institut catholique de Lille et au Collège des Bernardins (1) Enquête Ifop pour « Famille Chrétienne » de mi-janvier 2011. U ne enquête récente dépeint l’opinion des Français quant à la « féminisation » de la société (1). Le débat sur le « genre », c’est-à- dire sur les représentations sociales de la différence sexuelle, est vif aujourd’hui. D’un côté, nous pensons que les hommes et les femmes doivent avoir une égalité de place dans la société, mais, d’un autre côté, nous continuons à nourrir le débat sur les « valeurs » masculines ou féminines. Nous percevons que la sexuation, si elle s’exprime dans des formes culturelles très différentes, est une réalité irréductible. L’expérience de la grossesse, par exemple, a suscité une « culture » d’attention et d’accueil qui fait partie de l’héritage féminin. Le génie humain est cependant lié à cette puissance de la culture intégrant, et transformant, les faits de nature. Abandonnons donc les débats, indécidables, qui tenteraient de discerner ce qui serait gravé dans le marbre du corps La société se féminise-t-elle ? « Ces hausses ont provoqué des crises politiques pour les uns, des tensions inflationnistes et des débats sur les prix et les marges pour les autres » Jacques Arènes Pour le psychanalyste*, le soi-disant modèle féminin de la société est avant tout une récusation des « valeurs » traditionnelles du style masculin. DESSINS DOBRITZ Le déterminisme social naît à l’école L e Conseil d’analyse stratégique vient de souligner que la France avait l’un des plus faibles taux d’encadrement des élèves du primaire et du supérieur parmi tous les pays de l’OCDE. Cette étude vient conforter ce que nombre de rapports ont déjà montré : la qualité de l’enseignement se dégrade en France. En outre, les comparaisons internationales le disent clairement : ces mauvaises performances sont moins une question de moyens que de répartition des moyens et d’organisation. L’émotion soulevée par ces informations n’est pas un hasard. L’opinion publique sent bien qu’il se noue là quelque chose de dramatique pour l’avenir de notre société. Un sujet qui a à voir avec notre prospérité future et notre cohésion sociale. En effet, l’économie contemporaine est secouée par deux chocs massifs : la percée des pays émergents et l’accélération du progrès technique. Or les territoires comme les personnes qui tirent leur épingle du jeu sont ceux qui ont les capacités de bénéficier de cet environnement spécifique, à la fois mouvant, plein d’opportunités et incertain. Disons-le clairement : la nature du capitalisme favorise les individus qui sont les mieux qualifiés. C ertes, il a toujours été plus simple de s’insérer sur le marché du travail quand on était diplômé. Mais ce qui était vrai dans les années 1970 l’est bien plus aujourd’hui. En 1978, la différence entre le taux de chômage des personnes non diplômées ou seulement titulaires du brevet des collèges et le taux de chômage de l’ensemble de la population s’élevait à 5,5 points. En 2009, l’écart se montait à près de 30 points ! Le taux de chômage des non-diplômés est quasiment de 50 % ! Autant le dire : les non-diplômés ont aujourd’hui une probabilité très faible de trouver un emploi. À ce titre, les 165 000 élèves qui sortent du système scolaire chaque année quasiment sans diplôme (et qui forment avec le temps des bataillons de plusieurs millions d’individus !) sont envoyés au casse-pipe par la société. Il faut donc considérablement améliorer la formation et le niveau de qualification de la population de notre pays. Mais la formation au sens large : la vraie formation tout au long de la vie, sans découper la formation en formation initiale et continue, sans vouloir privilégier l’enseignement supérieur sur l’enseignement secondaire. Car être formé ne signifie pas disposer à 20 ans des compétences les plus pointues dans un domaine précis. Être formé, cela signifie en premier lieu savoir lire et écrire, et s’exprimer correctement. Et c’est justement le rôle des écoles maternelle et primaire. Les économistes abordent peu ces sujets. Les syndicats patronaux non plus, jugeant plus important de tenter de régler nos déficiences en matière d’enseignement supérieur et de formation continue. Erreur funeste. L’ école confère des forces et des faiblesses que les individus portent tout au long de leur vie. C’est un vrai déterminisme social qui naît dans nos écoles. Une vraie politique de cohésion sociale, une politique capable de remédier au chagrin des classes moyennes, c’est l’accent mis sur l’éducation, avant la fiscalité ou la façon de sortir des 35 heures. *Vient de publier « Le Chagrin des classes moyennes », JC Lattès. Nicolas Bouzou Selon le directeur fondateur d’Asterès*, la faiblesse de l’encadrement des élèves du primaire pénalise les classes moyennes sur le marché du travail.

Le déterminisme social naît à l’école

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Selon le directeur fondateur d’Asterès*, la faiblesse de l’encadrement des élèves du primaire pénalise les classes moyennes sur le marché du travail.

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Page 1: Le déterminisme social naît à l’école

vendredi 18 février 2011 LE FIGARO

A14 débats

OPINIONSLES BLOGS Laurent Suply

BLOG.LEFIGARO.FR/HIGHTECH/

SUIVEZ LE GEEK

Marie-France CalleBLOG.LEFIGARO.FR/INDE/

NAMASTE§ SALAM!

La priorité est à la question agricoleneutralité : d’ailleurs, dans la liste évoquéeplus haut, nombre de produits comme leriz, le beurre, la viande bovine ou le poivrene possèdent pas – à l’échellemondiale –demarché financier représentatifet se trouvent de facto ignoréspar les grands indices qui concentrentla plus grande partie de la spéculationfinancière sur lesmatières premières.

Ce que lesmarchés constatentaujourd’hui, c’est la négligencedont a été victimependant des décenniesl’agriculture dans de très nombreux paysendéveloppement, c’est le recul

d’une certaine formede productivismealorsmêmeque, du fait de la croissancetant démographique qu’économique,les besoins alimentaires ne cessaientd’augmenter.

Aujourd’hui, les équilibres des bilansmondiaux sont tellement précaires

que lesmarchés sont à lamerci dumoindreaccident climatique, surtout lorsquecelui-ci affecte un grandpays exportateurcommece fut le cas en 2010 et 2011avec le Canada, la Russie, l’Australieet l’Argentine pour les céréaleset les oléagineux. Au-delà des tensionsdu court terme, lemessage que nous

adressent lesmarchés par le biais de ceshausses de prix est simple et de bon sens :les déséquilibres alimentairesmondiauxsont là pour durer. Et, commed’habitude,ce sont les plus pauvres qui souffrent.

Ces hausses de prix ont en effetprovoqué deux types de réactions suivantles pays : des crises politiques pour les uns,des tensions inflationnistes et des débatssur les prix et lesmarges pour les autres.Pour les premiers, on paie là le résultatde décennies demal gouvernance etd’abandondes politiques agricoles au nomdu libéralismemal digéré des institutions

deWashington (Fondsmonétaireinternational et Banquemondiale).

Espérons seulement que l’indignationinternationale puisse se traduire en espècessonnantes et trébuchantes pour financerle développement agricole de tous ceuxqui en ont besoin, et lemodèlede la politique agricole européenne (la PACdans sa première version, celle des années1960) est probablement le plus pertinentpour les pays les plus pauvres.

Dans les pays développés, et surtouten Europe, la hausse des prix agricolesprovoque d’autres tensions, à l’intérieurdes filières elles-mêmes et jusqu’auconsommateur. Avec la disparition

des« vieilles » politiques agricolesde stabilisation desmarchés et des prix,c’est presque la première fois depuisles années 1950 que se pose la questionde la transmission de l’instabilité agricoleaux produits alimentaires.

Dansunpays comme la France,ces hausses font surtout éclater

au grand jour lemalaise existant presqueà tous les stades des filières industrielleset commerciales, l’absence de confianceentre les acteurs et le climat délétèrequi préside auxnégociations de prix.

Les quelquesmois à venir jusqu’àla nouvelle campagne dans l’hémisphèreNord (juillet) resteront très tendus sur desmarchés nerveux,même si on peut penserque la plupart des grands importateurs ont,à l’image de l’Égypte ou de l’Algérie,« couvert » leurs approvisionnements.Ensuite tout dépendra de la production2011-2012, de la situation enRussienotamment, des surfaces ensemencéesenmaïs ou en soja aux États-Unis,du climat et des hommes unpeupartout.Souhaitons que la campagne à venirpermette de reconstituer les stocksdes grands exportateurs et que lesmarchésrelâchent donc leur pression.Maissouhaitons aussi que 2011 ne passe pas à latrappe aussi vite que 2008, que lemondeune fois de plus n’oublie pas ses paysans.Car, demain – et c’est là notre seulecertitude – lemonde aura encore faim !* Auteur de« Lemonde a faim »,Bourin éditeur

En ce début de 2011, les tensionssont extrêmes sur lesmarchésagricolesmondiaux : les prixdes céréales et des oléagineuxmais aussi du sucre et denombreux produits tropicaux

comme le café, le cacao oumême le poivre,ceux dubeurre ou de la viande bovineaffichent des hausses parfois historiques.La seule exceptionnotable à cetemballement des cours est le riz.Sur nombre demarchés,et notamment ceux des« grains » (blé,

maïs, soja), la situation estmêmeinquiétante et onne peutexclure de nouvelles haussesdurant les prochainsmois.En ce sens, les autoritéspolitiques ont raisond’alerter l’opinion publique

mondiale et il faut saluerla décision française de faire de laquestion agricole et alimentaireundes thèmesmajeursde sa présidence duG20.

Disons-le tout net,la spéculation–dans sa dimensionfinancière –n’a jouéqu’un rôle secondaire

dans cette crise,contrairement

à ce qu’affirment certains.Depuis les années 1930, toutesles études académiquesréalisées sur le rôle de laspéculation ont conclu à sa

Philippe Chalmin*

À la veille de l’ouverturedu Salon de l’agriculture,l’économiste,professeur à l’universitéParis-Dauphine,explique pourquoiles déséquilibresalimentairesmondiauxvont durer.

sexué. Examinons plutôt lemouvementque les « styles »masculin et fémininimpriment à notre culture.Le style féminin devient unmodèle

parce que notre culture a dumalavec les « valeurs » traditionnellesdu stylemasculin, comme l’autoritéet le sens du conflit. Le sexemasculinfut le sexe de référence. Il l’est encore,d’unemanière détournée : plus quela féminisation de la société, c’estla récusation d’une figure dumasculindont il s’agit. Cette récusationest d’ailleurs portée par les hommesqui ont institué un partage du pouvoir.« Ils » sont encore aux «manettes »dans les entreprises et en politique,alors qu’« elles » investissent certainesprofessions (médecine, justice)et que les familles deviennentclairement « matricentrées ».

Dans l’univers de l’entreprise,certains auteurs relatent

l’émergence dumanagement de typeféminin,mettant en avant une éthiquede persuasion, de discussion, voirede compassion.Mais ces valeurssontmises en place par un encadrementlargementmasculin. Nous fuyonsles hiérarchies explicites, les décisionspyramidales : le style féminin est appelé à

la rescousse d’un pouvoir qui se veut plussubtil et d’une agressivité qui se souhaiteplus oblique. Onmet au centre la capacitéd’initiative, la flexibilité de l’employé.On se veut écoutant. Mais la pressiondemeure forte, et la conduite des projetss’avère de plus en plus complexe, puisqueles différents niveaux d’implicationset de responsabilités s’entrecroisent.Ce recours plusmarqué au « style »

féminin concerne aussi la politique,univers encore largementmasculin.L’intérêt deMartine Aubry, critiquécependant dans les rangs du PS,pour la philosophie du « care » se situedans la lignée de ces « valeurs »féminines de proximité des personnes,de sollicitude, de « réparation » dumonde.De plus en plus sensible à un universrisqué, notre culture politique intègredes aspectsmaternants : il s’agitd’œuvrer « à l’intérieur » dumonde,de ranimer un corps social asthénique,plutôt que de tenter de le projeter enavant, dans un progrès auquel nul ne croit.

Derrière cet habillage constitué par laféminisation paradoxale dumonde social,ne trouve-t-on pas en fait une crise de laresponsabilité, longtemps accaparée parles hommes d’unemanière hiérarchique,explicite, parfois écrasante ? La familleest le siège desmêmes symptômes

que la politique et lemonde du travail :les parents prônent un discours libéral,se refusent à une position autoritaire,maisexercent une pression subtile, souventséductrice, voire un chantage affectifpour arriver quandmême à leur fin.Nous sommes tous, hommes et femmes,soucieux d’expression, de sensibilitéet désireux d’être entendus et reconnus.Mais sommes-nous désireux de nousexposer, d’assumer nos responsabilitéset d’en payer le prix, devant nos proches,nos enfants, nos collaborateurs ?

Les plus jeunes, les plus exposés à lacompétition sociale, n’ont plus en face

d’eux des autorités claires, vis-à-visdesquelles ils peuvent se situer et exercerd’éventuels recours, et ne bénéficient pastoujours d’interlocuteurs consistants.Cette fuite de la responsabilité, et cetteouverture générale du parapluie du discoursde précaution, entraîne ainsi l’inflationde la recherche juridique des responsables,dans les petites affaires de nos vies commedans les grands scandales qui secouent notremonde.Mais aucun jugement ne pourraréinstituer le sens de la responsabilité !* Enseigne à l’Institut catholique de Lilleet au Collège des Bernardins(1) Enquête Ifop pour « Famille Chrétienne »demi-janvier 2011.

Une enquête récente dépeintl’opinion des Françaisquant à la « féminisation »de la société (1). Le débatsur le « genre », c’est-à-dire sur les représentations

sociales de la différence sexuelle, est vifaujourd’hui. D’un côté, nous pensonsque les hommes et les femmes doiventavoir une égalité de place dans la société,mais, d’un autre côté, nous continuons ànourrir le débat sur les « valeurs »masculines ou féminines. Nouspercevons que la sexuation, si elles’exprime dans des formes culturelles

très différentes, est une réalitéirréductible. L’expériencede la grossesse, par exemple, asuscité une« culture » d’attentionet d’accueil qui fait partie del’héritage féminin. Le géniehumain est cependant liéà cette puissance de la cultureintégrant, et transformant,les faits de nature.Abandonnonsdonc les débats,indécidables, quitenteraient dediscerner ce quiserait gravé dans lemarbre du corps

La société se féminise-t-elle ?

« Ces hausses ont provoqué des crises politiquespour les uns, des tensions inflationnistes et des débatssur les prix et les marges pour les autres»

Jacques Arènes

Pour le psychanalyste*,le soi-disantmodèleféminin de la sociétéest avant toutune récusationdes « valeurs »traditionnellesdu stylemasculin.

DESSINSDOBR

ITZ

Le déterminisme social naît à l’école

L e Conseil d’analysestratégique vientde souligner que la Franceavait l’un des plus faiblestaux d’encadrementdes élèves du primaire

et du supérieur parmi tous les paysde l’OCDE. Cette étude vient conforterce que nombre de rapports

ont déjà montré : la qualitéde l’enseignement se dégrade

en France. En outre,les comparaisonsinternationales le disentclairement : cesmauvaises performancessont moins une questiondemoyens que derépartition desmoyenset d’organisation.L’émotion soulevée

par ces informationsn’est pas un hasard.L’opinion publique sentbien qu’il se noue là

quelque chose de dramatique pourl’avenir de notre société. Un sujetqui a à voir avec notre prospérité futureet notre cohésion sociale.En effet, l’économie contemporaine

est secouée par deux chocsmassifs :la percée des pays émergentset l’accélération du progrès technique.Or les territoires comme les personnesqui tirent leur épingle du jeu sont ceuxqui ont les capacités de bénéficierde cet environnement spécifique,à la fois mouvant, plein d’opportunitéset incertain. Disons-le clairement :la nature du capitalisme favorise lesindividus qui sont les mieux qualifiés.

Certes, il a toujours été plus simplede s’insérer sur le marché du

travail quand on était diplômé.Mais ce qui était vrai dans les années1970 l’est bien plus aujourd’hui.En 1978, la différence entre le taux dechômage des personnes non diplôméesou seulement titulaires du brevet

des collèges et le taux de chômagede l’ensemble de la populations’élevait à 5,5 points. En 2009, l’écartse montait à près de 30 points !Le taux de chômage des non-diplômésest quasiment de 50% ! Autant le dire :les non-diplômés ont aujourd’huiune probabilité très faible de trouverun emploi. À ce titre, les 165 000 élèvesqui sortent du système scolaire chaqueannée quasiment sans diplôme (et quiforment avec le temps des bataillonsde plusieurs millions d’individus !) sontenvoyés au casse-pipe par la société.Il faut donc considérablement

améliorer la formation et le niveaude qualification de la population denotre pays. Mais la formation au senslarge : la vraie formation tout au longde la vie, sans découper la formationen formation initiale et continue, sansvouloir privilégier l’enseignementsupérieur sur l’enseignementsecondaire. Car être formé ne signifiepas disposer à 20 ans des compétences

les plus pointues dans un domaineprécis. Être formé, cela signifieen premier lieu savoir lire et écrire,et s’exprimer correctement. Et c’estjustement le rôle des écoles maternelleet primaire. Les économistes abordentpeu ces sujets. Les syndicats patronauxnon plus, jugeant plus important detenter de régler nos déficiences enmatière d’enseignement supérieur etde formation continue. Erreur funeste.

L’école confère des forceset des faiblesses que les individus

portent tout au long de leur vie.C’est un vrai déterminisme socialqui naît dans nos écoles. Une vraiepolitique de cohésion sociale,une politique capable de remédierau chagrin des classes moyennes,c’est l’accent mis sur l’éducation,avant la fiscalité ou la façon de sortirdes 35 heures.*Vient de publier «Le Chagrin des classesmoyennes», JC Lattès.

Nicolas Bouzou

Selon le directeur fondateurd’Asterès*, la faiblessede l’encadrementdes élèves du primairepénaliseles classesmoyennessur le marchédu travail.