Ledevenirdel’islamenFrance

Collection«Confrontations»,dirigéeparHervéLegrand

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Bencheikh que par le grand imamT.Oubrou.Rien n’y est ditnon plus du travail historiographique encore nécessaire. Maisdansleurensemble,lescontributionsicirecueilliespermettrontauxlecteursd’échapperàuncertainnombred’idéestoutesfaiteset de réfléchir audevenirde l’islamdansnotrepays, sans êtreprisonniers d’une vision mécanique, car ce devenir est ancrédans la société et l’histoire.Cet avenir dépend donc pour unelarge part de l’attitude des Français à l’égard de leursconcitoyensmusulmansetcesderniersyauronteux-mêmesunetrès réelle responsabilité. S’agissant des chrétiens, cet avenirdépendraausside leurscapacitésd’accueiletdediscernement,etde leur soucide se faire lesprochesdesmusulmanschaquefois que la justice ou l’équité, le respect des légitimesdifférencesetlarecherchedelavéritéserontencause.Puissentleschrétiensêtrereconnusàcessignes-là:«Vousreconnaîtrezl’arbre à ses fruits », lit-on dans l’Évangile en ce qui lesconcerne.

*.Vice-présidentdeConfrontations.1.Dans cet ouvrage, la contribution de Franck Fregosi fait le point sur laquestiondémographique.2. L’enquête de terrain dont Leyla Arslan rend compte dans cet ouvragepermetd’appuyercertainesdeceshypothèses.3. On trouvera un échantillon de ce rêve dans les déclarations faites auJournal du dimanche du 1er décembre 2012, par l’imam londonien,d’originepakistanaise,AnjenChoudary:«Notrebutultimeestd’instaurerlacharia en Angleterre et partout en Europe. Nous avons déjà des zonesgéographiques qui relèvent uniquement de la charia.Tout est une questiondetempsetdefidèles.Nousavonslesdeux.»4.Cessondages,antérieursauxévénementsduMali,ontétécommandésparleJournalduDimancheetparLeMondequiapubliéetcommenté lesiendanssonnumérodu25janvier2013,pp.8-10.5.Depuislongtempslestravauxsurlespréjugésontmontréqueceux-cine

s’originentpasdansl’expériencepersonnelle,cf.l’ouvrageclassiquedeG.W.Allport,ThenatureofPrejudice,New-York,Doubleday,1958.6.Noterqu’Islamestaussiunprénommasculin.7.SonouvrageesttraduitenfrançaissousletitreLechocdescivilisations,Paris,OdileJacob,1997.

I

Perceptionsetreprésentationsdel’islamsurleterrain

Questionsdeschrétiens–Témoignagesd’acteursdeterrain

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touslesmusulmansmortspourlaFrance.Les liens sont donc continus avec les responsables du

Conseil régional du culte musulman, ainsi qu’avec la grandemosquéedeLyonetavecsonrecteurKamelKabtane,quifaisaitpartiedeladélégationmusulmaneàTibhirine.Plusieursannéesdesuite,certainsd’entrenousontparticipécommeintervenantsaux conférencesde ramadanorganisées par la grandemosquéesurdesthèmestelsquelejeûne,laprière,l’aumône,lecombatspirituel…

Encollaborationaveclecentred’étudesdesculturesetdesreligions, nous venons d’organiser une session sur le thème:« L’islam, quels défis pour la foi chrétienne ? Pour l’Églisecatholique en France ? Pour sa pratique pastorale ? » Cettesession,deniveauuniversitaire,ouverteàtous,visaitdavantageunpublicdechrétiens,acteurspastoraux.

Prochainement, nous participerons ensemble à unemarchepour lapaix,dans lecadredu25e anniversairede la rencontred’Assise.

Ce parcours de quelques années montre comment noussommes passés du simple désir de nous connaître à une réelleconnaissance mutuelle créatrice de respect et d’estime. Nouspartageonsaussil’inquiétuderelativeaudevenirdel’islamdansnotre pays. Par exemple, comment sont recrutés et formés lesimams qui prêchent dans les mosquées ? Il s’y manifeste, eneffet,descourantsradicauxbienéloignésdeceuxquiaspirentàvivre sereinement dans une république laïque. C’est une viveinquiétude de nos amis musulmans qui nous demandent d’yréfléchiraveceux.

Nous souhaitons aussi approfondir la réflexion que nousmenonsencommunavecnosamismusulmansetallerau-delàde

nosconsensuspouraborderdesquestionsdifficiles,commelesmariages mixtes et les conversions ; creuser aussi lesperspectivesdudialogueislamo-chrétien.Toutencherchantdessolutionsdansnotrepays,nousnepouvonspasfairetotalementabstraction d’autres problèmes encore plus difficiles : le sortréservé aux chrétiens d’Orient dans leurs propres pays, celuiaussidesAlgérienschrétiensenAlgérie.

Le«nous»dont j’use icin’estpassimpleàdéfinir.Noussommesenrelationavecuncertainnombredepersonnalitésdumonde musulman, mais aussi avec des responsablesd’institutionsmusul-manes(GrandeMosquéedeLyon,Conseilrégionalducultemusulman),cesdernierschangeantenfonctionde leurs élections internes. On doit aussi tenir compte desdifférents courants existant au sein de la communautémusulmane,courants liésauxpaysd’origine(AlgérieetMarocnotamment), mais aussi courants transversaux, comme parexemplel’UniondesorganisationsislamiquesdeFrance.

Ilnous fautavancer, en tenantcomptedecettecomplexité,parfoisunpeuenéquilibristes,maisnousavançonsrésolument.

II

PrésentationdesdifférentsislamenFrance

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France)etpar lebiaisd’undense réseauInternet19, lepuritainest amené à inscrire son action quotidienne dans une logiquesystématique d’anathème généralisé de toutes les autresexpressions religieuses.Lesdifférents courants de l’islam sontassimilésàdesdéviancesvoisinesdelamécréance.

Les formes dévotionnelles traditionnelles comme lacélébration nocturne de la naissance du Prophète sont jugéesillicites car assimilées à des innovations blâmables.L’intercession des saints et la visite de leurs tombes sontdénoncéescommedel’idolâtrie.

Le soufisme est lui systématiquement fustigé comme unesource d’innovations et accusé d’exalter le panthéisme et denégligerlalettredel’islam.

L’islam légaliste, développé par trois des quatre écolesclassiquesdedroit20 (à l’exceptiondel’écolehanbalite lapluslittéraliste), est lui aussi stigmatisé parce que réputé tropconformiste. Il ne prend pas suffisamment appui sur le corpusdes hadiths authentiques. Cet islam est jugé dissident caréloigné de la voie des premiers compagnons du Prophète, del’islamditoriginel.

LescourantsislamiquesactivistescommelemouvementdesFrèresmusulmansnetrouventpasnonplusgrâceauxyeuxdespuritains réfractaires en majorité à toute action politiquepartisane. Les Frères musulmans sont notamment accusés denégliger l’impératif théologiquedu rappelde l’unicitédeDieuauprofitdurétablissementhypothétiqueduCalifat.

Lecourantpiétisteest, lui,vilipendécommeun«soufismecontemporain»quivéhiculedefaussescroyances.

Danscertainssitessalafis,UssamaBinLadinn’échappepasnon plus à leur anathème. Il est dénoncé comme déviant etaffublé du sobriquet infamant d’Ussama Bin Ladin le

kharijite21,c’est-à-dire lesortant22,celuiquis’estséparéde lavoie orthodoxe, en l’occurrence celle prônée par les cheikhssaoudiens.

En ce qui concerne leur rapport au politique, il faut noterque la plupart des salafistes en France, tout comme lesmusulmans piétistes, récusent toute forme d’engagementpolitique militant. À leurs yeux, la priorité réside dansl’édification d’une contre-société islamique. Seule une infimeminorité,qualifiéedejihadiste,nerécusepasl’actionpolitiqueet dénonce les régimes occidentaux alliés des gouvernementscorrompusdumondemusulman.

Le vécu islamique quotidien des musulmans puritainscombineàlafoisorthopraxieetorthodoxie.Cesmusulmansseconsidèrentcommemembresd’uneecclesiaislamicapura,uneassemblée de purs, gardiens du dogme originel de l’islam. Parlesidéauxqu’ilsprônent,leurmodedeviedécaléetlesentimentde supériorité qu’ils affichent, ils se comportent comme unevéritablearistocratiereligieuse23.

Leur théologie repose exclusivement sur l’exaltation dudogmede l’unicitéabsoluedeDieu,etsurune lecture littéraleduCoran.LaSunnaestparfoisassimiléeàun textequasimentrévélé(quandlaplupartdesautresmusulmansyvoientuntexteinspiré). Elle est considérée comme une source inépuisable etirréfutabled’explicationetdeclarificationdelaparoledeDieuàl’exclusiondetouteautre.

À l’origine, le salafisme prôné à la fin duXIXe siècle parAfghani etMohamed Abdouh reposait sur un subtil équilibreentreleretourauxsourcesécritesdelafoienislametunemiseengardecontre toute logiqued’imitationpassivedesdécisionsdes docteurs de laLoi au profit de la raison.Denos jours, lesalafisme dominant chez les musulmans puritains sacralise au

contrairelespointsdedoctrineetlesavisjuridiquesdescheikhssaoudiens,confortantparlàmêmeleurprétentiontoutecléricaleàénoncerledogmeislamiquedanssalittéralité.

Lenéo-orthodoxepragmatique

Le néo-orthodoxe pragmatique s’attache à pratiquer, entoutescirconstances,unislamfidèleàl’orthodoxieislamique.

Enmilieunonmusulman,cetypedemusulmans’efforcedes’entourerdetouteslesprécautionscanoniquespourquesaviequotidienne soit conforme à l’économie générale de la loiislamique. Fidèle scrupuleux, il a tendance à s’interroger, defaçonrégulière,surlebien-fondédechacundesesactesprivéset publics au regard de la législation islamique. Bien qu’il nerécusenullementl’islamdesquatreécoles,cetypedepratiquants’efforcenéanmoinsderechercherlaréponsecanoniquelaplusopérationnelle, correspondant le mieux à ses interrogationspratiques, que ce soit en matière matrimoniale, éthique,commerciale ou dans ses relations sociales, sans pour autantprivilégieruneécoleparrapportàuneautre.

Lemusulmannéo-orthodoxeestunpragmatiquequirecourtà un légalisme islamique sélectif, faisant intervenir, enmatièrede tradition juridique, le principe de la liberté de choix là où,historiquement, a prévalu plutôt jusque-là objectivement unprinciped’affiliationquasi automatiqueàuneécoledominantegéographiquement,territorialement,voireethniquement.

Lanouvelledonnequereprésenteunislams’implantanthorsdes frontières traditionnelles du monde musulman pose enpratiquelaquestionduritejuridiqueauquelpeuventoudoiventse rattacher les musulmans. Les convertis, mais égalementl’ensemble des populations originaires du monde musulmansont concernés. Celles-ci sont confrontées d’une part à un

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21. Conseils du cheikh Ben Baz à Ussama Bin Ladin al khariji inhttp://salafs.com22. Dans l’hérésiographie musulmane, le terme de kharijite renvoie à ungroupedissidentdefidèlespartisansd’Ali,gendreduProphèteetprétendantau Califat. Lors de la bataille de Siffîn entre les troupes du gouverneurMoawiyya et les troupes d’Ali, certains de ses partisans avaient refusé leprincipe de l’arbitrage entre les deux factions. Ils s’étaient donc séparésconsidérantqueseulDieu,vialesortdesarmes,étaitjugeetauraitdépartagélesdeuxrivaux.Parlasuite, ilsusèrentdelaviolenceetdumeurtreenversleurs opposants tout en professant l’idée d’un califat électif et nonhéréditaire.Cetteréactionaboutitaupremierschismedel’islamclassique.23. Samir AMGHAR, « Les salafistes français : une nouvelle aristocratiereligieuse?»,MaghrebMachrek(183),printemps2005,p.13-32.24. Alexandre POPOVIC, Gilles VEINSTEIN (éds), Les voies d’Allah. Lesordres mystiques dans le monde musulman des origines à aujourd’hui,Paris, Fayard, 1996 ; Titus BURCKHARDT, Introduction aux doctrinesésotériquesdel’islam,Paris,Dervy,1996.25.ÉricGEOFFROY,Initiationausoufisme,Paris,Fayard,2003,p.10.26.FaouziSKALI,Lavoiesoufie,Paris,AlbinMichel,1993;Lefaceàfacedescœurs.Lesoufismeaujourd’hui,Paris,coll.«PressePocket»,1999.27.ÉricGEOFFROY,Jihâdetcontemplation.Vieetenseignementd’unsoufiautempsdescroisades,Beyrouth,AlBouraq,2003;Initiationausoufisme,Paris,Fayard,2003.28. Dounia BOUZAR et Saïda KADA (éds), L’une voilée, l’autre pas. Letémoignage de deux femmes musulmanes françaises, Paris, Albin Michel,2003.29. Dounia BOUZAR, « Monsieur islam » n’existe pas. Pour unedésislamisationdesdébats,HachetteLittérature,2004.30.Ibid.,p.135.31.MalekCHEBEL,Manifestepourun islamdesLumières, Paris,HachetteLittératures,2004.32.AbdelmajidCHARFI,L’islamentrelemessageetl’histoire,Paris,AlbinMichel,2004,p.71.33.CoranVII,110.34. Mohamed TALBI, « Le concept de commanderie du bien », dans

http://oumma.com.35.Ibid.,p.2.36. ImamGHAZALI,Le civismemusulman. La commanderie du bien et lepourchasdumal,trad.LéonBercheretSadekSellam,Paris,CréadifLivres,1994,p.16.37.AbdenourBIDAR,Selfislam,Paris,Seuil,coll.«Non-conforme»,2006.38.Ibid.,p.221.39.Pourmeneràbienceprojet, iln’avaitpashésitéàmettre surpiedunevéritable inquisition (Mihna) qui pourchassait férocement tous ceux quin’adhéraientpasauxorientationsofficiellesducalife.40.MohamedTALBI,Plaidoyerpourunislammoderne,Tunis,Cérès/Paris,DescléedeBrouwer,1998,p.64.41.PaulineBEBE,Lejudaïsmelibéral,Paris,JacquesGrangeréditeur,1993.42.MohsenISMAÏL,«Lesnormesjuridiquesenislam:le’urfcommesourcedelégislation»,dansFranckFRÉGOSI(éd.),Lecturescontemporaines…,op.cit., p. 27-70 ; voir aussi Le despotisme et ses caractères vu par unintellectuel arabeduXIXe siècle. Traductionannotée et commentaires dulivred’AbdElRahmânElKawâkibî,Paris,Fayard(àparaître).43.RachidBENZINE,Lesnouveauxpenseursdel’islam,Paris,AlbinMichel,2004,p.12.

III

L’islam,sonhistoire,sondroit,savieendiaspora

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ethnicitésontainsipuseredéfinir,prenantunnouveausensetpoursuivant de nouvelles finalités. La désarticulation descommunautés d’origine contribue à faire émerger un rapportindividualiséaux«différences»,enfavorisantchezlesenquêtésl’interrogation sur l’héritage transmis par les parents, en leurpermettantalorsdetenteruncertainnombred’expérimentationsdans la gestion des marqueurs d’altérité. Des individus,« ethniques » par intermittence, seraient ainsi en traind’apparaître, se débarrassant du contrôle social du grouped’appartenance,enpleinerecomposition.

Lasecondehypothèsesupposaitquelafaiblessedel’actioncollectiveàbaseethniqueoureligieusedevaits’expliquerparlecaractèremêmedel’ethnicitédéveloppéeparlesenquêtés.Dansun contexte hostile à toute expression de particularisme,notammentethniqueet religieux,ceux-ciauraientpréféré,dansleur très grande majorité, reléguer leurs différences dans lasphère privée, voulant apparaître dans la sphère publique,comme des citoyens « normaux », « pareils », pour reprendreleurvocabulaire.

Aprèsl’enquête,qu’enest-ildeceshypothèses?1 – La première hypothèse s’est avérée à moitié juste. La

premièrepartiede la thèsemontre,eneffet,que lamigrationacontribué à désarticuler les communautés d’origine qui n’ontjamais reconstitué, en France, leurs cadres sociaux d’origine.Elle a aussi transformé les acteurs de la socialisation desindividus, notamment les familles, dont la structure oscilledésormais entre une formenéotraditionnelle (famille nucléaire,mère au foyer et un grand nombre d’enfants) et un « nouveaumodèle»dans lequel la femme travailleaudehorset se trouveavoirmoinsd’enfants.

Cette désarticulation des communautés d’origine a faitémerger un rapport individualisé aux « différences ». Elle a

favorisé le questionnement de leur héritage parental par lesintéressés,cequiapermisuncertainnombred’expérimentationsdans la gestion des marqueurs d’altérité. On fait un tri dansl’héritage reçu des parents. Comme le remarquent plusieursenquêtés, s’agissant d’eux-mêmes, de leurs pairs et de leursparents, « les traditions, c’est quand ça les arrange ». Cephénomène est particulièrement flagrant dans les attitudesqu’adoptent les individus par rapport au religieux. Troisattitudesprincipalesontainsiétéidentifiées:

• les non-musulmans, convertis à une autre religion ouestimant,plus souvent,nepluscorrespondreà ladéfinitiondumusulmancommeceluiquiprie;

• les « confessants séculiers », plus proches des pratiquesparentalesmaisabordant l’islamde façonplusculturelle,voireluidonnantunedéfinitionmorale;

• les « born again muslims », se construisant un islamlittéralisteetnormatif,différentdeceluidesparents,etoffrantplusieursvisagesfréristes,tablighisousalafs.

Le processus d’individualisation des conceptions de soiapparaît également dans le fait que les chances d’ascensionsocialedel’individu,liéesengénéralàlaplusoumoinsgranderéussitescolaire,contribuentàforgerlareprésentationqu’iladelui-même et du monde. Quatre attitudes ont été dégagées,plusieursindividuspassantd’ailleursdel’uneàl’autre:

• les « galériens », inquiets pour leur avenir, en difficultéscolaire, lisent leurs difficultés au crible d’une grille ethniqueoureligieusetrèsessentialiste;

• les « intégrationnistes », en meilleure réussite scolaire,sont soucieux demaintenir leurs « différences » dans la seulesphèreprivée(familiale,amicale,àlamaison),commeleréclamelediscoursrépublicaindominant;

• les« critiques», enplusgrande réussite scolaireque les

«galériens»,questionnentnonpas lemodèlerépublicainmaissa mise en œuvre inadéquate, son « hypocrisie » en laissants’instaurerunrégimede«deuxpoids,deuxmesures»;

• les « grimpeurs », souvent déjà en grande école,maintiennent leurs « différences » dans la sphère privée,maisn’hésitent pas à en jouer pour surfer sur la vague de la« diversité », en proposant une définition plus liée à la«couleur»qu’àdesnormesculturellesetreligieuses.

J’ai cherché à utiliser les catégories de cette dernièretypologie dans l’ensemble de la thèse pour analyser ce quepouvait être le rapport à l’ethnicité dans la sphère publique etprivée.

Maiscelam’apermisdevérifierquelapremièrehypothèseétaitégalementàmoitiéfausse.Eneffet,cetteindividualisationdanslefaçonnementdel’ethnicitéainsiquesoncantonnementàla sphère privée, essentiellement dans les loisirs, aurait pulaisser croire que tous nos enquêtés relèvent d’une ethnicitésymbolique, qu’ils manifestent à leur guise, par intermittence.Lors de grands événements comme le mariage, les individuspeuvent rencontrer de grandes difficultés à faire reconnaîtreleurs choix à leur entourage, notamment celui du conjoint.Defortes pressions de la part de la famille, voire du quartier,peuventsubsisterdanscedomainedontlesenquêtésontdumalàs’affranchir,notammentlorsqu’ilssont«galériens»Mêmesicesdernièresannées, lemarchématrimoniala tenduàs’élargirdu village au pays, puis à la région d’origine et enfin àl’appartenance musulmane, les familles, en particuliernéotraditionnelles,cherchent toujoursàpeserdefaçonplusoumoinsfortesurleschoixdeleursenfants,fillescommegarçons,en transmettantdenombreux interditsconduisantàdes formes

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malheureusementautraitementmédiatiquedel’islam,commejel’ai déjà noté.Avant d’en venir aux revendications de certainsmusulmans dans l’espace public et dans l’entreprise, on mepermettrad’insistersurlerôlesouventirresponsabledesmédias.Dansdesémissions,qualifiéesdegrandeécoute,nousavonseudroit,etpasqu’uneseulefois,àdesdébats,entred’uncôtédesintellectuels – même si on peut être réservé sur cettequalification–etdel’autre,desbasketteurs,desrugbymen,unelofteuse et un rappeur pour parler non pas de sport, de télé-réalité ou de musique, mais de théologie savante, degéostratégie,d’histoireetdecivilisation!Etpourcautionnerladiteémission,onfaitvenirl’imamducoin,demodesteculture,etonl’embarrasseenluiopposantlesnormesrigidesdel’islamen s’appuyant sur desmots comme lacharia, qui ne sont quedesmots valises pour les téléspectateurs. De tels procédés nepeuvent quenourrir les incompréhensions et aggraver un fosséculturelqu’ilseraitdelaplushauteimportancedecombler.

Pour compléter ce diagnostic, signalons que ce malaise aune autre source : les responsables politiques, eux aussi, semontrent souvent frileux sur les mêmes points. Certes, j’aibeaucoup de respect et d’admiration pour ceux qui s’engagentdanslapolitiqueactive;néanmoins,jeregrettequenotresociéténe secrète plus des hommes et des femmes d’État, vraimentconsacrés au bien public. Trop nombreuses sont les prises deposition,lesdéclarationsqui,aulieud’apaiseretd’allerdanslesensd’unevolontédecohésionsocialeetnationale,fontmonterlestensionsetaggraventlesconflitspotentiels.

Du côté islamique ou des citoyens musulmans, il y aeffectivement des revendications. Elles sont même enaugmentation pour trois ou quatre raisons, certainesfondamentales, d’autres conjoncturelles. On peut trèsprobablement mentionner parmi elles la sécularisation qui, en

créant incertitudes et angoisses devant un avenir inconnu, aconduitàunretourdureligieuxquinevapassansdérives.

Lapremièresetrouvedansunereligiositéassezsuperficielleet syncrétiste dont on peut constater l’emprise au rayon«religion»dessupermarchés.Lebouddhismezens’ymêleausoufisme et à la Kabbale, conduisant à l’exploitation de ladétresse, du mal-être moral et existentiel, exploité par desgourousetdessectes.

Mais l’autre dérive, celle qui nous intéresse ici, consiste àtrouverrefugedansuneobservancetatillonneetformaliste,quidégénèrefacilementdanslefondamentalisme,cedernierfaisantlelitdufanatisme,etmalheureusementaussidel’extrémisme,etdu terrorisme aveugle, qui n’est rien d’autre qu’une totaledémissiondel’esprit.

De telles analyses ne concernent pas que les musulmans,mais elles s’appliquent davantage à eux qui se souviennentd’avoirconnuunapogéecivilisationnelquiauraitculminéavecSolimanleMagnifiqueetaprisfinavec labatailledeLépanteen1571,dontontrouvelamentionjusquedanslabasiliquedeFourvière. Le monde musulman a connu la décadence, et lastagnation, l’Empire ottoman a perdu le contrôle de laMéditerranée.Danssondéclin,lemondemusulmanestdevenucolonisablepuisilaétéeffectivementcolonisé.Entrédansuneprofondeléthargiependantlacolonisation,ilaconnuunréveilpost-colonialextrêmementdouloureux,notammentparcequelesdifférents systèmes qui ont prétendu gouverner le mondearaboislamique ont fait faillite. Est-ce que le printemps, ditarabe,mettrafinàcettesituation?Peut-être.Encettehistoire,on trouve aussi les racines d’une indigence intellectuelle etd’unedéshérenceculturellequifaitque,désormais,ons’agrippeàunelettreétouffanteetmortifère,quel’espritadésertée.

DesculturesnonsynchronesLacultureislamiquen’aconnunilemomentDescartes,nile

momentFreud.LaissonsDescartes, pour ne retenir queFreud,quoiqu’ilensoitdelavaliditédesesthéories.C’estunfaitquelapsychanalysen’estpasnéeencontexteislamiqueetqu’ellenel’affectepas.Onpeut,peut-être,voirunlienentrecetteabsenceet le développement actuel d’une pudibonderie affectée, qui apoureffetunerégressiontragiquedustatutdesfemmesdanslemonde islamique d’aujourd’hui. La condition des femmes àSamarcande, à Boukhara ou à Cordoue était infinimentmeilleureautrefoisqu’ellenel’estaujourd’huidanscesmêmescontrées. Il fautessayerdecomprendrecette régressionnéfastequiseconjugueà larevendicationpoliticoidentitairequiprendla forme d’une observance tatillonne. Ajoutons à cela que lesmusulmans sont restés étrangers au phénomène de lasécularisation, au point même que manque le vocabulaire quipourraitenrendrecompte.

À cet égard, nos concitoyens chrétiens ont connu une toutautrehistoire,souslescoupsdeboutoirsquefurentl’expulsiondescongrégationsetlaséparationdesÉglisesetdel’État.Celales a conduits à ne plus invoquer Dieu avec autorité dansl’espace public, mais à parler plus modestement detranscendance, ou de valeurs, ou de spiritualité, voire àprivilégierl’intériorité.

Mais les musulmans qui viennent en France n’ont rienconnudecettehistoirecomplexefaitederésistances,deheurtsetde ralliementsà laRépublique.Les imamsviennent iciavecleur gandoura et leur barbe, leur zèle pour l’observance duramadan, réactualisant ainsi le fait religieux dans l’espacepublic.Etceciseproduitàunmomentoù la laïcité,quiest laclef de voûte de nos institutions et de notre vivre-ensemble,

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mécontentementdans lesurnesàdesdiscoursoudesécritsdeplus en plus hostiles aux musulmans, enfin à des actes deviolence.Enmêmetemps,desmouvementsextrémistesmontenten épingle des cas individuels pour jeter l’opprobre sur touteune communauté, y compris sur des personnes qui s’intègrentfortbien

Cesréactionshostilesprennentdel’ampleurdanslaplupartdes pays européens. Il n’en est pas moins erroné de lesamalgamer toutes, en les caractérisant commepopulistes, voired’extrême droite. Leur nature et leur ampleur varientconsidérablement d’un pays à l’autre. Elles paraissent refléter,peuouprou,desdifférencesculturelles,mêmesidessituationsexplosives peuvent apparaître dans des sociétéstraditionnellement consensuelles. Leurs motivations peuventégalementêtrefoncièrementdifférentes.Enfait,sil’oppositiongrandissanteàl’islams’expliquesouventparunerecrudescencedu nationalisme, de la xénophobie, voire du racisme, dansd’autres cas, il semblequeprévale la volonté depréserver unedémocratie libérale (liberté d’expression, égalité des sexes,droits des homosexuels, etc.), face aux revendications jugéesréactionnairesdesislamistes.

Un véritable cercle vicieux du rejet et du ressentiments’instaure progressivement. Il renforce la fragmentation del’espace social. Ne serait-ce que parce que la montée enpuissance de l’islam, dans un quartier ou une commune, afortiori sa radicalisation, conduisent à un isolement progressifdeceuxquis’enréclament.Onassisteainsiàunexode,plusoumoinsmassif,nonseulementdesnonmusulmans,maismêmedeceux, fussent-ilsd’originemusulmane,quientendentparticiperàlaviesocialeetréussirdanslasociétésansêtrecataloguésparune étiquette religieuse ou ethnique. La disparition d’un tissusocial autochtone aggrave l’isolement culturel des immigrés et

de leurs descendants. Cette situation est d’autant pluspréoccupantequelaréussitescolaireestpourunepartfonctionde l’environnement proche des enfants. À son tour, cettefragmentation intensifie les tensions intercommunautaires. Sichacun peut s’établir dans un pays, avec ses coutumes et sesvaleurs spécifiques, comment empêcher que la crainte ne serépande de voir celles-ci empiéter sur les valeurs de la sociétéambiante?

On dira que cette coexistence des valeurs et des coutumesfortement différenciées constitue lemulticulturalisme vanté iciou là. Je crois qu’en réalité, celui-ci conduit à des situationsdangereuses.Jepréfèredetrès loinlemétissage,c’est-à-dire lemélange de personnes venant de pays et d’horizons différentssur un même territoire et autour de valeurs communes (ladémocratie,l’égalitédessexes,lalaïcité,etc.),àlaformationdecommunautésquiconduisentelles-mêmesàdesghettoscommeon en voit aux États-Unis, au Canada ou en Angleterre. Lemétissage,c’estlefaitquel’onsemélange.Biendifféremment,lemulticulturalisme,queleprixNobeld’économieAmartyaSenappellele«multicommunautarisme»,conduitchacunàcamperdans sa communauté, dans son ghetto. En réalité lemulticulturalisme,quial’airtrèsprogressiste,estunefaçondes’enfermerdanssonidentitécontreetaudétrimentdesautres.

Jusqu’à présent, dans l’histoire des relations entreOccidentaux et musulmans, il n’y a jamais eu coexistence dedeuxsouverainetés.Toutecoexistenceaconsacrélaprimautédel’un sur l’autre, que ce soit le statut d’infériorité de dhimmiimpartijadisauxjuifsetauxchrétiensenterrearabeouceluide“colonisés” réservés aux Arabes pendant la période coloniale.L’enfermement dans une communauté implique de facto unpositionnementhiérarchiquedanslasociété.Onn’estpaségauxsionnesemélangepasetonnesemélangepassichacuncampe

sur ses positions, que celles-ci soient fondées sur uneappartenanceethniqueou/etreligieuse.Lacoexistencepacifiqueauseindespayseuropéensnepourras’établirquesilesunsetlesautresprivilégientleréelplutôtquelesymbolique.Lesunsenreconnaissantqu’ilsdevrontvivreaveclesimmigréset leursdescendants.Lesautresenseconvainquantqueleurintégrationdans les sociétés européennes ne pourra se faire que s’ilsprocèdent à lamise à distance de leur texte fondateur, ce quejuifsetchrétiensontaccompliaufildessiècles.Encorefaut-ilque les sociétés européennes leur facilitent cette distanciationdifficileenclarifianteux-mêmeslesrèglesdujeudémocratique,quicommencentpar l’acceptationde la légitimitéde l’Autreetdonc la réciprocité en matière de liberté d’expression et decritique.

Le problème est donc d’aider chaque personne qui entendvivre en France à assumer les valeurs de la laïcité, même si,commejel’aidéjàdit,jepréfèreletermedesociétéouverte.JecroisquenotreproblèmeadéjàétéremarquablementrésuméparDostoïevski quand il fait dire à Ivan dans Les FrèresKaramazov:«Iln’yariendeplustentantpourl’hommequelaliberté de sa conscience,mais riendeplusdouloureux. »Eh !bien, tel est notre problème actuel ! Beaucoup de gens seplaignentdufaitquenotresociétén’aitplusdevaleurs.Maisnepas avoir de valeurs imposées, c’est précisément cela quis’appelle la liberté.Riennenous interdit d’avoir desvaleurs ;simplement,cen’estplusl’Étatquinousdit:«Voilàlesvaleursauxquellesvousdevezvousréférer.»C’estàchacundenousdese débrouiller ; mais c’est difficile et désagréable de sedébrouillersoimême.

On ne peut pas demander à des gens qui viennent del’extérieurdepartagernosvaleurs,sinous-mêmesn’yadhéronspas et si nous ne sommes même pas capables de les définir.

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Dans les années 1980, je voyageais souvent au Maroc etplusparticulièrementdans leHaut-Atlas, enmilieuberbère. Jevivaisaumilieudecettepopulationtrèscroyante,célébrantavecelle les grandes fêtes (fin du Ramadan, Aïd-l-Kekbir,Achoura…). Je voyais les jeunes enfants partir tôt le matin àl’école coranique, alors que les plus grands allaient à l’écolecommunale. Le musulman était alors le croyant vivantprofondémentsafoid’hommesoumisàDieu.

Dans les années 1990, je vivais au Maroc, travaillant enparticulier àRabat.Nous étions enpleindramealgérien et lesdifférents partis islamistes prenaient de plus en plus de placedanslaviepolitiqueetsocialemarocaine.Trèsengagésdanslesœuvres de bienfaisance, en particulier au moment desfunérailles, ils exerçaient une forte pression sur la viequotidienne pour que les Marocains respectent bien lespréceptes de l’islam, tel qu’eux-mêmes les définissaient. Iln’étaitguèrepossibledenepasfaireleRamadan,beaucoupdefemmes se baignaient tout habillées sur les plages, les barbess’allongeaient…Lemusulmanétaitalorsl’islamiste.

Dans les années 2000, j’étais secrétaire général du GRIC(Groupede recherches islamo-chrétien). J’aieuainsi lachancede pouvoir rencontrer et travailler avec des musulmansuniversitaires,profondémentenracinésdansleurfoi,désireuxdedialoguer avec des chrétiens et d’approfondir ensemble desthèmes fortscomme lesÉcritures, la foiet la justice, lepéché,les identités, etc. Ils étaient sunnites, druzes ou chiites,habitaient la France, la Tunisie, le Maroc, la Belgique ou leLiban.LemusulmanétaitalorsunchercheurdeDieu,chezquiraison, recherche, connaissance et foi n’étaient pasincompatibles.

Aujourd’hui, délégué épiscopal aux relations avec lesmusulmans, je me retrouve en première ligne au contact de

l’islamtantpourquestionnerlescatholiquesquepourêtreàleurécoute.Onnepeutplussevoiler la face :dansunesociétéoùlesidentitéss’affirmentetoùlecommunautarismesemanifestedemanièrecroissante,l’imagedominantedel’islamen2011faitpeuretquestionne.

Ilestindéniablequele11septembre2001estpasséparlà,comme la querelle autour des caricatures du ProphèteMuhammad,l’exodedeschrétiensd’Orient,leportdelaburka,les attentats islamistes, les revendications autour de la viandehallal,lesémeutesdanslesbanlieues,etl’onpourraitcontinuer.

Aussi,lecatholiquefrançaisestpartagéentred’unepartunsentimentd’accueil,defraternité,desouhaitdevivreensemble,de dialogue et de rencontres, comme l’y invitent lesresponsablesreligieuxdansladroiteligneduconcileVaticanII,et d’autre part une attitude de profonde réserve envers cettereligion qu’il perçoit comme violente, contraignante et nonrespectueusedesdroitsdel’hommeetsurtoutdelafemme!

Dèslors,surquois’appuyeraujourd’hui?Doit-on reprendre l’attitude positive de Benoît XVI

rencontrant les représentants des diverses communautésmusulmanesprésentesenAllemagne,le23septembre2011?Illeurdisaiteneffet:

« Chers amis, […] je pense qu’une collaboration féconde entrechrétiens et musulmans est possible. Et de cette manière, nouscontribuonsàlaconstructiond’unesociétéqui,sousdenombreuxaspects,seradifférentedecequenousavonsapportéavecnousdupassé. En tant qu’hommes religieux, à partir de nos convictionsrespectives, nous pouvons donner un témoignage important dansde nombreux secteurs cruciaux de la vie sociale. Je pense, parexemple, à la sauvegarde de la famille fondée sur lemariage, aurespectde laviedans toutes lesphasesdesonévolutionnaturelleouàlapromotiond’uneplusgrandejusticesociale.»

Etd’ajouter:

« Pour cela aussi j’estime important de célébrer une Journée deréflexion,dedialogueetdeprièrepourlapaixetlajusticedanslemonde; et nous voulons le faire le 27 octobre prochain, à vingt-cinq ans de la rencontre historique d’Assise conduite par monprédécesseur, le Bienheureux Jean-Paul II. Par ce rassemblementnousvoulonsmontrer,avecsimplicité,que,enhommesreligieux,nous offrons notre contribution particulière pour la constructiond’unmondemeilleur, reconnaissant enmême temps la nécessité,pour l’efficacitédenotreaction,deprogresserdans ledialogueetdansl’estimeréciproque1.»

Cette semaine même, la Conférence des responsables deculteenFrance(CRCF)atenusaréuniontrimestrielle,ausiègeduConseilfrançaisducultemusulman(CFCM),àParis.Cetteréunion de rentrée a été l’occasion pour les responsables deculteenFrancedepoursuivre leurs travauxetd’évoquerdiverssujetsinterreligieuxetd’autresayanttraitàl’actualitédenotrepays. La CRCF a même annoncé la tenue d’un colloqueintitulé :«Vécuetpromessesde la laïcitédans le cadrede laLoi 1905. » Il aura lieu le 17 octobre prochain au Palais duLuxembourg.Cerendez-vousfaitsuiteàl’intentionannoncéedelaCRCFd’engageruneréflexiondefondpourdévelopperunelaïcité de bonne intelligence, « un des piliers de notre pacterépublicain».

Jepourraimettreaussienavantcequis’estvécuousevivraàLyoncommelasoiréemémorialedelamortdesseptmoinesdeTibhérine,oùchrétiensetmusulmansétaientrassembléspourunmême hommage, la marche de la paix du 13 novembre vécuedans l’esprit de la rencontre d’Assise ou les nombreusesrencontresdegroupescommelegroupeAbraham-LaDuchère,legroupe Salam- Paix-Shalom de Rillieux ou le groupe Fils

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entretint une correspondance suivie, d’ordre intellectuel etspirituel.Ancienétudiantd’Al-Azhar,professeurà l’Universitédu Caire en 1912, il fut également correspondant du pèreCharles deFoucauld, qu’il envisagea un temps de rejoindre etqu’il s’employaà faireconnaîtreaprèssonassassinaten1916.Développant un zèle de néophyte au plus fort de la « crisemoderniste », Massignon s’en prit avec vigueur à certainscourantsphilosophiquesetauxrechercheshistorico-critiques.Àla fin de la première décennie du siècle, il stigmatisait le« misérable esprit de compromis entre la vérité immuable dudogmeetlesvéritésdujour»,qualifiantle«libreexamen»de«luxurede l’esprit»et lacritiquehistoriquecommel’exégèsebiblique de « deux champs de combat où la lutte est la plusardente contre le Verbe », pour mieux justifier la soumission« non seulement à ce qu’ordonne l’Église mais à ce qu’elleconseille».

C’est dans cet état d’esprit que Massignon se lançait, en1908, dans une thèse sur le mystique al-Hallâj, avec laconviction que ce dernier avait été exécuté parce qu’il étaitdevenu apostat, proche du christianisme.En 1922, aumomentdesoutenirsathèseenSorbonne,undéplacements’étaitopéré.NonseulementilécrivaitqueHallâjétaitrestémusulman,«filsd’Ismaël », mais il développait la conviction selon laquellel’islamnepouvaitpasêtreunsimpleaménagementdel’héritagejudéo-chrétienpourlemondearabe,qu’ilyavaitunpropredelaculturemusulmane,queletextecoraniquepossédaitunevaleurunique et que la grille catholique tripartite pour analyser lamystique s’en trouvait bousculée : Hallâj ce n’était pas du« diabolique », c’était plus que du « naturel », mais alors…était-cedéjàdu«divin»?

Massignon interrogea des théologiens. Le dominicainLagrange se récusa et le jésuiteMaréchal proposa une lecture

qui s’écartait sensiblement de celle de l’orientaliste. Pour ledisciple de Blondel, s’il n’était pas possible de douter de lasincérité dumystiquemusulman, il fallait admettre que sa vieintérieurepuisaitdanslesélémentsbibliquesduCoran.Encela,ilnedifféraitpasdel’approchecatholiquehéritée,résuméeparun autre jésuite, Louis Jalabert : « Leqor’ân nous fait l’effetd’uneéditionarabe tronquéede laBible,amalgaméed’inédits,niveléeauniveaudeladescendanced’Ismaël.IlseraitauvieuxTestamentcequ’IsmaëlfutàIsaac.Lemosaïsmeayantsurvécuàsacondamnation,l’islamquivitcôteàcôteaveclui,perpétuelarevendication des frères exclus. » Massignon poursuivit doncune voie particulière, visant à faire connaître l’islam « del’intérieur », dans laquelle s’inscrivit l’un de ses filleuls, JeanMohamed Abd-el-Jalil qui soutint une thèse sur le mystiquepersan al-Hamadhânî. Dans L’Hégire d’Ismaël (1935),Massignonqualifiait l’islamde« religionnaturelle ravivéeparunerévélationprophétique»,cequinemanquapasd’interrogersonamiJacquesMaritainetd’offusquersadoctoranteAmélie-Marie Goichon. Le trait fut précisé dans « Le Signemarial »(Rythmes du monde, 1948), dessinant Muhammad comme« prophète négatif » pour les chrétiens, au sens où le Corann’exprimeraitrienàl’encontreduchristianisme,toutenrestantendeçàdela«révélationchrétienne».

Professeur au Collège de France, Massignon entretint desrelations à la fois de grande proximité et de tension avec lescongrégationsreligieusesousociétésdeprêtresengagéesdanslemonde de langue arabe et l’étude de la tradition musulmane:jésuites, petits frères de Jésus, pères blancs, dominicains…DepuislepèredeBonnevillejusqu’aufrèreAndré–aliasLouisGardet–enpassantparAnawati,lesquestionstournèrentautourdela«continuitédoctrinale»,descritèresde«sanctification»,de la manière de concevoir une « religion d’attente ».

Philosophe, converti et disciple de Jacques Maritain, LouisGardet s’associa avec le frère prêcheur Anawati pour mener àbienuneentrepriseunique,unessaidethéologiecomparéeentrelesécritschrétiensetmusulmans.L’Introductionàlathéologiemusulmane parut en 1948. Le travail recueillit des élogesunanimes, chez les chrétiens comme chez les musulmans, àl’exceptionderéservesformuléesparlefranciscainAbd-el-Jalilconsidérant qu’une part trop belle avait été réservée authomisme. Cette note dissonante n’empêcha pas Anawatid’entrer de plain-pied dans le petit cercle des spécialistes del’islam et de fonder l’IDEO (Institut dominicain d’étudesorientales), émanant d’un groupe d’études arabes voulu parMarie-DominiqueChenudèslafindesannées1930.

LeMIDEOconstitual’entreprisemajeuredecetInstitut,lescontributions émanant à la fois de ses forces propres,d’intellectuels de confessionmusulmaneou chrétienne et d’unréseau international d’islamologues. Les maritainiens YoussefKaram, maronite égyptien, Jean de Menasce, juif alexandrinconverti au catholicisme, et Louis Gardet avaient accompagnécettefondation.AdosséàlasommeépistémologiquedesDegrésdusavoir deMaritain,Gardet prolongea sa collaboration avecAnawati dans les champs de la mystique et de la philosophiecomparées:«Trèsdélicatsproblèmesdethéologiemystiquequede préciser les “demeures” atteintes par les mystiques dudehors ! » Le principe d’une distinction entre mystique«naturelle»–produitde lavertuetde l’effortpersonnel–et« surnaturelle » – résultat de la « grâce sanctifiante » –, lasecondenepouvantêtrequel’exceptionpourles«mystiquesdudehors » ne permettait pas de trancher de manière décisive,commeill’écrivaitàAnawati:«Onpeutimaginerquandmêmeune âme à qui Dieu, hors de l’Église visible, donnerait cetteexpérience [de l’Union transformante]. Mais alors, il en

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desmécréants à convertir, parfois par la force, ils ont reçu unstatutdeprotégéscomportantunesoumissionquilesmaintenaitdans l’infériorité politique.Au-delà du tribut, de plus en pluslourd,exigéencontrepartiedecetteprotection,lasituationquileurestfaiteeststructurellementinégalitaire:onleurrefusedesdroitsciviquesetreligieuxidentiquesàceuxdesmusulmans6.

Le pacte d’Omar (ou plus exactement attribué à Omar,notamment celui du XIe siècle, car il a connu des versionsantérieures) définit clairement les termes de cette dominationpolitique et ses conséquences religieuses. Les chrétiens n’ontpas le droit de construire de nouveaux lieux de culte ni deréparerceuxquitombentenruine; ilsnepeuventplusexercerleurculteenpublic,notammentfairedesprocessions.Ilsn’ontpas le droit de toucher au Coran ni de l’expliquer à leursenfants.Il leurest interditdeconvertir lesmusulmans,maisilsdoiventaccepter laconversiondesleursà l’islam.Cesmesurescontraignantes étaient parfois accompagnées de signesvestimentairesdistinctifs.

Actuellement, cela se traduit au plan étatique par uneabsence de partage du pouvoir. On peut citer plusieursdispositionsqui fontobstacle à la rencontre : dans lamajoritédes pays où l’islam a le pouvoir, les chrétiens subissent desexclusions sociales, auxquelles s’ajoute l’absence de libertéd’expression,deconscience,ouencoredelibertédechangerdereligion.Cesdernièresannées,desrécitsontcirculérapportantdes cas de maltraitance, de violences, voire de persécution àl’encontre demusulmans devenus chrétiens7. Beaucoup voiententoutcelaunréelobstacleàdesrencontresquimériteraientcenom.

Du côté musulman, on évoque l’impérialisme et lecolonialismedel’Occident,considérécommechrétien,ainsique

la situation sociopolitique des musulmans ayant émigrérécemmentenEurope…

Les facteurs de blocage que l’on vient d’énumérer ont denombreuses conséquences théologiques, anthropologiques etsociopolitiques.Enpremier lieu,beaucoup sont sceptiques surl’intérêt,voiresurl’utilitédeserencontrerdanscesconditions.Ettoutd’abordonsouligneral’impossibilitédemettreàl’ordredujourdecesrencontrestoutequestionrelativeàlafoi.Encedomaine, il ne saurait y avoir ni consensus ni concession.Lesdifférences sont nécessairement séparatrices, qu’elles restentimplicites ou qu’elles soient explicitées. Enfin, l’expansionactuelledufondamentalismeensesformeslesplusradicalesnepeut manquer de conforter tous ceux qui, des deux côtés,cultiventunelogiquedeméfiance,voiredeconfrontation.

Lesconditionsd’unerencontrefructueuseetdurableLa radicalisation actuelle des positions nous place devantl’alternativesuivante:oubienl’onexclutetrejettel’autre,enseconfrontantà luietenessayantde leconvertir ;oubienonserésout fermement à dialoguer « à temps et à contretemps »,enversetcontretout,maisensachantqu’unetellerésolutionestde plus en plus suspectée et rejetée, parce qu’elle prendrait lechemin des concessions et des compromis, voire d’une miseentre parenthèses de la foi et de ses expressions. Du côté decertains chrétiens, il y amême actuellement non seulement unnet agacement à l’encontre de certains « dialogueux » peucompétents,maisquelquefoisunedénonciationducheminqu’aprisledialoguedepuisVaticanIIinclus8.

Enréalité,lestermesdecettealternativesontinacceptablesauplandelafoietauplansocial.Àcesregistres,onnesaurait

cultivernilaméfiancenilerejet,nisecontenterd’unerencontrefondéesurle«pluspetitdénominateurcommun»,qu’ils’agissed’une idée deDieu, de la figure d’Abraham, oudu recours auconcept de religion du livre. Précisons tout de suite que lareconnaissancedece«pluspetitdénominateurcommun»n’estnégligeableniensoinicommeobstacleaufondamentalisme.Cefaisant, on n’accepte pas pour autant une relativisation desexpressionsdelafoivéhiculéepardesfaçonsdeparlerdugenre«aufond,onatouslemêmeDieu»;«noussommeslesfilsdupère des croyants, Abraham », etc. Cette banalisation de ladifférences’avéreraitd’ailleurscontre-productive.

Développonsdoncpositivement les troispointsd’attentionquisontautantdeconditionsd’undialoguevéritable.

Uneconnaissancedesoietd’autrui

Touterencontre,quelsqu’ensoientlespartenaires,comporteau départ des a priori et des idées reçues. C’est une chosenormale, aisément vérifiable aussi dans la rencontre entrechrétiens et musulmans. La représentation spontanée qu’unmusulman a des chrétiens ou celle qu’un chrétien a desmusulmansrévèle,leplussouvent,cequel’unetl’autrepensentd’autrui,maistoutautantd’euxmêmes.

Cettedialectiqueentrel’imagedesoietl’imaged’autruiestfondamentale.Trèssouvent,ladifficultéquej’aiavecl’autremerenvoie à une difficulté que je ressensmoi-même.Dans le casprésent, laradicalitérenvoielechrétienàlui-même:quelleestexactementmafoi?Dequoiai-jepeur?

Pourn’êtrepasprisonnierdemesidéesreçuessurautruinidel’imagequejemesuisconstruitedemoi-mêmepeut-êtrepourmettre certaines peurs intimes à distance, il existe un cheminfondamental, celui de la connaissance exigeante. La fonction

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Table

Avant-propos,parHervéLegrand

I.Perceptionsetreprésentationsdel’islamsurleterrainL’expérienced’unprêtreaucontactdesmusulmans,par

VincentFeroldiDeladécouvertedesmusulmansaudialogueaveceuxpar

JulienneJarry

II.PrésentationdesdifférentsislamenFrancePolyphoniesetpolymorphiesmusulmanesenFrance,par

FranckFregosi

III.L’islam,sonhistoire,sondroit,savieendiasporaLesfondamentauxdel’islametlefondamentalisme

contemporain,parEmilioPlattiL’ethnicitédesjeunesFrançaisdeculturemusulmane,par

LeylaArslan

IV.Lavisibilitécroissantedel’islamenFrance:négociationsetdébatsLesrevendicationsdesmusulmansreligieuxdans

l’entrepriseetdansleservicepublic,parGhalebBencheikhLesressortsd’unressentimentmutueletsagestion,par

AndréGrjebine

V.MusulmansetchrétiensenFranceL’islamenFranceaucontactdeschrétiens,parTareq

OubrouLescatholiquesenFranceaucontactdel’islam,par

VincentFeroldi

VI.QuelquesenjeuxpourlafoichrétiennedelarencontreentremusulmansetcatholiquesOrientalistescatholiquesdelanguefrançaise(XXesiècle),

parDominiqueAvonLesenjeuxdelarencontreauplansocialetauplandela

foi,parMichelYounès

Annexes

Lesauteurs

CompositionetmiseenpagesréaliséesparCompo66–Perpignan

538/2013

Achevéd’imprimersurlespressesdel’imprimerieenmars2013

N°d’imprimeur:XXXXX

Dépôtlégal:avril2013ImpriméenFrance