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1 SFEN/GR21 8 Juillet 2013 Le démantèlement des centrales nucléaires 1 La France et l’expérience américaine 1. Généralités Il est courant d’entendre affirmer, dans les gazettes ou les étranges lucarnes, qu’on ne sait pas démanteler les centrales nucléaires, que le coût en sera insupportable, et que les opérations en cours en France, avec des délais qui ne cessent de s’allonger, le prouvent bien. La réalité est bien différente, avec certes quelques difficultés sur la première génération de réacteurs (UNGG), mais aussi de nombreuses réalisations convaincantes, aux USA en particulier, mais aussi en Europe et en France Le marché des démantèlements va de plus devenir très important avec le vieillissement du parc mondial actuel (source AIEA): Déjà 139 réacteurs électronucléaires ont été arrêtés. L’essentiel se trouve aux USA, en Europe occidentale et en Russie. La France, avec son important parc nucléaire en opération (58 réacteurs), mais également avec ses centrales de première génération, maintenant définitivement arrêtées, devra démanteler de nombreux réacteurs dans les décennies à venir. Le CIDEN (Centre d’Ingénierie Déconstruction Environnement), installé à Lyon, est l’unité de la DIN (division ingénierie d’EDF) qui s’occupe du démantèlement et de l’environnement en appui à nos collègues du parc en exploitation. Le CEA, également concerné avec ses réacteurs de recherche, vient de terminer le démantèlement complet de trois réacteurs à Grenoble 2 le CEA/Grenoble devant être dénucléarisé rapidement. Les responsabilités de chacun sont clairement définies. Seule l’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN) peut autoriser le démantèlement d’une installation, après instruction des dossiers avec son support technique l’IRSN. Les opérateurs des réacteurs sont pleinement responsables des démantèlements, techniquement et financièrement, ainsi que des déchets qui en résultent. L’ANDRA est responsable des centres de stockage des déchets, depuis l’étude jusqu’à l’exploitation et la surveillance après fermeture du site, et elle n’accepte que les déchets qui répondent à ses spécifications. Des caractéristiques de la situation française doivent être soulignées : - la stratégie désormais privilégiée à EDF est celle d’un démantèlement rapide, sans attendre les bénéfices qui pourraient être tirés de la décroissance radioactive, ceux-ci n’étant pas déterminants, en raison du coût de surveillance d’un réacteur à l’arrêt. C’est un changement de doctrine par rapport à celle d’EDF il y a 20 ans (un pays comme l’Angleterre privilégie une mise sous cocon prolongée). L’AIEA recommande un démantèlement rapide, mais ne l’impose pas. - Les délais d’autorisation de mise à l’arrêt, de démantèlement et de déclassement des sites en France sont très longs et parsemés de rendez-vous intermédiaires. Un démantèlement s’étend sur 15 à 20 ans. Il s’ensuit des coûts plus élevés et des difficultés de gestion des compétences et de connaissance des installations, - Il n’y a pas de seuils de radioactivité de libération des déchets, contrairement à tous les autres pays, ce qui conduit à augmenter substantiellement le volume des déchets (avec des activités parfois insignifiantes ou nulles), et à remplir rapidement les sites de stockages de déchets TFA (très faiblement radioactifs). De plus les possibilités de recyclage sont très limitées alors que les mêmes matériaux libérés dans d’autre pays peuvent se retrouver en France sous forme de produits manufacturés. - Les exploitants nucléaires ont les démantèlements en charge (ce n’est pas obligatoirement le cas dans d’autres pays ou l’installation arrêtée peut être traitée par un « démanteleur », qui est également le stockeur ultime des déchets cas du Royaume Uni ou de l’Espagne par exemple.). 2. Les étapes d’un démantèlement de centrale La vie d’un réacteur est très encadrée par l’ASN réacteur avec 3 périodes nécessitant des autorisations formelles après instruction complète des dossiers : construction, exploitation et déconstruction. 1 Informations mises en forme par Alain de Tonnac et Jean-Pierre Pervès 2 Trois réacteurs « piscine », Siloé 35 MW, Mélusine 8 MW et Siloette 100 kW

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SFEN/GR21 8 Juillet 2013

Le démantèlement des centrales nucléaires1 La France et l’expérience américaine

1. Généralités

Il est courant d’entendre affirmer, dans les gazettes ou les étranges lucarnes, qu’on ne sait pas démanteler les centrales nucléaires, que le coût en sera insupportable, et que les opérations en cours en France, avec des délais qui ne cessent de s’allonger, le prouvent bien. La réalité est bien différente, avec certes quelques difficultés sur la première génération de réacteurs (UNGG), mais aussi de nombreuses réalisations convaincantes, aux USA en particulier, mais aussi en Europe et en France Le marché des démantèlements va de plus devenir très important avec le vieillissement du parc mondial actuel (source AIEA):

Déjà 139 réacteurs électronucléaires ont été arrêtés. L’essentiel se trouve aux USA, en Europe occidentale et en Russie. La France, avec son important parc nucléaire en opération (58 réacteurs), mais également avec ses centrales de première génération, maintenant définitivement arrêtées, devra démanteler de nombreux réacteurs dans les décennies à venir. Le CIDEN (Centre d’Ingénierie Déconstruction Environnement), installé à Lyon, est l’unité de la DIN (division ingénierie d’EDF) qui s’occupe du démantèlement et de l’environnement en appui à nos collègues du parc en exploitation. Le CEA, également concerné avec ses réacteurs de recherche, vient de terminer le démantèlement complet de trois réacteurs à Grenoble2le CEA/Grenoble devant être dénucléarisé rapidement. Les responsabilités de chacun sont clairement définies. Seule l’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN) peut autoriser le démantèlement d’une installation, après instruction des dossiers avec son support technique l’IRSN. Les opérateurs des réacteurs sont pleinement responsables des démantèlements, techniquement et financièrement, ainsi que des déchets qui en résultent. L’ANDRA est responsable des centres de stockage des déchets, depuis l’étude jusqu’à l’exploitation et la surveillance après fermeture du site, et elle n’accepte que les déchets qui répondent à ses spécifications. Des caractéristiques de la situation française doivent être soulignées :

- la stratégie désormais privilégiée à EDF est celle d’un démantèlement rapide, sans attendre les bénéfices qui pourraient être tirés de la décroissance radioactive, ceux-ci n’étant pas déterminants, en raison du coût de surveillance d’un réacteur à l’arrêt. C’est un changement de doctrine par rapport à celle d’EDF il y a 20 ans (un pays comme l’Angleterre privilégie une mise sous cocon prolongée). L’AIEA recommande un démantèlement rapide, mais ne l’impose pas.

- Les délais d’autorisation de mise à l’arrêt, de démantèlement et de déclassement des sites en France sont très longs et parsemés de rendez-vous intermédiaires. Un démantèlement s’étend sur 15 à 20 ans. Il s’ensuit des coûts plus élevés et des difficultés de gestion des compétences et de connaissance des installations,

- Il n’y a pas de seuils de radioactivité de libération des déchets, contrairement à tous les autres pays, ce qui conduit à augmenter substantiellement le volume des déchets (avec des activités parfois insignifiantes ou nulles), et à remplir rapidement les sites de stockages de déchets TFA (très faiblement radioactifs). De plus les possibilités de recyclage sont très limitées alors que les mêmes matériaux libérés dans d’autre pays peuvent se retrouver en France sous forme de produits manufacturés.

- Les exploitants nucléaires ont les démantèlements en charge (ce n’est pas obligatoirement le cas dans d’autres pays ou l’installation arrêtée peut être traitée par un « démanteleur », qui est également le stockeur ultime des déchets cas du Royaume Uni ou de l’Espagne par exemple.).

2. Les étapes d’un démantèlement de centrale

La vie d’un réacteur est très encadrée par l’ASN réacteur avec 3 périodes nécessitant des autorisations formelles après instruction complète des dossiers : construction, exploitation et déconstruction.

1 Informations mises en forme par Alain de Tonnac et Jean-Pierre Pervès 2 Trois réacteurs « piscine », Siloé 35 MW, Mélusine 8 MW et Siloette 100 kW

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- La fin d’exploitation est actée par la mise à l’arrêt définitif de l’installation avec en particulier l’évacuation des combustibles usés du cœur, puis de la piscine de stockage et toutes les opérations de rinçage des circuits. On peut ensuite s’engager dans la déconstruction, suite à un décret l’autorisant.

- Les 4 grandes étapes de la déconstruction sont l’évacuation des gros composants, puis l’élimination de la radioactivité des bâtiments, la démolition des bâtiments, et enfin la reconversion de tout ou partie du site.

- On distingue deux états finaux : le « greenfield », ou retour à l’herbe, où le terrain est totalement libéré pour toute activité ultérieure, et le « brownfield » où on se borne à une réutilisation industrielle (pas nécessairement nucléaire) du site.

EDF, en tant qu’exploitant des réacteurs électrogènes, est responsable des démantèlements, en s’appuyant en tant que de besoin sur des entreprises spécialisées. Toute opération doit être organisée sur la base d’une connaissance aussi complète que possible de l’historique d’exploitation du réacteur, des éventuels incidents ou contaminations. Un démantèlement immédiat permet de bénéficier de l’expérience « fraiche » des exploitants ; on se protège aussi d’éventuels durcissements réglementaires ultérieurs, parfois difficiles, voire impossibles, à prendre en compte dans des installations anciennes : par exemple d’avoir à conforter les structures d’un réacteur suite à une évolution des niveaux d’aléas sismiques requis. Une difficulté rencontrée dans de nombreux pays est celle de disposer d’un exutoire définitif pour tous les déchets, la solution de recours étant d’entreposer ces déchets sur le site lui-même ou un site dédié. La France bénéficie d’une situation favorable car elle dispose actuellement de deux stockages opérationnels, susceptible de recevoir la quasi-totalité des déchets résultant des démantèlements, le CSTFA pour les déchets de très faible activité et le CSFMA pour les déchets de faible et moyenne activité. Ces sites peuvent recevoir l’essentiel des déchets des démantèlements. Certains déchets ne disposent cependant pas encore de centres de stockages opérationnels (graphite des centrales graphite/gaz de première génération, les UNGG, et déchets tritiés).

CSTFA : Centre de stockage des déchets très faiblement radioactifs en tumulus (Morvilliers)

CSFMA : Centre de stockage des déchets faiblement et moyennement radioactifs en structure béton (Soulaines-Dhuis)

3. Les autorisations En France chaque étape nécessite un décret d’autorisation délivré par l’autorité de sûreté, avec enquête publique préalable. La notion de dossier générique de démantèlement n’est pas encore appliquée, les réacteurs UNGG étant généralement assez différents les uns des autres. Il serait très souhaitable qu’une telle notion soit appliquée lorsque les réacteurs à eau pressurisée de seconde génération (REP) seront démantelés car ils sont très semblables et bénéficieront de l’effet de série. Elle permettrait une meilleure approche en termes de communication et rendrait plus compréhensible pour le public les enquêtes publiques, extrêmement nombreuses quand la seconde génération arrivera en fin de vie. Les délais de démantèlement sont très longs car la doctrine française (ASN et IRSN) conduit à un très grand niveau de détail dans les dossiers soumis à enquêtes publiques et autorisations, et la réglementation, contraignante, peut engendrer des conflits et des recours en justice notamment de la part des opposants au nucléaire. C’est ainsi que pour un éventuel démantèlement de Fessenheim on estime à 5 ans le délai moyen nécessaire à l’obtention de l’autorisation de démantèlement. Un changement de technologie, pour bénéficier de performances supérieures ou suite à une demande du public, par exemple, peut requérir de nouvelles autorisations, voire de nouvelles enquêtes publiques. Une fois une autorisation obtenue certaines étapes de la déconstruction sont de plus soumises à des autorisations séquentielles de l’ASN, lourdeur partiellement corrigée par un régime

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d’autorisation interne (en toute transparence) si la démonstration de sûreté n’est pas affectée: modification relativement mineure au sens de la sureté (article 26 de la loi TSN). 4. L’expérience américaine Elle est particulièrement intéressante car elle a déjà concerné 10 réacteurs qui ont été démantelés : 8 REP3 très semblables à ceux qui sont aujourd’hui opérationnels en France (concept initial Westinghouse) et 2 REB3, certains au niveau « greenfield » et d’autres au niveau « brownfield ». Une des dernières centrales en cours de démantèlement, ZION, est la jumelle de Fessenheim. L’exploitant à deux interlocuteurs : l’état concerné et la NRC (Nuclear Regulatory Commission). Contrairement à la France, EDF est à la fois constructeur et exploitant de réacteurs, les centrales américaines sont achetées clefs en main et exploitées par des « utilities ». Ces dernières, qui n’ont pas une compétence d’ingénierie, peuvent transférer les centrales arrêtées à une entreprise de démantèlement, moyennant finances. La doctrine de ces derniers vise à retenir les meilleures technologies, quitte à justifier leurs choix à postériori. Il en résulte une organisation plus légère et rapide. Au niveau des autorités de sûreté la NRC est tenue de répondre dans un délai de 90 jours aux demandes présentées. Les « utilities » gardent cependant la responsabilité des entreposages de déchets HA/VL: en effet, suite à la décision politique d’arrêter les investigations sur le site de Yucca Mountain et de relancer la réflexion à la base (commission ‘blue ribbon’), ceux-ci sont tenu de les conserver, généralement sur le site de la centrale, a sec dans des conteneurs blindés

Situation des déconstructions de centrales aux USA

Centrale de Main Yankee avant et après avec stockage de combustibles à sec

3 REP : réacteur à eau pressurisée (PWR en anglais) REB : réacteur à eau bouillante (BWR en anglais)

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Les technologies retenues ont été diverses pour découper les composants et structures: découpe plasma (pas convainquant car résurgence d’activité dans l’eau utilisée pour le démantèlement), découpe au jet d’eau sous pression (technologie intéressante mais qui, en France, pose le problème du devenir du sable très actif), découpage mécanique. Selon les Américains les deux étapes les plus critiques sont :

- 1ère étape : démantèlement de la cuve et des internes de cuve ; - 2ème étape : l’assainissement final du site et de la nappe phréatique. Il est très difficile de ‘finir’ le travail. Beaucoup de

R&D a été faite sur l’excavation des sols. Sur le site de Connecticut Yankee, la décontamination a été difficile. Une décontamination rapide des circuits peut être réalisée à l’aide des systèmes d’épuration et de filtration utilisés lors de la production. Ils démantèlent actuellement Zion (2 X 900 MW), d’un modèle Westinghouse comparable à nos réacteurs de 900 MW en commençant par la cuve et les internes (95% de la radioactivité). Démarche nouvelle qui permet de réduire rapidement les conséquences de l’accident de référence et donc de simplifier considérablement l’approche sureté et, en parallèle, simplifie la suite des opérations de démantèlement, et permet aussi de diminuer les primes d’assurance sur la suite et la fin du chantier. L’extraction de la cuve et des internes est ainsi faite dans un volume fermé, ce qui réduit la contamination de la piscine. Les progrès ont été notables, comme le montre le tableau ci-dessous :

- Baisse des expositions aux radiations (facteur 4) - Baisse du volume de déchets et des longueurs découpées, - Capacités de filtration des effluents liquides qui ont été augmentées régulièrement, - Choix des méthodes de découpe et utilisation du REX.

DE façon très macroscopique, les coûts de déconstruction aux USA sont compris entre 500 et 700 millions $ pour un gros réacteur commercial. La décomposition des coûts a été étudiée en détail par l’EPRI, on y montre que les couts du personnel sont les plus importants d’où l’idée très répandue aux USA, et partagée par l’AIEA et l’OCDE, que, si on veut réduire les couts il faut ‘aller vite’.

43,5%

23,6%

19,0%

13,9%

Cost Categories as a % of Total CostStaffing

RemovalsWaste

Other

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5. Les démantèlements en France EDF, maitre d’ouvrage des démantèlements et exploitant nucléaire des sites, s’appuie sur un réseau de sous-traitants qualifiés, soumis aux mêmes règles et contrôles que les agents EDF.

5.1. Le démantèlement d’une centrale REP en France (Chooz A 1967/1991) Le réacteur de CHOOZ A dans les Ardennes est un REP de puissance moyenne, 305 MWe, de conception Westinghouse proche des centrales françaises opérationnelles de première génération (900MWe). Chooz est le premier REP français démantelé.

- Construction de 1962 à 1966 - Exploitation de 1967 à 1991 - Production totale : 38 TWh - CDE (cessation définitive d’exploitation : 30 octobre 1991 - Décret de mise à l’arrêt définitif : 17 mars 1993 - Fin de l’évacuation combustible : décembre 1995 - Décret de déconstruction : 27 septembre 2007

Son démantèlement est donc particulièrement intéressant, bien que le réacteur soit dans une caverne (donc en milieu fermé ce qui est plus complexe). En outre ce site a connu des ruptures de gaines de combustibles, d’où une contamination du circuit primaire plus importante que celle qui est attendue sur les 900 et 1300 MWe, et un certain nombre de tubes de GV ont été bouchés suite à des fuites. Une équipe de 21 personnes sur le site en assure la maîtrise d’ouvrage. Le démantèlement avance selon le calendrier ci dessous :

Les opérations, qui ont commencé par l’extérieur et le bâtiment turbine, se passent bien. La phase actuelle, qui concerne la caverne du réacteur est particulièrement démonstrative. Les générateurs de vapeur (GV) ont pu être décontaminés conformément aux objectifs (y compris les tubes bouchés), ce qui a permis leur envoi en un seul bloc au CSFMA de l’ANDRA pour stockage dans une structure bétonnée. Il n’a en effet pas été retenu de faire un recyclage après une décontamination poussée de l’acier, bien que le GV ne soit pas irradié, faute entre autre d’un seuil de libération des déchets et des difficultés rencontrés par l’usine CENTRACO (aspect fusion) de MARCOULE. On peut noter qu’un recyclage serait possible dans d’autres pays (sans contrôle aux frontières pour le produit manufacturés qui en résulteront !). L’hypothèse d’un recyclage dans l’industrie nucléaire, par fusion, a été envisagée mais non retenue (containers en fonte pour déchets, composants pour le projet de centre de stockage en profondeur CIGEO), car complexe à mettre en œuvre pour cette seule opération.

Evacuation des générateurs de vapeur de Chooz A en 2012 vers le CSFMA de l’Andra

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Mais cette façon de procéder devra probablement être revue pour la déconstruction du parc actuel et aussi pour le traitement des centaines de GV usés (déjà de nombreux GV ont déjà été remplacés dans le cadre des visites décennales et sont entreposés sur les sites EDF). La cuve, qui est fortement radioactive (radioactivation par les neutrons) va être démantelée, après évacuation de l’ensemble de ses internes, dans la piscine du réacteur par découpage mécanique en blocs. Westinghouse a obtenu le contrat pour le démantèlement de la cuve. Ce procédé de découpage a déjà été démontré sur la cuve du réacteur suédois Forsmark 1.

Evacuation des internes pour démontage et découpage Découpage mécanique de la cuve

5.2. Le démantèlement des centrales de première génération 9 réacteurs de première génération sont en déconstruction en France :

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La difficulté provient de réacteurs non standardisés (seuls Chinon A3 et Saint-Laurent A1 sont identiques), de conceptions très différentes (rapide à sodium, à eau lourde, graphite/gaz. Ces déconstructions permettent le développement de doctrines et de technologies qui seront précieuses pour le démantèlement des réacteurs REP, mais seront moins transposables que celle de Chooz A.

5.2.1. Les centrales UNGG Avec un bloc cœur massif et de grandes masses de graphite, avec leurs teneurs en carbone 14 et chlore 36 radioactifs et très volatils, ces réacteurs sont arrêtés depuis 20 à 30 ans. Bugey sert de tête de série. Le retour d’expérience américain est limité à Fort Saint-Vrain (330 Mwe) qui a peu fonctionné et a été démantelé sous eau.

Les technologies envisagées dépendent des architectures des réacteurs : découpe sous eau à Bugey et Saint-Laurent (comme Saint-Vrain), et sous gaz à Chinon (pas de rétention sous caisson). Les anglais ou les russes envisagent un démantèlement en gaz pour éviter de mouiller le graphite. Cette question fait débat actuellement Une question importante est celle de l’évacuation du graphite qui leur servait de modérateur (18.000 tonnes). Il est radioactif et 1000 t de graphite issues des empilements contiennent environ 50 TBq de tritium, 50 TBq de carbone 14 et 0,5 TBq de chlore 36 (périodes respectives : 12,3 - 5730 - 300.000 ans). Il avait été prévu de stocker ce graphite dans un site de stockage en subsurface (à quelques dizaines de mètres de profondeur) et, suite à la demande d’ANDRA, deux villages s’étaient porté volontaires. L’enquête publique préalable à son autorisation a été interrompue par des manifestations violentes des antinucléaires et les municipalités ont renoncé au projet suite aux menaces reçues. La question de l’exutoire pour le graphite irradié n’est toujours pas réglée et est très perturbante. Plusieurs solutions :

- Le garder sur le site dans le bloc cœur, ce qui pose la question de la fiabilité à long terme de celui-ci et la démonstration par EDF de la tenue des internes, notamment au séisme, et d’un risque très limité de déflagration du graphite (en particulier suite aux études de sureté post Fukushima).

- Décontaminer le graphite puis le stocker en surface ou en subsurface dans un centre dédié, - Le destiner au site de stockage CIGEO, mais à un prix très élevé, non justifiable en regard des risques. - Limiter aux chemises le stockage dans CIGEO et envoyer les empilements en stockage en subsurface. - Détruire le graphite et stocker les résidus et les déchets secondaires (C14 enrichi et Cl36 enrichi) à CIGEO.

Une nouvelle solution, prometteuse, est en cours de développement, prévue au départ pour traiter les chemises, plus fortement irradiées (quelques milliers de tonnes). Le graphite serait traité par vapo-reformage avec pour objectif de réduire substantiellement le contenu C14 (oxydation préférentielle), réaliser une décontamination poussée du Cl36, récupérer le tritium sous forme aqueuse ou hydrure. L’objectif est d’obtenir un déchet graphite final reminéralisé en carbonate de calcium ou carbure de silicium compatible avec le CSFMA ou un site Andra dédié. Suite à la réussite des essais en laboratoire, un pilote semi industriel (ESR), s’appuyant partiellement sur un design déjà existant aux USA (pour le traitement de résines échangeuses d’ions

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et de boues), va être défini sur la base des 4 brevets EDF pour cette application, qui pourrait intéresser également des réacteurs espagnols et italiens, voire UK. Ce pilote va traiter du graphite irradié issu de Bugey et de la centrale espagnole de Vandellos. L’objectif est de réduire d’un facteur 50 le contenu radiologique La recherche d’un exutoire du graphite est primordiale et pèsera sur les délais de déconstruction, et on ne peut que constater que les UNGG n’ont pas été « pensés » pour un démantèlement dans le contexte actuel de la sûreté et de la radioprotection (design très compact, murs de 6 à 7m d’épaisseur). Le programme est également perturbé par le retard pris par l’installation ICEDA (Installation de Conditionnement et Entreposage de Déchets Activés) destinée à accueillir à Bugey les déchets activés, en attente de Cigeo. Mais le permis de construire de l’installation, dont la construction a été interrompue, a été annulé sur recours d’un pépiniériste, pour non conformité avec le PLU du village de Saint Vulbas. EDF a ainsi été contrainte de relancer tout le processus d’autorisation, un délai de plusieurs années sans gain pour l’environnement et la population.

Installation ICEDA d’entreposage des déchets de démantèlement d’EDF

5.2.2. Brennilis La centrale à eau lourde EL-4 de Brennilis, 70 Mwe, initialement CEA a été transférée à EDF. Elle a fonctionné de 1968 à 1985. Environ 99% de la radioactivité du réacteur avait été enlevée dès 1992 avec l’enlèvement du combustible. L’autorisation de démanteler ce petit réacteur à eau lourde a été obtenue en 2006, puis annulée sur plainte de « Sortir du nucléaire », car le site ne disposait pas d’autorisation de rejets. La demande a été redéposée en 2008 avec une demande d’autorisation de rejets. Cette demande a reçu en mars 2010 un avis défavorable, suite à une enquête publique, le devenir des déchets n’étant pas suffisamment défini. L’ASN a été en conséquence conduite à recommander à l’état la poursuite du démantèlement en 2 étapes. Depuis 2011, le site a reçu une autorisation partielle de l’ASN : démantèlement des échangeurs de chaleur, et traitement complet du chenal de rejet. Une première opération d’assainissement de sol a été terminée avec succès en 2012, ce qui constitue une référence très importante (car c’est le premier site partiellement réhabilité par EDF). Le programme prévoit de 2015 à 2025 : démantèlement du bloc réacteur, puis de l’enceinte, et retour au vert. Cette déconstruction, sans difficultés majeures, pose la question de l’incertitude juridique à laquelle les opérateurs sont confrontés.

- Aucun avantage pour la population et l’environnement des retards accumulés. - Contraintes qui peuvent paraitre excessives de l’ASN (que faire des déchets quand la collectivité est incapable de créer

des sites de stockage de déchets dans un délai raisonnable). - Difficulté de gestion sans seuil de libération (sont considérés comme non libérables des niveaux de radioactivité très

inférieur à ceux constatés dans la nature en France) : attendre que l’ASN dise « d’accord ». Incohérence avec ce qui se fait, sans problème aucun, partout ailleurs dans le monde et avec la libre circulation des biens manufacturés en Europe.

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- Seuil de rejets autorisés très faibles du carbone 14, quel que soit le site démantelé en France (les seuils C14 sont de plusieurs ordres de grandeurs inférieurs aux rejets des essais aériens)

Question posée : Pour la réhabilitation du chenal de rejets : n’a-t-on pas perturbé davantage l’environnement et la population sous prétexte de les protéger ? C’est une question récurrente dans ce métier.

5.2.3. Super Phenix à Creys Malville Ce réacteur surgénérateur à neutrons rapide de 1200 Mwe à caloporteur sodium a fonctionné de 1986 à 1998. Il s’agit d’un réacteur très particulier, fonctionnant avec un cœur placé dans une grande cuve en acier inoxydable, réfrigéré par du sodium et non pressurisé. Un circuit secondaire sodium évacue la chaleur à l’extérieur du bâtiment recteur vers des générateurs de vapeur. Le démantèlement se fait en 4 étapes : opérations préalables (démontage de machines), traitement du sodium, démantèlement du bloc réacteur en eau, et enfin démantèlement du reste des bâtiments.

Calendrier de déconstruction de Super Phénix

Le sodium, très peu radioactif, est transformé en soude par réaction lente avec l’eau dans l’installation « TNa » en 63000 tonnes de béton sodé. L’installation fonctionne de manière très satisfaisante.

Traitement du sodium

Le béton sodé est entreposé sur le site de Creys car on est là aussi en panne d’exutoire. Le démantèlement doit prendre en compte la complexité supplémentaire d’un réacteur chargé de combustibles neufs et usés. 6. Les coûts et les délais Les Américains ont une grande expérience et démantèlent une installation en 5 à 7 ans, pour 500 millions de dollars environ. Energy Solution a reçu un chèque d’1 milliard de dollars pour démanteler les deux réacteurs de Zion.

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EDF dispose d’une provision de 3 milliards d’Euros pour le démantèlement des réacteurs de 1ère génération, et de 10 milliards en valeur actualisée pour le parc REP, à démanteler jusqu’en 2080. Le fond est alimenté par un pourcentage prélevé sur chaque kWh vendu. Un débat sur le coût projeté du démantèlement et sur la sécurisation du fond dédié est cependant très prégnant. Pour y répondre EDF a engagé une étude poussée sur le REP fictif « Dampierre 9 », étude validée par la Cour des comptes. (Rapport disponible sur internet) 7. Conclusions Les démantèlements seront une activité industrielle et économique majeure dans notre pays et dans le monde. Les obstacles, nombreux, devront être supprimé ou atténués si le pays veut apparaitre comme un acteur majeur, y compris à l’export et réussir à un coût raisonnable : incertitudes juridiques, évolution continuelle de la règlementation et difficultés de l’appliquer aux installations arrêtées, délai de traitement des dossiers d’autorisation, création de sites de stockage ANDRA, excès de la politique des déchets qui va saturer rapidement les stockages existants si on ne crée pas rapidement une filière industrielle de recyclage . Une bonne prise en compte de la standardisation du parc français actuel, avec des dossiers et des demandes d’autorisation génériques serait certainement bénéfique, efficace et sure.