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Le dossier d’Art Tribal Adolphe Feder (1886-1943). Paris vers 1920. © Harlingue/ Roger-Viollet. 66 Art Tribal 04 / HIVER 2003 Le dictionnaire est peu loquace. Un collection- neur est celui qui fait des collections. La col- lection étant définie par une réunion d’objets, voire un assemblage, une accumulation, un amas, un ensemble, un groupe. Une quantité, en somme, qui ne préjuge en rien de sa qua- lité, exception faite du rassemblement d’imbé- ciles que les dictionnaires définissent toujours par les termes : « une belle collection ». Plus sérieusement, si certains collectionnent les timbres-poste, les papillons, les pierres précieuses, les tableaux, d’autres collection- nent des gardiens de reliquaires, des vases funéraires, des netsuké, des poulies de métiers à tisser, des moules à hosties ou des moules à gaufres. Pour la plupart, une pas- sion : la curiosité. Pour tous, un sentiment qui prend racine dans un rapport particulier à l’objet : sa possession. « J’ai », donc je suis. Mais qui est le collectionneur ? Un artiste, un curieux, un spéculateur, un marchand, un accapareur, un esthète… ? Et pourquoi col- lectionner ? Posséder ne va de soi nulle part, nous disent les chercheurs ; et ce d’autant plus lorsque les objets collectés ont été fabri- qués pour des cultures autres que celle de leur nouveau propriétaire ou ont perdu cette valeur d’usage, cette raison d’être qui don- nait aux utilisateurs leur « raison d’avoir ». Qu’est-ce qui fait alors le sens de cette nou- velle relation entre collectionneurs et objets ? Le plaisir de posséder, d’être possédé ? L’un va rarement sans l’autre. La possession est à ce prix et parfois au prix le plus fort. Une aberration pour certains qui voient dans l’objet acquis la consécration d’une valeur sans usage ou plus exactement un usage qui n’existe plus et ne peut avoir de valeur. À quoi peut donc bien servir un objet laid, inutile, parfois aussi morbide qu’un crâne- trophée ou aussi encombrant qu’une machine à laver ? Rapports étonnants. En apparence peut-être. Car si les objets possédaient des qualités intrinsèques indépendantes de celui qui les observe, chacun les percevrait de la même manière. Or il n’en est rien. L’intérêt des col- lectionneurs tient moins à la nature de l’objet qu’à leur propre état de curiosité. C’est pour cela que nous avons choisi cette fois le collec- tionneur comme objet de curiosité. Ce dossier est un premier pas dans cette direction. Le dossier d’Art tribal À la rencontre des collectionneurs À la rencontre des collectionneurs… Quand la passion des objets devient un objet de curiosité 1 L’imaginaire des collectionneurs d’art « primitif » pisté par deux ethnologues 2 Mais quels collectionneurs ? 3 André Breton, 42, rue Fontaine : le cadavre – exquis – boira-t-il encore – le vin – nouveau ? 4 Jean Roudillon : l’histoire de l’œil jusque dans ses murs 5 Le complexe du chat botté 6 Victor Teicher ou la passion harmonieuse 7 Entretien avec Udo Horstmann 8 52, rue Mazarine : de l’école à la « chine »... 9 L’homme du Sépik : la vie de collectionneur de John Pasquarelli

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Le dossier d’Art Tribal

Adolphe Feder(1886-1943).Paris vers 1920.© Harlingue/Roger-Viollet.

66 Art Tribal 04 / HIVER 2003

Le dictionnaire est peu loquace. Un collection-neur est celui qui fait des collections. La col-lection étant définie par une réunion d’objets,voire un assemblage, une accumulation, unamas, un ensemble, un groupe. Une quantité,en somme, qui ne préjuge en rien de sa qua-lité, exception faite du rassemblement d’imbé-ciles que les dictionnaires définissent toujourspar les termes : « une belle collection ». Plus sérieusement, si certains collectionnentles timbres-poste, les papillons, les pierresprécieuses, les tableaux, d’autres collection-nent des gardiens de reliquaires, des vasesfunéraires, des netsuké, des poulies demétiers à tisser, des moules à hosties ou desmoules à gaufres. Pour la plupart, une pas-sion : la curiosité. Pour tous, un sentiment quiprend racine dans un rapport particulier àl’objet : sa possession. « J’ai », donc je suis. Mais qui est le collectionneur ? Un artiste, uncurieux, un spéculateur, un marchand, unaccapareur, un esthète… ? Et pourquoi col-lectionner ? Posséder ne va de soi nulle part,nous disent les chercheurs ; et ce d’autantplus lorsque les objets collectés ont été fabri-qués pour des cultures autres que celle de

leur nouveau propriétaire ou ont perdu cettevaleur d’usage, cette raison d’être qui don-nait aux utilisateurs leur « raison d’avoir ». Qu’est-ce qui fait alors le sens de cette nou-velle relation entre collectionneurs et objets ?Le plaisir de posséder, d’être possédé ? L’unva rarement sans l’autre. La possession est à ce prix et parfois au prix le plus fort. Une aberration pour certains qui voient dansl’objet acquis la consécration d’une valeursans usage ou plus exactement un usage qui n’existe plus et ne peut avoir de valeur. À quoi peut donc bien servir un objet laid,inutile, parfois aussi morbide qu’un crâne-trophée ou aussi encombrant qu’unemachine à laver ? Rapports étonnants. En apparence peut-être.Car si les objets possédaient des qualitésintrinsèques indépendantes de celui qui lesobserve, chacun les percevrait de la mêmemanière. Or il n’en est rien. L’intérêt des col-lectionneurs tient moins à la nature de l’objetqu’à leur propre état de curiosité. C’est pourcela que nous avons choisi cette fois le collec-tionneur comme objet de curiosité. Ce dossierest un premier pas dans cette direction.

Le dossier d’Art tribal À la rencontre des collectionneurs

À la rencontre des collectionneurs… Quand la passion des objets devient un objet de curiosité

1 L’imaginaire des collectionneurs d’art « primitif » pisté par deux ethnologues

2 Mais quels collectionneurs ?

3 André Breton, 42, rue Fontaine : le cadavre – exquis – boira-t-il encore – le vin – nouveau ?

4 Jean Roudillon : l’histoire de l’œil jusque dans ses murs

5 Le complexe du chat botté

6 Victor Teicher ou la passion harmonieuse

7 Entretien avec Udo Horstmann

8 52, rue Mazarine : de l’école à la « chine »...

9 L’homme du Sépik : la vie de collectionneur de John Pasquarelli

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Le dossier d’Art Tribal68 Art Tribal 04 / HIVER 200368 Art Tribal 04 / HIVER 2003

vanité comme l’écrivait Pascal. Le plus sou-vent on ne veut savoir que pour en parler ».« C’est vrai que les objets nous font beau-coup parler, continue le collectionneur, maismoins pour s’imposer que pour partager desémotions, des expériences », avant d’ajouter,à demi mots, que les réactions que les objetsprovoquent chez ses visiteurs (rejet, étonne-ment, admiration ou indifférence) sont ausside bons indicateurs des affinités qu’il aura ounon avec ceux-ci. « Au fil des entretiens,reprend Monique Jeudy-Ballini, on se rendcompte que c’est moins la manière dont uncollectionneur construit sa collection quel’imaginaire développé autour des objets qu’ilrassemble qui est intéressant. Pourquoi cetobjet et non pas celui-ci ? La réponse peut,par exemple, être contenue dans les repré-sentations qu’ils ont des sociétés dont sontissus les objets. » Une sorte de pari et de pros-pective un peu épistémologiques conduisentprogressivement les deux ethnologues à échafauder une réflexion d’ensemble : « Peut-on faire l’ethnographie des représen-tations des collectionneurs d’art primitif ».Une réflexion qu’encadre désormais le sémi-

naire qu’elles viennent de lancer à l’École deshautes études en sciences sociales de Paris4. « S’il y a eu beaucoup de travaux sur les col-lectes, les constitutions de collections muséo-graphiques, tout ce qui concerne l’appropria-tion de l’art non occidental, il y a en revanche,très peu de travaux sur les collectionneurs pri-vés. Au niveau théorique, les axes de réflexionsont nombreux ; on peut corréler cesrecherches avec les nombreux travaux déjàmenés sur la vie sociale des objets. Mais auniveau pratique, la chose est plus difficile. Êtreethnologue n’est pas forcément une bonnecarte de visite. » Esthétisme et ethnologiefont rarement bon ménage5, et le fait d’érigerles collectionneurs en objet d’étude peutengendrer chez eux inquiétudes et méfiance ;d’autant plus que ces derniers, tout autantpossédés que possédants, vouent à leur col-lection une passion souvent exclusive. Le ter-rain n’est pas facile. Entre société d’origine etsociété d’adoption, entre objet décontextua-lisé puis recontextualisé, le collectionneur estparfois aussi méfiant que l’autochtone. « Rencontrer un collectionneur, préciseMonique Jeudy-Ballini, c’est avoir en face de

Mme Pierre Loeb,rue Desbordes-Valmore en 1929.© Archives GalerieAlbert Loeb.

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L’imaginaire des collectionneurs d’art « primitif »

Le dossier d’Art Tribal

«L es objets ont une vie, une signi-fication dans les sociétés dontils sont issus. Quand on va en

Océanie, on trouve normal d’étudier le rap-port aux objets de ces populations, pourquoi,pour qui, comment ils sont fabriqués. » D’au-tant plus normal que Brigitte Derlon etMonique Jeudy-Ballini sont ethnologues1.Depuis une quinzaine d’années, elles s’inter-rogent sur le sens des objets qu’elles rencon-trent dans l’archipel Bismarck, une régionsituée au nord-est de la Nouvelle-Guinée,dont les sculptures, à l’image des effigiesd’ancêtres du culte Uli de Nouvelle-Irlandefigurent parmi les plus remarquables formesd'expression artistiques régionales2. « Lorsqueces objets sont rapportés dans nos propressociétés et se retrouvent soudain entre lesmains des collectionneurs, ils deviennent rare-ment des objets d’étude. Pourtant, les rela-tions qui s’établissent entre eux et les collec-tionneurs ne vont pas forcément de soi »explique Brigitte Derlon. Ces objets n’ont-ilspas été fabriqués au départ pour d’autres per-sonnes que ceux-ci et produits par des socié-tés différentes des leurs, aux pratiques cultu-relles, cultuelles, sociales qui leur sont large-ment étrangères. « Pourquoi s’entourer alorsd’objets ? Quelles connivences s’établissententre eux et son propriétaire ? poursuitMonique Jeudy-Ballini. Pourquoi vivre dansleur intimité ou les laisser vivre dans la nôtre ?

Et puis pour faire quoi avec eux ? Ou pourdire quoi ? Car le rapport à l’objet est peut-être moins important que la relation auxautres (proches, amis, collègues…) que celui-ci engendre et suscite. Confidences, respect,admiration, curiosité vis-à-vis du collection-neur ? Posséder se définirait-il plus en termesd’être que d’avoir ? » Ainsi, ce collectionneurqui possède des objets océaniens, pour « sedéconditionner comme il dit, de son empriseculturelle ; se déposséder un peu de son exis-tence d’adulte en retrouvant ses regardsémerveillés, ses interrogations d’enfance. Lefait d’exposer un crâne surmodelé duVanuatu sur mon étagère, confiait-il, me rap-pelle l’inanité de l’existence ; un peu à l’imagede ces vanités3 qui font penser à la mort etconduisent au détachement des biens. Undétachement acquis bien chèrement en salledes ventes, ajoutait-il non sans humour, maisavec lequel il goûtait depuis, bien des interro-gations ». « Posséder ne va de soi nulle part,précise Brigitte Derlon. Cet acte n’est pas plusspontané chez nous que chez eux ». S’appro-prier un objet cultuel croûté de sang ou uncrâne-trophée, les orbites illuminées par desrondelles de nacre, n’est jamais une évidencesociale. « Certains objets sont difficiles àapprivoiser, confesse un collectionneur maisc’est leur étrangeté même qui fait que je nem’en lasse pas ; qui me rend toujours curieuxà leur égard ». Curiosité ne serait-elle que

1 L’imaginaire des collectionneurs d’art « primitif » pisté par deux ethnologuespar Philippe Pataud Célérier

Si de nombreuses études ont vu le jour sur l’appropriation et la réception occidentale de l’art dit

primitif, les collectionneurs n’ont guère retenu jusqu’à présent l’attention des chercheurs.

Pourtant, au-delà du rôle considérable qu’ils jouent sur le marché de l’art, leurs rapports aux

objets sont féconds ; tout comme est intime l’imaginaire qu’ils mettent en place pour les posséder

ou être possédés par eux. Une approche anthropologique du rapport des hommes aux choses,

menée par deux ethnologues, fait désormais l’objet d’un séminaire à l’École des hautes études en

sciences sociales de Paris.

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Le dossier d’Art Tribal Le dossier d’Art Tribal

Comment construisent-ils leurs propres caté-gories ? Qu’est ce que le beau ? Commentdéfinissent-ils la valeur d’un objet ? Sa rareté ? Sa fonction cultuelle, rituelle ? Saprovenance ? Qu’est ce que le rapport à unobjet ? Qu’est ce qui fait qu’il doit être plutôtchez soi que dans un musée ? Un rapport tac-tile plus satisfaisant que la contemplation ? Etcomment le toucher ? Pourquoi le mettredavantage dans une salle de séjour plutôt quedans une chambre ? Et sur une table basseplutôt qu’en haut d’une armoire ou l’inverse ?A portée de main ou hors de vue ? »L’enquête se construit peu à peu. A ce jour,elles ont rencontré une quarantaine de collec-tionneurs d’art « primitif ». Seul un petitnombre a refusé. « Il ressort que l’émotionesthétique est le thème majeur du rapportdes collectionneurs aux objets. Ils mettentmoins en avant les qualités formelles de l’ob-jet ou son prix, par exemple, que l’émotionsuscitée par celui-ci. Notre surprise a été deconstater que les collectionneurs sont moinsattirés par la beauté de l’objet que par sapuissance à provoquer chez eux mais aussichez les autres des émotions extraordinaires.Mais plus l’objet garde une part de mystère,poursuivent les deux ethnologues, plus l’ima-ginaire du collectionneur est sollicité et plussa capacité à se projeter est forte. L’objetfonctionne comme un support de projection

dont la partie invisible serait beaucoup plusforte que la matière même de l’objet. » Uneréserve d’imaginaire qui donnerait à ses pro-priétaires le pouvoir de s’y investir, de setransformer en transformant le regard que lesautres portent sur eux grâce à la médiation del’objet. « C’est par ce prisme qu’il faut doncentendre, de la part des collectionneurs, leurexplication du beau, du faux, de l’authen-tique, du vrai, etc. Plus qu’une définitionobjective, le collectionneur, parlant de l’objetou de la collection auquel, à laquelle, il s’iden-tifie, entend dire indirectement ce qu’est sapropre valeur du beau, de l’authentique. Ildéfinit ainsi les contours de sa singularité,affirme son identité, montre comment, avecses objets, il traduit son rapport aux autres, àsoi, sa représentation du monde. Ainsi, l’inté-rêt qu’éprouve un collectionneur pour unobjet — l’objet de son intérêt est même sou-vent manifesté avant l’objet lui-même — estla capacité de ce dernier à révéler en partie outotalement, selon son désir, sa personnalité.Autant d’indices qui vont croître avec lenombre d’objets. « Car une collection n’estjamais finie, précise Monique Jeudy-Ballini.Elle est toujours vécue comme un travail encours. Elle se construit dans le temps conco-mitamment à la personnalité du collection-neur. Comment définir le rapport entre laconstruction de la collection et celle de la per-

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L’imaginaire des collectionneurs d’art « primitif »

soi quelqu’un qui a construit sa collection defaçon très personnelle. Nous entrons systé-matiquement dans un univers où les objetsexpriment des choses très intimes. Il y a unesorte de compénétration permanente qui faitque lorsque les collectionneurs évoquent leurcollection, ils parlent surtout d’eux-mêmes.Les frontières sont extrêmement ténues entrela collection et la personne. Et bien que nousfassions une étude de la collection exclusive-ment ethnographique, ne relevant ni de lasociologie ni de la psychanalyse (souventconvoquée dès que l’on évoque le rapport àl’objet), certains collectionneurs ont vécu l’en-tretien presque comme une psychothérapie.Peut-être parce que notre objectif est moinsd’obtenir des réponses que de mieux cernerles questions qu’ils se posent et qui rendentcompte des représentations qu’ils se font deleurs pratiques, lesquelles, leurs réflexions leprouvent, ont rarement été mises à distance. »Car ici, pas de construction méthodique,

rationnelle, de collecte systématique, et cettenotion de série inépuisable qui caractérise laquête effrénée, voire compulsive de certainscollectionneurs de cartes postales ou detimbres. « L’émotion, la passion, le plaisirrenouvelé jouent un rôle beaucoup plusgrand que la programmation, l’organisation,poursuit Brigitte Derlon. C’est pour cela qued’un point de vue méthodologique, nous nepréparons pas les entretiens sur la base dequestionnaires avec des référents ou destypologies précises. Ainsi, pas d’idées précon-çues : seulement la surprise d’être surprises.Nous enregistrons toutes les singularitésmême si nous tentons peu à peu de mettre enévidence des constantes, des convergences,des correspondances entre les discours. »Nous sommes donc très attentives aux termesemployés, à leur récurrence ; à la façon dontils passent d’une idée à l’autre. Commentdéfinissent-ils leur qualité de collectionneur ?Qu’est ce qui est prégnant dans leur pratique ?

Pierre Loeb au 1er étage de sagalerie en 1947.© Photo DeniseColomb/ Patri-moine Photogra-phique. Archives GalerieAlbert Loeb.

Pierre Loeb au 1er étage de sagalerie en 1947.© Photo Limot. Archives GalerieAlbert Loeb.

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Philippe Pataud Célérier

Pierre Loeb au 1er étage de sagalerie en 1945.© Photo Limot. Archives GalerieAlbert Loeb.

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Le dossier d’Art Tribal

André Breton a été vendue aux enchères le 17 avril2003, au prix vertigineux de 1 100 000 euros lors de lafameuse vente de l’atelier Breton.

3. Peintures qui apparaissent au XVe siècle sur les voletsdes retables flamands. Ces natures mortes expriment lavanité des biens terrestres mais aussi le caractère transi-toire de la vie humaine.

4. Dans le cadre du cycle Anthropologie de l’art et sociétésocéaniennes, le séminaire réservé aux étudiants s’inti-tule : « L’imaginaire des collectionneurs d’art primitif ».Ehess, 105, bd Raspail, 75006 Paris.

5. Nombre d’ethnologues pensent que les collectionneurssont surtout des esthètes. Outre l’intérêt de cetteenquête et l’éclairage qu’elle commence à apporter, ellejette aussi une passerelle salvatrice entre deux popula-tions qui se connaissent très peu.

6. Manuel d’ethnographie, 1947, réédition Coll. Petitebibliothèque Payot, Paris, 1967.

7. Cf article : André Breton, 42 rue Fontaine : le cadavre-–exquis–boira-t-il encore–le vin nouveau ?

Bibliographie sélectiveBaudrillard, J., « Le système marginal : la collection », in Lesystème des objets, Paris, Gallimard, 1968.Bonnain, R., L'empire des masques. Les collectionneursd'arts premiers aujourd'hui, Paris, Editions Stock, 2001.Elsner, J & R. Cardinal, The Cultures of Collecting, London,Reaktion Books, 1994. Hainard, J. & R. Kaehr (eds), Collections Passion, Neuchâtel,Musée d'Ethnographie, 1982.Muensterberger, W., Le collectionneur : anatomie d'unepassion, Paris, Editions Payot & Rivages, 1996 (1994).Pearce, S.M. (ed), Interpreting Objects and Collections, Lon-don, Routledge, 1994.Ibid., On Collecting. An Investigation into Collecting in theEuropean Tradition, London, Routledge, 1995.Pomian, K., Collectionneurs, amateurs et curieux. Paris,Venise : XVIe-XVIIIe siècles, Paris, Éditions Gallimard, 1987.Rheims, Maurice, Les collectionneurs. De la curiosité, de labeauté, du goût, de la mode & de la spéculation, Paris, Édi-tions Ramsay, 2002 [version augmentée et définitive de Lavie étrange des objets, Librairie Plon, 1959].

Art Tribal 04 / HIVER 2003 73

L’imaginaire des collectionneurs d’art « primitif »

Le dossier d’Art Tribal72 Art Tribal 04 / HIVER 2003

Philippe Pataud Célérier

André Fourquetavec Arman. Vers1995.© André Morain,Paris.

© Archives Caye-tana & Anthony J. P. Meyer.

© Archives Caye-tana & Anthony J. P. Meyer.

sonne du collectionneur est une questionrécurrente. » L’histoire d’une collection esttoujours celle d’un individu, et chacun deséléments qui la composent reflète souvent lesdifférentes facettes ou étapes de développe-ment de ce dernier. Le premier objet acquisbénéficie souvent d’un statut particulier ausein d’une collection, confirment nombre decollectionneurs et chaque nouvelle acquisitionnourrit la cohésion de l’ensemble déjà consti-tué. Un indice supplémentaire de la person-nalité du collectionneur. « L’œuvre d’une viedevient parfois une œuvre d’art, une créationà part entière, qui ne supporte ni division, nifractionnement comme l’intégrité d’une per-sonne » poursuit Monique Jeudy-Ballini. Avecses pleins et ses déliés, ses manques ou sestrop pleins, mais qui font la marque dechaque collectionneur, son parti pris, sonengagement, sa représentation du monde.On est bien loin des collections muséogra-phiques, anonymes, sériées en typologiespour graduer la vertigineuse tentative d’ex-haustivité de tout projet ethnographique.Rappelons la définition que donnait MarcelMauss : « Branche de l’ethnographie descrip-tive, la muséographie enregistre tous les pro-duits d’une civilisation, tous les produits soustoutes leurs formes […] »6. Une collectionforme un ensemble, une totalité qui n’est pasliée à son exhaustivité mais dont la cohésionet la cohérence sont de signifier pour son seul

propriétaire « son point de vue sur le monde.Un point de vue qui va se modifier au fil dutemps selon les rapports au monde que vaentretenir le collectionneur. Une collectionfinie, c’est donc un collectionneur qui meurt.Mais elle est une émanation tellement fortede celui qui l’a constituée que son héritage estsouvent lourd à porter. Se pose souvent leproblème de sa transmission. Certains collec-tionneurs se disent en effet persuadés queleurs descendants ne souhaiteront pas pour-suivre l’œuvre de leur vie. » Reste alors l’insti-tution muséale si la collection est digne del’intérêt public. Mais, là encore, l’originalitédu collectionneur, et qui fait tout l’intérêt desa représentation du monde, risque de per-turber les scénographies muséographiques ; àmoins que son imaginaire ne rencontre celuide l’institution. Ce qui arrive parfois quand, àforce d’avoir été dépouillé, dispersé, seg-menté, celui-ci trouve enfin une place aumilieu des cimaises. Une place mais pas forcé-ment sa place. Car, de ce regard inventif posésur le monde, ne reste bien souvent que celuique l’institution porte sur elle-même. Larécente dispersion de l’atelier d’André Bretonest là pour nous le rappeler7.

Notes1. Brigitte Derlon est maître de conférences à l’Ecole des

hautes études en sciences sociales. Monique Jeudy-Bal-lini est chargée de recherche au CNRS.

2. Une effigie d’ancêtre pour le culte Uli appartenant à

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Le dossier d’Art Tribal

Art tribal : Vous avez écrit un gros ouvragesur les collectionneurs d’arts « premiers ».Vous êtes ethnologue. Quel est donc votrepoint de vue ? Et, au fond, pourquoi avoirentrepris cette recherche sur les collection-neurs d’arts dits « premiers » ?Rolande Bonnain : En ce qui concerne l’eth-nologie, le grand public ne sait pas quel estl’objet ni quelles sont les méthodes d’une dis-cipline non enseignée dans le secondaire.Dans notre jargon, on parle d’absence de sur-face sociale. On l’associe exclusivement à l’ex-ploration et à l’explication de mondes loin-tains. C’est l’image du chercheur qui vit pen-dant des années avec la tribu qu’il étudie,vision romantique mais exacte. L’ethnologiedu proche qui paraît moins prestigieuse — carsans danger et apparemment sans effort —existe et, tout comme l’autre, s’attache àl’étude des savoirs explicites et implicites, dessavoir-faire et des représentations mentales,en particulier l’acquisition, la transmission etla transformation de ces croyances, façons defaire et codes d’un groupe social vivant dansun territoire bien défini. Autrement dit etpour faire court, je ne demande pas à mesinterlocuteurs « Pourquoi fait-on cela ? » enme fondant sur les caractéristiques d’un indi-vidu mais « Comment le fait-on et dans quelcontexte ? ».Le groupe qui vous intéresse et qui m’a beau-coup intriguée est celui des collectionneursd’arts premiers qui se connaissent et savent sereconnaître, qui échangent paroles, idées,objets et argent. Pour moi, ils font partie dumonde des arts premiers avec les marchands,les commissaires-priseurs, les experts quiorganisent l’activité, les conservateurs demusée qui légitiment ce nouveau domaineesthétique. Tous parlent le même langage,

tous croient à l’universalité de l’art et tousadhérent aux mêmes critères de valeur, auxmêmes échelles d’évaluation concernant lesobjets et les personnes qui les aiment. Je suisliée à ce groupe par mon histoire familiale, cequi m’en a facilité l’approche car vous savezque, par raison et ethos de classe, sesmembres n’aiment guère parler d’eux. Etj’étais lasse de lire trop de lieux communs, declichés quant aux comportements excen-triques, voire délictueux, des amateurs.Certes, la passion des objets peut faire parfoisoublier des obligations vis-à-vis des proches etnégliger des principes éthiques mais c’estbeaucoup plus rare qu’on ne le dit. Le mons-trueux, le hors-normes intéressent, pas lequotidien !

A. T. : Sous quel angle avez-vous entreprisvotre enquête ?R. B. : La collection artistique se situe entre loi-sir et pratique savante. Voilà une conceptionqui semble convenir assez bien aux amateursd’arts premiers. Il y a plusieurs façons deconstituer une collection, plusieurs objectifsqui tiennent à la personnalité de l’amateur. Jepense ici non à la psychologie de l’amateur,mais au style et aux bénéfices symboliquesqu’il tire de sa pratique. Il y a donc plusieurstypes de collectionneurs.

A.T. : On oppose souvent deux catégories : les« collectionneurs vitrine » qui montrentvolontiers leurs objets et les « collectionneursplacard » qui les gardent jalousement à l’abrides regards.R. B. : Voilà certes un classement possiblemais qui ne renseigne ni sur les façons defaire lors de la constitution de la collection nisur les rapports entre amateurs. J’ai préféré

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2 Mais quels collectionneurs ?Entretien avec Rolande Bonnain

« Ces férus d’objets exotiques forment une étrange tribu susceptible d’être à son tour étudiée par

l’ethnologue, en un juste et savoureux retour des choses... Rolande Bonnain explore avec talent les

manières de dire et de faire de ce microcosme, son langage et ses rites, ses usages et ses pratiques,

ses lieux privilégiés et ses réseaux de sociabilité, ses légendes noires et ses contes enchantés. »*

Landshoff Her-man, portrait deMax Ernst, vers1940.26 x 20,5 cm.Photo StudioSebert.© Archives CalmelsCohen, Paris.

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construire des silhouettes de collectionneursque l’on ne rencontre que rarement de façonaussi formelle mais qui se combinent selonl’âge, la profession, le tempérament, le milieufréquenté... Ce sont plutôt des modèles expli-catifs J’ai donc établi cinq catégories : le col-lectionneur-artiste (le plus ancien), le collec-tionneur-chercheur, le collectionneur-accu-mulateur (celui que l’on pense le mieuxconnaître et sur lequel on a beaucoup écrit),le collectionneur-revendeur et le collection-neur-prestige. Commençons si vous le voulez bien par le col-lectionneur-artiste. C’est le seul profil que l’onpeut reconnaître pratiquement à l’état pur etdont la collection est caractéristique. Lemétier, l’activité du peintre ou du sculpteur ajoué dans le choix des objets, sélectionnésd’abord pour leur originalité. On parle cou-ramment d’objets d’artiste pour désigner cespièces à l’histoire exceptionnelle, au matériaurare, à la taille inhabituelle.

On sait, depuis la Renaissance, que les artistescollectionnent des objets, qui sont pour euxdes répertoires de formes autres mais c’estseulement à la fin du XIXe siècle et surtout audébut du XXe siècle que ces statues, cesmasques rapportés comme trophées ou sou-venirs les ont intéressés par leur expressivitéet l’originalité des solutions techniques misesen œuvre par les créateurs. Les recherchesmenées par ces collectionneurs-artistes lespoussaient à tourner le dos aux canons occi-dentaux du beau. Pensons, puisque c’est dansl’actualité, à Gauguin (voir l’article consacré àl’exposition « Gauguin-Tahiti, l’atelier des tro-piques » qui se tient à Paris jusqu’au 19 jan-vier 2004, Art Tribal, n° 03, pp. 56-73) et àses deux départs pour les mers du Sud. À sonépoque, on croyait encore fermement à l’im-mersion de l’artiste exotique dans sa culture.Les recherches de l’après-guerre ont montrél’importance des artistes travaillant sur com-mande. On a alors cherché à deviner la sil-

houette du créateur derrière l’œuvre et apprisà distinguer les chefs-d’œuvre des autres pro-ductions. Conséquence de ce changement deregard : la statue a quitté l’atelier pour lesalon.Au début du siècle, l’authenticité et la signifi-cation des pièces ne sont pas encore les sou-cis majeurs des amateurs et les objets d’art «primitif » sont surtout des modèles morpho-logiques dont on retrouvera l’influencedirecte dans le primitivisme. C’est le règnedes affinités. Entre les deux guerres, on

constate un lien entre la présence d’objetsdans l’atelier et les pratiques de l’artiste,autrement dit les influences. Après 1950 etl’avènement de l’abstraction s’imposent lesanalogies entre lignes épurées des arts pre-miers et recherches nouvelles. Aujourd’hui, lacollection répond principalement aux ques-tions que se pose son propriétaire : qu’est-cequi fait un artiste et suis-je le descendant desartistes qui ont découvert ces arts premiers ?Deuxième figure, le collectionneur-chercheur.Certes, il regarde, il aime, il conserve, maiscela ne lui suffit pas. Il veut toujours faire denouvelles découvertes, les faire connaître etapprécier par d’autres que lui. C’est unenthousiaste réfléchi qui rassemble toute ladocumentation existante sur les usages et ladiffusion de ses objets. Après son catalogue-inventaire qui retrace fidèlement l’itinérairede ses objets, sur place et en Occident, ilpublie à destination des autres amateurs etdu public éclairé. Il prête volontiers pour lesexpositions et participe aux colloques.Comme il ne collectionne que les objets descultures qu’il connaît bien, l’ensemble consti-tué présente une réelle unité.Cette association du savoir et de la collecte seretrouve par exemple chez les médecins queleur formation scientifique prépare à laconstitution de fiches et à l’organisation enensembles signifiants qui préludent souvent àla publication.Le collectionneur-accumulateur est sansdoute le plus connu des amateurs. On l’ima-gine volontiers croulant sous les objets detoute taille et de toute forme. Ce n’est pastout à fait exact. Bien sûr, il conserve, il accu-mule, mais surtout il vit avec ses objets. Toutlui paraît digne d’intérêt dans le domaine qu’ila investi et il ne peut rien en rejeter, rien enretrancher. Bien conscient toutefois qu’unecollection qui n’évolue pas se sclérose, il neremplace pas les pièces. Il en ajoute d’autrestout en assignant aux moins aimées une éta-gère lointaine ou un placard qu’il visite detemps en temps. C’est l’amateur qui consacrele plus de temps à sa quête et il parcourt sansrelâche galeries et vide-greniers, brocantes etsalons spécialisés, salles des ventes et mar-chés aux puces. Il ne veut pas penser au deve-nir de sa collection après sa mort. Il affirme nepas vouloir la disperser, il ne la cédera pas àune institution et préfère imaginer la futurevente publique où ses objets iront à ceux quiles aimeront le mieux.

Cabinet de PierreLoti dans sa mai-son de Rochefortoù l’on peut voirsur la droite unmasque apuemade Nouvelle-Calé-donie avec sa coif-fure de cheveuxhumains et sonhabit de plumes.© Harlingue/Roger-Viollet.

76 Art Tribal 04 / HIVER 2003 Art Tribal 04 / HIVER 2003 77

Rolande Bonnain Mais quels collectionneurs ?

Le dossier d’Art TribalLe dossier d’Art Tribal

Man Ray, portraitde Simone Kahn,vers 1927.29,4 x 10,7 cm.Photo StudioSebert.© Archives CalmelsCohen, Paris.

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Le dossier d’Art Tribal

plus critiqué dans ce monde où le principe dudésintéressement est si fortement affirmé.Certes, il connaît et il aime les arts premiersmais il place en premier les sommes qu’il ainvesties. Nul mieux que lui ne connaît le mar-ché et ses cotes. Si l’occasion se présente detirer un fort bénéfice de ses objets, il les cèdesans véritable regret. Sa collection est la pluschangeante de toutes, elle peut parfois dispa-raître complètement pour renaître au gré deses caprices, de ses désirs.Dernière figure, le collectionneur-prestigepour qui l’ensemble d’objets réunis n’a passeulement une valeur esthétique, affective oumarchande. C’est avant tout un signe de dis-tinction qui lui permet d’intégrer des milieuxqu’il juge plus intéressants que le sien par leurstatut, leur mode de sociabilité ou leurs aspi-rations.Ses choix ne sont pas forcément dictés par lamode ni par le prix des objets. Ce n’est pas un« m’as-tu vu ». Pourtant, si une de ses piècesbénéficie d’un pedigree prestigieux, c’est-à-dire si elle a appartenu à une célébrité, il nemanquera jamais d’en faire état. C’est aussi leplus mondain des collectionneurs. Il reçoittoutes les invitations aux vernissages desexpositions privées et publiques, à Paris, enprovince, en Europe occidentale, parfois auxÉtats-Unis, et il essaie de n’en rater aucune. Ilprête volontiers ses objets et il recherche

toutes les occasions de figurer sur les listes(occultes) des participants aux grandes expo-sitions. Faire partie d’un comité de sélectionpour une exposition de renom internationalest la plus grande des satisfactions pour lui.Cette nomination, toujours justifiée, récom-pense son œil et son goût ainsi que saconnaissance des objets et du milieu. C’estdans ce groupe que l’on va retrouver lesdonateurs qui lèguent aux musées et fonda-tions partie ou tout de leurs objets, mécènesqui ne disperseront jamais leur collection deleur vivant, peut-être parce que, alors, leurpersonnalité sociale n’existerait plus à leursyeux.On pourrait encore envisager bien d’autresprofils. Ce classement ne vaut que pour lesiècle dernier et la génération des collection-neurs contemporains. Avec les contrôles et lesinterdictions d’exporter, la nécessité pour lemarché occidental de vivre sur lui-même, lamultiplication des faux et des copies, le prixdes pièces et bien d’autres facteurs, les profilsdes futurs collectionneurs seront sans douteassez différents…

*Rolande Bonnain est l’auteur de L’Empire des masques,les collectionneurs d’arts premiers aujourd’hui, paru chezStock en octobre 2001 (publié en français, 13,5 x 21,5 cm,426 pp., 23 ill. n/b, 21,30 €).

Le photographeTasman J. W.Beattie ( ?) — actif entre la findes années 1880 et le début desannées 1920 —photographié dansson intérieur. On peut y voir unbouclier du centrede Papouasie-Nouvelle-Guinée,une hache cérémo-nielle massim, un« man-catcher », un boomerang,des pagaies desîles Salomon, unepanoplie d’Afriqueavec un bouclieren peau et deslances, ainsi qu’unensemble de fersde prisonniers oud’esclaves.© Archives Caye-tana & Anthony J. P. Meyer.

Art Tribal 04 / HIVER 2003 79

Mais quels collectionneurs ?

Le dossier d’Art Tribal

Coffre et objetsafricains et océa-niens chez HelenaRubinstein (1870-1965).Septembre 1934.© Lipnitzki/Roger-Viollet.

78 Art Tribal 04 / HIVER 2003

Rolande Bonnain

Comme son qualificatif l’indique, le collec-tionneur-revendeur représente une figureopposée à la précédente. Pour lui, une œuvrebelle est une œuvre chère, une œuvre chèreest belle et, dans ces conditions, il faut êtrerichissime pour réaliser une collection remar-quable. Que faire alors pour « tirer la collec-tion vers le haut » comme il le dit ? Cet ama-teur va donc vendre une pièce qu’il considèrecomme moins bonne pour en acquérir unemeilleure. Dans cette configuration, il n’y apas d’attachement affectif surdimensionné àun objet mais une quête incessante du beau àlaquelle contribuent ses connaissances et sonexpérience dans ce domaine. C’est l’amateurqui réalise le plus d’échanges pour améliorersa collection. Trois figures l’incarnent : le col-lectionneur-marchand, le marchand-collec-tionneur et le collectionneur-spéculateur.Le collectionneur-marchand n’était au débutqu’un amateur peu argenté qui, pour consti-tuer sa collection, a procédé à de nombreux

échanges. Progressivement, grâce à son expé-rience, il va acheter pour revendre des objetsqu’il n’a pas l’intention de garder. Les béné-fices qu’il retire de cette activité sont bien sûrinvestis dans sa propre collection. Cette der-nière, une fois connue, ajoute de la valeur auxobjets qui en ont fait partie même temporai-rement. L’appartenance à une telle collections’intègre comme un plus dans le pedigree del’objet. Le marchand-collectionneur, vous leconnaissez bien. Au départ, simple voyageurqui rapportait des objets revendus pour payerses traversées, il est devenu courtier informelpuis antiquaire patenté, galeriste Rive gauche.De ses débuts, il conserve le penchant de gar-der pour lui ses trouvailles les plus intéres-santes. Sa collection est fragilisée par les aléasde sa vie professionnelle et aussi par sondépart à la retraite… Attention, ne le confon-dez pas avec le marchand qui garde dans sonsous-sol un stock d’objets qu’il revendra tôtou tard. Le collectionneur-spéculateur est le

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Le dossier d’Art Tribal

qui nous entourent par simple mutation derôle ». L’atelier devenait ce champ magnétique danslequel les objets, dépassant leur significationinitiale, se révélaient à nous autant qu’ils nousrévélaient à nous-mêmes « tant il est vrai,disait Breton, qu’on ne trouve que ce qu’onéprouve en profondeur ». Ainsi l’atelier, àl’instar de ces « champs de force créés dansl’imagination par le rapprochement de deuximages différentes », produisait ces sels d’ar-gent qui développent les objets qu’on « n’aperçoit qu’en rêve » et font aussi mon-ter les Cadavres exquis4.L’art à l’œuvre est aussi une œuvre d’art.Pour être de l’art à l’œuvre, l’atelier — lieu derecel aussi pour les détournements de sens ?— n’en était pas moins une œuvre d’art àpart entière ; une forme d’expression compo-site — étaient incorporées des œuvres pré-existantes — autant qu’une œuvre collectivecréée sur l’initiative du poète et dans laquellese fondaient les contributions personnellesdes différents auteurs, connus ou anonymes,parmi lesquels se mêlait aussi le hasard objec-tif5. Bref, si l’État reconnaissait dans le « mur »de l’atelier une « extraordinaire œuvre d’arttotal6 » : 200 pièces acquises et présentées au

Centre Georges-Pompidou dans la mise enscène du poète —, il ne voyait pas dans l’ate-lier le même statut et ses droits inhérentsdont le respect à l’intégrité. L’atelier, sorted’anthologie de la diversité du monde portéepar la singularité d’un regard, et portant toutentier l’empreinte de la personnalité de sonauteur, pouvait être dispersé sans scrupules.Resterait le « mur » comme échantillond’imaginaire mais bien étrange citation d’uneœuvre qui n’existe plus. « Si ce sont les plumes qui font le plumage,ce n’est pas la colle qui fait le collage », répé-tait Max Ernst. « L’État avait le devoir de sefixer une philosophie et une ligne, déclareJean-Jacques Aillagon : ne pas tout achetermais bien acheter afin de renforcer desensembles déjà constitués7. » Et ce, on l’aurasaisi, quitte à couper la parole prise par lesobjets. « Lorsque les statues commencent àdevenir des statues, les collections muséogra-phiques commencent », écrivait Malraux.Mais les objets cessent souvent d’être cequ’ils sont pour devenir autre chose. Chaquechose a sa place mais moins de place danschaque chose. Le sens est menotté, l’imagi-naire garrotté. Les peintures sont conduitesau musée d’Art moderne, les objets tribaux

Le « mur » del’atelier d’AndréBreton présenté auCentre Georges-Pompidou, Paris,dans la mise enscène du poète.Photo G. Meguer-ditchian. MNAM.© CNAC GP.

Art Tribal 04 / HIVER 2003 81

André Breton, 42, rue Fontaine

Le dossier d’Art Tribal

Sculptures, racines, fétiches, bénitiers,peintures, minéraux, insectes, poupéeshopi formaient dans l’ancien apparte-

ment d’André Breton un étonnant cabinet decuriosités1. En apparence seulement, car celieu, loin de ressembler à ces cabinets duXVIIIe siècle, tenait davantage de ces espacesoù les gens et les choses travaillent en com-mun pour un même ouvrage. Breton, rappelleYves Bonnefoy, ne « rassemblait pas desobjets, mais reconnaissait des présences ». Lecabinet était un atelier d’artiste, un de ceschantiers où s’élabore, dans le dérèglementdu sens, la curiosité.Si l’histoire des objets est toujours l’histoire dela curiosité, (« Curiosus, cupidus, studiosus :l’attention, le désir, la passion du savoir2 »,celle-ci relevait chez Breton moins de lanature de l’objet que de l’état de curiosité dusujet : le poète à l’œuvre. Ainsi, à côté deschoses qui nous rendent banalement curieux,en raison même de leur statut — objet d’art,objet exotique, objet rare —, s’en trouvaientd’autres, fonctionnelles, usuelles, dépourvuesde tous traits originaux, exception faite deceux de la banalité, puisque c’est de celle-lamême que Breton nous rendait curieusementcurieux. La curiosité devenait un objet decuriosité à part entière. Le regard précédait lachose regardée. Breton était dans tous sesobjets et les objets dans tous leurs états. Cartous les sujets, sous l’angle d’étranges combi-naisons, pouvaient surgir au coin de chaque

objet. Les objets domestiques devenaientmême des plus sauvages, à l’image de cesfers à repasser hérissés de clous, par Man Ray. Pour réussir pareilles greffes, encore fallait-ildisposer d’un terreau propice. L’espace habitépar Breton fournissait un puissant ferment.Tournés, retournés, détournés de leur sens,de leurs formes, les objets « a-raisonnés » parles correspondances insolites provoquées parle poète — dans cette filiation toute « lau-tréamontesque » : beau « comme la ren-contre fortuite, sur une table de dissectiond’une machine à coudre et d’unparapluie » —, se mettaient soudain à dialo-guer sans retenue, éveillant, réveillant l’imagi-naire jusqu’à notre inconscient. Polymorphes,polysémiques et soudain polyglottes, les objetss’interpellaient sans préjugés (le lisible fréquen-tait le visible sous la forme par exemple d’unpoème-objet) ni hiérarchie de quelque ordrequ’elle fût : entre nature et culture (un galet deplage croisait une peinture de De Chirico),entre cultures de différentes civilisations (unbattoir à tapa et un moule à hostie), ou entredifférentes conditions sociales (artisan etartiste) d’une même culture. Ainsi les objets lesplus humbles pouvaient coudoyer les plussophistiqués, un porte-bouteilles tutoyer unesculpture, une cuillère en bois, un masque àtransformation3, dans une opération digne decet atelier « où les objets ainsi rassemblés,expliquait Breton, ont ceci de commun qu’ilsdérivent et parviennent à différer des objets

80 Art Tribal 04 / HIVER 2003

3 André Breton, 42, rue Fontaine :le cadavre – exquis – boira-t-il encore – le vin – nouveau ?par Philippe Pataud Célérier

Pendant plus de quarante ans, de 1922 jusqu’à sa mort, en 1966, André Breton a rassemblé dans

son appartement de la rue Fontaine, à Paris, des milliers d’objets. Du 7 au 17 avril 2003, ce sont

près de 400 tableaux, 3 500 livres, 1 500 photographies, 150 pièces d’« art primitif », et des

centaines d’autres objets qui ont été vendus dans les salles de l’hôtel Drouot. Mais qu’avait-on

réellement dispersé ? Un fatras d’objets ? Une collection ? Un poème-objet ? Ou plus simplement

un peu de notre curiosité ?

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au Musée d’art du quai Branly. Et les moulesà gaufre ou à quatre hosties ? Au musée del’Outillage ou des Arts déco ? Chacun sonaffectation, son unité, sa discipline, sa maisond’arrêt. Plus de mixité. L’objet est là, chosifié,muséifié. Sans contexte ni paroles autres quela voix de l’institution et cette dernière a lesmoyens de faire parler. Supplice de lacimaise ? On prie pour un crucifix soudainadmiré. Que vont entendre les visiteurs ? Autrechose que ce que Breton faisait dire à sesobjets. Sans doute, peut-être. Trop tard. Lesobjets sont segmentés par thématique, diviséspar période, rassemblés par linéaire. Exit cetteculture de hasard qui nous rend toujours pluscurieux en nous faisant rencontrer dans uneentité surréaliste des objets et des confronta-tions dont on ne soupçonnait pas même

l’existence : moule à oublie, atrebates des îlesde Bretagne, curiosolites, plaquette divina-toire batak. Exit cet appartement-témoin d’unpaysage étrange où les objets, dans leur « exaltation réciproque », marquaient lerelevé topographique d’un espace d’imagi-naire à venir pour tout un chacun. Moins d’unmusée plus exhaustif c’est de poésie et deregards, pas seulement de choses regardées,que nous avons besoin. « La médiocrité denotre univers ne dépend-elle pas de notrepouvoir d’énonciation ? » interrogeait Breton. L’atelier était une œuvre d’art total au sens oùon le dit d’un fait social8. Il racontait l’histoirede Breton, les murs portaient le parcours desa vie, inséparable du surréalisme et partieprenante du XXe siècle, et là aussi était sapuissance. « Jamais en France, ont martelé

certains, une école de poètes n’avait connude la sorte, et très consciemment, le pro-blème de la poésie avec le problème crucialde l’être. » Les objets collectés par les explo-rateurs ne constituent-ils pas de précieuxtémoignages, autant sur les sociétés visitéesque sur les visiteurs visitant avec leurs projec-tions d’imaginaire, de phantasmes et de pré-jugés ? Un jeu de miroir instructif pournombre d’ethnographes, d’historiens et desociologues, qu’aucun ne songerait à briser.Les expéditions scientifiques ont souventcomposé la matière première des musées eth-nographiques.Quid alors des explorations poétiques ?C’est un peu tout cela qui a été dispersé augré des préemptions étatiques et des achatsde collectionneurs. Peut-être, objecteront cer-tains, que cette dispersion va enrichir d’autrescabinets de curiosités, fomenter d’autresinvestigations du monde ? Peut-être. Mais lessommes astronomiques déboursées pour lesenchères ont montré que l’on n’a pas plusdéfié la raison que l’imagination. L’objet dudésir, source d’invention, a bien souvent étéétouffé par le désir d’objets, source de pos-sessions. La passion du connu, la certitude del’appartenance, ont éclipsé l’incertitude de lacuriosité, de l’inconnu. L’essence de l’objet

était tout entière dans son sujet : Bretoncomme une marque, une appellation d’ori-gine contrôlée, attestait la qualité, lui qui nerevendiquait que les choses d’origines incon-trôlées. « Il faut faire confiance aux artistes :les plus grands ne se trompent pas quand ils se font collectionneurs », pouvait-onentendre. Pour les plus riches, Breton était unobjet de spéculation. Pour les revenus plusmodestes, un sujet de fétichisme. Le poèteétait dans tous ces galets, dans tous cespaniers (adjugés entre 400 et 450 €). Maisdans quel regard était celui qu’il posait ?« Pourquoi ceux qui reproduisent la nature setrompent-ils, alors que ceux qui reproduisentl’imagination ne se trompent pas ? », interro-geait William Blake. Peut-être parce qu’on nepeut inventer deux fois la même chose. L’ima-ginaire n’est pas une rente et ce n’est pas à lascience non plus que l’on doit la découvertede l’inconscient. Mais, indéniablement, l’ate-lier composait une forêt d’indices : non pastant pour voir d’autres choses que pour voirautrement ces mêmes choses souvent présen-tées ailleurs. Une petite lanterne éclairée encontrepoint des cimaises éclairantes. « Onpeut se demander dans quelle mesure l’indi-gence de la végétation européenne est res-ponsable de la fuite de l’esprit vers une flore

Robinson, AndréBreton rue Fon-taine, 1957.24 x 17,7 cm.Photo StudioSebert.© Archives CalmelsCohen, Paris.

Henri Cartier-Bresson, AndréBreton rue Fon-taine, vers 1960.16,4 x 24,2 cm.Photo StudioSebert.© Archives CalmelsCohen, Paris.

82 Art Tribal 04 / HIVER 2003 Art Tribal 04 / HIVER 2003 83

Philippe Pataud Célérier André Breton, 42, rue Fontaine

Le dossier d’Art TribalLe dossier d’Art Tribal

« Les plus profondes

affinités existent entre la

pensée dite primitive et

la pensée surréaliste :

elles visent l’une et l’autre

à supprimer l’hégémonie

du conscient, du quotidien,

pour se porter à la conquête

de l’émotion révélatrice. »

(André Breton)

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Le dossier d’Art Tribal

Notes1. Les Cabinets de curiosité, Patrick Mauriès, Gallimard,

2002.2. Dictionnaire dit de Trévoux édité par les jésuites à partir

de 1704.3. « Les masques sont dits à transformation car ils com-

portent des pièces mobiles qui permettent au visage des’animer. » Voir notice de Marie Mauzé, p. 154 du cata-logue de la vente Arts primitifs.

4. « Jeu de papier plié qui consiste à faire composer unephrase ou un dessin par plusieurs personnes, sansqu’aucune d’elles puisse tenir compte de la collabora-tion ou des collaborations précédentes. L’exemple,devenu classique, qui a donné son nom au jeu tientdans la première phrase obtenue de cette manière : Lecadavre – exquis – boira – le vin – nouveau », in Dic-tionnaire abrégé du surréalisme, Bibliothèque de laPléiade, Œuvres complètes, tome 2, Gallimard, 1992.

5. « Le hasard serait la forme de manifestation de lanécessité extérieure qui se fraie un chemin dans l’in-conscient humain », in Dictionnaire abrégé du surréa-lisme, op. cit.

6. Une « extraordinaire œuvre d’art total » titrait, en mars2003, la lettre d’information du ministère de la Cultureet de la Communication. Le mur est entré par dation enpaiement des droits de succession.

7. Voir entretien, avec Jean-Jacques Aillagon, Art Tribal, n° 2, printemps 2003.S’il est vrai que l’appartement de Breton était exigu etd’un accès difficile ne permettant pas une ouverture au

grand public, la création d’une fondation de Breton etdu surréalisme a été soulevée dès sa mort. Breton étaitsoucieux de transmettre son œuvre au plus grandnombre tout comme ses héritiers. Beaucoup étaientdésireux de rencontrer la collection telle que Bretonl’avait créée. N’a manqué que la volonté politique ;moins l’argent car l’État a beaucoup préempté : (335lots sur 4 100) et forcément au prix le plus fort, celui dudernier surenchérisseur. Ainsi le manuscrit Arcane 17,estimé à 150 000 euros a été préempté par l’État à 836510 euros avec les frais.

8. « Le fait social total débouche sur une véritableconstruction de l’objet de connaissance en anthropolo-gie : non plus focalisée sur les institutions, le droit, lesrites, le mariage ou les mythes, qui considérés en soi auprix d’un découpage de la réalité sociale ne sont ensomme que des abstractions, mais centrée sur la tota-lité concrète dans laquelle ils s’insèrent et par rapport àlaquelle ils prennent sens en formant système » (J. Jamin, in Dictionnaire de l’ethnologie et de l’anthro-pologie, PUF, 1991).

9. Martinique charmeuse de serpents, André Breton, Jean-Jacques Pauvert, 1972.

Catalogue de vente : André Breton, 42, rue Fontaine, vente du 7 au 17 avril2003. Catalogue : 8 volumes sous coffret, 280 €, compre-nant un DVD. Calmels-Cohen, 12, rue Rossini. 75009 Paris.www.calmelscohen.com

Paul Almasy,André Breton rueFontaine, 1962.Photo StudioSebert.© Archives CalmelsCohen, Paris.

Art Tribal 04 / HIVER 2003 85

André Breton, 42, rue Fontaine

Le dossier d’Art Tribal

Man Ray, photo-graphie de groupeavec Man Ray,André Breton,Benjamin Péret,Wolfgang Paalen,Julie Man Ray,Elisa Breton,Toyen, GeorgesGoldfayn et unejeune femme, vers1963.11 x 14,3 cm.Photo StudioSebert.© Archives Calmels Cohen,Paris.

Auteur non identi-fié, André et ElisaBreton dans uneforêt, 1950.8,7 x 7,4 cm.Photo StudioSebert.© Archives Calmels Cohen,Paris.

André breton dansson atelier.Photo StudioSebert.© Archives CalmelsCohen, Paris.

84 Art Tribal 04 / HIVER 2003

Philippe Pataud Célérier

imaginaire9 » disait Breton. Cette interroga-tion nous rendrait optimiste à l’aune d’uneculture globale qui élève les regards au grain,de ce grain d’images peu sensible à la diver-sité du monde. Et pourtant, la dispersion del’atelier a bien eu lieu. Qui se souvient de cesboîtes à curiosités qu’on trouvait jadis sur ledos des colporteurs, le plus souvent desSavoyards, partant sur les routes pour cultiverla curiosité ? L’art à venir n’est jamais là où onle trouve, plus souvent là où il s’invente, sur leseuil même de notre curiosité. « Je vois,j’imagine ! », poursuivait Breton. Le regard, leregard, moins la chose regardée.

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Le dossier d’Art Tribal Art Tribal 04 / HIVER 2003 87

Jean Roudillon : l’histoire de l’œil jusque dans ses murs

Le dossier d’Art Tribal

Boulevard Saint-Germain. Le bureaujouxte l’ancien appartement deGuillaume Apollinaire. « Apollinaire écri-

vait dès 1909 que l’art nègre doit entrer auLouvre. » Jean Roudillon estime le prix d’uneicône puis d’un masque africain pour de pro-chaines ventes aux enchères dont il est l’ex-pert. Si l’esprit est éclectique, le regard estserein ; l’atavisme puissant. Dès 1931, ildéambulait avec son père dans la premièreexposition coloniale. Quelques décennies plus

tard, il expertisait aux côtés de MauriceRheims, la succession Picasso. « Ma famillebaigne dans le milieu artistique depuis 1860.Quatre générations d’antiquaires. « Mon pères’occupait d’art africain dès les années 20avec Charles Ratton. » Son fils Jean-Françoistient aujourd’hui la galerie Loft, très impli-quée en matière d’art contemporain chinois. Sa première galerie, Jean Roudillon l’a ouverteà la Libération. Suivirent cinq autres galeriesavec toujours ses thèmes de prédilection, une

Reliquaire. Lacalotte crâniennemobile permet dedéposer le crâne àl’intérieur du reli-quaire.Bois. Art Rhénan,XIVe siècle.Coll. privée.

Personnage tenantun coquillagebivalve et habilléd’un poncho àdamiers.Pérou, Mochica III.Ex-coll. HenryReichlen.Coll. privée.

86 Art Tribal 04 / HIVER 2003

4 Jean Roudillon : l’histoire del’œil jusque dans ses murspar Philippe Pataud Célérier

Expert, galeriste, marchand d’art, Jean Roudillon est le dernier témoin vivant d’une époque qui

ne manquait pas de monstres sacrés. A l’instar d’André Breton avec lequel il échangea quantité

d’objets et dont témoigne le fameux « mur » de l'atelier du poète visible au centre Georges

Pompidou.

tradition familiale : l’Afrique, l’Amérique,l’Océanie, l’antique et la haute époque : « C’est vrai qu’à cette période les collection-neurs s’intéressant aux arts “primitifs” étaientsurtout des artistes. » Le 51 de la rue Bona-parte voyait défiler des peintres, des sculp-teurs, des écrivains : De Stael, Magnelli,Matta, Miro, Calder, Tzara ou Breton. « Tzaraet Breton venaient d’ailleurs chaque semaineen évitant de se rencontrer. Ils ne s’appré-ciaient guère. Homme intègre, Breton n’avaitpas beaucoup d’argent. Mais il possédait descollections d’objets rapportées de son séjouraux États-Unis pendant la guerre. Aussi pro-cédions-nous toujours par échange. Il venaitvoir les objets à la galerie, en réservaitquelques-uns, — tout ce qui nourrissait sonprojet intellectuel du moment —, m’endemandait le prix puis me donnait un numérode téléphone que je ne devais révéler sousaucun prétexte. Rappelons qu’au 42 de la rueFontaine un petit panneau placardé sur laporte de son appartement dissuadait vite lescurieux : « M. Breton ne reçoit pas et nerépond pas au téléphone ». Quelques joursplus tard, je l’appelais, puis me rendais à sondomicile avec les objets qu’il avait choisis.

Quant à ceux que Breton voulait me vendre, illes avait disposés sur une vitrine plate. Je lesestimais et repartais avec un certain nombrede pièces selon le montant de l’échange. Lamoitié du “mur” qui est au centre Pompidouest ainsi née de cette opération. Il représentepeut-être dix ans d’échanges. » « Breton choisissait ses objets comme la plu-part des artistes ; que l’objet soit rare oubeau, originaire de Nouvelle-Guinée oud’Afrique, ce n’était pas vraiment leurs pro-pos ; l’objet devait avant tout provoquer unchoc visuel, « un coup de poing dans lagueule ». Et ils étaient prêts à tout prendrepour sortir des valeurs bourgeoises du XIXe

siècle. Les artistes se fiaient d’ailleurs davan-tage à leur œil qu’aux étiquettes attachéesaux objets et qui aujourd’hui prennent parfoisplus de place que l’objet lui-même. Un jourpar exemple, on m’apporte un objet de qua-lité très médiocre ; quelques semaines plustard, cet objet avait pour propriété d’avoir étévu par M. Roudillon : effectivement je l’avaisvu et même touché ! Alors pour ce qui est desobjets ayant appartenu à André Breton, c’estune toute autre histoire. Les polémiques liéesà la vente nous l’ont rappelé. »

SuzanneDuchamp.Huile sur toile,1913.Coll. privée.

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Mais une histoire qui se termine plutôt mal oubien ? : « Je suis pour que les choses bougent,changent de main. Breton n’avait pas une col-lection mais un ensemble d’objets très dispa-rates acquis en fonction d’une idée, d’uneidée surréaliste. Ce qui a été fait [la vente] mesemble être la meilleure solution car unmusée qui n’achète plus est un musée mort.Dans ce cas, comment aurait-on pu faire vivre

le musée André Breton étant entendu que lesobjets qu’il aurait présenté n’auraient eu desens que parce que c’était Breton lui-mêmequi les avait achetés. Reste peut-être unmusée du surréalisme à créer. Mais encore unénième musée. Je n’en suis pas persuadé. »

Spatule à chaux.Nouvelle-Guinée,îles Trobriand.Ex-coll. Festeticsde Tolna et DrStephen Chauvet.Coll. privée.

Tête en marbre,1800-200 av. J.-C.Archipel desCyclades.Coll. privée.

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Philippe Pataud Célérier Jean Roudillon : l’histoire de l’œil jusque dans ses murs

Le dossier d’Art TribalLe dossier d’Art Tribal

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Le dossier d’Art Tribal

Pourtant, la différence entre marchand etcollectionneur est très ténue car tousdeux ne sont que les dépositaires tempo-

raires d’œuvres qu’un jour ou l’autre il faudrabien restituer. Le plus vite possible pour l’un,le plus tard possible pour l’autre. Alors que lemarchand doit avoir une compréhensionrapide et totale de l’œuvre, le collectionneurpeut mettre une vie, mais seulement une vie,pour s’en nourrir. Face à ces deux entités, lemusée apparaît comme une institution dotéed’immortalité : le temps y est aboli puisquel’acquisition est éternelle. Il se comportecomme un véritable trou noir qui attire,absorbe et ne restitue rien et c’est pour celaque, à plus ou moins long terme, le devenird’une œuvre d’art est assurément muséogra-phique.La rapidité est donc nécessaire au marchandet cette notion de vitesse m’a longtemps faitenvisager son rôle comme celui d’un voltigeurde pointe, sorte de chat botté qui, courantloin devant le carrosse de son maître collec-tionneur, en fait la bonne fortune, je veux direla collection. À ma connaissance, le marchand d’art n’a pasde prédateur spécifique. À cause de sa for-mation — ou plutôt, devrais-je dire, de sanon-formation, comme nous le verrons plustard —, il est seulement un peu plus vulné-rable qu’un autre chef d’entreprise face auxattaques, souvent répétées, des services fis-caux et douaniers. Sa survie, comme celle detoute espèce, ne dépendra que de ses facul-tés à s’adapter aux bouleversements quesubit actuellement l’ensemble de la société.Les vingt dernières années de la pratique de

ce métier ont été marquées par la disparitionquasitotale des collectionneurs issus desclasses moyennes de la population. Les méde-cins, avocats, architectes et autres professionslibérales ne peuvent plus aujourd’hui pré-tendre, sur leurs seuls revenus, à accéder austatut de collectionneur important. Encoreune fois, c’est l’histoire sociale et économiquede notre époque qui est en cause, une his-toire qui concentre les richesses entre lesmains d’un nombre restreint d’individus. Desurcroît, être collectionneur, c’est sacrifierbeaucoup, et la société de l’image et de lacommunication dans laquelle nous vivonsoffre bien trop de tentations. Les collection-neurs que j’ai connus dans mon enfance,rognant et économisant sur tout pour finali-ser l’acquisition d’une pièce, font désormaisfigure d’image du passé.Dans le domaine de l’art, tous les profession-nels s’accordent aujourd’hui pour dire quedeux types de pièces restent d’un commercefacile, les chefs-d’œuvre et les objets très bonmarché. Une fois passée au crible des grandescollections, une pièce qui n’a pas trouvé pre-neur devient difficilement vendable. On ditqu’elle a été trop vue, mais la réalité est autre :trop onéreuse pour certains et pas assezexceptionnelle au regard des autres, il n’y apeut-être plus assez d’individus susceptiblesde l’acquérir.Quant à la mondialisation, sujet à la mode s’ilen est, elle a donné naissance à des monstres,au nombre desquels il convient de citer lesgrandes maisons de ventes aux enchères.Entre ces sociétés et le monde marchand, il atoujours régné une entente tacite. D’une

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5 Le complexe du chat bottépar Bernard Dulon

Attiré dès mon plus jeune âge par les esthétiques dites « primitives », je compris très vite que mes

moyens financiers ne me permettraient jamais de réaliser mon rêve : devenir collectionneur, à

l’image de mon père. Cinq années d’études en sciences humaines, section ethnologie, ne me

permirent pas non plus d’aller à la rencontre de l’œuvre d’art qui se trouvait toujours au centre de

mes préoccupations. Ce fut à vrai dire une grande déception. Il ne me restait donc plus qu’à devenir

marchand, un terme bien sulfureux pour les milieux que je fréquentais à l’époque.

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part, les enchères sont très médiatisées etcréent une cote qui rassure, d’autre part, levolume des produits proposés à la vente per-met au professionnel de réaliser parfois d’ex-cellents achats. Enfin, pour les pièces à suc-cès, les enchères se font à la hausse alors que,chez l’antiquaire, on essaye toujours d’ache-ter à la baisse, et la tentation est alors grandepour nombre de confrères de les utilisercomme un outil de travail performant.Aujourd’hui ces sociétés sont cotées enbourse. Purs produits de notre économiemoderne, elles sont condamnées à s’ac-croître. Gageons que leurs nouveaux terri-toires seront un jour celui des marchandsd’art. Je dînais récemment en compagnie dehauts responsables de départements de l’une

d’entre elles et leur langage interne qualifiaitde « black market » l’ensemble des transac-tions qui leur échappaient. Tout un pro-gramme face auquel les marchands du futurseront amenés à organiser une résistanceautour des notions de compétence, de déon-tologie, et, encore une fois, de rapidité d’exé-cution.

L’ennemi intérieurLe pire ennemi de l’antiquaire, c’est l’anti-quaire. Et je ne veux pas parler ici des rap-ports de haine attentive qui président parfoisaux rapports de deux marchands installésdans le même créneau ou sur le même boutde trottoir. Mais, il faut bien le constater, cetteprofession est tout de même mal défendue. Si

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Bernard Dulon Le complexe du chat botté

Le dossier d’Art TribalLe dossier d’Art Tribal

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vous avez l’ambition de devenir un jour bou-langer, cordonnier ou peintre en bâtiment, ilvous faudra obtenir un certificat d’aptitudeprofessionnelle, sans parler des longues etfastidieuses études nécessaires à l’exercice denombre de carrières. En bref, pour devenirantiquaire, il suffit de le décider alors que,pour être secrétaire d’antiquaire, il vous fautd’abord obtenir un diplôme de secrétaire.Ce métier montre donc des contours trèsflous alors qu’il ne fonctionne que sur l’équi-libre précaire du couple désir-confiance. Désirde possession d’une œuvre, confiance en lescompétences et l’honnêteté de son déposi-taire. Le domaine des arts « primitifs », danslequel l’objet n’est en général, pour le pro-fane, ni signé ni objectivement daté, est logi-quement un de ceux au sein desquels doitrégner la plus grande confusion. Ainsi s’ins-taure, en ce moment même, une situationparadoxale et, à ma connaissance, unique : lararéfaction de la marchandise entraîne la pro-lifération de nouveaux marchands et experts.Ces chantres de la confusion sont maintenantinstallés sur les marches du temple, tant dansle quartier Saint-Germain à Paris qu’à l’hôtelDrouot ou dans les salles des ventes de pro-vince, et rien ne différencie, pour le publicnon initié mais avide d’événementiel, leuractivité d’importation d’artisanat et de ventede copies, du travail souvent moins spectacu-laire d’un professionnel spécialisé dans lecommerce ou l’expertise de pièces authen-tiques. Si l’ensemble de la profession semblene pas encore s’en émouvoir, gageons qu’àmoyen terme le mal causé sera irrémédiablecar ce sont des générations de collectionneursqui risquent d’en pâtir.Même si le marchand d’art « primitif », rece-leur, faussaire, aventurier ou spadassin, n’apas bonne presse aujourd’hui, je voudrais ter-miner sur une note optimiste. Demander à unancien marchand de superviser un des plusambitieux projets de la muséologie fran-çaise*, c’est avouer que personne ne peutfacilement apprendre à lire cette vibrationténue qui différencie l’original de la copie etle bon objet du chef-d’œuvre. Or, cesquelques millimètres de sculpture et d’espritsans lesquels s’enlise toute la perceptiond’une œuvre sont, pour le bon marchandcomme pour le bon expert, rassurants etéblouissants tel un phare dans la nuit, celaleur saute aux yeux, immédiatement, et l’ondit alors qu’ils ont un œil.

Que l’on soit marchand ou collectionneur, lerapport à l’œuvre d’art est toujours trèsintime, parfois quasi charnel, et la premièrerencontre avec une pièce importante dans unhôtel — le mot est de circonstance — deventes aux enchères ou dans l’arrière-bou-tique d’une galerie est toujours un momentde grande émotion, difficile à partager. Voicipourquoi il est impossible de penser qu’unjour une institution publique ou privée puisseavoir un œil, c’est une affaire d’individu etune histoire d’amour.

* Il s’agit de Jacques Kerchache et du projet du musée duQuai Branly à Paris.

Les photos illustrant cet article montrent l’intérieurdu marchand et collectionneur Antony InnocentMoris (1866-1951) que l’on appelait communémentle “père Moris”.Après une carrière de militaire aux Indes et au Ton-kin, de retour en France il entre dans l’administra-tion en tant que secrétaire dans un commissariat jus-qu’en 1914. En 1913, il loue une boutique, rue Vic-tor-Masset, à Paris, pour son amie Marie, où ellevend de la brocante. Après avoir quitté son emploi,Moris vit avec Marie dans le logement attenant à laboutique. Ayant fait la connaissance de marchandspersans, il se met à vendre tissus et tapis en prove-nance de cette région, à la mode à l’époque. C’est en1913 qu’il achète son premier masque africain, fait laconnaissance du marchand d’ethnographie Eymann,du collectionneur Rupalley (dont la vente sera disper-sée à Drouot en 1930) et de Joseph Müller. Morisdispersa sa collection de son vivant, Charles Rattonacheta quelques pièces, mais la plupart furentacquises par un autre marchand : Pierre Vérité.Chez cet accumulateur, au sens fort du terme, lesmurs sont recouverts du sol au plafond, comme entémoignent ces documents photographiques sur les-quels on peut voir de nombreuses armes et casse-tête,une série impressionnante de masques apuema et desculptures de Nouvelle-Calédonie entourant un per-sonnage du Vanuatu ; au-dessus de son lit, recouvertd’un tapa océanien, se déploie une panoplie dehaches ostensoirs de Nouvelle-Calédonie, surmontéede masques sénoufo eux-mêmes surmontés de figuresde reliquaire kota, l’ensemble coiffé de casse-tête àbec d’oiseau de Nouvelle-Calédonie ; sur une autrephoto, masques de Papouasie-Nouvelle-Guinée etafricains entourent le meuble ayant appartenu àSarah Bernhardt, constitué de panneaux sculptésmaori rapportés par la fameuse actrice lors de satournée en Nouvelle-Zélande, lui-même recouvert destatuettes kongo, d’un bouchon de flûte mundugo-mor et d’une figure massim ; dans une vitrine, onaperçoit six ivipo’o en compagnie de deux pédalesd’échasse des îles Marquises ; les îles kiribati sontégalement représentées avec des armes en dents derequin, l’Afrique avec des masques fang et punu, unemarionnette kuyu, des harpes mangbetu en ivoire,des panneaux en bois sculptés de Madagascar, destêtes réduites jivaro...© Archives Guy Ladrière.

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Bernard Dulon Le complexe du chat botté

Le dossier d’Art TribalLe dossier d’Art Tribal

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Le dossier d’Art Tribal

tuant oui. Par exemple, une déesse fémininedes Cyclades en marbre se trouve à côté d’unsilex maya.

F. C. : Êtes-vous toujours à la recherche denouvelles pièces ?V. T. : Je visite les galeries et souvent les gale-ristes m’appellent pour me proposer quelquechose qui, leur semble-t-il, me correspond, etm’envoient une photo. Si quelque chosem’intéresse, j’essaie généralement de vivrequelques jours avec avant de prendre madécision pour voir s’il vit bien avec le reste dela collection.

F. C. : Votre femme partage-t-elle votreenthousiasme dans ce domaine ?V. T. : Pas vraiment. Mon épouse est particu-lièrement sensible aux œuvres dérangeantes,spécialement à celles dont les matériaux les

constituant sont d’origine animale tels quecheveux, plumes ou crânes. Dans ce cas, j’ou-blie l’objet.

F. C. : Faites-vous des recherches avant unachat ?V. T. : Je m’efforce de comprendre les forcesqui habitent l’objet convoité en établissantdes comparaisons avec d’autres exemplairessimilaires publiés dans des livres de référenceou dans des catalogues de vente de mabibliothèque, ou bien je vais faire un tour à lacollection de photographies du MetropolitanMuseum of Art, ou encore je consulte un spé-cialiste ou un expert.

F. C. : Arrêteriez-vous de collectionner si lelieu dévolu à votre domaine de prédilectionétait arrivé à saturation ?V. T. : J’envahirai certainement les autrespièces disponibles de la maison comme la cui-sine et la salle à manger, mais certainementpas les toilettes qui, pour moi, ne sont pas unlieu digne d’abriter une œuvre d’art et encoremoins propice à sa contemplation. Cepen-dant, si à un certain moment aucune placen’était disponible, je vendrais certaines piècespour en acquérir de nouvelles.

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Victor Teicher ou la passion harmonieuse

Le dossier d’Art Tribal

Florence Carrie : Quand avez-vous com-mencé à collectionner ?Victor Teicher : Je ne suis pas collectionneurpar nature, ayant débuté avec les papillonspour passer ensuite et graduellement auxtimbres poste et ainsi de suite... Cependant,un ami me suggéra en octobre 1992 de visi-ter la maison d’Allan Stone, un lieu inhabitueldont il espérait qu’il me toucherait. Allan estun collectionneur de l’extrême avec dix milleobjets dont la disposition ne laisse qu’unétroit chemin de la cuisine au salon. Aprèsavoir passé une ou deux heures avec Allan,j’étais convaincu et, le jour suivant, achetai unmagazine qui répertoriait divers marchandsd’art tribal.

F. C. : Quel est le premier objet que vous avez acheté ?V. T. : Je possède environ cent quarantepièces, principalement océaniennes, puis afri-caines et précolombiennes. Les premiersobjets furent des masques himalayens. Aupa-ravant, j’achetais des objets qui m’attiraientsans raison particulière. Avec le temps, je metournai vers les figures, en particulier lesreprésentations d’ancêtres, abstraites ou sur-réelles. J’ai toujours quelques masques ache-tés à mes débuts, mais ils ont plutôt un rôledécoratif.

F. C. : Que signifie collectionner pour vous ?V. T. : Collectionner est une forme d’amuse-ment, comme jouer au squash ou participer à un dîner. Il s’agit d’une jouissance physiquepar les vertus de l’interaction humaine quecette activité engendre. Le but est uneréflexion de nature humaine et en tant quetelle nous permet une expérience mer-veilleuse.

F. C. : Avez-vous des endroits privilégiés pourprésenter vos objets et changez-vous lespièces de place ?V. T. : Ils sont disposés dans les trois pièces servant de réception et de salon et dans labibliothèque. Les œuvres d’art sont commeles instruments d’un orchestre. Lorsqu’ilsjouent ensemble, ils produisent des harmo-nies différentes de celles des solistes. En dis-posant les objets de différentes façons com-plémentaires, vous créez quelque chose quifonctionne heureusement bien mieux quelorsque les sculptures se trouvent isolées.

F. C. : Comment sont-elles organisées ?V. T. : En fonction des rapports qu’elles entre-tiennent les unes par rapport aux autres. Leurorigine géographique n’influe pas sur leur dis-position, mais parfois les matériaux les consti-

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6 Victor Teicher ou la passion harmonieusepar Florence Carrie

Américain, Victor Teicher collectionne des objets comme un musicien cherche une succession

d'accords. Quitte à les emprunter d'abord pour écouter leurs résonnances avec sa propre collection

et trouver peut-être dans cette nouvelle diversité cette autre unité qui en fera l'harmonie.

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F. C. : N’avez-vous jamais envisagé d’installervotre collection dans votre bureau ?V. T. : Non. Mon bureau est le lieu où je vaispour faire de l’argent. La nature de mon tra-vail fait que je peux perdre de l’argent sur unecertaine période plus ou moins longue. Par-fois, perdre fait partie de mon activité ; par-fois, ce peut être le résultat de mes erreurs decalcul, comme lorsque je perds de l’argentpour avoir admiré un objet de grand intérêtqui, sans aucun doute, vaut moins que ce quej’ai payé pour l’acquérir... Une autre mépriseque je préfère oublier !

F. C. : Achetez-vous sur Internet ?V. T. : Parfois, je croise quelque chose d’inté-ressant sur le site d’un marchand et jedemande des informations à son sujet.Cependant, les images sur Internet, souventflatteuses, ne sont pas toujours le reflet exactde l’objet dans sa réalité. D’un autre côté, uneancienne reproduction n’est pas toujours nonplus des plus convaincantes quant auxmérites d’une pièce.

F. C. : Existe-t-il une communauté de collec-tionneurs ?V. T. : J’imagine qu’il existe un groupe de collectionneurs ayant les mêmes affinités.Certains d’entre eux se rencontrent régulière-ment. Je visite leurs collections et ils se dépla-cent chez moi.

F. C. : Une approche enrichissante…V. T. : Certainement, mais il y a différentesapproches possibles. Il y a ceux pour qui l’artest essentiellement un investissement commeun autre, qui espérent gagner de l’argent lejour où ils revendront. Ils aiment certainementles objets, mais leur objectif est l’aspect finan-cier. Cela me semble ridicule, l’art n’étant pasréellement un bon investissement à courtterme. Même sur le long terme, les objetsdoivent obtenir une plus value d’au moins 50% pour obtenir une rentabilité qui restegénéralement relativement faible. Uneapproche consiste à acheter pour s’amuser etpour les plaisirs qui en découlent. Pour moi,ce qui m’attire dans ces objets, c’est leurintensité et la beauté de leurs formes.

F. C. : Qu’est-ce que vous considérez commeun mauvais achat ?V. T. : Un mauvais achat se caractérise parquelque chose qui, au bout de quelques

semaines, passe de trois dimensions à deux,devenant du papier peint et passant inaperçu.Il n’y a pas vraiment de raison de conserverquelque chose comme ça.

F. C. : Pouvez-vous éprouver de la jalousie ?Avez-vous un esprit de concurrence ?V. T. : Non. Si je suis intéressé par un objetacheté par quelqu’un d’autre, je suis heu-reux pour le vendeur et l’acheteur. Si j’étaisjaloux, je n’achèterais jamais rien. C’est unechose de posséder de l’art « primitif » et uneautre d’éprouver des sentiments « primitifs ».Je ne suis pas compétiteur. Lorsque je m’in-téresse à un objet, il y a un prix que je suiscapable d’offrir. Le choix qui se présente àmoi est : qu’est ce qui est le mieux ? l’objet oul’argent ? Ce que quelqu’un d’autre est prêtà offrir pour une pièce ne veut rien dire pourmoi.

F. C. : Pensez-vous qu’un collectionneur estpuissant et qu’il doive être pourvu d’un egoimportant ?V. T. : Il y a un terme pour désigner le collec-tionneur qui pense être puissant... un imbé-cile. Un collectionneur est en fin de compteun acheteur. Pour être un acheteur confirmé,vous devez être connaisseur, prendre desrisques, admettre de faire des erreurs et êtrecapable de faire évoluer vos idées.

F. C. : Vous semblez être un collectionneur enbonne santé…V. T. : Collectionner devrait être amusant. Malheureusement, certains collectionneurssont des maniaco-dépressifs, s’endettant etse mettant ainsi dans une situation vraimentdéplaisante. D’autres, avares, ne partagentpas leurs collections et, au moment de quitterce monde, réalisent avec regret qu’ils ontperdu la possibilité de partager leur expé-rience avec les autres.

F. C. : Quelle a été votre plus belle joie en tantque collectionneur ?V. T. : J’ai beaucoup de plaisir à vivre avec mes objets. Parfois, découvrir que l’un d’entreeux est reproduit sans que cela ait été connuau moment de son acquisition est excitant.Quelquefois il est amusant d’acquérir unepièce une fraction de ce que l’on était disposéà dépenser, on a alors l’impression d’avoirréalisé un grand achat, que cela soit le cas oupas.

F. C. : Êtes-vous fier de votre collection etéprouvez-vous le besoin de la montrer ?V. T. : Je n’ai pas ce genre de sentiment. L’or-gueil est l’un des sept péchés capitaux. Dansquelques mois j’aurai un site Internet où setrouvera la plus grande partie de ma collec-tion. L’objectif de ce site est de partager lesimages avec d’autres, de recueillir leurs com-mentaires et d’encourager d’autres collec-tionneurs à faire de même.

F. C. : Que pensez-vous du marché actuel ?V. T. : Je pense que le marché a été faible pen-dant quelques années pour les pièces au-des-sous de $10,000. Les marchands ont un stockde nombreux objets de faible valeur pour les-quels ils n’ont pas beaucoup de demandes.En revanche, en ce qui concerne les piècesimportantes, le marché est toujours très actif. Les amateurs disposent de certains adagesintéressant à l’encontre du marché, comme :« Achetez le meilleur et oubliez le reste. » Sivous avez suivi ce conseil durant les dernièresvingt-cinq années, vous avez réellement bienagi, d’un point de vue financier. De nos jours,c’est l’opinion communément admise.Cependant, il me semble qu’aujourd’hui leratio des prix pour le top et le meilleur est àson extrême. En fin de compte, convention-nellement, la sagesse est toujours mauvaise.Celui qui achète une Mercedes dix fois le prix

d’une Honda encourra en fin de compte uneperte sur la revente. Un autre adage, cependant, qui continuera às’avérer juste, préconise d’acheter les piècesles plus belles.

F. C. : Comment vous sentez-vous dans cemarché ?V. T. : Lorsque j’ai commencé, j’avais 42 anset j’étais considéré comme un jeune collec-tionneur. Aujourd’hui, j’ai 52 ans, et je suistoujours considéré comme un jeune collec-tionneur. D’autres jeunes collectionneursviendront-ils enrichir ce marché ? Dans lemonde dans lequel nous vivons, tout devientde plus en plus de la haute technologie, l’an-tithèse de l’expérience enfantine que l’art tri-bal fournit ; le besoin de telles expériencesfera de moi un jour un relativement vieux col-lectionneur.

Remerciements à Virginia-Lee Webb.

Sculpture aripa,Korewori, Papouasie-Nouvelle-Guinée.Photo Karin L. Willis.

Sculpture lega,sakimatwematwe,RépubliqueDémocratique du Congo.Photo Karin L. Willis.

Figure yam,Maprik, région de l’est du Sépik,Papouasie-Nou-velle-Guinée.Photo Karin L. Willis.

Figure abelam,Maprik, région de l’est du Sépik,Papouasie-Nouvelle-Guinée.Photo Karin L. Willis.

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Florence Carrie Victor Teicher ou la passion harmonieuse

Le dossier d’Art TribalLe dossier d’Art Tribal

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Le dossier d’Art Tribal

Le collectionneur nous accueille dans savaste demeure au bord du lac de Zougdont l’intérieur moderne respire l’équi-

libre et le bon goût. Parmi des tableauxmodernes sont disposés de façon très aéréede grands objets africains et océaniens : unénorme fétiche à clous, un casse-tête desMarquises, un grand fétiche Songye, une sta-tue Bongo… Puis l’hôte nous invite à le suivreà l’étage inférieur et nous prie de le précéderdans une petite pièce. Le spectacle est renversant, à vous couper lesouffle : sur une dizaine de mètres carrés, plusd’une centaine d’objets sont disposés sur desétagères, du sol au plafond. Et quels objets !Où que le regard se pose, on devine unsuperbe objet africain, on reconnaît une piècevue dans une publication. Udo Horstmann se tient à côté, un petit sou-rire aux lèvres. Ces objets sont présents,comme s’ils avaient toujours été là, mais au filde la discussion on découvre quels effortsimmenses il a fallu déployer pour les rassem-bler. « Aujourd’hui la « période de chasse » estterminée », explique Udo Horstmann,« même si la collection continue à vivre et àévoluer, mais d’une manière beaucoup plusposée ».

Dominique Remondino : Votre collectiond’art africain fait désormais partie des collec-tions importantes et connues. Pouvez-vousme dire comment vous avez débuté ? Udo Horstmann : Tout a commencé enAfrique du Sud, à Johannesbourg, au débutdes années 1970. Nous avons fait la connais-sance de gens qui collectionnaient entre autrede l’art africain, des objets d’Afrique del’Ouest tels que nous en avions vus dans lesmusées. (En fait, ils leur ressemblaient seule-

ment, mais cela, nous ne l’avons compris quebien plus tard). Nous étions donc enchantéset nous avons commencé à acheter des sta-tues et des masques chez eux et dans desboutiques de curiosités. En 1976 j’ai repris un poste de négociant enmatières premières auprès d’une entrepriseaméricaine à Zoug, en Suisse. Je profitais demes nombreux déplacements à l’étrangerpour visiter des musées, rencontrer des mar-chands et des collectionneurs pendant mesloisirs. J’ai alors vite compris que j’avais faitfausse route jusque là. Et puis arriva l’année1978. Christie’s proposait une partie de laCollection Joseph Mueller en salle de vente àLondres. La décision d’un nouveau départ futprise : nous nous sommes débarrassés de ceque nous avions déjà accumulé et nous avonspu acquérir quelques pièces de la collectionMueller.

D. R. : Est-ce que vous possédez encore cesobjets ? U. H. : Oui, une statue téké, reproduite dansle De Zayas en 1916 ainsi qu’une petite pièceSongye, anciennement Hans Himmelheber. L’apprentissage a réellement débuté à partirde ce moment : j’ai de plus en plus fréquentéles marchands, visité les musées et les collec-tionneurs, acheté et étudié les livres …presque un second métier. Parfois on avaitl’impression d’avoir acheté l’objet parfait,puis en cherchant on a toujours fini par trou-ver un exemple encore plus élaboré, plus raf-finé, plus « dynamique », plus expressif. Enfin de compte, nous voulions nous approcherle plus possible d’une idée de la perfection et,souvent, il s’agissait beaucoup plus de tempset de patience que d’une simple questiond’argent.

Fétiche mangaaka,Nkonde, R. D. C.(Angola, région deCabinda).Bois, clous, métal,céramique etmiroir. H. : 110 cm.

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7 Entretien avec Udo Horstmann par Dominique Remondino

Udo Horstmann est un chasseur au repos. Sans cesse épaulé par son épouse Waltraud, il a

constitué en moins de deux décennies une collection d’Art tribal étonnante de qualité et de

diversité.

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D. R. : Comment peut-on caractériser votrecollection ? U. H. : Dans son ensemble ce n’est certaine-ment pas une collection de types ou de séries.Il s’agit plutôt d’une collection inspirée pardes penchants personnels. Nous vivons avecet elle doit vivre aussi : elle se transformeconstamment, non pas en profondeur, mais ily a toujours des choses en mouvement.

D. R. : Vous avez récemment publié votre col-lection, ou du moins une partie importantedans un ouvrage intitulé « The Power of Form ». Est-ce que ce titre reflète l’aspect quivous intéresse le plus dans un objet d’art pri-mitif ? U. H. : Nous avons eu, et avons encore, uneattirance pour les œuvres très stylisées. Laforme et la variété des formes ont toujours euleur importance, mais aussi la puissanceexpressive.

D. R. : Est-ce qu’il existe un objet de votre col-lection qui exprime tout particulièrement cequi vous fascine dans l’art africain ou océa-nien ? U. H. : Si je devais en désigner un, je choisiraisun appuie nuque shona. La représentationabstraite d’une figure humaine est pour nousquelque chose de fascinant. Mais ce pourraitêtre aussi un pendentif Lobi en ivoire ou unepagaie cérémonielle de l’Ile de Pâques. D. R. : Chaque collectionneur a sa propremanière de vivre avec ses objets. Ce qui m’afrappé chez vous, c’est votre « réserve » : surun tout petit espace vous entreposez la plusgrande partie de votre collection. Quand onentre pour la première fois dans cette pièceon est suffoqué. U. H. : Nous avions décidé de n’exposer qu’unpetit nombre d’objets dans notre espace deséjour pour que ceux-ci soient mis en valeur,d’où la nécessité de ce lieu de réserve. Celanous permet aussi de les échanger de tempsen temps et de les voir différemment.

D. R. : La question de l’authenticité d’objetsafricains est un sujet de discussion omnipré-sent dans les milieux des collectionneurs etdes marchands. Chacun achète tôt ou tard unobjet qui doit être considéré comme un fauxet il existe probablement peu de collectionsprivées ou publiques qui n’en possèdent pas.Qu’avez-vous à dire à ce sujet ? U. H. : Personne n’est infaillible, même pas lessoi-disant grands marchands. Par contre onapprend beaucoup en faisant ses propresexpériences. C’est d’autant plus le cas pourles collectionneurs privés, qui payent leurserreurs par un douloureux trou dans leur por-

Art Tribal 04 / HIVER 2003 103

Entretien avec Udo Horstmann

Le dossier d’Art Tribal

(De gauche àdroite et de hauten bas)

Trois sifflets céré-moniels punu,Gabon ; yombe,R. D. C. ; bembe,R. D. C.Bois et corne.H. : 10 cm, 14,5 cm et 12 cm.

Bouclier kerewe,Tanzanie.Écorce tressée.H. : 122 cm.

Charme de beautemps, îles Caro-lines, Onoum.Bois, pigments etépines de raie. H. : 26,6 cm.

Charme de beautemps, îles Caro-lines, Ngulu.Bois, pigments etépines de raie. H. : 35 cm.

Pendentif punu,Gabon.Bois. H. : 3 cm.Ex-coll. RobertVisser.

102 Art Tribal 04 / HIVER 2003

Dominique Remondino

Figurinevili/yombe, R. D. C.Bois. H. : 5 cm.Ex-coll. RobertVisser

Étuis à poudres,tsonga/zulu,Afrique du Sud.Bois, ivoire etcorne.

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tefeuille, alors que ce sont les contribuablesqui font les frais des erreurs des conservateursde musées où les acquisitions malheureusesdisparaissent dans les réserves. Les copies deviennent de plus en plus redou-tables (nous ne parlons bien entendu pas descopies grossières qui se fabriquent toujours)et, si par le passé on pouvait se permettred’acheter sur un coup de cœur, on doitaujourd’hui essentiellement se fier à son œilet à sa tête.

D. R. : Que pensez-vous des méthodes d’ana-lyse et de datation scientifiques, comme leC14 ou la thermoluminescence, qui sont deplus en plus fréquemment utilisées pourauthentifier des objets ? U. H. : Ces tests sont très importants, cepen-dant ils ne peuvent pas à eux seuls décider siun objet est authentique ou faux ; la typolo-gie et l’expression jouent aussi un rôle essen-tiel. L’âge de certains objets d’Afrique de l’Ouestqui se trouvent sur le marché est impression-nant. Mais sont-ils réellement aussi anciens ?Plusieurs vieilles mosquées se sont effondréesces dernières années sous la pluie et les tem-pêtes fournissant des poutres centenaires auxfaussaires. Les tests de thermoluminescence et autresanalyses scientifiques ne démontrent pas toutnon plus, à part pour certaines analyses desurface ou de matière qui peuvent prouverqu’un objet est récent de par sa compositionchimique ou qu’il s’agit d’un assemblage.L’aspect typologique reste déterminant. Parailleurs, pour les bronzes du Bénin parexemple, il est difficile de faire ses propresexpériences, de même que pour des objets enbois, et les rares experts sur ce domaine nesont plus tout jeunes. D’autre part, une pro-venance démontrable peut aussi être utile.

D. R. : Contrairement à beaucoup d’autrescollectionneurs vous cherchez à entrer encontact avec le plus de collectionneurs et demarchands possible et vous êtes connu pourne pas mâcher vos mots. Est-ce que vous pen-sez que vous avez un rôle à jouer, en quelquesorte une mission à accomplir ? U. H. : Une mission certainement pas, mais ilest vrai que nous sommes intéressés à ce qu’ily ait un marché plus ou moins sérieux. Finale-ment les collectionneurs n’ont qu’à s’enprendre à eux même s’ils croient toutes les

histoires de certains marchands sans réfléchiret apprendre. Le retour de manivelle suitgénéralement avec quelque retard quand lesobjets ne se revendent pas en salle de venteou à un prix très inférieur au prix d’achat.Quand il s’agit de collectionneurs qui me sontproches, ça me peine pour eux c’est vrai, maisen fin de compte chacun doit savoir ce qu’ilfait et vivre ses expériences.

D. R. : Pendant ces dernières années un publicde plus en plus large s’est intéressé à l’art pri-mitif et à son marché. Je pense que les grandesventes comme Goldet, Gaffé, Breton etd’autres y ont contribué. Quel est votre avis ?U. H. : Ce sont plutôt les répercussions degrandes expositions comme Le Primitivismedans l’art du XXe siècle ou Africa, the Art of aContinent et d’autres, mais aussi celles del’ouverture du Musée Beyeler à Bâle. Ces évé-nements ont encouragé un certain nombrede personnes dans le monde entier à s’inté-resser sérieusement aux arts anciens del’Afrique et de l’Océanie. Nous pensons quec’est une évolution très positive.

D. R. : Y aura-t-il un jour une vente The Udo& Wally Horstmann Collection ?U. H. : Ce n’est pas prévu, mais pas à exclurenon plus.

D. R. : Est-ce que vous pensez qu’on peutencore commencer à collectionner l’art afri-cain de nos jours ? U. H. : Absolument. Mais cela nécessite beau-coup d’autodiscipline. Il faut former sonpropre goût, voir le plus d’objets possible,avoir de la patience et acheter de préférenceune bonne pièce par année que plusieursobjets moyens. Par ailleurs on peut discuterdes modalités de paiement avec tous les mar-chands. Au début les idées de prestige sont àéviter : on peut très bien commencer par unbel appuie-nuque, une poulie, une flûte, untextile ou une vannerie, le choix reste vaste... Vous savez, pour nous les années 80 étaientde grandes années, même si nous jalousionsdéjà les collectionneurs actifs pendant lesannées 70. Mais ceux-là devaient faire demême quand ils pensaient aux collection-neurs de la décennie précédente.

Masque ibibio,Nigéria.Bois. H. : 28 cm.

Statue sakalava,Madagascar.Bois. H. : 96 cm.

Couple vili, R. D. C.Bois.H. : 18,5 cm.Ex-coll. RobertVisser.

104 Art Tribal 04 / HIVER 2003 Art Tribal 04 / HIVER 2003 105

Dominique Remondino Entretien avec Udo Horstmann

Le dossier d’Art TribalLe dossier d’Art Tribal

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Le dossier d’Art Tribal

Renaud Vanuxem : Quand as-tu décidéd’abandonner l’enseignement pour te lancerdans la brocante puis, ensuite, d’acheter unegalerie ?J.-P. L. : Je faisais déjà des échanges et, detemps en temps, des ventes. Je me suis renducompte alors que je pouvais mieux gagner mavie ainsi qu’en étant instituteur. Et, surtout,en faisant quelque chose qui me passionnait.R.V. : Donc tu es passé de l’école à la « chine »...Ou, mieux encore, à « l’école de la chine », cequi est je crois la meilleure méthode pourapprendre à connaître les objets.J.-P. L. : L’école supérieure des trottoirs despuces !R.V. : J’aime beaucoup l’expression parce quetu es, en effet, de ceux qui ont connu lagrande époque des chineurs.J.-P. L. : Là j’ai connu tout le monde. Tousceux qui ont aujourd’hui pignon sur rue, quiont ouvert des boutiques, des galeries, je lesai connus comme chineurs : Pierre Robin,Jean-Michel Huguenin, Robert Duperrier,Daniel Hourdé. Je pense à Félicia Dialossin quia été extrêmement bienveillante à monégard, à Marie-Ange Ciolkowska qui, elleaussi, a été une figure importante dans lecercle des passionnés. En 1971, j’ai ouvert unstand aux puces que j’ai revendu en 1974. Lamême année, j’ai monté une crêperie aux

Halles que j’ai revendue en 1977 pour trèsvite acheter une galerie. J’en avais marre defaire la vaisselle (rires). R. V. : À l’époque des premières chines, tuopérais dans les « grands déballages ». Est-ceque ce sont toujours les mêmes ?J.-P. L. : Il y avait La Villette, il y eut pendantun temps le Parc Citroën, Richard-Lenoiraussi... C’est sur des brocantes comme celles-là que j’ai rencontré des figures comme ÉmileBouchard, passionnant, charmant, pitto-resque. J’ai trouvé beaucoup d’objets de cettemanière. Évidemment, il y a les salles desventes, les contacts avec les collectionneursune fois que l’on est établi. Ils sont toujoursvendeurs d’un objet qu’ils regrettent d’avoiracheté.R. V. : Par rapport aux différentes manièresd’acheter, tu as connu l’âge d’or de la chinedans les années soixante, soixante-dix ?J.-P. L. : C’était déjà la fin de l’âge d’or...Avant, les objets apparaissaient parfois pourrien ; à présent, tout est très étalonné, précis,pointu...R. V. : Dans les différentes manières de tra-vailler, il y a évidemment la chine qui sera demoins en moins possible pour les jeunes mar-chands et les collectionneurs. Il faut à présentvoyager, se déplacer pour aller voir les objets.Pour rendre les collections plus attractives, il

Jean-PierreLaprugne.Octobre 2003.Photo P.-F. Praxo.

Jean-PierreLaprugne.Grèce, 1968.Photo AngelaLaprugne.

Art Tribal 04 / HIVER 2003 107

52, rue Mazarine : de l’école à la « chine »...

Le dossier d’Art Tribal

Il est 17 heures et Renaud Vanuxem merejoint au pied de l’immeuble. Ce sera lui ledeuxième protagoniste d’une conversation

que je désire avoir entre un « ancien » et unjeune passionné d’arts premiers, galeristeégalement, collectionneur, à la vocation néedès le plus jeune âge. C’est lui qui reprend leflambeau du lieu culte du 52 de la rue Maza-rine. Après qu’Angéla, la femme de Jean-PierreLaprugne, est venue nous ouvrir la porte dusanctuaire, voici, assis dans un confortablefauteuil, le visage serein et la voix tranquille,le maître des lieux qui nous attendait. Mesyeux osent à peine se poser sur ces objets d’« arts primordiaux » (ainsi que les désignaitAndré Malraux) qui peuplent la grande piècedu salon. Ces masques lobi, ces bakota ettous les autres offrent une vision idéale ampli-fiée par la lumière d’automne qui inonde l’ap-partement. C’est lorsque je me rendis la toutepremière fois au musée Dapper, avenue Vic-tor-Hugo, que je ressentis cette sensationaussi puissante qu’étrange. En quittant le pre-mier étage du musée, les mots « héritage »,« créativité » et, je précise bien : « œuvresd’art », ne quittaient mon esprit. Je sus alorsque ma solitude ne serait plus jamais lamême.

Patrice-Flora Praxo : Racontez-nous lanaissance de votre passion pour les arts dits «primitifs ».Jean-Pierre Laprugne : Mes deux premiersobjets sont le masque gris à cornes et le petitque vous voyez là : deux masques lobi du Bur-kina Faso. Ils sont reproduits dans le livre dePiet Meyer, L’Art des Lobi. Je les ai trouvésensemble chez un petit brocanteur de monquartier d’alors, à la porte de Saint-Cloud, en1957. Je faisais des courses, comme chaquejour, et la brocanteuse m’a interpellé : « Mon-sieur Laprugne, j’ai des objets pour vous ! » etelle me montra alors quatre masques. À cetteépoque, je collectionnais les armes, mais ellem’a si bien fait l’article que tout mon salairemensuel d’instituteur y est passé. Il s’est avéréque deux des objets étaient faux. Enrevanche, les deux autres, très anciens et trèsbeaux, étaient authentiques.Ma rencontre avec Alain Schoffel a été déci-sive. J’avais vingt-deux ans et lui quinze. Àson contact, j’ai appris ce que signifiait lanotion d’« objet d’art » : un objet d’une évi-dente beauté, provenant d’une tribu rare,n’étant pas seulement un témoin ethnogra-phique. À ce moment-là, Alain partait pour lePortugal sur sa mobylette chercher des objets ;il allait encore chiner à Londres. C’est lui qui alancé la mode à Paris des objets océaniens.

106 Art Tribal 04 / HIVER 2003

8 52, rue Mazarine :de l’école à la « chine »...par Patrice-Flora Praxo

Je suis invitée chez Jean-Pierre Laprugne pour apprendre deux ou trois mille choses que j’ignore

de lui. Collectionneur et marchand, il est le créateur de la galerie Mazarine 52 à Paris.

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faut devenir mobile. Les ventes aux enchères,par rapport aux marchands, sont à doubletranchant, ce sont nos concurrents directs.J.-P. L. : Bien que Guy Loudmer (commissaire-priseur) qui a saisi le filon de l’art primitif aitété un concurrent redoutable, il a donné desbases à tout cela en organisant des ventesrégulières, bien orchestrées, bien catalo-guées.R. V. : Ses ventes étaient destinées aux vraisamateurs, aux initiés. Au contraire de cer-taines ventes récentes qui, bien dirigées sur leplan marketing, ont ouvert les arts « primitifs »à des collectionneurs venus de l’art moderne.Ce sont eux qui ont fait exploser les prix.C’est Raoul Lehuard qui appelle ce public-là :« les autres ». Il s’agit de gens qui ont« entendu parlé » de l’art « primitif » et quiveulent absolument avoir au moins un objetchez eux. Pour des gens passionnés commeJean-Pierre et moi, la passion des objets estprofonde. L’argent est toujours moins cherque les objets, il n’est qu’un moyen de lesacquérir, la finalité étant les objets eux-mêmes parce qu’ils sont porteurs d’univers,de poésie...JPL et RV (ensemble) : De rêve.R. V. : On fait ce métier non pour s’enrichird’un point de vue financier, mais pour s’enri-chir de la valeur symbolique des objets, deleur sens, de leur esthétique. L’enrichissementest à ce niveau-là. Après, si l’on peut consti-tuer une belle collection privée, en fin de par-cours, tant mieux, c’est aussi le but. Mais laréelle dimension, c’est...JPL et RV (ensemble) : La passion.R.V. : Pourquoi t’es-tu levé tous les jours pen-dant trente ans à cinq heures du matin ?JPL (sourire) : Pas tous les jours...R. V. : Mais, Jean-Pierre, tu as été, et je penseque tu resteras, un chineur redoutable. Tu asété le roi des chineurs !J.-P. L. : J’ai chiné quelques bonnes choses,mais j’ai beaucoup acheté aussi. Je ne don-nais pas ma part aux chats ! R.V. : Dans la chine, il y a une dimension pro-fonde de la trouvaille ? On chine pour éven-tuellement trouver des trésors...J.-P. L. : Il est vrai que, de temps en temps, çaarrive, mais c’est rare. C’est alors un petitmiracle ?R.V. : J’aime beaucoup l’usage qui fait dire decelui qui trouve un trésor qu’il en estl’« inventeur ». On invente un trésor... Dansl’univers des arts primitifs, c’est très vrai. Vous

« inventez » un trésor et c’est un trésor parceque vous savez ce qu’il est, d’où il vient, où ila été conçu, et pour quel usage. Vous le réin-corporez dans son histoire et dans son sens.J.-P. L. : C’est lui donner sa dimension...R. V. : Le sauver du néant.P.-F. P. : Pensez-vous avoir contribué à l’éner-gie déployée autour des arts primitifs dans lequartier Mazarine-Jacques Callot-Guéné-gaud-rue des Beaux-Arts ?J.-P. L. : Oui, bien évidemment.R. V. : Je peux en parler. Mes premiers souve-nirs de collectionneur, c’était chez toi, Jean-Pierre.J.-P. L. : Ton frère et toi, vous deviez avoirsept, huit ans ?R. V. : Il y a vingt-cinq ans !P.-F. P. : Que s’est-il passé ?J.-P. L. : Ils sont arrivés, son frère et lui, excitéscomme des sauterelles sur un champ de blé :« Oh, papa, regarde ça ! Oh, papa, c’est quoiça ? » Ils semblaient déjà très au courant.R. V. : À cette époque, il y avait déjà la mala-die de « la collectionnite » dans la famille.J.-P. L. : On est devenus amis et Renaud a chiné, m’a vendu des objets, il m’en aacheté ? R. V. : Ensuite, avec mon frère, j’ai ouvert magalerie juste à côté, au 54 rue Mazarine...

J.-P. L. : On a tissé des liens au-delà du simplevoisinage, des liens amicaux.R. V. : Je voudrais ajouter que pendant trenteans, dans la boutique de Jean-Pierre, il s’estpassé en permanence quelque chose. J.-P. L. : Les gens arrivaient vers 14 heures,cinq, six personnes qui venaient là pour voirce que j’avais trouvé. Je chinais chaquesamedi matin.. J’ai dû en créer des collection-neurs ! À la boutique, on n’avait pas besoinde sonner. On entrait, on s’asseyait.R. V. : C’était un lieu de convivialité,d’échange au niveau du quartier, un centrenévralgique pour des informations, pour desrencontres. La dimension humaine d’uneboutique est très importante. C’est cela queje vais essayer de faire perdurer.P.-F. P. : Monsieur Laprugne, qu’attendez-vousde Renaud à la réouverture de la galerie ?J.-P. L. : Tout d’abord, je suis heureux que cesoit lui qui reprenne ce que j’ai construit.Ensuite, la galerie continuera avec son style àlui, les gens entreront, viendront s’asseoir... Etje compte bien venir y passer quelques après-midi !R. V. : Tu y auras un fauteuil marqué à tes ini-tiales (rires). Je ne travaillerai pas commeJean-Pierre, c’était sa façon de faire, sontalent. Ce fut aussi son histoire, comme son

réseau qu’il tissa avec des gens depuis denombreuses années. À une autre époque dela chine. Je vais essayer de faire des exposi-tions thématiques, au moins une fois par an.Je vais garder cet esprit de la chine, c’est-à-dire trouver un objet le matin et le revendrel’après-midi, sans en faire pour autant un « objet d’art » avec un socle et un spot. Lesdeux manières de travailler peuvent être com-plémentaires. Je voyage beaucoup pour chi-ner...J.-P. L. : J’ai connu la fin d’un âge d’or. Toi, tuconnaîtras la fin de la chine. Dans quinze ouvingt ans, tout le monde saura ce que sont unbateké, un bembé ou une baoulé.R. V. : Le phénomène de mode m’inquiètequant à la qualité du marché futur. Ceux quiconnaissent les objets comme toi, comme lesconnaissait Émile Bouchard, il n’y en aura plusbeaucoup.P.-F. P. : La réouverture de la galerie est prévuepour quand ?R. V. : Je prépare une exposition avec cata-logue pour une inauguration qui se feradébut mars 2004. Je mettrai un point d’hon-neur à ce que l’exposition dans « ta » galeriesoit un événement qui marque.

Renaud Vanuxem.Octobre 2003.Photo P.-F. Praxo.

Bracelet en dentsde cochon sauvage, îlesHawaii et collieren dents decachalot, îles Fidji.

108 Art Tribal 04 / HIVER 2003 Art Tribal 04 / HIVER 2003 109

Patrice-Flora Praxo 52, rue Mazarine : de l’école à la « chine »...

Le dossier d’Art TribalLe dossier d’Art Tribal

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Le dossier d’Art Tribal

En même temps que je tirais les crocodilesavec mon équipe de travailleurs locaux, jecommençais à acheter des peaux de crocodileaux chasseurs indigènes. Ce négoce m’em-mena vers les tribus vivant le plus en amontdu Sépik, sur les rivières April, Frieda, May etLeonard-Schultze. Je m’exprimai rapidementtrès correctement en pidgin de même que

j’acquis une bonne connaissance pratique duIatmul (parlé sur le moyen Sépik).

C. H. : Quand avez-vous commencé à collec-ter pour les musées ?J. P. : Durant la période où je faisais dunégoce, j’ai rencontré le Dr Alfred Buhler, duMusée ethnographique de Bâle courant1963. Le Dr Buhler venait au Sépik depuis lesannées 50 et collectait activement sur le ter-rain pour son musée. Il s’intéressait à unepaire de tambours à fente du village deKamindibit que j’avais à l’époque en ma pos-session. À la suite de cette première affaire, jefus nommé représentant du musée pour larégion du fleuve Sépik et eus comme interlo-cuteur principal le professeur Carl Schmitz. J’entrepris plusieurs expéditions de collectepour Bâle, me concentrant sur les tribussituées au-delà d’Ambuti.Je récoltai une large variété d’objets allant desoutils aux tambours à fente en passant par lesarmes, les boucliers et autres objets d’art etd’ethnographie. Voici un exemple type d’unbordereau d’expédition tel que j’en envoyaisà Bâle : « 12 brassards tissés, 2 pilons à sagouvenant de Pawki sur la rivière Frieda, 1 brace-let d’archer. 4 gouges en dents de rat, 7charmes de chasse en os humain de Yapitowi,10 outils en pierre, 3 allume-feu de Yapitowi.Un bouclier de Walio. 3 boucliers de Palu. Unbouclier de Apiap. Un bouclier de Yapitowi.

Fig. 2. Habit céré-moniel, village deGwaia, fleuveRamu, 1962.Ex-coll. GeorgeKennedy. Appartient auxcollections del’UCLA, LosAngeles.

Fig. 3. Indigènesjouant de la flûtedansle hangar de

John Pasquarelli‚ à Angoram. Collectée dans le village deKubka, peupleWoguma. Illustréedans Crocodile & Cassowary‚ D. Newton,Museum of Primitive Art,1971, fig. 97et 98.

Art Tribal 04 / HIVER 2003 111

L’homme du Sépik : la vie de collectionneur de John Pasquarelli

Le dossier d’Art Tribal

Crispin Howarth : Comment vous êtes-vousretrouvé sur le fleuve Sépik ?John Pasquarelli : Je me suis rendu enPapouasie-Nouvelle-Guinée fin 1959, aprèsdes études à l’université de Melbourne et unemission dans les mines d’opale de CooberPedy au sud de l’Australie. Mon père et sonneveu avaient servi en Papouasie-Nouvelle-Guinée pendant la Seconde Guerre mondialeet un compagnon d’armes de mon père, BillDishon, qui travaillait pour l’administrationaustralienne dans ce pays après la guerre, merecruta en tant que « kiap » ou « aspirantofficier de patrouille » (kiap étant le termepidgin pour officier de patrouille). Ma pre-mière affectation fut le poste d’Angoram surle bas Sépik début 1960 où je fis mes classes.Je démissionnai de ma fonction avant mêmed’avoir accompli mes premiers vingt et unmois de service. Encouragé par JohnnyYoung, recruteur indigène et négociant établiavant la guerre, je décidai de rester sur lefleuve Sépik pour vivre de la chasse aux cro-codiles. Au début, je travaillais sur le fleuveRamu puis j’établis des magasins au posted’Ambuti sur le moyen Sépik, la May River età Amboin, mon camp de base se trouvant àAngoram. En 1964, alors que j’entamais à peine mavingt-septième année, je gagnai le sièged’Angoram aux élections de l’assemblée dePapouasie-Nouvelle-Guinée et je devins alorsle plus jeune membre d’un parlement duCommonwealth.

110 Art Tribal 04 / HIVER 2003

9 L’homme du Sépik : la vie de collectionneur de John Pasquarellipar Crispin Howarth

John Pasquarelli a vécu de nombreuses vies : politicien, chasseur de crocodiles, négociant, artiste

paysagiste, mineur, officier de patrouille et collecteur d’objets du Sépik. La plupart de ces pièces,

collectées sur le terrain, se trouvent aujourd’hui dans des musées, partout dans le monde, témoins des

cultures du Sépik.

Fig. 1 (page précé-dente). John Pas-quarelli en compa-gnie de son bou-clier préféré.

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d’un feu se consumant lentement. Ils ne tis-sent pas de nattes et j’en ai vu certains quidormaient pratiquement dans l’âtre. Les cou-vertures que je leur ai proposées dans leséchanges ont été fortement appréciées. »Le professeur Schmitz m’avait donné une listedes objets ethnographiques que le muséerecherchait tels que des gourdes à chaux, desustensiles, des outils, des instruments demusique, des tambours, etc. L’« art » étaitprésent sur cette liste en compagnie d’ins-tructions explicites : « Plus vous pénétrerezdans les montagnes, moins vous trouverez desculptures en bois ; à la place, les peintures,écorces ou vêtements nous intéressent demême que tous les ornements peints. Tous lestypes de sculptures en bois doivent êtrerecherchées. » J’ai un don naturel pour la collecte bien quene possédant aucune formation en matièrede beaux-arts ou d’anthropologie ou de quoique ce soit. Ma mère collectionnait les meu-bles coloniaux australiens et je partageais sonintérêt pour eux. À mon premier contact avecl’art du Sépik, j’ai été fortement impres-sionné, et, grâce à quelques informateurs, j’airapidement acquis une bonne connaissancede leurs cultures spectaculaires.

C. H. : Il est de notoriété publique que vousavez fait campagne contre les Missions chré-tiennes en Papouasie-Nouvelle-Guinée alorsque vous étiez un homme politique entre1964 et 1968. Pourquoi ? J. P. : Je me suis rapidement rendu compte, àla suite de discussions avec les indigènes etcertains Européens que la mission catholiqueen particulier avait, à travers les efforts de cer-tains de ses prêtres, causé beaucoup de tortaux cultures indigènes. Ces missionnaires inci-taient leurs catéchistes du Maprik et dumoyen Sépik à brûler les objets d’art et lesmaisons de réunion tambaran sous prétextequ’ils étaient l’œuvre du démon. Johnny Young, qui s’était installé au Sépikentre les deux guerres, me parlait abondam-ment du comportement de certains mission-naires catholiques allemands et de leur entre-prise de destruction des œuvres d’art. Àl’époque où j’étais impliqué dans la politique,j’ai fait campagne pour que les entreprisescommerciales des missions soient taxées dansla mesure où elles concurrençaient leshommes d’affaires indigènes ou expatriés.En 1965, j’ai déposé une motion pour que la

maison tambaran du village de Kanganaman— dont plusieurs des poteaux avaient étésculptés avant l’arrivée des Européens —, fûtdéclarée Patrimoine culturel national.Ma campagne « anti-mission » me valut letitre d’agent du démon de la part desmembres du Parlement qu’ils soient indigènesou expatriés. Mon sens de l’humour me per-mit de supporter cette critique pour le moinsexagérée.

C. H. : Je suppose que les missions avaientaussi des côtés positifs ? J. P. : De nombreuses missions œuvraient pourpromouvoir l’éducation et la santé. Ainsi, lefameux Père Franz Kirschbaum, prêtre appar-tenant à la société de la Parole divine officiantavant la Seconde Guerre mondiale, avait col-lecté plus d’un millier d’œuvres d’art qu’ilavait envoyées en Allemagne. Les générationsprésentes et futures des populations du Sépikpeuvent lui être reconnaissantes pour avoirdocumenté et sauvé ces pièces en lesenvoyant en Allemagne où elles ont pu êtreconservées dans de bonnes conditions.Mais il y avait également le revers de lamédaille : des prêtres comme le Père Lehner,de Marienberg, qui collecta beaucoup dansles régions des lacs Pora Pora et Murik, venditces pièces à des fins commerciales. Une destactiques pour acquérir ces objets reposait surune sorte d’intimidation religieuse : on disaitaux indigènes que leur art était l’œuvre dudémon et pouvait apporter des calamités àleur village.

C. H. : Pendant les années 1960, vit-on arriversur le marché de l’« art d’aéroport », desobjets pour touristes ou des pièces faites dansle seul but d’être vendues à des amateurs ? J. P. : Autant que je sache, il n’y eut pas deproductions de faux indigènes avant quequelques Européens ne s’en occupent à la findes années 60. Ainsi il y avait un Australien marié à une indi-gène du moyen Sépik qui était un excellentsculpteur de flûtes de la rivière Yuat et plu-sieurs d’entre elles arrivèrent sur le marchéavec d’autres pièces mineures. Franz Panzenbock, marchand sur le sépik fitexécuter une copie d’un crocodile koreworiinterdit à l’exportation et s’en servit pour rem-placer l’original qui fut expédié en Europe. Lesindigènes furent ravis de coopérer à cettefraude dans la mesure où ils furent très géné-

Art Tribal 04 / HIVER 2003 113

L’homme du Sépik : la vie de collectionneur de John Pasquarelli

Une proue de canoë de Kubkain. Une prouede canoë de Swagup... »J’ai même envoyé à Bâle une petite case debrousse, après avoir numéroté tous ses com-posants pour qu’elle puisse être reconstituée !

C. H. : Lors de vos expéditions, qu’escomp-taient les indigènes en échange de leursobjets ?J. P. : Quand je négociais avec les gens duhaut Sépik, j’échangeais principalement desmarchandises : à cette époque, l’argent neprésentait que peu d’intérêt pour eux car ilsn’étaient pas encore engagés dans desformes moderne de commerce. L’acier sous laforme de haches, de machettes ou de cou-teaux était extrêmement apprécié, de mêmeque n’importe quel acier ou fer brut pouvantservir à fabriquer un outil. Des lames platesremplacèrent rapidement les haches enpierre.Le bouclier représenté sur une des photosillustrées ici fut échangé contre de l’acier1.Près de trente hommes de Samambu étaientprésents quand je négociai ces boucliers et jeme rendis compte qu’ils ne disposaient que

d’une seule très petite hachette en acier qu’ilsse partageaient entre eux. C’était une antiquehache allemande usée pratiquement jusqu’aumanche : quelle excitation fut la leur quand jeleur tendis plusieurs haches, couteaux etmachettes !

C. H. : En tant que leur représentant, le muséevous demandait-il des informations d’ordreethnologique sur les indigènes que vous ren-contriez ? J. P. : Oui, on attendait de moi tous les détailshabituels sur la provenance des objets et jen’hésitais pas à rédiger des rapports détailléslorsque c’était nécessaire. Par exemple, ilm’arriva d’écrire : « Dans le village de Pakwi,j’ai observé un groupe d’indigènes en train demanger des moustiques. Ils attendent patiem-ment qu’un moustique se pose sur leur peauet alors ils l’écrasent et l’avalent. J’ai vu un typemanger vingt moustiques de cette façon. Jen’ai jamais observé ça ailleurs. » Ou encore :« En amont de la rivière Frieda et de la Leo-nard-Schultze, les gens dorment sans protec-tion contre les moustiques, étendus sur dessortes de plates-formes très dures, au-dessus

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Crispin Howarth

Le dossier d’Art Tribal

Fig. 4. Crochet àsuspension, villagede Kanganaman,fleuve Sépik, avant 1966.Désormais auMetropolitanMuseum of Art,New York..

Fig. 5. Détaild’une pagaiesculptée par Lud-wig Somare Sana, village de Karau,Murik Lakes. Longueur de lapagaie : 2,07 m,hauteur de la statue : 33 cm.

Page 25: Le dossier d’Art tribal - EditionsD Homepage · en somme, qui ne préjuge en rien de sa qua- ... Océanie, on trouve normal d’étudier le rap-port aux objets de ces populations,

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pour résoudre le conflit, avaient décidé dedétruire les tambours. Weliwan m’organisaune rencontre avec les chefs de clan et j’ob-jectai alors que s’ils brûlaient les tambours ilne leur resterait qu’un tas de cendres. Je leursuggérai qu’il vaudrait beaucoup mieux qu’ilsme les vendent et que je les emporte, ce quiréglerait le conflit. Ces pièces furent ainsi sau-vées d’une destruction certaine et sont main-tenant au Metropolitan Museum de NewYork.

C. H. : Y avait-il beaucoup de visiteurs auSépik ? J. P. : Angoram avait une population euro-péenne d’environ trente personnes et Ambutid’une demi-douzaine. Il s’agissait donc detrès petites communautés. Un ancien kiapcommença à organiser des voyages à la findes années 60 à partir d’Ambuti mais, aupa-ravant, les visiteurs n’étaient pas vraimentnombreux, à l’exception des gens des muséescomme Anthony Forge, Jean Guiart, AlfredBuhler et d’autres. En 1963, le Dr George Kennedy arriva auSépik et m’acheta beaucoup d’objets prove-nant des lacs Murik, du Korewori et dumoyen Sépik. Nombre des pièces que je lui aivendues sont maintenant conservées à l’Uni-versité de Californie (UCLA), à Los Angeles. Douglas Newton et moi devinrent des amis.Le crochet de suspension kanganaman quevous voyez sur la fig. 4 fut décrit de la façonsuivante par Newton dans une note jointe àun exemplaire de Masterpieces of PrimitiveArt : « Mon cher Jack, voici le livre où, enpage 167, tu reconnaîtras le crochet que tuavais collecté à Kanganaman et que j’ai étéassez malin pour t’acheter à Ambuti en 1967pour la collection Rockefeller. Cela fait dix-huit ans qu’il est exposé au Metropolitan. Jecontinue à penser que c’est une des plusjolies petites sculptures du Sépik. » J’ai gardé le contact avec Doug pendant denombreuses années jusqu’à sa mort à NewYork, deux jours après le 11 septembre 2001.Son souvenir restera toujours vivant pour tousceux qui tombèrent sous le charme des mer-veilles conçues en Papouasie-Nouvelle-Gui-née.

C. H. : Vous souvenez-vous de certaines despièces rares sinon uniques que vous avez col-lectées ? J. P. : Oui, outre celles que nous avons déjà

évoquées, il y eut un tablier cérémoniel enforme de crocodile, fait de coquillages mon-tés sur une trame tissée de fibre végétale quiétait un chef-d’œuvre absolu. Je l’avais col-lecté dans le village de Gwaia sur le fleuveRamu en 1962. La photographie (fig. 2) futprise le jour ou j’acquis cette pièce de sonpropriétaire qui le porte. J’ai vendu ce tablierau Dr Kennedy en 1963 et il figure mainte-nant dans la collection de l’UCLA où je croisqu’il n’a pas été exposé depuis 19672. Jeconsidère qu’il s’agit d’une pièce très rare quimériterait d’être mieux considérée. J’ai fait des donations non négligeables aumusée de Port-Moresby et l’objet le plussignificatif que je leur ai offert est un trèsvieux tambour à fente du village de Kubkainsur le haut Sépik. La pagaie que vous voyez dans mon salon(fig. 5) me fut donnée en 1961 par son sculp-teur, Ludwig Somare Sana, un policier quiretourna dans son village de Karau en 1947après une longue carrière. Il était le père duPremier ministre actuel de Papouasie-Nouvelle-Guinée, Michael Somare. Le titre de « sana »‚ était donné au chef deguerre traditionnel suprême des villages deKarau, Kis et Kaup sur les lacs Murik. Cettepagaie revêt pour moi une grande valeur sen-timentale et je ne m’en séparerai probable-ment jamais.

Notes1. A propos de deux boucliers collectés par John Pasqua-

relli, voir : Art of the Sepik River‚ S. Greub, Basel TribalArt Centre, 1985, pl. 6. ; et Crocodile and Cassowary‚D. Newton, Museum of Primitive Art, 1971, fig. 21.

2. Dans « Art of New Guinea : Sepik, Maprik and High-lands »‚ Ethnic Art Galleries UCLA. Le catalogue de l’ex-position ne comporte pas d’image du tablier mais uneréférence 109 « représentation de crocodile (Village deGuaia, Pora Pora), fibre végétale, coquillages, cheveuxhumains, dents de chien et plumes. Trame en fibrevégétale recouverte de coquillages avec un crocodile entrois dimensions. Porté dans le dos des hommes. 44 Inches. X64/788 Don du Dr George Kennedy. »

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reusement payés pour leur travail. La copiefut conservée au village pour tromper lesautorités : ces crocodiles étant périodique-ment remis en état, il était difficile aux agentsde l’État de se souvenir d’une sculpture aper-çue quelques années auparavant lors de leurdernière visite, ce qui leur aurait permis de serendre compte du subterfuge.La substitution et l’exportation de cette œuvred’art furent un bon exemple de la façon dontétaient perçues par les indigènes les interdic-tions d’exporter du gouvernement : encoreune loi pour les empêcher d’acquérir desmoteurs pour leurs canoës.Je pense que l’administration australienne amis du temps à se rendre compte qu’elle avaitété victime d’une escroquerie menée par desprofessionnels.À l’époque, l’administration aurait payé un

bon prix pour des crocodiles korewori et lesaurait expédiés en lieu sûr à Port-Moresby ouà Wewak. En tout état de cause, ces objetssont conservés avec soin et, qui sait, peut-êtrequ’un jour ou l’autre ils reviendront enPapouasie-Nouvelle-Guinée.

C. H. : Que sont devenus les tambours à fentekamindibit dont vous parliez tout à l’heure ? J. P. : Je les ai vendus en 1967 à Douglas New-ton pour le musée d’Art primitif à New Yorkmais ils étaient déjà en ma possession depuisdes années à l’époque où j’étais en affairesavec le Dr Buhler. La raison pour laquelle j’ai pu acheter despièces d’une telle importance est que monpartenaire, Weliwan‚ originaire du village deKamindibit, m’avait appris que deux clans sedisputaient terriblement à leur propos et,

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Crispin Howarth

Fig. 6. John Pas-quarelli etMiriawe échan-geant de l’aciercontre des bou-cliers au camp deSamambu Bush.Le bouclier dedroite est mainte-nant conservé parle musée de Bâle.