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Le droit au suicide assisté dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme Dr. Grégor Puppinck / Dr. Claire de la Hougue Proposition de citation : Grégor Puppinck / Claire de la Hougue, Le droit au suicide assisté dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, in : Jusletter 27 janvier 2014 ISSN 1424-7410, www.jusletter.ch, Weblaw AG, [email protected], T +41 31 380 57 77 La CEDH construit un droit conventionnel au suicide assisté qui découle d'une vision du sui- cide comme expression de l'autonomie individuelle. Ainsi, ce « droit » ne trouve pas sa cause dans la souffrance, mais dans la liberté, rendant incohérent le fait de le réserver aux person- nes grabataires. La seule responsabilité de l'Etat serait d'éviter les abus en veillant à la qualité de la volonté de mort. La Cour transcrit ainsi l'individualisme et le matérialiste contemporains, révolutionnant un fondement de la Convention : la dignité humaine ne serait plus inhérente, mais relative et rélexive, absorbée dans la liberté individuelle. Domaine(s) juridique(s) : Droit de la santé ; Droit à la vie. Liberté personnelle ; Articles scientiiques

Le droit au suicide assisté dans la jurisprudence de la ... · 6 « Bilan des expériences étrangères sur le suicide assisté et l'e uthanasie », Annexe 2 à l'avis n° 121 du

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Le droit au suicide assisté dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme

Dr. Grégor Puppinck / Dr. Claire de la Hougue

Proposition de citation : Grégor Puppinck / Claire de la Hougue, Le droit au suicide assisté dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, in : Jusletter 27 janvier 2014

ISSN 1424-7410, www.jusletter.ch, Weblaw AG, [email protected], T +41 31 380 57 77

La CEDH construit un droit conventionnel au suicide assisté qui découle d'une vision du sui-cide comme expression de l'autonomie individuelle. Ainsi, ce « droit » ne trouve pas sa cause dans la souffrance, mais dans la liberté, rendant incohérent le fait de le réserver aux person-nes grabataires. La seule responsabilité de l'Etat serait d'éviter les abus en veillant à la qualité de la volonté de mort. La Cour transcrit ainsi l'individualisme et le matérialiste contemporains, révolutionnant un fondement de la Convention : la dignité humaine ne serait plus inhérente, mais relative et rélexive, absorbée dans la liberté individuelle.

Domaine(s) juridique(s) : Droit de la santé ; Droit à la vie. Liberté personnelle ; Articles scientiiques

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Grégor Puppinck / Claire de la Hougue, Le droit au suicide assisté dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, in : Jusletter

27 janvier 2014

Table des matières

1. IntroductionI. Les étapes de la création d'un droit conventionnel au suicide assisté

1. L'arrêt Pretty contre le Royaume-Uni2. L'arrêt Haas contre la Suisse3. L'arrêt Koch contre l'Allemagne4. L'arrêt Gross contre la Suisse

II. Les questions de fond1. L'afirmationd'undroitmatérielconventionnelparlavoiepériphériquedesobliga-

tions procédurales2. Droit à la qualité de la vie (art. 8) v. droit à la vie (art. 2) : changement de paradig-

me de la Convention3. LerôledelaCouretleprincipedesubsidiarité

1. Introduction

[Rz 1] Le droit à la vie est le premier dans la liste des droits

énumérés par la Convention européenne de sauvegarde des

droits de l'homme et des libertés fondamentales (ci-après :

la Convention). Il igure à l'article 2, qui n'est pas susceptible de dérogation même en cas de guerre ou de danger public

menaçant la vie de la nation (article 15). L'article 2 énonce

de façon limitative les cas dans lesquels le fait d'inliger la mort n'est pas considéré comme une violation : la légitime

défense, l'arrestation régulière et la répression d'une émeute

conformément à la loi, à condition que le recours à la force ait

été absolument nécessaire. La peine de mort, encore admise

à l'époque de la Convention, a été exclue même en cas de

circonstances exceptionnelles par les protocoles 6 et 13.

[Rz 2] Le droit à la vie bénéicie donc d'une protection particu-

lièrement forte au titre de la Convention. Celle-ci oblige l'Etat

non seulement à s'abstenir d'inliger la mort mais aussi à pro-

téger la vie1 en prenant des mesures positives, notamment

en interdisant le meurtre, l'euthanasie ou l'aide au suicide.

[Rz 3] C'est dans ce contexte qu'a émergé récemment la

demande de reconnaissance d'un droit à mourir, par eu-

thanasie ou par suicide assisté. Cette demande a été for-

mulée principalement sur la base de l'article 2 lui-même, et

sur celle de l'article 8 garantissant le respect de la vie privée

et familiale. Jusqu'au fameux arrêt Pretty contre Royaume-

Uni2, on ne trouve presque pas trace de jurisprudence dans

le système de la Convention ayant trait directement à cette

problématique. Il faut noter une décision de 1983, par laquel-

le l'ancienne Commission avait jugé irrecevable la requête

d'une personne condamnée pour avoir prêté assistance à la

commission d'un suicide. Elle avait alors statué ainsi :

1 Arrêt CEDH L.C.B.c. Royaume-Uni du 9 juin 1998, req. 23413/94, § 36 ; Arrêt CEDH Association of Parents c. Royaume-Uni du 12 juillet 1978, req. 7154/75 : « La Commission estime que la première phrase de l'article

2 impose à l'Etat une obligation plus large que celle que contient la deuxi-

ème phrase. L'idée que « le droit de toute personne à la vie est protégé par

la loi » enjoint à l'Etat non seulement de s'abstenir de donner la mort « in-

tentionnellement », mais aussi de prendre les mesures nécessaires à la

protection de la vie ». 2 Arrêt CEDH Pretty c. Royaume-Uni du 29 avril 2002, (GC), req. 2346/02.

« La Commission n'estime pas que l'activité pour la-

quelle le requérant a été condamné, à savoir assis-

tance au suicide, puisse être décrite comme relevant

de la vie privée, telle que cette notion a été élaborée.

On peut certes envisager que pareille activité touche di-

rectement à la vie privée du candidat au suicide, mais il

ne s'ensuit pas que les propres droits du requérant à la

vie privée aient été mis en jeu. La Commission estime

au contraire que les actes d'assistance, de conseil ou

d'aide au suicide sont exclus de la notion de vie privée

car ils portent atteinte à l'intérêt général de la protection

de la vie, telle que traduit dans les dispositions pénales

de la loi de 1961 »3 .

[Rz 4] Dans la même affaire, le requérant se plaignait

d'atteinte à sa liberté d'expression. La Commission a admis

l'ingérence mais l'a jugée justiiée :

« La Commission estime que, dans les circonstances

de la cause, il y a eu ingérence dans l'exercice du droit

du requérant à communiquer des informations. Elle doit

cependant tenir compte à cet égard de l'intérêt légitime

de l'Etat à prendre des mesures visant à protéger de

tout comportement criminel la vie des citoyens, notam-

ment de ceux qui sont particulièrement vulnérables en

raison de leur âge ou de leur inirmité. Elle reconnait le droit de l'Etat au regard de la Convention à se prémunir

contre les inévitables abus criminels qui se produiraient

en l'absence d'une législation punissant l'assistance au

suicide. Le fait qu'en l'espèce le requérant et son as-

socié semblent avoir été bien intentionnés ne change

rien, aux yeux de la Commission, à la justiication de l'intérêt général »4 .

[Rz 5] Cela étant, quatre Etats européens ont depuis admis la

pratique du suicide assisté et, pour certains, de l'euthanasie

active5. L'assistance au suicide consiste à fournir au can-

didat au suicide les moyens de se suicider, par exemple

une substance létale, mais c'est l'intéressé qui accomplit

le dernier acte, celui qui donne la mort. Au contraire, dans

le cas d'euthanasie ou meurtre à la demande de la victime,

c'est l'assistant qui commet l'acte. En Belgique, le nombre

d'euthanasies oficiellement recensées double quasiment tous les quatre ans : il est passé de 349 en 2004 à 1432 en

2012. Aux Pays-Bas, le nombre d'euthanasies a augmenté

de 74 % entre 2003 et 2010. Des abus6 ont été signalés, aussi

3 Arrêt CEDH R. contre Royaume-Uni du 4 juillet 1983, req. 10083/82, § 13. 4 Id. § 17. 5 Pays-Bas,loidu12avril2001;Belgique,loidu28mai2002;Luxembourg,

loi du 16 mars 2009. La Suisse tolère l'assistance au suicide lorsque le motif n'est pas égoïste mais interdit l'euthanasie.

6 « Bilan des expériences étrangères sur le suicide assisté et l'euthanasie », Annexe 2 à l'avis n° 121 du Comité national consultatif d'éthique sur Fin de

vie, autonomie de la personne, volonté de mourir, 1er juillet 2013.

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Grégor Puppinck / Claire de la Hougue, Le droit au suicide assisté dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, in : Jusletter

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bien en Belgique7, qu'en Suisse8 et aux Pays Bas, en particu-

lier par le Comité des droits de l'homme de l'ONU9.

[Rz 6] Si la Cour a noté que « l'on ne saurait sous-estimer les

risques d'abus inhérents à un système facilitant l'accès au

suicide assisté »10, elle n'a pas adopté une attitude de prin-

cipe opposée au suicide assisté ni même à l'euthanasie11.

La Cour a non seulement toléré cette pratique, mais plus

encore progressivement développé un véritable droit con-

ventionnel au suicide assisté ainsi qu'un cadre procédural

impliquant des obligations positives pour l'Etat. Pour cela,

elle a progressivement étendu à la mort volontaire le champ

d'application de l'article 8 relatif au respect du droit à la vie

privée et familiale et développé les obligations procédurales

de l'Etat en cette matière (I). Cette jurisprudence soulève des

questions de fond, tant au regard du contenu de la Conventi-

on elle-même que de son rôle à l'égard des Etats parties (II).

I. Les étapes de la création d'un droit

conventionnel au suicide assisté

[Rz 7] Le suicide n'est plus pénalement ni civilement sanc-

tionné dans les Etats membres du Conseil de l'Europe. Les

individus peuvent donc attenter à leurs jours sans risquer la

prison en cas d'échec ni des conséquences civiles sur leur

sépulture ou leur patrimoine en cas de décès. Il s'agit d'une

faculté qui ne dispense cependant pas l'Etat de sa responsa-

bilité de faire ce qui est en son pouvoir pour prévenir les sui-

cides12. D'une telle faculté, la Cour a progressivement glissé

7 Voir É. de diesbach, M. de Loze, c. brochier et e. Montero, Euthanasie : 10 ans

d'application de la loi en Belgique », Institut Européen de Bioéthique, av-ril2012,Bruxelles.Accessibleà l'adressehttp://www.ieb-eib.org/fr/pdf/euthanasie-belgique-10-ans-de-depenalisation.pdf (dernière consultation en janvier 2014).

8 Problèmes de l'assistance médicale au suicide, Prise de position de laCommission Centrale d'Éthique (CCE) de l'Académie suisse de sciences médicales, 20 janvier 2012, qui révèle « des pratiques indéfendables de

l'assistance médicale au suicide, que ce soit avec ou sans la participa-

tion d'une organisation d'assistance au suicide. Les situations délicates

concernent notamment l'évaluation de la capacité de discernement et de

la persistance du désir de mourir, l'exclusion des proches ou du médecin

traitant (dans ce cas le problème réside dans le fait que les proches ou le

médecin de famille ne peuvent être informés qu'avec l'autorisation d'un

patient capable de discernement), la prise en considération des antécé-

dents médicaux du patient, l'assistance au suicide chez les malades psy-

chiques, les malades chroniques et les personnes d'un âge avancé, « fati-

guées de vivre » ». 9 Observations finales duComitédes droits de l'hommede l'ONUsur les

rapports présentés par lesPays-Bas, 25 août 2009,CCPR/C/NLD/CO/4,§ 7. Accessible à l'adresse http://daccess-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/G09/445/63/PDF/G0944563.pdf?OpenElement (dernière consultati-on en janvier 2014).

10 Arrêt CEDH Haas contre la Suisse du 20 janvier 2011, req. 31322/07, § 58. 11 Ellearejetécommemanifestementirrecevableunerequêterédigéeparle

Professeur oLivier de schutteretintroduiteparl'associationbelge«Juri-vie » contre la loi sur l'euthanasie (archives personnelles).

12 Le suicide est l'une des principales causes de mortalité des jeunes dans

vers une liberté, et de là à un droit de se suicider : tout ce qui

n'est pas interdit sous peine de sanction est autorisé, donc

le suicide est autorisé, donc j'ai le droit de me suicider. C'est

alors qu'a surgi la question des personnes qui souhaitent se

suicider mais ne sont pas en mesure de le faire par elles-

mêmes, en raison de leur état de santé : leur liberté de se

suicider n'est pas effective. L'Etat doit-il les « forcer » à vivre,

notamment en sanctionnant ceux qui les aiderait à se suici-

der, ou fermer les yeux, voire les aider à mettre in à leurs jours ? Plus encore, l'Etat peut-il empêcher les individus de

se suicider de façon « propre », sûre et sans douleur en leur

interdisant l'accès aux poisons et services appropriés ?

[Rz 8] La jurisprudence de la Cour conduit clairement à

l'acceptation d'un droit au suicide assisté, progressivement

élaboré depuis une douzaine d'années par les quatre ar-

rêts qui vont être présentés ci-dessous. La Cour parle ex-

clusivement de suicide assisté, même dans les cas où la

situation du candidat au suicide le met dans l'impossibilité

d'accomplir lui-même l'acte létal. Dans ce cas, il s'agit en réa-

lité d'euthanasie.

1. L'arrêt Pretty contre le Royaume-Uni

[Rz 9] La première pierre dans l'édiication d'un droit à l'euthanasie a été posée par l'arrêt Pretty contre le Royaume-

Uni du 29 avril 200213, adopté par la quatrième section de

la Cour, à l'unanimité. La requérante souffrait d'une maladie

neurodégénérative conduisant à la mort dans de grandes

souffrances. Totalement paralysée, elle souhaitait mettre in à ses jours mais avait pour cela besoin de la coopération de

son mari. Elle avait tenté en vain d'obtenir des autorités judi-

ciaires l'assurance que celui-ci ne ferait pas l'objet de pour-

suites pénales. Elle saisit alors la Cour en soutenant notam-

ment que l'article 2 protégeait le droit à la vie contre les tiers

mais n'empêchait pas de mettre in à sa propre vie et que l'interdiction du suicide assisté portait atteinte à sa vie privée,

en particulier à un droit à l'autodétermination.

[Rz 10] La Cour a d'abord examiné l'affaire sous l'angle de

l'article 2, soulignant qu'elle a toujours « mis l'accent sur

l'obligation pour l'Etat de protéger la vie »(§ 39). Elle a relevé

la différence entre le droit à la vie et les libertés qui présen-

tent un aspect positif (un droit d'agir) et un aspect négatif (un

droit de ne pas agir). Ainsi, la liberté de religion garantit la

faculté de croire comme celle de ne pas croire, et le droit de

se marier implique celui de ne pas se marier. Il n'en va pas

de même pour la protection de la vie, comme l'a expliqué la

Cour :

« Elle n'est pas persuadée que le « droit à la vie »

denombreuxpays,d'oùl'instaurationd'unejournéemondialedepréven-tiondusuicidesousl'égidedel'OMS,le10septembre2012.Accessibleàl'adresse http://www.who.int/mental_health/prevention/suicide/suicide-prevent/fr/index.html (dernière consultation en janvier 2014).

13 Arrêt CEDH Pretty c. Royaume-Uni du 29 avril 2002, (GC), req. 2346/02.

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Grégor Puppinck / Claire de la Hougue, Le droit au suicide assisté dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, in : Jusletter

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garanti par l'article 2 puisse s'interpréter comme com-

portant un aspect négatif. Il n'a aucun rapport avec les

questions concernant la qualité de la vie ou ce qu'une

personne choisit de faire de sa vie. Dans la mesure où

ces aspects sont reconnus comme à ce point fonda-

mentaux pour la condition humaine qu'ils requièrent une

protection contre les ingérences de l'Etat, ils peuvent

se reléter dans les droits consacrés par la Convention ou d'autres instruments internationaux en matière de

droits de l'homme. L'article 2 ne saurait, sans distorsion

de langage, être interprété comme conférant un droit

diamétralement opposé, à savoir un droit à mourir ; il ne

saurait davantage créer un droit à l'autodétermination

en ce sens qu'il donnerait à tout individu le droit de

choisir la mort plutôt que la vie » (§ 39).

[Rz 11] La Cour en conclut « qu'il n'est pas possible de dé-

duire de l'article 2 de la Convention un droit à mourir, que ce

soit de la main d'un tiers ou avec l'assistance d'une autorité

publique » (§ 40).

[Rz 12] En revanche, sur le terrain de l'article 8, la Cour a

d'abord constaté que « la requérante en l'espèce est empê-

chée par la loi d'exercer son choix d'éviter ce qui, à ses yeux,

constituera une in de vie indigne et pénible » (§ 67). Tout en utilisant une formulation hypothétique, la Cour fait entrer ce

choix dans le champ de l'article 8 : « La Cour ne peut exclu-

re que cela représente une atteinte au droit de l'intéressée

au respect de sa vie privée, au sens de l'article 8 § 1 de la

Convention. Elle examinera ci-dessous la question de savoir

si cette atteinte est conforme aux exigences du second para-

graphe de l'article 8 » (§ 67). Ce « ne peut exclure » signiie en réalité « admet » : la Cour fait entrer l'exercice de ce choix

dans le champ d'application de l'article 8. La Cour réalise ce

que la Commission « envisageait » dans sa décision R. con-

tre Royaume-Uni14, à savoir « que pareille activité touche di-

rectement à la vie privée du candidat au suicide ». Dans cette

perspective libérale, toute limitation par l'Etat à l'exercice de

ce choix doit à présent être justiiée, c'est-à-dire nécessaire et proportionnée.

[Rz 13] Ayant exclu l'existence d'un droit à l'autodétermination

au titre de l'article 2, la Cour a admis un droit au respect de

l'autonomie personnelle relevant de l'article 8. L'exercice de

ce droit est cependant conditionné par les exigences de

sécurité et de santé publiques qui, en l'espèce, ont condu-

it la Cour à conclure à l'absence de violation en raison de

l'existence de « risques manifestes d'abus, nonobstant les

arguments développés quant à la possibilité de prévoir des

garde-fous et des procédures protectrices » (§ 74)15.

14 Arrêt CEDH R. contre Royaume-Uni du 4 juillet 1983, req. 10083/82. 15 « Plus grave est le dommage encouru et plus grand est le poids dont

pèseront dans la balance les considérations de santé et de sécurité pu-

bliques face au principe concurrent de l'autonomie personnelle. (…) Il

incombe au premier chef aux Etats d'apprécier le risque d'abus et les con-

séquences probables des abus éventuellement commis qu'impliquerait un

[Rz 14] Dans l'affaire Pretty, tout en ayant conclu à l'absence

de violation, la Cour a admis que le suicide assisté relève du

champ de l'autonomie personnelle, laquelle peut se prévaloir

de la Convention au titre de l'article 8.

2. L'arrêt Haas contre la Suisse

[Rz 15] La deuxième étape de la reconnaissance du droit à

l'euthanasie a été franchie avec l'arrêt Haas contre la Suisse

adopté le 20 janvier 201116 par la première section de la Cour,

à l'unanimité. Par cet arrêt, la Cour a fait passer le suicide as-

sisté de la qualité de liberté individuelle à celle de droit con-

ventionnel. Cet arrêt a été reconnu comme proclamant « un

véritable droit conventionnel au suicide »17, consacrant « bel

et bien un droit de décider de sa propre mort, et esquisse

même, à la charge des États, une « obligation positive » de

fournir à toute personne douée de discernement les moyens

de se donner la mort »18.

[Rz 16] En Suisse, le meurtre à la demande de la victime

ainsi que l'incitation et l'assistance au suicide motivées

par des « motifs égoïstes » sont pénalement sanctionnés

(Code pénal suisse, CP, art. 114 et 11519). Toutefois, un

médecin peut légalement prescrire une substance létale à

un patient en in de vie s'il respecte les conditions établies par la jurisprudence du Tribunal fédéral20. Le Tribunal fédé-

ral a souligné le caractère exceptionnel de cette pratique :

« l'assistance au suicide ne saurait être considérée comme

faisant partie des activités du médecin, parce qu'elle va en

soi à l'encontre des buts de la médecine »21. Ce Tribunal a

observé que « l'obligation de présenter une prescription mé-

dicale repose sur une base légale claire, accessible et prévi-

sible »22 tant en droit interne qu'en droit international et ajouté

que cette prescription doit respecter la déontologie médicale

assouplissement de l'interdiction générale du suicide assisté ou la créati-

on d'exceptions au principe. Il existe des risques manifestes d'abus, no-

nobstant les arguments développés quant à la possibilité de prévoir des

garde-fous et des procédures protectrices » (§ 74). 16 Arrêt CEDH Haas contre la Suisse du 20 janvier 2011, req. 31322/07. 17 Jean-Pierre MarguÉnaud, « Le droit de se suicider de manière sûre, digne et

indolore », RTD Civ. 2011 p. 311 (à propos de Arrêt CEDH Haas contre la

Suisse du 20 janvier 2011, req. 31322/07). 18 oLivier bacheLet, « Droit au suicide: un nouveau jalon posé par la Cour eu-

ropéenne », Dalloz actualité, 3 février 2011. (Arrêt CEDH Haas contre la

Suisse du 20 janvier 2011, req. 31322/07). 19 « Article 114 – Meurtre à la demande de la victime : Celui qui, cédant à

un mobile honorable, notamment à la pitié, aura donné la mort à une per-

sonne à la demande sérieuse et instante de celle-ci sera puni d'une peine

privative de liberté de trois ans au plus ou d'une peine pécuniaire. Article

115 – Incitation et assistance au suicide : Celui qui, poussé par un mobile

égoïste, aura incité une personne au suicide, ou lui aura prêté assistance

en vue du suicide, sera, si le suicide a été consommé ou tenté, puni d'une

peine privative de liberté de cinq ans au plus ou d'une peine pécuniaire ». 20 Arrêtdu3novembre2006,longuementcitédansl'arrêtHaas, § 16 21 Arrêtdu3novembre2006,§6.3.422 Arrêtdu3novembre2006,§6.3.2

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Grégor Puppinck / Claire de la Hougue, Le droit au suicide assisté dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, in : Jusletter

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formulée dans les directives médico-éthiques de l'Académie

suisse des sciences médicales sur la prise en charge des

patients en in de vie23. Ces règles précisent à quelles condi-

tions un patient peut recevoir cette prescription : elles sont re-

latives notamment à son état de santé, à son information et à

l'expression de sa volonté24. Un médecin qui ne respecterait

pas ce cadre s'exposerait à des sanctions civiles, pénales et

disciplinaires.

[Rz 17] Dans l'affaire Haas, le requérant, souffrant d'un trou-

ble psychique, souhaitait se suicider en utilisant une subs-

tance létale, soumise à prescription médicale conformément

à la loi suisse. Ne rentrant pas dans le cadre prévu par cette

législation, il tenta en vain d'obtenir une dérogation ain de se procurer cette substance sans ordonnance médicale. Il

se plaignait de ce que cette impossibilité portait atteinte à

son droit à la vie privée, tel que protégé par l'article 8 de la

Convention. En l'espèce, le requérant n'étant ni atteint d'une

maladie mortelle ni inirme, rien ne l'empêchait de se suicider par ses propres moyens. Il considérait cependant que l'Etat

aurait dû lui fournir les moyens médicamenteux de se suici-

der sans douleur et sans risque d'échec.

[Rz 18] Dans l'arrêt Pretty, la Cour avait émis l'hypothèse

qu'être empêché par la loi « d'exercer son choix » de mettre

in à ses jours pouvait constituer une atteinte au respect de sa vie privée. Dans l'arrêt Haas, la Cour est allée plus loin,

glissant du « choix » reconnu par l'arrêt Pretty au « droit » de

se suicider. La Cour a ainsi formulé le principe nouveau su-

ivant lequel « le droit d'un individu de décider de quelle ma-

nière et à quel moment sa vie doit prendre in, à condition qu'il soit en mesure de forger librement sa propre volonté à

ce propos et d'agir en conséquence, est l'un des aspects du

droit au respect de sa vie privée au sens de l'article 8 de la

Convention »(§ 51). La Cour reconnaissait là explicitement

le droit de se suicider de manière sûre, digne et indolore25.

A ce droit étaient associées deux conditions visant la qualité

23 Problèmes de l'assistance médicale au suicide, Prise de position de laCommission Centrale d'Éthique (CCE) de l'ASSM, 20 janvier 2012 : « Les

directives de l'ASSM sur la « prise en charge des patientes et patients en

fin de vie » limitent l'assistance au suicide à un espace de temps défini.

Selon ces directives, un médecin peut supposer que la fin de vie est pro-

che lorsque, se fondant sur des signes cliniques, il a acquis la conviction

que s'est installé un processus dont on sait par expérience qu'il entraîne

la mort en l'espace de quelques jours ou de quelques semaines. La CCE

est consciente que ces directives excluent les personnes désirant mettre

fin à leur vie parce qu'elles sont fatiguées de vivre ou qu'elles considèrent

leur qualité de vie insuffisante, mais n'étant pas en fin de vie. Ce point est

en accord avec l'attitude fondamentale de l'ASSM soulignée à maintes re-

prises, selon laquelle l'instauration croissante de l'assistance au suicide

relève de la responsabilité de la société dans son ensemble et ne peut être

déléguée au corps médical ». 24 http://www.samw.ch/fr/Ethique/Directives/actualite.html (dernière con-

sultation en janvier 2014). 25 Jean-Pierre MarguÉnaud, « Le droit de se suicider de manière sûre, digne et

indolore », RTD Civ. 2011 p. 311 (à propos de Arrêt CEDH Haas contre la

Suisse du 20 janvier 2011, req. 31322/07).

de la volonté du candidat au suicide et sa capacité à « agir

en conséquence »(cette seconde condition est ambigüe).

L'existence du droit conventionnel au suicide n'est pas subor-

donnée à ces deux conditions, car en tant que droit subjectif

il existe par le sujet lui-même ; celles-ci conditionnent seule-

ment la garantie publique du droit au titre de l'article 826.

[Rz 19] La question soulevée concernait donc l'existence ou

non d'une obligation positive de l'Etat de fournir au requérant

les moyens de se suicider de façon sûre et indolore.

[Rz 20] Bien que la requête fût examinée uniquement au re-

gard de l'article 8, la Cour a rappelé qu'il fallait lire la Conven-

tion comme un tout : « il convient de se référer, dans le cadre

de l'examen d'une éventuelle violation de l'article 8, à l'article

2 de la Convention, qui impose aux autorités le devoir de pro-

téger les personnes vulnérables même contre des agisse-

ments par lesquels elles menacent leur propre vie » (§ 54).

Comme dans l'affaire Pretty, c'est compte tenu des « risques

d'abus inhérents à un système facilitant l'accès au suicide

assisté »(§ 58) que la Cour a jugé que l'exigence d'une or-

donnance pour obtenir une substance létale n'était pas dis-

proportionnée pour la protection de la santé et de la sécurité

publiques et la prévention des infractions pénales.

[Rz 21] Cela étant, on peut s'interroger avec Olivier Bachelet :

« comment la Cour peut-elle afirmer que « le droit à la vie

garanti par l'article 2 de la Convention oblige les Etats à mett-

re en place une procédure propre à assurer qu'une décision

de mettre in à sa vie corresponde bien à la libre volonté de l'intéressé » (§ 58), sans remettre en cause l'afirmation con-

tenue dans le § 39 de l'arrêt Pretty selon laquelle l'article 2 ne

saurait « créer un droit à l'autodétermination en ce sens qu'il

donnerait à tout individu le droit de choisir la mort plutôt que

la vie » »27 ?

[Rz 22] Par l'arrêt Pretty, la Cour restait dans le non-dit en re-

fusant d'exclure que le fait d'être empêché par la loi d'exercer

son choix représentait une atteinte à l'article 8 de la Con-

vention, mais elle avançait sur le terrain des obligations né-

gatives : celui de ne pas faire obstacle par la loi au choix

de l'intéressé, à sa liberté. On pouvait en conclure que si la

Convention couvrait la faculté ou la liberté de se suicider,

les Etats pouvaient poser des conditions faisant obstacle à

l'exercice de ce qui n'était encore qu'une faculté individuelle

privée. Avec l'arrêt Haas, « s'agissant d'un droit, et non plus,

comme dans l'arrêt Pretty, d'une liberté de mourir, la Cour

examine logiquement la demande du requérant sous l'angle

de l'obligation positive de l'Etat de prendre les mesures

26 En cela, nous différons légèrement de l'avis de Jean-Pierre MarguÉnaud pour qui « C'est la proclamation d'un véritable droit conventionnel au sui-

cide strictement subordonné à l'existence d'une véritable autonomie per-

sonnelle » in « Le droit de se suicider de manière sûre, digne et indolore », précit.

27 oLivier bacheLet, « Droit au suicide: un nouveau jalon posé par la Cour eu-ropéenne », Dalloz actualité, 3 février 2011. (Arrêt CEDH Haas contre la

Suisse du 20 janvier 2011, req. 31322/07)

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Grégor Puppinck / Claire de la Hougue, Le droit au suicide assisté dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, in : Jusletter

27 janvier 2014

nécessaires pour permettre un suicide digne »28. Autrement

dit, il s'agit de savoir si l'Etat avait « une obligation positive

d'adopter des mesures permettant de faciliter la commission

d'un suicide dans la dignité » (§ 61)29. Le suicide assisté n'est

plus seulement une liberté, il devient un droit.

3. L'arrêt Koch contre l'Allemagne

[Rz 23] Une troisième étape a été franchie par l'arrêt

Koch contre Allemagne du 19 juillet 201230 adopté par la cin-

quième section de la Cour, à l'unanimité. Avec cet arrêt, la

Cour impose à l'Etat non pas de faciliter le suicide en l'espèce

(cela relève d'une appréciation des faits), mais de justiier son refus de faciliter le suicide. Le droit au suicide assisté doit

être justiciable nonobstant son l'interdiction pénale dans le

droit interne. Dès lors que la Cour reconnaît au suicide assis-

té la qualité de droit subjectif au titre de la Convention, l'Etat

devient garant de la jouissance effective de ce droit.

[Rz 24] Mme Koch, tétraplégique mais dont la vie n'était pas

menacée, avait demandé à l'Institut fédéral des produits

pharmaceutiques et médicaux une dose de pentobarbital

sodique pour se suicider à son domicile. L'Institut fédéral la

lui refusa car l'euthanasie est interdite en Allemagne31. Les

époux Koch formèrent un recours pour contester sa déci-

sion. Toutefois, sans attendre l'issue de ce recours, Mme

Koch, aidée par son mari, se rendit en Suisse où « l'épouse

du requérant, assistée par Dignitas, se suicida », dit la Cour

(§ 12). En réalité, compte-tenu de l'état de Mme Koch qui était

presque complètement paralysée et sous assistance respira-

toire (§ 8), il est peu probable qu'elle ait pu faire elle-même

le dernier acte mettant in à sa vie. S'il a fallu lui administ-rer la substance létale, il s'agissait non d'un suicide assisté

mais d'une euthanasie. Le droit suisse distingue les deux,

puisqu'il ne sanctionne l'assistance au suicide qu'en cas de

motif égoïste (article 115 CP) alors qu'il sanctionne toujours le

meurtre à la demande de la victime (article 114 CP). Ce point

n'est pas clair en l'espèce.

[Rz 25] Après la mort de son épouse, M. Koch continua à

contester la décision de l'Institut devant les juridictions ad-

ministratives allemandes. Celles-ci jugèrent qu'il n'avait pas

qualité pour agir car la décision de l'Institut n'affectait pas sa

situation personnelle, mais celle de sa défunte épouse : en

28 Jean-Pierre MarguÉnaud, « Le droit de se suicider de manière sûre, digne et indolore », RTD Civ. 2011 p. 311 (à propos de Arrêt CEDH Haas contre la

Suisse du 20 janvier 2011, req. 31322/07). 29 En conclusion, toujours pour la Cour, « même à supposer que les Etats ai-

ent une obligation positive d'adopter des mesures permettant de faciliter

la commission d'un suicide dans la dignité, les autorités suisses n'avaient

pas méconnu cette obligation en l'espèce » (§ 61). 30 Arrêt CEDH Koch contre Allemagne du 19 juillet 2012, req. 497/09. 31 Selon l'article 216 du Code pénal, « Si une personne est amenée à com-

mettre un homicide à la demande expresse et solennelle de la victime, la

peine encourue est une peine d'emprisonnement de six mois à cinq ans.

Toute tentative de ce type est passible de sanctions. »

conséquence, il n'y avait pas lieu d'apprécier le bien-fondé

de la décision de refus. Toutefois, le Tribunal administratif de

Cologne énonça dans un obiter dictum sur le fond, que le

refus de l'Institut avait été légitime et conforme à l'article 8 de

la Convention : le recours, s'il avait été recevable, se serait

heurté à la clarté de l'interdiction pénale de l'homicide à la de-

mande de la victime. M. Koch saisit alors la Cour européenne

des droits de l'homme, alléguant que le refus d'autoriser son

épouse à se procurer une substance létale avait porté attein-

te au droit de celle-ci, ainsi qu'à son propre droit, au respect

de leur vie privée et familiale (article 8). Il se plaignait éga-

lement du refus des juridictions nationales d'examiner ses

griefs au fond (article 13, droit à un recours effectif).

[Rz 26] L'affaire Koch se heurtait ainsi non seulement à une

dificulté de fond, mais aussi et d'abord à une dificulté ma-

nifeste de recevabilité au regard de la qualité de victime du

requérant.

[Rz 27] Selon l'article 34 de la Convention, seule une person-

ne qui se prétend victime d'une violation de la Convention

peut saisir la Cour. En d'autres termes, on ne peut saisir la

Cour pour se plaindre de ce que les droits d'autrui ont été vio-

lés. Pour cette raison, se référant à sa décision d'irrecevabilité

Sanles Sanles contre l'Espagne32 dont les faits étaient com-

parables, la Cour estima « que le requérant n'a pas qualité

pour faire valoir les droits reconnus à son épouse par l'article

8 de la Convention, en raison du caractère non transférable

de ces droits ». Pourtant, elle opéra immédiatement après un

revirement de jurisprudence en afirmant que, compte tenu de « la relation exceptionnellement proche entre le requérant

et sa défunte épouse et [de] son implication immédiate dans

la réalisation du souhait de l'intéressée de mettre in à ses jours, (…) le requérant peut prétendre avoir été directement

affecté par le refus de l'Institut fédéral d'autoriser l'acquisition

d'une dose létale de pentobarbital de sodium » (§ 50). Ce

faisant, la Cour élargissait considérablement la notion de

32 Arrêt CEDH Sanles Sanles c. Espagnedu26octobre2000,req.48335/99:« La requérante peut certes prétendre avoir été touchée de près par les cir-

constances entourant le décès de M. Sampedro, malgré l'absence de liens

familiaux étroits [elle était la belle-sœur et l'héritière du défunt]. Toutefois,

la Cour estime que les droits réclamés par la requérante au titre des ar-

ticles 2, 3, 5, 8, 9 et 14 de la Convention appartiennent à la catégorie des

droits non transférables ; par conséquent, cette dernière ne saurait les ré-

clamer au nom de M. Sampedro dans le contexte de ses demandes devant

les juridictions internes. (…) Elle constate par ailleurs que M. Sampedro

a mis fin à ses jours quand il l'a voulu, et que la requérante ne saurait le

remplacer dans ses demandes à se voir reconnaître un droit à mourir dig-

nement, un tel droit, à supposer qu'il puisse être reconnu en droit interne,

ayant, en tout état de cause, un caractère éminemment personnel et non

transférable. La Cour conclut que la requérante ne peut donc pas agir au

nom de M. Sampedro et se prétendre victime des violations des articles 2,

3, 5, 8, 9, et 14 de la Convention, comme l'exige son article 34. Il s'ensuit

que cette partie de la requête est incompatible ratione personae avec les

dispositions de la Convention ». Une requête présentée par M. Sampedro avait auparavant été déclarée irrecevable pour non-épuisement des voi-es de recours internes : Arrêt CEDH Sampedro Camean c. Espagne du 17 mai 1995, décision de la Commission, req. 25949/94.

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Grégor Puppinck / Claire de la Hougue, Le droit au suicide assisté dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, in : Jusletter

27 janvier 2014

victime par rapport à sa jurisprudence antérieure. Pourtant,

la Cour n'a pas précisé en quoi le droit personnel du requé-

rant au respect de sa vie privée et familiale avait été affec-

té par la décision de l'Institut. Qu'il ait été affecté dans ses

sentiments (son affection) est indéniable ; en revanche, que

ses « propres droits (…) aient été mis en jeu »33 est plus dou-

teux, sauf à considérer qu'il avait au titre de l'article 8 un droit,

stricto sensu, à la mort de sa femme ou relatif aux conditions

de la mort de celle-ci… La Cour a ici renversé la décision de

la Commission dans l'affaire R. contre Royaume-Uni, dans

laquelle elle estimait« que les actes d'assistance, de conseil

ou d'aide au suicide sont exclus de la notion de vie privée

car ils portent atteinte à l'intérêt général de la protection de

la vie »34. De l'« implication immédiate » de M. Koch dans la

mort de son épouse, la Cour aurait aussi pu conclure que le

requérant s'était rendu complice du meurtre de son épouse

si celle-ci a été euthanasiée. De plus, que peut-on connaitre

de l'inluence exercée par M. Koch sur la volonté de son épouse ? En jugeant que les droits personnels du mari étai-

ent en jeu, la Cour a peut-être davantage obéi à l'émotion

qu'à la stricte rationalité juridique. Une autre possibilité, plus

rationnelle, d'explication de cet élargissement de la notion de

victime tient au fait que, par déinition, l'exercice du droit au suicide assisté requiert un assistant : il ne peut être pratiqué

seul, il implique un tiers de coniance. L'assistant est au sui-cidé ce que l'éditeur est à l'auteur : tout comme l'éditeur four-

nit le moyen à l'écrivain d'exercer sa liberté d'expression et

bénéicie à ce titre de la protection de la liberté d'expression qui nait dans le chef de l'auteur, l'assistant bénéicie du droit subjectif du suicidé.

[Rz 28] La Cour, ayant admis la qualité de victime du requé-

rant, estima « que la décision de l'Institut fédéral de rejeter la

demande de [Mme Koch] et le refus des juridictions adminis-

tratives d'examiner le fond de la demande du requérant ont

constitué une ingérence dans le droit du requérant au res-

pect de sa vie privée ». Restait à savoir si une telle ingérence

était proportionnée.

[Rz 29] La Cour a examiné l'affaire à travers son volet pro-

cédural (§ 65) sans se prononcer sur le fond. Elle a observé

que les juridictions allemandes avaient refusé d'examiner

au fond la demande du requérant et que le gouvernement

ne prétendait pas que ce refus poursuivait un but légitime.

Le gouvernement n'avait sans doute pas envisagé qu'il lui

faudrait un jour se justiier de prendre des mesures de pré-

vention des homicides. La Cour a estimé que « les autorités

nationales avaient l'obligation de se livrer à cet examen » au

fond du grief relatif au refus de l'Institut (§ 71). L'Allemagne

avait ainsi l'obligation non pas d'accorder la substance létale,

mais d'apprécier en l'espèce le bien fondé de la demande et

le cas échéant de justiier auprès de M. Koch son refus de l'accorder à son épouse, alors même que ce refus résultait

33 Arrêt CEDH R. contre Royaume-Uni du 4 juillet 1983, req. 10083/82, § 13.f 34 Arrêt CEDH R. contre Royaume-Uni du 4 juillet 1983, req. 10083/82, § 13.

directement de la loi pénale. Par suite, le « refus des juridic-

tions internes d'examiner au fond la demande du requérant

a emporté violation du droit de celui-ci au respect de sa vie

privée au regard de l'article 8 de la Convention » (§ 72).

[Rz 30] Finalement, ayant tiré du volet procédural de l'article

8 l'obligation d'examiner le fond du grief, la Cour a jugé qu'il

n'y avait pas lieu d'examiner l'affaire sous l'angle de l'article

6-1 (droit à un procès équitable) ou de l'article 13 (droit à un

recours effectif). Cela se comprend car ces voies de recours

ne pouvaient prospérer que s'il existait un droit au suicide

assisté dans l'ordre juridique interne, ce qui n'était pas le cas.

Les droits procéduraux étant accessoires au droit substan-

tiel, ils ne peuvent résulter que de l'article 8 qui contient en

propre ce droit principal, indépendamment du droit interne.

4. L'arrêt Gross contre la Suisse

[Rz 31] Dans l'arrêt Gross contre la Suisse du 14 mai 201335,

adopté par la deuxième section par quatre voix contre trois,

la Cour a développé signiicativement les obligations procé-

durales positives. Cette affaire concernait une octogénaire

qui, lassée de vivre et ne voulant pas assister au déclin de

ses facultés physiques et mentales, s'était adressée en vain

à plusieurs médecins ain que lui soit prescrite une dose mor-telle de pentobarbital sodique. Ceux-ci ayant refusé au motif

que son bon état de santé ne justiiait pas cette prescription, elle saisit la Cour en se plaignant d'une violation de son droit

à la vie privée. Après avoir rappelé sa jurisprudence antéri-

eure, la Cour a afirmé que le souhait de la requérante de

recevoir une substance létale pour mettre in à ses jours en-

trait dans le champ du droit au respect de la vie privée selon

l'article 8 de la Convention (§ 60). Elle a considéré que la

principale question soulevée par l'arrêt était de savoir si l'Etat

avait manqué à son obligation positive de déinir sufisam-

ment clairement dans quelles circonstances les médecins

pouvaient faire une telle prescription à une personne dans la

situation de la requérante (§ 63).

[Rz 32] Comme indiqué précédemment, en Suisse, la

prescription médicale du poison est soumise à la réglemen-

tation sur les drogues et aux règles déontologiques médica-

les, qui la réservent aux « cas limites »de patients en in de vie. C'est sur ce point que la Cour a censuré le droit suisse :

elle a estimé que les normes déontologiques n'ont pas la

qualité formelle de loi car elles sont ixées par une organisati-on non gouvernementale, en l'occurrence l'Académie suisse

des sciences médicales (§ 65). En outre, la Cour a estimé

que ces règles ignorent le cas de la requérante en ce qu'elles

ne visent que les patients en in de vie. La Cour a déduit de ces appréciations que ces règles ne peuvent pas légitime-

ment encadrer l'exercice du suicide assisté, ni a fortiori faire

obstacle par principe au suicide de la requérante. Selon la

Cour, ce régime ferait peser une incertitude sur les médecins

35 Arrêt CEDH Gross contre la Suisse du 14 mai 2013, req. 67810/10.

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Grégor Puppinck / Claire de la Hougue, Le droit au suicide assisté dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, in : Jusletter

27 janvier 2014

et les candidats au suicide quant aux conditions d'exercice

de ce droit, en particulier s'agissant des personnes qui ne

sont pas en in de vie ; la requérante en aurait subi un pré-

judice moral constitué par un état d'angoisse (§ 66). Selon

la Cour, la Suisse permet d'obtenir un produit létal sur or-

donnance, mais les conditions de cette obtention ne satisfont

pas aux exigences de la Cour, ce qui constitue une violation

de l'article 8 (§ 67). Ce raisonnement n'est autre que celui

déjà développé en matière d'avortement dans les affaires po-

lonaises et irlandaises36.

[Rz 33] Ici encore, la Cour avance sur le terrain procédural

tout en se défendant de vouloir prendre position sur la sub-

stance du droit, c'est-à-dire le contenu des directives déon-

tologiques. En exécution de cet arrêt, s'il devient déinitif, la Suisse devra adopter un cadre juridique légal détaillé suppri-

mant cette incertitude37 ; il pourra tant conirmer les normes déontologiques que les contredire.

[Rz 34] Les trois juges dissidents ont critiqué cet arrêt, esti-

mant, notamment, que les conditions à l'accès au suicide

assisté ont un fondement dans le droit interne et qu'ils sont

sufisamment accessibles et prévisibles pour permettre au citoyen et au médecin de régler sa conduite38. Pourtant, ces

critères ont été consacrés par le Tribunal fédéral et intégrés

dans le Code de déontologie de la Fédération des méde-

cins suisses39, lequel est contraignant pour les médecins.

La Section s'écarte ainsi de la position traditionnelle de la

36 grÉgor PuPPinck, « Abortion and the European Convention on HumanRights », Irish Journal of Legal studies, 2013. Accessible à l'adressehttp://www.ijls.ie/ (dernière consultation en janvier 2014).

37 Dans plusieurs affaires, la Cour a estimé que lorsque l'Etat décide d'autoriser une pratique, il doit alors lui construire un régime juridique cohérent. Ainsi, dans l'arrêt de section S.H.c. Autriche du 1er avril 2010, la première section avait déclaré : « les Etats ne sont nullement tenus de

légiférer en matière de procréation artificielle ni de consentir à son utilisa-

tion. Cela étant, dès lors qu'un Etat décide de l'autoriser, il doit se doter,

nonobstant l'ample marge d'appréciation dont les Parties contractantes

bénéficient dans ce domaine, d'un régime juridique cohérent » (§ 74). De même, dans l'affaire A, B et C c. Irlande,laGrandeChambreadéclaréque« Si l'Etat jouit d'une ample marge d'appréciation pour définir les circon-

stances dans lesquelles il autorise l'avortement (paragraphes 231-238 ci-

dessus), une fois la décision prise, le cadre juridique correspondant doit « présenter une certaine cohérence et permettre de prendre en compte les

différents intérêts légitimes en jeu de manière adéquate et conformément

aux obligations découlant de la Convention » » (§ 249). En l'espèce, « fau-

te d'avoir adopté des dispositions législatives ou réglementaires instituant

une procédure accessible et effective au travers de laquelle la requérante

aurait pu faire établir si elle pouvait ou non avorter en Irlande » (§ 267), la Cour a conclu à la violation de l'article 8. La Cour avait également estimé quel'absencedecadrejuridiquepréciscréaituneincertitudepourlesmé-decinsdenatureàlesdissuaderàrépondrefavorablementàlademandeindividuelle d'avortement.

38 Voir par exemple Arrêt CEDH Leander contre Suède du 26 mars 1987, req. 9248/81, A116, § 51 ; Arrêt CEDH Hertel contre la Suisse du 25 août 1998, req. 25181/94, § 35 ; Arrêt CEDH Rotaru contre Roumanie du 4 mai 2000, req. 28341/95, § 55.

39 Code de déontologie (dernière consultation en janvier 2014).

Cour, selon laquelle une jurisprudence claire peut constituer

une « loi » au sens de la Convention.

[Rz 35] La conséquence principale de cet arrêt est de trans-

férer l'encadrement de la pratique du suicide assisté du do-

maine médical à celui des libertés publiques. Ce change-

ment redéinit le suicide assisté comme un droit fondamental et non plus seulement comme une forme de soin extraordi-

naire pour patients en in de vie. Il en résulte qu'une personne en bonne santé peut se prévaloir de la Convention pour faire

valoir son droit auprès des autorités nationales. Le doute à

présent ne porte plus sur l'existence du droit au suicide assis-

té mais sur l'étendue de la faculté de l'Etat de restreindre son

exercice, car ce droit, une fois reconnu, ne saurait demeurer

purement « théorique et illusoire » (Airey c. Irlande, 9 octob-

re 1979, § 24)40.

[Rz 36] L'étendue de la faculté de l'Etat de restreindre l'exercice

du droit au suicide assisté, au regard notamment des risques

d'abus, est conditionnée par la marge d'appréciation, qui,

pour l'instant, en l'absence de consensus européen favorab-

le à ce droit, est considérable (Haas, § 55).

[Rz 37] Voici présentées les étapes, depuis l'ancienne Com-

mission, de l'émergence d'un droit au suicide assisté. L'acte

fondateur de cette dynamique a été de juger que le désir de

mourir entre dans le champ de l'article 8. Les obligations qui

en résultent pour l'Etat sont progressivement dévoilées, au

gré des circonstances des cas d'espèce, et de l'évolution

de la société sur ce sujet sensible. Prudemment, la Cour a

emprunté une approche graduelle : reconnaissant d'abord

une obligation négative, puis une obligation positive procédu-

rale, puis enin une obligation positive matérielle, développée encore au sein d'une approche procédurale. Cette obligation

positive matérielle semble « être mûre » pour s'autonomiser

totalement en découlant directement de la Convention. Ce

sera peut-être l'apport de la prochaine jurisprudence en la

matière.

[Rz 38] Pour représentative qu'elle soit de la subtile méthode

par laquelle la Cour développe de nouveaux droits dans le

champ de l'article 8, cette construction jurisprudentielle pose

des questions de fond.

II. Les questions de fond

[Rz 39] Après avoir considérablement élargi le champ

d'application de l'article 8, la Cour amène progressivement

l'Etat à devoir adopter une position libérale sur le suicide as-

sisté (et par suite l'euthanasie car les deux actes ne sont pas

toujours facilement distinguables).

[Rz 40] Bien que progressiste et libérale, et correspondant

en cela à une forme d'aspiration répandue dans la société

40 grÉgor PuPPinck, « Suicide assisté : nécessité d'un cadre légal (à propos de la Suisse) », Recueil Dalloz,30mai2013,brèves/ArrêtCEDHGross con-

tre la Suisse du 14 mai 2013, req. 67810/10.

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Grégor Puppinck / Claire de la Hougue, Le droit au suicide assisté dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, in : Jusletter

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occidentale contemporaine, cette construction jurisprudenti-

elle doit être examinée non seulement quant au rôle de la

Cour, qui devrait être seulement subsidiaire (3), mais aussi

quant au respect de la lettre et de l'esprit de la Convention

(2), mais plus encore et avant tout, quant à l'existence même

d'une base juridique sur laquelle poser cette subtile const-

ruction (1).

1. L'afirmationd'undroitmatérielconventi-onnel par la voie périphérique des obliga-

tions procédurales

[Rz 41] La reconnaissance d'un droit au suicide assisté a été

obtenue par la voie périphérique d'obligations procédura-

les qui garantissent, non pas le droit substantiel au suicide

assisté, mais le droit procédural de savoir si on peut léga-

lement exercer ce droit. Cela étant, la violation d'un droit

procédural implique l'existence du droit matériel dont il est

l'accessoire. Les arrêts Haas, Koch et Gross prétendent ne

pas arriver à cette conclusion tout en y conduisant par induc-

tion. Tentons de clariier la question de la base juridique du droit individuel au suicide assisté.

[Rz 42] Une obligation procédurale conventionnelle est, par

nature, un accessoire du droit matériel principal, non pas

un droit autonome : elle oblige les Etats à garantir aux per-

sonnes les voies d'accès à la jouissance effective d'un droit

matériel41, ain d'éviter qu'il ne reste théorique et illusoire42.

La mise en jeu des obligations procédurales découlant de

la Convention exige donc au préalable l'existence d'un droit

matériel principal support de cette obligation accessoire.

Cette obligation principale peut résulter soit directement de

la Convention (nous parlerons alors d'obligation convention-

nelle autonome), soit seulement du droit interne si elle entre

dans le champ d'application de la Convention (nous parle-

rons alors d'obligation conditionnelle), soit des deux ordres

juridiques (cas le plus fréquent).

[Rz 43] Dans l'arrêt Haas, la Cour a jugé que la Suisse a

l'obligation de « mettre en place une procédure propre à as-

surer qu'une décision de mettre in à sa vie corresponde bien à la libre volonté de l'intéressé »(§ 58) ain de l'empêcher « de

mettre in à ses jours si sa décision n'intervient pas librement et en toute connaissance de cause »(§ 54). En outre, dans

l'arrêt Koch, la Cour a jugé que l'Allemagne a l'obligation

d'offrir aux candidats au suicide assisté des voies de recours

juridictionnelles statuant sur le bien fondé des décisions de

refus d'assistance au suicide (§ 71). Enin, dans l'arrêt Gross,

elle a jugé que la Suisse a l'obligation de créer un cadre lé-

gal permettant à toute personne de faire valoir son droit au

41 Arrêt CEDH Tysiac c. Pologne du 20 mars 2007, req. 5410/03, § 113. 42 Arrêt CEDH Airey c. Irlande du 9 octobre 1979, req.6289/73, § 24 : La

« Convention vise à garantir des droits non pas théoriques ou illusoires,

mais concrets et effectifs ».

suicide assisté. Ces obligations procédurales positives des-

sinent progressivement le cadre juridique du suicide assisté.

[Rz 44] Cependant, un doute demeure sur le fondement

même de cette construction : le droit matériel « d'un individu

de décider de quelle manière et à quel moment sa vie doit

prendre in »(Haas, § 51) sur lequel repose ce cadre procé-

dural existe-il en droit positif, et si oui, où : dans l'ordre inter-

ne ou conventionnel, est-il autonome ou conditionné ? Con-

cernant l'arrêt Koch, l'euthanasie et le suicide assisté sont

pénalement interdits en Allemagne, sans aucune exception.

Concernant les arrêts Haas et Gross, l'absence de droit au

suicide assisté des requérants était aussi certain car le suici-

de assisté n'est accessible en Suisse, par dérogation, qu'aux

personnes malades en in de vie, ce qui n'était manifeste-

ment pas le cas des requérants comme en témoigne le refus

des médecins sollicités : les requérants n'ont pas un « droit »

à bénéicier de cette exception.

[Rz 45] Constatant qu'il n'existe pas de droit au suicide dans

le droit interne des pays en cause, on pourrait conclure que

ces obligations procédurales sont nécessairement fondées

sur un droit conventionnel autonome au suicide assisté. Ce

droit subjectif au suicide assisté s'imposerait alors à tous les

Etats parties. Le droit de décider de sa mort, en ce qu'il est

reconnu par la Cour comme « l'un des aspects du droit au

respect de sa vie privée au sens de l'article 8 de la Conventi-

on » (Haas, § 51), serait bien un « véritable droit convention-

nel »43 autonome. Pourtant la Cour n'a pas souhaité afirmer explicitement l'existence d'un tel droit découlant directement

de la Convention.

[Rz 46] Dans les arrêts Haas et Gross, la Cour a afirmé que le droit d'avoir accès à une substance létale existait en Su-

isse, où « la législation et la pratique permettent un accès

relativement facile au suicide assisté »44. Pourtant, cet accès

est réservé, à titre exceptionnel, aux personnes gravement

malades dont la in est proche, en respectant les règles éta-

blies par la déontologie médicale. Il ne s'agit donc pas d'un

droit mais d'une exception fondée sur des critères médicaux.

Selon une technique désormais bien rodée, la Cour a ainsi

pris l'exception pour le principe, ce qui lui permet d'étendre

considérablement le champ d'application de la Convention.

La Cour avait déjà appliqué la même méthode dans d'autres

affaires fondées sur l'article 8. Par exemple, constatant que

l'Irlande ou la Pologne protégeaient l'enfant à naître sans

préjudice du droit égal de sa mère à la vie, la Cour a énon-

cé l'existence en droit interne d'un droit à l'avortement au

moins en cas de danger pour la mère (un droit conditionnel

à l'avortement). Tout en reconnaissant que la Convention ne

contient pas de droit autonome à l'avortement45, mais jugeant

43 C'est aussi la conclusion du Professeur MarguÉnaud, précité. 44 Haas § 57 ; voir aussi Gross § 67 : « Swiss law, while providing the pos-

sibility of obtaining a lethal dose of sodium pentobarbital on medical

prescription… ». 45 Comme dans l'affaire A.B.C. contre Irlande (GC) du 16 décembre 2010,

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Grégor Puppinck / Claire de la Hougue, Le droit au suicide assisté dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, in : Jusletter

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que le droit interne entre dans le champ d'application de la

Convention, elle a condamné ces deux Etats pour ne pas

avoir établi de « mécanismes effectifs permettant de détermi-

ner si les conditions à remplir pour bénéicier d'un avortement légal étaient réunies »46. Ce faisant, la Cour a étendu la pro-

tection de la Convention à des domaines qu'elle ne couvre

pas par elle-même, et par ce moyen, elle a accru l'effectivité

– voire la substance même – du droit interne d'accéder à

l'avortement ou à l'euthanasie.

[Rz 47] Notons cependant que dans aucune de ces quatre

affaires, la Cour n'a précisé que la Convention ne contient

pas de droit autonome au suicide assisté, ce qui ne permet

pas de dissiper le doute quant à l'existence d'un tel droit con-

ventionnel autonome.

[Rz 48] Dans l'arrêt Koch, consciente de l'inexistence d'un

droit au suicide assisté et à l'euthanasie en droit interne al-

lemand, la Cour a fait référence à l'arrêt Schneider contre

l'Allemagne47, dans lequel elle avait afirmé qu'il serait pos-

sible de développer des obligations procédurales sans que

l'existence de l'obligation matérielle principale soit préalab-

lement établie. Dans l'arrêt Schneider contre l'Allemagne, tel

que présenté dans Koch, la Cour avait estimé en substance

que l'article 8 de la Convention « pouvait impliquer un droit à

un contrôle juridictionnel même dans une affaire où le droit

matériel en question restait à établir »(Koch § 53). Cette réfé-

rence est inadéquate car dans l'affaire Koch, le droit matériel

au suicide assisté en droit interne ne restait pas à établir : il

était manifestement inexistant par la volonté explicite du lé-

gislateur48, à la différence de l'affaire Schneider où le droit in-

voqué existait en droit interne, seul la qualité de titulaire de

ce droit restait à établir pour le requérant. Cette référence à

l'arrêt Schneider serait également inutile en présence d'un

tel droit matériel conventionnel. Alors, à défaut de base

req. 25579/05, § 214. 46 Tysiac c. Pologne, §124. Voir aussi Arrêt CEDH Buckley c. Royaume-Uni

du25 septembre 1996, req.20348/92 : « Chaque fois que les autorités

nationales se voient reconnaître une marge d'appréciation susceptible de

porter atteinte au respect d'un droit protégé par la Convention tel que celui

en jeu en l'espèce, il convient d'examiner les garanties procédurales dont

dispose l'individu pour déterminer si l'Etat défendeur n'a pas fixé le cadre

réglementaire en outrepassant les limites de son pouvoir discrétionnaire.

Selon la jurisprudence constante de la Cour, même si l'article 8 (art. 8) ne

renferme aucune condition explicite de procédure, il faut que le processus

décisionnel débouchant sur des mesures d'ingérence soit équitable et re-

specte comme il se doit les intérêts de l'individu protégés par l'article 8 ». 47 Arrêt CEDH Schneider contre l'Allemagne du 15 septembre 2011,

req. 17080/07, § 100. 48 Cetteaffaireconcernaitl'impossibilitépourunpèrebiologique(adultérin)

de faire constater en justice sa paternité envers un enfant déjà reconnu par l'époux légitime de la mère. La Cour avait jugé qu'un droit procédural devaiteffectivementexistersansquesoitnécessaired'établirpréalable-ment le droit matériel sur lequel il porte (la réalité de la paternité), puisque ledroitprocéduralviseprécisemmentàfaireétablircedroitparentalquibénéficie de la garantie autonome de la Convention. La référence dansl'affaire Koch à l'arrêt Schneider n'est donc pas opportune.

conventionnelle, sur quoi reposent les obligations procédura-

les développées par la Cour dans le but de rendre effectif un

droit matériel inexistant ? Sont-elles pure audace49 ?

[Rz 49] La base légale sur laquelle la Cour édiie un droit au suicide assisté est donc douteuse. Peut-être sera-elle pré-

cisée dans une prochaine affaire, ou dans l'affaire Gross si la

Grande Chambre décide de s'en saisir.

[Rz 50] Plus généralement, le fait qu'une obligation procé-

durale soit un accessoire d'un droit matériel principal résulte

d'une éthique dite « principielle » : une éthique construite sur

des principes ou des valeurs qui, dans la rationalité juridique,

prennent la forme de droits matériels. On peut analyser le

développement par la Cour « d'obligations procédurales

autonomes » comme une transposition au système de la

Convention d'une éthique procédurale qui veut se construire

en l'absence de principe matériel exprimant une conception

de la vie bonne. Cette éthique procédurale se construit sur

la base de la démarche proportionnaliste50 selon laquelle il

n'existe pas d'acte intrinsèquement mauvais (comme le fait

en soit « d'inliger la mort »), mais que la moralité et donc l'acceptabilité de tout acte doit être appréciée au cas par cas,

selon les circonstances, car l'acte singulier serait le seul au-

quel on puisse attribuer une qualiication morale déinitive.

2. Droit à la qualité de la vie (art. 8) v. droit à

la vie (art. 2) : changement de paradigme

de la Convention

[Rz 51] Le droit à la vie est le premier des droits et il condition-

ne tous les autres. L'euthanasie, ou suicide assisté, constitue

manifestement une atteinte à la vie. L'article 2, qui énumère

limitativement les dérogations tolérées par la Convention à

ce droit, ne mentionne pas la demande ou le consentement

de l'intéressé. L'interdiction de l'euthanasie est une constan-

te de la déontologie médicale au moins depuis Hippocrate51.

Elle est rappelée régulièrement par l'Assemblée parlemen-

taire du Conseil de l'Europe. La Recommandation 779 (1976)

énonce ainsi que « le médecin doit s'efforcer d'apaiser les

souffrances et qu'il n'a pas le droit, même dans les cas qui lui

semblent désespérés, de hâter intentionnellement le proces-

sus naturel de la mort »(§7). Dans sa Recommandation 1418

(1999), cette même assemblée afirme avec force que le droit à la vie des malades et des mourants doit être garanti même

49 nicoLas hervieu, « Les prudentes audaces de la jurisprudence européen-ne face à l'assistance au suicide » [PDF] in Lettre « Actualités Droits-Li-bertés»duCREDOF,23juillet2012(Accessibleàl'adressehttp://revdh.org/2012/07/23/prudentes-audaces-de-la-jurisprudence-europeenne-face-au-suicide-assiste/, dernière consultation en janvier 2014).

50 Voir servais Pinckaers op, Ce qu'on ne peut jamais faire, Paris, Cerf, 1986, et christoPher kaczor, Proportionalism. For and against, Milwaukee, Mar-quette University Press, 2000.

51 Ve siècle avant Jésus-Christ ; extrait du serment : « Je ne remettrai à

personne du poison, si on m'en demande, ni ne prendrai l'initiative d'une

pareille suggestion » Traduction Littré.

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Grégor Puppinck / Claire de la Hougue, Le droit au suicide assisté dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, in : Jusletter

27 janvier 2014

lorsqu'ils expriment le désir de mourir.52 La Résolution 1859

(2012) du 25 janvier 201253 rappelle que « L'euthanasie, au

sens de tuer intentionnellement, par action ou par omission,

une personne dépendante, dans l'intérêt allégué de celle-ci,

doit toujours être interdite ». Pourtant, dans sa jurisprudence,

la Cour omet de citer ces textes parlementaires et ignore de

plus en plus l'article 2 de la Convention. La Cour ignore éga-

lement l'article 1754 de la Convention relatif à l'abus de droit

qui permettrait d'exclure un droit conventionnel au suicide

assisté et à l'euthanasie tout en admettant que la demande

individuelle de mort entre dans le champ de l'article 8.

[Rz 52] Après un examen approfondi sous l'angle de l'article

2 dans l'arrêt Pretty en 2002, la Cour s'est bornée, dans

l'arrêt Haas, à une simple référence à cet article, en rappel-

ant « qu'il convient de lire la Convention comme un tout »

et « de se référer, dans le cadre de l'examen d'une éventuelle

violation de l'article 8, à l'article 2 de la Convention » (§ 54).

La Cour indique que si l'Etat fait le choix d'autoriser le suicide

assisté, il a alors l'obligation positive procédurale au titre de

l'article 2 de « mettre en place une procédure propre à assu-

rer qu'une décision de mettre in à sa vie corresponde bien à la libre volonté de l'intéressé »(§ 58) ain de l'empêcher « de

mettre in à ses jours si sa décision n'intervient pas librement et en toute connaissance de cause »(§ 54). L'article 2 exige-

rait seulement l'existence d'une procédure de vériication de la volonté subjective du candidat au suicide, c'est-à-dire de

son autonomie. Ainsi, l'obligation positive de l'Etat de garantir

et de respecter le droit à la vie est réalisée par le respect non

pas de la vie mais de l'autonomie du candidat au suicide. De

fait, l'objectivité de l'article 2 est absorbée et disparaît dans la

subjectivité de l'article 8. L'autonomie du candidat au suicide

se révèle être ainsi à la fois la source du droit au suicide et

sa condition. Après l'arrêt Haas, on ne peut plus dire que le

droit à la vie « constitue un attribut inaliénable de la personne

humaine et qu'il forme la valeur suprême dans l'échelle des

droits de l'homme »55 et encore qu'il protège « toute personne

52 « i. vu que le droit à la vie, notamment en ce qui concerne les malades

incurables et les mourants, est garanti par les Etats membres, conformé-

ment à l'article 2 de la Convention européenne des Droits de l'Homme qui

dispose que « la mort ne peut être infligée à quiconque intentionnelle-

ment »; ii. vu que le désir de mourir exprimé par un malade incurable ou

un mourant ne peut jamais constituer un fondement juridique à sa mort

de la main d'un tiers; iii. vu que le désir de mourir exprimé par un mala-

de incurable ou un mourant ne peut en soi servir de justification légale à

l'exécution d'actions destinées à entraîner la mort. » 53 Résolution 1859 (2012) du 25 janvier 2012, Protéger les droits humains

et la dignité de la personne en tenant compte des souhaits précédemment

exprimés par les patients. 54 Article 17 : Aucune des dispositions de la présente Convention ne peut être

interprétée comme impliquant pour un Etat, un groupement ou un individu,

un droit quelconque de se livrer à une activité ou d'accomplir un acte vi-

sant à la destruction des droits ou libertés reconnus dans la présente Con-

vention ou à des limitations plus amples de ces droits et libertés que celles

prévues à ladite Convention. 55 Pretty § 65 ; Arrêt CEDH McCann et autres c. Royaume-Uni du

»56. La « valeur suprême »est à présent l'autonomie individu-

elle. Ce renversement dans la hiérarchie des valeurs entre la

vie et la liberté est représentatif d'une tendance au sein de la

société occidentale faisant prévaloir l'autonomie individuelle

sur toute considération objective.

[Rz 53] Les arrêts Koch et Gross ne font même plus mention

de l'article 2 dans leur raisonnement, faisant ainsi totalement

abstraction de l'interdiction stricte, posée explicitement par

la Convention, « d'inliger la mort à quiconque intentionnelle-

ment », même avec son consentement. Dans l'arrêt Gross, la

Cour rappelle certes le caractère sacré de la vie, mais avec

une formulation négative pour faire prévaloir la notion sub-

jective de qualité de la vie : « Sans nier en aucune manière

le principe du caractère sacré de la vie protégé par la Con-

vention, la Cour considère que c'est sous l'angle de l'article 8

que la notion de qualité de la vie prend toute sa signiication

»57. Le glissement du droit objectif à la vie au droit subjectif à

la qualité de la vie est ici manifeste.

[Rz 54] La Cour ne fait pas mystère du fondement moral de

sa démarche : il s'agit d'une conception individuelle de la di-

gnité qui implique un droit à une vie de qualité, en particulier

face à la vieillesse et à la déchéance :

« Sans nier en aucune manière le principe du carac-

tère sacré de la vie protégé par la Convention, la Cour

considère que c'est sous l'angle de l'article 8 que la

notion de qualité de la vie prend toute sa signiication. A une époque où l'on assiste à une sophistication mé-

dicale croissante et à une augmentation de l'espérance

de vie, de nombreuses personnes redoutent qu'on ne

les force à se maintenir en vie jusqu'à un âge très avan-

cé ou dans un état de grave délabrement physique ou

mental aux antipodes de la perception aiguë qu'elles

ont d'elles-mêmes et de leur identité personnelle »58 .

[Rz 55] Si l'on suit le raisonnement de la Cour, le fait

d'être « forcé » à vieillir, ou à vivre dans un état de délabre-

ment, constituerait une contrainte sur l'autonomie individuel-

le. En effet, la « perception aiguë » deviendrait la mesure de

la valeur de la vie, c'est à dire d'une dignité qui ne serait plus

inhérente ou ontologique mais variable et autodéterminée

par le sentiment subjectif individuel. Mme Koch était tétraplé-

gique et Mme Gross âgée. L'invalidité de l'une et le grand âge

de l'autre nuisaient à la qualité de leur vie, leur dignité d'êtres

humains pouvait donc se manifester préférentiellement par le

27septembre1995,req.18984/91,§147etStreletz, Kessler et Krenz c.

Allemagne (GC) du 22 mars 2001, req. 34044/96, 35532/97 et 44801/98, §§ 92–94.

56 Celaest confirmépar les travauxpréparatoirespar l'Assembléeconsul-tative de 1949 qui manifestent clairement qu'il s'agit des droits que l'on possède du seul fait d'exister : « le Comité des ministres nous a chargés

d'établir une liste de droits dont l'homme, en tant qu'être humain, devrait

naturellement jouir ». Travaux préparatoires, vol. II, p. 89. 57 Pretty § 65, Koch § 51, Gross § 58. 58 Pretty § 65, Koch § 51, Gross § 58

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Grégor Puppinck / Claire de la Hougue, Le droit au suicide assisté dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, in : Jusletter

27 janvier 2014

choix de quitter l'existence plutôt que de subir une déchéan-

ce. La valeur de la vie serait ainsi liée à sa qualité. Le glisse-

ment déjà souligné de la vie à la qualité de vie conduit à la

revendication de l'autodétermination et inalement à un droit à la qualité de la mort. Cette conception subjective de la di-

gnité n'est pas celle de la Déclaration universelle des droits

de l'homme qui a inspiré la Convention européenne et qui se

fonde sur « la reconnaissance de la dignité inhérente à tous

les membres de la famille humaine ». Une dignité « inhéren-

te »n'est pas subjective, comme le rappelle Mme Gatterer,

auteure du rapport à l'origine de la Recommandation 1418

(1999)59.

[Rz 56] La comparaison avec l'arrêt Ketreb c. France60, ren-

du le même jour que l'arrêt Koch par la même section de

la Cour, est assez déconcertante, mais permet justement de

donner un exemple de cette conception relative de la digni-

té. M. Ketreb était un détenu extrêmement violent qui s'était

suicidé lors d'un séjour au quartier disciplinaire de la prison.

Sa famille reprochait à l'Etat de ne pas avoir satisfait à son

obligation de protéger sa vie. Dans son arrêt, la Cour a rap-

pelé que l'Etat doit non seulement « prendre les mesures né-

cessaires à la protection de la vie des personnes relevant de

sa juridiction » (§ 70) mais aussi « prendre préventivement

des mesures d'ordre pratique pour protéger l'individu contre

autrui ou, dans certaines circonstances particulières, contre

lui-même »(§ 71)61. Au vu des circonstances de l'affaire, la

Cour a estimé « que les autorités ont manqué à leur obliga-

tion positive de protéger le droit à la vie de Kamel Ketreb. Il

s'ensuit qu'il y a eu violation de l'article 2 de la Convention »

(§ 99). Il peut sembler paradoxal de voir la Cour reprocher le

même jour à la France de ne pas avoir empêché M. Ketreb

de se suicider et à l'Allemagne de ne pas avoir aidé Mme

Koch à se suicider, alors qu'ils étaient tous deux désireux de

se donner la mort.

59 Doc. 8421, rapport de la commission des questions sociales, de la san-té et de la famille. Accessible à l'adresse http://assembly.coe.int/ASP/Doc/XrefDocDetails_F.asp?FileID=7990 (dernière consultation en janvier 2014). « 3. La dignité est un attribut commun à tous les êtres humains qui,

sans égard à l'âge, à la race, au sexe, aux particularités ou aux capacités,

à la condition ou à la situation, garantit l'égalité et l'universalité des droits

de l'homme. Elle est indissociable de l'être humain. Aussi, l'état dans le-

quel il se trouve ne peut en aucune manière conférer à un être humain sa

dignité, ni l'en dépouiller. 4. La dignité est inhérente à l'existence de tout

être humain. Si sa possession était due à des particularités, à des com-

pétences ou à une condition quelconque, la dignité ne serait ni également

ni universellement le propre de tous les êtres humains. L'être humain est

donc investi de dignité tout au long de sa vie. La douleur, la souffrance ou

la faiblesse ne peuvent l'en priver. » 60 Arrêt Ketreb c. France du 19 juillet 2012, req. 38447/09. 61 Voir aussi notamment Arrêt CEDH Tanribilir c. Turquie du 16 novemb-

re 2000, req. 21422/93, § 70 : « l'article 2 de la Convention peut, dans

certaines circonstances bien définies, mettre à la charge des autorités

l'obligation positive de prendre préventivement des mesures d'ordre pra-

tique pour protéger l'individu contre autrui ou, dans certaines circonstan-

ces particulières, contre lui-même ».

[Rz 57] Plutôt qu'une incohérence, ne faut-il pas voir dans

cette divergence une prise en compte par la Cour de la qua-

lité de la vie en relation avec le degré d'autonomie des per-

sonnes suicidées ? M. Ketreb étant jeune et en bonne santé,

la qualité de sa vie s'opposait à ce que son désir de suicide

soit admis. En outre, il était incarcéré, donc partiellement

privé d'autonomie. Il était en conséquence dificile d'admettre qu'il ait pu vraiment vouloir, en pleine possession de ses

moyens, mettre in à ses jours. Enin, l'Etat a une obligati-on plus grande de protéger la vie des personnes dont il as-

sume directement la garde62. Est-ce toutefois sufisant pour distinguer la situation d'un détenu de celle d'une personne

âgée ou lourdement handicapée ? En effet, cette dernière

dispose-t-elle d'une plus grande autonomie et capacité de

discernement, peut-on estimer qu'elle est moins vulnérable

qu'un détenu ? Finalement, la différence déterminante réside

dans le fait que la situation de M. Ketreb n'était pas déinitive, il pouvait espérer une libération et une meilleure qualité de

vie, contrairement à Mme Koch ou Mme Gross dont l'état de

santé et l'âge étaient irrémédiables.

[Rz 58] En substituant à la « dignité inhérente » une dignité

relative mesurée par le sentiment individuel, la Cour modi-

ie radicalement le fondement ontologique de la Convention, qui d'universel devient particulier. Elle fait perdre aux droits

leur objectivité pour les rendre subjectifs, et donc relatifs à

leur sujet. Ce faisant, la mesure des droits de l'homme n'est

plus l'Homme, mais chaque individu63. Pourtant, l'autorité in-

trinsèque des droits de l'homme est une expression de leur

universalité. Sans universalité, point d'autorité. La seule solu-

tion pour restaurer l'autorité philosophique ou métajuridique

des droits de l'homme « de Strasbourg » serait de parvenir

à reconstruire une universalité à partir de l'individuel, ce qui

nécessiterait une parfaite égalité des individus64.

[Rz 59] Le débat sur la signiication du concept de « dignité » n'est pas nouveau. Il est vrai que ce concept est ambigu en

ce qu'il peut sacraliser indifféremment à la fois l'être et l'agir,

l'ontologique et l'opératif. Pour certains, il ne serait qu'un

écran de fumée65 destiné à masquer le néant ou le désac-

cord sur lequel sont fondés les droits de l'homme. Il ne s'agit

pas ici d'exposer ce débat en détail, mais simplement de con-

stater que la Cour au il de sa jurisprudence a abandonné la conception moderne de la dignité au proit de la conception postmoderne, en considérant que la dignité découle moins

de la nature humaine que de l'existence individuelle.

62 Voir Arrêt CEDH Keenan c. Royaume-Uni du 3 avril 2001, req. 27229/95. 63 grÉgor PuPPinck, « Les droits de l'homme, nouvelle religion d'Etat », La

Nouvelle Revue Universelle, n° 31, mars 2013. 64 Lasociétélibéraleviseaussiununiversalisme,quiestnonseulementgé-

ographique, mais aussi réalisé en chaque individu par la reconnaissance de leur égale valeur.

65 christoPher Mccrudden,«HumanDignityandJudicialInterpretationofHu-manRights»(July17,2008).The European Journal of International Law, Vol. 19 no. 4.

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Grégor Puppinck / Claire de la Hougue, Le droit au suicide assisté dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, in : Jusletter

27 janvier 2014

[Rz 60] Ce changement philosophique modiie le sens des mots et a donc des conséquences concrètes sur

l'interprétation de la Convention. N'étant pas un phénomè-

ne juridique, on peut se demander dans quelle mesure ce

changement peut légitimement affecter les décisions de la

Cour et s'imposer aux Etats membres, plus encore lorsque

leurs sociétés nationales n'ont pas suivi ce changement phi-

losophique, ou l'ont rejeté66. Olivier Bachelet a raison de de-

mander si la Cour européenne reste « véritablement idèle à l'esprit des rédacteurs de la Convention ». La réponse est

évidemment négative. Comme la Cour aime à le rappeler, la

Convention ne doit pas être interprétée de façon originaliste

car elle est un instrument vivant. La question est de savoir

jusqu'où peut aller l'interprétation dynamique du texte. En

reprenant la distinction de Michel Troper sur la contrainte in-

terne et externe de la démarche interprétative67, il peut être

soutenu que la limite interne est atteinte, voire dépassée, tant

l'interprétation de l'article 8 contredit frontalement la lettre de

l'article 2. En revanche, concernant la limite externe, relati-

ve à l'acceptabilité de l'interprétation par les destinataires du

droit, celle-ci n'est peut-être pas encore atteinte, car il semble

que la majorité des Etats européens inluents tolère assez volontiers la création par la Cour de nouveaux droits et son

rôle moteur en la matière.

[Rz 61] A défaut d'être fermement retenue par les Etats, la

Cour pourrait retenir son audace par souci de la cohérence

d'une convention dont la garde lui a été coniée. En effet, comme elle l'a souligné dans l'arrêt Pretty, « Si la Cour doit

adopter une démarche souple et dynamique pour interpréter

la Convention, qui est un instrument vivant, il lui faut aussi

veiller à ce que toute interprétation qu'elle en donne cadre

avec les objectifs fondamentaux poursuivis par le traité et

préserve la cohérence que celui-ci doit avoir en tant que sys-

tème de protection des droits de l'homme »(§ 54).

[Rz 62] Ici apparaît l'une des causes de la crise actuelle de la

Cour : la Cour et les sociétés nationales européennes n'étant

pas homogènes culturellement, l'évolution impulsée par la

Cour fait perdre leur univocité à des concepts centraux de la

Convention, en particulier à la dignité, la liberté, la morale ou

encore la famille. Pourtant, pour que la démarche juridique

soit possible, il faut que ses protagonistes soient d'accord sur

ses moyens et sur sa in, c'est-à-dire qu'ils soient d'accord sur le sens des concepts juridiques employés et sur le but

recherché, à savoir sur l'idée de justice recherchée. Pour les

droits de l'homme, cette idée de la justice est une concepti-

on de l'homme. En l'absence d'accord sur le sens des mots,

la démarche dialectique propre au droit devient absurde,

comme un dialogue de Ionesco. Le contradictoire devient

alors pure confrontation, rapport de force. L'unité perdue du

66 C'est le cas de la Russie actuelle, qui dit explicitement rejeter la culture individualistelibéraleoccidentale.

67 vÉronique chaMPeiL-desPLats et MicheL troPer, Théorie des contraintes juri-

diques,Paris,LGDJ,Lapenséejuridique,2005.

langage et de la conception de l'homme ne permet plus de

chercher ensemble le juste, et on ne sait plus que chercher :

à mesure que disparaît l'accord, la confusion progresse, et

avec elle la logique des rapports de force, comme en témoig-

ne l'arrêt Gross, rendu par 4 voix contre 3, ou l'arrêt X et au-

tres c. Autriche68 rendu à 10 voix contre 7.

[Rz 63] L'un des objectifs des droits de l'homme était d'éviter

que l'homme soit l'objet de rapports de force, de protéger

de l'Etat ce qui, en chaque personne, transcende l'Etat : il

s'agissait d'opposer une norme objective à la subjectivité de

l'Etat telle qu'elle se manifeste dans sa souveraineté. Les

droits de l'homme y sont parvenus, mais risquent de tomber

sous l'emprise inverse : celle de la subjectivité individuelle.

Or, les notions de souveraineté et d'autonomie sont iden-

tiques69 : elles sont les expressions de la seule volonté, de

l'Etat ou de l'individu, elles sont du « droit pur », du pur posi-

tivisme. Les droits de l'homme visaient non seulement à pro-

téger l'individu, mais aussi à transcender l'opposition entre

ces deux volontés que sont la souveraineté et l'autonomie,

par l'afirmation d'un ensemble de valeurs aussi objectives et universelles que possible ; ces valeurs, pour autant qu'elles

transcendent tant la société que l'individu, peuvent réguler

leurs relations sans les opposer. C'est là l'intérêt majeur des

systèmes de protection des droits de l'homme, qui ainsi fon-

dés, modèrent la puissance de l'Etat et de l'individu et ren-

dent possible l'intégration de l'autonomie personnelle dans

l'ordre juridique, tout en la distinguant de la dignité humaine

qui la justiie. Tout l'effort de rédaction des déclarations des droits de l'homme a consisté à faire émerger ces valeurs en

les dégageant de l'emprise de la toute puissance de l'Etat et

de l'idéologie ; il conviendrait aussi, dans la culture contem-

poraine, de préserver ces valeurs de l'emprise, cette fois, de

la toute puissance de l'Individu. Or, l'absorption de l'article

2 par l'article 8 témoigne d'une domination de la puissance

individuelle sur une valeur aussi centrale que le respect de

la vie. Cette domination n'est pas nécessairement cantonnée

en une seule et même personne, car l'affaire Koch admet

que la vie privée d'une personne ait « des droits » sur la vie

physique d'une tierce personne.

[Rz 64] Il demeure que même absorbée jurisprudentiellement

dans l'article 8, la lettre de l'article 2 demeure : « La mort ne

peut être inligée à quiconque intentionnellement ». Il n'est

pas possible de faire abstraction de cette réalité : une chose

est de reconnaître un « droit à la mort », une autre chose est

pour le personnel médical de devoir en assurer la garantie

effective, c'est-à-dire l'exécution.

[Rz 65] L'élaboration progressive d'un droit conventionnel au

suicide assisté, parce qu'il a une base juridique contestable

68 Arrêt CEDH X et autres c. Autriche (GC) du 19 février 2013, req. 19010/07. 69 ayMeric d'aLton,« La notion d'autonomie personnelle en droit européen des

droits de l'homme approche de philosophie du droit », Revue de la B.P.C., I/2009.

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Grégor Puppinck / Claire de la Hougue, Le droit au suicide assisté dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, in : Jusletter

27 janvier 2014

et contredit la lettre de la Convention, amène à s'interroger

sur le respect par la Cour des limites de ses compétences.

3. Le rôle de la Cour et le principe de subsi-

diarité

[Rz 66] Dans le système de protection des droits de l'homme

du Conseil de l'Europe, l'Etat est le premier garant des droits

des personnes se trouvant sous sa juridiction, la Cour aya-

nt un rôle subsidiaire. Selon l'article 19 de la Convention, la

Cour a pour fonction d'assurer le respect de la Convention et

sa mise en œuvre effective par les Etats membres du Con-

seil de l'Europe. Elle rappelle régulièrement que les autorités

nationales sont en principe les mieux placées pour apprécier

les besoins de la société et y répondre70. Néanmoins, la Con-

vention étant un instrument vivant à interpréter à la lumière

des conditions actuelles, la Cour peut étendre la protection

de la Convention à des réalités nouvelles, qui n'étaient pas

envisageables à l'origine. Pour cela, la Cour a coutume de

s'appuyer sur le consensus européen : « La Convention

étant avant tout un mécanisme de protection des droits de

l'homme, la Cour doit cependant tenir compte de l'évolution

de la situation dans les Etats contractants et réagir, par ex-

emple, au consensus susceptible de se faire jour quant aux

normes à atteindre »71. Elle constate ainsi que de nouveaux

droits sont désormais reconnus par l'ensemble des Etats

membres, même si elle se contente souvent d'une majorité

renforcée72.

[Rz 67] Concernant la légalisation du suicide assisté, la Cour

ne pouvait observer de consensus ni même de mouvement

en ce sens puisque seuls quatre Etats du Conseil de l'Europe

l'admettent. Elle le reconnait, comme à regret : « Force est

de constater que la grande majorité des Etats membres sem-

blent (sic) donner plus de poids à la protection de la vie de

l'individu qu'à son droit d'y mettre in. La marge d'appréciation des Etats est donc considérable dans ce domaine »(Haas,

§ 55). Ce n'est qu'au titre de la marge d'appréciation que les

Etats pourraient faire le choix de protéger davantage la vie

que le droit de se suicider, en pénalisant l'assistance au sui-

cide ou en imposant des conditions relatives notamment à

l'état de santé du candidat.

[Rz 68] L'appréciation du consensus paraît liée à l'opinion

de la Cour sur le sujet en cause. En effet, constatant dans

l'arrêt Koch que « Seuls quatre des Etats étudiés autorisent

les médecins à prescrire une dose létale de médicaments

ain de permettre à un patient de mettre in à ses jours », la

70 Voir par exemple Arrêt CEDH Fretté contre France du 26 février 2002, req. 36515/97, § 41.

71 Arrêt CEDH Stafford contre Royaume-Uni (GC) du 28 mai 2002, req. 46295/99, § 68.

72 Comme en témoigne la formule employée par les juges dissidents dans l'affaire A, B et C c. Irlande : « il existe un consensus couvrant une majori-

té substantielle des Etats membres du Conseil de l'Europe » (§ 4).

Cour conclut que « les Etats parties à la Convention sont loin

d'avoir atteint un consensus à cet égard, ce qui implique de

reconnaître à l'Etat défendeur une marge d'appréciation con-

sidérable dans ce contexte » (§ 70). Autrement dit, lorsque

quatre Etats seulement permettent l'euthanasie, la Cour ne

constate pas un large consensus en faveur de son interdic-

tion, mais une absence de consensus quant à sa légalisation.

Pourtant, le consensus européen existe, mais il est opposé

au suicide assisté comme cela a été rappelé par l'Assemblée

parlementaire du Conseil de l'Europe dans la Recommanda-

tion 1418 (1999) et la Résolution 1859 (2012). Curieusement,

l'arrêt Gross omet de mentionner ces deux textes.

[Rz 69] En fait, c'est la Cour elle-même qui, de toute son

autorité, contribue à briser le consensus européen contre

l'euthanasie en adoptant la perspective libérale selon laquel-

le les Etats doivent justiier les restrictions qu'ils imposent à l'exercice du suicide assisté, et non l'inverse. La protection

de la vie à travers l'interdiction de l'euthanasie et du suicide

assisté n'est plus une obligation au titre de l'article 2 mais

une tolérance concédée aux Etats tant qu'il n'y a pas de con-

sensus favorable au suicide assisté. Cette inversion de per-

spective soulève de réelles questions sur le rôle de la Cour.

La Cour afirmait traditionnellement qu'elle n'avait « point

pour tâche, lorsqu'elle exerce son contrôle, de se substituer

aux juridictions internes compétentes »73 ou aux « autorités

nationales »74. Est-ce encore vrai, ou faut-il généraliser son

afirmation selon laquelle désormais elle « ne doit pas se hâ-

ter de substituer sa propre appréciation à celle des autorités

nationales »75?

[Rz 70] Cette attitude est source de désaccords au sein

même de la Cour, comme le montrent les courtes majorités

auxquelles sont adoptés certains arrêts76, les renversements

par la Grande Chambre77 et l'existence d'opinions dissiden-

tes parfois très critiques78, les juges étant partagés entre

l'activisme judiciaire et une conception plus retenue du rôle

de la Cour79. Les juges minoritaires dans l'affaire Gross ont

73 Parmibeaucoupd'autres :ArrêtCEDHBranche moscovite de l'Armée du

Salut contre Russiedu5octobre2006,req.72881/01, § 77. 74 Parmibeaucoupd'autres:ArrêtCEDHFinancial Times Ltd et autres contre

Royaume-Unidu15décembre2009,req.821/03, § 61. 75 Arrêt CEDH Schalk et Kopf contre Autriche du 24 juin 2010, req. 30141/04,

§ 62. 76 4 contre 3 pour Gross, 10 contre 7 pour EB contre France et pour X et au-

tres c. Autriche, arrêt du 19 février 2013 req. 19010/07. 77 Par exemple Arrêts CEDH Lautsi c. Italiedu3novembre2009(2esection)

et du 18 mars 2011 (GC), req. 30814/06 ; Arrêts CEDH S.H.c. Autriche du 1eravril2010(1resection)etdu3novembre2011(GC),req.57813/00.

78 Voir par exemple la très sévère opinion dissidente du juge Borrego-Borre-go dans l'affaire Tysiac c. Pologne ; sur la dignité humaine, opinion con-cordante du juge De Gaetano dans S.H. c. Autriche (GC). En sens inverse : sur le rôle du consensus, S.H.c. Autriche (GC) opinion dissidente des ju-ges Tulkens, Hirvelä, Lazarova Trajkovska et Tsotsoria § 8 et A.B. et C c.

Irlande,opiniondissidentedesjugesRozakis,Tulkens,Fura,Hirvelä,Mal-inverni et Poalelungi, § 2 et 7.

79 La Cour s'est penchée sur cette question dans son Dialogue entre juges

15

Grégor Puppinck / Claire de la Hougue, Le droit au suicide assisté dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, in : Jusletter

27 janvier 2014

ainsi contesté intégralement le raisonnement de leurs col-

lègues et conclu que « In our view the Court should not oblige

the State to adopt some laws or provisions for broader regu-

lation of certain questions that the State has by itself determi-

ned in a clear and comprehensive manner »80.

[Rz 71] Peut-être que ces désaccords ne sont qu'un moment

dificile à passer pour la Cour : une période de transition philosophique marquée par la résistance des tenants de la

dignité inhérente contre les promoteurs d'une dignité libé-

rée de l'hétéronomie des universaux. Peut-être n'est-il pas

transitoire et amené au contraire à se renforcer : s'il s'agit

d'un conlit fondamental, il soumettra durablement la déiniti-on des droits de l'homme à la logique des rapports de force

comme c'est le cas actuellement.

[Rz 72] En conclusion, l'évolution marquée par ces quatre

arrêts n'implique pas seulement un changement dans la con-

ception de l'individu et de sa dignité, mais aussi dans celle

de l'Etat. Alors que l'article 2 protège la vie des personnes

de l'Etat, l'afirmation de l'autonomie individuelle s'opère da-

vantage envers l'Etat et la société qu'à leur encontre. Pour un

individu, afirmer son droit individuel au suicide assisté c'est moins afirmer sa liberté face à l'Etat que sa dépendance de l'Etat, lequel est sommé de l'assister en toutes choses,

de l'aider à assumer et à accomplir sa dignité personnelle.

Dans un apparent paradoxe, la liberté individuelle existe par

l'action positive de l'Etat. L'individu pourrait attendre de l'Etat

qu'il intervienne au titre de l'article 8 dans tout ce qui entre

dans le champ de sa vie privée, depuis la naissance, avec le

« droit des couples à concevoir un enfant et à recourir pour

ce faire à la procréation médicalement assistée »81 jusqu'à

la mort « dans la dignité ». Envisager « que les Etats aient

une obligation positive d'adopter des mesures permettant de

faciliter la commission d'un suicide dans la dignité »(Haas,

§ 61), c'est voir en l'Etat un Etat Providence total, situé quel-

que part entre le Deus omnipotens et la mère-poule. Un Etat

réellement libéral ne prendrait pas en charge le suicide des

individus.

GréGor PuPPinck et claire de la HouGue, Docteurs en droit.

La présente contribution a été rédigée en juillet 2013. Les

auteurs remercient Andreea Popescu, juriste, pour ses con-

tributions à la préparation de cette étude.

* * *

2008. 80 Gross,OpiniondissidentedesjugesRaimondi,JočienėetKarakaş,§10.81 S.H.c. Autriche (GC) § 82.