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Université de Lyon Université lumière Lyon 2 Institut d'Études Politiques de Lyon Le droit de l'occupation militaire à l'épreuve de la reconstruction de l'Etat par les puissances occupantes en Irak Barjot Laura Mémoire de Séminaire Droit International Public Sous la direction de : Moncef Kdhir Soutenu en Septembre 2011

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Université de LyonUniversité lumière Lyon 2

Institut d'Études Politiques de Lyon

Le droit de l'occupation militaire àl'épreuve de la reconstruction de l'Etat parles puissances occupantes en Irak

Barjot LauraMémoire de Séminaire

Droit International PublicSous la direction de : Moncef Kdhir

Soutenu en Septembre 2011

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Table des matièresRemerciements . . 5Introduction . . 6Partie I : D'une antinomie fondamentale entre le droit traditionnel de l'occupation etl'entreprise de reconstruction de l'Etat menée en Irak . . 17

Chapitre 1 : Des dispositions légales s'appliquant à l'occupation du territoire irakien par lesforces américaines et britanniques : l'occupant vu comme gardien du statu quo ante bellum. . 17

Section 1 : L'article 43 du Règlement de la Haye de 1907 : la portée du principeconservationniste . . 17Section 2 : L'article 64 de la IVème Convention de Genève de 1949 et l'applicabilitédes traités du droit international des droits de l'homme en territoire occupé: unélargissement des prérogatives de la puissance occupante . . 24

Chapitre 2 : Des réformes extensives adoptées par l'Autorité Provisoire de la Coalitiontrouvant difficilement leur place dans le droit traditionnel . . 31

Section 1 : Des réformes institutionnelles et judiciaires de grande ampleur . . 32Section 2 : Le remodelage économique : la mise en place d'une économie demarché . . 37

Partie II : Des sources problématiques de justification légale des réformes entreprises parles puissances occupantes en Irak . . 42

Chapitre 1 : L'ambiguïté de la Résolution 1483 du Conseil de Sécurité . . 42Section 1 : Le Conseil de Sécurité peut-il déroger au droit de l'occupation ? . . 43Section 2 : La création d'un « régime hybride » gouvernant l'occupation de l'Irak parle Conseil de Sécurité . . 48

Chapitre 2 : Des sources alternatives de justification de l'action transformatrice despuissances occupantes . . 55

Section 1: Le précédent de l'occupation de l'Allemagne et le renouveau de lathéorie du debellatio . . 56Section 2 : Le consentement des autorités irakiennes versus une atteinte au droit àl'auto-détermination ? . . 60

Chapitre 3 : De l'opportunité d'une réforme du droit de l'occupation . . 64Section 1 : Le droit traditionnel de l'occupation militaire vu comme un anachronismenécessitant une réforme radicale . . 64Section 2 : Des cadres alternatifs ne nécessitant pas une révision du droit del'occupation . . 70

Conclusion . . 75Bibliographie . . 77

Conventions et autres instruments internationaux . . 77Doctrine . . 77

Articles scientifiques . . 79Articles de presse . . 83Discours et déclarations . . 83Jurisprudence . . 83Documents officiels . . 84

Documents gouvernementaux de l'Autorité Provisoire de la Coalition . . 84Documents des Nations-Unies . . 85

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Autres documents officiels . . 86Autres . . 86

Annexes . . 87Résolution 1483 du Conseil de Sécurité des Nations-Unies, S/RES/1483, 22 Mai 2003 . . 87

Résumé . . 94

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Remerciements

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RemerciementsJe tiens à remercier tout particulièrement Moncef Kdhir, maître de conférences en droit à l'Institutd'Etudes Politiques de Lyon, qui a dirigé ce mémoire et m'a encouragée dans la poursuite de cethème de recherche qui me tenait à cœur.

Je souhaiterai également témoigner ma gratitude à Joe McGhee, représentant à Washington del'University of California Institute on Global Conflict and Cooperation auprès de qui j'ai effectué unstage l'an dernier, pour m'avoir mise en contact avec certains spécialistes du droit de l'occupation.Je remercie aussi mon professeur à Georgetown, l'Ambassadeur Allen Holmes ainsi que DanielSerwer, ancien diplomate et chercheur au Center for Transatlantic Relations, auprès de qui il m'aintroduite et qui a bien voulu répondre à mes questions.

Finalement, j'ai une pensée pour Michelle Dunne du Carnegie Endowment for InternationalPeace, dont j'ai suivi le cours sur les relations entre les Etats-Unis et le Moyen-Orient à Georgetownet qui m'a transmis sa passion pour la région.

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Introduction

Cette guerre ne ressemble pas à celles du passé : quiconque occupe un territoire lui imposeaussi son propre système social. Tout le monde impose son propre système aussi loin queson armée peut avancer. Il ne saurait en être autrement1.

Joseph Staline à Tito, Avril 1945Le droit de l'occupation est une branche du jus in bello ou droit international humanitaire,

encore appelé droit des conflits armés internationaux. Sa genèse remonterait à l'après-guerres napoléoniennes du milieu du XIXème siècle, le premier usage du terme occupationbelligérante datant de 1844, et aux écrits du publiciste allemand Hefter2. Sa codificationa ensuite commencé à l'époque de la guerre de Sécession américaine, en 1863, avecl'entrée en vigueur du Code Lieber, du nom du Professeur Francis Lieber. Ces « Instructionspour le Gouvernement des Armées des Etats-Unis sur le terrain » furent approuvées par lePrésident Lincoln dans le but de gouverner les opérations militaires de l'armée unioniste.Pour la première fois, un gouvernement établissait donc des indications formelles pourla conduite de ses armées envers l'ennemi. Il s'agissait là d'une tentative d'humanisationdu déroulement de la guerre moderne, de nombreux aspects des conflits y étant en effetabordés telle l'occupation de guerre. Ce code eu un impact important bien au-delà dela guerre de Sécession et du continent américain. La plupart des Etats européens ontpar la suite adopté leurs propres manuels puis le code a ensuite influencé les tentativesinternationales de codification du droit de la guerre, efforts en vue de concilier les nécessitésde l'action militaire avec les exigences d'un traitement humain de la population. Ainsi, en1874, le tsar Alexandre II de Russie invite quinze Etats européens à Bruxelles afin dediscuter d'un accord complet sur les lois et coutumes de la guerre. Bien qu'elle ne futjamais ratifiée, la Conférence a toutefois adopté une Déclaration incluant des provisions surl'occupation de guerre qui ont fortement influencé les provisions de la IVème Convention dela Haye de 1907 par laquelle le droit de l'occupation a rejoint le droit international positif.

Historiquement, l'occupation était vue comme un dérivé possible des opérationsmilitaires durant la guerre, l'on se référait donc à une occupation de guerre. L'histoirea montré que cela n'est pas forcément le cas, elle peut aussi bien résulter d'unemenace de faire usage de la force ou bien survenir après un armistice ou un traité depaix. Aujourd'hui, l'on parle plus simplement d'occupation, afin de mettre l'accent sur lephénomène d'occupation plutôt que sur la manière par laquelle le territoire est tombé souscontrôle étranger3. Le droit de l'occupation se fonde sur le principe d'inaliénabilité de lasouveraineté par la force. Il se distingue en effet de l'ancien droit de conquête qui accordaitla souveraineté complète sur le territoire conquis et donc la possibilité de l'annexer ainsi que

1 DJILAS, Milovan, Conversations avec Staline, Actes Sud, Collection Babel, 2001.2 OPPENHEIM, L., International Law : A treatise, Volume 2 : War, Peace and Neutrality, 1935, ed H. Lauterpacht, 5th ed.3 WILDE, Ralph, « From Trusteeship to Self-Determination and Back Again : The role of the Hague Regulations in the Evolution

of International Trusteeship, and the Framework of Rights and Duties of Occupying Powers », Loyola of Los Angeles Internationaland Comparative Law Review, Fall 2009

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Introduction

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d'asservir sa population4. L'occupation s'oppose ainsi au concept de debellatio, situationdans laquelle le souverain est défait, les institutions de l'Etat sont détruites, et aucun alliéne continue le combat en son nom. L'Etat vaincu perd donc sa personnalité juridique et celaouvre la voie à l'annexion5. Il faut aussi distinguer les cas d'occupation belliqueuse des casd'occupation pacifique, par accord par exemple, les premiers donnant lieu à l'applicationdes conventions sur les conflits armés internationaux tandis que les seconds peuvent s'eninspirer sans qu'elles soient applicables de manière formelle6.

Le contrôle effectif du territoire occupé est la condition primordiale permettant de définirune situation d'occupation. En effet, l'article 42 du Règlement concernant le droit et lescoutumes de la guerre sur terre annexé à la IVème Convention de la Haye stipule que :«Un territoire est considéré comme occupé lorsqu'il se trouve placé de fait sous l'autoritéde l'armée ennemie. L'occupation ne s'étend qu'aux territoires où cette autorité est établieet en mesure de s'exercer. 7»

Il y a donc deux conditions cumulatives à remplir: l'établissement de l'autorité de faitpar la puissance occupante et sa capacité à exercer cette autorité. Dans le cas d'uneoccupation à la suite d'un conflit armé, l'article 6 de la IVème Convention de Genève stipuleque l'occupation cessera un an après la fin des opérations militaires, si elle s'étend au-delàl'occupant reste lié par un nombre limité des dispositions de la Convention8. La jurisprudencea par la suite pu préciser les conditions déterminant l'occupation. Il n'est ainsi pas questionde l'intention de l'occupant mais de signes de contrôle effectif tels que la substitution deson autorité à celle du souverain déchu, c'est ce que la Cour de Justice a notamment puaffirmer dans l'affaire des Activités Armées 9. La définition de ce degré de contrôle ainsique sa qualification comme effectif et constitutif d'une occupation s'évalue donc au cas parcas. Ce contrôle n'implique toutefois pas l'extension du contrôle militaire sur l'intégralitédu territoire. La suprématie aérienne ou maritime n'est toutefois pas suffisante, il faut uncontrôle terrestre. De plus, dans l'affaire Naletilic, la Chambre de Première Instance duTribunal Pénal International pour l'Ex-Yougoslavie a pu énumérer un certain nombre de

4 Position britannique au XIXème siècle : « un pays conquis fait immédiatement partie du dominion du roi », cité dansGLAZIER, David, « Ignorance Is Not Bliss : The Law Of Belligerent Occupation and the US Invasion of Iraq », Rutgers Law Review,Vol.58, n°1, 2005. De plus, en 1813, les cours américaines et britanniques ont soutenu que l'occupation militaire conférait « the fullestright of sovereignty » soit le titre de souveraineté, à l'occupant, US v. Rice, 1819

5 Voir chapitre 2, section 1 sur la théorie du debellatio6 VITE, Sylvain, « L'applicabilité du droit international de l'occupation militaire aux activités des organisations internationales »,

Revue Internationale de la Croix-Rouge, Vol.86, n°853, Mars 20047 Article 42, Règlement annexe à la Convention IV concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre, La Haye, 19078 L'article 6 des Conventions de Genève stipule ainsi que dans le cas des territoires occupés suite à un conflit armé : « En

territoire occupé, l'application de la présente Convention cessera un an après la fin générale des opérations militaires ; néanmoins, laPuissance occupante sera liée pour la durée de l'occupation - pour autant que cette Puissance exerce les fonctions de gouvernementdans le territoire en question - par les dispositions des articles suivants de la présenteConvention : 1 à 12, 27, 29 à 34, 47, 49, 51, 52,53, 59, 61 à 77 et 143. Les personnes protégées, dont la libération, le rapatriement ou l'établissement auront lieu après ces délaisresteront dans l'intervalle au bénéfice de la présente Convention. » Avec l'adoption du Protocole Additionnel, l'application de celui-ciet des Conventions prend toutefois fin à la fin de l'occupation quelle que soit son origine. »

9 Dans l'affaire des Activités Armées sur le Territoire du Congo, la CIJ devait déterminer si il y avait eu occupation militairepar les forces ougandaises, cela revenait donc à « s'assurer que les forces armées ougandaises présentes en RDC n'étaient passeulement stationnées en tel ou tel endroit, mais qu'elles avaient également substitué leur propre autorité à celle du Gouvernementcongolais », Affaire des Activités Armées sur le Territoire du Congo, République Démocratique du Congo c. Ouganda, CIJ, 2005.

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conditions permettant de déterminer une situation d'occupation et notamment le fait que lapuissance occupante doit disposer « sur place de suffisamment de force ou de la capacitéd'envoyer des troupes dans un délai raisonnable pour imposer son autorité 10». La phasede l'invasion ne peut non plus relever de l'application du droit de l'occupation. Celle-ci necommence vraiment que lorsque l'intervention aboutit à un certain niveau d'organisationet de stabilité dans le pouvoir établi comme le Tribunal militaire américain l'a soutenu àNuremberg en 1948 dans l'affaire Von List11 . L'on est pourtant face à deux interprétationsdifférentes : une occupation pourrait exister quand une partie au conflit exerce un certainniveau d'autorité ou de contrôle sur le territoire de l'ennemi. Des troupes qui avancentpourraient ainsi être considérées comme des forces occupantes et donc soumises au droitde l'occupation. Ainsi, pour Pictet, l'application de la IVème Convention de Genève nedépend pas de l'existence d'un état d'occupation tel que défini à l'article 42 du Règlement dela Haye. L'approche plus restrictive et plus répandue, suggérée par la plupart des manuelsmilitaires et conforme au jugement de l'affaire Von List, se base pourtant sur la substitutionde l'autorité de la puissance occupante à celle du souverain, la période d'invasion n'étantdonc pas comprise. Finalement, si des hostilités telles qu'une rébellion éclatent et ont lacapacité de réduire le degré de contrôle effectif exercé par la puissance occupante surcertaines sections du territoire, cela ne met pas fin au régime d'occupation12. L'insurrectionen Irak n'a donc pas eu d'incidence sur l'application de ce régime. Enfin, la doctrine a reprisla définition légale et confirmé l'importance du principe d'effectivité en considérant qu'il y aoccupation lorsqu'il y a « soumission de facto d'un territoire et de sa population à l'autoritéd'une armée ennemie »13. Pour Jean Salmon, il s'agit donc d'une « occupation résultantd'une invasion, de l'installation effective, mais de caractère essentiellement provisoire, desforces armées d'un belligérant sur tout ou partie du territoire ennemi en temps de guerre 14».Globalement, l'occupation est donc un statut intermédiaire entre l'invasion et la conquête,l'autorité de l'occupant dérivant de son pouvoir de fait, de sa capacité militaire à exercer lesfonctions de l'administration de manière provisoire et non d'un droit souverain ou d'un titresur le territoire. En corrélation avec ce pouvoir de fait surviennent donc des restrictions aupouvoir de l'occupant. La population lui doit une obéissance factuelle et non légale en retourde sa contribution à la préservation de l'ordre public15. L'occupant a donc le devoir d'établirun système d'administration directe sur le territoire16.

Le droit de l'occupation est essentiellement de nature conventionnelle et se constituede deux traités que sont la IVème Convention de la Haye de 1907 ainsi que la IVème

10 Prosecutor v. Natelilic, TPIY, chambre de 1ère instance, jugement du 31 mars 2003 : « Pour déterminer si l'autorité de lapuissance occupante est établie dans les faits, on peut recourir aux critères suivants:- la puissance occupante doit être en mesurede substituer sa propre autorité à celle de la puissance occupée, désormais incapable de fonctionner publiquement ; - les forcesennemies se sont rendues, ont été vaincues ou se sont retirées (…) ; - La puissance occupante dispose sur place de suffisammentde force pour imposer son autorité (…) ; -une administration provisoire a été établie sur le territoire ; -la puissance occupante a donnédes ordres à la population civile et a pu les faire exécuter ». La Chambre s'appuie notamment sur les travaux doctrinaux dont l'articled'Adam Roberts faisant autorité en la matière, « What is a military occupation ? », BYIL, 1984

11 List and others (The Hostages case), US Military Tribunal of Nuremberg, 194812 DINSTEIN, Yoram, The International Law of Belligerent Occupation, Cambridge University Press, 200913 SALMON, Jean (sous la direction de), Dictionnaire de droit international public, Bruylant, Bruxelles, 200114 SALMON, Jean, op. Cit.15 VON GLAHN, Gerhard, The occupation of Enemy Territory, University of Minnesota Press, 195716 BENVENISTI, Eyal, The International Law of Occupation, Princeton University Press, 2004

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Introduction

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Convention de Genève de 1949, tous deux applicables à notre étude étant donné leurratification par les trois parties concernées : les Etats-Unis, le Royaume-Uni et l'Irak. Ainsi,une série de conventions a été adoptée lors des conférences de la paix en 1899 et 1907 àLa Haye. L'occupation y est plus particulièrement traitée dans la section III du Règlementconcernant le droit et les coutumes de la guerre sur terre, attaché comme annexe à laIVème Convention de 1907. Ce Règlement a petit à petit acquis un caractère déclaratoireet coutumier qui a été reconnu dans le jugement de Nuremberg par le Tribunal MilitaireInternational17. La Cour International de Justice l'a elle-même reconnu dans son avisconsultatif de 2004 sur le Mur et son arrêt de 2005 sur les Activités Armées18. Les provisionsdu Règlement lient donc l'ensemble des Etats qu'ils soient ou non parties contractantes auxConventions de la Haye de 1899/1907. Comme l'affirme David Glazier de l'University ofVirginia School of Law, ces conventions « représentent encore jusqu'à présent l'effort le pluscomplet de régulation de la conduite des hostilités »19. Ainsi, les droits temporaires et limitésd'administration accordés à l'armée occupante par le Règlement de la Haye représentent unpremier pas dans l'humanisation de la guerre. Ces Conventions étaient toutefois adaptéesaux conditions politiques, économiques et sociales du XIXème siècle. Le principe du laissez-faire étant dominant, gouvernement et société étaient strictement séparés ainsi que lescivils et leurs armées/gouvernements dans les conflits, ces derniers ne mettant aux prisesque les souverains entre eux. Il s'agit là de la doctrine Rousseau/Portales qui a influencél'esprit des Conventions de La Haye. Les délégués des conférences de la Haye ont ainsiconçu l'occupation comme une période transitoire entre les hostilités et la conclusion d'untraité de paix. L'on présupposait que cette séparation entre gouvernement et civils, entrepropriété publique et privée serait toujours valable en temps de guerre, ce qui n'entraîneraitaucun conflit entre la puissance occupante et la population. La Haye envisageait donc unecoexistence pacifique entre la population locale et l'armée occupante avec un minimumd'interactions. L'occupant ne devait avoir aucun intérêt pour le système juridique et les loisen vigueur dans la zone sous son contrôle excepté lorsque cela pouvait influer sur la sécuritéde ses troupes et le maintien de l'ordre. Le souverain concédait ainsi à l'occupant unecertaine marge de manœuvre dans ces domaines pour s'assurer du maintien de ses basesde pouvoir et pour garantir le traitement humain de ses citoyens. Les experts de l'époquevoyaient donc les motivations de l'occupant comme des préoccupations militaires à courtterme, n'empiétant pas sur l'ordre local. La nécessité militaire était vue comme la seuleconsidération qui pourrait empêcher de manière absolue l'occupant de respecter l'ordreancien. Cela se reflétait dans la pratique des occupations du XIXème siècle : elles étaientde courte durée et les occupants sauvegardaient la législation locale le plus possible20. Cesont les représentants des pays les plus faibles, les plus susceptibles d'être occupés quiont voulu donner ces pouvoirs limités à l'occupant afin de s'assurer d'un retour rapide àl'ordre et à leur vie quotidienne habituelle. Sous ce régime, l'occupant est donc titulaire de la

17 « These rules laid down in the (Hague) Convention were recognized by all civilized nations, and were regarded as beingdeclaratory of the laws and customs of war », « les règles fixées par la Convention de la Haye ont été reconnues par toutes les nationscivilisées et considérées comme ayant un caractère déclaratoire des lois et coutumes de la guerre » International Military Tribunal(Nuremberg), 1948. Traduction de l'auteur du mémoire.

18 Avis Consultatif du 9 juillet 2004 sur les Conséquences Juridiques de l'Edification du Mur en Territoire Palestinien Occupé,CIJ, 2004 et Affaire des Activités Armées sur le Territoire du Congo, République Démocratique du Congo c. Ouganda, CIJ, 2005

19 GLAZIER, David, « Ignorance Is Not Bliss : The Law Of Belligerent Occupation and the US Invasion of Iraq », Rutgers LawReview, Vol.58, n°1, 2005

20 BENVENISTI, Eyal, « The Security Council and the Law on Occupation : Resolution 1483 on Iraq in Historical Perspective »,IDF, L.R, 2003

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souveraineté de fait tandis que le souverain déchu la retient de jure. L'occupant ne peut doncpas considérer le territoire occupé comme faisant partie de son propre territoire, l'annexiondevenant ainsi illégale21. La logique derrière la formalisation du droit de l'occupation était eneffet de restreindre la domination totale d'un territoire par une puissance occupante. Afin depréserver le statu quo ante bellum, le droit de l'occupation modifie donc le précédent droitd'annexer et d'asservir les territoires occupés. Le régime juridique de l'occupation militaire secaractérise ainsi par deux principes généraux qui sont l'obligation de respecter les droits dela personne et le maintien du statu quo territorial et législatif durant cette période temporaire.Sous le Règlement de la Haye, elle était essentiellement vue comme un accord entre lesélites étatiques qui s'assuraient ainsi leur retour au pouvoir même si elles étaient chasséesde leur territoire pendant une période limitée. L'occupant devait ainsi préserver les intérêtsdu gouvernement dans l'attente d'une résolution du conflit, de la signature d'un traité depaix, d'un armistice ou d'une capitulation. L'on partait donc du principe que la puissanceoccupante pouvait assumer le pouvoir temporaire sans faire de changements fondamentauxdans le territoire occupé, qu'elle n'aurait aucun intérêt à effectuer de tels changements étantdonné que le conflit concernait les seuls souverains respectifs22. Ainsi, le principe de l'égalitésouveraine des Etats consacré par l'article 2 de la Charte des Nations-Unies se reflète dansles provisions des traités notamment dans l'interdiction de forcer les habitants du territoireoccupé à jurer allégeance à l'occupant (article 45 du Règlement de la Haye) ainsi que dansl'article 55 qui qualifie l'occupant d'administrateur et usufruitier des bâtiments publics etdes ressources.Les règles de la Haye sont donc minimales en accord avec cette visioncontrairement aux Conventions de Genève qui représentent un changement de conceptiondu rôle des gouvernements dans la vie des citoyens, élargissant ainsi les justificationspermettant aux occupants d'intervenir.

Ainsi, en 1949, quatre Conventions pour la protection des victimes de guerre sontadoptées à Genève. La IVème Convention, relative à la protection des civils en tempsde guerre, s'applique également en temps d'occupation. Son but était ainsi d'améliorerla protection humanitaire accordée aux civils par le Règlement de la Haye pour éviter lareproduction des atrocités commises durant la 2nde Guerre Mondiale par les puissancesde l'Axe. Ces quatre Conventions sont d'application universelle étant donné que tous lesEtats de la planète les ont ratifiées. La IVème Convention est également constitutivede droit coutumier. Elle est ainsi vue comme un « bill of rights 23» pour la populationoccupée, l'accent n'étant plus mis sur la sauvegarde des intérêts politiques du souveraindéchu mais sur la protection de la population aux mains de l'ennemi. L'occupant doit àprésent trouver le juste équilibre entre ses besoins en matière de sécurité et l'intérêt de lapopulation. La Convention a aussi étendu l'application du droit à « tous les cas d'occupationde tout ou partie du territoire d'une Haute Partie contractante, même si cette occupationne rencontre aucune résistance militaire»24. Le Règlement de la Haye présupposait eneffet que l'occupation résulte uniquement d'un état de guerre. L'occupant devient doncmaintenant un régulateur impliqué dans la gestion du territoire. Il doit notamment respecterle traitement humain des personnes, respecter leurs convictions religieuses, pratiques etcoutumes (article 27), faciliter la bonne marche des institutions vouées à l'éducation et aux

21 Voir la jurisprudence comme Lighthouses Case (Greece v. France), 195622 Les représentants présents à la Conférence de la Haye étaient conscients qu'un territoire mal administré puisse tenter

l'occupant à introduire des changements permanents au sein du territoire mais ne l'ont pas permis. GRABER, Doris Appel, Thedevelopment of the law of belligerent occupation 1863-1914, Columbia University Press,1949

23 BENVENISTI, Eyal, The International Law of Occupation, Princeton University Press, 200424 Article 2, IVème Convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre, 1949

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soins des enfants (article 51), assurer l'approvisionnement en nourriture et en fournituresmédicales (article 56) ou encore faciliter les missions humanitaires par tous les moyens à sadisposition (article 59). L'article 27 garantit le respect et le traitement humain des personnesprotégées « en toutes circonstances » et « en tout temps ». Ces protections sont absolues,sujettes à aucune restriction et non-dérogeables25. Cependant, c'est l'article 64 qui nouspréoccupera ici le plus étant donné qu'il permet d'élargir les prérogatives octroyées à lapuissance occupante dans le domaine législatif. Quant aux rapports entre la Conventionet le Règlement de la Haye, la Convention renvoie au Règlement pour tout ce dont ellene fait pas mention. Le Règlement quant à lui doit se plier au nouvel éclairage du droitissu du système des Conventions de Genève. En 1977, un Protocole additionnel relatif àla protection des victimes de conflits armés internationaux (le Protocole I) a été annexéaux Conventions de Genève. Certaines de ses clauses traitent des territoires occupés. Iln'est toutefois pas universellement reconnu, une minorité d'Etats tels que les Etats-Unis nel'ayant pas ratifié. Il ne s'applique donc pas à l'occupation de l'Irak26.

De nombreux développements depuis la 2nde Guerre Mondiale ont toutefois amenéles experts à s'interroger sur l'adaptation du droit de l'occupation aux conditionscontemporaines. De nombreuses tensions et contradictions se sont développées au furet à mesure de l'histoire, de la pratique des Etats et de l'évolution du droit internationalavec notamment l'avènement du droit international des droits de l'homme et le principed'auto-détermination des peuples. Comme l'affirme Parsons, avocat à l'United States MarineCorps: « les occupants essaient maintenant généralement d'administrer le gouvernementau nom de la population locale et non du parti au pouvoir déchu. 27» Ainsi, dans la plupart descas, il n'y a plus de gouvernement en exil qui attend de reprendre le pouvoir sur le territoireoccupé. De plus, comme cela a été le cas en Irak, les puissances occupantes peuventavoir pour objectif de refonder les institutions et structures fondamentales de la sociétéoccupée. Elles peuvent aussi se trouver confrontées à un « failed state » ou une structureétatique insuffisamment développée et performante28. Postuler que le souverain précédentest légitime ou que les lois en vigueur sont généralement satisfaisantes peut ainsi poserproblème29. Cette conception de l'occupant comme dépositaire, « trustee » de l'autorité dusouverain déchu s'est également étiolée avec l'idée selon laquelle la souveraineté résideà présent dans le peuple et non plus dans son gouvernement. La citation de Stalinementionnée avant l'introduction résume ainsi les défis contemporains auxquels le droit del'occupation fait face depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale et de manière plus aigüeencore depuis la fin de la guerre froide. Ainsi, la défaite des puissances de l'Axe en 1945et l'occupation de l'Allemagne et du Japon montrent qu'un but politique transformationnelpeut souvent survenir dans une occupation mais aussi suite à d'autres types d'interventionsaffichant des similarités avec l'occupation comme les administrations internationales deterritoires par l'ONU suivant un conflit, menant à des transformations radicales des systèmes

25 THURER D., MACLAREN M., « Ius Post Bellum in Iraq », Global International Law : Essays in Honor of Jost Delbruck,Klaus Dicke et al. eds, 2005

26 Le Protocole Additionnel ne modifie toutefois en rien le principe du statu quo législatif.27 PARSONS, Breven, « Moving the Law of Occupation Into the Twenty-First Century », Naval Law Review, 2009. Traduction

de l'auteur du mémoire28 GOODMAN, Davis, « The Need for Fundamental Change in the Law of Belligerent Occupation », Stanford Law Review,

Vol.37, n°6, juillet 198529 ROBERTS, Adam, « Transformative Military Occupation : Applying the Laws Of War and Human Rights », The American

Journal of International Law, Vol. 100, 2006

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institutionnels. Ce dernier type d'intervention permet à certains de légitimer les interventionsextensives des puissances occupantes. Pour Grant Harris de la Yale Law School: « Lesoccupants se conforment rarement à la lettre ou à l'esprit de ce corps du droit. Il en résulteque l'autorité juridique du droit de l'occupation et son statut sont incertains.30 ». Ainsi,historiquement, les Etats ont été très réticents à reconnaître leur statut d'occupant et le droitde l'occupation reste un corps juridique très peu appliqué.

L'on va ainsi éprouver ces contradictions grâce à l'étude d'un cas concret : l'occupationde l'Irak par les Etats-Unis et le Royaume-Uni entre avril-mai 2003 et le 28 juin 2004. PourEyal Benvenisti, professeur de droit à l'Université de Tel Aviv, il s'agit là du « développementle plus significatif dans le droit de l'occupation ces dernières années 31». L'on se trouveen effet face à un cas d'occupation transformatrice, ou « transformative occupation », lesbuts affichés de l'intervention étant la transformation de l'Irak en démocratie ainsi que lapromotion de l'économie de marché dans le pays. Ils se posent ainsi en contradiction avecle principe de respect du statu quo contenu dans le droit de l'occupation. La discussionde la légalité de l'invasion de l'Irak par l'administration américaine n'est pas le propos decette étude qui se restreint à la période de l'occupation. Il est toutefois important de rappelerque l'identification d'une occupation ne dépend pas des causes à l'origine du conflit ni de lalégalité de l'intervention initiale. Un tribunal militaire américain a en effet pu juger en 1948dans le procès des otages que: « le droit international ne fait aucune distinction entre unoccupant légal ou illégal en ce qui concerne les devoirs respectifs de l'occupant et de lapopulation en territoire occupé. 32» Il y a donc une séparation stricte entre jus ad bellum etjus in bello. Il convient toutefois de revenir sur une courte chronologie des évènements ayantamené à l'intervention puis à l'occupation de l'Irak. Ainsi, suite à la première guerre du Golfed'avril 1991, le Conseil de Sécurité de l'ONU a imposé certaines obligations à l'Irak danssa Résolution 687. Elle l'obligeait notamment à permettre des inspections internationalesvisant à vérifier la destruction de son arsenal chimique, biologique et nucléaire. Durant lesannées 90, les inspecteurs et les autorités irakiennes sont rentrés de nombreuses fois enconflit sur ces obligations de désarmement. En 2002, les inspecteurs sont retournés en Iraksuite à la résolution 1441 affirmant que l'Irak manquait à ses obligations et se voyait donnerune dernière chance pour mettre au jour son stock d'armes. Le consensus a disparu au seindu Conseil de Sécurité suite à la réticence continue de l'Irak et les Etats-Unis ont cherchéà obtenir l'autorisation du Conseil en vue d'une intervention armée. En l'absence des votesnécessaires, les Etats-Unis et le Royaume-Uni ont lancé les hostilités le 20 mars. L'on peutdire que le projet de transformation politique de l'Irak était une idée assez forte chez lesaméricains, constituant une part importante de la logique derrière l'intervention et était peut-être plus important dans l'esprit de certains politiques que le désarmement33. Pour eux, unIrak démocratique suivant les principes de l'économie de marché en tirerait des bénéficespour sa population et pour la région. L'armée américaine se voyait en effet comme une forcede libération et aurait préféré éviter l'application du droit de l'occupation. Paul Bremer, à la

30 HARRIS, Grant, « The Era of Multilateral Occupation », Berkeley Journal of International Law, Vol.24, n°1, 200631 BENVENISTI, Eyal, The International Law of Occupation, Princeton University Press, 2004. Traduction de l'auteur du

mémoire.32 Hostages Trial, US Military Tribunal, Nuremberg, 194833 ROBERTS, Adam , « Transformative Military Occupation : Applying the Laws Of War and Human Rights », The American

Journal of International Law, Vol. 100, 2006

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Introduction

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tête de l'APC, a pu ainsi affirmer en juin 2003 : «L'occupation est un mot désagréable aveclequel les Américains ne se sentent pas à l'aise, mais c'est un fait 34».

Il est aussi important de prendre en compte le contexte de dégradation économiqueet politique de l'Irak au moment de l'occupation. L'infrastructure publique se trouvait dansun très mauvais état suite aux conflits successifs auxquels l'Irak avait pris part et au peud'investissement effectué. La plupart des irakiens avaient un accès limité aux servicesessentiels de base et les systèmes de santé et d'éducation déclinaient fortement. Lacentralisation et la planification autoritaire du gouvernement ainsi que la corruption et lessanctions économiques imposées par l'ONU ont également ralenti le progrès économique.Plus de 80% des irakiens vivaient ainsi dans la pauvreté à ce moment35. La reconstructionétait donc un impératif. Ainsi, pour McCarthy, la question n'est pas de déterminer si il y avaiteffectivement un besoin de réforme et de reconstruction en Irak mais plutôt comment ceprocessus devrait être conduit pour être conforme aux restrictions du droit international36.

L'établissement de l'occupation en Irak s'est étalée tout au long du mois d'avril 2003,au fur et à mesure de l'avancée des troupes sur le territoire. L'on ne peut donc déterminerde jour précis, il s'agit plutôt d'une succession de phases aboutissant à l'effondrement durégime fin avril 2003 et à la déclaration du président des Etats-Unis le 1er mai de la findes principales opérations de combat débutées le 20 mars et l'annonce du début d'unephase de reconstruction37. L'occupation aurait donc commencé au plus tard le 1er mai, lestroupes coalisées étant en mesure de contrôler le pays malgré la persistance de violencedans plusieurs zones38. Les principaux leaders du régime étaient alors en fuite ou avaientété exécutés. Le 8 mai 2003, les Etats-Unis et le Royaume-Uni ont ainsi adressé une lettreau président du Conseil de Sécurité pour présenter leurs intentions et annoncer la créationd'une Autorité Provisoire de la Coalition (APC) avec pour mission « d'exercer les pouvoirs degouvernement de manière temporaire »39, ils se posaient donc dans le champ d'applicationdu droit de l'occupation et reconnaissaient de manière implicite leur statut d'occupants.Le 22 mai, le Conseil de Sécurité a adopté la résolution 1483 fixant un cadre pour lerégime établi. Il prend ainsi note de l'établissement de l'APC et reconnaît « les pouvoirs,responsabilités et obligations spécifiques de ces Etats en tant que puissances occupantesagissant sous un commandement unifié »40. Cette résolution ambiguë et controversée a uneportée très importante car au lieu d'appeler à la restauration des institutions, le peuple irakieny est encouragé à exercer son droit à l'auto-détermination et à former un gouvernementreprésentatif. Un certain nombre de réformes de grande ampleur y semble également être

34 «Occupation is an ugly word, not one that Americans feel comfortable with, but it's a fact», « Adjusting to Iraq », WashingtonPost, 1er juin 2003. Traduction de l'auteur du mémoire

35 United Nations/World Bank Joint Iraq Needs Assessment, October 200336 McCARTHY, Conor, « The Paradox of The International Law of Military Occupation : Sovereignty and the Reformation of

Iraq », Journal of Conflict and Security Law, Vol. 10, n°1, 200537 DIETRICH, John W., The George W. Bush Foreign Policy Reader : Presidential Speeches with Commentaries, M.E. Sharpe,

200538 KOLB, Robert et VITE, Sylvain, Le droit de l'occupation militaire, Collection de l'Académie de Droit International Humanitaire

et de droits humains à Genève, 200939 Lettre des Etats-Unis et du Royaume-Uni au Représentant du Conseil de Sécurité, UN Doc. S/2003/538, du 8 mai 200340 Résolution 1483 du Conseil de Sécurité, 22 Mai 2003, S/RES/1483

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préconisé41. Toutefois, la résolution appelle dans le même temps au respect du Règlementde la Haye et de la IVème Convention de Genève, les deux textes et le principe du statu quolégislatif gouvernant donc encore l'occupation. L'on peut rappeler que l'armée américainese réfère également à son manuel de terrain qui fournit un code de conduite pratique etjuridique à ses troupes. Il fait ainsi référence aux Conventions de la Haye et de Genève et enreprend les provisions principales telles que l'article 43 du Règlement de la Haye relatif austatu quo législatif42. L'occupation de l'Irak répond donc aux critères établis par les textes etla jurisprudence et a été reconnue comme telle par le Conseil de Sécurité. De plus, il s'agitde l'une des seules occupations de guerre déclarées depuis la 2nde Guerre mondiale43.

Différents plans pour l'administration du territoire ont été discutés mais l'on afinalement opté pour une administration conduite par les Etats-Unis avec une participationminimale de l'ONU. C'est la première fois que l'ONU était appelé à travailler avec unepuissance occupante dans l'administration post-conflit d'un territoire. La première structureadministrative introduite a été l'Office for Reconstruction and Humanitarian Assistance enjanvier pour répondre de manière prioritaire à la crise humanitaire. L'administration complètede l'occupation semble avoir ensuite commencé le 16 avril 2003, un jour après une rencontrede différentes factions irakiennes s'étant mises d'accord sur un plan en treize points pourconduire l'Irak vers la démocratie, un plan vu par les Etats-Unis et la Coalition commefournissant un mandat pour initier des changements drastiques44 . Le 16 avril le généralTommy Franks, commandant des forces de la coalition, a annoncé la création de l'APC,dirigée par l'Ambassadeur L. Paul Bremer III. La première Régulation émise par l'APCdéfinit ainsi l'étendue de ses pouvoirs : «L'APC est investie du pouvoir exécutif, législatifet judiciaire nécessaire pour atteindre ses objectifs, devant être exercé en conformité avecles Résolutions pertinentes du Conseil de Sécurité, dont la Résolution 1483 et les lois etcoutumes de la guerre » 45» Son mandat était d' « exercer les pouvoirs du gouvernementde manière temporaire en vue d'une administration effective de l'Irak durant la périoded'administration transitoire, restaurer les conditions de sécurité et de stabilité et créerles conditions dans lesquelles le peuple Irakien pourra déterminer librement son avenirpolitique»46.

Un Conseil du Gouvernement Irakien temporaire a également été institué par lacoalition mais il n'existe aucune description de son interaction avec l'Autorité Provisoire dela Coalition dans les documents officiels. L'autorité pleine et entière de l'APC avait pourconséquence que le pouvoir résidait de façon prioritaire entre ses mains. Ainsi, la Régulation

41 Voir Partie 2 chapitre 142 ZAHAWI, Hamada, « Redefining the Laws of Occupation in the Wake of Operation Iraqi "Freedom": "Was It aMistake? Some

Iraqis Say Life Is Worse than It Was under a Dictator", California Law Review, Vol. 85, n°6, décembre 200743 BENVENISTI, Eyal, The International Law of Occupation, Princeton University Press, 2004. Traduction de l'auteur du

mémoire.44 ROBERTS, Adam, « Transformative Military Occupation : Applying the Laws Of War and Human Rights », The American

Journal of International Law, Vol. 100, 200645 « The CPA is vested with all executive, legislative and judicial authority necessary to achieve its objectives, to be exercised

under relevant UN Security Council Resolutions, including Resolution 1483, and the laws and usages of war. » CPA Regulation Number1, « The Coalition Provisional Authority », CPA/REG/16 May 2003/01. Traduction de l'auteur du mémoire

46 « exercise powers of government temporarily in order to provide for the effective administration of Iraq during the period oftransitional administration, to restore conditions of security and stability, and to create conditions in which the Iraqi people can freelydetermine their own political future ». CPA Reg 1, Traduction de l'auteur du mémoire

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n°6 affirme que l'APC consulterait et se coordonnerait avec le Conseil du Gouvernementen accord avec la Résolution 1483, cette dernière donnant toutefois les responsabilitésde gouvernement aux puissances occupantes47. Finalement, le Représentant Spécial duSecrétaire Général devait prendre en charge certaines questions en coordination avecl'Autorité, mais n'était doté d'aucune responsabilité de gouvernement. En août 2003 a étéégalement établie la Mission d'Assistance des Nations-Unies en Irak.

Il est également important de déterminer quand s'est terminée l'occupation afin decirconscrire notre étude à une période bien définie. L'on ne peut toutefois tirer de définitionprécise des sources conventionnelles du droit quant à la fin de l'occupation. Celle-ci doitêtre déterminée à l'aide du critère de contrôle effectif. L'occupation peut donc prendre finsuite à la conclusion des opérations militaires, à l'expulsion de la puissance occupante,à la perte de son emprise sur le territoire du fait du succès d'une rébellion ou bien avecle transfert du pouvoir à un gouvernement local, ce qui semble être le cas pour l'Irak.Ainsi, dans sa Résolution 1546, le Conseil de Sécurité affirme que « d'ici le 30 juin 2004(…) l'occupation prendra fin, l'Autorité provisoire de la Coalition cessera d'exister et l'Irakretrouvera sa pleine souveraineté »48. Il s'agissait de la date prévue pour la passation despouvoirs de l'APC au gouvernement intérimaire de l'Irak qui a finalement eu lieu le 28juin lorsque l'Autorité a formellement remis ses pouvoirs au gouvernement provisoire. Deplus, dans sa Résolution 1511, le Conseil de Sécurité a autorisé la constitution d'une forcemultinationale sous commandement unifié ayant pour mission de prendre les « mesuresnécessaires pour contribuer au maintien de la sécurité et de la stabilité en Irak »49. Pourcertains, l'occupation militaire aurait donc cessé, le territoire étant placé sous contrôleinternational50 en accord dès le 5 juin avec les autorités irakiennes qui ont demandé « l'aidedu Conseil de Sécurité et de la communauté internationale. 51» Cette passation de pouvoirsà un gouvernement légitimé par le Conseil de Sécurité qui aurait consenti au maintien dela force multinationale dans le pays aurait donc fait cesser l'occupation et l'application dudroit afférant52. Pourtant, l'on peut affirmer que ce constat du Conseil est déclaratif et nonconstitutif, l'effectivité du contrôle sur le terrain étant le seul critère valable53. Dater la fin del'occupation au 28 juin 2004 est donc discutable étant donné que les Etats-Unis ont installéleurs alliés au gouvernement et gardaient une très forte influence sur celui-ci. De plus, lesmêmes contingents militaires sont restés présents sur place et sous leur commandementexclusif. Le gouvernement semblait donc encore trop dépendant à cette date et n'auraitpu inviter sans contrainte les forces de la coalition à rester sur son territoire, ce qui auraitpu mettre fin à l'application du droit de l'occupation. De plus, le Conseil limite également

47 Voir Partie 2, Chapitre 2, section 248 Résolution 1546 du Conseil de Sécurité, 2004, S/RES/154649 Résolution 1511, 16 octobre 2003, S/RES/151150 SOREL, J.-M ., « L'ONU et l'Irak : le vil plomb ne s'est pas transformé en or pur », RGDIP, 200451 La lettre adressée au Président du Conseil de Sécurité par le Premier Ministre du gouvernement intérimaire est annexée

à la résolution 1546 du 8 juin 2004. Il pourrait toutefois y avoir vice de consentement étant donné les contraintes pesant sur cegouvernement.

52 DORMANN, K et COLASSIS, L., International Humanitarian Law in the Iraq Conflict, German Yearbook of InternationalLaw, 47, 2004

53 Voir KOLB, Robert et VITE, Sylvain, Le droit de l'occupation militaire, Collection de l'Académie de Droit InternationalHumanitaire et de droits humains à Genève, 2009 et ROBERTS, Adam, « Transformative Military Occupation : Applying the Laws OfWar and Human Rights », The American Journal of International Law, Vol. 100, 2006

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la marge de manœuvre du gouvernement intérimaire avant l'élection d'un gouvernementpleinement souverain, ce qui prouve que la situation n'est pas totalement claire et résolue.Il s'agirait donc plutôt d'un processus progressif, la date du 28 juin ne pouvant avoir uncaractère décisif quant à la fin du contrôle « effectif » du territoire et de l'application du droitde l'occupation54.

Certaines provisions des Conventions de Genève auraient donc continué à s'appliquer aprèscette date, concernant plus particulièrement les droits individuels et le traitement humain55.De plus, dans la Résolution 1546, les forces s'engagent à agir en conformité avec le droitinternational dont le droit international humanitaire. L'on envisageait donc qu'il continueraità s'appliquer. L'ICRC a ainsi continué à l'appliquer aux actes de la force multinationaleétant conduits en lieu et place du gouvernement irakien. L'on voit donc qu'il s'agit là d'unerésolution de compromis, assez ambiguë, dont on ne peut déduire de manière certaine la finde l'occupation. Pour les besoins de cette étude, l'on se limitera toutefois à la date du 28 juin2004 sans prendre en considération les faits postérieurs.

Finalement, même si il y avait un besoin incontestable de reconstruction en Irak aprèsl'intervention de la coalition, le respect du statu quo législatif et de la souveraineté dupays était un impératif. Il y a donc une incompatibilité fondamentale entre le régime del'occupation et les objectifs des puissances occupantes en Irak qui se sont traduits par desréformes extensives des systèmes politique et économique et l'abrogation de nombreuseslois. Des changements de caractère permanent ont été effectués en contradiction avec leprincipe conservationniste contenu dans les textes. La légalité de ces réformes a pourtantété très peu discutée publiquement à cause de la reconnaissance quasi-unanime d'unbesoin de changement en vue du bien être des irakiens, une mission qui ne pouvait quese traduire par l'altération des lois existantes. Cette étude se concentre sur les sourcespotentielles de justification légale des réformes institutionnelles et économiques entreprisespar les puissances occupantes en Irak dans ce contexte post-conflit. La question centraleest donc la suivante : L'entreprise de reconstruction de l'Etat ou state-building par lespuissances occupantes en Irak peut-elle se justifier d'un point de vue légal ? L'on répondraà cette interrogation en soulignant l'antinomie fondamentale entre le droit traditionnel del'occupation et l'entreprise de reconstruction de l'Etat menée en Irak (I) puis l'on analyserades sources alternatives de justification des réformes entreprises par les puissancesoccupantes, qui se révèlent problématiques (II).

54 ROBERTS, Adam, « The End of Occupation : Iraq 2004 », International and Comparative Law Quarterly, vol.54, n°1, 2005.Certains peuvent toutefois défendre la position selon laquelle cette résolution du Conseil de Sécurité ayant été adoptée sous leChapitre VII, elle aurait une force contraignante et ferait terminer l'occupation le 30 juin au plus tard quoi qu'il en soit sur le terrain.

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Partie I : D'une antinomie fondamentale entre le droit traditionnel de l'occupation et l'entreprise dereconstruction de l'Etat menée en Irak

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Partie I : D'une antinomie fondamentaleentre le droit traditionnel de l'occupationet l'entreprise de reconstruction de l'Etatmenée en Irak

Il convient d'abord de poser le cadre des dispositions légales s'appliquant à l'occupation duterritoire irakien par les forces américaines et britanniques faisant de l'occupant un gardiendu statu quo ante bellum (chapitre 1) puis une analyse des réformes extensives adoptéespar l'Autorité Provisoire de la Coalition démontrera que celles-ci trouvent difficilement leurplace dans le droit traditionnel (chapitre 2).

Chapitre 1 : Des dispositions légales s'appliquantà l'occupation du territoire irakien par les forcesaméricaines et britanniques : l'occupant vu commegardien du statu quo ante bellum

L'article 43 du Règlement de la Haye et l'article 64 de la IVème Convention de Genèvesont les deux articles fondamentaux traitant du respect du droit existant en territoire occupépar l'administration temporaire de la puissance occupante. Ces provisions consacrent uneconception minimaliste du rôle de l'occupant56. L'article 43 est en effet à l'origine du principeconservationniste (section 1) tandis que l'article 64 opère un certain élargissement desexceptions permettant à l'occupant d'opérer certains changements au droit en vigueur.De plus, la reconnaissance par la jurisprudence internationale de l'applicabilité du droitinternational des droits de l'homme aux cas d'occupation vient compléter le cadre normatifapplicable et justifier certaines interventions des puissances occupantes (section 2).

Section 1 : L'article 43 du Règlement de la Haye de 1907 : la portée duprincipe conservationniste

L'article 43 contenu dans la partie IV, section III du Règlement de la Haye concernant leslois et coutumes de la guerre sur terre annexé à la IVème Convention de la Haye de 1907est l'un des piliers du droit de l'occupation, ayant pour but de limiter les pouvoirs législatifsde l'occupant. Seul le texte français étant authentique, cet article stipule que: « L'autoritédu pouvoir légal ayant passé de fait entre les mains de l'occupant, celui-ci prendra toutesles mesures qui dépendent de lui en vue de rétablir et d'assurer, autant qu'il est possible,

56 FOX, Gregory, « The Occupation of Iraq », Georgetown Journal of International Law, Vol.36, 2005

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l'ordre et la vie publics en respectant, sauf empêchement absolu, les lois en vigueur dansle pays. 57»

La première partie de l'article requiert donc des actes, l'occupant devant prendre desmesures positives. Le verbe « rétablir » se réfère ainsi à toutes les actions devant êtreréalisées immédiatement afin de permettre un retour à la normale, au mode de vie avantle conflit armé ou le déploiement des forces d'occupation. Le verbe « assurer » semblelaisser une marge de manœuvre plus importante à l'occupant. Ce dernier doit ainsi avoirpour objectif d'assurer la stabilité et la continuité dans la vie sociale et économique deshabitants. Il doit donc agir lorsque la loi et l'ordre sont en danger même si son personnel etses équipements ne courent aucun risque. La seconde partie de l'article suppose quant àelle le respect des « lois en vigueur ». Aucune de ces obligations n'est absolue, chacuneétant sujette à une possible déviation de la règle générale.

La traduction en langue anglaise de l'article a été très critiquée. En effet, l'expressionfrançaise « la vie publique » a été traduite en anglais par « safety » et non « public life »,sa traduction littérale. La signification de « la vie publique » est beaucoup plus large etavait pourtant été clairement exprimée à la Convention de Bruxelles par le Représentantbelge, le Baron Lambermont, en août 1874 comme signifiant « des fonctions sociales, destransactions ordinaires, qui constituent la vie de tous les jours »58. Pour Edmund Schwenk,avocat au Ministère américain de l'Intérieur ayant écrit un article fondamental concernantl'Article 43 en 1945, ainsi que pour de nombreux experts, l'expression « civil life » auraitainsi été la mieux à même de rendre compte de cette définition59. Les termes anglais« public order and safety » se réfèrent également à toute la vie sociale et commercialede la communauté60. Toutefois, pour Sylvain Vité, professeur au centre universitaire dedroit international humanitaire : « seul le vocable safety (...) permet d'apporter quelquesrestrictions à une notion par trop extensible dans le texte français 61». L' «ordre public »représenterait quant à lui la sécurité ou la sûreté générale.

1.1 Une interprétation restrictive du pouvoir législatif octroyé à l'occupantDeux clauses séparées de la Déclaration de Bruxelles de 1874, dont s'inspire largementle Règlement de la Haye, sont ainsi à l'origine de l'article 43. L'article 2 de la Déclarationstipulait en effet : « L'autorité du pouvoir légal étant suspendue et ayant passé de faitentre les mains de l'occupant, celui-ci prendra toutes les mesures qui dépendent de lui envue de rétablir et d'assurer, autant qu'il est possible, l'ordre et la vie publique. » L'article3 stipulait quant à lui qu' « A cet effet, il maintiendra les lois qui étaient en vigueur dansle pays en temps de paix, et ne les modifiera, ne les suspendra ni les remplacera ques'il y a nécessité. 62» Durant la Conférence de La Haye en 1899, ces deux clauses ontété réunies afin de répondre à l'appréhension que l'article 2 pris séparément pourrait êtrecompris comme concédant à la puissance occupante des pouvoirs législatifs considérables.

57 Article 43, Règlement annexe à la IVème Convention de la Haye sur le droit et les coutumes de la guerre sur terre, 190758 Ministère des Affaires Etrangères, Actes de la Conférence de Bruxelles de 1874, Paris, 187459 SCHWENK, Edmund, « Legislative Power of The Military Occupant Under Article 43, Hague Regulations », The Yale Law

Journal, Vol.54, n°2, mars 194560 WHEATON, H, KEITH, A.B., Wheaton's Elements of International Law, New York : Baker, Voorhis, 192961 VITE, Sylvain, « L'applicabilité du droit international de l'occupation militaire aux activités des organisations internationales »,

Revue Internationale de la Croix-Rouge, Vol.86, n°853, Mars 200462 Projet d'une Déclaration Internationale Concernant les Lois et Coutumes de la Guerre, 1874

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Finalement, le Représentant français Bilhourd a suggéré le compromis d'intégrer l'esprit del'article 3 dans l'article 2 par la formulation suivante « en respectant, sauf empêchementabsolu, les lois en vigueur dans le pays ». Ce compromis a été largement accepté lorsd'un vote quasi unanime, montrant bien la volonté des délégués présents de restreindreles pouvoirs de la puissance occupante en matière législative. De plus, les limitations del'Article 43 s'appliquent à l'ensemble de la législation. Il est ainsi accepté par la doctrine queces limitations ne s'appliquent pas qu'aux lois stricto sensu mais aussi à la Constitution, auxdécrets, ordonnances, précédents jurisprudentiels, régulations administratives et décretsexécutifs tant que ces normes sont générales et abstraites63. Il s'agit là d'une différencede forme et non de substance64. Les lois nationales ou municipales, substantives ouprocédurales sont également visées. De plus, l'occupant sera en général plus souventempêché de respecter les lois en vigueur dans le cadre du droit public que dans le cadredu droit privé.

Il est important de déterminer sous quelles conditions l'article 43 permet quand mêmeà l'occupant de légiférer. Sa formulation même démontre que l'autorité est passée de faitdans les mains de l'occupant et non pas de manière juridique ou légale. L'occupant ne doitdonc pas étendre sa propre législation au territoire occupé ou agir comme un législateursouverain. Il en résulte une capacité restreinte à mettre en œuvre des réformes dansle territoire occupé lorsque celles-ci pourraient être préjudiciables à l'exercice du pouvoirdiscrétionnaire du gouvernement souverain. L'article 43 serait donc une clause d'exception,son but n'étant pas de créer des privilèges pour les occupants mais plutôt de leur imposerdes restrictions65. Certains vont même plus loin en soutenant que « le droit internationaln'accorde pas de droits aux puissances occupantes mais limite l'exercice de ses pouvoirsde facto »66.

De nombreuses décisions jurisprudentielles ont ainsi conclu que l'occupant n'avaitabsolument aucun droit d'adopter de telles mesures, les lois qu'il impose n'étant que des« ordres de l'autorité militaire de l'occupant »67. Certaines cours et tribunaux internationauxont ainsi examiné si les mesures prises par l'occupant étaient conformes à l'article 43. Ils'agit pour la plupart d'arrêts rendus concernant l'occupation de la Belgique par l'Allemagnelors de la Première Guerre Mondiale. On a donc commencé par questionner le caractèrenormatif des mesures prises par l'occupant. Ainsi, dans l'arrêt Cambier v. Lebrun, rendu parla Cour de Cassation belge le 4 décembre 1919, la Cour conclut que « les décrets de lapuissance occupante, quels qu'ils soient, n'émanent pas de l'exercice de la souveraineténationale. (...) Ils n'ont pas la validité du droit belge mais sont simplement des ordres del'autorité militaire ennemie, et ne sont pas incorporés dans la législation et les institutionsdu pays.68 » Dans l'arrêt Mathot v. Longué rendu par la Cour d'Appel de Liège le 19 février1929, la Cour opère un raisonnement similaire lorsqu'elle conclut qu'« il est inexact de dire

63 SASSOLI Marco, « Article 43 of The Hague Regulations and Peace Operations in the Twenty-First Century », InternationalHumanitarian Law Research Initiative, 200464 SCHWENK, Edmund, « Legislative Power of The Military Occupant Under Article 43, Hague Regulations », The Yale Law Journal,Vol.54, n°2, mars 1945

65 SCHWARZENBERGER, Georg, International Law as Applied by International Courts and Tribunals, vol.2-The Law of ArmedConflict, London : Stevens and Sons, Ltd., 1968.

66 BOTHE, Belligerent Occupation, 198267 « commands of the military authority of the occupant », voir Schwenk, op.cit68 Cambier v. Lebrun, Cour de Cassation belge, 4 décembre 1919

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que par vertu de la Convention il a été donné à l'occupant quelque portion que ce soit dupouvoir législatif 69». La Cour se base sur le texte de la Convention ainsi que sur les travauxpréliminaires afin d'arriver à la conclusion que son but était de « restreindre l'abus de la forcepar l'occupant et ne pas lui donner ou lui reconnaître la moindre autorité dans le domainedu droit. » Le pouvoir législatif reste donc la prérogative exclusive de l'autorité nationale,l'occupant ne pouvant se prévaloir que d'un pouvoir de facto. L'article 43 ne donne doncpas à la puissance occupante « un droit positif à légiférer ».

L'approche conservatrice du droit de l'occupation revendique donc l'existence d'unprincipe conservationniste dérivant de l'interdiction de l'annexion du territoire occupé.L'occupant doit donc respecter les lois en vigueur au commencement de l'occupation, il nepeut ni les modifier, ni les suspendre ou les remplacer. Cela provient du désir de protégerl'identité sociale et politique distincte du territoire occupé, cela a été reconnu par Jean Pictetdont le commentaire de la IVème Convention de Genève fait autorité :

Ces pratiques (l'interférence injustifiée dans les affaires domestiques du territoireoccupé) sont incompatibles avec le concept traditionnel d'occupation... selon lequel lapuissance occupante devait être considéré comme étant un simple administrateur de facto.Cette provision du Règlement de la Haye (l'article 43) n'est pas seulement applicable qu'auxhabitants du territoire occupé ; elle protège également l'existence séparée de l'Etat, de sesinstitutions et de ses lois.70

L'occupant assumerait donc seulement l'autorité nécessaire à l'administration régulièredu territoire, la compétence législative générale résidant dans le régime déplacé. PourSchwenk, qui se base sur l'interprétation de Meurer, l'occupant ne serait autorisé à prendredes mesures législatives que dans le but de restaurer l'ordre et la vie publics, des mesuresayant donc trait à l'intérêt commun de la population. L'occupant peut ainsi restaurer l'ordreet la vie publique quand il y a été porté atteinte, il peut aussi légiférer pour les assureren dehors de toute perturbation. Assurer l'ordre public et la vie publique est donc unenotion à interpréter selon les circonstances particulières de chaque cas. Pour Marco Sassoli,professeur de droit international à l'université de Genève, sous l'article 43, l'obligation derétablir et d'assurer l'ordre et la vie publics ne constitue pas un résultat que l'occupant doitgarantir mais un but qu'il doit poursuivre par tous les moyens proportionnés disponibles etnon interdits par le Droit International Humanitaire et compatibles avec le Droit Internationaldes Droits de l'Homme. Ces moyens sont en effet limités par les interdictions contenuesdans la IVème Convention de Genève comme les déportations ou la torture par exemple.

1.2 La controverse autour de la clause d' « empêchement absolu »La clause d'empêchement absolu a fait l'objet d'une certaine controverse doctrinale étantdonné son manque de précision. Toutefois, Yoram Dinstein, professeur à l'université deTel Aviv, évoque un consensus dans la littérature comprenant l'exception d'empêchementabsolu de manière non littérale mais plutôt comme signifiant « nécéssité ». Il serait alors bonde comprendre « empêchement absolu » comme « nécessité absolue » étant donné qu'ils'agit là d'une reformulation du terme utilisé dans la Déclaration de Bruxelles. Lorsqu'unenécessité adviendrait, la puissance occupante serait alors autorisée à promulguer denouvelles lois ou à abroger, suspendre ou modifier le système légal préexistant71. Dans

69 Mathot v. Longué, Cour d'Appel de Liège, 19 février 192170 PICTET, Jean, Commentaire de la IVème Convention de Genève de 1949, Comité International de la Croix-Rouge, 1958

71 DINSTEIN, Yoram, « The dilemmas relating to legislation under article 43 of the Hague Regulations, and peacebuilding »,International Humanitarian Law Research Initiative, juin 2004

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ce cas, cette nouvelle législation ne s'appliquerait que durant l'occupation et non après,excepté si le souverain décide à son retour de la conserver. Peu d'experts s'écartentfondamentalement de l'idée de « nécessité militaire »72 justifiant l'exception au principe destatu quo législatif. Pour Dinstein par exemple, « la nécessité... peut être dérivée soit desintérêts légitimes de l'occupant soit des préoccupations pour la population civile »73. D'autresauteurs tels que Feilchenfeld requièrent simplement une justification suffisante pour dévierde la législation locale. De manière générale, on peut regretter que l'article 43 n'offre pasde critère précis permettant de déterminer la légalité des changements. Après la SecondeGuerre Mondiale, les Cours ont en effet jugé comme étant valides des lois assez variéespromulguées par les puissances occupantes, c'est notamment le cas des cours israéliennesau niveau de la législation dans les territoires palestiniens occupés. L'on a pu aussi défendrel'idée selon laquelle plus l'occupation dure, plus l'exception de l'article 43 doit être interprétéede manière extensive étant donné qu'une occupation prolongée va faire face à un momentou à un autre au besoin d'adopter des mesures législatives afin de permettre au pays occupéd'évoluer74. De plus, pour Leurquin, lorsque les conditions socio-économiques du pays ontété altérées par la guerre, de nouvelles mesures législatives deviennent essentielles75.Toutefois, le risque d'abus est extrêmement important. L'article 43 a été adoptée à l'originesous l'influence des pays plus faibles susceptibles de subir une occupation et qui voulaientdonc obliger de potentiels occupants à prendre soin de la population civile et à promouvoirun retour rapide à la vie normale. Cependant, la tendance de l'Etat du XXème siècle àdevenir plus actif dans la régulation des relations économiques et sociales et la pratique desoccupants durant les deux guerres mondiales ont mené à la préoccupation légitime que lespuissances occupantes puissent invoquer leur obligation de restaurer la vie publique afin dejustifier un usage plus large des pouvoirs législatifs, allant ainsi à l'encontre du but originalde cette norme76. Ainsi, pour Sassoli, seulement des circonstances exceptionnelles peuventamener à considérer des changements fondamentaux comme absolument nécessaires oumême essentiels pour restaurer l'ordre public et la vie publique sur le territoire. Une nouvellelégislation ou des dérogations à la législation existante peuvent ainsi être admises, pour lapériode d'occupation, si cela est essentiel pour : la sécurité de la puissance occupante et deses forces, la mise en œuvre du droit international humanitaire et du droit international desdroits de l'homme, du moment que la législation locale y est contraire, la restauration et lemaintien de l'ordre public et de la vie publique, le but d'améliorer la vie publique durant lesoccupations prolongées ou bien lorsque cela est explicitement autorisé par une Résolutiondu Conseil de Sécurité des Nations-Unies. Il applique ces limitations aux situations dereconstruction post-conflit77. La question se pose également de savoir jusqu'où l'occupantpeut aller au nom de la nécessité vis-à-vis des institutions.

La jurisprudence a pu aussi se baser sur l'intention et le but des mesures adoptéespar l'occupant. Dans la majorité des cas, on a mis en évidence le fait que ces mesures

72 SCHWENK, Edmund, « Legislative Power of The Military Occupant Under Article 43, Hague Regulations », The Yale Law Journal,Vol.54, n°2, mars 194573 DINSTEIN, Yoram, « The International Law of Belligerent Occupation and Human Rights », Israel Yearbook on Human Rights,vol.8, 197874 KOLB, Robert, « Jus in Bello, Le droit international Humanitaire des Conflits Armés », Bruxelles, Bruylant, 200275 LEURQUIN, The German Occupation in Belgium and Article 43 of the Hague Convention of the 18th October 1907, 1916 ILN 5576 BENVENISTI, Eyal, The International Law of Occupation, Princeton University Press, 200477 SASSOLI Marco, « Article 43 of the Hague Regulations and Peace Operations in the Twenty-First Century », Background Paperfor Informal High-Level Expert Meeting on Current Challenges to International Humanitarian Law, Cambridge, June 2004

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doivent être strictement liées au maintien de l'ordre public et aux besoins de l'occupation.Dans Cobb v. United States, l'on a confirmé que l'occupant n'a le droit de légiférer que dansl'intérêt de sa sécurité ou dans l'intérêt du bien-être de la population du territoire occupé78.La Cour Suprême israélienne a également jugé dans l'arrêt Sabu que le Règlement limitaitl'autorité du gouvernement militaire dans les territoires occupés et que les lois de l'occupantdoivent avoir pour but le maintien effectif de l'ordre public79. Une même approche restrictivea pu être prise concernant les lois prises dans les domaines économiques et financiers.Toutefois, une approche expansive des pouvoirs de l'occupant a pu aussi être prise parcertaines cours. Dans ce cas, les deux clauses qualifiantes de l'Article 43 auraient fourniune base légale pour cette interprétation car elles amèneraient à une dilution des obligationsde l'occupant. Se basant sur l'arrêt Grahame80 relatif à l'occupation de l'Allemagne parles Alliés, la Cour Suprême Israélienne a notamment pu juger dans son arrêt ChristianSociety for the Holy Places que l'article 43 comprenait « un devoir de réguler les affaireséconomiques et sociales. 81»

En pratique, les puissances occupantes ont très souvent invoqué le caractère vaguede cet article pour justifier des pouvoirs législatifs étendus tandis que dans d'autrescirconstances elles se sont reposées sur l'obligation de respecter les lois en vigueurdans le but d'échapper à leur responsabilité d'assurer le bien-être et la vie normale dela population82. En dernière instance, toutefois, c'est bien l'occupant qui jugera de cettenécessité et sa décision ne peut faire l'objet d'une quelconque révision83. Pour Schwenk, desjuges ordinaires ne sont peut-être pas bien placés pour déterminer si une loi était nécessaireou non. Les Cours suprêmes belges et allemandes ont ainsi nié le pouvoir des Cours derevoir les mesures prises par l'occupant sous couvert de l'Article 43. De plus, de nombreuxaspects de ce qui constitue la vie publique et les mesures que la puissance occupantepeut ou doit prendre pour la restaurer ou la maintenir sont gouvernés par des provisionsspécifiques du Règlement de la Haye ou bien de la IVème Convention de Genève, ce quiest le cas de la taxation par exemple.

1.3 La doctrine Fauchille et le remodelage des institutionsIl n'est nullement fait état dans le Règlement de la Haye d'un principe de respect absoludes institutions du territoire occupé. Il s'agit là de la doctrine énoncé pour la première foispar Fauchille et désormais appelée « doctrine Fauchille ». Ainsi, dans son Traité de DroitInternational Public publié en 1921, il affirme que « comme la situation de l'occupant estéminemment provisoire, il ne doit pas bouleverser les institutions du pays. 84» Les juristesMcDougal et Feliciano reformulent cette doctrine par la phrase suivante : « la compétencede l'occupant à établir et opérer des processus d'administration gouvernementale dansle territoire occupé ne s'étend pas à la reconstruction des institutions fondamentales du

78 Cobb v. United States79 Sabu v. Military Governor of Jaffa, Israeli Supreme Court, 194980 Grahame, Control Commission Court of Criminal Appeal (British Zone) « … « l'ordre et la vie publics », une phrase qui se

réfère à l'ensemble de la vie sociale, commerciale et économique de la communauté »81 Christian Society for the Holy Places v. Minister of Defense, Israeli Supreme Court82 BENVENISTI, Eyal, The International Law of Occupation, Princeton University Press, 200483 MEURER, Die Voelkerrechtliche stellung der vom feind besetzten gebiete, Tubingen, 1915

84 FAUCHILLE, Paul, Traité de Droit International Public, Paris, 1921

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territoire occupé. 85» L'occupant ne pourrait donc porter atteinte à la Constitution du pays.Feilchenfeld a aussi pu affirmer sous le principe de respect des institutions du pays occupé, qu'« un occupant n'a pas le droit de transformer une économie libérale en une économiecommuniste ou fasciste sauf si des besoins militaires ou relatifs à l'ordre public requièrentdes changements individuels. 86» L'on ne pourrait pas non plus transformer une Républiqueen monarchie et vice versa. Pour Sassoli, la plupart des experts évoquent le changementaux institutions séparément, comme si il était régulé par une norme spécifique. Pour lui,c'est à l'article 43 que l'on doit se référer étant donné que les institutions du territoire occupésont établies et opèrent sous la loi. Elles relèvent donc des lois en vigueur87 même sile remodelage des institutions va beaucoup plus loin que celui de la simple législation.Par conséquent, une puissance occupante ne pourra être que très exceptionnellementempêchée de manière absolue de ne pas l'entreprendre88.

La pratique a toutefois montré que les occupants qui ont dépassé leurs prérogativesrencontrent souvent de sérieux problèmes avec la population concernée ou la communautéinternationale. Pour Dinstein, le remodelage des institutions politiques ne devrait donc êtreentrepris que par le souverain légitime. Tant qu'il n'y a pas d'incompatibilité fondamentaleentre les institutions politiques et l'occupation, il n'y a pas de réelle nécessité pour l'occupantde les altérer. De plus, si les puissances occupantes se livrent à une redéfinition desinstitutions politiques, il est possible que ces innovations structurelles prennent racineet aient des conséquences durables. Il préconise donc que l'occupant ne fasse aucunchangement aux institutions fondamentales du gouvernement89. C'est la société qui doitdéterminer son propre ordre politique, économique et social, en accord avec ses proprestraditions.

Avec l'article 43 du Règlement de la Haye, l'occupant doit donc maintenir le statu quoante concernant le droit et les institutions prévalant dans le territoire donné et assurer nonseulement sa sécurité mais aussi celle de la population locale. L'article 43 ne s'opposepas à la promulgation de nouvelles lois par la puissance occupante, il lui est donné unecertaine latitude dans la mise en œuvre de son pouvoir législatif suivant l'interprétation faitede la clause d' « empêchement absolu ». Cet article compromis est ainsi si vaste dansson contenu qu'il en perd de sa valeur normative selon Vité90. Il n'y aurait toutefois pas

85 McDOUGAL, Myres et FELICIANO, Florentino, Law and Minimum World Public Order, New Haven and London, Yale Univ. Press,1961.86 FEILCHENFELD, The international economic law of belligerent occupation, Washington D.C. : The Carnegie Endowment forInternational Peace,194287 SASSOLI Marco, « Article 43 of the Hague Regulations and Peace Operations in the Twenty-First Century », Background Paperfor Informal High-Level Expert Meeting on Current Challenges to International Humanitarian Law, Cambridge, June 200488 Cette doctrine ne semblerait néanmoins pas s'appliquer lorsqu'un système politique représente une menace permanente aumaintien de la sécurité des forces militaires de l'occupant selon Schwenk. Ce fut le cas lors de l'occupation de l'Allemagne par lesforces alliées, un cas toutefois complexe discuté dans la seconde partie. Pour d'autres auteurs également, dans les cas d'occupationsde territoires ayant été sous le joug d'une dictature ou d'un régime extrémiste, l'étendue des lois qu'il serait possible de suspendre oud'abroger augmenterait sensiblement. Par exemple, la nature du régime de l'Allemagne était telle qu'elle aurait absolument empêchéles Alliés de le laisser persister.

89 DINSTEIN, Yoram, « The dilemmas relating to legislation under article 43 of the Hague Regulations, and peacebuilding »,International Humanitarian Law Research Initiative, juin 2004

90 VITE, Sylvain, « L'applicabilité du droit international de l'occupation militaire aux activités des organisations internationales »,Revue Internationale de la Croix-Rouge, Vol.86, n°853, Mars 2004

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de législation valide sans nécessité, une nécessité qui va être définie par l'article 64 de laConvention de Genève de 1949. La reconnaissance de l'applicabilité du droit internationaldes droits de l'homme aux territoires occupés va également élargir un peu plus la marge demanœuvre accordée aux puissances occupantes.

Section 2 : L'article 64 de la IVème Convention de Genève de 1949 etl'applicabilité des traités du droit international des droits de l'hommeen territoire occupé: un élargissement des prérogatives de lapuissance occupante

2.1 L'article 64 de la IVème Convention de Genève : un élargissement limitédes exceptions au principe conservationnisteLa IVème Convention de Genève a été adoptée dans le contexte spécifique des occupationsayant eu lieu durant la 2nde Guerre Mondiale ainsi que de l'occupation de l'Allemagne parles Alliés. Les délégués présents ont ainsi eu à déterminer dans quelle mesure l'occupantpourrait désormais altérer les lois en vigueur de manière légitime. Les négociations montrentque certaines propositions auraient permis de reconnaître de manière très explicite lespouvoirs de l'occupant dans le domaine législatif, c'est le cas de la proposition de textetrès permissif du délégué américain Robert W. Ginnane91. Une base légale aurait ainsi étédonnée aux occupations transformatrices. Les auteurs de l'article 64 n'avaient toutefois pasl'intention d'élargir l'étendue traditionnelle de la législation d'occupation92. De plus, le projetoriginal prévoyait d'abandonner le Règlement de la Haye mais l'on a finalement décider dele conserver et de clarifier ses relations avec la Convention de Genève avec l'article 154 quiconsacre la complémentarité de la Convention vis-à-vis du Règlement.

L'article 64 de la IVème Convention de Genève est donc le fruit d'un compromis et aété rédigé comme suit :

La législation pénale du territoire occupé demeurera en vigueur, sauf dans la mesure oùelle pourra être abrogée ou suspendue par la Puissance occupante si cette législationconstitue une menace pour la sécurité de cette Puissance ou un obstacle à l'applicationde la présente Convention. Sous réserve de cette dernière considération et de lanécessité d'assurer l'administration effective de la justice, les tribunaux du territoire occupécontinueront à fonctionner pour toutes les infractions prévues par cette législation. LaPuissance occupante pourra toutefois soumettre la population du territoire occupé à desdispositions qui sont indispensables pour lui permettre de remplir ses obligations découlantde la présente Convention, et d'assurer l'administration régulière du territoire ainsi que lasécurité soit de la Puissance occupante, soit des membres et des biens des forces ou del'administration d'occupation ainsi que des établissements et des lignes de communicationsutilisés par elle. 93Article 64, IVème Convention de Genève, 1949 Cet article appartient à lasection de la Convention concernant la législation pénale. Alors que le premier paragraphe

91 « Until changed by the Occupying power the penal laws of the occupied territory shall remain in force and the tribunals thereofshall continue to function in respect of all offences covered by the said laws. » « Jusqu'à ce quelles soient changées par la puissanceoccupante, les lois pénales du territoire occupé doivent rester en vigueur et les tribunaux doivent continuer à fonctionner vis-à-visdes infractions couvertes par les dites lois. » Final Record of the Diplomatic Conference of Geneva of 1949. Traduction de l'auteurdu mémoire92 SCHWARZENBERGER, Georg, The Law of Beligerent Occupation : Basic Issues, 1960

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se réfère explicitement aux « lois pénales », les « provisions » évoquées dans le second nes'y réfèrent pas de manière explicite. C'est ainsi que certains voient ce second paragraphecomme touchant exclusivement à la législation pénale93. Ils se basent également surle fait que l'article 66 évoque les « provisions pénales promulguées (…) en vertu dusecond paragraphe de l'article 64 », ce qui semblerait indiquer que ces provisions sontexclusivement de nature pénale. Il est toutefois généralement reconnu que cet article estapplicable à tout type de lois. Les travaux préparatoires montrent également qu'il y a euun débat important concernant l'ajout de l'adjectif pénal ou non au terme « provisions »du second paragraphe. Sans cet adjectif, le second paragraphe peut ainsi avoir un sensplus large et permettre à l'occupant de soumettre la population locale à tous types de lois(pénale, civile, administrative...) afin de poursuivre les buts énumérés94. Il acquiert ainsiune marge de manœuvre plus importante pour modifier le droit local. Pour le Commentairedu Comité International de la Croix Rouge, ce deuxième paragraphe exprime donc « demanière plus précise et détaillée » les termes d'« empêchement absolu » de l'article 43du Règlement de la Haye95. Il ferait seulement référence aux lois pénales car celles-cin'avaient pas été suffisamment observées durant les conflits antérieurs. L'article 64 permetdonc des changements à toutes les lois existantes, dans les circonstances qu'il spécifie.Il imposerait moins de restrictions sur les pouvoirs législatifs que la formulation négativede l'article 4396. Le Commentaire de la Croix Rouge qualifie même ces pouvoirs de « trèsextensifs et complexes »97. Néanmoins, seuls des changements « indispensables » pour lesbuts énumérés et admissibles sont permis. La Puissance occupante peut donc recourir àses pouvoirs législatifs lorsque sa sécurité, celle de ses forces armées ou de son personneladministratif est menacée ainsi que ses installations, la propriété du gouvernement militaireet ses lignes de communication. Les mesures sont toutefois laissées à la discrétion del'occupant dans le respect des actes prohibés par le droit international humanitaire. LeCommentaire de la Croix Rouge fait état de certaines mesures potentielles telles quel'obligation de porter des papiers d'identité sur soi, l'interdiction de posséder une arme à feuou encore l'interdiction d'accéder à certains lieux par exemple. Les Puissances occupantesont par exemple interdit le port d'armes durant les rassemblements permis par l'APC enIrak. Il peut s'agir aussi de l'imposition d'un couvre feu ou bien du contrôle des moyensde communication par exemple. L'occupant peut également exercer son pouvoir législatifdans le but de mettre en œuvre la Convention de Genève et par extension, tout autrenorme contraignante de droit international98. Même si il s'agit là d'un droit et non d'un devoirdans la formulation utilisée concernant l'abrogation ou la suspension des lois, l'article 1de la Convention prévoit que les parties contractantes doivent assurer le respect de laConvention en toutes circonstances. L'occupant peut ainsi abroger la législation localecontraire à la Convention, telles que des dispositions discriminatoires basées par sur larace, la religion ou les opinions politiques, étant données qu'elles sont contraires à l'article27 de la Convention. Cela peut aussi s'appliquer aux domaines du bien-être des enfants,au travail ou à la santé publique par exemple. L'on se réfère donc à présent non seulementà des cas de nécessité matérielle mais aussi à des cas de nécessité légale. Finalement,la législation visant l'administration régulière du territoire est mentionnée. Il s'agit d'assurerla continuité de la vie publique et de légiférer dans ce but si la législation existante ou sonabsence l'entrave. Il peut notamment s'agir de l'adoption de régulations fixant les prix parexemple. Dans ces cas, la puissance occupante doit rester aussi proche que possibledes standards locaux et des traditions économiques, culturelles et juridiques. De manièregénérale, le droit des conflits armés est basé sur un équilibre délicat entre la nécessitémilitaire et les considérations humanitaires. Cette tension est très présente dans le droit

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de l'occupation. Le pouvoir législatif de l'occupant s'étend donc à des actions prises aunom des habitants. Pour Yoram Dinstein, le bien-être des habitants invite ainsi à l'adoptionde mesures législatives car pour maintenir une administration régulière du territoire, il fautpouvoir réformer la législation en vigueur suivant les nouveaux développements99. Dinsteinaffirme même que les trois catégories de nécessité évoquées dans l'article 64 ne sont pasexhaustives. Le concept de nécessité serait ainsi suffisamment élastique pour autoriserune législation qui serait raisonnablement requise par les conditions de l'occupation.Selon Zwanenburg, juriste au Ministère de la Défense des Pays-Bas, il semblerait qu'ilsoit largement accepté au sein de la doctrine et reflété par la pratique que le bien-être dela population puisse justifier une déviation de la législation locale. Cette vue reflète le faitque le respect pour la personne humaine est à l'origine du droit international humanitaire,ainsi que l'ascendant de plus en plus important des droits de l'homme et leur influence surl'interprétation du droit humanitaire. Ce genre d'interprétation amène toutefois à des abusimportants. L'occupant définira ce qui est raisonnable de son propre point de vue socio-économique, qui peut être très différent de celui de la population du territoire occupé100.En dernier ressort toutefois, l'appréciation de l'opportunité de réformes reste toujours à ladiscrétion de l'occupant. De plus, lorsque ce dernier promulgue des lois en conformité avecl'article 43 du Règlement de la Haye et l'article 64 de la IVème Convention de Genève, cettelégislation doit tenir compte d'autres provisions de ces deux instruments concernant parexemple les conditions pratiques de mise en œuvre comme la publication des lois dansla langue locale (article 65) ou encore leur non-rétroactivité101. La IVème Convention deGenève se réfère également aux changements institutionnels dans les territoires occupéspar le biais de son article 47 : Les personnes protégées qui se trouvent dans un territoireoccupé ne seront privées, en aucun cas ni d'aucune manière, du bénéfice de la présenteConvention, soit en vertu d'un changement quelconque intervenu du fait de l'occupationdans les institutions ou le gouvernement du territoire en question, soit par un accord passéentre les autorités du territoire occupé et la Puissance Occupante, soit encore en raisonde l'annexion par cette dernière de tout ou partie du territoire occupé. 102 La Puissanceoccupante ne peut donc pas par exemple créer un gouvernement marionnette. Il ne peutnon plus y avoir d'accords qui réduiraient la protection de la population et lui permettraientde s'évader de ses responsabilités sous la Convention. Cet article permet d'éviter quel'occupant ne prenne des mesures qui ne soient motivées que par son propre intérêt audétriment du bien-être de la population. L'on pourrait toutefois se demander si il est possiblede transformer les institutions politiques de manière radicale lorsque cela n'affecte pas lesbénéfices octroyés à la population par la Convention. Ainsi, pour le commentaire de la CroixRouge, « certains changements peuvent être nécessaires et constituer un progrès, l'objetde la Convention n'est pas de protéger les institutions politiques et le gouvernement del'Etat comme tels mais de protéger les êtres humains »103. Pour Dinstein, un changementdans la configuration des institutions politiques excéderait les pouvoirs du gouvernementmilitaire parce que ceux-ci peuvent s'enraciner et survivre à l'occupation. Finalement, ilressort plus vraisemblablement de ces nouvelles provisions que « la continuité est poséecomme principe, la modification du droit local restant l'exception. 104» Pour MassimoStarita, professeur à l'université de Palerme, on ne saurait penser que ces clauses puissentpermettre des changements radicaux du système économique et politique du territoireoccupé105. Etant donné que l'occupant n'a aucune légitimité locale ni aucun intérêt au bien-être du territoire après son départ, il ne peut être compétent pour faire des réformes ayantdes conséquences à long terme sur la population. C'est au cas par cas seulement et vis-à-

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vis des textes que l'on pourra déterminer l'étendue du pouvoir de l'occupant dans sa plusjuste mesure.

2.2 De l'applicabilité des traités du droit international des droits de l'hommeà l'occupation de territoiresIl a pu être soutenu que la protection accordée à la population par la IVème Conventionde Genève n'était pas suffisante, d'où l'émergence du débat sur l'applicabilité du droitinternational des droits de l'homme aux occupations de territoires. Ainsi, les droits énuméréspar la Convention sont basiques et ne reflètent pas toute l'étendue des protectionscontenues dans les traités internationaux des droits de l'homme tels que la libertéd'expression, de conscience, de la presse... Les droits des enfants et des minoritésethniques ne sont pas non plus explicitement protégés. Il est donc important de comprendredans quel mesure le droit des droits de l'homme est applicable à la situation particulière del'Irak afin de déterminer l'étendue des devoirs et pouvoirs des puissances occupantes.

Le droit des droits de l'homme s'est développé après la 2nde Guerre Mondiale etest constitué de droit conventionnel et coutumier. A son origine se trouve la DéclarationUniverselle des Droits de l'Homme qui n'est toutefois pas contraignante. Les principauxtraités des droits de l'homme sont les Pactes internationaux sur les droits civils et politiqueset sur les droits économiques, sociaux et politiques de 1966. Il comprend également desinstruments régionaux tels que la Convention Européenne des Droits de l'Homme ainsique des instruments traitant de problématiques particulières comme la Convention surl'interdiction de la torture par exemple. Ce droit ne donne qu'un cadre général et laisse àl'Etat une certaine latitude quant à sa mise en œuvre. L'approche traditionnelle veut quele droit des droits de l'homme ne s'applique qu'en temps de paix et le droit de l'occupationen temps de guerre. Toutefois, cette vision aurait été renversée par l'idée que les droitsde l'homme sont destinés à une application bien plus étendue, ainsi que par les décisionsjurisprudentielles adoptées en ce sens. Il ne fait donc plus aucun doute qu'il est égalementapplicable en temps de guerre, tout en étant sujet à dérogation106. La Cour Internationale deJustice a pu le confirmer dans son avis consultatif sur les Armes Nucléaires : « la protectionofferte par le pacte international relatif aux droits civils et politiques ne cesse pas en tempsde guerre, si ce n'est par l'effet de l'article 4 du pacte, qui prévoit qu'il peut être dérogé, encas de danger public, à certaines des obligations qu'impose cet instrument.107 » Cela a puêtre confirmé dans son avis consultatif sur le Mur : « la Cour considère que la protectionofferte par les conventions régissant les droits de l'homme ne cesse pas en cas de conflitarmé, si ce n'est par l'effet de clauses dérogatoires 108». Le Comité des Droits de l'Hommede l'ONU109 ainsi que la Commission Interaméricaine des Droits de l'Homme110 ont aussireconnu l'application du droit des droits de l'Homme aux puissances occupantes. Depuis

106 DINSTEIN, Yoram, The International Law of Belligerent Occupation, Cambridge University Press, 2009107 Avis consultatif relatif à la Licéité de la menace ou de l'emploi d'armes nucléaires, CIJ, 8 juillet 1996108 Avis Consultatif sur les Conséquences Légales de l'édification d'un mur en territoires palestiniens occupés, CIJ, 9 juillet 2004109 UN Human Rights Comittee, International Covenant on Civil and Political Rights, General Comment n°31, The Nature of

the General Legal Obligation Imposed on States Parties to the Covenant, 29 mai 2004110 Coard v. US, Case 10.951, Inter-American Court of Human Rights, 1999

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1968, l'ONU aurait donc joué un rôle majeur dans l'appel à l'application du droit des droitsde l'homme dans les conflits armés et occupations111.

Le Pacte international sur les droits civils et politiques contient ainsi une dispositionstipulant que les Etats doivent faire respecter et assurer les droits qu'il reconnaît à tousles individus « à l'intérieur de son territoire et sujets à sa juridiction.112 » Dans sa décisionsur le Mur, la Cour a ainsi pu l'interpréter en soutenant que le Pacte est applicable dela même manière « pour ce qui est des actes commis par un Etat dans l'exercice de sajuridiction en dehors de son propre territoire », incluant les territoires occupés. La GrandeChambre de la Cour Européenne des Droits de l'Homme a quant à elle décidé en 2001 dansl'affaire Bankovic que bien que la notion de juridiction est « essentiellement territoriale »,certains actes extra-territoriaux peuvent exceptionnellement « constituer un exercice dejuridiction »113. Cela peut être illustré par l'affaire Loizidou dans laquelle on fait mentiondu « contrôle effectif du territoire en question et de ses habitants à l'étranger commeconséquence d'une occupation militaire ». Ainsi,

Une partie contractante peut également voir engager sa responsabilité lorsque, parsuite d'une action militaire – légale ou non-elle exerce en pratique le contrôle sur une zonesituée en dehors de son territoire national. L'obligation d'assurer, dans une telle région, lerespect des droits et libertés garantis par la Convention découle du fait de ce contrôle, qu'ils'exerce directement, par l'intermédiaire des forces armées de l'Etat concerné ou par le biaisd'une administration locale subordonnée. 114

La Convention Européenne des Droits de l'Homme s'appliquerait donc bien en territoireoccupé. L'on s'appuie donc sur les faits et l'exercice effectif du pouvoir afin de déterminerl'applicabilité de la Convention de la manière que pour l'application du droit de l'occupation.Cela peut se concevoir soit comme une connexion entre l'Etat et le territoire où a lieul'occupation, donc une connexion spatiale ou bien comme une connexion personnelle avecl'individu affecté par les actes. Il y a toutefois beaucoup d'incertitudes quant à l'applicationde ces deux catégories du fait de la rareté de la jurisprudence et de la variété des vuesdes Etats et experts115. La population des territoires occupés bénéficie également de laprotection du droit coutumier des droits de l'homme. Là encore, la CIJ a pu le confirmerdans l'affaire des Activités Armées : « les deux branches du droit international, nommémentle droit international des droits de l'homme et le droit international humanitaire devront êtrepris en considération » dans les territoires occupés116. Les droits de l'homme auxquels il estpossible de déroger pourront néanmoins être suspendus en temps de guerre. Lorsqu'unepuissance occupante émet la déclaration requise et qu'elle satisfait à toutes les conditions

111 Adam Roberts cite « Respect for Human Rights in Armed Conflicts », Résolution de l'Assemblée Générale 2444, 19décembre 1968.

112 Pacte international relatif aux droits civils et politiques, 1966113 Bankovic c. Belgique, Cour Européenne des Droits de l'Homme, 2001114 Affaire Loizidou c. Chypre, Cour Européenne des Droits de l'Homme, 18 décembre 1996115 L'affaire Al-Skeini de décembre 2005 de la Cour d'Appel du Royaume-Uni traite directement de l'occupation irakienne. La

Cour y fait une distinction entre les situations où un individu est pleinement sous le contrôle de l'occupant britannique (dans l'affaireen question, il s'agit d'un individu emprisonné) et et les cas où même en temps d'occupation ces derniers ne sont pas soumis à untel contrôle. Elle détermine donc l'effectivité du contrôle par rapport à la victime de la violation plutôt que par rapport au territoire oùelle a eu lieu.

116 Affaire concernant les Activités Armées sur le Territoire du Congo, République Démocratique du Congo c. Ouganda, CIJ,19 décembre 2005

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de dérogation, les personnes protégées ne deviennent plus dépendantes que du droit del'occupation. Aucune provision de ce dernier ne peut être suspendue car aucun des droitsqu'il établit n'est dérogeable. Ainsi, sous la IVème Convention de Genève, aucun accordne peut être conclu qui « affecterait de manière défavorable la situation des personnesprotégées. » Les articles 8 et 47 protègent également les droits accordés. Une dérogationpeut être possible dans des circonstances exceptionnelles sous l'article 5 mais n'a pasd'implications majeures117. Le droit des droits de l'homme serait ainsi dans un rapport decomplémentarité avec les provisions du droit de l'occupation118. Pour Kolb, il y a eu unélargissement et un enrichissement du système normatif applicable aux occupations, unélargissement lorsqu'il y a des droits qui n'étaient pas couverts par le régime du droitinternational humanitaire et un approfondissement lorsque cela concrétise des protectionscontenues dans le droit de l'occupation. « Le droit de l'occupation appelle celui des droits del'homme » pour lui. En effet, le droit de l'occupation imprécis demanderait une concrétisationnormative.119 Dans son arrêt sur les Activités Armées sur le territoire du Congo, la Courprend ainsi le droit de l'occupation comme point de départ de son raisonnement et considèreque le respect des droits de l'homme fait partie du cadre légal établi par le Règlement dela Haye. L'article 43 ne pourrait ainsi être pleinement mis en œuvre que dans le respectdes droits de l'homme. Toutefois, lorsque le droit des droits de l'homme et le droit del'occupation sont tous deux applicables et qu'ils vont dans des directions opposées, le droitde l'occupation l'emporte sur le droit des droits de l'homme en vertu de sa qualité de lexspecialis. Ce statut de lex specialis concernant le droit des conflits armés a été soutenuepar la CIJ dans son avis consultatif sur les Armes Nucléaires et réaffirmé dans le contextede l'occupation dans son avis sur le Mur.

Au moment de l'invasion, l'Irak et le Royaume-Uni étaient ainsi parties aux deux Pactesinternationaux ainsi qu'à d'autres conventions internationales tandis que les Etats-Unisn'étaient partie qu'au Pacte sur les Droits Civils et Politiques. Les puissances occupantesétaient néanmoins tenues de respecter tous ces instruments sur le territoire irakien étantdonné le principe du respect des « lois en vigueur » contenu dans l'article 43 du Règlementde la Haye. Même si l'occupant et l'occupé ne sont pas liés par les mêmes conventions, lesforces occupantes sont pourtant tenues de respecter tous les instruments ratifiés par lesdeux parties suivant la règle de l'article 43 et le principe d'extraterritorialité. Il s'en suit quemême si les Etats-Unis n'avaient pas ratifié le Pacte sur les droits économiques, sociauxet culturels, ils étaient quand même tenus de le respecter. Les Etats-Unis et le Royaume-Uni ont également dû respecter la Convention contre la torture même si l'Irak ne l'avaitjamais ratifiée. Le Royaume-Uni se trouvait également lié par la Convention Européennedes Droits de l'Homme. Le Comité des Droits de l'Homme de l'ONU a ainsi considéré queles activités militaires des Etats-Unis en Irak devaient être conformes aux dispositions duPacte des droits civils et politiques sans qu'il soit nécessaire de distinguer entre celles quirelèvent ou non de l'occupation120. Cependant, certains experts tels que Michael Dennis duDépartement d'Etat, s'exprimant en sa capacité personnelle, restent très sceptiques quant

117 DINSTEIN, Yoram, The International Law of Belligerent Occupation, Cambridge University Press, 2009118 UN Human Rights Committee, International Covenant on Civil and Political Rights, General Comment n°31, The Nature of

the General Legal Obligation Imposed on States Parties to the Covenant, 29 mai 2004119 KOLB, Robert et VITE, Sylvain, Le droit de l'occupation militaire, Collection de l'Académie de Droit International Humanitaire

et de droits humains à Genève, 2009120 Concluding Observations, United States of America, 18 décembre 2006

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à l'application extra-territoriale de ce droit121. Il critique l'avis consultatif de la CIJ concernantle Mur car elle ferait une interprétation discutable du travail préparatoire au Pacte et feraittrès peu cas du rôle et des responsabilités que l'Autorité palestinienne pourrait avoir dansla mise en oeuvre des droits de l'homme dans les territoires sous son contrôle. Les Etats-Unis ont pu également nier l'application extra-territoriale de ce corps du droit. Ainsi, dansun mémo secret de mars 2003 préparé par le Département de la Défense, il est rapportéque les Etats-Unis ont « systématiquement maintenu » que le Pacte International sur lesdroits civils et politiques « ne s'applique pas à l'extérieur des Etats-Unis ou de sa juridictionmaritime et territoriale et ne s'applique pas aux opérations de l'armée pendant un conflitarmé international.122 » De plus, L. Paul Bremer, l'Administrateur de l'APC, a pu exprimerla position que la coalition ne serait lié que par le droit humanitaire et non par le droit desdroits de l'homme étant donné son caractère spécifique123. La Résolution 1483 du Conseilde Sécurité supposerait pourtant pour certains l'applicabilité des droits de l'homme de lamême manière que celle du droit de l'occupation même si elle n'est pas explicite sur le sujet,c'est la position de Benvenisti124. Il n'y a donc pas de texte officiel de l'APC qui évoqueraitles instruments des droits de l'homme liant les forces occupantes. Certaines garanties ontété toutefois reconnues au fil des mesures prises par l'Autorité.

Pour Adam Roberts, professeur à Oxford et spécialiste reconnu des questionsrelatives à l'occupation, l'un des avantages de l'application des droits de l'homme auxcas d'occupation est que les individus peuvent faire valoir leurs revendications devantcertaines cours régionales tandis que le droit de la guerre n'offre pas cette possibilité.De plus, pour Sassoli, l'occupant aurait le devoir d'abolir la législation et les institutionsqui contreviennent au droit international des droits de l'homme125. Pour lui, si la IVèmeConvention de Genève ne fait pas état de cette exception dans son article 64 c'est parceque le droit international des droits de l'homme venait juste de naître et qu'il n'existaitpas encore au temps du Règlement de la Haye. Pour Grant Harris, l'application desdroits de l'homme aux occupations est une cause première du changement fondamentald'objectifs dans les occupations modernes car la nécessité de protéger ces droits oblige lesoccupants à s'engager dans le nation-building. Il va même jusqu'à affirmer que ces normesrequièrent de l'occupant qu'il institue un système de gouvernement et créé des institutionsqui préservent et respectent les droits de l'homme car seul un gouvernement effectif seraità même d'assurer la protection des droits de l'homme dont le droit à l'auto-déterminationferait partie. Un consensus se formerait même selon lui pour voir la démocratie commeun droit de l'homme. Le but premier du droit de l'occupation serait donc fortement remisen cause par les obligations de l'occupant en matière de droits de l'homme et deviendraithors de propos à cause des objectifs nouveaux des puissances occupantes tels que lareconstruction des institutions étatiques. Dans les occupations modernes, la communauté

121 DENNIS, Michael, « Application of Human Rights Treaties Extraterritorially in Times of Armed Conflict and MilitaryOccupation », The American Journal of International Law, Vol.99, n°1, janvier 2005

122 U.S. Department of Defence, Working Group Report on Detainee Interrogations in the Global War on Terrorism: Assessmentof Legal, Historical, Policy, and Operational Considerations, 6 mars 2003. Cela a également été nié de manière officielle par les Etats-Unis, notamment devant le Comité des Droits de l'Homme de l'ONU en 2006.

123 KOLB, Robert et VITE, Sylvain, Le droit de l'occupation militaire, Collection de l'Académie de Droit International Humanitaireet de droits humains à Genève, 2009

124 BENVENISTI, Eyal, The International Law of Occupation, Princeton University Press, 2004125 SASSOLI, Marco, « Article 43 of the Hague Regulations and Peace Operations in the Twenty-First Century », Background

Paper for Informal High-Level Expert Meeting on Current Challenges to International Humanitarian Law, Cambridge, June 2004

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internationale devrait donc choisir entre appeler à observer le droit de l'occupation ou biencelui des droits de l'homme pour s'engager dans le nation-building. Selon lui, cette dernièreoption serait désormais privilégiée126. Cet empiètement serait toutefois amené à perdurerétant donné que certains principes du droit des droits de l'homme atteignent le statut de droitcoutumier et deviennent des normes de jus cogens. En contrepoids à cette vision radicale,pour le Commentaire de la Croix-Rouge, un occupant ne pourrait toutefois pas faire dechangements à la législation locale simplement pour la mettre en accord avec ses propresconceptions juridiques même lorsque cela serait compatible avec les standards des droitsde l'homme.

L'on a donc démontré l'importance du principe conservationniste contenu dans le droitde l'occupation et plus particulièrement dans les articles 43 et 64 du Règlement de la Haye etde la IVème Convention de Genève. Malgré les controverses doctrinales, le biais en faveurdu statu quo ante bellum reste important et l'élargissement progressif des circonstancespouvant amener l'occupant à légiférer reste toutefois limité malgré les clauses imprécisespouvant être sujettes à interprétation. De plus, malgré la justification fournie par une partiede la doctrine à l'adoption de changements de grande ampleur dans le but de mettre enoeuvre les principes contenus dans le droit des droits de l'homme, selon nous l'indiscutableapplicabilité du droit international des droits de l'homme aux cas d'occupation ne peut fairesens que dans les limites posées par le droit de l'occupation. Les obligations auxquellessont tenues les puissances occupantes ne peuvent être similaires à celles d'un souverainlégitime. Seuls des changements absolument nécessaires dans le respect des standardset traditions locaux seraient donc justifiables. L'on s'attachera donc à présent à démontrerque la plupart des réformes adoptées par l'APC en Irak se révèlent fondamentalementincompatibles avec le droit de l'occupation militaire.

Chapitre 2 : Des réformes extensives adoptéespar l'Autorité Provisoire de la Coalition trouvantdifficilement leur place dans le droit traditionnel

« As we provide for Iraq's security, we have begun its political tranformation »127.L. Paul Bremer III, Davos, 23 juin 2003Les pouvoirs de l'Autorité Provisoire de la Coalition ont été déterminés dans son premier

«Order » ou Regulation, adopté le 16 mai 2003. Cet « Order » met en évidence les butstransformationnels de l'Autorité car elle s'y donne le pouvoir absolu de remplacer les lois envigueur en Irak malgré les contraintes du droit de l'occupation. Ainsi, il prévoit que :

A moins d'être suspendues ou remplacées par l'APC ou les institutions démocratiquesde l'Irak, les lois irakiennes existantes en date du 16 avril 2003 continuent à s'appliquer tant

126 HARRIS, Grant, « The Era of Multilateral Occupation », Berkeley Journal of International Law, Vol.24, n°1, 2006127 Paul Bremer III, « Chief Administrator in Iraq, Address by Ambassador L. Paul Bremer III, », Speech at the World EconomicForum, 23 June 2003, « En même temps que nous nous occupons de la sécurité de l'Irak, nous avons commencé sa transformationpolitique », traduction de l'auteur du mémoire

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qu'elles n'empêchent pas l'APC d'exercer ses droits et de satisfaire à ses obligations, ourentrent en conflit avec le présent ou tout autre Règlement ou Order publié par l'APC128.

L'APC a donc utilisé cette autorité afin de promulguer une très large série de réformes,une centaine d'Orders au total qui ont radicalement altéré les structures politiques,économiques et sociales de l'Etat irakien. De nombreux domaines du droit irakien ont étésoit modifiés soit complètement abrogés. L'APC a ainsi importé des standards, pratiques etinstitutions étrangers au droit et à la pratique irakienne antérieure. Comme l'affirme GregoryFox, « it is no exaggeration to describe the CPA as having engaged in a social engineeringproject in Iraq 129». L'on va donc voir grâce à des exemples concrets dans quelle mesurel'APC a modifié le droit et les institutions existantes en Irak et qu'au vu des dispositionscontenues dans le droit de l'occupation telles qu'on a pu les présenter dans le Chapitre1, ces réformes institutionnelles et judiciaires (section 1) puis économiques (section 2) ontlargement outrepassé les prérogatives octroyées à la puissance occupante dans les textes.

Section 1 : Des réformes institutionnelles et judiciaires de grandeampleur

1.1 La débaasification de l'Etat et les réformes institutionnellesAvec l'Order n°1 sur la « Débaasification de la Société Irakienne », l'APC a dissout le PartiBaas et éliminé ses structures130 afin de purger la scène politique irakienne des élémentsissus du parti de Saddam Hussein. Tous ses membres ont donc été démis de leurs fonctionsgouvernementales et privés de toute perspective d'emploi dans le secteur public. L'Autoritéa justifié cette mesure par l'article 43 et l'obligation faite à l'occupant de maintenir l'ordrepublic et la sécurité. Le parti Baas aurait ainsi posé un danger à la sécurité des forces dela coalition. Bien que l'article 54 de la IVème Convention de Genève autorise l'occupant à« écarter de leurs charges les titulaires de fonctions publiques », le commentaire de Fleck,très largement repris, limite cette prérogative aux situations dans lesquelles un agent publicrefuse d'effectuer ses tâches sous l'autorité de l'occupant131. Finalement le 28 juin 2004,pour son dernier jour d'existence , l'APC a cassé l'autorité qu'elle avait accordée au Conseildu Gouvernement en novembre 2003 pour conduire la débaassification132. Comme l'affirmeDavid Phillips, ancien conseiller du Président Bush, il s'agissait plutôt de faire accéder aupouvoir des individus plus enclins aux transformations prescrites par l'occupant.133 Cettedécision a été très critiquée car cela a pu priver le gouvernement irakien et les organesmilitaires de l'expertise ainsi que de l'expérience importante de ces individus. Certains

128 «Unless suspended or replaced by the CPA or superseded by legislation issued by democratic institutions of Iraq, laws inforce in Iraq as of April 16, 2003 shall continue to apply in Iraq insofar as the laws do not prevent the CPA from exercising its rightsand fulfilling its obligations, or conflict with the present or any other Regulation or Order issued by the CPA ». CPA Regulation N°1,CPA/REG/16 May 2003/01, traduction de l'auteur du mémoire

129 « Il n'est pas exagéré de dire que l'APC s'est engagé dans un projet de restructuration sociale en Irak ». FOX, Gregory,« The Occupation of Iraq », Georgetown Journal of International Law, Vol.36, 2005. Traduction de l'auteur du mémoire130 CPA/ORD/16 May 2003/01131 FLECK, Dieter, Handbook of Humanitarian Law in Armed Conflicts, 1995132 CPA/ORD/21 March 2004/67133 PHILLIPS, David, Losing Iraq : Inside the Post-War Reconstruction Fiasco, Basic Books, 2005

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membres du parti n'étaient en effet coupables d'aucun crime et n'avaient rejoint le parti quepar nécessité plutôt que par conviction idéologique.

Par la suite, l'APC a pu ordonner la dissolution d'entités gouvernementales utiliséespour « opprimer la population irakienne et comme institutions de torture, répressionet corruption. 134» Sept ministères tels que celui de la Défense, huit organisationsmilitaires, quatre paramilitaires et sept autres organisations ont ainsi été dissoutes. Deplus, avec l'Order 71 relatif aux pouvoirs des gouvernements locaux135, une certaineautonomie a été accordée aux différentes régions dont la région kurde (réitérée dans laTransitional Administrative Law), s'éloignant ainsi d'une longue tradition de centralisationpour tendre vers l'institutionnalisation d'un système fédéral. Toute loi irakienne se posanten contradiction avec ces nouveaux principes a ainsi été suspendue. La TAL a ainsiradicalement altéré la structure de l'Etat en codifiant la décentralisation du gouvernementfédéral ainsi qu'un nouveau système de redistribution des revenus du pétrole, ce quiaurait sapé l'unité du gouvernement. L'APC a aussi cherché à promouvoir la transparenceet la confiance dans le gouvernement. De nouvelles structures ayant pour but de luttercontre la corruption ont été créées et des institutions déjà existantes ont été réformées.L'on a ainsi créé « The Iraqi Commission on Public Integrity » dont la tâche principaleétait de publier et de faire respecter des mesures anti-corruption et de responsabilisation.Elle pouvait connaître des cas de corruption officielle depuis 1968 et les présenter à unjuge d'investigation. Les justifications avancées pour ces différentes réformes satisfont trèsdifficilement au critère d' « empêchement absolu » exigé par les textes.

1.2 Les réformes concernant la sécurité et les institutions militaires

1.3 Le droit pénal et le système judiciaireLe droit pénal irakien a été également sujet à des réformes extensives. En effet, l'APC a puconstater que le régime se servait de certaines de ses provisions comme d'un instrument derépression et de violation des droits de l'homme136. De nombreuses sections du code pénalont ainsi été suspendues ou modifiées. La torture a donc été interdite et l'imposition de lapeine de mort suspendue. Les discriminations touchant par exemple les personnes titulairesd'une charge publique ont été interdites. Alors que la structure du système judiciaire estrestée largement intacte, une nouvelle Cour Criminelle Centrale a été créée pour servir demodèle à une plus ample réforme et pour juger « les crimes sérieux qui menacent plusdirectement l'ordre public et la sécurité 137». Les affaires à traiter devaient être choisiespar l'Administrateur qui nommait aussi les juges et avait le droit de comparaître devant leschambres de la Cour en tant qu'amicus curiae « dans le but de présenter ou d'authentifierdes preuves138 ». De plus, étant donné que l'APC voyait le système judiciaire irakiencomme hautement politisé et corrompu sous le régime précédent, de nouvelles structures desupervision ont été créées comme le « Judicial Review Committee » chargé de déterminerl'aptitude des juges et procureurs et de les écarter de leur charge en cas de non-satisfaction

134 CPA/ORD/23 May 2003/02135 CPA/ORD/6 April 2004/71

136 CPA/ORD/9 June 2003/07137 CPA/ORD/11 July 2003/13138 id

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des critères139. Comme on l'a vu, le droit de l'occupation permet à la puissance occupanted'écarter de leur charge les titulaires de fonctions publiques mais sous certaines conditions.Ecarter les juges loyaux à Saddam Hussein semblerait permis. Un « Council of Judges »a également été reconstitué comme corps de supervision et corps disciplinaire permanent,indépendant du Ministère de la Justice. De plus, justifiant son action par la Résolution1483 du Conseil de Sécurité qui évoque la nécessité qu'il soit rendu compte des crimescommis par le régime de Saddam Hussein140, l'APC a autorisé le Conseil du Gouvernementà établir un Tribunal Spécial Irakien pour « juger les nationaux ou résidents de l'Irakaccusés de génocide, crime contre l'humanité, crimes de guerre ou violation de certaineslois irakiennes. 141» L'APC et le Conseil du Gouvernement ont élaboré ensemble ce textede loi mais l'Administrateur gardait toutefois le pouvoir d'y effectuer des changements sinécessaire dans l'intérêt de la sécurité. De plus, en cas de conflit entre une promulgation del'APC et une du Conseil du Gouvernement ou bien un jugement du tribunal, la promulgationde l'APC devait prévaloir. Toutefois, aucune affaire n'a été initiée avant la fin de l'occupation.

Finalement, certaines réformes ont touché le système carcéral. Toute la réglementationrelative aux prisons irakienne a été suspendue. L'APC a ainsi concentré l'autorité relativeaux infrastructures pénitentières au sein du Ministère de la Justice142. Une série destandards pour la gestion de ces infrastructures a aussi été promulguée afin de fairerespecter les engagements pris par l'Irak dans les instruments internationaux des droits del'homme.

1.4 Des réformes allant bien plus loin que les prescriptions des textesPour Gregory Fox de la Wayne University Law School, « une interprétation littérale del'article 43 du Règlement de la Haye, interdisant les changements législatifs dans leterritoire occupé « sauf empêchement absolu » trouveraient vraisemblablement la plupartdes réformes de l'APC non valables143 ». Etant donné le principe de continuité juridiquecontenu dans le droit de l'occupation, les changements dans le droit existant ne peuventpas être pris en premier recours. Excepté les réformes concernant la sécurité et le maintiende l'ordre, directement liées à la capacité de l'APC de faire face à l'insurrection qui menaçaitson autorité, l'APC se serait donc approprié des pouvoirs législatifs allant bien au-delà del'administration régulière du territoire telle que prescrite dans les textes. Cela est d'autantplus vrai pour les changements effectués au niveau institutionnel comme la dissolutionet la création de nouveaux ministères, d'une Cour criminelle (bien que certains aientpu justifier son établissement par l'obligation d'assurer l'ordre public144) et d'un tribunalspécial, l'abolition de lois militaires antérieures au régime baassiste et la promulgation delois anti-corruption. Certains avancent toutefois le fait que, comme le régime baassistefonctionnait sur un culte de la personnalité de Saddam Hussein, du moins sur la fin, lesstructures administratives et le personnel baassiste une fois que Hussein et ses associés

139 CPA/ORD/23 June/15140 Résolution 1483 du Conseil de Sécurité, 22 Mai 2003, S/RES/1483141 CPA/ORD/9 December 2003/48

142 CPA/ORD/8 June 2003/10143 FOX, Gregory, « The Occupation of Iraq », Georgetown Journal of International Law, Vol.36, 2005 , traduction de l'auteur dumémoire144 CLARKE, Ben, « Military Occupation and the Rule of Law : The Legal Obligations of Occupying Forces in Iraq », eLaw Journal,2005

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aient été exclus du pouvoir constituaient un « empêchement absolu » à l'administrationrégulière du territoire par l'APC, une justification somme toute peu convaincante. Aucunejustification liée à la nécessité ne peut cependant être valable pour les réformes basées surla désapprobation des modèles politiques et économiques.

Vis-à-vis de la IVème Convention de Genève qui impose de nombreuses obligationsà l'occupant, l'on pourrait justifier les réformes par la nécessité de remplir ses obligationssous la Convention. Préserver des lois qui privent la population de ses droits violeraitla Convention. Certaines provisions concernent le respect de certains droits de l'homme,d'autres demandent que des biens de première nécessité soient fournis à la population145.La Convention établit donc certains standards de gouvernance que l'occupant se doit derespecter. Les réformes aux institutions et structures administratives portant atteinte à cesdroits pourraient-elles donc se justifier par les obligations découlant de l'article 64 ? Denombreuses actions de l'APC ont permis d'étendre les droits dont bénéficient les Irakiens.Cependant, pour Fox, interpréter l'article 64 et les droits énumérés dans la Conventioncomme une carte blanche à l'occupant pour mettre en œuvre n'importe quelle réformeprésentée comme étant dans l'intérêt de la population va trop loin. En effet, les droitsgarantis dans la IVème Convention se limitent à des cas de fautes flagrantes comme lesdiscriminations (art.27), la violence physique ou morale (art.31), les transferts de masseforcés (art.49), le droit à un procès en bonne et due forme (art.71-75) ou encore desconditions inhumaines de détention (art.76). Même les réformes de l'APC concernant lesdroits de l'homme vont plus loin que toutes ces prescriptions. Au mieux, certaines réformesconcernant les procédures judiciaires et le système carcéral pourraient être couverts parcette justification. L'on ne peut non plus justifier la révision presque intégrale du droit pénal.De plus, comme tout Etat partie à la Convention, l'occupant doit légiférer dans le but defaire comparaître les individus coupables de crimes internationaux sous l'ancien régime,si cette législation n'existe pas déjà dans le territoire occupé. Bien que l'adoption de cettelégislation par l'APC trouve bien une justification légale, les occupants auraient pu fairecomparaître ces individus devant leurs propres cours militaires ou bien devant les coursirakiennes déjà existantes. Ils ont pourtant choisi de créer un Tribunal Spécial Irakien, ce quin'est pas autorisé par la Convention et ne semble pas nécessaire à la poursuite des butsdu droit international humanitaire146. Finalement, il n'a pas non plus été prouvé par l'APCque le droit irakien préexistant permettait des formes d'abus interdites par la Convention.Si des violations de certains droits énumérés ont été perpétrées à travers des pratiquesinformelles, des réformes radicales du droit ne peuvent constituer une réponse nécessaire.

1.5 Les réformes touchant aux droits de l'Homme peuvent-elles se justifierpar le nécessaire respect du droit des droits de l'homme en territoireoccupé ?L'APC a ainsi pu également faire un certain nombre de réformes dans le domaine desdroits de l'homme. Elle a créé un Ministère des Droits de l'Homme en février 2004147. Ilavait notamment pour but de prendre en charge les conséquences des abus aux droits de

145 Par exemple, l'art. 55, « La Puissance Occupante a le devoir d'assurer l'approvisionnement de la population en vivres eten produits médicaux », art. 56, « la Puissance Occupante a le devoir d'assurer et de maintenir... les établissements et les servicesmédicaux hospitaliers, ainsi que la santé et l'hygiène publiques dans le territoire occupé. »

146 SASSOLI, Marco, « Legislation and Maintenance of Public Order and Civil Life by Occupying Powers », European Journalof International Law, vol.16, n°4, 2005147 CPA/ORD/19 February 2004/60

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l'Homme perpétrés durant le régime de Saddam Hussein et d'assurer la stricte adhérencede l'Irak à ses obligations internationales conformément aux traités relatifs aux Droitsde l'Homme auxquels il était partie. Le Ministère devait aussi s'assurer que la nouvellelégislation serait adoptée en tenant compte de ces mêmes obligations. D'autres réformesvisant la promotion des droits de l'homme sont également intervenues dans les domainesdu droit pénal et criminel, comme on a pu le voir précédemment, étant donné les dispositionscontraires qui pouvaient s'y trouver. L'Order n°3 de l'APC inclut notamment l'interdiction del'utilisation de preuves obtenues par la torture et consacre un droit au conseil.

Ainsi, un certain nombre des réformes de l'APC pourraient être vues comme mettanten œuvre des standards internationaux des Droits de l'Homme148. L'APC a elle-même pufaire référence à de nombreuses reprises à ces standards pour les justifier. La créationdu Ministère des Droits de l'Homme s'est donc basée en partie sur les « obligationsassumées par l'Irak sous les traités internationaux des droits de l'homme auxquels il estpartie. 149» Cela est aussi le cas pour l'Order n°19 qui abroge quant à lui les restrictionsà la liberté de réunion incompatibles avec les obligations de l'Irak en matière de droitsde l'homme150. L'APC a pu également faire plusieurs amendements au Code du TravailIrakien, qu'elle a justifiés par la nécessité de mettre en œuvre les obligations de l'Iraksous deux conventions de l'Organisation Internationale du Travail, les Conventions 138et 182. L'Irak y étant partie, il avait ainsi l'obligation « to take affirmative steps towardseliminating child labor ». L'Order 89 aurait donc répondu à cette exigence en fixant l'âgeminimum de travail à 15 ans notamment151. L'APC a aussi cherché à interdire l'esclavageet la prostitution enfantine. La plupart de ces réformes des droits de l'homme apparaissentdonc cohérentes avec les exigences des droits de l'homme. Le principe conservationnistene s'appliquerait-il donc pas à ce type de réformes? Pour Fox, plusieurs facteurs appellentpourtant l'occupant à une certaine prudence dans l'application de ses obligations et decelles de l'Etat occupé en la matière. Il faudrait donc trouver un juste équilibre entre respectdu principe conservationniste et respect des Droits de l'Homme et réconcilier la promotionde ces derniers avec la présomption du droit contre les changements institutionnels. Desréformes bien spécifiques protégeant le cœur des droits de l'homme sembleraient doncpouvoir être adoptées. Il faudrait donc pouvoir accorder l'autorisation à l'occupant d'abrogerdes lois clairement offensantes mais ne pas lui permettre d'en créer de nouvelles saufdans des cas d'incohérence flagrante. Au contraire, l'idée selon laquelle les autoritésde l'occupation devraient mettre elles-mêmes en place de nouvelles structures visant àprotéger les droits auxquels l'occupé aurait souscrits dans les traités si ce dernier ne l'avaitpas déjà fait, semble très controversée. De nombreux experts se faisant les avocats d'uneexception au principe conservationniste pour les droits de l'homme ne défendent donc pasla création de nouvelles institutions mais évoquent seulement l'abrogation de lois existantes.Cela pourrait porter atteinte au droit à l'auto-détermination. La population doit ainsi pouvoirfaire ses choix quant à son propre futur, les réformes les plus radicales ne devant pas êtreentreprises par l'occupant.

Finalement, l'on ne peut se référer qu'au jugement de l'APC pour évaluer l'opportunitéde la création d'institutions de supervision comme le Ministère des Droits de l'Hommecar on ne peut pas affirmer de manière certaine, avec les éléments à notre disposition,

148 FOX, Gregory, « The Occupation of Iraq », Georgetown Journal of International Law, Vol.36, 2005149 CPA/ORD/19 February 2004/60150 CPA/ORD/9 July 2003/19151 « Prendre des mesures positives dans le but d'éliminer le travail des enfants » CPA/ORD/30 May 2004//89

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que l'absence de protection facilitait la violation des droits de l'homme. Le droit existantsemblait faciliter ces violations mais l'on ne peut pas savoir si sa réforme était vraimentnécessaire ou si le retrait pur et simple des leaders baasistes du pouvoir aurait été suffisant.Il semblerait toutefois que les deux aient été requis. Les réformes des droits de l'homme etdu droit criminel pourraient donc trouver à nos yeux une justification assez convaincante,la débaasification en étant cependant exclue.

Section 2 : Le remodelage économique : la mise en place d'uneéconomie de marché

Les réformes les plus radicales concernent toutefois le secteur économique. L'Autoritéa en effet adopté un très grand nombre de mesures caractérisées par leur orientationlibérale et libre-échangiste touchant à de nombreux secteurs de l'économie. L'Administrationaméricaine a même utilisé le terme « sweeping » soit radicales pour décrire les changementsau système économique irakien152. Peu après la création de l'APC, L. Paul Bremer a ainsiannoncé que la réforme économique était la « priorité la plus immédiate de la Coalition 153».L'APC travaillait ainsi à opérer la transition entre une économie planifiée,centralisée etopaque et une économie de marché caractérisée par une croissance durable à traversla création d'un secteur privé dynamique » ainsi qu'au «besoin de faire des réformesinstitutionnelles et légales afin de lui donner effet 154» notamment dans le droit commercial.Cette stratégie de développement appelait donc nécessairement à des réformes sur le planjuridique, toutes ces réformes économiques allant à l'encontre des provisions d'inspirationsocialiste contenues dans la Constitution antérieure et le code commercial. Selon soninterprétation du droit de l'occupation, la coalition avait donc la responsabilité d'améliorerles conditions de vie de la population, de combattre le chômage et ses effets néfastes surla sécurité publique ainsi que d'améliorer les compétences techniques et les opportunitésoffertes aux Irakiens. Selon l'Order 39, l'APC se décrivait de plus une responsabilité dansle développement de l'infrastructure, la promotion de la croissance du commerce irakien,la création d'emploi, la levée de capital ainsi que l'introduction de nouvelles technologieset de transferts de compétences. Les réformes économiques se subdivisent ainsi enplusieurs catégories. L'on traitera ici des réformes les plus marquantes et à la portée la plusimportante : les réformes du secteur bancaire et du système d'imposition, du commerce etde l'investissement étranger ainsi que des privatisations.

2.1 Le secteur bancaire et le système d'impositionLe secteur bancaire irakien, auparavant très centralisé, a été fondamentalement transformépar une « Bank Law ». Toutes les lois incompatibles avec elle ont ainsi été abrogées. Unsystème complet de réglementations a été mis en place tels que des standards concernantpar exemple les limites fixées pour les prêts ou la réception des dépôts155. Toutes lesbanques devaient également être accréditées par la Banque Centrale Irakienne qui devait

152 McCARTHY, Conor, « The Paradox of the International Law of Military Occupation : Sovereignty and the Reformation of Iraq »,Journal of Conflict and Security Law, Vol.10, n°1, 2005153 Address by Ambassador L. Paul Bremer III, Chief Administrator in Iraq, to the Economic World Forum (June 23, 2003)154 CPA/ORD//19 September 2003/39155 Une loi initiale de Septembre 2003 a ensuite été révisée en Juin 2004 : CPA/ORD/19 September 2003/40 et CPA/ORD/6 June2004/94

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s'engager à les superviser. Cette dernière a également subi une transformation radicale156.Les réformes ont aussi ouvert le secteur bancaire à la participation étrangère, seules lesbanques arabes étant auparavant autorisées en Irak. Une nouvelle Bourse irakienne aégalement été créée.

Selon l'article 48 du Règlement de la Haye, « si l'occupant prélève, dans le territoireoccupé, les impôts, droits et péages établis au profit de l'Etat, il le fera, autant que possible,d'après les règles de l'assiette et de la répartition en vigueur, et il en résultera pour luil'obligation de pourvoir aux frais de l'administration du territoire occupé dans la mesure oùle gouvernement légal y était tenu. 157» L'occupant ne peut donc pas créer de nouveauximpôts à son bénéfice ou à celui de l'occupant. Une trêve fiscale a été déclarée entre ledébut de l'occupation et la fin de l'année 2003 sur presque tous les prélèvements. Toutefois,avec l'Order 37, l'APC a réformé en profondeur le système d'imposition158. Un « impôt dereconstruction » de 5% a notamment été imposé sur les produits importés dans le paysà l'exception d'une variété de biens de première nécessité159. Les entreprises étrangèresdevaient également payer 15% d'impôts sur le revenu gagné dans le pays.

2.2 Les réformes du commerce extérieur et des modalités d'investissementétrangerL'Order 39 vise à remplacer l'intégralité du droit existant relatif aux investissementsétrangers en Irak dans le but d'attirer ces derniers notamment dans l'industrie pétrolière etd'amorcer la transition vers l'économie de marché. Pour l'APC, l'ouverture du commerceextérieur était en effet une condition nécessaire au développement des importations etexportations irakiennes. L'Order 39 permet la complète propriété étrangère d'entreprisesdans tous les secteurs de l'économie irakienne excepté l'extraction primaire et le traitementinitial des ressources naturelles. Le principe d'égalité entre les étrangers et les irakiensvis-à-vis des modalités d'investissement est également affirmé. Le droit commercial irakieninterdisait ainsi auparavant l'investissement et l'établissement d'entreprises en Irak par desétrangers non résidents d'un Etat arabe. L'APC a donc autorisé les investisseurs étrangersà posséder des entreprises irakiennes sans avoir à réinvestir leurs profits dans le pays, unprivilège auparavant accordé aux seuls investisseurs arabes dans la Constitution irakienne.Le droit des sociétés a donc été réformé en profondeur. Des sociétés et individus étrangerspeuvent maintenant être fondateurs de sociétés, actionnaires ou partenaires160 en vue decontribuer à la croissance économique du pays. L'hostilité à laquelle a fait face l'Order n°39 aamené l'APC à l'abroger pour le remplacer par l'Order 46, à la portée plus restreinte. L'Ordern°39 a quand même pu influencer des lois ultérieures telles que la New Investment Lawd'octobre 2006, ainsi que tout le cadre économique irakien qui est resté fortement privatisé.Ainsi, les privatisations ont aussi été un élément primordial de la stratégie de reconstructionéconomique prônée par l'APC. Une organisation appelée Private Sector Development aégalement été créée avec pour mission de développer un plan de privatisation pour lesentreprises d'Etat. Elle a également contribué à la rédaction d'une nouvelle série de loiscommerciales couvrant les droits de propriété, le doit des sociétés et le droit des faillites.

156 CPA/ORD/1 March 2004/56157 Article 48, Règlement annexe à la Convention IV concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre, La Haye, 1907158 CPA/ORD/19 September 2003/37159 CPA/ORD/19 September 2003/38

160 CPA/ORD/29 February 2004/64

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De nombreux secteurs clefs auparavant sous contrôle de l'Etat ont ainsi été privatiséstels que l'éducation, la santé ou encore les transports. Pourtant, suivant le Règlementde la Haye, « L'occupant ne se considérera que comme administrateur et usufruitier desédifices publics, immeubles, forêts et exploitations agricoles appartenant à l'Etat ennemiet se trouvant dans le pays occupé. Il devra sauvegarder le fonds de ces propriétés etles administrer conformément aux règles de l'usufruit. » L'APC n'avait donc pas le droitde vendre ou de disposer de la propriété publique. Malgré l'annonce des privatisationsd'entreprises publiques, le peu de temps à disposition de l'APC et l'opposition du Conseildu Gouvernement ont pourtant mené à l'abandon de ces efforts fin 2003161.

2.3 Un changement radical de philosophie économique proscrit par le droitde l'occupationL'APC croyait dans le fait que la prospérité des Irakiens et la reconstruction de l'Etatdemandait l'abandon de l'économie centralisée pour l'adoption d'une économie de marché.Toutefois, l'occupant est contraint par le système politique, économique et social prévalantavant l'occupation en vertu du principe de statu quo législatif contenu dans l'article 43du Règlement de la Haye. Les puissances occupantes ont clairement outrepassé leursprérogatives en ignorant le caractère socialiste du régime clairement affirmé dans laConstitution d'intérim de 1990 et en affichant leur préférence pour l'économie de marchélibérale.Ces réformes vont ainsi à l'encontre des provisions du code commercial et du droitconstitutionnel irakien. Par conséquent, pour Conor McCarthy de l'Université de Cambridge,l'article 43 fournit une base à la reconstruction mais constitue également un obstacle àla réforme radicale162. Les réformes ne peuvent être ainsi évaluées qu'à l'aune de leurnécessité durant la période d'occupation dans le but de rétablir et d'assurer l'ordre etla vie publics163, et non pas de leur désirabilité à long terme, cette dernière devant êtredéterminée par la population irakienne par le biais d'institutions représentatives. Ainsi, dansles années qui ont suivi la Première Guerre mondiale, les Cours de certains Etats occupésont pu juger légitimes des interventions de l'occupant dans l'économie des territoiresoccupés lorsqu'elles avaient pour but de préserver le niveau de vie de la population avantl'occupation164. Ce n'est manifestement pas le cas ici. Une partie de la doctrine considèretoutefois que des interventions visant à améliorer le bien-être de la population seraientégalement légitimes mais ce n'est pas la position que nous adoptons165. De plus, il n'ya rien dans le Règlement de la Haye ou la Convention de Genève qui suggérerait unepréférence pour un modèle économique par rapport à un autre. Il est en outre très peucrédible que la mise en place d'une économie de marché et le développement du secteurprivé soient justifiés par la sécurité de la Puissance Occupante. De plus, ce changement totalde philosophie économique n'était en aucun cas essentiel afin de garantir des conditions

161 FOX, Gregory, « The Occupation of Iraq », Georgetown Journal of International Law, Vol.36, 2005162 McCARTHY, Conor, « The Paradox of the International Law of Military Occupation : Sovereignty and the Reformation of Iraq »,Journal of Conflict and Security Law, Vol.10, n°1, 2005163 Convention IV de la Haye, 1907. C'est une obligation impérative dans le texte il « prendra toutes les mesures qui dépendentde lui ». Cela ne se réfère cependant qu'aux dégâts causés par le conflit à l'origine de l'occupation sur les structures économiques,sociales, politiques et les infrastructures.164 Voir par exemple dans la jurisprudence grecque : Aegan Court of Appeals, Judgment n°41 of 1948165 Il serait ainsi possible d'augmenter l'exploitation des réserves de pétrole si cela est dans l'intérêt de la population locale, voirLangenkamp D., et Zedalis R.J., What Happens to the Iraqi Oil ? Thughts on Some Significant, Unexamined International LegalQuestions Regarding Occupation of Oil Field, JEDI, 2003

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de vie décentes aux Irakiens durant l'occupation. De nombreuses ONGs ont ainsi menédes études concernant les services basiques dont la population avait besoin. Alors qu'ellesfont toutes état de mauvaises conditions de vie et qu'une grande partie de la populationnécessitait une assistance immédiate, aucune organisation n'a recommandé des réformesde marché pour pallier à ces problèmes166. Les puissances occupantes n'étaient donc pasdans une situation d' « empêchement absolu » vis-à-vis du système économique.

De plus, il est difficile de justifier ces réformes économiques par d'autres sourcesde droit international conventionnel telles des traités étant donné qu'il en existe trèspeu concernant la régulation économique et qu'ils ne sont pas applicables de manièreextraterritoriale. Les outils internationaux existants restreindraient même plutôt la margede manœuvre de l'occupant dans le secteur économique. Ainsi, l'on peut lire dans ladéclaration sur les relations amicales votée par l'Assemblée Générale que « chaque Etata le droit inaliénable de choisir son système politique, économique, social et culturel, sansinterférence d'aucune forme par un autre Etat 167». Elle protège ainsi la diversité dessystèmes économiques. Toutefois, dans un contexte où l'économie de marché se répand surtoute la planète et que les institutions internationales telles que le FMI ne cessent d'appliquerexclusivement ses méthodes, les occupants peuvent être tentés de justifier leurs réformessur cette base, bien que celle-ci n'ait rien de juridique.

Finalement, bien que certains contrats avec des entreprises privées aient été concluspour une période de temps limité et que rien n'empêche d'utiliser des compagnies privéespour renforcer la performance de secteurs traditionnellement laissés au secteur public,lorsque c'est toute la philosophie qui sous-tend la gestion de l'économie qui est remiseen cause, un problème se pose car il sera très difficile pour un gouvernement irakiensouverain de remettre en cause ces réformes168 . En effet, ces réformes économiquesétaient envisagées et conçues dès le départ dans une perspective de long-terme, pour avoirun effet durable bien après la fin de l'occupation169. L'APC a ainsi codifié ses orders etréformes ayant restructuré l'économie et le système juridique irakien dans la TransitionalAdministrative Law afin de s'assurer de leur caractère durable après la fin de l'occupation.Il s'agissait là de la Constitution irakienne provisoire, rentrée en vigueur le 28 juin 2004,après le transfert de pouvoir au nouveau gouvernement souverain de l'Irak et restée envigueur jusqu'à la ratification de la Constitution le 15 octobre 2005 , une Constitution qui abeaucoup emprunté au TAL170. Ainsi, presque aucune loi n'a été abrogée durant la transitionaux autorités irakiennes et la TAL a créé un système d' « opt-out » permettant de s'assurerque les lois de l'APC resteraient en vigueur à moins d'être formellement abrogées. Commel'affirment McDougal et Feliciano, poser une telle contrainte à durée indéterminée sur le

166 Voir International Crisis Group, Baghdad : A Race Against The Clock, 2003 ; United States Institute of Peace, Establishing theRule of Law in Iraq, 2003.

167 Déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les Etatsconformément à la Charte des Nations-Unies, Assemblée Générale des Nations-Unies, 24 octobre 1970

168 McCARTHY, Conor, « The Paradox of the International Law of Military Occupation : Sovereignty and the Reformation ofIraq », Journal of Conflict and Security Law, Vol.10, n°1, 2005

169 D'un autre côté, certaines exceptions ont pu être avancées pour justifier une interprétation plus extensive de l'article 43dans le cas d'occupations prolongées mais l'Irak ne peut se classer dans cette catégorie.

170 ZAHAWI, Hamada, « Redefining the Laws of Occupation in the Wake of Operation Iraqi Freedom », California Law Review,Vol.95, 2007

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futur n'est pas conforme aux prescriptions du droit de l'occupation171. La libéralisation et laprivatisation de l'économie sur le modèle occidental ont ainsi été conduites sans s'en référerà la volonté souveraine de la population irakienne. Même si l'on considère les objectifs desréformes menées comme valables, l'on ne peut nier le fait qu'il revenait à un gouvernementirakien représentatif de décider de leur opportunité. Certains ont même pu affirmer que lescontrats conclus sur cette base pourraient être annulés par le futur régime irakien172.

On a donc vu que des changements considérables ont été opérés au niveau desinstitutions et du droit irakien existants dans tous les domaines, les réformes économiquesétant les plus radicales. Anthony Cordesman du Center for Strategic and InternationalStudies résume la situation par cette phrase : au lieu d'essayer d'améliorer la situation,« l'APC n'était pas préparée à l'effondrement de la gouvernance à presque tous les niveaux »et n'a pu qu'aggraver cette situation terrible en promulguant des « orders » illégaux qui ontrestructuré en profondeur toutes les structures de l'Etat irakien173. La plupart de ces réformesse sont donc révélées incompatibles avec le droit conventionnel de l'occupation exceptécertaines réformes touchant aux droits de l'homme que l'on peut justifier par les obligationsdécoulant de la Convention de Genève et du droit international des droits de l'homme. Enquête de justification légale à l'action transformatrice des puissances occupantes en Irak,l'on va donc maintenant analyser des sources alternatives pouvant fonder sa légalité. Celles-ci vont cependant se révéler problématiques.

171 MCDOUGAL, Myres et FELICIANO, Florentino, The International Law of War, New Haven Press, Martinus NijhoffPublishers, 1961

172 Par exemple, KLEIN, Naomi, « Reconstruire en toute illégalité », 27 novembre 2003173 CORDESMAN, Anthony, « One Year On : Nation Building in Iraq 2 », CSIS Working Paper, April 16, 2004, traduction de

l'auteur du mémoire

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Le droit de l'occupation militaire à l'épreuve de la reconstruction de l'Etat par les puissancesoccupantes en Irak

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Partie II : Des sources problématiquesde justification légale des réformesentreprises par les puissancesoccupantes en Irak

L'ambiguïté de la Résolution 1483 du Conseil de Sécurité, appelant à la fois au respectdu droit de l'occupation en Irak et à la réforme dans de nombreux domaines, a pu servir,pour une partie de la doctrine, de justification à l'action transformatrice de la coalition(chapitre 1). D'autres sources alternatives de justification telles que le consentement desautorités irakiennes ou le précédent de l'occupation de l'Allemagne doivent égalementêtre examinées (chapitre 2). Finalement, l'incertitude quant à la légalité de l'« occupationtransformatrice » et le contexte contemporain dans lequel se déroulent aujourd'huide nombreuses interventions post-conflit du même type ont amené à s'interroger surl'opportunité d'une réforme du droit de l'occupation (chapitre 3).

Chapitre 1 : L'ambiguïté de la Résolution 1483 duConseil de Sécurité

La Résolution 1483 du 22 mai 2003 est la première et la plus emblématique d'une sériede résolutions adoptées par le Conseil de Sécurité après la période initiale du conflitirakien174. L'Autorité Provisoire de la Coalition y trouve ainsi une source de légitimité,même si la résolution ne reconnaît en rien l'invasion s'étant déroulée en premier lieu.Elle traite donc de la période de reconstruction et de construction de la paix en Irak,semblant appeler à la poursuite de certains objectifs transformationnels, tout en posantle droit international applicable dans le contexte de l'occupation. Le Conseil reconnaîtainsi les « pouvoirs, responsabilités et obligations spécifiques de ces Etats en tant quepuissances occupantes agissant sous un commandement unifié (l'Autorité) en vertu dudroit international applicable »175. L'on y réaffirme également le caractère temporaire del'occupation ainsi que l'absence de transfert de souveraineté, l'intégrité territoriale de l'Iraket le droit du peuple irakien à déterminer librement son avenir et à garder le contrôle sur sesressources naturelles. Avec cette résolution, le Conseil de Sécurité des Nations-Unies offredonc pour la première fois un cadre détaillé permettant de gouverner une occupation deguerre. Une telle résolution mêlant droit de l'occupation et apports du Conseil de Sécuritéa donc un caractère tout à fait inédit. Pour Mathias Forteau, professeur à l'université deParis-Nanterre, le Conseil « a demandé l'application de deux régimes juridiques opposés,

174 Résolutions 1483, 1500, 1511 et 1546 du Conseil de Sécurité175 Résolution 1483 du Conseil de Sécurité, S/RES/1483, 22 Mai 2003

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Partie II : Des sources problématiques de justification légale des réformes entreprises par lespuissances occupantes en Irak

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le régime de l'occupation et un régime d'administration internationale »176. Ainsi, les buts del'occupation tels qu'énumérés dans la résolution vont bien plus loin que le cadre posé par ledroit de l'occupation. L'Autorité Provisoire de la Coalition a donc pu justifier la plupart de cesréformes dont les plus radicales par cette résolution. Par conséquent, dans son Order n°1,publié le 16 mai 2003, l'APC s'y réfère deux fois comme fournissant un cadre guidant l'actionde la coalition et lui accordant même un certain degré d'autorisation légale177. Les actionsde l'APC en Irak auraient donc pu être autorisées en des termes généraux par la Résolution1483178. Il s'agit donc là d'un régime inédit et il convient d'abord de jauger la capacité duConseil de Sécurité à déroger au droit de l'occupation afin de permettre la reconstruction del'Irak (section 1). Il conviendra ensuite d'analyser de manière concrète les rapports entre ledroit de l'occupation tel que contenu dans le Règlement de la Haye et la IVème Conventionde Genève et les prescriptions du Conseil de Sécurité afin de qualifier le régime régissantl'occupation et de conclure si il y a effectivement eu dérogation (section 2).

Section 1 : Le Conseil de Sécurité peut-il déroger au droit del'occupation ?

Dès la phase initiale des opérations de la coalition en Irak, le gouvernement britanniqueavait déjà pris en compte le fait que le projet transformationnel prévu pour l'Irak pourraitse révéler aux antipodes des normes juridiques gouvernant l'occupation. Ainsi, le 26 mars2003, l'Attorney General Goldsmith a exprimé cette opinion dans un mémo détaillé aucabinet britannique : «en clair, mon opinion est qu'une résolution supplémentaire du Conseilde Sécurité est nécessaire pour autoriser l'imposition de réformes et la restructuration del'Irak et de son gouvernement. En l'absence d'une telle résolution, le Royaume-Uni (et lesEtats-Unis) seraient liés par les provisions du droit international gouvernant l'occupationde guerre, en particulier la IVème Convention de Genève et le Règlement de la Hayede 1907 179». Ainsi, le but avoué de la recherche d'un tel mandat du Conseil de Sécurité« était d'échapper aux difficultés légales si les puissances occupantes cherchaient à allerau-delà des droits limités conférés par le Règlement de la Haye et la IVème Conventionde Genève»180. Mais le Conseil de Sécurité possède-t-il l'autorité légale lui permettant dedéroger au droit de l'occupation ?

1.1 La Charte des Nations-Unies comme source de dérogation au droitinternational par le Conseil de SécuritéLa Charte de l'ONU et le droit international général sont les sources des pouvoirs etobligations du Conseil de Sécurité. Ainsi, étant un sujet de droit international, l'Organisationdes Nations-Unies est liée par ce droit sur lequel elle est fondée. L'article 24 de la Charte

176 FORTEAU, Mathias, « La situation juridique des contingents militaires français chargés d'assurer le maintien de l'ordre publicsur le territoire d'un Etat étranger », RGDIP, 2003, p.638177 Cette résolution a en fait été passée par le Conseil de Sécurité le 22 mai, soit six jours plus tard, la Coalition a donc justifier sonaction par une Résolution non encore votée !178 « Questions raised about the legality of US attempts to transform Iraq », Pakistan Tribune, 14 January 2004179 Lord Goldsmith, Iraq : authorisation for an interim administration (Mar. 26, 2003), in John Kampfner, « Blair Was Told It WouldBe Illegal to Occupy Iraq », New Statesman, London, May 26, 2003180 House of Commons, Iraq : Law of Occupation, House of Commons Library Research Paper 03/51, 2003. Traduction de l'auteurdu mémoire

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stipule ainsi que le Conseil de Sécurité doit agir en conformité avec les principes de justiceet de droit international dans la résolution des conflits internationaux. L'applicabilité dudroit international général n'y est pourtant pas illimitée. Un certain nombre de ses normesne s'appliquent qu'aux Etats et les pouvoirs du Conseil de Sécurité sont par leur naturemême dérogatoires au droit international. Sous l'autorité du Chapitre VII, il peut ainsi déciderd'actions variées qui peuvent déroger à des normes établies telles que le respect de lasouveraineté ou le non-recours à la force par exemple. La doctrine et la pratique s'accordentdonc sur le point que le Conseil n'est pas lié, lorsqu'il agit sous le Chapitre VII, à l'ensembledu droit international général181. Aussi, les travaux préparatoires à la Charte montrent queses rédacteurs considéraient que le Conseil pouvait déroger au droit international lorsqu'ilprenait des décisions sous l'autorité du chapitre VII182. Il ne peut toutefois s'en écarter quesi sa mission l'exige impérieusement, la présomption restant donc en faveur du droit. Il nesaurait également être libre par rapport à toutes les règles du droit coutumier. Il ne peut violerles normes de jus cogens qui seraient donc « intransgressibles 183» comme rappelé parla Cour Internationale de Justice. De plus, comme a pu l'affirmer le juge Lauterpacht dansson opinion séparée dans l'affaire de l'application de la Convention pour la prévention et larépression du crime de génocide, le Conseil de Sécurité devrait respecter ces normes.184Ils'agit là d'un ensemble de normes impératives de droit international général185. Pour ceuxqui voient la Charte et le chapitre VII comme ayant un caractère suprême, seul le jus cogenspourrait donc résister à la primauté de la Charte186. Ainsi, pour Dinstein, les résolutionscontraignantes du Conseil de Sécurité adoptées sous l'autorité du chapitre VII peuventl'emporter sur le droit international général à moins que des normes de jus cogens soientimpliquées187. Toutefois, pour Finn Seyersted, spécialiste norvégien de droit internationalmais également d'autres auteurs qui partagent son opinion, il devrait y avoir une habilitationexprès de la Charte afin d'en permettre une quelconque dérogation188. En effet, il est permisde douter qu'il soit même nécessaire d'y déroger pour avancer les buts de l'organisation.

181 Voir Hans KELSEN mais aussi KOLB, Robert, « L'occupation en Irak depuis 2003 et les pouvoirs du Conseil de Sécurité del'Organisation des Nations-Unies », Revue Internationale de la Croix-Rouge, n°869, mars 2008182 ZWANENBURG, Marten, « Existentialism in Iraq : Security Council Resolution 1483 and the Law of Occupation », RevueInternationale de la Croix-Rouge, Vol.86, n°856, Décembre 2004183 Affaire de la licéité de la menace ou de l'emploi d'armes nucléaires, CIJ, 1996 : « Ces règles fondamentales (du droit internationalhumanitaire) s'imposent d'ailleurs à tous les Etats... parce qu'elles constituent des principes intransgressibles du droit internationalcoutumier ».184 Voir l'opinion du juge Lauterpacht dans l'affaire de l'application de la Convention pour la prévention et la répression du crime degénocide (Bosnie-Herzegovine c. Serbie et Monténégro), 1993. Pour lui, le Conseil doit respecter le jus cogens.185 La notion est définie à l'article 53 de la Convention de Vienne du 23 Mai 1969 : «Aux fins de la présente Convention, une normeimpérative de droit international général est une norme acceptée et reconnue par la communauté internationale des États dans sonensemble en tant que norme à laquelle aucune dérogation n'est permise et qui ne peut être modifiée que par une nouvelle norme dudroit international général ayant le même caractère. »186 Pour Bedjaoui néanmoins, le Conseil de Sécurité doit respecter la Charte et le droit international car il n'a pas reçu le mandat d'unlégislateur. La Charte ne peut se trouver en contradiction avec le droit international, et surtout pas avec les normes de jus cogens.Il ne pourrait donc pas passer outre le droit humanitaire. BEDJAOUI, Mohammed, « The new world order and the Security Council :testing the legality of its acts », Martinus Nijhoff Publishers, 1994187 DINSTEIN, Yoram, War, Aggression and Self-Defence, Cambridge University Press, 2005188 SEYERSTED, Finn, United Nations Forces in the Law of Peace an War, Leide, 1966

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En ce qui concerne le droit international humanitaire, la Charte des Nations-Unies nefait aucune mention explicite d'un quelconque droit du Conseil de Sécurité à déroger àses normes. De plus, dans la pratique, le Conseil a très souvent réaffirmé l'importancedu respect du DIH et a pu qualifier de menace contre la paix sa violation189. Pour RobertKolb, professeur de droit international aux universités de Genève et de Neuchâtel, il s'ensuivrait donc logiquement que le Conseil ne puisse y déroger, du moins en bloc. Si l'ons'en réfère ensuite aux pouvoirs implicites du Conseil, il apparaît que pour mettre enœuvre son but premier, c'est-à-dire le maintien de la paix et de la sécurité internationale,l'importance du Chapitre VII de la Charte et sa prééminence sont telles, reconnues par laCharte (article 25 et 103) que l'on serait en mesure d'estimer que lorsqu'une norme dedroit international externe à la Charte s'oppose à la réalisation de ce but, elle doit pouvoircéder devant lui190. Aussi, l'article 103 stipule qu'« en cas de conflit entre les obligations desmembres des Nations-Unies en vertu de la présente Charte et leurs obligations en vertude tout autre accord international, les premières prévaudront ». Ainsi, dans les années 90,il y a eu un débat important sur l'aptitude du Conseil de Sécurité à déroger à certainesnormes du droit international, notamment sur l'éventuelle existence de limites à l'impositionde sanctions économiques, à l'occasion de l'arrêt Lockerbie. La Cour Internationale deJustice a ainsi pu confirmer, dans son « Order » sur les mesures provisoires relatives àcette affaire, que l'article 103 de la Charte faisait prévaloir non seulement la Charte maiségalement les résolutions contraignantes du Conseil de Sécurité sur toute autre obligationinternationale191. Le juge Oda, dans son opinion, a été plus explicite que cela en affirmantqu'une telle résolution pourra être contraignante même si elle n'est pas en conformité avecd'autres sources du droit international192. Le Conseil de Sécurité lui-même a affirmé que sesrésolutions adoptées sous le Chapitre VII de la Charte doivent prévaloir en cas de conflitavec d'autres droits et obligations du droit international193. La résolution 1483 prévaudraitdonc sur les restrictions imposées par le droit de l'occupation. De plus, l'article 25 stipuleque les Etats membres acceptent de mettre en œuvre les décisions du Conseil en accordavec la Charte. Il ne serait également fait mention d'aucune limitation s'appliquant au droitcoutumier194. La combinaison des articles 25 et 103 de la Charte obligerait donc les Etatsmembres à respecter les actes du Conseil.

1.2 La question controversée du caractère de jus cogens des normes dudroit de l'occupationUne dérogation au droit de l'occupation ne serait toutefois pas plausible si l'on en croit LuigiCondorelli, professeur à l'université de Genève, qui affirme que le Conseil doit respecter le

189 Par exemple, concernant la Yougoslavie (Résolution 771, 1991 ; Résolution 836, 1993) ; Somalie (Résolution 794, 1992) ;Rwanda (Résolution 918, 1994)

190 KOLB, Robert, « L'occupation en Irak depuis 2003 et les pouvoirs du Conseil de Sécurité de l'Organisation des Nations-Unies », Revue Internationale de la Croix-Rouge, n°869, mars 2008

191 Order of 14 April 1992 in the case Questions of Interpretation and Application of the 1971 Montreal Convention arising fromthe aerial incident at Lockerbie (Libyan Arab Jamahiriya v. US), 1992, CIJ

192 Ibid, Declaration du Juge Oda193 Résolution 864 du Conseil de Sécurité (1993)194 ZWANENBURG, Marten, « Existentialism in Iraq : Security Council Resolution 1483 and the Law of Occupation », Revue

Internationale de la Croix-Rouge, Vol.86, n°856, Décembre 2004

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droit international humanitaire dans son intégralité195. Sassoli tient également pour acquisque les obligations découlant du droit humanitaire international constituent des normes dejus cogens196. La Chambre de Première Instance du Tribunal Pénal International pour l'Ex-Yougoslavie a ainsi soutenu dans son jugement sur l'affaire Kupreskic que la plupart desnormes de droit international humanitaire sont constitutives de jus cogens et donc non-dérogeables197. Kaiyan Kaikobad de l'Université de Durham cite également l'arrêt Koch, plusancien, de la Cour Suprême polonaise qui a observé que la section III du Règlement de laHaye appartenait au jus cogens, c'est-à-dire qu' « elle contient des règles dont l'applicationne dépend du pouvoir discrétionnaire d'un Etat »198. Cela voudrait dire que toute mesureincompatible avec ce corps du droit ne serait pas valide y compris si le Conseil de Sécuritél'approuvait. La règle selon laquelle le droit international humanitaire doit être respecté entoutes circonstances s'appliquerait donc à tous les sujets de droit international et mêmeau Conseil étant donné qu'il s'agit là de règles fondamentales. Il s'agirait là d'une règleconventionnelle de par l'article 1 commun aux quatre conventions de Genève de 1949,et coutumière199. Des auteurs tels que Eric David, docteur en droit de l'université libre deBruxelles, pour qui la majorité des règles du droit des conflits armés font partie du juscogens, étant donné qu'elles représentent un « ultime rempart contre la barbarie »200 serattachent à cette vision tandis que d'autres limitent le corps des normes intouchables par leConseil à l'ordre public humanitaire, soit un corps de normes essentielles à la protection de lapersonne humaine. Pour Dietrich Schindler, professeur à l'université de Zurich et membre duComité de la Croix-Rouge, il s'agit du noyau dur des règles à visée humanitaires, concernantla protection des victimes par exemple201. Robert Kolb rejoint cette vision en affirmant queles normes auxquelles le Conseil peut déroger sont celles qui ne touchent pas directementà la protection des individus (contenues dans la IVème Convention de Genève), notammentles règles régissant l'administration du territoire occupé dans le Règlement de la Haye.LeConseil pourrait donc établir des règles spéciales la concernant. Il a même entrepris unclassement de ces normes selon leur caractère dérogeable ou non202. Les Conventions deGenève sont ainsi vues de manière consensuelle comme constitutives de jus cogens. Deplus, les dispositions de la IVème Convention sont protégées par un « verrouillage normatif »en vertu des articles 7, 8 et 47, ce qui n'est pas le cas du Règlement de la Haye. PourKolb, il serait impossible de déroger à la première partie de l'article 43, c'est-à-dire au devoir

195 CONDORELLI, Luigi, Le statut des forces des Nations-Unies et le droit international humanitaire, dans Claude Emanuelli (éd.),Les casques bleus : policiers ou combattants ?, Montréal, 1997196 SASSOLI (op.cit.), en se basant sur le Report of the International Law Commission on the work of its thirty-second session inYearbook of the International Law Commission 1980, vol.II,Part II et The prosecutor v. Zoran Kupreskic and others, TPIY, Chambrede 1ère instance, 2000197 Prosecutor v. Zoran Kupreskic et al., op.cit.198 Arrêt Koch, cité par KAIKOBAD, Kaiyan, « Problems of Belligerent Occupation : The Scope of Powers Exercised by the CoalitionProvisional Authority in Iraq », The International and Comparative Law Quarterly, vol.54, n°1, janvier 2005199 « Les Hautes Parties contractantes s'engagent à respecter et à faire respecter la présente Convention en toutes circonstances »,Article 1, Conventions de Genève, 1949200 DAVID, Eric, Principe de droit des conflits armés, 2ème édition, Bruxelles, 1999.201 SCHINDLER, Dietrich, Probleme des humanitären Völkerrechts und der Neutralität im Golfkonflikt 1990/1991, Revue suisse dedroit international et européen, Vol.1, 1991202 KOLB, Robert et VITE, Sylvain, Le droit de l'occupation militaire, Collection de l'Académie de Droit International Humanitaire etde droits humains à Genève, 2009

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de maintenir l'ordre et la vie publics. Pour une partie de la doctrine, la deuxième partierelative au statu quo législatif pourrait subir des dérogations dans le but de permettre desoccupations transformationnelles. Au contraire, d'autres pensent que le Conseil n'a pas lepouvoir législatif d'altérer des obligations juridiques internationales pré-existantes. Depuisla fin de la guerre froide, le Conseil a pourtant agit à de nombreuses reprises dans le butde modifier ou de passer outre des normes conventionnelles existantes. Par exemple, il apermis la création d'un tribunal pour juger les crimes commis au Rwanda et a ainsi autoriséla poursuite d'un certain nombre de violations de la Convention de Genève qui n'y donnaientpourtant pas lieu sous les conventions qui ne soulève pas la culpabilité individuelle durantdes guerres civiles.

1.3 Un élargissement consensuel des pouvoirs du Conseil de Sécurité pourla doctrine nord-américaineLes auteurs américains sont les plus enclins à une vision élargie des pouvoirs du Conseil.Des dérogations au droit international humanitaire seraient ainsi permises en vertu duChapitre VII si elles sont temporaires et proportionnelles à la situation203. Pour les auteurspour qui le droit de l'occupation n'est pas constitutif de jus cogens, le Conseil de Sécuritépeut décider d'étendre le pouvoir et le mandat de la puissance occupante204. La Résolution1483 éclipserait donc les provisions du droit de l'occupation. Il serait toutefois impossiblede déroger aux garanties fondamentales.

Par suite, aujourd'hui, vis-à-vis des développements liés à la guerre en Irak, une grandepartie de la doctrine nord-américaine ne semble même plus s'interroger de manière précisequant aux dérogations possibles mais font l'hypothèse, sans donner de justifications, quel'action du Conseil sous le Chapitre VII et en vertu des articles 25 et 103, l'emporte surle droit de l'occupation205. Par conséquent, pour Zwanenburg, le Conseil de Sécurité peutdéroger au droit international et donc au droit de l'occupation simplement parce qu'il agitsous l'autorité du Chapitre VII de la Charte des Nations-Unies. Le Chapitre VII donneraitdonc une liberté totale au Conseil de Sécurité. Il pourrait donc outrepasser le régime de laHaye et de Genève. Dans cette perspective, explique Massimo Starita, le principe de non-intervention dans les affaires intérieures de l'Irak aurait été suspendu par le Conseil. Lesautorités américaines ont également justifié cette dérogation par le fait que la résolutiona été adoptée sous le chapitre VII206. Le Conseil affirme d'ailleurs dans la résolution 1483qu'il agit sous le Chapitre VII de la Charte et que la situation constitue une menace pour lapaix et la sécurité internationale. Pour certains experts français également, comme Hélène

203 TITTEMORE, Brian, « Belligerents in Blue Helmets : Applying International Humanitarian Law to United Nations PeaceOperations », Stanford Journal of International Law, Vol.33, 1997204 Voir DE BRABANDERE, Eric, « The Responsibility for Post-Conflict Reforms : A Critical Assessment of Jus Post Bellum as aLegal Concept », Vanderbilt Journal of Transnational Law, Vol.43, 2010 et SCHEFFER, David, « Beyond Occupation Law » , TheAmerican Journal of International Law, vol.97, n°4, Octobre 2003

205 Voir ZWANENBURG, op.cit, KIRGIS, Frederic, « Security Council Resolution 1483 on the Rebuilding of Iraq », ASIL Insights,Mai 2003, GRANT, Thomas, « How to reconcile conflicting obligations of occupation and reform », ASIL Insights, juin 2003et FOX,op.cit : « the security council has sweeping disposive authority ».

206 DOROSIN, Joshua, « Jus in Bello : Occupation Law and the War in Iraq », Proceedings of the Annual Meeting (AmericanSociety of International Law), Vol.98, mars-avril 2004

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Tigroudja, professeur à l'université d'Artois, la résolution dérogerait à certains aspects dudroit de l'occupation mais ne semble pas violer de normes de jus cogens207.

Par suite, Robert Kolb se pose la question suivante: est-ce que ces dépassements despuissances occupantes «s'opposent vraiment au droit de l'occupation ou le développent-ilsdans ses zones de flexibilité ? » Comme on l'a vu, le droit de l'occupation est peu précis etlaisse une latitude importante à l'occupant. Le Conseil aurait ainsi laissé à la pratique desoccupants le soin d'interpréter ces résolutions très ambiguës et ils s'en seraient donc servipour légitimer leur réformes les plus radicales.

De plus, aucun article de la Charte ne stipule que si le Conseil déroge à certainesrègles du droit international, il doit préciser quel régime alternatif s'applique. Il est difficilede soutenir que les rédacteurs de la Charte aient voulu créer un vide juridique. Le Conseildevrait pourtant probablement indiquer un standard alternatif applicable étant donné que siil agit par délégation des membres de l'ONU, il ne peut déléguer des pouvoirs à certainsEtats sans exercer une surveillance approfondie. Certains ont ainsi pu dire que le Conseildoit toujours garder le pouvoir et le contrôle global sur l'exercice des pouvoirs délégués sousle Chapitre VII. Pour Zwanenburg, le Conseil peut donc déroger au droit de l'occupation, ence qui concerne les normes non constitutives de jus cogens, mais il doit fournir un cadrejuridique alternatif.

Après avoir vu que le Conseil de Sécurité pourrait de manière quasi certaine dérogerà certaines normes du droit de l'occupation, notamment celles concernant l'administrationdu territoire par les puissances occupantes, il convient maintenant de déterminer si il ya effectivement déroger, et de qualifier le régime ainsi créé par la Résolution 1483 etsuivantes.

Section 2 : La création d'un « régime hybride » gouvernantl'occupation de l'Irak par le Conseil de Sécurité

Le 9 mai 2003, les Etats-Unis, le Royaume-Uni et l'Espagne ont ainsi fait passer de manièreinformelle un projet de résolution aux membres du Conseil de Sécurité suivant les intentionsformulées par les deux occupants dans la lettre adressée la veille au Président du Conseil deSécurité. Il est à l'origine de l'adoption de la Résolution 1483 de manière très consensuelletreize jours plus tard. Son paragraphe 3 «Demande à l’Autorité, conformément à la Chartedes Nations-Unies et aux dispositions pertinentes du droit international, de promouvoir lebien-être de la population iraquienne en assurant une administration efficace du territoire,notamment en s’employant à rétablir la sécurité et la stabilité et à créer lesconditionspermettant au peuple irakien de déterminer librement son avenir politique » 208 . Sonparagraphe 8 va plus loin en chargeant en particulier le Représentant Spécial des Nations-Unies pour l'Irak d'une liste de tâches très étendue, à mener en coordination avec l'APC,visant à assister la population irakienne en:

« a) Coordonnant l’aide humanitaire et l’aide à la reconstruction apportée par lesorganismes des Nations Unies et les activités menées par ces derniers et les organisationsnon gouvernementales;

207 TIGROUDJA, Hélène, « Le régime d'occupation en Iraq », Annuaire Français de Droit International, Vol.50, CNRS Editions,Paris, 2004208 Résolution 1483 du Conseil de Sécurité, S/RES/1483

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b) Facilitant le rapatriement librement consenti des réfugiés et des déplacés dans l’ordreet la sécurité;

c) Oeuvrant sans relâche avec l’Autorité, le peuple iraquien et les autres partiesconcernées à la création et au rétablissement d’institutions nationales et locales permettantla mise en place d’un gouvernement représentatif, notamment en travaillant ensemblepour faciliter un processus débouchant sur la mise en place d’un gouvernement iraquienreprésentatif, reconnu par la communauté internationale;

d) Facilitant la reconstruction des infrastructures clefs, en coopération avec d’autresorganisations internationales;

e) Favorisant le relèvement économique et l’instauration de conditionspropices au développement durable, notamment en assurant la coordination avec les

organisations nationales et régionales, selon qu’il conviendra, et avec la société civile, lesdonateurs et les institutions financières internationales;

f) Encourageant les efforts déployés par la communauté internationale pour que lesfonctions essentielles d’administration civile soient assurées;

g) Assurant la promotion de la protection des droits de l’homme;h) Appuyant les efforts déployés à l’échelle internationale pour rendre à nouveau

opérationnelle la police civile irakienne;i) Soutenant les efforts menés par la communauté internationale pour

promouvoir des réformes juridiques et judiciaires.209

De plus, au paragraphe 9, le Conseil « Appuie la formation par le peuple irakien, avecl’aide de l’Autorité et en collaboration avec le Représentant spécial, d’une administrationprovisoire irakienne qui servira d’administration transitoire dirigée par des Irakiens jusqu’à

ce qu’un gouvernement représentatif, reconnu par la communauté internationale, soitmis en place par le peuple irakien et assume les responsabilités de l’Autorité. »

L'on peut donc constater qu'un certain nombre de ces objectifs correspondentégalement à ceux de l'APC. Le Conseil pourrait donc, par le biais de cette résolution,soutenir les réformes allant au-delà du droit de l'occupation qu'elle a mises enœuvre notamment dans le domaine judiciaire, l'établissement de nouvelles institutionsreprésentatives ou encore la reconstruction économique210. Elle reconnaîtrait une certaineingérence dans les affaires constitutionnelles de l'Irak en donnant à l'APC le pouvoir dedécider des modalités d'un processus constituant, bien qu'il doive faire l'objet d'un accordavec le Conseil du Gouvernement Irakien. La résolution aurait donc répondu au besoinde mettre en route le processus de stabilisation et la transition politique de l'Irak aprèsle conflit ainsi que de définir le rôle des Nations-Unies dans ce processus. Toutefois, lestâches énumérées par la résolution sont destinées prioritairement au Représentant Spécialde l'ONU, conformément au compromis211 qui a permis d'adopter la résolution. Les formulesutilisées impliquent cependant un rôle très large pour l'Autorité dans la reconstruction del'Irak et ces tâches semblent particulièrement difficiles à concilier avec le respect des

209 Résolution 1483 du Conseil de Sécurité, 22 Mai 2003, S/RES/1483210 Pour Bhuta, la résolution serait suffisamment ambiguë pour permettre la légitimation des actes des puissances occupantes.

BHUTA, Nehal, « The Antinomies of Transformative Occupation », The European Journal of International Law, vol.16, n°4, 2005211 STARITA, Massimo, op.cit., UN Doc. S/PV.4971 voir par exemple la déclaration de l'ambassadeur allemand : « cette

résolution représente un compromis atteint après d'intenses et parfois difficiles négociations » ou de ceux de la Russie et du Mexique.

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restrictions du droit de l'occupation. Il n'est du reste pas simple d'établir si le Conseil deSécurité avait l'intention d'autoriser l'APC à déroger au droit de l'occupation grâce au textede la résolution. La Résolution appelle ainsi de manière explicite les parties concernéesà respecter leurs obligations découlant du droit international, incluant les Conventions deGenève de 1949 ainsi que le Règlement de la Haye de 1907 et la souveraineté de l'Iraksans faire d'exception explicite pour les normes qui seraient difficiles à concilier avec lareconstruction de l'Irak. L'on y réaffirme également le droit du peuple irakien à l'auto-détermination.

2.1 Une dérogation au droit de l'occupation peu convaincantePour Massimo Starita, le Conseil de Sécurité aurait créé un régime juridique ad hoc etautorisé les puissances occupantes à effectuer certaines tâches qu'elles s'étaient déjàattribuées de manière unilatérale. Il aurait donc voulu les dispenser du respect de leursobligations internationales et donner un caractère licite à leurs actes212. De la mêmemanière, pour Thomas Grant, juriste en droit international à l'Université de Cambridge, lestextes resteraient applicables dans la mesure où ils n'empêcheraient pas les puissancesoccupantes de mettre en œuvre la mission confiée par le Conseil de Sécurité213. L'APCs'est ainsi fondée sur la Résolution 1483 pour justifier nombre de ses réformes. Elle auraitdonc considéré que la Résolution lui donnait le droit d'agir en contradiction avec le droitde l'occupation. Pour Joshua Dorosin du Département d'Etat : « Etant une Résolutionadoptée sous le Chapitre VII, la Résolution 1483 a fourni des pouvoirs qui outrepassent toutelimitation incohérente qui pourrait être contenue dans d'autres corps de droit international,y compris le droit de l'occupation »214. Pour le Secrétaire d'Etat britannique aux affairesétrangères et du Commonwealth, « la Résolution 1483 fournit une base légale solide »pour les buts poursuivis par le Foreign Investment Order. La Coalition n'a toutefois pasnié l'application du droit de l'occupation mais a maintenu que l'obligation de respecter ledroit international humanitaire contenue dans les Résolutions 1483 et 1511 doit être lueconjointement au mandat transformationnel contenu dans ces textes215.

De plus, dans sa Résolution 1511, le Conseil soutient dans son paragraphe 7 leprocessus d'adoption d'une nouvelle Constitution irakienne et y reconnaît un rôle pourl'Autorité. Cela pourrait être interprété comme un soutien implicite à l'abrogation de laconstitution antérieure. Ainsi, pour Haupais, « l'Autorité est habilitée à accompagner leprocessus de transition démocratique, dans des termes il est vrai ambigus, mais qui laissentla place à une application sélective des obligations pesant sur la puissance occupante,notamment en ce qui concerne le maintien du statu quo politique et juridique.216 » Le Conseilappelle toutefois au retour des responsabilités administratives au peuple irakien le plus tôtque possible. Cela pourrait sous-entendre que ces pouvoirs étaient légalement acquis par

212 Pour Wolfrum, cette résolution a légalisé les actes des puissances occupantes. WOLFRUM, Rudiger, « From BelligerentOccupation to Iraqi Exercise of Sovereignty : Foreign Power Versus International Community Interference », Max Planck Yearbookof United Nations Law, vol.9, 2005213 GRANT, Thomas, « How to reconcile conflicting obligations of occupation and reform », ASIL Insights, juin 2003214 DOROSIN, Joshua, « Jus in Bello : Occupation Law and the War in Iraq », Proceedings of the Annual Meeting, American Societyof International Law, vol.98, Mars-Avril 2004.215 Pour Grant Harris, les américains n'évoquaient le droit de l'occupation que dans le but d'observer uniquement ses provisionshumanitaires. HARRIS, Grant, « The Era of Multilateral Occupation », Berkeley Journal of International Law, Vol.24, n°1, 2006

216 HAUPAIS,Nicolas, « Les obligations de la puissance occupante au regard de la jurisprudence et de la pratique récente »,RGDIP, n°1, 2007

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l'Autorité. Un tel élargissement de ces pouvoirs aurait donc pour but de servir au mieux lamission de rétablissement de la paix et de la sécurité internationale du Conseil de Sécurité.Ce dernier aurait également pu être motivé par les violations répétées de ses résolutions etdu droit international par l'Irak. De plus, la situation exceptionnelle de l'Etat irakien, commele rappelle la délégation espagnole dans les débats217, justifierait un tel élargissement dumandat.

Ainsi, afin d'interpréter la portée d'une résolution, il faut se rapporter aux débats quiont précédé son adoption, comme l'indique la Cour Internationale de Justice dans son avisde 1971 dans l'Affaire du Sud-Ouest Africain218 . L'on peut donc examiner le compte-rendude la séance durant laquelle la résolution a été adoptée au sein du Conseil de Sécuritéet les vues exprimées par les délégués sur la nature de cette résolution. Pour certains,les débats semblent confirmer l'hypothèse qu'une partie du droit de l'occupation aurait étémise de côté219. Le délégué espagnol a en effet déclaré que la résolution fournissait uncadre légal approprié pour faire face à cette situation particulière et qu'elle contenait des« directives pour la conduite des autorités qui dirigeront cette période de transition en Irak-et la transparence dans les affaires économiques n'est pas la moindre »220. Cela impliqueque le droit de l'occupation n'était pas considéré comme le seul régime juridique que l'onsouhaitait appliquer. Le Représentant américain John Negroponte a pu affirmer lors desdébats que le Conseil de Sécurité a fourni un cadre flexible sous l'autorité du chapitre VIIpour poursuivre les buts énoncés.

D'un autre côté, le Secrétaire Général de l'ONU a lui-même défendu le besoin deréformes radicales en Irak dans sont rapport de juillet 2003, suite à la résolution 1483. Ainsi,il affirme que « la transition d'une économie planifiée à une économie de marché doit êtreentreprise. 221» Il évoque également des réformes juridiques et institutionnelles nécessairespour établir une économie de marché. Bien que l'on ne puisse légalement se baser surce type de rapports, cela impliquerait que la résolution envisage précisément ce type deréforme radicale. L'on dépasserait ainsi l'article 43 du Règlement de la Haye en légitimantune interprétation large de l'autorité conférée aux puissances occupantes. L'APC s'est doncbasée sur le rapport du secrétaire général pour justifier certaines de ses réformes commel'Order 29 sur la banque commerciale irakienne par exemple.

2.2 Une résolution consensuelle dans les limites du droit de l'occupationCette interprétation de la résolution 1483 peut toutefois être contrebalancée par une visionopposée, pour laquelle celle-ci n'aurait en rien porté atteinte au régime de l'occupation.Aussi, les Etats s'étant opposés à l'intervention initiale ont cherché durant les débats sur larésolution à limiter les pouvoirs octroyés à l'Autorité ainsi qu'à obtenir un rôle plus importantpour les Nations-Unies dans le processus de reconstruction. Ils voulaient également quele transfert de pouvoir à un gouvernement irakien élu s'opère le plus rapidement possible

217 TIGROUDJA, Hélène, « Le régime d'occupation en Iraq », Annuaire Français de Droit International, Vol.50, CNRS Editions,Paris, 2004

218 Avis consultatif sur les conséquences juridiques pour les Etats de la présence continue de l'Afrique du Sud en Namibienonobstant la Résolution 276 du Conseil de Sécurité, CIJ, 21 Juin 1971

219 ZWANENBURG, Marten, « Existentialism in Iraq : Security Council Resolution 1483 and the Law of Occupation », RevueInternationale de la Croix-Rouge, Vol.86, n°856, Décembre 2004

220 Security Council 4761st Meeting, 22 May 2003 (Spain)221 Report of the Secretary-General, 17 July 2003. S/2003/715. Traduction de l'auteur du mémoire

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afin que les Irakiens eux-mêmes puissent décider de leur futur et des réformes à adopter222.Ainsi, pour le Pakistan, la résolution confirme l'impératif de respecter le droit internationalapplicable et surtout les Conventions de Genève et le Règlement de la Haye. Pour sondélégué Mr Akram, elle ne fournit donc pas l'autorité nécessaire pour outrepasser lesobligations des traités. Ces affirmations n'ont été contredites par aucun autre Etat. Lesdéclarations des différents représentants au Conseil de Sécurité ne semblent donc pasmettre au jour un consensus qui amènerait à considérer cette résolution comme modifiantle régime applicable. Le compromis à l'origine de la résolution semblerait donc aller àl'encontre d'un pouvoir législatif illimité octroyé à l'Autorité223. Ainsi, pour Ebrahim Afsah duMax Planck Institute for Comparative Public Law and International Law, par exemple, larésolution place plus de limites sur les forces occupantes que ne leur accorde un autorisationà la transformation224. L'on aurait donc attendu des occupants qu'ils jouent un rôle defacilitateurs plutôt que de prescripteurs des changements, afin de ne pas violer le droità l'auto-détermination. Il est ainsi clairement affirmé dans la résolution que l'autorité doitseulement « créer les conditions dans lesquelles la population irakienne pourra déterminerlibrement son propre futur politique ». De plus, une interprétation concédant un mandatde nation-building aux occupants irait contre la Charte et la pratique depuis la 2ndeGuerre Mondiale, qui interdit l'occupation et la colonisation comme bases pour des effortstransformationnels. Pour Zahawi, « étant donné que les Etats-Unis ont choisi de partir enguerre sans les Nations-Unies, ils ont agit sous le statut juridiquement défini d'occupant deguerre et comme tel auraient du se conformer complètement au droit de l'occupation.225 »Pour Fox, « aucune des circonstances autour de la résolution 1483 ne suggère un mandatréformiste clair pour l'APC.226 »

La résolution ne donne pas non plus de calendrier pour la reconstruction économiqueet ne précise pas à quel acteur il revient de la superviser. Au contraire, le UN/WorldBank Joint Iraq Needs Assessment est quant à lui très explicite lorsqu'il mentionne le faitque conformément au droit international applicable, certaines des réformes qu'il proposeconcernant la gouvernance, l'Etat de droit et l'économie doivent être conduites par un futurgouvernement irakien représentatif. Bien que cela ne soit pas dit explicitement dans leRapport du Secrétaire Général, il semblerait qu'il s'agisse de la même position, le SecrétaireGénéral ayant également rappelé le nécessaire respect du droit de l'occupation. Pour lesréformes politiques et légales, il mettait également en exergue le besoin de contrôle irakien.Il appelle ainsi l'APC à s'assurer que les Irakiens retiennent le contrôle sur leur propreprocessus politique ainsi qu'à déléguer une partie du pouvoir exécutif aux représentantsirakiens comme l'allocation des ressources budgétaires par exemple. Ainsi, même si leSecrétaire Général comprenait la Résolution 1483 comme autorisant la reconstructionéconomique, cela n'était certainement pas sous le contrôle absolu de l'APC227. L'on peut

222 « se déclarant résolu à ce que le jour où les Irakiens se gouverneront eux-mêmes vienne rapidement », Résolution 1483 duConseil de Sécurité des Nations-Unies, S/RES/1483223 FOX, Gregory, « The Occupation of Iraq », Georgetown Journal of International Law, Vol.36, 2005224 AFSAH, Ebrahim, « Limits and Limitations of Power : The Continued Relevance of Occupation Law », German Law Journal,vol.7, n°6, 2006225 ZAHAWI, Hamada, « Redefining the Laws of Occupation in the Wake of Operation Iraqi Freedom », California Law Review,Vol.95, 2007. Traduction de l'auteur du mémoire226 FOX, Gregory, « The Occupation of Iraq », Georgetown Journal of International Law, Vol.36, 2005. Traduction de l'auteur dumémoire

227 FOX, Gregory, « The Occupation of Iraq », Georgetown Journal of International Law, Vol.36, 2005

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en conclure que la reconstruction est vue dans la résolution 1483 comme un processus quin'incombe pas seulement ni essentiellement aux puissances occupantes mais plutôt à unfutur gouvernement irakien représentatif en accord avec le caractère temporaire de leurspouvoirs228. Cela serait donc en accord avec le principe de respect de la souveraineté duterritoire occupé.

Finalement, il semblerait que le langage employé dans la Résolution 1483 soit biendifférent de celui par lequel le Conseil de Sécurité a pu directement autorisé des acteursinternationaux à mettre en œuvre des réformes de grande ampleur dans des Etats post-conflit. Ces résolutions étaient claires et détaillées et octroyaient un mandat réformiste trèsprécis229. Au contraire, la résolution 1483 est très imprécise quant aux moyens et pouvoirsconférés aux occupants pour atteindre les objectifs énoncés. Pour Olivia Venet, conseillèrejuridique à la Croix-Rouge :« à défaut de stipulation claire et non équivoque, les résolutionsn'ont pas étendu les pouvoirs réglementaires des puissances occupantes. » Le Conseil deSécurité n'a donc pas puisé dans son expérience d'administration de territoires et étantdonné son insistance sur le respect du Règlement de la Haye et des Conventions deGenève, il aurait fallu un mandat bien plus clair et s'adressant directement à l'APC pourjustifier ces réformes.

2.3 Une dérogation au droit toutefois peu probable : la consécration d'unrégime hybride inéditIl est donc plus plausible que l'adoption de la résolution 1483 par le Conseil de Sécuritéait donné naissance à un « régime hybride gouverné par les conventions de la Haye et deGenève modifié par les Résolutions 1483 et 1511» et que les droits et obligations qui endécoulent doivent être vus de manière plutôt restrictive230. Ainsi, pour Kaikobad, il faudraitlire les tâches prescrites par la résolution à l'aune du droit de l'occupation. La Coalitionaurait donc obtenu des pouvoirs plus importants sans toutefois que le droit traditionnel nesoit outrepassé. Il s'agirait d'un régime spécial mis en place pour permettre aux puissancesoccupantes de mener à bien les réformes231 et les pouvoirs conférés à l'APC par la résolutionseraient réconciliables avec ceux qui leur sont octroyés par le régime de la Haye et deGenève232. Pour Scheffer, il s'agit d'une synthèse risquée, le Conseil de Sécurité ayantquand même invité les puissances occupantes à aller au-delà du droit international233.L'on ne peut donc ignorer que la stricte adhérence au droit traditionnel ait été écartée.Pour McCarthy, le Conseil de Sécurité n'aurait pas expressément cherché à remplacer demanière extensive l'autorité du droit conventionnel. Il aurait cherché cependant à fournir une

228 McCARTHY, Conor, « The Paradox of the International Law of Military Occupation : Sovereignty and the Reformation ofIraq », Journal of Conflict and Security Law, Vol.10, n°1, 2005

229 VENET, Olivia, « L'occupation du territoire irakien et l'intervention du Conseil de Sécurité : Conséquences sur les pouvoirsrèglementaires de la puissance occupante et réflexions sur les modes d'action choisis », Revue Belge de Droit International, EditionsBruylant, 2005. « Par exemple au Timor, l'Administration Provisoire des Nations-Unies « sera habilitée à exercer l'ensemble despouvoirs législatif et exécutif, y compris l'administration de la justice », Résolution 1272 du Conseil de Sécurité, 25 Oct 1999230 KAIKOBAD, Kaiyan, « Problems of Belligerent Occupation : The Scope of Powers Exercised by the Coalition Provisional Authorityin Iraq », The International and Comparative Law Quarterly, vol.54, n°1, janvier 2005231 GRANT, Thomas, « How to reconcile conflicting obligations of occupation and reform », ASIL Insights, juin 2003232 THURER D., MACLAREN M., « Ius Post Bellum in Iraq », Global International Law : Essays in Honor of Jost Delbruck, KlausDicke et al. eds, 2005233 SCHEFFER, David, « Beyond Occupation Law » , The American Journal of International Law, vol.97, n°4, Octobre 2003

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certaine autorité pour la conduite de réformes indispensables. Plus spécifiquement, pourEric De Brabandere, professeur à l'Université de Leiden, l'appel aux réformes judiciairesdans la résolution ne permettrait pas une dérogation au droit. Les puissances occupantesauraient simplement été appelées à garantir l'administration effective de la justice et encas de nécessité à émettre des régulations pour restaurer et réformer le système judiciairedans le seul but d'assurer les conditions de la sécurité et de la stabilité234. Par cetterésolution, les Etats-Unis auraient donc obtenu un certaine tolérance vis-à-vis de leurprojet transformationnel ou tout du moins une certaine marge de manœuvre pour allerau-delà du droit de l'occupation, grâce à leur influence au sein du Conseil de Sécurité.Rappelons ainsi que le Conseil de Sécurité est un organe politique et non pas juridique.Il ne faut pas sous-estimer sa capacité à être instrumentalisé par les Etats membres lesplus puissants. Les préoccupations politiques immédiates l'auraient donc emporté sur lesconsidérations juridiques. Il faut toutefois souligner qu'aller au-delà du droit de l'occupationengendre probablement plus de problèmes que de bénéfices en bousculant l'équilibre entreles différents intérêts sur lequel le droit de l'occupation est basé.

L'on doit donc reconnaître que la Résolution 1483235 a créé un régime inédit gouvernantl'occupation de l'Irak par les Etats-Unis et le Royaume-Uni. Ainsi, les intérêts divergentsà l'origine de son adoption ont résulté en un texte ambigu qui appelle à certains objectifstransformationnels dans le respect du droit de l'occupation. Cette ambiguïté appelle à notresens l'occupant à faciliter l'atteinte de certains objectifs mais non pas à ce qu'il les réaliselui-même. Elle n'appellerait donc pas à outrepasser le droit de l'occupation et à réaliserdes réformes de grande ampleur mais à créer des conditions facilitant la réalisation de cesréformes par un futur gouvernement irakien représentatif. Seules les actions nécessairesdans le cadre temporaire de l'occupation et pour rétablir les conditions prévalant avantl'intervention seraient légitimes et légales.

L'on ne peut donc seulement présumer d'une telle dérogation au droit, il faut que cettedernière soit claire et établie par une disposition ayant un caractère contraignant. Il faudraitdonc interpréter ses résolutions, quand cela est possible, de manière à ce qu'elles soientcompatibles avec le droit international humanitaire236. Il ne serait donc fait état d'aucunedérogation dans les résolutions pertinentes étant donné qu'il y est réaffirmé l'applicabilitédu droit de l'occupation de manière on ne peut plus explicite. Ainsi, étant donné qu'il existeun régime légal en la matière, admis par l'ensemble des Etats, il faudrait une dérogationtrès explicite au droit pour arguer d' un changement de régime, ce qui n'est pas le cas ici237.Cette « imprécision des résolutions les empêche d'être créatrices de droits ou obligations

234 DE BRABANDERE, Eric, Post-Conflict Administrations in International Law, Martinus Nijhoff Publishers, 2009235 Les résolutions suivantes concernant l'occupation irakienne n'ont pas non plus adressé cette bipolarité flagrante du Conseil,

oscillant entre droit de l'occupation et objectifs transformationnels.236 Voir KOLB, Robert, « L'occupation en Irak depuis 2003 et les pouvoirs du Conseil de Sécurité de l'Organisation des Nations-

Unies », Revue Internationale de la Croix-Rouge, n°869, mars 2008 et SASSOLI, Marco, « Article 43 of The Hague Regulations andPeace Operations in the Twenty-First Century », International Humanitarian Law Research Initiative, 2004

237 Pour Adam Roberts, cette entreprise transformationnelle ne peut trouver de mandat convaincant dans ces Résolutions duConseil de Sécurité. ROBERTS, Adam, « Transformative Military Occupation : Applying the Laws Of War and Human Rights », TheAmerican Journal of International Law, Vol. 100, 2006. Pour Kolb, aucune dérogation ne serait donc permise car aucun paragraphene le permet expressément ou ne l'implique de manière nécessaire. KOLB, Robert, « L'occupation en Irak depuis 2003 et les pouvoirsdu Conseil de Sécurité de l'Organisation des Nations-Unies », Revue Internationale de la Croix-Rouge, n°869, mars 2008

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permettant de déroger au droit international en vigueur.238» Le régime mis en place nedérogerait donc pas au principe du statu quo législatif, ce serait son interprétation par lespuissances occupantes et la conception extensive de leurs pouvoirs qu'elles en ont faitdécouler qui les auraient poussées à violer les provisions du droit. Il était de plus impossibleau moment de l'adoption de la résolution de déroger explicitement au droit car cela aurait étéperçu comme un endossement de l'intervention armée de la coalition. Finalement, admettreque cette résolution créé une dérogation pourrait mettre en danger les objectifs du droitinternational humanitaire. Pour Robert Kolb, le danger le plus important est ainsi qu'« unorgane politique s'érige en juge de l'application du droit humanitaire en échafaudant desrégimes juridiques sélectifs au cas par cas selon les intérêts politiques de telle ou tellepuissance prépondérante en son sein à tel ou tel moment de l'histoire. 239» Le droit del'occupation, un droit fondamental pour la protection des populations et du droit à l'auto-détermination, perdrait ainsi de sa crédibilité.

Ainsi, même si il semble bien établi que le Conseil de Sécurité puisse déroger au droitde l'occupation, excepté toutefois à ses provisions dont l'appartenance au jus cogens faitl'objet de débats importants, aucune disposition de la résolution 1483 ou des suivantesn'apparaît pourtant y déroger clairement. Rien ne permet donc de conclure à une permissionexprès octroyée à l'occupant d'agir au-delà des prérogatives qui lui sont conférées par ledroit. Il s'agirait donc plutôt d'une résolution de compromis satisfaisant aux exigences desdifférentes parties et au besoin de légitimité de l'occupation et de l'Autorité. Cette dernièrea toutefois interprété le régime « hybride » ainsi instauré de manière très extensive commeune autorisation à la réalisation de réformes de grande ampleur. Cette interprétation étant ànotre sens injustifiée, l'on ne peut donc pas évoquer ces résolutions du Conseil de Sécuritécomme bases légales de l'action de l'APC en Irak. L'on va donc à présent examiner dessources alternatives de justification à cette action transformatrice.

Chapitre 2 : Des sources alternatives de justificationde l'action transformatrice des puissancesoccupantes

L'occupation transformatrice des Etats-Unis et du Royaume-Uni en Irak pourrait-elle trouversa justification dans le précédent de l'occupation de l'Allemagne durant la 2nde GuerreMondiale et la doctrine du debellatio ? Dans le cas contraire, elle pourrait toutefois bienpousser à un renouveau de cette doctrine qui fournirait un cadre légal applicable à untel contexte (section 1). L'on cherchera ensuite à déterminer si un certain degré deconsentement des autorités irakiennes à l'action de l'APC peut être déduit de l'implicationdu Conseil du Gouvernement Irakien et justifier ainsi légalement les réformes entreprises oubien si, au contraire l'on peut arguer d'une violation au droit à l'auto-détermination (section2).

238 VENET, Olivia, « L'occupation du territoire irakien et l'intervention du Conseil de Sécurité : Conséquences sur les pouvoirsrèglementaires de la puissance occupante et réflexions sur les modes d'action choisis », Revue Belge de Droit International, EditionsBruylant, 2005.

239 KOLB, op.cit.

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Section 1: Le précédent de l'occupation de l'Allemagne et lerenouveau de la théorie du debellatio

1.1 La théorie du debellatio et son application en AllemagneLa définition du debellatio a été débattue mais l'on s'accorde généralement sur le faitqu'il s'agit d'une situation résultant de la défaite totale de l'un des deux Etats belligérantsentraînant son adversaire ou ses adversaires à être à même de décider seuls de l'avenirdu territoire de cet Etat et de ses autorités. Dans les faits, cette défaite totale de l'unedes parties au conflit suite à la guerre entraîne la désintégration de ses institutions etstructures gouvernementales. La situation se caractérise aussi par le fait qu'aucun de sesalliés ne continue à défier militairement l'ennemi au nom de l'Etat défait240. D'un point devue juridique, le debellatio désigne donc « la situation où, à l'issue d'une guerre, un Etatest complètement soumis à l'autorité du vainqueur qui substitue sa souveraineté à cellede son adversaire sur le territoire de ce dernier. La personnalité juridique de l'Etat vaincudisparaît. 241» Le vainqueur peut disposer du territoire et y exercer les pleins pouvoirs. Ilne s'agit donc pas d'un régime transitoire car il ouvre la porte à l'annexion. C'est donc unesituation exceptionnelle répondant à des critères spécifiques.

L'application de cette théorie a par la suite été évoquée dans le cadre de l'occupation del'Allemagne par les Alliés (mais aussi du Japon dans une moindre mesure) durant la 2ndeGuerre Mondiale étant donné que l'on ne pouvait concilier les buts transformationnels desoccupants avec les limites inhérentes au droit de l'occupation242. L'abolition massive des lois,la dénazification, les réformes constitutionnelles, sociales et territoriales radicales étaienten effet complètement incompatibles avec le droit de l'occupation. Il a donc fallu trouverun régime spécifique pour cette situation. Un article de Jennings de 1946 fait ainsi autoritéau sein de la doctrine en affirmant que le droit de l'occupation ne peut être applicable à cecas précis243. L'on s'est basé sur la capitulation inconditionnelle de l'Etat pour exclure cetteapplication. De plus, les structures gouvernementales et militaires avaient été anéantieset ne pouvaient plus opposer de résistance. Aucun Etat allié n'était non plus en mesurede continuer une lutte quelconque au nom de l'Etat allemand244. L'on ne pouvait doncpas préserver les droits d'un quelconque souverain déchu dans l'attente de la conclusiond'un traité. Pour Jennings, appliquer le droit de l'occupation à l'Allemagne aurait doncété un anachronisme car aucune des raisons d'être de ce droit n'étaient présentes dansce contexte. Le 8 mai 1945, le gouvernement allemand a ainsi signé un Acte Final decapitulation inconditionnelle et par leur Déclaration de Berlin de 1945, les Alliés ont énoncéles principes régissant leur gouvernement de l'Allemagne. Les quatre gouvernementsoccupants assumaient donc une autorité suprême sur le territoire allemand, dont tous lespouvoirs du gouvernement allemand, la Haute Commande et tout pouvoir de gouvernement

240 BENVENISTI, Eyal, The international law of occupation, Princeton University Press, 2004241 SALMON, Jean, Dictionnaire de droit international public, Bruxelles, 2001

242 Il convient de noter également que la IVème Convention de Genève n'existait pas encore à l'époque.243 JENNINGS, Robert, Government in Commission, 1946244 Le Tribunal Militaire International de Nuremberg a ainsi proclamé dans son jugement de 1946 que la doctrine relative à la

soumission d'un Etat ennemi ne pouvait s'appliquer tant qu'il existe une armée tentant de restaurer les pays occupés à leurs véritablespropriétaires. International Military Tribunal, Nuremberg, 1946

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local, municipal ou étatique245 mais cela de manière transitoire. Les puissances occupantesauraient donc acquis le titre sur le territoire, les mesures prises en Allemagne relevant alorsdes affaires internes non gouvernées par le droit international246. Cette position a été prisepar de nombreuses cours ainsi que par les experts occidentaux247. Le type de contrôleinstauré suite à la défaite de ces Etats relevait donc d'un régime inédit entre l'occupation etl'annexion. En effet, le but affiché n'en était pas l'annexion et le transfert de souverainetémais la reconstruction des structures étatiques et l'établissement de la démocratie248. LesAlliés auraient donc pu annexer le territoire et obtenir le titre de souverain mais ils ont préféréopter pour une moindre forme de soumission qui leur donnait toutefois d'importants pouvoirsde gouvernance. Ils auraient ainsi acquis l'autorité suprême en annexant le gouvernementet non pas l'Etat dans l'attente qu'il puisse se gouverner par lui-même249. Il ne peut doncs'agir d'un cas de debellatio traditionnel.

Pour l'avocat Davis Goodman, si la pratique des Alliées permet de justifier deschangements aux institutions, cela reste dans des circonstances limitées. Les structureslocales étaient en effet en dessous de tout standard civilisé. Ils ont ainsi mis un termeau fonctionnement des organes gouvernementaux, des tribunaux et suspendu certaineslois en affirmant que la continuation du système existant aurait constitué une violation dudroit des nations et qu'il y avait donc un « empêchement absolu » à respecter les loisen vigueur. Ils auraient donc eux-même établi une exception. De plus, comme l'expliqueMarcelo Kohen de l'Institut Universitaire des Hautes Etudes Internationales, l'on se trouvaitdans une période de transition sur le plan du droit international, il s'agissait donc làd'une circonstance exceptionnelle250. Ce régime n'avait donc pas de précédent et sesobjectifs étaient revendiqués comme étant en accord avec les principes relatifs aux relationsinternationales. La nature de la guerre rendait également cette situation inévitable.

1.2 Le déclin de la doctrine et son incompatibilité avec le cas irakienLa doctrine du debellatio a finalement été délaissée du fait de son incompatibilité avec ledroit international moderne tel qu'il s'est développé dans la 2nde moitié du XXème siècleet notamment avec le principe du droit à l'auto-détermination des peuples et l'interdictionde l'annexion. Ce type de régime ne pourrait s'appliquer à nouveau du fait de l'adoption del'article 2 de la Convention de Genève qui stipule que cette dernière s'applique à « tous les

245 Declaration regarding the Defeat of Germany and the Assumption of Supreme Authority by the Allied Powers (« BerlinDeclaration »), Signed at Berlin, June 5, 1945

246 BENVENISTI, Eyal, The International Law of Occupation, Princeton University Press, 2004247 Cour Britannique : Grahame v. Director of Prosecutions , AD Case n°103, 1947Elle affirme qu'ils représentent les organes

suprêmes du gouvernement pour le temps présent et non des autorités de fait de l'occupant avec des pouvoirs limités. Couraméricaine : In re Altstötter and Others (The Justice Trial), AD Case n°126, Nuremberg, US Military Tribunal, December 4, 1947.Court allemande : Loss of Requisitioned Motor Car Case, ILR 621, Federal Supreme Court, 1952. Pour Kelsen, la Déclaration deBerlin implique que le territoire allemand et sa population ont été placé sous la souveraineté des quatre puissances, le statut légaln'étant pas celui de l'occupation.

248 MCDOUGAL, Myres et FELICIANO, Florentino, The international law of war : transnational coercion and world public order,New Haven Press, 1994

249 FOX, Gregory, « The Occupation of Iraq », Georgetown Journal of International Law, Vol.36, 2005250 KOHEN, Marcelo, « L'administration actuelle de l'Irak : vers une nouvelle forme de protectorat ? » in BANNELIER Karine,

CHRISTAKIS Théodore, CORTEN Olivier, KLEIN Pierre (dir.), L'intervention en Irak et le droit international, Paris, Editions Pedone,2004

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cas d'occupation partielle ou totale du territoire d'une Haute partie contractante » incluantles occupations qui font suite à une capitulation251. De plus, dans son commentaire sur laIVème Convention de Genève, le CICR affirme que le droit de l'occupation ne cesse pas des'appliquer, même en cas de debellatio. La chute du gouvernement n'a aujourd'hui plus deconséquence sur l'acquisition du titre de souveraineté étant donné que cette dernière résidedans la population et non plus dans le gouvernement. Toutefois, pour Grant Harris, ce déclindu debellatio aurait laissé un fossé dans le droit international qui ne peut pas être remplipar le droit de l'occupation. En effet, beaucoup de situations contemporaines cumulentdes similarités avec la doctrine du debellatio en ce qu'il n'y a la plupart du temps plus desouverain dans l'attente de récupérer son territoire et les institutions sont soit inexistantessoit dans un besoin immédiat de restructuration. Certains auteurs pensent donc que ce typede situation ne peut relever de l'occupation de guerre et évoquent l'application d'un régimejuridique spécifique252.

L'occupation de l'Allemagne et la situation en Irak cumulent ainsi certaines similarités.Le régime irakien était en effet une dictature très répressive tout comme l'Allemagne et alorsqu'en Allemagne il était question de dénazification, de manière similaire en Irak on a puparler de débaasification. Dans les deux cas, l'idéologie et les leaders du régime étaientvus comme une menace à la paix et la stabilité. Certains experts tels Kaikobad ou Sassoliaffirment pourtant que le parallèle entre l'Allemagne et l'Irak n'est pas valable étant donnéqu'en Allemagne, une capitulation formelle donc un transfert légal du pouvoir, a eu lieu,contrairement à l'Irak. Par capitulation inconditionnelle, le droit de l'occupation cessait eneffet automatiquement de s'appliquer et l'occupant pouvait instaurer son propre système dedroit253. L'on peut également trouver une justification légale à l'instauration de ce régimedans l'accord de Potsdam. De plus, l'on affirmait que les limites restrictives contenues dansle Règlement de la Haye ne pouvaient pas s'appliquer parce qu'une telle situation n'avaitpas été envisagée à l'époque. Les Alliés eux-mêmes affirmaient que le droit de l'occupationne pouvait constituer la source de leur pouvoir. Dans le cas de l'Allemagne, les tribunaux ontainsi conclu à l'inapplicabilité du Règlement de la Haye, la qualité d'occupants ne pouvantêtre reconnue aux Alliés du fait de l'effondrement des structures de l'Etat.

Finalement, cette doctrine ne peut servir de guide à l'occupation de l'Irak étant donnéles controverses qui l'entourent et son déclin depuis l'adoption de la IVème Convention deGenève254. Les occupants eux-mêmes n'ont ainsi pas évoqué ce précédent pour justifier unequelconque entorse au droit de l'occupation en Irak. La disparition de cette doctrine auraitdonc montré le besoin de faire émerger une nouvelle pratique, plus largement acceptée etguidée par l'ONU.

1.3 Une relecture moderne de la théorie du debellatio potentiellementapplicable à l'IrakLa doctrine du debellatio connaît toutefois un regain d'intérêt avec l'idée que le droitinternational ne correspondrait plus aux occupations modernes. Certains ont ainsi pu dire

251 Voir FOX et KOLB, op.cit. Pour ce dernier, les cas de debellatio seraient donc couverts.252 Voir par exemple Bothe, « Occupation after Armistice » in: Rudolf Bernhardt (ed.), Encyclopedia of Public International Law,Volume III (1992)

253 THURER D., MACLAREN M., « Ius Post Bellum in Iraq », Global International Law : Essays in Honor of Jost Delbruck,Klaus Dicke et al. eds, 2005

254 SCHEFFER, David, « Beyond Occupation Law » , The American Journal of International Law, vol.97, n°4, Octobre 2003

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que l'exercice contemporain du pouvoir nécessite une forte imbrication du gouvernementavec la société. Le régime instauré par les puissances occupantes devrait doncnécessairement pénétrer les structures politiques, sociales et économiques du territoireoccupé255. Une doctrine moderne du debellatio a donc pu émerger, elle reconnaît ainsil'incompatibilité de la théorie originelle avec le droit international moderne et tente de laréconcilier avec le droit à l'auto-détermination.

Ainsi, pour Melissa Patterson, de la Harvard Law School, qui se fait l'avocate d'unethéorie renouvelée du debellatio, le cadre légal dans lequel les puissances occupantes ontagit en Irak correspond plus au debellatio qu'au droit de l'occupation256. Il s'agirait du cadre leplus cohérent applicable à la situation résultant de l'invasion de l'Irak. Ne pas le reconnaîtreaurait provoqué le chaos qui s'en est suivi. Le droit de l'occupation ne fournit ainsi pas lapossibilité de reconnaître un debellatio de fait et ne peut donc refléter la réalité d'une défaitetotale et l'extinction de structures gouvernementales comme ce fut le cas en Irak. Le conflitirakien remplirait ainsi tous les critères factuels du debellatio : la défaite totale de l'armée,la désintégration des institutions nationales et l'absence d'un allié menaçant les forces dela coalition.

Elle propose ainsi une actualisation de cette théorie dans l'environnement de l'après2nde Guerre Mondiale. Traditionnellement associée à la conquête et à l'annexion, cela neserait pas le cas de la version moderne du debellatio qui serait mise à jour grâce au principed'auto-détermination, de respect de la souveraineté (la souveraineté ne pouvant plus êtreacquise par la force) et de principes issus des droits de l'homme. Le vainqueur pourrait doncobtenir un titre et une certaine autorité sur le territoire de l'Etat vaincu sans affecter sonidentité souveraine qui continuerait d'exister, l'acquisition du titre sur le territoire n'équivalantpas forcément à l'acquisition du territoire lui-même.

Ainsi, pour Patterson, de par sa résolution 1483, l'ONU octroierait de fait à la coalitionles pouvoirs induits par une théorie moderne du debellatio. Invoquer de manière claire etimmédiate le concept de debellatio aurait mis fin aux questionnements relatifs au titulairedu titre et du contrôle sur le territoire irakien. Les irakiens auraient su de manière clairequels pouvoirs l'occupant était en mesure d'exercer légalement. Ainsi, le droit à l'auto-détermination des irakiens n'aurait pas été entamé si des restrictions appropriées au titredonné aux occupants avaient été clairement délimitées. Ce titre temporaire aurait expiréavec l'émergence d'un gouvernement irakien représentatif et fonctionnel. De plus, pourPatterson, un tel pouvoir n'aurait pu être exercé qu'à condition que la coalition remplisseses obligations relatives aux droits de l'homme. Ainsi, l'application d'un tel cadre permettraitde lever les incertitudes relatives à l'application du droit de l'occupation dans des casd'occupation transformationnelle et répondrait au manque de cadre pour les exercices denation-building entrepris en dehors du cadre de l'ONU.

Est-il donc possible de concevoir un tel type de régime transitoire qui octroierait despouvoirs bien plus étendus à la puissance occupante? Cette approche n'est en effet pasdénuée de risques. Cela pourrait pousser les belligérants à chercher une défaite totalede l'adversaire pour avoir les mains plus libres durant l' «occupation». L'on pourrait ainsiinvoquer le debellatio dans le but de se débarrasser des obligations incombant à lapuissance occupante. C'est pourquoi cette nouvelle évocation du debellatio n'a pas eubeaucoup de crédit auprès de la doctrine. Cette justification de l'action des puissances

255 GOODMAN, Davis, « The Need for Fundamental Change in the Law of Occupation », Stanford Law Review, Vol.37, n°6, juillet 1985256 PATTERSON, Melissa, « Who's Got the Title ? Or, The Remnants of Debellatio in Post-Invasion Iraq », Harvard International

Law Journal, Vol.47, n°2, été 2006.

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occupantes par la théorie du debellatio semblant peu convaincante, l'on va à présentexaminer la validité de la thèse du consentement des autorités irakiennes.

Section 2 : Le consentement des autorités irakiennes versus uneatteinte au droit à l'auto-détermination ?

2.1 Le Conseil du Gouvernement Irakien a-t-il pu conférer une base légaleaux réformes de l'APC ?Dans sa Résolution 1483, le Conseil de Sécurité a appelé à la « formation par le peupleirakien avec l'aide de l'Autorité travaillant avec le représentant spécial, d'une administrationirakienne intérimaire dirigée par les irakiens avant l'établissement d'un gouvernementreconnu à l'international établi par le peuple irakien qui assumerait les responsabilitésde l'Autorité 257». Avec l'opposition de nombreux membres du Conseil de Sécurité àl'intervention en Irak, ce dernier a également appelé dès le début au transfert d'autorité àun gouvernement irakien le plus rapidement possible dans la résolution 1483. L'AutoritéProvisoire de la Coalition a ainsi procédé à la création du Conseil du Gouvernement Irakienle 13 juillet 2003 comme « organe principal de l'administration provisoire irakienne ». LeCGI se composait de 25 membres, représentants des différentes entités politiques ainsique des groupes ethniques et religieux ayant accepté de collaborer avec l'occupant, unorgane dont on peut déplorer le manque de représentativité. Il devait toutefois agir commele représentant de la population irakienne et avoir un rôle dans la détermination des moyensvisant à établir un gouvernement représentatif.

Le consentement des autorités irakiennes pourrait annuler tout idée de dépassement dudroit de l'occupation et d'empiètement sur les droits d'un futur régime représentatif. La seuleentité capable de donner son consentement était ainsi le Conseil du Gouvernement Irakien.Il a été créé spécialement dans le but de donner une voix à l'Irak dans la politique menéedurant l'occupation. L'APC n'a pourtant pas cherché son approbation formelle pour toutesses réformes mais les membres du Conseil ont en général émis des déclarations supportantles changements destinés à améliorer les droits de l'homme et libéraliser l'économie258.Certaines directives de l'APC ont même pu trouver leur origine dans des consultationsavec le CGI. Ainsi, en réponse à une question d'un membre de la Chambre des Lordsconcernant la légalité de l'Order 39, un représentant du gouvernement britannique a purépondre que le contenu de l'Order avait été décidé par le CGI et approuvé par l'APC259.Les ministères irakiens, sous l'autorité du Conseil, étaient également activement impliquésdans la mise en œuvre des réformes. Certaines tâches lui ont été déléguées comme parexemple avec l'Order n°7 de décembre 2003 par le biais duquel l'APC lui a délégué sonautorité pour gérer l'assistance à la reconstruction. Cependant, l'on peut se demandersi le CGI disposait de l'autorité nécessaire pour donner son consentement au nom dupeuple irakien. Le droit de l'occupation ne donne ainsi aucun critère pour en décider et iln'est pas non plus reconnu que le consentement d'une autorité locale puisse soulager lapuissance occupante de ses obligations conservationnistes. En effet, les rédacteurs de laIVème Convention de Genève voulaient justement éviter que l'occupant se cache derrière

257 S/RES/1483258 FOX, Gregory, « The Occupation of Iraq », Georgetown Journal of International Law, Vol.36, 2005259 Hansard, House of Lords, 8 October 2003. L'on peut ainsi lire dans l'Order 39 : « Reconnaissant le désir du Conseil du

Gouvernement d'apporter un changement significatif au système économique irakien... », CPA Order 39

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le consentement d'autorités qu'il aurait lui-même manipulées. Le commentaire du CICR faitétat de ces pratiques visant à conférer une certaine légalité aux actes de l'occupant encréant des institutions locales propres. L'article 7 de la IVème Convention affirme donc queles personnes protégées ne peuvent en aucun cas renoncer au droits dont elles bénéficientde par la convention. De plus, l'article 47 stipule qu'elles ne peuvent être privées desbénéfices de la Convention par quelque changement introduit du fait de l'occupation dansles institutions ou le gouvernement par un accord conclu entre les autorités des territoiresoccupés et la puissance occupante. Cette dernière ne peut donc pas accomplir par le biaisd'accords ce qu'il lui est interdit de faire directement, changer les lois ou les institutions.De plus, le Conseil du Gouvernement Irakien était un organe subordonné à l'APC, tousses membres ayant été choisis par l'Autorité et n'avait aucun droit de veto contrairement àl'Autorité. Ainsi, pour Noah Feldman qui a travaillé comme conseiller auprès de l'APC : « leConseil du Gouvernement ne gouvernait personne. Ses décisions ressemblaient plus à desrecommandations. 260» Bien que le Conseil de Sécurité ait reconnu dans la résolution 1511que le Conseil du Gouvernement « représentait la souveraineté de l'Etat irakien durant lapériode de transition261 », cela ne signifie pas qu'il s'agissait d'un organe de gouvernementdans des conditions égales à l'APC, le pouvoir n'étant détenu que par les occupants262.Le CGI n'était donc pas vu comme un gouvernement souverain de jure représentant lasouveraineté de l'Irak à terme. Il ne s'agissait que d'un organe intérimaire. L'ensemble deces raisons fait que le CGI n'a pu légitimer les réformes de l'APC.

2.2 Si les réformes ne peuvent se justifier d'un point de vue légal, peut-onalors parler d'une atteinte au droit à l'auto-détermination de la populationirakienne?Même si l'on ne peut nier l'importance du besoin de reconstruction de l'Irak, cela doit êtreentrepris dans le respect du droit à l'auto-détermination de la population irakienne263. LeConseil de Sécurité a ainsi réaffirmé dans ses résolutions successives que la souverainetéde l'Irak résidait dans l'Etat irakien ainsi que le « droit de la population irakienne dedéterminer son propre avenir politique264 ». Toutefois, le Conseil a également appelél'Autorité en collaboration avec le représentant du Secrétaire Général à faciliter lerétablissement des mécanismes menant à l'auto-détermination. Après la création du CGI,un processus constituant a donc par la suite été mis en place et une Constitution provisoirea été adoptée le 8 mars 2004, il s'agit de la TAL, Loi Administrative de Transition, conçuepar le Conseil du Gouvernement Irakien en collaboration avec l'Autorité dans le but d'établirle cadre juridique de la transition. Elle est rentrée en vigueur le 28 juin 2004, date de lafin de l'occupation (l'APC a été dissoute ce même jour), et préconisait l'adoption d'uneConstitution inspirée par le respect des droits de l'homme et des libertés fondamentalesainsi que par le pluralisme politique. Un gouvernement provisoire irakien a ensuite éténommé par l'Autorité le 1er juin 2004 afin de la remplacer jusqu'à l'élection d'une AssembléeConstituante en janvier 2005. L'on peut donc se demander si ce processus n'a pas empiété

260 FELDMAN, N., What we owe Iraq, Princeton University Press, 2004261 S/RES/1511262 Voir par exemple FOX, McCARTHY, op.cit.

263 Le droit à l'autodétermination, initialement appelé « droit des peuples à disposer d'eux-mêmes », est le principe selon lequelchaque peuple dispose d'un choix libre et souverain pour déterminer la forme de son régime politique, indépendamment de touteinfluence étrangère.264 S/RES/1483

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sur la souveraineté du peuple irakien et comment il peut être possible de concilier l'exigencedu respect de cette souveraineté avec les injonctions du Conseil de Sécurité.

Ainsi, pour certains auteurs, l'obligation de rétablir la vie publique contenue dans l'article43 du Règlement de la Haye peut se lire également comme une obligation de rétablir desmécanismes facilitant l'exercice de la souveraineté du pays occupé. Une atteinte indéfinie etprolongée à la souveraineté serait toutefois inacceptable vu la primauté accordée au respectde la souveraineté du territoire occupé. Etant donné qu'il n'y avait plus de gouvernementirakien, l'établissement du CGI serait donc en accord avec les conditions de l'article 43,une telle administration faisant alors partie intégrante des efforts pour rétablir les conditionsde la vie publique265. Utiliser l'article 43 pour justifier d'autres développements politiquesserait toutefois plus problématique, l'abolition de facto de la Constitution irakienne ainsi quel'introduction de la TAL ne pouvant se justifier sur la base du rétablissement de l'ordre etde la vie publics.

Parsons épouse quant à lui une position radicale en affirmant que le droit à l'auto-détermination aurait changé la façon dont l'occupant gouverne les territoires occupés etjustifierait les réformes transformationnelles non compatibles avec le droit de l'occupationopérées en Irak. Pour lui, le droit à l'auto-détermination aurait donc sapé le principeconservationniste. Par suite, pour Starita, lorsque l'on est face à une telle interventionvisant à libérer le peuple vivant sur le territoire occupé, cela justifierait une plus grandeingérence dans les affaires intérieures de l'Etat occupé et permettrait d'aller au-delà deslimites prescrites dans le droit de l'occupation afin que la population soit à même d'exprimersa volonté et que soit respecté le principe du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes.Le Conseil de Sécurité est ainsi souvent amené à concilier différentes valeurs. Dans lecas irakien, il aurait ainsi choisi de sacrifier temporairement l'aspect externe du droit despeuples à disposer d'eux-mêmes, étant donné que cela était nécessaire pour la réalisationd'autres objectifs primordiaux tels que la sécurité internationale, les intérêts humanitairesde la population et la promotion des aspects internes du principe du droit des peuples àdisposer d'eux-mêmes. La résolution 1483 aurait donc fourni un mandat aux occupantspour transformer le système juridique préalable et permettre à la population irakienned'exercer son droit à l'auto-détermination266. Toutefois, le droit à l'auto-détermination ne peutpas être mis directement en œuvre par une puissance occupante. Cette dernière pourraitnéanmoins être amenée à légiférer pour créer les conditions nécessaires à l'exercice dece droit et abroger la législation qui le rendrait impraticable267. Ainsi, pour Jean Cohende l'Université de Columbia, afin de préserver le droit à l'auto-détermination, les réformesmajeures doivent être déférées pour être accomplies par les représentants légitimes268.Les seuls corps représentatifs légitimes seraient donc ceux choisis ou constitués après lafin de l'occupation. L'occupant peut bien sûr faciliter ce processus mais en l'orientant, ily a un certain risque qu'il usurpe le pouvoir constituant. La rétention de la souverainetépar le peuple ne peut donc fournir à la puissance occupante une licence pour intervenir

265 McCARTHY, Conor, « The Paradox of the International Law of Military Occupation : Sovereignty and the Reformation ofIraq », Journal of Conflict and Security Law, Vol.10, n°1, 2005

266 BENVENISTI, Eyal, « The International Law of Occupation », Princeton University Press, 2004. McCarthy partage la mêmeopinion car pour lui, la loi transitionnelle se justifie par l'autorité du Conseil de Sécurité qui soutient le processus.

267 SASSOLI, Marco, « Article 43 of The Hague Regulations and Peace Operations in the Twenty-First Century », InternationalHumanitarian Law Research Initiative, 2004

268 COHEN, Jean, « The role of International Law in Post-Conflict Constitution-Making : Toward a Jus Post Bellum for InterimOccupations », New York Law School Law Review, Vol.51, 2006/7

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militairement et imposer un régime démocratique ou bien remodeler les institutions sans laparticipation ni le consentement des représentants de la population. Elle doit donc toujoursagir comme le dépositaire de la souveraineté de la population occupée et s'assurer quela population a le plus tôt possible l'opportunité de déterminer ses propres institutionspolitiques. Dans le cas de l'Irak, c'est l'administrateur de l'APC et non le peuple irakien quiaurait établi ce processus.

Une partie de la doctrine défend donc avec force l'idée d'une violation manifeste dudroit à l'auto-détermination des irakiens. Ainsi, pour Steven Wheatley de l'Université deLeeds : « l'on n'a pas accordé aux irakiens le libre choix de déterminer la forme et lefonctionnement de la démocratie en Irak, étant donné l'existence d'un système politiqueimposé par les puissances occupantes et avalisé par le Conseil de Sécurité sous la formede la TAL. 269» Cette violation du droit à l'auto-détermination du peuple irakien auraitainsi créé un conflit entre les résolutions du Conseil de Sécurité et une norme de juscogens. Il se base sur un jugement du Tribunal Pénal International pour l'ex-Yougoslaviequi a observé que ni le texte ni l'esprit de la Charte ne conçoit le Conseil de Sécuritécomme n'étant pas lié par le droit. Ce dernier a en effet été établi par un traité qui fournitun cadre constitutionnel pour son fonctionnement. Il est donc soumis à des « limitationsconstitutionnelles »270. La Charte requiert donc qu'il agisse en conformité avec les buts etprincipes de l'organisation qui incluent le développement de relations amicales entre lesnations basées sur le principe des droits égaux et de l'auto-détermination des peuples.Dans cette décision, ce droit est reconnu comme un droit des peuples erga omnes et ilest largement reconnu qu'il soit constitutif de jus cogens271. Ainsi, pour Wheatley, dans larésolution 1546, le Conseil de Sécurité a soutenu l'imposition d'une forme de gouvernementsous l'autorité des puissances occupantes en l'absence d'une participation active du peupleirakien et de leurs représentants librement élus, en contradiction avec leur droit à l'auto-détermination. D'autres experts rejoignent cette opinion, affirmant que le principe du droitdes peuples à disposer d'eux-mêmes a été érigé en norme de jus cogens, et défendentdonc l'illégalité des résolutions du Conseil de Sécurité272.

Ce type de conflits peut toutefois se résoudre de trois façons : la norme de jus cogenspeut surpasser les provisions des résolutions, les résolutions peuvent prévaloir sur le juscogens ou alors l'on peut chercher un équilibre entre les intérêts de l'ordre internationalpublic et le droit des irakiens à l'auto-détermination, comme le défend Starita. Peut-ontoutefois passer par dessus le droit à l'auto-détermination pour l'intérêt public et le maintiende la paix et de la sécurité ? L'article 41 des projets d'articles de la Commission de DroitInternational sur la Responsabilité de l'Etat stipule bien qu'« aucun Etat ne doit reconnaîtrecomme légale une situation créée par un manquement sérieux » à une norme péremptoirede droit international, incluant le droit des peuples à l'autodétermination. Le soutien àcette forme de gouvernement démocratique ne serait donc pas légal sous l'autorité de la

269 WHEATLEY, Steven, « The Security Council, Democratic Legitimacy and Regime Change in Iraq », European Journal ofInternational Law, 2006. Traduction de l'auteur du mémoire

270 Prosecutor v. Tadic, Case n°IT-94, TPIY, Octobre 1995271 Wheatley, se basant notamment sur le commentaire sur l'article 26 des projets d'articles de la Commission de Droit

International sur la Responsabilité de l'Etat, rapport de la Commission de droit international, 53ème session, UN Doc. A 56/10, 2001272 CAHIN, Gérard, « La notion de pouvoir discrétionnaire appliquée aux organisations internationales », Revue Générale de

Droit International Public, vol.107, n°3, Pedone, 2003

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Charte273. Comme on peut le constater ici encore, la doctrine n'est absolument pas unanimequant à ces questions très controversées.

Il semblerait donc que l'action transformatrice des puissances occupantes en Irak nepuisse se justifier légalement ni par une invocation de la défunte théorie du debellatio ni parun hypothétique consentement du Conseil du Gouvernement Irakien, qui restait un organeacquis à l'APC et n'avait de plus pas le droit d'entrer dans un quelconque accord avec lespuissances occupantes. Si ces réformes ne trouvent aucun ancrage légal au niveau du droitinternational, il convient à présent, pour finir, de s'interroger sur le bien fondé de l'opportunitéd'une réforme du droit de l'occupation, afin que ce dernier soit plus en phase avec les réalitéscontemporaines de l'occupation.

Chapitre 3 : De l'opportunité d'une réforme du droit del'occupation

Au vu du contexte contemporain qui semble rendre le droit de l'occupation totalementanachronique et nécessiter sa réforme radicale (section 1), l'on va se poser différentesquestions dans ce dernier chapitre : Doit-on revoir de manière radicale le droit del'occupation ? Est-ce que le principe conservationniste ne devrait pas être abandonné ? Neserait-ce ainsi pas absurde de maintenir les lois d'une dictature ou d'un régime raciste pourrespecter les droits du souverain écarté ? D'un autre côté, certains se font les avocats decadres alternatifs ne nécessitant pas une révision fondamentale du droit mais concèdenttoutefois certaines modifications indispensables dans le contexte actuel (section 2).

Section 1 : Le droit traditionnel de l'occupation militaire vu comme unanachronisme nécessitant une réforme radicale

1.1 Un droit inadapté au nouveau contexte contemporainLe débat sur la modernisation du droit de l'occupation a surtout émergé après la fin de laguerre froide même si dès 1985 Davis Goodman se faisait l'avocat de sa révision. Déjà àcette époque, ce droit pouvait être vu comme anachronique et incompatible avec les casd'occupations transformatrices. En effet, depuis la Seconde Guerre Mondiale, le champd'action des occupants s'est beaucoup élargi, le concept de nécessité militaire s'est étenduet l'on a constaté une participation de plus en plus importante au gouvernement pourmaintenir l'ordre et la sécurité.

Les occupants ont de plus en plus recherché la complète restructuration de la viepolitique, économique et sociale du territoire occupé lors de ce que l'on appelle des« transformative occupations » ou des occupations transformatrices, soit des entreprisesde construction de la paix à long terme dans un contexte post-conflit. Le droit s'est doncérodé à la suite des occupations de l'Allemagne et du Japon et de son application sélectivepar les puissances occupantes dans la pratique. Ces nouvelles occupations ne sont plusdes occupations de guerres temporaires. Elles ont lieu au contraire après une guerre ouune intervention militaire étrangère et ne se règlent plus par un accord de paix, un nouveau

273 Commentaire sur l'article 41, projets d'articles de la Commission du droit international sur la Responsabilité de l'Etat.

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gouvernement pouvant lui-même émerger durant l'occupation. De plus, les interventionshumanitaires se sont multipliées et les « missions » visant un changement de régime ontdonné naissance à un nouveau modèle d'occupation dans lequel le nation-building estdevenu le but principal. La transformation démocratique a ainsi été le but de nombreusesinterventions militaires et de la mise en place d'administrations de types distincts. L'on attenddonc que les mesures promulguées et les institutions développées par l'occupant restentdurables après l'occupation, les conflits contemporains étant en effet de plus en plus liésà l'effondrement des institutions de l'Etat. De plus, la souveraineté réside à présent dansle peuple et l'on attache une grande importance au respect des droits de l'homme et à laqualité de la gouvernance des territoires. Ainsi, le gouvernement antérieur peut être qualifiéd'illégitime par la communauté internationale, auquel cas il se retrouve privé des droitsauxquels il aurait pu prétendre sous le droit traditionnel de l'occupation. Finalement, le droitde l'occupation serait donc caractéristique d'un modèle dépassé et incompatible avec cesnouveaux objectifs, étant donné les capacités législatives limitées octroyées à l'occupantpar le droit de la Haye et de Genève. Pour Grant Harris, ce nouveau modèle aurait crééun gouffre entre ce qui est autorisé par le droit et ce qui serait vu comme légitime274. Eneffet, l'existence d'Etats faibles pourrait donner une justification à ces entreprises de nation-building car il s'agirait là du seul moyen permettant d'augmenter la stabilité et la sécurité del'Etat pour ne pas perdre le bénéfice gagné à l'issue de l'intervention armée.

De plus, d'autres types de situations qui ne sont pas considérées comme desoccupations à cause du consentement de l'Etat concerné et du fait qu'il peut s'agir demissions dirigées par l'ONU comme les administrations internationales du Kosovo oudu Timor par exemple, se multiplient. On a donc pu légitimer l'imposition d'un nouveausystème constitutionnel et institutionnel par un occupant par cette pratique émergented'administration internationale de territoires. Ces administrations, caractérisées par uneprésence civile et militaire très importante, sont établies par des traités ou bien desrésolutions du Conseil de Sécurité qui leur permettent d'exercer la quasi-totalité despouvoirs souverains sur ces territoires. Le pouvoir législatif de l'occupant s'élargissant deplus en plus par la pratique, la similarité entre l'occupation et ces cas d'administrationinternationale a poussé la doctrine à s'interroger sur l'opportunité d'une approche juridiques'appliquant aux deux types de situations et qui mêlerait droit des droits de l'homme etdroit international humanitaire275. En effet, alors que l'ONU a reconnu être liée par certainsprincipes de droit humanitaire applicables à ses casques bleus, elle n'a pas reconnu êtrelié par le droit de l'occupation.

1.2 Plaidoyers pour une révision fondamentale du droit de l'occupationDéjà en 1985 donc, Davis Goodman se faisait l'avocat d'un « changement fondamentaldans le droit de l'occupation 276», à la fois dans ses buts et règles car il consacrerait unstandard trop haut qui ne peut pas être respecté. Il ne devrait donc pas verser trop dansl'idéalisme, cela contribuant à sa délégitimation. Il doit donc se faire plus pragmatique. Ilévoque le fait qu'à l'époque, l'idéologie ne jouait aucun rôle dans la conduite des occupantstandis qu'aujourd'hui si le but est de changer le régime, les lois antérieures ne serontpas respectées. A présent, soit l'on se bat pour le changement du régime, soit l'on se

274 HARRIS, Grant, « The Era of Multilateral Occupation », Berkeley Journal of International Law, Vol.24, n°1, 2006275 RATNER, Steven, « Foreign Occupation and International Territorial Administration : The Challenges of Convergence »,

The European Journal of International Law, vol.16, n°4, 2005276 GOODMAN, Davis, « The Need for Fundamental Change in the Law of Occupation », Stanford Law Review, Vol.37, n°6, juillet 1985

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trouve face à une absence de structures ou à des structures en-dessous des standardsminimums acceptables. Lorsque l'on est dans ce dernier cas, il faudrait ainsi pouvoir fairedes changements au système local. Ni la Haye ni Genève ne devraient alors protéger lesinstitutions politiques si celles-ci se trouvent en-dessous d'un standard minimum d'humanitéacceptable277. C'est aussi la position de l'Armée américaine. Le droit devrait donc pouvoirfournir des mécanismes et des standards pour guider ces changements.

David Scheffer, quant à lui, affirme que le droit de l'occupation serait toujours adaptéà la régulation des occupations de guerre mais pas à ce nouveau type d'occupations. Lescirconstances uniques à l'occupation de l'Irak auraient selon lui été bien mieux prises encompte par un mandat de nation-building sur mesure du Conseil de Sécurité qui auraitappelé à des buts transformationnels clairs, sous supervision de l'ONU, dans la conduitede l'administration du territoire par l'occupant. Un tel mandat aurait mis de côté unegrande partie du droit de l'occupation au profit de principes de droit international dans lesdomaines des droits de l'homme, de l'auto-détermination, de l'environnement ou encoredu développement économique dans le but de créer un régime juridique unique adapté auterritoire en question. Pour lui, la primauté de la Charte aurait autorisé le Conseil à émettreun tel mandat, toutefois la résolution 1483, se basant toujours de manière primordiale surle droit de l'occupation, n'a pu l'établir278.

Finalement, pour lui, ces missions mandatées par l'ONU ainsi que les administrationsinternationales qu'elle a pu mettre en place devraient s'établir sous un cadre alternatif quirefléterait le développement de certaines aires clefs du droit international et qui reconnaîtraitles réalités politiques de la pratique moderne. De tels types d'opérations devraient doncêtre régulées par un régime moderne d'occupation qu'il est possible de créer sous l'autoritéde la Charte et qui prendrait en compte la protection des populations ainsi que la mise enœuvre d'objectifs transformationnels. Scheffer évoque ainsi des « armées de libération » quibénéficieraient d'une légitimité internationale dans le but de faire avancer la démocratie et desauver les populations civiles d'atrocités. Il affirme pourtant qu'en l'absence de consensusinternational, il faudrait renforcer le régime de l'occupation en imposant des limites plusstrictes et des mécanismes de responsabilité plus développés.

Partant d'une perspective opposée, Hamada Zahawi se fait également l'avocatd'une modernisation du droit de l'occupation, rendue nécessaire par le déroulement del'occupation de l'Irak. Pour lui en effet, le droit de l'occupation y a montré ses limites car iln'a pu réguler les actes de l'occupant ni protéger la population. Une telle révision du droitempêcherait donc l'occupant d'entreprendre un certain nombre d'actions au bénéfice deses seuls intérêts car des précédents dangereux se constituent et cela n'est pas bénéfiquepour la population. Pour lui, ce type d'occupations transformationnelles, dont le but estde reconstruire les structures de l'Etat après un conflit doivent être limitées à des casexceptionnels afin d'assurer qu'elle soient positives pour la population. Une telle interventionpourrait être tolérée dans des cas de génocide par exemple. Il se pose donc pour l'adoptionde nouvelles provisions qui incorporeraient l'ensemble du droit des droits de l'homme demanière non équivoque au sein du droit de l'occupation étant donné qu'il prend mieuxen compte le bien-être des populations à long terme et promeut un développement plusdurable. Il serait souhaitable également que la population puisse être amenée à participer

277 Voir par exemple SCHWARZENBERGER, Georg, « International Law As Applied by International Courts and Tribunals », London :Stevens and Sons, 1968

278 SCHEFFER, David, « Beyond Occupation Law » , The American Journal of International Law, vol.97, n°4, Octobre 2003

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à l'adoption de la législation et soit autorisée à effectuer des recours devant les cours dejustice régionales279.

Finalement, comme l'affirme Clarke, le manque de clarté dans certaines provisions dudroit de l'occupation quant à la nature et l'étendue des obligations des forces occupantes està l'origine du besoin de révision partielle de ce corps du droit afin que les occupants soientmieux guidés quant à leurs obligations, sa flexibilité ne devant toutefois pas être atteinte.Une révision permettrait également de renforcer ses mécanismes de mise en œuvre et depromouvoir l'adoption de comportements conformes280. Toutefois, comme l'affirme Kolb :« une nouvelle codification du droit de l'occupation, pour le développer et le mettre au niveaudes exigences et des problèmes actuels, serait en soi une bonne chose. On comprendaisément que le moment n'est pas politiquement propice. 281» Il pourrait ainsi être totalementvidé de sa substance.

1.3 Vers l'adoption d'un jus post bellum pour gouverner les entreprises dereconstruction après guerre ?Depuis Grotius, l'architecture du système de droit international est fondée sur une distinctionclaire entre état de guerre et état de paix. Or, aujourd'hui, il peut régner une certaineconfusion dans des situations floues ne relevant clairement ni de la guerre ni de la paix.L'interconnexion entre les concepts d'intervention, de conflit armé et de construction de lapaix dans la pratique contemporaine rendrait donc pour certains nécessaire la création d'unetroisième branche du droit, à côté du jus ad bellum et du jus in bello. Ce dernier ne seraitplus adapté aux nouvelles caractéristiques de l'occupation moderne, c'est pourquoi ils sefont les avocats d'un jus post bellum qui constituerait selon eux un meilleur cadre pour faireface à ces circonstances particulières.

Le terme « jus post bellum » est ainsi utilisé pour décrire le droit qui gouverne l'aprèsguerre. Brian Orend, professeur à l'Université de Waterloo, le définit comme la « justiceaprès la guerre »282. Pour Carsten Stahn, professeur à la Leiden Law School, il s'agit du droitqui gouverne la « restauration de la paix après conflit »283. La signification de ce terme esttoutefois controversée. L'on peut quand même affirmer que la ré-émergence de ces théoriesa été principalement le fait d'une nouvelle génération de théoriciens de la guerre juste telsqu'Orend. Ainsi, ce dernier affirme que « c'est seulement lorsque le régime victorieux a livréune guerre juste qu'il fait sens de parler de droits et devoirs du vainqueur et vaincu à l'issuedu conflit armé. 284» L'on insiste ainsi sur le lien entre les motivations de l'intervention et laphase post-conflit. Pour Carsten Stahn, le cas de l'Irak demanderait donc l'amélioration dela théorie de la guerre juste et la conceptualisation d'un jus post bellum.

279 ZAHAWI, Hamada, « Redefining the Laws of Occupation in the Wake of Operation Iraqi Freedom », California Law Review,Vol.95, 2007.

280 CLARKE, Ben, « Military Occupation and the Rule of Law : The Legal Obligations of Occupying Forces in Iraq », eLawJournal, 2005

281 KOLB, Robert, « L'occupation en Irak depuis 2003 et les pouvoirs du Conseil de Sécurité de l'Organisation des Nations-Unies », Revue Internationale de la Croix-Rouge, n°869, mars 2008

282 OREND, Brian, The Fundamental Norms of Jus Post Bellum, 2000283 STAHN, Carsten, « Jus ad bellum, jus in bello, … jus post bellum?- Rethinking the Conception of the Law of Armed Force »,

The European Journal of International Law, vol.17, n°5, 2007284 OREND, Brian, « Jus Post Bellum », Journal of Social Philosophy, vol.31, n°1, 2000. Pour lui, l'intervention doit ainsi avoir

une juste cause, l'utilisation de la force doit donc être proportionnelle à l'acte d'agression qui aurait été commis en premier lieu.

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Le droit de l'occupation militaire à l'épreuve de la reconstruction de l'Etat par les puissancesoccupantes en Irak

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Les différents experts partent du fait qu'il n'existe pas de cadre juridique spécifiquequi permettrait de réguler les transitions de la phase de conflit à la paix. Seul le droit del'occupation constitue un guide valable pour les interventions temporaires entre guerre etpaix mais il est inadapté, les obligations incombant aux puissances occupantes n'étantpas claires. De plus, la paix ne s'obtient pas seulement par un traité mais requièreune certaine consolidation par le biais de nombreuses réformes, notamment dans ledomaine économique. Pour Stahn, la pratique internationale actuelle indiquerait l'évolutiondu maintien de la paix, d'un outil neutre à un outil permettant de promouvoir la reconstructiondu territoire et donc une transition vers la construction de la paix à long terme dans lessituations post-conflit, l'une des motivations principales de la création d'un jus post bellum.On constate également un changement dans les motivations à intervenir qui évoquent àprésent les droits de l'homme ou l'instauration de la démocratie par exemple. Ce typed'intervention donnerait donc une responsabilité dans la phase de reconstruction. Ainsi, lebut de la construction de la paix étant d'éradiquer les causes menant à la violence, celaimpliquerait donc forcément des transformations, modifications institutionnelles et socio-économiques. Les acteurs internationaux seraient également forcés de considérer l'impactde leurs décisions sur la phase post-conflit, les modalités et le cadre pour la constructionde la paix avant de se lancer dans les hostilités, ce qui rendrait obligatoire une préparationadéquate et réduirait donc l'incertitude. Le jus post bellum fournirait ainsi des critères pourdéterminer si les buts initiaux ont été effectivement atteints et cela d'une manière juste. Lapratique suggère également un certain nombre de normes émergentes telles que le soutienaux droits individuels et collectifs dans les situations post-conflit, l'internationalisation dumaintien de la paix dans le but de légitimer l'intervention et l'administration mise en placeou encore l'établissement de tribunaux internationaux pour juger les crimes de guerre, quipourraient servir de base à ce nouveau corps du droit. Les théories relatives au jus postbellum ont donc émergé pour défendre la mise en oeuvre d'un cadre uniforme applicable àtoutes entreprises de reconstruction post-conflit telles que les occupations transformatrices,interventions humanitaires et autres administrations internationales, ainsi que pour répondreaux problèmes d'interopérabilité entre les différents acteurs.

Kristen Boon fait partie de ces avocats d'un jus post bellum. Elle développe ainsi sonconcept de manière assez approfondie. Pour elle, le jus post bellum ne peut partir de laprémisse selon laquelle le statu quo ante doit être restauré. Il doit au contraire trouverun juste équilibre entre le désir de l'occupant ou de l'ONU de transformer et améliorerles structures de l'Etat en question et le droit à l'auto-détermination. Ce nouveau corpsdu droit abandonnerait ainsi le principe conservationniste. Il dépasserait donc le caractèretemporaire du droit de l'occupation et s'appliquerait au-delà des périodes de contrôle effectifpour faire face aux défis de la consolidation de la paix. Le but affiché du jus post bellum estdonc la recherche de la paix durable.

Il faut donc trouver une série de principes et coutumes émergentes à même de fournircertains standards en vue d'adresser tous les défis inhérents à ce type de situations.Certains auteurs ont ainsi pu suggéré qu'il inclue des normes telles que le droit auxréparations, les principes de justice et de représentation dans les règlements de paix, desprovisions sur le retour des réfugiés, l'établissement de l'Etat de droit et des mécanismesde justice criminelle pour l'établissement de la responsabilité après guerre285. Boon se posequant à elle pour un cadre plus restreint qui ne s'appliquerait qu'à l'exercice des pouvoirspublics par l'Etat ou l'organisation internationale occupante. Elle insiste ainsi sur quatre

285 Voir par exemple, BASS, Gary J., « Jus Post Bellum », Philosophy and Public Affairs, vol.32, n°4, 2004 et OREND, Brian,War and International Justice : A Kantian Perspective, Wilfrid Laurier Uniersity Press, 2000

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Partie II : Des sources problématiques de justification légale des réformes entreprises par lespuissances occupantes en Irak

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normes fondamentales à son sens : le principe de responsabilité, « accountability »,desautorités de transition envers la population locale, la bonne gouvernance économique étantdonné l'importance du facteur économique dans la construction de la paix du fait que lapauvreté et les crises sont à l'origine de nombreux conflits, l'intendance « stewardship »,dérivant du droit de l'occupation, c'est-à-dire le respect par les occupants des droits etla sauvegarde des intérêts de la population. Pour elle, l'occupation de l'Irak montre bienl'importance du respect de ce principe. Finalement, le dernier principe serait celui deproportionnalité en cela que l'étendue des réformes effectuées en vue de l'établissement dela paix doit être proportionnée aux buts légaux des missions en question. Elles ne doiventpas empiéter sur le droit à l'auto-détermination. Elle insiste également sur le fait que lesdroits de l'homme doivent être un composant indispensable de ce jus post bellum. Ceséléments créent donc un standard universel pour la reconstruction post-conflit. Il s'agiraitdonc d'un cœur de normes qui réconcilierait le droit existant avec la légitimité supposéede ce type d'interventions. L'avènement de ce corps de droit reste toutefois très utopiquepour l'instant286.

Jean Cohen se fait elle aussi l'avocate d'un jus post bellum, toutefois bien différentdans ses motivations et dans son contenu de celui que prône Boon. Son but seraitpour elle d'empêcher l'usurpation du pouvoir constituant par l'occupant. Les réformesqu'elle préconise quant au droit de l'occupation ne vont donc pas jusqu'à en écarter leprincipe conservationniste. Le jus post bellum constituerait donc pour elle un nouveau cadrenormatif visant à orienter les réformes et donner des limites claires aux pouvoir législatifde l'occupant, avec l'inclusion de nouveaux mécanismes de responsabilité. L'occupant doitdonc rester dans son rôle de dépositaire de la souveraineté de la population occupée ets'assurer qu'elle ait le plus tôt possible l'opportunité de déterminer ses propres institutionspolitiques287. Hamada Zahawi se rattache également à cette vision en ce qu'il conçoit un juspost bellum incluant les responsabilités comprises dans le jus in bello ainsi que les principesfondamentaux des droits de l'homme étant déjà observés dans la pratique288. Le but pources deux derniers experts n'en serait donc que d'avoir un cadre juridique spécifique à cesoccupations transformationnelles sans repenser fondamentalement le droit existant.

Ainsi, pour Eric De Brabandere, certaines des théories relatives à un jus post bellumportent toutefois atteinte à certains principes fondamentaux du droit international. Il met endoute leur apport potentiel car, selon lui, une partie d'entre elles ne se résume qu'à contesterle caractère crucial de la neutralité requise dans la phase post-conflit tandis qu'une autre nefait simplement que de rassembler des obligations déjà existantes sous un nouveau nom289.Il n'y aurait donc pas de raison valable pour justifier le fait que les acteurs qui interviennentau sein d'un territoire aient une responsabilité dans l'après conflit. Ces théoriciens pensentque les occupants « justes » ont non seulement un droit mais aussi un devoir de s'engagerdans de telles réformes. Pour De Brabandere toutefois, la reconstruction des Etats post

286 BOON, Kristen, « Obligations of the New Occupier : The Contours of a Jus Post Bellum », Loyola of Los Angeles Internationaland Comparative Law Review, vol.31, n°2, 2008

287 COHEN, Jean, « The role of International Law in Post-Conflict Constitution-Making : Toward a Jus Post Bellum for InterimOccupations », New York Law School Law Review, Vol.51, 2006/7

288 ZAHAWI, Hamada, « Redefining the Laws of Occupation in the Wake of Operation Iraqi Freedom », California Law Review,Vol.95, 2007.

289 DE BRABANDERE, Eric, « The Responsibility for Post-Conflict Reforms : A Critical Assessment of Jus Post Bellum as aLegal Concept », Vanderbilt Journal of Transnational Law, Vol.43, 2010. Kristen Boon se rattacherait donc à ses premières théoriestandis que Cohen et Zahawi seraient plus proche de secondes.

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conflit doit toujours être distinguée de la nature et de la légalité du conflit armé qui en està l'origine. En droit, les raisons qui mènent à l'intervention restent aujourd'hui clairementindépendantes de la phase post-conflit. Le lien établi par les théories du jus post bellum entrela justification avancée pour l'intervention et sa phase postérieure amènerait ainsi à unerenaissance de la théorie de la guerre juste. De plus, pour lui, les cas récents montreraientégalement qu'il existe déjà un cadre juridique adéquate, flexible et neutre pour adresserla diversité des situations qui peuvent se poser. L'on a pu définir des mandats bien précisquant aux administrations internationales, l'on dispose aussi du droit des droits de l'hommeainsi que du droit de l'occupation.

Ainsi, après avoir vu cette vision radicale qui se pose pour une réforme fondamentaledu droit, l'on va à présent constater que cela n'est pas forcément souhaitable et qu'il existedes possibilités d'adaptation du droit à ces nouveaux types de situations.

Section 2 : Des cadres alternatifs ne nécessitant pas une révision dudroit de l'occupation

Certains affirment ainsi qu'il existe déjà un droit moderne de l'occupation de facto tandis qued'autres veulent éviter l'abandon du principe conservationniste et défendent des régimesalternatifs spécifiques ne nécessitant pas une réforme du droit.

2.1 Un droit moderne de l'occupation de facto ?Pour Nicholas Lancaster, avocat à l'US Army, le droit coutumier de l'occupation aurait déjàchangé du fait de la pratique des Etats. Il ne supposerait donc plus d'adhérer au principeselon lequel l'occupant est un simple dépositaire de l'autorité du souverain déchu sansle pouvoir de transformer la forme du gouvernement et l'économie du territoire occupé.Cela serait plus particulièrement vrai lorsque les buts transformationnels sont autoriséspar le Conseil de Sécurité290. Pour lui, les provisions humanitaires du droit de l'occupationdoivent donc être considérées comme constituant du droit coutumier car elles sont toujoursrespectées par les Etats contrairement à celles qui concernent les conditions politiqueset économiques. Glazier partage également cette vision selon laquelle le droit aurait étésujet à évolution avec la pratique des Etats291. La communauté internationale a en effet puaccepter par exemple le fait que le Vietnam renverse le régime des Khmer Rouges pourle remplacer par un régime plus acceptable, ainsi que la restructuration économique etpolitique opérée. L'état du droit serait donc aujourd'hui peu clair. On pourrait ainsi le qualifierde régime hybride entre le droit traditionnel et le cadre défini par les résolutions du Conseilde Sécurité292. Ce qui constitue ce droit moderne de facto selon Grant Harris pourrait secristalliser en droit coutumier mais ce n'est pas encore le cas. Il s'agit toutefois quand mêmed'un « code opérationnel » , mélange de la pratique des Etats et des normes internationalesqui émergent pour remplacer le cadre dépassé du droit de l'occupation.

Ainsi, pour Grant Harris, l'occupation moderne demande aussi un soutien internationalimportant, il est donc nécessaire de multilatéraliser ces entreprises. Cela constitue à

290 LANCASTER, Nicholas, « Occupation Law, Sovereignty, and Political Transformation : Should the Hague Regulations and theFourth Geneva Convention Still be Considered Customary International Law ? », Military Law Review, Fall 2006291 GLAZIER, David, « Ignorance Is Not Bliss : The Law Of Belligerent Occupation and the US Invasion of Iraq », Rutgers LawReview, Vol.58, n°1, 2005.292 PARSONS, Breven, « Moving the Law of Occupation Into the Twenty-First Century », Naval Law Review, 2009

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présent la première source de légitimité et de pouvoir d'une occupation. Un droit de factoexisterait donc étant donné que les décisions clefs sur l'administration de l'occupation etla dévolution de souveraineté seraient prises en charge par la coopération multilatérale,les occupants étant poussés par leur besoin d'acquérir des ressources293. S'accrocher audroit de l'occupation desservirait donc la population dans la mesure où les institutionsnon représentatives seraient préservées, les droits de l'homme ne seraient pas totalementprotégés et les opportunités pour poser les fondations d'un développement économiquesignificatif seraient simplement impossibles.

Par suite, dans un contexte où l'utilisation de la force dans une visée humanitaire sedéveloppe de plus en plus, pour Jane Stromseth, professeur à l'Université de Georgetown,une Responsabilité de Protéger émerge comme norme de droit international coutumier dansl'environnement actuel du droit de l'occupation294. Etant donné que cette responsabilité deprotéger inclue une responsabilité de reconstruire, l'interprétation du droit de l'occupation enserait donc influencée. Ainsi, même si le droit international continue d'interdire l'utilisation dela force dans le but d'opérer un changement politique dans un autre Etat, il semblerait quelorsque l'utilisation de la force a quand même lieu, il y ait une responsabilité à reconstruire295.Ainsi, « au lieu de remplacer le droit de l'occupation, la naissante responsabilité de protégercréé un cadre mis à jour pour l'intervention internationale à des fins humanitaires. 296»

Eyal Benvenisti prend également le parti d'un droit moderne consacré par la pratique.En effet, pour lui, la résolution 1483 ferait autorité en ce qu'elle énoncerait les principesde base d'un droit contemporain de l'occupation. Ce nouveau régime de facto serait doncneutre, temporaire, la souveraineté ne disparaîtrait pas avec la chute du régime et résideraitdans le peuple et l'exercice de l'auto-détermination devrait être facilité. L'occupant s'yverrait reconnaître le rôle d'un régulateur assez fortement impliqué. Finalement, la résolutionreconnaîtrait l'applicabilité des droits de l'homme dans les territoires occupés aux côtés dudroit de l'occupation297.

Il serait toutefois contre-productif aujourd'hui d'essayer de mettre à jour le droit del'occupation de manière formelle. Seul l'ONU serait à même de clarifier les normesapplicables et les buts légitimes de l'occupation grâce aux pouvoirs qui lui sont conférés parle chapitre VII. Par conséquent, un tel droit de facto est beaucoup moins prévisible car iln'est pas clairement fixé par un texte. Cependant, l'on peut se demander si cette pratique estsuffisamment uniforme et représentative pour prétendre à un statut coutumier. Elle a de plus

293 HARRIS, op.cit. L'on aurait donc une pratique ad hoc incluant certaines normes de droit international étant donné que dansle contexte contemporain, il est attendu que l'occupation résulte en une amélioration de la qualité de vie de la population occupéevers un standard international acceptable comparé à la situation prévalant avant l'intervention.

294 STROMSETH, Jane, Rethinking Humanitarian Intervention : the case for incremental change in HOLZGREFE J. L. etKEOHANE Robert, Humanitarian Intervention : Ethical, Legal and Political Dilemmas, 2003. En 2005, l'Assemblée Générale desNations-Unies a adopté le principe de la responsabilité de protéger. Le concept était apparu en 2002 suite au rapport Brahimi sur lesopérations de paix. Il impliquerait une responsabilité interne de l'Etat de respecter la dignité et les droits fondamentaux des populationsvivant sur son territoire. Un Etat qui faillirait à son devoir de protection envers sa population civile enclencherait ainsi la responsabilitéde la communauté internationale, qui pourrait donner lieu à une intervention.

295 Chesterman défend également cette position dans son article : CHESTERMAN, Simon, «Occupation as Liberation :International Humanitarian Law and Regime Change », Ethics and International Affairs, vol.18, n°3, 2004

296 ESLAVA, Luis, « Occupation Law : (Mis)use and consequences in Iraq », Contexto, vol.27, n°1, 2007. Traduction de l'auteurdu mémoire

297 BENVENISTI, Eyal, The International Law of Occupation, Princeton University Press, 2004

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été forgée par les buts politiques intéressés des occupants. Le principe conservationnisteest contenu dans des traités contraignants dont la force ne peut être dissipée par des actionsunilatérales. Ainsi, un traité peut perdre sa valeur normative lorsqu'il tombe en désuétudedu fait de la pratique des Etats mais ce n'est pas le cas ici car son obsolescence doit êtremanifeste dans la conduite des parties298. Leur validité a ainsi été réaffirmée par le Conseilde Sécurité à plusieurs reprises ainsi qu'à l'occasion de décisions judiciaires récentes. Ainsi,pour Fox, à moins que de futures occupations reçoivent la force légitimatrice d'un mandatcollectif de l'ONU, le déroulement de l'occupation de l'Irak nous apprend que le principeconservationniste doit garder toute sa portée dans le but de discipliner les occupants.

2.2 Les dangers inhérents à l'abandon du principe conservationnisteLa doctrine semble pourtant consciente de l'importance d'une mise en œuvre effectivedu droit de l'occupation, qui reste toujours adapté à de nombreux problèmes qui seposent durant les occupations modernes. Ainsi, à notre sens, abandonner le principeconservationniste299 aurait des conséquences néfastes et pourrait provoquer une confusionimportante. En effet, cela brouillerait d'abord la limite entre l'occupation et l'annexion, quireste profondément condamnée par le droit international300. Il s'agirait aussi d'une menaceau droit à l'autodétermination et à l'égalité souveraine des Etats. Les réformes les plusradicales doivent donc être laissées à un futur gouvernement représentatif. Ainsi, pour LuisEslava, de l'Université de Melbourne, c'est la population qui serait la clef du processusde reconstruction301. Plus fondamentalement, une révision radicale du droit de l'occupationconstituerait un encouragement à des interventions unilatérales de la part d'Etats auxmotivations douteuses. L'on imagine aisément les dérives que de telles « armées delibération » prônées par Scheffer pourraient entraîner. L'occupant n'aurait plus non plus debarrières pour promulguer une législation qui pourrait mettre en cause la responsabilité del'Etat occupé en violant par exemple des obligations contenues dans des traités auxquelsil est partie. Pour Thürer et MacLaren, de l'Université de Zurich, qui réaffirment égalementl'applicabilité du droit international humanitaire et sa pertinence dans l'après guerre en Irak,une réforme de grande ampleur du droit de l'occupation ne serait pas non plus nécessaire.Le risque de détruire l'équilibre entre la sécurité et les droits et libertés individuels est tropimportant. Cela pourrait amener à une diminution des protections accordées aux civils dansces territoires. L'accent devrait donc être mis sur une meilleure application des règles etprocédures existantes étant donné qu'il s'agit de l'une des branches du droit internationalhumanitaire les moins appliquées, ainsi que sur l'amélioration des mécanismes de mise enœuvre de la responsabilité302.

Avec l'abandon de ce principe, les interventions pourraient ainsi se justifier de manièreinquiétante par des buts de guerre qui seraient valables sous le droit de l'occupationmais non sous le jus ad bellum. D'un autre côté, affirmer qu'une guerre qui a mené àl'occupation est juste ne doit jouer aucun rôle dans l'évaluation des devoirs de la puissanceoccupante. Le jus ad bellum et le jus in bello doivent rester clairement séparés. De plus,on ne peut pas dire qu'il existe aujourd'hui un consensus visant à autoriser un droit

298 AUST, Anthony, Modern Treaty Law and Practice, Cambridge University Press, 2000.299 Ce principe est d'ailleurs toujours très largement repris par les manuels militaires nationaux.300 FOX, Gregory, « The Occupation of Iraq », Georgetown Journal of International Law, Vol.36, 2005301 ESLAVA, Luis, op.cit. Pour lui, il ne doit pas être porté atteinte au droit de l'occupation302 THURER D., MACLAREN M., « Ius Post Bellum in Iraq », Global International Law : Essays in Honor of Jost Delbruck, KlausDicke et al. eds, 2005

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d'intervention humanitaire unilatérale ou bien un droit d'intervention pro-démocratique. Ces« occupations transformatrices ne relèveraient donc elles pas d'une forme d'impérialismeou de colonialisme indirect plutôt que d'une libération désintéressée ?303

2.3 Un mandat élargi du Conseil de Sécurité fournissant une base légitimeaux occupations transformatricesEtant donné le peu de crédit accordé à l'hypothèse d'une révision complète du droit,l'alternative en serait le vote de résolutions par le Conseil de Sécurité qui détermineraientles obligations des puissances occupantes au cas par cas, comme l'illustre la résolution1483 relative à l'Irak. Une majeure partie de la doctrine se pose ainsi en faveur d'un cadrealternatif qui consisterait en l'obtention d'un mandat transformationnel robuste du Conseilde Sécurité faisant l'objet d'un consensus international fort. Il permettrait une dérogationclaire au droit de l'occupation et légitimerait ainsi les actes de l'occupant. La plupart desauteurs évoquent également l'incorporation complète et sans ambiguïté du droit des droitsde l'homme au cadre normatif de l'occupation.

Ainsi, Ebrahim Afsah reconnaît que le régime de l'occupation n'est pas l'outil appropriépour ce type d'interventions. Toutefois, appeler à sa révision équivaudrait à penser qu'ilexiste une communauté d'intérêts entre l'occupant et la population occupée, ce qui peut êtrefortement contesté. Il est donc pour un mandat du Conseil de Sécurité qui fournirait une baselégale à de telles réformes de grande ampleur304. Il rejoindrait ainsi Scheffer pour qui le cadreexistant est inadapté à une société ayant besoin de changements politiques, économiqueset sociaux profonds, des transformations bien plus importantes que ce qui était envisagédans les instruments initiaux. Il évoque également l'importance de l'engagement multilatéral.Pour lui, les limitations telles que le respect du statu quo sont là pour protéger le droit à l'auto-détermination de la population. Le droit de l'occupation reste quand même très pertinent. Eneffet, en l'absence d'un tel consensus international et d'un mandat du Conseil de Sécurité,le droit de l'occupation sert son but premier, c'est-à-dire prévenir les abus de pouvoir de lapuissance occupante305. L'expérience irakienne plaiderait même pour l'imposition de limitesencore plus strictes à l'occupant. Les réformes mises en œuvre n'ont pas eu non plus lalégitimité nécessaire vis-à-vis de la population. Zwanenburg rejoint également Afsah en ceque, pour lui, les évènements en Irak ne sont pas un argument valable pour réviser le droit del'occupation. Seulement dans des cas exceptionnels il pourrait y être dérogé par le Conseilde Sécurité, ce qui n'a pas été le cas en Irak.

Pour Adam Roberts également, le droit de l'occupation est toujours utile et viableétant donné sa flexibilité intrinsèque. Les occupants devraient donc toujours le reconnaîtreainsi que son principe conservationniste. Pour lui, beaucoup d'erreurs commises en Irakl'ont été du fait que l'on a pas reconnu le rôle essentiel qu'il peut toujours remplir dans larégulation de ce type de situations. Il évoque lui aussi la nécessaire implication des Nations-Unies pour légitimer ce type d'entreprises306 ainsi que l'application du droit des droits de

303 COHEN, Jean, op.cit.304 AFSAH, Ebrahim, « Limits and Limitations of Power : The Continued Relevance of Occupation Law », German Law Journal,

vol.7, n°6, 2006305 SCHEFFER, David, « Beyond Occupation Law » , The American Journal of International Law, vol.97, n°4, Octobre 2003306 RATNER se fait également l'avocat de ce type de légitimation par l'internationalisation. RATNER, Steven, « Foreign

Occupation and International Territorial Administration : The Challenges of Convergence », The European Journal of InternationalLaw, vol.16, n°4, 2005

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l'homme qui permet de réduire les conflits entre le principe conservationniste et les objectifspoursuivis par des occupations à visée transformatrice. L'avantage de l'application du droitdes droits de l'homme réside aussi dans le fait que des individus pourraient saisir des courtsrégionales comme la CEDH et les puissances occupantes pourraient justifier certaines deleurs actions transformatrices pour atteindre certains de ces principes, y compris le droit àl'auto-détermination. Pour lui, une tentative de réviser le droit de l'occupation se solderaitdonc probablement par un échec car d'autres moyens existent tels qu'une autorisationinternationale sous forme d'une résolution du Conseil de Sécurité comprenant les buts àatteindre afin d'obtenir une variation dans l'application du droit.

Breven Parsons défend quant à lui l'adoption d'un traité international qui se baseraitsur le droit existant et aurait les caractéristiques suivantes : il demanderait une nécessaireapprobation de l'ONU quant au système d'administration mis en place et créerait unmécanisme de supervision internationale des activités de l'occupant (afin d'accroître lalégitimité de l'entreprise et d'apporter l'expérience de l'organisation en la matière pouréviter les abus), il incorporerait des références à certains droits de l'homme et permettraitde s'éloigner du principe conservationniste dans certains cas limités ayant des butstransformationnels légitimes. Le principe conservationniste devrait donc toujours êtrerespecté le plus souvent possible307. Contrairement à Adam Roberts par exemple, il pensedonc que les exceptions au droit pour satisfaire des objectifs transformationnels devraientêtre formalisées dans un traité.

Finalement, pour d'autres experts tels que Venet et Kolb qui semblent partager la mêmeopinion, il aurait été préférable que le Conseil de Sécurité mette en place une administrationinternationale « indépendante des belligérants et à laquelle il aurait confié des pouvoirsclairement déterminés »308 en Irak. Kolb semble également inviter le Conseil à ne pasdéroger explicitement au droit de l'occupation et à garder le contrôle sur l'administrationcivile ainsi créée. Le Conseil ne devrait donc pas laisser aux occupants le soin d'interpréterses résolutions. Pour Kolb, un abandon partiel du principe de statu quo est toutefoisinévitable car l'on ne peut pas sortir du paradoxe entre le besoin des réformes et le principede statu quo consolidé par le droit à l'auto-détermination. Il prédit l'avènement d'un futurcorps de règles qui intégrerait à la fois des aspects du droit humanitaire et des droits del'homme et la nécessaire création de mécanismes de contrôle. Il souligne également lemanque de jurisprudence dans cette branche du droit, ce qui contribue aux incertitudes.Seules des solutions de compromis au cas par cas seraient pourtant aujourd'hui praticables.

L'on peut toutefois dire qu'étendre les pouvoirs du Conseil de Sécurité dans le cadredes occupations au nom des droits de l'homme ou d'un nécessaire changement de régimeest une perspective dangereuse qui pourrait être qualifiée de néo-impérialisme, surtout dansle contexte d'une prédominance toujours flagrante des Etats-Unis en son sein.

307 PARSONS, Breven, « Moving the Law of Occupation Into the Twenty-First Century », Naval Law Review, 2009308 VENET, Olivia, « L'occupation du territoire irakien et l'intervention du Conseil de Sécurité : Conséquences sur les pouvoirs

règlementaires de la puissance occupante et réflexions sur les modes d'action choisis », Revue Belge de Droit International, EditionsBruylant, 2005.

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Conclusion

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Conclusion

Il s'avère donc impossible de justifier d'un point de vue légal les réformes extensives opéréespar l'Autorité Provisoire de la Coalition en Irak. Malgré les divergences d'interprétationrelatives aux textes du droit de l'occupation, la plupart de ces réformes se révèlent encontradiction profonde avec le Règlement de La Haye de 1907 et la IVème Conventionde Genève de 1949. L'exigence de respect du droit international des droits de l'homme nepermet de justifier qu'un nombre limité de ces mesures. De plus, le Conseil de Sécurité desNations-Unies ne semble pas avoir eu la volonté d'outrepasser le droit de manière claire,malgré l'opinion de certains, afin d'autoriser cette entreprise radicale de reconstructionde l'Etat. Ces réformes ne trouvent pas non plus de base solide dans la défunte théoriedu debellatio ou encore dans le consentement des autorités irakiennes, certains expertsévoquant même une violation du droit à l'auto-détermination du peuple irakien. Finalement,la prépondérance américaine au sein du Conseil de Sécurité ainsi que le soutien de lacommunauté internationale pour les idéaux démocratiques et l'économie de marché ontrendu l'entreprise de reconstruction des structures étatiques et économiques en Irak par laCoalition possible, sans objections majeures309 et ont fait oublier l'illégalité des réformes.

Par suite, les difficultés rencontrées par les Etats-Unis en Irak ont donc amené às'interroger sur la désirabilité d'une reconnaissance légale de l'occupation transformatrice.C'est ainsi que beaucoup se font les avocats d'une réforme du droit de l'occupation oude la création d'un jus post bellum qui refléterait mieux les réalités contemporaines maisqui, en contrepartie, mènerait à des abus certains. Lier jus ad bellum et jus in bello n'estpas souhaitable. L'on ne peut ainsi intenter aux principes fondamentaux que sont l'égalitésouveraine des Etats et l'interdiction d'imposer un système politique à un autre Etat. Un droitd'intervention unilatéral visant au changement de régime serait une innovation dangereuse.Les changements institutionnels sont un processus à long terme au sein d'une société et ladémocratisation ne peut s'opérer que sur une période longue, les conséquences pouvant enêtre désastreuses lorsque cela n'est pas fait dans le cadre du droit international. Il est de pluscrucial d'acquérir une certaine légitimité auprès de la population. A nos yeux, l'on ne peutfaire face aux besoins de ce type de société post-conflit qu'avec la création d'administrationsinternationales de territoires par l'ONU sous l'autorité du Chapitre VII de la Charte et unelégitimité internationale forte. Seul ce type de gouvernance aurait pu être adapté à unetelle entreprise de construction de la paix et revendiquer une base légale. Toutefois, à lasuite de Marco Sassoli, l'on défendra l'idée selon laquelle même une administration del'ONU ne saurait introduire de tels changements de grande ampleur sans en référer à lavolonté souveraine de la population310. Les réformes radicales touchant à l'organisationde la société doivent impérativement être laissées à un gouvernement représentatif, ladémocratie ne pouvant être imposée de l'extérieur. Le droit de l'occupation reste toujours

309 YORDAN, Carlos, « Why Did the UN Security Council Support the Anglo-American Project to Transform Postwar Iraq ? TheEvolution of International Law in the Shadow of the American Hegemon », Journal of International Law and International Relations,vol.3, n°1, printemps 2007

310 SASSOLI Marco, « Article 43 of The Hague Regulations and Peace Operations in the Twenty-First Century », InternationalHumanitarian Law Research Initiative, 2004

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pertinent aujourd'hui et doit continuer à servir son but premier qui est de restreindre la margede manœuvre de l'occupant sur le territoire en question.

Les Etats-Unis semblent pourtant anticiper d'autres interventions de ce type, ilsont ainsi établi l'Office of the Coordinator for Reconstruction and Stabilization au seindu State Department, avec pour mission de gérer la reconstruction de sociétés aprèsconflit. L'ONU a elle-même renforcé ses capacités pour faire face à ce type de missionsmultidimensionnelles en créant une Peacebuilding Commission en décembre 2005, soit uncorps consultatif ayant pour but d'assister à la construction de la paix et au rétablissementpost-conflit. Cela s'inscrit dans le sillage de la responsabilité de reconstruire, contenue dansla responsabilité de protéger prônée par l'Organisation.

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Résolution 2444 de l'Assemblée Générale des Nations-Unies, 19 décembre 1968

Autres documents officiels

Ministère des Affaires Etrangères, Actes de la Conférence de Bruxelles de 1874, Paris,1874

Projet d'une Déclaration Internationale Concernant les Lois et Coutumes de la Guerre,1874

U.S. Department of Defence, Working Group Report on Detainee Interrogations in theGlobal War on Terrorism: Assessment of Legal, Historical, Policy, and OperationalConsiderations, 6 mars 2003

Autres

House of Commons, « Iraq : Law of Occupation », House of Commons LibraryResearch Paper 03/51, 2003

International Crisis Group, « Baghdad : A Race Against The Clock », 2003

United States Institute of Peace, « Establishing the Rule of Law in Iraq », 2003

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Annexes

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Annexes

Résolution 1483 du Conseil de Sécurité des Nations-Unies, S/RES/1483, 22 Mai 2003

Le Conseil de sécurité,Rappelant toutes ses résolutions antérieures sur la question,Réaffirmant la souveraineté et l’intégrité territoriale de l’Iraq,Réaffirmant également qu’il importe de désarmer l’Iraq de ses armes de destruction

massive et, à terme, de confirmer le désarmement de l’Iraq,Soulignant le droit du peuple iraquien de déterminer librement son avenir politique et

d’avoir le contrôle de ses ressources naturelles, se félicitant de ce que toutes les partiesconcernées se soient engagées à appuyer la création des conditions lui permettant dele faire le plus tôt possible et se déclarant résolu à ce que le jour où les Iraquiens segouverneront eux-mêmes vienne rapidement,

Encourageant le peuple iraquien dans les efforts qu’il déploie pour former ungouvernement représentatif, fondé sur l’état de droit et garantissant la justice et des

droits égaux à tous les citoyens iraquiens, sans considération d’appartenance ethnique,de religion ou de sexe, et rappelant à cet égard la résolution 1325 (2000)

du 31 octobre 2000,Se félicitant des premiers pas du peuple iraquien à cette fin et prenant note de la

déclaration de Nassiriya, en date du 15 avril 2003, et de la déclaration de Bagdaddu 28 avril 2003,Résolu à ce que les Nations Unies jouent un rôle crucial dans le domaine humanitaire,

dans la reconstruction de l’Iraq et dans la création et le rétablissement d’institutionsnationales et locales permettant l’établissement d’un gouvernement représentatif,

Prenant note de la déclaration des ministres des finances et des gouverneurs desbanques centrales du Groupe des sept pays les plus industrialisés, en date du 12 avril2003, dans laquelle ceux-ci ont reconnu la nécessité d’un effort multilatéral pour aider àla reconstruction et au développement de l’Iraq, de même que celle d’une assistance duFonds monétaire international et de la Banque mondiale pour appuyer cet effort,

Accueillant avec satisfaction la reprise de l’aide humanitaire et les efforts que leSecrétaire général et les institutions spécialisées ne cessent de déployer pour fournir vivreset médicaments à la population iraquienne,

Se félicitant que le Secrétaire général ait désigné un conseiller spécial pour l’Iraq,

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Affirmant qu’il convient d’obliger l’ancien régime iraquien à répondre des crimes etatrocités qu’il a commis,

Insistant sur la nécessité de respecter le patrimoine archéologique, historique, culturelet religieux de l’Iraq et de continuer à assurer la protection des sites archéologiques,historiques, culturels et religieux, ainsi que des musées, bibliothèques et monuments,

Prenant note de la lettre que les Représentants permanents des États-Unis d’Amériqueet du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord ont adressée à sonPrésident le 8 mai 2003 (S/2003/538) et reconnaissant les pouvoirs, responsabilités etobligations spécifiques de ces États en tant que puissances occupantes agissant sous uncommandement unifié (l’« Autorité »), en vertu du droit international applicable,

Notant que d’autres États qui ne sont pas des puissances occupantes travaillentactuellement ou pourraient travailler sous l’égide de l’Autorité,

Se félicitant également de la volonté des États Membres de contribuer à la stabilité et àla sécurité en Iraq en fournissant personnel, équipement et autres ressources, sous l’égidede l’Autorité,

Préoccupé par le sort de nombreux Koweïtiens et ressortissants d’États tiers portésdisparus depuis le 2 août 1990,

Considérant que la situation en Iraq, si elle s’est améliorée, continue de menacer lapaix et la sécurité internationales,

Agissant en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies,1. Appelle les États Membres et les organisations concernées à aider le peuple iraquien

dans les efforts qu’il déploie pour réformer ses institutions et reconstruire le pays et decontribuer à assurer la stabilité et la sécurité en Iraq conformément à la présente résolution;

2. Exhorte tous les États Membres qui sont en mesure de le faire à répondreimmédiatement aux appels humanitaires lancés par l’Organisation des Nations Unies etd’autres organismes internationaux en faveur de l’Iraq et à contribuer à répondre auxbesoins humanitaires et autres de la population iraquienne en apportant des vivres et desfournitures médicales ainsi que les ressources nécessaires à la reconstruction de l’Iraq età la remise en état de son infrastructure économique;

3. Demande à tous les États Membres de refuser de donner refuge aux membres del’ancien régime iraquien présumés responsables de crimes et d’atrocités et de soutenir touteaction visant à les traduire en justice;

4. Demande à l’Autorité, conformément à la Charte des Nations Unies et auxdispositions pertinentes du droit international, de promouvoir le bien-être de la populationiraquienne en assurant une administration efficace du territoire, notamment en s’employantà rétablir la sécurité et la stabilité et à créer lesconditions permettant au peuple iraquien dedéterminer librement son avenir politique;

5. Demande à toutes les parties concernées de s’acquitter pleinement de leursobligations au regard du droit international, en particulier les Conventions de Genève de1949 et le Règlement de La Haye de 1907;

6. Appelle l’Autorité et les organismes et personnes compétents à poursuivre les effortsmenés pour localiser, identifier et rapatrier tous les Koweïtiens et ressortissants d’Étatstiers qui sont en Iraq depuis le 2 août 1990, ou leurs dépouilles, ainsi que les archiveskoweïtiennes, ce que le précédent régime iraquien n’a pas fait et, à cet égard, charge leCoordonnateur de haut niveau, en consultation avec le Comité international de la Croix

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Rouge et la Commission tripartite, de prendre, avec l’appui approprié du peuple iraquienet en coordination avec l’Autorité, des mesures pour s’acquitter de son mandat en ce quiconcerne les Koweïtiens et ressortissants d’États tiers portés disparus et leurs biens;

7. Décide que tous les États Membres doivent prendre les mesures voulues pourfaciliter la restitution, en bon état, aux institutions iraquiennes des biens culturels iraquienset des autres objets ayant une valeur archéologique, historique, culturelle, scientifique oureligieuse, qui ont été enlevés illégalement du Musée national iraquien, de la Bibliothèquenationale et d’autres sites en Iraq depuis l’adoption de la résolution 661 (1990) du 6 août1990, notamment en frappant d’interdiction le commerce ou le transfert de ces objets et desobjets dont il y a de bonnes raisons de croire qu’ils ont été enlevés illégalement et appellel’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture, Interpol et autresorganisations internationales compétentes à faciliter la mise en oeuvre du présent

paragraphe;8. Demande au Secrétaire général de désigner un représentant spécial pour l’Iraq qui

aura, de façon indépendante, la responsabilité de faire régulièrement rapport au Conseilsur les activités qu’il mènera au titre de la présente résolution, de coordonner l’action desNations Unies au lendemain du conflit en Iraq, d’assurer la coordination des efforts déployéspar les organismes des Nations Unies et les organisations internationales fournissant uneaide humanitaire et facilitant les activités de reconstruction en Iraq et, en coordination avecl’Autorité, de venir en aide à la population iraquienne en :

a) Coordonnant l’aide humanitaire et l’aide à la reconstruction apportée par lesorganismes des Nations Unies et les activités menées par ces derniers et les organisationsnon gouvernementales;

b) Facilitant le rapatriement librement consenti des réfugiés et des déplacés dans l’ordreet la sécurité;

c) Oeuvrant sans relâche avec l’Autorité, le peuple iraquien et les autres partiesconcernées à la création et au rétablissement d’institutions nationales et locales permettantla mise en place d’un gouvernement représentatif, notamment en travaillant ensemblepour faciliter un processus débouchant sur la mise en place d’un gouvernement iraquienreprésentatif, reconnu par la communauté internationale;

d) Facilitant la reconstruction des infrastructures clefs, en coopération avec d’autresorganisations internationales;

e) Favorisant le relèvement économique et l’instauration de conditions propices audéveloppement durable, notamment en assurant la coordination avec les organisationsnationales et régionales, selon qu’il conviendra, et avec la société civile, les donateurs etles institutions financières internationales;

f) Encourageant les efforts déployés par la communauté internationale pour que lesfonctions essentielles d’administration civile soient assurées;

g) Assurant la promotion de la protection des droits de l’homme;h) Appuyant les efforts déployés à l’échelle internationale pour rendre à nouveau

opérationnelle la police civile iraquienne;i) Soutenant les efforts menés par la communauté internationale pour promouvoir des

réformes juridiques et judiciaires;9. Appuie la formation par le peuple iraquien, avec l’aide de l’Autorité et en collaboration

avec le Représentant spécial, d’une administration provisoire iraquienne qui servira

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d’administration transitoire dirigée par des Iraquiens jusqu’à ce qu’un gouvernementreprésentatif, reconnu par la communauté internationale, soit mis en place par le peupleiraquien et assume les responsabilités de l’Autorité;

10. Décide qu’à l’exception des interdictions frappant la vente ou la fourniture à l’Iraqd’armes et de matériel connexe autres que ceux dont l’Autorité a besoin pour faire appliquerla présente résolution et d’autres résolutions sur la question, toutes les interdictions portantsur le commerce avec l’Iraq et l’apport de ressources financières ou économiques à ce paysimposées par la résolution 661 (1990) et les résolutions ultérieures pertinentes, y comprisla résolution 778 (1992) du 2 octobre 1992, cessent de s’appliquer;

11. Réaffirme que l’Iraq doit honorer ses obligations en matière de désarmement,encourage le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord et les États-Unisd’Amérique à tenir le Conseil informé de leurs activités dans ce domaine, et souligneque le Conseil a l’intention de réexaminer les mandats de la Commission de contrôle, devérification et d’inspection des Nations Unies et de l’Agence internationale de l’énergieatomique énoncés dans les résolutions 687 (1991) du 3 avril 1991, 1284 (1999) du 17décembre 1999 et 1441 (2002) du 8 novembre 2002;

12. Prend acte de la création d’un Fonds de développement pour l’Iraq, qui sera détenupar la Banque centrale d’Iraq et audité par des experts-comptables indépendants approuvéspar le Conseil international consultatif et de contrôle du Fonds de développement pour l’Iraq,et attend avec intérêt la réunion prochaine du Conseil international consultatif et de contrôle,qui comptera parmi ses membres des représentants dûment habilités du Secrétaire général,du Directeur général du Fonds monétaire international, du Directeur général du Fonds arabede développement économique et social et du Président de la Banque mondiale;

13. Note également que les ressources du Fonds de développement pour l’Iraqseront décaissées selon les instructions données par l’Autorité, en consultation avecl’administration provisoire iraquienne, aux fins prévues au paragraphe 14 ci-dessous;

14. Souligne que le Fonds de développement pour l’Iraq sera utilisé dans latransparence pour répondre aux besoins humanitaires du peuple iraquien, pour lareconstruction économique et la remise en état de l’infrastructure de l’Iraq, la poursuite dudésarmement de l’Iraq, les dépenses de l’administration civile iraquienne et à d’autres finsservant les intérêts du peuple iraquien;

15. Demande instamment aux institutions financières internationales d’aider le peupleiraquien à reconstruire et à développer son économie et de faciliter les activités d’assistancede la communauté des donateurs dans son ensemble, et se félicite du fait que les créanciers,notamment ceux du Club de Paris, sont disposés à chercher une solution aux problèmesde la dette souveraine de l’Iraq;

16. Prie également le Secrétaire général de continuer, en coordination avec l’Autorité,à exercer les responsabilités qui lui ont été confiées par le Conseil de sécurité en vertude ses résolutions 1472 (2003) du 28 mars 2003 et 1476 (2003) du 24 avril 2003 pendantune période de six mois suivant l’adoption de la présente résolution et, au cours de cettepériode, de mettre fin suivant les modalités les plus économiques aux opérations actuellesdu programme « pétrole contre nourriture » (ci-après dénommé le « programme »), au Siègeet sur le terrain, en remettant la responsabilité de l’administration des activités restantes duprogramme à l’Autorité, notamment en prenant les mesures nécessaires suivantes :

a) Prendre au plus tôt les dispositions voulues pour faciliter l’expédition et la livraisoncertifiée des marchandises civiles prioritaires définies par le Secrétaire général et desreprésentants désignés par lui, en coordination avec l’Autorité et l’administration provisoire

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iraquienne, dans le cadre des contrats approuvés et financés qui ont été conclus par leGouvernement iraquien précédent, aux fins de l’assistance humanitaire du peuple iraquien,et en négociant, si nécessaire, les aménagements à apporter aux clauses et conditions descontrats et aux lettres de crédit correspondantes visés à l’alinéa d) du paragraphe 4 de larésolution 1472 (2003);

b) Examiner, compte tenu de l’évolution de la situation et en coordination avec l’Autoritéet l’administration provisoire iraquienne, l’utilité relative de chaque contrat approuvé etfinancé pour déterminer s’il porte sur des articles nécessaires pour répondre aux besoinsdu peuple iraquien, dans l’immédiat et pendant la reconstruction, et surseoir à l’exécutiondes contrats dont l’utilité aura été établie comme contestable ainsi que des lettres de créditcorrespondantes jusqu’à ce qu’un gouvernement iraquien représentatif, reconnu sur le planinternational, soit en mesure de décider pour son propre compte si ces contrats doivent êtreexécutés;

c) Soumettre pour examen au Conseil de sécurité, dans les 21 jours suivant l’adoptionde la présente résolution, un budget de fonctionnement estimatif tenant compte des fondsdéjà réservés dans le compte créé en application de l’alinéa d) du paragraphe 8 de larésolution 986 (1995) du 14 avril 1995, en précisant :

i) Toutes les dépenses connues et prévisionnelles que l’Organisation des Nations Uniesdevra engager pour maintenir le fonctionnement des activités liées à l’application de laprésente résolution, notamment les dépenses de fonctionnement et d’administration desinstitutions et programmes des Nations Unies chargés de l’application du programme auSiège et sur le terrain;

ii) Toutes les dépenses connues et prévisionnelles occasionnées par la clôture duprogramme;

iii) Toutes les dépenses connues et prévisionnelles occasionnées par la restitution desfonds du Gouvernement iraquien transférés par les États Membres au Secrétaire généralen application du paragraphe 1 de la résolution 778 (1992) du 2 octobre 1992; et iv) Toutesles dépenses connues et prévisionnelles relatives au représentant dûment habilité par leSecrétaire général à siéger au Conseil international consultatif et de contrôle pendant lapériode de six mois définie ci-dessus, après quoi ces dépenses seront à la charge del’Organisation des Nations Unies;

d) Regrouper en un seul fonds les comptes créés en vertu des alinéas a) et b) duparagraphe 8 de la résolution 986 (1995);

e) De s’acquitter de toutes les obligations relatives à la clôture du programme quin’ont pas encore été honorées, notamment en négociant, suivant les modalités les pluséconomiques, avec les parties ayant précédemment souscrit des obligations contractuellesà son égard au titre de ce programme, le versement de tous les montants à régler, lesquelsseront imputés sur les comptes séquestres créés en application des alinéas a) et b) duparagraphe 8 de la résolution 986 (1995), et de déterminer, en coordination avec l’Autoritéet avec l’Administration intérimaire iraquienne, le statut futur des contrats passés parl’Organisation des Nations Unies et les organismes apparentés au titre des comptes créésen application des alinéas b) et d) du paragraphe 8 de la résolution 986 (1995);

f) De présenter au Conseil de sécurité, 30 jours avant la clôture du programme,une stratégie complète arrêtée en coordination étroite avec l’Autorité et l’Administrationintérimaire iraquienne, qui permette de fournir toute la documentation pertinente et detransférer toute la responsabilité opérationnelle du programme à l’Autorité;

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17. Demande en outre que le Secrétaire général transfère dans les meilleurs délaisau Fonds de développement pour l’Iraq, un montant d’un milliard de dollars des États-Unis prélevé sur les soldes inutilisés des comptes créés en application des alinéas a) et b)du paragraphe 8 de la résolution 986 (1995), et qu’il restitue les fonds du Gouvernementiraquien que des États Membres avaient remis au Secrétaire général conformément auparagraphe 1 de la résolution 778 (1992), et décide qu’après déduction de toutes lesdépenses occasionnées à l’ONU par l’expédition des marchandises sur lesquelles portentles contrats autorisés, et des dépenses afférentes au programme, qui sont visées à l’alinéac) du paragraphe 16 ci-dessus, y compris les obligations résiduelles, tous les soldes descomptes séquestres créés en application des alinéas a), b), d) et f) de la résolution 986(1995) seront transférés aussitôt que possible au Fonds de développement pour l’Iraq;

18. Décide de mettre fin, à compter de l’adoption de la présente résolution, aux fonctionsrelatives aux activités d’observation et de surveillance entreprises par le Secrétaire généralau titre du programme, y compris les activités de surveillance des exportations de pétroleet de produits pétroliers provenant d’Iraq;

19. Décide de dissoudre à l’issue de la période de six mois visée au paragraphe 16ci-dessus, le Comité créé en application du paragraphe 6 de la résolution 661 (1990), etdécide en outre que le Comité recensera les personnes et les entités dont il est fait mentionau paragraphe 23 ci-après;

20. Décide que toutes les ventes à l’exportation de pétrole, de produits pétrolierset de gaz naturel provenant d’Iraq effectuées après la date d’adoption de la présenterésolution seront mises en conformité avec les pratiques optimales en vigueur sur le marchéinternational, et auditées par des experts comptables indépendants faisant rapport auConseil international consultatif et de contrôle visé au paragraphe 12 ci-dessus, afin degarantir la transparence, et décide en outre qu’hormis les fonds visés au paragraphe 21 ci-après, tous les produits de ces ventes seront versés au Fonds de développement pour l’Iraq,en attendant qu’un gouvernement iraquien représentatif et reconnu par la communautéinternationale soit dûment constitué;

21. Décide en outre que 5 % des produits visés au paragraphe 20 ci-dessusseront versés au Fonds d’indemnisation créé en application de la résolution 687 (1991)du 3 avril 1991 et des résolutions ultérieures sur la question, et qu’à moins qu’ungouvernement iraquien représentatif, reconnu par la communauté internationale et leConseil d’administration du Fonds d’indemnisation des Nations Unies, exerçant sonautorité sur les moyens de s’assurer que les montants requis sont versés au Fondsd’indemnisation, n’en décident autrement, cette condition aura force obligatoire à l’égard detout gouvernement iraquien représentatif, dûment constitué et reconnu par la communautéinternationale et son successeur;

22. Notant qu’il importe d’établir un gouvernement représentatif reconnu par lacommunauté internationale en Iraq et qu’il est souhaitable de restructurer rapidement ladette iraquienne comme il est indiqué au paragraphe 15 ci-dessus, décide en outre quejusqu’au 31 décembre 2007, à moins que le Conseil n’en convienne autrement, le pétrole,les produits pétroliers et le gaz naturel provenant d’Iraq ne pourront, jusqu’à ce que le titreles concernant soit transmis à l’acquéreur initial, faire l’objet d’aucune procédure judiciaireni d’aucun type de saisie, saisie arrêt ou autre voie d’exécution, que tous les États devrontprendre toutes les mesures voulues dans le cadre de leurs systèmes juridiques nationauxrespectifs pour assurer cette protection et que le produit de la vente de ces produits et les

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obligations y afférentes, ainsi que les avoirs du Fonds de développement pour l’Iraq,bénéficieront de privilèges et immunités équivalents à ceux dont bénéficie l’Organisationdes Nations Unies, à cela près que lesdits privilèges et immunités ne s’appliqueront pasaux procédures judiciaires à l’occasion desquelles il est nécessaire d’utiliser ce produit ouces obligations pour réparer des dommages liés à un accident écologique, notamment unemarée noire, survenant après la date d’adoption de la présente résolution;

23. Décide que tous les États Membres où se trouvent :a) Des fonds ou d’autres avoirs financiers ou ressources économiques du

Gouvernement iraquien précédent ou d’organes, entreprises ou institutions publiques quiavaient quitté l’Iraq à la date d’adoption de la présente résolution, ou

b) Des fonds ou d’autres avoirs financiers ou ressources économiques sortis d’Iraq ouacquis par Saddam Hussein ou d’autres hauts responsables de l’ancien régime iraquien oudes membres de leur famille proche, y compris les entités appartenant à ces personnes ouà d’autres personnes agissant en leur nom ou selon leurs instructions, ou se trouvant sousleur contrôle direct ou indirect, sont tenus de geler sans retard ces fonds ou autres avoirsfinanciers ou ressources économiques et, à moins que ces fonds ou autres avoirs financiersou ressources économiques n’aient fait l’objet d’une mesure ou d’une décision judiciaire,

administrative ou arbitrale, de les faire immédiatement transférer au Fonds dedéveloppement pour l’Iraq, étant entendu que, sauf si elles ont été soumises autrement, lesdemandes présentées par des particuliers ou des entités non gouvernementales concernantces fonds ou autres avoirs financiers transférés, peuvent être soumises au gouvernementreprésentatif de l’Iraq, reconnu par la communauté internationale; et décide en outre queles privilèges, immunités et protections prévus au paragraphe 22 s’appliqueront aussi à cesfonds, autres avoirs financiers ou ressources économiques;

24. Prie le Secrétaire général de faire rapport au Conseil à intervalles réguliers surl’action menée par le Représentant spécial pour appliquer la présente résolution et lestravaux du Conseil international consultatif et de contrôle et encourage les États-Unisd’Amérique et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord à informer leConseil à intervalles réguliers des efforts qu’ils déploient dans le cadre de la présenterésolution;

25. Décide d’examiner l’application de la présente résolution dans les 12 mois suivantson adoption et d’envisager d’autres mesures qui pourraient être nécessaires.

26. Demande aux États Membres et aux organisations internationales et régionales deconcourir à l’application de la présente résolution;

Décide de rester saisi de la question.

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Le droit de l'occupation militaire à l'épreuve de la reconstruction de l'Etat par les puissancesoccupantes en Irak

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Résumé

La tendance aux occupations transformatrices observée depuis la Seconde GuerreMondiale se reflète dans l'occupation de l'Irak par les Etats-Unis et le Royaume-Uni d'avril2003 à mai 2004. Il existe ainsi une contradiction évidente entre le comportement del'occupant tel que prescrit par le droit dans le Règlement de la Haye de 1907 et la IVèmeConvention de Genève de 1949 et la pratique de l'Autorité Provisoire de la Coalition enIrak. En effet, les principes conservateurs du droit, le respect du statu quo ante bellum etdes structures politiques et économiques en place, ont été ignorés dans cette entreprisede reconstruction de l'Etat de grande ampleur. Ces réformes trouvent donc très peu dejustifications légales et amènent les chercheurs à s'interroger sur l'opportunité d'une réformedu droit de l'occupation.

Mots-clésIrak, droit international humanitaire, droit de l'occupation, droits de l'homme, Etats-Unis,

Moyen-Orient, Conseil de Sécurité, Nations-Unies, auto-détermination