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Douleurs Évaluation - Diagnostic - Traitement (2014) 15, 81—83 Disponible en ligne sur ScienceDirect www.sciencedirect.com DROIT ET DOULEUR Le droit peut-il aider à bien vieillir ? Can the law help to age well? Nathalie Lelièvre 1 Lyon, France Rec ¸u le 18 evrier 2014 ; accepté le 18 evrier 2014 Disponible sur Internet le 27 mars 2014 MOTS CLÉS Anticipation ; Mandat de protection future ; Respect de la personne ; Personne de confiance Résumé Être âgée n’est pas reconnue comme une pathologie. Pourtant, on peut se poser la question lorsque le patient n’est plus un sujet mais devient un objet du corps médical. Au motif que le patient soit âgé, il va être parfois écarté du processus de décision relatif à sa santé. Décider de taire un diagnostic à un patient au seul motif qu’il est âgé est contraire à la réglementation. De surcroît, informer la famille et décider avec elle des soins en laissant dans l’ignorance le patient sur ce seul motif peut constituer une double infraction : violation du secret médical et maltraitance de la personne. Le droit veille au respect de la personne et lui permet même d’anticiper sur une éventuelle vulnérabilité par la désignation d’une personne de confiance (respect de la volonté du patient) ou la rédaction d’un mandat de protection future (organisation, gestion des biens et des choix afférents à la personne). © 2014 Publié par Elsevier Masson SAS. Il peut sembler saugrenue de penser que le droit puisse avoir un impact sur le vieillis- sement de la population, voire aider à « bien vieillir », thème très en vogue ces derniers mois. Et pourquoi pas ? On associe trop souvent le droit aux notions de répression, répara- tion du dommage corporel. Le droit c’est aussi anticiper, prévenir, et on méconnaît trop souvent ce domaine-là. L’objet de la présente étude est de présenter les outils juridiques permettant à tout à chacun d’anticiper sur les effets du grand âge afin que la volonté de la personne soit respectée à tout moment de la vie et quel que soit son état de santé. Adresse e-mail : [email protected] 1 Juriste spécialisée en droit de la santé ; AEU droit médical, DESS droit de la santé ; certificat d’aptitude à la profession d’avocat ; membre de la commission « Éthique et Douleur » ; espace éthique méditerranéen ; chargée de conférence. http://dx.doi.org/10.1016/j.douler.2014.02.006 1624-5687/© 2014 Publié par Elsevier Masson SAS.

Le droit peut-il aider à bien vieillir ?

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Douleurs Évaluation - Diagnostic - Traitement (2014) 15, 81—83

Disponible en ligne sur

ScienceDirectwww.sciencedirect.com

DROIT ET DOULEUR

Le droit peut-il aider à bien vieillir ?

Can the law help to age well?

Nathalie Lelièvre1

Lyon, France

Recu le 18 fevrier 2014 ; accepté le 18 fevrier 2014Disponible sur Internet le 27 mars 2014

MOTS CLÉSAnticipation ;Mandat de protectionfuture ;Respect de lapersonne ;Personne deconfiance

Résumé Être âgée n’est pas reconnue comme une pathologie. Pourtant, on peut se poserla question lorsque le patient n’est plus un sujet mais devient un objet du corps médical. Aumotif que le patient soit âgé, il va être parfois écarté du processus de décision relatif à sasanté. Décider de taire un diagnostic à un patient au seul motif qu’il est âgé est contraire àla réglementation. De surcroît, informer la famille et décider avec elle des soins en laissantdans l’ignorance le patient sur ce seul motif peut constituer une double infraction : violation dusecret médical et maltraitance de la personne. Le droit veille au respect de la personne et luipermet même d’anticiper sur une éventuelle vulnérabilité par la désignation d’une personne deconfiance (respect de la volonté du patient) ou la rédaction d’un mandat de protection future

(organisation, gestion des biens et des choix afférents à la personne).© 2014 Publié par Elsevier Masson SAS.

Il peut sembler saugrenue de penser que le droit puisse avoir un impact sur le vieillis-sement de la population, voire aider à « bien vieillir », thème très en vogue ces derniersmois. Et pourquoi pas ? On associe trop souvent le droit aux notions de répression, répara-

tion du dommage corporel. Le droit c’est aussi anticiper, prévenir, et on méconnaît tropsouvent ce domaine-là. L’objet de la présente étude est de présenter les outils juridiquespermettant à tout à chacun d’anticiper sur les effets du grand âge afin que la volonté dela personne soit respectée à tout moment de la vie et quel que soit son état de santé.

Adresse e-mail : [email protected] Juriste spécialisée en droit de la santé ; AEU droit médical, DESS droit de la santé ; certificat d’aptitude à la profession d’avocat ; membre

de la commission « Éthique et Douleur » ; espace éthique méditerranéen ; chargée de conférence.

http://dx.doi.org/10.1016/j.douler.2014.02.0061624-5687/© 2014 Publié par Elsevier Masson SAS.

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ssnfpdYpersonne de confiance ». Enfin, concernant le choix de lapersonne de la personne de confiance, c’est au libre choixdu patient. Il est libre de choisir la personne qu’il souhaitedésigner.

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ne réglementation spécifique à laersonne âgée est-elle souhaitable ?

a réglementation actuelle ne prévoit pas de dispositionarticulière concernant la personne âgée. Faut-il le déplo-er ? L’âge serait-il un critère suffisant pour déterminer sia personne est apte à émettre un consentement conformeux règles de l’art ? Bien évidemment NON. Cela signifieraitue l’on fixerait un âge à partir duquel la personne seraitépouillée de ses droits au seul motif que son grand âgee lui permettrait plus de donner un consentement libre etclairé. Au regard de la loi, la personne âgée est une per-onne comme tout le monde. Tant que la personne n’est paslacée sous un régime de protection judiciaire (sous réservees dispositions de la loi du 5 mars 2007 portant réforme dea protection juridique des majeurs), elle doit être consul-ée et on doit tenir compte de son avis. Là où la loi neait pas de distinction, il n’y a pas lieu d’en faire. Le faitue la personne âgée soit très souvent écartée des déci-ions la concernant ne signifie pas que cette pratique soitégale. Est-il utile de rappeler que coutume ne fait pas loi ?tre âgée n’est pas une pathologie justifiant une dispense’information.

e droit à l’information pour tous

onformément à la loi no 2002-303 du 4 mars 2002 relativeux droits des malades et à la qualité du système de santé,

Toute personne a le droit d’être informée de son état deanté ».

Pour quelles raisons dés lors que le patient a un certainge il va être exclu du processus de soins alors même qu’ile présente pas de troubles cognitifs et est complètementpte à répondre aux questions ?

L’information est destinée à éclairer la personne sur sontat de santé et lui permettre de prendre en connaissancee cause les décisions concernant sa santé et ses soins enonction de ce qu’elle estime être son intérêt. Pour cela,’information doit être claire, adaptée aux capacités de laersonne et délivrer tout au long de la prise en chargeu patient. La loi précise donc que toute personne a leroit d’être informée sur son état de santé. Toute per-onne, y compris les personnes qui sont sous tutelle, depuisa réforme du 5 mars 2007.

Trop souvent encore la famille sollicite l’équipe médicaleour taire un diagnostic grave au motif que le patient seaisserait mourir ou que son grand âge ne lui permettraitas d’entendre une telle information. On peut se demanderi le fait d’accéder à une telle demande on ne frôle pas laaltraitance même si la famille, les proches formulent cetteemande dans un souci de protection, de bienfaisance. Enffet, la mission du médecin est d’expliquer que le patient

le droit de savoir et que rien ne justifie que l’on lui cachen diagnostic.

Il est vrai que cette intention peut partir d’un bonentiment mais en l’occurrence, il convient surtout de’interroger, se poser les bonnes questions et garder comme

xe de réflexion le bon sens.

La loi du 4 mars 2002 mentionne deux hypothèses oùe médecin peut être dispensé d’information : l’urgence s

N. Lelièvre

édicale et l’hypothèse où le patient ne souhaite pas êtrenformé. Il convient de préciser que l’article R 4127-35 duode de santé public a fait l’objet de nombreuses modifica-ions. Désormais, le paragraphe dans lequel il était précisé

dans l’intérêt du malade et pour des raisons légitimes quee praticien apprécie en conscience, un malade peut êtreenu dans l’ignorance d’un pronostic graves » est ainsi rédigé

Un pronostic fatal ne doit être révélé qu’avec circons-ection, mais les proches doivent en être prévenus, saufxception ou si le malade a préalablement interdit cetteévélation ou désigné les tiers auxquels elle doit être faite ».

En conséquence, le médecin est tenu de toutdire au patient mais il doit le faire avec tact et

circonspection.

À titre d’information, le fait de taire un diagnostic à unatient au seul motif qu’il est âgé est contraire à la régle-entation. De surcroît, informer la famille et décider avec

lle des soins en laissant dans l’ignorance le patient sur ceeul motif peut constituer une double infraction : violationu secret médical et maltraitance de la personne.

Enfin, une personne âgée qui refuse des traitements n’estas ipso facto atteinte de troubles cognitifs. Il convient alorse voir avec elle les raisons de son refus.

« [. . .] Une société se juge à la facon dont elle traite sespersonnes âgées. Une société qui les délaisse, les sous-estime, les dévalorise n’a pas de sens [. . .] »

R. Sainsaulieu2

e droit de désigner une personne deonfiance

a personne âgée a le droit de désigner une personne deonfiance. Ce dispositif a été mis en place par la loi du

mars 2002. La personne de confiance, elle est là pour aidera personne. Elle a pour mission d’aider l’équipe, de don-er un avis. Mais en aucun cas l’équipe médicale doit seetourner uniquement vers la personne de confiance pourrendre une décision, notamment pour tout ce qui concernees limitations, arrêts de traitement.

Bien évidemment, l’équipe médicale consulte la per-onne de confiance si le patient n’est pas en mesure de’exprimer. La désignation de la personne de confiance’est nullement une obligation pour le patient. Cessons deaire culpabiliser les personnes qui ne désignent pas deersonne de confiance. Combien de fois on peut entendreans des couloirs de l’hôpital « Non vous n’avez pas d’ami ?

a bien quelqu’un quand même qui peut faire office de

2 « Hôpital local, lieu de travail », données sociales hospitalières,ynthèse 2002.

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Le droit peut-il aider à bien vieillir ?

Le seul cas pour lequel le patient ne peut pas désignerune personne de confiance concerne le patient placé soustutelle. Enfin, le patient âgé peut désigner une personnede confiance qui peut être un membre de la famille ou unami proche. Il est important que le patient puisse discuteravec la personne de confiance sur ses aspirations, limitationd’arrêt des traitements dans l’hypothèse d’une aggrava-tion de son état de santé. La présence de la personne deconfiance au côté du patient lors des entretiens médicauxpeut aider le patient à discuter, échanger sur son état desanté et les limites qu’il souhaite apporter. Le rôle de lapersonne de confiance est d’accompagner le patient, et del’aider dans ses prises de décision, mais non de décider pourlui.

Le binôme personne de confiance—patient permetd’anticiper sur les éventuelles complications et de garan-tir que la volonté du patient soit respectée lorsque celui-cin’est plus en mesure de s’exprimer. Cependant, l’actualitéde ces derniers jours montre combien il est important que lafamille, les proches soient également informés des décisionsdu patient pour prévenir tout conflit éventuel.

Anticiper les difficultés par la rédactiond’un mandat de protection future

Innovation de la loi du 5 mars 2007, le mandat de protectionfuture permet d’anticiper sa protection, en choisissant lapersonne qui sera chargée de gérer ses affaires le jour oùl’on ne pourra plus le faire soi-même. Il met ainsi celui quiest affaibli par l’âge ou la maladie au centre de toutes lespréoccupations.

La réforme de 2007 relative à la protection des personnesvulnérables permet à tout à chacun de rédiger un « mandatde protection futur » déterminant à l’avance l’organisation,

la gestion des biens et des choix afférents à la personne.

L’intérêt du mandat de protection future est double,car il permet, d’une part, d’organiser une véritable pro-tection de la personne vulnérable et non plus seulement

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e ses biens, et permet également d’éviter l’interventionu juge comme dans le cadre de la tutelle ou de la cura-elle. D’autre part, l’intérêt du mandat de protection futurest qu’il accorde au mandant une certaine liberté dans lehoix du mandataire, dans l’étendue de la protection etans son contenu, ainsi que dans la désignation du contrôlee l’activité du mandataire.

Il convient de préciser que le mandat de protection future’a pas vocation à organiser l’incapacité de la personneulnérable, qui conserve la capacité d’accomplir des actesuridiques. Il est prévu que la personne protégée recoive duandataire, si son état le permet, toutes les informations

elatives à sa situation personnelle, les actes concernés, leurtilité, leur degré d’urgence et les conséquences en cas deefus de sa part.

Moins impersonnel que la tutelle, le mandatassure une protection juridique sur-mesure de la

personne vulnérable et de son patrimoine.

En conclusion, la personne âgée conserve le plein exer-ice de ses droits tant que son état de santé ne justifieas une mise sous protection juridique. Préalablement,a personne peut anticiper la situation en désignant uneersonne de confiance. La mission de cette dernière est’accompagner le patient tout au long de son parcourse soins. En revanche, la personne de confiance ne dis-ose d’aucun pouvoir décisionnel. L’anticipation sur l’étate vulnérabilité peut également se faire par la rédaction’un mandat de protection future déterminant à l’avance’organisation, la gestion des biens et des choix afférents àa personne.

éclaration d’intérêts

’auteur déclare ne pas avoir de conflits d’intérêts en rela-ion avec cet article.