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Université Jean Moulin Lyon 3 École doctorale : Droit Le dualisme juridictionnel en matière fiscale Par Augustine MBOULI née MPESSA BEWEKEDI Thèse de doctorat en Finances publiques et fiscalité Sous la direction d‟Olivier NEGRIN Présentée et soutenue publiquement le 02 octobre 2009 Membres du jury : Jean-Luc ALBERT, Professeur des universités, Université Lyon 3 Martin COLLET, Professeur des universités, Université Paris 11 Ludovic AYRAULT, Professeur des universités, Université Rennes 1 Olivier NEGRIN, Professeur des universités, Université Lyon 2 Bernard CASTAGNEDE, Professeur des universités, Université Paris 1

Le dualisme juridictionnel en matière fiscale · Introduction « La loi suprême doit être, en cette matière, au- delà des principes, l’intérêt du justiciable. Celui-ci a

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  • Universit Jean Moulin Lyon 3

    cole doctorale : Droit

    Le dualisme juridictionnel en

    matire fiscale

    Par Augustine MBOULI ne MPESSA BEWEKEDI

    Thse de doctorat en Finances publiques et fiscalit

    Sous la direction dOlivier NEGRIN

    Prsente et soutenue publiquement le 02 octobre 2009

    Membres du jury :

    Jean-Luc ALBERT, Professeur des universits, Universit Lyon 3

    Martin COLLET, Professeur des universits, Universit Paris 11

    Ludovic AYRAULT, Professeur des universits, Universit Rennes 1

    Olivier NEGRIN, Professeur des universits, Universit Lyon 2

    Bernard CASTAGNEDE, Professeur des universits, Universit Paris 1

  • A Yvan-Louis et Anas-Florelle,

    A ma famille

    A la mmoire de Maman

  • Remerciements

    Au terme de cette recherche, je tiens exprimer ma profonde gratitude mon directeur de

    recherche, Monsieur le Professeur Olivier NEGRIN, pour la confiance quil ma accorde au

    dbut de ces travaux, pour sa disponibilit et pour tous les conseils quil ma prodigus tout

    au long de ces longues annes.

    Je remercie galement tous ceux qui mont permis de mener cette thse son terme. Je pense

    spcialement :

    A ma fille, mon poux, mon amie denfance et ma famille adoptive pour leur soutien

    moral et matriel,

    A toute lquipe du Centre de Recherches en Finances Publiques et Fiscalit, en particulier

    son Directeur, Monsieur le Doyen Jean-Luc ALBERT pour les conditions matrielles de

    travail offertes, pour ses encouragements et pour tous ses conseils aviss.

    Je remercie enfin tous ceux qui mont fait lhonneur de relire et de juger ce travail. Je pense

    particulirement Monsieur le professeur Eloi DIARRA, Monsieur ONANINA BOYOMO.

  • Table des principales abrviations

    AJDA : Actualit juridique. Droit administratif.

    APD : Agence de diffusion et de publicit Paris.

    BDCF : Bulletin des conclusions fiscales.

    BODGI : Bulletin officiel de la direction gnrale des impts.

    BOI : Bulletin officiel des impts.

    Bull. civ.: Bulletin des arrts de la chambre civile de la Cour de cassation.

    Bull. crim.: Bulletin des arrts de la chambre criminelle de la Cour de cassation.

    Bull. Joly: Bulletin Joly.Socit.

    CA : Cour dappel.

    CAA : Cour administrative dappel.

    CADA.: Commission daccs aux documents administratifs.

    Cass. civ.: Chambre civile de la Cour de cassation.

    Cass. com.: Chambre commerciale de la Cour de la cassation.

    Cass. crim.: Chambre criminelle de la Cour de la cassation.

    CE : Conseil dEtat.

    CGI : Code gnral des impts.

    Chr. : Chronique.

    CIF. : Commission des infractions fiscales.

    CJCE : Cour de justice des communauts europennes.

    COJ : Code de lorganisation judiciaire.

    COMM. : Commission europenne des droits de lhomme.

    Concl. : Conclusions du commissaire du gouvernement.

    CTA-CAA: Code des Tribunaux administratifs et des Cours administratives dappel.

    D. Recueil Dalloz-Sirey.

    Dr. fisc. : Revue droit fiscal.

    Dr. Pen. : Revue droit pnal.

    Dr. Soc. : Revue droit social.

  • JCP(e) : Juris-classeur priodique, Edition entreprise.

    JCP(g) : Juris-classeur priodique, Edition gnrale.

    JEX : Juge de lexcution.

    JO : Journal officiel.

    L.G.D.J : Librairie Gnrale de droit et de jurisprudence.

    LPA : Les petites affiches.

    LPF : Livre des procdures fiscales.

    NCPC : Nouveau code de procdure civile (devenu aujourdhui code de procdure civile).

    PFRLR : Principes fondamentaux reconnus par les lois de la rpublique.

    RDP : Revue de droit public et de science politique en France et ltranger.

    Rec. Recueil des arrts du Conseil dEtat (Recueil Lebon), Recueil des dcisions du Conseil

    constitutionnel ou recueil des arrts de la CEDH.

    RFDA : Revue franaise de droit administratif.

    RFDC : Revue franaise de droit constitutionnel.

    RFFP : Revue franaise de finances publiques.

    RFTJ : Revue franaise de thorie juridique.

    RGP : Revue gnrale de procdure.

    Rev. Huissiers.

    RJF : La revue de jurisprudence fiscale.

    Rev. Justices.

    RSF : Revue de Science Financire.

    RSFF. Revue de Science et de la lgislation Financire.

    S. Sirey.

    TA : Tribunal administratif.

    TGI : Tribunal de grande instance.

    PA : Les petites affiches.

  • Introduction

    La loi suprme doit tre, en cette matire, au- del des principes, lintrt du justiciable. Celui-ci a

    besoin dun juge proche de lui et rsolvant rapidement ses problmes. Il serait contraire cet intrt

    que lun et lautre des deux ordres de juridiction traitent cette question comme la dfense ou la

    conqute dun pr carr .

    Roland Drago, RFDA sept-oct. 1990. p. 763.

    Qualifier les faits, expliciter le contenu de la rgle de droit ou encore lappliquer une

    situation juridique dfinie est une mission reconnue toute juridiction. En matire fiscale,

    celle-ci prend une connotation particulire car dire le droit nest pas un devoir rserv une

    juridiction ou un ordre de juridiction. Cette mission est lapanage des deux ordres de

    juridiction prsents dans notre systme juridique: lordre judiciaire et lordre administratif.

    Aussi, le dualisme juridictionnel en matire fiscale voque la prise en charge de lensemble

    des litiges qui opposeraient ladministration fiscale aux contribuables lors de lapplication du

    droit fiscal, par ces deux ordres de juridiction1.

    Ladministration fiscale dont le rle principal est de lever limpt sollicite parfois de manire

    licite ou illicite le contribuable qui lui, est dans lobligation de rgler sa dette. Ce rglement

    peut ainsi intervenir spontanment ou au terme dune longue procdure juridictionnelle.

    Si la prsente recherche a pour but principal dtudier lapprhension du contentieux fiscal au

    niveau juridictionnel par les juges en charge de celui-ci, de prsenter les difficults lies

    lorganisation duale du systme juridictionnel fiscal et de mettre en avant les diffrentes

    mthodes permettant daboutir une certaine uniformit de la jurisprudence fiscale, et par

    consquent du systme juridique fiscal, elle ne sloigne pas fondamentalement des questions

    classiques qui entourent le sujet.

    1 Lexpression ordres de juridiction peut scrire de deux manires : ordres de juridictions ou ordres

    de juridiction . Certains auteurs en loccurrence Pierre Sargos, (P. Sargos, Juridiction administrative et juridiction judiciaire, 200 ans aprs la loi de 1790 : points communs et convergences entre les deux ordres de juridictions, AJDA Sept. 1990, I, doctrine, p. 585-590) ou encore Emmanuel Langavant (E. Langavant, La collaboration entre les deux ordres de juridictions, Thse, Droit, Lille, 1954, dacty, 280p.) ont opt pour la premire version. A loppos, dautres auteurs comme Yves Gaudemet, (Y. Gaudemet : Les questions prjudicielles devant les deux ordres de juridiction , RFDA, sept-oct. 1990, p. 765-770.) ou encore Jean-Franois Flauss (J.-F. Flauss Dualit des ordres de juridiction et Convention europenne des droits de lhomme , Mlanges J. Waline, p. 527) ont choisi la deuxime version. Ce choix est aussi le ntre parce que cest celui consacr dans le droit positif. En effet, lart 34 de la Constitution prcise que la loi fixe les rgles concernant la cration de nouveaux ordres de juridiction et le statut des magistrats . Dans le mme ordre dides, on comprend pourquoi lexpression dualit de juridiction tend suivre le mme rgime. Voir notamment pour cela R. Chapus, Dualit de juridiction et unit de lordre juridique, RFDA 1990, p. 739.

  • Le dualisme juridictionnel dune manire gnrale et spcifiquement dans le domaine fiscal a

    dj fait lobjet de nombreuses tudes approfondies2. Toutefois, aucune thse universitaire na

    eu dessein de traiter spcifiquement celle-ci, lexception de louvrage du professeur

    Bernard CASTAGNEDE. A travers le sujet quil a dvelopp, La rpartition des

    comptences juridictionnelles en matire fiscale 3, il a quelque peu abord la question : bel

    ouvrage malheureusement rattrap aujourdhui par lcoulement du temps. Trente sept ans

    aprs sa ralisation, se pose incontestablement la question de son actualisation sur certains

    points essentiels4.

    Aussi, il nous est permis de poser la question du dualisme juridictionnel en matire fiscale

    comme objet de recherche car, bien que le thme soit aussi vieux que nos institutions, la

    question reste trs actuelle. En effet, si certains ouvrages consacrs au contentieux rendent

    compte de ltat actuel sans mettre une opinion partisane ou non sur son maintien, force est

    de souligner que, dans la plupart des cas, son bien fond ou sa nocivit est constamment

    invectiv(e).

    Ltude du dualisme juridictionnel mettra donc en exergue la prise en charge du contentieux

    fiscal par les juges (administratif et judiciaire). Le juge5, au sens gnrique, dsigne et

    dsignera tout au long de cette tude, tous les organes qui exercent la fonction juridictionnelle

    c'est--dire la fonction consistant juger 6. Cest une obligation et un devoir

    7 si on sen

    tient aux dispositions de lart 4 du code civil: le juge qui refusera de juger, sous prtexte du

    silence, de lobscurit ou de linsuffisance de la loi, pourra tre poursuivi comme coupable de dni de

    justice8. Laction du juge fiscal

    9 est dautant importante quelle implique souvent de

    2

    Plusieurs tudes ont dj t menes par la doctrine sur le sujet. Voir notamment en matire fiscale spcifiquement : J. Boulouis, Procs du juge fiscal , RSF 1957, p. 631, B. Ducamin, Le Conseil dEtat juge fiscal , AJDA, 1962-I-p. 204, M. Chrtien, Rflexions sur la dualit juridictionnelle en matire fiscale in Mlanges Marcel Waline, tome I, LGDJ, 1974, pp. 115 et s. P. M. Gaudemet, Rflexions sur les rapports du juge et du fisc , Mlanges Marcel Waline, tome I, LGDJ, 1974, p. 127 et s; C. Lasry, Le Conseil dEtat, juge de limpt : EDCE 1955, p. 58 ; G. Gest, La dualit de la juridiction fiscale in Le juge fiscal, sous la direction de R. Hertzog, Economica, 1988, pp. 51-63 ; B. Castagnde, La rpartition des comptences juridictionnelles en matire fiscale, Thse dact., Paris 1972. De manire beaucoup plus gnrale, R. Chapus, Dualit de juridiction et unit de lordre juridique, RFDA, 1990, p. 739. ; F. Julien-Laferrire, La dualit de juridiction, un principe fonctionnel ? , Mlanges en lhonneur de Roland Drago, p. 395 et s ; Le dualisme juridictionnel en 2005 : limites et mrites, Actes de colloque des 30 sept et 1

    er oct. 2005, Universit de la

    Rochelle, (dir.,) A. Van Lang, Dalloz 2007, 18 contributions, 262 p. 3 La rpartition des comptences juridictionnelles en matire fiscale, Thse dact., Paris 1972, op. cit

    4 La jurisprudence a volu et de nombreux impts sont apparus depuis sa rdaction.

    5 G. Wiederkehr, Quest-ce-quun juge ? , Mlanges Perrot, Dalloz, 1996, R spc. P. 583.

    6 Lexique des termes juridiques, Raymond Guillem et Jean Vincent, 4

    e d. Dalloz.

    7 S. Guinchard, Le juge dans la cit , JCP 2002, I, 137, n7.

    8La Cour dappel de Paris, (CA Paris, 1re ch. B, 6 sept. 1996 : Gaz. Pal. 8 oct. 1996) a reconnu que la

    responsabilit de lEtat pourrait tre engage pour dni de justice. 9 Expression emprunte au clbre ouvrage dirig par R. Hertzog. : Le juge fiscal, Economica, 1988. Cette

    expression sera cependant utilise pour dsigner lensemble des juges qui interviennent dans les contestations fiscales, indpendamment de leur ordre de juridiction. Son utilisation ne sera donc pas limite aux seuls juges

  • grands enjeux financiers tant pour le contribuable que pour ladministration fiscale. Mais,

    cette action reste complexe: deux juges pour une matire ! Cest en cela que la dualit en

    matire fiscale diffre de la dualit du systme juridictionnel entier. Le clivage est clair dans

    tous les autres domaines juridiques : en matire administrative, le juge comptent est le juge

    administratif, en matire pnale le juge pnal, en matire civile le juge civil etc. Or en matire

    fiscale, la ralit est tout autre.

    Cette recherche sarticule donc autour de laction de ce juge fiscal qui selon son ordre de

    juridiction utilise des mthodes plus ou moins divergentes de celle de son homologue, au

    cours de linstance fiscale. Ceci est droutant pour un profane mais demeure une source de

    questionnement pour nous. Cette action reste en effet instructive et constructive car elle

    permet daboutir la structuration des rgles de droit substantiel et processuel applicables en

    la matire. La dualit serait en cela un facteur dmulation du contentieux fiscal.

    La complexit, reproche le plus important fait au dualisme, demeure. La prsente tude ne le

    dmentira pas. La question lmentaire qui se pose au contribuable tant toujours celle de

    savoir quel juge saisir face une contestation fiscale quelle que soit sa nature10

    .

    Certes, il existe un seuil de complexit au dessous duquel il parat impossible de descendre 11

    de

    sorte que, la complexit serait inhrente au fonctionnement de nos institutions12

    juridictionnelles.

    Ainsi, malgr la mise en place de certains mcanismes visant simplifier laccs au juge pour

    le contribuable, force est de constater que le dualisme juridictionnel () ne dtonne pas dans un

    paysage juridictionnel dont la complexification va croissant13

    .

    administratif et judiciaire de limpt. Phillipe Marschessou prcise dailleurs ce sujet que : la notion du juge fiscal sest considrablement enrichie soulignant ainsi lintervention dans ce domaine la fois du juge europen et, le dveloppement du contentieux de lannulation et celui de la responsabilit. (Ph. Marchessou, Rflexions sur linterprtation des textes fiscaux , Mlanges Paul Amselek, Bruylant, 2005, p. 551- 564. prcisment p. 560.) 10

    La complexit de lorganisation de ladministration fiscale est lorigine de la mise en place dune rforme de cette dernire. A linstar du guichet unique qui est oprationnel pour les entreprises depuis quelques annes, la ministre de lconomie et des finances (Christine Lagarde) a annonc, en octobre 2007, la fusion des services fiscaux de lEtat (Direction gnrale des Impts et direction de la comptabilit publique.) dans le but de mettre en place un guichet fiscal unique pour les contribuables. Ceci permet de concentrer les services dassiette et de recouvrement. 11

    Franois Burdeau, La complexit nest-elle pas inhrente au droit administratif ? , in Cls pour le sicle, Dalloz, 2000, p. 417. 12

    Le terme est utilis ici en considrant la signification que lui donne notamment P. Pactet, Les Institutions franaises ; PUF, coll. Que sais-je ? savoir institutions-organismes de droit public qui recouvrent une diversit dorganes (institutions politiques, administratives, juridictionnelles, internationales) et que J.-L. Bergel oppose aux institutions-mcanismes (ensemble organis de rgles cres par le droit objectif).J.-L. Bergel, Thorie gnrale du droit, 4

    e d. Dalloz. p. 205 et s.

    13 Agathe Van Lang, Le dualisme juridictionnel en France : une question toujours dactualit , AJDA sept

    2005, n32/2005, p.1763.

  • La prise en charge des contestations fiscales par les deux ordres de juridiction montre donc

    que le traitement de celles-ci est la fois vari et divers. Vari cause de la diversit des

    demandes adresses au juge et divers car, en tout tat de cause, la procdure applicable ce

    contentieux devant lordre administratif est diffrente de celle qui prvaut devant lordre

    judiciaire. Ceci augure de labsence dune procdure fiscale contentieuse uniforme. Toutefois,

    cette complexit ne devrait pas poser de problme si la stabilit du contentieux et la scurit

    juridique sont garanties.

    En dpit de tout, sur le plan purement thorique, lobjectif primordial recherch demeure la

    garantie de lunit du systme juridique. Cest une approche trs formelle du droit14

    car seul

    laspect technique est privilgi. Mais comment ne pas sy attacher dans le cadre dune

    matire aussi empirique et mouvante15

    que celle du droit fiscal ?

    Ltude de la jurisprudence et celle de la doctrine, ont aussi permis denraciner lide selon

    laquelle le dualisme juridictionnel en matire fiscale est source de complexit. En outre, cette

    tude nous a galement conduits, mieux comprendre lapprhension du droit par les juges

    des deux ordres. Enfin, elle a permis de raliser une comparaison entre les deux approches, du

    moins en ce qui concerne spcifiquement le contentieux de limpt.

    Comme le rappelait encore Madame MAZARS, Conseiller la Cour de cassation et vice

    prsidente du Tribunal des Conflits : la rpartition des contentieux entre les deux ordres a pour

    effet de soumettre, sous des angles diffrents, aux juges des deux ordres les mmes questions de

    droit. 16

    . Cette assertion est relle et vrifiable en matire fiscale car bien que les impts

    soient de nature diffrente, les questions poses au juge restent globalement les mmes

    (demande dannulation ou de rformation dun acte ou dune disposition ou encore dune

    procdure, ce qui se traduit concrtement en demande de dcharge ou dgrvement, fixation

    dune indemnit).

    A lissue de la comparaison, sont apparues des divergences et convergences de rgles de droit

    substantielles et processuelles. La doctrine visite et utilise nous permet de mieux structurer

    lensemble la lumire de prceptes dESMEIN : la doctrine permet dclairer la

    14

    J.-L. Bergel, Thorie gnrale du droit; op. Cit., p.9. 15

    Marcel Martin soulignait il y a quelques annes que les mcanismes qui rgissent les prlvements fiscaux sont dune complexit sans cesse accrue et le Code gnral des impts qui en est l expression crite, prend de plus en plus lallure dune encyclopdie quil est ncessaire de mettre jour de faon quotidenne tant la matire subit de permanents changements. M. Martin, Limpt dvorera t-il son juge ? , Dr. fisc. 1986, n16-17, p. 544. 16

    Marie-France Mazars, Le dualisme juridictionnel en 2005, point de vue dun juge judiciaire , AJDA sept 2005, n32/2005, p.1777 et s.

  • jurisprudence acquise grce la mthode historique et de mieux prparer lavenir grce la

    synthse que lon en fait17

    .

    Le dualisme juridictionnel est donc consacr institutionnellement et enracin dans la matire

    fiscale. Ce thme reste toujours dactualit18

    puisque la dualit juridictionnelle subit limpact

    de lvolution de la socit contemporaine. LEurope et ses institutions sont en effet des

    facteurs considrer et intgrer dans lordonnancement juridique interne car, bon nombre de

    textes nationaux subissent leur influence de manire directe ou indirecte19

    . Les traits des

    communauts et de lUnion Europenne ont institu des ordres juridiques supranationaux qui

    simposent aux systmes juridiques des Etats membres20

    . En outre, limpact de la Convention

    Europenne de Sauvegarde des Droits de lHomme doit galement tre soulign.

    De plus, le Conseil constitutionnel, grce lmergence de sa jurisprudence21

    , contribue dans

    la majeure partie des cas la fixation de rgles uniformes applicables par les deux ordres de

    juridiction22

    .

    Cette recherche prsente donc lavantage de reprendre les problmatiques classiques qui

    entourent la question en les replaant dans la sphre fiscale, mais aussi dintgrer lensemble

    des questions nouvelles notamment celles relatives la rpartition des instances fiscales des

    nouveaux impts et taxes (CSG sur les revenus du patrimoine et les produits de placement 23

    -

    ISF et cotaxes). Le lgislateur, qui avait trac une ligne de dmarcation tanche entre les

    deux ordres de juridiction au travers de larticle L. 199 du LPF, semble avoir dmissionn et

    17

    A. Esmein, La jurisprudence et la Doctrine : cent ans aprs R. T. D, civ. 1902, p. 1 et s. 18

    Un colloque (non spcifique la matire fiscale) lui tait encore consacr les 30 septembre et 1er

    octobre 2005 ; colloque organis par luniversit de la Rochelle. De plus, le systme a fait lobjet dune tentative de rforme en mai 2008 (Voir le rapport n892 du 15 mai 2008, ralis au nom de la commission des lois par Jean-Luc Warsmann sur le projet de loi constitutionnelle n820, p. 239). A loccasion de ltude du projet de loi constitutionnelle de la modernisation de la V Rpublique, Jean- Luc Warsmann, prsident et rapporteur de la commission des lois a propos un amendement visant modifier lart 34 de la Constitution. Le but tait de permettre au lgislateur de crer des blocs de comptence dans un but de simplification. La question de la dualit juridictionnelle reste donc discute et continue danimer de nombreuses rflexions. 19

    Les directives lient tout Etat membre destinataire quant au rsultat atteindre, tout en laissant aux instances nationales la comptence quant la forme et aux moyens. Les rglements sont des textes de porte gnrale, obligatoires dans tous leurs lments et directement applicables dans tout Etat- membre. 20

    Le caractre obligatoire de ces normes dont le but est dharmoniser les rgles applicables dans les diffrents Etats membres permet la convergence de systme juridique. Ce phnomne est dailleurs dcrit avec beaucoup de prcision dans Les rapports gnraux du XVIe Congrs International de droit compar. (International Academy of comparative Law, Convergence of legal systems in the 21st centurys (Brisbane, Australia, 14-20 july 2002; Bruylant, Bruxelles 2006.) 21

    L. Phillip, Droit fiscal constitutionnel, Paris, Economica, coll. Finances publiques, 1990 ; Louis Favoreu, L. Phillip, Les grandes dcisions du Conseil du conseil constitutionnel, Paris, Dalloz, 10

    e d., 2001.

    22 Voir notamment sa dcision, 27 dcembre 1973 (51DC) sur lgalit devant la loi propos de la loi de finances

    pour 1974 qui instituait une discrimination entre les contribuables, en interdisant aux titulaires de revenus levs, la possibilit dapporter une preuve contraire une dcision de taxation doffice de ladministration les concernant ; celle du 30 dcembre 1981 (133 DC), 405 DC du 29 dc. 1998 ; 419 DC, du 9 nov. 1999 et 437, du 19 dc. 2000, sur lgalit devant la loi fiscale. 23

    TC, 3 juill.2000, Magnies, n 3192, RJF 3/01, n364, (comptence attribue la juridiction administrative, pour le reste, comptence judiciaire).

  • laiss le champ au juge pour rgler la question. Aussi, dans certains cas, ce dernier se

    substitue au lgislateur et rpartit la comptence juridictionnelle.

    Ds lors, la dfinition du champ de cette tude parat primordiale (1). Cette dfinition doit tre

    complte par sa problmatique gnrale (2).

    I- Le Dualisme juridictionnel en

    matire fiscale

    Le Dualisme juridictionnel en matire fiscale : le titre de ltude seul suffit entrevoir

    ltendue du travail raliser. Mais avant dentrer dans le vif du sujet, il serait judicieux de

    dfinir les contours de ce dernier. Si celui-ci parat demble phmre pour les esprits non

    avertis, il reste lourd de signification pour les plus aviss.

    Dfinir la notion de dualisme juridictionnel parat donc essentiel (A), avant daborder celle

    relative la matire fiscale (B).

    A-Le Dualisme juridictionnel

    Le dualisme est une notion qui a galement pour synonyme dualit (1). Il est associ

    ladjectif qualificatif juridictionnel dans le but de marquer la prsence de deux ordres

    juridictionnels24

    dans le traitement du contentieux fiscal (2).

    1-Le dualisme ou la dualit

    Le Dualisme , terme interchangeable avec celui de Dualit , vient tymologiquement du

    mot latin dualis qui signifie compos de deux25

    . Selon le dictionnaire Robert, ce terme

    voque un systme qui admet la coexistence de deux principes irrductibles. Ds lors, la

    question qui se pose est celle de savoir si le dualisme est un principe26

    irrductible.

    24

    Lordre de juridiction dsigne un ensemble de juridictions (tribunaux) places sous le contrle de cassation dune mme juridiction suprieure. En France, les juridictions administratives sont places sous le contrle du Conseil dEtat, et les juridictions judiciaires sous celui de la Cour de cassation. Les conflits de comptence entre ces deux ordres de juridiction tant rgls par le Tribunal des Conflits. (Source : Lexique des termes juridiques 14

    e d. Dalloz. 2003 p. 407.)

    25 Dictionnaire tymologique, Albert Dauzat, d. Larousse, 1938.

    26 On pourra toujours sinterroger sur la polysmie du terme principe . Voir notamment, Les principes en

    Droit, (dir, S. Caudal), Actes de Colloque des 13 et 14 dcembre 2007, EDP de Universit Jean Moulin, Lyon III, Economica 2008, 22 contributions, 387 p.

  • Cette question prend tout son sens dans la mesure o le dualisme est n dune situation

    cre 27

    par deux processus aujourdhui incontournables dans lhistoire des institutions

    juridictionnelles franaises: la sparation des pouvoirs28

    et la sparation des autorits

    administratives et judiciaires29

    .

    Le dualisme est donc n dune situation cre. Etymologiquement, il est difficile a priori de

    lui reconnatre la valeur de principe. Pourtant Jean-Louis BERGEL ne dit-il pas que : Les

    juristes, partant des solutions tablies par des textes, la tradition judiciaire ou la pratique, les rattachent

    des principes gnraux dont on peut ensuite dduire dautres solutions pour rsoudre des problmes

    nouveaux, de nouvelles formes dactivits, de nouveaux rapports juridiques 30

    . Aussi, n dune

    situation cre, le dualisme juridictionnel a acquis depuis lors le caractre dun principe grce

    la Constitution (article 66) et la dcision du Conseil constitutionnel du 23 janvier 198731

    mme si certains auteurs, dont Claude GOYARD affirment le contraire32

    .

    Certes, le dualisme nest pas une loi gnrale qui sest vrifie exprimentalement. Il nen

    demeure pas moins quil sagit du fondement thorique sur la base duquel fonctionne la

    machine juridictionnelle franaise. En dfinitive, lexistence et la coexistence de deux ples

    de juridiction ont t riges en principe.

    Le dictionnaire des termes juridiques ne nous dmentira pas sur ce point, selon celui-ci : la

    dualit (de juridiction) est le principe dorganisation du systme juridictionnel franais, ()

    selon lequel il existe deux catgories (dites : ordres de juridictions 33

    )

    27

    Claude Goyard, lui parle de situation cre, Unit et plnitude de juridiction , Liber amicorum, Mlanges Jean Waline, (Gouverner, administrer, juger), Dalloz, p.597. 28

    Dclaration des droits de lhomme et du citoyen de 1789 intgre au prambule de la Constitution de 1958: Toute socit dans laquelle la garantie des droits nest pas assure ni la sparation des pouvoirs dtermine, na point de Constitution . Cet article est laboutissement de la pense dveloppe par Locke et Montesquieu. Ce dernier a en effet prcis que les fonctions de lEtat devaient tre spares entre trois pouvoirs distincts savoir le pouvoir lgislatif, le pouvoir excutif, et le pouvoir judiciaire. Ces pouvoirs tant confis respectivement au parlement, au gouvernement et aux juges. 29

    Les lois des 16-24 aot 1790 Les fonctions judiciaires sont distinctes et demeureront toujours spares des fonctions administratives ; les juges ne pourront, peine de forfaiture, troubler, de quelque manire que ce soit les oprations des corps administratifs, ni citer devant eux les administrateurs pour raison de leurs fonctions , et le dcret du 16 fructidor an III.

    Ces deux textes ont pour but de rserver ladministration la gestion de ses litiges et dviter les intrusions des juges judiciaires dans la fonction administrative. 30

    J.-L. Bergel, Thorie gnrale du droit, op. cit. p.6. 31

    Voir en ce sens F. Julien- Laferrire, La dualit de juridiction, un principe fonctionnel , Lunit du droit, Mlanges en lhonneur de R. Drago, Paris, Economica, 1996, p. 395- 426, Voir aussi, Th. S. Renoux, Lapport du Conseil constitutionnel la thorie de la sparation des pouvoirs , D. 1991, chron. p. 169. Cette valeur constitutionnelle reconnue au dualisme permet dobjecter que seule, une rvision constitutionnelle pourrait fondamentalement remettre en cause le dualisme juridictionnel. 32

    C. Goyard, Unit et plnitude de juridiction , op.cit. 33

    Lexique des termes juridiques, Raymond Guillem et Jean Vincent sous la direction de Serge Guinchard et Gabriel Montagnier, 14

    e d. Dalloz, 2003, p.234.

  • Ainsi le dualisme est inhrent aux juridictions depuis plusieurs sicles et nul besoin de

    rappeler que lexpression dualisme juridictionnel fait rfrence de manire quasi-certaine

    lternelle opposition entre les juridictions administrative et judiciaire.

    2- Le contentieux fiscal et la notion de juridiction

    Il est important, non seulement de mettre ici un accent sur la notion de juridiction et sur

    ladjectif qui en dcoule (b), mais surtout dinsister sur le fait que, de manire intrinsque, la

    juridiction prend en charge un litige opposant deux personnes ou deux catgories de

    personnes (a).

    a- Le contentieux fiscal

    Le contentieux considr comme un litige, un conflit, un diffrend 34

    ou une contestation

    opposant deux parties nest que du droit pathologique35

    . Cest de ce point de vue que

    lacception sera considre ce niveau de ltude. Sachant que, la dimension juridictionnelle,

    savoir le procs36

    (linstance qui induit lopposition de prtentions juridiques soumises

    une juridiction 37

    ), pourra parfois tre utilise selon le contexte.

    Or, circonscrire le contentieux fiscal ces aspects spcifiques serait ne pas tenir compte de la

    ralit plus vaste quenglobe la notion. Aussi, il est intressant de prciser que le contentieux

    fiscal sentend comme tant lensemble des voies de droit par lesquelles sont rgls les

    litiges ns de lactivit fiscale. 38

    . En dautres termes, il sagit de lensemble des contestations

    juridiques auxquelles lexercice des attributions de ladministration fiscale peut donner lieu. 39

    . Cest

    cette conception large qui sera retenue dans cette tude.

    Il sagit toutefois dune conception gomtrie variable puisquelle permet dinclure dans

    la notion de contentieux fiscal , deux types de contentieux. Ceux-ci matrialisent

    respectivement la conception large et restreinte de la notion savoir : le contentieux non

    34

    Voir A. Jeammaud, Conflit, diffrends, litige , Revue Droits, n 34, pp. 15-20. 35

    J-L. Bergel, Thorie gnrale du droit, op. cit., p. 331. 36

    Tout procs dclenche un processus que lon qualifie de procdural, mais on ne saurait confondre le procs avec la seule procdure stricto sensil contribue llaboration des structures destines rsoudre les conflits inhrents la vie en commun. Il engendre le besoin de lorganisation destine apprhender les litiges et les rsoudre. Le droit du procs est dabord le droit de lorganisation judiciaire. S. Guichard, M. Bandrac, M. Douchy, F. Ferrand, X. Lagarde, V. Magnier, H. Ruiz Fabri, L. Sinopoli, J.M. Sorel: Droit processuel: Droit commun et droit compare des procs. 2

    e d. Dalloz. 2003, p. 27.

    37 A. Jeammaud, Conflits, diffrends, litige , op. cit. p. 17.

    38 C.Gour, J. Moliner, G.Tourni, Les grandes dcisions de la jurisprudence fiscale, Droit fiscal, PUF., 1977,

    p.158 et s. 39

    L.Trotabas, Contentieux fiscal et juridiction administrative , Mlanges P. Negulesco, Bucarest, 1935, p. 783.

  • spcifiquement fiscal et le contentieux communment appel contentieux fiscal ou

    contentieux de limposition . Ces diffrentes conceptions ont une incidence sur le plan

    juridictionnel car, les critres organiques (juge comptent) et matriels (les rgles

    procdurales mises en uvre) sont les moyens permettant en pratique de les distinguer.

    Sur le plan organique, le contentieux non spcifiquement fiscal sera celui dans lequel

    interviendront les juges de droit commun (administratif ou judiciaire)40

    . Sur le plan matriel,

    ces derniers mettront en uvre les rgles procdurales de droit commun pour rsoudre les

    litiges fiscaux qui leur seront soumis. Toutefois, la survenance de ces litiges de droit commun

    en matire fiscale donnera parfois lieu la mise en uvre de rgles procdurales particulires

    dfinies par la loi. Ainsi, dans cette catgorie, on peut classer :

    le contentieux de lexcs de pouvoir dont le champ dapplication reste cependant

    limit dans le domaine fiscal

    le contentieux du recouvrement lorsque la rgularit formelle des actes de poursuite

    est conteste

    le contentieux de la rpression dans lequel, il est question dapprcier la responsabilit

    pnale du contribuable en cas dinfraction pnale caractre fiscal

    A ct de ces contentieux, on retrouvera donc le contentieux spcifiquement fiscal.

    Lintervention du juge de limpt (administratif ou judiciaire) encore couramment appel

    juge fiscal sera le critre organique permettant de faire la diffrence. Sur le plan matriel,

    ce dernier mettra en uvre des rgles contentieuses spcifiques, un corps de rgles autonomes

    et propres au contentieux fiscal. Rentreront donc dans cette catgorie trois types de

    contentieux:

    le contentieux de limposition dans lequel le contribuable conteste les oprations

    relatives lassiette et la liquidation de limpt ou des droits de douane ;

    le contentieux de la responsabilit de ladministration fiscale. Dans celui-ci,

    ladministration fiscale est somme de rparer les dommages causs au contribuable ou des

    tiers lors de lexercice de son activit par ses services. Ce contentieux rlve de la comptence

    du juge de limpt parce que les oprations permettant dengager la responsabilit de

    40

    Nous parlerons aussi parfois de dualit institutionnelle pour traduire le fait quil sagit du systme sur lequel repose notre organisation juridictionnelle. En effet, dans certains cas, le contentieux en matire fiscale ne droge pas au droit commun.

  • ladministration fiscale ne sont, ni dans leur cause, ni dans leur objet, dtachables de

    ltablissement et de la perception des impositions41

    ;

    le contentieux du recouvrement lorsque le contribuable conteste son obligation de

    payer limpt.

    Cette pluralit de contentieux dont la rsolution juridictionnelle interviendra dans la plupart

    des cas au terme dune procdure non spcifiquement fiscale, reprsente un handicap essentiel

    lunit juridictionnelle42

    .

    En ce qui concerne notamment le contentieux de limposition (le contentieux de lassiette et

    celui du recouvrement), la tendance est de privilgier les rglements amiables. Linstitution en

    2002 dun mdiateur du ministre de lEconomie et des finances43

    conforte cette option.

    Lintervention du juge est donc lultime recours en cas de rejet total ou partiel dune

    rclamation pralable.

    La procdure devant le juge devrait pralablement et obligatoirement44

    tre prcde dune

    phase administrative45

    dans un souci de bonne administration de la justice. Cest la raison

    pour laquelle cette phase ne sera pas occulte ; sachant que la phase juridictionnelle cest--

    dire, la fonction de rendre la justice reconnue aux juges retiendra particulirement notre

    attention.

    Cette fonction de juger est une mission densemble qui englobe celle de dire le droit dans

    lexercice de la juridiction contentieuse : le lien entre linstitution (la juridiction) et sa

    fonction ayant toujours t affirm46

    .

    b- Juridiction ou juridictionnel

    41

    La procdure applicable devant les juges reste la procdure de droit commun applicable devant chaque ordre de juridiction. Il faut toutefois prciser que la mise en jeu de responsabilit de ladministration fiscale relve en principe de la comptence de la juridiction administrative lorsque le dommage a t caus en dehors de toute contestation relative lassiette ou la perception de limpt. Dans ce cas, la rparation se fait dans les conditions de droit commun de la responsabilit administrative. (Voir notamment Dossiers Pratiques Francis Lefebvre, Contentieux fiscal, 2002, p. 770, n 5182). 42

    C'est--dire lunit de ladministration de la justice qui aboutirait lunit jurisprudentielle. 43

    Dcret n 2002-616 du 26 avril 2002 instituant un mdiateur du ministre de lEconomie, des Finances et de lIndustrie : J. O. 28 avril 2002. 44

    Art R*. 190-1 et s. du LPF. Cest une obligation mme si le directeur ou un inspecteur a indiqu au contribuable que sa rclamation ventuelle ne pourra faire lobjet dun accueil favorable : CE, Pln., 26 avr.1976, req.n 95. 585 : Dr fisc. 1976, c. 1441 concl. Labry. 45

    Deux phases permettent de distinguer le contentieux fiscal: la phase gracieuse encore qualifie de phase contentieuse non juridictionnelle (ou administrative) qui implique un recours hirarchique, et la phase contentieuse juridictionnelle dans laquelle intervient le juge. 46

    Voir notamment Francis Kernaleguen, Institutions judiciaires, Litec, 3e dition.

  • Associ aux juridictions, le vocable dualisme voque incontestablement lexistence de

    deux amas dinstitutions comptentes pour rgler les litiges : il existe deux catgories ()

    de juridictions:

    des juridictions administratives, dont la juridiction suprme est le Conseil dEtat,

    charges de connatre la plupart des litiges dans lesquels sont en cause lEtat ou les

    collectivits publiques ;

    des juridictions judiciaires, pour le reste, dont la juridiction suprme est la Cour de

    cassation 47

    . Ces dernires seraient donc indpendantes les unes des autres. Ceci

    justifierait la ngation de toute ide de hirarchie entre elles, mme si historiquement, lune

    pourrait avoir t cre avant lautre48

    .

    Quant au terme Juridiction , duquel dcoule ladjectif qualificatif juridictionnel, lui-

    mme est un mot emprunt du latin jurisdictio qui veut dire action de dire le droit et de

    mettre fin des contestations49

    ; ensemble des tribunaux de mme nature. La juridiction revt

    ainsi deux versants : une dimension organique qui fait rfrence la structure, linstitution,

    (dont le synonyme est en lespce, le tribunal) et une dimension fonctionnelle dans laquelle

    laspect essentiel est lactivit mene par ce dernier.

    Dans le mme ordre dides, le dictionnaire labor par lAssociation Henri CAPITANT50

    ,

    sous la direction de Grard CORNU, dfinit ce terme comme tant un adjectif se rapportant

    la juridiction prise soit comme un organe (le tribunal), soit comme une fonction (laction de

    rendre la justice).

    Ainsi, serait juridictionnel lacte par lequel une juridiction tranche une contestation, un conflit

    entre les parties au terme dune procdure organise et qui, pour toutes ces raisons, serait

    revtu de lautorit de chose juge51

    . En dautres termes, lacte juridictionnel est celui qui,

    dune part mane dune juridiction et qui, dautre part tranche un litige entre deux adversaires 52

    47

    Lexique des termes juridiques, op. cit. 48

    Nous reviendrons sur lvolution historique relative la naissance des juridictions administratives. 49

    M. Verpeaux, La notion rvolutionnaire de juridiction , Rev. Droits, 9-1989, p. 2-44, souligne quau cours de la priode rvolutionnaire, le terme juridiction est ignor par le lgislateur puisque le chapitre V du titre II de la constitution de 1791, consacr au pouvoir judiciaire, ny fait pas rfrence. Il prcise aussi que si en revanche, le terme juridiction est employ dans le titre II de la loi des 16-20 Aot 1790, cest pour dsigner les tribunaux et non pas la fonction juridictionnelle. 50

    Vocabulaire juridique, Association Henri Capitant (Sous la direction de Grard Cornu), d. Presses universitaires de France. 7

    e d. p. 850-852.

    51 Vocabulaire juridique, Association Henri Capitant, op. cit. Voir aussi, O. Gohin, Quest ce quune juridiction

    pour le juge franais ? , rev. Droits 9-1989, p 97. 52

    R. Perrot, Institutions judiciaires, Ed. Montchrestien, 1983, n 568 et s.

  • Sachant que lacte peut tre caractris par un seul des trois critres suivants: les deux

    premiers tant les critres organique et formel. Ceux-ci traduisent lacte manant des

    tribunaux spcialiss, hirarchiss et indpendants. Ils appliquent le droit en suivant des rgles

    particulires de procdure. Le dernier, le critre matriel, implique la finalit c'est--dire, le

    respect de lordre juridique, le constat du droit et les consquences qui rsultent dudit

    constat53

    . Cette dfinition prendrait donc en compte les dcisions gracieuses rendues par des

    organes respectant les prrogatives sus cites.

    Dans le cadre de cette tude, ce dernier aspect sera volontairement cart car cela conduirait

    considrer que certaines institutions constitueraient des juridictions. Une telle approche aurait

    pour consquence immdiate de dnaturer la prsente tude et de lui donner un champ

    dapplication autre54

    ; alors quil est question de la limiter aux deux ordres de juridiction en

    charge du contentieux fiscal en France.

    Toutefois, la dimension europenne ne peut tre lude car nul besoin de rappeler le rle, au

    demeurant primordial, que jouent les instances europennes dans la rsolution des litiges

    nationaux des Etats membres.

    Aussi bien la Cour de justice des communauts (CJCE) que la Cour europenne des droits de

    lhomme (CEDH)55

    , travers leurs abondantes jurisprudences, ont prcis les contours de la

    notion sur le plan europen et par consquent sur lapprhension de celle-ci par les Etats

    membres.

    Certes, sur certains points, les divergences sont de rigueur mais dune manire gnrale un

    accord de principe est mis en avant sur les aspects organiques fondamentaux56

    .

    Pour le droit communautaire dont lidologie est dfendue par la CJCE, plusieurs critres

    doivent tre remplis pour que lon soit en prsence dune juridiction. Cette dernire doit tre

    institue de faon permanente par une loi, tre indpendante et investie dune comptence

    53

    Olivier Gohin va dans le mme sens. Il prcise que si lidentification dune juridiction peut tre directe par le truchement dune loi explicite, elle peut aussi tre idirecte et dcouler soit de lidentification par lacte juridictionnel qui mane de lorgane investi de la fonction juridictionnelle, soit de celle des consquences qui sattachent ncessairement la nature juridictionnelle de lorganisme (composition, procdure, voies de recours etc.) O. Gohin, Quest ce quune juridiction pour le juge franais ? , rev. Droits 9-1989, p 97. 54

    En effet, cela conduirait intgrer ici le rglement au moyen de larbitrage, et toutes les procdures non juridictionnelles de rglement de litiges, ds le moment o il y aurait une tierce personne pour trancher un diffrent entre ladministration fiscale et le contribuable. 55

    Ces deux juridictions, si elles sont importantes en matire fiscale, cest surtout parce que leur interprtation des conventions permet dassurer presque toujours la cohsion du systme national. Ce nest que dans ce sens quelles seront mises en lumire dans cette tude. En effet, elle ne juge point les contestations opposant ladministration fiscale et les contribuables. 56

    Une trs belle tude a t ralise cet effet : Robert Kovar, La notion de juridiction en droit europen , Liber amicorum, Mlanges Jean Waline, Gouverner, administrer, juger. d.Dalloz) p. 607 628.

  • obligatoire qui lui permette de statuer sur les litiges en droit au terme dune procdure

    contradictoire.

    Toutefois, le caractre contradictoire nest pour autant pas primordial pour la Cour de justice

    des communauts europennes. En effet, comme le prcise Robert KOVAR : dans son arrt

    du 21 fvrier 1974, Birra Dreher57

    , elle (la cour de justice de communaut) confirme quil (suffit de

    constater que le Prtoire exerce une fonction juridictionnelle au sens de larticle 177 du Trait et

    quune interprtation du droit communautaire a t, par lui, estime ncessaire pour rendre sa dcision,

    sans quil y ait lieu pour la Cour de considrer le stade de la procdure en conclusion de laquelle le

    juge national a formul la question prjudicielle) . Plus encore dans un arrt plus rcent, la cour a

    renforc sa position en prcisant que lexigence dune procdure contradictoire ntait pas un

    critre absolu58

    .

    Cest sur ce point que sa jurisprudence diverge de celle de la CEDH. Pour cette institution qui

    reprsente lautre versant du droit europen, cest un critre dcisif. Il est capital dans la

    ralisation de lexigence pose par lart 6 paragraphe 1 de la Convention europenne des

    droits de lhomme, savoir la garantie d un procs quitable pour tout justiciable. Cela

    sexplique certainement par le fait que pour la CJCE, seule la dimension relative au rglement

    dun litige (laspect matriel) est importante. Elle privilgie donc la finalit. Alors que pour la

    CEDH, cest laspect formel du procs qui est le plus important. En dautres termes, ce sont

    les conditions mises en place pour aboutir au rglement du litige, le respect de la procdure,

    qui importent.

    Sur ce motif essentiel quest le caractre contradictoire dune procdure juridictionnelle, la

    CEDH a dni la qualit de juridiction la section du contentieux du Conseil dEtat des Pays-

    Bas59

    . Ainsi, suivant que lon se rfre lune ou lautre instance europenne, une institution

    pourrait avoir ou non la nature de juridiction. Cette conception divergente de la notion de

    juridiction nous intresse. Si, comme le fait remarquer Robert KOVAR, la CJCE a reconnu

    le caractre de juridiction des instances nationales dans le cadre de la justice retenue ds

    lors que ces dernires sont charges de rsoudre des litiges ou de trancher des contestations

    sur la base du droit 60

    , que dire du directeur des services fiscaux qui rend sa dcision

    lorsquil est saisi dune demande pralable du contribuable ?

    57

    CJCE, arrt du 21 fevr. 1974, affaire 152/73 Birra Dreher, Rec. p. 201 58

    CJCE, arrt du 17 sept. 1997, affaire C-54 /96 Dorsch Consult Ingenieurgesellschaft contre Bundesbaugesellschaft Berlin, Rec. P. I-4961 et les conclusions de lavocat gnral Tesauro. 59

    CEDH, arrt du 23 oct. 1985, Benthem contre Pays-Bas, serie A n97. 60

    R. Kovar, La notion de juridiction en droit europen , op. cit.

  • La question mrite dtre pose. Comme le souligne Jean Louis BERGEL61

    , il existe des

    juridictions qui ralisent des actes dadministration et des autorits administratives qui disent

    le droit en rglant un litige. Ceci est le cas du directeur des services fiscaux62

    lorsquil est saisi

    dune demande pralable bien que, dans ce cas prcis, il soit la fois juge et parti63

    . Do, un

    doute quasi-certain sur la neutralit dont devrait faire preuve lautorit qui rend une telle

    dcision.

    Pour sa part, le professeur CHAPUS soulignait que la pratique de la juridictionnalisation de

    laction administrative tait une anomalie : La proccupation que dans certains cas (), cette

    action soit conduite avec une prudence et une impartialit pourrait, en effet, tre suffisamment

    satisfaite par la soumission de cette action un rgime procdural non juridictionnel et qui serait un

    juste milieu entre le rien et le tout, cest--dire, entre labsence de garanties particulires () et le luxe

    des garanties de la procdure juridictionnelle. Lexistence dun rgime () associant lexigence dune

    procdure contradictoire et celle de la motivation des dcisions, permettrait (...) de restituer aux

    organismes en cause le caractre dorganisme administratif 64

    .

    Quoiquil en soit, tous les litiges fiscaux qui opposent ladministration aux contribuables ne

    relvent pas obligatoirement de loffice du juge fiscal65

    . Pour celles qui ncessitent

    lintervention de ce dernier, en droit franais, la fonction de juger est lapanage de deux ordres

    de juridiction. Les juridictions judiciaires66

    qui, lorigine, taient les seules existantes et par

    consquent les seules comptentes en tout point de vue en cas de litige ; et les juridictions

    administratives qui ont vu le jour67

    peu aprs la rvolution de 178968

    et dont lobjectif

    61

    Thorie gnrale du droit, op.cit. p. 333. 62

    R. Chapus, Quest ce quune juridiction ? La rponse de la jurisprudence administrative , Mlanges Eisenman, p-267. 63

    Mme si ce dernier ne juge pas au sens strict et ne peut tre considr comme une judiction part entire. 64

    Idem.p. 297 65

    Il faut dire que certaines contestations ne connaissent pas loffice du juge tout simplement parce que des solutions sont trouves aprs la saisine du directeur des services fiscaux. Pour les autres contestations il existe toujours la possibilit davoir recours aux diffrentes commissions (Commission de conciliation, commission dpartementale des impts directs et taxe sur le chiffre daffaire ou encore la commission des infractions fiscales) qui jouent un rle important dans la rsolution amiable des litiges qui opposent ladministration fiscale et les contribuables. 66

    Ds le XVIe sicle, on note lexistence dune instance spcialise, le conseil priv ou des parties qui prfigure la Cour de cassation. Avant la rvolution, on avait le Conseil des rois dont le but tait dasseoir lautorit judiciaire du roi et non pas de rendre rellement la justice. Il censurait tous les arrts contraires aux dcisions royales. Ce Conseil coiffait les nombreuses juridictions seigneuriales, ecclsiastiques, fodales. A lchelon infrieur, on trouvait les Parlements qui rendaient la justice au nom du roi et sur dlgation de celui-ci. Ceux-ci nont pas hsit saffranchir, rendre la justice et dire le droit, concurrenant ainsi le pouvoir royal. Aussi, au cours de la priode rvolutionnaire, dfense a t faite aux juges de simmiscer dans les affaires de ladministration et le Tribunal de cassation fut cre en 1791. Son rle tait de faire respecter cette nouvelle rgle et de sassurer de la bonne application de la loi. Il examinait les vices de forme et ne disposait pas de pouvoir dinterprtation. Le 18 mars 1800, Napolon cra la Cour de cassation. Cette cour nouvellement cre conserva ses dbuts le nom de Tribunal de cassation et garda les attributions de celui-ci. Il a fallu attendre la Constitution de lan XII pour que le terme Cour de cassation apparaisse de manire prenne. 67

    Louis Fougre (dir.), Le Conseil dEtat : 1799-1974, Ed. du CNRS, Paris, 1975, p. 3 68

    Loi des 16-24 aot 1790 et dcret du 16 fructidor An III.

  • principal tait de limiter laction des prcdentes. Lide vhicule tait simplement lie une

    volont de soustraire ladministration au joug des juridictions judiciaires.

    De temps en temps, on a donc d assister soit la rduction du champ de comptence de

    chacune delles, soit lextension de celui-ci. Cela a fait natre des situations dopposition, de

    complmentarit et un ncessaire besoin rciproque de collaboration.

    Le dualisme juridictionnel est donc une ralit dont la constance dpasse tous les dbats

    thoriques relatifs son maintien ou sa suppression69

    .

    Corollaire de lhistoire, la question se pose avec acuit depuis la rvolution, priode laquelle

    on a trs souvent eu tendance rattacher lorigine de la composition duale de notre systme

    juridictionnel.

    Pourtant, on notait dj ds le 21 fvrier 1641, lexistence de ldit royal de Saint-Germais-

    en-Laye dont le but tait de limiter lintrusion des tribunaux dans les affaires du

    gouvernement.

    Nonobstant cela, la sparation des autorits administratives et judiciaires70

    , consacre par les

    lois des 16-24 aot 1790 et le dcret du 16 fructidor an III, est considre comme tant la

    source textuelle du dualisme. En effet, la fonction juridictionnelle, telle quelle apparat dans

    le cadre conceptuel actuel, est un pur fruit de la rvolution bien que son origine soit beaucoup

    plus lointaine71

    .

    Si le pouvoir judiciaire , entendons par l le pouvoir de rendre la justice (le sens premier

    donn par les pres de la rvolution), trouve son origine dans la sparation des pouvoirs72

    , la

    relation de cause effet entre sparation des pouvoirs et dualit de juridiction nest pas

    clairement tablie. Si oui, elle est dune telle subtilit quelle a t battue en brche. Plusieurs

    tudes sur la question montrent en effet quil sagit dune interprtation abusive des textes de

    69

    D. Truchet, Plaidoyer pour une cause perdue : la fin du dualisme juridictionnel : AJDA, 2005, n 32, p. 1767. 70

    CC. Dcision n 86-224 DC du 23 janvier 1987, RFDA 1987, p. 301 et suivantes : dcision dans laquelle le Conseil Constitutionnel fait du principe de la sparation un des principes fondamentaux reconnus par les lois de la rpublique. 71

    Selon, Jean Vincent et Serge Guinchard, Institutions judiciaires, organisation juridictionnelle, gens de justice, p.88 ; John Locke (Essai sur le gouvernement civil, 1690) semble en effet tre le prcurseur en matire de sparation des pouvoirs bien que sa distinction tripartite ne laisst point de place la fonction juridictionnelle. Selon ces mmes auteurs, il a fallu attendre Montesquieu (Lesprit des lois, 1748 Chap VI du Livre XI) pour que le principe abhorre toute son essence moderne. 72

    En effet, pour eux, le pouvoir judiciaire correspondait la fonction de juger. Cest du moins, ce qui ressort de la Constitution de 1791. Cest une conception qui se justifie par le fait quil nexistait pas cette poque de vritables juridictions administratives. La volont de doter ladministration de son propre juge pourrait avoir servi de tremplin et aurait justifi la mise en place de la dualit de juridiction. Cette explication qui ma foi, reste logique est mise en chec de nos jours.

  • 178973

    et que la sparation des pouvoirs qui est un principe constitutionnel, ne fonde pas

    ncessairement la dualit de juridiction. Cependant, de linterprtation quen ont faite les

    penseurs rvolutionnaires, dcoule un autre principe (sans valeur constitutionnelle), celui de la

    sparation des autorits administrative et judiciaire dont la consquence est linterdiction faite

    aux juges judiciaires, non seulement de simmiscer dans les affaires de ladministration, mais

    surtout de connatre des litiges administratifs et de juger ladministration.

    Il faudrait pour cela rappeler que la fonction de juger est considre par les penseurs

    rvolutionnaires comme une fonction spcifique qui traduit le rejet de labsolutisme royal.

    Cest une fonction qui ne sera donc pas bannie, mais tout simplement ampute dune partie de

    son contentieux savoir lembryonnaire contentieux administratif.

    Embryonnaire car il a fallu une longue volution jalonne de faits marquants tel le clbre

    arrt Blanco de 1873 ou encore la dcision du Conseil Constitutionnel de 198774

    pour que

    lon arrive un enracinement ferme et dfinitif de deux ordres de juridiction avec des

    domaines de comptences diffrents, mais des rles identiques dans leurs domaines respectifs

    de comptence.

    Le contentieux fiscal quant lui se singularise. Il constitue une entorse aux principes

    rvolutionnaires puisqutant un contentieux administratif par excellence, il nchoit pas

    ncessairement aux juridictions administratives, du moins pas entirement. Ainsi, tout en se

    greffant aux institutions juridictionnelles mises en place au cours de la priode

    rvolutionnaire, il garde une part de son originalit.

    B- La matire fiscale

    De cet enchevtrement dvnements historiques, la matire fiscale brille par son

    particularisme. Emprunt au latin fiscalis, ladjectif fiscal vient de fisc75

    . Le terme lui-mme,

    rsulte du latin fiscus76

    . Aujourdhui, il dsigne lensemble des services chargs dtablir et de

    percevoir les impts.

    73

    Voir notamment ltude rcente de D. Cohen, La Cour de cassation et la sparation des autorits administrative et judiciaire, Paris, Economica, 1987. Etude dans laquelle lauteur recense les thses qui attestent que le dualisme juridictionnel nest pas le corollaire de la sparation des pouvoirs. 74

    CC. Dcision n 86-224 DC du 23 janvier 1987, op.cit. 75

    Dictionnaire Etymologique, Albert Dauzat, Larousse, paris, 1938, p. 326. Au sens figur, le terme dsigne Le trsor public , mais au sens propre il veut dire panier, caissette et le terme fiscal est emprunt au latin fiscalis. 76

    Sous Rome, le fisc ou fiscus dsignait aussi le Trsor du prince ou le domaine ou le Trsor du Souverain , D. Richer, Dictionnaire de droit fiscal et Douanier, J-L. Albert, J.L. Pierre, D. Richer, (dir.), Ellipses. 2007, p. 253.

  • Du point de vue du droit, il sagit dune branche rgissant les impts quant leur assiette, leur

    liquidation et leur recouvrement. Toutes ces phases marques par des procdures particulires

    sont sujettes contentieux. Celui-ci ncessite une gestion par des juridictions comptentes

    dans la dtermination des dcisions adquates.

    Aussi le comportement des juges (administratif ou judiciaire) intervenant dans la matire

    fiscale est primordial. Par consquent, il est important de ltudier. Lhomognit de ce

    comportement, et par voie de consquence, celle de la juridiction fiscale suscite effectivement

    des interrogations. La diffrence de but poursuivi par leurs diffrents contentieux, laisse

    planer le doute quant la cohrence du systme dune manire gnrale. De manire

    beaucoup plus spcifique, elle conduit sinterroger sur le maintien des garanties quon serait

    en droit dattendre de la justice.

    Avant de rpondre concrtement ces questions dordre pratique, il est intressant de

    sattarder sur lorigine de linstitution duale en matire fiscale. Cest un pralable quon ne

    pourrait occulter et sur lequel quelques explications mriteraient dtre donnes.

    La dualit juridictionnelle en matire fiscale, telle quelle existe de nos jours, date de la

    priode rvolutionnaire. Toutefois, lidologie de sa mise en place sloigne lgrement des

    considrations avances par les rvolutionnaires pour soustraire le contentieux administratif

    du joug des juridictions judiciaires.

    1- La gense de la dualit dans la sphre fiscale

    On serait tent dattribuer au lgislateur rvolutionnaire lorigine de la dualit en matire

    fiscale. Ceci ne serait pas faux si on sen tient restrictivement aux institutions actuelles. Mais

    cela ferait oublier quun semblant de dualit juridictionnelle a vu le jour lors de lmergence

    de lEtat Royal avec la naissance dune administration des finances77

    . On distinguait cette

    poque, dune part, les finances ordinaires ou ressources traditionnelles de nature seigneuriale

    et fodale composes de la taille, des rentes foncires, reliefs, lods et ventes ; dautre part

    des finances extraordinaires (aides, gabelles, traites) qui taient consenties par les tats

    gnraux ds 1355, mais qui devaient rester exceptionnelles.

    Ce ne fut pas le cas puisque ces dernires furent maintenues indfiniment par lautorit royale

    qui a d juxtaposer des administrations car refondre ladministration ordinaire paraissait tre

    une tche trop ardue.

    77

    F. Saint-Bonnet, Y. Sassier, Histoire des institutions avant 1789, 3e d. Montchrestien, d. 2008, p. 239.

  • Cette dualit dadministration a gnr par voie de consquence une dualit de contentieux.

    Au lieu de dlguer le contentieux de ces deux administrations financires une seule

    juridiction78

    , lautorit royale a opt pour une dualit de juridiction.

    Ainsi, le 2 avril 1390, Charles VI institua deux juridictions distinctes savoir : dune part une

    chambre du Trsor devant laquelle taient ports tous les litiges touchant au domaine royal et

    relevant en appel du parlement ou de la chambre des comptes suivant la contestation en

    cause ; dautre part, une Cour des aides, charge de rgler tous les litiges relatifs aux finances

    extraordinaires79

    .

    Sans vouloir crer en soi une dualit juridictionnelle, lautorit royale a mis en place une

    bauche de dualisme juridictionnel en matire fiscale. Il faut lavouer, cest plus un concours

    de circonstances qui est gnrateur de cet tat de fait quune volont de structurer les

    institutions dans ce sens.

    Cela explique pourquoi il va falloir attendre les lois de 1790 et 1791, soit plusieurs sicles

    plus tard, pour que le caractre dual de notre systme juridictionnel fiscal et actuel commence

    senraciner. Peu avant ces lois, cest dire sous lancien rgime, le contentieux fiscal restait

    lapanage des juridictions spcialises80

    (La cour des aides jugeait du contentieux de la

    plupart des contributions, les Elections taient comptentes en matire de taille, le Grenier

    sel tranchait le contentieux de la gabelle, les juges des Traites taient comptents en matire

    de douane ; cette ribambelle de juridictions, il faudrait aussi associer la juridiction de

    lintendant et celle du conseil du Roi)81

    .

    Cette cacophonie dans laquelle tait plong le systme juridictionnel justifia la volont de

    mettre en place une juridiction unique comptente en matire fiscale. Mais lAssemble

    constituante, anime par la volont de supprimer les impopulaires Cours des aides, ne voulut

    pas crer dans chaque dpartement des juridictions dadministration. Lassimilation des

    premires aux secondes tait fort probable et aurait t de nature mcontenter le peuple. Les

    constituants dcidrent donc de ne point crer de nouvelles juridictions mais de confier

    78

    La plus approprie lpoque tant la chambre des comptes issue de la curia regis. 79

    F. Saint-Bonnet, Y. Sassier, Histoire des institutions avant 1789, op.cit., p. 240. 80

    Il faut prciser que si ces juridictions spcialises dans certains procs fiscaux spcifiques semblent tre de prime bord des juridictions de droit commun, elles dcoulent dabord de ladministration elle-mme. A lorigine, le contentieux dont ils ont la charge est dabord confi aux fonctionnaires locaux et rgionaux. Ces derniers ont fini par devenir de vritables juges do les diffrentes juridictions (Cour des aides, lections). La Monarchie devant apporter des garanties ses sujets, les fonctionnaires qui jugeaient des affaires fiscales tendaient devenir de vritables magistrats . Cest ainsi que sont par la suite nes plusieurs juridictions en loccurrence les greniers sel, les juges des traites. Voir G. Ardant, Thorie sociologique de limpt, SEPVEN 1965, p. 901 et s. 81

    Source : Renahy, Diversit et unit du contentieux fiscal, Thse, Paris, 1955 ; B. Castagnde, La rpartition des comptences juridictionnelles en matire fiscale, op. cit.

  • ladministration elle-mme le soin de rgler tous les litiges ayant le caractre administratif

    mais surtout, bien videmment, fiscal.

    Mais tout le contentieux fiscal ne fut pas confi ladministration car certains impts

    soulevaient des questions particulires et ncessitaient la mise en place de garanties

    spcifiques. Pour ces derniers, la solution fut de confier le contentieux aux juridictions

    judiciaires. Cest ainsi que le contentieux fiscal fut rparti entre les juridictions judiciaires et

    ladministration (qui, sous lvolution du contentieux administratif, se verra doter dune

    juridiction administrative).

    2- Linfluence du dveloppement du contentieux administratif

    gnral sur lenracinement de la dualit en matire fiscale.

    En thorie, la gense de la dualit juridictionnelle en matire fiscale se dtache compltement

    de la dualit institutionnelle dont le moteur a t les lois des 16-24 aot 179082

    . Celles-ci

    disposent que les fonctions judiciaires sont distinctes et demeureront toujours spares des

    fonctions administratives. Les juges ne pourront, peine de forfaiture, troubler de quelque manire

    que ce soit les oprations des corps administratifs, ni citer devant eux les administrateurs raison de

    leurs fonctions. . Lobjectif majeur tait de limiter les intrusions volontaires ou involontaires83

    du corps judiciaire dans les activits de ladministration. Toutefois, en pratique, le

    dveloppement du contentieux administratif et prcisment de la juridiction administrative a

    jou un rle important dans le renforcement de la dualit juridictionnelle en matire fiscale.

    Le contentieux fiscal, tant un contentieux parasite 84

    , a subi les ncessaires volutions

    orchestres par le dveloppement du contentieux administratif et sest ainsi adapt aux ralits

    institutionnelles. Le passage de la justice retenue la justice dlgue 85

    , de la justice

    82

    Toutefois, la mise en place de la juridiction administrative reste trs lie limpt et la contrainte quelle faisait peser sur les contribuables. La ncessit dune juridiction spcialise charge de traiter de ces litiges a t affirme. Voir G. Ardant, Thorie sociologique de limpt, S.E.P.V.E.N 1965, p. 876 et s. 83

    Plusieurs raisons justifient et fondent ladite prohibition. La plupart des auteurs soulignent les incessantes immixtions des corps judiciaires de l'Ancien Rgime dans le domaine administratif. Ces immixtions taient nombreuses. Parmi celles-ci, on peut notamment citer les arrts de rglement dans lesquels, ils fixaient les rgles gnrales. On peut aussi citer le refus denregistrer et dappliquer les ordonnances royales.

    Dautre part, lattachement leur privilge, leur conservatisme et les abus de pouvoir dont ils faisaient preuve, ntaient point de nature rassurer les constituants, encore moins la population. Au contraire, cela a dcid les premiers poser cette illustre rgle. Celle-ci reste la base de nos institutions et principalement, celle de la cinquime rpublique. 84

    Le contentieux fiscal est un contentieux parasite parce quil nexiste pas des juridictions fiscales autonomes. Sur le plan organique, il se greffe sur les juridictions de droit commun et est trait par les juges de droit commun qui, selon le contentieux en cause mettent en uvre des rgles particulires et arborent la casquette de juge de limpt. 85

    Il faut dire pendant longtemps la justice tait rendue par le ministre dans les contentieux relevant de son domaine de comptence. Le recours tait gracieux et le chef de lEtat statuait en dernier ressort aprs consultation du Conseil dEtat au sein duquel, fut cre en 1806 une section contentieuse. La justice tait donc

  • dlgue la cration des Tribunaux administratifs en 1953 et celle des Cours

    administratives dappel en 1987 a marqu la structuration du contentieux fiscal. Il sest

    logiquement adapt aux impulsions ainsi donnes par la juridiction administrative86

    .

    En dfinitive, on se serait logiquement attendu ce que le contentieux fiscal choit

    compltement ladministration. Outre le fait que le rattachement de cette matire au droit

    public ne soit pas contest, la fonction rgalienne qui consiste lever limpt est une fonction

    dans laquelle la notion de puissance publique est manifestement prpondrante.

    Sans choir compltement aux juridictions administratives puisque les Constituants en 1790

    en ont remis une partie aux juridictions judiciaires87

    , entrinant ainsi la dualit de juridiction

    en matire fiscale, lmancipation de linstitution dans cette sphre reste en dfinitive

    tributaire des lois des 16-24 aot 1790, de lvolution de la juridiction administrative et du

    contentieux administratif gnral.

    Ceci tant, le contentieux fiscal se distingue du contentieux administratif. Si le partage de ce

    dernier est globalement une uvre jurisprudentielle, comme llaboration des rgles les plus

    importantes du droit administratif88

    , en matire fiscale, la rpartition est dabord lgale89

    avant

    dtre une uvre jurisprudentielle.

    3-Une rpartition lgale du contentieux fiscal

    a- Labsence de logique juridique

    En matire fiscale, cest le lgislateur qui a eu pour mission de rpartir les comptences. Le

    contentieux des impts directs fut attribu ladministration par les constituants, pendant que

    plusieurs lois donnaient comptence aux tribunaux judiciaires en ce qui concerne plusieurs

    autres impositions : la loi des 7-11 septembre 1790 leur attribua le contentieux relatif aux

    impts indirects, les lois du 22 aot 1791, le contentieux des douanes et des timbres, les lois

    du 22 frimaire en VII le contentieux de lenregistrement. Cette attribution a t motive par

    des circonstances despce et aucune logique juridique ne peut valablement tre avance pour

    retenue. Elle a t dlgue avec larrt du CE 13 juillet 1889 : Arrt Cadot qui a donn une comptence gnrale la juridiction administrative lorsquun litige opposerait ladministration et un administr. 86

    Il faut prciser que la cration du Tribunal des conflits (en 1872), dont le rle est prcisment de rgler les problmes de comptence entre les deux ordres de juridiction, est conscutive la mise en place progressive de la juridiction administrative dont lindpendance par rapport aux juridictions judiciaires a t clairement affirme. 87

    La loi des 7-11 septembre 1790 attribue le contentieux relatif aux impts indirects aux juridictions judiciaires, les lois du 22 aot 1791, le contentieux des douanes et des timbres, les lois du 22 frimaire en VII le contentieux de lenregistrement. 88

    G. Vedel et P. Delvolv, Droit administratif, P.U.F 7e d. 1980, pp.105 et s.

    89 Voir lart 199 du LPF.

  • la justifier. Aujourdhui encore, la rpartition est une uvre lgislative. Le livre des

    procdures fiscales en rend compte, bien que de nombreuses dispositions fiscales se

    retrouvent dans plusieurs codes caractre non fiscal. Si la rpartition a t pour lessentiel

    loeuvre du lgislateur, le juge a nanmoins eu loccasion dintervenir pour dsigner le juge

    comptent pour certains impts90

    .

    La rpartition du contentieux fiscal entre les deux ordres aurait pu sexpliquer par la prsence

    ou labsence dun acte administratif la base de lopration dimposition comme lont

    soutenu LAFERRIERE91

    et certains illustres auteurs dont le doyen HAURIOU. Celui-ci

    expliqua jadis que le contentieux des impts indirects est, pour lapplication des tarifs, judiciaire,

    parce quil sagit uniquement dappliquer des lois sans que le juge ait apprcier une opration

    administrative pralable 92

    .

    Mais plusieurs auteurs, dont le premier Gaston JEZE93

    , ont trs vite mis en lumire les

    insuffisances de cette thorie. Ainsi, il est trs vite apparu que cette attribution nest que le

    fruit de lhistoire car limpopularit des impts indirects tait telle quen 1790, lorsque les

    constituants ont voulu les rtablir, il leur fallait rassurer la population : Seules, en effet, des

    raisons historiques paraissent avoir fait attribuer aux tribunaux judiciaires le contentieux des impts

    indirects, ressuscits de lancien rgime, et ce titre , suspects et impopulaires : cest par accident, en

    dfinitive que le contentieux fiscal est rparti entre nos deux juridictions, et ce partage na aucune

    porte juridique 94

    . Impopulaire, rejet, le contentieux des impts indirects se devait dtre

    entour de nombreuses garanties pour que leur rhabilitation ne soit pas lorigine de

    nouveaux bouleversements institutionnels.

    Lune de ces garanties tait justement den confier le contentieux aux tribunaux judiciaires

    pour assurer une certaine impartialit des juges: Lassemble constituante crut ainsi organiser le

    contentieux des impts indirects de faon lentourer des meilleures garanties juridictionnelles. En

    prenant une mesure politique- pour faire avaler aux contribuables la rsurrection de ces impts

    quon avait pu esprer limins jamais 95

    .

    b- Une constante remise en cause

    90

    Ce fut notamment le cas de lISF, de la CSG. 91

    L. Laferrire, Cours thorique et pratique de droit public administratif, 4e dit., 2 vol., Paris, 1854, t.I, p.691 et

    t. II, p.273 et 274. 92

    Voir notamment ce sujet : Hauriou, Prcis de droit administratif. 11e d., 1926, p.421.

    93 G. Jze, Cours de droit public, Les contrats administratifs, Paris, 1925, p.60 ;

    94 L.Trotabas, La nature juridique du contentieux fiscal en droit franais , Mlanges Maurice Hauriou, 1929,

    p. 711 et suiv. 95

    Renahy, Diversit et unit du contentieux fiscal, Thse op. cit. p. 22.

  • Labsence de fondement juridique96

    et lvolution de la socit ont t lorigine de la remise

    en cause de cette organisation juridictionnelle duale du contentieux fiscal. Elle a en effet

    longtemps t dcrie.

    Plusieurs auteurs rputs comme MAESTRE ou encore BERN, au-del de la dnonciation du

    systme, ont propos la mise en place de lunit de juridiction. Le professeur

    MAESTRE97

    sest notamment prononc pour la mise en place dune juridiction fiscale

    spcifique, distincte des juridictions administrative et judiciaire existantes. Philippe BERN

    quant lui, a opt pour lattribution du contentieux fiscal la juridiction administrative98

    .

    Si cette question sest pose avec vhmence autour des annes 1970 au nom dune meilleure

    justice ainsi quau nom de la mise en place de garanties supplmentaires pour le contribuable

    ou tout simplement par nostalgie car comme lexpliquait le doyen TROTABAS99

    , force est de

    constater que la question a beaucoup volu et ne se pose plus en ces termes aujourdhui. Ces

    problmatiques passes ont fait lobjet de dveloppements divers et varis au terme desquels

    un choix profond et majoritaire fut en faveur de la conservation du dualisme.

    Comme le fit remarquer Maxime CHRETIEN100

    , lun des fervents partisans de lunit une

    certaine poque, mais dont les ides ont grandement volu vers un maintien du systme

    actuel avec une relle option pour une certaine simplification, on peroit difficilement en quoi

    lunification serait prfrable la simplificationIl serait mme fort douteux quune troisime et

    nouvelle juridiction (ft) plus impartiale que les deux juridictions traditionnelles dont la prtendue

    partialit reste dailleurs dmontrer. . De plus, il insista sur le fait que la mise en place dune

    juridiction unique conduirait de nombreuses rformes fastidieuses et infinies : notamment

    celles relatives la sous rpartition des contestations fiscales au sein dune mme juridiction.

    Celles-ci napparaissaient pas, selon lui tre moins complexes que le systme tel quil se

    prsente actuellement.

    Le doyen TROTABAS, quant lui, exprimait dj le caractre inconcevable dune juridiction

    spcialise en matire fiscale : il ny a pas place entre lordre judiciaire et lordre

    96

    B. Castagnde, en 1972, aprs avoir synthtis la pense de lensemble des auteurs sur la question, est arriv la conclusion selon laquelle, de fausses considrations juridiques et des vritables considrations historiques justifient le partage du contentieux fiscal entre les deux ordres de juridiction. 97

    J.C. Maestre, A propos de la loi du 27 dcembre 1963 portant unification ou harmonisation des procdures en matire fiscale ; R.S.F., 1964, p.537 609. 98

    Ph.Bern, La nature juridique du contentieux de limposition, Thse 1972. 99

    En effet, sous lancien droit, les recours contentieux qui taient ouverts semblaient impliquer un contentieux unique de nature administrative. 100

    M. Chrtien, Rflexions sur la dualit juridictionnelle en matire fiscale ; Mlanges Mlanges Marcel. Waline, 1974, tome I, p. 115 et s.

  • administratif pour un troisime ple juridictionnel 101

    crivait-il. Ce point de vue est

    confort par la jurisprudence du Conseil constitutionnel selon laquelle la dualit des ordres

    juridictionnels a une valeur constitutionnelle car elle constitue un principe fondamental

    reconnu par les lois de la Rpublique.

    Ladministration fiscale elle-mme en est partisane depuis 1956 et la raffirm en 1963. Au

    cours de ces deux annes elle sest farouchement oppose lunification du contentieux au

    profit dune juridiction unique102

    .

    Les volonts de rformes les plus rcentes vont elles aussi vers le rejet de la modification du

    systme dual103

    : un amendement modifiant lart. 34 de la Constitution et dont le but tait

    dtendre le domaine de la loi en y rajoutant la rpartition des contentieux entre les deux

    ordres juridictionnels a t retir du projet de loi constitutionnelle de modernisation de la

    Vme rpublique. Monsieur Pierre MAZEAUD104

    a en effet soulign que cet amendement

    tait un danger pour lEtat de droit. Il mettait en doute le bien fond de la sparation des

    contentieux judiciaire et administratif et touchait lune des raisons dtre de la dualit

    juridictionnelle en constituant une mnace pour la juridiction administrative. Le contentieux

    naurait plus t rparti en fonction de la nature des actes, mais par matire ; ce qui aurait

    conduit lanantissement de la spcificit du juge administratif105

    . Sa comptence de

    principe en matire fiscale se serait trouve dpourvue de fondement juridique.

    Il nen demeure pas moins que le dualisme soulve incontestablement la question relative

    lunit des traitements des contestations fiscales106

    .

    Entourer le contentieux de garanties a t loption toujours choisie. En 1790 dj, pour

    garantir une meilleure justice au contribuable, la constituante supprima toutes les procdures

    qui entouraient le contentieux des impts indirects pour que la clrit soit de mise. Cest

    ainsi que lobligation davoir recours des avous fut abolie ainsi que la rgle ordinaire du

    double degr de juridiction107

    .

    101

    L.Trotabas, La nature juridique du contentieux fiscal en droit franais , op. cit. p. 714. 102

    J.C. Maestre, A propos de la loi du 27 dcembre 1963 portant unification ou harmonisation des procdures en matire fiscale , op. cit. 103

    Voir le rapport n892 du 15 mai 2008, ralis au nom de la commission des lois par Jean Luc Warsmann, rapporteur, sur le projet de loi constitutionnelle n 820, p. 239. 104

    P. Mazeaud, communication dans le Journal Le Monde du 20 mai 2008. 105

    O. Pluen, La Constitution de blocs de contentieux : aspect du dbat sur la dualit juridictionnelle ; http : www.blogdroitadministratif.net 106

    Cest le reproche le plus cuisant auquel doit faire face notre systme. Mais encore, nous verrons que la tendance est plus la convergence qu la divergence entre les deux ordres de juridiction. 107

    Ceci est dailleurs curieux car ce sont les lments fondamentaux lexistence dun procs quitable au sens de lart 6 de la Convention europenne des droits de lhomme. Il faut croire que les considrations et les principes voluent au gr des poques.

    http://www.blogdroitadministratif.net/

  • De plus, au-del de cette rpartition des comptences qui s'inscrit dans un ordre juridique

    interne gouvern par des principes antagonistes, il est apparu qu'il existe des attributions

    fondamentales dont seule lautorit judiciaire peut assurer le respect. Cette considration a

    permis denraciner le dualisme du contentieux fiscal. Les constituants ont estim que la libert

    individuelle et le droit de proprit sont donc par essence du domaine de lautorit judiciaire.

    Elle en assure le respect dans tous les domaines : aussi la matire fiscale ne pouvait pas y

    chapper. Cette logique implacable se retrouve encore aujourdhui car elle est rige en

    principe constitutionnel108

    .

    Cette approche historique fut conforte par la jurisprudence qui lui confre un caractre

    pratique. Le but, en dfinitive, est de simplifier aussi bien le contrle de limpt par le juge

    que laccs simplifi au juge pour le contribuable109

    .

    Le Tribunal des conflits, dans larrt Bourgogne-bois du 10 juillet 1956110

    , formule donc une

    rgle gnrale qui reprend lensemble de ces considrations historiques et contemporaines: la

    comptence du juge judiciaire ne stend pas au-del des droits de mutation et des

    contributions indirectes, alors que le juge administratif se voit affecter les impts directs et

    tous les impts qui ne rentreraient pas dans lune des prcdentes catgories, condition

    quils procdent dactes ou dopration de puissance publique. (Jurisprudence reprise par les

    deux cours suprmes : CE, 20 octobre 1997, SA Papeteries Etienne c/Voies navigables de

    France: Lebon 537 et Cass 1er

    dc. 1998, St Immobilire marseillaise, n1897 D : RJF

    2/1999, n269)

    Cette logique fut aussi reprise par le Conseil Constitutionnel dans sa dcision du 23 janvier

    1987111

    . La haute Cour Constitutionnelle a en effet dfini la ligne de dmarcation entre les

    deux ordres de juridiction. Certes il sagit dune rgle gnrale mais son application en

    matire fiscale ne souffre daucun doute.

    Le Conseil prcise qu lexception des matires rserves par nature lautorit judiciaire,

    relvent en dernier ressort de la comptence de la juridiction administrative, lannulation ou la

    108

    Art. 66 de la Constitution : Nul ne peut tre arbitrairement dtenu. Lautorit judiciaire, gardienne de la libert individuelle, assure le respect dans les conditions prvues par la loi . 109

    Et ceci, malgr le fait que lon reproche impunment au dualisme son caractre complexe et la cacophonie quelle instaure. 110

    TC, 10 juillet 1956, Bourgogne- Bois, Rec. CE, p. 586. 111

    CC, Dcision du 23 janvier 1987 op.cit. Il est vrai que la rserve de comptence mise en place ne porte que sur le contentieux de lannulation et de la rformation c'est--dire sur le contentieux de lexcs de pouvoir et sur quelques contentieux spcialiss pour lesquels le juge administratif dispose dun pouvoir de rformation. Ceci exclut le contentieux de pleine juridiction en loccurrence le contentieux de la responsabilit, mais aussi les matires rserves par nature lautorit judiciaire (libert individuelle et par extension, la protection de la proprit prive).

  • rformation des dcisions prises dans lexercice de prrogatives de puissance publique par les

    autorits exerant le pouvoir excutif.

    Dans un tel contexte pourquoi la dualit juridictionnelle en matire fiscale continue-elle de

    faire dbat ?

    Cest la question quon est en droit de se poser. Marie-Christine ESCLASSAN souligne en

    loccurrence le caractre marginal des litiges fiscaux devant les deux ordres de juridiction

    comparativement aux modes de rglements non juridictionnels. Ceci, dautant que

    lclatement des comptences juridictionnelles nenlve pas aux juridictions administratives

    lessentiel du contentieux des impts112

    .

    Si la question est donc toujours discute, ce nest pas parce que le contentieux fiscal aurait d

    tre entirement confi lun des deux ordres de juridiction prexistant, ou une juridiction

    unique du fait de la prsence inconteste du caractre exorbitant de la crance fiscale.

    Cest surtout parce que le systme actuel est complexe113

    . Il gnre des interrogations

    subsidiaires, en loccurrence en ce qui concerne luniformit de la gestion de la contestation

    fiscale.

    112

    M.-C. Esclassan, Lorganisation du contentieux fiscal est-elle toujours actuelle RFFP nov. 2007, n spcial 100, p. 59-69. 113

    Le dictionnaire (Grard Cornu) Henry Capitant (dir.) a dfini le mot complexe comme tant un adjectif issu du latin complexus de complecti (Contenir). Selon lui, cest un terme qui se dit dune opration compose de plusieurs actes lmentaires qui concourent produire le rsultat final. Cest en ce sens que Ren Chapus a tenu compte de la notion pour dfinir une opration complexe (R. Chapus, Droit du contentieux administratif, 11

    e d., n 781). Selon lui, il y a opration complexe lorsquune dcision finale ne peut tre prise quaprs

    intervention dune ou plusieurs dcisions successives spcialement prvues pour permettre la ralisation de lopration dont la dcision finale sera laboutissement . Tout comme plusieurs autres auteurs avant et aprs lui (F.Chevallier, La fonction contentieuse de la thorie des oprations administratives complexes : AJDA 1981 pp.331-347 ; M. Chrtien, De la belle carrire promise la notion dopration complexe (Suite un constat prmatur ?) : AJDA 1982, pp. 20 et s. ; M. Distel, La notion dopration administrative complexe : Revue administrative 1981,p. 370-376 ; M. Roncire, Actualit de la notion dopration complexe : LPA 1996/101/pp.5-6.).

    La notion a cependant t associe celle de procs par Loc Cadiet, (Dictionnaire de la justice, PUF. pp.1089) : la complexit nat de la pluralit imprime au procs par le litige qui lui sert de support ou par les instances qui le dcoupe. Cet aspect des choses sera ainsi vrifi dans le procs fiscal. En effet, les questions poses par le contribuable ou par ladministration fiscale (le litige proprement dit), de mme lensemble des instances ( savoir la procdure devant les juges de 1ere de 2

    e instances et le recours en cassation) sont marques

    tant devant le juge judiciaire que le juge administratif de rgles de procdure civile, administrative et fiscale qui ne sont pas simples. Elles peuvent en plus, tre paralllement ou conjointement applicables.

    De plus, Loc Cadiet prcise quil y a procs complexe lorsque la diversit affecte ses lments constitutifs (multiplicit des parties, varits des questions litigieuses), et complexe de procs si elle provient de son agencement (coexistence de plusieurs instances). Et comme le prcise en plus lauteur, la situation fait difficult quand elle se heurte des comptences multiples. Cest essentielleme