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Fanes de carottes de septembre Chaque mois, pendant 1 an, gagner un fan-art ! Série limitée, de douze exemplaires, réalisée par Josefa. Pour les gagner rien de plus simple, devenez lecteur du blogzine ! Rendez-vous sur le blog : http://fanesdecarottes.canalblog.com et laissez-nous des commentaires, dont un sur un fan-art encore disponible. @ bientôt ! http://fanesdecarottes.canalblog.com Fanes de septembre 2008 N°12 Le Fanzine du Blogzine

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Fanes de carottes de septembre

Chaque mois, pendant 1 an,

gagner un fan-aart !Série limitée, de douze exemplaires,réalisée par Josefa.

Pour les gagner rien de plus simple,devenez lecteur du blogzine ! Rendez-vous sur le blog :http://fanesdecarottes.canalblog.com etlaissez-nous des commentaires, dont unsur un fan-art encore disponible.

@ bientôt !

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Fanes de septembre 2008N°12

Le Fanzine du Blogzine

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Où sont passées les clés de votre soucouped'entreprise ? et votre cartable en simili-cachalot ?et vos lunettes à détecter les ververts ? votre appa-reil à sager ? Finies les longues heures sur les plagesroses et les promenades romantiques sous lesmangrovilliers en fleurs.

Heureusement, Fanes de carottes vouspropose pas moins de 5 tasses de café, à avalerprogressivement, pour vous remettre les idées enplace... ou pas. Car vous pourriez bien regretterd'apercevoir le fond de la tasse, vu le nombre devoyantes embauchées par le blogzine pour y liretous vos secrets.

Et pour ceux qui préfèreraient ne pas seréveiller... des chevelures en volutes, des lèvresécarlates, des enlacements... et peut-être mêmequelques canines dans le cou. Septembre seravampirique !

C'est la rentrée chez Fanes de carottes !

Edito

Sommaire

Edito . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .p. 2Courrier des lecteurs . . . . . . . . . . . . . . . . . .p. 2Mode d’emploi . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .p. 2Vamps & Vampires . . . . . . . . . . . . . . . . . . .p. 3Feuilleton du dimanche . . . . . . . . . . . . . . . .p. 13

Du rififi sur l'Olympe (parties 1 à 4 - à suivre)Dictionnaire illustré de la SFFF . . . . . . . . .p. 17Quand la science et la fiction se rejoignent .p. 17Petit jeu du marc de café . . . . . . . . . . . . . . .p. 19Port-folio SFFF . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .p. 25Les auteurs de septembre . . . . . . . . . . . . . .p. 28Appels permanents (Recettes) . . . . . . . . . . . .p. 28Glossaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .p. 28

Courrier deslecteurs

En septembre, vouslisez le 12e numéro de« Fanes de carottes ». Prêtspour le réabonnement ?

Fanes de carottes est un blogzine qui traite de(science) fiction - voire de SFFF. C'est, comme dansun magazine papier avec des rubriques variées : destextes, des illustrations, des feuilletons, des articlesde fond, des chroniques, des jeux, des recettes, desdéfinitions, un courrier des lecteurs...

Tous les mois, nous lançons divers appels pourpréparer les numéros à venir. Vous avez une idée,une envie, un peu de temps ? Un clavier, descrayons de couleur, un appareil photo ? Surtout,vous avez envie de vous amuser? Il suffit d'avoirenvie, tout le monde peut participer !

Dans les catégories du blog, vous trouverez :- les appels en cours : tous les détails sur les appelsà textes, à jeux, à feuilletons du moment, auxquelsvous pouvez participer.- les appels permanents : les recettes littéraires, ledictionnaire de la SFFF, auquel sont venus s’ajouterle port-folio et les vœux sont ouverts en perma-nence, vous pouvez jouer quand vous voulez.

Fanes de carottes mode d’emploi

2 - Fanes de carottes de septembre

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Fanes de carottes de septembre - 3

Première partie

Elle marche, conquérante,dans la rue sombre. Il fait nuitmais elle n'a pas peur, seules lesvictimes ont peur. Elle est uneprédatrice, une belle de la nuit.

Elle porte de longues bottesde cuir noir qui moulent laforme parfaite de ses jambes etclaquent sur les pavés sur unrythme presque militaire. C'estune chasseresse qui marche sûred'elle. Un long manteau, noir luiaussi, la protège du froid et desregards. Elle ne dévoile ce qu'elley cache qu'à ceux qu'elle achoisis. Son visage laiteux estrehaussé par le rouge flam-boyant de ses lèvres. Un rougesang. Ce soir elle a faim.

Elle entre dans un barqu'elle sait fréquenté par debeaux spécimens, souvent céli-bataires ou à défaut volages. Sespréférés. Sa voracité gourmandene s'accommode pas de médio-crité, les hommes et femmesqu'elle épingle à son tableau dechasse ont toujours quelquechose d'original qui les dé-marque des autres : un regardenvoûtant, une voix sensuelle,une démarche pleine de grâce,une attitude, qu'importe maiselle doit être étonnée. A sonentrée, les regards la suivent àtravers l'ombre et la fumée,intrusifs, et cherchent à ouvrirson manteau… Elle ne l'enlèverapas dans ce bar, elle n'y fait quepasser, elle n'y fait que chasser.Une femme la regarde, vulgaire.Pas son style. Un homme à sadroite s'approche et lui proposeun verre. La cinquantaine poivre

et sel, un nœud papillon et deslunettes cerclées d'écailles noires.C'est sa voix rocailleuse, pro-fonde, pleine de promesses, quila fait accepter.- Un grog si vous en prenez unaussi, vous avez l'air d'en avoirbesoin…

Il sourit et va au bar passer lacommande. Puis il revient verselle, s'approche suffisammentprès pour qu'elle sente son odeurmusquée et sensuelle, et lacontemple d'un air connaisseur,s'attardant sur les yeux bleuacier, sur la bouche pulpeuse, surle grain de beauté au coin droitde la mâchoire. Carrée.- Vous, vous savez parler auxfemmes…- Pardon, je croyais être tombéesur une déesse. Vous n'enlevezpas votre manteau ?- Ce bar est trop enfumé.Sortons…

Et elle se lève et quitte le barsans un regard pour l'hommequ'elle vient de laisser, certainequ'il va la suivre.- J'ai failli attendre…- Où voulez-vous marcher ?

Elle l'emmène sur les bordsde Seine, la lune est pleine, lumi-neuse, la soirée froide. Il a enfiléun pardessus gris et une écharpeblanche. Cet homme a décidé-ment un charme délicieusementsuranné. Il parle peu mais la faitparler d'elle, de la vie qu'elle s'in-vente pour l'occasion, celled'Artémis pour ce soir, c'est cequ'il a voulu. Une déesse. Ilsparlent et marchent jusqu'à cequ'il sorte de son pardessus unemontre à gousset et s'interromped'un air désolé.

- Je suis confus mais il est vrai-ment tard, je dois vous laisser.Voulez-vous que je vous appelleun taxi ?

Aucune tentative de rappro-chement, cet homme est debronze, mais elle ne s'abaisserapas à quémander, fût-ce unenuit. Elle rentrera donc seule.Avec une carte que cet hommelui laisse en l'aidant à monterdans le taxi. Maxime Hémaux.Antiquaire. Et un numéro detéléphone.- Je serai un homme combléquand vous me rappellerez.

Et il claque la porte du taxi.De dépit elle demande au chauf-feur de la conduire dans uneboite de nuit proche. Elle est enmanque et n'a pas eu sa dose, laprédatrice doit chercher unevictime avant le lever du jour etelle en trouve une. Consentante,très consentante, si consentantequ'elle en oublie pour la nuitl'homme au pardessus gris. Maisalors qu'elle se rhabille au petitmatin, abandonnant sans unregard le corps devenu inutile,elle ne peut s'empêcher de cher-cher dans sa poche la carte de ceMaxime…

Deuxième partie

Les nuits se suivent sansqu'elle ne l'appelle, sa raison luienjoignant de résister. La chasse-resse ne se veut pas proie. Alorspour conjurer ce sentimentinconnu et naissant elle senourrit dans une frénésie com-pulsive d'amants et d'amantes,des corps dont elle use, à sonhabitude, sans sentiment. Jusqu'à

Appel thématique

Exquise esquissePandora

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4 - Fanes de carottes de septembre

la nausée et au dégoût.Et un matin, n'en pouvant

plus, elle l'appelle enfin. Sansparaître surpris, il lui propose unrendez-vous dans un restaurantréputé pour le soir même, qu'ellese maudit d'accepter si vite. Et ilraccroche courtoisement, la lais-sant se perdre en conjectures.

Quand elle arrive au restau-rant, Maxime est déjà attablé etse lève à son approche. Il esthabillé tout aussi anachronique-ment que lors de leur premièrerencontre et semble ravi de larevoir. Plongeant sans un motson regard dans le sien, elleouvre lentement son manteaunoir, bouton après bouton, pourdévoiler la robe noire au décol-leté plongeant qu'elle a misepour lui. Sans aucun bijou. Elleaime le regard approbateur qu'illui lance alors qu'il la salue d'unbaisemain. Charmant et char-meur. La soirée passe très vitetandis qu'il lui parle de lui, de sesaffaires, de sa passion pour lapeinture. Elle ferait un magni-fique modèle, et il lui propose dela croquer dès ce soir. Si elle ledésire, bien sûr.

Elle en crève d'envie. Ce soirc'est elle la victime consentante.

Quand il l'emmène chez lui,Artémis, troublée par cette situa-tion inhabituelle pour elle, restehésitante dans l'entrée. Maxime laprend alors doucement par lesépaules et la conduit jusqu'à lapièce principale plongée dans unedemi-obscurité. Les volets sontclos et des draps recouvrent lemobilier. Il flotte dans l'air uneodeur de renfermé et Maxime luiexplique qu'il occupe peu cetteaile du grand appartement hauss-mannien, lui préférant le calme deson atelier sous les combles. Puiscomme elle n'esquisse toujourspas le moindre geste, il luidemande s'il peut lui enlever son

manteau. Lui faisant face unemain sur son épaule, il la débou-tonne de l'autre, puis la découvredoucement, frôlant au passageses épaules nues. C'est avec plaisirqu'elle le laisse prendre ainsi lescommandes puis la conduirejusqu'à l'atelier. Des croquis defemmes nues, plus belles les unesque les autres, sont accrochésdans la galerie qui conduit auxcombles. Il en émane une sensua-lité presque animale. La main tou-jours sur son épaule, Maxime lapousse doucement pour la faireentrer dans une grande piècedépouillée au parquet constellé detâches. Une table que recouvrentpêle-mêle des croquis inachevéset un lit aux draps défaits, placédans un coin de la pièce, en cons-tituent l'unique mobilier.- Vous l'avez vu, je ne m'inté-resse qu'aux modèles nus.- Je ne quitte jamais mes bottes…- Dans ce cas, je me sens prêt àfaire une exception. J'ai toujoursaimé les amazones.

Sans un mot, Artémisrepousse les croquis étalés sur latable pour s'y appuyer et, ledéfiant du regard, elle lui tend unedes ses jambes gainées de cuir.- Prouvez-le.

Maxime se rapproche, unsourire carnassier aux lèvres.Sans la quitter des yeux, ilempoigne le talon de sa bottedroite et remonte le long de lajambe en caressant le molletmoulé par le cuir souple. Il luiparle doucement, la capturant deson regard. Puis il la déshabille etelle se laisse faire en silence. Lalouve est devenue agnelle. Lessens en éveil, elle sent les mainschaudes de Maxime l'effleurertout en douceur, son souffle luicaresser la gorge, sa voix grave etprofonde l'envoûter. Elle frémitde plaisir quand il la saisit plusfermement pour la rapprocher

de lui. Son sang, bouillonnant,pulse fort dans ses veines etdiffuse le parfum capiteuxqu'elle a mis pour lui.- Etes-vous prête à être croquéece soir, belle Artémis ? Vousm'appartiendrez alors, vous lesavez, comme ces femmes dansle couloir. Etes-vous vraimentprête ?

Artémis se cambre contrelui. Et la gorge offerte, elleassiste avec une impatienceteintée de crainte à la transfor-mation de son amant enmonstre de la nuit : les caninesqui pointent l'une après l'autre,les pupilles qui s'allongent endeux fentes verticales, passantdu brun au vert, les cheveux etles ongles qui poussent et s'en-foncent douloureusement dansson avant-bras.- Je suis prête, Maître.

Et alors qu'elle repense à tousceux à qui elle a fait l'amour pourassouvir sa faim dévorante, elle sesent aimer pour la première fois.Aimer et être aimée.

Elle sourit quand il la prendet la boit avidement jusqu'à ceque le rouge flamboyant de sabouche ne suffise plus àmasquer ses lèvres exsangues.

Au petit matin, une nouvelleesquisse à la sanguine a rejoint lagalerie de nus du couloir.

FIN

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Fanes de carottes de septembre - 5

Je le regarde à la dérobée.Belle gueule. 0ui, une belle gueule.Seule ombre au portrait, le noir desa chevelure avec son côté plas-tifié et ce, en dépit des soinscapillaires prodigués par Lucius etses ciseaux magiques. Enfinrestent ses yeux, deux gemmes dela plus belle eau, sombres, avec unsoupçon de maléfices.

Je ne prends jamais le métro.N'y trouvez rien de snob. Il y faitd'ordinaire trop chaud et lestempératures altèrent mon teintde porcelaine. Mais ces jours sontjours d'exception et de carnaval,bousculant ainsi mes habitudes.L'atmosphère y est lourde d'o-deurs criardes. Et se déversentdans les rues, les ruelles, les boule-vards, des dizaines et des dizainesde corps pailletés, déguisés,ardents et désirés. Il y a comme ungoût de lucre et de luxure qu'ex-halent les lumignons qui brûlentnuit et jour. Les portes desimmeubles sont entrouvertes, lais-sant glisser dans les venelles de lacité, rires et soupirs. Impossibled'imaginer une voiture s'aventurerdans ses rubans de corps ondu-lants et joyeux. J'aurais pu opterpour un voyage à bicyclette maisma longue robe de tulle n'auraitpas supporté l'inconfort d'un tel

périple. Et je ne suis pas sûre queFabian, aux yeux de braise,apprécie ce mode de locomotionrustique. Nous avons donc optépour le métropolitain qui présentel'avantage de nous conduire àdestination, en quatorze stationset deux changements. Rendez-vous station à Argentine.

J'admire mes escarpins auxtalons ouvragés, la baguette finequi galbe l'arrière de mes jambes.Mes ongles sont légèrementpointus, comme il se doit, et d'unpourpre brillant. Un léger châle desoie brute orne plus qu'il neprotège mes épaules de ladouceur du soir. Fabian me tendsa main gantée. Son déguisementest plutôt de bon goût : unequeue-de-pie bien coupée, unnœud papillon de satin dénouéqui orne sa chemise. Nous rions,tous les deux, en regardant sescheveux soigneusement gominéset ramenés en catogan. Unmouvement léger se fait entendrederrière nous. Je présente, enquelques mots rapides, mon ami,mon complice depuis l'aube destemps, Friedrich, le magnifique.Sa taille élancée, son étrangeregard bleu et son sourire usésurprennent toujours ceux qui lerencontrent pour la première fois.A sa vue, toute expression désertemon visage et je sens un élan quime pousse vers lui. Mais déjànotre petite troupe s'engouffredans les entrailles des labyrinthesurbains. Nous croisons des indi-vidus grimés, pavoisant dans leursatours de strass, qui ornaient, il y apeu, les vitrines des magasins.Nous nous mêlons, l'espace d'untrajet, à cette houle chaude etrieuse. Friedrich accroche une de

mes boucles et la fait glisser entreses doigts fins. Il me susurre : « Tues attirante même en blonde avecta "peek-a-boo bang" coiffure. Tabeauté est toujours indécente. Jedirais que ce soir tu es la réincar-nation éblouissante de VeronicaLake. » Avec un autre, je minaude-rais. Pas avec lui. Il jette un coupd'œil à notre compagnon, hypno-tisé par une paire de seins, forthonnêtes, qu'une jeune hétaïremoderne dévoile audacieusement.Avec un bagout un peu facile, lejeune étalon entame une conver-sation, enfin plutôt une inviteappuyée. Nos regards s'éloignentrapidement de ce marivaudagebas de gamme. La voix mono-corde d'un employé de la RATPvient de nous indiquer un retardcertain dans le trafic. Friedrichm'interroge sur le film dans lequelje joue : film d'épouvante, scéna-riste et réalisateur espagnols etargent français. D'ordinaire plutôtméfiante, je dois avouer que leprojet me procure une certainejoie. Casting intelligent, scénariosérieux : ce film pourrait s'avérerun succès si… Je me mordille leslèvres. Comment lui expliquer ?« C'est lui n'est-ce pas ? » Et il medésigne d'un bref coup dementon le jeune Adonis qui vientd'effleurer délicatement l'épaulede la pseudo-courtisane grecque.Il l'observe un instant. Il sait, ildevance mes pensées. Il perçoit lemanque de densité de notrecompagnon, son côté inachevé. Iln'a pas l'étoffe pour être lepremier, celui qui brille en haut del'affiche. Mais, comme il a suffi-samment couché à droite àgauche et fait la une de quelquestabloïds, il devine instinctivement

Vamps et Vampires Caro_carito

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6 - Fanes de carottes de septembre

que la masse s'emparera de saplastique irréprochable pour fairede lui sa future coqueluche. Cetarriviste à l'esprit limité ne désiremême pas durer car il évolue dansl'ère jetable -si caractéristique del'époque contemporaine-, commeun poisson dans l'eau. Mais pourjouer l'épouvante et incarner avectalent un vampire sur le retour, ilfaut faire partie des grandssquales. Il n'en est pas là, loin s'en faut.

J'ai bien essayé de l'attirerdans mes filets mais sans succès.Le bellâtre m'a snobée. Peut-êtreavait-il peur, ce carnassier dudimanche ? Au demeurant, il al'air de préférer les starlettes touten jambes et à la cervelle farcie deCosmo et autres Vogue. Ladéception passée -mon égon'aime pas être malmené, mêmepar un Don Juan de super-marché- il me fallait un plan. Lejeu relativement plat de moncamarade acteur était capable, deréduire ce futur petit chefd'œuvre en objet cinématogra-phique consensuel, un de cesfilms encensés le temps d'unepromotion pour son originalitéavant de passer à la moulinetteexpress de l'industrie cinémato-graphique. Il me fallait une autreidée. Ce fut Friedrich qui mel'inspira. Il nous fut aisé d'inviterce gigoletto à notre soirée decarnaval Vamps et Vampires. Lecarton d'invitation avec ses lettresgothiques qui ne se détachent dubristol noir que dans l'obscurité,l'adresse prestigieuse, bref tout letralala susceptible de tenter unpetit snob.

Pendant que mes yeux ourlésde khôl s'attardent sur la cheve-lure noire crantée de Fabian,Friedrich s'approche du coupleantiquo-mélodramatique. Si lajeune femme envisageait alors unequelconque aventure d'un soir

avec mon pâle partenaire decinéma, l'arrivée de cet homme, àla beauté impeccablement clas-sique et à la silhouette élégante,vole instantanément la vedette à lagent masculine dans un rayon decent mètres. Un murmure auxtonalités féminines parcourt alorsla foule agglutinée sur le quai. « Jesuis Lestat le Vampire, et je suisimmortel », glisse Friedrich. Unrire frissonnant suivi d'applaudis-sements nourris parcourt l'audi-toire quand Friedrich découvre,dans un rictus charmeur, deuxcanines immaculées. Heureu-sement le métro arrive juste àtemps pour endiguer le flot dequestions qui se forment sur leslèvres brillantes et légèrementhumides. Dans un envol de soies,nous nous engouffrons dans lecompartiment surchauffé. Fabiansemble ailleurs.

Je regarde un instant ma mainaux ongles carminés. « Comme tuaimerais lui enfoncer tes griffes,n'est-ce pas ? » Friedrich m'ob-serve, je profite du mouvementde balancier de la rame pour merapprocher de lui. J'ai le regardlégèrement brumeux. « Tu esrestée au fond une sentimentale,une vampire à l'eau de rose. » Il semoque gentiment, je le sais. Maisil a raison. Malgré toutes cesannées à dérober des vies, j'espèretoujours un peu de cette chaleur

humaine qui me fait tant défaut. Ilme suffit d'un geste un peuappuyé, d'un mot gentil…, et jem'emballe comme une midinette.Heureusement, je me connaissuffisamment et, aux premierssignes avant-coureurs m'indi-quant que l'autre n'est, contretoute attente, qu'un goujat depremière, je retrouve ma naturefoncière. Mon regard a dûprendre ce reflet presque métal-lique, signe qu'il est temps derevenir au monde des ombres carFriedrich m'informe du déroule-ment des réjouissances à venir.Une de ces protégées, une petiteIsolde fera l'affaire. Elle est assezgironde pour attirer notre jeunepremier et semble très enthou-siaste, elle n'en est qu'à sespremières gouttes de sang frais.

Le métropolitain nous amenés à bon port. Les deuxhommes devisent pendant quenous nous approchons du lieu ducrime. La Fabrique, comme nousla surnommons entre initiés, estun vestige d'un autre temps, d'untemps où les nuits avaient cettecouleur de roman de gare et dedanger. Fabian semble fasciné parla façade. Un bon point pour lui,sa destinée ne sera peut-être pas celle d'un suceur de sang de cinquième ordre. A peineFriedrich a-t-il frappé à l'huis quela porte s'ouvre. Au passage, jecaresse la poignée. Comme àchaque visite. Instantanément, jeme rappelle ma dernière soirée de

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Fanes de carottes de septembre - 7

mortelle. La neige qui se glissaitentre mon col lâche et ma peaudiaphane. Le ciel sans étoile,duveteux. Un dernier regard à unerue vide, à une vie pétrie dedéceptions et d'errements. Et jepoussais sans trembler la porte dema mort et de l'éternité qui s'of-frait à moi. J'eus l'impression, àl'instant précis où ma main glacéavait touché le corps de métal dulézard, de dire adieu à cettefemme au cœur lourd. Ce soir, laporte grince encore avec ungrognement familier de bien-venue. Je sens que Friedrich m'ob-serve mais il s'abstient de toutcommentaire. Cette brèche dutemps, nous la connaissons touset aucun d'entre nous n'oserait nepas la respecter.

La musique qui nous accueillechasse d'un coup d'archet nospensées graves. J'entends avecdélectation l'orchestre qui faittrembler les pampilles des lustresdes plafonds. Dorures et rires, pasde deux esquissés. Déjà des mainsfines et pâles ont ôté de nosépaules nos capes moirées. Je sensle poids du regard de mescomparses sur mes épaules nues.Je me retourne pour leur envoyerun baiser avant de m'échapperdans l'enfilade des salles aux stucset aux ors impeccables. Un bal, unbal fraternel où nous échappons àce monde moderne sans grâce etsans panache. Un tourbillon detaffetas et de fracs satinés auxreflets de Bakélite. Je poserai monâme lasse contre un corpsjumeau, je virevolterai dans desbras aériens. Et qui sait si je ne merassasierai pas de cette vie quipalpite, dans le creux secret cachélà, à la base du cou, sous la peaufragile ?

Le tempo de la fête se languitau fur et à mesure que la nuitavance. Friedrich apparaît soudainà mes côtés. « C'est fait », me

glisse-t-il à l'oreille. Nous croisonsIsolde, pétillante de ce flot de viequ'elle vient de ravir. Nous nousdirigeons vers un petit salon. Jel'aperçois, le visage presqueblafard, allongé sur un canapé. Jesens la peur qui s'empare de lui, lafascination aussi. Dire qu'il y apeu, il n'était qu'une icône éphé-mère et illusoire d'un monde entoc. Magnanime, je pose uninstant mes griffes sur sa joueencore tiède. « Nous nous rever-rons lundi… » Et je dépose surses lèvres diaphanes un baiser augoût de sang.

L'aube est proche. Friedrichet moi sommes accoudés au pontAlexandre. L'avenir nous sourit.

Le film sera un petit chefd'œuvre, le héros ayant enfin cettedensité sombre qui lui faisaitdéfaut. Il ne me volera plus lavedette non plus, petite ven-geance bien mesquine, je l'avoue.Mais qui était-il pour me dédai-gner ? Qui pensent-ils être, cespauvres et éphémères mortels,pour faire de nous, les créaturesde la nuit, des monstres de sérieB ? Qu'importe, ils passeront etnous, nous danserons encore etencore, juste avant l'aurore, noscorps délicats enlacés jusqu'à lafin des temps.

Crédit pour les photos de Veronica Lake :http://www.ipacific.com/shop/photography/hurrell/

Le destinMAP

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« Durant quelques jours,cependant, je demeurai dans monétat ordinaire, bien que la penséevive de cette chevelure ne mequittât plus.

Je tournais la clef de l'ar-moire avec ce frémissementqu'on a en ouvrant la porte de labien-aimée, car j'avais aux mainset au cœur un besoin confus,singulier, continu, sensuel detremper mes doigts dans ce ruis-seau charmant de cheveux morts.

Puis, quand j'avais fini de la

caresser, quand j'avais refermé lemeuble, je la sentais là toujours,comme si elle eût été un êtrevivant, caché, prisonnier;

je la sentais et je la désiraisencore; j'avais de nouveau lebesoin impérieux de la reprendre,de la palper, de m'énerverjusqu'au malaise par ce contactfroid, glissant, irritant, affolant,délicieux.

VéronVamp... Vampire...

La chevelureJosefa

8 - Fanes de carottes de septembre

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Je vécus ainsi un mois oudeux, je ne sais plus. Elle m'obsé-dait, me hantait. J'étais heureux ettorturé, comme dans une attented'amour, comme après les aveuxqui précèdent l'étreinte.

Je m'enfermais seul avec ellepour la sentir sur ma peau, pourenfoncer mes lèvres dedans, pourla baiser, la mordre. Je m'enrou-lais autour de mon visage, je labuvais, je noyais mes yeux dansson onde dorée afin de voir lejour blond, à travers.

Je l'aimais ! Oui, je l'aimais. Jene pouvais plus me passer d'elle,ni rester une heure sans la revoir.

Et j'attendais... j'attendais...quoi ? Je ne le savais pas.

- Elle.

Une nuit je me réveillai brus-quement avec la pensée que je neme trouvais pas seul dans machambre.

J'étais seul pourtant. Mais jene pus me rendormir; et commeje m'agitais dans une fièvre d'in-somnie, je me levai pour allertoucher la chevelure.

Elle me parut plus douce quede coutume, plus animée.

Les morts reviennent-ils ?

Les baisers dont je laréchauffais me faisaient défaillirde bonheur ;

et je l'emportais dans mon lit,et je me couchai, en la pressantsur mes lèvres, comme unemaîtresse qu'on va posséder.

Les morts reviennent !

Fanes de carottes de septembre - 9

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10 - Fanes de carottes de septembre

Elle est venue.

Oui, je l'ai vue, je l'ai tenue, jel'ai eue, telle qu'elle était vivanteautrefois, grande, blonde, grasse,les seins froids, la hanche enforme de lyre ;

et j'ai parcouru de mescaresses cette ligne ondulante etdivine qui va de la la gorge auxpieds en suivant toutes lescourbes de la chair.

Oui, je l'ai vue, tous les jours,toutes les nuits. Elle est revenue,la Morte, la belle Morte, l'Ado-rable, la Mystérieuse, l'Inconnue,toutes les nuits. »

Guy de Maupassant,«« LLaa cchheevveelluurree »».

Le soleil se lèvera dans uneheure. Assise sur ma terrasse, jel'attends. Les larmes qui coulentsur mes joues laissent des tracessanglantes. Qui aurait cru que jepuisse pleurer ?

Déjà, il aurait fallu savoir queje pouvais aimer. Ça ne colle pasvraiment avec ce que les humainssavent des vampires. Les grandsprédateurs à la séduction mor-telle, offrant un baiser fatal avecla froideur d'un monstre à moitiémort…

Et pourtant j'ai aimé.Bien sûr, au départ, je ne

voulais qu'une petite friandise deplus. Vêtue de noir, je hantaismes bars de prédilection pourtrouver un homme à attirer dansmon lit et dans sa tombe.

Autrefois -longtemps avantma première mort- j'aimais déjàça. J'aimais l'exigence de laperfection lors du choix des vête-ments, j'aimais sentir le regard deshommes sur moi, j'aimais jouer àces jeux dangereux de séductionoù tout peut basculer en uninstant, où la femme fatale peutdevenir la victime d'un agresseur,où le feu que j'attisais dans leursregards menaçait à chaque instantde me brûler la peau.

Je les aimais bien, tous, mescajoleurs, mes séducteurs, mespaumés, mes ratés, mes enfantsde la nuit qui discouraient au-dessus de leur verre de vin touten vérifiant du coin de l'œil que jeles regardais faire. Ils étaientsouvent touchants, souventeffrayants, parfois magnifiques,parfois immondes. Je m'en

moquais. Je prenais leur chaleur,leur alcool, leur drogue, leurargent, leurs secrets, ils medonnaient tout et redemandaientavidement que je daigne ànouveau me pencher vers eux.Au final, mon ancienne vie n'étaitpas si différente de la nouvelle.De ma non-vie. Pas de liendurable, pas d'amour, pasd'ennui. Juste le frisson du désiret du danger. Le plaisir des sens etdu pouvoir. Jamais je n'avaisrencontré d'homme qui ne puissepas être remplacé par son voisinde table. Ils étaient anonymes etinnombrables, mes beaux chéris.

Jusqu'à ce que je rencontre leSeigneur. Saigneur lui aurait telle-ment mieux convenu, commenom. Mais ce modeste jeu demots ne lui plairait pas. Tropvulgaire. Et il a une façon bien àlui de prononcer ce mot « vulg-aire », avec une petite moueseigneuriale donnant à penserque son auguste personne amordu dans un citron, sans allerjusqu'à faire une grimace, je l'ima-gine d'ici tiquant devant monhumour trop populaire. Dire queje l'ai tant déçu, mon beauSeigneur, et que je n'ai même pasle bon goût de le regretter. Car luiaussi m'a déçue, on peut dire. Ouplutôt il m'a, sans me demandermon avis, offert un cadeauempoisonné.

Il est apparu dans mon fief àla recherche d'une victime. J'encherchais une moi aussi. Il aregardé mes courbes parfaites,ma gorge d'un blanc pur, monregard soufflant la glace et le feu,

Un rayon de soleilrouge sang

Luma

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Fanes de carottes de septembre - 11

mon sourire énigmatique. J'airegardé ses vêtements de marque,sa montre en or si distinguée, sonallure, sa désinvolture. Nous noussommes mutuellement choisispour proie.

D'un geste il a réservé unealcôve, d'un regard il m'a faitsigne qu'il m'y attendait. Je l'aiignoré. Je n'étais pas une prosti-tuée et je n'obéissais qu'à mespropres caprices. Certes, j'avaisenvie de cet homme-là pour unenuit, rien qu'une. Il était beau etraffiné, sans doute riche et intelli-gent, ce que j'appréciais. Mais jen'aimais pas sa façon de se croirele maître d'un jeu dont je voulaistirer les ficelles.

Ah, l'arrogance de la petitehumaine qui sous prétexte qu'elles'habille en noir et vit la nuitprétend remettre à sa place lesublime Prince des Ténèbres…C'est cette arrogance qui m'asauvée la vie, ou l'a prolongée ennon-vie, peut-on dire. Je lui airésisté en restant bien assise surmon siège et en papillonnant avecl'homme qui m'offrait timide-ment à boire. J'avais beau êtreorgueilleuse, je savais très bienque si jamais j'allais parler auSeigneur, je ne pourrais pas luirésister. Même à distance, alorsque je ne pouvais distinguer de luiqu'une ombre derrière un voile, ilme troublait. Je n'arrivais pas àme concentrer sur ce que je disaiset l'homme qui m'accompagnaits'enhardissait beaucoup trop vitesans que je pense à le remettre àsa place. Finalement j'ai décidé defuir. Je détestais cette sensationd'être perturbée.

Mon compagnon m'a suivie.Ce n'est qu'une fois dehors que jelui ai dit que je voulais rentrerseule. J'avais les nerfs tenduscomme des cordes à violon et j'aiété brutale. Brutale tout en lais-sant transparaitre ma peur. Ce

qui l'a encouragé à être plusbrutal encore. Il m'a plaquéecontre le mur et a commencé àme menacer.

Je n'ai pas perdu mon sang-froid et je pense que j'aurai pum'en sortir toute seule. J'avais uncouteau et un revolver dans monsac et je n'aurai pas eu peur d'uti-liser l'un ou l'autre. Mais non. Il afallu que le Seigneur surgisse denulle part, tel un ange déchujeté du ciel et tombé dansla rue au lieu d'arriveren enfer. Il a maitrisél'homme avec éléganceet facilité. Après quoi ila posé son manteausur mes épaules et m'adit : « Partons d'ici. ». Etmoi, stupidement, je l'aisuivi.

Oh, bien sûr, je nesavais pas que le sublimeprince que je suivais était unmort-vivant. Il avait mangé peude temps auparavant et la vie quil'avait nourri l'illuminait encore, ilirradiait de chaleur et d'énergie,jusqu'à ce qu'on croise son regardfroid et millénaire comme unepierre tombale. Non, je le suivaiscomme j'aurais suivi la pire bêtisede ma vie, l'homme capable dem'arracher ma précieuse liberté,je me débattais contre la fascina-tion qu'il exerçait sur moi, envain, bien sûr, tellement envain… En serrant son manteaucontre moi j'avais son odeur et sachaleur qui m'interdisaient departir, de rejeter ce doux bien-êtrepour l'air glacial de la rue. Mêmela drogue ne m'avait jamais autantfait perdre le contrôle de moi-même. J'étais envoutée par cesauveur mystérieux et prête à lesuivre jusqu'au bout du monde.

Il m'a emmenée dans sachambre d'hôtel - le Seigneur vituniquement à l'hôtel, toujours deshôtels de luxe - et a fait servir un

repas fin et du champagne. Il s'estmis à me parler. Il me parlait demoi mais ce n'était qu'un longmonologue où mes réponsesn'étaient pas nécessaires. Il parlaitde ma beauté, de mon élégance,de ma dignité, de ma noblesse. Etde sa solitude aussi. Si longue. Je lelaissais parler tout en sirotant monchampagne. Je tentais de ne pas leregarder, préférant le spectacle dela ville brillant dans la nuit. C'est làqu'il m'a demandé de l'épouser.

J'ai dit non.Il a insisté.

J'ai refusé encore.Il m'a souri.Et ses deux longues

canines ont plongé dans moncou, faisant de moi son épouseet un monstre.

J'ai suivi sa loi et ses désirs,moi qui avais évité toutes leschaines au cours de ma vie,parce que je n'étais pas assez

forte pour lui résister. Mais chezles vampires le pouvoir a le goûtdu sang et j'ai réussi à avoir assezd'esclaves pour me séparer duSeigneur. Me séparer de lui sansqu'il ne me tue, car il en avait déjàassez de moi. Il avait lu dans monesprit et croyait me connaitreparce qu'il savait de quoi j'étaiscapable. Ce qu'il ignorait, c'est àquel point je le détesterais etcomment je ferais tout pour qu'ilme déteste à son tour. Notreséparation fut sanglante, commeil se doit, mais enfin je regagnaima liberté.

Nous avions erré de ville enville durant ma captivité -notresanglante lune de miel. J'ai décidéde revenir à mon point de départet de faire de cette ville mon terri-toire, j'étais prête à le défendre detoutes mes forces contre lesautres vampires. Je savais déjàtrouver des victimes solitaires etles manipuler jusqu'à en obtenirtout ce que je désirais et je n'eus

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12 - Fanes de carottes de septembre

aucun mal à me tailler un empirefinancier colossal, défendu parune poignée de vampires soumiset une armée de laquais humains.Mais j'allais toujours cherchermes proies moi-même. J'aimaisme nourrir d'hommes en extasedevant ma parfaite beauté.

Jusqu'à ce que je rencontreDan. Un simple mortel. Il étaitperdu dans notre monde de lanuit et trop orgueilleux pour lereconnaitre. Il a tenté de meséduire avec maladresse, en disantla vérité sur les sentiments que jelui inspirais, et ça m'a amusée. Ilm'admirait sans être soumis. Ilétait courageux, prêt à se lancerdans n'importe quelle aventuresans réfléchir pour aider un ami.Ce n'était pas grand-chose, unemasse de petits riens, des miettesd'intérêt comparé aux hommes etaux vampires que j'avais déjàrepoussés, et pourtant ils suffi-rent à produire l'impossible : moncœur figé se remit à battre et jetombais amoureuse.

Dan accepta mes faveurs etmon amour avec la même joiesimple, ignorant totalement quij'étais dans ce monde obscur oùje régnais si fièrement. Il m'aimaitaussi et pendant quelques temps,j'ai été plus heureuse dans la mortque je ne l'avais jamais été dans lavie. Je passais chaque nuit à sescotés et j'aurai voulu que nouscontinuions pour l'éternité. Oui,j'étais prête à commettre enverslui le même crime que le Seigneuravait commis envers moi. Je refu-sais de lui dire que j'étais unevampire -je savais qu'il merepousserait- et refusais de luidemander son avis. La solutionpour préserver à jamais monbonheur était devant moi, simpleet évidente. Et maintenant je medemande pourquoi je l'ai sanscesse repoussée. Question hypo-crite dont je connais la réponse.

Dan n'aimait pas le mondedes ténèbres.

Il voulait que je cesse deporter du noir et que je m'habille« normalement ». Et il voulaitqu'on se voit « normalement »aussi, dans la journée, il voulaitsavoir quel métier j'exerçais, ilvoulait me présenter à sesparents, il voulait qu'on ait unemaison, un chien, des enfants. Ilvoulait passer le reste de sa vie àmes cotés et j'en étais touchée,mais pour cela il aurait fallu que jele rejoigne, que je quitte monunivers pour rallier le sien. Uneperspective qui m'aurait horrifiéequand j'étais vivante et qui,depuis que je ne l'étais plus,m'était tout simplement impos-sible. Et si je l'attirais de force demon coté de la frontière, je lepriverais à jamais de tous sesrêves et de tout ce qu'il aimait, cequ'il ne me pardonnerait pas. Jene pouvais pas supporter l'idéequ'il me déteste et se rebellecontre moi comme je m'étaisrebellée contre le Seigneur.

J'ai donc retenu mes crocs etétouffé de mon mieux monatroce soif de sang, j'ai faitsemblant de dormir nuit aprèsnuit près de cette gorge si chaudeabritant la vie de mon aimé, j'aimenti de mon mieux pourpréserver notre bonheur. Jamais iln'a su à quel point cela m'avaitcouté. J'ai pourtant essayé de lelui faire comprendre, mais sanspouvoir avoir ce que j'étais réelle-ment, c'était voué à l'échec. Ildevenait de plus en plus triste etamer, jaloux de tous ceux qui mecôtoyaient sans s'apercevoir àquel point je le privilégiais. Sadouleur m'a tellement fait souf-frir… et pourtant j'ai continué àl'aimer de toute mon âme.

Jusqu'à ce soir.Je venais de me lever quand il

est entré. Il a détourné la tête

quand j'ai tenté de l'embrasser. Ilm'a dit qu'il voulait me parler. Etil a parlé. Un brouillard de motsque je refusais d'entendre. Desmots horribles. Des mots de fin.De séparation. Des mots banalset hypocrites.- Non, ai-je froidement répondu.

J'avais mal, si mal…J'ai continué :

- Non, on ne restera pas amis. Situ n'es pas avec moi, fous lecamp. Sinon…

Il a tenté de me caresser lescheveux et je l'ai laissé faire,tremblant sous ce derniercontact. Mais il a retiré sa main.Alors j'ai compris que tout étaitréel. Qu'il voulait partir. Mequitter. Je l'ai retenu de force. Il acommencé à paniquer quand il avu qu'il n'arrivait pas à sedégager. Il était si faible, monpauvre chéri, dans son corps toutchaud d'humain, le cœur battantà toute allure dans cette musiquedélicieuse. Il a vu mes dents et ahurlé de tous ses poumons. C'estalors que je l'ai mordu.

Je ne sais pas pourquoi sonsang était si bon. Peut-être parceque je l'aimais. Ou peut-être parceje m'étais retenue si longtemps. Amoins que ce ne soit le manque -avec sa jalousie farouche j'avais deplus en plus de mal à me nourrirsans qu'il ne me fasse une scène.Mais je n'ai pas pu me retenir.Une fois mes dents plantées danssa gorge, j'ai bu jusqu'à la dernièregoutte de ce précieux nectar,jusqu'à ce qu'il n'y ait aucuneretour en arrière possible. J'ai tuémon bien-aimé. Jamais je nesaurai s'il m'aurait pardonné de luiavoir donné la non-vie desvampires. Jamais plus je ne verraison beau corps s'animer, ses yeuxpétiller et sa bouche rire en mecouvrant de baisers. La faimimmonde et animale du monstreque je suis devenue a été plus

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Fanes de carottes de septembre - 13

forte que l'amour, ce sigrand et noble sentiment.

Lorsque j'ai compris ceque j'avais fait, j'ai hurlé àmon tour, un hurlement demort qui a terrifié tous ceuxqui l'ont entendu, le hurle-ment d'une damnée en trainde subir son tourment. Mesyeux se sont remplis delarmes et ainsi j'ai su que lesvampires pleurent deslarmes de sang. Elles ontcoulé sur son corps, soncadavre abandonné, quin'était plus que de la viandeblanche, sans pouvoir luirendre la vie. Le sang que jelui avais volé je l'ai gaspilléen fleurs écarlates qui onttaché le sol et nos vête-ments. Et maintenant, assisesur la terrasse, les pauvresrestes de mon amant dansles bras, je continue à gâcherce précieux sang et ma faimgronde tandis que meslarmes coulent sur nous.Peu importe. Il ne me resteque peu de temps àattendre. Si je ne peux pasramener mon bien-aimé à lavie, au moins je peux lesuivre dans la mort. La véri-table mort.

Dans une heure lesoleil se lèvera.

Chapitre 1

« Un calme olympien »

Il faisait déjà grand jour quand l'homme se leva et s'approcha de lafenêtre. La lumière matinale rendait le ciel cinglant. De la terre humides'échappaient des volutes immaculées. Il resta un long moment àobserver les rais de lumière qui s'accrochaient aux silhouettes noueusesdes oliviers. Il se dirigea vers la cuisine. Elle avait laissé la porte ouverte.Il attrapa une orange dans le fruitier en terre et s'immobilisa sur le pasde la porte. La pomme d'or se réchauffait dans la chair tiède de sapaume. Ce n'est que plus tard, quand la matinée serait bien avancée,qu'il dénuderait ce fruit juteux. Y mordre à pleines dents marquerait lenouveau tempo du jour, légèrement plus rapide. Nature crépitante.Insectes aux pas furtifs. Vent bruissant dans les feuilles. En attendant,il appréciait cet instant où la maison était muette, sauve des vociféra-tions de sa femme.

Rhéa avait dû se rendre chez une de ses sœurs ou de ses filles, unesemblable en tout cas. Elle s'y plaindrait de son époux, récriminerait sursa lenteur débonnaire et débusquerait avec avidité les derniers potins. Ilverrait approcher sur le chemin poussiéreux sa silhouette massive, et ildevinerait sans peine la poussière d'amande restée collée sur ses lèvresgourmandes. En l'embrassant, il sentirait l'odeur poivrée de ses cheveuxnoirs. Il fermerait brièvement les yeux à l'idée de croquer sa bouchecharnue comme une grenade trop mûre.

Il aimait ses journées sans surprise. Les minutes tombaient gouttesà gouttes sur le pré brûlé par l'été. Il pouvait contempler sans bouger levillage blotti au fond de la vallée, les silhouettes qui couraient seules ouavec leurs petits vaisseaux à quatre roues. Il sentait le temps s'étirer entreses doigts comme une pâte molle. Il en appréciait la texture douceâtre.De la terre encore humide de la nuit s'élevaient des bras laiteux qui cares-saient l'herbe jaunie et s'accrochaient aux maigres silhouettes feuillues.C'était l'instant béni où le merveilleux se révélait aux yeux des hommes.Au détour d'une promenade matinale, lorsque le vent léger du matin faitfrissonner la peau. Le long d'une voie rapide, quand, dans un vallonoublié, un rêve ancien caresse un front soucieux. De longues écharpesde brume, diaphanes et cotonneuses, le sourire d'une fée à l'abri d'unrayon de soleil. Qui sait si ces êtres de chair, sans foi ni loi ne pouvaientcroire -ô fugitif éclat temporel- en l'existence d'autres mondes, au-delàdes apparences… comme un bref effet de lumière.

Du rififi sur l'Olympe

Appel à feuilleton

Feuilleton du dimanche

Caro_carito

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14 - Fanes de carottes de septembre

Il attrapa le bâton noueux posé devant la ported'entrée. Là-bas, plus au sud, il pourrait apprécierla descente abrupte de la montagne sur l'isthme deCorinthe. Il jouirait du tourbillon des couleursfranches, bleu, vert émeraude des eaux dormantes,ocre des terres, pureté d'un torrent qui se tariraitbientôt. Il s'amuserait du rire des chèvres déferlantdes hautes prairies vers des pâturages plus fournis.Il rentrerait, juste avant cette période de bronze etde chaleur où il fait bon se reposer. Il rejoindrait unfils, un neveu, quelqu'un qui l'attendrait à l'ombredu vieil eucalyptus. Apollon peut-être, qui geindraitde n'être plus qu'une statue. Celui-là n'arrivait déci-dément pas à accepter que leur ère ait pris fin. OuZeus, un jour de jeûne : sans déesse, sansnymphette, sans mortelle.

Il ressentait lui-aussi cette perte car il devinaitque leur existence dorée touchait à sa fin. Les dieuxs'effaçaient dans la mémoire des hommes. Toutesces matinées à inventer de toutes pièces l'Olympe,des heures à se chicoter sur la guerre de Troie poursavoir quel clan choisir, des nuits blanches surMédée, de franches rigolades avec les métamor-phoses d'Ovide : ces échos surannés lui faisaientencore mal.

Il était revenu à pas lents près de l'eucalyptusqui veillait, avec l'assurance que donne un âgevénérable, sur la maisonnette blanche. Son regardfut attiré par un mouvement au loin, un point quivenait rapidement vers lui. Qui était ce visiteur ? Ilplissa les yeux, manœuvre inutile vu l'éclat dudisque solaire. Il posa son bâton et s'assit sur lebanc de pierre.

Chronos n'avait plus qu'à attendre que serapproche le tumultueux nuage de poussièrebrune. Il essaya à nouveau de deviner qui était l'in-connu. Quoique, il avait sa petite idée. Encore uneavancée cahotante de ce qui ressemblait à unemoto matinée d'une troisième roue. Une sorte detriporteur. Oui, c'était bien elle. Pas de doute. Irisla pétulante, la colorée messagère des dieux.

Chapitre 2

« Livraison par DHL (DéesseHautement Laconique) »

C'était bien Iris, la messagère des dieux.Cronos aurait préféré une autre voyageuse ;Déméter par exemple, qui profitait de l'extensiondu réseau aérien pour goûter à tous les étés de la

planète. Elle affichait une mine dorée qui contras-tait avec la figure de mère éplorée que quelquesérudits gardaient encore en mémoire. C'est vrai,elle le ravissait par ses frasques, affichant unsourire époustouflant et cachant ses yeux parmesous une paire de lunettes noires. Il se souvenait dujour où était née la légende de Perséphone et de sagénitrice. Le ciel étincelait au milieu des chants descigales. Eux, installés sur la plage vierge d'une desinterchangeables minuscules îles grecques, avaientbu, fêté l'insouciance d'être sur terre dans l'uniquedessein de servir d'illusions aux hommes. De cettesoirée diantrement partousarde étaient nés deuxmythes incontournables, qui avaient eu un francsuccès : Déméter et Perséphone, contrastant avecDionysos et ses Bacchantes déchaînées. Un moyend'équilibrer cette fichue balance du bien et du malqu'ils devaient respecter. Résultat un devoir sur lapiété filiale et la fidélité et une copie pour folie etsexe débridés… Le parfait reflet de leur bande dejoyeux noceurs. Avec leur apparence humaine, sedire qu'ils étaient des dieux, n'était-ce pas risible ?Sans parler de morale, avaient-ils au moins uneâme ? Pas sûr. Chronos secoua sa crinièreargentée : hors de questions de démarrer les ques-tions existentielles, c'était un boulot de philosophe,pas de divinité.

Il plissa à nouveau les yeux. Ce soleil d'aoûtétait vraiment perturbant. Il essaya d'utiliser samain comme une visière. Oui, c'était elle, il nepouvait s'y tromper. Iris la pétulante, Iris la colé-rique. Imprévisible. Messagère des dieux. Dans ledernier sursaut de sa moto pétaradante, elle enlevason casque et secoua les dizaines de tresses auxperles colorées qui ornaient son visage abyssin.« Tu t'es fais une tête de méduse ? » Iris ne luirépondit pas, extirpant une épaisse enveloppe kraftde sa sacoche. Il insista : « Il me semble que tu asdéjà arboré cette charmante coiffure. Je metrompe ? » Son regard brumeux de myope quidédaigne les lunettes et autres futilités s'attarda uninstant sur le vieil homme avant d'attraper dans saligne de mire le vol capricieux d'un papillon. « Oui,en Afrique, il y a quatre ans, deux mois et six jours.Je revenais du Congo Brazza. Mais là, les petitesnattes, c'était dans un bouge dans un quartier de laCapitale. J'avais ce pli à prendre pour toi et je mesuis égarée. J'ai trouvé amusant de changer detête. » Il ne releva pas, l'ayant découverte successi-vement en Marylin, en bonze, son crâne étantd'ailleurs de toute beauté. Le sang hellène à n'enpas douter. Le silence s'abattit brutalement sur eux.

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Chronos s'en amusa. Il en était toujours ainsi avecla messagère. Elle débarquait, semant la pagaillesur son passage, bousculant leur train-train avecses mœurs bariolées. Elle dévidait tout un chapeletd'informations en prenant à peine le temps derespirer. Et soudain, panne de son. Arrêt du direct.Qui s'éternisait parfois dix minutes, parfois uneheure et plus. Le vieil homme savait que celamettait la plupart de ses condisciples dans unefureur extrême. Lui s'en fichait, quelle impor-tance ? Ne rien dire, ne pas parler. Il trouvait celaplutôt agréable. Laisser la vie en suspens. Ne riencontrôler ou simplement prendre le temps d'ac-cepter un changement. Ou même rien. Juste êtrelà, aux côtés de quelqu'un, sans attente. Il savaitqu'alors le sablier du temps s'interrompait. Oh !Pas pour longtemps ! Juste assez pour qu'il puissese couler dans un interstice d'éternité.

« Bon, Cronos, c'est pas tout çà, mais j'ai duboulot. Je suis venue t'apporter cela. » Brus-quement tiré de sa rêverie, le dieu du tempsregarda d'un air méfiant l'épaisse enveloppe kraftqu'une Iris à la mine goguenarde agitait. Tous deuxse dirigèrent vers la petite maison aux voletslavande. Ils s'installèrent dans la cuisine et Chronossortit deux verres et un pichet de vin frais. Sonpouls était plus rapide qu'à l'accoutumée maisaucune nouvelle, bonne ou mauvaise, ne pourraitles empêcher de savourer la production diony-siaque à sa juste valeur. Iris, les yeux mi-clos,égrena son rire mutin. « Ma main à couper que tuaurais cette réaction. Ton monde peut s'écrouler, tusauras toujours profiter de l'instant présent. » Ellefit glisser l'enveloppe sur le bois ciré jusqu'auvieillard. Celui-ci, pour la première fois de salongue existence divine, ressentait une vaguepointe d'angoisse. Mauvais signe. Il se servit unautre verre : qui pouvait dire si les suivants auraientencore ce délicat goût de fraises écrasées ? Sonregard s'attarda sur les murs familiers de sa maison,il aperçut un bout de ciel pervenche et un nuagequi s'effilochait. Il sortit un coutelas de sa poche etentreprit de défaire la ficelle qui entourait le paquetbrun oblong. Il en sortit une liasse blanche defeuillets imprimés. Un logo barrait le haut de lapremière page. Un temple rococo dessiné sur unnuage : le Ministère…

Chapitre 3

« Des nouvelles d'en bas quivous font tomber de haut »

La lumière avait imperceptiblement changé.Chronos se leva. Une soudaine douleur lui vrilla lestempes. Il attrapa un vieux pull et sortit. Il savaitqu'Iris le laisserait seul le temps de regarder plusattentivement le charabia administratif qui lui avaitété envoyé. Il devinait plus qu'il ne le voyait lepaysage familier qui l'entourait. Ses pensées luiéchappaient, comme affolées, dévidant avec insis-tance la journée, des pans de passés, les joursfunestes comme aujourd'hui. Elles voletaient, s'at-tardant aux indices avant-coureurs d'une cata-strophe imminente. Trop de copinage avec lesaruspices et cette Cassandre des malheurs.

Il relut plusieurs fois la lettre, s'arrêtant sousun arbre, avançant de quelques pas. Il sentait bienderrière lui la présence dansante d'Iris qui le suivaitpas à pas. Il avait d'abord pensé à une retraite anti-cipée. Les autorités se seraient soudainementrappelé l'existence de dieux un peu passés demode. Cela aurait été un moindre mal car le chan-gement de statut n'aurait pas modifié magistrale-ment le cours de leurs vies. Non, les feuilles duministère puaient la cabale et le coup fourré. Uneidée à deux sous d'un fonctionnaire zélé qui avaitgravi les échelons à coups de flagornerie. Ciel quela nature humaine était vile, prévisible et immuable.Bref, cette étroitesse d'esprit transpirait sous lesformules ampoulées dactylographiées : « Dans ledésir de mener à bien les réformes actuellement encours dans le monde et afin de lutter contre ladéperdition des fonds des nations, une vasteréforme de nos institutions a été entreprise. Desconvocations vous seront remises. En entretienindividuel, nous pourrons ainsi évaluer de manièreobjective le réel bénéfice que la communauté aretiré de vos services et de ceux de votre équipe.Nous espérons votre entière coopération, qui nouspermettra d'assurer à nos concitoyens un meilleurservice à un moindre coût. » En gros, celavoulaient dire que de gros ennuis se profilaient àl'horizon. Quelle idée aussi avait-il eu de se faireélire représentant de la clique olympienne ? Il fallaitêtre suicidaire pour se charger d'une pareille équipede bras cassés. Il soupira, il n'avait pas vraiment eule choix. Les volontaires ne s'étaient pas bousculésau portillon, les autres velléités de représentation

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se résumant à des non-choix, le colérique etfougueux Arès (la guerre assurée) ou la non moinsredoutable Thétis (périr dans les flots !).

De lui dépendait donc le sort de leur petitecommunauté, l'avenir qui se dessinait devant eux etaussi celui de leurs créations. Il interrogea un peuIris. Comme il s'en doutait, la nouvelle s'étaitrépandue comme une traînée de poudre. Il faudraitpeu de temps pour que les lieux soient envahis parle panthéon grec au grand complet. Et les autresaussi, les héros de seconde zone, Tantale, Niobé,les Néréides, les géants… Une atmosphère depoulailler. En gros, ça allait être le bordel, aupropre comme au figuré. Les mythes et les habi-tudes ne risquaient pas de changer d'un iota.

Il resta là, immobile. Sa respiration lente,sifflante, venait à peine troubler la quiétude environ-nante. Il attendait, attentif à ce mouvement quimontait de la vallée par tous les chemins, à ce bruitsourd qui se formait ici et là, au pied des sources, àl'abri des restes d'une colonne antique, cette clameurqui gonflait peu à peu et qui amènerait chaque divi-nité, chaque déesse, chaque infime héros sur lesentier qui conduisait à la petite villa aux voletslavande. Et cette angoisse, qu'ils avaient longtempsoccultée, cette peur non seulement de glisser dansle néant mais aussi de voir le passé s'effacer commedisparaissent les inscriptions gravées dans les pierrestutélaires semblaient lentement assombrir le ciel etengloutir les collines avoisinantes.

Chapitre 4

« Une tribu au grand complet »

C'était la fête. Ils étaient tous là, la familleréunie au grand complet. Tantale, que Chronosn'avait pas vu depuis qu'il s'était réfugié enAustralie. Les amazones, qui avaient bien leursdeux seins. Elles étaient venues en bus, la situationétait bien trop urgente lui expliqua Hippolyte. Ilserra la main à quelques faunes et à ce cher Chiron.Il remarqua certains couples légendaires quis'éclipsaient un long moment. Enfin, quoi ! Cagesticulait, s'embrassait à tout va. Déjà un grandfeu avait été allumé et on entendait de la musique.Mais si le plaisir des retrouvailles dura une partie dela nuit, la raison du rassemblement et ses consé-quences probables refirent rapidement surface.Place aux discussions.

Après des heures de palabres et de criseslarvées ou ouvertes, Ulysse avait, avec sa finesse

habituelle, résumé la situation, pesé le pour, lecontre, émis hypothèses et déductions. Mais l'es-sentiel était là : dans cinq heures et dix-septminutes, Chronos devait se présenter devant l'auto-rité de tutelle. Soit neuf heures trente tapantes.Pour le transport, Hélios s'était proposé, on pouvaitcompter sur sa ponctualité. Chronos sentit unechape de fatigue lui broyer les épaules ; encore uneheure avant de les renvoyer tous dans leurs pénates.Les tranquilliser, leur assurer qu'ils seraient tenus aucourant. Il savait bien que l'exercice est un peu vainmais parfois il fallait juste faire les choses même sil'espoir restait mince. Ils s'étaient tous retirés, unléger sourire aux lèvres, une lueur amusée dans lesyeux à l'évocation du diabolique labyrinthe, desrêveries dans le jardin des Hespérides et des travauxd'Héraclès. On pouvait aussi noter un excès d'am-broisie. Dire qu'il en avait même bu une coupeparce que… parce que lui, que seuls les parfumscapiteux des vins athéniens apaisaient, avait décidéde faire comme si. Comme s'ils étaient de vraisDieux, immortels et respectés. Avec leurs rites etleurs cultes immuables.

Rhéa s'était approchée de lui. Elle avait biendes défauts mais sa fidélité était légendaire. Il laregarda tendrement. Il était temps de rentrer et detâcher de trouver le repos. Même si mille idéestournaient dans sa tête. Heureusement le nectardes dieux l'emmènerait sans effort dans les bras deMorphée. Ils s'attardèrent, tendrement enlacés, àobserver les étoiles. Ils les connaissaient par cœur,leur éclat, leur place dans l'immensité sombre,changeante suivant les saisons et surtout leurshistoires : Orion le grand chasseur et Vénus, lesPléiades, les Dioscures, ces sacripants. Ils s'arrêtè-rent un instant en admirant le ballet gracieux desPerséides. Ils gravirent ensuite lentement le petitchemin pierreux. Un dernier regard sur le seuild'entrée vers la Voie Lactée et la porte violine sereferma sur le couple voûté.

à suivre...

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Fanes de carottes de septembre - 17

Amarsir

verbe sensitif à quintuple détente1/ de A - MARS et IR : Néologismeutilisé en spationautique pour indi-quer le fait de se poser sur la planèteMars.ex : « Et enfin, ils amarsirent endouceur après leur long voyage dansl'espace… » (« Le rouge émis »,roman, John Le Cercle -1964).2/ Depuis le début du 20e terra-siècle, en référence au cirque Amar,ce terme est employé dans le mondedu spectacle ambulant, le sens

évoluant au fil du temps :a - le sens premier signifia répandrede la sciure rouge sur la piste ducirque,b - puis s'installer sur un terrainadéquat, c - et enfin monter tentes et chapi-teau, popularisé par les dialogues dufilm « Sous le plus large cirque dumonde » -1952- de C. Legrobillet(ex : « Eugène tâche voir à amarsirfissa l'chapiteau avant l'orage ! »).3/ Bas Picourdin : Attraper larougeole.4/ Devenir rouge de confusion (ex :« En entendant cette histoire osée,son visage s'est amarsi en quelquessecondes »).5/ Enfantin : Cueillir des coquelicots(ex : « Regarde Maman, je t'ai amarsiun beau bouquet pour ta fête ! »).

MMAAPP ((DDééffiinniittiioonn)),,VVaanniinnaa ((IIlllluussttrraattiioonn))

Quarante-ddeux

La réponse à la question sur la vie,l'univers et le reste.

IInnFFoolliioo

Appel thématique permanent

Dictionnaire illustre de la SFFF,

Wheke est son nom. C'estaussi un monstre marin, uncalmar géant. À lire des romansou à écouter les mythologies, onpourrait avoir tendance à croireque ces animaux relèvent de lacryptozoologie et n'existent pas.

Dans les pays scandinaves,ces monstres sont décrits par lestraditions orales. La mythologiemarine nordique fait référence àun animal énorme doté denombreux tentacules et qui pou-vait faire couler des bateaux, lekraken. D'ailleurs, en 2003, aucinéma, le kraken intervient à

deux reprises dans les films deGore Verbinsky appartenant à lasaga « Pirates des Caraïbes ».

Mais ils existent bel et bien.Depuis le 19e siècle, quittant ledomaine mystique ou légendaire,des spécimens ont été « officielle-ment » observés. Architeuthis ouMesonychoteuthis, de leur petitnom calmar géant et calmarcolossal, sont les petits amis dontil est question ici.

La première descriptionscientifique d'un Architeuthisdate de 1857, et fut effectuée parun danois. Cette sympathique

bestiole peut mesurer environ20 m de long.

C'est de manière assezeffrayante que Jules Verne s'ins-pire d'ailleurs de ces observationsen faisant apparaître de telsmonstres marins géants dotés detentacules dans le roman fantas-tique « Vingt mille lieues sous lesmers » quelques années plus tard,en 1869. Au chapitre 18, partie 2,les hommes d'équipage se racon-tent des légendes concernant cesmonstres marins :« Non seulement on a pré-tenduque ces poulpes pouvaient en-

Quand la science et la fiction se rejoignentInFolio

Quand les monstres marins attaquent

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traîner des navires, mais uncertain Olaus Magnus parle d'uncéphalopode, long d'un mille, quiressemblait plutôt à une île qu'àun animal. On raconte aussi quel'évêque de Nidros dressa un jourun autel sur un rocher immense.Sa messe finie, le rocher se mit enmarche et retourna à la mer. Lerocher était un poulpe ».

Mais ils citent aussi uneobservation scientifique :« En 1861, dans le nord-est deTénériffe, à peu près par la lati-tude où nous sommes en cemoment, l'équipage de l'avisol'Alecton aperçut un mons-trueux calmar qui nageait dansses eaux. Le commandantBouguer s'approcha de l'animal,et il l'attaqua à coups de harponet à coups de fusil, sans grandsuccès, car balles et harponstraversaient ces chairs mollescomme une gelée sans consis-tance. Après plusieurs tentativesinfructueuses, l'équipage parvintà passer un nœud coulant autourdu corps du mollusque. Cenœud glissa jusqu'aux nageoirescaudales et s'y arrêta. On essayaalors de haler le monstre à bord,mais son poids était si considé-rable qu'il se sépara de sa queuesous la traction de la corde, et,privé de cet ornement, il dis-parut sous les eaux. »

Cette conversation se dé-roule juste avant l'attaque quesubit le Nautilus :« Devant mes yeux s'agitait unmonstre horrible, digne defigurer dans les légendes térato-logiques. C'était un calmar dedimensions colossales, ayant huitmètres de longueur. Il marchait àreculons avec une extrême vélo-cité dans la direction duNautilus. Il regardait de sesénormes yeux fixes à teintes

glauques. Ses huit bras, ou plutôtses huit pieds, implantés sur satête, qui ont valu à ces animauxle nom de céphalopodes, avaientun développement double deson corps et se tordaient commela chevelure des furies ».

Depuis d'autres spécimensont été observés. Mais ce n'estque récemment, en 2005, quepour la première fois un calmargéant vivant de 8 mètres de longa été filmé à 800 mètres deprofondeur dans le PacifiqueNord (au large des îles Ogasa-wara, à une dizaine de kilomè-tres de l'île de Chichijima), parune équipe de scientifiques japo-nais conduite par TsunemiKubodera, du Museum Natio-nal des Sciences de Tokyo, etKyoichi Mori, de l'Associationd'Observation des BaleinesOgasawara [1].

Le premier spécimen decalmar colossal a, quant à lui, étécapturé en 2007 par des pêcheursde Nouvelle Zélande en mer deRoss près de l'Antarctique [2].L'animal pesait 450 kg.

D'autres sont observés carils échouent sur des plages, tel cespécimen de 7 mètres de longretrouvé sur une plage califor-nienne en juin 2008 [3].

Certains spécimens, issusd'échouage ou attrapés en mersont conservés dans des muséesdans de l'alcool ou du formol.C'est ainsi qu'en mars 2008, unarticle de science.gouv.fr [4]annonce l'« arrivée de Wheke(prononcez Ouéké) à la GrandeGalerie de l'Evolution […] auMuséum national d'Histoire natu-relle, par l'intermédiaire de SteveO'Shea, spécialistes des calmarsgéants en Nouvelle-Zélande et deRenata Boucher, spécialiste descéphalopodes en France ».

Celui-ci a la particularité dene pas être présenté dans de l'al-cool ou du formol, mais bel etbien à nu, grâce à la technique deplastination mise en œuvre pourla première fois pour ce typed'animal (visible en photo ici).

Ces monstres ont, depuisJules Verne, nourri l'imaginationd'autres auteurs ; ainsi JRRTolkien, en 1954, dans lepremier tome de sa trilogiefantasy « Le seigneur des anneaux »fait également intervenir unmonstre tentaculaire aux portesde la Moria qui attaque lacommunauté : « Hors de l'eauavait rampé un long tentaculesinueux ; il était vert pâle, lumi-neux et humide. L'extrémitémunie de doigts avait saisi lepied de Frodon et l'entraînaitdans l'eau. » Les tentacules parti-cipent alors nettement à inspirerla peur et l'horreur comme iciavec Tolkien : « Vingt autresbras sortirent, onduleux. L'eaunoire bouillonna, et une horriblepuanteur s'éleva. » ; ou encoredans « La Guerre des Mondes » deH. G. Wells (1898) où un tenta-cule métallique investigateur dela Machine à Main terrorise lehéros : « […] un long tentaculemétallique qui serpenta par letrou en tâtant lentement lesobjets […] se tortillant et setournant dans tous les sens, avecdes mouvements étranges etbrusques ».

Exploitant de manière plusapprofondie le thème du mons-tre marin, en 1926, HowardPhillips Lovecraft rédige « L'appelde Cthulhu ». Le mythe de Cthu-lhu développé par la suite autourde cette nouvelle et des prises denotes laissées par Lovecraft faitainsi référence à une créatureverte monstrueuse et tentacu-

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Fanes de carottes de septembre - 19

laire, Cthulhu. C'est un Dieuancien, et selon le mythe, ilaurait été banni d'un systèmeastral lointain (Xoth) par d'au-tres Dieux. Le monstre vertreposerait au fond de l'OcéanPacifique, dans la cité de R'lyeh.Il est décrit dans la nouvelle àpartir d'une statue « un monstreà la silhouette vaguement an-thropoïde, avec une tête depieuvre dont la face n'aurait étéqu'une masse de tentacules, uncorps écailleux, une grande élas-ticité, semblait-il, des griffesprodigieuses aux pattes posté-rieures et antérieures, de longueset étroites ailes dans le dos ».Des adeptes du Dieu lui vouentun culte maléfique basé sur dessacrifices humains, et ils atten-dent le réveil de Cthulhu. Dansles nouvelles liées au mythe, lespersonnes exposées à ce culte etau livre s'y rattachant (leNecronomicon) sont alorssouvent en proie à la folie.

Mais ce ne sont pas les seulsmonstres étranges que Lovecrafta imaginés… On peut toujoursse faire un peu peur en songeantau fait qu'il est reconnu quecertaines espèces animales vivantdans les profondeurs abyssalesn'ont pas encore été découvertes.

[1] http://www.notre-pplanete.info/actua-lites/actu_703.php [2]http://fr.mongabay.com/news/2007/0222-ssquid.html[3] http://www.rhedae-mmagazine.com/Un-calmar-ggeant-ddecouvert-aau-llarge-dde-lla-ccote-de-lla-CCalifornie_a220.html[4] http://www.science.gouv.fr/index.php?qcms=article,view,2817,archives,159,4

Appel collectif

RèglesEspresso, filtre, en poudre, en dosette ou frais moulu,jus de chausette à l'américaine ou délice italien àpetites gorgées ... rien de tout cela, non ! Pour son nouveau jeu, Fanes de carottes vous propose deconjuguer caféine et imagination, et de lire passé etavenir dans le marc au fond de la tasse.Vous vous laissez pousser les ongles et dites la bonneaventure dans une roulotte ? Vous avez de puissantspouvoirs magiques et un grand chapeau pointu ? Vous jouezà l'amateur clairvoyant à la fin du repas de famille,après avoir repoussé les miettes loin sur la nappe desdimanches ?Alors, vous n'aurez aucun mal à écrire un texte, de 2000signes minimum, 4000 signes maximum, à partir de l'une deces six séries de photos.

MMMMCCVal

Petit jeu dumarc de cafe

Pour mon premier jour d'exercice, j'étais à la fois stressé etimpatient.

Deux ans de formation à l'ESMMC (Ecole Supérieure deMédecine par le Marc de Café), puis de longs mois à rechercherdes investisseurs pour me lancer. Tout ce stress, ces doutes.…Tout cela était derrière moi, désormais j'avais enfin mon proprecabinet de Médecine par le Marc de Café. Quelle victoire pourun adepte des bienfaits de la caféine !

Sûr que bientôt, nos méthodes remplaceraient toutes lesautres médecines parallèles.

Au début, j'avais pensé offrir une tasse de café à chaquepatient, mais un consultant en marketing me l'avait fortementdéconseillé. Cela aurait engendré une multitude de frais supplé-mentaires. Le café, l'eau, l'électricité, le liquide vaisselle … sanscompter l'investissement de base, à savoir une casserole et des tasses.

J'avais donc choisi une formule bien plus lucrative.Voici ce qui figurait sur ma plaque :

Marc Expresso

Médecin par le Marc de caféDiplômé de l'ESMMC

Apporter trois photos de la tasse de café du matin (bu à jeun) à chaque consultation.

J'avais juste eu le temps de m'asseoir dans mon cabinetquand Sara Lee, ma jeune secrétaire, me fit savoir qu'un patient

,

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était déjà dans la salle d'attente. Nerveux, je lui disde le faire entrer sans attendre.

Le monsieur, qui répondait au doux nom deJacques Vabre, était un fervent adepte de lapratique. Moi qui n'avais jamais pratiqué seul, çame rassurait d'exercer sur un patient déjà converti.

C'est qu'il ne faut pas faire de bavure dans cemétier ! Le Conseil de l'Ordre des Médecins par leMarc de Café veille : on peut même se faire radieren cas de faute grave !

L'homme est arrivé avec trois photos.Sur la première,

j'ai immédiatementperçu son goût pourle jaune moutarde etle blanc.

L'analyse fut d'unesimplicité enfantine.Jaune + blanc = œufs

Œufs + moutarde = mayonnaise Il ne faisait aucun doute que le patient souf-

frait de cholestérol.Sur la seconde

photo, j'eus carré-ment un flash :

Cet homme souf-frait certainement detremblements com-pulsifs, ainsi que detroubles psychomo-teurs. Sa main droite semblait particulièrementtouchée.

Mon diagnostic était formel.Enfin, sur la troi-

sième photo, je dia-gnostiquai un légertrouble de la vue.

Tremblements +trouble de la vue =forte dépendance à lacaféine !

Cholestérol : certainement rajoutait-il souventde la crème dans son café !

Mon diagnostic établi, je sortis mon grandLegal afin de lui rédiger sa prescription :1- Usage de tasses vertes en plastique (garder lesblanches en porcelaine pour les occasionsspéciales) ;2- Pose d'une serviette éponge sur le plan de travailà chaque café ;3- Nettoyage dudit plan avec une éponge humide(trois fois par jour) ;

4- Achat d'un appareil photo avec zoom plusperformant que l'actuel (traitement à vie)5- Remplacement du café habituel par du déca-féiné (de la marque de l'un de mes sponsors).

L'homme repartit satisfait.En fait, ce n'était pas un vrai patient. C'était un

enquêteur du guide Leroux.Je l'appris quand Torré le facteur m'apporta

une lettre pour m'informer que non seulement leguide liégeois m'attribuait trois grains dans leurguide noir, mais qu'en plus j'allais bénéficier d'unpartenariat publicitaire inouï : une publicité pourmon cabinet apparaîtrait gratuitement sur lesemballages d'une grande marc de café italien àcondition de prescrire ladite marc en guise demédication à mes patients.

Je dois ma réussite à ma première consultation.

Ce témoignage a bénéficié du soutien financier du groupe LilyCafé.

20 - Fanes de carottes de septembre

Les images défilaient, et, le front abandonnécontre la vitre du train, je naviguais sur les vaguessuccessives de territoires inconnus. De longsdégradés verts. Des plongées de nuages frôlant descollines dont je fixais à peine la forme. Elle estenivrante cette impression de posséder totalementun paysage, puis de le perdre si vite dans l'oubli, enpassant au suivant. Au suivant, chantait le poète, ausuivant. Depuis toujours, je ne faisais que flirteravec l'envie du suivant, incapable de jouir d'unbonheur présent, toujours en attente d'un ailleurs,d'un mieux, d'un parfait à faire cogner les batte-ments de mon âme.

Des voyages en train, j'aimais le tressaillementde la vitesse contre mon corps et aussi cette libertéde puiser, dans le regard neuf des autres passagers,les moyens de me donner des airs de quelqu'und'autre. Perdre mon regard pluvieux sous lemasque de la séduction ou celui de l'innocence. Unjeu à faire passer le temps et à ranger mes désor-dres d'enfant.

L'arrêt.

TTaannggooKloelle

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Fanes de carottes de septembre - 21

Le quai vide.

Les corps qui s'agitent et s'engouffrent avec uninstinct de survie supérieur dans le circuit de l'existence.

Moi, en suspens dans un semi-rêve, descen-dant instinctivement une petite valise noire duporte-bagages voisin.

Les verrières de la gare de Lyon ne donnentleur lumière qu'au faîte de la journée or en cetinstant le jour achevait de mourir.

Je me suis assise à la table d'un café pour voya-geurs et j'ai espéré qu'il vienne.

L'attente. Une tasse d'un café plus noir que sesyeux posée en bordure de table.

Il avait dit qu'il serait là. Et ma gorge se serraitdoucement comme quand j'étais enfant et que jecomprenais en suivant les regards qui ne s'arrêtaientpas sur moi que je ne serais jamais la préférée.

Je me suis réfugiée dans l'idée que les élèves deson cours de piano avaient eu du retard. Et, surune vieille partition de Brahms, où il m'avaitannoté les doigtés de la main gauche, j'ai cherché ledélicieux frisson de son rire au matin.

C'est à ce moment là qu'elle s'est avancée pourdemander quelques pièces. Le regard bleu, souillépar les caniveaux de la vie. Je lui ai demandé des'asseoir, puis, avec cet odieux sentiment de mecroire quelqu'un de bien vrillé au ventre, j'aicommandé un sandwich.

Elle a mangé sans rien dire. Puis, avant departir, jetant un œil sur les dépôts du brouet malfiltré au fond de ma tasse, elle a pris ma main avecintensité pour me dire :

« Le serpent, le serpent dans ta tasse, c'est latrahison, la trahison pour toi. Méfie-toi ».

Mon regard qui dérape sur la bordure des quais, quiaccroche le vide parce qu'il lui est de toute façon destiné.

Ma main qui arrête une larme, puis deux.

Le quai était toujours vide et ma tête colléecontre la vitre d'un train repartant vers le sud.

Peut être était-il venu finalement.Trop tard.

Sous la lumière artificielle d'un wagon deseconde classe, je rêvais déjà au suivant.

TTaassssee nn°°22 MAP

- Allez Joëlle ne te fais pas prier ! Tiens voilà matasse de café !- Oui, vas-y comme l'autre jour, c'était super !- Encore, ça ne vous lasse pas ?- Non, non ! Lis dans ma tass ! Quel est monavenir ? Je frémis d'avance de découvrir monavenir.- Bon, si tu veux Mimi.- Tu prendras la mienne après ?- Chaque chose en son temps …

Après un repas entre amis, Joëlle, qui a desdons certains de voyance, est bien souvent priéed'interpréter l'avenir dans le marc de café, une deses spécialités. Elle fait cela en amateur mais sesprédictions, toutes sibyllines qu'elles soient, s'avè-

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22 - Fanes de carottes de septembre

rent la plupart du temps justes. Joëlle pose devantelle la tasse de Mimi, prend un moment de concen-tration, la tête entre les mains, les yeux rivés aufond de la tasse. La voilà prête.- Je te vois dans un lieu très sombre et froid.- Oh ! s'exclame Mimi, ce n'est pas rassurant.- Attends, maintenant j'aperçois des petites flammes,j'entends des voix qui résonnent dans la nuit… - Là, tu me fais peur !- Veux-tu que j'arrête ?- Euh ... non. Je veux quand même savoir.- Tu vois, au fond de la tasse, ces traces quiforment une dentelle et là, sur le côté, cette ligne… - Oui. Qu'est ce que ça veut dire ?- Cela peut indiquer une coupure dans ta vie…- Une coupure … Tu ne veux pas dire….- Non, rassure-toi, ton heure n'est pas arrivée,sourit Joëlle.- Il y a une ligne plus sombre qui explique lapremière, cela veut dire que tu vas être confrontéeà une situation exceptionnelle.- De quel genre ? Tu peux le voir ?- Non, tout devient blanc.- Ah bon ! Mais tu ne peux pas m'en dire plus ?- Si, tu vois toutes ces traces noires sur le rebord dela tasse ? Elles indiquent une date ou plutôt unedurée. Oui, je lis : " six mois ". C'est ça, tout ce quej'ai vu arrivera dans à peu près 6 mois. Je ne peuxt'en dire plus.- Eh bien dis donc : un lieu sombre, des flammes,des voix la nuit, une coupure dans ma vie … Queva-t-il donc m'arriver ?

Six mois plus tard :- Au secours ! Vite, sortez-moi de là ! Vite, vite…

Mimi frappe de toute ses forces sur la paroi dela carlingue de l'avion, où elle se trouve empri-sonnée après un atterrissage en catastrophe.

Elle se retrouve seule, coupée des autrespassagers par un amas de tôles qu'elle n'arrive pasà déplacer.- A l'aide ! Aidez-moi ! Je veux sortir ! J'ai froid, j'aipeur ! Au secours !

Cela fait bientôt une heure que Mimi estdésormais privée de lumière et qu'elle se débatainsi sans réponse. Seule, enfermée dans le noir,dans une position inconfortable. Mimi épuisée etdécouragée se recroqueville sur elle-même pouressayer de se réchauffer. Elle tombe ensuite dansun demi-sommeil agité de cauchemars étranges.Elle se voit, minuscule, tombant au fond d'unetasse à café disproportionnée, tapant de toutes sesforces sur la paroi de porcelaine pour appeler à

l'aide … Tout au-dessus de son immense prison,des petites flammes vacillent, des voix résonnent.Des mots entrecoupés parviennent jusqu'à elle :« …yeux …versaire ». Des rires fusent, des voixscandent son prénom : « Mimi, Mimi… ! »- « Mimi, Mimi ! »

La jeune femme sort de sa torpeur. On l'ap-pelle. Oui, c'est ça, on l'appelle. Elle se reprend àespérer et crie de toutes ses forces en frappant deplus belle sur les murs de sa prison.

De l'autre côté, « on » fait de même. Elle perçoitune voix qui lui conseille de se reculer le plus qu'ellepeut et de se protéger derrière ce qu'elle trouve.Dans un grand bruit l'habitacle s'ouvre peu à peu aumilieu des étincelles émises par une perceuse. Letrou s'agrandit et permet enfin à la prisonnière deretrouver l'air libre et …. la neige.- Oh, merci, merci … j'ai eu la peur de ma vie !

Soutenue par ses amis, avec qui elle partait envacances au Maroc, Marie, moitié pleurant, moitiériant, s'écrie : « Mais où sommes nous ? Cetteneige… ? »

On lui explique que le commandant de bord aété obligé de se dérouter à cause d'une tempête et parmanque de carburant a dû se poser in extremis surun plateau des Pyrénées. Il y a eu de la casse pourl'appareil mais tous les passagers sont sains et saufs.- Il ne manquait plus que toi à l'appel Mimi. Viens,il nous reste du café chaud cela te fera du bien enattendant les secours.- Du café !!! Ah non ! Plus jamais !!!

TTaassssee nn°°66 Caro_carito

Ma voisine m'a invitée. Elle est sympa. J'aimeson regard vif et ses cheveux bruns frisottés quidénotent dans cet immeuble sans âme où défilentà toute heure des faces de carême. Et puis je m'en-

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Fanes de carottes de septembre - 23

nuie, gravissimement, dans mon F2 exigu avec vuesur béton. Ma boîte nous a mis en chômage tech-nique. Pas glop d'autant que cette inactivité dure etprend des proportions dramatiques au niveaupécuniaire comme au moral. Ah ! Si j'avais été plusattentive, j'aurais su que le contrat de travail de matôle était une subsistance du XIXe siècle. Inutile dechercher ailleurs, il me faut bosser au black. Etfranchement, non, avec ma veine habituelle, jerisque d'aller au devant des ennuis. Si j'ai cru quemon plan de sous-sous-louer dans cette tour dequartier parisien aisé était une aubaine, aujourd'huic'est devenu une hérésie sociale. A peine 3bonjours par jour. Oui, j'en suis certaine : je lesnote. Comme occupation vous voudriez que je megave de sitcoms. De toute façon je n'ai plus de télé.Il est parti avec. Ce ne fut pas un grand choc. Jem'en doutais. Je l'espérais même, secrètement.Mais quand on n'a rien, un petit quelque chosemême pas très glorieux, une relation homme-femme minable, on s'imagine que c'est toujoursmieux que rien.

Je sonne chez ma voisine. Elle s'ennuie, elleaussi. Elle est seule, elle aussi, malgré sa smala d'en-fants trop vite grandis qui, s'ils ne la câlinent plus, ladate-limite étant dépassée depuis longtemps pourles effusions, la sollicitent pour faire taxi, achetertant et plus… L'âge d'ingratitude. C'est pourquoi,nous trompons nos deux solitudes ensemble. Onpapote, des riens souvent, de nos petits bobosd'âmes ; l'espace d'un café turc, nous nous échap-pons au-delà de la ceinture grise de la ville, vers unorient nostalgique d'ors et de légendes.

Mais ce matin-là, surprise : ma voisine n'est passeule. Une petite grand-mère se tient derrière elle.Une minuscule vieille au visage recouvert de rides,non de plis harmonieux. Je devine plus qu'autrechose des yeux malins derrière les fentes noires. Desboucles à peine argentées, qui ne doivent rien auxmains expertes d'une coiffeuse, adoucissent cevisage de Shar-Pei impassible. Je tends une maintimide vers la vénérable aïeule. Les vieux m'intimi-dent toujours : l'impression d'être soupesée,devinée. Nous nous installons autour de la tablebasse. Bientôt arrivent café et petits sablés parfumésà l'anis et au sésame. Nous devisons gaiement. Alorsque ma voisine s'apprête à me resservir une tasse, samarraine, car il s'agit de sa marraine, interrompt songeste. Un silence s'installe. Aurais-je commis unimpair ? Les visages des deux femmes ne semblentpourtant pas ulcérés, plutôt complices.

La vieille dame fait glisser ma tasse vers elle et

la fait tourner. J'entends comme un souffle quisemble venir d'un autre monde : « Elle va te conterl'avenir. » Fariboles… Contes de bonnes femmes.N'empêche, le bref coup d'œil de la sorcière meporte un coup au cœur. Je suis une porte-poisse dela pire espèce. A croire que quand je pense àquelque chose… par exemple, si je pense que monlave-vaisselle fait un bruit bizarre, y'a pas, il tombeen panne. Ou quand je passe près d'un échafau-dage, je pense illico qu'un gros splotch va salir monimper. A tous les coups, bingo, c'est pour mapomme. A croire que je le fais exprès. D'ailleurscela me fait penser, est-ce que j'ai éteint mon fer ?J'arrête un instant de divaguer car les deux femmesont entamé un dialogue à un débit d'enfer.Vraisemblablement, on parle de moi. Du calme.Elles vont juste me dire la bonne aventure ; ça nepeut être pire que la situation actuelle. Soudain, lavieille marraine lève la main pour calmer l'excita-tion manifeste de ma voisine. Vais-je gagner auloto ? J'ai pris un billet hier. S'il vous plaît… Unflot de questions m'assaille. Non, je n'ai pas vu ledouble croissant, la symétrie parfaite dans le fondde la tasse. Oui, je suis bien une bestiole ascendantd'une autre bestiole. Alors le verdict ?

Je repars une heure plus tard, adoubée artisanede ma propre destinée. Pourquoi pas ? Si je pouvaistroquer ma malchance habituelle, cette satanéedeuxième peau. Allez, au lieu de me torturerl'esprit, écoutons la radio. De quoi parle-t-il ? Dutirage du quoi ? De l'euro millions. Mais, les chif-fres… Oui, encore une fois… Mince où est passémon ticket ? Le voilà… Le voilà !

Elle n'avait pas tort la vieille sorcière sympa-thique. J'ai bien gagné mais ce qu'elle n'avait pasprévu c'est que le nombre de gagnants pour cetirage dépasse tous les pronostics statistiques. Aufinal, je risque de toucher -risque, c'est un biengrand mot- 433,27 euros. Ce n'est pas grave. Avecça, je vais peut-être me payer un petit voyage : merdu Nord ou même un tour dans le Perche. Oujuste une ballade à Paris ou à Versailles. Et puis làje rêverai, loin de ma ville basse de plafond et jesuis sûre que, au tournant, des jours meilleurs m'at-tendent. Je dois juste y croire un peu comme ce cielbleu que j'imagine là au-dessus des tours ; et même,ce soir, le coucher de soleil sera incandescent, justeau-dessus de la tour des nuages.

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24 - Fanes de carottes de septembre

Je suis un grand amateur de café, sous toutesses formes, mais plus que tout en petit noir. Serré.J'ai besoin de mon espresso en fin de repas sansquoi il me manque quelque chose. Le rituel esttoujours le même, immuable. Je prends unmorceau de sucre que je casse en deux et j'en laissedélicatement glisser une des moitiés à travers lamousse qui surnage. Je la regarde doucement s'en-foncer avant de sombrer puis je touille avec mapetite cuiller. En amateur éclairé mais fainéant,j'achète mon café en dosettes. Plusieurs crus enfonction de mes humeurs. Et la touche finale, lemorceau de chocolat, noir bien sûr, pour parfairece délicieux moment. Noir très amer quand le caféest doux, noir agrémenté de fines lamellesd'amandes et d'orange quand le café est plus fort.Un mélange de saveurs et une explosion de plaisirauxquels je ne pensais pas être prêt à déroger. Maisla vie est parfois pleine de surprises...

Un jour, j'ai rencontré Almina, dont je suistombé amoureux fou. Nous avons d'abord joué aujeu de la séduction. Puis nous nous sommesdécouvert quelques points commun… et enfinnous nous sommes mis en ménage (je vous fais laversion courte parce que nous avons mis neuflongs mois à nous apprivoiser avant qu'elle nevienne habiter chez moi).

Almina aime comme moi le café, mais ellen'aime pas mon café. Parce qu'elle a, elle aussi, unrituel immuable qu'elle déroule tous les jours. Ellese prépare un café et en boit une petite gorgée ; ellefait alors tourner trois fois le contenu de la tassedans le sens des aiguilles d'une montre, puis cinqfois dans le sens anti-horaire, puis à nouveau deuxfois dans le sens horaire. Sans en faire tomber uneseule goutte, sinon elle doit tout recommencer.Elle se lève et verse délicatement le café surnageantdans l'évier pour reposer la tasse sur sa sous-tasseet regarder dans le marc qui apparait dans le fond.Parce qu'Almina, ma douce princesse orientale, est

née à Istanbul et qu'il y a à boire et à manger dansson café. Turc. Et parce qu'Almina, outre unsourire à faire se damner un saint et un corps dedéesse, a un don qui se transmet de mère en filledepuis plusieurs générations : elle lit l'avenir dans lemarc de café.

Moi aussi, je riais avant, comme vous. C'esttellement plus facile de se moquer de ce qu'on necomprend pas. Je riais jusqu'à ce fameux après-midi où je m'apprêtais à rentrer chez moi aprèsavoir passé le week-end chez elle.

Elle m'a servi un de ses immondes cafés puisa suivi son rituel habituel. J'ai bu quelques gorgéeset elle m'a retiré la tasse des mains, a fait tourner lecafé restant dans les différents sens, l'a vidé dansl'évier puis a reposée la tasse sur la sous-tasse verteornée de motifs géométriques dorés. Et elle aregardé dans le marc. Longtemps. Intensément. Jeme souviens comme il remontait en flammèchesur l'intérieur de la tasse. Et elle s'est mise à pleurer.De plus en plus fort. Elle s'est précipitée dans mesbras en me priant de rester encore avec elle cettefin d'après-midi de juillet, de ne pas partir, pasmaintenant. Elle m'a dit qu'elle voyait la mort, queje ne devais pas prendre le métro. Elle a répété queje ne devais pas partir. Elle a tellement insistéqu'elle a réussi à me faire peur.

Je suis resté avec elle cette nuit là.Le lendemain matin, au petit-déjeuner, les infor-

mations à la radio ont annoncé l'attentat meurtrierqui avait eu lieu la veille sur ma ligne habituelle. Al'heure où j'aurais dû être dans le métro.

Depuis cet épisode, j'ai fait une croix sur monrituel et sur mon délicieux espresso quand Alminaest avec moi. Je bois alors quelques gorgées de sonimmonde café turc. Sans carré de chocolat. Justepour qu'elle puisse vérifier dans le marc de matasse que tout ira bien.

Et j'ai ramené ma machine à dosettes aubureau. Dans ce café il n'y a pas de marc, donc pasd'avenir mais il y a beaucoup de plaisir. Ca seraitquand même dommage de m'en priver…

TTaassssee nn°°44Pandora

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Appel photographique permanent

Port-folio SFFF

Partie 1

« L’un »Partie 2

« L’autre »

HHiissttooiirree ssaannss ppaarroolleeInFolio

1 - vol

2 - atterrissage

3 - exploration

4 - l’autre

5 - regards échangés

Fanes de carottes de septembre - 25

Partie 3

6 - parade

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7 - parade

8 - regards échangés

Partie 4

9 - approche

10 - contact

11 - embrassades

12 - accouplement

FIN

26 - Fanes de carottes de septembre

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Fanes de carottes de septembre - 27

CCAARROO__CCAARRIITTOO

J'écris depuis... très longtemps.Je lis depuis encore plus longtemps.Sinon trois brigands, un job prenant,où étrangement ... je lis et j'écris etcorrige aussi, ne m'empêchent pasd'y replonger le soir.Mais dans un terreau moins aride.Une partie de mon éducation li-vresque est originaire d'Amériquelatine, mon imagination galope brideabattue et j'aime y mettre une toucheirréelle.Mais pas toujours.Blog : Les heures de coton et les 1001vacheshttp://lesheuresdecoton.canalblog.comhttp://les1001vaches.canalblog.com

IINNFFOOLLIIOO

L'InFolio est un mammifère bipèdenomade social à tendance asociale.Lors de sa lointaine jeunesse, l'In-Folio a rencontré un autre mammi-fère bipède appelé le professorus defrançus. Celui-ci était doté d'un donde voyance, et lui avait prédit unecarrière littéraire et non scientifique.Ce savant n'avait ni tout à fait tort nitout à fait raison. L'InFolio dévore leslivres autant que les sciences dévo-rent l'InFolio. Parfois l'InFolioessaye d'attraper en vol des photonspour leur demander leur numéro dematricule. L'InFolio mène aussi, àses heures perdues, des recherchessur la relativité du temps liée l'éva-sion par l'imaginaire et le rêve, et sur

le dépôt en couches minces depigments sur un substrat à baseorganique. Blog : InFolio dans tous ses formatshttp://infolio.over-blog.com

JJOOSSEEFFAA

J'aime me lever tôt, traîner dans unpeignoir rouge et vert, Pastroudis endécembre, me faire avoir par lestrompe-l'œil, manger des fish&chipsà la sortie du cinéma. Je relis réguliè-rement les mêmes livres. J'ai pleuréà mon premier concert. J'ai long-temps rêvé d'habiter au bord de lamer.Quand il faut faire quelque chose, jebarbouille, je gribouille, je griffonne,je rature, et je m'arrête en principeavant d'arriver au point ou au traitfinal.Blog : Le Monde 1900http://lemonde1900.unblog.fr

KKLLOOEELLLLEE

J'ai déjà 37 ans et trois enfantssympas. Je travaille dans une administra-tion...Je suis pianiste à mes heuresperdues...Lectrice à d'autres heures perdues...Et j'aime jouer avec les mots et lesémotions à des heures que je chercheencore.Blog : Une valse de rienhttp://unevalsederien.canalblog.com

LLUUMMAA

Naissance en 1986 quelque part dansles montagnes. A beaucoup lu etécrit, fait des études et vu du pays. Auteurs préférés : Terry Pratchett,Stephen King, Daniel Pennac, RobinHobb, Ptitluc, Ayroles, Binet,Franquin, Urasawa, Clamp… etc. Record à Tetris : 200 lignes. Blog : Ecriveuse en herbehttp://ecriveuse.canalblog.com

MMAAPP

Amie de la nature et des jeux de motspour lutter contre tous les maux !

PPAANNDDOORRAA

Je suis une gourmande et unepassionnée, en vrac, de voyages, dechocolat, de jeux vidéo et de lecturesallant de la poésie (Baudelaire) à lafantasy (Robin Hobb, Guy GavrielKay, Tolkien…) et à la science fiction(Bradbury, Philip K Dick, Asimov…)en passant par le polar que j'adoresous toutes ses formes, très noir(Chesbro, Ellroy, Connely, Tabach-nik, Liebermann…), dépaysant

Les auteurs de septembre

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(Benacquista, Mc Call Smith, Man-kell…), amusant comme Westlake ouinclassable comme Vargas …Et quand tout cela ne suffit plus à mefaire rêver, je prends ma plume etm'invente de nouveaux univers pourm'évader au travers de mes person-nages et de mes histoires…Blog : Les poèmes de Pandorahttp://les-poemes-de-pandora.over-blog.com

VVAALL

Epouse résignée,Retenue de force en son foyerQui préfère les livres à la téléEt écrit contrainte et forcée.Bloggeuse,Plus que bosseuseObservatrice ?Et encore plus … SIMULATRICE !Blog : Le blog à Valhttp://motsdeval.canalblog.com

VVEERROONN

À 50 ans passés, je me demandeencore pourquoi la « lecture » restemon plus mauvais souvenir d'en-fance et de scolarité...Blog : Véron'Fothttp://verofotos.hautetfort.com

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EkwerkweInFolio

Roseet StellaSabbat !

Glossaire

SFFF et (S)F Science-Fiction, Fantasy &Fantastique.Fanes de carottes traite de(science) fiction - c'est à dire descience-fiction, de fantasy, defantastique, mais de n'importequel autre genre littéraire aussi(d'où les parenthèses). Parce quece qui compte, c'est le mélangedes genres !

FanzineLe fanzine (contraction defanatic magazine) est un pério-dique (ou apériodique) indépen-dant, créé et réalisé de manièredésintéressée par des passionnésde bandes dessinées, de science-fiction, etc., et diffusé à un trèspetit nombre d'exemplaires.

BlogUn blog ou blogue (aphérèse deweb log) est un site Webconstitué par la réunion d'unensemble de billets (appelé aussinotes ou articles) triés par ordrechronologique. Le blogueur(tenant du blog) y publie untexte, souvent enrichi(illustrations, hyperliens, etc.) surlequel chaque lecteur peut leplus souvent apporter descommentaires.

BlogzineLe blogzine de Fanes de carottesest un magazine, mensuel,publié sous forme de blog. Lapublication des articles est étaléesur le mois, à raison d'un tousles jours (ou tous les deux jours).

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Recettes littérairesDes recettes à base de fanes et/ou de carottes. Pour jouer, on écrit un texte décrivant de la façonla plus littéraire possible l'élaboration d'unerecette de cuisine, sucrée, salée, voiresucrée/salée, ainsi que la saveur du plat, son arôme,son aspect... Et on joint une photo (voire plusieurs) du résultat(ou à la limite un très beau dessin).Pas de science-fiction ici (enfin, seulement si vousy tenez), mais de la gourmandise et de l'épicurisme.

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