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Dossiers pédagogiques Collections du Musée Un mouvement, une période LE FAUVISME ET SES INFLUENCES SUR L’ART MODERNE André Derain, Les deux péniches, 1906 « L’ORGIE DES TONS PURS » La « cage aux fauves » du Salon d’Automne, 1905 Les sources du fauvisme Repères : la couleur comme absolu Les artistes et leurs œuvres Henri Matisse, Nature morte à la chocolatière, 19001902; La Gitane, 1905 Raoul Dufy, Les affiches à Trouville, 1906

Le fauvisme et ses influences sur l’art moderne

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André Derain, Les deux péniches, 1906Maurice de Vlaminck, Les coteaux de Rueil, 1906Georges Braque, L’Estaque, octobre 1906

LE FAUVISME ET L’ART MODERNE, EXPRESSIONNISME ET ABSTRACTIONUn rôle nouveau pour la couleurLes artistes et leurs œuvresErnst Ludwig Kirchner, La Toilette – Femme au miroir, 1913­1920Vassily Kandinsky, Paysage à la tour, 1908

TEXTE DE RÉFÉRENCEHenri Matisse, Écrits et propos sur l’Art, Hermann, Paris 1972

BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE

« L’ORGIE DES TONS PURS »

LA « CAGE AUX FAUVES » DU SALON D’AUTOMNE, 1905

« Le fauvisme est venu du fait que nous nous placions tout à faitloin des couleurs d’imitation et qu’avec des couleurs pures nousobtenions des réactions plus fortes. »

« La couleur surtout et peut être plus encore que le dessin est unelibération. »

Henri Matisse, Écrits et propos sur l’Art

Régulièrement accrochés dans les premières salles du Musée national, les artistes fauves annoncentpar la couleur la modernité et les bouleversements artistiques du début du XXe siècle.En donnant aux « chocs » émotifs, selon le mot d’Henri Matisse, une palette franche et pure, lefauvisme prête à la couleur la tonalité d’une émotion et d’une sensation. Il ne s’agit plus detraduire les instabilités de la lumière comme l’avaient fait les impressionnistes, mais d’affirmer avecforce le regard du peintre sur un monde auquel il donne ses couleurs.

C’est en 1905 que nait le mouvement dont Henri Matisse est le précurseur et le plus importantreprésentant. Les artistes les plus remarqués sont réunis dans la salle VII du Salon d’Automne :Henri Matisse, Henri Manguin, André Derain, Maurice de Vlaminck, Charles Camoin etAlbert Marquet. Dans d‘autres salles, Raoul Dufy, Othon Friesz, Jean Puy, Georges Rouault,Albert Marquet ou Kees van Dongen s’illustrent par une même franchise colorée. Ils entrent alorsdans la postérité sous la plume du critique d’art Louis Vauxcelles qui, remarquant un buste d’angelotd’inspiration florentine du sculpteur Marque, perdu au milieu de « l’orgie des tons purs », évoque« Donatello au milieu des fauves » − il faut néanmoins reconnaître que l’origine du jeu de motssouffre de plusieurs origines ! Si l’agressivité et la violence caractérisent les fauves, le public rugissantavec les mots « scandale, fumisterie, démence, ignorance » sera particulièrement sévère. Loin d’êtrefolie, les œuvres feront théorie et le fauvisme alors né deviendra référence.

LES SOURCES DU FAUVISME

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Paul Gauguin, Femmes de Tahiti, 1891Huile sur toile, 69 x 91,5 cm

Les Nabis, réunis autour de Paul Sérusier, ont semblé dans unpremier temps porter la couleur à son paroxysme − comme dansle Talisman, 1888 (27 x 21 cm, collection musée d’Orsay)1, toilequi amorce le mouvement. Mais la timidité des nuanceslumineuses et les sujets convenus qui les caractérisent par lasuite éclipsent l’importance qu’ils auraient pu avoir. PaulGauguin, qui avait conseillé Sérusier sur la manière d’utiliser la

couleur dans son tableau de référence, est, à l’inverse, un artiste essentiel dans l’origine dufauvisme. « Chaque couleur est comme vibration dans la musique », dira Paul Gauguin qui, enPolynésie, compose selon ses visions ses toiles par aplats de couleurs pures. Le paradis accessible dePaul Gauguin, où la couleur libérée se dévoile sans tabous, fascine tout autant que l’art primitif quil’inspire.

L’impressionnisme (1874­1886, dont Monet est le peintre le plus représentatif) s’impose alorscomme la principale origine du fauvisme. Les théories d’Eugène Chevreul (et en particulier de la loidu contraste simultané des couleurs) publiées en 1839 inspirent au mouvement impressionniste unetouche divisionniste qui tente de restituer les instabilités de la lumière. La couleur pure, sortie àmême le tube (inventé vers 1840), incarne la base solaire d’une peinture réalisée le plus souvent surle motif, en plein air. La couleur seule appliquée par petites touches abandonne la ligne et le dessin etse joue de ses contrastes pour exalter les impressions fugaces face aux paysages. L’œil restituealors les sensations de la lumière que le peintre décompose en touches colorées.

Dans le contexte post­impressionniste, Vincent van Gogh occupe une toute première place.Lorsque sont exposées, en 1901 chez Bernheim­Jeune, 71 de ses œuvres, Vlaminck s’enflammepour celui qui, par touches grasses et sinueuses, s’est brûlé sous les lumières de la Provence.S’inspirant parfois des estampes japonaises, il donne à la couleur des masses et contrastesimportants qui anticipent les gammes fauves.

C’est cette juxtaposition de touches colorées que Matisse, alors élève du peintre divisionniste PaulSignac, met directement en pratique dans Luxe, calme et volupté, 1904­1905 (98,5 x 118,5 cm,musée d’Orsay)2, œuvre pour laquelle le peintre pousse la division de la touche jusqu’au pointillisme.Derain et Braque dans un esprit similaire fractionneront la composition de polychromies rythmées.

Enfin, dans ces influences, il faut signaler le rôle de Louis Valtat (1869­1952) qui, en 1896,enseigne à l’École des Beaux­arts de Paris. Il a pour élèves Matisse, Rouault, Puy, Marquet, Camoin,Manguin. Pour cet adepte de Gustave Moreau, la couleur ne tend pas seulement à évoquer le réelmais peut s’enrichir d’une valeur symbolique. Expérimentant dans ses propres peintures réalisées àArcachon pendant l’hiver 1895­96 les formes simplifiées contenant les couleurs pures, sans ombresportées ni perspectives abouties, il annonce dix ans avant ses élèves un triomphe auquel ilparticipera : il exposera 5 toiles aux cotés de Kandinsky et Jawlensky dans la salle XV du Salond’Automne de 1905.

1. Paul Sérusier, Le Talisman, 1888, collection Musée d’Orsay2. Henri Matisse, Luxe, calme et volupté, 1904­1905, collection Musée d’Orsay

REPÈRES – LA COULEUR COMME ABSOLU

En 1899, Paul Signac publie De Delacroix au néo­impressionnisme, ouvrage dans lequel il définit lesprincipes du pointillisme − un divisionnisme poussé, presque scientifique, dont Seurat est l’une desprincipales figures − et met en avant l’œuvre d’Eugène Delacroix − premier artiste qui accorde à lacouleur une valeur égale à celle donnée au dessin. En 1901, ce sont 71 tableaux de Vincent vanGogh qui sont exposées à la galerie Bernheim­Jeune. À cette occasion, André Derain présente

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Maurice de Vlaminck à Henri Matisse. En 1903, l’année de sa mort, Paul Gauguin expose chezAmbroise Vollard et au Salon d’Automne.

Durant l’été 1904, Paul Signac enseigne à Henri Matisse les techniques pointillistes à Saint­Tropez,où se trouve également le peintre Charles Edmond Cross. À son retour, Matisse peint Luxe, calmeet volupté, 1904­1905. Mais il abandonne vite cette technique, par trop contraignante : « On nepeut pas vivre dans un ménage trop bien fait, un ménage de tantes de province. Alors on part dansla brousse pour se faire des moyens simples qui n’étouffent pas l’esprit », dit­il. (Entretien avecTériade, publié dans l’Intransigeant (janvier 1929), in Écrits et propos sur l’art.)

L’année 1905 est l’année décisive. En juin est en effet créé, à Dresde, le premier groupe expressionniste allemand, Die Brücke (le Pont),qui réunit Ernst Ludwig Kirchner, Erich Heckel, Fritz Bleyl et Karl Schmidt Rottluff. Le fauveKees van Dongen se rapprochera du groupe et en sera l’intermédiaire avec les artistes français.En juillet et août, Derain et Matisse « turbinent » ensemble à Collioure sur la couleur et la traductionde la lumière, tandis qu’en octobre­novembre le IIIe Salon d’Automne à Paris au Grand Palaisprésente sur les 1 625 œuvres recensées, dans la salle VII, 39 œuvres de Matisse, Derain,Vlaminck, Manguin, Camoin et Marquet. Située à côté de l’espace consacré au DouanierRousseau qui y présente, entre autres, Le lion, ayant faim,…3, elle devient « la cage aux fauves »dans l’article publié dans le supplément du Gil Blas du 17 octobre 1905, sous la plume de LouisVauxcelles. La Femme au chapeau de Matisse4 (80,6 x 59,7 cm, San Francisco Museum of ModernArt) est particulièrement chahutée.

D’octobre 1906 à février 1907, Georges Braque, accompagné d’Othon Friez, se rend à l’Estaquepour reprendre les motifs de Cézanne − il y avait peint à partir de 1870 − et se soumettre à lalumière du Midi.Septembre 1907, se tient au Salon d’Automne, avec une soixantaine d’œuvres, ce qui constitue lafameuse rétrospective Cézanne. Plus que « la petite sensation » prônée par le maître − unecouleur qui viendrait moduler les plans −, c’est « modeler avec la couleur » qui va marquer lesévolutions plastiques de certains fauves.

À partir de 1907, beaucoup d’artistes à l’origine du mouvement choisissent des voies différentes.Georges Braque, aux côtés de Pablo Picasso, privilégie l’espace et sa construction dans le mouvementcubiste naissant. Derain, fauve flamboyant, ne laissera de son œuvre tardive qu’une palette éteinte,respectueuse d’une tradition « classique » de la peinture. Et si Dufy ou Rouault semblent perpétuerle rôle majeur de la couleur, ils exprimeront tous deux des oppositions de plus en plus marquées enréintroduisant l’importance de la ligne dans leurs compositions − lyrique, presque baroque etdissociée de la couleur pour Dufy, ou marquée, cloisonnant la couleur comme le plomb sur le vitrailpour Rouault. Seul Matisse semble faire de la couleur pure son absolu qu‘il sublimera jusque dans sesdernières œuvres. Mais quelles que soient les évolutions de chacun d’entre eux, l’art a dès lorschangé et ce sont d’autres cultures, d’autres tempéraments qui vont relayer le mouvement fauveessoufflé.

Ainsi en 1908, l’exposition de la Toison d’Or à Paris, en consacrant l’art russe, permet à Larionov etGontcharova d’affirmer les filiations plastiques et héritages fauves en Europe et au­delà. Lefauvisme réinterprété intègre des sujets plus sociaux et des références aux traditions populairesrusses (enseignes publicitaires, gravures sur bois…).

Puis en 1909, le groupe NKV (Neue Kunstlervereinigung München ­ Nouvelle association des artistesmunichois) réunissant des artistes comme Vassily Kandinsky ou Alexej Von Jawlensky et quiconstituera en 1911, avec Franz Marc et August Macke, le noyau de der Blaue Reiter (leCavalier bleu), va faire de la couleur un outil de la « nécessité intérieure » (voir chapitre suivant : Lefauvisme et l’art moderne, expressionnisme et abstraction).

3. Henri Rousseau, Le Lion, ayant faim, se jette sur l’antilope, 1898­1905, collection Fondation Beyeler4. Henri Matisse, La Femme au chapeau, 1905, collection San Francisco Museum of Modern Art

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LES ARTISTES ET LEURS ŒUVRES

HENRI MATISSE1869, CATEAU‐CAMBRÉSIS (FRANCE) ‐ 1954, NICE (FRANCE)

Henri Matisse, Nature morte à la chocolatière, 1900­1902Huile sur toile, 73 x 60cm

Cette petite toile peinte avant qu’Henri Matisse n’affirme ses choixfauves révèle les enjeux décisifs qui préoccupent le peintre à cettepériode. Âgé d’une trentaine d’année, c’est un homme chargé defamille qui hésite entre le choix rangé que lui procurerait lasociété des beaux­arts et l’abandon vers la couleur, les leçons deCézanne et la liberté… Une « petite sensation » qu’il a ressentiedans les paysages peints à Toulouse et Ajaccio ou dans ce qu’il avu de William Turner à Londres.Matisse, en 1900, en est toujours à définir ses choix. Il s’inscritdans différents ateliers et copie régulièrement au Louvre : « Oui,je vais régulièrement au Louvre, c’est l’œuvre de Chardin que j’yétudie le plus. Je vais au Louvre pour étudier sa technique. »

Nature morte à la chocolatière rappelle par son format et sa composition les peintures intimistes etlumineuses de Chardin.

Une chocolatière frappée par la lumière est modelée à coups de brosses francs ­ rouge, rose,blanc, jaune citron, vert, outremer… Ventrue, elle diffuse les couleurs comme un astre centralqu’éclipse une orange solaire. Un cercle orangé parfait où la couleur s‘affirme, pure et sansrelief, comme un soleil du Midi. Cet « emblème matissien », comme l’évoquera Apollinaire en 1916,illuminera également les compositions plus tardives. La cafetière et le fruit trônent sur un livre imposant comme le socle d’une sculpture. Des faisceauxcolorés viennent buter contre, lumineux sur l’impact puis diffus en se rapprochant du bord de la toile.L’ensemble de la composition est structuré au centre par de puissantes touches puis, plus informel,en s’excentrant. Ni le tapis vert vif qui supporte le livre ou le rideau rouge orangé en arrière­plan ne parviennent àrompre cette sensation de pièce vaporeuse et énigmatique. Et si le manche de la chocolatièresoutenu de rouge s’étend pour appuyer les lignes qui marquent l’espace, l’effort semble être vain.Comme dans une peinture du mouvement Nabi, l’atmosphère du tableau reste intimiste, presque« convenue » au regard de ce que Matisse produira bientôt.Cependant, certaines audaces chromatiques captées sur la cafetière évoquent les couleurs piégéesdans le bocal de Interieur, bocal de poissons rouges, 1914 (huile sur toile 147 x 97 cm, CentrePompidou, Mnam) qui présente une composition proche.

Nature morte à la cafetière a appartenu à Michael et Sarah Stein, le frère de Gertrude Stein. Celle­ciacheta à Matisse la Femme au chapeau qui fit scandale au Salon d’Automne de 1905 et luiprésenta Picasso, lequel possédait une toile de 1902 avec le même objet, Fleurs dans unechocolatière (64 x 46 cm, Paris, musée Picasso).

Henri Matisse, La Gitane, 1905Huile sur toile, 55 x 46 cm

« C’est du premier choc de la contemplation d’un visage que dépend la sensation principale qui meconduit constamment pendant toute l’exécution d’un portrait. »Henri Matisse, Portraits, 1954

C’est effectivement un choc que de contempler ce visage qui, sous le masque du sourire, révèle unebrutalité presque grossière. La main portée sensuellement vers son visage, la gitane offre, au regard,un corps maçonné d’une pâte épaisse, structuré comme une baigneuse de Cézanne. Tout commeOlympia de Manet − autour de son cou un collier ou un lacet et, dans les cheveux, une fleur − qui

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semble toiser le spectateur de sa blancheur frontale, la gitane serit des couleurs vives et de sa « laideur » primitive. Lunaire, ellesourit bleu, un bleu clair froid surgissant de l’arrière­plan que labrosse incruste dans la chair et qu‘un sein, droit, défie. Solaire,elle s’alanguit dans les oranges et rouges chauds que son brasdiffuse.

Ce tableau réalisé après la Femme au chapeau (Salon de 1905) etle Portrait de madame Matisse à la raie verte, 1905(42,5 x 32,5 cm, Statens Museum for Kunst, Copenhague)pousse à l’excès les tensions de touches et de couleurs pourtantfortes des premiers. « Avant tout je ne crée pas une femme,je fais un tableau », écrit Matisse, un tableau qui annonce,nourri de fauvisme et de primitivisme, l’expressionnisme…

BiographieC’est à 20 ans, alors qu’il est alité, suite à une crise d’appendicite, qu’il découvre le plaisir de peindre.Abandonnant des études de droit et le poste de clerc de maître du Conseil à Saint­Quentin, il part, en1891, pour Paris et s’inscrit à l’École des Beaux­arts, puis en 1895 dans l’atelier de Gustave Moreauoù il rencontre Georges Rouault, Manguin, Camoin et Albert Marquet. En 1897, il découvre lapeinture impressionniste au Palais du Luxembourg et, l’année suivante, sur les conseils de Pissarro,l’œuvre de William Turner lors d’un court séjour à Londres. Il expérimente « la méthode Turner »à Ajaccio puis Toulouse.

À partir de 1900, il suit les cours de la Grande Chaumière et ceux de l’Atelier Carrière, sa peinturegagne en intention colorée. Il rencontre Jean Puy et André Derain. Il participe à de nombreuxsalons (Salon d’Automne, Salon des Indépendants…) et expose en 1904 dans la galerie d’AmbroiseVollard. L’année suivante, il bénéficie d’une exposition personnelle à la galerie Bernheim­Jeune, maisc’est le Salon d’Automne qui lui vaut d’être reconnu pour son travail.

Sa nouvelle et relative aisance financière lui permet d’entreprendre de nombreux voyages richesd’influences (Algérie, Maroc, Italie, Russie, États­Unis, Tahiti…). Il ouvre, entre 1908 et 1911, uneacadémie libre à Paris où se pressent de nombreux étudiants étrangers. Et sa reconnaissanceinternationale est consacrée par des expositions à Londres, Moscou et Berlin. Il est bien entenduprésent aux côtés de Duchamp et Picabia lors de l’Armory Show de New York en 1913 quiprésente, outre­Atlantique, les avant­gardes européennes. Non mobilisé malgré sa demande, il rejoint Nice et la Côte d’Azur à l’hiver 1916­17, qu’il considèrecomme un paradis dans l’enfer de la Première Guerre mondiale.

Henri Matisse, La Tristesse du roi, 1952Papiers gouachés et découpés, marouflés sur toile, 292 x 386 cm

Sa notoriété devenue manifeste, une rétrospective de son œuvreest présentée à New York en 1927. La recherche sur la couleur,qui est sa quête absolue, trouve une nouvelle voie avec lespapiers gouachés et découpés. La série Jazz, publiée en1947, est représentative de ce procédé. Mais l’arrestation de sa fille Marguerite et de sa femme par lagestapo en 1944, pour faits de résistance, blesse un homme déjà

malade. Les couleurs lumineuses qui caractérisent ses œuvres ultimes (Polynésie, le ciel etPolynésie, la mer, 1946...) ainsi que les créations qu’il destine à la Chapelle du Rosaire à Vencemarquent l’apogée du coloriste. La Tristesse du roi, 1952 (3,86 x 2,92 m, papiers gouachés etdécoupés, marouflés sur toile, Centre Pompidou, Mnam) symbolise, dans ce qu’il considérait commeun autoportrait, un hommage à la peinture classique où la couleur triomphe. Il meurt deux ans plustard et est enterré au cimetière de Nice­Cimiez.

Voir le dossier pédagogique Henri Matisse dans les collections du Musée

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RAOUL DUFY1877, LE HAVRE (FRANCE) – 1953, FORCALQUIER (FRANCE)

Raoul Dufy, Les affiches à Trouville, 1906Huile sur toile, 65 cm x 81 cm

Natif du Havre, Raoul Dufy est familier des paysages normandsqu’il brosse souvent en compagnie d’Albert Marquet. Si ce thèmea inspiré Monet ou Boudin, la touche et la couleur qu’il utiliseaprès 1905 incarnent l’épanouissement du style fauve.Observateur des bords de mer (Sainte­Adresse, Fécamp, Trouville,Honfleur…), Raoul Dufy propose dans Les affiches à Trouville savision d’une rue « pavoisée » d’affiches publicitaires sous

lesquelles déambulent les passants (les drapeaux, affiches ou fanions sont fréquents dans l‘œuvre dupeintre).

Bordée de gris associant le ciel et la rue, une ligne fuyante en diagonale suggère une dynamique etune perspective que renforce la répétition de formes géométriques (les affiches) aux tons purs,presque primaires (bleu, rouge et jaune dominent dans la palette). En opposant la couleur en aplatsaux gris brossés, la ligne droite des éléments architecturaux aux courbes des passants, le peintreatteint un équilibre de composition qu’il semble « assoir » par la présence singulière d’une chaiseisolée au premier plan.

BiographieAprès des cours du soir à l’École municipale des Beaux­arts du Havre, Dufy suit, à partir de 1893, lescours de Charles Lhuiller où il rencontre Othon Friez et avec qui il lie une solide amitié − ilspartageront un atelier à Montmartre. Puis, il s’inscrit, en 1900, à l’École des Beaux­arts de Paris. Ilpeint alors des paysages normands, sujets chers aux impressionnistes (Eugène Boudin, Monet…).Entre 1904 et 1906, influencé par Matisse, il travaille avec Albert Marquet à accentuer les aplatscolorés à partir de thèmes récurrents : rues pavoisées, rues en fête, bords de plages… Marqué par larétrospective Cézanne, il rejoint en 1908 Georges Braque à l’Estaque pour reprendre les motifs dumaître d’Aix. Ses compositions sont influencées par les débuts du cubisme.

Paul Poiret, séduit par les bois gravés que Dufy a réalisés pour le Bestiaire de Guillaume Apollinaireen 1910, décide, un an plus tard, de fonder avec lui une entreprise de créations textiles (qui utilisecette technique). Le succès est tel qu’il est sollicité par les soieries lyonnaises Bianchini­Férier pourlesquelles il réalise d’innombrables motifs.

A partir de 1919, installé à Vence, sa palette devient plus éclatante et le trait fluide et lyrique. En1926, observant une fillette courir, il dit réaliser combien la couleur retient plus l’attention que laforme et commence alors à délibérément séparer les deux éléments. La Fée électricité, réalisée en1936­37, demeure son œuvre la plus célèbre et certainement, avec ses 624 m2, la plus grande aumonde par sa superficie (Musée d’art moderne de la Ville de Paris). Il meurt à Forcalquier en 1953 enayant reçu, un an plus tôt, le Prix de Peinture à la Biennale de Venise.

ANDRÉ DERAIN1880, CHATOU (FRANCE) ‐ 1954, GARCHES (FRANCE)André Derain, Les deux péniches, 1906Huile sur toile, 80 x 97,5 cm

La péniche est définitivement l’un des sujets favoris d’André Derain. Les masses glissant sur l’eauoffrent au peintre la possibilité de travailler des contrastes forts, technique partagée par Vlaminck,et avec lequel il plante souvent le chevalet à Chatou ou au Pecq. Observés de haut, comme si le spectateur était situé sur un pont, les deux bateaux glissent, commeécrasés, de la droite vers la gauche et du bas vers le haut, coupés sur leurs bords inférieurs par lalimite de la toile. La diagonale ainsi crée est particulièrement dynamique. Le cadrage

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« photographique » rompt avec les espaces impressionnistes etrenvoie à certaines estampes japonaises. De plus, la compositionqui supprime la ligne d’horizon accentue la frontalité dutableau.

Les touches larges laissent exploser la couleur pure qu’il compareà « des bâtons de dynamite ». Une touche grasse, ondulante,posée à même la toile grise non apprêtée que l‘on distingue,accroche des jaunes d’or aux verts bleutés de la masse d’eau. Sedémarquant nettement, les vermillons et outremers ceinturent la

forme des péniches auxquelles le peintre donne une profondeur par l’ombre bleu clair qu’ellesprojettent sur le côté droit. Les contrastes sont poussés à leur maximum. Tons froids et tons chauds se tutoient et toutes lesdéclinaisons des couleurs primaires se répondent. Particulièrement efficace est la succession durouge, du bleu puis du jaune qu’il applique sur la coque, ou la voile rouge qu’il strie de bleu. S’il s’est,plus tard « tourné vers la sobriété et la mesure », cette toile est bien celle qui représente le mieuxses « turbulences juvéniles », comme l’évoquera Apollinaire en 1916.

BiographieAndré Derain commence par des études à l’Académie Carrière entre 1898­99. Il rencontre Jean Puyainsi que Henri Matisse, alors que celui­ci réalise des copies au Louvre. L’année suivante, il se lieavec Maurice de Vlaminck avec qui il partage un studio.1905, il rejoint Matisse à Collioure où ils définissent ensemble le style qui incarne le fauvisme. AuBateau­Lavoir qu’il fréquente à partir de 1907, il rencontre Picasso, Braque, Apollinaire, VanDongen et Max Jacob. Il se passionne pour « l’art nègre » et le collectionne.

À la déclaration de la guerre, Derain rejoint son régiment. Il racontera longtemps les cauchemars ethallucinations de cette période passée dans les tranchées.En 1919, époque de la paix retrouvée − et comme Matisse pour les décors et costumes du Chant durossignol −, il travaille avec Diaghilev et les Ballets russes pour les décors et costumes de laBoutique fantasque.Dès 1911, Derain s’était tourné vers une peinture plus classique où les références aux maitresdu passé sont nombreuses (Chardin, Le Nain…). C’est le « retour à l’ordre ». Le voyage officiel qu’ileffectuera en Allemagne en 1941 « sera sa croix ». Ostracisé, il meurt seul à Garches, âgé de 74ans.

MAURICE DE VLAMINCK 1876, PARIS (FRANCE) ‐ 1958, RUEIL‐LA‐GADELIÈRE (INDRE ET LOIRE, FRANCE)

Maurice de Vlaminck, Les coteaux de Rueil, 1906Huile sur toile, 48 x 56 cm

La force presque brutale des touches de couleurs pures aveclaquelle Vlaminck brosse ce paysage de Rueil, où il s’est installé unan plus tôt, est révélatrice du tempérament déterminé del’artiste. Une masse dense, magmatique, de vermillons etd’ocres jaunes pousse dans un lyrisme hérité de van Gogh lacomposition au plus haut de la toile. Le ciel alors dévoilé, commeun couvercle reposé, restitue l’espace. Un sentier rouge et uncoteau ocré presque traités en aplats enlacent enfin la masse

animée comme pour l’apaiser.

« Je voulais brûler avec mes cobalts et mes vermillons l’école des beaux­arts et je voulais traduiremes sentiments avec mes pinceaux sans songer à ce qui avait été peint ». « Le fauvisme n’est pasune invention, une attitude mais une façon d’être, d’agir, de penser, de respirer ». Le peintredémontre par ces propos qu’au­delà d’un paysage interprété, c’est d’une peinture incarnée à la

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respiration brûlante dont il s’agit.

BiographieSi Vlaminck fait ses premières peintures vers 1893, il gagne plus souvent sa vie comme violoniste(son père était pianiste et violoniste) ou en remportant parfois des courses cyclistes. Autodidacteaffirmé, il se refuse à tout enseignement artistique et fuit les musées pour ne pas affadir soninspiration. Il reste cependant « estomaqué » face à l’œuvre de van Gogh qu’il aime à citer.

De sa rencontre avec Derain en 1900 naît une solide amitié. Ils louent ensemble un studio àChatou. Mais il refuse de rejoindre celui­ci à Collioure en 1905. Prétextant que la lumière est aussibelle à Chatou, il est possible qu’il ait été financièrement arrêté. Les années 1900­1905 sontd’ailleurs particulièrement difficiles pour le peintre qui gratte d’anciennes peintures pour en créer denouvelles. À la même période, il publie deux romans particulièrement « décadents », voirepornographiques, et affiche une passion marquée pour l’art primitif. Apollinaire reconnaitra en 1912l’importance de sa collection commencée dès 1900.

Son installation à Rueil­Malmaison en 1905 coïncide avec le Salon d’Automne où il présente despeintures dans la salle VII. Ambroise Vollard devenu son marchand lui achète sa production et luiorganise une grande exposition en 1908. Son rapprochement avec les cubistes et le marchandKahnweiler a pour origine la rétrospective de Cézanne de 1907 qui influence son évolutionpicturale.Il décède à Rueil­la­Gadelière où il s’était installé en 1925.

GEORGES BRAQUE1882, ARGENTEUIL (FRANCE) ‐ 1963, PARIS (FRANCE)

Georges Braque, L'Estaque, octobre 1906Huile sur toile, 60x73,5 cm

C’est enthousiaste que Braque décide, en octobre 1906, derejoindre l’Estaque en compagnie de Friesz avec qui il a séjournéauparavant à Anvers. Si sa palette expérimente les gammesfauves depuis le choc reçu lors de l’exposition du Salon d’Automnede 1905, c’est clairement Cézanne qui l’inspire dans le choix dece lieu, Cézanne qui avait choisi ce petit village près de Marseillecomme sujet à partir de 1870.

« Je peux dire que mes premiers tableaux de l’Estaque étaient déjà conçus avant mon départ »(propos de Braque au critique Jacques Lassaigne). Comment ne pas, effectivement, faire le lien entrece paysage et les émotions ressenties par Paul Cézanne : « […] Le soleil y est si effrayant qu’il mesemble que les objets s’enlèvent en silhouette, non pas en blanc et noir, mais en bleu, en rouge, enbrun, en violet […] ». Cette description pourrait être celle de Braque peignant l’Estaque au début deson séjour.

Assommé de jaunes lumineux, un sentier nous mène sous la pinède bleutée. Les ombres lascivesétirent les violets et les bleus qu’un ciel renvoie. Les pins étendent leurs troncs multicolores vers ceciel que leurs branches, sculptées par le mistral, épousent. Le paysage se modèle par la couleurque la touche martèle. C’est une composition très structurée. La terre ondule comme une vague jusqu’au chemin etbute, en contrebas, sur un mur violet et orange qui contient les lignes verticales des grands arbres.Ceux­ci, comme un ressac, rejoignent à nouveau le sol en éclaboussant le ciel traversé de rose et devert. La touche d’abord large et discontinue en bas à gauche est, dans l’angle opposé, dense etnerveuse. La diagonale inverse associe le chemin à la ligne des falaises. Les deux diagonales serencontrent à l’endroit où se trouvent deux petits personnages qui donnent l’échelle de l’espace.Deux êtres, petits, perdus sous un vaste décor qui, loin d’être oppressant, vibre et bouillonned’énergie.

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BiographieSi le jeune Braque étudie la peinture à l’École des Beaux­arts du Havre de 1897 à 1899, c’est surtoutson père, Charles Braque, entrepreneur­peintre en bâtiment, qui le forme au métier de peintre­décorateur. Il obtient son certificat d’artisanat en 1901 à Paris et s’inscrit l’année suivante àl’Académie Hubert qu’il fréquente jusqu’en 1904. Il y rencontre Marie Laurencin et FrancisPicabia. Ce qu’il découvre de Derain et Matisse au Salon d’Automne de 1905 fait basculer sonœuvre du néo­impressionnisme au fauvisme. Expérimentant les tons purs avec son ami OthonFriesz, Havrais tout comme lui, il se rend à Anvers durant l’été 1906 puis, en octobre, part pourl’Estaque. Six des toiles peintes dans le village seront exposées puis vendues lors du Salon desIndépendants de 1906.

La rétrospective consacrée à Cézanne en 1907 incite Braque à simplifier les formes, abolir lesperspectives « classiques » et reprendre, dans ses couleurs, des tonalités plus proches de la nature.Sa rencontre avec Pablo Picasso, qui peint les Demoiselles d’Avignon au même moment,conforte la nouvelle orientation donnée à son œuvre et marque le début d’« un travail en cordée »devenu mémorable dans l’histoire de l’art moderne.Le Grand Nu (140 x 100 cm, collection Centre Pompidou, Mnam), peint entre décembre 1907 etjuin 1908, traduit, au­delà du choc qu’il reçoit face aux Demoiselles d’Avignon, le goût commun auxdeux peintres pour l’art « primitif » et l’œuvre de Cézanne. Mais c’est la période du cubisme diteanalytique qui mêle de manière intense leurs aspirations communes. Ils théorisent alors le cubismeen fractionnant puis recomposant l’espace soutenu par des palettes de « tons sourds ». L’œuvredevenue presque abstraite marque une frontière que Braque ne souhaite pas dépasser. À partir de1911, pour se rapprocher à nouveau du sujet, il colle des papiers, de petits objets et ravive lescouleurs qui s’étaient assombries : c’est le cubisme synthétique qui marque le dernier temps dumouvement. La peinture est plus souvent frontale dans sa composition et n’offre plus l’éclatementdes formes et des plans comme dans les peintures antérieures.

Cette collaboration féconde entre les deux peintres aurait pu perdurer si Braque n’avait pas étéenvoyé au Front où il est gravement blessé à la tête en 1915. Trépané, il ne peint plus jusqu’en1917 et, lorsqu’il reprend son travail, son œuvre ne cesse de puiser dans le quotidien des thèmeshumbles, habillés principalement de verts, de noirs et de bruns (série des guéridons ou cheminées,1922­27).Il semble peu à peu faire revivre les couleurs vives dans les séries consacrées aux baigneuses ou auxplages qu’il peint vers 1930 (certainement sous l’influence de Picasso) et quelques natures mortesdécoratives marquent la constance de l’intérêt qu’il porte aux thèmes cézanniens.

La Seconde Guerre accable un homme qui traduit par des toiles austères ce qu’il ressent face à larestriction et l‘Occupation (ainsi les Poissons noirs, 1942, collection Centre Pompidou, Mnam). À laLibération, les tons « légèrement funèbres » des Ateliers peints entre 1949 et 1956 font perdurerles gammes éteintes que le thème de l’oiseau brisera. En 1953, il réalise les Oiseaux(270 x 212 cm pour l‘œuvre principale), 3 peintures pour le plafond de la salle Henri II au Louvre. Ilest alors le premier peintre moderne exposé de son vivant dans le célèbre musée. Il meurt à Paris en 1963 et est enterré dans le cimetière marin de Varengeville­sur­Mer.

FAUVISME ET ART MODERNE, EXPRESSIONNISME ET ABSTRACTION

UN RÔLE NOUVEAU POUR LA COULEUR

Bien que le mouvement n’ait bénéficié d’aucun écrit théorique, de nombreux artistes puiseront dansle fauvisme matière à leurs recherches personnelles. La situation artistique exceptionnelle de Paris audébut du 20e siècle et l’attraction qu’elle exerce auprès d’artistes internationaux permettent ladiffusion rapide des recherches plastiques. Les artistes russes Michel Larionov et Nathalie

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Gontcharova sont représentatifs de ces échanges. Tout en diffusant le fauvisme dans lacommunauté russe très mobile à l’époque, ils évoluent vers le rayonnisme, collaborant plus tard ausuprématisme de Malevitch.

Le choc du Salon d’Automne de 1905 est au cœur d’une prise de conscience collective qui ébranlel’art et le fait basculer dans la modernité. La couleur est la première actrice à entrer en scène.Débarrassée de sa fonction d’imitation de la nature, elle s’impose, pure, pour ce qu’elle révèled’émotions. C’est une qualité que soutient le mouvement expressionniste avec le groupe DieBrücke, apparu à Dresde simultanément en 1905. Les couleurs violentes et les touches torturéescrient la force d’une peinture libérée dont Ernst Ludwig Kirchner est le peintre emblématique. Cemouvement prend d’autant plus d’importance que le fauvisme s’essouffle rapidement en France. La couleur affranchie dépeint les grandes villes et ses habitants, leurs luttes et fait écho auprimitivisme ou aux traditions populaires. La critique sociale, le trait incisif et les couleurs criardessont les armes que brandissent ceux que l’on accuse d’être un danger pour la jeunesse allemande. Lechamp coloré devient champ de bataille.

La peinture doit gagner en autonomie et s’affranchir des derniers liens avec la réalité. Représenterl’individu ne peut plus se satisfaire d’une imitation de l’extérieur. Vassily Kandinsky, à la recherchede cette « nécessité intérieure », ouvre le chemin à l’abstraction. Exposé au Salon d’Automne de1905, il réalise très vite que la ligne et la couleur peuvent exister pour ce qu’elles sont (vibrations,rythmes, sons, symboles …). Les paysages qu’il peint en Allemagne deviennent des « prétextes » à lapeinture pure qui gagne en spiritualité. En fondant, avec plusieurs artistes, le groupe NKV en 1909,puis Der Blaue Reiter en 1911 (tous deux créés à Munich), il mène l’art sur un terrain vierge, unvaste continent que les artistes contemporains explorent encore.

LES ARTISTES ET LEURS ŒUVRES

ERNST LUDWIG KIRCHNER1880, ASCHAFFENBURG (ALLEMAGNE) ‐ 1938, DAVOS FRAUENKIRCH (SUISSE)

Ernst Ludwig Kirchner, Toilette ­ Frau vor dem Spiegel (La Toilette ­Femme au miroir), 1913/1920 Huile sur toile, 100,5 x 75,5 cm

Le visage pointu, les yeux marqués, une coupe « à la garçonne »,une jeune femme est assise face à sa coiffeuse. Il s’agitvraisemblablement d’un portrait d’Erna schilling, qui deviendra safemme et qu’il rencontre alors qu’elle est danseuse. Elle travailleavec sa sœur Gerda dans un cabaret. « Une fille attirante maistriste, qui ne se sentait pas digne de leur relation », commeKirchner l’évoque dans ses carnets intimes de Davos.

C’est un curieux reflet que celui d’Erna dans son miroir. Si lajeune femme semble par coquetterie porter les mains à sescheveux, c’est un visage mélancolique, les bras tombants, qui sereflète. Il s’agit de comprendre que la réalité peinte par Kirchnern’est pas celle que renverrait un miroir. « Un peintre montre

l’apparence des choses par leur exactitude objective − en réalité il donne une nouvelle apparence auxchoses », écrit­il. C’est une mise en abîme qui semble dédoubler la personnalité.

Erna est dressée, taillée à coups secs dans l’ocre jaune comme une idole primitive. Sa robeblanche est un parcours de brosses énergiques qui semblent fuser dans toutes les directions.L’espace bleuté du mobilier et de la pièce est instable, saturé de diagonales et de lignes hachées. Lacomposition est marquée par les compositions cubistes et le gothique, lesquels inspirent cettegénération d’artistes (L‘Art gothique de Wilhem Worringer, livre influent, parait en 1911).

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La couleur joue de contrastes forts que le trait et la composition accusent. Bien que la toile soitsignée 1912, Donald Gordon, l’auteur du catalogue raisonné du peintre, la date de 1913 et celui­ci laretouche en 1920. L’avancement de la datation est typique de Kirchner.

BiographieLorsque quatre étudiants en architecture − Ernst Ludwig Kirchner, Fritz Bleyl, Erich Heckel,Karl Schmidt Rottluff −, inspirés par le Jugendtstil, décident en 1905 de fonder le mouvement DieBrücke (le Pont) − ils seront rejoints plus tard par Max Pechstein, Otto Mueller et, pour quelquestemps, par Emil Nolde −, la personnalité de Kirchner se démarque très vite. Leur programme est rédigé en 1906. On peut y lire, gravé dans le bois par Kirchner − techniqueutilisée par le groupe − la revendication pour l’artiste de « la liberté dans ses œuvres et sa vie ». Ils’agit de créer un lien (un pont) entre les traditions allemandes et ce que la modernitélaisse augurer. Les gravures de Dürer, la peinture de Matthias Grünwald ou l’architecture gothiquesont des références qu’ils associent aux réalités et intérêts modernes : le primitivisme (le muséeethnographique de Dresde ouvre en 1912), l’art japonais, le dessin rapide et la touche libre, la réalitésociale des grandes villes dynamiques…

Kirchner peint tout d’abord des nus et les paysages de Moritzburg ou de l’île de Fehmarn qu’ildécouvre en 1908. Installé à Berlin en 1911, il se confronte à une réalité sociale dure, frontale, querestitue sa touche. Il rencontre cette année­là Erna Schilling, une danseuse de cabaret qui devientd’abord son modèle puis sa femme. À partir de 1913, Berlin − sa vie nocturne, son agitation, sonarchitecture − est le sujet de la série de toiles de la grande ville (Groβstadt bilder). Mobilisé en 1914,l’homme en dépression nerveuse est vite réformé. Gavé de véronal, dépendant à la morphine etalcoolique, Kirchner est en enfer. Son rétablissement au Sanatorium de Königstein im Taunus, dansla Hesse, est profitable puisqu’il en décore les murs.

A partir de 1917­1918, il s’installe à Davos en Suisse où il réside dans un petit chalet alpin. Dans lesannées 20, il semble bénéficier d’une reconnaissance importante de la part du public et desinstitutions. Il réalise une commande murale pour le musée de Folkwang en 1927 et expose à laBiennale de Venise en 1928. Mais les nazis qui prennent le pouvoir en 1933 considèrent l’artiste« dégénéré » et, en 1937, retirent des musées, vendent ou brûlent plus de 600 de ses œuvres.Abattu, profondément dépressif, l’homme se suicide l’année suivante.

VASSILY KANDINSKY1866, MOSCOU (RUSSIE) ‐ 1944, NEUILLY‐SUR‐SEINE (FRANCE)

Vassily Kandinsky, Landschaft mit turm (Paysage à la tour), 1908 Huile sur carton, 74 x 98,5 cm

Cette petite huile sur carton fait partie des nombreux paysagesque Kandinsky peint après son retour de Paris et son installation àMunich en 1908. La « Russenhaus », la propriété acquise par sacompagne Gabriele Münter aux environs de Murnau, lui permetde peindre sur le motif la campagne alentour. C’est une périodefondamentale pour l’artiste qui évolue alors rapidement du post­impressionnisme à l’abstraction de 1910.

Paysage à la tour représente l’environnement d’un bâtiment industriel, la brasserie Pantl surLindenburg. Dans une esquisse à l’huile, à peine plus grande, conservée au Solomon R. GuggenheimMuseum, il accuse plus nettement la saillie de la tour qui s’élance dans le ciel. La version visible dansles collections du Musée est un jeu de forts contrastes colorés brossés par touches larges etmultidirectionnelles qui efface l’importance première de cette tour. Celle­ci semble néanmoins prolonger vers le haut la composition dynamique en appuyant ladiagonale qui parcourt le tableau. Un rouge rectiligne, qui fuse depuis le toit de la brasserie, induitune nouvelle ligne de force appuyée par le mouvement des touches. Pris en tenailles, la brasserie etses bosquets de verdure s’écrasent entre l’outremer pesant du ciel et les jaunes d’or, les rouges des

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champs au premier plan (peut­être le rappel des champs de blé que Vincent van Gogh peint àAuvers­sur­Oise).

Une lumière improbable irradie sur les champs alors que le ciel semble nocturne. Un nuage massifpèse de son blanc pur sur la construction centrale tandis qu’en arc de cercle, trois autres, de plus enplus petits, soutiennent les touches en éventail. Le dernier, contre toute logique, semble mêmes’être égaré dans le vert ocré de la campagne lointaine. La couleur doit au fauvisme ses contrastesforts. Jaune, rouge et bleu sont les tonalités principales qui se renforcent au contact du noir, du vert,de l’ocre ou du violet à proximité. La touche gagne en force et lyrisme comme les expressionnistesdans le même temps. Cette peinture sera exposée lors de la première exposition de la NKV dans lagalerie Tannhäuser à Munich en 1909­1910.

BiographieVassily Kandinsky est un peintre né dans une famille aisée de la bourgeoisie moscovite. S’il étudied’abord le droit et l’économie, il ne commencera ses études artistiques qu’à l’âge de 30 ans (en1896). Il évoque pourtant dans son autobiographie combien les couleurs étaient importantes dans cequ’il percevait du monde : « Les premières couleurs qui me firent grande impression sont le vert clairet vif, le blanc, le rouge carmin, le noir et le jaune ocre. Ces souvenirs remontent à ma troisièmeannée, ces couleurs appartenaient à divers objets que je ne vois pas aussi clairement que lescouleurs elles­mêmes ».En 1889, il participe à un voyage ethnographique dans la région de la Vologda, au nord­est deMoscou. Les couleurs chatoyantes appliquées sur fond sombre lui font grande impression et luidonnent l‘impression de se « mouvoir comme dans un tableau ». Mais c’est lors d’une expositionMonet présentée à Moscou en 1895 qu’il réalise face à une des peintures, les Meules,l’extraordinaire potentiel de la couleur dans la peinture. Il décide l’année suivante de partir pourMunich où il se consacre à l’étude de l’art.

Il multiplie dès lors les voyages à travers l’Europe et les paysages qu’il peint évoluent au gré de sesdécouvertes. Il séjourne avec une jeune étudiante Gabriele Münter à Paris en 1906­1907. Ilconnait bien cette ville qu’il a déjà visitée auparavant. Il a pu y découvrir l’œuvre de Matisse,Gauguin, Cézanne ou Picasso mais l’accueil parisien n’est pas à la mesure de son enthousiasmeet Kandinsky traverse une longue période de dépression. Ce n’est qu’au retour à Munich en 1908, puis dans une propriété que Gabriele achète à Murnau queKandinsky révèle l’autonomie de la peinture dans des paysages de plus en plus abstraits.

Considéré comme premier peintre abstrait pour une aquarelle peinte en 1910, fondateur des groupesNKV en 1909 puis Der Blaue Reiter en 1911, il est alors devenu une figure majeure de lamodernité. En 1914, il se réfugie en Suisse avant de rejoindre Moscou où il restera jusqu’en 1921.Même s’il enseigne ou collabore à différentes structures artistiques il profite d’une invitation en 1922de Walter Gropius pour s’installer, avec sa femme Nina, comme enseignant au Bauhaus àWeimar. Il y restera jusqu’à ce que les nazis ferment l’école en 1933. Déchu de la nationalitéallemande acquise en 1927, il se réfugie en France à Neuilly­sur­Seine où il s’éteint en 1944.Devenu Français en 1939, il avait pu y poursuivre ses ultimes recherches en compagnie de Nina.

TEXTE DE RÉFÉRENCE

Henri Matisse, Écrits et propos sur l’Art, présenté par Dominique Fourcade,Hermann, Paris 1972

« La tendance dominante de la couleur doit être de servir le mieux possible l’expression. Je pose mestons sans parti pris. Si au premier abord, et peut­être sans que j’en ai eu conscience, un ton m’aséduit ou arrêté, je m’apercevrai le plus souvent, une fois mon tableau fini, que j’ai respecté ce ton,alors que j’ai progressivement modifié et transformé tous les autres. Le coté expressif des couleurs

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s’impose à moi de façon purement instinctive. Pour rendre un paysage d’Automne, je n’essaierai pasde me rappeler quelles teintes conviennent à cette saison, je m’inspirerai seulement de la sensationqu’elle me procure : la pureté glacée du ciel, qui est un bleu aigre, exprimera la saison tout aussi bienque le nuancement des feuillages. Ma sensation elle­même peut varier : l’automne peut être doux etchaud comme un prolongement de l’été, ou au contraire frais avec un ciel froid et des arbres jaunecitron qui donnent une impression de froid et déjà annoncent l’hiver.Le choix de mes couleurs ne repose sur aucune théorie scientifique : il est basé sur l’observation, surle sentiment, sur l’expérience de ma sensibilité. S’inspirant de certaines pages de Delacroix, unartiste comme Signac se préoccupe des complémentaires, et leur connaissance théorique le portera àemployer, ici et là, tel ou tel ton. Pour moi, je cherche simplement à poser des couleurs qui rendentma sensation. Il y a une proportion nécessaire des tons qui peut m’amener à modifier la forme d’unefigure ou à transformer ma composition. Tant que je ne l’ai pas obtenue pour toutes les parties, je lacherche et je poursuis mon travail. Puis, il arrive un moment où toutes les parties ont trouvé leursrapports définitifs, et dès lors, il me serait impossible de rien retoucher à mon tableau sans le refaireentièrement […]Ce que je rêve, c’est un art d’équilibre, de pureté, de tranquillité, sans sujet inquiétant oupréoccupant, qui soit, pour tout travailleur cérébral, pour l’homme d’affaires aussi bien que pourl’artiste des lettres, par exemple, un lénifiant, un calmant cérébral, quelque chose d’analogue à unbon fauteuil qui le délasse de ses fatigues physiques. »

« Quand les moyens se sont tellement affinés, tellement amenuisés que leur pouvoir d’expressions’épuise, il faut revenir aux principes essentiels qui ont formé le langage humain. Ce sont, alors, lesprincipes qui « remontent », qui reprennent vie, qui nous donnent la vie. Les tableaux qui sont desraffinements, des dégradations subtiles, des fondus sans énergie, appellent des beaux bleus, desbeaux rouges, des beaux jaunes, des matières qui remuent le fond sensuel des hommes. C’est lepoint de départ du Fauvisme: le courage de retrouver la pureté des moyens. »[Propos rapportés par Tériade, extraits de « Constance du Fauvisme », Minautore, volume II, n°9,1936. In Écrits et propos sur l'Art.]

« J’ai un grand amour pour la couleur pure, claire, éclatante, et je suis toujours surpris de voir debelles couleurs salies et ternies sans nécessité.Une grande conquête moderne est d’avoir trouvé le secret de l’expression par la couleur, à quoi s’estajoutée, avec ce que l’on appelle le fauvisme et les mouvements qui sont venus à la suite,l’expression par le dessin; le contour, les lignes et leur direction. En somme, la tradition a étéprolongée par de nouveaux moyens d’expression et enrichie dans cette direction aussi loin qu’il étaitpossible. […]Aujourd’hui, il me semble que nous vivons dans une période de fermentation qui promet de produiredes œuvres importantes et durables. Mais, si je me trompe, seule la forme plastique a une véritablevaleur, et j’ai toujours considéré qu’une grande part de la beauté d’un tableau provient du combatdans lequel l’artiste est engagé avec son moyen d’expression limité. »[« Henri Matisse on modernism and tradition », The Studio, IX, n°50, mai 1935, retraduit del’anglais. In Écrits et propos sur l’Art.]

BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE

ECRITS D’ARTISTES

Henri Matisse, Écrits et propos sur l’Art, présenté par Dominique Fourcade, Hermann 1972,(nombreuses rééditions)

Vassily Kandinsky, Du spirituel dans l’art et dans la peinture en particulier, Gallimard, Paris,2005

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ESSAISRaymond Cogniat, Raoul Dufy, Flammarion, Lugano, Italie, 1967

Dietmar Elger, L’Expressionnisme, une révolution artistique allemande, Taschen, Paris, 2007

CATALOGUES D’EXPOSITIONSKandinsky, éditions Centre Pompidou, 2009

Collection Art Moderne. La collection du Centre Pompidou, Musée national d’artmoderne, éditions Centre Pompidou, 2006

Le fauvisme à l’épreuve du feu, Paris Musées, Actes Sud, Paris, oct. 1999

Henri Matisse 1904­1917, éditions Centre Pompidou, Paris, 1993

Œuvres d’Henri Matisse, collection du Musée national d’art moderne, éditions CentrePompidou, Paris, 1989

RESSOURCES EN LIGNEDossiers pédagogiquesMatisse dans les collections du Mnam

Vassily Kandinsky dans les collections du Mnam

Kandinsky, exposition

La naissance de l’art abstrait, Kandinsky, Kupka, Mondrian, Malevitch

Futurisme, rayonnisme, orphisme, les avant­gardes avant 14

Sur le site Public handicapéMatisse. Exprimer sa vision intérieure

LIEN EXTERNELe site Raoul Dufy

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Crédits© Centre Pompidou, Direction de l'action éducative et des publics, février 2011Texte : Olivier FontPour les œuvres de Derain, Dufy, Vlaminck, Braque, Kandinsky : Adagp, Paris 2011Design graphique : Michel FernandezIntégration : Cyril ClémentCoordination : Marie­José Rodriguez, responsable éditoriale des dossiers pédagogiques

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