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Le Gai savoir France Culture Jeudi 7 décembre 2000, 21h Présenté par Gérard Gromer Invitée : Anne Dambricourt, paléo-anthropologue. Transcription : C’est en 96 que j’ai pris connaissance d’une découverte concernant l’hominisation, découverte pu- bliée pour la première fois en 88, dans les Compte-rendu de l’Académie des Sciences et l’auteur de cette découverte, Anne Dambricourt qui est paléo-anthropologue était venue dans cette émission ex- pliquer ce qu’elle avait trouvé et les conséquences de sa découverte, ses implications éthiques et mé - taphysiques notamment. Alors, comme il fallait s’y attendre, ce qu’Anne Dambricourt avait mis en évidence a été discuté, sondé par les spécialistes, commenté par les journalistes scientifiques. Mais très vite, la contestation s’est organisée. On est allé jusqu’à nier la découverte. Il y a eu cabale, mani - pulation, désinformation, mise en place d’un véritable procès en sorcellerie et, aujourd’hui, Anne Dambricourt revient sur l’impact scientifique et philosophique de sa découverte et sur les conflits idéologiques qu’elle a déclenché. Elle publie aux Éditions de Nuée bleue, La légende maudite du XXe siècle, l’erreur darwinienne et je rappelle qu’Anne Dambricourt est chargé de recherche au CNRS, attaché au Laboratoire de préhistoire du Museum national d’histoire naturelle et, aussi, secrétaire- général à la Fondation Pierre Teilhard de Chardin. On va donc revenir ce soir sur l’aspect scientifique de sa découverte, sur ses composantes, ses enjeux. On va s’efforcer de distinguer les niveaux de réalité, ce qui appartient à la science, ce qui relève du sujet, du questionnement philosophique et on va mettre en lumière aussi les coulisses idéologiques de ce débat conflictuel déclenché par la thèse de doctorat présentée en 87 au Laboratoire du préhistoire du Museum présentée par Anne Dambricourt. Alors vous êtes donc allé là où d’autres ne sont pas allés, puisque vous avez fait ce que d’autres n’avaient pas fait et, en fait, l’originalité de votre découverte est quelque chose de très simple : vous avez regardé les crânes d’une certaine façon. A.D. : : Oui. Tout à fait. Oui. Bonsoir. Je les regardais à l’envers. Alors que d’habitude on le regarde de profil, on le regarde vu de l’extérieur et on le regarde adulte. Alors, moi je l’ai regardé de l’intérieur, par en-dessous et depuis les stades les plus précoces du développement, c’est-à-dire depuis l’embryon, mais chez les espèces actuelles. Donc, évidemment, l’approche étant diffé- rente, regardant ce qui d’habitude n’était pas l’objet des recherches, eh bien, j’ai observé tout simplement une certaine évolution qui n’était pas connue. Petit à petit, la diffusion des résul- tats a évidemment rencontré des difficultés puisque ça ne répond pas à la vision classique, dite néo-darwinienne, des origines de l’homme. G.G. : Vous avez, en fait, trouvé des corrélations pour conforter une thèse qui est celle que vous ap- pelez la contraction cranio-faciale. A.D. :

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Anne Dambricourt-Malassé postule qu'il y a déterminisme dans l'évolution humaine, que rien n'est laissé au hasard.

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Le Gai savoir

France Culture

Jeudi 7 décembre 2000, 21h

Présenté par Gérard Gromer

Invitée : Anne Dambricourt, paléo-anthropologue.

Transcription :

C’est en 96 que j’ai pris connaissance d’une découverte concernant l’hominisation, découverte pu-bliée pour la première fois en 88, dans les Compte-rendu de l’Académie des Sciences et l’auteur de cette découverte, Anne Dambricourt qui est paléo-anthropologue était venue dans cette émission ex-pliquer ce qu’elle avait trouvé et les conséquences de sa découverte, ses implications éthiques et mé-taphysiques notamment. Alors, comme il fallait s’y attendre, ce qu’Anne Dambricourt avait mis en évidence a été discuté, sondé par les spécialistes, commenté par les journalistes scientifiques. Mais très vite, la contestation s’est organisée. On est allé jusqu’à nier la découverte. Il y a eu cabale, mani -pulation, désinformation, mise en place d’un véritable procès en sorcellerie et, aujourd’hui, Anne Dambricourt revient sur l’impact scientifique et philosophique de sa découverte et sur les conflits idéologiques qu’elle a déclenché. Elle publie aux Éditions de Nuée bleue, La légende maudite du XXe siècle, l’erreur darwinienne et je rappelle qu’Anne Dambricourt est chargé de recherche au CNRS, attaché au Laboratoire de préhistoire du Museum national d’histoire naturelle et, aussi, secrétaire-général à la Fondation Pierre Teilhard de Chardin.

On va donc revenir ce soir sur l’aspect scientifique de sa découverte, sur ses composantes, ses enjeux. On va s’efforcer de distinguer les niveaux de réalité, ce qui appartient à la science, ce qui relève du sujet, du questionnement philosophique et on va mettre en lumière aussi les coulisses idéologiques de ce débat conflictuel déclenché par la thèse de doctorat présentée en 87 au Laboratoire du préhistoire du Museum présentée par Anne Dambricourt.

Alors vous êtes donc allé là où d’autres ne sont pas allés, puisque vous avez fait ce que d’autres n’avaient pas fait et, en fait, l’originalité de votre découverte est quelque chose de très simple : vous avez regardé les crânes d’une certaine façon.

A.D. : :Oui. Tout à fait. Oui. Bonsoir. Je les regardais à l’envers. Alors que d’habitude on le regarde de profil, on le regarde vu de l’extérieur et on le regarde adulte. Alors, moi je l’ai regardé de l’intérieur, par en-dessous et depuis les stades les plus précoces du développement, c’est-à-dire depuis l’embryon, mais chez les espèces actuelles. Donc, évidemment, l’approche étant diffé-rente, regardant ce qui d’habitude n’était pas l’objet des recherches, eh bien, j’ai observé tout simplement une certaine évolution qui n’était pas connue. Petit à petit, la diffusion des résul-tats a évidemment rencontré des difficultés puisque ça ne répond pas à la vision classique, dite néo-darwinienne, des origines de l’homme.

G.G. :Vous avez, en fait, trouvé des corrélations pour conforter une thèse qui est celle que vous ap-pelez la contraction cranio-faciale.

A.D. :

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La contraction cranio-faciale c’est la découverte proprement dite. Il n’y a jamais de découverte spontanée. Il y a forcément un certain héritage et je m’inscris dans l’héritage du professeur Gudin. À cette époque-là, c’est relativement récent, c’est dans les années 1950, on commence à utiliser la radio puisque la partie qui est intéressante, je rappelle que c’est la base du crâne, c’est le visage, c’est le fond de la gorge et c’est tout ce qui est en dessous du cerveau. Grâce à la radio, on peut accéder à l’intérieur du crâne. Il y avait à cette époque deux tendances, celle de l’École de Lille avec les professeurs Delatre et Fenard et puis le professeur Gudin qui était à l’époque l’élève du professeur Jean Piveteau. Ces deux écoles ensemble permettent de com-prendre la contraction cranio-faciale. Elle n’existait pas avant. C’est-à-dire que c’est quelque chose que l’on observe en 3D et dans le temps du développement des os de la base du crâne. Delattre et Fenard s’intéressaient à l’arrière du crâne, la nuque et, au visage, à la face. Et Gu -din, lui, a regardé ce qu’il y avait entre les deux. La base du crâne est un os qu’on ne voit pas de l’extérieur. Il est à l’intérieur du crâne. Il est au centre.

G.G. :C’est le sphénoïde…

A.D. :…c’est le sphénoïde. Oui. C’est un os…

G.G. :…il a une forme très particulière

A.D. :… une forme particulière. Les médecins le compare à une chauve-souris. Alors il a des grandes ailes devant, des grandes ailes sur les côtés qui vont former les tempes et puis deux petites ailes par-dessous.

G.G. :Et vous étudiez l’évolution morphologique de cet os.

A.D. :Maintenant oui. Mais au départ, j’étais parti de la mâchoire inférieure, la mandibule, tout sim-plement parce que c’est l’os le plus fréquent. De fil en aiguille, je me suis aperçu que la forme de la mandibule change au cours du développement, de l’embryon à l’adulte et elle montre, par certaines valeurs, les différentes étapes du développement, si bien que l’os adulte permet, si on sait bien le lire, d’avoir une histoire, de retrouver l’histoire chez l’embryon, chez le fœ-tus. Après la naissance c’était assez bien connu. Ce qui est important, à nouveau, c’est l’intro-duction de la période embryonnaire.

G.G. :C’est-à-dire, en fait il y a deux aspects : il y a la volonté de comprendre l’origine des change-ments de formes des os et là vous prenez des mesures, vous calculez des angles et vous utilisez le pied à coulisse pour ce travail….

A.D. :Voilà, au départ c’est très simple, oui parce que c’est la mâchoire inférieur, pas besoin de ra-dio. Donc, ce sont des angles qui sont mesurés. On prend toujours les même points, quelque soit le stade du développement et quelque soit l’espèce. Il faut beaucoup de mandibules parce qu’on a besoin de statistiques, on a besoin de moyennes. Puis nous avons donc les possibilités de calculer ce qu’on appelle des coefficients de corrélation. Tel angle se trouve effectivement corrélé avec tel autre. Ils changent ensemble.

G.G. :

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Dans une deuxième partie donc, il s’agit d’étudier la genèse des formes depuis les stades em-bryonnaires…

A.D. :… depuis les stades embryonnaires. C’est sûr qu’au départ c’est un peu surprenant : l’embryon ne se fossilise pas mais l’embryogenèse, d’une certaine façon, se fossilise à travers l’ossifica-tion des tissus. On peut considérer l’ossification des tissus embryonnaires comme un phéno-mène de fossilisation intra-utérin. Et les modifications de positions des os qui se fait…

G.G. :…notamment du sphénoïde…

A.D. :…le sphénoîde. On va rappeler un petit peu : le seul crâne qui existe chez l’embryon c’est la base du crâne et elle est plate. Elle est plate chez tout le monde. C’est une organisation qui est commune à tous les mammifères actuels, donc a fortiori, elle est commune à tous les em-bryons des fossiles. Donc tout le monde part d’un crâne plat. Et c’est un crâne cartilagineux. Celui que l’on l’habitude d’étudier – l’adulte – avec la voûte, c’est un crâne qui se forme plus tard. Il se forme chez le fœtus quand les hémisphères cérébraux sont différenciés. Mais chez l’embryon, le seul crâne qui existe c’est la base du crâne et elle est plate. Et, en fait, ce qui va très vite distingué les primates actuels et les fossiles, c’est l’angle que l’on constate précisé -ment à la base du crâne. Quand est-ce que cet angle se forme? Et il est différent entre les grands groupes de primates. Chez nous, c’est le plus fléchi, c’est l’angle le plus fermé. Alors, pendant un premier temps, on a pensé que le fait d’avoir un coup redressé, donc un fond de gorge redressé, c’était une acquisition tardive liée à la locomotion bipède. Donc toute une in-terprétation des origines de l’homme s’est structurée autour de l’idée d’une adaptation du squelette à l’environnement. Si l’environnement ne change pas, il n’y a pas de raison que le squelette change.

Maintenant, on revoit les choses totalement différemment : l’homme naît avec un fond de la gorge redressé et cet événement se déroule entre la septième et la huitième semaine embryon-naire, c’est-à-dire avant même la période fœtale. Entre sept et huit semaines, on a la signature fossilisée de l’homo sapiens. Il y a une possibilité de définir homo sapiens en des termes scientifiques et rigoureux paléontologiques avec ces mesures angulaires. Sapiens, si on avait des fossiles.. bon ça ne se fossilise pas…et si nous avions des fossiles d’autralopitèques, eh bien, on pourrait comparer, stade par stade, six semaines, l’australopitèque ou si on avait des homo erectuis, et on pourrait suivre comme ça : à huit semaines c’est un australopitèque, à huit semaines, c’est un homo habilis, à huit semaines, c’est un homo sapiens. C’est un révolution totale dans la définition de ce que c’est l’être humain. Ce n’est pas un ad:ulte, ce n’est pas un enfant, ce n’est pas un fœtus. En ce qui concerne le développement des tissus dits de soutien, c’est une ontogenèse. C’est quelque chose, et là je parle bien des tissus, c’est quelque chose qui se développe depuis la période embryonnaire jusqu’à l’adulte, dans l’espace et d’une façon repérable que l’on peut quantifier. Donc cette genèse des formes se prête tout à fait à la dé-marche scientifique.

G.G. :Cette contraction cranio-faciale, pourquoi vous l’appelez ainsi?

A.D. :Le terme définit bien le mouvement…

G.G. :…parce que c’est une loi?

A.D. :

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Ah, c’est une loi… Bon il faudrait revenir sur la définition de la loi… C’est un mot qui illustre bien le mouvement dans l’espace. Alors cranio-facial, pourquoi? Parce que… on revient sur la base du crâne qui est plate. On va reprendre la mâchoire inférieure. La partie postérieure de notre mandibule est en contact avec la base du crâne. Et la partie antérieure avec les dents est d’origine faciale. Donc il y a un déterminisme basi-cranien et un déterminisme faciale. Donc, il y a deux déterminisme et il faut les faire s’accorder. Quand la base du crâne se fléchit, le contact de la mâchoire inférieure avec la base va forcément se modifier dans l’espace.

Ce qu’on essaie de comprendre en paléontologie et également maintenant, particulièrement, en orthopédie danto-maxillo-faciale c’est également l’impact de la flexion de la base du crâne sur le développement des os du visage. Le maxillaire, c’est-à-dire la partie supérieure du visage et la mandibule. Eh bien, quand on prend l’ensemble des tissus, faciaux et basi-craniens (c’est toujours la même chose : on prend de point, on mesure des angles), toujours plus d’angles, toujours les mêmes corrélations. Chez les plus vieux primates, la base du crâne est un petit peu fléchie et la face pratiquement placée en avant du cerveau, alors que chez nous, elle est des-sous. Donc chez les premiers primates, elle est devant, elle est longue et étroite. Chez nous, la face est toute petite, elle est arrondie, elle est sous le cerveau.

On ne savait pas expliquer l’origine des ces changements de position et de forme et ça c’est donc un des aspects de cette découverte : pour comprendre les changements de position ou de mal-position aujourd’hui des os du visage, il faut regarder ce qui se passe derrière, au niveau de la base du crâne. Le terme de contraction cranio-faciale visualise le mouvement. Mais pour parler de loi, c’est différent. Il faut introduire les mathématiques.

G.G. :Et justement, les mathématiques, donc, cela suppose un travail de formalisation qui est en cours.

A.D. :Absolument, il est en cours, oui.

G.G. :La théorie de l’évolution peut se traduire par un langage mathématique pour traduire au fond la mémoire des mécanismes évolutifs en action. Et donc c’est une formalisation mathématique complexe.

A.D. :La démarche en soit n’est pas trop compliquée. C’est l’interprétation qui va l’être. Quelle est cette démarche? On a des angles qui changent au cours du développement et des angles qui sont corrélés. Donc on peut écrire des corrélations, on écrit des équations. Et ensuite on re -garde. Il faut reconstituer les trajectoires de croissance des fossiles. Donc c’est là la difficulté.

G.G. :C’est sur 60 millions d’années.

A.D. :Voilà! Sur 60 millions d’années si on prend… on remonte jusqu’aux premiers primates. Donc la démarche consiste à écrire les coefficients de corrélations, les équations propres à l’appari -tion d’un nouveau palier de contractions cranio-faciales, puisque des premiers primates à l’ho-mo sapiens, on observe, objectivement, à travers les milliers de données fossiles ce phéno-mène des crânes longs et plats vers notre crâne court et large.

G.G. :C’est un solide déminéralisé qui évolue en fait.

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A.D. :On peut voir les choses comme ça. Donc, si on a la possibilité d’écrire l’équation, les équa-tions qui décrivent la morphogénèse chez les prosimiens, les premiers primates, ensuite l’équation qui décrit la morphogénèse chez les premiers singes qui ont à peu près 40 millions d’années , 45, et ainsi de suite on continue. Les grands singes par exemple, ce sont les survi -vants, ce sont des gorilles, des chimpanzés. Reconstituer l’équation des australopithèques, en-suite des premiers sapiens sapiens. On regarde donc le comportement de ces équations et on essaie de voir comment écrire L’équation de comportement des équations. Et alors là, on est dans un domaine évidemment non-biologique. C’est un langage mathématique tout à fait…

G.G. :… la bio-physique.

A.D. :…c’est physique et le but est d’essayer de comprendre la nature physique du phénomène. Et de cette façon donc, on peut avoir une bonne représentation mathématique du comportement des équations et là je change complètement le langage.

G.G. :Mais est-ce que vous avez été dans votre formation de paléo-anthropologue formée aussi à aborder ces problèmes de biologie mathématique?

A.D. :Euh, ça c’est la formation universitaire. J’ai un cursus en géologie, en thermodynamique, en physique, physique du globe. J’ai les bases qu’il faut, mais la formalisation, je ne la fais pas seule.

G.G. :Parce que quand vous faites votre découverte, on parlait beaucoup de la théorie du chaos à l’époque…

A.D. :…à cette époque, oui. Alors que dit la théorie du chaos? C’est un modèle mathématique qui utilise de l’inflation des équations et qui qualifie le comportement des équations. On parle d’attracteurs. Un attracteur, c’est un concept mathématique. On ne sait pas la réalité physique. Donc, on est vraiment dans le domaine théorique pure. En science, une théorie, c’est une for-malisation mathématique d’un phénomène observé, mesuré, quantifié. Donc, la théorie du chaos, c’est un modèle mathématique qui décrit des comportements qui sont liés au passé. C’est-à-dire qu’il y a un certain déterminisme, il y a une causalité. La causalité est importante mais on ne peut pas prévoir quel va être le comportement du système à long terme. Il est de plus en plus imprédictible. Donc, quand moi je suis arrivé au terme de mes résultats, alors qu’à l’époque on parlait beaucoup de la théorie du chaos, il y avait notamment les travaux d’I. Pri -gogine, son ouvrage célèbre avec Isabelle Stangers La nouvelle alliance, L’homme est inatten-du. Ce sont des propositions qui ne sont absolument pas cohérentes avec les données fossiles.

Alors, à force d’entendre dire que l’homo sapiens est juste le résultat d’un changement écolo-gique, que sans l’écologie il n’y a pas de raisons de changer l’anatomie, la physiologie. En-suite, entendre dire que le théorie du chaos s’applique aux origines de l’homme, mais sans au-cune vérification, alors que, à partir des faits, c’est tout à fait différent… c’est-à-dire qu’il y a un déterminisme, donc une causalité et il y a une reproductibilité des mécanismes! Donc, quelque part, j’arrive, à travers une formalisation mathématiques, à dégager un niveau de réali-té qui n’est pas celui décrit par la théorie du chaos et qui est encore moins celui décrit par la théorie du néo-darwinisme, parce qu’avec le néo-darwinisme on focalise sur la sélection natu-relle. Elle est permanente la sélection naturelle. Elle n’est pas en cause. L’action de base du néo-darwinisme qui est très importante dans une certaine école de pensée, c’est le hasard, le

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hasard physique, c’est-à-dire, la non-causalité, la non-histoire, l’indéterminisme, ce qui est to-talement inadéquat avec les faits. Donc, c’est extrêmement important : arriver à démontrer ou à montrer, à induire. C’est un démarche inductrice. Ce n’est pas l’hypothèse et la déduction. Là c’est la démarche scientifique la plus stricte : arriver à montrer que le développement em-bryonnaire de l’homo sapiens s’inscrit dans un processus qui a au moins 60 millions d'années, stable, en accélération, qui peut se formaliser avec le langage le plus rigoureux et arriver à un niveau ontologique où espace et temps ne veut plus rien dire parce que c’est stable, c’est énorme! C’est une révolution énorme.

G.G. :Et donc, là vous introduisez la notion d’attracteurs étranges que vous appelez, enfin que les chercheurs appellent harmoniques…

A.D. :…je l’ai appelé harmonique et visiblement le qualificatif en soit a suscité des réactions. Le concept d’attracteurs étranges est connu. L’emploi du terme est tout à fait approprié. C’est le qua-lificatif qui était nécessaire. On distingue trois types d’attracteurs : - le statique : c’est-à-dire que le système va mourir. Il se stabilise, il meurt, il se dégrade. Ce

n’est pas le cas,- L’attracteur périodique : le système revient à sa position de départ. Ce n’est pas le cas.- Et l’attracteur chaotique : plus le système s’éloigne de la source, moins son comportement est

prévisible, ce qui n’est pas le cas. C’est tout le contraire.

Le temps écoulé entre deux contractions cranio-facial s’accélère. Donc, c’est quelque chose de tout à fait nouveau. Nous nous inscrivons dans un processus où la probabilité de voir la contrac-tion cranio-facial se produire est exponentielle. C’est un prédictibilité croissante. Tout le contraire du chaos détermniste et plus rien à voir avec le néo-darwinisme. Donc, à partir des données scien-tifiques et à partir de cette comparaison/confrontation avec les modèles proposés, de toute façon, il y a un langage mathématique – ce sont des attracteurs – et, quand les équations seront toutes écrites, à ce moment-là on va proposer un qualificatif. Et moi j’ai proposé le qualificatif d’harmo -nique. Il est fondé. Même si les équations ne sont pas encore écrites, je peux parfaitement, à partir d’un langage scientifique, considérer qu’il y a un type d’attracteur qui n’a pas été qualifié. Je le qualifie d’harmonique. Alors le terme d’harmonique… chaotique ne gène pas, mais harmonique a suscité tout de suite des réactions.

G.G. :Alors, est-ce qu’on peut maintenir un seuil de complexité universelle qui permet l’apparition d’êtres vivants qui s’inscrivent dans une logique où on retrouve les thèses de Teilhard de Chardin? Est-ce qu’il y a concordance, convergence entre cette découverte et cette thèse de la complexité?

A.D. :Totalement. Oui. Teilhard de Chardin est connu pour sa fameuse loi de complexité croissante, associée à l’apparition de la conscience réfléchie. Complexité croissante, c’est en tout cas constaté en paléontologie humaine avec le développement du système nerveux central. C’est-à-dire les hémisphères cérébraux. On ne peut pas dire de la base du crâne que c’est une com-plexité croissante. Au cours de l’ontogenèse, c’est déjà une complexité croissante. Ce n’est pas un problème. Mais il y a effectivement une bonne adéquation, c’est-à-dire que plus la base du crâne est contractée et plus le développement cérébral est complexe. Ça ne veut pas dire qu’il y a un rapport de cause à effet. Ce n’est pas parce que la base se contracte que le cerveau gros -sit. Ce n’est pas ça du tout. Le cerveau se complexifie après que la base ait été fléchie. Mais l’ensemble forme un tout extrêmement intégré, en sorte que l’on comprenne qu’il y a de vraies questions scientifiques qu’on ne peut pas résoudre aujourd’hui avec les propositions de la théorie du chaos et du néo-darwinisme. Le fait est que la contraction cranio-faciale d’origine embryonnaire s’est systématiquement accompagnée d’une complexification du système ner-

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veux central. Il y a des malformations. Il a dû certainement y avoir beaucoup d’avortements. Mais ce qui a été sélectionné et qui donc la capacité donc de se reproduire, ce sont des évolu -tions de l’ensemble de l’embryon – c’est l’ensemble de l’embryon, ça va de la tête au bassin, pas uniquement la tête, c’est l’ensemble qui est changé - eh bien ce qui est visiblement sélec-tionné c’est un processus qui conserve une certaine mémoire qui se traduit, au niveau des tis -sus de soutien donc par une contraction de la base du crâne et pour le système nerveux central, par une complexification du système nerveux central, suivi d’une complexité de la vasculari-sation, c’est-à-dire tout le réseau vasculaire qui irrigue le cerveau. Le maximum de cette vas-cularisation s’observe avec l’homme moderne, pas avant.

Donc, on retrouve tout à fait la loi de complexité croissante de Teilhard de Chardin.

G.G. :Vous dites aussi que cette loi de contraction cranui-facial trouve dans l’apparition récente de phénomène concernant des désiquilibres – vous y avez fait allusion tout à l’heure – à ces dés -équilibres de croissance cranio-faciale auxquels sont confrontés aujourd’hui les orthodontistes, il y a là aussi, au fond, une sorte de convergence qui s’opère.

A.D. :Oui. C’est-à-dire qu’au moment où on recommence à reconnaître que ce phénomène est au-thentique, que ce n’est pas une question de mode – dans certains départements, on arrive à 80% d’enfants qui ont besoin de traitements orthodontiques, soit des mal-positions dentaires, soit des réductions du nombre de dents, soit des mal-positions des os, un petit (…) qui est peut-être un petit peu différent. Et au moment où on a besoin de comprendre ce phénomène puis d’avoir des traitements orthopédiques efficaces, arrivent aussi cette observation., cette dé-couverte qui permet de replacer ce phénomène qui est pluri-ethnique. C’est très important ça.

G.G. :C’est aussi poly-géographique…

A.D. :…voilà : poly-géographique, pluriethnique. On observe – ce n’est pas moi qui le dit, ce sont les orthodontistes – il s’observe au Venezuela, il s’observe en Chine, il s’observe partout. Donc c’est indeépendant de la variabilité géographique. C’est, de toute évidence, l’identité dy-namique sapiens qui est déstabilisée. Alors comment sait-on que ce n’est pas un phénomène de mode? Parce que dans certaines écoles, on demande les radio des parents. On demande à voir aussi les parents. Eh bien, les enfants ne sont pas équilibré comme les parents. S’il y a moins de dents, l’occlusion n’est pas la même, l’équilibre n’est pas le même. Donc on est vrai-ment bien plus dans un phase de grande interrogation. C’était donc un colloque qui avait été initié par mon collègue Gilles El Hihadjoui qui s’est tenu en 1999 à Créteil, qui était subven-tionné par le Conseil général de Val de Marne. Il y a la nécessité à comprendre ce qui se passe, d’avoir une volonté politique, de prendre en considération ce phénomène et donc d’avoir un discours scientifique argumenté et efficace, c’est-à-dire avec des application pratiques en mé-decine.

G.G. :…

A.D. :Là, il ne s’agit pas de théoriser en l’air pour le simple plaisir de parler. Il s’agit d’avoir… c’est un paléontologie humaine participante. Ce n’est pas un paléontologie pour les musées… la muséologie est très importante pour justement nous donner à nous cette perspective de l’évo-lution qui nous redéfinit complètement. Très importante pour le statut du génome, très impor-tant pour le statut de l’embryon humain pour le statut. Comprendre maintenant que 80% des enfants qui ont besoin de traitements orthodontiques, c’est un réalité et ce n’est pas la version

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néo-darwinienne qui permet de traiter et de corriger ces disharmonies. Est-ce qu’il faut inter-venir, est-ce qu’il ne faut pas intervenir, la question n’est pas simple et aujourd’hui personne ne peut dire qu’on ne peut pas intervenir. Mais on ne sait pas ce qui se passe : c’est l’identité humaine en question. C’était le titre de ce colloque qui a bien marché. Il y a eu des Actes. Et c’est là, pour moi, le fait d’avoir cherché à taire cette découverte est quand même grave. Il y a une nécessité avec laquelle on ne peut pas, on ne plaisante pas. Ce sont nos enfants. Un traite-ment orthodontique, ça coûte cher. Alors les familles qui ont deux, trois enfants ça va mais des familles qui en ont plusieurs ne peuvent pas avoir des traitements pour tous les enfants. Ça c’est un premier aspect.

Le deuxième aspect qui est évidemment encore plus préoccupant : je dirais que c’est les impli-cations éthiques par rapport à la définition du statut de notre génome qui n’est pas un cumul d’erreurs de copies génétiques, c’est le statut de l’embryon humain. Alors qu’apporte cette dé-couverte? L’importance de la formaliser, c’est de dire au néo-darwinien : il y a des faits. Il y a un formalisme et, de toute évidence, sur 60 millions d’années, même si on n’a pas tous les fos-siles, on les aura jamais, on aura jamais la totalité des être vivants disparus, on a suffisamment de données pour comprendre qu’il y a un niveau de réalité qui échappe totalement à la repré-sentation classique espace-temps. C’est hors espace-temps. Et c’est là où personnellement, je suis allé chercher au-delà de la théorie du chaos les connaissances en physique quantique. Et dans le domaine de la physique quantique, on parle aujourd’hui d’un changement de para-digme. En physique quantique, on sait qu’il y a un niveau de réalité qui est antérieur au monde dans lequel nous vivons, c’est-à-dire le temps, la durée, l’espace où tout est imbriqué. C’est un niveau de réalité qui est antérieur à l’échelle dynamique où les concepts d’espace-temps n’ont plus lieu d’être. C’est un niveau dit ontologique, c’est un état d’être de l’univers où on ne peut plus raisonner comme on raisonne à l’échelle dynamique et les physiciens de pointe, les plus compétents, notamment le professeur Bernard d’Espagnat, n’hésite plus aujourd’hui à parler d’une pluralité des niveaux de réalité. C’est-à-dire qu’il n’y en a pas qu’un seul. Si, dès la phy-sique quantique, on est amené à parler de niveaux de réalités ou des niveaux ontologiques et si dès cette échelle de l’organisation de l’univers se pose le problème d’un réel dit voilé, parce qu’on ne peut pas voir une description totalement objective dès l’échelle quantique, ce pro-blème, il reste, quelque soit le niveau d’observation. C’est-à-dire qu’il reste posé également dans le monde dit dynamique qui va succéder, dans l’histoire de l’univers, au niveau quan-tique. Donc c’est très important.

Je ne sais pas si le niveau ontologique sur lequel je suis tombé qui peut être formalisé et quali -fié mathématiquement d’attracteurs harmoniques, correspond à ce qui a été trouvé en physique quantique. Peut-être que oui. Mais je veux dire que la démarche scientifique consiste à aller chercher ce qui existe déjà en science. Ce qui est très important c’est que, actuellement, il y a la possibilité en paléontologie, en biologie du développement, de se tourner vers la physique quantique qui est en train de changer totalement la représentation que nous avons des relations entre le monde dynamique dans lequel nous vivons tous les jours et l’échelle de la physique quantique où se posent des questions ontologiques considérables.

G.G. :Mais c’est pas seulement une question de place de l’homme dans l’univers…

A.D. :…c’est la place, c’est l’identité de l’homme, cette question d’un réel voilé – c’est le terme em-ployé par le professeur Bernard d’Espagnat, cette question elle est toujours valable, dès la for-mation des cellules de la reproduction, aussi bien chez les australopithèques, il y a cinq mil -lions d’années que chez les homa habilis, il y a un million d’années, chez l’homo sapiens, il y a 100 000 ans et aujourd’hui avec nos 500 000 embryons humains congélés … surnuméraires. On ne peut pas concevoir aujourd’hui un comité consultatif d’éthique sans qu’il y ait l’intégra-tion de la physique quantique et des questions ontologiques qui sont posées. Si on veut vrai-ment être honnêtes et aller jusqu’au bout, si on veut des comités d’éthique tout à fait objectif

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avec des représentants des différentes branches de la science du temps, il faut intégrer égale -ment les groupes de réflexion. Il y a un groupe de travail très important qui est à l’Académie des sciences morales et politiques, présidé par Bernard d’Espagnat. On a aujourd’hui suffisam-ment de connaissance en physique quantique pour considérer que la représentation que l’on se fait globalement en génétique, des petites molécules et des petites billes, ce n’est plus ça du tout. Donc le problème est permanent. Il est posé : quel que soit le temps, quel que soit le stade du développement de l’homo sapiens ou d’un grand singe, la question de ce niveau de réalité est universelle. Et je dirais qu’elle est indépendante du temps. En soit, la physique quantique montre qu’effectivement il y a un niveau de réalité qui est hors espce-temps. Ce niveau de réa-lité nous concerne. Il vous concerne maintenant. Il concerne les auditeurs, tous ceux qui nous écoutent, il me concerne. Nous avons ensemble un niveau de réalité ontologique qui échappe totalement à l’objectivation.

Donc la science est limitée. C’est le sujet, c’est l’observateur et c’est aux scientifiques de dire qu’avec la démarche scientifique on arrive à reconnaître un réel qui est voilé. Il est en nous, quel que soit le stade de notre développement. Donc c’est une question d’éthique considérable. Ce sont des débats philosophiques qui sont aujourd’hui fondamentaux. Donc quel que soit le problème abordé, on est en pleine reconsidération, redéfinition de la nature humaine. Avec cette perspective d’un processus en cours, en plus.

G.G. :Quand vous faites cette découverte, vous avez 27, 28 ans. Est-ce que vous prenez directement acte de ce qui se produit et des conséquences, des enjeux de cette découverte?

A.D. :Je savais que ça allait posé des problèmes…

G.G. :…parce que vous parlez d’un choc existentiel, de la dimension émotionnelle aussi d’une telle découverte, puisqu’il y a un enjeu d’identité et d’identité en mouvement.

A.D. :Oui. Alors là c’est l’engagement plus personnel en paléontologie où je suis arrivé. Cette thèse a été soutenu en 1987. Évidemment, je suis quelqu’un qui se pose des questions. Je ne me contente pas de regarder et de vivre sans me poser de questions. Je suis comme ça. Et je pen-sais qu’à travers la démarche scientifique stricte, pour trouver des repères, ce sont des ques-tions qui sont essentielles. Est-ce qu’il y a une limite au-delà de laquelle se pose l’évidence de l’être.? Donc question d’éthique. Comment est-ce que je peux, par moi-même, arriver à com-prendre qu’il y a vraiment une question qui se pose. Elle se pose en moi parce qu’elle est au-thentique, elle est universelle. Et au terme de ma thèse – on est dans un processus en cours – ça n’a rien changé. C’est-à-dire des questions oui, mais toujours l’inconnu. De tout façon, tout ça est voué à la dégradation. Être un processus en cours, trouver un processus mais pour arri-ver où finalement par rapport à des expériences, à des prises de conscience. Quand j’étais ado-lescente, j’ai eu des moments de prise de conscience. Je suis, j’existe! J’existe. C’est in -croyable que j’existe! Et puis, tout un monde de sensibilité, d’expériences. Alors j’en parle dans ce livre. C’est presque l’expérience la plus essentielle pour moi, en tout cas une des plus essentielles, c’est l’expérience, malgré moi, du néant. Me savoir, me voir rien. Pire que rien, l’absence totale. Et indépendamment de la volonté. Ce n’est pas quelque chose de chercher, de rechercher. C’est une souffrance épouvantable.

G.G. :Vous auriez pu être très proche de ceux qui pensent que le monde est un accident. Ceux qui pensent qu’à la contingence pure, comme les chercheurs, comme Stephen Jay Gould par exemple. Et vous auriez pu être du côté des néo-darwinien justement, avec cette expérience.

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A.D. :Ah, c’était différent. Ah non, non. Alors justement, la démarche scientifique ça c’est mon fil-directeur. C’est voir à peu près d’où je viens : une certaine curiosité et la passion de la décou-verte. Et puis, il y a tout ce qui fait que je suis un être humain, un être sensible avec ces expé -riences qui tombent comme ça d’un seul coup… ça prévient pas. Et la découverte en 87…ça n’a rien changé. Il y a des questions que je me suis posé, des expériences que j’ai pu vivre et qui n’ont pas été comprises et résolues et, je dirais soignées par la découverte scientifique. Ab-solument pas. Mais replacées ces sensibilités humaines, donc l’expérience du néant, c’est-à-dire intérioriser en moi ce que c’est de n’être que de la matière aveugle née de rien. C’est ça! Quand on est matérialiste, qu’on essaie au moins d’intérioriser, de voir ce que c’est, de le vivre de façon émotionnelle, mais c’est affreux! On existe pour personne.

G.G. :Aux confins de la folie. À partir du moment où on essaie de vivre subjectivement ce que la science sait, on risque de devenir fou.

A.D. :On risque de devenir fou?…

G.G. :Il y a ce risque.

A.D. :Il y a une folie. Il y a une folie de croire que la science a réponse à tout et que la démarche scientifique, donc qui est l’objectivation, va résoudre l’identité humaine. C’est la mort du su-jet. Et bon, je ne peux pas m’objectiver. Je ne peux pas vous objectiver. Je ne suis pas clonable comme sujet, heureusement! Je suis ravi de ne pas être clonable. Et ce sujet qui est en moi ré-siste à l’objectivation mais c’est aussi un être de souffrance. Mais là, je change complètement de registre. Je suis dans un niveau ontologique qui n’est pas du tout donc celui de la science, qui est celui de la relation. C’est l’expérience du néant donc, de la solitude la plus ultime. C’est une très très grande souffrance qui est beaucoup plus importante pour moi à comprendre et qu’il fallait transcender, qu’il fallait dépasser. Bon, je l’ai dépassé. Mais quand j’entends tous les discours sur une conception matérialiste néo-darwinienne… mais ça ne répond jamais à ces expériences-là. Elles existent. Elle ne sont pas scientifiques. Ce sont des expériences existentielles. Qui est-ce qui peut répondre? Qui répond à ce genre d’expériences? Il n’y a pas d’explications. On n’a pas besoin d’explications, on a besoin de vivre!

G.G. :Ce qui est intéressant, c’est la façon dont, dès votre thèse, cette découverte est reçue. Vous re -cevez évidemment une mention très honorable avec félicitations du jury et vous avez immé-diatement une réputation de paléo-anthropologue très douée et, en même temps, les réactions de rejet commencent à se mettre en place, en particulier de la part des jeunes chercheurs. Donc, il y a là tout un processus qui va se déclencher et dont vous parlez dans votre livre.

A.D. :Ah, oui. Oui, oui. La réaction ne m’a pas surprise puisque je suis quand même lucide de la pensée dominante dans laquelle je poursuivais mes études. Il faut un certain temps aussi pour essayer de comprendre l’origine de ce rejet. Alors, est-ce qu’il est psychologique, est-ce qu’il est émotionnel, est-ce qu’il est idéoligique? Quelle est la nature de cette attitude? Est-ce qu’elle est ontologique? Est-ce que c’est un manque de connaissances? Eh bien, je dirais qu’au bout de… plusieurs années, pour moi c’est très profond. Il y a un rejet par rapport à tout ce qui est interne. C’est très clair. Tout ce qui est interne est qualifié des vitalisme, c’est-à-dire de l’irrationnel. Tout ce qui est interne fait peur. Parce ce qui est interne, ce qui est logique, ce qui fait que nous sommes un processus amène nécessairement la conscience – parce que nous sommes fait de cette façon-là – à s’interroger sur la causalité. Alors il y a des causalités se-

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condes qui sont du domaine de la science et, au-delà, il y a la cause première et on entre dans le domaine de la métaphysique. Et quand on connaît bien l’histoire des sciences, quand on connaît bien l’idéologie dominante dont je parle dans ce livre (qui n’est pas la science mais le scientisme) qui est d’utiliser la science pour détruire la réflexion métaphysique et au-delà dé-truire directement les fondements dits de la Révélation – donc là c’est un autre niveau – je rentre dans le domaine de l’inspiration, de l’écriture dite inspirée, donc tout à fait le contraire d’une écriture objective, je me suis rendu compte que c’était tout ce qui était intériorité, lo -gique interne, métaphysique, causalité qui est l’objet ce cette attaque et elle est directement adressée à la tradition de la révélation judéo-chrétienne. Donc, c’est au-delà de l’idéologie. On est au niveau théologique. C’est une guerre théologique. Utiliser la science pour saper les fon-dements de la foi, ça n’a jamais été la définition de la science mais c’est aujourd’hui ce que nous vivons.

Évidemment les enjeux sont énormes. Les enjeux viennent d’où? Les enjeux sont l’exploita-tion, de nouvelles formes d’exploitation de l’homme par l’homme. L’homme c’est l’or rose, depuis le gène que l’on va pouvoir breveter, depuis les embryons humains que l’on va pouvoir exploiter, les cellules totipotentes qu’on va pouvoir vendre pour soigner les futurs cancers, les futures prostates de ceux qui ont eu le droit d’être sélectionnés. Le marché humain est énorme. À partir du moment où on pose le problème de l’éthique et de la personne, là, évidemment, on a des problèmes par rapport à cette volonté d’exploiter, sans limites, la nature humaine. Dispo-ser de nos 500 000 embryons humains. Lionel Jospin a posé la question : « Le débat est pu-blic : c’est à chacun de se positionner. » C’est à chacun de réfléchir qui est capable de définir la limite au-delà de laquelle se pose le problème de la personne. Moi, c’est ma question que j’ai depuis toujours : je suis quelqu’un ou pas? Les crimes, la notion de criminalité. Les crimes perpétrés dans les camps de concentration, aussi bien les Juifs que les Catholiques, pourquoi est-ce qu’à chaque fois c’est le judéo-chrétien qui est systématiquement attaqué? Donc, je crois qu’il y a un véritable enjeu. Il est éthique mais il est aussi ontologique. C’est la notion, c’est le dévoilement de la personne. On est en plein processus de dévoilement scientifique, ra-tionnel et honnête du fait qu’on est un processus et, aujourd’hui, si on met ensemble l’en-semble des scientifiques, on retrouve la question métaphysique et la question ontologique de la personne : à partir de quand la question de la personne se pose pour un scientifique. Pour moi, elle se pose dès la fécondation et elle se pose depuis au-delà de la fécondation, c’est-à-dire de tout temps ou au-delà du temps. C’est une question qui est très difficile à résoudre. Elle de -mande les compétences de chacun, des scientifiques de pointes, dans le domaine de la phy-sique quantique, puisque là se pose et se reconnaît le pluralité des niveaux de réalités ontolo-giques, des philosophes de la personne et, évidemment des théologiens qui sauront dire si la Révélation est pertinente ou pas. Moi, elle m’interpelle. Et je suis libre de me sentir interpelée par la Révélation. C’est la plus grande des libertés. Alors je réfléchis beaucoup à ça, à cette pensée qui est dominante, qui est essentiellement fondée sur ce qu’on appelle l’ancien para-digme, c’est-à-dire cette ignorance des découvertes de la physique quantique. C’est cette pen-sée dominante qui a été à l’origine de quatre années de cabale, de désinformation, de men -songe. C’est pas pour moi, c’est pour la découverte, pour ses implications éthiques. Et ça, en démocratie, en France, ça existe et ça devrait être… ce n’est pas évidemment acceptable

G.G. :Est-ce qu’il n’y avait pas justement un véritable guerre de religion avec entre, disons, la reli -gion scientiste, parce que l’athéisme se présente dans ces termes comme une religion. Et puis vous… est-ce que, par exemple, quand on parle d’éthique, les scientistes n’ont pas aussi des arguments pour dire qu’il existe des fondements naturels de l’éthique? D’ailleurs, il y a eu un livre chez Odile Jacob qui parle de la morale comme une illusion collective des gènes…

A.D. :…alors si c’est une illusion, disons le franchement. Il n’y a pas d’éthique. Il n’y rien qui vient fondé l’éthique. C’est un illusion émergente d’une assemblée de neurones, synapses. C’est un effet émergeant de rien. Parce qu’à la base s’il n’y a pas de fondements, s’il n’y a pas un ni -

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veau ontologique qui est sensible qui fonde cette interpellation. C’est la notion de crime! Elle est là. La notion de personne est liée à la notion de crime, de criminalité. Eh bien, il n’y a pas de crime contre une illusion. Il n’y pas d’assassinat contre des synapses. Il y a assassinat d’un être. On retire la vie d’une personne. Donc, je ne vois pas comment on peut structurer une éthique sur la vision matérialiste du monde, si on de dire que c’est une illusion. Mais di-sons-le que c’est une illusion et qu’il n’y a rien qui fonde la notion de criminalité dans la vi-sion matérialiste du monde.

G.G. :Alors, il y a eu manipulation, désinformation, vous le racontez dans votre livre, intoxication parfois, mais aussi un effort pour analyser cette découverte avec l’intention de la prendre en défaut et là certaines expertises ont peut-être montrées en effet, un certaine méconnaissance de la position du problème.

Par exemple, la théorie des attracteurs harmoniques a été vue et contesté…

A.D. :Oui, oui. C’est le problème de la compartimentation des disciplines. Bon, je suis moins éva-luée par le département des sciences humaines. Les sciences humaines ce sont les sciences le moins « dures » qui soient, précisément parce que justement on touche? des sujets. Et c’est un manque d’objet de connaissances. En soit, il n’y a pas à reprocher à quelqu’un qui a un cursus en sciences humaines de ne pas savoir ce que c’est qu’un attracteur. Ce qui n’est pas normal, c’est qu’il y ait eu des attaques par rapport à l’utilisation tout à fait adéquate de ce concept. Mais il y a certainement aujourd’hui une incompréhension entre les disciplines à cause de ce cloisonnement. Il y a quand même de grands efforts qui sont faits, notamment par l’association UIP, présidé par Jean-François Lombert, son secrétaire-général est Jean Staune qui fait un tra-vail énorme et remarquable de trans-disciplinarité, c’est-à-dire moi ce que je fais. Que ce qui se passe en physique quantique est utile aussi à la paléontologie. C’est traverser les disciplines pour savoir et comprendre que finalement quand on va au bout du questionnement, on retombe sur la même question : le réel n’est pas totalement objectivable. Quelque chose résiste. Et pour moi c’est « quelqu’un résiste ».

G.G. :Et quelle place prend pour vous la genèse de la bible dans cette perspective?

A.D. :Alors, il y a deux genèses. J’ai appris cela. Il y a une genèse qui va parler du temps kronos et il y a une genèse qui parle de l’être ontos et ce sont les deux genèses ensemble qui aujourd’hui sont pertinentes. Kronos c’est ce que les scientifiques vont pouvoir dégager objectivement. C’est la théorie de l’évolution, complexité croissante de Pierre Teilhard de Chardin. Et ontos, eh bien c’est la grande question qui est posé aujourd’hui : est-ce qu’il y a un être créé? Est-ce qu’il y a un créateur. Alors ce n’est pas du créationnisme au sens où l’entendent les néo-darwi -nien ou l’athéisme, mais c’est une question extrêmement pertinente. Elle n’est pas posé par la science, elle est posé par les consciences des scientifiques. Donc, il ne s’agit pas de dire que la science prouve la bible. Il y a de toute façon, de nombreux livres dans la bible. Mais ces connaissances inspirées qui sont plurimillénaires, qui nous disent qu’il y a deux façons de comprendre l’homme – une dimension dans le temps et une dimension dans l’être – on les re-trouve aujourd’hui. Les grandes questions à la confrontation des avancées de pointe en sciences et d’éthique, c’est exactement ça. Y-a-t-il un être? Quel est son origine? Y-a-t-il du temps? Quel est son origine? Et on retrouve aujourd’hui donc l’identité humaine et alors là c’est l’autre partie, la fin de la bible qui est l’Eschatologie. C’est apokalypsos qui veut dire « dévoilement ». Ce sont les dernières phrases de la bible : « Je suis le principe et la fin, la réca-pitulation d’alpha en omega. Ce sont des paroles grecques. Mais ces paroles ont été pronon-cées il y a à peu près 2000 ans, avec l’avènement du rabbi Yeshua, Jésus. Que s’est-il passé il y a 2000 ans. Que s’est-il passé, donc je reviens à la tradition judéo-chrétienne qui moi m’in-

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terpelle profondément. Que s’est-il passé il y a 2000 ans avec cet homme? Quel est les sens de ce texte dit apocryphe à l’époque, apokalyspsos, un dévoilement, un accouchement dans la douleur, dévoilement de qui est « je ». de qui est l’être et personne ne peut dire, honnêtement, je suis le principe et la fin, la cause première et la finalité. Qui peut parler? Qui parle dans la révélation? Donc moi, je retrouve la très grande pertinence ontologique de ce qui est dit dans la bible. Il y a une parole inspirée. Et pour moi, c’est tout à fait fabuleux. Revenant à mes ra -cines judéo-chrétiennes que j’avais complètement rejetée. Donc l’expérience du néant c’est pire que l’athéisme. Même pas « Dieu n’existe pas », « le sens n’existe pas ». C’est beaucoup plus fort que ça! Est-ce que j’existe pour quelqu’un? Mais alors pour quelqu’un de transcen-dant. Là on est dans la question de la transcendance. Est-ce qu’il y a une altérité, une ontolo-gie, un niveau ontologique qui ne peut s’exprimer qu’à travers la transcendance. Un être qui vient vers moi. Est-ce que moi je peux, seule, être la totalité englobante de la compréhension de cet univers dont j’émerge? Je ne peux pas. Je ne peux pas m’observer moi-même. Et est-ce que je peux, seule, soigner cette blessure ontologique qui est la chute dans le néant. Je peux pas. Je peux pas. Il faut absolument… sinon il n’y a rien. Sinon je crève.

C’est la transcendance. C’est l’amour. Évidemment ce n’est pas un terme scientifique. C’est l’amour tel que le rabbi Yeshua en parlait il y a 2000 ans et c’est celui qui interpelle le plus. Si la vie humaine a un sens aujourd’hui, il n’y a plus que ça de désirable, la transcendance de l’amour. L’amour n’étant pas émergeant de nos hormones, des synapses d’un cerveau com-plexe. C’est la possibilité pour ce niveau ontologique transcendant d’être perçu par l’être créé en moi au-delà de ma dimension temporelle et corruptible.

G.G. :Ce que Jacques Monod vous répondrait : l’ancienne alliance est rompue, l’homme se sait enfin seul dans l’univers. Là c’est une autre expérience. C’est celle du sujet seul, du sujet séparé jus-tement.

A.D. :C’est l’expérience du néant. Oui, oui. Je pense qu’il a eu cette expérience-là. Et j’ai eu cette expérience. Mais je ne me suis pas arrêté là. Je pense qu’on peut devenir un monstre en restant dans l’évidence qu’il n’y a rien. Donc, on peut faire n’importe quoi.

G.G. :Ce qui est intéressant, c’est que dans votre livre il y a des développements scientifiques, mais aussi des pages littéraires, dont l’écriture est travaillée. On peut remarquer que certains écri -vains parmi les plus actifs s’intéressent de près à l’actualité scientifique. Par exemple, un au-teur comme Maurice Dantec dans Le théâtre des opérations consacre une demi-douzaine de pages à votre découverte et à ce qu’il appelle aussi l’université athéiste et positiviste et qui vous a interpellé. Donc ce processus d’écriture pour vous est de plus en plus nécessaire.

A.D. :Il a toujours été nécessaire. J’ai toujours eu une écriture, en plus donc de la démarche scienti -fique. Pour moi c’est beaucoup plus important d’arriver à transcrire la partie émotionnelle et pourquoi? Pour la partager? Donc ce livre, il se termine sur une transcription littéraire, émo-tionnelle un peu fantastique de l’expérience du non-être et de la redécouverte donc de la rela-tion dans l’altérité. C’est pour moi… la science n’est pas une fin en soi, c’est ce que dit donc René Lenoir qui a fait la préface. C’est la rencontre de l’autre. L’autre avec un grand A. Et s’il y a une rencontre de l’Autre déjà dans cette condition humaine, c’est tout à fait extraordinaire. D’arriver à des niveaux de compréhension qui font découvrir ce que c’est la transcendance. Comprendre qu’il y a une promesse, la promesse de l’ancien testament qui est un être qui nous aime, qui nous a créé par amour et qui nous attend dans son amour. Et c’est tout à fait mer -veilleux comme expérience.

G.G. :

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Parmi les scientifiques qui seraient plutôt des alliés, quels noms est-ce qu’on pourrait citer? Parce qu’il y a même un paléontologue qui a fait un roman à partir de votre personnage.

A.D. :Alors les amis, je pourrais dire qu’il y en a beaucoup. Bernard d’Espagnat qui est physicien. Vous faites allusion à Jean Chaline.

G.G. :Par exemple, oui.

A.D. :…Mais sa position est un peu différente.

G.G. :Mais quelqu’un comme Pascal Tassy avec des outils mathématiques qui produit le (…), est-ce qu’il n’y a pas des points de rencontre?

A.D. :Il y aurait des points de rencontre. Oui, je pense qu’il y a des points de rencontre le jour où on comprendra que, d’une certaine façon, l’approche mathématique que j’ai est aussi une classifi-cation des formes, mais plutôt que de dire qu’il n’y a pas de possibilités de raccorder les fos-siles entre eux parce qu’il y aura toujours du vide, ça c’est faux. C’est ce que dit Pascal Tassy. Il y a à l’interieur d’une organisation… une population fossile, des évolutions qui ne sont pas logiques. Mais ce que dégage cette approche, c’est un méta-niveau où au contraire on peut tra-cer des liens, des filiations entre les grands groupes. Le clavier ce n’est jamais qu’un outil, ce n’est pas accéder à une théorie. Ce n’est pas accéder aux lois de l’évolution.

G.G. :Est-ce que vous pensez qu’aujourd’hui on assiste à une plus grande présence de scientifiques et découvreurs qui sont aussi un peu philosophes et parfois même écrivains? Est-ce qu’il y a là une mutation qu’on sent?

A.D. :Peut-être parmi les jeunes ou peut-être parmi des scientifiques qui arrivent maintenant à une période un peu plus sereine de leur carrière qui se mettront à écrire. Mais moi je souhaite qu’il y ait de plus en plus de scientifiques qui soit des écrivains. Et des poètes.

G.G. :Je voudrais juste pour terminer citer ce que René Thom, une des grandes figures du XXe siècle dans la mathématique disait de votre travail : « Je ne crois pas dans ma carrière avoir rencontré un biologiste avoir un sentiment aussi fin et aussi précis des contraintes et des cliva -tions globales de l’être vivant. » Voilà, Le légende maudite du XXe siècle est publiée par les éditions de la Nuit bleue, avec une préface de René Lenoir. C’était le Gai savoir, Patick Henry, Daniel Finot, Gérard Gromer, bonsoir.

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Anne Dambricourt-Malasséhttp://hnhp.cnrs.fr/spip.php?article232