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Le grand jeu de Païolive

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LE GRAND JEU DE

PAÏOLIVE

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Tous droits de traduction, de reproduction et d'adaptation réservés pour tous pays.

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COLLECTION " MONIQUE "

René DUVERNE

LE GRAND JEU DE

PAÏOLIVE

Éditions FLEURUS 31-33, rue de Fleurus PARIS — V I

Maison MAME T O U R S (Indre-et-Loire)

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I

Lettre de Maxime à Bénédicte.

M A chère Bénédicte, Alors, vous voici en France vous aussi, tes parents, tes sœurs

et toi ? Comme mes parents, mes frères et moi. Curieuse coïnci- dence ! Non, pas tellement curieuse, au fond. Il est assez naturel que deux familles si proches par le sang, et (j'ose le dire, chère cousine) par le cœur, dont l'une réside à Madagascar et l'autre à la Martinique, cherchent à passer en même temps dans la métro- pole une partie des six mois de vacances qui leur sont accordés tous les trois ans.

Ce que je trouve plus étonnant et plus amusant quand j'y réfléchis, moi qui suis amateur de chiffres, c'est cette espèce de symétrie qui a voulu que vous soyez trois filles et nous trois garçons, échelonnés à peu près parallèlement sur l'escabeau des âges (tu admireras certainement les métaphores dont mon style est émaillé). J'ai 13 ans et demi et toi 13, si je ne me trompe; Joël 10 et Mireille à peine plus; Gérard et Stella 9. Nous pouvons nous donner la main par couples et parler le même langage. Nous verrons ça bientôt, j'espère, lorsque nous serons réunis.

Pour en revenir à mes prémisses, la coïncidence n'a rien d'extraordinaire, mais elle est heureuse et me réjouit en mon

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cœur. Il y a cinq ans que nous nous rencontrâmes pour la dernière fois. Tu étais un bout de fille assez dégourdi, aux cheveux courts et au nez moqueur, et moi un jeune homme qui se croyait (un peu prématurément) à la veille de l'adolescence. Quant à nos cadets, je les considérais comme des créatures larvaires et insi- gnifiantes, et je n'ai gardé qu'un très vague souvenir de tes sœurs.

Pourquoi n'avons-nous pas correspondu davantage, ô Béné- dicte ? Nous aurions eu mille choses à nous raconter sur nos existences respectives et les cadres qui nous entouraient, mais nous étions l'un pour l'autre comme des étrangers et nous ne savions pas quoi nous dire. Du moins moi, je ne savais pas quoi te dire. Sans compter que le lycée m'absorbait beaucoup et qu'en dehors de mes devoirs, je n'aimais guère tenir la plume.

Maintenant je n'ai plus de devoirs (provisoirement). C'est en ton honneur que je rouvre mon stylo. Nous avons pris l'avion à Tananarive lundi et débarqué à Orly mercredi matin. Voyage sans histoire, mais merveilleux. Faute d'appartement en France, nous sommes dans une pension de Neuilly qui ne nous emballe guère. Papa cherche une villa à louer sur une plage de Bretagne. Je te donnerai notre nouvelle adresse dès que nous y serons.

Et vous ? Il paraît que vous êtes à Pau depuis trois semaines. Sais-tu ce que mijotent mon oncle et ma tante ? Où et quand nous verrons-nous ? Il faudra un vaste logis pour héberger quatre grandes personnes et six enfants, mais je pense qu'avec l'ingé- niosité qui caractérise nos pères, ils trouveront une solution.

Tapote de ma part la joue de ces demoiselles. Je te baise galamment la main. Maxime.

Cher vieux cousin (vieux, enfin, je dis cela par affection), tu n'étais donc pas au courant, quand tu m'as écrit l'autre jour, des projets qui se dessinent à notre égard ? Tu dois l'être maintenant, mais je te les explique et te les commente tout de même, pour le cas où ta faible intelligence ne les aurait pas exactement compris.

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Connais-tu l'oncle Félix ? J'en doute. Moi, j'en ai entendu parler quelquefois, mais de façon vague, comme d'un original qui vit en ermite dans le désert et n'a jamais entretenu beaucoup de relations avec la famille.

Il est vrai que pour nous (la jeune génération), ce n'est pas un oncle proprement dit, mais un grand-oncle; et il est vrai aussi que des relations sont difficiles à entretenir avec une famille disper- sée un peu partout sur la mappemonde.

Eh bien, il paraît que l'oncle Félix nous invite dans sa thébaïde. Oui, monsieur. Il nous invite tous les six: toi et tes frères

d'une part, moi et mes sœurs d'autre part. Tous ensemble. Il a formulé cette invitation (adressée à papa et sans doute aussi au tien) en termes brefs, car il n'est pas très écrivassier, mais gentils et certainement sincères :

« Puisque tous mes petits-neveux sont en France, j'aurai du plaisir à les recevoir chez moi. J'ai de la place pour eux, je n'en aurais pas pour leurs parents, mais il y a de bons hôtels dans le pays et si ta femme et toi, ton beau-frère et ta belle-sœur, pouvez accompagner vos enfants, j'en serai doublement heureux. »

Riche idée, n'est-ce pas, mon cousin ? Nous n'avons jamais passé nos vacances les uns avec les autres, tu le rappelais justement l'autre jour. Ce sera l'occasion rêvée de faire vraiment connais- sance et d'organiser de fameuses parties dans le domaine de notre oncle.

Papa y est allé une fois, dans ce domaine. Il est situé sur un plateau de l'Ardèche, en dehors de toute agglomération, à l'écart des grandes routes, sans voisins, sans chemin de fer, sans cars à proximité. La bourgade la plus proche, les Vans, est située à une dizaine de kilomètres. Si je m'y voyais seule, j'y mourrais d'ennui. Mais à six, j'ai le pressentiment que nous allons beaucoup nous amuser.

A bientôt, hé ? Et ne vous préparez pas, messieurs les garçons, à abuser de votre vigueur masculine pour tyranniser et martyriser les pauvres fillettes que nous sommes peut-être à vos yeux. Je te préviens que nous savons nous défendre.

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Chère Bénédicte, Rassure-toi, les hommes de la famille n'ont nullement l'inten-

tion d'exercer leur despotisme sur vous autres faibles femmes. Nous nous emploierons plutôt à vous préserver des dangers que recèle (je suppose) la demeure auguste et solennelle habitée par oncle Félix dans un bled sauvage et reculé (telle est du moins l'image que je m'en fais) : fantômes, serpents, brigands, araignées géantes, rats immondes, chiens hargneux, etc. Comme tu l'as deviné dans ta jugeotte, notre grand-oncle nous a fait parvenir, à peu près sous la même forme, la même invitation qu'à vous. J'ai interviewé papa à son sujet. Il a bourlingué sur toutes les mers comme médecin à bord des paquebots et s'est retiré voici quelques années dans l'Ardèche où il se repose. Il y récolte des insectes et passe pour un entomologiste distingué (j'espère que tu n'ignores pas le sens de ce mot tiré du grec). Nous tâcherons de nous intéresser à ses collections, ça lui fera plaisir.

A quelle date irez-vous là-bas et quel sera votre mode de locomotion ? Nous prendrons démocratiquement-le train le 17 juil- let, dans douze jours. Il ne passe pas aux Vans, mais notre bon oncle viendra nous chercher en gare de Villefort. Bénédicte à Maxime.

Cher cousin, si sympathique que tu me sois de loin (tâche de ne pas me décevoir de près), je n'userai ni mes méninges, ni mon encre à ton intention ce matin. A quoi bon, puisque nous nous verrons au début de la semaine prochaine ?

Pauvres hères, vous voyagerez donc par le train ? Nous, milliardaires, nous ferons la route en voiture; non pas avec la nôtre, qui est restée à Fort-de-France, mais avec celle d'un ami de papa, beaucoup plus milliardaire encore que nous et qui a amené la sienne, une Cadillac, mon cher, au fond de laquelle nous nous rengorgerons comme des stars.

Nous comptons partir le 18 et faire étape à mi-parcours. En principe, nous arriverions donc le 20. Vous serez déjà installés. Je compte sur un chaleureux accueil de votre part.

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II

" "

G mais encore robuste, l'oncle Félix portait bien son prénom — puisque « felix », en latin, signifie « heureux ». Il avait un sourire très jeune sur des dents restées saines et blanches, et les petits plis en éventail qui prenaient naissance à l'angle de ses paupières donnaient à son regard un air de malice et de bonne humeur qui vous séduisait tout de suite.

Il était grand, mince, droit, solide. Ses longues années de navigation ne paraissaient pas l'avoir fatigué. Il conservait visi- blement toute sa vigueur physique et toute sa lucidité intellec- tuelle.

Dans une antique automobile qui vibrait de toutes ses tôles, mais dont le moteur était encore aussi robuste que son maître, il avait chargé, à Villefort, M. et M Levert et leurs trois garçons pour les amener dans la grande bâtisse dont il avait fait sa demeure. Désignant le plateau aride qui l'entourait :

— Pas emballant au premier abord, hé, mon paysage ? Mais on s'y attache. Il a son caractère, et quel réservoir de scarabées, fourmis, cigales, coléoptères et hyménoptères de toutes sortes !

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Les coléoptères et les hyménoptères ne présentaient qu'un attrait médiocre pour les enfants. Ils avaient plutôt considéré avec un intérêt passionné, yeux et oreilles grands ouverts, cet extra- ordinaire amoncellement de blocs calcaires aux formes les plus variées et les plus imprévues, chaos indescriptible érodé, fouillé, sculpté, découpé, tailladé par les éléments pendant des millénaires.

— C'est ce qu'on appelle le « Bois de Païolive », bien connu des guides touristiques. En fait de bois, vous n'y voyez et n'y verrez nulle part de hautes futaies, mais seulement une végétation basse composée de chênes-verts, de genévriers, de lentisques, au milieu d'un bouleversement lunaire semblable à l'œuvre d'un géant qui aurait été un peu fou...

Et, à l'adresse de ses neveux : — Excursionner, explorer, organiser des jeux de piste, n'est-ce

pas une des distractions préférées des jeunes de notre temps ? Vous vous en donnerez à cœur joie ici... Ho ! Pulchérie chérie ! Stoppe, ma belle !

Il interpellait ainsi la vieille mécanique, qui, obéissante, s'arrêtait en grinçant devant une construction trapue, capable de défier les siècles (sans doute en avait-elle déjà traversé un bon nombre), faite d'énormes moëllons patinés par les intempéries, et dont seul le toit était neuf.

— « L'Ensoleillée », avait dit le vieillard en la désignant. Je lui ai donné ce nom et je vous assure qu'elle le mérite.

Sur le seuil, apparemment impressionnés par tant de visages nouveaux, se tenaient les serviteurs du maître des lieux, un homme en bras de chemise, raide comme un robot, et une grosse petite femme courte, aux joues rouges, aux cheveux rares, qui se dan- dinait gauchement d'un pied sur l'autre.

— Voici les deux piliers de ma maison, sans lesquels je serais condamné à mourir de faim, car l'une cuit ce que l'autre va chercher au village : Martin et sa femme, qui, par une heureuse coïncidence, s'appelle Martine de son prénom. Nous nous enten- dons fort bien tous les trois... Le déjeuner est prêt, Martine ?

— Il y a une heure qu'il l'est, monsieur. — Alors, à table !

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Lorsque la Cadillac annoncée par Bénédicte freina à son tour dans la cour de l' « Ensoleillée », les trois garçons se préci- pitèrent.

Aux aguets depuis le matin, ils avaient revêtu leurs habits du dimanche pour faire honneur à leurs cousines. Déjà elles avaient sauté à bas de la longue voiture. Elles portaient, sur de légères robes roses, un même fichu de laine que, d'un même geste, elles retirèrent aussitôt.

Un sifflement plaisant et admiratif aux lèvres, Maxime s'avança :

— Mazette ! Les trois jolies fleurs que voilà ! — Non, mais tu ne vas pas commencer par nous débiter des

fadaises ? s'écria Bénédicte en éclatant de rire. Bonjour, cousin. — Mademoiselle n'aime pas qu'on la flatte ? répliqua-t-il. Elle

a raison. Bonjour, cousine. Joël et Gérard se tenaient prudemment derrière leur grand

frère, Mireille et Stella derrière leur sœur. — Je te présente mes cadets, reprit Maxime. Joël, un témé-

raire, qui fonce tête baissée si on ne lui serre pas la bride. Il ne crâne pas en ce moment, mais c'est que tu l'intimides. Ça ne durera pas.

— Je préfère l'audace à la poltronnerie, dit Bénédicte. — Gérard, un caractère d'or et un cœur de beurre. Il pra-

tique une philosophie souriante et il est toujours de l'avis de tout le monde. C'est bien agréable.

— Bravo pour le philosophe et tant mieux pour la compagnie. Nous essaierons quand même de le réduire le moins possible en esclavage... A mon tour. Celle-ci est Mireille...

— Mireille au nom ensoleillé comme celui de la bastide d'oncle Félix. Une Mireille aux yeux bleus et aux cheveux blonds, je ne croyais pas que ça existait.

— Une Mireille pleine de douceur, de scrupules et de gentil- lesse. Une Mireille qui s'émeut facilement et qu'il ne faut pas bousculer.

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La voix de Bénédicte s'était attendrie, cependant qu'elle passait son bras autour du cou de la fillette et l'attirait contre elle.

— Bien, assura Maxime, on prendra des précautions, nous ne sommes pas des bourreaux... Et ce petit bout de chou, c'est Stella ?

— Stella, haute comme une pomme, tu vois, mais vive et gaie, alerte, enthousiaste, qui ne reste jamais en arrière.

— Stella, étoile... Quelle étoile ? Arcturus, Bételgeuse, Véga de la Lyre ? Tu peux te rendre compte que l'astronomie n'a pas de secrets pour moi.

Déjà familiers les uns avec les autres, les six enfants rejoi- gnirent les grandes personnes sur la terrasse ombragée où Martine venait d'apporter des boissons fraîches. M. Vigier faisait, lui aussi, une présentation : celle de sa propriété.

— Elle appartenait en dernier lieu à un riche hôtelier de Nîmes qui aurait voulu y attirer des touristes (singulière idée, n'est-ce pas ?) mais qui a échoué dans cette entreprise. Un de ses aïeux l'ayant bâtie sur les ruines d'une antique construction autour de laquelle des légendes ont longtemps couru dans le pays, il s'imaginait que ces légendes lui fourniraient le thème d'une publi- cité efficace.

Maxime avait tendu l'oreille. — Quelles légendes, oncle Félix ? — Eh bien, on prétend qu'un vieux savant a vécu ici il y a

huit ou dix siècles, un de ces alchimistes dont on se moque volon- tiers, qui avaient certainement des illusions, mais qui sont tout de même les précurseurs des chimistes et des physiciens actuels. Les mystères de la nature qu'ils voulaient pénétrer ressemblaient fort à ceux que nous commençons à éclaircir de nos jours. Ils pressen- taient avec une intelligence étonnante ce que nous découvrons maintenant. Hélas ! Les résultats auxquels ils aboutissaient étaient généralement catastrophiques. Le pauvre homme...

Tous les enfants dardaient sur le narrateur des regards chargés de curiosité.

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ACHEVÉ D'IMPRIMER SUR LES PRESSES DES IMPRIMERIES OBERTHUR

RENNES-PARIS EN JUILLET 1959

Dépôt légal imprimeur 5 387 Numéro d'édition F 59 066

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