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Tous droits réservés © Société québécoise d’ethnologie, 2016 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ Document généré le 17 déc. 2020 22:21 Rabaska Revue d'ethnologie de l'Amérique française Le Grand réveil acadien : une nouvelle mise en relief de la présence acadienne en Louisiane The Great Acadian Awakening : A Reaffirmation of Acadian Presence in Louisiana Nathan Rabalais Volume 14, 2016 URI : https://id.erudit.org/iderudit/1037444ar DOI : https://doi.org/10.7202/1037444ar Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Société québécoise d’ethnologie ISSN 1703-7433 (imprimé) 1916-7350 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Rabalais, N. (2016). Le Grand réveil acadien : une nouvelle mise en relief de la présence acadienne en Louisiane. Rabaska, 14, 7–22. https://doi.org/10.7202/1037444ar Résumé de l'article En octobre 2015, le deuxième Grand réveil acadien (Gra) s’est déroulé à plusieurs endroits au sud de la Louisiane, commérant le 250 e anniversaire de l’arrivée des Acadiens dans le territoire des Attakapas en 1765. Cet article présente les origines du Gra et les activités qui y ont eu lieu (musique, théâtre, ateliers de généalogie), en parallèle avec la première édition du Gra en 2011. L’événement est examiné dans une optique de mémoire collective et signale un contact accru entre la Louisiane et d’autres communautés francophones, notamment au Canada. Bien que le Gra puisse être vu comme le signe d’un intérêt renouvelé dans la promotion du français en Louisiane, cet événement reposerait sur un compromis entre la célébration d’une identité exclusivement acadienne et l’inclusion d’autres groupes francophones dans la Louisiane française et créole, un contexte très diversifié sur le plan culturel et ethnique.

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Tous droits réservés © Société québécoise d’ethnologie, 2016 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation desservices d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politiqued’utilisation que vous pouvez consulter en ligne.https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/

Cet article est diffusé et préservé par Érudit.Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé del’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec àMontréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche.https://www.erudit.org/fr/

Document généré le 17 déc. 2020 22:21

RabaskaRevue d'ethnologie de l'Amérique française

Le Grand réveil acadien : une nouvelle mise en relief de laprésence acadienne en LouisianeThe Great Acadian Awakening : A Reaffirmation of AcadianPresence in LouisianaNathan Rabalais

Volume 14, 2016

URI : https://id.erudit.org/iderudit/1037444arDOI : https://doi.org/10.7202/1037444ar

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Éditeur(s)Société québécoise d’ethnologie

ISSN1703-7433 (imprimé)1916-7350 (numérique)

Découvrir la revue

Citer cet articleRabalais, N. (2016). Le Grand réveil acadien : une nouvelle mise en relief de laprésence acadienne en Louisiane. Rabaska, 14, 7–22.https://doi.org/10.7202/1037444ar

Résumé de l'articleEn octobre 2015, le deuxième Grand réveil acadien (Gra) s’est déroulé àplusieurs endroits au sud de la Louisiane, commérant le 250e anniversaire del’arrivée des Acadiens dans le territoire des Attakapas en 1765. Cet articleprésente les origines du Gra et les activités qui y ont eu lieu(musique, théâtre, ateliers de généalogie), en parallèle avec la première éditiondu Gra en 2011. L’événement est examiné dans une optique de mémoirecollective et signale un contact accru entre la Louisiane et d’autrescommunautés francophones, notamment au Canada. Bien que le Gra puisseêtre vu comme le signe d’un intérêt renouvelé dans la promotion du françaisen Louisiane, cet événement reposerait sur un compromis entre la célébrationd’une identité exclusivement acadienne et l’inclusion d’autres groupesfrancophones dans la Louisiane française et créole, un contexte très diversifiésur le plan culturel et ethnique.

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Études

Le Grand réveil acadien :une nouvelle mise en relief de la présence acadienne

en LouisianenAthAn RAbAlAis

College of William and maryWilliamsburg, Virginie

Récemment, on a pu être témoin d’une remise en question de la validité du Congrès mondial acadien (CmA), événement quinquennal qui, depuis 1994, rassemble les acadiennes et les acadiens. Paradoxalement, au même moment, un tout nouvel événement est né, qui vise à réunir les acadiens en Louisiane, où la langue française est particulièrement en situation fragile.

Afindefournirunpeudecontexteàcerécentdébatautourdelapertinencedu CmA, considérons cet extrait d’un communiqué de presse de la Société nationale de l’acadie :

Le directeur général de l’iCRml, Éric Forgues, a divulgué les conclusions des consultations menées au début de l’année 2015 dans la foulée d’un questionne-ment qui a été formulé par plusieurs intervenants acadiens sur la pertinence du Congrès mondial acadien (CmA). L’objectif principal de la consultation visait à déterminer si la population acadienne de l’atlantique et de la diaspora souhaitait que le CmA continue de se tenir à l’avenir et, le cas échéant, suivant quel format1.

Si certains ont douté de la pertinence du CmA dans le maintien de l’identité acadienne, les résultats du sondage démontrent que 86 % des répondants confirmentl’importancedel’événementetsouhaitentqu’ilcontinueàavoirlieu à l’avenir2. Cet intérêt à entretenir la pérennité du CmA témoigne d’une volonté similaire de réinstaurer un événement à une échelle moins large, mais tout de même similaire en Louisiane.

Quelques semaines avant la parution du communiqué de presse ci-dessus cité a eu lieu la deuxième édition d’un événement relativement nouveau qui célèbre la présence acadienne en Louisiane. Il s’agit du Grand réveil acadien (gRA) fêté à travers le sud de la Louisiane du 4 au 12 octobre 2015.

1. [anonyme], « Dépôt de rapport de consultation sur l’avenir des Congrès mondiaux aca-diens », communiqué de presse de la Société nationale de l’acadie, moncton, 27 octobre 2015.

2. Ibid.

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études Nathan Rabalais

Suivant un format similaire au premier gRA en 2011, cet événement a offert aux participants l’occasion de consulter des généalogistes, d’assister à des concertsetdeprofiterdelamusique,deladanseetdelaproductioncultu-relle de Louisiane sous toutes ses formes. Tout un volet jeunesse, étalé sur plusieursjours,aégalementfigurédansle«progRAmme ». En outre, le gRA a encore une fois coïncidé avec l’une des plus importantes fêtes de la région, Festivals acadiens et créoles, qui met en scène la musique cadienne et zarico (cajun et zydeco) depuis une quarantaine d’années. Ce qui distingue cette deuxième édition du gRA en 2015 est surtout la commémoration de l’arrivée des premiers acadiens, menée par Joseph beausoleil-broussard, dans la région d’attakapas en 1765.

Dans un premier temps, ce texte vise à donner un aperçu du gRA, un événement récemment créé et donc encore méconnu. Dans un deuxième temps, je tenterai d’examiner et de problématiser les implications d’une telleinsistancesurl’identitéetlaspécificitéacadiennesenLouisiane.Plusspécifiquement,commentlamémoirecollectivedugrand Dérangement et le traumatisme culturel sont-ils articulés aujourd’hui ? Finalement, cet événe-ment sera considéré dans le cadre plus large d’échanges entre la Louisiane et d’autres communautés francophones, particulièrement celles qui se trouvent en situation minoritaire en amérique du Nord.

Un aperçu du Grand réveil acadienLe gRA s’est déroulé sur une dizaine de jours, couvrant le sud de la Loui-siane, et a démarré à Lac-Charles le 3 octobre 2016. Si le choix de cette ville au sud-ouest de la Louisiane semble atypique (étant en dehors de la région d’acadiana), il n’est pas sans une certaine logique, selon Ray Trahan, l’un des principaux organisateurs de l’événement, qui explique que bon nombre de Cadiens se sont installés au Texas. Ces « Cadiens-Texiens » sont peu francophones, admet Trahan, mais cette composante a été parmi les plus présentes lors du premier gRA en 2011, témoignant d’une volonté chez cette population de retrouver une certaine identité culturelle en Louisiane3. Il est difficilededéfinirlegRA selon une catégorie conventionnelle ou restreinte, car on retrouve des éléments qui évoquent tantôt un festival, tantôt un événe-ment culturel ou un congrès. Les activités proposées y étaient très diverses, comprenant des stations de généalogie, des concerts, des ateliers de danse, du théâtre, des séances de cinéma, des foires aux artisans, et des messes célébrées enfrançais.L’événementabénéficiéd’unereprésentationpluslargedelafrancophonie, notamment avec la présence de René Cormier, le président de la Société nationale de l’acadie, et de Grégor Trumel, le consul général de France à la Nouvelle-Orléans, entre autres.

3. Ray Trahan, entretien personnel mené le 28 avril 2016.

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Le Grand réveil acadien études

Participants au Gra avec leurs drapeauxSuite à une messe célébrée en français à la cathédrale Saint-Jean à Lafayette

etavantledéfilé«TintaMardiGras»,quelquesparticipantsdugRA se rassemblent et tiennent les drapeaux acadien, américain, français, canadien, louisianais,

néo-brunswickois et celui de l’acadiana.À gauche, Ray Trahan, coorganisateur du gRA, et René Cormier, président

de la Société nationale de l’acadie.Photo : marc Chauveau, octobre 2015

Le dimanche 4 octobre, le programme jeunesse du gRA a été lancé lors d’une soirée intitulée « Une nuit au village » au site historique Acadian Village comprenant de la musique cadienne, de la danse, des jeux et bien d’autres festivités. Plus tard dans la semaine, d’autres activités en français ont été pro-posées aux jeunes, y compris une balade en canot dans l’Atchafalaya Nation Heritage Area. La pièce de théâtre Cajun Face a été mise en scène le ven-dredi 9 octobre pour un public d’environ 430 élèves des écoles Paul-breaux, Lafayette et acadiana High4. Cette pièce représente de façon poignante la difficultédenavigueraveclesnormestraditionnellesainsiquelafragilitéde l’identité cadienne dans un contexte culturel de plus en plus américanisé.

Cette représentation de Cajun Face a eu lieu dans le cadre de la grande journée intitulée « 250 ans - Toujours là et on quittera pas » au stade Cajun-dome à Lafayette. Cette journée a présenté « musique, danse, expositions, auteurs,films,discussions surdifférents thèmes importants, stand sur lesacadiens, généalogie, cuisine, table de conversation, mini-Tintamarre pour les enfants de neuf ans de l’immersion5 ».

4. brenda mounier, message personnel, 27 avril 2016. 5. Guide d’événement – Grand réveil acadien, « Louisiane-acadie », [s.l.n.d.], p. 22.

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études Nathan Rabalais

Si les similitudes partagées par le gRA et le CmA sont frappantes, ce n’est pourtant pas un hasard. En réalité, ces ressemblances s’expliquent par la façon dont le gRA s’est développé en 2011. Selon brenda Trahan, l’une des organisa-trices principales de l’événement, l’inspiration pour réaliser le gRA est née en grande partie des préparatifs en vue d’accueillir le CmA en 20146. Lors de ces démarches,l’onaconstatélesbénéficesdetravaillerdeconcert,notammentavec d’autres acadiennes et acadiens du Canada maritime. Lorsque l’acadie des terres et des forêts fut choisie pour accueillir le CmA de 2014, les organi-sateurs de la demande, ne voulant pas perdre l’élan créé par leurs efforts, ont donc décidé d’orienter leurs efforts vers un nouveau projet qui deviendrait le Grand réveil acadien. Des centaines de personnes avaient assisté au gRA du 7 au 16 octobre 2011, y compris des Louisianais et une cinquantaine de jeunes des quatre provinces atlantiques participant au volet jeunesse7. La tenue decetévénementétaitd’autantplussignificativequ’ils’agissaitdupremierrassemblement francophone d’envergure en Louisiane depuis que celle-ci avait accueilli le CmA dix ans plus tôt, en 19998. Ce premier gRA avait été mis en place en 2011 par Louisiane-acadie, « association à but non lucratif qui vise à encourager les relations entre les acadiens à travers le monde [et à] transmettre aux Cadiens de Louisiane mais aussi aux acadiens du monde un savoir[-]vivre traditionnel, une langue et une culture9 ». Ces buts tirés de sa mission mettent en lumière la nécessité d’une collaboration étroite avec lesAcadiensafinderaviverlaprésencedelalanguefrançaiseenLouisiane.Toujours selon brenda Trahan, l’un des objectifs principaux du gRA était de montrer aux enfants (surtout à ceux qui n’étaient pas inscrits en immersion française à l’école) la valeur et l’utilité de la langue française en dehors de la salle de classe10. Trahan constate qu’il existe un fort sentiment de réticence chez les Louisianais francophones, pourtant presque entièrement bilingues, àvouloirfairedufrançaislalanguevéhiculairedesdiscoursofficielsetdescérémonies,lefrançaisayantlargementperducestatutofficiel.Cependantla présence des acadiens provenant du Canada maritime et d’autres régions où le français jouit d’une présence plus forte tendait à légitimer ce plus grand rôle du français lors des événements et activités du gRA.

Certes, vu le nombre de francophones en Louisiane qui semble baisser régulièrement, à l’instar de ce que l’on a vu au CmA, la validité d’un tel évé-nement pourrait certainement être mise en question. En outre, la banalisation de la culture « cadienne » a déjà été critiquée par le sociologue Jacques Henry

6. brenda Trahan, entretien personnel mené le 28 octobre 2015.7. [anonyme], « Le Grand réveil acadien », Radio-Canada, ici.radio-canada.ca/regions/acadie

/dossiers/detail2.asp?Pk_Dossiers_regionaux=531.8. Ibid.9. Guide d’événement – Grand réveil acadien, « Louisiane-acadie », op. cit., p. 3.10. brenda Trahan, entretien personnel mené le 28 octobre 2015.

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qui la voit largement limitée à la musique, à la cuisine et au concept de « joie de vivre11 ». En effet, la notion de culture cadienne est devenue de plus en plus commercialisée et son lien avec la langue française n’est pas forcément mis en évidence dans sa promotion, que ce soit à l’étranger ou au sein même de la Louisiane.

Dans un reportage récent, le poète-compositeur-interprète Zachary Richard, qui se fait souvent le porte-parole de la Louisiane francophone surtout pour la presse canadienne et française, a fait allusion aux récents dévelop-pements dans la promotion du français en Louisiane en disant : « Dès qu’on est prêt à fermer le cercueil sur le cadavre de la francophonie louisianaise, ben, le cadavre se lève, pis demande une bière12 ». malgré un déclin global du français en Louisiane depuis le début du xxe siècle, il constate néanmoins des changements positifs inédits :

J’ai beaucoup d’espoir parce qu’il y a non seulement une volonté culturelle, mais il y a aussi une volonté économique et une volonté politique. Ce qui est vraimenttrèsnouveaudansnotrehistoire.Onafiniparcomprendre,commeles Québécois ont toujours compris, que c’était d’abord une question politique, la question linguistique13.

Richard fait référenceaumouvementquiprône l’affichagebilinguedans22 paroisses louisianaises où l’héritage est encore visible et l’immersion française, déjà offerte, mais qui peut facilement être plus accessible, car une «pétitionaveclessignaturesde25famillessuffitpourforcerunecommissionscolaire à mettre en place un programme d’immersion14 ». C’est probable-ment grâce à ces nouveaux développements que le discours autour du fait français en Louisiane n’a pas diminué, notamment dans les médias canadiens et français15. L’érosion côtière, qui a un impact grave pour les communautés francophones, notamment la tribu amérindienne Houma, a également attiré beaucoup l’attention des média16. Une possibilité existe donc que ce regard

11. Jacques Henry, « The Louisiana French movement : actors and actions in Social Change », dans French and Creole in Louisiana sous la direction d’albert Valdman, New-York et Londres, Plenum, 1997, p. 205.

12. Joyce Napier, marcel Calfat et Sylvain Richard, « Le cadavre du français en Louisiane se lève et demande une bière », Ici Radio-Canada.ca, 27 août 2014, ici.radio-canada.ca/nouvelles/international /2014/08/27/009-francophones-louisiane-langue-francaise-nouvelle-generation.shtml, site web consulté en avril 2016.

13. Ibid.14. Ibid.15. Richard Fausset, « In Louisiana, Desire for a French Renaissance », The New York Times,

14 février 2015, www.nytimes.com/2015/02/15/us/in-louisiana-desire-for-a-french-renaissance.html?_r=0 ; alexander Panette, « Les Cajuns de la Louisiane renouent de plus en plus avec le français », La Presse, 3 février 2016, www.lactualite.com/actualites/les-cajuns-de-la-louisiane-renouent-de-plus-en-plus-avec-le-francais.

16. Paul Carcenac, « En Louisiane, l’île des derniers indiens francophones va disparaître », Le Figaro, 6 décembre 2015, www.lefigaro.fr/sciences/2015/12/06/01008-20151206ARTFIG00088-

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neuf venu de l’extérieur entraîne une nouvelle prise de conscience, voire un « réveil » chez les Louisianais francophones eux-mêmes.

Un nouveau « réveil » pour la Louisiane francophone ?Le motif du réveils’estsolidifiédanslareprisedelachanson«Réveille », composée par Zachary Richard, qui est devenue un hymne identitaire pour les acadiens depuis son interprétation au Congrès mondial acadien à Shédiac en 1994. La chanson correspond bien évidemment au deuxième élément du titre de l’événement, mais elle s’inscrit également dans le thème plus large du gRA 2015. Comme mentionné ci-dessus, le deuxième gRA a coïncidé avec le 250e anniversaire de l’arrivée des acadiens dans la région de l’attakapas, guidés par Joseph beausoleil-broussard en 1765. Cette référence historique et culturelle est rendue explicite dans les paroles altérées.

Laversionmodifiéede«Réveille»futchantéeàlagrandecérémonied’ouverture de la journée « 250 ans - Toujours là et on quittera pas » au stade Cajundome à Lafayette et encore le lendemain aux Festivals acadiens et créoles. La diversité de la francophonie louisianaise fut mise en évidence par le choix de l’interprète Jody adeyemo, âgée de douze ans et dont les parents proviennent du Nigéria. adeyemo s’est déjà fait connaître au public grâce à sa chanson « J’ai une chanson dans mon cœur » sur l’album du même nom sorti en février 2015 et mettant en scène les enfants de l’immersion française en Louisiane. L’album des « Étoiles d’Immersion » est produit par Zachary Richard et anna-Laura Edmiston, ancienne chanteuse du groupe Feufollet.

Les paroles furent réécrites par brenda mounier, poète, ancienne insti-tutrice et militante de longue date de la cause francophone.

Réveille ! Réveille !C’est le GRaND, GRaND Réveil !

Ici ! Ici !Ici en Lou-zee-anne [sic]Louisiane ! Louisiane !Onestfierdenotrelangue

Réveille ! Réveille !On parle toujours français !Y a longtemps on vous espérait17

Pour nous aider à fêter

en-louisiane-l-ile-des-derniers-indiens-francophones-va-disparaitre.php.; bryan meyers et michael Okwu, « after bP Oil Spill, Louisiana Tribe’s Way of Life Quickly Disappearing », Al Jazeera.com, 20 avril 2015, america.aljazeera.com/watch/shows/america-tonight/articles/2015/4/20/after-bp-oil-spill-louisiana-tribes-way-of-life-quickly-disappearing.html.

17. Espérerenfrançaislouisianaissignifieattendre.

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Le Grand réveil acadien études

Deux cents, deux centsDeux cent cinquante annéesOn est, on est,On est toujours là

Ici ! Ici !Ici en Lou-zee-anne [sic]Louisiane ! Louisiane !Onestfierdenotrelangue

Deux cents, deux centsDeux cent cinquante annéesOn est, on est,On est toujours làEt…on… quittera… pas18

Cetteversionde«Réveille»estsignificativeàplusieursniveaux:1-lesparoles et l’interprétation de Jody adeyemo mettent en lumière la diversité complexe de la francophonie louisianaise, ce qui problématise en quelque sortel’affirmationd’uneprésencespécifiquement«acadienne»quel’onatendance à confondre avec tout ce qui se rapporte à un héritage français en Louisiane;2-laspécificitélangagièredufrançaislouisianaisestévidentedanslesparolesetseprésentecommeunsymboledefierté:«onestfierdenotre langue19 » ; et 3- le message implique qu’il s’agit d’un même peuple séparé depuis 250 ans : « y a longtemps on vous espérait20 ».

Malgréquecettechansonsoitchantéeparunefilled’originenigérienne,n’y a-t-il pas d’autres enjeux qui risquent d’être négligés en privilégiant l’élémentacadiend’unefrancophonieextrêmementdiversifiée?Peut-êtreque ces types de manifestations poussent les limites de l’identité cadienne elle-même. Clint bruce suggère que cette version de « Réveille » exprime ce qui me paraît de première urgence : un grand réveil louisianais dont un réveil acadien ferait partie21.

Négocier l’inclusivité et la mémoire collectiveNéanmoins, l’ampleur de la présence acadienne de la Louisiane francophone a été mise en cause par plusieurs chercheurs. L’historien Carl brasseaux note quelesAcadiensfigurentdansunensembledepasmoinsdedix-huitgroupespouvant réclamer un héritage francophone. Le nombre total d’acadiens qui

18. Extrait directement du document fourni à l’auteur par brenda mounier le 25 avril 2016. J’ai gardé le texte dans son format original autant que possible.

19. Ibid.20. Ibid.21. Clint bruce et Nathan Rabalais, « La Louisiane francophone ouvre-t-elle les yeux ? », sur

Astheure.com, 18 novembre 2015, astheure.com/2015/11/18/la-louisiane-francophone-ouvre-t-elle-les-yeux-dialogue-sur-le-grand-reveil-acadien-avec-nathan-rabalais-et-clint-bruce.

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se sont installés en Louisiane en plusieurs vagues d’immigration est autour de 3 00022. Ces derniers ont été placés de façon stratégique par le général espagnol durant la période coloniale espagnole de la Louisiane. Certes, on peut se demander si ces acadiens – relativement peu nombreux en comparaison avec les quelques 11 000 refugiés de la Révolution de Saint-Domingue23, par exemple – ne se sont pas assimilés au climat culturel franco-louisianais déjà établi, plus que le contraire. maurice basque observe l’assimilation à lacultureanglo-américainequisereflètedanslaprogressiondesappella-tions « acadien » à « cadien », aboutissant à sa forme anglicisée « Cajun ». bien que l’on puisse envisager une acadie « virtuelle » incorporant toute communauté ayant un héritage acadien, basque note que la Louisiane serait exclue d’une conception de l’acadie liée à un endroit géographique dont les habitants vivent au Canada atlantique dans un environnement francophone24. Le linguiste Thomas klingler souligne aussi l’aspect problématique du mot « Cadien » et de l’usage de la déportation acadienne comme mythe fondateur pour les Cadiens :

Comme beaucoup de mythes fondateurs, celui des Cadiens est un récit capti-vant, qui relate la vie idyllique en acadie, son bouleversement par la tragédie de l’exil, puis un retour au calme grâce à la fondation d’une nouvelle patrie en Louisiane. Comme bien des mythes fondateurs, celui des Cadiens, bien qu’il soitsimplifiéàl’excès,estfondésurlesfaitshistoriques.Lesaffinitésentrelesappellations « Cadien » et « acadien » facilitent d’autant plus l’assimilation des deux termes, et semblent légitimer une explication des origines cadiennes, dissimulant leur complexité sous une simplicité trompeuse. C’est justement cette simplicité présumée du passage d’acadien-à-Cadien qui a mené à ce qu’il devienne une sorte de schéma pour comprendre les Cadiens, un ensemble de savoir tout prêt, et si largement admis qu’aucune explication n’est nécessaire, etqu›ilsuffitsimplementdel’évoquerpourconvaincre.25

En effet, cet « ensemble de savoir tout prêt », comme le désigne Thomas klingler, se voit très souvent dans les média, tant sur le plan français que canadien et louisianais, lorsque l’on donne un aperçu du fait français en Louisiane. autrement dit, le fait français en Louisiane s’explique souvent enévoquantleGrandDérangement.MêmesurlesiteofficieldesFestivalsacadiens et créoles, coïncidant avec le gRA, on trouve une explication de cet

22. Carl brasseaux, French, Cajun, Creole, Houma, bâton-Rouge, Louisiana State University Press, 2005, p. 17.

23. Ibid., p. 22.24. maurice basque, « acadiens, Cadiens et Cajuns : identités communes ou distinctes ? », dans

Ursula mathis-moser et Günter bischof (dir.), Acadians and Cajuns : The Politics and Culture of French Minorities in North America / Acadiens et Cajuns : Politique et culture des minorités francophones en Amérique du Nord, Innsbruck, Innsbruck University Press, 2009, p. 27-34.

25. Thomas klingler, « How much acadian is there in Cajun ? », dans Ursula mathis-moser et Günter bischof (dir.), op. cit., p. 95. Traduction de l’auteur.

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Le Grand réveil acadien études

ordredesimplificationhistorique:«Acadians,orCajunsastheyarenowcalled, were exiled from Nova Scotia in 175526 ». Quels sont les enjeux de ce genredesimplification?ÊtreCadien,est-ceêtred’ascendanceacadienne?Est-ceêtrefrancophone?Jusqu’àquelpointunespécificitéethniqueest-ellebénéfiqueau fait françaisenLouisianeetà laconservationd’une languepartagée par plusieurs groupes ethniques ?

Dans le cadre du gRA, l’on pourrait prolonger cette ligne de questionne-mententermesdesimplicationsdelamiseenvaleurdelaspécificitéethnique,voir raciale, acadienne en Louisiane. C’est-à-dire, vu la situation précaire de la langue française en Louisiane et le nombre décroissant des locuteurs du français en réponse à une tendance vers la mondialisation et l’américanisation, ne serait-il pas favorable de promouvoir le fait français en Louisiane de façon plus inclusive, ouverte à tous les groupes francophones de la région, y com-pris notamment la tribu amérindienne Houma, qui représente aujourd’hui la communauté la plus francophone en Louisiane27 ? Ces distinctions raciales ou ethniques parmi les communautés francophones en Louisiane sont devenues plus importantes à partir des années 1960 ; d’une part, à cause du rôle de plus enplusmineurdelalanguefrançaisecommesignifiantoumarqueuridenti-taire, et d’autre part, la prise de conscience culturelle – souvent appelée « la renaissance (a)cadienne » – de cette période s’est mise en place à l’instar du mouvement des droits civiques afro-américains. Pour cette raison, l’historien Shane k. bernard souligne que ce mouvement s’est articulé comme un geste d’américanisation, et non pas le contraire28. Ce clivage ethnique est également visible dans la terminologie musicale utilisée pour les genres traditionnels de la région. Sara le menestrel observe :

avant les années 1960 prédominait une perception inclusive de la musique franco-louisianaise, sans distinction entre musique cadienne, musique créole et zydeco. On parlait alors en français de musique française ou en anglais de French Music, cette catégorie englobant une diversité de styles sans l’associer àungroupespécifique,parcontrasteavec la terminologieactuellequiparledésormais de musique cadienne et musique créole selon l’origine des musiciens.29

Il n’est pas question ici de nier l’importance de valoriser la présence acadienne et sa contribution à la culture francophone de Louisiane. Néanmoins, nous pouvonsnousattardersurcetteproblématiqueafindevoircommentlegRA,

26. [anonyme], extrait du site des Festivals acadiens et créoles consulté le 6 mai 2016, www.festivalsacadiens.com/info/history.html.

27. Carl brasseaux, op. cit. p. 117.28. ShaneBernardestcitéd’aprèsunentretiendonnépourlefilmdocumentaireTout le monde

veut être un Cadien, réalisé par David Simard et Christian Fleury [08 :36 -9 :00], 2015, accessible au lien suivant : www.youtube.com/watch?v=rLTp4OoFefa.

29. Sara Le menestrel, « French music, Cajun, Creole, Zydeco », Civilisations, 53, 2005, consulté le 8 octobre 2015, civilisations.revues.org/579.

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et la représentation générale des acadiens en Louisiane, s’inscrit dans le contexte plus large de la francophonie louisianaise. Donc, il est important de noter que les événements comme le gRA servent non seulement à rassembler les membres d’une communauté, soit linguistique ou ethnique, mais aussi à réitérer et encadrer un récit de traumatisme et une mémoire collective partagée par la diaspora acadienne. Les activités et les discours du gRA offrent aux participants l’occasion de mettre en scène l’histoire douloureuse du Grand Dérangement, de la séparation des familles,mais aussi de solidifier (ourecréer) un sens d’identité collective. Ce processus de raconter et de mettre en scène un traumatisme collectif s’inscrit tout à fait dans la description du traumatisme culturel que nous offre le sociologue Jeffrey alexander :

Les individus qui sont victimes de traumatismes passent en général par une période de répression et de déni de l’événement traumatisant. Ils n’accèdent au soulagement qu’une fois que ces défenses psychologiques sont surmontées ; ainsi, c’est en prenant pleine conscience de leur douleur qu’ils peuvent entrer en deuil. Pour les traumatismes collectifs, qui touchent un groupe ou un ensemble social, il en va autrement : plutôt que le déni et la répression, qui sont surmontés grâce à un travail sur soi, on voit la mise en place d’une construction symbolique encadrant l’événement. Le groupe se crée une histoire et des personnages, tout un « nous », construit par le biais du récit et du codage des événements. C’est cette identité collective qui va vivre l’expérience et se placer face au danger30.

Alexandercontinueendisant:«Lestraumatismescollectifsnesontnilerefletde la souffrance de l’individu, ni celui des événements réels, mais plutôt des représentations symboliques qui les reconstruisent et les réimaginent31 ». Ce constat de Jeffrey alexander correspond à l’observation de Thomas klingler au sens que la mémoire collective (y compris des reconstitutions historiques) atteint un groupe beaucoup plus large que les descendants des acadiens qui ont réellement vécu la déportation.

Cette réalité se manifeste de façon claire dans un événement comme le gRA, car il s’agit d’une histoire partagée dans le cadre d’une francophonie louisianaise plus large. Tous les francophones et créolophones ont vécu d’autres formes d’oppression, qu’ils soient victimes de punitions pour avoir parlé en français à l’école comme enfant, où à cause d’une pression plus générale pour s’adapter à la culture américaine dominante.

L’appartenance de la Louisiane à un plus large sens d’identité acadienne s’est renforcée grâce aux communications comme celle de Warren et mary Perrin, « From Acadie to Louisiana in 1765 : The Birth of Cajun Culture 250

30. Jeffrey alexander, Trauma : A Social Theory, Cambridge, Polity, 2012, p. 3. Traduction de l’auteur.

31. Ibid., p. 4. Traduction de l’auteur.

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Reconstitution historique de l’arrivée des premiers Acadiensdans le territoire Attakapas

Saint-martinville, monument acadien, jeudi 8 octobre 2015au fond, se trouve la peinture murale L’Arrivée des Acadiens par Robert Dafford

Photo : marc Chauveau, octobre 2015

Spectacle musical au bord du bayou TecheSaint-martinville, monument acadien, jeudi 8 octobre 2015

Photo : marc Chauveau, octobre 2015

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Years Ago » et la présentation du livre L’Acadie hier et aujourd’hui32. Ce livre est également disponible en version anglaise et les auteurs ont entretenu la pratique générale du gRA en communiquant au public de façon bilingue pour faire en sorte que ceux qui ne parlaient pas le français puissent comprendre.

bien que le titre de l’événement et, surtout, le thème du deuxième gRA mettent en évidence l’identité acadienne, les activités proposées lors du rassemblement soulignaient la diversité de la Louisiane française et créole33.

Un Tintamarre cadienL’une des manifestations les plus marquantes du gRA a été sans doute la parade insolite appelée le Tintamarre cadien ou « TintamardiGras ». Cet événement représente une évolution importante depuis le premier gRA en 2011, à la fois dans sa mise en place et sa popularité. Le tintamarre de 2011 fut organisé pourdéfilersurleterraindesFestivalsacadiensetcréoles.Ilfautnoterquele tintamarre ne fait pas partie de la tradition louisianaise et bien des specta-teurs au festival ne comprenaient pas ce qu’ils étaient en train d’observer34.

En revanche, cet hybride carnavalesque de 2015 s’est déroulé tout à fait autrement et fut un grand succès. mêlant les aspects du Tintamarre acadien etduMardigrascadien,ledéfilés’estmieuxintégrédanslecontextesociallouisianais. Il est important de noter ici que le TintamardiGras a incorporé des éléments du mardi gras rural (les déguisements traditionnels, y compris les capuchons) ainsi que le mardi gras plutôt urbain représenté par les chars etledéfilédanslesruesducentre-villedeLafayette.

Les liens entre la francophonie minoritaire se renforcentComme il a été mentionné ci-dessus, la collaboration avec d’autres commu-nautés francophones fut nécessaire pour déclencher le projet d’accueillir le CmAenLouisianequi,malgrésonéchec,afinalementaboutiàlacréationdu premier gRA. De la même manière, il semble clair que la survie du fait français ne peut se réaliser sans l’apport d’un réseau francophone. À titre d’exemple, du 29 mars au 1er février 2015, la Louisiane a accueilli la confé-rence de l’association internationale des maires francophones, où le maire de Lafayette, Joey Durel, a reçu les maires de Paris, de montréal, de Québec et de bien d’autres villes du moyen-Orient et d’afrique. C’était la première fois que cette conférence annuelle avait lieu aux États-Unis d’amérique35.

32. Phil Comeau, mary Perrin et Warren Perrin, L’Acadie hier et aujourd’hui : l’histoire d’un peuple, Opelousas, andrepont Publishing, 2015, p. 528.

33. Nathan Rabalais et Clint bruce, op. cit. : « [N]ous avons vu la diversité dans les faits. mais cettediversitéest-ellereflétéedanslenomdel’événement?Danslaprogrammation?Surlesiteweb?».

34. Comme j’étais présent, je me permettrais de dire que les gens étaient même gênés par ce qu’ils l’avaient interprété comme une interruption du divertissement musical.

35. [anonyme], mme anne Hidalgo, maire de Paris, et l’Aimf en Louisiane, article trouvé sur le

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Le défilé « TintaMardiGras »mélange des éléments typiques du mardi gras urbain

(chars, cortège suivant un itinéraire prévu) et rural

(déguisements traditionnels, capuchons) et du tintamarre acadienPhoto : marc Chauveau, octobre 2015

Participants au TintaMardiGras de LafayetteDans les rues du centre-ville, plusieurs portent des masques et des déguisements

traditionnels du mardi gras louisianais et jouent du triangle (ou « ’tit fer »)Photo : marc Chauveau, octobre 2015

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L’on constate facilement une croissance dans le nombre d’échanges entre la Louisiane et d’autres communautés francophones en amérique du Nord. De plus, il semble que ces interactions se déroulent surtout entre les com-munautés francophones en situation minoritaire. À titre d’exemple, la chaîne ontarienne, Groupe média tfo, a signé le 22 avril un accord de collaboration avec la station publique Louisiana Public broadcasting qui appartient à pbs. Le président et chef de la direction du Groupe média tfo, Glenn O’Farrell, a dit à ce propos : « [L]’association avec une chaîne partenaire du réseau éducatif pbs nous donne la chance de nous présenter comme partenaire de choix pour d’autres ententes sur d’autres marchés aux États-Unis où il y a une forte concentration de francophones36 ». tfo a également mis en évidence la francophonie louisianaise dans son émission Carte de visite dans laquelle l’animatrice Gisèle Quenneville a mené des entretiens avec les personnages saillants du monde cadien et créole : mavis Frugé37, barry ancelet38, Glen Pitre39 et Zachary Richard40 pour en nommer quelques-uns.

Cet intérêt réciproque entre la Louisiane et la francophonie nord- américaine plus large, a surtout pris son essor grâce aux événements orga-nisés41 par le Centre de la francophonie des amériques (CfA) soutenant la langue et la culture françaises en amérique du Nord. Cette forme de réseau-tagefrancophones’estreflétéebiensûrdansplusieursaspectsdesactivitésdu gRA, plus évidemment chez les participants dont beaucoup sont venus de la Nouvelle-angleterre et du Canada maritime, et aussi lors des activités telles que la soirée « Réunion Université Sainte-anne ».

Le 8 octobre le bar Warehouse 535 a accueilli cette rencontre qui a rassemblé bon nombre d’anciennes et d’anciens du programme d’immer-sion française offert par l’Université Sainte-anne en Nouvelle-Écosse. Le programme d’immersion française de l’Université Sainte-anne a également joué un grand rôle dans l’entretien de la langue française en Louisiane. Un grand nombre de musiciens cadiens ont effectué des séjours à Sainte-anne

site web du Consul général de France à la Nouvelle-Orléans, mis à jour le 1er mai 2015, accessible au lien suivant : www.consulfrance-nouvelleorleans.org/Visite-de-mme-anne-Hidalgo-maire.html, consulté le 8 mai 2016.

36. Stéphane baillargeon, « tfo fournira la Louisiane en contenu francophone », Le Devoir, 22 avril 2016, consulté le 24 avril 2016, accessible au lien suivant : www.ledevoir.com/culture/televi-sion/468822/tfo-en-louisiane.

37. www.tfo.org/fr/univers/carte-de-visite/100464630/mavis-arnaud-fruge-cofondatrice-centre-communautaire-nunu-louisiane.

38. www.tfo.org/fr/univers/carte-de-visite/100464629/barry-ancelet-specialiste-de-la-culture-cadienne.

39. www.tfo.org/fr/univers/carte-de-visite/100464627/glen-pitre-cineaste-louisianais.40. www.tfo.org/fr/univers/carte-de-visite/100464632/zachary-richard-auteur-compositeur-

interprete.41. On peut citer comme exemple le Forum des jeunes ambassadeurs, les Universités d’été et la

Radio des amériques, entre autres.

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afind’apprendreoudeperfectionnerleursaptitudeslinguistiquespourmieuxchanter et composer des paroles en français : parmi eux, Steve Riley, Cedric Watson, Chris Segura de Feufollet42. De nombreux enseignants louisianais ontaussiparticipéauprogrammed’immersionaufildesannées.

Selon Randal menard43, un autre événement qui a attiré des participants d’autres régions fut la rencontre en personne de beaucoup des membres d’un groupe Facebook « Cajun French Virtual Table française ». Ce groupe, en existence depuis à peu près deux ans, compte maintenant 22 650 membres dont certains des plus actifs se trouvent en France, au Nouveau-brunswick et dans bien d’autres régions. Cette rencontre fut la première grande rencontre pour legroupequiapuprofiterde laprésencedesmembresvenusde laFrance ou du Canada pour le gRA. La popularité de ce groupe n’est pas une anomalie. au contraire, on constate une forte croissance dans le nombre de groupes portant sur la musique, la langue et la cuisine louisianaises en ligne44.

En guise de conclusion Le gRA représente un signe de progrès considérable pour le développement du français et la valorisation de l’identité acadienne en Louisiane. Depuis de nombreuses décennies, la langue française a largement été restreinte aux sphèressocialesnonofficielles (aufoyer,entreamis,etc.).CerenouveaudustatutofficieldufrançaisetletissagedesliensentrelesCadiensetlesacadiens d’autres régions (surtout du Canada maritime) donnent aux Franco-Louisianaisunnouveausouffledansleurluttepourpréserveretdévelopperleur langue et leur identité. En outre, les responsables du gRA ont choisi de continuer à organiser le gRAtouslescinqansafind’alterneravecleCmA et aussi de garder la valeur symbolique de marquer l’arrivée des premiers acadiens mené par Joseph beausoleil-broussard dans la région des attakapas en 1765. D’ailleurs, Randal ménard, avocat et organisateur du gRA, précise l’avantage de tenir l’événement en octobre en alternance avec le CmA (qui a lieuenaoût),car lachaleur louisianaise renddifficile lacélébrationdu 15 août, Fête nationale acadienne45. L’événement donne aussi l’occasion aux Louisianais ne pouvant pas se rendre au Canada pour le CmA d’entrer en contact avec les acadiens de la Nouvelle-angleterre et du Canada maritime.

La création et l’organisation du gRA nécessitent une négociation de 42. Nathan Rabalais, « Dedans la porte d’en arrière : alternative Language acquisition methods

of Comtemporary Cajun and Creole musicians and the Resulting Symbolic Representation of French Louisiana Culture abroad », bâton Rouge, communication présentée au colloque French Studies Gra-duate Conference, Louisiana State University, 2010.

43. Randal ménard, entretien personnel mené le 23 octobre 2015.44. marie-Laure boudreau, « La musique traditionnelle cadienne et créole : passages “virtuels”

du local au global (via les plates-formes du web 2.0) », communication donnée au colloque Contempo-rary French & Francophone Studies, 18 mars 2016.

45. Entretien personnel mené le 23 octobre 2015.

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l’identité proprement acadienne dans le cadre plus large d’une francophonie louisianaise bien diverse. Nous avons vu cette négociation culturelle dans des reconstitutions historiques de l’arrivée des acadiens en Louisiane en 1764, dans l’interprétation d’une reprise de la chanson iconique « Réveille » de Zachary Richard et dans le déroulement du TintamardiGras qui mêle les éléments du Tintamarre acadien avec le mardi gras cadien. Cet événement fut rendu possible grâce à des collaborations importantes, tant sur le plan logistique que sur le plan humain.

Peut-êtrequeleplusgranddéfiserademaintenirl’élandugRA et de mettreenvaleurlaspécificitéacadiennedelaLouisianetoutenappuyantsurla diversité de la francophone louisianaise, car il faut maximiser la présence francophone pour survivre. Le fait que le gRA se déroulera dans le cadre des Festivals acadiens et Créoles peut certainement faciliter cette tâche. On pourra aussi constater si l’élan du mouvement francophone en Louisiane se maintiendra de façon plus permanente en dehors de tels événements ponctuels.

Sortie d’une messe célébrée en français à la cathédrale Saint-JeanEmblème de la ville de Lafayette, la cathédrale a servi de point de départ

du TintamardiGras.Le dimanche, 11 octobre 2015, les participants sortent d’une messe

célébrée en français, une occasion plutôt rare en Louisiane aujourd’hui.Photo : marc Chauveau, octobre 2015