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LE LAI DES DEUX-AMANTS L g GENI)E NEUS'J'RIENNE 11E MARIE 1)E FRANGE COMMENTAIRE ET ADAPTATION D E A.-L. DURDAN MACON PROTAT F1È11ES, IMPRIMEURS I 9Q7 Document - D I! l IIil lU 111111111111110 -- 0000005381395

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LE LAIDES

DEUX-AMANTSLgGENI)E NEUS'J'RIENNE 11E MARIE 1)E FRANGE

COMMENTAIRE ET ADAPTATION

D E

A.-L. DURDAN

MACON

PROTAT F1È11ES, IMPRIMEURS

I 9Q7

Document

-D I! l IIil lU 111111111111110-- 0000005381395

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PRÉFACE

Le moyen-âge fut brillamment poétisé par les fiersTroubadours et Trouvères qui exaltèrent à l'envi leshauts faits de leur épôque et chantèrent les légendes qu'ilstenaient, pour la plupart, des bardes armoricains.

N'ayant à nous occuper ici que de noUe . beau paysnormand, nous ne parlerons point des Troubadours qui,s'exprimant en langue d'oc, s'occupaient spécialementdu Midi.

Les jongleurs, étant des comédiens à la solde desseigneurs, nous paraissent trop partiaux pour que nouspuissions faire fonds sur leur récits, qui étaient déna-turés, le plus souvent, et plagiés sur les oeuvres desTrouvères.

- Nous ne retiendrons que les Trouvères, ces distinguéschampions de la langue d'oil, gens de haute dulture,nobles ou clercs en générai cl historiens fidèles- des prin-cipau x événements (le leur temps.

Dans la brillante pléiade des Trouvères des xIi0 et xiii0siècles une place ,à part doit être faite à une femme,célèbre par la distinction de sa langue, la pureté de sesvers et la hauteur de ses inspirations Marie deFrance!

Malheureusement, . sa modestie est telle, qu'elle prend

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soin de nous cacher tout ce (lui pourrait dévoiler son nom,son rang, sa naissance -

Ai finement de cest écritMe nomerci par re,nembran.ceMarie ai izoin, si suis de. Fiance.

Voilà tout ce qu'elle nous dit d'elle.On suppose que Marie était de naissance illustre,

car elle avait l'esprit très-cultivé, comme le prouvent sesouvrages. Elle savait plusieurs langues: le français,l'anglais, le latin, le gallois et le breton.

• . La possession de ces 'différentes langues indique chezcette femme une éducation soignée, qui seule pouvaitêtre acquise, à cette époque, dans un milieu de haute -distinction.• Du reste, si nous pouvions avoir un doute, à cetégard, il serait vite levé de ce fait que toutes ses dédicacessont destinées au Roi, à des princes et à de grandsseigneurs.

Ses ouvrages étaient très recherchés des châtelaines,qui se les faisaient lire aux longues veillées d'hiver, parleurs pages, dans leurs châteaux aux épais murs crénelés.

Les chroniqueurs nous apprennent que les scriplores oucopistes étaient surchargés clé demandes des oeuvres manu-scrites de Marie.-

Toute la noblesse protégeait la publication de ses poésieset s'en arrachait les volumes à grands frais. -

Les manuscrits de Marie sont gardés soigneusementau British Museuin. C'est là qu'il nous n été donné de lesconsulter avec une émotion indicible, lors de l'un de nosrécents voyages à Londres..

Ses vers, qu'il ne faut pas vouloir comparer à ceux dénotre épo'que, sont très beaux. Les règles de la versifi-

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cation n'étaient pis aussi sévères que celles d'aujourd'hui.

Malgré celte différence, ou sent à chaque instant l'effortde l'auteur à vouloir faire toujours mieux, ténioins cesdeux vers:

Ki dé banc mateire traiteMuit li pèse si bien n'est faite.

Le premier volume des vers de Marie est composéd'une série de lais au nombre de - quatorze, relatant lesfaits saillants et les grandes aventures des preux chevaliers.

Ils sont écrits clans le goût de l'époque. et se terminenttoujours par un dénouement merveilleux.

Voici la nomenclature de ces lus:Laide •Guiguenier fils d'Oridial sire de Léon, 888 vers- de Quitan sire des Nantois 312 -- du Fresue chevalier breton 518-- de Bisclaveret changé en loup garou348 -— de Lanval chevalier de la Table Ronde640.—.- des Deux-Amants, en Neustrie -238 -- d'Ywenec fils de Miirdumarec.562 -- du Laustic ou Rossignolet (Night-ingal) . 160- de Milun chevalier gallois 536 -— du Chaitivel chevalier Nantois 240 -— cluChèvrefeuillcou Goaticaf(' ristan et Iseut) 148 -

d'Elidus_chevalier bas-breton 1152 -— de Graelent le Mor (le héros) 732 -- de l'Epine ou du Gué 404

Le second volume contient cent quatre fabliaux d'Ésopetraduits du grec en anglais par Fleuri Jer,

Parmi les auteurs qui se sont occupés de cette si poétiquefigure, il convient de citer M. de la Rue 1.

4. De la flue, Bardes, jongleurs et trouvèrc.ç Normands et Angio-A'or-'nands, t. lIT, p. 61 à 400. Cacu, Mane&, éditeur, 4834.

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Ecoutohs ce qu'il dit d'elle : « Marie attache ses lecteurspar le fond de ses histoires, par i'intéMt qu'elle sait yrépandre et par le style simple et naïf avec lequel elleraconte. Malgré sa narration coulante et rapide, rien

o fest oublié dans ses détails, rien ne lui échappe danso ses portraits. Elle n'avait pas seulement, le goût délicat,o elle avait encore une âme sensible. On voit qu'elle ne

cherche qu'à attendrir ses lecteurs Aussi va-t-elle«_ toujours k l'âme, l'attendrit ou la consterne.

Après un tel éloge nous ne pouvons ajouter rien d'utileà la réputation de Marie,

Quelques auteurs ont contesté qu'elle ait pu compulserles ouvrages des bardes bretons, Mais la Normandie quiétait la Neustrie faisait partie de la ligue armôrique oudes onze cités Alors, quoi d'étonnant qu'elle ail purecueillir, de son temps, dans ce pays, les récits descélèbres bardes armoricains et quelle ail pu en consulterles écrits.-

Elle nous dit elle-même qu'elle a pris beaucoup de sessujets dans les récits des bardes bretons, qu'elle les aittus ou qu'on lui en ait raconté plusieurs;

Piusoi en ai oiï conterATes voit laisse,' ne ohiierPlusors mc l'ont conté ci ditEt jeo l'ai trové en. escrit.

Nous allons plus loin traiter le sujet du lai des cieuxamants dont Marie a entendu, à Pitres même, raconterl'aventure et nous dit que:

Li Bretuns en firent un lai.

Il est donc- inutile de s'arrêtr à ceux qui contestent depareilles vraisemblances.

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ix -

On n'est pas d'accord sûr l'époque à lâquelle vivaitMarie de France. Les uns la font vivre au xuC siècle avecHenri II Plan agenet, les autres au xxii 0 avec Henri IIIson petit-fils.

Nous allons essayer d'éclaircir cet imbroglio et de fixerdéfinitivement la véritable époque dans laquelle Marieécrivit ses admirables vers.

M. de Roquefort, qui publia tous les vers de Marie et léstraduisit eh prose, croit qu'elle vivait à la cour d'HenriIII, s'appuyant sur de la Rue.

MM. Fauchet et Pasquier affirment quelle vivait à la findu XIII 0 siècle, sans nous dire sur quoi ils étayent leuraffirmation.

M. Le Grand d'Aussy, s'inspirant de ce fait que Mariedéclic de ses fabliaux à un comte Guillaume, en infère quece personnage devait être un seigneur français, Guillaumede Dampierre, contemporain d'l-lenti II. Mais ce gen-tilliomme' n'était pas comte quoiqu'il eM épousé Mar-guerite de Flandre; cette dernière nayazit hérité du comtéde Flandre que trois ans après la mort de son mari.M. Fallue, de l'Académie de Rouen, 'penche pour Mariesous Fleuri 11, sans dire pourquoi. -

M. Le Prevost, l'historien de l'Eure, croit que c'est sousHenri III que vivait Marie, sans expliquer son opinion.

Enfin M. de la Rue, dans l'ouvrage précité, dit queMarie était contemporaine d'Henri ITT, parce que seul ceprince eut un règne âssez paisible pour s'occuper delittérature, l'époque d'Flenri II ayant été orageuse.

La raison, si c'en est une, est vraiment par trop faible,d'autant que cet auteur convient que la dédicace au comteGuillaume s'adresse à Guillaume Longsword 1 , fils naturel

1. Longsword ou Longue-1pée.

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d'Henri II et (le la belle Bosemonde Clifford. Mais, il.mourut en 1226.-

Qitant à nous, nous croyons pie Marie de France -vivaitcertainement sous Henri II:

10 Parce que les manuscrits du Brilis]i Musei'im sontde la Un du xii0 siècle cl commencement du xiii0.

2 0 Que le Roi Henri. II n'était pas si ennemi des bellesléttres 'qu'on voudrait nous le faire croire, 'puisqu'il avaitfait donner, à ses fils une éducation très-littéraire et qu'ils'entourait lui-mêmede gens très-instruits, tels que: ThomasBecket, Roger de Howden, Benoit de Peterborough, DanielChurche, Benoît de Sainte-More, etc., etc.

3 0 Qu'une dédicace adressée à tin prince charmant etpoétique, fils du Roi, est bien faite pour Richard Coeur-de-Lion qui composa avec son jongleur Blondel, et non Blondelde Nesle, comme du l'a dit à tort, des chants et 'des versdont la renommée est venue jusqu'à nous.

4 0 Que la dédicace au comte Guillaume s'adresse bienà Guillaume Longsword, créé comte de7 Salisbury et deRomare par son demi-frère le roi Richard Coeur-de-Lion.Marie l'appelle : fleur de chevalerie, l'homme le plus vail-lant de son royaume. Ces appellations coïncident fort bienavec la noblesse et la vaillance de ce prince.-

Mais où l'erreur de M. de la : Bue est grande, c'estlorsqu'il fait ce personnage contemporain d'Henri III.Guillaume Longword, frère naturel de Richard, créé comtepar celui-ci, mourut en 1226, âgé de plus de , 60 ans, il n'au-rait passé que quelques années sous Henri III, fils de Jean-sans-Terre. C'est plutôt dans sa jeunesse qu'il s'occupa deslettres.

Nous' croyons avoir étayé assez solidement notreopinion pour qu'il ne subsiste aucun doute dans l'esprit, denos lecteurs. Il nous reste encore ' à parler de 'Denys

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Pyramus, trouvère de la fin du xiii 0 siècle, qui fait deMarie et de ses oeuvres un éloge très-pompeux, nousajouterons trop pompeux pour être contemporain. Il enparle comme d'un confrère dont on n'a plus rien à craindreet cela ne prouve pas que Marie vivait en même tempsque lui.

Nous nous résumerons par l'affirmation que Marie deFrance vivait à la fin du xii 6 et au commencement duxHP siècle, et nous terminerons en disant: qu'elle aitvécu dans l'un ou l'autre siècle, elle n'en reste pas moinsla grande figure des poètes de son temps, l'emblème de lamodestie, l'idéal de la grâce, et la femme distinguéeécrivant pour la gloire et la postérité; insouciante desprofits qu'elle pouvait tirer de son immense talent.

Quel exemple pour beaucoup de nos contemporains!

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LE LAI DES DEUX-AMANTS

COMMENTAIRE

La légende des DeuxAniants des Bardes armoricainsrecueillie et mise en vers par Marie de France, dans unde ses lais les plus gracieux, ' a donné lieu à de nom-breuses interprétations.

Ces différences, dans la manière de concevoir uneoeuvre initiale, suivant l'érudition et le tempérament dechaque auteur, ont causé des altérations regrettables, etont fait de la légende la plus charmante que nous ait léguéle moyen-âge, ce qu'elle est devenue aujourd'hui, dansnos campagnes : un vulgaire conte d'une banalité déses-pérante.

Avant d'entrer dans le vif du sujet, il est indispensablede spécifier ce que signifie le mot: lai.

Les Bardes Gaulois, ]ors -de l'invasion des Gaules parJules-César, s'enfuirent au fond de l'Armoriqhe, dans lapartie appelée : Basse-Bretagne. Cette contrée, barbareet sauvage, n'eut jamais, dans ces moments, beaucoup derelations avec le resta du pays.

Lorsque les Romains se furent établis définitivementdans leurs conquêtes, les bardes revinrent peu à peu etchantèrent les kgendes fantastiques qu'ils avaient tirées desauteurs grecs en les transformant au profil- de leurs héroset donnèrentà ces chants le nom de lais, c'est-à-dire poésies

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destinées à être chaulées avec la harpe on rote, et plustard, vers Charlemagne, avec la vielle ou viole. Us serépandirent dans la seconde Lyonnaise, province romainesituée entre la Loire et le Rhin. La partie nomméeaujourd'hui Normandie sappelait Neustrie et dépendaitde la ligue armorique ou des onze cités.

Lorsque les barbares du Nord envahirent à leur foin-ce pays, ils adoptèrent les chants des bardes et se firentsuivre de ces ehahteprs que, dans leurs idiomes, ilsnommaient: Scalds.

A •ce moment, le latin était la langue écrite officielle,celle des belles-lettres et de l'Administration; mais lelangage parlé était dans la plus grande confusion. On -parlait le bas-latin ou roman, le francique avec quelquesmots grecs mélanges au celtique.

Les chants épiques ou lais reçurent les noms suivantsselon le peuple qui s'en servait

Leige en Danois Lied en NorsvégienLeudus en Bas latinLiott en IslandaisLeid en Teuton Lai en Armoricain ou -Lcod en Anglo-saxonCeltique.

La -dernière appellation rèsta et fut . adoplée aux sièclessuivants, même pour des pièces en vers ou des récits enprose. Mais, h l'époque qui nous occupe, ait moyen-âgedu ixe au xiv 0 siècle, le lai resta une- pièce de verscontant une légende merveilleuse destinée à être chaulée.Il est cependant très-important de ne pas confondre leslais avec les servantois qui étaient des récits de guerre ousortes de chroniques militaires. Les jongleurs senemparèrent et les chantèrent dans les châteaux où ilsdonnaient leurs représentations. Gela occasionna maintes

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fois des confusions avec les lais. Les véritables lais n'étaientcomposés que par les Troubadours pour le Midi et lésTrouvères pour le Nord 1 . Ces personnages étaient très-instruits: grands seigneurs, clercs, cadets de famille 011

parfois dignitaires de lEglise comme Fleuri d'Andeli. Ilsécrivaient leurs légendes dans les grandes villes à milieux.littéraires et les publiaient en manuscrits enluminés.

Les jongleurs étaient_ des sortes de bouffons salariés,parfois nomades, qui chantaient et récitaient de mémoire;ils ne jouissaient, du resté, d'aucune considérationmondaine. A l' époque des croisades, ils fuient pour leschâtélaines, restées seules en leurs forteresses, une dis-traction comparable à celles des saltimbanques nomades,l'hiver, au fond de nos campagnes modernes. C'est deleur société que sortirent plus tard les bouffons oufols.

A la cour de Charles-le-Chauve, il était un jongleurirlandais nommé Scot. Un jour qu'attablé seul avec le Roi,il venait de lancer quel qu'imperlinence, celui-ci lui dit:Quelle distance sépare Scot d'un sot?

La table, répondit-il ?•Le Roi se fâcha et Scot fut éloigné de la cour. Cette

anecd&e indique nettement la différence d'esprit quiexistait entre les Trouvères et les Jongleurs.

Avant de commencer les commentaires du lai desDeux-Amants de Marie de France, voyons comment lesdifférents auteurs, qui ont traité du sujet, présentèrentcette légende.

Duval de Sanadon ou Duval-Sanadon l'anti-esclavagiste,enfant de Rouen, publia dans cette ville en 1811 un

4. Les Troubadours et, les Trouvères succédèrent aux Bardes et écrivirentleurs récits.

2. Abbé Vidieti Thèse, liiucrnar de fleims, Paris, 1875, Larose, éditeur.

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ouvrage en vers intitulé : Hommage de la Neustrie hPierre Corneille. On nous dit qu'il ajouta à la fui duvolume quelques vers sur les Deux-Amants. Nous n'avonspu retrouver cette publication. Mais nous savons que lalégende disait que l'écuyer - d'un seigneur du voisinage,doyen u amoureux de la fille de son maître, osa la lui demâriderpour femme.

Le seigneur posa comme condition que, J)O1IP l'obtenir,il fallait la porter en haut du Mont sans se reposer.

Le jeune homme tenta l'aventure et, arrivé sur le Mont,tomba expirant. La jeune fille se tua de désespoir sur lecorps de son amant, et . le père, regrettant son acte

•impitoyable, fonda une abbaye et érigea un tombeau àleurs mémoires.- -

• Ducis, poète tragique, successeur de Voltaire à l'Aca-démie, ayant fait un séjour en 1812. à Fontaine-Guérarddans la vallée d'Andelle, chez M" Guéroult, propriétairede ce domaine et du château des Deux-Amants, fui l'objet,chez son hôte, d'une réception charmante où il dut fairebriller avec éclat ses dons naturels d'esprit le plusdélicat.

Les dames de la maison M'li e Guérouli et sa soeurMine 1-Tauguet, lui contèrent la légende ainsi qu'ellesl'avaient entendu raconter dans le pays et ajoutèrentquelques détails sur le domaine et la côte des Deux-Amants.

Revenu, chez lui, Ducis, par reconnaissance pour seshôtes, se crut obli gé ou fut sollicité, dit-on, de faire desvers sur ce sujet. Il publia en 1813 une poésie précédéed'une notice en prose, sur les Deux-Amants, dont lefonds lui avait été fourni par les dames de Fontaine-Guérard, d'après Darnaud, de Sainte-Foix et MIbe de Genlis.Le lecteur peut apprécier, d'après cette citation, .ce que

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pouvait être une 'oeuvre, ainsi composée, dans tin milieuinféodé au romantisme par un auteur qui en était teintélui-même, et comprendre que la partie historique,quoiqu'un peu légendaire, ail été sacrifiée.

L'envoi est adressé à Mole Haugnet et débute ainsi

Fille aimable de la Neustrie.

Et plus loinVour l'avez désiré, ma Muse s'en fait gloire, -Puissé-je consacrer au Temple de MémoireLa Côte de vos deux amants.

Nous arrivons à la légende dont les vers sontincontestablement d'un maître, mais la légende elle-mêmeest bien malmenée.

Pour Ducis, le seigneur baron de Pont-Saint-Pierre,lieutenant de Charlemagne, avait une fille fort bellenommée Caliste, qui était aimée d'un domestique deson père, un valet!

Un jour qu'à la chasse, la jeune fille isolée rêvait sur•son palefroi à la bonne mine d'Edmond (le valet), unénorme sanglier, furieux, se précipita sur elle. Edmondqui se trouvait 1k, par hasard, vola à son secours armédune longue pique, tua la bête cl délivra son amante.Ce jeune amoureux, qui avait toutes les vertus, étaitsoutien de sa mère, veuve et infirme il lui dévoila lesecret qui le minait.

La vieille, alarmée par les souffrances de son enfant,lui conseilla de faire ga demande hardiment au seigneurdont il avait sauvé la fille.-

Celui-ci entra d'abord dans une violente colère, puis seravisant-

Les vers de ce passage sont à citer tant le romantismeen déborde. .

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Malgré moi, ton amour m'intéresse;J'estime ta valeur, j'aime voir ta jeunesse,Ta figure me plaît, que sais-je enfin? dans toiJ'admire avec plaisir ton courage etta foiL'amour surtout aspire à vaincre les obstaclesEt de tous temps, dit-on, enfanta des miracles.En faveur de rua fille, oui, jepourrais céder.Mais apprends à quel prix je veux te l'accorderEst-il vrai? - Le voici, sur cette côte arideTu vois de ce chemin l'escarpement rapide,Oui, sans aucun repos, oui, si d'un même pas'lu peux jusqu'au sommet la porter dans tes brasMa fille est ta conquête et nia main te la donne,Que k château l'approuve et que la cloche sonne,Je ne chercherai pas à te la contester:J'ai dit, voilà ma loi, tu peux te consulter.

Edinond, joyeux. cherche Caliste et séance tenante l'em-porte sur le Mont. Après bien des efforts, il arrive enfinen haut où il expire dans les bras de Caliste expiranteelle-riiérne de douleur.

Un vieil ermite qui les suivait dit au baron enmontrant les Amants:

C'est là, dit-il, qu'Edmond la dépose vivante,Là qu'expira l'amant, lit qu'expira l'amante.

Le baron, fou de douleur, leur lit faire un tombeauà Fon-tainc-Guérard.

Ducis commet beaucoup d'erreurs, mais il n'est pas res-ponsable, il fut mal renseigné et son oeuvre, basée sur deson-dit, n'est qu'une fan taièie. La légende de Marie parled'un roi des Pistréïns dont la fille fut aimée du fils d'uncomte du voisinage. Or, Charlemagne ne vint jamais àPitres, qui, ville romaine, ne fut visitée de son temps quepar ses missi dominici. Quant au baron de Pont-Saint-

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- J—.

Pierre? Le château fort de ce lieu ne fut érigé en baronniequ'au Xve siècle!

Que reste-t-il de la légende de Duçis?Rien, qu'une élégie en beaux vers.De Roquefort. en 1832, traduisit en prose le lai des

Deux-Amants de Marie de France.Les vers anciens traduits en prose perdent énormément

de leur valeur. Nous ne pouvons que regretter cette traduc-tion, malgré le grand talent du traducteur, qui fait d'unelégende charmante et poétique nie dont la prose estle pâle reflet des vers.

En 1849, Le Prevos(, dans Notes pour servir 4 la topo-graphie de l'Eure, à l'article Amfrèville-sous-les-Monts,signale la légende de Marie de France, la tient pour seuleauthentique, les autres ayant donné lieu û un grand nombrede conjectures et de récits contradicloires. Il ajoute queMarie a tiré des légendes bretonnes nie ses lais les plusgracieux.

En 1850, l'Ermite en Normandie, sous les signatures deMM. de Jouy et Lefebvre Duruflé, publia en prose unelégende des Deux-Amants qui met aux prises un seigneur etun berger amoureux desa fille, ce n'est déjà plus le valet,c'est le serf! Récit incolore et sans valeur aucune, en cequi touche la légende.

En 4851, de Fallue, dans sou lusloire de Radepont,publia en prose un récit des deux amants e -

A la fin du xir siècle, un seigneur de Cantelou, hommeméchant et crie!, suivit Richard Coeur-de-Lion h la croisade,laissant dans soie sa femme et sa fille Mathilde.Une parente de Mm0 de Cantelou, Alix de Bonnemare,veuve, avait tin fils Raoul qui sépit des charmes dosa cou-sine

La mère de Mathilde mourut, celle-ci fut recueillie par

L

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Aux de I3onnernare dans son château voisin, et les deuxjeunes gens vécurent l'un près de l'autre, sans se douter deleur amour grandissant.

Au bout de trois ans, le seigneur de Cantelon revintdans ses terres et sembla oublier sa fille qu'il ne réclamapoint. Un jour qu'il chevauchait avec un de ses compagnonsde croisade, il passa à l3onnemare cl vit sa fille sans luitémoigner la moindre tendresse. Son compagnon, frappédesa beauté, demanda sa main qui lui fui accordée. Le sei-gneur ordonna qu'elle revînt sur-le-champ à Cantelou.Maihilde, informée du projet, résista à son père, voulantgader sa foi à Raoul,et fut enfermée au couvent de Fon-ta in e-Gu érard.

Le chevalier, ennuyé du refus de Mathilde, partit un jouret on ne le revit plus.

Le seigneur de Cantelou, blessé à la chasse, fui sauvé parRaoul. Ayant deviné l'amour des deux enfants, il mandason sauveur et lui dit que pour obtenir Mathilde, il doit laporter, en courant, sanss'arréter, en haut du Mont. L'amantaccepte et sur-le-champ emporte sa chère amante, gravit leMont où il meurt cii arrivant. Mathilde le prend clans sesbras et se précipite avec lui du haut de la montagne.

Le misérable seigneur fit faire, l haut, un tombeau oùil réunit les deux corps et fonda un monastère dont il futle premier prieur.

En 1874, Ch. Jobey publia une brochure « Entre Gisorset .Pon.I-de-i'Arche n, dans laquelle il raconta en prose lalégende des Deux-Amants

Un puissant seigneur de Pitres avait une fille d'une grandebeauté, qui se laissa aimer par un jeune écuyer de sonpère. Celui-ci, furieux, posa comme condition l'ascensiondu Mont à l'endroit le phis rapide, le jeune homme devant.porter la jeune fille jusqu'en haut sans se reposer.

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Il expire en arrivant et la pauvrette meurt de désespoirsur le corps de son amant.

Le père bourrelé de remords fit faire un tombeau magni-fique et fonda un monastère d'hommes et de femmes quidevaient veiller nuit et jour la sépulture.

Ce récit est celui qui se rapproche le plus de Va vraielégende.

Le même auteurcite ces vers anciens que nous reprodui-sons à titre documentaire, l'anonymat le plus sévère pla-nant sur leur origine

Jeune mignon de mince souche,Varlet de cueur, simple escuyer,Dist le seygneur d'un ayr Çàrouche,D'un ton tranchant comme l'acier,Si tu veuix l'avoir pour compaigneAu risque d'y laisser tes os?Te faulx gravyr ceste inontaïgneAvec ma fille sur ton dos.

Nous arrêtons ici nos citations pour abréger.En résumé toutes ces oeuvres publiées en prose ou en

vers ne conservent du lai original que le fait de l'ascension,la mortdes cieux amanis et la fondation d'un monastère.

Mais pourquoi les auteurs se sont-ils acharnés à vouloirfaire du jeune héros un valet, un écuyer, tin serf, tindomestique ou un jeune homme à figure quelconque ?

Nous croyons pouvoir le dire.Dans sa légende, Marie donne ù ses héros des appella-

tions diverses tantôt la jeune fille est damoiselle, jouven-celle, baclielette, meschine, etc.; tantôt le jeune homme estjouvenceau, damoiseau, damiséas et valiez.

De ce dernier nom on a traduit valet, écuyer et domés-tique. Au Ixe siècle, époque exacte de la légende, commenous allons le démontrer, le mot valiez était employé

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comme synonyme de servant de sa dame, soit dévoué.Le varlet domestique ne fui pris clatis ce sens qu'au

-xiii0 siècle, âi moment des-croisades et des tournois, oùl'ancien valiez devint le chevalier de sa daine et porta sescouleurs.

La, cause de l'erreur de lotis ceux qui ont écrit sur cesujet réside dans la négligence qu'ils ont mise à rechercherl'époque exacte où se passait le sujet qu'ils voulaienttraiter. Ils ont oublié que la transformation des termes estparfois énorme dans la succession des siècles.

Voilà pourquoi ils oui fait d'un jeune seigneur charmantet sympathique un domestique vaniteux, et. du Roi, le père,titi vindicatif et cruel.

riloilte autre est la légende de Marie de France. Tour àtour naïve et tendre, passionnée et charmante, la touchante

.aventure qui met en scène un roi, sa fille et le fils d'unseigneur de la cour, n'atteint jamais la cruauté; elle estmalheureuse, non cruelle.

Dès le début, l'auteur nous prévient que va être narréeune légende dont les Bretons ont fait un lai.

Cela se passe en Neustrie, que nous appelons Nonnandie,où il existe un. mont merveilleusement grand.• Nous donnons de ce mont un dessin conçu d'après lestextes anciens consultés par nous (fig. 1).

Un roi qui étaitsire de Pistreïs 1 fil construire une cité quiexiste, encore avec ses maisons, l'appela Pistrcs et leshabitants Pistréïns.

Nous allons maintenant analyser la légende de Marie afinde lui assigner sa Coli Lem poranéité avec le règnede Charles-le-Chauve, qui iesle le seul monarque ayant résidé. àPitres.

1: Pays de Pitres.

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Ce Roi, instruit par la dure expérieiice, ne voulant pasvoir se renouveler les désastres de Jenfosse et de l'îled'Oscelle 1 , près l3onnières, et non d'Oissel comme il a étédit par erreur, fit construire en Pistreïs d'énormes ouvragesde défense, contre les pirates du Nord qui envahissaient laFrance, en remontant les fleuves avec leurs barques.Dirigeant lui-même les travaux, le Roi fit réquisitionnertous les habitants de la contrée qui' amenèrent leurs chariotset bêtes de trait pour le transport des matriaux. La têtede l'ouvrage était un pont fait de pierres et de pièces debois, nommé Pons arcis mœ 2 : e Pont de ma forteresse, » d'oùl'on fit plustard Pont-de-l'Arche. Les lignes de défense .secontinuaient sur les deux rives de 1a Seine on Sequana;sur la droite elles couvraient Arrt le Fort, Ingovilla. Igo-ville, Aliziacum Alizay, Manérium le Manoir, Andcllnfiuvium l'Andelle, Pistis Pitres, etRomrneiiucumRomilly;sur la gauche Uggade Pont-de-l'Arche et sa forêt, llasdansles Damps, Lerjacum Léry, lita fiuvium l'Eure et PosasPoses.

Charles-le-Chauve se fit construire un palais magnifiquesur la rive droite de la Seine près de Manerium.

La carte que nous publions ici permettra au lecteur dese- faire une idée de la topographie du pays de Pitres à cetteépoque (fig. 2.

Elle indique en même temps les endroits cités dans lalégende, en noms anciens et modernes, afin d'éclaircir lesdoutes qui pourraient subsister.

De 864 à 869, le Roi habita son palais pour surveiller lui-même les travaux entrepris.

1. J. Loir, membre (le l'Académie des inscriptions et belles-lettres, LesNormands dans l'île dOscelle, Pontoise, 1897.

2. Charpiilon, Dictionnaire de l'Eure, Les- Andelys, Deicroix, éditeur,483

3. Dom Bouquet, t. VIiI: Coroli Calvi Pistœ palatium regium açl Sequa-nam.-

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Pitres était déjà une ancienne ville romaine importanteelle est citée dans J. César.

Elle devint en 525 une forteresse mérovingienne.Des chartes de Pépin-le-Bref et de Charlemagne l'in-

diquent comme située dans le pays tic Telle. Ce pays tirait,son 110111 de Fia i'ium Telias. aujourd'hui I'Epte Il com-prenait à peu près notre Vexin normand, pays des Vello-casses, c'est-à-dire, tous les hauts plateaux situés entrel'Epic. la Seine et i'Andelle. L'extrême pointe de ces pla-teaux aboutit à Pitres par lit des Deux-Amants,dictée prcsqu';i pic de 3.50 pieds au-dessus du niveau de laSeine, disent les vieux documents. Le pays de Telle étaittrès-boisé et formait diinmenses forêts que l'on appelaiten général Siina Tellas, forêt de Telle, avec des noms decantons. La partie qui occupait le plateau de FageilSpodium (La Hêtraie) Flipou, se nommait: forêt (lit dumerle, dont i'orquau Fut nommé forestier, en novembre 873,par Charles-le-Chauve.

Lorsque, plus tard, les invasions du Nord cessèrent, lesNorthrnans désormais établis dans le pays, sous Charles-le-Simple, avec Rollon 1, le calme enfin se rétablit. Pitres,n'étant plus utile Il défense des fleuves, fut abandonnée etdevint peu à peu le modeste village d'aujourd'hui cesquelques détails indispensables à la clarté de notre récit,nous allons reprendre l'explication de la légende.

Le Roi possédait une fille fort belle qui avait coûté, ennaissant, la vie à sa mère.

D'après l'histoire, Charles-le-Chauve eut, de la reineErmentrude, six fils: Lothaire-le-boiteux, Pépin, Drogon,Charles d'Aquitaine, Carloman, Louis-le-Bègue et une fille,Juditlm.

1. flou, 11011 Ou flollon, lu-enfler due de Normn nudie, le I'Ofl)H O (le flOurécit d'aventures merveilleuses sur Rollon. Robert \Vace, xi'' siècle.

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De Richulde; sa seconde épouse, il «eut que des fils mort-nés ou morts en bas âge. Il n'est fait mention comme filleque de Judith (fui épousa le roi des Angles Elitelwulf, puisson fils Ethelbold et plus Lard, veuve, devint la maîtresse,puis l'épouse de Baudoin de Flandre.

La fille belle (le la légende, dont il «est pas question dansl'histoire, peut bien être une enfant illégitime. Charles-le-Chauve ne pouvait éprouver des scrupules à prendre unefemme de la main gauche, puisqu'avant d'épouser Richilde,il est dit qu'il la tint en concubinage '

Le petit-fils de Charlemagne, ne pouvait-il pas suivrel'exemple de soit qui entretenait à sa cournombre de maîtresses et dont les enfants illégitimes étaientélevés dans son Palais. Sans doute comme chez soitHaroun-al-Raschid

Donc, le Roi possédait une fille toute jeune et très-belle.

Plusieurs seigneurs de la contrée recherchèrent sa main.Il nous semble qu'une fille de roi ne pouvait être recherchéeque par des princes de rang égal et non par de simples sei-gneurs. Les règles inexorables de Charlemagne devaientencore subsister.. Ce passage paraît donc bien indiquer qu'ils'agit dune fille illégitime.

Le Roi fut accablé de chagrin à ces demandes, car il nevoulait pas se séparer de sa fille qu'il aimait fort. Encorel'exemple de l'aïeul 2• Charlemagne avait eu a de . la reineo bien-aimée Liulgarde, aussi pieuse que belle, des filleso tellement belles, quoique différentes, qu'il ne voulut« jamais s'en. séparer

Le Roi, ne voulant pas se séparer de sa fille, cherche le

I. Dom Bouquet, t. N 7 11. Index.2. Lavisse. Histoire de France, L. 111. p. 307. 1acbe11e, &lit., Poris.

1003.

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ls -.

moyen d'écarter les soupirants. sans les froisser car il -à de Ions les concours pour la défense du pays coutreles Norllimans. Il fallait si peu de chose, alors, pour pro-voquer des défections! -

Pour éloigner les amoureux, il fallait, poser une telle con-dition que personne ne pourrait l'exécuter et n'oserait plusdemander sa fille. Père heureux, il pourrait donc enc6re lagarder près de lui.- -

Il pensa beaucoup ii cela, purpensti, et pour en finir filappeler tons les jeunes seigneurs et leur ditqucpour sa /111e

avoir, il l'allait que celui qui voudrait la mériter puisse laporter entre ses bras, sans se reposer, en haut du Mont, parl'endroit le plus escarpé. -

Aussitôt quelques-uns essa y èrent-mais renoncèrent avantla moitié du chemin.

Depuis ce moment le Roi fut tranquille, personbe nevint plus demander sa fille, qu'il put chérir à son aise.

Pourquoi le Roi aimait-il tant cette enfant ?Charles-le-Chauve ne fut pas heureux avec ses enfants

légitimes qûi se révoltèrent sans cesse contre lui et qu'il dutfaire cloîtrer pour la plupart.- La fille, Judith, après avoir été deux fois reine des Angles,devint la maîtresse de Baudoin dc Flandre, comme nousl'avons déjà dit, et ne l'épousa que longtemps après.

Charles était très pieux, puisque -le surnom de Chauvelui vient de ce qu'il se faisait raser le dessus de la tête pardévotion.

Les rois carolingiens portaient les cheveux demi-longssigne de leur rang. Le chef couvert par sa coiffure, Charlesconservait sa distinction, les cheveux du tour de la tête étantépargnés. La tête découverte et prosterné, il présentait ainsila partie rasée en signe de soumission à Dieu.

Au moment où il habitait Pitres, de 861 à 869, mais sur-

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Lotit de 866 à 869, les peines (le famille l'accablaient: Inreine Ermentrucle, on rie sait pourquoi, s'était retirée àl'abbaye de Saiffi-Denis, où elle mourut en 869. Une assem-blée d'évêques, tenue à Pitres, lança l'anathème contre safille Judith è cause de son scandale.Son oncle Nithard, filsnaturel (le Charlemagne, et son fidèle historien avait ététué en combattant les Northinans. Roberlle_ForL. cellesouche des Capétiens, le vaillant champion vainqueur deenvahisseurs, tué à l3rissarthe 25juillet 866. Son lus Charlesd'Aquitaine en révolte avinée, ses autres fils conspirantsans cesse du fondde leurs , cloîtres. Sa soeur Irmengarde,qu'il affectionnait beaucoup, morte aussi. Enfin les North-man s le tourmentaient sérieusement, surtout après la mortde Nithard et celle de Robert-le-Fort.

Tous ces chagrins intimes l'avaient mis dans un état dedépressioncompréhensible, malgré les saintes exhorlationsde l'archevêque de Remis Hincmar.

On conçoit aisément q u 'il ait, dans un tel moment, con-centré toute son affection sur ctte fille, belle, aimable etcharmante.

Un des fidèles du Roi, vaillant seigneur du voisinage, leComte de Hasdans, avait un fils qui fréquentait assidûmentle Palais. où il était fort bien accueilli, il de sa noblesseet de sa distinction. Ce jeune homme conversait souventavec le Roi quile prisait fort. Il vit la jeune fille, ils se ren-contrùrenth la Cour,s'entretinrentsouventensem hIe et finirentpar s'avouer leur mutuel amour. Leur crainte était si grandede contrarier le Roi, qu'ils convinrent de cacher soigneu-senient leur sentiment.

Ils s'aimèrent loyalement, dit la légende.Mais ils souffraient, tant leur amour était grand 1 -Un jour, il vint vers elle et lui dit qu'il ne pouvait plus

souffrir davantage, qu'il lin était impossible dé la demander

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à son père, en raison de la terrible condition, si imprati-cable. I

11 était prêtà lui consacrer toute sa vie, si elle voulaits'enfuir avec lui.

Ellelui réponditque ceserai1agr(le folie de fil ensemble,elle ne pouvait s' y résoudre, car cela causerait grossepeiiie h soit bien-aimé, qui pouvait en mourir dedouleur. Elle ne pouvait donc pas entendre soitmais elle allait lui en donner un, qui pourrait les sauver.

En Salerne, elle a une -tante Irès-riehe, qui habité ce paysdepuis plus (le [renie ans. Elle sait les choses de physiqueet de médecine; s'il vent aller la trouver de sa pari, elle luiremettra un message qu'il portera. Sa pareille le recevrabien et composera pour lin un breuvage, fait de jus d'herbeset de racines, qui lui donnera grande vertu pour résister àla fatigue.

Ici, nous devons encore signaler une grosse erreur com-mise par beaucoup d'auteurs.

Tous ont cru qu'il s'agissait de la fameuse Salerne enItalie, célèbre par soit et dont les remèdes faisaient au-torité. Bien n'est plus erroné 1.

S'il se fût agi de la ville de Salerne, on aurait écrit• -. à

Salerne etnon e,S,1,iie,qui sous-entend pays de Salerne.Or, si nous consultons Charpillon, Laresme, Gatebled etLe Prévost, qui ont étudié l'histoire et les noms de lieûx del'Eure, nous constatons que Salerne près Brienne, dio-cèse de Lisieux, était divisée en deux parties Salerne lagrande et Salerne la petite, ce qui indique une osseimportance. Au xtve siècle, les deux paroisses, Saint-Cyr et

1. 0e a prétexté le savoir de la tante. en médecine, polir appuyer cettethèse. Nous savons qu'ù- tonie époque, les paysans de nos contrées onttoujours composé des i-enuides Ui-ès des plan tes et dont ils ont reçu lessecrets de leurs nseendn n ts. Les i-chou toux et les sorciers cii faisaient eten font encore. Aucu n na connu ni ne cbn naît Saierne (I talie).

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Saint-Pierre, donnèrent leurs noms, la première à Salerne lagrande et l'autre à Salerne la petite, noms quelles portentencore actuellement.

Il est donc plus vraisemblable que la jeune fille, par samère, issue d'une famille du pays, était apparentée dans lacontrée et non en Italie. D'autant que le pays de Salerne(Eure) avait soir importance, puisqu'en 864 tin Ademaire,prince de Salerne, convaincu de trahison, lors de l'invasiondes Northmans, eut les yeux. crevés On ne voit. pas Charles-le-Chauve faisant crever les yeux à lui prince d'italie àpropos des Northxnans. Ademaire est., de plus, un nomfrançais, commun à cette époque. Il s'agit, à n'en pas douter,du pays de Salerne en Neustrie

Reprenons la suite de la légende.Le jeune homme, heureux du conseil de la Pucelle, con-

voque ses amis les plus privés, prépare de riche cadeaux,une imposante cavalerie et part. -

La tante, à la lecture de la lettre, s'enquiert de la santédes siens, le reçoit avec afîeciion ellui fait prendre un breu-vage réparateur qui doit le fortifier et lui donner grandevertu. Puis, elle compose un philtre qu'elle met dans unvessel (petit vase) et renvoie le jouvencel en son pays.

On ne conçoit pas, à celte époque troublée, nu voyage enItalie pour rapporter un philtre clans tir vase.

Il revint, che vaueli ai) t plein d'ardeur, mais il ne séjomirnpas en sate'rre étayant remis un message de la tante à samie, il Vint trouver ic Roi sans retard.

Il est évident que cette hàte indique un voyage de peu dedurée.

Le Roi, qui lé tenait en estime, le reçut bien.Lorsqu'il eut entendu sa demande, il lui renouvela la

condition. Il chercha à le dissuader, lui faisant comprendreque c'était folie de vouloir tenter une chose où de plussolides que lui, vu son jeune âge, avaient échoué.

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Cependa ni. il consentit à l ' épreuve, Pensant bien que Jedamoiseau renoncerait comme les autres, avant la moitiédu Mont, et qu'il pourrait encore garder sa chère fille.

Rendez-vous fut pris dans la prairie, qu'arrose la Seineaitpied du MonL, à quelques jours de là.

La fillette, rassurée par la lettre de sa tante, se prépara à"épreuve. Elle priajoùr el, nuit et jçùna pour se plus pos-si hie ;iiléqer et, le jour venu, ne se vêtit que d'une longuechemise de lin pont- être encore plus légère.

Lejeune homme, muni de son philtre, fut le premierarrive.

- : Pu is, vinrent la Cour, les seigneurs et Lotis ceux de lacontrée enfin le foi avec sa fille.

Dès qu'elle apparut, liliale, dans sa chemise de lin blanc,avec .es longues nattes blondes suries épaules, ce fut parmiles ashistauts une loJigue rumeur d'admiration, tant elleétait belle Lejeune homme, fou d'amour à cette appamitionadorable, se promit clé, lamériter coûte que coûte et rie crutpas avoir besoin du breuvage, tant son ardeur étaitgrande.-- Il s'avança et la prit dans ses bras, prêt à s'élancer. Mais

- elle, l'une très-douce voix, lui rappela le philtre elle pria- dele lui remettre. -

11 obéit et partit à grande allure, gravissant, saris faiblir,le Mont pins d'à moitié.

Il était si heureux de porter le précieux fardeau qu'il redou-bla d'ardeur.

Mais, elle sentit qu'il pliai!.Ami, f-iii-elle. ami, buvez,Je sen.s bien que vous vous bissez.

Il lui répondu, qu'il sentait battre son coeur très fort,mais qu'il ne voulait pas interrompre sa course pour boire,

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parce que, si peu longuement qu'il ralentisse, les gens dupeuple qui les suivaient, létourdiraienide leurs cris et l'irri-teraient, ce quilui ôterait des forces; que, de plus, il voulaitla mériter par lui-même.---

Arrivé aux deux tiers du chemin, il faiblit tant qu'il faillittomber. Elle le supplie encore de boire. -- -

Mais il s'obstine à ne vouloir , la mériter que, par son cou-rage, tant il l'aime. Il s'épuisait de plus en phis

Elle était convulsée d'angoisse!Enfin, il arrive en haut du Monte! tombe pour ne plus se

relever, son coeur s'étant arrêté de battre!La jeune fille croit qu'il est évanoui, elle s'agenouille près

de lui et veut lui donner la liqueur du vase Mais, hélas il ne pouvait plus parler et mourut, lui don-

nant, comme dernier adieu, un long regard chargé de ten-dresse indéfinissable.

Elle pousse alors des cris douloureux et folle, jette auloin le vase qui se brise. Le liquide se répand sur le Montet, depuis ce temps, croissent à cet endroit des herbes mer-veilleuses qui guérissent bien des maux1.

Puis, elle prend entre ses bras le corps du bien-aimé, lebaise éperdument! Son coeur se rompt dans une crise d'atrocedouleur et elle meurt près de lui en' l'appelant doucement,bien doucement, comme au temps où ils conversaientd'amour I

Ainsi moururent ces deux enfants qui eurent le nom desDeux-Amants.

Le Roi et les seigneurs qui étaient restés en bas avec JaCour, voyant qu'ils ne revenaient point, montèrent sur leMont et trou vèreitmorts les cieux amants 'enlacés. Aussitôtle peuple se lamente et le Roi s'évanouit de chagrin. Au

I. Les hotanistes recherchent sur le Mont: la viola flotoniaçjensis et laphy(emna orhicu ?aris do herbe d'amour, qui y poussent rit abondance.

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bout d'un long temps, lorsqu'il reprit ses sens, il sanglota,inconsolable et le coeur plein de deuil, il pria avec toutel'assemblée'pendani trois jours auprès des corps.

Il fil construire un magnifique sarcophage en marbre,enrichi d'or, dans lequel furent ensevelis les cieux en-fants.

Un monastère de nonnes et de moines fut fondé sur lelieu méme, sous le vocable de Sainte-Marie-Magdeleine.

Des prières devaient être dites jour et nuit pour le reposde leurs âmes: les nonnes pour la jeune, fille, les moinespour le jeune homme.- Le sceau du monastère représentait une tête de jeunefille et celle d'un jeune homme.- 'Vers 'la moitié du mie siècle, le monastère était devenu

trop petit pour le nombre toujours croissant des nonnes etmdiues 1 L'archevêque de Rouen, Gaultier, grâce à lagénérosité de Robert, comte de Leicester, fonda l'Abbayede Fontaine-Guérard, dans la vallée d'Andelle, non loinde Ià 11 y fit transférer l'élément féminin du monastère duMont. On continua h prier, dans la nouvelle abbaye, pour

'le repos des âmes des Deux-Amants.C'est ce qui a établi tant 4e confusion dafis les divers

récits qui furent faits de la légende.Un peu plus d'attention et moins de négligence à con-

sulier les textes anciens eussent épargné à certains auteursl'es erreurs regrettables qui se sont produites.

Nos lecteurs voudront bien nous pardonner ces lohguesexplications, mais ils reconnaîtront que, pour corriger lesfautes d'interprétation, il faut s'appuyer sur de nombreuxdocuments et les commenter cI'abondance

Pour rendre plus facile la lecture dti lai original de

I Charpillun, Dictionnaire de lEur,:. Les Andelys, De1croix,jdit.18713.

D

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Marie de Franed, nous avons essayé (l'en traduire les versen langage accessible Nous avons- moins voulu faire uintraduction qu'une adaptation en respeclani le plus - 1iossibi-e-le sens, la naïveté et les termes du lai des Deux-Amants.

Nous nous sommes efforcé de conserver le plus grandnombre de rimes, ne remplaçant que celles qui étaientincompréhensibles cii impossibles 1 . Les règles de versili-

- - cation du xII e siècle, n'étant pas aussi sévères que cellesd'aujourd'hui, iestiiatus existent nombreux dans les vers del'époque il ndus a fallu les ex purger. -- Le lecteur nous accordera son indulgence, lorsqu'il cons-Laiera, en comparant les deux lexies, les efforLs • qu'il nousn fallu faire pour conserver au style l'idée initiale cl lecharme qui règnent sans coutesle dans les vers originaux.

Noire adaptation ne saurait être parfaite, mais elle- a lemérite d'avoir été établie conscienôieusemeui.

Nous croyons avoir réussi à assigner à la légende sa véri-table époque. -

La haute Normandie, l'ancienne Neustiie, fui toujoursun pays merveilleusement beau.

De si grands événements s'y déroulèrent, que le poète etl'hislorien s'y rencontrèrént souvent à la recherche des sou-venirs, et apprirent à l'aimer.

Nul, plus que nous, ne fut enthousiaste de ce payssuperbe. Notre enfance s ' y écoula dans les vallées del'Epte,de l'Iton, (le l'Andelle, (le l'Eure ci de la Seine. Inutile dedire pourquoi se développa clic) nous le sentiment d'admi-ration sans bornes que nous portons à la belle N ormandie.

Notre coeur connut les premières émotions du jeune âgeen entendant de la bouche d'un pâtre, sur le Mont même,le récit des malheurs des infortunés Deux-Amants.

4. Pour serrer de plus près letexte, la règle de lentrelacc men t des rimesII 'O MIS été SLIiViC -

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Nos rêveries nous surprirent parfois sur les ruines cou-ternrraines de ces faits. Hélas! il faut nous écrier avecl'auteur les ruines mêmes ont péril 1 -

Nous nous prôinimes, dès cette époque, de rechercher unjour, aux sources mênies, la légende complète et originale.

Nous croyons avoir réusstt nous en sommes fier, parceque nous avons apporté noire modeste pierre nu monumentdes souvenirs de noire cher et immortel pays. -

A.-L. I)URDAN

J. « E tia ni poriet-e milite ii. (Lucain, Pha rsa le, IX).

Paris, juillet 1907.

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LAI DES DEUX-AMANTS

Légende JVeust,'ienne de Marie de Franco

OH ICI NAL

Jadis avint en NormendieUne aventure mute aïeDe. Deux-Amans qui s'entr'amèrenfPar Amnr ambedeus- fluèrentTin Lai en firent les BretonDes deux amants reçut le nom.

- Vérités est lie en Neustrie -Que nus apeluns NormendieAd un haut Munt merveilles graM,Lit-sus gisent li Dui Enfant.Près de ccl Munt à une partPar gçant conseil é par Sgart,Une cité flot faire un RoisQui estait sire de PistreïsDes Pistréïns.la fist nuinerE Pistre la flot apelerTuz-jurs ad puis duré li numsUn core i ad vile è meisunsNus savuns bien de la Cuntréc

20 Li vals de Pistrs est numéeLi Reis ot une fille béleMut eurteïse dameisèle;Cunfortez fut par la mesehinePuisque perdue et la ReïnePlusurs ii mal li aturnèréntLi suen niesne L h1smèrentQuant il aï qu'hum en parlaMut fut dolent, mut li pesa;

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Curnença sei à purpenserCument s ' endélivrer,Que nui sa Bile ne queristE iniuz, è pr è1z, manda et distRi sa fille vodreitaveir;Une chose seiist de voir, -Sortiz estait Ù, destinéDe sur le Miinz fors la citéEntre ses bras la portereitSi que ne se reposcreit.Quant la nouvele hit. conneuc

40 E par tute la mitrée, soue•

Assez piusors Si i alèrentQui nule rien n'i espleitèrent.E tuz ceus qui tant s'esforçoent

Qui emmi le Mimt la portoen L.Ne poient plus avant alereU lui, estent laissier ester.Longtens rernist cele ii douerQue nul ne la volt demander.Al païs et, un DamiselFiz à un Cunte; gent è belDe lien faire, pur ;iveir pris.Sui- tus autres s'est entrevuisEn la cour le Roi conversotAssez souvent j sejurnot

/ La tille al Roi muaE maintefeiz i'areisumaQu 'de s'anujrIi ostreinsiE par franco druerie I 'ainastPur ceo lc'il est priiz è curteis

GO E pur le prisot Ii BeisEnsemble parlèrent soventEt sentranièrent léaument, -Et celeraient ii lur paeïr.Que hum nos' puist aperceveir.La sutîrancé- mut leur grevaMoi ii valiez .se 1nu'pensa

D

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Que meuz en volt les maus sutTrirQue trop haster è dune faillir;Mut; fu pal' li amur destreizPuis avaient si qu'à une feizQu'a s'ai-nie vint ii DamiséasQui tant es sages r puis ès heasSi plainte li musira è distAnguissusement li requistQue s'en ainsi ensemble od lui,Ne poeït niés su[îrir l'ennuiSi à sun père la demandot11 saveit bien que tant l'amotQue pas ne li vodreit duner

SO Si il ne in puistaporterEntre ses bras ensum li Munt.La Darnisèle li respuntAmi, fait de, jeo sai bienSi ne nie porteriez pur rienN'estes mie si vertuusSi je m'en vois ensemble ad vus,Mi Père nuerait è doel è ireNe vivereit mie sanz marbreCertes tant Faim è si lait chier,Teo net' vodreit eurucierAutre cunseil vus estueit prendre,Kar cest ne voil.-jeo pas entendre,En Salerne ai une ParenteRiche femme, mut a grant rentePlus de trente ans j ait estéL'ait de phisike ad tant uséQue mut est saines de meseinesTant cunust herbes à racinesSi vus à li volez aler

106 E mes lettres ad vils porter,E mustrer ii vostre aventureEtc en prendra cunseil è cureUns lettuaires vous dunratE tees beivres vus taillerat

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Que lut vus recunforteruntE. boue verlu vus cliinrunt.Quant en ceste païs reviendrezA mun Père me requérez11 vus en tendratpur enfant,Si vus dirai le cunvenant,Que R nul hum ne me dunratJà cele peineni mettraSi al muni ne me peust porterEntre ses bras sans reposer.Li va]lez oïia novèle,E le eunseil è la PuceleMut en fut lié, si la merde,Congé demande à sanie.Er sa contrez en est niez

120 1-lastivement s'est atornezDe riches dras è de diversDe palefrois è de sumers,De ses humes les plus privezA la Danzeas od .sei menezEn Salerne voit séjurnerA latente s'nne vet parler

•-De sa part li dunrat un briefQuant el lot lu de chiefen ehiefEnsemble od li l'a retenuTant quesun estre ad tant senPar mescine lad esforcié, -Un tel heivre Li ad chargié,,là ne sera tant travailliezNe si ateint, ne si chargiez.Ne li resfrechir tut le corsNeis les veines, ne les os,

• E qu'il en eit tele vertuSi tost envi il en aura bu,Puis le remeine en sua païs

140 Le heivre ad en un vessel misLi Damiseas bios è liez,Quant arière lu repeiriez

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M

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Ne séjurnat pas en sa terre.Al llei nIa sa fille qiière,Qu'il li dunast il la prendreitEn surit le Munt la portereitLi Bois nel' eseunctuit miMès mut le tint h grant folie,Pur ceci qu'il iert de jéone âge;Tant produm, è vaillant è ageTint asalé mole afaire

/ Ki n'en purent à nul ehief traire.Terme li n mimé et pris,Ses hume mande è ses amisE tus ceux kil pocit avoirNe li laissa nul remaneir -Pur sa Fille, pur le Voilez-Ni en aventure se met,De li porter en sum le Munt.

160 De tutes pan venus j saint.La Darnisèle s'aturnaMut se destreint, è mut julia,E à manger pur àlégerQu'od suit ami voleit aler.Al jur quant tuz furen t venuLe Dameisel premier j Lu,Sun heivre ni ublta mieDevers seigne en la praéri&Eu la grand gent tut assembléeLi Reis ad sa Elle menée.N'ot drap veslu fors la chemise;Entre ses bras,l'avait oit prise.La fiolette od tut suit beivre.Bien seit qu'etc net' vaut deceivreEn sa main porter li baille,Mès jeu ereins que pci ii vaille -Kar n'ot en li point de mesureOd lui 'en voit grant aléureLe, Munt inunta desi qu'en mi

ISO Pur la joie qui! 0d de li

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Dc suii heivre lie Ii mem];rïiEle senti qu'il abaissaAmis, fet-ele, kar hevezho sai bien que vs vus lassezSi reduvrez vostre vertuLe Damisel n responduBele, jeo sens tut fort mun querNe ni'arestei'eie à nul Fiier

• Si lungement que jeo beussePur que très pas, nier peusseGeste gent mes escriereidntDe lui' noise m'esturdireient

- Tost ne porreïet desturberJO nef voit lias ci tirester.Quant les deux pan 'fil monté suzPur un petit qu'il ne chiet jusSoveirt Ji prie la MeschineAmi, hevez vostre mesdine.h ne la volt oïrne creire,

200 A grant anguisse od tut l'eire,Sur 'e Munt vint, tant se greva,I leoc ehaï, puis ne leva'Li quors del' ventre s'en parti.La Pucelle vit sun ami,Onida qu'il fust en .pameisunsLez lui se met en genuillunsSun beivre Li voleit'dunerMès il ne put od lui parler,Issi murut cum jen vu di,

s Ele le pleint à must haut criPuis a jeté è espencluLe yeissel u le beivre LuLi Muns en fu bien avusez,Mut en n esté amendez,Tut le païs è la mitrée,Meinte boue herbe unt trovée,Ni dcl' beivre orent racine.Or vus dirai deia Mesehine,

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Puisque sun ami et perdu,220 Unkes si dolente ne Lu

Les lui se cuche è- estentEntre, ses bras l'estreint è prent,Sovent ii baise oH è bucheLi dols dcli ai' quor la tucheIlet nturut la DameisèleQui tant es pruz, è sage, è heic.Li Rois è cil iur atendeientQuant unt'vu (lue il ne veneientVunt après eus sis uni Irovez,Li Reis chiot à terre paumez,Quant Pot parler, grand dol dérneinelu si tirent la gent foi'eineTreis jurs les unt tenu sur terreSarcu de marbre firent quereLes deuz Enfans tint mis dedanzAd nuis li Muni, des Deux-AmanzIssi avint eum dit vus ai

238 Li Bretun en firent un Lai.

D'itt (les vers de Marie de France.

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LAI DES DEUX-AMANTS

ADAPTATION

Jadis advint en NormandieL'aventure souvent ouïe,De deux amants qui s'entr'aimèrentEnsemble d'amour expirèrentEt le lai qu'en fit un BretonDes Deux-Amants, reçut le nom. - -Fait véritable est qu'en Neustrie,Que nous appelons Normandie,S'élève un grand Mont mefveilleuxOù gisent les deux malheureux.Près du Mont, à certaine part ,Par grand conseil et par égard,Cité, fit y faire un ReisQu'était Sire de PistreïsDes Pistreïns les lit nommerEt Pistres la fit appelerToujours depuis restent les noms,

- Voyez encor ville et maisons.Et tout près de là, la vallée

20 De Pitre est encore appelée.Le Roi possédait fille belle,Gente et courtoise damoiselleDont naissance coûta la vieA la Reine, femme chériePlusieurs seigneurs la recherchèrentPour femme, et sa main demandèrent.

1. Certaine distance.2. Roi.3. Pays de Pist-,'es.

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Mais quand au Roi ion en parlaUn très gros chagrin t'accablaRêveur, il se mit à penserAux sûrs moyens de repousse!'Ceux qui voulaient la lui ravir.Les convoquant pour en finirIl dit que, pour sa fille avoir,Une chose serait de voirSi sur le Mont, hors la cité,A l'endroit le plus escarpéLe prétendant pourrait porterDans ses bras, sans se reposerL'enfant. La chose fut connue

40 Vite, et, par tous le pays, sue.Tout aussitôt, plusieurs allèrent,Les obstacles pas n'arrêtèrent:

• Et tous ceux qui tant s'efforçaient• - De gravir le Mont, la portaient,• A mi-côte durent rester

Et ne purent plus avancer.Ils finirenï par renoncer,

• Nul ne vint pour la demander.Or, du pays, un damoiseauFils d'un comte, gentil et beau,Bien fait et de noble tournure,Bon 'cavalier, belle figure; -En la Cour du Roi conversait.Assez souvent y séjournaitLa fillette il y rencontraEt maintes fois lui déclara-

• Que son coeur palpitait pour elleEn fut éiue alors la belle ISon langage était très courtois,

60 Qualité que prisent les rois.Ensemble ils parlèrent souvent •Et s'aimèrent loyalement.

• Ils employèrent leur pouvoir-- A ne pas laisser entrevoir •

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La souffrance prr les grevait. -Et le mai qui les accablait,Préférant tous les maux souffrirplutôt que risquer de Ln il li1'.Beaucoup gr:indissait leur amourEt. les tour'mentail. nuit et joui..Vois elle, vint le DamoiseauQui tant était sage et si beau.Sa peine (lérnon ha, lui ditAvec angoisse il la requitDe s'enfuir au loin avec luiQue faisait trop souffrir ]'ennuiSachant , que, s'il la demandait,Le Roi, père f i ni tau t. l'aimait,Né voudrait pas la lui donner

80 S'il n 'ii ni y ait è la porter.Entre ses bras en haut du Mont.!La Demoiselle lui répondAmi, tendre ami, je sais bienQue me porteriez, pour tout bien,Mais nous serions de vrais fousSi je m'en u liais avec vousMon père aurait deuil et colère,Martyr, mourrait sans fille chèreTant l'aime que je ne puis tomberEt ne voudrais le coui'i'oucer,Un autre conseil se doit prendreCar le Vôtre ne peut s'entendreEn Salerne, j'ai ma parente.Riche femme, possédant m'ente,Qui reste là depuis trente ans,,Et l'art (le ph y sique use laill,Qu'elle sait toutes médecines,Composés, jus d'herbes, racines.Si la voir; vous vouler aller.

100 Aussi nies lettres lui porte',Lui conterez notre aventure,Vous conseillera femme sûre!

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Instructions VOUS donnera-Et des phil Lits préparera

Qui tant Nous réconforteront,Fit bonne vertu donneront.Quand dans ce pays reviendrez,Au Roi, vous me demanderez,ii vous entendra, pauvre enfant,Et vous dira le con \'Cflfl nIQu'à nui homme me donneraSi, celte peine n'omettra,Sur le Mont ne peut me porter

•Dans ses bras sans se reposer.L'Amant entendit la nouvelleEt le conseil de la Pucelle,En fut heureux, la remercie,Son congé demande à sa mie.En Salerne. s'en est allé,

-120 Son bagage il n composéDe riches draps, cadeaux divers.Palefrois de harnais couvertsDe ses amis les plus privésA fait choix. lis sont arrivésDans le pays pour séjourner.A la tante il va présenterDe la part de sa mie un brefLorsqu'elle eût lu (le chef en chef,Nouvelles des siens demanda.Apprit la chose le garda,De suite l'a réconfortéAvec un breuvage enchantéPuis composa philtre fameux

- Dont l'èlîet vraiment merveilleuxDevait transformer rendre kits12e sang, les veines, tout le corpsLui conférer grandie vertuAussitôt qu'il en aurait bu,

-1. i\!ot. 01-igloo] rois là pour conventions.

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Et le renvoie en soitLe philtre clans un vase mis.Le .Jouvenceau fol de bonheurRevint, chevauchant plein d'ardeurChez lui, niais ne Séjourna guère,Fui au Roi, lui fit la prièreD'avoir sa 1111e, il la prendrait.En haut du Mont la porteraitOn l'écoula sans raillerie,Mais le Roi le tint en folieParce qu'il -était de jeune tgeQuoique prudent, vaillant et sageOù d'autres, forts, en cette affaireRenonçaient_ que pouvait-il faire ?Rendez-vous, par les deux, Fut pris

140 Ils convoquèrent leurs anusEt tous ceux qu'ils purent avoir.Le l-loi, peu, ne laissa sursèoirA l'épi-cuve (lu jouvence1Qui ne, craint pas fol du moiselPoiler sa Fille sui le Mc.int.

4GO Mais il n'atteindra pas Fan tout.l.M Demoiselle s'apprêta.Prières lit, beaucoup jeûna,Pour le plus possible allégerLe fardeau q «il devait porter.Au jour dit, lorsqu'ils appai'urenl,Lui le premier, en bas ils furentAu pied iu Mont dans la prairie,Le philtre clans sa poterie.Quand fuI, complète l'Assemblée,Le foi venu, fille amenée.A vec, pour habits, %,aEntre ses bras il l'avait prise.Mis le breuvage dans sa main.

- Pensant n'en avoir pas besoinNe niant pas pourtant que vailleJus précieux qui-ravitaille.

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- !ÈO -

Il partit donc à grande ail meCourut vaillamment, sans mesure ILe Mont gravit plus d'à moitié,

180 Joyeux, porter sa mie à pied,Tant que son breuvage oubliait.Elle sentit bien qu'il pliaitAmi, fait-elle, mn j, buvez,Je sens bien que VOUS vous lassez,Ah! recouvrez votre vertuLe Danioisel n réponduBelle, je sens très fort mon coeur,Point n'arrêterai mon labeurSi peu longuement que je busseRalentirait mes pas l'astuceDe tous ces gens qui s'écrieraient,Et sans cesser m'étourdiraient,M empêchant de continuer,Non je ne peux pas m'arrêterLorsqu'aux deux tiers il atteignitFaiblit tant, que tombe[, faillitSouvent pria la baclieletteAmis, buvez le jus d'lierbette I11 ie veut l'entendre ni croire

200 Mais eût grande angoisse et déboireArrivé sur le Mont, tombaEpuisé, point, ne releva!Son coeur s'arrêta tout meurtri..i.a Pucelle voit SOI) ami --Tombé, le croit en pâmoison,S'agenouille et pour guérisonLe breuvage veut lui donnerHélas I il ne peut plus parler.Il mourut comme je vous dis,Elle pleure et pousse des cris,Jette à ses pieds, liqueur, et vase.Et folle de douleur l'écrase.Le Mont en fut tout arrosé,Depuis plus d'un fut avisé

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Dans le pays et la contréeQue h,, bonne herbe s'est trouvée,Qui guérit, par vertu nouvelle.0r ça, voyant la Damoiselle. -Que son cher amant est perdu,

220 Son coeur dé douleur éperduPrès de lui, se couche et le prendEntre ses bras, puis. doucem'entL'appelle et baise sur la bouche ISon coeur se rompt! douleur faroucheAinsi mourut la gente, belle,Aimante et sage j ouvencelle ! -Le Roi, la Cour, en bas étaient,

• Quand virent que point ne venaient,Montèrent. Morts les ont trouvés .Le Roi s'évanouit auprès.

•- Quand se remit, eut peine ardenteLe peuple avec lui se lamente:Trois jours prièrent près des corps,Quérirent marbre enrichi d'ors,Les deux Enfants mirent dedansPar le conseil de tous les gens.Puis su? le Mont les inhumèrent.Après chez eux sen retournèrent.Par l'aventure des EnfantsNommons ce Mont des Deux-AmantsAdvint ainsi que je vous lai

238 Dit, les Bretons firent ce Lai.

Fin de l'adaptation.

31 ACON, rnOTAT Fil IB8S, I .I I RI MEU Ii S.

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