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Le lien de causalité, talon d’Achille de la responsabilité pénale

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Page 1: Le lien de causalité, talon d’Achille de la responsabilité pénale

Droit Déontologie & Soin 8 (2008) 176–185

Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com

Jurisprudence

Le lien de causalité, talon d’Achillede la responsabilité pénale

Audrey Bronkhorst (Élève avocat)Centre régional de formation professionelle, 21, rue Sébastien-Gryphe, 69007 Lyon, France

Disponible sur Internet le 23 juillet 2008

Résumé

La responsabilité pénale focalise l’attention sur la faute. Or, en jurisprudence, la discussion porte surtout surle lien de causalité, qui doit être certain. Trois récents arrêts de la Cour de cassation soulignent l’importancedu débat sur la certitude du lien de causalité.© 2008 Publie par Elsevier Masson SAS.

De la manière la plus classique, la responsabilité pénale des professionnels de santé résulte dela combinaison de deux textes.

Le premier est l’article 221–226, alinéa 1, du Code pénal, « le fait de causer, dans lesconditions et selon les distinctions prévues à l’article 121–123, par maladresse, imprudence,inattention, négligence ou manquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposéepar la loi ou le règlement, la mort d’autrui, constitue un homicide involontaire puni de trois ansd’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende ».

Le second est l’article 121–123 du Code pénal, auquel se réfère expressément l’article 221–226.Il dispose qu’il y a délit, lorsque la loi le prévoit, en cas de faute d’imprudence, de négligence ou demanquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, s’il estétabli que l’auteur des faits n’a pas accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant,de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et desmoyens dont il disposait. Dans ce cas, les personnes physiques qui n’ont pas causé directementle dommage, mais qui ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation dudommage ou qui n’ont pas pris les mesures permettant de l’éviter, sont responsables pénalements’il est établi qu’elles ont, soit violé de facon manifestement délibérée une obligation particulièrede prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit commis une faute caractériséeet qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité qu’elles ne pouvaient ignorer.

Adresse e-mail : [email protected].

1629-6583/$ – see front matter © 2008 Publie par Elsevier Masson SAS.doi:10.1016/j.ddes.2008.05.002

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Dès lors que le préjudice n’est pas contestable, notamment s’il y a eu décès, la juridiction doits’assurer de la certitude du lien de causalité avec un fait médical, puis qualifier ce fait de fautif ausens de l’article 121–123 du Code pénal. Trois récents arrêts de la Cour de cassation soulignentl’importance du débat sur la certitude du lien de causalité.

1. Première espèce : un lien de causalité certain (Crim., 18 septembre 2007, no 07-80037)

1.1. Les faits

Daniel Y., atteint de polypose nasoethmoïdale récidivante, a subi, le 11 juin 2003, une ethmoï-dectomie pratiquée dans une clinique par Jean X., médecin spécialiste en otorhinolaryngologie.Le patient, qui n’a pas repris connaissance à l’issue de l’intervention, est décédé le 13 juin àl’hôpital où il avait été transféré.

L’autopsie a conclu que la mort était consécutive à une hémorragie méningée provoquée parla lésion d’une branche de l’artère cérébrale, secondaire à l’effraction de la lame criblée del’ethmoïde par un instrument chirurgical. Une information a été ouverte, au cours de laquelle aété ordonnée une expertise, confiée à un collège de trois experts, puis un complément d’expertise,réalisé par les mêmes praticiens, et enfin, un nouvel examen, confié à un quatrième médecin, desrésultats du scanner et de l’artériographie effectués lors de l’admission du patient à l’hôpital. Lemédecin a été renvoyé devant la juridiction correctionnelle du chef d’homicide involontaire. Il aété reconnu coupable de ce délit, que l’arrêt a été déclaré opposable à son assureur.

1.2. L’arrêt de la cour d’appel

La cour d’appel a analysé les faits de la manière suivante.

1.2.1. Sur le lien de causalitéÀ l’issue de l’intervention pratiquée... le 11 juin 2003, Daniel Y. a présenté des signes de

mydriase bilatérale consistant en la dilatation de la pupille des deux yeux, caractéristique desouffrances cérébrales.

Le dernier prélèvement effectué sur la partie droite de la cavité nasale du patient a révélé,après analyse anatomopathologique, la présence du tissu glial, c’est-à-dire d’origine cérébrale.Cette perte de substance a également été relevée sur le scanner postopératoire réalisé le 11 juin2003, ainsi que lors du prélèvement intrabuccal pratiqué le 13 juin 2003 et enfin sur les clichésphotographiques de l’autopsie du 19 juin 2003.

Par ailleurs, l’expert indique que le scanner réalisé en urgence le 11 juin 2003 « permet dedécrire les lésions osseuses, ici une brèche de la lame criblée de 16 mm de long sur 4 à 6 mm delarge ».

Le rapport d’expertise complémentaire du 10 novembre 2004 relève qu’aux incertitudes demesure près, les images radiologiques du scanner du 11 juin 2003 correspondent, tant pour laforme de la perte de substance que pour ses dimensions, aux photographies de l’autopsie du19 juin 2003, et qu’il doit être déduit de ces observations que les lésions cérébrales constatéesétaient déjà constituées lors de l’admission de Daniel Y. au centre hospitalier. En effet, même siles mèches placées par le Dr X. en fin d’intervention ont pu être changées postérieurement auscanner et avant l’autopsie du 19 juin 2003, ce qu’aucun élément du dossier ne permet d’affirmeravec certitude, les experts sont formels pour préciser que « leur mise en place n’a pu modifier leslésions osseuses déjà observées sur la lame criblée de l’ethmoïde ».

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En outre, les experts indiquent que le prélèvement de fragments biologiques, stagnant dansla cavité buccale effectué le 13 juin 2003, n’est pas à l’origine d’une quelconque modificationde la brèche située sur l’ethmoïde, la présence de tissu cérébral s’expliquant « par l’expulsion dematière cérébrale par la brèche, du fait de la pression intracrânienne élevée, en rapport avec un“œdème cérébral”». (D 387).

Le rapport d’expertise anatomopathologique du 3 octobre 2003 mentionne que « le tissu céré-bral est normalement structuré » (D 363). De plus, aucune lésion de type anévrisme cérébral n’aété identifiée. Dès lors, il est indubitable que les lésions à l’origine du décès du patient ont étécausées à l’occasion de l’ethmoïdectomie réalisée par le Dr X.

S’agissant de l’origine de ces lésions, le rapport d’autopsie du 19 juin 2003 évoque « uneeffraction de la partie droite de la lame criblée de l’ethmoïde, vraisemblablement par un instru-ment chirurgical, au cours d’une intervention pour polypes nasaux »... observation confortée parle collège d’experts missionné par le juge d’instruction.

Il en résulte à l’évidence que le décès de Daniel Y. est en relation directe, certaine et exclusiveavec les lésions d’effraction liées à l’action d’un instrument chirurgical pendant l’intervention,étant précisé que « l’origine de la pénétration de cet instrument dans le crâne est de l’avis desexperts due à une erreur de trajet, répétée à plusieurs reprises ». En effet, le collège d’expertsconclut que « l’effraction de la lame criblée droite de l’ethmoïde et les lésions cérébrales sous-jacentes trouvent leur origine dans l’action d’un instrument chirurgical muni d’une actioncoupante et de préhensions » et ces mêmes experts précisent, dans leur rapport complémen-taire, que la pince de Freche Citelli que le Dr X. reconnaît avoir utilisé lors de l’opération enquestion était « inadaptée » et « présentait toutes les caractéristiques requises pour entraîner cetype de lésions », s’agissant d’un instrument trop rectiligne au regard du trajet nécessité pourl’intervention.

1.2.2. Sur la fauteCompte tenu de l’ensemble de ces éléments, et en accord avec le collège d’experts, il y a lieu de

conclure que « le décès de Daniel Y. est en relation directe, certaine et exclusive avec les lésionsd’effraction liées à l’action d’un instrument chirurgical pendant l’intervention », étant préciséque « l’origine de la pénétration de cet instrument dans le crâne est due à une erreur de trajet,répétée à plusieurs reprises ».

Il convient, en outre, de relever qu’il résulte des rapports d’expertise et des déclarations du DrC. que les yeux du patient étaient recouverts par un champ opératoire et, ce, sur « toute la tête dupatient avec seulement un orifice réservant le nez et la lèvre supérieure », ce qui, eu égard à lanature de l’intervention, constitue aussi une imprudence fautive.

Ces erreurs de trajet répétées, l’utilisation d’un matériel inadapté et d’une organisation défec-tueuse de l’opération, caractérisent la faute, et la cour d’appel a condamné le médecin pourhomicide involontaire.

La sanction prononcée est de 18 mois d’emprisonnement avec sursis, 20 000 euros d’amendeet six mois d’interdiction de l’activité de chirurgien.

1.3. Les moyens en défense du médecin

Le médecin formait devant la Cour de cassation trois critiques :

• En décidant, néanmoins, que le Dr X. s’était rendu coupable du délit d’homicide involontaire enraison de l’erreur de trajet qu’il aurait prétendument commise lors de l’intervention chirurgicale,

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sans constater qu’il aurait été établi que le Dr X. n’aurait pas accompli les diligences normales,compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétencesainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait, la cour d’appel a violé les textes susvisés.

• Tout jugement doit, à peine de nullité, être motivé et le motif dubitatif équivaut à un défaut demotif. En se bornant à affirmer, pour en déduire que le médecin avait commis une faute de natureà engager sa responsabilité pénale, que le décès de son patient aurait été “vraisemblablement”causé par un instrument chirurgical qu’il aurait utilisé lors de l’intervention, la cour d’appels’est prononcée par un motif dubitatif.

• Le délit d’homicide involontaire suppose l’existence d’un lien de causalité certain entre la fauteet le décès. En se bornant à affirmer que le fait, pour le médecin d’avoir recouvert les yeuxdu patient par un champ opératoire constituait une imprudence, pour en déduire que le délitd’homicide involontaire était constitué, la cour d’appel, n’a pas caractérisé un lien de causalitéentre la faute reprochée au médecin et le décès du patient.

1.4. L’arrêt de confirmation par la Cour de cassation

La Cour de cassation répond.Pour déclarer le prévenu coupable des faits reprochés, l’arrêt retient qu’il résulte des pièces

médicales du dossier que le décès du patient est en relation directe, certaine et exclusive avecles lésions d’effraction liées à l’action d’un instrument chirurgical pendant l’intervention, lapénétration de cet instrument dans le crâne résultant d’une erreur de trajet répétée à plusieursreprises. Ces énonciations, dépourvues de caractère dubitatif, caractérisent l’absence de diligencesnormales du chirurgien, compte tenu de la nature de ses fonctions et de ses compétences ; la courd’appel a justifié sa décision.

2. Deuxième espèce : doute sur la certitude du lien de causalité (Crim., 18 septembre2007, no 07-80037)

2.1. Les faits

Une patiente est décédée le 5 octobre 1998, à 8 h 40, à l’âge de 34 ans, à l’hôpital Cochin, àParis.

L’enquête et l’information ont permis d’établir que, prise en charge à 2 h 55 après avoir troubléson voisinage par ses cris et avoir causé un début d’inondation, la patiente avait été conduitedans un car de police-secours au service des urgences de l’hôpital Bichat, où, à 4 h 10, LouisA., psychiatre de permanence, après un bref entretien avec elle et en l’absence de tout examensomatique, avait préconisé son transfert à l’infirmerie psychiatrique de la préfecture de police.

Au cours de ce transport, après deux stations, l’une au commissariat du 16e arrondissement,où un rapport relatif à ce transfert avait été établi, l’autre au siège de la première délégation depolice judiciaire, dans le 17e arrondissement, où se trouvait le commissaire de permanence, lapatiente avait été victime, à 5 h 39, dans le véhicule de police, d’un malaise dû à une hypothermieà la suite duquel la décision avait été prise de la conduire à l’hôpital Cochin. Des manœuvres deréanimation avaient été vainement entreprises sur la malade, d’abord dans ce véhicule, par lespoliciers, et, à partir de 6 heures et pendant une demi-heure, par un médecin des sapeurs-pompiers,ensuite à l’hôpital Cochin, à son arrivée, à 8 h 30.

Les deux experts désignés par le juge d’instruction ont conclu que la patiente est décédée desconséquences d’une hypothermie majeure par exposition au froid. L’absence d’examen soma-

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tique, l’absence de prise de constantes n’ont pas permis d’entreprendre des gestes de secourismeélémentaire et d’orienter la patiente vers un service de réanimation médicale pour y bénéficierd’un réchauffement. Un troisième médecin, commis par le juge d’instruction, soulignait en toutétat de cause, qu’un examen bien conduit comprenant la mesure d’une variable aussi simple quela température aurait, à coup sûr, permis au moins de débarrasser la patiente de ses vêtementsmouillés et très probablement de détecter déjà une hypothermie.

L’halopéridol a pu constituer incontestablement un facteur favorisant d’une hypothermie qu’unsimple examen clinique aurait pu détecter pour permettre la mise en route d’un traitement adaptéavant l’apparition de l’accident cardiaque fatal.

À l’issue de l’information, le médecin psychiatre et le médecin chef du service des urgencesde l’hôpital Bichat, ont été renvoyés devant le tribunal correctionnel sous la prévention du délitd’homicide involontaire.

2.2. La faute

Après avoir entendu un médecin qui était intervenu à la demande des gardiens de la paix, alorsque Flora X. se trouvait dans le véhicule de police et faisait un malaise, le médecin expert ajoutaitque ce praticien avait constaté que la patiente avait une température de 30 ◦C. Nul ne peut niercette observation objective. Une telle hypothermie, en dehors d’une immersion prolongée dansl’eau froide, ne peut se développer dans un délai de quelques minutes et la patiente devait trèsprobablement avoir débuté une hypothermie dès le domicile. S’il est exact que les neuroleptiquesperturbent la thermorégulation, cet état avait dû débuter dès la prise en charge, et Louis A. médecinpsychiatre, a, selon eux, de manière caractérisée, failli à ses obligations en ne se préoccupant pasde l’état somatique de la patiente.

Un document intitulé « La garde aux urgences », établi en novembre 1996 et applicable enoctobre 1998, précisait à deux reprises en pages 8 et 13 : « Tout malade montré au psychiatre doitavoir bénéficié au préalable d’un examen somatique consigné dans le dossier ».

Le Dr A., médecin psychiatre, sans s’enquérir du dossier de la patiente ou sans la consul-ter pour vérifier que l’examen somatique avait été effectué dans l’intérêt de celle-ci et dans lerespect de la procédure normale définie par le protocole, a commis une négligence coupableconstitutive d’une faute pénale. Il ne saurait a posteriori justifier cette carence par la dange-rosité de la patiente, non avérée au regard de ses propres déclarations, témoignages, élémentsobjectifs du dossier et conclusions expertales. Il n’a pas, dès lors, en requérant notammentson confrère, accompli les diligences normales lui incombant compte tenu de la nature de sesmissions ou de ses fonctions, de ses compétences aussi que du pouvoir et des moyens dont ildisposait.

2.3. Le doute sur la causalité et l’arrêt de relaxe

Mais les conclusions expertales précisent que nul ne peut objectivement affirmer si la patienteétait en hypothermie ou non à l’arrivée à l’hôpital Bichat. Le droit pénal ne saurait se satisfaire deprobabilités, et, en l’espèce, faute d’établir un lien de causalité certain entre la faute et le décès, ledélit d’homicide involontaire ne saurait être constitué. Il n’y a, dès lors, pas lieu à caractériser ounon celle-ci au regard des dispositions de l’article 121–123, alinéa 4, du Code pénal. Le médecinpsychiatre doit être relaxé.

Le défaut d’organisation du service des urgences tel que visé à la prévention, apparemmentfondé au regard des motivations qui précèdent, et notamment un certain manque de rigueur dans

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l’application effective du protocole devenue plus systématique par modification des consignesaprès les faits, ne saurait être constitutif du délit d’homicide involontaire en l’absence de liende causalité certain avec le décès intervenu quatre heures après le passage à l’hôpital Bichat. Lemédecin chef de service doit également être relaxé.

2.4. Le pourvoi formé par le Parquet

Pour le Parquet, qui a saisi la Cour de cassation, la défaillance initiale au sein d’un enchaîne-ment complexe d’événements, peut être regardée comme une cause certaine lorsqu’elle contenaiten elle-même la probabilité de l’issue finale ou lorsqu’elle a contribué à provoquer les fautesultérieures.

Or, l’absence totale d’examen somatique par le médecin psychiatre de service à l’hôpitalBichat, lorsqu’il a décidé le renvoi de la patiente vers l’infirmerie psychiatrique de la préfecturede police, est mise en relation de causalité directe avec les circonstances subséquentes du décèspar hypothermie :

• soit que « l’absence d’examen n’ait pas permis d’entreprendre des gestes de secourisme élé-mentaire et d’orienter la patiente vers un service de réanimation médicale pour y bénéficierd’un réchauffement » ;

• soit que « la mesure d’une variable aussi simple que la température aurait, à coup sûr, permisau moins de débarrasser la patiente de ses vêtements mouillés ».

Ainsi, il importe peu pour la caractérisation du délit, que nul ne puisse objectivement affirmeravec certitude si la patiente était déjà en hypothermie ou non à l’arrivée à l’hôpital Bichat avantl’intervention fautive du médecin psychiatre de service à l’hôpital Bichat, puisqu’il est acquisque la faute de ce praticien contenait en elle-même la probabilité de l’issue finale d’un décès parhypothermie et avait à tout le moins contribué à provoquer les fautes ultérieures. En décidantcependant, après avoir constaté que la faute pénale du médecin psychiatre de service à l’hôpitalBichat était caractérisée et qu’elle résultait elle-même d’un défaut d’organisation du service desurgences tel que visé à la prévention, que les faits reprochés ne sauraient être constitutifs dudélit d’homicide involontaire en l’absence de lien de causalité certain avec le décès intervenuquatre heures après le passage à l’hôpital Bichat, la cour d’appel qui s’est contredite et n’apas tiré de ses constatations les conséquences légales qui en découlaient, a méconnu les textessusvisés.

Le document intitulé « La garde aux urgences », établi en novembre 1996 applicable en octobre1998, précisait à deux reprises en pages 8 et 13 : « Tout malade montré au psychiatre doit avoirbénéficié au préalable d’un examen somatique consigné dans le dossier ».

L’absence, imputable au chef de service, d’une mise en pratique effective dans le service desurgences de l’hôpital Bichat, des dispositions réglementaires imposant l’examen somatique detout patient arrivé aux urgences énumérées par l’expert judiciaire dans son rapport, ne pouvaitêtre palliée par la seule existence d’un protocole purement théorique. En se bornant à rele-ver qu’un document intitulé « La garde aux urgences », établi en novembre 1996 applicableen octobre 1998, précisait à deux reprises en pages 8 et 13 : « Tout malade montré au psy-chiatre doit avoir bénéficié au préalable d’un examen somatique consigné dans le dossier »,sans répondre au grief d’absence d’une mise en pratique effective imputable au chef de ser-vice, la cour d’appel, pour le Parquet, a privé sa décision de base légale au regard des textessusvisés.

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2.5. L’arrêt de confirmation par la Cour de cassation

Il résulte qu’il n’existe pas de lien de causalité certain entre, d’une part, la faute de négligenceque le psychiatre a commise en ne se préoccupant pas de l’état somatique de la patiente avant depréconiser son transfert à l’infirmerie de la préfecture de police, et, d’autre part, l’hypothermiequi a entraîné le décès.

En l’absence de lien de causalité certain, il ne saurait y avoir de condamnation pénale dequiconque.

3. Troisième espèce : erreur de diagnostic non fautive et perte de chance, insuffisantespour caractériser le lien de causalité (Crim., 16 octobre 2007, no 07-80066)

3.1. Les faits

Un accouchement a eu lieu fin décembre.Le Dr Z. visite la patiente tous les deux à trois jours depuis le début janvier jusqu’au 23 janvier

2001.Le 20, bilan avec d-dimères élevésLe 31, la famille évoque des toux et douleurs thoraciques peu évidentes, ce qui justifie la visite

du Dr A., de garde, qui prescrit un Doppler, et met en œuvre un traitement.Le 10 févier 2001, la jeune femme décède alors qu’elle s’est rendue au cabinet du Dr Z., son

médecin généraliste.La cause de la mort de la victime est connue, admise par l’ensemble des experts et les parties,

et résulte du rapport d’autopsie et des données anatomopathologiques : « embolie pulmonairemassive gauche, dont le stade de réorganisation avec adhésion pariétale partielle et reperméa-bilisation secondaire peut être évalué morphologiquement à une dizaine de jours d’évolution, àpoint de départ vraisemblable périphérique d’un tronc veineux du membre inférieur notamment »,avec « des éléments morphologiques en faveur d’une embolie pulmonaire partielle à droite avecqueue de thrombose prélevée à part ».

Sont poursuivis pour homicide involontaire le Dr Z., médecin généraliste et le Dr A., médecinde garde.

La responsabilité pénale des prévenus ne peut procéder de la seule violation d’une loi ourèglement, mais d’une faute caractérisée ayant exposé la victime à un risque d’une particulièregravité qu’ils ne pouvaient ignorer. La tardiveté d’un diagnostic ne constitue pas une faute pénalesi elle s’explique par la complexité des symptômes et la difficulté de leur constatation et de leurinterprétation.

3.2. La responsabilité du médecin généraliste

Malgré l’absence de ce signe clinique d’importance dans le diagnostic de l’embolie pulmonaire,aucun des experts n’a contesté le fait que le Dr Z., à compter du 18 janvier 2001, avait pensé à cerisque majeur. Ainsi, dans le cadre d’une check-list, le Dr Z. a prescrit des piqûres d’anticoagulant,et, parallèlement, des analyses sanguines. À l’issue de celles-ci et au vu de leurs résultats, il prescritun écho-Doppler. Au résultat négatif de ce dernier examen, il apparaît que le Dr Z. a écarté toutrisque, ce que les experts incriminateurs ont qualifié de « déni ».

Au vu de l’ensemble de ces éléments, il est donc reproché au Dr Z. de n’avoir pas pris encompte les douleurs thoraciques du 31 janvier 2001 compte tenu d’un taux de d-dimères élevés

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non expliqué et d’un contexte antérieur qui, selon les experts, auraient dû lui faire évoquer lerisque d’embolie pulmonaire.

Le Dr Z. a fourni, pour sa défense, de nombreuses publications médicales qui viennent, pourla plupart, confirmer que le diagnostic d’embolie pulmonaire est particulièrement délicat à poser.

Au regard des pièces du dossier, il ne peut pas être reproché au Dr Z. d’avoir exclu ce diagnosticpuisque tous les actes prescrits entre le 18 et le 23 janvier 2001 par ce praticien démontrent quecelui-ci a immédiatement pensé à ce risque et a effectué les actes selon les données acquises dela science, pour l’écarter à compter du 23 janvier 2001, date à laquelle le Dr B., radiologue, vaexclure toute phlébite de la jambe gauche de Christine Y.

Dans la mesure où aucun des experts n’a retenu de responsabilité du praticien dans lesactes pratiqués le 10 février 2001, date de l’arrivée de Christine Y. dans le cabinet du Dr Z.et qui est la date effective de l’embolie pulmonaire massive dont succombera la patiente, il endécoule que la mise en cause du prévenu repose sur l’erreur de diagnostic préalable à cettedate.

Il a déjà été rappelé que pour être constitué, l’homicide involontaire suppose une faute carac-térisée exposant autrui à un risque d’une particulière gravité. En l’espèce, l’élément constitutif du« risque de particulière gravité » est constitué par la détermination de la cause de la mort, à savoirl’embolie pulmonaire dont succombera la jeune femme.

Concernant le premier élément constitutif, l’erreur de diagnostic n’est pénalement fautive quesi elle résulte de soins inattentifs. En l’espèce, le Dr Z. a prescrit un traitement par héparine dèsqu’il a eu connaissance d’une symptomatologie faisant évoquer le diagnostic de phlébite. Cela,avant le 31 janvier 2001, est d’autant plus remarquable que ce praticien ne disposait que d’uneindication de « douleur au mollet » par la patiente le 18 janvier 2001, puis d’une douleur au dessusdu genou le 20 janvier 2001. Au regard de ces simples indications et sans évocation de douleursthoraciques, avec une tension artérielle des plus normales, le Dr Z. a toutefois, préventivement,procédé à une injection d’héparine, prescrit des analyses sanguines et ordonné un traitementd’anticoagulant sous-cutané pendant huit jours.

En prenant connaissance du résultat de d-dimères élevés, le prévenu a fait procéder à un examenécho-Doppler qui s’est révélé négatif. Concernant les d-dimères, il est fait grief à l’intéressé den’avoir pas suffisamment tenu compte des résultats particulièrement élevés et de s’être contentédu résultat de l’examen radiologique pour évacuer le diagnostic de risque d’embolie pulmonaire.

Il résulte des éléments du dossier et, notamment, de la littérature médicale, que, concernantles résultats de d-dimères, seul un résultat négatif peut permettre d’exclure la thrombose. Unrésultat positif n’est pas significatif s’agissant d’une patiente en postopératoire ou postparturiente.Nonobstant ce point, le Dr Z. a fait effectuer un écho-Doppler afin d’écarter tout risque ou, aucontraire, de confirmer un diagnostic auquel il avait songé dès le début des douleurs au membreinférieur signalés par sa patiente.

Concernant la pathologie recherchée (phlébite), des pièces médicales fournies, il ressort quel’écho-Doppler constitue, à ce jour encore, soit plus de cinq ans après les faits, l’examen deréférence en la matière. Il s’agit là d’un examen d’une bonne lisibilité, d’une sensibilité majeureconcernant la thrombose proximale pouvant être évaluée à 91 % et non à 80 % comme l’ont affirméles premiers experts sans citer leurs sources. Si, concernant les thromboses distales, cet examen estd’une sensibilité moindre, il convient de rappeler que, le jour de la venue de la patiente dans soncabinet, celle-ci ne se plaignait plus de douleurs à la jambe. Il en découle que l’examen pratiqué aété effectué dans un contexte de disparition de la veinite et qu’il ne saurait être reproché au Dr Z.de n’avoir pas fait prescrire d’examen supplémentaire, qui ne figurait même pas dans le compterendu du Dr B., médecin spécialiste.

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Nonobstant ce résultat, le Dr Z. n’a pas fait interrompre le traitement sous héparine sous-cutanéeprescrit. L’infirmière pratiquant les injections a bien confirmé que la patiente ne se plaignait plusde douleur au membre inférieur pas plus que de douleurs thoraciques. Les injections s’achevaientle 28 janvier 2001 sans autres signes évocateurs de risques. Il en résulte un comportement duDr Z., entre le 20 et le 28 janvier 2001, exempt de toute faute pénale.

Il est alors reproché au Dr Z. un comportement fautif le 31 janvier 2001, en ce qu’il auraitcommis une erreur de diagnostic fatale à sa patiente et n’aurait pas procédé à son hospitalisation.En dehors du fait, déjà rappelé, que le diagnostic d’embolie pulmonaire est un des plus délicats àposer par la médecine, le fait que cette pathologie n’ait été diagnostiquée, en l’espèce, ni par l’unni par l’autre des praticiens mis en cause, pourrait suffire à établir la réalité de cette assertion.

À supposer cette erreur de diagnostic pénalement punissable, il convient d’établir, pour cefaire, que cette erreur résulterait d’une ignorance grave du praticien ou d’une négligence dans unexamen clinique qui aurait été conduit de manière rapide, superficielle ou incomplète. La tardivetéévidente du diagnostic, qui ne se confirmera que le 10 février 2001, date de l’accident fatal, nesaurait constituer une faute pénale, dès lors qu’elle s’explique par la complexité des symptômeset la difficulté de leur constatation et de leur interprétation.

Les experts ont cru pouvoir soutenir qu’au regard de la pathologie de Christine Y. connue de sonmédecin traitant sur le mois écoulé (janvier 2001), celui-ci, le 31 janvier 2001, aurait dû prescrirel’hospitalisation de la patiente. Au regard des données médicales, il est établi que seulement 5 à15 % des décès dus à l’embolie pulmonaire font l’objet d’un diagnostic ante mortem. Les risquespour les postparturientes s’inscrivent dans un délai maximum de 40 jours après l’accouchement.Concernant la patiente, ce délai étant expiré depuis cinq jours, le médecin pouvait, dès lors etlégitimement, la considérer hors période à risque. Il ne peut être contesté que Christine Y. neprésentait plus, le 31 janvier 2001, de symptomatologie des membres inférieurs, que sa douleurdorsale ne s’accompagnait pas d’essoufflement, qu’elle n’avait ni fièvre ni tension anormales.En réalité, le seul signe clinique pouvant évoquer un risque de phlébite était une douleur et uneinflammation de la saphène du réseau inférieur de la cuisse apparue le 18 janvier 2001 pourlesquelles le Dr Z. entreprenait des investigations.

Le résultat de l’écho-Doppler lui permettait d’exclure tout risque à compter du 23 janvier 2001.En la revoyant le 31 janvier 2001, en l’absence d’autres symptômes que ceux précédemmentévoqués, il ne saurait être reproché au mis en cause d’avoir commis l’homicide involontaire quilui est reproché.

En réalité, entre le 31 janvier 2001 et le 10 février 2001, le Dr Z. ne revoyait pas la patiente qui,jusqu’alors, n’avait pas hésité à faire appel à lui tout au long du mois de janvier. Il résulte des piècesversées au dossier que, vraisemblablement, l’état de santé de Christine Y. s’est dégradé entre le31 janvier 2001 et le 10 février 2001, comme en témoigne son concubin lorsqu’il a déclaré que sacompagne avait craché du sang trois jours avant son malaise du 10 février 2001. Pour établir laresponsabilité du Dr Z., il aurait convenu que puissent être établis des manquements professionnelsfautifs qui, associés à une erreur de diagnostic, auraient constitué le lien de causalité nécessaireentre la faute et le décès de Christine Y.

La difficulté de diagnostic d’une affection particulièrement redoutable et redoutée, et la seuleexistence d’une perte de chance de survie, conduit à prononcer la relaxe.

3.3. La responsabilité du médecin de garde

Le Dr A. a été appelé au chevet de Christine Y. dans la nuit du 30 au 31 janvier 2001 aux alentoursde 3 ou 4 heures du matin. La patiente lui a indiqué avoir une toux persistante et une douleur au dos.

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Il a procédé à l’examen clinique de la patiente en pensant immédiatement au risque d’emboliepulmonaire, compte tenu, notamment, de la présence du bébé attestant de la situation de postpar-tum de la patiente. Ce diagnostic était rapidement écarté par le médecin dès lors que la patientelui indiquait avoir subi un écho-Doppler sur les consignes de son médecin traitant et que cet exa-men s’était avéré négatif. Compte tenu de ces éléments, des troubles présentés (toux et douleurdorsale), de l’époque des faits (hiver 2001), le médecin a prescrit un antalgique et un antitussif,prescrivant à la patiente de revoir son médecin traitant dès le lendemain. Au regard de ces élé-ments, les experts ont retenu une accumulation dans le temps de symptômes dont force est deconstater que ceux-ci ne pouvaient être connus du Dr A. dont il n’est pas inutile de rappeler qu’iln’intervenait qu’en tant que médecin de garde de nuit et non comme médecin traitant habituel de lapatiente. Le Dr A. a toujours affirmé que la patiente, la nuit du 31 janvier, ne s’était pas plainte detelles douleurs mais simplement de douleurs dorsales et d’une toux fatigante. Les dépositions deplusieurs professionnels de la santé (radiologue, infirmière ayant procédé aux injections prescritesantérieurement au 31 janvier) ont effectivement indiqué que, depuis plusieurs jours, la patientene se plaignait plus de douleurs à la jambe.

Le troisième collège d’experts désignés indique que, dans le contexte de douleurs thoraciqueslors d’un postpartum après un accouchement par césarienne, suivies depuis une quinzaine de jourspar une symptomatologie du membre inférieur gauche, le premier diagnostic que doit évoquertout praticien dans la circonstance est la « possibilité d’une embolie pulmonaire dont la gravitépotentielle doit conduire à une hospitalisation immédiate ».

Au delà de la constatation que la littérature médicale s’accorde sur le fait que la détectionde l’embolie pulmonaire est fort délicate, aucun élément du dossier ne permet d’établir que leDr A. n’aurait pas procédé à un examen minutieux de la patiente. Ainsi, la douleur évoquée par lapatiente le soir des faits venant d’apparaître, il convient de noter que le Dr A. a justement penséau risque d’embolie pulmonaire, alors même que la patiente se plaignait de douleurs dorsales.

Dans ce contexte, il effectuait le test dit de Wells consistant à vérifier divers points permettant dediagnostiquer ou d’écarter les risques d’embolie pulmonaire en fonction des résultats. En obtenantun score de zéro, le Dr A. écartait définitivement cette pathologie dès lors que Christine Y. luiprécisait qu’un écho-Doppler avait été effectué une semaine auparavant excluant une phlébite.Nonobstant ces éléments, le collège d’experts a toutefois conclu à la faute pénale du Dr A. en ceque la non-hospitalisation de la patiente pendant la période du 18 janvier au 10 février 2001 nepeut s’apprécier qu’en termes d’une erreur de nature fautive, constitutive pour Christine Y. d’une« perte de chance d’échapper à son destin ».

Outre le fait que la complexité du diagnostic et l’équivoque des symptômes militent pour quesoit écartée l’existence d’une faute pénale à l’égard du Dr A., la perte d’une chance évoquée parces experts ne saurait suffire à caractériser le lien de causalité exigé par la loi pénale.