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Le lieu en histoire des sciences. Hypoth` eses pour une approche spatiale du savoir g´ eographique au XVIe si` ecle Jean-Marc Besse To cite this version: Jean-Marc Besse. Le lieu en histoire des sciences. Hypoth` eses pour une approche spatiale du savoir g´ eographique au XVIe si` ecle. elanges de l’Ecole fran¸caise de Rome - Italie et editerran´ ee, Ecole Fran¸ caise de Rome, 2004, 116 (2), pp.401-422. <halshs-00113236> HAL Id: halshs-00113236 https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00113236 Submitted on 11 Nov 2006 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destin´ ee au d´ epˆ ot et ` a la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publi´ es ou non, ´ emanant des ´ etablissements d’enseignement et de recherche fran¸cais ou ´ etrangers, des laboratoires publics ou priv´ es.

Le Lieu en Histoire Des Sciences

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Le lieu en histoire des sciences. Hypotheses pour une approche spatiale du savoir geographique au XVIe siecle.

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  • Le lieu en histoire des sciences. Hypothe`ses pour une

    approche spatiale du savoir geographique au XVIe sie`cle

    Jean-Marc Besse

    To cite this version:

    Jean-Marc Besse. Le lieu en histoire des sciences. Hypothe`ses pour une approche spatialedu savoir geographique au XVIe sie`cle. Melanges de lEcole francaise de Rome - Italie etMediterranee, Ecole Francaise de Rome, 2004, 116 (2), pp.401-422.

    HAL Id: halshs-00113236

    https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00113236

    Submitted on 11 Nov 2006

    HAL is a multi-disciplinary open accessarchive for the deposit and dissemination of sci-entific research documents, whether they are pub-lished or not. The documents may come fromteaching and research institutions in France orabroad, or from public or private research centers.

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    MEFRIM Tome 116 2004 2 p. 401-422

    Le lieu en histoire des sciences.

    Hypothses pour une approche spatiale du savoir gographique au XVIe sicle 1

    Introduction

    La question du lieu nest pas proprement parler une nouveaut pour lhistorien.

    Celui-ci entretient avec elle des relations anciennes, qui structurent de manire intime le

    mouvement mme de sa recherche ainsi que sa pratique dcriture. Comme lindique Michel

    de Certeau, en effet, le geste qui ramne les ides des lieux est prcisment un geste

    dhistorien (M. de Certeau, 1975, p. 63). Un geste qui consiste parcourir le chemin qui va

    du fait (quelle quen soit la nature) ses conditions, et parmi ces conditions se trouve celle,

    fondamentale, du lieu de sa production, celle de son o ? et aussi celle de la nature propre

    de ce o ? . Il nest pas insens, en ce sens, denvisager le prolongement, vers lhistoire des

    sciences, de cette opration historiographique, dont il sagirait alors de dfinir la porte, les

    enjeux, et aussi la possible application lactivit scientifique. Les savoirs scientifiques

    entretiennent eux aussi des relations complexes avec les sites o ils apparaissent : le

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    terrain , le cabinet , le laboratoire , la bibliothque , le muse , la salle de

    cours , peuvent tre considrs comme autant de lieux spcifiques au sein desquels des jeux

    dacteurs, de rationalits et de savoirs sont mis en uvre de faon htrogne (voir, par

    exemple, M. Beretta, 2002 ; M.-N. Bourguet, C. Licoppe, et H. Otto Sibum, 2002).

    De fait, dans le domaine spcifique de lhistoire et de la sociologie des sciences, la

    perspective dune localisation du savoir a dj fourni quelques rsultats significatifs,

    renouvelant parfois lide mme que lon peut se faire de la pratique scientifique. Lhistoire

    des sciences a progressivement mis en vidence le rle constitutif des institutions dans

    llaboration du savoir scientifique, en sintressant la cration des Acadmies, en clairant

    les mcanismes de patronage, en soulignant de manire gnrale la prsence active des

    rseaux et des sociabilits savantes. De son ct la sociologie du savoir scientifique

    contemporain, a cherch tablir de faon trs directe l historicit locale 2 des pratiques,

    des procds, mais aussi des ides et des donnes produites au sein des laboratoires

    scientifiques. On se trouve donc aujourdhui devant un faisceau de travaux convergents,

    auxquels manque peut-tre encore lunit dune problmatique densemble.

    Curieusement, les gographes eux-mmes, jusqu une date rcente, nont pas

    vraiment pris en compte cette dimension spcifique dans les tudes historiques et

    pistmologiques consacres la gographie. Certes, lhistoire de la gographie a beaucoup

    travaill du ct de ce quon pourrait appeler les traditions nationales, en particulier pour ce

    qui concerne le XIXe et le XXe sicles 3. Mais les gographes ou les historiens de la

    gographie ne sont rarement alls plus loin, le plus souvent, que les orientations qui viennent

    dtre esquisses. On se trouve donc encore, sur ce point, comme le reconnaissait David

    Livingstone (D.N. Livingstone, 1995), devant un horizon programmatique. Ce programme

    commence aujourdhui dtre mis en uvre, la fois sur le plan des rflexions thoriques et

    sur celui des tudes de cas (F. Driver, 2001 ; M.H. Edney, 1997). Les principales avances

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    proviennent en fait, dune part, des historiens de la cartographie (dans lhritage des travaux

    de Brian Harley ; cf. J.B. Harley, 2000), et dautre part des travaux qui envisagent de manire

    gnrale la gographie en relation avec lhistoire naturelle (C.W.J. Withers, 1995 ; D. Outram,

    1996). Dans ces travaux, soulignons-le, la gographie nest plus seulement considre comme

    lobjet dun ensemble dinvestigations historiques, elle devient elle-mme une mthode de

    travail dans lhistoire des savoirs.

    Cest dans le prolongement de cette perspective historiographique quon aimerait ici

    se placer. Voil lhypothse : il serait possible de faire de la gographie, en tant que telle, une

    structure de comprhension de lhistoire des sciences, et de lhistoire de la gographie en

    particulier. Plus prcisment dit, la rflexion gographique, dans la diversit de ses

    orientations de recherche, constitue une ressource conceptuelle et mthodologique pour

    lhistoire des sciences (y compris les sciences gographiques ).

    Cependant, de quelle gographie sagit-il, et, surtout, quelle est la consquence pour la

    conception du lieu devant tre engage dans lhistoire des sciences ? Car lappel la

    gographie, trs vite, provoque lapparition dun doute, ou au moins dune question sur la

    perspective localisatrice quon vient dvoquer. Il ne suffit pas de dire en effet quil existe

    des lieux de la production des ides, et que le travail de lhistorien consiste effectuer le trajet

    qui va des ides leur lieu. Il faut aussi saccorder sur ce quon entend prcisment par lieu,

    ainsi que sur le mode particulier de liaison qui stablit entre lieu et ide (pour continuer sur

    ce mme registre). Or la gographie, dont on a pu dire longtemps quelle tait par vocation

    science des lieux , se rapporte aujourdhui avec beaucoup de prcautions cette notion.

    Elle a, en particulier, abandonn progressivement lide de lunicit et de la singularit

    incomparable du lieu gographique, pour envisager celui-ci au sein de dialectiques plus

    complexes, auxquelles le lieu participe mais dont il nest quun lment (J.-M. Besse, 1994).

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    La gographie est passe dune problmatique du lieu une problmatique de lespace, au

    sein de laquelle la notion de localisation a t profondment remanie.

    Mais, vrai dire, le concept despace, tout comme celui de lieu nest pas tranger

    lhistorien. Lide selon laquelle lhistoire se dveloppe dans des espaces multiples,

    caractriss par des configurations, des polarits, des maillages et des discontinuits, lide

    supplmentaire selon laquelle chacun de ces espaces emporte avec lui un mode de

    temporalisation de lhistoire qui lui est spcifique, et lide quau bout du compte ce qui

    importe cest lanalyse de larticulation entre des blocs despace-temps dont les rythmes ou

    les vitesses sont foncirement variables, toutes ces ides ont t largement accoutumes par

    lhistoriographie la suite des travaux de Fernand Braudel.

    Dominique Pestre avait voqu, pour sa part, le le caractre dcisif et lefficace

    propre dun ordonnancement prcis des objets et des hommes dans lespace pour la

    reproduction et la standardisation de nombreux rsultats exprimentaux (D. Pestre, 1995, p.

    514) : sa remarque porte plus loin, selon moi, que sur les sciences exprimentales, et lon peut

    gnraliser son intuition. Il sagirait de faire reconnatre la puissance formatrice de lespace

    sur les activits de la science. La perspective ouverte est celle dune gographie de la science,

    voire dune go-histoire des sciences. Ce quon propose ici, de faon tout fait

    programmatique, cest de mettre en uvre cette approche spatialisante dans le domaine qui

    nous occupe (la culture scientifique) et sur le lieu mme qui nous runit (Rome), afin de faire

    apparatre la porte historiographique et pistmologique de cette approche.

    On sappuiera pour cela sur une double prise de conscience, du ct de

    lhistoriographie dune part, et du ct des thories sociales dautre part. Concernant le

    premier aspect, on suivra volontiers les indications dfinies par Bernard Lepetit (B. Lepetit,

    1986, 1999 ; voir aussi I. Laboulais, 2000) : lespace nest pas seulement un cadre, ou un

    support, des activits humaines, ni seulement, en outre, un objet de lenqute historique, il est

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    aussi une voie daccs la connaissance des faits du pass, un outil heuristique en tant que tel.

    Lhistorien dfinit lespace qui lui permet de mettre en uvre son analyse, et les questions

    centrales, alors, sont dune part celle de lchelle spatiale qui est choisie par lhistorien pour

    dvelopper son questionnement, et dautre part celle des catgories spatiales quil mobilise.

    Le deuxime aspect quon pourrait voquer sollicite plus directement la thorie sociale et les

    manires dont elle a envisag le rle de lespace dans les activits humaines. David

    Livingstone a montr, cet gard, toute limportance des travaux dAnthony Giddens, parmi

    dautres, pour la reconnaissance et la comprhension des phnomnes de structuration spatiale

    (spatio-temporelle, pour tre plus exact) de la vie sociale. Lespace ou plutt les espaces dans

    lesquels se dploient les activits sociales (et la science est considre de ce point de vue

    comme une activit sociale) possdent un pouvoir de dtermination sur la forme de ces

    activits et, partant, indirectement, sur leur contenu (il faudrait galement voquer limpact

    des travaux de M. Foucault sur la gographie culturelle amricaine ; cf. sur ce point F. Driver,

    1994, et C. Philo, 1992). Il sagirait alors de faire apparatre les morphologies et les

    dynamiques de ces espaces.

    En tout tat de cause, cette perspective spatialisante sinscrit dans un dplacement

    gnral, auquel on assiste aujourdhui, par rapport ce quon pourrait appeler une histoire

    platonicienne des sciences, pour laquelle la considration des lieux et des espaces nentrait

    pas de faon fondamentale dans lanalyse des conditions et des formes de la production des

    connaissances scientifiques. Il faut aller plus loin, surtout, que lide selon laquelle lespace

    constitue un simple cadre ou un contexte de lanalyse. Il faut considrer lespace comme une

    dimension dterminante dans la fabrication du savoir scientifique, et, surtout, comme une cl

    pour la comprhension des mcanismes de cette fabrication. En particulier, il faut sintresser

    plus prcisment aux spatialits, matrielles et symboliques, qui sont mises en uvre dans la

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    production, la diffusion, et la rception des ides scientifiques, plus gnralement dans

    lactivit scientifique considre du point de vue social mais aussi logique et mthodologique.

    Dans cette perspective, on explorera ici trois directions de travail, qui, insistons-y, sont

    tout fait programmatiques. Et lon prendra la gographie comme un champ dinvestigation

    et dobservation, sur lequel les analyses vont pouvoir sillustrer et sarticuler, mme si lon

    peut faire lhypothse, par ailleurs, que ces analyses ont une porte plus tendue. Trois thmes

    donc :

    - lorganisation des espaces du savoir gographique ;

    - les parcours effectus concrtement par linformation gographique au sein de ces

    espaces ;

    - les reprsentations spatiales ou plus exactement les schmes spatiaux constitutifs

    du savoir gographique.

    I - Lorganisation des espaces du savoir gographique

    La premire direction de travail correspond ce qui pourrait tre appel une analyse

    spatiale de la production et de la circulation du savoir et des reprsentations scientifiques,

    mais aussi des objets, des institutions et des instruments qui laccompagnent. Il sagit, dans

    cette perspective, dintroduire les concepts, les techniques danalyse, les savoir-faire adopts

    par les gographes contemporains et de les appliquer ltude des sciences (et en particulier

    de la gographie 4).

    Cette direction de travail met en uvre simultanment une hypothse thorique, une

    mthodologie, et un champ dinvestigation.

    a) Lhypothse est que lespace constitue un lment dterminant dans lhistoire des

    ides scientifiqques, tout comme il constitue un lment dterminant dans la plupart des

    activits sociales. Il ne sagit pas de dire seulement que la production du savoir est localise,

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    ou encore quelle est simplement rpartie dans des lieux qui sont les contextes effectifs de la

    production des ides et dont ces ides porteraient la marque. Il sagit aussi et surtout de dire

    que lespace dans lequel ce savoir est labor possde une vertu sui generis, une puissance

    structurante sur cette production mme, bref quil y a une morphologie de lhistoire du savoir

    (de sa production et de sa circulation dans la culture). Les activits savantes, comme les autres

    activits sociales, tirent leur forme particulire des caractristiques des espaces dans lesquels

    elles se dveloppent (B. Lepetit, 1999, p. 139). Il sagit, en dautres termes, de faire

    apparatre, avec lespace considr dans sa spcificit, un autre niveau, un autre lment

    dterminant dans le processus de llaboration du savoir. Il y a un espace ou plutt des

    espaces de la fabrication et de la diffusion du savoir, dont il sagirait alors de dfinir la nature,

    les formes spcifiques, et les hirarchies internes.

    b) Ce qui conduit aux considrations de mthode. La gographie contemporaine a

    distingu en effet un certain nombre de concepts et de modles mthodologiques, quelle met

    en uvre dans lanalyse des phnomnes spatiaux de la vie sociale. La simple vocation de

    ces concepts possde elle seule une porte programmatique et heuristique pour ce qui

    concerne lhistoire du savoir scientifique en tant que phnomne spatial lpoque moderne.

    La gographie a pos, par exemple, des questions relatives la localisation des

    activits humaines et aux raisons dtre de ces localisations. Au-del, elle a pos des questions

    relatives la distance qui spare les entits gographiques et aux relations (aux interactions

    spatiales) que ces entits entretiennent nanmoins dans cette distance mme, la nature et la

    densit de ces relations. Le concept de rseau a permis de dsigner de manire gnrale les

    lignes, les voies, les circuits conducteurs, etc., qui desservent une entit gographique et par

    lintermdiaire desquelles cette entit se connecte dautres entits, et au-del des systmes

    de circulation dun rang suprieur. Points, lignes, surfaces : la gographie sefforce par

    ailleurs didentifier les configurations spatiales, les morphologies au sein desquelles les

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    activits sociales se dveloppent. Elle cherche caractriser la structure interne de ces

    configurations, en mobilisant les concepts de discontinuit spatiale, de centre et de priphrie,

    qui lui permettent denvisager les phnomnes de diffrenciation, et en particulier les

    phnomnes de polarit. Les concepts dorganisation, de hirarchie, de systme, ont permis en

    outre dorienter la recherche gographique vers les formes de structuration des espaces, leur

    diversit et leur complexit. Un concept comme celui de diffusion spatiale, mme sil a fait

    lobjet de nombreuses discussions, a permis de structurer ltude des processus mettant en jeu

    des dplacements de matire, de produits, de personnes, dinformations, dides, dans un

    milieu ou un territoire quelconques. On reviendra plus prcisment dans un instant sur les

    concepts de niveaux de spatialisation et dchelles spatiales, grce auxquels il est devenu

    possible de penser des espaces de tailles diffrentes, cest--dire denvisager lexistence

    simultane de phnomnes spatiaux se dveloppant selon des ordres diffrents, et de se poser

    la question de larticulation entre ces phnomnes dchelles diffrentes.

    c) Il serait bien difficile de dcrire aujourdhui avec prcision les usages heuristiques

    qui pourraient tre fait de cette batterie de concepts dans le domaine de lhistoire des sciences,

    et de la gographie en particulier. Nous sommes encore cet gard dans un horizon

    programmatique. Certes, il serait possible de trouver dans des recherches plus anciennes sur la

    gographie de la premire modernit des intuitions et aussi des matriaux qui pourraient tre

    mobiliss en les reformulant au sein du programme indiqu ici. On pourrait, dailleurs, aller

    un peu plus loin sur ce point que la simple indication traditionnelle du dplacement des

    centres de la production gographique et cartographique en Europe, de lItalie vers lEurope

    du Nord, correspondant, en gros ce que Fernand Braudel appelle le basculement, partir du

    XVe sicle, des centres de lconomie-monde de la Mditerrane vers lEurope du Nord. Il

    faudrait sintresser, galement, aux circuits de diffusion de linnovation scientifique en

    gographie (la diffusion des informations concernant les nouveaux mondes), aux relations

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    centre/priphrie (Europe/reste du monde), aux situations de polarit et de marginalit dans la

    production du savoir (Anvers, Amsterdam, Venise, Rome, mais aussi Londres, Nuremberg,

    Mexico, etc.), aux routes (nationales et internationales) du savoir (les relations entre Italie et

    Pays-Bas, entre Italie et pninsule ibrique, la route du Rhin), aux politiques territoriales dans

    lesquelles la gographie en particulier est implique (dtermination des voies commerciales,

    tablissement des frontires, mise en valeur des terrains). Beaucoup dlments sont dj

    disponibles, par lintermdiaire des tudes qui ont t ralises sur les coles et/ou traditions

    nationales en gographie (J.-M. Besse, 2003). Reste nanmoins effectuer le travail de mise

    en espace de cette priode de lhistoire des sciences.

    On pourrait solliciter, titre dexemple, les travaux de Steven Harris (S.J. Harris,

    1998, 1999) propos de la Compagnie de Jsus et surtout propos de ce que lon pourrait

    appeler lespace dacquisition et de traitement des connaissances gographiques que la

    Compagnie a mis en uvre la surface du globe ds ses premires annes d'existence. La

    recherche dHarris, dont il est possible de ne pas partager toutes les orientations cependant (en

    particulier lutilisation du modle de la corporation), met laccent, la suite des travaux de

    John Law (J. Law, 1986), sur la question de la matrise symbolique et pratique de la longue

    distance. Il sintresse la manire dont un Ordre vocation spirituelle et missionnaire,

    comme celui des Jsuites, mais aussi des entreprises commerciales comme la Compagnie des

    Indes orientales, ou des institutions dorigine politique comme le Conseil des Indes, mettent

    en place de faon systmatique des dispositifs techniques et des rseaux de longue distance,

    grce auxquels les informations gographiques peuvent tre recueillies, transportes, traites,

    synthtises, puis remises en circulation dans la culture sous une forme standardise, partir

    des centres de calcul (B. Latour, 1989), que constituent ces institutions, plus exactement

    les bibliothques et chambres des cartes de ces institutions 5. Les analyses dHarris mettent en

    vidence une question dcisive : celle de lchelle spatiale des pratiques scientifiques.

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    Comparant les mtriques respectives doprations telles que, dune part, la construction

    dun instrument dobservation ou la rdaction dun trait, et dautre part la cartographie de

    lAmrique du Sud ou llaboration dune taxinomie du vivant, Harris en conclut que des

    disciplines telles que la gographie, mais aussi lhistoire naturelle, lhydrologie, ou la

    botanique mdicale, doivent tre considres comme des sciences de grande chelle 6,

    par le nombre des personnes et des institutions quelles mettent en uvre ainsi que par la

    taille des rseaux et des distances quelles doivent contrler. Alors que les disciplines

    scientifiques auxquelles on accorde traditionnellement, dans lhistoriographie de la

    Rvolution scientifique moderne, le premier rang, comme la physique ou les mathmatiques,

    doivent tre considres de ce point de vue comme des sciences de petite chelle. On pourrait

    sans doute discuter ce jugement concernant la physique et les mathmatiques. Mais il reste

    que lapproche spatiale conduit ici une consquence qui nest pas ngligeable : car elle

    permettrait de reconfigurer la reprsentation traditionnelle de la Rvolution scientifique

    moderne, de rvaluer la notion de science importante , et peut-tre, souligne Harris,

    devrait-on rflchir un peu plus profondment la catgorie mme de rvolution

    scientifique , lorsquon observe que les sciences sur lesquelles sappuie ce modle

    historiographique appartiennent toutes aux sciences de petite chelle .

    On peut donc tenter de dfinir lactivit scientifique par lintermdiaire des espaces de

    travail lintrieur desquels cette activit se dploie, et plus prcisment par la taille de ces

    espaces de travail. En rappelant nanmoins un pralable : que le choix dune chelle danalyse

    spatiale, en gographie, dtermine le choix du type de problme que lon veut poser, du type

    dobjet que lon veut analyser, et par consquent du type de sources (et darchives) que lon

    veut interroger. Prenons lexemple de la gographie jsuite, ce qui va nous rapprocher de

    Rome. Sans ngliger la question des contenus spcifiques du savoir gographique des

    Jsuites, ainsi que celle des concepts et des thories qui structurent ce savoir, il est possible de

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    chercher faire apparatre, comme Harris a commenc le faire, lorganisation de lespace de

    la gographie des Jsuites. Plus prcisment, la question qui est pose en ce cas est celle de la

    dfinition, de la matrise, et de lentretien dun espace de travail qui se dveloppe lchelle

    du monde, lchelle du globe, cest--dire lchelle des longues distances. Par quels

    moyens cet espace est-il tabli ? Quels sont les canaux, ou les rseaux, qui le structurent ?

    Comment se dterminent (selon quelles rgles et quels avatars ?) les relations entre le centre

    (les centres) et les priphries de cet espace ? Quelles sont les polarits de cet espace ?

    Quelles sont ses marges, et celles-ci sont-elles nettement dfinies ? On aperoit tout de suite

    limportance de ces questions pour dterminer le statut du lieu-Rome (ce lieu qui incarne

    exemplairement la superposition et la concentration des chelles) dans cet espace, ou bien

    pour mesurer la porte effective du systme des relations pistolaires au sein de la

    Compagnie, ou bien encore pour valuer le rle jou par quelquun comme Kircher ainsi que

    la place du museum kircherianum au Collge romain dans lconomie globale de ce systme

    spatial (P. Findlen, 1991, 1995).

    Prenons un exemple, celui du fameux horoscope jsuite , qui parat tre une

    expression trs reprsentative de lorganisation de lespace de travail de lAncienne

    Compagnie, et de son projet. Cet horoscope, plac par Kircher dans lArs magna lucis et

    umbrae 7, est peut-tre la plus labore des tentatives pour cartographier symboliquement

    lespace dinfluence structur par la Compagnie. Sous la forme dun arbre (analogue larbre

    de Jess) partant de Rome (et de ce centre dans le centre quest la mditation dIgnace), sont

    distribues les Assistances et Provinces dans lesquelles la Compagnie sest installe.

    Unification de lespace terrestre, parcouru en tous sens par les navires chargs de bonnes

    paroles, de bons livres, dinstructions, mais galement dinformations savantes, et de

    marchandises. Unification des peuples aussi, sous le registre de lesprit, o se dcline en

    toutes les langues et dans toutes les directions (du levant au ponant) la mme louange du nom

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    de Dieu. Unification des temps, enfin et surtout : en chaque lieu de la surface de la Terre, il

    est possible, grce lhoroscope, de connatre lheure de Rome et ainsi de sy relier

    symboliquement. Cette image, qui conjugue les vertus de la carte, de lorganigramme, et du

    document programmatique, rsume exemplairement la manire dont les Jsuites dveloppent

    sur plusieurs plans conjointement leur projet universaliste. Mais il ne faut pas oublier que cet

    instrument est prsent dabord dans la perspective dun programme de recherche

    scientifique, celui de la dtermination des longitudes. Cest dans le chapitre sur les longitudes

    que Kircher fait apparatre linstrument, dans le cadre dune argumentation qui met en valeur

    le rle scientifique jou par les membres de la Compagnie disperss aux quatre coins du

    monde. Tout se passe comme si, par cet instrument, Kircher rpondait la lettre envoye

    Naud par Mersenne en 1639, dans laquelle ce dernier indiquait combien, grce au rseau des

    Maisons et Collges jsuites, il serait possible de procder des mesures permettant de

    connatre la variation magntique sur toute la surface du globe, ainsi que les longitudes, que

    lon cherche depuis si longtemps (Mersenne, Correspondance, VIII, 761). Limage de

    Kircher peut tre considre comme lillustration parfaite dun projet spatial se dployant

    simultanment sur les plans scientifiques, politiques, et spirituels.

    Peut-tre une comparaison serait-elle alors possible, dans cette perspective des

    espaces de travail de la gographie, avec Sbastien Mnster, et plus gnralement avec la

    cosmographie protestante des XVIe et XVIIe sicles. Ltude de la correspondance lie

    llaboration de la Cosmographia universalis montre en effet comment le cosmographe blois

    appuie son travail de description cosmographique sur un rseau principalement situ dans la

    partie septentrionale et orientale de lEurope, et comment la structure et lorientation de cet

    espace ont un impact dterminant sur limage du monde qui est vhicule dans louvrage

    finalement dit. Les gographes, du moins jusqu un certain point, ne reprsentent pas

    exactement le mme monde, ne donnent pas penser le mme monde, et cela est d au rseau

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    et lespace de travail quils sont parvenus mettre en place ou dans lequel ils sont parvenus

    sinsrer, ou encore leur aire dinfluence.

    Cette notion dun espace de travail lintrieur duquel les gographes structurent leurs

    activits peut cependant tre aussi dcline dautres chelles. Jusqu prsent, nous avons

    raisonn, la suite de S.J. Harris, lchelle globale, et dans la perspective dorganisations

    humaines qui se donnent une vocation universelle. Mais on pourrait tout aussi bien porter

    lattention, plus classiquement, sur la place de Rome lintrieur de lespace europen de la

    production gographique, aux relations que Rome entretient avec les autres centres de

    production, en Italie (Venise, Gnes, Florence), et au-del (Sville, Lisbonne, Anvers,

    Cologne, Paris). On peut envisager la production et la circulation des ides et des objets

    gographiques dans la perspective plus gnrale des espaces de lchange marchand et savant

    qui se sont structurs en Europe partir de la Renaissance. On pourrait ainsi dgager dune

    part des rseaux europens (Pays-Bas/Italie, Italie/Pninsule ibrique, le monde des

    Habsbourg, laire hansatique), dautre part des discontinuits spatiales lintrieur de

    lEurope (rle des guerres, aires confessionnelles), qui jouent un rle non ngligeable dans

    lorganisation diffrencie du savoir gographique.

    une autre chelle, locale celle-l, il est possible de sarrter aux localisations intra-

    urbaines de la production gographique : o, dans la ville, labore-t-on le savoir

    gographique ? Qui ? Quels groupes ? Quelles sociabilits ? Quel march ? Local seulement ?

    Ou jouant dautres chelles ? O trouve-t-on de la gographie dans la ville ? Ainsi Rome

    la via del Pellegrino est devenue au cours du XVIe sicle le lieu o se rencontrent les

    antiquaires, les rudits romains, les graveurs, les amateurs destampes, pour acqurir les

    cartes, les plans, et les vues de la Rome antique et moderne, que lon retrouvera ensuite dans

    diffrents lieux de la ville, collections ou bibliothques. Et il serait possible dtudier, cette

  • 14

    chelle, la rpartition et la circulation des objets gographiques au sein de la ville et dans ses

    abords immdiats.

    La question gnrale qui se pose alors est celle de larticulation entre ces diffrentes

    chelles spatiales quon vient de distinguer : lchelle de la cit et de ses environs, lchelle

    intermdiaire de la nation et de lEurope, lchelle de la mappemonde (il faudrait affiner ces

    distinctions). Comment dans son activit le gographe parvient-il parcourir ces diffrentes

    chelles, les articuler, les emboter ? Deux hypothses, pour conclure cette premire srie

    de remarques :

    - Premirement, il serait sans doute possible de dgager une corrlation (mais

    laquelle ?) entre, dune part, la nature et lchelle de lespace de travail lintrieur duquel

    sinstalle le gographe et, dautre part, lchelle spatiale quil cherche reprsenter. On peut

    imaginer quil est ncessaire de disposer dun rseau mondial ou en tout cas dun rseau dont

    lampleur est extrmement largie pour pouvoir raliser une mappemonde ou bien une carte

    du Nouveau Monde. Par contre il nest peut-tre pas ncessaire de disposer dun tel rseau

    pour dessiner une vue topographique ou un plan de ville.

    - Ce qui conduirait deuximement une autre hypothse : le degr de centralit dun

    gographe se mesurerait la possibilit qui serait la sienne de concentrer dans son travail

    plusieurs chelles, sa possibilit de jouer simultanment de plusieurs niveaux de spatialit,

    cest--dire aussi de jouer simultanment de plusieurs rseaux. Ainsi, la densit des relations

    spatiales, quelles soient sociales, savantes, ou spirituelles, dans lesquelles Kircher, pour

    revenir lui, dploie son activit, serait le signe effectif de la centralit de sa position dans

    lconomie spatiale du savoir de son temps.

    II - Les trajets du savoir gographique

  • 15

    La seconde direction de travail peut tre considre au dpart comme un corollaire ou

    un prolongement des remarques prcdentes. Rappelons ce que nous avons rencontr propos

    de la science lchelle de la mappemonde. La gographie (tout comme lhistoire naturelle ou

    dautres disciplines descriptives ) peut tre dfinie comme une science de grande chelle,

    ds lors que lon tient compte, comme lindique Harris, de la quantit des informations quelle

    doit traiter, du nombre de personnes qui y sont impliques, de lampleur des espaces de travail

    quelle doit mettre en place, de la longueur et de la complexit des rseaux quelle doit

    contrler. On ne revient pas sur cette caractrisation. Orientons maintenant lattention sur un

    aspect, ou un enjeu, fondamental, de cette spatialit, qui est celui de la dynamique de

    llaboration de savoir, plus exactement celui des flux dinformations et des trajets effectus

    par linformation scientifique lintrieur de lespace de travail de la gographie.

    Cest, dailleurs, sans doute sur ce point, celui de la mobilit du savoir, que la

    distinction entre lieu et espace apparatrait de la faon la plus convaincante. On peut voquer

    ici lanalyse dveloppe par Michel de Certeau (M. de Certeau, 1980, pp. 208-209) : alors que

    le lieu est plutt du ct de la coexistence , de la configuration instantane de positions ,

    de la stabilit et de linertie, il y a espace ds que des mouvements se dploient, ds que des

    mobilits, cest--dire des temporalits, des orientations, des intentions, laniment. Lespace,

    est un lieu pratiqu , conclut-il. Mais, surtout, ces pratiques, ces oprations, qui

    transforment le lieu en espace, se caractrisent par le fait quelles permettent dchapper la

    loi du propre qui dfinit le lieu : lespace signifie non seulement la mobilit mais aussi la

    transgression et la contamination, cest--dire lanimation et la transformation du lieu par le

    dehors auquel il est confront, ainsi que lintroduction dune zone dtranget au cur

    mme du lieu propre.

    Il sagirait alors, pour ce qui nous concerne, de sinterroger sur les relations

    matrielles pour ainsi dire horizontales la surface du globe, sur les parcours concrets

  • 16

    effectus par les donnes, scientifiques, gographiques, depuis les lieux o elles sont

    recueillies jusquaux lieux o elles sont traites puis diffuses dans la culture. Bref comment,

    concrtement, linformation scientifique circule-t-elle ? Comment est-elle transporte depuis

    son lieu dorigine jusqu son lieu de reprsentation (et quelle est la nature de ce lieu de

    reprsentation) ? Vers quels lieux est-elle destine de faon prfrentielle ? Mais surtout

    comment, dans ce ou ces transports, ces dplacements, les donnes de la science se

    comportent-elles, si lon peut dire ? Que deviennent-elles ? Par quels milieux passent-elles ?

    Quelles transformations subissent-elles dans passages ? Dans quels conflits, ventuellement,

    sont-elles impliques ? En un mot quel est leur devenir spatial ?

    Pour dire la chose autrement, linformation ne prend vritablement sa force objective

    que lorsquelle est mobilise, cest--dire la fois rendue mobile, transportable et

    transposable hors de son lieu dorigine, et rendue utilisable pour la production de discours

    scientifiques nouveaux. Les donnes deviennent des faits lorsquelle sont connectes,

    justement, des systmes de transport et des institutions de savoir, cest--dire lorsquelles

    sont mises en mouvement lintrieur des rseaux de la science. La dynamique de lactivit

    scientifique (et de lactivit gographique au premier chef) consiste bien en ce cas, et quasi

    littralement, en une mobilisation des mondes. Et lon conoit, cet gard, toute limportance

    stratgique qui sattache dune part lentretien des voies de communication et la dfinition

    des rgles de transport de linformation (la mtrologie ), et dautre part la dtermination

    dun ou plusieurs centres vers lesquels ces informations, cest--dire ces mondes vont

    converger. Il semble que ltude du mode de fonctionnement de grandes institutions telles que

    la Compagnie de Jsus, ou la Congrgation pour la Propagande de la Foi, pourrait constituer

    une illustration de cette hypothse de recherche. Mais, outre les institutions, on peut

    galement attirer lattention vers des objets ou des espaces qui ont pour vertu de rcapituler

  • 17

    le monde , pour ainsi dire : les atlas, les encyclopdies, les muses, constituent autant de

    thtres au sein desquels le monde est conduit et concentr.

    condition cependant dy ajouter une remarque, sans doute dcisive. On pourrait la

    formuler ainsi : il ny a pas de transport sans frottement, de dplacement dinformation sans

    perte, bref la communication nest pas synonyme de transparence de linformation depuis la

    source vers le lieu de destination. Linformation se perd, au sens littral du terme, elle sgare,

    elle soublie, se trahit, ou tout simplement disparat. Symtriquement, en mme temps, il est

    possible dindiquer en quoi linformation, durant son transport, est approprie et rapproprie

    de multiples manires, et quelle est affecte, transforme par les milieux quelle traverse.

    Linformation reoit ou perd une signification chaque moment, ou tape, du trajet quelle

    effectue.

    Dans le cas prcis de la gographie, on peut considrer que linformation est

    constamment dlocalise et relocalise par le gographe, en fonction du niveau de

    signification spatiale quil lui accorde dans lconomie gnrale des concepts dont il dispose,

    mais aussi en fonction du type et de la complexit des supports ou lieux matriels lintrieur

    desquels cette information est accueillie et reprsente (la narration, la carte, latlas, la

    collection dobjets) 8. Allons plus loin : linformation gographique nexiste vrai dire que

    dans cette srie de figurations/traductions delle-mme par laquelle elle traverse la fois

    lespace, le temps, et la culture. Plus exactement encore, elle nexiste que dans les multiples

    oprations de d-localisation et re-localisation mentales et matrielles (graphiques le plus

    souvent) auxquelles elle est soumise et dont elle est le prtexte et le support.

    Il sagirait alors pour lhistorien des sciences, comme on la indiqu, dtudier le

    transport de linformation depuis son lieu dorigine jusqu son lieu de reprsentation (le

    livre, la carte, le muse, le jardin botanique), mais, surtout, il faudrait sarrter aux diverses

    oprations de reformulations ou de traductions que connat cette information pendant ce

  • 18

    transport. Dclinons les questions : quels points de dpart, quels points darrive, quels relais,

    quels circuits conducteurs, quelles formes dexpression ? Plus globalement, quel lien peut-on

    tablir, ou conserver, entre linformation dans son lieu/contexte dorigine et linformation

    charge de toutes les reformulations quelle a connues ? Quelles ruptures peut-on observer ?

    Deux exemples, de nature diffrentes. Le premier : la China illustrata de Kircher

    (1667). Louvrage est bas en grande partie, mais pas uniquement, sur les informations

    historiques et gographiques fournies Kircher par des missionnaires jsuites : Benito de

    Goes, Heinrich Roth, John Grueber. Kircher, la manire des cosmographes de son temps,

    compile et rcrit, partir de leurs relations de voyage. Mais cette opration dcriture prend

    en quelque sorte son indpendance vis--vis du matriel documentaire sur lequel elle sappuie

    en partie. Ainsi, dans une lettre du 13 janvier 1670, John Grueber se plaint des nombreuses

    inexactitudes que contient le texte de Kircher. Illustration exemplaire dun hiatus classique, si

    lon peut dire, qui spare les gographies de plein vent et les gographies de cabinet, o lon

    voit les voyageurs ne pas se reconnatre dans les traductions de leur parole et de leur

    exprience.

    Deuxime exemple, celui du trajet matriel et symbolique effectu par loblisque

    dcouvert en 1665 par les Dominicains de Santa Maria sopra Minerva lors du creusement des

    fondations dun mur, puis rig finalement, sur lordre dAlexandre VII, au centre de la place

    sur laquelle se trouve lglise. La petitesse du trajet matriel ne fait peut-tre que mieux

    ressortir, sur ce point, la vigueur du parcours symbolique effectu par cet oblisque. Cest--

    dire la puissance de captation de lobjet qui se manifeste dans les oprations philologiques,

    artistiques, politiques, urbaines, suscites par cet objet, et qui donnent lieu finalement, pour

    ainsi dire plusieurs versions de cet objet. Loblisque est pris la fois dans un programme

    de connaissance (le livre de Kircher, Obelisci Aegyptiaci, 1666), dans un programme de type

    thologico-politique (les relations entre la papaut, lEmpire, et lhermtisme), et plus

  • 19

    directement dans un projet damnagement urbain qui est totalement investi de cette mission

    symbolique qui consiste affirmer la centralit spatiale et temporelle de Rome (et lon

    connat limportance, cet gard, de la politique des oblisques dans les projets de

    structuration urbaine dvelopps par la papaut).

    Ces deux exemples nous signalent que le concept de mobilit spatiale nest pas en lui-

    mme suffisant pour rendre compte de la situation pistmologique envisage ici. Ce qui se

    transporte nest pas une information immuable : car en ralit linformation bouge, se

    transforme, se reformule, est traduite selon les contextes quelle traverse et les situations o

    elle est remploye. On pourrait dire, dune certaine faon, que linformation traverse

    lespace, charge de ses diffrentes versions, et, quau fond, ce sont ces diffrentes versions

    delle-mme, quelle connat au cours des itinraires quelle emprunte entre le site dorigine et

    le lieu darrive, qui constituent son mode dappartenance la culture. Posons comme

    hypothse que la culture scientifique dune poque serait ce systme hermneutique de

    traductions, de reformulations, ou de versions successives ou simultanes de linformation,

    versions qui lui donnent en fait sa vritable consistance, cest--dire son paisseur, au sein de

    la socit. Un objectif de travail pourrait tre de procder une cartographie de ce systme.

    III - Les schmes spatiaux mis en uvre dans le savoir gographique

    On concentrera la troisime direction de travail, qui concerne ltude de la spatialit du

    savoir scientifique, sur ltude spcifique de ce quon nommera, peut-tre un peu

    abusivement, une topique du savoir gographique. Plus exactement, on cherchera envisager

    le savoir gographique du point de vue des reprsentations ou des schmes spatiaux qui le

    sous-tendent.

    Il ne suffit pas, en effet, pour rendre compte historiquement de la spatialit du savoir

    gographique, de dire que les gographes travaillent dans des lieux et des espaces qui

  • 20

    dfinissent les conditions matrielles, sociales, culturelles, institutionnelles, de leurs activits

    (et lon pourrait numrer ici le terrain, le voyage, le cabinet, la chambre des cartes, le

    muse), ni de suivre les manires dont ces espaces sont parcourus et traverss par des flux

    dinformation. Il faudrait sans doute ajouter que les gographes fabriquent pour ainsi dire des

    espaces mentaux qui viennent redoubler et accompagner les espaces matriels dont on a parl

    jusqu prsent. Ils laborent leur conceptualit au sein despaces mentaux qui, eux-mmes,

    sont aussi des espaces de travail, ces espaces sinscrivant et se figurant en outre dans des

    objets, des reprsentations figuratives, ou des discours (schmas, graphiques, cartes,

    descriptions). La notion de topique du travail gographique, quon cherche dvelopper ici,

    correspond une tentative pour reconstituer la structure de ces espaces mentaux, ou de ces

    schmes despaces qui sincarnent dans des dispositifs graphiques, plus prcisment dans des

    espaces de reprsentation fabriqus par les gographes, et dans lesquels ces derniers inscrivent

    et dveloppent leur pense. Cest la nature et la logique propres de ces espaces destins

    produire et reprsenter du savoir gographique, plus exactement ce sont les schmes qui

    structurent ces espaces, quil sagirait alors de faire apparatre.

    Une remarque pralable cet gard. Les historiens de limprimerie et les

    pistmologues ont montr quel point, dans les procdures dtablissement des faits, les

    pratiques dcriture et dimagerie ont jou un rle dcisif. Ils ont voulu voir dans ces

    techniques dinscription et denregistrement des oprateurs heuristiques, qui possdent le

    pouvoir de produire des faits en organisant linformation pour le regard. Un grand nombre

    doutils et dauxiliaires de la recherche scientifique, qui ont pour caractristique principale

    dtre des schmatisations spatiales, se sont vus alors reconnatre une porte cognitive

    considrable : les cartes, diagrammes, listes, formules, archives, dossiers, dessins techniques,

    dictionnaires, collections de textes, ont t prsents comme autant de supports o les faits

    sinstituent et se rvlent (B. Latour, 1985).

  • 21

    Si lon reprend cette perspective, on peut reconnatre que llaboration du savoir

    gographique, au premier chef, se prsente comme une entreprise qui nest pas seulement de

    lordre de la mesure. La gographie est aussi un art du rangement des choses, et lon peut

    esprer exhiber les schmes sous-jacents ces oprations de rangement. La gographie

    enveloppe des oprations denregistrement, de codification, de classement, darchivage, de

    comparaison et de combinaison, bref tout un travail de type spatial sur les informations elles-

    mmes, qui fait de la science non seulement une qute mais aussi une gestion spatiale des

    informations et de leurs inscriptions. Et il y aurait ainsi mettre en place une authentique

    pistmologie du dossier et de larchive, compris comme des moments constitutifs du fait

    gographique. Le fait gographique, en effet, est produit dans la collecte, le rassemblement,

    lhomognisation, laccumulation des donnes. Il est li une procdure dcriture et de

    gestion des signes, que ce soit dans la carte ou dans le texte descriptif, procdure panoptique

    dont il est le rsultat et lexpression (M. Carpo, 1998). Le fait gographique se prsente au

    sein dun dispositif o sordonne la rencontre entre dune part un cumul documentaire et

    dautre part un pouvoir dcriture (M. Foucault), qui est plus largement un pouvoir de

    reprsenter de faon homogne une grande diversit de documents. Il est le produit, et pour

    ainsi dire la cristallisation ou la stabilisation, de cette rencontre et de ce dispositif.

    Il ne faudrait donc pas considrer les techniques dinscription de linformation sur des

    supports seulement comme des instruments destins favoriser des stratgies promotionnelles

    en direction dun public que lon veut convaincre. Il faut y voir aussi des mdiations

    essentielles dans les oprations proprement dites de construction des faits et des ordres

    dobjectivit. Il y a toute une dimension instituante de linscription, quil faut reconnatre

    comme telle, et qui constitue une des cls danalyse fondamentale pour une pistmologie

    historique de la gographie. La circulation des informations et des traces gographiques, leur

    accumulation, les multiples oprations de comparaison, combinaison, recouvrement,

  • 22

    slection, interprtation, auxquelles elles sont soumises, doivent tre considres comme

    autant de moments dans la constitution du savoir gographique (ce quon a appel les

    diffrentes versions du fait ). Le fait se prsente comme le terme plus ou moins stable de

    cette srie doprations. Cest la forme qui est issue de cette opration synoptique qui consiste

    rassembler en un mme lieu, et si possible de telle sorte que cela soit accessible pour un

    regard, des donnes extrmement diverses.

    La gographie de la premire modernit, exploitant les modles intellectuels offerts

    par Ptolme et Strabon ( redcouverts au cours du XVe sicle), offre un grand nombre de

    situations ou de ralisations exemplaires de cette opration synoptique. On peut les trouver

    dans lhistoire de la rception de la cartographie ptolmenne, mais aussi dans lhistoire de

    llaboration de la formule descriptive dans les livres de cosmographie universelle (du type de

    celui de Mnster, dans ses relations avec les arts de la mmoire, la rhtorique de lloge et la

    mthode des lieux communs), ou dans les premiers essais de mise au point de la formule de

    latlas (Ortelius, Lafrery, Mercator). chaque fois, il sagirait dapercevoir la schmatisation

    spatiale particulire que ces diffrents objets dveloppent, aussi bien sur le plan des

    formes logiques qui y sont mises en uvre que sur le plan matriel des modes dinscription,

    ou des types de supports. Il faudrait travailler ici au ras des pratiques savantes, des techniques

    graphiques et des dmarches de pense, et chercher faire apparatre les rgles spatiales qui

    les conduisent et les organisent.

    On peut ainsi reprer, aux XVIe et XVIIe sicles, au moins quatre schmes spatiaux

    organisant llaboration du savoir gographique et sa prsentation. Ces schmes peuvent tre

    juxtaposs, ou superposs, au sein dune mme uvre. Mais chaque fois, il faut comprendre

    que cest une pense spcifique de lespace qui est engage.

    - Il y a dabord le schme gomtrique issu de Ptolme (un Ptolme, dailleurs,

    largement revisit et reformul par les gographes de la Renaissance). Par lintermdiaire des

  • 23

    mthodes projectives et, surtout, de la mthode des coordonnes, cest un espace

    proportionn , symtrique , uniforme , qui se propose comme support de la pense

    gographique et comme cadre de son travail.

    - Mais les gographes trouvent aussi chez Ptolme un autre vocabulaire, et surtout un

    autre principe de dcoupage et dorganisation de lespace, quon pourrait appeler le schme

    des ordres de grandeur. Les ralits gographiques sont alors prsentes et penses en

    fonction de lchelle spatiale dans laquelle on les considre, ces chelles successives pouvant

    dailleurs semboter : cosmographie, gographie, chorographie, topographie, dfinissent la

    fois un cadre de rassemblement des donnes et un style danalyse de ces donnes pour le

    gographe.

    - Un des schmes spatiaux les plus volontiers utiliss par les gographes est le schme

    descriptif, dont la formule est progressivement mise au point au cours des XVe et XVIe

    sicles. Nous sommes l dans le voisinage des penses de la collection, de lencyclopdie,

    dans ce mouvement gnral de lpoque qui cherche mettre le monde en fiches, pour ainsi

    dire. La gographie trouve des modles opratoires, pour mettre en uvre sa description, du

    ct des arts de la mmoire, de la mthode des lieux communs, ou de la rhtorique de lloge

    (J.-M. Besse, 2003). Dans cette configuration intellectuelle, la gographie la fois cherche ses

    modles ailleurs (la rhtorique) et offre un modle pour dautres penses spatiales

    (lencyclopdie).

    - la fin du XVIe sicle, et surtout au XVIIe sicle, se dveloppe un nouveau schme

    spatial au sein de la gographie, le schme de la mthode, cest--dire de la division

    dichotomique du gnral vers le particulier, que certains encyclopdistes protestants

    (Keckermann, Alsted) cherchent faire concider, sans succs vritable, avec le principe

    ptolmen des ordres de grandeur (J.-M. Besse, 2002). La division entre gographie et

    chorographie se reformule dans les termes dune articulation hirarchique entre gographie

  • 24

    gnrale et gographie spciale . On est l la naissance de ce qui sera appel ensuite

    la gographie gnrale (Varenius), et lon pourrait, pour en revenir la premire partie de cet

    expos, tudier de faon assez instructive les lieux dlaboration de cette nouvelle pense

    gographique, ainsi que les modes de sa diffusion (Amsterdam, en particulier). En tout tat de

    cause, on peut observer la coexistence, au XVIIe sicle, entre deux approches gographiques

    bien diffrentes, qui entretiennent dailleurs lune et lautre des relations diffrentes avec

    linnovation copernicienne : une gographie gnrale dune part (Varenius), et une gographie

    universelle dautre part, qui prolonge la tradition descriptive.

    La cartographie dinspiration ptolmenne, par sa puissance paradigmatique et

    prospective, va constituer un des schmes fondamentaux permettant aux modernes de penser

    leur espace, mais aussi de le reprsenter et de le fabriquer rellement. Mais la gographie de

    lpoque moderne a mis en uvre, comme on vient de lindiquer, dautres schmes spatiaux

    lui permettant de donner une forme aux ralits terrestres quelle reprsente. On pourrait, tout

    aussi bien, suivre la manire dont les cartographes des XVIe et XVIIe sicles vont

    progressivement mettre au point la formule de latlas, en travaillant simultanment

    diffrentes chelles et sur diffrents supports : le livre, la galerie, le studio, le jardin. Il serait

    trs intressant, cet gard, de suivre les circulations, lintrieur de la ville de Rome ou bien

    depuis Rome vers les autres centres de production cartographique, entre le livre (Lafrry,

    Ortelius) et par exemple la galerie et le studio (Florence, Caprarola, Vatican). Dans ces

    circulations, ce qui se cherche et ce qui progressivement slabore, cest la formule dun

    espace de reprsentation, darchivage, et de consultation, caractris par lhomognit des

    formats et des chelles, mais aussi par luniformit des symboles : cet espace a parfois t

    rsum dans le mot thtre.

  • 25

    Conclusion

    Concluons en rappelant de faon synthtique les trois niveaux selon lesquels une

    approche spatiale peut tre mise en uvre au sein de lhistoire de la gographie, et plus

    largement de lhistoire des sciences.

    Premier niveau : lorganisation spatiale du savoir scientifique. Lhypothse

    dveloppe ici est que cette organisation spatiale joue un rle dterminant dans les processus

    dacquisition, de formulation, et de diffusion du savoir. En bref, quil y a une configuration

    spatiale du savoir scientifique. Et la question serait alors celle de la situation de Rome dans

    cette configuration.

    Deuxime niveau : les trajets spatiaux du savoir scientifique. Il sagit ici danalyser les

    multiples manires dont le savoir est mis en forme, mais aussi reformul, et transform, au

    cours des dplacements quil connat. On a indiqu en quoi le savoir gographique sincarne

    dans les versions successives auxquelles il donne lieu. On devrait souligner, alors, comment la

    notion dune culture gographique correspond assez prcisment la co-prsence de ces

    diffrentes versions du savoir gographique en un lieu et en un temps donn. Chacune de ces

    versions renvoyant pour ainsi dire aux autres, le systme de ces renvois et de ces

    dplacements dfinit lespace de la culture gographique. Une telle proposition est-elle

    applicable dautres secteurs, dautres rgimes de savoir ?

    Troisime niveau, plus spcifique : celui des schmes spatiaux qui constituent

    larmature des reprsentations gographiques. Nous sommes ici dans la perspective dune

    psychologie ou dune anthropologie historique, qui se proccupe de restituer les logiques

    mentales, graphiques, et instrumentales, au sein desquelles slabore le savoir gographique.

    L encore, on peut montrer comment Rome, notamment en ce qui concerne la mise au point

    de la formule de latlas, est un des lieux o se mettent en place et se dveloppent ces schmes

  • 26

    spatiaux constitutifs du savoir gographique moderne. L encore, la question se pose de la

    possibilit den dire autant pour dautres types de savoir.

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  • 27

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    1 Ce texte est issu dun expos prsent Rome le 18 dcembre 2000 lors de la Table

    ronde sur Les lieux romains de la science , dans le cadre du groupe de recherche sur La

    culture scientifique Rome lpoque moderne (cole Franaise de Rome/Centre

    Alexandre Koyr). Je remercie Antonella Romano pour ses remarques. 2 Je reprends cette expression M. Dubois, Introduction la sociologie des sciences,

    Paris, P.U.F., 1999, p. 215. 3 Voir encore rcemment, A. Buttimer, S.D. Brunn et U. Wardenga (eds.), Social

    Construction of Regional Knowledges, Leipzig, Beitrge zur Regionalen Geographie, 49,

    1999, ainsi que M.-C. Robic (dir.), Le Tableau de la gographie de la France de Paul Vidal de

    la Blache. Dans le labyrinthe des formes, Paris, CTHS, 2000. 4 Indiquons ici une fois pour toutes que les analyses qui suivent sappuient avant tout

    sur le cas de la gographie. Cependant lhypothse est quelles peuvent prendre une porte

    plus gnrale.

  • 30

    5 Les travaux de Felix Driver sur la gographie anglaise du XIXe sicle ont montr quil

    fallait utiliser le concept de centre de calcul avec prudence : ce concept en effet postule

    une homognit et une cohrence de la part des institutions de savoir, qui sont loin dy

    correspondre dans leur ralit effective. Le savoir gographique est un domaine htrogne,

    rappelle Driver, qui montre que la Royal Geographical Society est traverse par des courants

    et des intrts trs diffrents, entre lesquels les ngociations sont constantes et les tensions

    persistantes. On apprciera, au passage, la remarque adresse par lauteur la notion de

    centre de calcul : It is indeed difficult to characterize a body which finds room for

    missionaries, anti-slavery campaigners, roving explorers, mountaineers, antiquarians,

    geologists and naturalists under its umbrella as a coherent centre at all (F. Driver, 2001, p.

    47). 6 Prcisons que la notion dchelle nest pas prise ici dans son acception cartographique

    rigoureuse. 7 Jutilise ldition dAmsterdam, 1671. 8 Voir, pour cette question de la relocalisation, le travail exemplaire dA. Pagden,

    European Encounters with the New World, New Haven & London, Yale University Press,

    1993.