1
Revue Française de Comptabilité // N°478 Juillet-Août 2014 // 1 Cet article est issu de la Revue Française de Comptabilité. Parce que tous les numéros de la RFC sont riches et variés, tous les cabinets et tous les experts-comptables stagiaires doivent être abonnés. Cliquez ici et rejoignez sans tarder les 10 000 abonnés de la profession. Synthèse // Réflexion // Une entreprise/un homme // Références Logement occupé gratuitement par un associé de la SCI Point de droit des contrats Le prêt à usage est « un contrat par lequel l’une des parties livre une chose à l’autre pour s’en servir, à la charge par le pre- neur de la rendre après s’en être servi » (article 1875 du Code civil) ; « ce prêt est essentiellement gratuit » (article 1876 du Code civil). S’il est prévu un prix (v. Cour d’appel de Versailles, 28 avril 2000, n° de RG 1998-4876), il s’agira non d’un prêt à usage mais d’un bail. S’il s’agit bien d’un prêt à usage, se pose le problème du moment de la restitution du loge- ment. Soit cela est prévu par le contrat (durée déterminée), soit rien n’est prévu (contrat muet sur ce point ou pas d’acte rédigé) et alors la durée est indétermi- née. Dans cette dernière hypothèse, la Cour de cassation a considéré par inter- prétation de l’article 1888 du Code civil que « le prêteur est en droit d’y mettre fin à tout moment, en respectant un délai de préavis raisonnable » (Cour de cassa- tion, 1 re  Chambre civile, 3 février 2004, n° de pourvoi 01-00004, publié au Bulletin civil I, n° 34). Mais quoi qu’il en soit, le prêteur peut aussi demander la restitu- tion s’il survient « un besoin pressant et imprévu » (article 1889 du Code civil ; Cour d’appel de Lyon, 14 avril 2011, n° de RG 10/03205, la SCI justifie d’un besoin pressant de reprendre le logement suite à sa condamnation à racheter les parts de l’associé occupant gratuitement le bien qui se retire). Point de droit des sociétés Dans l’ordre interne (à l’égard des asso- ciés) le gérant de la société civile a le pou- voir d’accomplir tous les actes de gestion que demande l’intérêt de la société et qui entrent dans l’objet social, sous réserve de clauses limitatives de pouvoirs intro- duites dans les statuts (article 1848 du Code civil). Dans l’ordre externe (à l’égard des tiers), le gérant engage la société par les actes entrant dans l’objet social ; les clauses statutaires limitant les pouvoirs des gérants sont inopposables aux tiers (article 1849 du Code civil). Supposons un objet social ainsi rédigé : « la société a pour objet : la propriété et la gestion par bail ou autrement de l’immeuble… » (sans autres limites dans les statuts). Il a été jugé que « cette formulation, par sa généralité, autorisait le gérant à consen- tir toute autre forme d’occupation des biens concernés, y compris à titre gra- tuit, au profit notamment de tout ou partie de ses membres » (Cour de cassation, 3 e  Chambre civile, 11 février 2014, n° de pourvoi 13-11197, non publié au Bulletin). Est-ce à dire pour que tout est permis ? La réaction face à cette décision peut emprunter différentes voies de droit : n 1/ l’abus de majorité ou d’égalité. Une SCI est constituée dans un cadre familial comme support juridique des propriétés immobilières à raison de 10 parts pour le père, 90 pour sa fille et 100 pour son époux. La femme demande le divorce et entend se maintenir gratuitement dans les lieux. Son mari convoque une assemblée générale pour voter la suppression de l’at- tribution gratuite de l’immeuble (inscrite dans l’objet social) et sa mise en loca- tion. Face à un refus du père et de sa fille, l’époux allègue un abus d’égalité. La Cour de cassation considère que « le refus de deux des associés de voter en faveur du versement d’un loyer en contrepartie de l’occupation, par un seul des associés, constitue (…) une atteinte (…) à l’intérêt général de la société et le vote de la ges- tion rémunérée de l’immeuble doit être qualifiée d’opération essentielle à la survie financière » de celle-ci (Cour de cassation, 3 e Chambre civile, 16 décembre 2009, n° de pourvoi 09-10209, publié au Bulletin civil III, n° 287) ; n 2/ l’associé minoritaire qui s’estime lésé par la politique sociale suivie tenant en une mise à disposition gratuite d’un associé de l’immeuble propriété de la SCI peut demander en justice son retrait de la société (Cour de cassation, 3 e Chambre civile, 11 février 2014, préc., qui reconnaît en l’espèce « de justes motifs ») ; n 3/ la responsabilité du gérant sup- pose une faute de celui-ci (ex. violation des statuts limitant ses pouvoirs, faute de gestion). Outre l’action en réparation du préjudice subi personnellement qui s’entend strictement (Cour de cassa- tion, 3 e Chambre civile, 8 juin 2010, n° de pourvoi 09-66802, publié au Bulletin civil III, n° 113), « un ou plusieurs asso- ciés peuvent intenter l’action sociale en responsabilité contre les gérants. Les demandeurs sont habilités à poursuivre la réparation du préjudice subi par la société ; en cas de condamnation, les dommages-intérêts sont alloués à la société » (article 1843-5, alinéa 1 er , du Code civil). Le dirigeant peut égale- ment être responsable pénalement. Dans les sociétés à risque illimité, et tel est le cas d’une SCI, il n’y a pas de délits spécifiques. Il conviendra donc de suivre le droit commun, au premier chef l’abus de confiance (article 314-1 du Code pénal). Point de droit des procédures collectives L’article L. 621-2 du Code de commerce dispose que « la procédure ouverte peut être étendue à une ou plusieurs autres personnes en cas de confusion de leur patrimoine avec celui du débiteur ou de fictivité de la personne morale » . La confusion de patrimoines concerne deux personnes réelles. Ces personnes se sont toutefois comportées comme si elles n’avaient qu’un seul patrimoine : « l’entreprise exploitée par MM. Y. en société de fait jouissait des locaux de la SCI et la villa, propriété de la SCI, était occupée à usage d’habitation par M. Amédée Y. sans qu’aucun loyer n’ait été versé à la SCI qui n’avait pas de comptabilité propre ; qu’en l’état de ces constatations et appréciations établis- sant l’imbrication des éléments d’actif et de passif caractérisant la confusion des patrimoines, la cour d’appel a léga- lement justifié sa décision » d’exten- sion de la procédure (Cour de cassation, Chambre commerciale, 12 juin 2001, n° de pourvoi 98-18835, non publié au Bulletin). Une société civile immobilière (SCI) met gratuitement à disposition d’un ou plusieurs associés un ou des logements dont elle a la propriété. Généralement c’est le point de fiscalité qui retient l’attention (v. Mémentos pratiques Lefebvre, Fiscal, n° 30720 et Sociétés civiles, n os 30550 et s.). Les points de droit demeurent en suspens. Le sujet a pourtant de nombreuses facettes juridiques. Par Stéphane PRIGENT, Docteur en droit DROIT DES AFFAIRES

Le logement occupé par l'associé de la sci

Embed Size (px)

DESCRIPTION

Le logement occupé par l'associé de la sci

Citation preview

Page 1: Le logement occupé par l'associé de la sci

Revue Française de Comptabilité // N°478 Juillet-Août 2014 //

1

Cet article est issu de la Revue Française de Comptabilité. Parce que tous les numéros de la RFC sont riches et variés, tous les cabinets et tous les experts-comptables stagiaires doivent être abonnés.Cliquez ici et rejoignez sans tarder les 10 000 abonnés de la profession.

Synthèse // Réflexion // Une entreprise/un homme // Références

Logement occupé gratuitement par un associé de la SCI

Point de droit des contrats

Le prêt à usage est « un contrat par lequel l’une des parties livre une chose à l’autre pour s’en servir, à la charge par le pre-neur de la rendre après s’en être servi » (article 1875 du Code civil) ; « ce prêt est essentiellement gratuit » (article 1876 du Code civil). S’il est prévu un prix (v. Cour d’appel de Versailles, 28 avril 2000, n° de RG 1998-4876), il s’agira non d’un prêt à usage mais d’un bail. S’il s’agit bien d’un prêt à usage, se pose le problème du moment de la restitution du loge-ment. Soit cela est prévu par le contrat (durée déterminée), soit rien n’est prévu (contrat muet sur ce point ou pas d’acte rédigé) et alors la durée est indétermi-née. Dans cette dernière hypothèse, la Cour de cassation a considéré par inter-prétation de l’article 1888 du Code civil que « le prêteur est en droit d’y mettre fin à tout moment, en respectant un délai de préavis raisonnable » (Cour de cassa-tion, 1re Chambre civile, 3 février 2004, n° de pourvoi 01-00004, publié au Bulletin civil I, n° 34). Mais quoi qu’il en soit, le prêteur peut aussi demander la restitu-tion s’il survient « un besoin pressant et imprévu » (article 1889 du Code civil ; Cour d’appel de Lyon, 14 avril 2011, n° de RG 10/03205, la SCI justifie d’un besoin pressant de reprendre le logement suite à sa condamnation à racheter les parts de l’associé occupant gratuitement le bien qui se retire).

Point de droit des sociétés

Dans l’ordre interne (à l’égard des asso-ciés) le gérant de la société civile a le pou-voir d’accomplir tous les actes de gestion que demande l’intérêt de la société et qui entrent dans l’objet social, sous réserve de clauses limitatives de pouvoirs intro-duites dans les statuts (article 1848 du Code civil). Dans l’ordre externe (à l’égard

des tiers), le gérant engage la société par les actes entrant dans l’objet social ; les clauses statutaires limitant les pouvoirs des gérants sont inopposables aux tiers (article 1849 du Code civil). Supposons un objet social ainsi rédigé : « la société a pour objet : la propriété et la gestion par bail ou autrement de l’immeuble… » (sans autres limites dans les statuts). Il a été jugé que « cette formulation, par sa généralité, autorisait le gérant à consen-tir toute autre forme d’occupation des biens concernés, y compris à titre gra-tuit, au profit notamment de tout ou partie de ses membres » (Cour de cassation, 3e Chambre civile, 11 février 2014, n° de pourvoi 13-11197, non publié au Bulletin).

Est-ce à dire pour que tout est permis ? La réaction face à cette décision peut emprunter différentes voies de droit : n 1/ l’abus de majorité ou d’égalité. Une SCI est constituée dans un cadre familial comme support juridique des propriétés immobilières à raison de 10 parts pour le père, 90 pour sa fille et 100 pour son époux. La femme demande le divorce et entend se maintenir gratuitement dans les lieux. Son mari convoque une assemblée générale pour voter la suppression de l’at-tribution gratuite de l’immeuble (inscrite dans l’objet social) et sa mise en loca-tion. Face à un refus du père et de sa fille, l’époux allègue un abus d’égalité. La Cour de cassation considère que « le refus de deux des associés de voter en faveur du versement d’un loyer en contrepartie de l’occupation, par un seul des associés, constitue (…) une atteinte (…) à l’intérêt général de la société et le vote de la ges-tion rémunérée de l’immeuble doit être qualifiée d’opération essentielle à la survie financière » de celle-ci (Cour de cassation, 3e Chambre civile, 16 décembre 2009, n° de pourvoi 09-10209, publié au Bulletin civil III, n° 287) ;n 2/ l’associé minoritaire qui s’estime lésé par la politique sociale suivie tenant en une mise à disposition gratuite d’un

associé de l’immeuble propriété de la SCI peut demander en justice son retrait de la société (Cour de cassation, 3e Chambre civile, 11 février 2014, préc., qui reconnaît en l’espèce « de justes motifs ») ; n 3/ la responsabilité du gérant sup-pose une faute de celui-ci (ex. violation des statuts limitant ses pouvoirs, faute de gestion). Outre l’action en réparation du préjudice subi personnellement qui s’entend strictement (Cour de cassa-tion, 3e Chambre civile, 8 juin 2010, n° de pourvoi 09-66802, publié au Bulletin civil III, n° 113), « un ou plusieurs asso-ciés peuvent intenter l’action sociale en responsabilité contre les gérants. Les demandeurs sont habilités à poursuivre la réparation du préjudice subi par la société ; en cas de condamnation, les dommages-intérêts sont alloués à la société » (article 1843-5, alinéa 1er, du Code civil). Le dirigeant peut égale-ment être responsable pénalement. Dans les sociétés à risque illimité, et tel est le cas d’une SCI, il n’y a pas de délits spécifiques. Il conviendra donc de suivre le droit commun, au premier chef l’abus de confiance (article 314-1 du Code pénal).

Point de droit des procédures collectives

L’article L. 621-2 du Code de commerce dispose que « la procédure ouverte peut être étendue à une ou plusieurs autres personnes en cas de confusion de leur patrimoine avec celui du débiteur ou de fictivité de la personne morale ». La confusion de patrimoines concerne deux personnes réelles. Ces personnes se sont toutefois comportées comme si elles n’avaient qu’un seul patrimoine : « l’entreprise exploitée par MM. Y. en société de fait jouissait des locaux de la SCI et la villa, propriété de la SCI, était occupée à usage d’habitation par M. Amédée Y. sans qu’aucun loyer n’ait été versé à la SCI qui n’avait pas de comptabilité propre ; qu’en l’état de ces constatations et appréciations établis-sant l’imbrication des éléments d’actif et de passif caractérisant la confusion des patrimoines, la cour d’appel a léga-lement justifié sa décision » d’exten-sion de la procédure (Cour de cassation, Chambre commerciale, 12 juin 2001, n° de pourvoi 98-18835, non publié au Bulletin).

Une société civile immobilière (SCI) met gratuitement à disposition d’un ou plusieurs associés un ou des logements dont elle a la propriété. Généralement c’est le point de fiscalité qui retient l’attention (v. Mémentos pratiques Lefebvre, Fiscal, n° 30720 et Sociétés civiles, nos 30550 et s.). Les points de droit demeurent en suspens. Le sujet a pourtant de nombreuses facettes juridiques.

Par Stéphane PRIGENT, Docteur en droit

droit des affaires