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Revue des Questions Scientifiques, 2011, 181 (2) : 439-478 Bibliographies Histoire et Philosophie des Sciences Denis Buican – Biologie. Histoire et philosophie – 1 vol. de 232 pp. (14 × 22) – Broché – CNRS éditions (2010) – 25€ – isbn 978-2-271-07022-7, 2010. Denis Buican, de son nom roumain d’origine Dumitru Peligrad, est un scientifique et aussi un écrivain de renom en particulier pour des ouvrages re- latifs à l’Évolution : « Darwin – dans l’histoire de la pensée biologique », « L’épopée du vivant », « L’évolution de la Biologie », « L’odyssée de l’Évolu- tion », « Le darwinisme et les évolutionnistes », « Mendel dans l’histoire de la Génétique », « L’évolution et les théories évolutionnistes » mais aussi « Univer- sité, vache folle et sacrée de la République », « Dracula et ses avatars » et de nombre d’articles et essais. Écrivain prolifique donc, il est aussi cité en abon- dance à propos de prises de positions sur l’éthique en rapport avec la biologie (cellules souches, recherches sur l’embryon, transhumanisme, OGM, …). En- fin, il est auteur de poèmes en français et roumain qui, selon certains, font penser a Cioran. Écrivain aux multiples facettes, chercheur, historien, philo- sophe, conférencier, poète… l’homme n’est certes pas banal. L’ouvrage présent reprend un vaste savoir dont D.B a déjà fait état par le passé (la bibliographie commence par la lettre B de Buican avec une liste de plus d’une demi-douzaine de ses livres), ce qui n’affecte évidemment pas l’inté- rêt du lecteur néophyte. Trois grandes parties sont présentes : 1. De la philoso- phie naturelle antique à la Biologie contemporaine. 2. Du développement de la génétique à l’explosion biologique actuelle. 3. Du vivant au connaissant : la biognoséologie. Les deux premières parties sont un exposé, à bien des égards brillant, de l’histoire de la science biologique. Buican est au départ un chercheur biologiste devenu théoricien mais doublé d’un fin connaisseur de l’histoire des sciences et de la philosophie. Il met bien en lumière les premiers balbutiements du trans-

Rev. Quest. Sci., 2011, 182 (4 - UNamur

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Revue des Questions Scientifiques, 2011, 181 (2) : 439-478

Bibliographies

Histoire et Philosophie des Sciences

Denis Buican – Biologie. Histoire et philosophie – 1 vol. de 232 pp. (14 × 22) – Broché – CNRS éditions (2010) – 25€ – isbn 978-2-271-07022-7, 2010.

Denis Buican, de son nom roumain d’origine Dumitru Peligrad, est un scientifique et aussi un écrivain de renom en particulier pour des ouvrages re-latifs à l’Évolution  : «  Darwin – dans l’histoire de la pensée biologique  », « L’épopée du vivant », « L’évolution de la Biologie », « L’odyssée de l’Évolu-tion », « Le darwinisme et les évolutionnistes », « Mendel dans l’histoire de la Génétique », « L’évolution et les théories évolutionnistes » mais aussi «  Univer-sité, vache folle et sacrée de la République », « Dracula et ses avatars » et de nombre d’articles et essais. Écrivain prolifique donc, il est aussi cité en abon-dance à propos de prises de positions sur l’éthique en rapport avec la biologie (cellules souches, recherches sur l’embryon, transhumanisme, OGM, …). En-fin, il est auteur de poèmes en français et roumain qui, selon certains, font penser a Cioran. Écrivain aux multiples facettes, chercheur, historien, philo-sophe, conférencier, poète… l’homme n’est certes pas banal.

L’ouvrage présent reprend un vaste savoir dont D.B a déjà fait état par le passé (la bibliographie commence par la lettre B de Buican avec une liste de plus d’une demi-douzaine de ses livres), ce qui n’affecte évidemment pas l’inté-rêt du lecteur néophyte. Trois grandes parties sont présentes : 1. De la philoso-phie naturelle antique à la Biologie contemporaine. 2. Du développement de la génétique à l’explosion biologique actuelle. 3. Du vivant au connaissant  : la biognoséologie.

Les deux premières parties sont un exposé, à bien des égards brillant, de l’histoire de la science biologique. Buican est au départ un chercheur biologiste devenu théoricien mais doublé d’un fin connaisseur de l’histoire des sciences et de la philosophie. Il met bien en lumière les premiers balbutiements du trans-

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formisme, depuis les intuitions fixistes ou Lamarckistes jusqu’à l’épanouisse-ment du Darwinisme. Dans une deuxième partie, il traite de l’éclosion de la théorie synthétique incorporant la génétique et des développements récents de la biologie moléculaire. Le style est clair et la pensée vive. Nombre de détails significatifs de cette histoire sont exhumés ici, ou du moins apparaissent comme tels au lecteur que je suis. Ceci dit, ce texte qui constitue la démonstra-tion d’une incontestable culture scientifique va-t-il permettre au non spécialiste de comprendre correctement la biologie qui est en arrière-plan ? Je n’en suis pas certain bien qu’il me soit difficile, étant du domaine, de me mettre dans la si-tuation de ce lecteur moins initié. Sans doute l’auteur ne veut-il donner de la base biologique que ce qui lui permet d’énoncer des idées “métabiologiques” philosophiques, voire des opinions personnelles. C’est à mon avis le reproche qu’on peut faire à ce type d’œuvre qui, sur la matière qui la fonde – ici la biolo-gie - est quelquefois allusif (comment donner une idée claire de certaines ques-tions sans recourir au moindre schéma ?) et risque donc de faire adopter les conclusions sans compréhension suffisante des prémisses. On dira qu’il y a des précédents si on se rappelle, pour se limiter à l’école française, les Monod, Ja-cob, Changeux mais à la différence que, chez ces derniers, les écrits grand pu-blic n’étaient que peu sur la biologie et davantage sur leur pensée philosophique de biologiste. Plus près de nous, C. de Duve, aborde lui aussi dans ses ouvrages grand public des questions philosophiques, mais non sans avoir donné, avec une grande qualité pédagogique, les nécessaires attendus scientifiques de sa pensée ou sans au moins renvoyer à des ouvrages antérieurs où il a exposé de manière approfondie ces fondements. Ce n’est pas le cas chez Buican. Parfois même il y a chez celui-ci une véritable ellipse quand ce n’est pas une distorsion des faits et du contexte scientifique pourtant nécessaires pour bien comprendre le sujet. Deux exemples. Au chapitre sur « Le Morganisme et la théorie chro-mosomique de l’hérédité » le lecteur comprend (p. 108) que Morgan a été chan-ceux d’utiliser pour ses travaux la mouche drosophile « cobaye idéal … (car) cet insecte possède (…) des chromosomes facilement observables au microscope (…) (Morgan a) constaté que dans ces chromosomes… se trouvent les gènes ». Rien n’est vrai dans cette proposition du point de vue de ce qui a animé la dé-marche scientifique de Morgan, lequel se passait complètement de la nécessité de l’existence matérielle des chromosomes et même du gène pour construire la génétique factorielle. À la page 109 l’auteur persiste en écrivant : « La décou-verte, en 1933, de chromosomes géants (…) de drosophile a permis une meilleure observation (…) et a facilité l’étude des gènes ». Morgan, ni personne avant longtemps, n’a « observé » de gènes ! Du reste Morgan eut le prix Nobel en 1933, ce qui montre bien que les chromosomes géants de 1933 n’ont rien fait à l’affaire (il en parle cependant dans son speech Nobel). Un autre exemple,

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parmi d’autres, peut être trouvé au chapitre « Biologie Moléculaire et Géné-tique ». Il est écrit (p.128) « Watson et Crick, découvrant la structure (…) de l’ADN constatèrent qu’elle est composée (…) de quatre molécules ». Plus loin (p. 129) Buican écrit à propos du code qu’il fut « élucidé grâce au calcul mathé-matique » et à propos de la redondance qu’elle serait « un non-sens cyberné-tique mais pas génétique » parce que « certains triplets en surnombre peuvent servir à la transcription (sic !) des amino-acides… ». Le reproche n’est pas tant qu’il y ait de vraies erreurs dans les termes et dans les concepts, mais surtout que le chemin de la recherche et de la découverte est expliqué de manière com-plètement biaisée : Morgan n’a pas « observé » des gènes, Crick et Watson n’ont pas «  constaté  », le code n’est pas « cracké » par le calcul… L’aventure de la connaissance fut éminemment plus intéressante et intelligente.

Plus vénielle est l’habitude adoptée par Buican, plus français encore que d’autres, de ne pas manquer une occasion de donner la primauté d’une décou-verte, d’une théorie, d’une idée à un auteur français ou… né français (comme p. 109, Émile Guyénot, professeur à Genève qui a contribué à la technique de l’élevage aseptique des drosophiles…). Buican revient enfin ici longuement, sans qu’on en soit étonné, avec sa propre nouvelle théorie de l’Évolution, dite « théorie synergique de l’évolution » qu’il développe au terme de la partie 2 du livre. Personnellement de telles élaborations assorties de néologismes ne me semblent ni pertinentes, ni utiles. Elles donnent en quelque sorte le sentiment d’être le produit d’une réflexion brillante et gratuite, caracolant « plus vite que la musique » càd sans s’appuyer sur des avancées de bonne science. La biologie actuelle qu’on désigne de « Evo-Devo » a besoin de théorisation, sans doute aucun, mais nous l’attendrions plus dans le champ bien réel des systèmes (« sys-tems biology ») et de la complexité. Par ailleurs, elle a grand besoin aussi de plus d’expérimentation, Celle-ci se développe déjà actuellement grâce aux tech-niques du génie génétique (dont nous parle effectivement D.B), mais dans le cadre fécond de la biologie synthétique ou celui de l’évolution moléculaire et cellulaire in vitro  ; plusieurs travaux pionniers auraient mérité mention. Les dernières lignes de cette part 2 parlent « … d’un cheminement probabiliste du mouvement évolutif qui devrait déboucher sur une biognoséologie, une véri-table évolution et révolution de la connaissance ». Ces derniers mots reprennent le titre d’un ouvrage de D.B paru aux PUF en 1989 et annoncent le sujet de la 3e partie du livre.

Dans cette dernière partie, l’auteur en 3 chapitres « Racines biologiques du comportement », « Biognoséologie et connaissance », « Rhizomes biognoséolo-giques. Archétypes, symboles, langages » va tenter de rassembler l’ensemble de ses idées et théories en un tout cohérent. Il s’agit ici de philosophie et d’histoire

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des idées. Lisant ces développements en tant qu’expérimentateur, on ne peut qu’être étonné, et un peu mal à l’aise, de suivre un effort de pensée, mais qui apparaît parfois de pure verbalisation. Buican semble en effet croire qu’il peut révéler, par cet effort seul, une vérité – une « idée sur le vivant » – qui nous serait voilée. Il suffirait d’avoir la force intellectuelle de soulever le voile pour que la vision explicative saute aux yeux ou du moins à l’esprit. Un tel a priori est aux antipodes de la position du chercheur. Sans doute celui-ci n’est-il pas exempt lui-même de certains a priori mais il est en quête avant tout de données solides. Une fois ces données obtenues il s’efforce bien entendu d’en comprendre les articulations. Mais il n’a plus l’idée naïve qu’il y aurait une seule « clef » à dé-couvrir. Je ne crois pas qu’il y ait un biologiste qui répéterait comme Crick, début 1953 : « Nous avons découvert le secret de la vie ! » car il ne croit plus qu’il y a ce secret, ce Graal singulier à débusquer au bout du chemin de la recherche. Sa vision est profondément différente de celle du philosophe, nous semble-t-il… peut-être est-elle aussi fondamentalement plus modeste.

Toujours est-il que les 3 chapitres achevant ce livre sont comme un autre livre  : il y est question surtout de la connaissance et de références philoso-phiques ou “métabiologiques” avec lesquelles l’auteur jongle. De Kant à Edel-man et Changeux en passant par Lorenz, Popper, Jung, Freud, Mac Lean… L’autorité de ces auteurs, l’intelligence de leurs assertions sont convoquées par D.B à l’appui de ses propres idées. D.B biologiste s’efface devant D.B philo-sophe lorsque, par exemple, il disserte sur la connaissance et la cognitivité en ne rappelant pas qu’il y a à ces questions un volet de propriétés moléculaires ac-tuellement au cœur de la recherche. En outre, le vaste domaine des interactions moléculaires avec l’essor de l’interactomique (réseaux moléculaires et cellu-laires) au cœur de la biologie des systèmes devrait, me semble-t-il, inspirer aussi le questionnement du philosophe sur ce que nous appelons la connais-sance, la reconnaissance, la mémoire… Peut-être D.B intégrera-t-il ces aspects dans un prochain ouvrage où, comme dans celui-ci, il entraînera ses lecteurs dans une réflexion riche, quelquefois un peu « éclatée », mais toujours intéres-sante.

Ce livre sera lu avec profit par les curieux de l’histoire des idées en biolo-gie. Puisse-t-il, malgré la notoriété de son auteur, être lu avec une certaine cir-conspection par les philosophes parce que la présentation, allusive et parfois approximative du contenu biologique qu’il offre, la mérite.

Jean Vandenhaute

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Axel Kahn, Valérie Pécresse – Controverses. Université, science et progrès – 1 vol. de 250 pp – (14 × 22.5) – Broché – NiL (2011) – 19 € – isbn 978-2-84111-547-1.

Cet ouvrage rassemble les propos recueillis par Michel Alberganti, journa-liste à France Culture, au cours de plusieurs séances d’interviews de Valérie Pécresse, alors ministre de la Recherche et de l’Enseignement supérieur en France et du professeur Axel Kahn, généticien réputé, écrivain et conférencier vulgarisateur scientifique à succès mais aussi moraliste et, depuis 2007, prési-dent élu de l’université Paris-Descartes (plus de 35000 étudiants). Également important : l’une est de droite, diplômée d’une haute école de sciences commer-ciales (HEC), l’autre médecin, biologiste et généticien fut membre du parti communiste et demeure un intellectuel de gauche mais qui se dit libre de toute affiliation partisane.

Le débat sur l’université et la recherche se passe entre interlocuteurs convaincus de l’importance de l’enjeu pour l’avenir de la société et tous deux, à leur manière, sont engagés dans la réflexion, mais aussi l’action directe, au service de cette «  juste cause » et même passion. Bien sûr, la perspective est hexagonale et le lecteur non français ne captera pas nécessairement toutes les allusions, ni les égratignures verbales que les interlocuteurs se portent ou les sigles ésotériques qui émaillent leur discussion, petit travers si fréquent outre Quiévrain. On est aussi frappé du poids idéologique que le sujet revêt, de l’im-prégnation politique du monde de l’éducation et singulièrement universitaire en France, très perceptible notamment dans les discussions sur le concept de «  progrès  ». Ce qui en revanche s’applique au delà de la seule France est le constat de la décadence qu’enregistrent « nos » systèmes universitaires en com-paraison avec les États-Unis mais aussi, bientôt, avec certains pays émergents. L’essor économique s’observe précisément chez ceux qui ont investi et investis-sent dans la recherche fondamentale ! Le retard entre niveaux universitaires des pays se mesure en publications, en « ranking » comme on dit, en nombre de brevets et de « spin-off » et autres « start-up », dans l’implication du privé, la fuite des cerveaux ou l’attractivité envers les post-docs étrangers,… Il est donc question au fil des pages de compétitivité et de succès qui vont de pair avec évaluation, sanction, élitisme, tous termes parfois devenus des « gros mots » pour la gauche s’opposant à une méritocratie qui bénéficierait aux privilégiés du système, investi par la droite … Ces termes, les interlocuteurs les discute-ront chacun et il nous semble assez remarquable qu’il finisse par apparaître, sur bien des points essentiels, un consensus. A. Kahn de son côté dira (p. 143) qu’il y a 4 manières d’accorder une promotion - l’ancienneté, le hasard, l’arbitraire ou l’évaluation - n’acceptant, bien sûr, que la dernière et exigeant (et appli-

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quant) même l’évaluation, s’agissant des enseignants-chercheurs. Il dit ne pas aimer la gratification financière qui devrait, selon la ministre, aller «  aux meilleurs chercheurs » car la recherche est aussi affaire d’équipe et il n’approuve pas cette « personnalisation » de la recherche ni la « modulation » qui voudrait qu’un chercheur mal-évalué enseigne davantage (p.147) car elle établirait une hiérarchie indue entre les deux fonctions universitaires. De son côté la ministre souhaite non seulement la gratification financière personnelle des meilleurs, la revalorisation générale du diplôme de docteur dans la fonction publique comme le privé, mais elle veut aussi la récompense pour les universités les plus performantes. Elle a conscience qu’il faut modifier pour cela de fond en comble le mode traditionnel en France d’allocations à la recherche ; et la réforme l’a fait, contre vents et marées. Mais elle sait aussi que les mentalités à l’université et dans le public doivent changer pour assurer un effet profond et durable. Elle relève de manière anecdotique, mais à notre sens intéressante, le nombre de films américains qui sont consacrés à de la science (fiction), où les héros sont des professeurs d’université (elle cite p. ex. « Avatar » ou « Indiana Jones ») et aux scénarios de tout genre qui se déroulent dans des campus au demeurant superbes. C’est que, dit-elle, la fierté de la nation américaine se niche dans ces sujets, ce qui est loin d’être le cas en France.

Ce livre introduit le lecteur dans une vraie controverse car beaucoup op-pose les intervenants, comme le dit le découpage des deux premiers chapitres : « Deux parcours que presque tout oppose », « Deux conceptions du monde, une même université ». Cependant dès les chapitres trois « Quelle réforme pour réconcilier société et université » et quatre « Comment l’université peut-elle fa-çonner l’avenir ? » apparaît une convergence, nous le disions, sur l’essentiel  : faire une université où la recherche (et la formation à la recherche) serait cen-trale  ! À Harvard il y a 6000 doctorants pour une population estudiantine d’environ 20000, à Paris-Descartes la proportion tombe à moins de 1/20 (p. 132). Aucun système n’est parfait ni du reste transposable, mais le concept d’excellence est à la base de l’université dans tous ses aspects, même si, bien entendu, il faut s’accorder sur les critères à appliquer.

Pour repositionner les universités dans le mouvement vers l’excellence plu-tôt que la décadence, il fallait donc une réforme. On apprend qu’après avoir fait l’unanimité contre elle, aujourd’hui cette réforme initiée par la ministre est jugée globalement positive et les opposants d’hier ne prévoient plus de marche arrière. C’est là une information que les medias, souvent cantonnés dans des postures sectaires, ne nous disent que rarement.

Pour autant, des différences demeurent. Axel Kahn pourra complètement exprimer sa différence «  de gauche  » dans le dernier chapitre «  Un monde

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meilleur peut-il advenir sans projet  ?  ». Le président d’université répond « non ! ». Il assume résolument les mesures prises pour promouvoir son univer-sité Paris-Descartes dans le palmarès national et international et il prend les « moyens » neufs que la réforme accorde, mais il veut qu’une « fin » correcte soit assignée à la réforme : il faut, dit-il, un projet « humaniste » qui fait défaut selon lui. On retrouve donc ici encore l’opposition entre la «  gauche  » présentée comme riche d’idéal et l’option « libérale » considérée comme dédiée au profit et à l’inégalitarisme. Valérie Pécresse se défend bien entendu de l’accusation de ne pas avoir d’autre projet que le « bougisme » qu’on lui colle, mais elle croit qu’il faut – et à tout prix – « bouger » et que l’élan donné à l’université animera (donnera un supplément d’âme, pourrait-on dire) la société. Selon elle le résul-tat sera, en toute hypothèse, « bon » pour la société pourvu que l’université re-gagne son pouvoir d’initiative et il n’est pas essentiel de trancher au préalable la question idéologique de savoir si l’université est développée « pour » le progrès vu sous l’angle économique ou sous l’angle de la qualité de vie. Pour la libérale qu’elle est l’une viendra avec l’autre et elle n’est sans doute pas loin de penser que l’une ne peut venir que de l’autre !

Le livre, au delà de la qualité intellectuelle et de l’élévation de pensée des protagonistes qu’on y trouve, intéressera tout qui s’inquiète de l’avenir de nos sociétés. En effet l’argumentation venant de gauche ou de droite – la « disputa-tio » – y est menée avec vivacité mais sérieux. Elle est appuyée de faits, de don-nées, de références vérifiables. Le lecteur d’un tel ouvrage grand public n’ira que rarement jusqu’à chercher à vérifier lui-même les assertions. Mais la forme du dialogue entre protagonistes de cet ouvrage présente l’avantage que lorsque ceux-ci tombent partiellement d’accord sur tel ou tel point, il est évident que le lecteur sera tenté, à juste titre, de faire l’économie d’autres recherches de sources et de se rallier à cet avis consensuel, même si au départ cet avis n’était pas le sien. Au delà du débat franco-français sans grand intérêt et parfois curieux (on songe p. ex. au clivage université – grandes écoles dont on ne peut s’empêcher de penser qu’il est un dysfonctionnement national) l’université de quelque pays que ce soit devra demain demeurer le lieu de recherche, de formation et de ci-vilisation mais ne pourra le faire sans prendre en compte une série de questions et de défis : la liberté du chercheur, l’évaluation, la compétition, la démocrati-sation, la concurrence, le bien commun, la fuite des cerveaux, la recherche fondamentale et celle qui le serait moins, l’administration et l’administration de la recherche, la gratification du chercheur, l’option chercheur vs enseignant, l’école d’application vs l’université, la réussite en 1° cycle, l’autonomie institu-tionnelle, le rôle du politique, le rôle du privé, le service à la société, l’incuba-tion industrielle, la professionnalisation…

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Le livre rappellera aux pessimistes que le pire n’est jamais sûr. La réforme de l’université française, centre de l’ouvrage, a connu comme nous le rappelions une opposition gigantesque en France : la ministre Pécresse a dû, en 3 ans,  as-sumer… 130 évacuations d’universités, affronter une grève totale de toutes les universités s’opposant à sa loi d’autonomie (LRU) en 2007 et, en 2009, subir une nouvelle paralysie totale des universités par les enseignants-chercheurs pour protéger leur statut. Cependant, aujourd’hui l’autonomie a été adoptée librement par la majorité des institutions à un rythme accéléré par rapport au plan initial et les fameux droits acquis ont pu être remis en cause dans l’univer-sité !

Sans doute cela a-t-il quelque chose à voir avec l’affirmation de la ministre Pécresse, terminant son intervention dans l’ouvrage, selon laquelle «  sa » ré-forme n’est ni de gauche ni de droite. On ne peut être que d’accord avec elle au moins quand elle souhaite que d’autres questions aussi importantes que l’édu-cation et la liberté, résolument indissociables et fondatrices de la démocratie, soient traitées plus souvent par des hommes et femmes de bonne volonté sans référence à des idéologies partisanes. Nous pensons que quelques extraits de ce petit livre pourraient être des notes de table de chevet ou encore être épinglés au-dessus du lit de certains responsables d’académie ou de ministères.

Jean Vandenhaute

Biologie-Médecine

David Deamer and Jack W. Szostak eds – The Origins of Life – 1 vol. de 318 pp – (26 × 18.5) – broché – Cold Spring Harbor Perspectives in Biology Collection, CSH Press – (2010) – $135 – isbn 978-1-936113-04-0

Dans le présent volume publié par les presses du fameux Cold Spring Har-bor Laboratory, une vingtaine de spécialistes déclinent en autant de chapitres leur contribution à la question en titre. Ces chapitres sont répartis en 5 parties : Setting the Stage ; Components of First Life ; Primitive Systems ; First Polymers et Transition to a Microbial World. L’ouvrage débute par Introduction and Over-view des deux éditeurs, suivi de Historical Develpoment on Origin Research, par Antonio Lazcano. On peut véritablement dire que ces deux introductions, l’une générale, l’autre historique constituent l’accès indispensable au livre, du moins pour le lecteur non spécialiste. Lazcano rappelle d’abord les idées des lointains grands précurseurs, Buffon, Lamarck, Erasmus Darwin et il souligne l’innovation que constitua la vision «  historique  » introduite par Charles Darwin dans l’approche de la vie. À ces œuvres anciennes, où sur le sujet on

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trouve davantage de concepts et doctrines que de données, va succéder la pé-riode qui voit la physicochimie investir définitivement le domaine. L’auteur égrène un chapelet de contributions depuis Berzelius, Wöhler, Huxley, Strec-ker, Pasteur, Mendeleev, Herrera et d’autres jusqu’à l’aube du xxe siècle. À l’époque elles ne furent pas nécessairement perçues en connexion avec le pro-blème de l’origine de la vie, toujours en raison de préconceptions philoso-phiques très présentes telles le vitalisme et le créationnisme qui court-circuitaient en quelque sorte toute interrogation sur ce sujet. On doit crédit à Oparin et Haldane pour avoir donné le véritable essor à ce qui allait devenir une disci-pline en soi, notamment en introduisant l’hypothèse de l’origine hétérotrophique du vivant (des composés organiques préexistants dans la « soupe primitive ») et celle de « coacervats » primordiaux qui auraient enclavé du protoplasme le sé-parant ainsi du milieu externe. Moins connues sont certaines intuitions remar-quables que Laczano nous rappelle avec bonheur. Ainsi Leonard Troland, dans l’entre deux guerres, propose l’existence d’une « enzyme primordiale » dotée, d’une part, d’autocatalyse et se multipliant et, d’autre part, d’hétérocatalyse modifiant les composants du milieu et donc source du « métabolisme ». Une version de cette « molécule primordiale » se retrouve chez Muller, l’élève de Morgan, mais ce serait ici l’ADN à partir duquel la vie, brusquement, émerge-rait. Il s’oppose en cela à Oparin, évolutionniste prônant un changement qui ne peut être que progressif et Laczano nous explique l’influence, chez ces auteurs, de leurs préjugés idéologiques et politiques. Muller avait migré en URSS qu’il quitta, écoeuré du Stalinisme et du Lyssenkisme, tandis que Oparin était un scientifique en vue en URSS qui refusait toute forme de génération « sponta-née ». On apprend aussi que Oparin finit par concevoir un modèle de coacer-vats initial contenant non pas de l’ADN mais de l’ARN. Cette dernière hypothèse anticipe remarquablement sur le « monde à ARN » qui semble pour beaucoup de scientifiques actuels avoir effectivement précédé l’ADN dans la biosphère (le lecteur trouvera une mise au point sur la question dans un autre ouvrage récent de CSHL press dont la référence est donnée en fin de cette note). On voit ainsi grâce à Laczano comment certaines idées, souvent pures spéculations auxquelles la pauvreté des moyens et données réduisaient les au-teurs, vont devenir des modèles pertinents : c’est encore le cas pour l’hétérotro-phie et le «  bouillon  » nutritif primitif qui recevra un appui décisif avec le travail bien connu de Stanley Miller auquel plusieurs pages sont consacrées. À ce propos, Laczano souligne bien que la production si aisée, dans des condi-tions supposées prébiotiques, d’une multitude de molécules organiques, dont divers « building blocks » du vivant, et le fait que ces mêmes composés se re-trouvent dans des météorites tels « Murchison » n’est pas une coïncidence et va dans le sens de l’hypothèse « hétérotrophique » d’une génération « spontanée »

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de la vie dans des conditions passées sur notre globe, mais aussi ailleurs, si des conditions semblables y ont prévalu. L’histoire de l’encore jeune science de l’origine de la vie telle que Laczano nous la brosse à larges traits apparaît pas-sionnante par les idées et les intuitions qui l’émaillent comme par l’importance évidente du sujet.

Au terme de cette introduction historique, on est impatient d’apprendre comment les chercheurs appréhendent expérimentalement la chimie prébio-tique, quels sont les progrès du vaste domaine de l’exobiologie, ce qu’est deve-nue la conception de coacervats revue à la lueur de ce qu’on sait de membranes et de leur autoorganisation in vitro sous la forme de liposomes, ce qu’on sait du parcours de la vie et des rouages essentiels de son fonctionnement grâce à la connaissance de l’ADN et à l’étude des génomes, dans quelle mesure la dispo-nibilité de l’ingénierie génétique a-t-elle permis d’avancer dans le rêve de « syn-thèse » ab initio du vivant… Dans les chapitres suivants, nous quittons donc l’histoire passée et entrons dans celle qui est en cours, c’est-à-dire qu’écrivent sous nos yeux les chercheurs. Les deux premières parties (avec sept chapitres) sont essentiellement consacrées à la description et à l’interprétation de données acquises sur la chimie de l’espace cosmique, de la terre, de l’atmosphère, des planètes, des météorites avec deux chapitres en fin de la part 2 sur les ribonu-cléotides dont il est difficile de concevoir une chimie prébiotique « simple », ce qui en fait une pierre d’achoppement pour la théorie « RNA world », et la ques-tion de l’origine de l’homochiralité biologique.

Les articles de la partie 3 et des suivantes se démarquent des précédents en ce qu’on y quitte le terrain historique ancien et aussi celui des descriptions de données observées pour rentrer progressivement dans celui de la simulation et de l’expérimentation de laboratoire. Comme on le perçoit à la lecture de quelques termes trouvés au titre de.ces chapitres, ils sont toujours très tech-niques : « Bioenergetics… », «  Mineral Surfaces, Geochemical complexities… » « …Self-Assembled Vesicles… », « Membranes… », « Primitive Genetic Polymers » etc… et on mesure, sans surprise, combien la chimie y est prédominante. À partir de la p. 229, certains titres de chapitres sont davantage parlants pour le biologiste « …Replicating RNA… » « …Origins of Cellular Life », « Origin and the Evolution of the Ribosome ». Ces derniers chapitres parlent encore de l’obser-vation mais il y est question aussi d’approches empiriques. Par exemple, l’obser-vation de la biogenèse et l’étude de la structure comparée de ribosomes du vivant disent quelque chose sur les relations structure-fonction de cet « appa-reil » cellulaire et permettent d’imaginer des modèles primordiaux qui auraient pu exister primitivement et des chemins plausibles de leur évolution. Mais l’ex-périmentation véritable apparaît dans un remarquable article, « The Origins of

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Cellular Life  », du groupe de Szostak à Harvard qui développe des modèles mais aussi des expériences de laboratoire sur des « protocells » constituées de vésicules synthétiques dans lesquelles des molécules nucléiques sont encapsu-lées. Le but ultime est d’arriver à des entités métabolisantes et qu’on ferait en-suite évoluer de façon darwinienne, c’est-à-dire par compétition entre variants. Plus loin, au chapitre « Constructing Partial Model of Cells » le groupe de Yomo, émule de Szostak, approfondit cette approche. Ainsi, le livre aboutit, hormis l’article de clôture traitant de la possibilité de la vie sur Mars, sur une perspec-tive qui en est, à notre sens, le climax : la biologie synthétique appliquée à la construction d’une cellule autonome et capable d’évoluer. C’est, sans doute, de cette approche synthétique qu’il faut espérer les progrès futurs les plus impor-tants de la biologie car, si on arrivait à (re)construire un organisme simple à partir de composants chimiques, on aurait une profonde compréhension du phénomène un peu comme le démontage et la (re)construction d’une machine nous révèlent souvent bien plus que ce que l’observation seule peut nous en apprendre. L’objectif ne paraît pas hors de portée. En effet, quand on sait que Szostak vient de se voir décerner le Nobel pour des travaux en biologie molécu-laire (la télomérase) on se prend à penser que son travail présent pourrait abou-tir à une nouvelle contribution majeure dans le domaine, cette fois, de la compréhension de la vie et de son origine.

Le livre, il faut le reconnaître, n’est pas pour la majeure partie de son contenu destiné au lecteur non-scientifique ; en revanche, nous pensons que l’introduction générale ainsi que les résumés et introductions des différents chapitres, souvent très bien rédigés, permettront, même à ce lecteur non spécia-liste, de saisir l’essentiel du propos. Nous l’invitons à en faire l’essai en allant sur le sitehttp://cshperspectives.cshlp.org/cgi/collection/the_origins_of_life où l’entiè-reté du présent ouvrage édité par Deamer et Szostak est téléchargeable. Pour l’enseignant qui doit parler de l’évolution et de l’origine de la vie, cette source d’information et l’iconographie de qualité associée sont une aubaine. Il faut être reconnaissant au CSHL d’offrir des publications prestigieuses sur l’Ori-gine de la vie (on consultera avec fruit un autre titre récent sur http://cshperspectives.cshlp.org/cgi/collection/rna_worlds RNA Worlds: From Life’s Origins to Diversity in Gene Regulation John F. Atkins, Raymond F. Gesteland, and Thomas R. Cech eds. 2011, CSHL press ). Ces titres sont des « compendium » irremplaçables pour qui veut mettre à jour ses connaissances mais, surtout, ils sont destinés à demeurer de véritables bornes marquant, en ce qui concerne la biologie, les étapes historiques de son progrès.

Jean Vandenhaute

450 revue des questions scientifiques

Albert Goldbeter – La vie oscillatoire. Au cœur des rythmes du vi-vant – 1 vol. de 367 pages ((15,5 × 24) – Broché – Odile Jacob sciences, 2010 – 27,90 € – isbn : 978-2-7381-2577-4

Les rythmes sont au cœur du vivant ; on peut le jurer, la main sur le coeur. Ils sont aussi à l’origine de la science ; il suffit d’imaginer si, quand et comment notre science serait née sur une Terre tournant sur elle-même et autour du So-leil d’une manière irrégulière. Dans son passionnant ouvrage. La vie oscillatoire, qui emprunte son titre à un poème d’Émile Verhaeren, Albert Goldbeter, un orfèvre en la matière, professeur à l’Université Libre de Bruxelles et membre de l’Académie royale de Belgique, se mue en Hercule Poirot pour traquer avec patience et méthode les rythmes de toutes natures dans les organismes vivants, de la cellule au cerveau. La période de ces rythmes va d’une fraction de seconde pour les oscillations neuronales jusqu’à plus d’un siècle pour les floraisons du bambou, et leurs formes sont très variées. Il faut donc beaucoup de talent, de perspicacité et d’obstination pour découvrir et expliquer le commun dénomi-nateur de tant de phénomènes.

La vie est une suite d’échanges d’énergie ou de matière, un pied de nez permanent à la désespérante thermodynamique classique. L’auteur nous révèle très tôt la nature profonde des rythmes du vivant, par l’exemple d’un sucre in-jecté de manière constante dans une population de levures, mais qui conduit à une production périodique d’éthanol. Il montre qu’il s’agit d’une oscillation auto-entretenue, du type de celle produite par un oscillateur harmonique avec coefficient de frottement (nécessairement non linéaire) négatif pour les petites vitesses (donnant lieu à des oscillations d’amplitude croissante autour d’un équilibre instable) et positif pour les grandes vitesses (donnant lieu à des os-cillations d’amplitude décroissante). On conçoit dès lors qu’il puisse exister une oscillation périodique stable, indépendante des conditions initiales, telle que le travail total échangé avec l’extérieur sur une période s’annule. Dans le proces-sus de fermentation mentionné plus haut, qui conduit à la bière ou au vin, il n’est donc pas nécessaire d’abuser du produit pour que des oscillations appa-raissent !

Les chapitres suivants du livre montrent que des rythmes du même type se produisent dans des phénomènes aussi différents que les oscillations du cal-cium dans les ovocytes fécondés par un spermatozoïde, la communication chez les amibes sociales, les rythmes hormonaux (comme le cycle ovarien), neuro-naux (en particulier cérébraux) et cardiaques. L’auteur se penche ensuite sur les rythmes circadiens, de période proche de vingt-quatre heures. Ce paradigme de la périodicité en biologie et en physiologie est l’un des plus anciens à avoir été étudié. Après bien des controverses, on sait aujourd’hui que les rythmes

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circadiens ne sont pas des oscillations exogènes induites par la variation diurne de l’environnement, mais des oscillations endogènes auto-entretenues. Ils peu-vent être supprimés de manière permanente par une brève impulsion lumi-neuse, et restaurés par une seconde impulsion identique à la première. Les rythmes circadiens sont liés chez l’homme à des questions aussi variées que l’influence du décalage horaire et du travail de nuit, l’insomnie, les horaires scolaires, les effets de l’heure d’été, la chronopharmacologie et la chronothéra-pie. Ils expliquent sans doute le caractère immuable de l’heure de l’apéro chez certains d’entre nous. L’auteur montre ensuite que la dynamique du cycle de division cellulaire est également sous-tendue par un rythme endogène, révélé par des travaux récents sur les cellules embryonnaires de la grenouille, de la levure et finalement des mammifères.

Les rythmes de longue période, annuels ou pluriannuels, ne sont pas moins importants dans la nature. On les retrouve dans le photopériodisme et la floraison des plantes, le cycle de vie des insectes, les migrations. Une des manifestations les plus étonnantes est fournie par les cigales périodiques de l’est des États-Unis, qui émergent de manière cyclique et synchronisée avec des pé-riodes de 13 ou 17 ans ! Il va sans dire que la modélisation de ce phénomène intéresse au plus haut point les mathématiciens. Ceux que les cigales effraient peuvent se concentrer sur les bambous, dont la période de floraison peut at-tendre plusieurs dizaines d’années. Si ce sont les fleurs préférées de votre âme sœur, mieux vaut ne pas rater la floraison. Le livre se termine par de brèves considérations sur quelques autres phénomènes cycliques classiques du monde vivant, comme l’évolution des populations de proies et prédateurs, le retour périodique de certaines épidémies, et sur la possibilité d’apparition de phéno-mènes chaotiques dans certaines circonstances. Il est d’ailleurs surprenant que les solutions périodiques restent les attracteurs privilégiés de systèmes possé-dant autant de degrés de liberté, alors que les attracteurs étranges, sources du chaos, règnent en maître dès qu’il y a deux degrés de liberté. Une abondante bibliographie, distribuée par chapitre, donne accès à la littérature spécialisée, tandis qu’un index des termes et des noms propres est utile pour une lecture ou une relecture plus thématique, ou pour se rafraîchir la mémoire en cours de route.

Clairement et soigneusement écrit, le livre d’Albert Goldbeter n’est pas d’une lecture facile sans formation sérieuse en biologie. Le souci constant de vulgarisation d’un sujet difficile et actuel ne cède jamais le pas à la rigueur. Si les formules mathématiques sont bannies par le cadre de la collection, l’expli-cation des mécanismes sous-tendant les rythmes est particulièrement soignée et heureusement illustrée par des graphiques nombreux et suggestifs. L’effort

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requis par la compréhension de chaque chapitre est récompensé non seulement par un indéniable enrichissement intellectuel, mais aussi “cerise sur le gâteau” par un petit poème conclusif. En voici un exemple, choisi parmi d’autres en-core plus savoureux :

Quand le rythme en chaos se changeordre et désordre font mélangela périodicité se rangeet l’attracteur devient étrange.

Même s’il y a bien longtemps que les livres scientifiques ne s’écrivent plus qu’en prose, La vie oscillatoire est une ode passionnante et passionnée aux rythmes du vivant. Après tout, n’est-ce pas le rythme qui distingue la poésie de la prose ?

Jean Mawhin

R. Murray, D. Bender, K. Botham, P. Kennelly, V. Rodwell , A. Weil – Biochimie de Harper – 1 vol. de 712 p – (21.5 × 27.5) – Broché – 67 € –De Boeck – (2011) – isbn 978-2-8041-6223-8

Il s’agit de la traduction française de la 28e édition américaine du « Har-per  », un traité de biochimie qui depuis sa première publication a toujours rencontré un énorme succès comme en témoigne le nombre d’éditions déjà parues. C’est un succès très mérité car le « Harper » peut être considéré comme un des meilleurs ouvrages didactiques pour l’enseignement de la biochimie aux étudiants en médecine et en biologie et cette dernière édition en est encore la preuve. Les différentes grandes classes de composés biochimiques : protéines, glucides, lipides, acides nucléiques sont présentés simultanément avec leur im-plication dans le métabolisme, la part principale étant attribuée à ce dernier point. Le traité est donc, en se référant à une ancienne terminologie, un ou-vrage de biochimie dynamique. Inutile de dire que le texte est très clair, les il-lustrations et les tableaux sont multiples, les complications sont généralement évitées sans qu’une simplification exagérée ne soit mise en œuvre. Une particu-larité est la présence en tout début des chapitres d’un paragraphe intitulé : »Im-portance biomédicale» montrant bien les intentions des auteurs d’intéresser particulièrement les étudiants en médecine qui, assez fréquemment, sont rebu-tés par la biochimie. Le traité est très actualisé comme en témoigne l’illustra-tion de la couverture, elle représente la protéine fluorescente verte, un marqueur des protéines dans la cellule très fréquemment utilisé en recherche depuis ces dernières années. Sont bienvenues également les considérations sur les radicaux libres dont l’importance ne fait que croître tant dans le domaine médical que

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fondamental. Le traité est divisé en six grandes parties, chacune étant subdivi-sée en une série de sections. La dernière traite de sujets spéciaux très divers: nutrition, protéines plasmatiques, métabolisme des xénobiotiques, etc… Elle comprend même une étude de cas cliniques allant de l’infarctus du myocarde à l’obésité.

En bref, le nouvel « Harper » ne peut être que chaudement recommandé aux étudiants et aux professeurs des facultés de biologie et de médecine.

R. Wattiaux

Sandrine Paillard, Sébastien Treyer et Bruno Dorin, coord. – Agri-monde. Scénarios et défis pour nourrir le monde en 2050 – Un vol. de 295 pp. (21 × 15) – Matières à débattre et à décider – quae – 2010 – isbn 978-2-7592-0888-3.

Agrimonde, cet excellent ouvrage de réflexions prospectives sur les agri-cultures et alimentations mondiales trouve parfaitement sa place dans la série « Matière à débattre et décider » des éditions QUAE. Ces réflexions continues, menées de 2006 à 2008 par un groupe d’une trentaine d’experts de disciplines et d’institutions complémentaires sous la responsabilité d’un comité de pilo-tage CIRAD-INRA et la coordination des 3 auteurs de cet ouvrage, ont abou-ti à divers scénarios critiques mais cohérents pour nourrir le monde en 2050.

Structuré en 11 chapitres, ce livre nous conduit successivement de la pla-teforme d’animation quantitative prospective du module d’Agrobiom, à la ré-trospective sur 4 décennies de l’économie alimentaire à l’échelle régionale et mondiale, au choix de 2 scénarios (Agrimonde GO et Agrimonde 1) pour des agricultures et alimentations durables en 2050, aux hypothèses quantitatives sur les utilisations et les ressources agricoles, pour les confronter ensuite à une certaine cohérence et finalement inviter le lecteur au débat en proposant diffé-rents points de vue sur l’évolution des régimes alimentaires, l’intensification écologique et les échanges commerciaux.

Le chapitre 1 Agrimonde, tentative méthodologique pour animer la ré-flexion prospective sur les agricultures et alimentations du monde, permet, aux acteurs classiques mais aussi aux acteurs émergents qui voudraient traduire leur perception des enjeux, de formuler des scénarios alternatifs versus scénarios de références.

Le chapitre 2 Agribiom, module quantitatif rétro-prospectif, interpelle les experts autour des questions de production, d’échange et de consommation à l’échelle mondiale, fédère et génère un ensemble de données permettant de développer des analyses et modélisations nouvelles et caractérise les grands

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modes de production et de consommation des biomasses alimentaires, tout en les reliant à divers éléments spécifiques et pertinents.

Le chapitre 3, rétrospective de l’économie de l’alimentation mondiale se-lon une division du monde en 6 grandes régions retenues par ailleurs par Mille-nium Ecosystem Assessment (MEA), confronte les données sur les populations humaines dont les actifs agricoles, aux consommations alimentaires (kcal/hab/j), à l’occupation des terres (ha/actif), aux productions (Gkcal/j) et produc-tivités alimentaires (kcal/ha/j) ainsi qu’au commerce alimentaire (exports-im-ports en Gkcal/j). Un seul regret que cette base de données très utile ne reprenne pas aussi sous forme graphique l’évolution des terres disponibles en ha/hab au cours des dernières décennies, données pourtant disponibles auprès de la FAO.

Les chapitres 4 à 8 abordent les principes et l’élaboration de 2 grands scé-narios : Agrimonde GO basé sur la poursuite des tendances actuelles et Agri-monde 1 basé sur une révolution des mentalités et une rupture des comportements et des technologies qui devraient permettre d’améliorer les consommations alimentaires, l’occupation des sols en limitant les taux de dé-forestation, les rendements des cultures et finalement équilibrer les productions et les utilisations alimentaires. On regrettera toutefois que les choix des auteurs pour l’amélioration des productions et des utilisations fassent une si faible part aux écosystèmes aquatiques et à l’aquaculture continentale qui, intégrée dans les écosystèmes agro-piscicoles, présentent pourtant de très sérieuses potentia-lités pour l’avenir de l’alimentation humaine.

Le chapitre 9 confronte cohérence et facteurs d’évolution des 2 scénarios : Agrimonde GO qui table sur la libéralisation des échanges et des transferts interrégionaux et Agrimonde 1 qui prône plutôt une meilleure gouvernance mondiale avec une pro-activité dans la gestion des écosystèmes. Dans les deux cas, la population mondiale qui aura augmenté de 50 % entre 2000 et 2050 pourra être alimentée au niveau 3588 kcal/hab/j dans le premier scénario et 3000 kcal/hab/j dans le second, résultant d’une consommation mondiale res-pective de 31600 et 26400 Gkcal/j.

Le chapitre 10 démontre en tout cas qu’il est possible de nourrir la planète soit en privilégiant la croissance économique mondiale (Agrimonde GO), soit en préservant les écosystèmes (Agrimonde 1) mais que ces scénarios auront des conséquences contrastées sur les évolutions de l’exode rural, des comporte-ments alimentaires, des politiques publiques et des systèmes d’innovation.

Enfin, le chapitre 11 jette un regard prospectif sur les comportements alimentaires, les options technologiques et les échanges commerciaux qui vont transformer la donne mondiale aussi bien dans les dimensions techniques, so-ciales, culturelles, économiques que politiques.

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Nul doute que ce livre suscitera l’intérêt de tout lecteur intéressé à la maî-trise de notre avenir alimentaire ainsi que la curiosité de tous chercheurs visant à élargir la palette des choix politiques et sociétaux dans ce domaine crucial. Enfin étudiants, décideurs et professionnels dans les secteurs de l’agriculture, de l’environnement et de l’alimentation trouveront une mine d’information et des pistes de réflexions pour réduire la fracture alimentaire mondiale.

J.-C. Micha

James A. Shapiro – Evolution: A view from the 21st century – 1 vol de 253 pp – (16 × 23.5) – FT Press Science – An imprint from Pearson – 2011 – isbn-10: 0-13-278093-3 – isbn-13: 978-0-13-278093-3

Un an après le bicentenaire de Charles Darwin célébré avec faste comme il se doit un peu partout dans le monde, James A. Shapiro, généticien et micro-biologiste de l’Université de Chicago, nous propose une mise à jour roborative de la théorie de l’évolution qu’il base sur les impressionnants développements récents de la biologie moléculaire, en particulier dans les organismes supé-rieurs. En procédant ainsi, il revient sur les arrière-plans conceptuels caractéris-tiques du darwinisme des deux siècles écoulés, à savoir le gradualisme dans l’évolution via l’apparition de mutations aléatoires et le rôle donné à la sélection naturelle. Leur rôle est certes reconnu mais doit être mis en perspective avec le fait que la connaissance acquise depuis vingt ans sur le séquençage des gé-nomes a révélé un immense arsenal d’outils moléculaires complexes agissant sur le génome, qu’on peut rassembler sous la métaphore de « génie génétique naturel » et qui pourrait jouer un rôle majeur et déterminant dans l’évolution des êtres vivants.

Cette remise en perspective de l’évolution à la lumière d’une science arri-vée à pleine maturité, la biologie moléculaire, quitte à secouer quelque peu les piliers de la mutagénèse aléatoire ou de la sélection naturelle, constitue évidem-ment un défi auquel Shapiro s’attelle avec un outillage pédagogique impres-sionnant de définitions et de références, tant pour les lecteurs spécialisés que les non spécialisés qui sont intéressés par le mécanisme de l’évolution. De ce point de vue, le glossaire des termes techniques est remarquable d’efficacité et de concision. Deux niveaux de lecture sont proposés : l’un pour le spécialiste ou le professionnel, qui a droit à prés de 1200 références, et l’autre pour le lecteur non spécialiste à qui il propose aussi un autre ensemble de références tirées notamment de la grande revue scientifique de vulgarisation de qualité « Scien-tific American » ou faisant appel à de nombreux sites internet. Le lecteur a ainsi en main un petit livre compact sensoriellement agréable au toucher et à la

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vue par une typographie attrayante, des sous-titres pertinents et une jaquette qui intrigue : un animal avec de grands yeux ou l’aile d’un papillon ? Sur 253 pages, 105 sont consacrées au glossaire, aux références et à l’index, ce qui té-moigne de l’engagement personnel de l’auteur et de son désir quasi-existentiel de rendre toute l’information utile disponible à chaque lecteur ou lectrice et de communiquer avec elle ou lui (voir notamment l’usage un peu surprenant mais discret du « you » à travers tout le livre).

Donc, en 147 pages, J.A. Shapiro détaille ce que la connaissance des gé-nomes nous a appris :

1°) comment une cellule peut « sentir » son environnement, en particulier ses caractéristiques physico-chimiques et les changements qui peuvent y survenir

2°) comment, et souvent à partir des informations acquises sur son envi-ronnement, elle peut réarranger (réarranger, c’est-à-dire notamment dupliquer, insérer, amplifier, exciser..) des parts importantes de son gé-nome, et ce typiquement lors de circonstances physico-chimiques cri-tiques pour la croissance, la survie ou la prolifération de l’organisme

3°) et il traite ces points en y impliquant le transfert horizontal de gènes, les éléments génétiques mobiles et/ou des associations symbiotiques étroites.

Avec un tel guide (et personnellement, parmi un choix de phrases percu-tantes, voire provocantes et qui souvent entraînent la conviction, je retiens en page 2  : « La capacité de changer est elle-même adaptative »), nous sommes engagés dans une exploration assez fascinante de la variété des outils du « génie génétique naturel » dans les génomes des bactéries, des archées, des champi-gnons, de plantes, de protozoaires, des animaux et dans celui des humains. Certains de ces mécanismes peuvent mener à des restructurations profondes du génome en réponse à des dangers extérieurs et maints processus sont en outre finement régulés.

À chaque étape, en dépit de la complexité parfois angoissante voire rébar-bative de certains sujets tels que la réponse immunitaire, la génomique de pro-tozoaires ciliés ou encore la si essentielle épigénétique, tous les sujets sont traités avec le parfum de l’évidence, de façon séduisante et simple, mais non simpliste. Le lecteur se voit offrir un des premiers panoramas détaillés des enseignements fournis, durant les vingt dernières années, par le déchiffrage des génomes, de celui du virus bactériophage à celui de l’Homo sapiens.

L’accent principal de ce panorama ainsi rendu accessible est évidemment mis sur tout ce qui peut concerner la dynamique de l’évolution dans des cen-taines de génomes déchiffrés, annotés et comparés, et ce, parmi toutes les

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branches de l’arbre de la vie. En outre, le livre propose quelques stratégies expé-rimentales pour tester le rôle du génie génétique naturel ainsi que des proposi-tions pour des développements futurs de la science de l’évolution au xxie siècle. Lorsque nous fermons ce livre, par le seul pouvoir des mots, nous avons visité un étonnant musée interactif de la vie et avons lu une nouvelle version de notre propre histoire.

Max Mergeay Prof. hon. ULB et consultant, SCK–CEN, Mol

Cecie Starr, Christine Evers, Lisa Starr – Biology: Concepts and Ap-plications without Physiology – 1 vol. de 520 pages – International Edi-tion, 8th Edition – 2011 – isbn-10: 0538736186 – isbn-13 : 9780538736183

“Biology, Concepts and Applications: without Physiology” est un des éléments d’une série de manuels du même éditeur, écrit ou coécrit par Cecie Starr. Avec 520 pages, il est nettement plus court que l’édition complète (864 pages). La seconde partie du titre «without Physiology » (sans physiologie) réfère à ce qui peut être considéré comme une tentative d’adapter le contenu aux besoins d’un cours d’introduction à la biologie moderne qui se concentre sur des sujets per-tinents pour la société d’aujourd’hui: la génétique, la médecine, la biologie du développement, l’environnement et le changement climatique.

De première importance pour les enseignants et les étudiants est l’organi-sation du manuel et la présence importante de matériels d’auto-apprentissage. Ce livre a un excellent rapport texte / chiffres et graphiques, lesquels sont de très bonne qualité  ; cela aidera les étudiants qui sont souvent intimidés à la perspective de la lecture. Les parties d’auto-apprentissage ont été largement développées et elles sont présentées de manière attrayante pour les étudiants. Chaque chapitre commence par un encart présentant les concepts issus des chapitres précédents ainsi qu’une liste des concepts-clés qui seront rencontrés dans le corps du chapitre. Dans chaque section les mots clés sont en gras et renvoient à un glossaire en bas de page. À la fin de chaque section, il y a un encadré contenant des «messages à retenir» présentant les réponses à une ques-tion essentielle de la section. Bien que la quantité de matériel présentée par page donne souvent un aspect très encombré, l’utilisation de différentes cou-leurs de fond et de polices distinctes fournit des indices visuels facilitant la lecture. Au sein de chaque chapitre il y a un encadré contenant un texte – de style dissertation – sur un sujet en rapport direct avec le chapitre, mais souvent associé à un thème social ou encore à un aspect plus anecdotique avec parfois une touche personnelle de la part des auteurs. Chaque chapitre se termine avec

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quatre sections : Résumé, Auto-évaluation (type QCM), Analyse de données et Réflexion. Les deux dernières sections sont conçues pour développer chez le lecteur/étudiant des capacités d’analyse (générale ou numérique) et de ré-flexion. Beaucoup de données soumises à l’analyse et la réflexion sont basées sur des sujets que les élèves ont rencontrés dans leur vie quotidienne; ‘alcool et gueule de bois’ recevra sûrement une attention particulière, ainsi que, nous l’espérons, le texte qui l’accompagne sur la question de l’abus d’alcool.

Voilà pour la conception et la présentation de ce manuel. Que dire de la science ? Le livre est divisé en cinq grandes parties: Principes de la vie cellu-laire, Génétique, Principes d’évolution, Évolution et Biodiversité, et Principes d’écologie. La partie « Vie cellulaire » inclut structure et fonction cellulaires ainsi que la physiologie et la biochimie depuis les cellules procaryotes jusqu’aux eucaryotes, végétaux et animaux. La partie « Génétique » couvre la génétique classique et la biologie moléculaire avec des développements sur l’hérédité hu-maine et la biotechnologie, y compris les sujets sensibles tels que l’ingénierie génétique appliquée aux questions médicales et aux plantes transgéniques. « Principes d’évolution » donne un bon aperçu historique, y compris sur les analyses de fossiles et aborde certaines questions difficiles, comme la spécia-tion. Il aurait été judicieux de mentionner le ‘créationnisme’ qui est une croyance sur l’origine divine des premières formes de vie sur terre, ravivée au-jourd’hui par certaines religions, et de souligner que les données fossiles, la génétique et la biochimie, quant à elles, pointent toutes vers un continuum de l’évolution depuis ses origines. « Évolution et biodiversité » traite de l’évolution et des plans d’organisation de base des organismes dans les cinq royaumes. Les protistes ont même droit à un chapitre alors que les animaux sont divisés en invertébrés et chordés. « Principes d’écologie » adopte une approche globale et débute par le comportement animal et la reproduction, ce qui est assez inhabi-tuel, mais ceci conduit naturellement à la biologie des populations. Il est ainsi facile d’aborder les écosystèmes, et nous sommes alors de retour sur un terrain plus familier. « La Biosphère » donne quelques informations sur la météorologie et la notion liée de climat, comme un prélude au concept de biomes et fournit aussi un aperçu des habitats aquatiques et terrestres. Le dernier chapitre traite des effets humains sur la biosphère et il introduit utilement à des thèmes aussi variés que la gestion des déchets, les pluies acides et le changement climatique.

Bien que nous ne soyons pas des experts dans tous les domaines couverts par ce manuel, ceux qui nous sont familiers sont à la pointe de la connaissance actuelle et des débats qui l’animent. Il y a des inexactitudes mineures  ; par exemple, dans une fleur chaque ovule contient une cellule-œuf unique, tandis que la légende du cycle de vie suggère que chaque ovule contient de nombreux

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« œufs ». Le texte d’accompagnement contient cependant une version correcte de ces évènements. En général, les textes et les graphiques sont excellents, mis à jour et au niveau requis pour un tel manuel. Inévitablement l’abstraction de la « physiologie » conduit à une perte d’informations qui seraient requises pour une meilleure compréhension de la biologie et génère certaines incohérences dans le texte. Par exemple, le livre mentionne les reins et l’auteur assume que le lecteur connaisse leurs fonctions réelles au-delà de la simplistique « conserva-tion de l’eau ». Donc, c’est un manuel qui remplit admirablement bien son rôle et sera vraisemblablement bien accueilli par les enseignants et les étudiants. La valeur éducative de l’ouvrage est grandement renforcée par la présence des sec-tions d’auto-évaluation, d’analyse et le choix imaginatif des exemples illustre pleinement la pertinence des connaissances biologiques pour la société mo-derne.

Emmanuel G. ReynaudUniversity College Dublin

[email protected]

Marcus Wohlsen – DIY Scientists Hack the Software of Life – 1 vol. de 256 pp. – $25.95 – Current Hardcover – (2011) – isbn 978-1-617230-02-8

Par son apparente antinomie, le titre Biopunk: DIY Scientists Hack the Software of Life retient d’emblée l’attention. Il y est à la fois question de punks et de scientifiques, de hacking et de biologie. Que penser, par ailleurs, du très hermétique acronyme « DIY ». Ce mélange de genres qui accroche le lecteur sans dévoiler de contenu n’est pas le fruit du hasard et procède vraisemblable-ment d’une démarche marketing : le curieux n’a d’autres choix que d’acheter le livre, s’il désire en lever le voile. Pari réussi, j’ai succombé à la curiosité.

Le ton est donné dès la première page, lorsque l’auteur, Marcus Wohlsen cite un certain Freeman Dyson qui, en 2007, imaginait que les outils du génie génétique pourraient un jour être mis à la portée de monsieur et madame tout le monde. La deuxième citation émane de la Commission on the Prevention of Weapons of Massive Destruction Proliferation and Terrorism qui, dans son rap-port de décembre 2008, mettait la communauté en garde. Si aucune action n’est fermement entreprise, il n’est pas improbable qu’une arme de destruction massive sera utilisée quelque part dans le monde avant fin 2013. Le terrorisme obtiendra et utilisera des armes qui seront plus probablement biologiques que nucléaires. La gravité de cette mise en garde tranche singulièrement avec le caractère anecdotique de la première citation, annonçant l’arrivée de kits de

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biotechnologie do-it-yourself qui permettraient au jardinier de sélectionner des variétés inédites de roses ou d’orchidées.

À ce stade, le lecteur perspicace aura résolu l’énigme acronymnique de « DIY » qui doit être traduit par « Do-It-Yourself ». Celui qui l’est moins, et je fus de ceux-là, espérera longtemps une traduction plus explicite et finira par craquer en « googlelant » ces initiales : une page Wikipedia1 lui apprendra que le concept du Do-It-Yourself, introduit dans les années 50s en référence aux projets d’aménagement d’habitations que des particuliers pouvaient mener à bien par eux-mêmes, a pris une nouvelle signification. DIY est aujourd’hui également utilisé pour désigner un mouvement rock/punk qui promeut une alternative au consumérisme en poussant les individus à satisfaire leurs besoins et réaliser leurs objectifs par eux-mêmes, en dehors des institutions, et ce parti-culièrement lorsqu’ils sont confrontés à des obstacles sociétaux ou bureaucra-tiques.

Dans la foulée, l’entrée « biopunk » de Wikipedia2 nous apprend que ce mot est utilisé pour désigner un genre de la littérature de science fiction, un amateur qui bricole l’ADN et un mouvement progressif qui plaide pour un accès libre à l’information génétique. Ce sont bien ces deux derniers thèmes qui seront abordés dans Biopunk  : la mise des biotechnologies à la portée de l’individu.

A priori, j’éprouve quelque peine à comprendre... L’image que je me fais des biotechnologies est de celles qui se déroulent en laboratoire. Mais je me sens aussi interpellé puisque, l’un des objectifs de l’ASBL Culture in vivo que j’ai lancée il y a maintenant une dizaine d’année, est très précisément de mettre les biotechnologies à la portée de tous. Toutefois, je pensais vulgariser les concepts des biotechnologies et non les biotechnologies elles-mêmes. Existe-t-il des bricoleurs qui manipulent le vivant dans leur cuisine ? La réponse est très clairement oui.

Les biohackers, comme ils se nomment eux-mêmes, regroupés dans l’orga-nisation DIYbio, s’inspirent de la révolution informatique qui a fait la part belle aux amateurs. Bill Hewlett et Dave Packard, tout comme Sergey Brin et Larry Page qui ont inventé Google, n’ont-ils pas commencé dans leur garage ? Steve Jobs et Steve Wozniak faisaient partie d’un groupe de hackers lorsque, dans les années 70, ils ont développé leur Apple. Mark Zuckerberg a conçu Facebook dans sa chambre d’étudiant. Le non-professionnalisme apparaît comme un puissant générateur d’innovation. Les supporters des open-source softwares disent de leur mouvement qu’il a montré sa supériorité en permettant

1. http://en.wikipedia.org/wiki/DIY page consultée le 19 septembre 20112. http://en.wikipedia.org/wiki/Biopunk page consultée le 19 septembre 2011

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aux esprits créatifs de s’atteler ensemble à un même objectif. Sans les contraintes rigides de la propriété, argumentent-ils, les idées fleurissent. Partant, le biohac-king dans sa forme promue par DIYbio veut apporter des solutions ingénieuses, élégantes, créatives et «  self-reliant  » pour faire de la biologie en dehors des institutions, du financement fédéral et du système de peer reviewing.

L’auteur présente une série d’exemples, comme celui de cette profession-nelle de l’analyse de séquences qui démissionne et, suite au diagnostic d’une maladie héréditaire chez son père, décide de mettre au point son propre test de dépistage génétique. Projet qu’elle mènera a bien dans sa cuisine et qui lui ap-prendra qu’elle est effectivement porteuse de la tare. Autre exemple, ce jeune PhD qui a mis au point un système expérimental à partir d’une patte de blatte, permettant de pratiquer des expériences en neurosciences. Ce kit est disponible au prix de 100 dollars, ce qui n’est rien comparé aux 30 000 dollars habituelle-ment nécessaires pour équiper les laboratoires qui conduisent ce type d’expé-riences. Intéressante également, cette association entre un jeune chercheur Vénézuélien et un jeune investisseur nord américain qui projettent de mettre au point un thermocycleur de poche, une trousse d’amplification PCR et un système de détection d’amplicon par microchips, robuste, bon marché et facile à transporter, afin de diagnostiquer sur le terrain, de manière simple et précoce, les maladies négligées du tiers monde.

D’autres projets apparaissent plus farfelus. Ainsi ces deux idéalistes qui, en dehors de toute institution, rêvent de mettre au point un traitement individua-lisé contre le cancer en stimulant le système immunitaire des patients. On n’en saura guère plus. Il convient toutefois de relever la maîtrise technique des pro-tagonistes qui sont parvenus à faire de la culture cellulaire dans leur garage, avec un four à micro-onde et de la carboglace et d’autres accessoires achetés sur eBay. Ainsi encore, les transhumanistes qui sont convaincus que la technologie ne va pas seulement relever la plupart des défis qui se pose à l’humanité mais va éliminer les limitations de l’homme, notamment par la fusion de la matière organique du cerveau avec les microcircuits informatiques. Lorsque ce sera ac-compli, étendre la puissance du cerveau ne prendra pas plus d’effort que faire un upgrade des RAM de mémoire vive d’un ordinateur. L’un d’eux veut devenir celui qui fera des rêves transhumanistes une réalité. On le décrira en train de monter son laboratoire, avec un bras robotique articulé acheté dans une bro-cante, sans finalement savoir si son objectif est de downloader son esprit sur un disque dur et le charger sur internet, allonger le temps de vie à des siècles ou mettre un terme à la faim dans le monde. Mais il y croit, tout n’étant, selon lui, qu’une question d’engineering.

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Après tout, de grandes découvertes, qui ont révolutionné les secteurs de la biologie et de la médecine, ne sont-elles pas le fait d’amateurs ? Mendel, consi-déré aujourd’hui comme un héros scientifique se trouvait tout à fait en dehors de l’establishment scientifique de son temps. Il a raté ses examens à plusieurs reprises avant d’être finalement diplômé. L’un des examinateurs attribuait ces échecs au fait que Mendel manquait de formation scientifique. L’anthropolo-giste et historien des sciences Chris Kelty qualifie Morgan et ses « fly-boys » de hackers. They built an extensive global network of fly geneticists who shared the information and the mutants via a kind of proto-internet newsletter… les droso-philes étaient faciles à trouver et dans leur newsletter, ils échangeaient des as-tuces, trucs et recettes pour les élever. Que dire de deux autres geeks célèbres que sont Crick et Watson ? Ils n’étaient rien d’autres que des amateurs : leur histoire est à l’opposé du stéréotype romantique des scientifiques de génie. Ils se sont approprié les images de Rosalind Franklin à son insu et ont élaboré leur modèle avec des bouts de fils de fer. Ils ont découvert la structure de la double hélice sans conduire une seule expérience. Leur recherche ressemblait davan-tage à du bricolage qu’à un travail d’ingénieur ou d’architecte. L’atmosphère de suspicion et de jalousie qui prévalait dans laboratoire où travaillait Rosalind Franklin et qui a conduit à la session de ses données par un collègue jaloux constitue, selon les biohackers, un bel exemple de la culture institutionnelle qui afflige la biologie d’aujourd’hui, dénoncée par les biohackers, lesquels défen-dent une culture d’ouverture et de partage des données. Enfin, le grand Jenner lui-même ne faisait pas partie de l’élite. Il était chirurgien et non médecin, une profession qui, à l’époque, était bien moins considérée que la seconde. La for-mation des chirurgiens tenait davantage du contrat d’apprentissage que des cours académiques. La Royal Society a rejeté sa publication et ses résultats n’ont finalement été publiés que sur sa propre initiative. Il était un généraliste et non un spécialiste, travaillant en marge des institutions.

Les biohackers plaident donc pour un accès libre aux outils et aux données et se sont insurgés, par exemple, contre la non-publication de la séquence du génome du virus pandémique de peste porcine H1N1. Et lorsque les données ou le matériel biologique ne sont pas publiquement disponibles, pourquoi ne pas les pirater ? Le cas des fermiers de Gujarat est cité en exemple. L’histoire des semences indiennes Navbharat 151 a pris une tournure qui n’avait été prévue ni par les activistes antiglobalisation, ni par la firme Monsanto. Suite à un concours de circonstances, des fermiers indiens ont cultivé du coton Bt, résis-tant à différents vers de la capsule. En voyant les avantages que présentait cette résistance, ils ont hybridé le coton transgénique avec des variétés convention-nelles, présentant des avantages vis-à-vis du climat ou de l’écologie de Gujarat.

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Ce détournement s’est déroulé au bénéfice des agriculteurs locaux, en dehors de toute légalité et sans l’accord de Monsanto. Mais il est maintenant trop tard, à la fois pour les autorités indiennes (qui, entretemps, ont autorisé la culture de trois variétés de coton Bt) comme pour Monsanto qui n’a ni l’autorité ni l’in-frastructure pour effectuer les contrôles qu’elle pratique dans d’autres pays du monde et notamment aux États-Unis.

Les biopunks ont une égérie en la personne de Meredith Patterson, auteur de science fiction et du « Biopunk Manifesto » qu’elle a clamé en janvier 2010 au provocant un symposium Outlaw Biology ? Public Participation in the Age of Big Bio à UCLA. Ce discours, modelé sur le “Cyberpunk Manifesto” des acti-vistes du numérique, promeut la légitimité de la science citoyenne, sur le fond tant éthique que pratique. Patterson est également connue dans le milieu pour s’être attelée à la construction d’un lactobacille recombinant dans lequel un gène de GFP est placé sous le contrôle d’un biosenseur qui détecte la mélanine, avec, pour objectif, de mettre en place un test de détection simple et bon mar-ché de lait frelaté.

Marcus Wohlsen pointera néanmoins quelques incohérences dans le dis-cours des biopunks. Ainsi, alors qu’ils idéalisent le pouvoir de l’individu qui réussit là où les institutions ont échoué, il y a lieu de considérer que la plupart des technologies qui inspirent le mouvement DYIbio ont émergé d’universités, de sociétés commerciales ou encore de laboratoires gouvernementaux. Il est donc quelque peu hypocrite d’établir une sous-culture sur les fondations insti-tutionnelles massives qu’elle dénonce. Mais les biopunks se défendent de construire leurs propres outils de laboratoire en vue de maintenir une sorte de séparation puriste avec le système. Ils veulent plutôt forcer la réflexion sur la manière dont le système fonctionne et sur les intérêts qu’il met en jeux.

L’auteur abordera encore les thèmes du séquençage d’ADN et, en particu-lier, de l’industrie du « direct-to-consumer genetic testing  », ainsi que de la synthèse de gènes, voire de génomes.

L’industrie des tests génétiques se tourne aujourd’hui directement vers le particulier pour lui proposer, moyennant finances, un scan de quelques 500 000 sites Single Nucleotide Polymorphism (SNPs) sensé l’informer sur son état génétique et, dans la foulée, établir un pronostic des risques de maladies. Une agence indépendante a enquêté sur ces pratiques, mettant en évidence le manque de rigueur des sociétés qui commercialisent ce type de service. Une candidate s’est ainsi vu pronostiquer l’occurrence probable d’un cancer du sein alors qu’en réalité, elle ne présentait aucune des mutations habituellement asso-ciées à ce type de maladie. Inversement, un candidat s’est entendu dire qu’il présentait un très faible risque de maladie cardiaque alors qu’il était porteur

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d’un pacemaker depuis plusieurs années. Les enquêteurs ont conclu que la ma-nière la plus pertinente pour ces compagnies de prédire une maladie était de facturer 500 dollars à un particulier pour un échantillon d’ADN et une anam-nèse familiale, de jeter l’ADN et d’établir une prédiction sur la seule base de l’information disponible dans l’historique de santé familial.

Aujourd’hui, les sociétés de synthèse d’ADN permettent de fabriquer des segments d’ADN à un prix tout à fait abordable. Et les bioblocks artificiels ainsi générés peuvent ensuite servir à l’élaboration de structures plus com-plexes, voire de génomes complets. Tel fut le tour de force de Craig Venter qui, en mai 2010, a annoncé la création de Synthia, le premier organisme autorépli-catif dont le génome a été créé entièrement par l’homme. Les biologistes syn-thétiques se trouvent donc aujourd’hui libérés de la contrainte d’extraire l’ADN à cloner à partir d’organismes existants et peuvent envisager la conception de formes de vie totalement inédites. L’un d’eux, un certain Chris Anderson, rêve de mettre au point une bactérie tueuse de tumeurs. Et pour se faciliter la vie, il a lancé un appel à l’aide pour la conception d’un software, le bioCAD, qui sera à la biologie synthétique ce qu’autoCAD est à l’architecture. L’appel a été bien entendu par la communauté des bio- et des cyberhackers qui s’est attelée à la tâche. Parallèlement, d’autres biologistes envisagent la synthèse d’organismes tout à fait artificiels, inconnus dans la nature. Au demeurant, il existe une compétition de synthèse du vivant, visant à fabriquer de nouvelles fonctions à partir de « biobriques ». L’International Genetically Engineered Machine (iGEM) lancée par Tom Knight, professeur du MIT, mettait en compétition 5 équipes lors de son lancement en 2004. En 2009, 112 équipes étaient inscrites au concours.

De telles perspectives sont certes prometteuses. Mais ne s’apparentent-elle pas au rêve d’Icare, qui l’a précipité dans un fatal plongeon ? Avec pas mal d’esprit critique, l’auteur identifie et développe deux menaces.

La première repose sur l’évidence suivante : ce qui est disponible pour des idéalistes l’est également pour les terroristes. Le rapport de la Commission of the Prevention of Weapons of Mass Destruction Proliferation and Terrorism precise que depuis le 11 septembre 2001, l’effort des autorités a été principalement fo-calisé sur le nucléaire. Or, dans le même temps, note le rapport, les biotechno-logies se sont globalement répandues, facilitant l’accès à des pathogènes et des technologies qui pourraient être utilisées à des fins terroristes. Toutefois, l’au-teur fait remarquer que point n’est vraiment besoin des biotechnologies pour développer des armes bioterroristes, la nature y ayant déjà pourvu. Et de rappe-ler l’usage qui a déjà été fait de la ricine dans l’affaire du parapluie bulgare ou de l’anthrax après les attentats du 11 septembre. Dans une intervention du FBI

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lors de la conférence Outlaw Biology ?, un agent assez pragmatique en appelle au sens civique des participants en leur demandant d’être vigilants vis-à-vis d’activités qui s’avéreraient suspectes. Si des problèmes apparaissent, cela conduira immanquablement à un durcissement de la réglementation qui nuira au mouvement biopunk.

L’autre menace viendrait de la libération involontaire de micro-organismes invasifs ou pathogènes dans l’environnement. Le discours est focalisé sur les organismes biosynthétiques qui pourraient, de par leurs propriétés nouvelles, s’avérer désastreux pour l’environnement. Les tenants plaident que ce ne sont que des germes de laboratoire, incapables de survivre dans la nature, tandis que les opposants argumentent que le comportement de tels organismes peut s’avé-rer imprévisible et qu’une fois libérés, ils deviennent hors de contrôle. Le risque de mauvaise surprise augmente substantiellement avec la prolifération de la biologie synthétique au sein des réseaux d’amateurs.

En se focalisant sur le terrorisme d’une part et sur la biologie synthétique de l’autre, l’auteur passe sur le risque pourtant bien réel d’assister un jour à la libération involontaire de germes naturellement pathogènes que les biohackers auraient cultivés par inadvertance. C’est là une des frustrations que j’ai éprou-vées en arrivant au terme de cette lecture. Fidèle à sa profession, l’auteur a adopté un mode de rédaction journalistique avec ses avantages et ses inconvé-nients. Côté avantages, on notera que le livre est fort bien écrit, facile et agréable à lire, truffé d’anecdotes et d’exemples, et que l’auteur ne manque pas d’esprit critique. Côté inconvénient, les thèmes sont parfois abordés de manière super-ficielle et le canevas du livre est pour le moins décousu. Le lecteur éprouvera quelques peines à trouver un fil conducteur. Notons toutefois, ce qui est inha-bituel pour un livre de ce type, qu’il comporte de nombreuses références.

Biopunk: DIY Scientists Hack the Software of Life a le mérite de susciter la reflexion. C’est un ouvrage à recommander à l’enseignant qui y trouvera de nombreuses anecdotes et des sources d’inspiration pour acquérir des technolo-gies financièrement abordables, utiles dans le cadres de travaux pratiques. Par contre, il ne s’agit pas d’un livre scientifique : le chercheur n’y trouvera aucune information relevante. À lire donc uniquement par curiosité…

Alan FauconnierCulture in vivo asbl

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Physique

Jean Louis Basdevant – Maîtriser le nucléaire – Que sait-on et que peut-on faire après Fukushima ? – 1 vol de 186 pp – (15,5 × 24) – broché – Éditions Eyrolles – 2011 – 17.50 € – isbn 978-2-212-13286-1.

Un mois seulement après la catastrophe de Fukushima, Jean-Louis Bas-devant nous fournit un ouvrage très abordable sur un ensemble de questions liées au nucléaire civil. Ancien élève de l’École normale supérieure, directeur de recherche au CNRS, Jean-Louis Basdevant a été professeur à l’École polytech-nique dont il a dirigé le laboratoire de physique. Réputé pour son célèbre cours de mécanique quantique, il a aussi créé des cours pratiques sur l’énergie nu-cléaire et dans le domaine de « énergie-environnement ». Spécialiste de phy-sique des hautes énergies et d’astrophysique nucléaire, il a travaillé au Lawrence Berkeley National Laboratory, au CEA à Saclay, à l’INFN de Turin. au CERN à Genève, au Fermi National Accelerator Laboratory et à l’Argonne National Laboratory (Chicago). Au fil de sa carrière il a effectué plusieurs expertises sur les installations et les équipements nucléaires ainsi que sur le stockage des dé-chets en France.

Nous avons ici un ouvrage général sur le nucléaire : un livre très pédago-gique qui commence par l’historique de la radioactivité, poursuit sur les élé-ments fondamentaux de radioactivité et de physique nucléaire, commente les avantages (médecine nucléaire pour le diagnostic et la thérapie, ionisation de produits alimentaires  ; gammagraphie, traceurs, datation en archéologie et géologie, évolution du climat, …) et les dangers de la radioactivité dont il quantifie les effets (doses admissibles, effets des faibles et fortes doses), et d’ajouter ses commentaires personnels sur les conséquences de l’accident de Chernobyl.

Le titre principal de l’ouvrage est « Maîtriser le nucléaire » mais le sous-titre (qui n’est pas précédé de deux points), risque de passer au premier plan en raison de l’accident de mars 2011.

Avec la description de la fission pour la production d’énergie nucléaire, il fournit un exposé succinct sur les filières actuelles d’énergie nucléaire avec des commentaires et schémas simples sur les divers composants (combustibles et leur extraction ou production, modérateurs, divergence, eau légère ou lourde, masse critique, barres de contrôle, cycle du combustible, retraitement et stoc-kage des combustibles usés … ) et poursuit sur les filières futures (neutrons rapides, nouveaux modérateurs et caloporteurs, mais aussi celles qu’on attend

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avec leur couplage à un accélérateur). Vient alors la description de quelques incidents mineurs avec fusion partielle du coeur (Saint-Laurent, France-1969 ; Lucens, Suisse -1969, Chapelcross, UK-1967, Winsdale, UK-1957, et des plus anciens EBR-I, USA-1955 et NRX, Canada- 1952), et des trois accidents ma-jeurs  : Three Mile Island -1979, Tchernobyl- 1986 (y compris une mise au point sur les faibles doses reçues en France), et Fukushima- 2011, avec la des-cription de chacun des réacteurs, le scénario de l’accident, les interventions des premières minutes, semaines et mois suivants, le bilan, une analyse des erreurs et même des fautes qui ont conduit à ces catastrophes, et aussi des questions comme : une centrale peut-elle exploser comme une bombe atomique ? quelles sont les conséquences sur la population du monde ?

La sortie du livre en mai 2011 a été suivie dans les médias avec la partici-pation de J.-L. Basdevant à divers débats. « La catastrophe a été provoquée par l’ imprudence des hommes due à une dégradation progressive du processus de déci-sion politique » déclarait l’ancien gouverneur de la préfecture de Fukushima, Eisaku Sato (un opposant farouche au nucléaire), au correspondant du journal Le Monde (publié le 28 mars 2011). La catastrophe nucléaire de Fukushima met ainsi et une fois de plus en lumière tout ce qui peut opposer le bien-être et la raison d’État, le savoir et le pouvoir. Cet accident n’étant pas le premier du genre, on est en droit de se demander où, quand et comment se produiront les suivants. Une mise en garde avait déjà été énoncée par Pierre Curie, il y a plus d’un siècle, quand, dans son discours de remise du Prix Nobel en 1904. Il di-sait : « On peut concevoir que, dans des mains criminelles, le radium puisse devenir très dangereux et on peut se demander si l’humanité a avantage à connaître les secrets de la nature, si elle est mûre pour en profiter ou si cette connaissance ne lui sera par nuisible, car c’est aussi un moyen terrible de des-truction entre les mains des grands criminels qui entraînent les peuples vers la guerre. Je suis de ceux qui pensent, avec Nobel, que l’humanité tirera plus de bien que de mal des découvertes nouvelles ».

Dans le dernier chapitre intitulé : « que penser et que faire après Fukushi-ma », l’auteur se contente de donner des éléments de réponse, sans prendre ex-plicitement parti. Les décideurs devraient certainement lire ce livre pour se faire une opinion sérieuse au lieu de se laisser aller à des réactions émotion-nelles incontrôlées.

De nombreux débats ont été organisés de suite après la catastrophe de Fukushima, mais en août 2011 ( moment où ce commentaire est rédigé) la question est à peine encore évoquée dans les médias.

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En plus des nombreux magazines scientifiques qui sont sortis sur le sujet, je suggère à nos lecteurs de consulter sur la toile l’entretien avec Dominique Bourg, philosophe des sciences, professeur à la Faculté des géosciences et de l’environnement de l’Université de Lausanne, spécialiste de la démocratie éco-logique, publié dans « Le Temps » du 21-03-2011. sous le titre « Notre illusion de tout maîtriser est prise en défaut » « À Fukushima, dit-il, on a affaire à une centrale nucléaire construite sur un front de mer dans le pays le plus exposé aux séismes et au risque de tsunami. À cette faiblesse originelle s’ajoutent deux autres fragilités principales: un sous dimensionnement du dispositif de sécurité avec des digues insuffisamment élevées et un générateur diesel disposé de sorte qu’il est vite noyé par le tsunami, ainsi que des sources électriques d’appoint défaillantes. Après coup, ça paraît bien curieux d’avoir construit la centrale en un lieu si vulnérable. C’est la première leçon: avoir pris ce risque est symptoma-tique de nos sociétés qui font totalement abstraction du cadre naturel. Pour la science économique néoclassique, la nature n’existe tout simplement pas. La deuxième leçon est que nos sociétés ont développé une sur-croyance dans leur aptitude à maîtriser les risques, même les plus extrêmes. L’atome a cette parti-cularité que quand on en perd la maîtrise, le désastre est proche, avec des conséquences humaines et environnementales irrémédiables. En connaissance de ce danger très particulier, on y va quand même. C’est cette illusion de tout maîtriser qui est prise en défaut à Fukushima. J’y vois le symptôme d’un dys-fonctionnement d’une société fondée sur l’association entre le marché tech-nique et une science économique ignorante de la biosphère et de ses ressources. »

« Comme la France, ajoute-il, le Japon a beaucoup misé sur le nucléaire pour poursuivre un objectif d’indépendance énergétique. Les chocs pétroliers de 73-74 et 79-80 contraignaient les États à chercher des palliatifs à la dépen-dance aux énergies fossiles. La croyance des Japonais dans la puissance des techniques est extrêmement forte. Ajoutez un esprit japonais respectueux par principe de l’autorité et porté à vouer une grande confiance aux capitaines d’industrie vénérés comme des samouraïs. Cela n’a pas favorisé un grand sens critique. Le Japon est aussi le pays dont l’industrie a dominé la production mondiale de gadgets gros consommateurs en électricité. Le recours massif au nucléaire faisait donc système. Par ailleurs, il faut se souvenir que la démocratie n’a rien de divin. C’est un système humain, avec ses fragilités et ses limites. Elle ne garantit pas le bien-fondé d’un choix mais, à travers la sanction électorale, la possibilité de renoncer à une politique publique pour en privilégier une autre. Pour tout ce qui touche à l’environnement et aux technologies les plus sophis-tiquées, on peut se tromper. La complexité des choix est telle qu’il n’y a pas de solution magique. Mais c’est clair qu’après un accident, on considère le réel

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différemment. » Et il poursuit sur « Les stress tests des centrales nucléaires – Cet accident condamnera-t-il le nucléaire civil ? « 

Un bon complément au livre de Basdevant que nous recommandons aux lecteurs de cette revue.

Guy Demortier

M. Brooks – Big Questions – Physique – 1 vol de 216 p. – (14,5 × 21) – Car-tonné – Éditions Télémaque (Science et Vie) – 2011 – 17.50€ – isbn : 978-2-7533-0130-6

Cette édition est la traduction d’un ouvrage paru en 2010 par Querceus Publishing PLC (UK). Michael Brooks détenteur d’un PhD en physique quan-tique, est écrivain, journaliste et commentateur radio, consultant pour le cé-lèbre New Scientist, un magazine lu par plus de 500.000 lecteurs, auteur notamment d’un best seller : 13 Things That Don’t Make Sense. Il a aussi ensei-gné et présenté des conférences à New York University, The American Mu-seum of Natural History et Cambridge University.

En 20 questions sur la physique quantique et la relativité, il s’interroge sur la nature de la réalité.

Voici ces 20 questions : • À quoi sert la physique ? • Qu’est-ce que le temps ? • Qu’est-il arrivé au chat de Schrödinger ? • Pourquoi une pomme chute-t-elle ? • Les solides sont-ils vraiment solides ? • Pourquoi n’avons-nous rien sans rien ? • Tout est-il finalement aléatoire ? • Qu’est-ce que la particule de Dieu ? • Suis-je unique ? • Pouvons-nous voyager dans le temps ? • Le bouclier magnétique de la terre est-il en train de s’affaiblir ? • Pourquoi E = mc² ? • Pouvons-nous changer l’univers d’un simple regard ? • La théorie du chaos conduit-elle au désastre ? • Qu’est-ce que la lumière ? • Qu’est-ce que la théorie des cordes ? • Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? • Vivons-nous dans une simu-lation ? • Quelle est la force la plus puissante de la nature ? • Quelle est la véri-table nature de la réalité ? 

Cet ouvrage, destiné à un large public et plus encore à ceux qui disent qu’ils n’ont jamais rien compris à la physique, est conçu pour montrer com-ment des questions simples nous entraînent dans des découvertes parmi les plus intenses que l’humanité ait jamais faites. Tenter de résoudre les « grandes questions » de la physique s’apparente beaucoup à rechercher une aiguille dans une botte de foin. En physique, aucune question n’est anodine, et une recherche ou une expérience apparemment insignifiante peuvent souvent mener à de pro-fondes perspectives. La physique est une histoire sans fin. Aucun tarissement des questionnaires n’est en vue. Pourtant les physiciens s’étaient accoutumés à

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déclarer avec joie que leur tâche était achevée. En 1894, Albert Michelson an-nonça : « Les lois et les réalités fondamentales les plus importantes de la phy-sique ont toutes été découvertes et elles sont maintenant si fermement établies que l’éventualité de les voir infirmées par de nouvelles découvertes est extrême-ment faible. » Dans la décennie qui suivit, nous avons connu les deux révolu-tions de la relativité et de la physique quantique. Une fin se profile-t-elle avec la théorie du tout ? Pour l’instant nous en sommes sans doute encore loin, mais mesurer l’étendue de notre ignorance et faire tout notre possible pour la réduire est sans doute le véritable objectif et l’essence de la physique. Le physicien ne s’émerveille-t-il pas de voir que ses découvertes ont rendu le monde plus inté-ressant.

Chacune des 20 questions peut être abordée sans avoir assimilé les précé-dentes. Un lexique en fin de volume permet de raccrocher facilement quand un nouveau concept ou un mot nouveau apparaît dans l’exposé. On est ici en face d’une succession d’articles, de 10 pages en moyenne, avec peu, voire souvent pas de formule, une explication de la notation des grandeurs infiniment petites (sauf page 34 où les traducteurs (?) ont confondu mille milliardièmes avec le millième de milliardième), des schémas simples, des citations pertinentes de grands penseurs de l’antiquité pour soulever des interrogations sur les re-cherches les plus actuelles.

Les physiciens se délecteront à la lecture de « Big Questions » mais nous le conseillons volontiers à des adolescents qui abordent la fin du cycle de l’ensei-gnement secondaire et qui se destinent à une carrière de physicien … ou de philosophe. N’est-il pas fondamental à ce moment de se poser la question de savoir ce qu’est le temps (celui qui s’écoule), du pourquoi nous avons une masse dans l’attente de l’identification de la « particule de Dieu », de la double nature de la lumière et aussi des particules, pourquoi y a- t- il quelque chose plutôt que rien ?

Tout beau. Tout bon.Guy Demortier

David A. Weintraub – How Old Is the Universe ? – 1 vol.de 380 pp. – (16 × 24) Relié : – Princeton University Press – (2010) – $29.95 – isbn: 9780691147314

Dans ce bel ouvrage, divisé en trois parties : l’âge des objets du système solaire (3 chapitres), l’âge des étoiles plus anciennes (10 chapitres) et enfin l’âge de l’univers (13 chapitres), David Weintraub nous donne sa vision d’astronome sur ce que nous connaissons des structures de l’univers. Passant du plus proche

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au plus lointain, on passe aussi du plus jeune au plus ancien. Cette vision de l’astronome, contraint d’observer de très loin les corps célestes, est comparée à celle d’autres expérimentateurs (chimistes, biologistes, géologues et certains physiciens) qui peuvent manipuler les objets qu’ils étudient en modifiant les conditions de leur manipulation en laboratoire. Les outils d’observation des astronomes sont décrits au fur et à mesure du besoin de leur utilisation.

Il s’agit d’un ouvrage pour grand public (aucun calcul), agrémenté de 46 photos et de 76 figures et schémas. Il débute par l’annonce immédiate de la solution : notre univers date de 13.7 milliards d’années. Dans la progression de la réflexion on comprend comment la datation du début de l’univers est passée de 5504 ans (d’après Julius Africanus le premier qui proposa une histoire chro-nologique du christianisme et qui fournit cette donnée à partir de la Bible) à la valeur admise aujourd’hui.

David Weintraub est un brillant professeur à Vanderbilt University (Nash-ville, Tennessee) connu pour son enthousiasme transmis tant à ces étudiants de premier cycle, qu’à son équipe de recherche et aux adultes qui suivent les confé-rences qu’il dispense sur ses sujets de prédilection et notamment ses livres. Je suggère d’ailleurs aux lecteurs de cette revue de suivre les exposés qu’il a donnés de mars à avril 2011 sur le thème du présent ouvrage et qu’on trouve en accès libre sur le site http://www.facebook.com/pages/How-Old-Is-The-Universe-by-David-A-Weintraub/110112432368279 : un régal. Parmi les plus réussies je pourrais citer « White Dwarfs and Baked Potatoes » (voir http://press.prince-ton.edu/video/weintraub/large.html). Il excelle dans les comparaisons, notam-ment quand il tente d’expliquer l’anisotropie du fond diffus cosmologique détectée par la sonde COBE (Wilkinson Microwave Anisotropy Probe mieux connue sous le nom de WMAP) en comparant l’image à l’utilisation des planches «  pseudoisochromatiques  » d’Ishihara pour la détection du dalto-nisme.

Un chapitre complet (le huitième) est consacré à la lecture du diagramme d’Hertzsrung-Russel. Excellent lui aussi.

David Weintraub est également l’auteur de: «  Is Pluto a Planet ? An His-torical Journey Through the Solar System, paru également chez Princeton University Press (2006 et 2008), à voir sur http://press.princeton.edu/titles/8247.html . Un ouvrage dans lequel il défend le statut de planète pour Pluto, voire à des titres supérieurs à ceux qu’on attribue aux autres planètes de notre système solaire.

L’auteur aborde de nombreux critères qui rendent irréfutable la réalité du Big Bang., comme : l’âge des amas globulaires qui rendent compte avec exacti-

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tude des prédictions, la relation température/luminosité des naines blanches suggère une limite inférieure à l’âge de l’univers.

Il discute aussi de la mesure de la valeur constante de Hubble (constante de proportionnalité existant aujourd’hui entre distance et vitesse de récession apparente des galaxies dans l’univers observable), des teneurs relatives en deu-térium, lithium et bore pour la détermination de la date du Big Bang, des formes possibles de l’univers (ouvert ? plat ? incurvé ?), de la matière noire et de l’énergie noire.

Il présente tout au long de l’ouvrage les grands hommes et les grandes dames (à commencer par Henriette Leaviit) qui ont fait avancer la cosmologie. Il commente généreusement les travaux originaux de Georges Lemaître (avec photo page 302) sur l’expansion de l’univers prédite par la relativité générale d’Einstein avec la citation : « On peut penser que l’univers à ses débuts était formé d’un unique atome dont le poids était celui de l’univers ». Il mentionne une publication, en 1927, dans «  l’obscur journal  belge Annales de la Société Scientifique de Bruxelles » (référence exacte Tome xlvii, série A, Comptes ren-dus des séances p. 49, Session du 25 avril 1927, avec pour titre « Un univers homogène de masse constante et de rayon croissant, rendant compte de la vi-tesse radiale des nébuleuses extra-galactiques ») mais encore de la lettre que Lemaître envoya en 1930 à Eddington et dont la traduction anglaise parut dans Nature en 1931. Les renvois de Weintraub vers la littérature ne sont pas précis (confusion dans les dates, les titres), mais le lecteur intéressé par les travaux de Lemaître aura l’occasion d’en apprendre plus dans un prochain numéro de cette Revue, en 2012.

Le 27 e et dernier chapitre résume, en quatre pages, l’ensemble des argu-ments montrant que par l’étude des naines blanches l’univers ne peut pas être plus jeune que les 11 à 13 milliards d’années ni plus vieux que 15 milliards d’années, que le taux d’expansion de l’univers donne une fourchette située entre 13.5 et 14 milliards d’années et que le bruit de fond cosmique le situe aussi entre 13.5 et 14 milliards d’années.

Emboîtant le pas d’un rapporteur de American Scientist : «Weintraub has a gift for presenting complicated matters in a lucid and understandable way by employing clever analogies… How Old Is the Universe? is a welcome contribu-tion to the popular literature on astronomy. It offers a scientifically competent and impressively informative account of how astronomers and physicists have unveiled the secrets of the universe.” (Helge Kragh), nous pouvons qualifier cet ouvrage de titre à dévorer par tous ceux qui veulent en savoir assez sur une question fondamentale qui concerne nos origines.

Guy Demortier

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Sciences de la terre

J.-Cl. Flageolet – Le réchauffement climatique en Europe – Depuis quand ? Pourquoi ? – 1 vol de 140 pp. (18.5 × 27.5) – Broché – De Boeck – (2010) – 19 € – isbn : 978-2-8041-6227-6

Comme d’autres avant lui, ce livre ambitionne d’ « ouvrir un débat » rela-tif à la réalité de l’influence de l’homme sur le climat. L’originalité est ici de centrer l’analyse sur l’Europe  : au travers des mesures provenant principale-ment de ce continent, et principalement en surface, il s’agit de déterminer de-puis quand et pourquoi il y a eu réchauffement.

Le premier chapitre traite du réchauffement, et présente une série de don-nées et courbes relatives à l’évolution de la température moyenne. La volonté est de s’appuyer sur des données instrumentales (mesurées par des thermo-mètres), jugées plus fiables. L’auteur n’ignore pas que les données anciennes sont difficiles à utiliser parce que les conditions de mesure varient dans le temps. Mais l’utilisation des données qui est faite suggère qu’il n’a pas pris toute la mesure de ce problème, qu’on appelle « homogénéisation » des séries temporelles : il s’agit de corriger l’influence de facteurs « non climatiques » de changement, tel qu’un déplacement de l’abri de mesure, un changement de thermomètre, l’urbanisation, la croissance d’arbres près de la station… C’est probablement l’un des facteurs qui rendent une partie des chiffres présentés impossibles à interpréter, par exemple dans le cas du supposé «  refroidisse-ment » de 1,6°C à Prague « entre 1886 et 2006 » : j’ai notamment consulté la base de données citée en référence, et tout indique qu’un tel résultat ne peut pas être issu d’une analyse correcte de la tendance à l’échelle du siècle. Je ne doute pourtant pas que l’évolution des températures soit variable dans le temps et dans l’espace, mais cette variabilité naturelle est la conséquence logique de la complexité du système climatique. Sous la plume de Jean-Claude Flageollet, la variabilité naturelle apparaît au contraire comme source de soupçons quant à la réalité de l’impact des activités humaines, au travers d’un laborieux mélange d’interprétations correctes et incorrectes.

Le deuxième chapitre est consacré aux causes du réchauffement. La sec-tion dévolue au dioxyde de carbone est à nouveau lourde de soupçons : à suivre l’ouvrage, nous n’aurions pas une connaissance fiable de l’évolution de la concentration de CO2 dans l’atmosphère depuis la révolution industrielle. L’au-teur affirme que les mesures modernes réalisées par spectroscopie ne corres-pondent pas à l’analyse chimique, théorie qui ne résiste pas à l’analyse pour de multiples raisons. Aucun phénomène connu ne peut expliquer les larges varia-

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tions de concentration en CO2 au xixe siècle qui sont avancées. Les critiques à l’encontre de la mesure des concentrations passées en CO2 dans les glaces po-laires ne sont pas plus solides : bien que les références soient listées en fin d’ou-vrage sans lien au texte, la référence à des « pertes de CO2 » qui discréditeraient les mesures s’avère liée à un article de piètre valeur écrit en 1994 (Z. Jaworowski, Env. Sci. & Pollut. Res.). Cet article a fait l’objet d’une réponse claire par un spécialiste reconnu (H. Oeschger, 1995, même revue), mais cette réponse n’est pas citée dans la bibliographie, ni prise en compte dans le texte.

Un autre problème important est que l’auteur ne semble tenir quasiment aucun compte de la dynamique du système climatique : à plusieurs reprises, il tente de trouver des liens entre les variations des concentrations en CO2 et celles des températures en un endroit et un moment donné. Cette approche est vouée à l’échec pour plusieurs raisons, qui sont parfois évoquées dans le livre mais sans que leur sens soit expliqué ni que les éléments soient reliés entre eux. Premièrement, la conséquence de l’augmentation de concentration en gaz à effet de serre est un déséquilibre du bilan énergétique du système climatique ; la réponse à ce déséquilibre n’est pas immédiate : elle est étalée dans le temps, essentiellement par l’absorption de chaleur par les océans. Il faut donc regarder l’évolution dans la durée, les tendances, et non les valeurs instantanées  ; les fluctuations locales de concentration en CO2 ne sont pas davantage pertinentes pour comprendre le réchauffement, car l’énergie se répartit (le CO2 également). Enfin, pour comprendre l’évolution des températures au cours du temps, il ne suffit pas d’aligner séparément différents facteurs : c’est la combinaison de l’in-fluence des différents gaz à effet de serre, des aérosols, des changements d’irra-diance solaire, de la variabilité naturelle du système, et d’autres facteurs, qui permet de comprendre l’évolution actuelle du climat.

Le 3e chapitre aborde l’oscillation nord-atlantique, fluctuation naturelle qui influence effectivement le climat en Europe – la phase positive contribue notamment à rendre les hivers plus chauds. Mais même si plusieurs modèles climatiques projettent une augmentation de la fréquence des phases positives au cours du xxie siècle, cela n’implique aucune contradiction avec les observa-tions qui montrent que des phases négatives surviennent encore. Le 4e et der-nier chapitre devrait réaliser le «  bilan des causes  », mais il ne règle pas les problèmes notés ci-dessus, c’est-à-dire la nécessité de prendre en compte l’en-semble des facteurs ayant une influence sur le climat et la dynamique du sys-tème.

En résumé, l’ouvrage présente beaucoup de données, de courbes, mais j’ai identifié trop de cas où ce qui est présenté ne reflète pas les connaissances ac-

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tuelles, et n’a parfois aucune base scientifique sérieuse. Le propos est souvent confus, orienté vers une hypothèse qui n’est pas solidement appuyée – les gaz à effet de serre ne joueraient qu’un rôle mineur dans un réchauffement qui n’est lui-même que peu visible, limité aux 20 dernières années, et dont on ne peut pas dire qu’il va se poursuivre. Pour un ouvrage qui traite beaucoup de la va-riabilité naturelle et des différents facteurs des changements climatiques, il est regrettable de manquer d’explication claire des rôles respectifs de ces facteurs ainsi que de la lenteur de changements. C’est encore plus vrai dans la mesure où l’auteur destine son texte à un public « large », car un aspect essentiel pour comprendre le climat auquel chacun est et sera confronté, c’est précisément de savoir qu’il résulte de la combinaison d’une variabilité naturelle à différentes échelles de temps et du réchauffement d’origine humaine, et non d’un seul de ces facteurs isolément.

La question des changements climatiques serait-elle si simple que plus au-cune question ne prête à « débat », à confrontation d’arguments scientifique-ment fondés ? Certainement pas. Mais plutôt que d’informer, ce livre tente de prouver que de nombreuses connaissances sur le climat sont suspectes. Le lec-teur non spécialiste pourrait ainsi être induit en erreur, et j’espère qu’il s’orien-tera plutôt vers de meilleurs ouvrages (tels que l’excellent livre de John Houghton, « Le réchauffement climatique », également chez De Boeck). Pour-tant, de nombreuses questions se posent encore réellement, il n’est nul besoin d’en inventer ou de revenir sur des problèmes déjà résolus. Plutôt que prétendre qu’on n’a pas de mesures fiables de la concentration en CO2 dans l’atmosphère (ce qui est faux), on pourrait expliquer le cycle du carbone, et exposer les incer-titudes qui concernent son rôle amplificateur du réchauffement. Ou traiter de la physique des nuages et des autres raisons qui font que les estimations du ré-chauffement futur sont à la fois fiables et entourées d’une marge d’erreur qui reste substantielle. Ou exposer les difficultés qui pèsent sur l’estimation de la hausse future du niveau de la mer. Ou celles, encore plus grandes, qui concer-nent les impacts de ces changements pour l’homme ou la nature. Suggérer, au moyen d’un discours peu clair, que les évaluations du GIEC comportent de nombreuses erreurs ou omissions évidentes au sujet de la physique du climat, c’est se tromper de débat.

Philippe Marbaix

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Divers

Chr. Camara & Cl. Gaston – 150 idées reçues sur la science – 1 vol de 332 p.- (14.5 × 22.5) – Broché – Éditions First (Science et Vie) – 2011 – 19.90€ – isbn : 9 782754 024136

« En science, les idées reçues abondent…La faute en incombe parfois aux médias, à l’école ou à nous-mêmes qui nous satisfaisons souvent (sic) d’une explication erronée… Débusquer les idées reçues, comprendre pourquoi elles sont fausses et donner la bonne explication, voilà l’objectif de ce livre… ». C’est ce qu’on peut lire en quatrième page de couverture de cet ouvrage. Les auteurs sont professeurs agrégés de sciences de la vie et de la terre et donc formés prin-cipalement en sciences biologiques.

Ils abordent, en 7 chapitres, (1) – les grands noms qui ont fait avancer la science (11 questions sur des attributions erronées de découvertes), (2) – ma-tière et énergie (30 questions), (3) – l’évolution ( 19 questions), (4) – nature et biodiversité (13 questions), (5) – la logique du vivant (20 questions), (6) – corps et santé (30 questions), (7) – terre et univers (27 questions).

Pour ce qui concerne l’exactitude du titre de l’ouvrage : rien à redire car cela fait un total de 150 questions. En 330 pages, cela fait généralement 2 pages par sujet.

Les titres des chapitres, sous forme d’interrogations, sont parfois, voire souvent, tirés par les cheveux  et on aurait, pour certains, bien du mal à rencon-trer quelqu’un dont c’est l’opinion. Quant aux réponses, on s’aperçoit que les auteurs y manient le paradoxe au point que quelques fois on ne peut pas devi-ner si l’affirmation fausse qu’ils prétendent débusquer est véritablement, selon eux,  fausse ou si il s’agit simplement de préciser le sens des termes qu’on utilise.

Les questions de physique microscopique sont traitées avec peu de rigueur, voire parfois de façon erronée :

– p. 35, dans la nucléosynthèse, on nous annonce qu’il n’y a pas de possi-bilité de former de manière permanente des atomes plus lourds que le fer,

– p.43 et suivantes, le paradoxe de la libération d’énergie par fusion et par fission est signalé, mais nullement expliqué et la manière dont sont produits les rayons X ferait bondir les débutants en science physique.

Les questions de physique classique sont heureusement traitées avec plus de sérieux, mais :

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– p. 50 et suivantes. On aurait souhaité une bonne définition de la tem-pérature et un commentaire solide sur la différence entre température et cha-leur.

Les questions de biologie (domaine de formation des deux auteurs) sont abordées avec plus de rigueur. Toutefois,

– p.104. Les auteurs fustigent, à juste titre, l’expression trop souvent en-tendue au cours d’émission sur la nature: “Tel animal s’est adapté merveilleu-sement à telle condition d’environnement” car, en effet l’auditeur entend que cet animal qu’il voit à l’image a fait un effort “pour” s’adapter ce qui est l’erreur typique qualifiée de “lamarckienne”. La phrase qui suit cet avertissement justi-fié dit “... une espèce ne s’adapte pas au cours de son existence” et la note ter-mine, à la page 105, par l’affirmation: “Avec l’acquisition de nouveaux caractères, les espèces se sont adaptées dans leur milieu...”. Qui comprendra ? Cette adaptation qui a manifestement lieu chez les êtres vivants (alors que le titre de la note dit que c’est “faux”!!!) se passerait-elle, pour les espèces, hors de l’existence de ces espèces? Qu’est-ce que cela peut bien signifier pour quelqu’un qui ne saurait déjà la réponse cachée dans cette note absconse.

– p.194. Le séquençage du génome humain permettra de soigner des ma-ladies génétiques : FAUX disent les auteurs. On comprend leur idée en les li-sant attentivement: il est vrai que le gène de la “danse de St Guy”, isolé et séquencé avant même le génome humain n’a pas permis d’avancer jusqu’ici dans la thérapie. Les maladies dont les gènes sont connus depuis 2001 n’ont, pour beaucoup, pas été guéries pour autant. Dire que c’est compliqué et long est bien, dire que c’est un effort en pure perte est stupide et sans doute pas très responsable.

Une remarque du même tonneau s’impose par exemple pour l’article, sur la connaissance de l’ADN, à la page 202.

Le livre fait penser à un ouvrage qui eut son heure de gloire dans les an-nées 1960 “Le matin des magiciens” de Louis Pauwels et Jacques Berger. Au moins ces derniers qui maniaient aussi le paradoxe et se complaisaient dans le mystère (sinon l’ésotérisme) avaient-ils le mérite de prévenir le lecteur en disant qu’il y aurait sans doute beaucoup d’erreurs dans leur livre mais aussi matière à réflexion. On ne peut pas en autant dire de ce bouquin-ci qui vise à permettre au lecteur « (d’être) capable de tenir tête à une assemblée tout entière » (4° de couverture). On ne peut mieux qualifier l’intention des auteurs: il ne s’agit pas d’éduquer, ni d’enseigner, ni de faire réfléchir, mais de fournir des notes qui, éventuellement, pourraient servir à un jeu télévisé, une « star academy de pseu-do encyclopédistes » au petit pied.

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Un ouvrage à mettre sans doute dans une liste de références pour futurs enseignants préparant une agrégation pour autant qu’un formateur compétent puisse y apporter des nuances. Mais surtout à ne pas offrir, pour préserver sa capacité à envisager des études supérieures, à un jeune esprit curieux.

Guy Demortier