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Document généré le 20 oct. 2018 13:01 Laval théologique et philosophique Le Logos héraclitéen : l’obscurité de l’ambivalence entre détermination et indétermination Antoine Cantin-Brault Christoph Theobald : penser la tradition Volume 68, numéro 2, juin 2012 URI : id.erudit.org/iderudit/1013426ar DOI : 10.7202/1013426ar Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Faculté de philosophie, Université Laval et Faculté de théologie et de sciences religieuses, Université Laval ISSN 0023-9054 (imprimé) 1703-8804 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Cantin-Brault, A. (2012). Le Logos héraclitéen : l’obscurité de l’ambivalence entre détermination et indétermination. Laval théologique et philosophique, 68(2), 359–378. doi:10.7202/1013426ar Résumé de l'article C’est un lieu commun de dire d’Héraclite qu’il est obscur, mais d’où vient précisément cette obscurité ? Libérant la métaphysique à partir d’une constitution entendue comme onto-proto-logie, l’obscurité d’Héraclite semble participer à la fois d’une métaphysique déterminante qui cherche à dire l’étant suprême en un Logos totalisant, et d’une métaphysique indéterminante ne voulant que signifier le principe qui se situe au-delà de l’étant. Ces deux tendances sont illustrées par Hegel et Heidegger, en leurs interprétations respectives d’Héraclite ; chacun énonce quelque chose de vrai, sans faire taire l’autre. Héraclite se découvre ainsi au carrefour de perspectives métaphysiques qui se préciseront plus tard, que son obscurité lui permet d’anticiper toutes deux. Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter en ligne. [https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique- dutilisation/] Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. www.erudit.org Tous droits réservés © Laval théologique et philosophique, Université Laval, 2012

Le Logos héraclitéen : l’obscurité de l’ambivalence entre ... · tance qui commence (anfangt) et qui commande (beherrscht). Plutôt que de parler d’onto-théo-logie, décidons

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  • Document gnr le 20 oct. 2018 13:01

    Laval thologique et philosophique

    Le Logos hracliten : lobscurit de lambivalenceentre dtermination et indtermination

    Antoine Cantin-Brault

    Christoph Theobald : penser la traditionVolume 68, numro 2, juin 2012

    URI : id.erudit.org/iderudit/1013426arDOI : 10.7202/1013426ar

    Aller au sommaire du numro

    diteur(s)

    Facult de philosophie, Universit Laval et Facult dethologie et de sciences religieuses, Universit Laval

    ISSN 0023-9054 (imprim)

    1703-8804 (numrique)

    Dcouvrir la revue

    Citer cet article

    Cantin-Brault, A. (2012). Le Logos hracliten : lobscurit delambivalence entre dtermination et indtermination. Lavalthologique et philosophique, 68(2), 359378.doi:10.7202/1013426ar

    Rsum de l'article

    Cest un lieu commun de dire dHraclite quil est obscur, maisdo vient prcisment cette obscurit ? Librant lamtaphysique partir dune constitution entendue commeonto-proto-logie, lobscurit dHraclite semble participer lafois dune mtaphysique dterminante qui cherche direltant suprme en un Logos totalisant, et dune mtaphysiqueindterminante ne voulant que signifier le principe qui se situeau-del de ltant. Ces deux tendances sont illustres parHegel et Heidegger, en leurs interprtations respectivesdHraclite ; chacun nonce quelque chose de vrai, sans fairetaire lautre. Hraclite se dcouvre ainsi au carrefour deperspectives mtaphysiques qui se prciseront plus tard, queson obscurit lui permet danticiper toutes deux.

    Ce document est protg par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des servicesd'rudit (y compris la reproduction) est assujettie sa politique d'utilisation que vouspouvez consulter en ligne. [https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/]

    Cet article est diffus et prserv par rudit.

    rudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif compos de lUniversitde Montral, lUniversit Laval et lUniversit du Qubec Montral. Il a pourmission la promotion et la valorisation de la recherche. www.erudit.org

    Tous droits rservs Laval thologique etphilosophique, Universit Laval, 2012

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  • Laval thologique et philosophique, 68, 2 (juin 2012) : 359-378

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    LE LOGOS HRACLITEN : LOBSCURIT DE LAMBIVALENCE ENTRE DTERMINATION ET INDTERMINATION

    Antoine Cantin-Brault Dpartement de philosophie

    Cgep de Sainte-Foy

    RSUM : Cest un lieu commun de dire dHraclite quil est obscur, mais do vient prcisment cette obscurit ? Librant la mtaphysique partir dune constitution entendue comme onto-proto-logie, lobscurit dHraclite semble participer la fois dune mtaphysique dtermi-nante qui cherche dire ltant suprme en un Logos totalisant, et dune mtaphysique ind-terminante ne voulant que signifier le principe qui se situe au-del de ltant. Ces deux ten-dances sont illustres par Hegel et Heidegger, en leurs interprtations respectives dHra-clite ; chacun nonce quelque chose de vrai, sans faire taire lautre. Hraclite se dcouvre ainsi au carrefour de perspectives mtaphysiques qui se prciseront plus tard, que son obscu-rit lui permet danticiper toutes deux.

    ABSTRACT : It is a commonplace to say that Heraclitus is obscure, but how exactly does one ac-count for that obscurity ? Paving the way to metaphysics thanks to what has aptly been termed an onto-proto-logy, Heraclituss obscurity seems to come both from a determinate metaphysics that seeks to express the Supreme Being through a totalizing Logos, and from an indeterminate metaphysics seeking only to suggest that principle situated beyond being. Those two tendencies are illustrated by Hegel and Heidegger, in their respective interpretations of Heraclitus ; each one says something true, without silencing the other. Heraclitus thus appears at the crossroads between metaphysical perspectives that will become clearer later, which his obscurity enables him to anticipate both.

    ______________________

    omment Hegel et Heidegger ont-ils pu avoir des lectures si opposes dun mme Hraclite ? Qui a raison son propos, qui a tort ? Au fond, qui sest le plus

    approch du vritable Logos hracliten ? Et dabord, pourquoi choisir demble ces deux philosophes et leur interprtation comme les plus significatives ? tant les ples dune mme mtaphysique, ils auront lavantage de mieux complter le portrait hra-cliten que nous voulons peindre puisque nous voulons montrer quaucun na com-pltement raison, ni compltement tort : chacun a vu un profil dHraclite, mais jamais son visage complet, chacun a fait la moiti du chemin dans lapproche de celui-ci. Pour arriver dmontrer ceci, il faudra dabord rflchir sur ce quil faut entendre par mtaphysique, puis tayer les interprtations de Hegel et dHeidegger,

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    pour finalement bien tablir cette profonde obscurit hraclitenne qui devrait appa-ratre comme quelque chose de nouveau et de fcond dans ce quil y a penser dHraclite aujourdhui.

    I. LA MTAPHYSIQUE ET SON RYTHME

    Lenjeu de notre propos repose sur une redfinition de la mtaphysique : cest de cette faon que nous pourrons revaloriser linterprtation hglienne et heidegg-rienne dHraclite, mais chacune dans sa juste mesure, puis dgager cette obscurit toute nouvelle. Cette redfinition, nous la retrouvons dans les travaux de Bernard Mabille1, prenant assise sur la constitution heideggrienne de la mtaphysique. Choi-sir la redfinition de B. Mabille nous permettra ici daller directement notre but, la suite en fournira lvidence. Celle-ci est marquante en deux points : a) elle remplace le tho de la dfinition heideggrienne par proto, la mtaphysique se voyant du coup plus englobante et plus libre, et b) elle fait tat dun rythme mme la mtaphysique, dont Hegel et Heidegger scandent les pulsations les plus opposes.

    En discussion avec Hegel pour arriver pointer vers une diffrence ontologique qui ne retombe pas sur le plan ontique par un rapport ncessaire avec lidentit, Hei-degger dfinit la mtaphysique comme onto-tho-logie, science double en fait (qui la toujours t depuis Aristote) compose dune onto-logique et dune tho-logique2. Heidegger propose cette constitution pour montrer justement que la mtaphysique a oubli la diffrence ontologique et en est reste ltance dont le principe ne peut tre que Dieu entendu comme causa sui3, ce qui lui permet alors de penser par der-rire cette mtaphysique et fonder limpens qui sy trouve. En clair, pour Heidegger, pas de mtaphysique o il ne soit question de ltant, de dieu et de logos4 .

    Il y a lieu de se poser de srieuses questions propos de cette dfinition de la mtaphysique et cest ce que fait dailleurs B. Mabille partir du geste noplato-nicien. Celui-ci est significatif, car sil est manifestement mtaphysique, il ne semble pas pouvoir cadrer dans la constitution heideggrienne : La pense noplatoni-cienne du Principe est radicale (et peut-tre la plus radicale possible) puisquelle est

    1. Essentiellement dans son Hegel, Heidegger et la mtaphysique, Paris, Vrin, 2004. Nous utiliserons labr-viation HHM dans la suite.

    2. Gesamtausgabe, Frankfurt a.M., Vittorio Klostermann, 1975 et suiv., Band 11, p. 76 (GA suivi du volume et de la page) ; HEIDEGGER, Identit et diffrence , dans Questions I et II, trad. K. Axelos et al., Paris, Gallimard (coll. Tel ), 1968 et 1990, p. 305 : Quand la mtaphysique pense ltant dans la perspective de son fond, qui est commun tout tant comme tel, elle est alors une logique en tant quonto-logique. Quand la mtaphysique pense ltant comme tel dans son Tout, cest--dire dans la perspective de ltant suprme qui fonde en raison toutes choses, elle est alors une logique en tant que tho-logique. Ce texte se retrouve plus prcisment dans la confrence intitule La constitution onto-tho-logique de la mtaphy-sique .

    3. GA 11, p. 77 ; ibid., p. 306 : ltant pens comme fond a besoin dune causation par la Chose la plus originelle, par la Chose primordiale entendue comme Causa sui. Tel est le nom qui convient Dieu dans la philosophie. Ce Dieu, lhomme ne peut ni le prier ni lui sacrifier. Il ne peut, devant la Causa sui, ni tomber genoux plein de crainte, ni jouer des instruments, chanter et danser .

    4. B. MABILLE, La libration de la mtaphysique , dans ID., dir., Ce peu despace autour, Chatou, Les ditions de La Transparence, 2010, p. 114.

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    celle qui va jusqu dclarer le Principe au-del de ltance et du logos5 . Effec-tivement, pour ne pas identifier le principe avec le principi, pour que ce principe ne perde pas son statut de principe, lUn noplatonicien est plac au-del de ltant, il est, dune certaine faon, non-tant. Dire le principe non-tant (m on), ce nest pas le menacer, mais le soustraire absolument la dgradation, au glissement de lori-ginaire au driv6. Le placer hors de ltance le protge dans sa fonction mme de principe. Ce que montre le geste hnologique en tant quil est montologique cest lirrductible contingence dun principe identifi un tant dtermin ou, de fa-on plus gnrale, qui reste dans lordre de ltance7. Ce geste de pense est alors radical puisquil remet en question la constitution mme de la mtaphysique selon Heidegger : lUn est au-del de ltant et semble transcender toute forme de divinit, pour finalement ne pas pouvoir se dire mme un logos prdicatif. Pour permettre linclusion du geste noplatonicien en mtaphysique, il faut rouvrir la dfinition hei-deggrienne et lui remplacer tho par proto : Partout o il y a mtaphysique, il est question de ltant, dun principe et dun logos. Le principe nest pas ncessairement Dieu ni un dieu. Il est, comme le montre admirablement Heidegger lui-mme, lins-tance qui commence (anfangt) et qui commande (beherrscht). Plutt que de parler donto-tho-logie, dcidons donc duser donto-proto-logie8 . Nous pouvons mainte-nant mieux comprendre le geste noplatonicien, mais il y a ici un lourd effet collat-ral : le geste heideggrien prend lui aussi part cette mtaphysique, car il tmoigne lui aussi dune recherche du premier principe, mme si celui-ci est au-del de ltant et prsent dans un Logos peine signifiant. Si la mtaphysique est une pense du premier (une protologie) et si ce premier nest pas ncessairement ltant fondamen-tal de lonto-tho-logie telle que la dcrit la confrence de 1957 sur la Constitution mais peut tre aussi un non-tant ou un au-del de ltance, alors la pense heideg-grienne reste une pense principielle9 . Heidegger et les noplatoniciens ont un geste semblable : Si elle nest pas identique, cette diffrence montologique est homologue la diffrence ontologique heideggrienne. Dire ce la faveur de quoi ce qui est est, quil est, cest le transformer en tant. Altration de lUn ou tantifi-cation de ltre10. Dans les deux cas, il y est question de prserver le caractre premier du principe en lisolant de ltant, pour quil puisse juste titre commencer et commander ltance, mais toujours une pense mtaphysique, entendue comme onto-proto-logie, est luvre. Bref :

    Si la mtaphysique est onto-tho-logie au sens troit de discours qui ramne ltant dans son ensemble un tant fondamental partir dune identit de ltre et du fond cach dans le Logos, alors Heidegger pense bien au-del de cette constitution, pense depuis son im-pens. Mais si lonto-tho-logie comme protologie, comme qute du Premier, implique un

    5. ID., Philosophie premire et pense principielle (le rvlateur noplatonicien) , dans ID., dir., Le prin-cipe, Paris, Vrin, 2006, p. 11.

    6. Ibid., p. 12. 7. Ibid., p. 22. 8. ID., La libration de la mtaphysique , p. 115-116. 9. HHM, p. 331. 10. ID., La libration de la mtaphysique , p. 131.

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    ddoublement de celui-ci en Principe ontologique (plus prcisment ontique) et en Prin-cipe montologique, alors le chemin de pense de Heidegger appartient la mtaphy-sique11.

    Si le principe peut la fois tre ltant suprme (un Dieu comme causa sui) ou encore tre montologique (lUn des noplatoniciens ou encore ltre en tant qutre), il semble bien que vouloir dpasser la mtaphysique, dans un geste mme de recherche du premier principe, soit vou lchec12. On ne se libre pas de la mtaphysique, plutt cest la mtaphysique quil faut librer de sa constitution trop restrictive.

    De ce dilemme du principe13 en dcoule un rythme mtaphysique qui sinscrit dans ces trois termes que sont lonto-proto-logie. Selon que le principe premier vis est dans ltant, alors son Logos, son dire, sera dterminant parce que le principe est dicible, la langue prdicative ne pouvant dire que ltant, ou selon que le principe premier vis est hors de ltant, alors son Logos sera indterminant parce que indi-cible dans une langue prdicative, il faudra alors user plutt de lnigme et du signe. B. Mabille rsume ces deux pulsations par thsis et arsis, empruntant des mots de Plotin. Ainsi, le rythme mtaphysique est compos du temps fort dune pense th-tique (qui pose, qui dtermine), temps faible dune pense arsique (qui soulve, qui abolit le thtique) musique souverainement instauratrice dans le temps fort, et qui cherche dterminer ce qui est, et musique qui accentue le temps faible, qui syn-cope le thtique, le soulve () et nous mne au-del de la prsence14 . Ces deux moments sont prsents en toute pense mtaphysique mais selon des dosages diffrents. Dans un dosage trs lev de dtermination, on y reconnat Hegel et dans un dosage trs lev dindtermination, Heidegger. Les deux penseurs pensent le principe de ltant, mais Hegel pense ce principe dans ltant comme tant suprme, lAbsolu comme Dieu, la manire de la vie qui sauto-dtermine, et son Logos sera dterminant, et Heidegger pense ce principe au-del de ltant, son Logos sera donc indterminant, celui qui pour penser ce qui dpasse ltant doit lever toute dtermi-nation. ces deux moments dun mme rythme mtaphysique correspondent donc Hegel et Heidegger : Hegel cherche librer le logos de lindtermination par la vertu dune dtermination logique. Heidegger cherche librer le logos de la logique

    11. HHM, p. 335. 12. Cest ce que B. MABILLE montre bien ici : Si lon croit se dbarrasser de la pense principielle en obli-

    geant de suspendre notre jugement sur lexistence dun Principe divin ou en effaant la majuscule au mot Principe pour nadmettre que des principes contingents cest--dire de simples hypothses, est-on bien sr de pouvoir ouvrir un tel espace sans poser ou prsupposer une certaine conception de ltant et corrlativement du logos dans lequel ou partir duquel la pense se dploie ? ( Philosophie premire et pense principielle (le rvlateur noplatonicien) , dans Le principe, p. 42).

    13. Ibid., p. 38 : Ce que rvle donc (peut-tre malgr lui) le geste montologique cest ce que lon peut nommer le dilemme du Principe. Ou bien il est au-del de ltance (mais lindtermination qui est dabord signe de son excellence risque de se renverser en faiblesse dans la mesure o son cart avec ltant lex-pose rendre impensable la relation Principe-principi ou en faire une impensable catastrophe une surabondance qui vire la dchance). Ou bien le Principe est un tant dtermin (mais alors la dtermi-nation mme qui loffre la pense signe en mme temps sa contingence, sa relativit il ne peut plus ds lors tre Principe : pourquoi tel principe plutt que tel autre ou que lan-archie ?).

    14. HHM, p. 336.

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    pour retrouver sa dimension dlotique15. Cest pourquoi leur interprtation dH-raclite jouit dun statut particulier par rapport celles de Nietzsche ou de Hlderlin par exemple, puisquelles ont lavantage de montrer le rythme mme de la mtaphysi-que mme le Logos hracliten, et ce, sans ambivalence. Lambivalence apparatra plutt dans le fait quHraclite supporte la fois ces deux interprtations, quil puisse dj rpondre des deux pulsions de la mtaphysique.

    Voil enfin la mtaphysique libre et prte pouvoir tre pense de manire encore plus significative :

    Le principe rythmique que nous avons mis jour implique dans son concept mme la dimension (arsique) du dpassement. En se librant de lobsession du dpassement ou du dlaissement de la mtaphysique et en sexprimant comme libert, cest--dire comme activit de dtermination et deffectuation (moment thtique) qui prserve toujours une capacit de retrait et dabolition (moment arsique), lexercice mtaphysique se libre comme invention infinie16.

    Il faut maintenant la voir luvre plus spcifiquement dans les interprtations hg-lienne et heideggrienne dHraclite.

    II. HEGEL ET LE LOGOS DTERMINANT

    Linterprtation hglienne dHraclite repose sur deux difficults : faire dire Hraclite que ltre nest pas plus que le non-tre et le placer historiquement aprs Parmnide17 rebutent ncessairement tout interprte venant aprs, entre autres, le co-

    15. HHM, p. 337. 16. HHM, p. 365. 17. Lessentiel de linterprtation hglienne se situe dans ses Leons sur lhistoire de la philosophie, trad.

    P. Garniron, Paris, Vrin, 1971 et suiv., t. 1 ([LHiP suivi du volume et de la page] ; ditions allemandes dans E. MOLDENHAUER, K.M. MICHEL, d., Werke in zwanzig Bnden, t. 18, Frankfurt a.M., Suhrkamp, 1969-1971 [W suivi du volume et de la page], et dans la plus rcente dition critique de P. GARNIRON et W. JAESCHKE du t. 7 des Vorlesungen, Ausgewlte Nachschriften und Manuskripte, Hamburg, Felix Mei-ner, 1983 et suiv. [V suivi du volume et de la page]) et se rsume cette parole : Cet esprit hardi a t le premier dire cette parole profonde : Ltre nest pas plus que le non-tre, il nest pas davantage ; ou encore tre et nant sont la mme chose (W 18, p. 323 ; LHiP 1, p. 157 ; V 7, p. 71). Voil ce qui dj nous plonge dans une certaine perplexit : do vient ce dire que personne ne reconnat aujourdhui comme en tant un dHraclite ? Ldition de Michelet nous renvoie Mtaphysique IV, 7, 3 ; 7 nous trouvons : Il semble que le mot dHraclite, que tout est et nest pas (ARISTOTE, Mtaphysique, trad. M.-P. Duminil, A. Jaulin, Paris, GF, 2008, 1012a25, p. 175), et 3 nous trouvons : [] il est en effet impossible quiconque de concevoir que la mme chose est et nest pas, comme, de lavis de certains, le dit Hraclite (ibid., 1005b25, p. 153). Ces deux passages ne correspon-dent pas tout fait ce que cite Hegel, car tous deux concernent ltant qui est ou non, alors quil cite prcisment que ltre ( , Sein) nest pas plus que le non-tre (Nichtsein). Garniron, dans sa traduction des Leons, nous envoie, et avec raison, Mtaphysique I, 4, car ici nous avons la citation de Hegel pres-que mot mot : (Metaphysica, d. W. Jaeger, Ox-ford, Oxford University Press, 1957, p. 13), cest aussi pourquoi ils affirment que ltre nexiste pas davantage que le non-tre (ARISTOTE, Mtaphysique, 985b5-10, p. 87), mais ce ils correspond Leu-cippe et Dmocrite et non Hraclite. Hegel place Hraclite aprs Parmnide dans son histoire rationalise de la philosophie. Hegel dit bien dHraclite quil est le contemporain de Parmnide (W 18, p. 320 ; LHiP 1, p. 154 ; V 7, p. 69), mais il situe sa pense comme celle qui prend appui et brise celle de Parm-nide, lidentit morte de ltre, donc comme celle qui vient ncessairement et logiquement aprs lui. La quasi-totalit des interprtes de la philosophie prsocratique situe aujourdhui Parmnide aprs Hraclite, et non linverse comme le fait Hegel et, seul de son camp et plus prs de nous, Karl REINHARDT (cf. Par-

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    lossal travail de Diels et Kranz. Ces deux cueils ne doivent cependant pas occulter leur but : comprendre comment Hraclite fut le penseur du devenir, et du temps dans le rgne de la nature18. En ce sens, penser Hraclite comme le penseur de la proces-sualit est foncirement plus acceptable, et le processus chez Hegel ne se pense quen termes opposs unifis ( ltre et nant sont la mme chose , ce qui suppose dabord que ltre soit pos, rle de Parmnide) : le principe dHraclite donc est essentiel et se trouve au dbut de ma logique, juste aprs ltre et le nant19 , nous dit Hegel. Cette processualit repose sur la contradiction, ce qui rflexivement tait dj toujours luvre dans le devenir20. Le Logos dHraclite est donc pour Hegel le devenir, ou la contradiction elle-mme, force processuelle de la philosophie en son parcours vers sa totalisation : son Logos dit lidentit de lidentit et de la diff-rence21.

    Heidegger a raison de dire que : Le mot fondamental dHraclite est , []. Mais linterprtation hglienne de la philosophie dHraclite ne soriente juste-ment pas sur le . [] Aussi Hegel fait-il porter principalement le poids de son interprtation dHraclite sur les propositions dans lesquelles viennent au langage llment dialectique, lunit et lunification des contradictions22. Hegel na effec-tivement pas fait porter lessentiel de son interprtation sur le Logos, mais il repense Hraclite et son Logos dans un Logos bien prcis23 et cest partir de ce Logos quil

    menides und die Geschichte der griechischen Philosophie, Frankfurt a.M., Vittorio Klostermann, 1959 et 1985, p. 201 et suiv.).

    18. Comme Hraclite nen est pas rest lexpression logique du devenir mais a donn son principe la figure de ltant, cela implique que la forme du temps devait soffrir lui tout dabord sous cette figure ; car dans le sensible, lintuitionnable, le temps est justement le premier terme comme tant le devenir ; il est la premire forme du devenir (W 18, p. 329 ; LHiP 1, p. 162 ; V 7, p. 76) Le devenir se donne comme temps dans la finitude de la nature. Mais Hraclite est encore plus profondment ancr dans la Philosophie de la nature hglienne en ce que les mtamorphoses du feu (DK B 76) telles que comprises par Hegel (W 18, p. 332 ; LHiP 1, p. 165 ; V 7, p. 77-78) disent dj le cycle de la nature et plus prcisment la vie de la Terre ( 286 288 de lEncyclopdie des sciences philosophiques de 1827 et 1830 ; Gesammelte Werke, hrsg. von der Rheinisch-Westflischen Akademie der Wissenschaften in Verbindung mit der deutschen Forschungsgemeinschaft, Hamburg, Felix Meiner, 1968 et suiv., Band 20, p. 287-289 [GW suivi du volume et de la page]).

    19. W 18, p. 325 ; LHiP 1, p. 158 ; V 7, p. 72-73. 20. Les dterminations-de-rflexion, dont fait partie la contradiction, sont la vrit de ltre, ils permettent,

    dans le moment qui nous intresse le plus avec Hraclite, de comprendre comment lon passe de ltre (identit) au nant (diffrence) et finalement au devenir (opposition puis contradiction). Sur les essentiali-ts, ou les dterminations-de-rflexion, voir le chapitre second de la premire partie de La doctrine de lessence , dans Science de la Logique (SdL dans la suite), trad. G. Jarczyk, P.-J. Labarrire, Paris, Aubier, 1976.

    21. On peut aussi dire, mais moins directement, car moins prsent dans les Leons, quHraclite est aussi le penseur de linfini, du mauvais comme du bon, puisque le devenir est sous le signe du bon infini, il permet le progrs du dire de ltre, celui qui ne fait pas que se perdre en rptitions inutiles et gaspilleuses, comme le fait le mauvais infini, ou le temps en sa figure naturelle ; nanmoins, le temps peut tre le signe du bon infini puisque cest en lui que se forme lhistoire (cf. C. BOUTON, Temps et esprit dans la philosophie de Hegel [De Francfort Ina], Paris, Vrin, 2000). En arriver la contradiction, de toute faon, est dj en-trer dans la pense de linfini selon Hegel : [] linfini, qui est la contradiction telle quelle se montre dans la sphre de ltre (GW 11, p. 287 ; SdL, p. 82).

    22. GA 9, p. 436 ; Hegel et les Grecs , dans Questions I et II, p. 363-364. 23. Nous ne ferons pas ici larchologie de ce Logos hglien que Heidegger rattache la pense chrtienne

    (cf. GA 40, p. 135 ; Introduction la mtaphysique, trad. G. Kahn, Paris, Gallimard [coll. Tel ],

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    comprend Hraclite comme le penseur du devenir contradictoire et comme celui qui donne limpulsion la Logique. Il ne faut pas croire que Hegel ait fait la sourde oreille au Logos dHraclite. Ce nest pas pour rien dailleurs que Hegel pose dune telle faon cette question : Wie kommt der zum Bewutsein24 ? Ne le tra-duisant pas et le laissant paratre dans son origine grecque, il est facile de voir que pour Hegel cette notion nen est pas une comme les autres, il y reconnat en outre son ct problmatique pour celui qui veut en prendre conscience ; autrement dit, le Logos nest pas quelque chose de simple et doit tre pris pour lui-mme. Hegel traduit lui-mme le Logos dHraclite par quelques notions qui sont interrelies : rapport (Verhltnis25), raison (Vernunft26) ou encore entendement divin (gttlichen Verstande27). Toutes ces notions ont ceci en commun quelles sont dterminantes : lentendement divin se donne selon sa contradiction ngative dans la Logique, il se scinde en lui-mme et pour lui-mme de manire ne pas rester abstrait, il se pose en rapport, ce que la raison saisit dans sa capacit retrouver lunit dans ce qui sest pralablement bris, contre un simple entendement qui lui ne voit que lidentit fixe contre la diffrence et manque la vrit de lidentit de lidentit et de la diffrence. Le Logos dHraclite est bien raison en ce que la raison relie (met en rapport) les d-terminations de ltre poses par lentendement de manire leur donner leur vrit : le devenir suppose une saisie de la contradiction et dabord, de la finitude de ltre spar du nant, il permet donc de librer le savoir infini, le vritable savoir philo-sophique. Le Logos est, autrement dit, lIde qui dissout sa finitude pour se montrer en sa totalit. Si Hraclite est donc ce point important pour Hegel dans sa Logique, cest que cest lui qui le premier permet de penser la contradiction dterminante comme ce qui contribue lAbsolu et qui ne le gne pas dans son absoluit ; lAbsolu na de valeur que dtermin, quempli de ngativit, sinon sa positivit ne serait que vacuit : Contre le sentiment et lintuition, Hegel promeut le logos entendu comme activit dauto-prsentation de lintelligible par rcusation de linintelligible 28 . Hraclite est justement celui par lequel Hegel peut dire que moins que tout est-ce le logos que lon doit laisser en dehors de la science logique. Cest pourquoi il ne faut pas que ce soit du bon plaisir de lintroduire dans la science ou de le laisser en dehors delle29 . Le Logos comme [c]hose tant en et pour soi, [] la raison de ce qui est,

    1967/1980, p. 135), nous prendrons ce Logos comme il se donne, quil soit chrtien ou non. Mais Hei-degger a tout de mme raison de dire que le Logos de Hegel vise ltant suprme et non ltre, ce qui nest pas un dfaut comme nous le verrons.

    24. W 18, p. 338 ; LHiP 1, p. 170 (Comment le en vient-il la conscience ?). Le terme intraduit revient souvent dans V 7, p. 79-80.

    25. W 18, p. 337 ; LHiP 1, p. 169 ; V 7, p. 80 ; Hegel a peut-tre repris cette traduction de Schleiermacher qui traduit lui aussi, dans le fragment DK B 1, Logos par Verhltnis (voir Herakleitos der dunkle, dans H. FISCHER, d., Kritische Schleiermacher-Gesamtausgabe, Band 6, Berlin, New York, Walter de Gruyter, 1998, p. 210).

    26. W 18, p. 338, 341 ; LHiP 1, p. 170, 173 ; V 7, p. 79. 27. W 18, p. 341 ; LHiP 1, p. 173 ; V 7, p. 79. 28. G. MARMASSE, Penser le rel : Hegel, la nature et lesprit, Paris, Kim, 2008, p. 72. 29. GW 21, p. 17 ; SdL, La doctrine de ltre , 1832, trad. G. Jarczyk, P.-J. Labarrire, Paris, Kim, 2007,

    p. 12.

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    la vrit de ce qui porte le nom des choses30 , ne peut pas tre mis lextrieur de la Logique puisque la Logique est le dploiement mme du Logos, de la vrit dtermi-ne marque par la ngativit. Hraclite, en son devenir, incarne ce Logos dtermi-nant qui comprend la processualit comme une unit dopposs, implicitement con-tradictoire, et cest pourquoi il dbute et fonde la mthode logique, la dialectique : Seul ltre est, seul il est le vrai, disaient les lates ; la vrit de ltre est le devenir, ltre est la premire pense, en tant quimmdiat. Tout est devenir, dit Hraclite ; ce devenir est le principe. Cest ce que contient lexpression : ltre nest pas davantage que le non-tre ; le devenir est et nest pas31. Le Logos, entendu toujours dabord comme devenir, est le dveloppement, le dire de ltre, son principe qui le montre comme infini, concept, sujet, qui le sort de son immdiatet pour mieux le retrouver. On voit trs bien ce sens du Logos propos dHraclite dans la version des Leons de P. Garniron et W. Jaeschke : Dieser Proze, diese Bestimmtheit der Bewegung, die durch das All hindurchgeht, dieser Rhythmus, dieses Ma, ein the-risches Sein, welches der Samen ist zur Erzeugung des Ganzen dieses Eine ist der Logos32. Tout est produit par le rythme producteur et dterminant du Logos, le Logos engendre tout partir de sa propre scission et reprise. Le devenir est cette ac-tivit quest le Logos par lequel il peut tre pens comme le principe du dire de lAb-solu soi-mme par son parcours ngatif de dterminations : cest le devenir qui entrane ltre dans son auto-dploiement, car il est dj la faon qua lAbsolu de se donner sa vrit, par l sengage laventure du dterminer incluse dans lidentit de ltre pur et du nant pur, une identit qui dit leur diffrence et leur unit o le de-venir prend sa source33 . Le devenir qui dit dj ce quest la vritable ngation, le rapport ncessaire son autre, engage ltre dans la diction de soi, dans sa dtermi-nation. Comme le dit B. Bourgeois : Le savoir de soi du savoir absolu est ainsi en lui-mme un savoir concret, qui inclut en son identit et son repos, en limmdiatet ou absoluit de son tre, la diffrence et le mouvement, la mdiation ou relation de son propre devenir, de son apparatre et dans lui-mme34. Sil faut effectivement faire une distinction entre la Logique et le logique35, le Logos est bien le logique qui se donne en sa prsentation dans la Logique, le Logos est luniversel processus du dire de lAbsolu dont la Logique recueille effectivement le dire, il est cette matrice du devenir36 qui force ltre se dire. La Logique nest pas une simple description de la

    30. Ibid. 31. W 18, p. 324 ; LHiP 1, p. 158 ; V 7, p. 72. 32. V 7, p. 79. (Ce processus, cette dtermination du mouvement, qui passe travers le tout, ce rythme, cette

    mesure, un tre sublime, lequel est le germe de la production de lensemble celui-ci est le Logos.) 33. G. JARCZYK, Le ngatif ou lcriture de lautre dans la logique de Hegel, Paris, Ellipses, 1999, p. 59. 34. Encyclopdie I, trad. B. Bourgeois, Prsentation , Paris, Vrin, 1970, p. 50. 35. G. JARCZYK, P.-J. LABARRIRE, Hegeliana, Paris, PUF, 1986, p. 290-291 : Le logique, cest lexplication

    dynamique de tout ce qui est, ou plus exactement de tout ce qui existe. La Logique la Science de la Lo-gique , cest lespace discursif et organisationnel o le logique, dans la perspective de Hegel et pour son temps, trouve son lieu propre et le milieu lintrieur duquel il se dit selon son conomie originelle .

    36. G. JARCZYK, Le ngatif ou lcriture de lautre dans la logique de Hegel, p. 379 : Le statut et le mouve-ment du dterminer ou du nier domine, depuis le dbut de la Science de la logique, le procs conceptuel

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    pense, elle est le dploiement mme du Logos, celui qui se diffrencie et se reprend, bref celui qui tout dabord est en devenir, est le devenir mme dans son sens le plus fondamental.

    Il peut tre utile de montrer quoi soppose ce Logos hglien pour en saisir toute sa profondeur. Aux yeux de Hegel, ses opposs principaux, et les plus rattachs notre propos, sont les Logos de Parmnide et de Spinoza, un late moderne.

    Hegel soppose Parmnide, car ce dernier a justement empch le Logos de se donner dans la Logique : refuser le nant comme oppos li ncessairement ltre, cest empcher tout acte discursif, cet acte qui passe toujours par la diffrence, par la dtermination, de lAbsolu, et cest ainsi empcher lAbsolu datteindre une effecti-vit vraie en tant que lAbsolu ne peut se dire lui-mme que sil est processus vers son identit mdiatise, sil pose en lui-mme sa contradiction, sa diffrence qui ren-voie ncessairement lidentit et son identit qui renvoie ncessairement la diff-rence, et les lates nont pas compris cette union ncessaire, ou plutt lont com-prise mais lont refuse (ils en sont rests une dialectique subjective37) et ont dcid de sen tenir cet entretien qui ne fait que rabcher la mme-chose, quun tel dis-courir qui pourtant doit tre la vrit. [] Mais quand cest seulement la mme-chose qui revient, cest plutt le contraire qui est arriv, rien nest sorti. Un tel discourir identique se contredit donc soi-mme. Lidentit, au lieu dtre en elle la vrit abso-lue, est par consquent bien plutt le contraire38 . Cest le devenir qui, ds le dpart et en dpassant ltre pur, nous invite comprendre que par la ngation quil contient, le systme logique aura pour but de dterminer ltre et de le retrouver mdiatis en son commencement, il annonce dj la forme circulaire du systme discursif et libre de Hegel : dire ltre en son commencement cest en saisir le devenir qui le dtermine en le niant.

    Cest en ce sens que lon peut comprendre, en partie du moins, la critique hg-lienne de Spinoza. Bien quil reprsente pour Hegel une figure trs importante de la fondation de la subjectivit, quil prpare mais ne parvient pas poser, Spinoza, comme Parmnide, se situe hors du Logos hglien dterminant et constituant. Spi-noza, tout comme Parmnide, se situe dans un absolu oriental, un Absolu indiff-renci qui se donne en totalit et tout dun coup et dont lidentit ne peut tre trouble par la diffrence. Spinoza et Parmnide manifestent alors tous les deux le commence-ment de la philosophie : Cest cette ngation de tout particulier que doit arriver tout philosophe ; cest la libration de lesprit et sa base absolue39. La pense ne peut se placer dans son propre lment et ainsi commencer se penser elle-mme quen niant toute particularit et sinstaller dans ltre totalement indtermin. Par

    dans sa globalit ; cela dans la considration de ce que la prime unit immdiate de ltre et du nant forme ce que lon pourrait qualifier de matrice du devenir, mouvement o se dit lidentit de ltre et du nant dans et mme leur diffrence rciproque .

    37. La dialectique subjective de Znon doit ncessairement devenir elle-mme objective, cest--dire que ce mouvement lui-mme doit tre saisi comme ce qui est objectif : tel est le pas que cette dialectique doit ac-complir prsent (W 18, p. 319 ; LHiP 1, p. 153 ; V 7, p. 69). Et cest ce que fera Hraclite.

    38. GW 11, p. 264 ; SdL, La doctrine de lessence , p. 44. 39. W 20, p. 165 ; LHiP 6, p. 1 456.

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    contre, en rester au pur commencement comme la totalit est une erreur et ce que Hegel va reprocher Parmnide, il le reproche maintenant Spinoza. Sa substance est un gouffre dans lequel toute dtermination, toute finitude et toute ngation se per-dent. La substance spinoziste, se perdant dans son identit absolue, souffre du mme problme que ltre latique : il est a-logique en ce quil ne contient aucun principe de dtermination, aucun principe de ngation, il manque de la rflexion dans soi40 . Ce problme se manifeste plus prcisment chez Spinoza dans lacosmisme qui rend panthistique son systme. Dieu, comme ltre de Parmnide, prend trop de place et fait en sorte que le fini est rduit au nant et est plac hors de la substance, le monde est alors pos comme quelque chose dautre ct de Dieu41 . Hegel in-siste beaucoup sur ce point : Spinoza a omis dexpliquer comment lon passe de Dieu la finitude, les dterminations ne sont pas dveloppes partir de la substance, elle ne se rsout pas avoir ces attributs42 que sont ltendue/nature et la pense. Parmnide posait ltre seul et le reste du monde ntait rien, ne contenait aucune vrit, ainsi fonctionne le systme spinoziste. Le panthisme de Spinoza se voit dans ce Dieu qui engloutit tout en lui, toute dtermination se perd en lui ; tout est Dieu chez Spinoza en ce sens que tout se perd et se dissout en lui, les attributs de Dieu ntant que poss l et non pas dduits dialectiquement de lui, le jeu de la diffrence et de lidentit tant mal compris par la rsorption de toute diffrence dans lidentit. Linfini, chez Spinoza, est prcisment laffirmation de soi-mme43 , la causa sui, lAbsolu qui se pose lui-mme en lui-mme de par son infinit, mais justement, sil avait effectivement bien pens la causa sui, si Spinoza avait dvelopp de faon plus prcise ce qui tait impliqu dans la causa sui, sa substance ne serait pas le ri-gide (das Starre)44 , il aurait pens limportance de la finitude et son rapport lin-fini, car pour tre cause de soi, il faut se faire soi-mme autre et ainsi commencerait le processus de dtermination de lAbsolu, ce vers quoi pointait la constitution hei-deggrienne de la mtaphysique vue plus haut. Le Dieu se donne bien ses attributs dans la causa sui mais ces attributs ne sont que de simples modifications de lui-mme sans laffecter vraiment qui dpendent finalement des vues de lentendement. [] [M]aintenir fermement ltre en sa puret, cest le principe late, celui du pan-thisme [] le panthisme [des] lates dit quil ny a pas de natre et de prir, que cela na aucune vrit, quau contraire ltre seul a vrit45 , cest exactement ce que fait Spinoza en ramenant tout la substance et en nattribuant aucune importance au fini du fait de son acosmisme, la manire dont le [fini] sort de [la] substance, cela nest pas saisi46 .

    40. GW 11, p. 378 ; SdL, La doctrine de lessence , p. 242. La rflexion est ce qui, gnralement, marque la ngativit, ainsi la substance qui manque de rflexion ne peut parvenir au sujet.

    41. W 20, p. 178 ; LHiP 6, p. 1 473. 42. W 20, p. 173 ; LHiP 6, p. 1 465. 43. W 20, p. 170 ; LHiP 6, p. 1 462. 44. W 20, p. 168 ; LHiP 6, p. 1 459. 45. V 10, p. 104 ; Leons sur la logique 1831, trad. J.-M. Bue, D. Wittmann, Paris, Vrin, 2007, p. 104-105. 46. V 10, p. 122 ; ibid., p. 119.

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    Par consquent, lAbsolu de Spinoza, comme celui de Parmnide, na pas besoin de temps pour se dire, il est demble ce quil est mais ainsi il est vacuit. Dans les termes de J.-M. Vaysse : la diffrence du Livre hglien qui est le travail du Logos o ltre se manifeste dans le temps, le Livre spinoziste est hors-temps et savre comme tel illisible 47 . Le Logos hglien est dterminant, voire auto-dterminant, et Spinoza il manque donc une bonne dose de devenir hracliten, par lequel le fini et linfini se pensent ensemble et par lequel lAbsolu peut se dployer pleinement comme identit de lidentit et de la diffrence. Hegel est Spinoza ce quHraclite est Parmnide : la ncessit de la mise en action de la ngation dans lidentit abstraite, de la mise en mouvement de lAbsolu par la contradiction qui per-met le dire de lAbsolu en sa vrit.

    Hraclite comprend que Dieu est contradiction, car il est ngation48 , ngation de son identit abstraite. Bien sr, cest aux Atomistes et Anaxagore que lon doit cette premire saisie de la dtermination dans sa propre immanence et pure du monde phnomnal lorsquon loue Anaxagore comme celui qui aurait nonc en premier la pense que le nos, la pense, est le principe du monde, que lessence du monde [est] dterminer comme la pense49 , comme celui qui aurait pens la pen-se qui reste elle-mme son propre objet, mais il nen demeure pas moins quHra-clite a pos la dtermination mme au sein de lAbsolu dans son Logos par le devenir contre les lates. Autrement dit : En langage moderne nous pouvons dire que le devenir dfinit lauto-dploiement des structures de la pense considre comme Logos. cet gard, le devenir est la cl du systme hglien, il est la mdiation sous sa forme la plus pure50. Dans le devenir dj, le fini meurt pour mieux revivre dans linfini et linfini vit de la mort du fini : Immortels mortels, mortels immortels, ceux-l vivant la mort de ceux-ci, ceux-ci mourant la vie de ceux-l51 , lunit est mdiatise et la mdiation est unifie, ce qui permet de comprendre lidentit de lidentit et de la diffrence comme une ncessit au dire de lAbsolu qui pose hors de lui ce quil est soi-mme, son autre.

    Voil donc qui manifeste une pleine interprtation mtaphysique, en sa pulsion thtique, dHraclite et qui, entendue justement dans cette pulsion prcise, ne semble pas trahir le sens de certains fragments de lObscur, principalement ceux qui traitent du devenir et du conflit.

    47. J.-M. VAYSSE, Totalit et subjectivit : Spinoza dans lidalisme allemand, Paris, Vrin, 1994, p. 258. 48. V 10, p. 7 ; Leons sur la logique 1831, p. 26. 49. GW 21, p. 34 ; SdL, La doctrine de ltre , 1832, p. 27. 50. J.-L. VIEILLARD-BARON, Le problme du temps, Paris, Vrin, 2008, p. 132. 51. DK B 62, J.-P. DUMONT, dir., Les Prsocratiques, Paris, Gallimard (coll. Bibliothque de la Pliade ),

    1988, p. 160 ; DK : , , , . Hegel, dans les Leons, ajoute ce fragment et qui va dans le sens de notre interprtation ici : Le divin est llvation par le penser au-dessus de la simple naturalit ; celle-ci appartient la mort (W 18, p. 343 ; LHiP 1, p. 174 ; V 7, p. 81). Le fini, la naturalit, meurt pour devenir infini et total, le divin.

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    III. HEIDEGGER ET LE LOGOS INDTERMINANT

    Linterprtation heideggrienne dHraclite a pris beaucoup de place dans ce qui est penser du Logos aujourdhui. Du moins, elle a contribu clipser linterprta-tion hglienne par sa prtention tre plus philosophique et plus profonde que celle de Hegel puisque cette dernire en serait reste ltant et naurait pas voulu penser de manire vritablement grecque, elle aurait cras le message ontologique par la raison dterminante sattachant ncessairement au domaine ontique. La Logique tant omniprsente dans la pense hglienne, elle aurait tu lappel de ltre. Il est vrai que Hegel sest attach ltant suprme et non ltre : en supposant lidentit de ltre et de la pense, il suppose que son principe est dicible par la raison, et comme lAb-solu de Hegel se donne dans ses dterminations tantes et rationnelles, il est donc, il est ce Dieu comme ralit tante. Hegel ne sest pas attach ltre comme le pense Heidegger, mais cela est justement mettre en rapport.

    En insistant grandement sur le Logos et trs peu sur le jeu des opposs et de la contradiction, bref du devenir52, Heidegger a vritablement pens Hraclite comme le penseur de ltre, de ce qui est au-del de ltant et, en ce sens : [] ce qui mim-porte simplement cest de montrer clairement labme qui nous spare de Hegel quand nous sommes avec Hraclite53 . Limportance des Prsocratiques, pour Hei-degger, se situe dans le fait que ces penseurs sont encore absous de la dictature de la subjectivit et peuvent encore nous indiquer ltre de ltant, lautre commencement de la philosophie (GA 65, 91, p. 179) en opposition au commencement mtaphy-sique (onto-tho-logique) qui apparat, de manire simple, chez Platon et Aristote et dont Hegel en est peut-tre la forme la plus acheve. Ces penseurs prsocratiques nont pas clairement conscience davoir rpondu lappel de ltre mme, lappel de ce qui rejoint la fois la lumire et lobscurit : Die Griechen selbst und auch Heraklit hatten nirgends die gemen Worte und das Sagen fr dies ursprngliche Bezughafte54. Mais il faudra justement penser les Grecs de manire encore plus grecque, il faudra les penser laune de leur sens originaire. Il faudra repenser (plu-tt : retraduire) les mots grecs utiliss par les Prsocratiques pour atteindre ce que ltre a nous dire. partir de l, ce qui compte chez Hraclite selon Heidegger, ce nest pas que tout passe, que ltant passe, mais bien quil y a ltre, qui lui jamais ne passe. Le devenir nest au fond que lapparence de ltre, la manire qua ltre dap-paratre, le venir en prsence de ltant par ltre, et ainsi le devenir devient quelque chose de secondaire par rapport ltre mme ; si Hraclite parle du devenir ce nest toujours que dans le but de dire ltre, Hraclite ne sait rien ni des contraires ni de

    52. Comme on le dit clairement ici : By freeing Hercalitus words from the rigidity into which these words are placed and by situating his words within the fundamental occurrence of disclosure, Heidegger shows us a Heraclitus who is no longer primarily and exclusively the author of a metaphysical doctrine of becom-ing (K. MALY, P. EMAD, Introducion , dans Heidegger on Heraclitus : A New Reading, Lewiston, Queenston, Edwin Mellen, 1986, p. 5).

    53. GA 15, p. 199-200 ; HEIDEGGER, FINK, Hraclite, trad. J. Launay, P. Lvy, Paris, Gallimard, 1973, p. 171. 54. GA 55, p. 345. (Les Grecs eux-mmes, et aussi Hraclite, navaient nulle part les bons mots et le dire pour

    ce rapport dadhsion/connectivit [Bezughafte] originaire.)

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    la dialectique55 , au contraire de ce que pense Hegel. Hraclite, quon oppose bru-talement Parmnide en lui attribuant la doctrine du devenir, dit en vrit la mme chose que lui56. Plutt que dopposer Hraclite Parmnide comme le fait Hegel, Heidegger les rapproche ici en ce quils pointent vers une mme vrit, ce nouveau commencement dcouvert aprs le tournant 57 , vers la vrit mme comprise comme althia et qui est ce qui est penser avant toute chose puisquen elle se r-vle le sens de ltre, la vritable vrit58. Cette vrit originaire, Heidegger la retrou-ve prcisment chez Hraclite, comme il lcrit ici :

    La parole dHraclite porte suffisamment la parole cette exprience fondamentale avec, dans et partir de laquelle sest veill un regard sur lessence de la vrit comme hors-retrait de ltant. Et cette parole est ancienne, aussi ancienne que la philosophie occi-dentale elle-mme. Il nous faut mme dire que cette parole porte la parole lexprience et la position fondamentales de lhomme antique avec laquelle le philosopher commence prcisment pour la premire fois59.

    La philosophie commence avec lalthia, car ce mot dit ltre, la philosophie devant rpondre lappel de ltre. Cependant, un problme philologique se dresse aussi dans linterprtation heideggrienne, car nulle part60 dans les fragments restants de ce dernier il est clairement et directement question de lalthia. cela rpond Heideg-ger : Chez Hraclite, mme si ce nest pas directement dit, il y a larrire-plan l, ltre-non-voil (Unverborgenheit)61. En vertu du fait que les Prsocrati-ques ntaient pas pleinement conscients du dire quils effectuaient, Heidegger ne travaille pas Hraclite pour retrouver en lui justement le mot mme dalthia, mais plutt pour y retrouver le vritable sens de lalthia, celui de la non-occultation de ce qui se retire : Die ist, wie ihr Name sagt, nicht eitel Offenheit, sondern Unverborgenheit des Sichverbergens62. Gadamer a les mots justes ici : So ist Hei-degger dem Tiefsinn Heraklits einen Schritt weit nher gekommen, indem er ihn zum Zeugen einer fernen Vorzeit und Vorgeschichte ernennt, auf die kaum seine Stze,

    55. GA 15, p. 25 ; HEIDEGGER, FINK, Hraclite, p. 20. 56. GA 40, p. 105 ; Introduction la mtaphysique, p. 106. 57. ce sujet, voir J. GRONDIN, Le tournant dans la pense de Martin Heidegger, Paris, PUF, 1987. 58. Dans les mots de Parvis EMAD, The Place of the Presocratics in Heideggers Beitrge zur Philosophie ,

    dans David C. JACOBS, d., The Presocratics after Heidegger, Albany, SUNY, 1999, p. 56, 66 : Hei-degger opens up a hitherto covered-over and forgotten domain, the domain of the aletheiological beginning of thinking. [] By receiving this beckoning, aletheiological thinking of the Presocratics begins to cross the domain of the first beginning toward the domain of an other beginning. Ce commencement prsocra-tique est celui de ltre comme voilement/dvoilement.

    59. GA 34, p. 14 ; De lessence de la vrit, trad. A. Boutot, Paris, Gallimard, 2001, p. 30. 60. On retrouve chez Hraclite, dans les fragments quil nous reste, un seul endroit le mot althia, au frag-

    ment 112 (DK : , ), mais il ne semble pas, mme en ce fragment, en faire son mot dordre. Cependant, pour un Heidegger sou-cieux de penser lappel de ltre dans son a-lthia, ce fragment 112 est une mine dor : citant Heidegger sans en donner la rfrence, K. Maly rapporte : [] we find [] all the essential, foundational words of early thinking so joined together that, once one has seen this, one will always be astonished (K. MALY, S. DAVIS, Reading Heidegger reading Heraclitus - Fragment 112 , dans Heidegger on Heraclitus : A New Reading, p. 136).

    61. GA 15, p. 205 ; HEIDEGGER, FINK, Hraclite, p. 175. 62. GA 55, p. 175. (L est, comme son nom le dit, non pas la vaniteuse franchise, plutt la non-

    occultation/ltre-non-voil du se cacher soi-mme.)

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    vielmehr nur die Wurzeln der Worte Rckschlsse erlauben63. Penser, avec Heideg-ger, Hraclite cest donc essayer de comprendre lappel originaire de ltre pour lui rpondre notre tour en signifiant, nous aussi, lalthia en son vritable sens grec et originaire. Lalthia a pour vrit dtre la mme chose que ltre, ltre est la vrit mme, elle est ce qui toujours est menace dtre voile, occulte, puisque ltant a tendance voiler sa vrit, voiler ltre de ltant mme : partout il y a de ltant et toujours nous sommes en rapport avec lui, mais la vrit se trouve justement dans cette saisie de ltant en sa totalit qui dpasse tous les tants, en cette monstration des tants, en leur prsence mme. Heidegger croit bien avoir retrouv ce sens de lalthia chez Hraclite dabord dans la notion de phusis dcrite principalement dans les fragments 1664 et 123. Ltre est ce de quoi nous ne pouvons jamais nous cacher (DK B 16 : ) tout en tant celui qui aime tre cach (DK B 123 : ), celui qui aime esquiver la dtermina-tion de la raison logique, car toujours il reste en de de ltant, mais auquel on ne peut chapper vu notre dtermination comme Dasein. Ltre comme phusis ne peut pas apparatre au risque de devenir un tant, il doit demeurer linapparent de toute inapparence, puisque cest lui qui fait don du paratre tout ce qui apparat65 . La lumire, pour prserver son tre, ne peut elle-mme tre claire, elle est donc retire, cache, voile ; la prsence de toutes choses ne peut apparatre elle-mme la pr-sence. Car si la est lclosion o tout sclaire, sa clart mme ne peut tre clart que par le retrait en elle dune ardeur plus secrte, foyer de toute clart comme de toute claircie66. Autrement dit, [l]a est ltre mme, grce auquel seu-lement ltant devient observable et reste observable67 . Nous savons dabord quil y a ltre parce quil y a ltant qui apparat, mais ltre ne se rvle jamais directement, il aime plutt se cacher. Ltre se protge en se cachant : cest bien ce que dit lal-thia, l o il y a prcisment un jeu entre ltre et le nant mais non pas en un sens hglien, plutt en ce que ltre est, vu selon ltant, le nant, il reste voil dans le dvoilement de ltant et, par l, pourra toujours rendre prsent ltant en ce retrait mme. La tche du philosophe et du pote, seuls penseurs68 pouvant atteindre la

    63. H.-G. GADAMER, Hegel und Heraklit , GW 7, p. 39. (Ainsi Heidegger est venu encore plus prs dun pas du sens profond dHraclite, par lequel il le dsigne comme un tmoin dun lointain pr-temps et pr-histoire, peine permis par ses paroles, mais seulement admettre des conclusions de la racine des mots.)

    64. Pour comprendre toute limportance de ce fragment 16 pour Heidegger, voir P. EMAD, Heideggers Originary Reading of Heraclitus - Fragment 16 , dans Heidegger on Heraclitus : A New Reading, p. 103-123.

    65. GA 7, p. 279 ; Essais et Confrences, ALTHIA , trad. A. Prau, Paris, Gallimard (coll. Tel ), 1958/1980, p. 329.

    66. J. BEAUFRET, Hraclite et Parmnide , dans Dialogue avec Heidegger 1, Paris, Minuit, 1973, p. 41. 67. GA 40, p. 17 ; Introduction la mtaphysique, p. 27. 68. Comme le dit bien J. BEAUFRET : Et peut-tre est-ce enfin la plus trange merveille : que posie et pen-

    se puissent en venir parfois se retrouver et se rejoindre, se rencontrer pour sentendre en ce premier matin o les mots sont encore des signes. Le Matre dont lOracle est Delphes, dit lphsien, ne dvoile ni ne cle : il fait signe ( Hraclite et Parmnide , dans Dialogue avec Heidegger 1, p. 51). Ces pen-seurs savent couter, ils ne sont pas domins par la subjectivit : Hraclite veut dire : les hommes enten-dent certes, et entendent des paroles, mais dans cet entendre, ils ne savent pas couter, cest--dire suivre ce qui nest pas audible en tant que mots, ce qui nest pas un parler, mais bien le . [] Or lcouter authentique na rien voir avec loreille et la bouche, mais veut dire : faire acte dobissance vis--vis de

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    phusis, est donc de dvoiler cette phusis mais sans la perdre, sans en faire un tant : la phusis est la vrit comme totalit de ltant, elle nest pas un tant, en ce sens elle nest rien, mais elle est la vrit mme qui doit tre saisie dans le dploiement mme de ltant, elle est la Prsence de ltant en sa totalit. Cest ainsi quapparat le Logos puisquil est prcisment ce qui saisit cette Prsence, il est pose recueillante (lesende Lege), ce qui rcolte la totalit de ltant et qui la pose par devant soi en lclairant de son retrait. Le Logos met jour ce qui se retire, ce qui se voile en prsentant ce voile, il est un effort pour signifier ltre. Le Logos nest pas une parole, comme la cru la mtaphysique onto-tho-logique, cest un recueillement originaire, ou sil est peut-tre une parole, un dire, il est la parole de ltre mme, la parole la plus silencieuse qui soit, celle qui prend en elle la totalit de ltant pour la dvoiler sans pour autant faire de ltre un tant. Le Logos est pour Heidegger loin dtre ce quil est pour Hegel, soit une raison dterminante qui rduirait justement ltre tre un tant : Gleichwohl mssen wir uns einprgen, da nicht Wort und nicht Rede und nicht Sprache bedeutet69. Bien plutt, Le est en lui-mme la fois dvoilement et voilement. Il est l70. Le Logos est un recueillir de ltant en sa totalit qui dcle ltre mais toujours en comprenant que ce dceler est et doit tre li un celer, une impossibilit de se donner dans ltant, donc dans la langue prdicative. Ainsi, ce Logos pour Heidegger est indtermination, et ce, pour le bien de ltre mme, seule source de vrit : il dit ltre sans le conceptualiser ni le sub-jectiviser, il dit ltre dans son retrait, contre cette mtaphysique qui veut toujours du trop clair. Retrouver la lethe de la-lthia cest retrouver lindtermination, car la d-termination de la raison cache cette lethe ; retrouver la lethe cest se dpartir de la logique, hglienne plus prcisment (la logique absolue) : [] if logic must be dismantled, it is precisely because it bars access to a renewed understanding of , the misreading of which constitutes perhaps the fundamental trait of the destiny of the West71 . Autrement dit, Hegel, en retrouvant son principe logique chez Hraclite, commet un anachronisme philosophique : To reduce Greek to logical thought and categorial assertion is to twist things backward ; it is to determine Greek from out of a certain end of Western thinking72. Ce quoi bien sr on ne peut adh-rer ici pleinement, mais qui demeure vrai dans cette pulsation arsique, ou heidegg-rienne, de la mtaphysique.

    Logos et phusis disent tous les deux ltre comme althia, ils sont tous les deux ltre mme, mme sils marquent une diffrence de point de vue par rapport ltre, puisque la phusis le dcrit plutt dans son jaillissement, dans sa production, et le

    ce quest le : la recollection de ltant lui-mme (GA 40, p. 138 ; Introduction la mtaphysique, p. 137-138).

    69. GA 55, p. 239. (Cependant, nous devons nous inculquer que ne signifie pas mot et pas dis-cours et pas non plus parole .)

    70. GA 7, p. 225-226 ; Essais et confrences, LOGOS , p. 267. 71. J.-F. COURTINE, The Destruction of Logic : from to Language , dans The Presocratics after Hei-

    degger, p. 37. 72. K. MALY, The Transformation of Logic in Heraclitus , dans Heidegger on Heraclitus : A New Read-

    ing, p. 97.

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    Logos le dcrit plutt dans sa saisie, cette saisie qui ne vise pas matriser ltre, mais plutt se borne assurer la garde de ce qui est dj ainsi mis en avant73 . Rflchir sur la phusis et sur le Logos la manire des premiers penseurs, cest bel et bien dire le vrai, dvoiler ce qui aime tre cach en respectant cette pudeur . Le combat des opposs et son rsultat dans le devenir quoi on rsume souvent Hra-clite ne signifie pas : tout est simple changement, coulant sans cesse et se perdant en scoulant, tout est pure instabilit ; il veut dire : la totalit de ltant est, dans son tre, jete sans cesse dun contraire lautre, ltre est la recollection de cette agita-tion antagoniste74 . En disant le combat des opposs, Hraclite pointe vers lunit qui se voile, il pointe vers ltre et vers la faon qua ltre de souvrir en ltant. Le Logos et la phusis ne sont pas alors une nuit dindtermination, elles maintiennent en ltant les diffrences et le combat de ces diffrences, mais elles se placent dans leur unit, dans le recueillement stable de ltant, dans louverture mme de la prsence de ltant, dans lunit de ces combats dantagonismes. Le dire dHraclite a donc pour tche de maintenir ltre dans louvert, de dire lalthia, de maintenir lordre de ltant en totalit dans la non-occultation. Car effectivement, la totalit de ltant se donne selon un ordre qui provient de ltre mme, le combat des opposs qui ordonne ltant provient de et dit la totalit de ltant. Sil faut parler dordre cest que Dik nest en fait quun autre nom pour dire ltre : Ltre, la , est, en tant que perdominance (Walten), recollection originaire, ; il est lordre qui dispose, 75. Ltre est ce qui dispose ltant devant soi selon un ordre prcis, ce que le Logos saisit en tant que pose recueillante de ltant en sa totalit, et comprendre cela cest tre dans lalthia : signifier ce qui se retire. Hraclite est a philosopher of language who understands language ambiguously as both saying and not saying, so that in the saying we are to hear also what is not said, or hidden from the saying76 .

    Le Logos hglien, le [qui] est la Raison au sens de la Subjectivit abso-lue77 , anthropomorphise, si lon peut dire, ltre et plutt que de lcouter le force se dire faussement dans le langage prdicatif. La mtaphysique onto-tho-logique, la langue de Hegel pour tre plus prcis, oublie le langage obscur et originaire de ltre, [i]n the metaphysical comfort of an image of complete, grounding presence, the shining life of coming-to-presence is made obscure unlucid and unremem-bered78 . Le concept nous empche de penser le voilement/dvoilement de ltre. Le vritable Logos pour Heidegger est celui qui accueille ltre et le laisse se dire dans une langue aussi voile que ltre lui-mme. Hraclite a exprim, selon lui, ce Logos en disant que [] loracle ne dcle pas directement, il ne cle pas non plus simple-

    73. F. DASTUR, Heidegger : La question du Logos, Paris, Vrin, 2007, p. 159. 74. GA 40, p. 142 ; Introduction la mtaphysique, p. 141. 75. GA 40, p. 169 ; Introduction la mtaphysique, p. 166. 76. Walter A. BROGAN, Heraclitus, Philosopher of the Sign , dans The Presocratics after Heidegger, p. 269. 77. GA 9, p. 436 ; HEIDEGGER, Hegel et les Grecs , Questions I et II, p. 363. 78. Charles E. SCOTT, Appearing to remember Heraclitus , dans The Presocratics after Heidegger, p. 257.

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    ment il donne voir, ce qui veut dire : il dcle tout en celant, et cle tout en dcelant79 .

    Encore une fois, voil donc qui manifeste une pleine interprtation mtaphysique, mais en sa pulsion arsique cette fois, dHraclite et qui, entendue justement dans cette pulsion prcise, ne semble pas trahir le sens de certains fragments de lObscur, princi-palement ceux qui traitent du signe et de ce qui se retire en soffrant.

    IV. TROUVER LOBSCURIT DANS LAMBIVALENCE

    Il est inutile de vouloir trancher dans cette opposition que posait Fink : Chez Hegel il y avait le besoin de lapaisement du pens. Pour nous rgne en revanche la dtresse du non-pens dans le pens80. Hraclite est assez riche pour satisfaire la pense et la dtresse de limpens. Et cest l que rside la vritable profondeur dH-raclite : rsister aux interprtations et dterminantes et indterminantes sans jamais se perdre ou se vider dans lune ou lautre de ces interprtations, car il est justement celui qui participe la constitution de la mtaphysique en ces deux moments. Il ma-nifeste la mtaphysique mme en ses deux moments : il dtermine par lopposition et la contradiction du devenir mais il pose aussi lau-del de ltant lorsquil signifie sans dire. Le Logos dHraclite montre le morceau total dans lequel il y a des change-ments de rythme, il est ce terrain ouvert ce que le Logos soit dtermin ou non. L rside sa vritable obscurit : il est obscur, car il signifie la fois ltre montolo-gique et dit ltant suprme. Hraclite questionne en direction de deux principes dif-frents, quil ne sait probablement pas diffrents mais que Hegel et Heidegger vont faire clairement ressortir. Hraclite est tout entier thsis et arsis, dtermination qui pose (opposition, ngation) et indtermination qui soulve (unit, silence). Une pro-fonde saisie dHraclite, aprs lavoir mesur ces pulsions dune mme mtaphy-sique, serait donc celle qui ne se concentre pas trop sur le devenir au dtriment de ltre, comme le fait Hegel, et qui ne se concentre pas trop sur ltre au dtriment du devenir, comme le fait Heidegger, mais plutt qui unit ces deux approches tout fait opposes en une mme comprhension de lObscur. Dvelopper cette interprtation hraclitenne qui contient les deux pulsations la fois fera lobjet dun article venir, nous ne pouvons le faire en dtails ici sans risquer de laisser un vague quant ce que nous voulons montrer, mais il sagit simplement dj de faire remarquer que certains fragments sont trs certainement arsiques (DK B 93, 108 [le principe est au-del de ltance]), dautres trs certainement thtiques (DK B 8, 67, 101), et que rien, dans les fragments qui nous restent de lObscur, ne peut permettre de trancher dans une di-rection plutt quune autre : si lhomme a de la difficult entendre le Logos et a ten-dance sisoler dans un Logos personnel, rien ne nous permet daffirmer que ce quil y a dire de ce Logos cosmique soit dterminant ou indterminant. Il y a donc un

    79. GA 9, p. 279 ; Questions I et II, Comment se dtermine la , p. 545. Cette parole dHeidegger se rattache bien sr au fragment 93 dHraclite : Le prince dont loracle est Delphes ne parle pas, ne cache pas, mais signifie (Les prsocratiques, p. 167 ; DK : , , ).

    80. GA 15, p. 262 ; HEIDEGGER, FINK, Hraclite, p. 222.

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    problme vouloir, non pas voir de lindtermination chez Hraclite, ou encore de la dtermination, mais bien de choisir entre les deux pour indiquer le vritable Hra-clite.

    Cest prcisment ce qui se produit, par exemple, avec la lecture de Daniel Sain-tillan81, o lauteur, aprs avoir bien montr la place quattribue Hegel Hraclite dans son systme, combat ensuite cette projection du systme hglien dans le Logos pr-mtaphysique dHraclite en insistant que lon peut parler danalogie entre les deux entreprises, mais jamais pouvoir parler dHraclite comme du fondateur de la dialectique hglienne. Lanalogie entre Hegel et Hraclite se trouve l o tous les deux ont voulu penser une totalit que rien nexcde, dans le refus dun Autre qui serait un Autre absolu, capable par suite de venir dpossder le principe de son statut de principe capable daccuser le souverain dans sa prtention dtre le sou-verain, ou la raison dans celle davoir raison82 . Lexcdent qui risque de ruiner la force du principe premier diffre dun philosophe lautre : lexcdent combattre pour Hegel se trouve chez Platon, dans son discours mythologique plus prcisment, qui laisse un rsidu hors de lactivit rationnelle, et pour Hraclite chez Hsiode (et Homre), dans cette Eris radicalement ngative, fille de la Nuit, ce conflit laiss de ct par la Justice cosmologique. Si lon veut le dire en termes simples, lanalogie en-tre les philosophes se retrouve dans le fait dinclure mme la totalit son autre, pour que cet autre fasse partie de la totalit et la constitue, ce qui fait de cette totalit une totalit absolue. Mais l se trouve aussi la fin de lanalogie et limpossibilit pour Hegel de trouver son parfait cho chez Hraclite : la totalit hglienne est pleine-ment mtaphysique, nous dit D. Saintillan, en ce quelle est une totalit rationnelle, de concept et de jugement, alors que la totalit hraclitenne est pr-mtaphy-sique pourrait-on dire, elle se situe en de de la pleine ralisation dun face--face avec la nature. [] Nature qui devient ce dont on parle, linstant mme o elle ne parle plus []. Alors devient possible, mais alors seulement, cette entreprise que nous sommes convenus de nommer mtaphysique, et dont Hegel exprime peut-tre lultime possibilit83 . cette pense encore ignorante de la reprsentation84 , cette pense nayant pas suffisamment pris conscience de la nature comme de son objet, correspond la Dik qui nest pas la raison hglienne puisquen cette Dik, mme si elle ne laisse rien subsister hors delle en incluant elle-mme sa ngativit, le progrs dialectique est impossible : [] rien de plus immdiatement clos, au contraire, que la Totalit hraclitenne : dire que tout est juste, cest ici refuser lhistoire vouant la pense interroger sans jamais sinterroger85 , ne restant ce Logos voulant pointer vers cette totalit que le langage ambigu de lnigme86 .

    81. Ce qui suit fera rfrence son article : Hegel et Hraclite, ou le Logos qui na pas de contraire , dans J. DHONDT, dir., Hegel et la pense grecque, Paris, PUF, 1974, p. 27-84.

    82. Ibid., p. 83. 83. Ibid., p. 51. 84. Ibid., p. 52. 85. Ibid., p. 82. 86. Ibid., p. 82.

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    Ne serait-ce pas l justement critiquer linterprtation hglienne sur les bases dune interprtation heideggrienne, ou du moins indterminante ? Ne serait-ce pas l bloquer laccs une profondeur encore plus grande dHraclite en restreignant le sens de ce que veut dire mtaphysique et forant Hraclite dans une seule pulsation de son rythme ? Cette rduction du Logos hracliten est bien visible lorsque D. Sain-tillan insiste pour dire que la lutte hraclitenne des contraires ne ressort pas dune opposition logique, puisquelle se situe en de de la problmatique du jugement que cette opposition prsuppose (on se gardera de ce point de vue de lire, la suite dAristote, lEris dHraclite dans le langage de la contradiction)87 . Pourquoi vouloir systmatiquement dmonter la position dAristote au profit dune pense pr-mtaphysique ? Il ny a pas de fume sans feu : peut-tre devrait-on penser que si Aristote, et Hegel sa suite, a vu la contradiction et la dtermination chez Hraclite, cest quHraclite contenait dj cette possibilit. Lobscurit de la dtermination (le fait que la raison soit difficile saisir par lentendement) et lobscurit de lindtermi-nation (signifier ltre sans lenfermer dans ltant par le langage prdicatif) sont tou-tes les deux rductrices : il faut plutt rechercher lobscurit profonde dHraclite dans cette ambivalence osciller entre ces deux obscurits, proposer la fois la raison son dveloppement dialectique et la pense ltre dont elle est le gardien. Finalement, linterprtation de D. Saintillan repose sur une dfinition trop rductrice de la mtaphysique : ne dfinir la mtaphysique que de la faon dont Platon et Hegel lentendent, cest--dire comme leffort pour retrouver une Totalit, mais cette fois-ci en partant de lhomme, en prenant comme Fond, comme principe, la raison ainsi apparue88 , nest pas faux, cest l la dfinir en son moment de dtermination, th-tique, mais en rester l est se refuser une clef de lecture intressante, car il faut penser lindtermination comme faisant partie de la mtaphysique, et non comme un rsidu hors de celle-ci (ce qui dailleurs est ironique puisque D. Saintillan a bien vu que Hegel et Hraclite ont tent de penser une totalit sans reste, alors que lui-mme, D. Saintillan, rate cette entreprise, mais peut-tre tait-il lui aussi la recherche dune diffrence ontologique ne se ramenant pas lidentit de la totalit). Penser la mtaphysique comme onto-proto-logie permet dinclure la Dik dHraclite dans cette mtaphysique, tout comme on a pu inclure Heidegger celle-ci, car cette Dik sinscrit dans une recherche du principe premier : Heidegger la dcrivait dailleurs comme lordre par lequel se donne ltre en ltant. Sil faut effectivement une dis-tance de prise de conscience de lhomme lgard de la nature pour entrer en mta-physique, dun face--face entre ces deux entits, cette distance est dj prise chez Thals, a fortiori chez Hraclite : penser le premier principe, que ce soit leau ou lair, demande un recul de la pense vouloir rechercher une unit qui nest pas demble donne dans la nature, et cest donc chez Thals que lon doit chercher lorigine de la mtaphysique comme onto-proto-logie. Aprs cela, vouloir se deman-der si la Dik dHraclite est dterminante ou indterminante est une activit quelque

    87. Ibid., p. 79. 88. Ibid., p. 57.

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    peu futile : elle est la fois dterminante et indterminante, voil ce qui fait lobscu-rit et la richesse dHraclite.

    On approche donc du vritable Hraclite plus srement en maintenant ensemble les deux pulsations du rythme mtaphysique en lui que de vouloir en isoler une au dtriment de lautre. lore de la mtaphysique, Hraclite se tient dans un Logos bien ambivalent, car il ignore encore bien ce quil trouve dans sa mtaphysique : un tant dterminable et soumis au devenir et la temporalit capable dtre rationalis, ou un tre indterminable antrieur tout devenir et toute historicit et seulement signifiable ? Voil sa vritable nigme.