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De la popularité à l’obscurité : Les rouages de la montée et du déclin de Federal Union, Inc. aux États-Unis, 1939-1945 Mémoire Sacha Loignon Maîtrise en histoire Maître ès arts (M.A.) Québec, Canada © Sacha Loignon, 2016

De la popularité à l’obscurité · 2020-07-30 · De la popularité à l’obscurité: Les rouages de la montée et du déclin de Federal Union, Inc. aux États-Unis, 1939-1945

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De la popularité à l’obscurité : Les rouages de la montée et du déclin de Federal Union, Inc. aux

États-Unis, 1939-1945

Mémoire

Sacha Loignon

Maîtrise en histoire Maître ès arts (M.A.)

Québec, Canada

© Sacha Loignon, 2016

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De la popularité à l’obscurité : Les rouages de la montée et du déclin de Federal Union, Inc. aux

États-Unis, 1939-1945

Mémoire

Sacha Loignon

Sous la direction de :

Talbot Charles Imlay, directeur de recherche

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iii

Résumé

Ce mémoire examine les fondements de la montée ainsi que du déclin de

l’organisation non gouvernementale Federal Union, Inc. aux États-Unis entre 1939 et 1945.

Ce regroupement, mis sur pied par Clarence K. Streit dans l’optique de faire la promotion de

son projet internationaliste décrit dans son livre intitulé Union Now: A Proposal for a Federal

Union of the Democracies of the North Atlantic, connut durant la Seconde Guerre mondiale un

élan de popularité remarquable qui l’amena à l’avant-scène des débats sur la gestion des

relations interétatiques, avant de s’essouffler rapidement, malgré l’intérêt qu’il suscita au cours

de ses premières années d’existence. Dans les faits, ce phénomène, s’avéra étroitement lié au

contexte historique, à l’idéologie défendue par le mouvement, de même qu’à l’organisation et

à la gestion des activités de Federal Union, Inc.

Ainsi, par l’étude d’un cas particulier, ce mémoire ouvre une nouvelle fenêtre sur

l’internationalisme américain durant la Seconde Guerre mondiale, un champ d’études négligé

par les chercheurs. Avec pour principal objectif d’offrir une réflexion articulée sur le

fédéralisme mondial, une idéologie toujours très peu étudiée à ce jour par les historiens, cette

étude mettra en lumière les rouages expliquant les hauts et les bas de cette ligne de pensée

politique à l’époque. Ce faisant, le lecteur sera amené à repenser le mouvement

internationaliste américain, traditionnellement perçu comme triomphant au cours de la guerre

de 1939 à 1945. Il permettra de surcroît de réfléchir aux facteurs favorisant la transformation

de la pensée politique au sein d’une société, tels que l’opinion publique et le rôle des

organisations non gouvernementales ainsi que des groupes d’intérêt.

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iv

Table des matières

Résumé .............................................................................................................................................................. iii

Table des matières ............................................................................................................................................. iv

Liste des abréviations ........................................................................................................................................ vi

Remerciements ................................................................................................................................................. vii

Introduction ........................................................................................................................................................ 1

1. Les organisations non gouvernementales et l’internationalisme américain........................................... 3

2. Union Now et Federal Union, Inc. ........................................................................................................ 4

3. Repères historiographiques ................................................................................................................... 6

3.1. L’histoire des relations internationales américaines : de l’État à la culture ............................... 6

3.2. L’internationalisme américain : un négligé des chercheurs ........................................................ 9

3.3. Les ONG ......................................................................................................................................13

4. Sources, méthodologie et plan ..............................................................................................................15

Chapitre I. Federal Union, Inc. : anatomie d’un projet ambitieux ....................................................................22

1. Clarence K. Streit : son passé et sa personnalité ..................................................................................22

1.1. Streit, l’homme : sa biographie ...................................................................................................23

1.2. Streit, l’homme : sa personnalité .................................................................................................26

2. Union Now : quelle proposition? ..........................................................................................................30

2.1. Le contexte d’émergence du projet ..............................................................................................30

2.2. Les lignes directrices de Union Now ...........................................................................................31

2.3. L’internationalisme de Streit : quel internationalisme? ..............................................................35

3. Federal Union, Inc. : l’ONG promotionnelle du mouvement ..............................................................36

3.1. Federal Union, Inc. : quelle organisation? Quels objectifs?.......................................................36

3.2. Le fonctionnement de Federal Union, Inc. ..................................................................................39

Chapitre II. L’engouement pour le projet de Streit, pourquoi? ..........................................................................44

1. Quel engouement? ................................................................................................................................44

1.1. La propagation de Federal Union, Inc. aux États-Unis entre 1939 et 1945 ...............................44

1.2. Le rayonnement de Union Now et de FUI dans les médias .........................................................50

2. Union Now, une solution novatrice aux ratés du système-monde ........................................................53

2.1. Le contexte de crise dans les années 1930 et 1940, source d’inquiétudes et accroissement

populaire de l’intérêt pour la politique étrangère ....................................................................................55

2.2. La recherche de nouvelles avenues .............................................................................................57

3. La rhétorique argumentative du mouvement de Streit .........................................................................63

3.1. Un projet cadrant avec le cheminement historique des États-Unis .............................................63

3.2. Les valeurs au cœur de Union Now .............................................................................................64

4. La mobilisation, une campagne acharnée de recrutement ....................................................................66

4.1. Faire connaître le mouvement au peuple américain ...................................................................68

4.2. Faire parler du mouvement au sein du gouvernement américain ...............................................73

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v

Chapitre III. L’agonie d’un mouvement : l’essoufflement de Federal Union, Inc. ...........................................79

1. Quelle stagnation? ................................................................................................................................79

1.1. Le ralentissement de l’expansion et l’enlisement des campagnes de mobilisation ......................79

1.2. L’incapacité de s’imposer au Congrès ........................................................................................82

2. La conjoncture historique : un double tranchant pour Federal Union, Inc...........................................84

2.1. La difficulté à recruter des membres en raison de la guerre .......................................................84

2.2. Une multitude de groupes internationalistes semant la confusion ..............................................88

2.3. Un compromis satisfaisant : l’Organisation des Nations unies...................................................90

3. Un projet trop ambitieux pour l’époque? .............................................................................................91

3.1. Convaincre les Américains, une tâche colossale .........................................................................92

3.2. Convaincre les autres démocraties ..............................................................................................98

4. Les problèmes associés à l’organisation .............................................................................................101

4.1. Des campagnes de mobilisation inefficaces ..............................................................................101

4.2. Des troubles de gestion interne .................................................................................................112

Conclusion .......................................................................................................................................................120

Bibliographie ...................................................................................................................................................123

1. Sources imprimées .............................................................................................................................123

2. Sources électroniques .........................................................................................................................123

3. Études .................................................................................................................................................124

Annexes ...........................................................................................................................................................131

Annexe 1 : Publicité de FUI dans le New York Times du 15 juillet 1940 ...................................................132

Annexe 2 : Carte de la répartition territoriale des membres de IFU ............................................................133

Annexe 3 : Revenus annuels de FUI entre 1939 et 1949 ............................................................................134

Annexe 4 : Publicité de FUI dans le Chicago Sun du 22 février 1942 ........................................................135

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vi

Liste des abréviations

AAUN American Association for the United Nations

AIPO American Institute of Public Opinion

AFC America First Committee

AWAC American Women Against Communism

FBI Federal Bureau of Investigation

FUI Federal Union, Inc.

IFU Inter-Democracy Federal Unionists

LNA League of Nations Association

LOC Library of Congress

MCWF Massachusetts Committee for World Federation

ONG Organisation non gouvernementale

ONU Organisation des Nations unies

SDN Société des Nations

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vii

Remerciements

Ce mémoire est le fruit de nombreuses heures de travail et d’efforts soutenus. C’est

donc dans le plaisir, mais non sans embûches, que j’ai enfin atteint mon but. Je n’y serais

cependant jamais arrivée sans le soutien et les encouragements de mon entourage,

professeurs, collègues, parents et amis.

Je tiens d’abord à remercier mon directeur de recherche, M. Talbot C. Imlay, pour ses

judicieux conseils. Ses commentaires, toujours songés, m’ont amenée à pousser ma réflexion

au-delà de mes espérances. Sans lui, ce mémoire n’aurait tout simplement pas été possible et

je lui en suis profondément reconnaissante. C’est à lui que je dois ce mémoire, mon mémoire.

Je souhaite ensuite remercier le Conseil de recherches en sciences humaines du

Canada pour le précieux apport financier qu’il m’a octroyé, m’ayant du coup permis de me

rendre jusqu’à Washington, D. C. pour fouiller les archives de la Bibliothèque du Congrès et

ainsi constituer mon corpus de sources. Je dois aussi mes remerciements à l’Université Laval

de même qu’à tous les professeurs du département des sciences historiques, qui m’ont

enseigné et m’ont formée en tant que chercheuse, en aiguisant mon esprit critique. Vous

m’avez fait travailler fort, mais aujourd’hui, je peux dire que ça en valait la chandelle!

Je désire aussi souligner l’amabilité de M. Jocelyn Létourneau, qui m’a donné accès

à un bureau dans le local sa chaire de recherche, soit une ressource inestimable pour une

étudiante au deuxième cycle. Cela m’a permis de bénéficier d’un environnement de travail

stimulant et favorable à l’avancement de mes travaux, en plus de me permettre de rencontrer

des étudiants merveilleux.

Ces remerciements seraient toutefois bien incomplets sans une mention toute spéciale

pour mes amis de l’université, Maria, Camille, Caroline, Annie, Sarah, Andrée-Anne et

Alexandre. Sans vous, je n’aurais jamais pu terminer ce mémoire. Votre apport a parfois été

pédagogique, mais plus souvent thérapeutique. Vous m’avez fait réfléchir, rire et décrocher.

Vous avez su m’écouter et même m’endurer à certains moments. Vous avez essuyé mes

larmes quand rien n’allait plus. Je tiens aussi à souligner tout particulièrement le rôle de

Maria pour avoir littéralement été ma psychologue, en plus, et surtout, d’être ma chum de

fille. Dans les bons, comme dans les mauvais moments, vous avez tous été là pour moi et je

vous en suis reconnaissante.

Finalement, merci à mes parents, Nicole et François, pour avoir cru en moi d’une

façon inconditionnelle et de m’avoir soutenue à tous les niveaux et à tous les instants. Merci

aussi à mon grand frère, Alexandre. Tes taquineries m’ont parfois fait rire, parfois fait fâcher,

mais j’ai toujours senti la fierté que tu éprouvais à mon égard et cela m’a toujours aidée à

demeurer motivée de continuer.

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1

Introduction

San Francisco, le 25 juin 1945. Les délégués de 50 nations sont réunis dans le cadre de

la conférence de San Francisco au War Memorial Opera House pour y participer à une séance

plénière. À 22:53, les responsables de chacune des délégations nationales présentes, sans la

moindre exception, se lèvent de leur siège. Par ce geste simple, mais chargé d’une immense

signification, ils approuvent à l’unanimité le texte final de la Charte des Nations Unies. À

l’intérieur de l’édifice bondé, la nouvelle est accueillie dans la joie et l’allégresse par la foule

de plus de 3 000 personnes présentes pour assister à l’événement. Il ne restait plus qu’à ratifier

officiellement le document, ce qui sera fait dès le lendemain, alors que la signature de tous les

représentants sera apposée à la Charte, donnant ainsi naissance à l’Organisation des Nations

Unies (ONU). Après neuf semaines de discussions et de négociations parfois cinglantes, une

page d’histoire venait d’être écrite. Le monde aurait désormais entre ses mains un nouveau

mécanisme de maintien de la paix, et cette fois-ci, les États-Unis y participeraient1.

L’adoption de cet important document ouvrit grand la porte à une nouvelle ère de

coopération internationale. Aux États-Unis, la naissance de l’ONU, à l’achèvement de la

Seconde Guerre mondiale, marqua un recul significatif du non-interventionnisme et de

l’unilatéralisme comme approches des relations internationales, au profit d’une nouvelle

tendance qui se dessinait timidement depuis la fin de la Première Guerre mondiale :

l’internationalisme2. Cette période, souvent considérée comme son apogée, s’inscrivait en fait

dans la continuité de transformations progressives des relations étrangères américaines, qui

commencèrent après la Grande Guerre et avec l’initiative de Woodrow Wilson ayant donné

naissance à la Société des Nations (SDN)3. Bien que le projet ait été rejeté par le Congrès, qui

1 Lawrence E. Davies, « Historic Plenary Session Approves World Charter », New York Times, 26 juin

1945, p. 1.; Lawrence E. Davies, « Nation After Nation Sees Era Of Peace in Signing Charter », New

York Times, 27 juin 1945, p. 1.; John H. Crider, « New World Hope », New York Times, 27 juin 1945,

p. 1. 2 Andrew Johnstone, Dilemmas of Internationalism: The American Association for the United Nations and

US Foreign Policy, 1941-1948, Burlington, Ashgate, 2009, p. 1.; Jeffrey W. Legro, « Whence American

Internationalism », International Organization, 54, 2 (2000), p. 256.; Frank A. Ninkovich, The

Wilsonian Century: U.S. Foreign Policy Since 1900, Chicago, University of Chicago Press, 1999, p.

106-107.; Pour notre définition du concept d’internationalisme, consultez la page 13 du présent document. 3 Glenda Sluga, Internationalism in the Age of Nationalism, Philadelphie, Pennsylvania University Press,

2013, p. 9.; Richard Charles Ciotti, « Internationalism and the Quest for Peace: The United States and

Collective Security in the Twentieth Century », Thèse de Doctorat, New York, St. John’s University,

1997, p. 8.

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2

refusa que les États-Unis s’y joignent, il s’agissait d’un premier pas concret illustrant l’amorce

d’une métamorphose dans les mentalités américaines à l’égard de la politique étrangère de

Washington, mais des questions persistèrent quant à la voie que devrait adopter le pays en

matière de politique extérieure4. Pour ainsi dire, après la guerre de 1914-1918,

l’internationalisme se profila de plus en plus comme une doctrine politique digne d’intérêt au

pays de l’Oncle Sam, malgré la persistance de réserves toujours importantes quant à cette

nouvelle approche5. La Crise économique des années 1930, cependant, étouffa temporairement

l’amorce de cette métamorphose en poussant la population et les hommes d’État américains à

se préoccuper essentiellement des problèmes internes des États-Unis plutôt que des affaires

extérieures, provoquant du coup un retour en force de l’isolationnisme à travers la population

de tout le pays, indépendamment des obédiences politiques6.

L’éclatement de la Seconde Guerre mondiale et tout particulièrement le bombardement

japonais de la base navale américaine de Pearl Harbor renversèrent néanmoins la tendance.

L’attention fut dès lors progressivement détournée des problématiques internes du pays pour

se réorienter davantage vers les troubles internationaux. Cet événement exposa les périls

auxquels faisait face la nation américaine, ce qui permit de briser définitivement tout blocage

émotionnel encore persistant contre l’adhésion aux principes internationalistes7. Par

conséquent, le second conflit mondial constitua une période charnière pour les États-Unis en

matière de politique internationale puisque les autorités gouvernementales américaines

délaissèrent largement, durant ces années de guerre, leur tendance orthodoxe à l’isolationnisme

et à l’unilatéralisme, tenant le pays à l’écart des maillons jugés trop contraignants des

4 Ciotti, op. cit.; Warren F. Kuehl et Lynne K. Dunn, Keeping the Covenant: American Internationalists

and the League of Nations, 1920-1939, Kent, Kent State University Press, 1997, p. X. 5 En effet, les manifestations de l’internationalisme américain durant les années 1920 furent nombreuses.

Pensons par exemple à la conférence de Washington de 1921, visant notamment à limiter les armements,

au plan Dawes de 1924, cherchant à résoudre le problème causé par la question des réparations décidée

à Versailles, à la contribution américaine aux accords de Locarno de 1925, qui complétèrent le plan

Dawes, et au pacte Kellogg-Briand de 1928, rendant la guerre hors la loi.; George C. Herring, From

Colony to Superpower: U.S. Foreign Relations Since 1776, New York, Oxford University Press, 2008,

p. 443, 453-455, 459-460.; Johnstone, op. cit. 6 Robert Dallek, The American Style of Foreign Policy: Cultural Politics and Foreign Affairs, New York,

Knopf, 1983, p. 118, 122. 7 Ibid., p. 122-123.

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3

institutions interétatiques, pour épouser désormais une approche plus internationaliste et

interventionniste, favorisant une implication plus accrue des États-Unis dans le monde8.

1. Les organisations non gouvernementales et l’internationalisme américain

Aux États-Unis, plusieurs organisations non gouvernementales (ONG)9 allaient être

aux premières loges de cette lutte pour l’adhésion de l’internationalisme comme ligne de

pensée politique au pays10. À partir des années 1920, elles furent nombreuses à se soucier de

faire connaître les principes internationalistes auxquels elles souscrivaient et d’informer les

Américains que dorénavant, leur pays aurait le devoir d’agir sur le cours des affaires mondiales

8 Legro, loc. cit., p. 253.; Nous n’insinuons pas que, durant la Seconde Guerre mondiale, l’isolationnisme

disparut totalement au profit de l’internationalisme, mais simplement que l’internationalisme s’imposa,

dans une large mesure et particulièrement à partir de ce moment, comme une doctrine politique

dominante aux États-Unis, au détriment de l’isolationnisme. L’adoption de la résolution Fulbright par la

Chambre des Représentants, le 21 septembre 1943, par une majorité absolument écrasante (360 pour et

29 contre) fait d’ailleurs foi de cette transition irréfutable vers une approche internationaliste des

relations étrangères aux États-Unis durant la période. Cette résolution proposait la création de

mécanismes internationaux avec des pouvoirs suffisants pour prévenir de futures agressions et contribuer

au maintien à long terme de la paix.; Robert A. Divine, Second Chance: The Triumph of Internationalism

in America during World War II, New York, Atheneum, 1971 (1967), p. 39, 144. 9 Le terme « ONG » porte souvent à confusion. En effet, les définitions varient selon le champ de

spécialisation de ceux qui tentent d’en préciser le sens. Cela dit, la difficulté à le définir clairement relève

du fait qu’à l’origine, l’expression avait été pensée selon une perspective large et englobante. Aux yeux

des sociologues, les ONG sont essentiellement des regroupements durables d’individus originaires de

plus d’un pays et poursuivant des objectifs à caractère non lucratifs. Or, à nos yeux, cette définition très

large est lacunaire et les conditions posées par la convention 124 du Conseil de l’Europe apportent des

précisions significatives aidant à baliser ce terme. Selon ce document, pour que des organisations soient

considérées comme des ONG, celles-ci doivent « a. avoir un but non lucratif d’utilité internationale; b.

avoir été créées par un acte relevant du droit interne d’une Patrie; c. exercer une activité effective dans

au moins deux États ». Ainsi, cette convention établit l’obligation, pour une ONG, d’avoir un statut

officiel sur le plan juridique. Suivant cette perspective, Philippe Ryfman, professeur de science politique

à la Sorbonne, énonce cinq principes essentiels caractérisant les ONG et reprenant quelques-uns des

principes de la convention 124 du Conseil de l’Europe. Ces cinq principes sont : a. qu’il s’agisse

d’organisations formées de citoyens regroupés dans le but de défendre des objectifs non lucratifs de

même que visant le bien d’autrui et pas seulement des membres.; b. que sur le plan juridique, elles sont

habituellement appelées « associations » ou « organismes non lucratifs », selon les pays.; c. que, sans

exclure d’éventuels liens entre elles et l’État, l’État n’est pas derrière leur création et ne s’ingère pas

dans leurs activités. Elles agissent de façon autonome.; d. qu’elles ont l’intention que leurs actions soient

insérées dans un cadre démocratique.; e. qu’elles agissent à un niveau transnational, soit parce que les

objectifs qu’elles visent seront réalisés ailleurs que dans leur pays hôte, soit parce que leurs activités

impliquent l’établissement de liens avec d’autres États que celui dans lequel elles ont pignon sur rue.

Pour davantage d’informations sur la définition du terme « ONG », le chapitre intitulé « Une histoire

déjà ancienne » du livre Les ONG de Ryfman est à consulter.; Philippe Ryfman, Les ONG. Paris, La

Découverte, 2009, p. 5, 17, 19, 21, 26. 10 Johnstone, op. cit.

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4

en prenant davantage part à leur gestion11. Toutefois, les adhérents à cette doctrine ne

proposaient pas de programmes bien structurés offrant des mesures concrètes permettant d’en

arriver à cette fin12. Mais avec les ratés de la SDN, qui se firent vite sentir à la suite de sa

création, et avec le retour des tensions interétatiques peu de temps après la Première Guerre

mondiale, il semblait de plus en plus urgent de trouver une solution permanente et efficace au

maintien de la paix13. Conséquemment, les ONG de ce genre se multiplièrent aux États-Unis

et exercèrent une influence grandissante sans équivoque au pays14.

2. Union Now et Federal Union, Inc.

Dans la foulée de cette transformation de la perspective politique américaine dont le

processus s’étendit sur trois décennies, mais qui se scella durant les années 1940, ces ONG

internationalistes jouèrent un rôle significatif qui se doit d’être pris en compte15. En effet,

certaines d’entre elles réussirent à susciter considérablement d’intérêt et de discussions sur la

place publique quant à la façon d’administrer les relations internationales, de sorte que les élus

au Congrès ne purent totalement ignorer leur propos. Parmi ces organisations qui attirèrent

l’attention, Federal Union, Inc. (FUI) se distingua de ses homologues par l’originalité du projet

international qu’elle défendait ainsi que par l’engouement substantiel qu’elle généra aux États-

Unis durant la Seconde Guerre mondiale.

Au cours des années 1930, le fondateur de FUI, Clarence K. Streit, élabora un plan de

réorganisation du système-monde basé sur les principes fédératifs. Selon lui, ce plan avait le

potentiel de si bien réguler les relations interétatiques qu’il pourrait assurer une paix durable à

l’échelle mondiale et sécuriser la démocratie, la liberté ainsi que la prospérité des États

membres. Dans un livre intitulé Union Now: A Proposal for a Federal Union of the

Democracies of the North Atlantic (1939)16, il exposa les détails de son idée, qui devint l’un

11 Ibid., p. 25.; Divine, op. cit., p. 18-19. 12 Thomas N. Guinsburg, « The Triumph of Isolationism », American Foreign Relations Reconsidered:

1890-1993, Gordon Martel, dir., Londres, Routledge, 1994, p. 99. 13 Thomas G. Weiss, « What Happened to the Idea of World Government », International Studies Quarterly,

53 (2009), p. 253. 14 Divine, op. cit., p. 22. 15 Guinsburg, loc. cit., p. 102. 16 Clarence K. Streit, Union Now: A Proposal for a Federal Union of the Democracies of the North Atlantic,

New York, Harper & Brothers, 1939, XVI-315 p.

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5

des projets les plus connus du genre pour l’époque. L’historien de renom Robert A. Divine,

spécialiste de l’histoire diplomatique américaine, le qualifia même d’œuvre « classique » du

mouvement fédéraliste mondial17.

Concrètement, Streit souhaitait l’établissement d’une fédération de 15 États

démocratiques nord-atlantiques18. Cette union avait pour but, ultimement, de s’étendre à tous

les pays du monde, au fur et à mesure que chaque État satisferait aux critères d’adhésion

nécessaires, à savoir l’acceptation des principes de la démocratie, de l’autodétermination et de

la liberté individuelle. Les défenseurs de ce projet, qui était fortement inspiré par le modèle

constitutionnel américain, croyaient que les peuples fédérés jouiraient d’une plus grande

prospérité avec la mise en place d’une unification du système communicationnel, douanier,

monétaire, postal ainsi que des forces militaires. Le projet valorisant la liberté des individus et

l’autonomie gouvernementale, ces pays unis ne se verraient toutefois pas soutirer leur droit à

un gouvernement indépendant légiférant sur les questions internes de chacun des États19.

Streit, en offrant avec Union Now un plan concret et structuré de réorganisation de

l’ordre international, contrairement à la plupart des autres internationalistes de son époque,

suscita pour cette raison un intérêt remarquable durant la Seconde Guerre mondiale20. Ainsi,

peu après la mise sur pied de FUI, l’organisation s’était multipliée en 97 chapitres à travers les

États-Unis dès juillet 1941 et la proposition faisait déjà beaucoup parler d’elle dans les médias

américains, notamment dans de nombreux magazines nationaux, dans des journaux importants

et à la radio21. Cependant, malgré un départ remarquablement encourageant, le plan de Streit

17 Divine, op. cit., p. 38-39. 18 Streit, op. cit., p. 7. 19 Divine, op. cit., p. 38. 20 Ibid. 21 Parmi les magazines les plus importants ayant publié sur le mouvement de Streit, on compte les magazines

Time, Life, Fortune, The Atlantic Monthly, Reader’s Digest et Foreign Affairs, pour n’en nommer que

quelques-uns. Le New York Times, le Chicago Tribune, le Des Moines Register & Tribune et le Christian

Science Monitor sont aussi tous des journaux importants ayant publié sur le sujet.; « New Chapters and

Regional Committees », Union Now Headquarters Bulletin, 21 (13 août 1941), p. 4, Library of Congress,

Fonds Clarence K. Streit Papers, 1838-1990, mm 87065621, Box I : 76, Publications, Headquarters

Bulletin, 1940-1941.; Afin d’abréger les références, l’acronyme « LOC » sera utilisé pour désigner

« Library of Congress » et « Streit Papers » sera le diminutif du « Fonds Clarence K. Streit Papers, 1838-

1990 ».; « Public Response », Federal Union, Incorporated Director’s Report Submitted at the First

National Convention Cleveland Ohio June 28th, 29th 1941, p. 24, LOC, Streit Papers, mm 87065621,

Box I : 46, Convention, 1941, General.; « Advertising », Federal Union, Incorporated Director’s Report

Submitted at the First National Convention Cleveland Ohio June 28th, 29th 1941, p. 15, LOC, Streit

Papers, mm 87065621, Box I : 46, Convention, 1941, General.; « Director’s Report to The National

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s’essouffla rapidement avec l’avancement de la guerre, faisant en sorte que dès 1944, il

souffrait d’un déclin considérable après à peine cinq années d’existence22. Avec l’adoption de

la Charte des Nations Unies les 25 et 26 juin 1945, ce qui marqua du coup la création de l’ONU,

les espoirs de voir la proposition de Streit reprendre force s’estompèrent définitivement,

entérinant la fin pratique de ce projet internationaliste.

La place importante prise par Union Now et FUI dans les débats publics portant sur

l’internationalisme ainsi que la rapide popularisation et le déclin tout aussi accéléré du

mouvement en font un terrain fertile pour mettre en lumière les dynamiques guidant l’opinion

de la population américaine à l’égard de cette doctrine politique en vogue au cours du second

conflit mondial. Ainsi, la question centrale de la présente étude est de comprendre les causes

de la montée en popularité de la proposition de Clarence K. Streit aux États-Unis, puis de sa

stagnation et de son déclin, vers la fin de la Seconde Guerre mondiale, en dépit du fort

engouement qu’elle suscita dans ce pays au début du conflit. Il s’agira de faire la

démonstration que des dimensions à la fois internes et externes au mouvement ont provoqué

autant la montée que le recul de la popularité des idées de Streit.

3. Repères historiographiques

3.1. L’histoire des relations internationales américaines : de l’État à la culture

Depuis les années 1990, un courant culturel s’est imposé sur l’historiographie des

relations internationales américaines. Ce tournant majeur marque une fracture importante par

Committee », 10 décembre 1940, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I : 41, Board Meetings,

General, 1940.; « Federal Union Articles and Editorials Appearing in Magazines », Supplement Federal

Union Director’s Report, Convention de Cleveland, 28-29 juin 1941, p. 15, LOC, Streit Papers, mm

87065621, Box I : 54, Financial Reports, 1939-50.; Clarence K. Streit, « Lettre de Clarence K. Streit à

Cordell Hull », 13 juillet 1940, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I : 23, Hull, Cordell, 1940-1944.;

Clarence K. Streit, « Mémorandum de Clarence K. Streit au conseil d’administration de Federal Union »,

8 février 1944, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I : 40, Board Correspondence, 1944-1947.;

Clarence K. Streit, « Private Circular CKS to Unioneers », 6 avril 1939, p. 1, LOC, Streit Papers, mm

87065621, Box I : 5, 1939 (1).; Clarence K. Streit, « Lettre de Clarence K. Streit à Cordell Hull », 22

février 1943, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I : 23, Hull, Cordell, 1940-1944. 22 Divine, op. cit., p. 39, 163.

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rapport à l’approche préconisée auparavant par les historiens de ce champ de recherche23. En

effet, durant les 75 premières années du XXe siècle, environ, les spécialistes ont eu tendance à

voir l’État comme le principal, et voire même comme l’unique acteur sur la scène

internationale24. Pourtant, comme le croit l’historien Akira Iriye, qui fut l’un des précurseurs

ayant introduit l’approche culturelle dans ses études portant sur l’histoire des relations

internationales, les rapports entre les États ne s’arrêtent pas uniquement aux interactions

intergouvernementales. Au contraire, selon lui, il est même tout à fait possible d’étudier ce

sujet sans nécessairement accorder un rôle hautement prépondérant aux entités politiques

nationales et à leurs représentants25. Du coup, après avoir été vertement critiqués d’accorder

une importance exagérée à l’État comme agent de la politique extérieure, de s’adonner à une

lecture des faits jugée trop étroite, rigide et ethnocentrique de leur sujet d’étude en plus de ne

pas participer au courant culturel en vogue dans l’historiographie, les historiens des relations

internationales américaines se sont ouverts aux idées et aux perspectives des chercheurs issus

de disciplines connexes à l’histoire, comme la sociologie. Cela les a alors amenés à explorer

de nouvelles avenues et à poser des questions novatrices dans le but de comprendre autrement

les relations étrangères des États-Unis, notamment durant la Seconde Guerre mondiale26. De

nouveaux sujets et angles de recherche ont donc émergé, comme le rôle des idéologies, de

l’opinion publique et des organisations internationales dans les relations étrangères

américaines27.

23 Michael J. Hogan et Thomas G. Paterson, « Introduction », Explaining the History of American Foreign

Relations, 2e édition, Michael J. Hogan et Thomas G. Paterson, dir., Cambridge, Cambridge University

Press, 2004, p. 7. 24 Robert D. Schulzinger, « Introduction », A Companion to American Foreign Relations, Robert D.

Schulzinger, dir., Malden, Blackwell Pub., 2006,

http://www.blackwellreference.com/subscriber/uid=1092/tocnode?id=g9781405149860_chunk_g9781

4051498602, consulté le 13 décembre 2013. 25 Mark A. Stoler, « Still Contested and Colonized Ground: Post-Cold War Interpretations of U.S. Foreign

Relations during World War II », Frank Costigliola et Michael J. Hogan, dir., America in the World: The

Historiography of American Foreign Relations Since 1941, 2e édition, New York, Cambridge University

Press, 2014, p. 60.; Akira Iriye, Cultural Internationalism and World Order, Baltimore, Johns Hopkins

University Press, 1997, p. 1. 26 Hogan et Paterson, loc. cit.; Stoler, « Still Contested and Colonized Ground: Post-Cold War Interpretations

of U.S. Foreign Relations during World War II », loc. cit. 27 Stoler, « Still Contested and Colonized Ground: Post-Cold War Interpretations of U.S. Foreign Relations

during World War II », loc. cit.

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De ce renouveau, il a résulté un rafraichissement des interprétations existantes de

l’histoire des relations extérieures américaines28. C’est ainsi que, partant de l’idée que la

façon dont les individus comprennent leur propre monde a des répercussions sur leurs

agissements sur la scène internationale, les chercheurs s’inscrivant dans ce créneau

historiographique se sont mis à s’intéresser à la façon dont les diverses constructions

culturelles exercent un impact sur les relations de pouvoir29. De nombreux historiens

considèrent d’ailleurs maintenant que le pouvoir est inéluctablement lié à la culture, c’est-à-

dire que le pouvoir ne dépend pas que des hommes politiques, mais plutôt que la culture

influe sur plusieurs de des facettes du pouvoir30. Dans cette foulée, ces spécialistes ont réalisé

le rôle significatif joué par les agents non gouvernementaux dans le façonnement des actions

des États-Unis à l’international31.

Cette approche culturelle implique notamment de porter une attention particulière aux

idéologies, vues par Henry W. Brands comme un point de départ obligatoire afin bien

comprendre la politique extérieure d’un pays32. Selon lui, les idées sont primordiales parce

qu’elles façonnent l’interprétation que les gens se font des événements, ce qui oriente à son

tour le déroulement de ces mêmes événements : « Ideas are leading indicators of foreign

policy in that they condition people to interpret events in particular ways, and thereby tend

to shape those events33. » Suivant cette tendance, des chercheurs se sont mis à réfléchir à des

problématiques comme celle de l’opinion publique durant la Seconde Guerre mondiale, une

période quelque peu marginalisée par les historiens des relations internationales, eux qui

eurent traditionnellement tendance à la voir simplement comme le premier acte de la Guerre

froide plutôt que comme une période bien différenciée de celle qui lui succéda. La question

28 Susan Brewer, « “As Far As We Can”: Culture and US Foreign Relations », A Companion to American

Foreign Relations, loc. cit.,

http://www.blackwellreference.com/subscriber/uid=1092/tocnode?id=g9781405149860_chunk_g978140

51498604, consulté le 13 décembre 2013. 29 Ibid. 30 Hogan et Paterson, loc. cit. 31 Brewer, loc. cit. 32 Henry W. Brands, « Ideas and Foreign Affairs », A Companion to American Foreign Relations, loc.

cit.,ihttp://www.blackwellreference.com/subscriber/uid=1092/tocnode?id=g9781405149860_chunk_g9

7814051498603, consulté le 13 décembre 2013. 33 Ibid.

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centrale était alors de savoir si l’opinion publique constituait la clef de la politique étrangère

des États-Unis durant les hostilités de 1939 à 194534.

Le présent mémoire adhérera donc à cette nouvelle orientation de l’historiographie

des relations étrangères, en offrant une fenêtre sur une idée aux visées internationales et digne

d’intérêt, celle de Streit, qui exerça une influence sur l’opinion publique et le gouvernement

américain au cours de la Seconde Guerre mondiale.

3.2. L’internationalisme américain : un négligé des chercheurs

Si l’histoire des relations internationales américaines est un champ de recherche

extrêmement étudié, il est aussi très vaste et, selon Frank Costigliola et Thomas G. Paterson,

la diversité des sujets et des angles d’analyse contribue à maintenir son dynamisme35. Son

ampleur nous force toutefois, pour des raisons pratiques, à le subdiviser en sous-champs plus

pointus. Parmi ceux-ci, le plus important pour nos travaux est l’étude de l’internationalisme

américain, qui constitue sans contredit l’épine dorsale de ce mémoire.

L’internationalisme n’a pas énormément capté l’attention des chercheurs. De fait,

pendant des années, il a plutôt été relégué aux marges de leurs intérêts et les traitements de

celui-ci dans les travaux des spécialistes sont beaucoup moins fréquents que nous pourrions

nous y attendre, comme l’affirma Cecelia Lynch à la fin des années 199036. Une quinzaine

d’années plus tard, Glenda Sluga réitéra ce constat, dans son ouvrage intitulé Internationalism

in the Age of Nationalism (2013), soulignant le manque de toujours flagrant de connaissances

à ce sujet : « The closer we look, the more apparent are the holes in our knowledge about the

breadth and complexity of internationalism as an idea or its influences across the twentieth

34 Mark. A. Stoler, « World War II », A Companion to American Foreign Relations, op. cit.,

http://www.blackwellreference.com/subscriber/uid=1092/tocnode?id=g9781405149860_chunk_g9781

40514986014, consulté le 18 décembre 2013.; Stoler, « A Half-Century of Conflict: Interpretations of U.S.

World War II Diplomacy », America in the World: The Historiography of American Foreign Relations

Since 1941, Michael J. Hogan, dir., Cambridge, Cambridge University Press, 1995, p. 166-167, 204; Stoler,

« Still Contested and Colonized Ground: Post-Cold War Interpretations of U.S. Foreign Relations during

World War II », loc. cit. p. 57. 35 Frank Costigliola et Thomas G. Paterson, « Defining and Doing the History of United States Foreign

Relations: A Primer », Explaining the History of American Foreign Relations, loc. cit., p. 20. 36 Peter Lawler, « The Good State: In Praise of 'Classical' Internationalism », Review of International

Studies, 31, 3 (2005), p. 427. ; Cecelia Lynch, « The Promise and Problems of Internationalism », Global

Governance, 5, 1 (1999), p. 85.

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century, and the lives of the people it involved37. » En dépit de ce constat quelque peu

affligeant, un intérêt croissant pour ce sujet se développe néanmoins actuellement parmi les

spécialistes, qui s’y intéressent de plus en plus. Toutefois, beaucoup de travail reste à faire et

de nouvelles études auraient définitivement leur place au sein de cette historiographie

lacunaire.

Divers volets de ce sous-champ d’études présentent donc des manques. Parmi les plus

importants dans le contexte du présent mémoire, il y a l’internationalisme durant la Seconde

Guerre mondiale ainsi que la définition de l’internationalisme en soi comme concept

opératoire.

Bien que la Seconde Guerre mondiale marque, selon plusieurs chercheurs, dont Sluga,

le paroxysme de l’internationalisme38, il est surprenant de constater que cette période n’ait

pas suscité un très grand enthousiasme de la part des spécialistes s’intéressant à cette doctrine,

surtout considérant le nombre astronomique de documents d’époque concernant cette période

étant accessibles aux chercheurs39. À l’heure actuelle, c’est toujours l’étude de Robert A.

Divine, Second Chance: The Triumph of Internationalism in America during World War II

(1967)40, qui demeure la référence dominante à ce sujet, en dépit de son âge. Or, le principal

postulat de Divine dans ce livre, soit que les années 1940 furent des années triomphantes pour

les internationalistes américains en raison de la création de l’ONU, a depuis été remis en

question par certains historiens, malgré qu’ils soient encore peu nombreux à le contester

ouvertement comme Andrew Johnstone et Henry W. Brands ont osé le faire41. Du coup, de

37 Sluga, op. cit., p. 8. 38 Sluga, op. cit., p. 9. 39 Stoler, « Still Contested and Colonized Ground: Post-Cold War Interpretations of U.S. Foreign Relations

during World War II », loc. cit. 40 Divine, op. cit., IX-371 p. 41 Pour Andrew Johnstone, le manque d’unité au sein du mouvement internationaliste américain de l’époque

est un indicateur saillant du fait que cette approche des relations étrangères n’était triomphante que d’une

façon très limitée, et ce en dépit des succès entourant la création de l’ONU. De son côté, Brands

argumente, dans The Devil We Knew: Americans and the Cold War (1993), que l’immédiat après-guerre

marqua plutôt la fin de l’internationalisme américain, car en se servant de l’ONU comme d’une arme

contre le communisme, l’administration Truman mit définitivement fin au rêve internationaliste

américain.; Andrew Johnstone, « Americans Disunited: Americans United for World Organization and

the Triumph of Internationalism », Journal of American Studies, 44, 1 (2010), p. 4.; Johnstone,

Dilemmas of Internationalism: The American Association for the United Nations and US Foreign Policy,

1941-1948, op. cit., p. 10.; Henry W. Brands, The Devil We Knew: Americans and the Cold War, Oxford,

Oxford University Press, 1993, p. 30.

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nouvelles études sur l’époque, alimentées par les travaux menés depuis la fin des années 1960,

contribueraient inévitablement à un rafraichissement de certaines perspectives défendues

notamment par Divine.

Cela dit, le plus grand vide dans l’historiographie de l’internationalisme américain, et

même dans celle de l’internationalisme en général, concerne sans doute la définition du concept

autour duquel ce sous-champ d’études est structuré. En effet, la documentation montre que les

chercheurs éprouvent une certaine maladresse, voire un malaise, à définir ce terme qui prend

tantôt une signification donnée et tantôt une tout autre42. Bref, sa définition ne fait absolument

pas consensus parmi les spécialistes, qui l’abordent souvent d’une façon vague et imprécise

le rendant difficile à comprendre43, ce qui génère une confusion importante. Présentement, par

exemple, l’internationalisme est parfois vu comme un projet d’ordre politique44, social45,

économique et voire même culturel46. Cela donne une idée des multiples facettes qu’il prend

dans la recherche.

Néanmoins, la problématique soulevée par la définition de l’internationalisme retient

malgré tout l’attention de certains experts de ce sous-champ d’études depuis plusieurs

décennies47. Au début des années 1970, dans le cadre d’un symposium portant sur cette

doctrine comme courant dans le mouvement pour le maintien de la paix, plusieurs historiens

de renom, dont Sondra R. Herman, Manfred Jonas et Robert A. Divine, ont tenté de trouver

une définition fonctionnelle au terme qui permettrait de stimuler les analyses scientifiques48.

L’exercice n’a pas donné les résultats escomptés, dans la mesure où c’est, au contraire, une

variété d’usages de l’expression qui est ressortie de leurs analyses plutôt qu’un consensus. Cela

dit, cette démarche montre un souci, déjà à l’époque, d’essayer de baliser ce concept tendant à

42 Sondra R. Herman et al., « Internationalism as a Current in the Peace Movement: A Symposium »,

American Studies, 13, 1 (1972), p. 189. 43 Lynch, loc. cit., p. 84.; Fred Halliday, « Three Concepts of Internationalism », International Affairs, 64, 2

(1988), p. 189. 44 Halliday, loc. cit., p. 187-198.; Sluga, op. cit., p. 32. 45 Sluga, op. cit., p. 43.; Matyas Horvath, « Patriotism-Internationalism-Globalism », International Journal

on World Peace, 9, 2 (1992), p. 23.; Iriye, Cultural Internationalism and World Order, op. cit., p. 3. 46 Iriye, Cultural Internationalism and World Order, op. cit. 47 Par exemple, au début des années 1970, dans le cadre d’un symposium portant sur l’internationalisme

comme courant dans le mouvement pour le maintien de la paix, des spécialistes de l’histoire américaine

se sont penchés sur les nombreux sens que pouvait revêtir ce concept dans le but d’en faire émerger une

définition fonctionnelle qui permettrait de stimuler les analyses scientifiques.; Herman et al., loc. cit., p.

190. 48 Ibid., p. 189.

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être utilisé à tort et à travers. Durant les années subséquentes, d’autres chercheurs se sont

penchés sur la question et ont notamment apporté diverses distinctions entre les types

d’internationalisme49, mais une définition précise de ce que ce concept signifie exactement

manque toujours à l’appel.

Certains chercheurs, toutefois, ont posé un regard sur l’internationalisme nous

permettant d’avancer une définition opératoire de ce terme, dans le cadre de notre mémoire. À

cet effet, le travail réflexif mis de l’avant par Ronald L. Steel dans un article publié dans le

World Policy Journal au milieu des années 1990 est éclairant, malgré la simplicité apparente

de son propos. Celui-ci affirme que le terme se réfère à une façon de voir le monde50, ce à quoi

nous ajouterions qu’il s’agit aussi d’un projet ayant pour intention de se réaliser à l’échelle

internationale. Akira Iriye, dans son livre intitulé Cultural Internationalism and World Order,

affirme pour sa part la chose suivante : « […] the term internationalism is used to refer to an

idea, a movement, or an institution that seeks to reformulate the nature of relations among

nations through cross-national cooperation and interchange51. » À l’instar de Steel, Iriye voit

ce concept en termes d’idées, mais plus encore, il lui attribue une volonté de changement, de

renouveau. Qui plus est, il est pertinent de noter la connotation positive habituellement

attribuée au concept par les spécialistes s’y intéressant52, faisant en sorte, par conséquent, que

l’idée que cette doctrine vise la promotion du bien commun, la recherche d’un monde meilleur,

est récurrente dans l’historiographie53.

À la lumière de ces interprétations, nous avons donc établi nos balises conceptuelles et

formulé notre propre définition de l’internationalisme. Selon nous, ce concept se rapporte à

toute idée, projet ou regroupement visant à modifier les relations interétatiques dans l’optique

d’améliorer les rapports entre deux ou plusieurs États, que ce soit sur le plan politique, social,

49 Citons par exemple Fred Halliday, qui, en 1988, a distingué entre un internationalisme libéral,

hégémonique et radical, ainsi que James Meernik et Elizabeth Oldmixon, qui ont fait la différenciation

entre les internationalistes dits militants et ceux dits coopératifs.; Halliday, loc. cit., p. 192, 193, 195.;

James Meernik et Elizabeth Oldmixon, « Internationalism in Congress », Political Research Quarterly,

57, 3 (2004), p. 451. 50 Ronald L. Steel, « After Internationalism », World Policy Journal, 2, 12 (1995), p. 49. 51 Iriye, Cultural Internationalism and World Order, op. cit. 52 John Frank Greco, « A Foundation for Internationalism: The Carnegie Endowment for International

Peace », Thèse de doctorat, Syracuse, Syracuse University, 1971, p. 272. 53 Kenneth W. Terhune, « Nationalistic Aspiration, Loyalty, and Internationalism », Journal of Peace

Research, 2, 3 (1965), p. 277.; Lynch, loc. cit., p. 83.

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économique, culturel ou autre. Derrière l’internationalisme se cache donc un idéal; celui de

bonifier le monde dans lequel les sociétés concernées vivent54. Enfin, pour qualifier une idée

d’internationaliste, la dimension politique et législative doit être au cœur des moyens utilisés

afin de faire avancer le projet, dans la mesure où c’est par l’entremise des appareils législatifs

gouvernementaux que les militants doivent travailler afin d’atteindre leurs objectifs. Ainsi, les

internationalistes utilisent des moyens légaux pour avancer, excluant ipso facto tout groupe

criminalisé de leurs rangs.

Par ses orientations, ce mémoire offrira, nous l’espérons, des pistes permettant

approfondir la réflexion autour de la définition de ce concept qu’est l’internationalisme et de

préciser la pensée scientifique actuellement très éclatée à l’égard de celui-ci.

3.3. Les ONG

Un phénomène très marquant de l’histoire des États-Unis au XXe siècle est

l’accroissement significatif du nombre d’ONG orientées vers des problématiques

internationales qui émergèrent à travers le pays. Depuis une quarantaine d’années, les

politologues ont intégré ce fait à leurs analyses, mais les historiens ont été beaucoup moins

nombreux à lui accorder l’intérêt qui devrait leur revenir. Cela s’explique, selon Iriye, par la

propension traditionnelle des historiens des relations internationales à se pencher plutôt sur des

thématiques centrées sur l’État et ses activités55. Aux dires de ce chercheur, trois raisons

principales justifient la pertinence d’étudier les ONG. D’abord, leur nombre grandissant depuis

un siècle fait d’elles des acteurs non négligeables en politique. Ensuite, parce que les ONG sont

sous-étudiées par les historiens, toute nouvelle étude contribuerait à l’élargissement des

connaissances entourant ce champ d’études. Enfin, le fait de rediriger l’attention des chercheurs

en histoire vers ces organisations plutôt que vers l’État pourrait offrir de nouvelles perspectives

54 Ronald L. Steel, pour sa part, ne croit pas que l’internationalisme soit toujours quelque chose d’absolument

bon en soi et que les intentions derrière lui soient nécessairement louables. De notre côté, nous

considérons, au contraire, que les internationalistes, pour être qualifiés ainsi, doivent poursuivre des

objectifs positifs et bien intentionnés.; Steel, loc. cit., p. 51. 55 Akira Iriye, « A Century of NGOs », Diplomatic History, 23, 3 (1999), p. 423-424.; Akira Iriye, Global

Community: The Role of International Organizations in the Making of the Contemporary World,

Berkeley, University of California Press, 2002, p. 4.

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sur les relations étrangères56. Ainsi, les historiens seraient en mesure d’offrir une appréciation

bien différente de celle offerte par les politologues, qui tend naturellement à être très

présentiste57.

Akira Iriye écrivait cependant au début des années 2000 et en 2009, Andrew Johnstone

nota une amélioration de la situation, avec l’émergence d’une littérature florissante

s’intéressant aux relations entre le gouvernement américain et les ONG dans le développement

de la politique étrangère des États-Unis. Il remarqua néanmoins que cette littérature était axée

surtout sur les années de la Guerre froide, laissant pour compte d’autres périodes phares de

l’histoire américaine58. Cela dit, des historiens ont malgré tout produit des études sur les ONG

qui offrent des analyses très pertinentes pour ce mémoire.

Avec Keeping the Covenant: American Internationalists and the League of Nations,

1920-1939 (1997)59, Warren F. Kuehl et Lynn K. Dunn présentent l’une des rares études

plaçant au cœur de son propos le rôle joué par les militants de certaines ONG. En concentrant

leur réflexion sur les internationalistes de l’entre-deux-guerres et en explorant leurs activités

ainsi que leur diversité, ils avancent une vaste critique de ce courant de pensée durant la

période. Effectivement, en faisant ressortir la désorganisation ainsi que les idées et actions

conflictuelles de ce groupe hétérogène, Kuehl et Dunn font la preuve que l’échec du

mouvement internationaliste à imposer sa vision de l’ordre mondial à cette époque était

étroitement lié à cette division caractérisant ses adeptes60.

Andrew Johnstone, de son côté, s’adonna à une étude plus ciblée de ce mouvement

durant les années 1940. Avec la parution en 2009 de son livre intitulé Dilemmas of

Internationalism: The American Association for the United Nations and US Foreign Policy,

1941-194861, il s’interroge sur une organisation en particulier faisant la promotion de cette

56 Iriye, Global Community: The Role of International Organizations in the Making of the Contemporary

World, op. cit., p. 1. 57 Ibid., p. 4. 58 Johnstone, Dilemmas of Internationalism: The American Association for the United Nations and US

Foreign Policy, 1941-1948, op. cit., p. 11. 59 Warren F. Kuehl et Lynne K. Dunn, Keeping the Covenant: American Internationalists and the League of

Nations, 1920-1939, Kent, Kent State University Press, 1997, XVII-306 p. 60 Ibid., p. IX-X, XV-XVI. 61 Johnstone, Dilemmas of Internationalism: The American Association for the United Nations and US

Foreign Policy, 1941-1948, op. cit., 201 p.

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doctrine politique, l’American Association for the United Nations (AAUN). Retraçant et

analysant les efforts menés par les militants de cette organisation afin d’encourager l’adhésion

à une approche plus interventionniste des États-Unis sur la scène mondiale, ce livre met d’une

part en lumière la dialectique entretenue à l’époque entre la sphère étatique et le domaine privé

afin d’obtenir une révision de l’attitude américaine à l’égard de l’internationalisme, et d’autre

part, il expose la relation houleuse entre cette association et les autres organisations semblables

entre 1941 et 194862. À l’instar de Kuehl et Dunn, Johnstone brosse aussi un tableau de

certaines difficultés qui marquèrent le mouvement internationaliste américain.

Il ressort donc des champs historiographiques les plus concernés par notre mémoire que

les historiens ont parfois négligé de prendre suffisamment en compte des éléments pourtant

essentiels à la compréhension des relations étrangères américaines durant la Seconde Guerre

mondiale. Conséquemment, la pertinence d’une étude comme celle que nous proposons semble

tout à fait à propos, celle-ci offrant une occasion d’approfondir quelques notions moins bien

développées par les chercheurs.

4. Sources, méthodologie et plan

La présente étude s’inscrit donc dans la continuité des réflexions historiographiques

développées précédemment et se veut être un ajout à la recherche déficiente portant sur

l’internationalisme américain durant la guerre de 1939 à 1945 ainsi que sur les ONG visant à

en faire la promotion. Basée sur plusieurs travaux scientifiques, certes, mais aussi, et surtout,

sur une abondance de sources, notre mémoire tire principalement sa documentation d’époque

de deux endroits : le fonds d’archives Clarence K. Streit Papers, 1838-199063, d’une part, ainsi

que le livre Union Now, d’autre part. Qui plus est, notre corpus s’alimente aussi de quelques

sources complémentaires, bien qu’en nombre considérablement moins significatif, afin d’aider

à l’analyse de certains détails pertinents à l’interprétation des faits. Il s’agit des sondages de

62 Ibid, p. 1, 12. 63 LOC, Streit Papers, mm 87065621, http://catalog.loc.gov/cgi-

bin/Pwebrecon.cgi?v1=16&ti=1,16&Search_Arg=clarence%20k.%20streit%20papers&Search_Code=

GKEY^*&CNT=100&PID=2OT2qycJAJfvqSvshBC1pTAYKr_Y&SEQ=20120213091221&SID=1,

consulté le 10 avril 2012.

Page 23: De la popularité à l’obscurité · 2020-07-30 · De la popularité à l’obscurité: Les rouages de la montée et du déclin de Federal Union, Inc. aux États-Unis, 1939-1945

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l’American Institute of Public Opinion (AIPO) de George H. Gallup64 et d’articles du New York

Times.

Constituant sans équivoque la banque d’informations la plus utilisée, le fonds Clarence

K. Streit Papers, 1838-1990 est conservé à la Bibliothèque du Congrès de Washington, D. C.

et est de loin le fonds archivistique principal rassemblant la majorité des documents concernant

Union Now, FUI et Streit, avec plus de 84 000 archives dont la vaste majorité ayant pour objet

le mouvement étudié65. Couvrant la totalité du cadre temporel concerné, permettant du coup

de déceler l’évolution du mouvement, la documentation qui s’y retrouve est très variée. Des

lettres de correspondance, des procès-verbaux, des mémorandums, des publicités et des

bulletins de l’organisation ne sont que quelques exemples qui illustrent la diversité des papiers

contenus dans ce riche fonds. Ces documents n’abordant pas tous le sujet de la même façon,

ils nous donnent par conséquent accès à une foule d’informations éclectiques en plus de nous

fournir une multitude de perspectives d’analyse. Néanmoins, l’éclatement des archives qu’il

rassemble constitua pour nous un défi énorme de traitement, dans la mesure où, parfois, nous

n’avons pas toujours pu disposer de tous les détails nécessaires à l’approfondissement de toutes

les questions abordées dans notre mémoire.

Afin de comprendre clairement les rouages du projet de Streit, le livre Union Now s’est

aussi imposé comme un incontournable. Sorte de bible du mouvement, ce sont dans les pages

de cet ouvrage que se retrouvent étayées les lignes directrices de la proposition. Il offre du coup

et sans contredit le portrait le plus exhaustif et structuré qui soit du mouvement sur le plan

idéologique et théorique, ce qui différencie grandement cette source des documents issus des

Clarence K. Streit Papers, 1838-1990, où seuls des éléments parcellaires de l’idéologie de

Streit sont réunis. Toutefois, puisqu’il s’agit d’un livre, Union Now ne permet pas de percevoir

de transformations dans le mouvement, contrairement au fonds d’archives cité précédemment,

64 The Gallup Poll: Public Opinion 1935-1971, Vol. 1 : 1935-1948, Wilmington, Scholarly Resources, 1971,

XLIV-777 p. 65 Plus précisément, le fonds renferme 84 450 documents.; Connie L. Cartledge et Sherralyn McCoy,

Clarence K. Streit Papers: A Finding Aid to the Collection in the Library of Congress, Library of

Congress, Manuscript Division, Washington D. C., 2009, p. 2.

http://lcweb2.loc.gov/service/mss/eadxmlmss/eadpdfmss/2009/ms009041.pdf, consulté le 10 avril

2012.

Page 24: De la popularité à l’obscurité · 2020-07-30 · De la popularité à l’obscurité: Les rouages de la montée et du déclin de Federal Union, Inc. aux États-Unis, 1939-1945

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qui permet d’obtenir une vue d’ensemble de celui-ci au fil des années. Ce livre, de surcroît, ne

montre que la perspective de Streit, puisqu’il en est l’unique auteur.

Parmi la documentation complémentaire utilisée, nous avons eu recours aux sondages

de l’AIPO de George H. Gallup66. Bien qu’ils ne renferment aucune statistique portant

directement sur Streit, Union Now ni FUI, les données auxquelles ils nous donnent accès

ajoutèrent à notre corpus en nous permettant de cerner l’opinion publique sur certaines

problématiques de politique étrangère américaine. De surcroît, il s’agit sans doute de la source

de sondages la plus fiable de l’époque, compte tenu de l’expertise dont jouissaient Gallup et

son équipe dans les années 1940, ceux-ci étant déjà, à ce moment, reconnus pour la qualité de

leurs sondages ainsi que la précision de leurs résultats67.

De surcroît, certains articles de la presse écrite ont aussi été utilisés en complément

d’information afin d’apporter un regard extérieur au mouvement à l’étude. À cet effet, le

quotidien New York Times s’est imposé comme une source de choix, en raison de son grand

tirage68 et de son traitement abondant des affaires politiques. En mettant à notre disposition des

articles informatifs, tout comme des rubriques d’opinion, notamment des éditoriaux ou encore

des lettres venant du courrier du lecteur, ce journal offre une fenêtre intéressante sur

l’appréciation du projet aux États-Unis. Toutefois, en raison du nombre somme toute restreint

d’articles sur Streit, Union Now ou son organisation, soit environ une quinzaine pour les années

concernées par notre mémoire, ce journal se présenta simplement, à l’instar des sondages de

l’AIPO, comme une source additionnelle à notre corpus69. Compte tenu des orientations

66 George Horace Gallup, The Gallup Poll: Public Opinion, 1935-1971, Vol. 1 : 1935-1948, New York,

Random House, 1972, XLIV-777 p. 67 En effet, Gallup est immédiatement devenu une personnalité connue à travers tous les États-Unis après

avoir prédit avec exactitude l’élection de Franklin D. Roosevelt contre Alfred M. Landon en 1936, ce

qui montra l’efficacité de sa méthodologie. Ses succès à prédire le résultat des deux élections

présidentielles subséquentes, en 1940 et en 1944, n’ont que raffermi l’idée que sa méthode

d’échantillonnage fonctionnait.; Boris Z. Doktorov, George Gallup: Biography and Destiny, Moscou,

2011, p. 139, 206. 68 Nous n’avons pas été en mesure de trouver le tirage New York Times pour la période qui est à l’étude dans

ce mémoire, soit de 1939 à 1945. Cependant, Harrison E. Salisbury souligne, dans son ouvrage intitulé

Without Fear or Favor: The New York Times and its Times (1980), que son tirage s’élevait à 815 000

copies par jour en 1896 et qu’en 1971, il oscillait autour de 850 000. Ces chiffres, qui montrent que son

tirage s’est accru lentement au fil du temps, laissent présager que pour la période qui nous concerne, il

pouvait tourner autour de 836 000 copies quotidiennement.; Harrison E. Salisbury, Without Fear or

Favor: The New York Times and its Times, New York, Times Books, 1980, p. 4. 69 Nous n’avons retenu que le New York Times parce qu’il s’agit du journal le plus susceptible d’avoir

largement couvert le mouvement de Streit et les activités de FUI, en raison des affiliations de Streit avec

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idéologiques tendant à être en faveur de l’internationalisme – supposant du coup une

couverture plus grande du sujet – et de la couverture malgré cela limitée du mouvement dans

ce journal, nous avons conséquemment choisi de ne pas dépouiller les journaux isolationnistes

en raison du très petit nombre d’articles que nous estimons qu’ils auraient pu nous livrer sur

Streit et son regroupement.

C’est donc sur un corpus diversifié et marqué par la complémentarité de ses documents

d’époque que repose notre étude. Cette diversité, bien qu’un atout assurément indéniable, nous

obligea cependant à adopter une méthodologie de sélection et d’analyse des données adaptée à

plusieurs types de documents grandement différents les uns des autres.

En raison de l’ampleur du fonds Clarence K. Streit Papers, 1838-1990, qui rassemble

plus de 84 000 items, rappelons-le, nous avons procédé à un tri qui nous a permis de réduire à

environ 3 800 pages les documents étudiés70. Afin d’y arriver, l’index du fonds s’est révélé fort

utile pour cibler les boîtes et les fiches couvrant le cadre temporel ainsi que les thématiques

pertinentes à nos travaux, ce qui a rendu par la suite possible le dépouillement systématique

des documents restants71. À l’opposé, Union Now n’a pas nécessité d’être filtré de la sorte.

Pertinent dans sa totalité, il a été dépouillé de la première à la dernière page. Quant aux

sondages de l’AIPO, ceux effectués entre 1939 et 1945, inclusivement, ont tous été regardés,

leur titre permettant de rejeter d’emblée ceux se révélant impertinents pour nous. Enfin, les

articles du New York Times concernant le mouvement de Streit ont été répertoriés par la

recherche de mots-clés dans les index annuels du journal.

Ainsi, concrètement, la nature des sources dûment citées dans notre mémoire se répartit

comme suit : 29,2% des documents relèvent de lettres de correspondance, 25,6% sont des

publications internes à caractère administratif (rapports, états financiers, mémorandums, etc.),

18,5% sont des publications destinées aux membres (bulletins, procès-verbaux, etc.), 7,4%

ce quotidien, celui-ci ayant travaillé pour le compte de ce journal pendant plusieurs années. Cela dit,

nous avons pleinement conscience qu’une multitude d’autres journaux nationaux, régionaux et locaux,

partout à travers les États-Unis durant la Seconde Guerre mondiale ont aussi publié des articles sur le

sujet. Toutefois, l’éclatement incontestable de ces sources nous a forcée à les laisser de côté, faute de

moyens réalistes pour répertorier ceux contenant des articles pertinents pour notre étude.; « Biography

of Clarence K. Streit », octobre 1943, p. 2, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box II : 24, Biographical

File 1919-77, n.d. 70 Cartledge et McCoy, op. cit. 71 Ibid., 67 p.

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proviennent de Union Now, 4,6% constituent des papiers de type biographique, 3,8% sont des

articles de journaux, 3,5% relèvent des verbatims des discours tenus aux conventions de FUI,

3,3% sont d’ordre publicitaire (publicités, affiches, dépliants, etc.), 2,2% sont des documents

légaux (chartes, résolutions, constitution, etc.) et finalement, 1,9% sont de nature statistique

(sondages, recensements, etc.).

Ayant un corpus d’envergure en main, nous avons par la suite recensé l’information

contenue dans les documents recueillis. La diversité des types de documents a forcé la mise au

point d’un outil de collecte des données sur mesure. Nous avons donc élaboré un fichier

informatique nous offrant la possibilité de débroussailler et de classifier les renseignements

importants en fonction de rubriques établies pour répondre à notre questionnement. Ce fichier

comprenait trois sections. La première portait sur l’identification de la fiche, du chapitre ou

de l’année dépouillés72 et le sommaire de son contenu, la seconde comprenait une liste de

mots-clés représentatifs du contenu et la dernière visait la collecte des données en soi. Cette

troisième section était subdivisée en sept rubriques, soit les suivantes : « mobilisation,

promotion et questions financières », « réception et rayonnement du projet », « raisons d’être

et objectifs du projet », « valeurs et idéaux défendus », « fonctionnement de Federal Union,

Inc. », « oppositions, réserves, questionnements et problèmes concernant le projet » et

« autres informations pertinentes ». Ces rubriques avaient pour objectif de permettre une

lecture étant raisonnablement ciblée des documents historiques à l’étude. Ce fichier nous a

par ailleurs assuré la constance et l’uniformité de notre démarche, en dépit de la grande

diversité des sources avec lesquelles nous avons dû jongler, tout en nous obligeant à

circonscrire nos recherches à certaines thématiques particulières jugées utiles. Il a ainsi été

possible de récolter et de rendre intelligibles nos données.

Avec à l’esprit que la problématique proposée comprenait deux volets majeurs

indissociables, c’est-à-dire l’un portant sur les raisons de la montée en popularité de FUI et

l’autre sur les dimensions expliquant son déclin au cours de la Seconde Guerre mondiale, nous

avons pu, dans un second temps, procéder à l’analyse de contenu documentaire qualitatif

proprement dite. Nous avons choisi cette méthodologie en raison de ses objectifs principaux,

72 Il s’agissait de la fiche pour les Clarence K. Streit Papers, 1838-1990, du chapitre pour Union Now: A

Proposal for a Federal Union of the Democracies of the North Atlantic ainsi que de l’année pour le New

York Times et les sondages de l’AIPO.

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soit le « dépassement de l’incertitude », passant par des questionnements sur la véracité de ce

qui semble être dit et ce qui est réellement signifié par le propos à l’étude, de même que

« l’enrichissement de la lecture », c’est-à-dire procéder à une lecture approfondie permettant

de percevoir davantage d’informations qu’une lecture sommaire, comme l’affirme Laurence

Bardin dans son étude portant sur l’analyse de contenu73. Il s’agissait d’appliquer avec rigueur

ces principes et de tenter de découvrir des éléments transcendant les apparences74. De plus, la

grande souplesse de cette méthode, qui ne propose pas un schème méthodologique spécifique,

mais simplement des grandes orientations, nous est apparue nécessaire en raison de notre

corpus varié, qui imposait l’adoption d’une procédure d’analyse malléable en fonction de notre

questionnement initial75. Il a ainsi été possible de faire ressortir les éléments montrant et

expliquant l’ascension ainsi que le déclin des idées de Streit dans l’opinion publique

américaine.

Dans ce mémoire, notre objectif est de mettre en lumière les éléments à l’origine de la

montée en popularité du mouvement de Streit durant la Deuxième Guerre mondiale, de même

que ceux en expliquant le déclin après seulement quelques années d’existence. Selon nous, ces

phénomènes relèvent tous deux des trois mêmes dimensions ayant à la fois aidé et nuit au projet

de Streit. L’une d’entre elles est le contexte de guerre mondiale dans lequel il se développa,

permettant d’en justifier la pertinence, mais le privant aussi d’éléments pouvant assurer sa

vitalité à long terme. Une autre découle de l’idéologie défendue par le mouvement qui, par son

originalité et son caractère novateur, suscita l’intérêt de plusieurs, mais qui en outre, en rendit

d’autres méfiants à l’endroit du projet. Finalement, des éléments en lien avec l’organisation et

la gestion des activités de FUI favorisèrent un enthousiasme pour le programme de Streit et le

handicapèrent aussi à certains moments.

Afin de développer notre propos, nous avons donc organisé notre mémoire en trois

chapitres. Le premier, relativement bref, a pour objectif de présenter des composantes

essentielles à la compréhension du propos. Ce passage obligé mettra en relief certains éléments

omniprésents tout au long de notre mémoire, notamment par rapport au passé et à la

personnalité de Streit, en ce qui a trait aux bases idéologiques et aux raisons d’être de son projet

73 Laurence Bardin, L'analyse de contenu, 2e édition, Paris, Presses universitaires de France, 2013, p. 32. 74 Ibid. 75 Ibid., p. 35.

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ainsi qu’au sujet du fonctionnement et aux buts de son ONG. Dans le second chapitre, il sera

question de l’engouement à l’égard de Union Now et de FUI. Nous présenterons d’abord l’essor

du mouvement aux États-Unis durant le second conflit mondial avant de nous affairer à trouver

les causes de cet enthousiasme. Enfin, le troisième et dernier chapitre sera consacré à éclaircir

la stagnation du mouvement. Comme dans le chapitre précédent, il s’agira d’illustrer

l’envergure de cette stagnation avant de mettre en relief les facteurs l’expliquant.

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Chapitre I. Federal Union, Inc. : anatomie d’un projet ambitieux

L’étude historique des ONG, tout comme celle de l’internationalisme, est somme toute

peu développée, comme nous l’avons souligné en introduction. Dans le cas de Clarence K.

Streit et de sa proposition, outre quelques allusions et brefs passages dans certains articles et

ouvrages76, tout reste à faire afin de bien cerner qui était cet homme, en quoi constituait son

projet de remaniement de l’ordre international et comment son organisation, FUI, fonctionnait.

Ces éléments eurent évidemment des répercussions parfois positives, parfois négatives sur

l’appréciation du mouvement aux États-Unis durant le second conflit mondial. Pour cette

raison, le premier chapitre de notre étude aura pour objectif de dresser un portrait de Streit, de

son projet ainsi que de son ONG. Cela ouvrira la voie à nos analyses subséquentes qui porteront

quant à elles plus directement sur la problématique.

1. Clarence K. Streit : son passé et sa personnalité

L’un des premiers constats qui surgit de l’étude de notre corpus est que Streit était

une figure extrêmement dominante au sein de FUI, dont il détenait la présidence. Même s’il

n’était pas seul à diriger son regroupement, il était de loin la personne la plus active et

influente au sein de l’organisation qu’il avait fondée. En fait, il incarnait l’image même du

mouvement qu’il chapeautait, celui-ci lui étant systématiquement associé77. Il est

conséquemment nécessaire de découvrir qui était cet homme, son parcours et ses idées.

76 Robert A. Divine offrait jusqu’à maintenant l’analyse la plus détaillée de Streit et de son mouvement dans

Second Chance, mais celle-ci est malgré tout très restreinte, se limitant seulement à quelques pages.

Kuehl et Dunn en parlent aussi brièvement dans Keeping the Covenant, tout comme Louis René Beres,

Walter Johnson, William Tucker Dean, Jr. et Thomas G. Weiss, qui le mentionnent au passage dans

leurs articles, pour ne nommer que quelques exemples de chercheurs ayant abordé en surface le sujet.;

Divine, op. cit., p. 38-39, 59, 120, 163, 206-207.; Kuehl et Dunn, op. cit., p. 102-103.; Louis René Beres,

« Examining the Logic of World Federal Government », Publius, 4, 3 (1974), p. 80, 83.; Walter Johnson,

The Battle Against Isolation, New York, Da Capo Press, 1973 (1944), p. 93.; William, Jr. Tucker Dean,

« World Government and the Constitution of the United States », California Law Review, 38, 3 (1950),

p. 459.; Weiss, loc. cit., p. 260. 77 Clarence K. Streit, « Lettre de Clarence K. Streit à Fritz R. von Windegger », 20 janvier 1943, p. 2, LOC,

Streit Papers, mm 87065621, Box I : 45, Chapters, St. Louis, Missouri, 1943-1946.

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1.1. Streit, l’homme : sa biographie

Clarence K. Streit est né le 21 janvier 1896 à California, au Missouri. En 1911, sa

famille et lui sont déménagés au Montana, dans la ville de Missoula78. Intéressé très jeune

par les médias et la politique, il fonda le journal de son école secondaire, le Konah. Il

poursuivit par la suite des études en journalisme à l’Université du Montana, où il continua de

s’impliquer dans les journaux étudiants en tant que rédacteur en chef du journal de son

université. Il commença aussi, durant cette période, à participer à des débats publics sous la

bannière de son institution postsecondaire79.

En 1917, Streit s’engagea dans l’armée américaine et fut mobilisé en France, où il prit

part à la Première Guerre mondiale. L’année suivante, alors qu’il était âgé de 22 ans, il fut

promu sergent et transféré aux services d’intelligence. Dans le cadre de ses fonctions pour

cette agence, il se vit décerner une place confidentielle d’une durée de six mois sur la

Commission américaine pour la paix80 à la conférence de Versailles. Cela lui permit de

commencer à observer de près les rouages de la politique internationale de l’époque81.

Démobilisé par la suite, il retourna aux États-Unis pour y compléter son baccalauréat

en journalisme82. Après avoir étudié brièvement à la Sorbonne, où il suivit notamment des

cours d’économie, de finance et d’histoire, il fut lauréat, en 1920, de la bourse Rhodes de

l’Université Oxford. En 1921, il renonça toutefois à ce financement afin de se marier à Jeanne

Defrance et d’entamer une carrière de journaliste à temps plein. Il travailla d’abord comme

correspondant à Rome pour le Philadelphia Public Ledger83. En 1921, il se vit assigner la

tâche de couvrir les conférences internationales à Gênes. Ses fonctions lui permirent

78 Samuel C. Spalding, « Who is Clarence Streit? », Federal Union Green Paper, 6 (1er juillet 1942), LOC,

Streit Papers, mm 87065621, Box I : 76, Publications, Green Papers, 1942-1943. 79 « Biography of Clarence K. Streit », octobre 1943, p. 1, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box II : 24,

Biographical File 1919-77, n.d. 80 En anglais, son nom était l’American Peace Commission. 81 « Biography of Clarence K. Streit », octobre 1943, p. 1, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box II : 24,

Biographical File 1919-77, n.d. 82 « Biography of Clarence K. Streit », non daté, p. 1, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I : 40,

Bibliographical material 1919, 1939-82. 83 Streit, « Lettre de Clarence K. Streit à Underwood », 24 janvier 1919, p. 1, LOC, Streit Papers, mm

87065621, Box II : 24, Biographical File 1919-77, n.d.; « Fellowship Application Form John Simon

Guggenheim Memorial Foundation », 1943, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I : 57, Foundations,

General, 1942-1951.; « Biography of Clarence K. Streit », octobre 1943, p. 1, LOC, Streit Papers, mm

87065621, Box II : 24, Biographical File 1919-77, n.d.

Page 31: De la popularité à l’obscurité · 2020-07-30 · De la popularité à l’obscurité: Les rouages de la montée et du déclin de Federal Union, Inc. aux États-Unis, 1939-1945

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d’assister à la prise du pouvoir par Benito Mussolini en Italie, puis son assignation à

Constantinople lui offrit l’occasion de constater le processus qui donna naissance aux

républiques turque et grecque84. Sa carrière constituait donc, déjà au début des années 1920,

une fenêtre de choix sur les bouleversements politiques marquants de l’entre-deux-guerres et

cela n’allait que continuer de s’amplifier au cours des années à venir.

Effectivement, en 1925, Streit s'engagea dans les rangs du New York Times, quotidien

pour lequel il travaillera pendant plus de 14 ans. En janvier 1929, ses patrons le mandatèrent

de couvrir les activités de la SDN à Genève. Il occupa ce poste pour dix ans et remarqua la

débâcle de cette organisation internationale ainsi que celle de la Banque mondiale. Il fut par

la suite transféré, en 1938, aux bureaux de Washington, D. C. de ce journal new-yorkais85.

Les années de travail de Streit comme journaliste le forcèrent à couvrir, jour après

jour, les nombreuses crises internationales de l’entre-deux-guerres, ce qui l’amena à réfléchir

à l’ordre international ainsi qu’au maintien de la paix et lui permit, par conséquent, d’affiner

sa pensée internatonaliste. Dans cette foulée, il commença dès 1933, en marge de son emploi

au New York Times, à rédiger un livre intitulé Union Now: A Proposal for a Federal Union

of the Democracies of the North Atlantic qui se voulait être une proposition de réorganisation

du système-monde pour un meilleur maintien de la paix86. Après la publication de cet ouvrage

le 2 mars 1939, il quitta son poste pour s’engager à temps plein à faire connaître son projet

de fédération mondiale qu’il détailla dans son livre, qui se vendit en 300 000 copies aux

États-Unis87.

En février 1939, il fit son premier discours public portant sur sa proposition88. Cela

marqua le début d’une nouvelle carrière pour Streit, qui présentera au cours des années

84 « Biography of Clarence K. Streit », octobre 1943, p. 2, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box II : 24,

Biographical File 1919-77, n.d. 85 « Biography of Clarence K. Streit », octobre 1943, p. 2, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box II : 24,

Biographical File 1919-77, n.d.; Paul Findley, « Promotor of Worldwide ‘Union of the Free’ », New

York Times, 19 juillet 1986, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box II : 24, Biographical File 1919-77,

n.d. 86 « Biography of Clarence K. Streit », non daté, p. 1, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I : 40,

Bibliographical material 1919, 1939-82. 87 « Biography of Clarence K. Streit », octobre 1943, p. 2, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box II : 24,

Biographical File 1919-77, n.d.; « Biography of Clarence K. Streit », non daté, p. 1, LOC, Streit Papers,

mm 87065621, Box I : 40, Bibliographical material 1919, 1939-82. 88 « 60 Years of Comment on Clarence Streit as Speaker, Broadcaster, Campaigner », non daté, LOC, Streit

Papers, mm 87065621, Box II : 24, Biographical File 1919-77, n.d.

Page 32: De la popularité à l’obscurité · 2020-07-30 · De la popularité à l’obscurité: Les rouages de la montée et du déclin de Federal Union, Inc. aux États-Unis, 1939-1945

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suivantes de nombreuses communications afin de promouvoir son projet. Conséquemment,

une ONG dont la mission était de faire connaître ses idées et d’orchestrer des activités de

mobilisation fut mise sur pied, en juillet 1939. Cette ONG s’étendit peu à peu à travers les

États-Unis89. Le nom de New Federal Unionists lui fut d’abord attribué, avant d’être changé

une prmière fois pour Inter-Democracy Federal Unionists (IFU), puis, finalement, celui-ci

fut modifié une seconde et dernière fois pour Federal Union, Inc.90

Rapidement, le mouvement prit de l’ampleur aux États-Unis, où de plus en plus de

chapitres de l’organisation émergèrent d’un bout à l’autre du pays. Il attira aussi d’une façon

croissante l’attention des médias qui lui accordèrent une place somme toute considérable,

tout comme l’opinion publique américaine, qui se fit, petit à petit, aux idées ambitieuses de

Streit. En mars 1941, il publia un deuxième livre appliquant les principes détaillés dans Union

Now à la situation de guerre ayant cours cette année-là. Il intitula ce nouvel ouvrage Union

Now With Britain91. Puis, avec la fin de la guerre, la popularité de son mouvement s’estompa

de façon décisive et irréversible. En effet, des embûches de diverses natures vinrent sceller

pour de bon l’issue du mouvement. Plus jamais celui-ci n’aurait la vigueur qui le caractérisa

durant les premières années de la Seconde Guerre mondiale, même s’il continua à survivre

de peine et de misère durant plusieurs années après la fin des hostilités92.

89 Clarence K. Streit, « History of Federal Union », The Purpose, Character, Technique, History, Present

Position & Prospects of Federal Union, Inc., 1er avril 1944, p. 4, LOC, Streit Papers, mm 87065621,

Box I : 57, Foundations, General, 1942-1951. 90 Afin d’éviter toute confusion, nous utiliserons systématiquement, dans ce mémoire, le nom de Federal

Union, Inc. pour parler de l’organisation promotionnelle du mouvement de Streit, même si avant le 25

juillet 1940, elle était nommée autrement.; « Certificate of Chairman Clarence K. Streit regarding change

of name from New Federal Unionists to Inter-Democracy Federal Unionists », 4 août 1939, LOC, Streit

Papers, mm 87065621, Box I : 65, Inter-Democracy of Federal Unionists 1939-1942.; « Certificate of

Change of Name of Inter-Democracy Federal Unionists, Inc. », 25 juillet 1940, LOC, Streit Papers, mm

87065621, Box I : 65, Inter-Democracy of Federal Unionists 1939-1942. 91 « Biography of Clarence K. Streit », octobre 1943, p. 2, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box II : 24,

Biographical File 1919-77, n.d.; Clarence K. Streit, Union Now With Britain, New York, Harper &

Brothers, 1941, XV-234 p. 92 Encore aujourd’hui, un regroupement appelé « Streit Council for a Union of Democracies » existe aux

États-Unis. Bien qu’il ne s’agisse pas de FUI, cet organisme à but non lucratif ayant pignon sur rue à

Annandale, dans l’État de Virginie, s’affiche explicitement comme un défenseur des principes véhiculés

par Streit dans Union Now. Ainsi, il est en quelque sorte possible d’affirmer que le projet de Streit ne

s’est jamais complètement éteint. Ceci étant dit, soulignons au passage que si les institutions politiques

sont habituellement informées des dates de création des organisations comme FUI, celles-ci ne les

informent que très rarement du moment de cessation de leurs activités, laissant donc les autorités – et les

chercheurs comme nous – dans l’incertitude quant au moment de leur dissolution officielle.; « About

Us », Streit Council for a Union of Democracies, 2013, http://streitcouncil.org/index.php?page=about-

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Dévoué à sa cause, Streit présenta des dizaines de communications, voire des

centaines, au fil des années, en plus d’investir l’essentiel de son temps ainsi que

d’importantes sommes d’argent dans le but de faire avancer son projet93. Son travail acharné

à promouvoir le maintien de la paix par l’entremise d’une union des démocraties lui valut

une candidature pour le Prix Nobel de la paix de 197694. S’il ne décrocha toutefois pas ces

honneurs, cette nomination est le reflet de l’importance de ce personnage et de son

organisation pour la cause pacifiste internationale.

Streit s’éteint finalement le 6 juillet1986 à Washington D. C., à l’âge de 90 ans, après

une longue carrière à faire la promotion de l’internationalisme comme moyen d’assurer des

relations internationales harmonieuses et pacifiques à l’échelle mondiale95.

1.2. Streit, l’homme : sa personnalité

Le parcours professionnel de Streit exerça une influence certaine sur ses perceptions

et ses idées de façon à l’amener à développer sa proposition de remaniement de l’ordre

international prévalant au cours de l’entre-deux-guerres. Cela dit, sans savoir qui était

réellement Streit et quels étaient ses traits de personnalité dominants, il est difficile de bien

us, consulté le 2 mars 2014.; Guillaume Courty, Les groupes d'intérêt, Paris, La Découverte, 2006, p.

45. 93 Clarence K. Streit, « Lettre de Clarence K. Streit à Alice Black », 12 mars 1945, LOC, Streit Papers, mm

87065621, Box I : 6, 1944-1946.; Rita Carlin, « Speaker’s Bureau Has Long List For New Year », Inter-

democracy Federal Unionists, Union Now Bulletin, 2, 1 (janvier 1940), p. 15, LOC, Streit Papers, mm

87065621, Box II : 36, Publications, Union Now Bulletin, 1939-41.; « Chief Speakers’ February Tours

Gratifying », Inter-democracy Federal Unionists, Union Now Bulletin, 2, 3 (février 1940), p. 5, LOC,

Streit Papers, mm 87065621, Box II : 36, Publications, Union Now Bulletin, 1939-41.; Clarence K.

Streit, « Report to the National Board of Federal Union », 4 novembre 1942, p. 1, LOC, Streit Papers,

mm 87065621, Box II : 25, Board of Federal Union, Inc., 1941-1954.; « C. K. S. Leaves for Speaking

Tour », Union Now Headquarters Bulletin, 23 (23 septembre 1941), p. 2, LOC, Streit Papers, mm

87065621, Box I : 76, Publications, Headquarters Bulletin, 1940-1941.; Emery W. Balduf, « From the

New Acting-Director, Greetings! », Federal Union, Inc., Headquarters Bulletin, 1 (15 août 1940), p. 1,

LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I : 76, Publications, Headquarters Bulletin, 1940-1941.;

« Federal Union, Inc. Minutes of the National Committee », 19 avril 1941, p. 6, LOC, Streit Papers, mm

87065621, Box I : 52, Executive Committee, 1940-1944, 1948. 94 « 1939-76 Financial Data Compiled For Nobel Peace Prize Nominations of Clarence and Jeanne Defrance

Streit », non daté, p. 1, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I : 40, Bibliographical material 1919,

1939-82. 95 Paul Findley, « Promotor of Worldwide ‘Union of the Free’ », New York Times, 19 juillet 1986, LOC,

Streit Papers, mm 87065621, Box II : 24, Biographical File 1919-77, n.d.; « Streit: Freedom has lost a

champion », Missoulian, 10 juillet 1986, p. 4, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box II : 24,

Biographical File 1919-77, n.d.

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comprendre son mouvement et de saisir convenablement les raisons de ses succès ainsi que

de son déclin. C’est pour cette raison qu’un bref portrait des éléments qui le caractérisaient

le plus à l’époque et qui eurent un impact sans conteste sur l’évolution de son projet se doit

d’être dressé dès maintenant.

Passionné de politique internationale, Streit était farouchement dévoué à son idée

pour laquelle il n’hésita pas à investir toute sa vie et à faire des sacrifices de taille dans le but

de la voir devenir réalité. À titre illustratif de ce grand engagement envers sa cause, il accepta,

par exemple, de faire d’immenses compromis financiers, comme il l’affirma dans une lettre

destinée à l’entrepreneur et philanthrope américain Paul Mellon : « True, I worked five years

despite rejections by publishers, printed the book finally at my own expense, renounced a

secure job and income, gave all my time and part of my savings, working for this cause

without salary96. » Concrètement, Streit faisait référence, d’une part, à l’emploi au New York

Times qu’il détenait depuis près d’une quinzaine d’années et qu’il quitta afin de se dédier

exclusivement à la promotion de son idée et, d’autre part, aux donations majeures qu’il fit à

FUI, des dons qui atteignirent parfois plus de 5 000,00$, malgré sa situation financière rendue

précaire par la perte de son emploi stable97. Alors que le salaire moyen annuel par personne

aux États-Unis était de 595,00$ en 1940 et de 1 237,00$ en 194598, il est clair que ces

investissements dans son organisation étaient colossaux. De plus, il travaillait de nombreuses

heures et quittait rarement son bureau avant minuit, selon les informations relatées dans le

bulletin organisationnel du 16 septembre 194099. Il lui arrivait aussi de partir en tournée de

conférences et de donner une communication presque chaque jour, à l’instar de ce qu’il fit à

la fin de l’hiver 1945, alors qu’il en donna 66 en 77 jours100.

96 Clarence K. Streit, « Lettre de Clarence K. Streit à Paul Mellon », 3 janvier 1942, LOC, Streit Papers, mm

87065621, Box I, 40, Stringfellow Barr, 1944. 97 « Biography of Clarence K. Streit », octobre 1943, p. 2, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box II : 24,

Biographical File 1919-77, n.d.; Clarence K. Streit, « Lettre de Clarence K. Streit à Arthur H

Schulzberger », 17 décembre 1939, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I : 5, 1939 (1).; « Federal

Union, Inc. Minutes of the National Committee », 19 avril 1941, p. 6, LOC, Streit Papers, mm 87065621,

Box I : 52, Executive Committee, 1940-1944, 1948. 98 « Mini-Historical Statistics », U.S. Census Bureau, Statistical Abstract of the United States, 2003, p. 66-

67, https://www.census.gov/statab/hist/HS-35.pdf, consulté le 9 avril 2014. 99 « From the New Acting-Director, Greetings! », Federal Union, Inc., Headquarters Bulletin, 1 (15 août

1940), p. 1, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I : 76, Publications, Headquarters Bulletin, 1940-

1941. 100 Clarence K. Streit, « Lettre de Clarence K. Streit à Alice Black », 12 mars 1945, LOC, Streit Papers, mm

87065621, Box I : 6, 1944-1946.

Page 35: De la popularité à l’obscurité · 2020-07-30 · De la popularité à l’obscurité: Les rouages de la montée et du déclin de Federal Union, Inc. aux États-Unis, 1939-1945

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Streit faisait aussi preuve d’une grande audace et d’une immense détermination

faisant en sorte que peu de défis lui semblaient insurmontables. Confiant en ses moyens, il

n’hésitait pas, par exemple, à tenter d’entrer en contact avec plusieurs politiciens et

diplomates américains importants, parmi lesquels on comptait des sénateurs, des

représentants au Congrès, des gouverneurs et même le président101. Les membres de l’élite

politique de certains autres pays n’étaient pas non plus en reste, car Streit osait les approcher,

eux aussi, pour faire valoir ses idées auprès de ces individus102. Conséquemment, pour un

homme n’étant ni un diplomate, ni un riche et influent homme d’affaires, il se constitua un

vaste réseau de contacts au sein du gouvernement américain103. Bref, il n’était pas intimidé

par le statut de quiconque et était suffisamment audacieux pour chercher à entrer en

101 L’analyse de nos archives entre 1939 et 1945 nous a permis de recenser que Streit a communiqué avec au

moins 25 sénateurs, deux représentants au Congrès, deux gouverneurs et un président américain. Ces

données ont été colligées à partir des archives suivantes : Clarence K. Streit, « Lettre de Clarence K.

Streit à Charles O. Andrews », 12 août 1941, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I : 89, U.S.

Congress, Form Letters, 1941.; Clarence K. Streit, « Summary of Talks by Clarence K. Streit », 26-27

mars 1941, p.1-3, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I : 86, Talks with World Leaders, CKS, 1942-

43, 1950-51.; Clarence K. Streit, « Lettre de Clarence K. Streit à Joseph Ball », 6 avril 1942, LOC, Streit

Papers, mm 87065621, Box I : 5, 1942 (2).; Clarence K. Streit, « Lettre de Clarence K. Streit à Alice

Black », 12 mars 1945, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I : 6, 1944-1946.; Clarence K. Streit,

« Lettre de Clarence K. Streit à Clyde L. Herring », 6 avril 1942, LOC, Streit Papers, mm 87065621,

Box I : 5, 1942 (2).; Clarence K. Streit, « Lettre de Clarence K. Streit à Lister Hill », 6 avril 1942, LOC,

Streit Papers, mm 87065621, Box I : 5, 1942 (2).; Clarence K. Streit, « Lettre de Clarence K. Streit à

John W. McCormick », 6 avril 1942, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I : 5, 1942 (2).; Clarence

K. Streit, « Lettre de Clarence K. Streit à Jas M. Mead », 6 avril 1942, LOC, Streit Papers, mm 87065621,

Box I : 5, 1942 (2).; Clarence K. Streit, « Good News: memo to members of the Board of Federal Union,

Council of Advisors, Branch Chairman, Chief Contributors, and other friends », novembre 1942, LOC,

Streit Papers, mm 87065621, Box I : 41, Board General 1942-1947.; Clarence K. Streit, « Lettre de

Clarence K. Streit à John M. Vorys », 6 avril 1942, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I : 5, 1942

(2).; Clarence K. Streit, « Report to the National Board of Federal Union », 4 novembre 1942, p. 2, LOC,

Streit Papers, mm 87065621, Box II : 25, Board of Federal Union, Inc., 1941-1954.; Clarence K. Streit,

« Lettre de Clarence K. Streit à Edward P. Carville », 5 mars 1942, LOC, Streit Papers, mm 87065621,

Box I : 5, 1942 (2).; Clarence K. Streit, « Télégramme de Clarence K. Streit à Franklin D. Roosevelt »,

18 juin 1940, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I : 5, 1940.; Robert Taft, « Lettre de Robert Taft

à Clarence K. Streit », 21 février 1942, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I : 5, 1942 (2). 102 Streit est notamment entré en contact avec Winston Churchill, avec l’ambassadeur de l’URSS à

Washington, Maxim Litvinov, ainsi qu’avec l’ambassadeur britannique à Washington, Lord Halifax.;

Clarence K. Streit, « Memorandum », 24 septembre 1942, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I :

40, Board Correspondance, 1942-43.; Clarence K. Streit, « Summary of talk I had with Ambassador

Litvinoff, Washington, D. C., - January 3, 1942 », LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I : 5, 1939

(1). 103 Streit affirmait notamment connaître personnellement 30 élus au Congrès américain.; Clarence K. Streit,

« Lettre de Clarence K. Streit à Alice Black », 12 mars 1945, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box

I : 6, 1944-1946.

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communication avec eux. Toutes ces qualités, au final, furent des atouts incontestables dans

sa démarche promotionnelle auprès de l’opinion publique.

Mais Streit avait aussi certains défauts qui eurent des répercussions sur son

mouvement. Celui-ci jouait effectivement un rôle non seulement très prépondérant au sein

de FUI, mais quelquefois même dominateur, selon des commentaires recensés dans nos

archives. Cet homme, en effet, semblait vouloir garder un contrôle littéralement exclusif sur

l’organisation, ouvrant ses pratiques à de vigoureuses critiques. On lui reprocha par exemple

d’être incapable de gérer convenablement le mouvement sur le plan administratif et exécutif

parce qu’il agissait comme une sorte de gourou de secte plutôt que comme le dirigeant d’un

groupe internationaliste104. Bien que certains partisans démentirent ces allégations105,

l’omniprésence de Streit ainsi que son rôle prépondérant incontestables au sein de

l’organisation laissent présager qu’il y avait au moins une part de vérité dans leurs reproches

et que le président de FUI ne laissait pas beaucoup de place aux idées différentes des

siennes106. Ce genre d’attitude causant inévitablement des dissensions dans le mouvement ne

pouvait être que nuisible à l’évolution de l’ONG. Nous aurons par contre l’occasion

d’approfondir davantage ce point dans le troisième chapitre.

Il est pour ainsi dire clair que Streit avait une personnalité qui faisait de lui un fonceur

hautement engagé dans son projet, qu’il avait littéralement l’étoffe d’un missionnaire en

croisade, mais que sa grande dévotion pouvait parfois aussi être une barrière aux succès de

son mouvement. Streit, l’homme, ayant été présenté, il est maintenant nécessaire de faire de

même pour sa proposition de réforme des relations interétatiques.

104 Vernon Nash, « Lettre de Vernon Nash à John Howard Ford », 17 octobre 1940, LOC, Streit Papers, mm

87065621, Box I : 28, Nash, Vernon, 1940-1941.; William P. Blake, « Lettre de William P. Blake aux

membres du comité exécutif de Federal Union, Inc. », 7 novembre 1940, LOC, Streit Papers, mm

87065621, Box I : 28, Nash, Vernon, 1940-1941. 105 À la même époque, John Howard Ford était le trésorier du comité exécutif national de FUI.; « Federal

Union, Inc. », 8 octobre 1940, p. 1, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I : 52, Executive Committee,

1940-1944, 1948. 106 John Howard Ford, « Lettre de John Howard Ford à William P. Blake », 11 novembre 1940, LOC, Streit

Papers, mm 87065621, Box I : 28, Nash, Vernon, 1940-1941.

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2. Union Now : quelle proposition?

En 1939, le projet de Clarence K. Streit, décrit dans son livre Union Now, se présentait

comme étant particulièrement novateur. Effectivement, en proposant une union de 15

démocraties plutôt qu’une alliance entre celles-ci, ce plan se démarquait grandement de la

norme en vigueur à l’époque en matière de relations internationales. Mais quels étaient les

détails de la proposition avancée par Clarence K. Streit? Dans les prochaines pages, il s’agira

d’abord d’expliquer comment cet homme en est venu à développer son projet avant de

présenter par la suite les éléments structurants de celui-ci sur le plan idéologique.

2.1. Le contexte d’émergence du projet

Fondamentalement, c’est la résurgence d’une profonde instabilité à l’échelle

mondiale après la Première Guerre mondiale ainsi que son cheminement professionnel qui

amenèrent Streit à réfléchir au fonctionnement du système-monde en place durant l’entre-

deux-guerres. Constatant les déboires de ce système dans le cadre de ses fonctions de

journaliste, il en vint à formuler une critique acerbe de celui-ci, qui s’avérait inefficace pour

empêcher la mise en place de politiques expansionnistes agressives et l’éclatement de

nouveaux conflits.

En effet, bien que la Première Guerre mondiale ait pris fin, il semblait très clair, dans

les années 1920 et particulièrement dans les années 1930, que l’instabilité persistait à

l’échelle internationale, tant sur le plan militaire, que politique et économique. La montée en

popularité du fascisme italien et du national-socialisme allemand107, les crises en

Mandchourie et en Éthiopie, de même que les actions provocatrices menées par l’Allemagne

nazie auxquelles il faut ajouter la tourmente de la Crise économique des années 1930

montrèrent les faiblesses du système international tel qu’il était organisé à l’époque108. La

SDN, pour sa part, ne fut pas en mesure de contrer ces problèmes, elle qui s’avérait

profondément impuissante et inefficace en dépit de sa mission qui était justement de résoudre

les difficultés de ce genre. Conséquemment, la SDN apparaissait clairement comme un

107 Michael H. Hunt, Ideology and U.S. Foreign Policy, New Haven, Yale University Press, 1987, p. 147. 108 Dallek, op. cit., p. 119.

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organe incapable de réguler adéquatement les relations interétatiques et de faire avorter les

conflits avant qu’ils n’éclatent109.

Dans ce contexte agité, le travail de journaliste de Streit contribua sans contredit à sa

prise de conscience des problèmes auxquels le système international faisait face à cette

période. Son affectation à Genève pour y couvrir le travail de la SDN, tout particulièrement,

lui offrit un accès privilégié pour constater les problématiques qui menaçaient la paix

mondiale et l’amena à penser à une solution à l’instabilité internationale. Il était en d’autres

mots très bien placé pour suivre et vivre les déboires de la SDN : « Five years reporting day-

in-and-day-out the League sessions during such crises as the Sino-Japanese war, the

disarmament debacle, the fall of gold standard, the spread of the depression, and the rise of

Nazi dictatorship, led Streit to begin in 1933 the book which appeared in 1939 as Union

Now110. » Six années de travail et de réflexion furent nécessaires à cet homme pour

développer sa pensée et élaborer son projet dans un ouvrage de plus de 300 pages, dans

lesquelles il expliqua et défendit la pertinence et le réalisme de sa proposition de fédération

mondiale.

2.2. Les lignes directrices de Union Now

Le postulat de départ autour duquel Streit organisa son propos est très simple : afin

d’assurer la pérennité de certaines valeurs fondamentales à ses yeux et qu’il considérait

menacées par les crises économiques, les dictatures et les guerres, l’organisation d’un

gouvernement mondial s’imposait111 : « Today, the problem of securing individual freedom,

democracy, peace and prosperity is a problem in organizing world government, and to that

problem this book brings a fresh solution backed by fresh analysis112. » Selon lui, le problème

de l’instabilité internationale et de la récurrence des tensions et des conflits interétatiques

découlait de l’adhésion des États du monde à un farouche nationalisme « absolu » et sa

109 Kuehl et Dunn, op. cit., p. 100.; Ninkovich, op. cit. 110 « Biography of Clarence K. Streit », non daté, p. 1, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I : 40,

Bibliographical Material 1919, 1939-82. 111 Streit, Union Now: A Proposal for a Federal Union of the Democracies of the North Atlantic, op. cit., p.

1. 112 Ibid., p. IX.

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solution devait passer par l’union des démocraties113. Streit voyait la nécessité de restructurer

de fond en comble le système-monde afin de constituer un gouvernement mondial, un super-

État fédératif, plutôt que de simplement refondre la SDN ou créer une organisation

internationale nouvelle semblable à celle-ci. L’union proposée, toutefois, aurait été

suffisamment décentralisée de façon à empêcher tout démagogue potentiel à l’intérieur de

ses propres frontières de s’approprier la totalité du pouvoir de l’union114.

Dans la pratique, Streit souhaitait unir 15 démocraties nord-atlantiques qu’il trouvait

déjà similaires sur plusieurs points, notamment sur le plan géographique, culturel, financier,

politique et historique, ce qui aurait assuré la cohésion de ce noyau115. Ces démocraties

étaient les suivantes : les États-Unis, la Grande-Bretagne, le Canada, l’Australie, la Nouvelle-

Zélande, l’Afrique du Sud, l’Irlande, la France, la Belgique, les Pays-Bas, la Suisse, le

Danemark, la Norvège, la Suède et la Finlande116. Selon lui, ces pays unis, dont la population

aurait avoisiné les trois cents millions d’habitants, auraient dominé le monde sur plusieurs

plans d’importance capitale, ce qui leur aurait permis d’assurer la paix de ses membres parce

qu’elle aurait eu le pouvoir financier, monétaire, économique et politique pour la garantir :

Together these fifteen own almost half the earth, rule all its oceans, govern nearly half

mankind. They do two-thirds of the world’s trade […] They have more than 50 per cent control

of nearly every essential material […] They possess practically all the world’s gold and banked

wealth. Their existing armed strength is such that once they united it they could radically reduce

their armaments and yet gain a two-power standard of armed superiority over the powers whose

aggression any of them now fears117.

Le pouvoir de l’union aurait été si grand que même si l’Allemagne, l’Italie et le Japon

s’étaient unis contre elle, ils n’auraient même pas pu rêver de l’attaquer, pour reprendre

l’expression de Streit118. En fait, pour celui-ci, la paix ne s’acquérait pas par l’équilibre des

pouvoirs, comme le voulait la croyance habituelle, mais au contraire, par son déséquilibre,

c’est-à-dire en renforçant tellement le côté des « défenseurs de la loi » de sorte que ceux qui

souhaiteraient briser la loi ne pourraient en aucun cas arriver à cette finalité119. Il s’agissait

113 Ibid., p. 171. 114 Ibid., p. 182-183. 115 Ibid., p. 2, 94. 116 Ibid., p. 6-7. 117 Ibid., p. 7. 118 Ibid. 119 Ibid., p. 28.

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conséquemment de mettre sur pied « la » grande puissance mondiale et non pas une des

grandes puissances : « Our Union will be the great power, not one of the great powers120. »

Le gouvernement mondial proposé par Streit différait significativement des

organisations internationales comme la SDN. Pour lui, une union était basée sur les citoyens,

comme unité fondamentale, alors qu’une ligue politique, à l’instar de la SDN, se fondait sur

l’État. Ainsi, dans le premier cas, il s’agissait d’unir des individus et dans le second, des

gouvernements. Alors qu’une union était, selon Streit, un gouvernement pour le peuple, une

ligue constituait à ses yeux un gouvernement pour les États121. De manière plus concrète, il

proposait l’établissement d’un gouvernement bicaméral doté d’une chambre basse qui aurait

été basée sur un vote proportionnel à la population de chaque pays uni, à raison d’un député

par tranche de cinq cent mille habitants, et d’une chambre haute – le Sénat – qui aurait quant

à elle été basée sur l’égalité des États fédérés sous la bannière de l’union122. Le pouvoir

législatif suggéré s’apparentait donc de façon considérable au modèle américain. Cela dit,

Streit proposait une modification de taille à la chambre haute afin d’assurer aux États-Unis

d’être le pays ayant le plus grand poids par rapport aux autres dans les deux branches du

gouvernement. Effectivement, chaque pays comptant 25 millions d’habitants et moins se

serait vu attribuer deux sénateurs. Deux sénateurs supplémentaires auraient été accordés à

chaque pays par tranche de 25 millions d’habitants additionnels jusqu’à concurrence de 100

millions d’individus et, ensuite, deux autres de plus par tranche de 50 millions d’habitants123.

Le pouvoir exécutif, pour sa part, devait être constitué d’un comité de cinq personnes, trois

d’entre elles élues par les citoyens, une par la chambre basse et la dernière par le Sénat.

Mandatés pour cinq ans, ces politiciens seraient renouvelés à raison d’un par année124. Le

fonctionnement du pouvoir judiciaire, quant à lui, aurait été fortement inspiré de la

Constitution américaine et sa Cour suprême aurait compté un minimum de 11 juges nommés

à vie125.

120 Ibid., p. 176. 121 Ibid., p. 5-6. 122 Ibid., p. 187. 123 Ainsi, un pays avec une population de 25 millions ou moins aurait deux sénateurs, un pays de 100 millions

d’habitants en aurait huit, et un pays de 150 millions en aurait dix.; Ibid., p. 188. 124 Ibid., p. 249. 125 Ibid., p. 192, 250.

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34

Trois objectifs étaient visés par la proposition. Le premier était de fournir un

gouvernement commun dans les domaines pour lesquels cela aurait mieux servi la liberté que

des gouvernements séparés, soit les domaines de la citoyenneté, du militaire, de l’économie,

le secteur monétaire ainsi que les systèmes postaux et de communication. Le deuxième

objectif était de maintenir la souveraineté gouvernementale dans les domaines où

l’indépendance étatique aurait davantage contribué au bien commun qu’un super-État.

Finalement, le troisième objectif était de constituer un noyau initial de pays unifiés en mesure

de s’étendre et d’inclure le plus rapidement possible tous les États du monde entier sans

compromettre la paix ni la liberté, soit dès que chaque pays remplirait certains critères

fondamentaux à l’adhésion à l’union, c’est-à-dire le respect des lignes directrices de la

démocratie, de l’autodétermination des peuples et de la liberté individuelle126. Parmi les

droits que l’union aurait dû assurer, Streit recensait les suivants : le droit d’accorder la

citoyenneté, le droit de faire la guerre et la paix, de négocier des traités et de gérer la politique

étrangère, de lever et maintenir une armée, le droit de réguler les échanges à même l’union

et avec l’extérieur, le droit d’émettre une monnaie et d’établir diverses mesures économiques

ainsi que le droit de gérer les systèmes de communication, comme la poste et les transports127.

Les citoyens de la fédération mondiale proposée dans Union Now auraient bénéficié,

selon Streit, de nombreux avantages qui leur auraient permis de vivre une vie plus prospère,

notamment en permettant le libre-échange économique, en stabilisant la valeur de la

monnaie, en réduisant les coûts et les armements, en assurant la sécurité politique, en

éliminant les risques de guerre, en accélérant les moyens de communication ainsi qu’en

restaurant la confiance des investisseurs128.

Il apparaît donc que, d’une part, le projet incarné par FUI avait des visées très

idéalistes du maintien de l’ordre international et que, d’autre part, le souci d’assurer une place

prépondérante aux États-Unis dans l’union convoitée était essentiel aux yeux de celui qui

élabora la proposition, c’est-à-dire Clarence K. Streit.

126 Ibid., p. 2.; Divine, op. cit., p. 38. 127 Ibid., p. 179. 128 Ibid., p. 168.

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35

2.3. L’internationalisme de Streit : quel internationalisme?

Si l’historiographie ne fait pas consensus en ce qui a trait à la définition de

l’internationalisme, un élément semble toutefois faire l’unanimité parmi les spécialistes : il est

possible de le catégoriser en fonction de divers types, selon par exemple, l’objectif ou

l’approche préconisée par les partisans de la doctrine. Le projet de Streit ne faisant pas

exception, celui-ci s’inscrit dans certaines tendances internationalistes.

D’emblée, par les visées de sa proposition, Streit se démarquait en tant

qu’internationaliste idéaliste. Ces internationalistes, selon Robert A. Divine, souhaitent

l’implantation de diverses formes de gouvernements mondiaux, par opposition à ceux qu’il

qualifie de réalistes qui, pour leur part, sont favorables à une participation limitée dans les

organisations internationales et sont de fervents partisans du maintien de la souveraineté

nationale129. Qui plus est, l’internationalisme de Streit correspondait aussi à certaines versions

du concept établies par Fred Halliday, qui départagea l’internationalisme libéral de

l’internationalisme hégémonique et de l’internationalisme radical. Le premier se fonde selon

lui sur l’idée que des sociétés indépendantes, par l’entremise de plus nombreuses interactions

et d’une plus grande coopération, peuvent évoluer main dans la main vers des objectifs

communs parmi lesquels se hissent au sommet la paix et la prospérité. L’internationalisme

hégémonique, pour sa part, s’appuie sur l’idée que l’intégration du monde se fait

inévitablement sur des bases inégales et que cela est la seule façon souhaitable. Enfin,

l’internationalisme radical, ou révolutionnaire, fait appel à l’union des groupes opprimés des

différentes sociétés130. Ainsi, FUI était évidemment un projet d’internationalisme libéral, mais

en raison de l’accent mis sur le déséquilibre des forces – l’union proposée devant être nettement

plus forte que la somme de tous les pays n’en faisant pas partie – l’internationalisme de Streit

avait de fortes affinités avec l’internationalisme hégémonique décrit par Halliday.

129 Herman et al, loc. cit., p. 197. 130 Halliday, loc. cit., p. 192-193, 195.

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3. Federal Union, Inc. : l’ONG promotionnelle du mouvement

Dans le but de faire connaître le mouvement aux États-Unis, une poignée de lecteurs

de Union Now, à New York, mirent sur pied l’ONG qui servira de tremplin promotionnel au

projet de Clarence K. Streit, peu après la publication de son livre131. D’autres petits comités

locaux émergèrent à travers le pays, de Boston à Oakland, ce qui incita les partisans de Streit

à s’organiser nationalement, les 15, 16 et 17 juillet 1939132. Ils adoptèrent d’abord le nom de

New Federal Unionists pour l’organisation, avant de changer ce nom pour Inter-democracy

Federal Unionists moins d’un mois après la fondation du groupe133. C’est toutefois le 25

juillet 1940 que l’appellation qui représenta l’organisation au cours de son existence, Federal

Union, Inc., fut choisie, avec l’incorporation de l’ONG134. Tout au long de l’existence du

mouvement, et particulièrement durant la Seconde Guerre mondiale, cette organisation joua

un rôle incontournable dans la diffusion de l’école de pensée de Streit aux États-Unis.

3.1. Federal Union, Inc. : quelle organisation? Quels objectifs?

Lorsque nous nous interrogeons sur le type d’organisation qu’était FUI, il est difficile

de s’arrêter sur un type en particulier pour qualifier ce groupe. Tout dépend en effet de la

perspective adoptée pour en juger, à savoir si nous nous appuyons sur le point de vue des

membres du mouvement ou plutôt sur une vision extérieure à celui-ci. Toutefois, peu importe

la position prise, FUI constituait une ONG à but non lucratif135.

Selon la perspective défendue par les membres de l’organisation, FUI avait une

vocation éducative et concentrait son travail sur les citoyens adultes ayant le droit de vote

131 « Biography of Clarence K. Streit », non daté, p. 1, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I : 40,

Bibliographical material 1919, 1939-82. 132 Clarence K. Streit, « History of Federal Union », The Purpose, Character, Technique, History, Present

Position & Prospects of Federal Union, Inc., 1er avril 1944, p. 4, LOC, Streit Papers, mm 87065621,

Box I : 57, Foundations, General, 1942-1951.; « Guide for Local Organizers – IFU », novembre 1939,

p. 5, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I : 65, Inter-Democracy of Federal Unionists 1939-1942. 133 « Certificate of Chairman Clarence K. Streit regarding change of name from New Federal Unionists to

Inter-Democracy Federal Unionists », 4 août 1939, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I : 65, Inter-

Democracy of Federal Unionists 1939-1942. 134 « Certificate of Change of Name of Inter-Democracy Federal Unionists, Inc. », 25 juillet 1940, LOC, Streit

Papers, mm 87065621, Box I : 65, Inter-Democracy of Federal Unionists 1939-1942. 135 « 1939-76 Financial Data Compiled For Nobel Peace Prize Nominations of Clarence and Jeanne Defrance

Streit », non daté, p. 1, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I : 40, Bibliographical Material 1919,

1939-82.

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plutôt que sur les enfants ou les politiciens de la capitale américaine, Washington136.

Cependant, pendant les premières années de son existence, l’organisation éprouva de la

difficulté à se faire reconnaître par le gouvernement fédéral américain comme étant un

regroupement strictement éducatif, un statut qui s’accompagnait de bénéfices fiscaux

importants, comme l’exemption de taxes sur les contributions et les frais d’admission payés

à l’organisation137. Ce n’est que le 22 août 1943 que les activités de FUI furent reconnues

ainsi, à la suite d’une décision rendue en appel après deux rejets stipulant que cette

association n’avait pas une mission exclusivement éducative, mais se consacrait aussi à

mener des actions d’ordre politique138.

Toutefois, il est possible de se questionner à savoir s’il était véridique que FUI se

dédiait uniquement à des tâches dont le but était d’instruire le public, en dépit de cette

reconnaissance obtenue par le gouvernement américain. Dans les faits, si parfois

l’organisation affirmait s’affairer seulement à ce genre de tâches, à d’autres moments, elle

disait au contraire s’adonner aussi à des activités politiques. Par exemple, dans le rapport du

directeur de FUI soumis à la convention nationale de l’organisation à Cleveland, en Ohio, les

28 et 29 juin 1941, on affirmait clairement que le groupe accordait une importance non

négligeable aux actions politiques : « Most of the work of Federal Union, Inc. has of

necessity thus far been educational. But political action has not been neglected139. » En outre,

quelques années plus tard, le propos s’était largement transformé. Dans une lettre écrite en

1944 et cosignée par Leslie T. Pennington, membre du comité exécutif national de FUI en

136 Clarence K. Streit, « Mémorandum de Clarence K. Streit à A.J.G. Priest », 2 février 1944, p.1, LOC, Streit

Papers, mm 87065621, Box I : 40, Board Correspondence, 1944-1947.; [Prénom inconnu] Cole,

« Sunday Morning – Executive session », Federal Union, Inc., Hotel Statler, St. Louis, Missouri, June

26, 27 and 28, 1942, 28 juin 1942, p. 380, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box II : 27, Conventions

1942 (2).; Clarence K. Streit, « Educational Technique », The Purpose, Character, Technique, History,

Present Position & Prospects of Federal Union, Inc., 1er avril 1944, p. 4, LOC, Streit Papers, mm

87065621, Box I : 57, Foundations, General, 1942-1951. 137 Auteur inconnu, « Lettre d’un auteur inconnu à un destinataire inconnu », 25 septembre 1945, LOC, Streit

Papers, mm 87065621, Box I : 40, Board Correspondence, 1944-1947. 138 Clarence K. Streit, « Purpose and Character », The Purpose, Character, Technique, History, Present

Position & Prospects of Federal Union, Inc., 1er avril 1944, p. 1, LOC, Streit Papers, mm 87065621,

Box I : 57, Foundations, General, 1942-1951.; [Prénom inconnu] Greer, « Sunday Morning – Executive

session », Federal Union, Inc., Hotel Statler, St. Louis, Missouri, June 26, 27 and 28, 1942, 28 juin 1942,

p. 398, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box II : 27, Conventions 1942 (2). 139 « Political Activity », Federal Union, Incorporated Director’s Report Submitted at the First National

Convention Cleveland Ohio June 28th, 29th 1941, p. 19, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I : 46,

Convention, 1941, General.

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1942140 et président du Massachusetts Committee of Federal Union, ainsi que par Robert P.

Russell vice-président de ce même comité, il était précisé que FUI se limitait exclusivement

à un travail éducatif et ne s’engageait dans aucune action d’ordre politique : « By carefully

defined policy, Federal Union, Inc. is strictly limited to educational work, and does not

engage in legislative or political work141. » Le discours tenu en 1944 différait donc

indéniablement de celui tenu en 1941. Considérant la lutte menée par FUI pour se voir

reconnaître comme un organisme éducatif, avec les avantages que cela impliquait, ce passage

d’un propos affirmant les occupations politiques de FUI vers un propos rejetant cet aspect et

donnant toute la place à ses visées éducatives soulève la question à savoir s’il s’agissait d’une

stratégie pour que l’ONG maintienne son statut exemptant certains de ses revenus d’impôts

plutôt que le reflet de la réalité.

D’un point de vue extérieur au mouvement, il ne fait nul doute que FUI menait des

activités éducatives, certes, mais tentait aussi d’influencer les pouvoirs politiques afin de faire

avancer l’idée qu’elle promouvait. Les nombreux contacts que Streit essayait d’établir,

parfois avec succès, parfois non, avec des élus fédéraux pour leur parler de son projet en sont

une preuve accablante. Du coup, FUI constituait un groupe d’intérêt, au sens où Emiliano

Grossman et Sabine Saurugger, tous deux spécialistes de ces regroupements, l’entendent :

« Dans son acceptation la plus large, la notion de groupe d’intérêt est définie comme une

entité qui cherche à représenter les intérêts d’une section spécifique de la société dans

l’espace public. Dans une compréhension plus étroite, le groupe d’intérêt est défini comme

une organisation constituée qui cherche à influencer les pouvoirs politiques dans un sens

favorable à son intérêt142. » Pour l’ONG de Streit, et ce en dépit de ses désirs de se présenter

comme une organisation des plus inclusives, il est évident que la section spécifique défendue

était celle d’une élite américaine éduquée et sensible aux questions de politique ainsi que de

sécurité.

140 « Federal Union Board of Directors », 1942, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I : 41, Board General

1942-1947. 141 Leslie T. Pennington et Robert P. Russell, « Massachusetts Committee of Federal Union », 1944, LOC,

Streit Papers, mm 87065621, Box I : 44, Chapters, Boston, Massachusetts, 1944-1945. 142 Emiliano Grossman et Sabine Saurugger, Les groupes d'intérêt : Action collective et stratégies de

représentation, Paris, Armand Colin, 2006, p. 11.

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FUI constituait plus précisément un groupe d’intérêt d’ordre public. Ces

regroupements, aux dires de Ronald J. Hrebenar, recherchent des bénéfices qui ne vont pas

profiter directement à leurs membres, mais à la population en général143. Ils ne cherchent pas

à défendre des intérêts économiques personnels : « [A] public interest group is one that seeks

a collective good, the achievement of which will not selectively and materially benefit the

membership or activists of the organization144. » En raison des objectifs de FUI, qui,

rappelons-le, étaient de favoriser la constitution d’un gouvernement mondial dans le but

d’assurer la sécurité et la stabilité internationale pour tous, plutôt que seulement pour un petit

nombre d’individus, cette organisation cadrait bien dans les critères lui permettant d’être

qualifiée de groupe d’intérêt public. Avec une stratégie visant à tenter d’influencer le

gouvernement et le public attentif145, les groupes d’intérêt public ne peuvent néanmoins pas

réellement se targuer de défendre les intérêts du public comme un tout, en raison de leur trop

petit nombre de membres par rapport à la population qu’ils disent défendre146.

3.2. Le fonctionnement de Federal Union, Inc.

FUI était un regroupement qui reposait sur l’adhésion de membres et leur

participation aux activités de mobilisation de l’ONG en question147. Son financement

découlait en quasi-totalité de frais d’inscription ainsi que de petites donations personnelles et

143 Ronald John Hrebenar est un professeur de sciences politiques à l’Université de l’Utah et spécialiste des

groupes d’intérêt ainsi que du lobbying.; Ronald J. Hrebenar, Interest Group Politics in America,

Armonk, M.E. Sharpe, 1997, p. 12. 144 Jeffrey M. Berry, The Interest Group Society, New York, Longman, 1997, p. 31. 145 Selon Valdimer Orlando Key, le public attentif constitue une petite portion de la population qui s’intéresse

aux problématiques publiques et tente de les analyser, en plus d’être relativement bien informé à propos

de celles-ci. Il s’agit donc d’un auditoire convenable pour discuter des affaires publiques. Richard Sobel

ajoute que ce public n’a toutefois que peu de moyens pour exercer son influence sur les pouvoirs

politiques, contrairement aux élites, qui sont à la fois informées et influentes. Toujours selon lui, il est

possible, mais il n’est pas garanti, que le public attentif exprime son opinion à son entourage, qu’il

rejoigne un groupe d’intérêt ou qu’il tente de faire valoir son point de vue aux autorités

gouvernementales, par exemple en écrivant au Congrès.; Valdimer Orlando Key, Public Opinion and

American Democracy, New York, Knopf, 1965 (1961), p. 15-16.; Richard Sobel, The Impact of Public

Opinion on U.S. Foreign Policy Since Vietnam: Constraining the Colossus, New York, Oxford

University Press, 2001, p. 12. 146 Jeffrey M. Berry, Lobbying for the People: The Political Behavior of Public Interest Groups, Princeton,

Princeton University Press, 1977, p. 97.; Graham K. Wilson, Interest Groups in the United States, New

York, Oxford University Press, 1981, p. 91. 147 « 1939-76 Financial Data Compiled For Nobel Peace Prize Nominations of Clarence and Jeanne Defrance

Streit », non daté, p. 1, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I : 40, Bibliographical material 1919,

1939-82.

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40

volontaires148. Concrètement, les coûts pour faire partie de l’organisation étaient répartis

selon le statut que le futur membre souhaitait obtenir. Afin de devenir un membre régulier, il

fallait défrayer annuellement la somme de deux dollars pour faire partie de FUI. Payer entre

2,01$ et 25,00$ donnait droit au statut de « sustaining member » et débourser de 25,01$

jusqu’à 99,99$ était nécessaire pour devenir un membre commanditaire149. Il n’est pas très

clair quelles étaient les différences entre chaque catégorie de membres, mais il est possible

de supposer que de débourser davantage d’argent s’accompagnait de privilèges comme

l’obtention gratuite de certaines publications payantes pour les autres membres150. Quant au

nombre maximal d’adhérents atteint par FUI, nos données, trop parcellaires à ce sujet, ne

nous permettent pas de dresser un portrait exhaustif de l’évolution des inscriptions au groupe

et d’avancer des chiffres très précis. Néanmoins, nous savons qu’en date du 1er avril 1944,

l’organisation dénombrait 95 chapitres et un peu moins de 10 000 membres, répartis dans les

48 États américains constituant le pays à l’époque151. À titre de comparaison, en avril 1941,

FUI comptait environ 4 300 individus parmi ses rangs152.

FUI était donc une organisation œuvrant sur tout le territoire américain et subdivisée

en deux. On pouvait ainsi distinguer l’organisation nationale – d’abord basée dans la ville de

New York puis déménagée à Washington, D. C. le 1er mai 1943153 – des organisations

locales154, aussi appelés « chapitres ». L’appellation « branche » était par ailleurs

148 Clarence K. Streit, « Lettre de Clarence K. Streit à Stringfellow Barr », 30 août 1945, LOC, Streit Papers,

mm 87065621, Box I : 40, Stringfellow Barr, 1944. 149 [Prénom inconnu] Cole, « Sunday Morning – Executive session », Federal Union, Inc., Hotel Statler, St.

Louis, Missouri, June 26, 27 and 28, 1942, 28 juin 1942, p. 381-382, 384, LOC, Streit Papers, mm

87065621, Box II : 27, Conventions 1942 (2). 150 Aux dires de Mancur Olson, la pierre angulaire de la formation et du maintien des groupes d’intérêt repose

sur ce qu’il appelle les « bénéfices sélectifs ». L’adhésion à des organisations de ce genre s’accompagne

souvent d’avantages de diverses natures seulement accessibles aux membres.; Allan J. Cigler, « Interest

Groups: A Subfield in Search of an Identity », William Crotty, dir., Political Science: Looking to the

Future, Evanston, Northwestern University Press, 1991, p. 106. 151 Clarence K. Streit, « History of Federal Union », The Purpose, Character, Technique, History, Present

Position & Prospects of Federal Union, Inc., 1er avril 1944, p. 5, LOC, Streit Papers, mm 87065621,

Box I : 57, Foundations, General, 1942-1951. 152 « Federal Union Lists $ 125,000 Contributions », New York Herald Tribune, 29 avril 1941, LOC, Streit

Papers, mm 87065621, Box I : 76, Publications, Headquarters Bulletin, 1940-1941. 153 Auteur inconnu, « Article non titré », Union Now Bulletin, 5 avril 1943, LOC, Streit Papers, mm

87065621, Box II : 38, Roberts, Justice Owen J., 1941-1943. 154 « National Organization Meeting Minutes of the Session », 17 juillet 1939, p.1, LOC, Streit Papers, mm

87065621, Box I : 65, Inter-Democracy of Federal Unionists 1939-1942.

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fréquemment utilisée pour référer à ces chapitres, l’un étant en fait synonyme de l’autre155.

Seulement sept personnes étaient nécessaires pour former officiellement un chapitre de

FUI156. Ceux-ci avaient pour but d’organiser diverses activités de recrutement et de

mobilisation dans leur communauté. Malgré leur grande autonomie, ils étaient chapeautés

par l’organisation nationale, avec son comité exécutif national157, qui devait assurer une

cohésion entre les diverses ramifications de l’organisation, et ils devaient se conformer à la

politique du groupe établie aux conventions annuelles158. Par l’entremise, notamment, du

Union Now Bulletin, c’est-à-dire la publication bimensuelle de FUI rendant compte des

derniers développements concernant l’ONG et le mouvement, l’organisation nationale était

en mesure de tenir informés les organisateurs locaux des activités passées et à venir de FUI,

de leur faire diverses suggestions et même d’y aller de quelques critiques constructives visant

à améliorer l’efficacité des activités du groupe159. Néanmoins, celui-ci n’était pas tricoté aussi

serré qu’il aurait pu l’être et n’était pas non plus toujours aussi dynamique qu’il aurait été

souhaitable qu’il le soit160.

Selon les années, le comité exécutif national comptait entre 17 et 27 personnes161. Les

dirigeants de FUI étaient issus d’une élite américaine instruite. Par exemple, on retrouvait à

la tête de l’organisation des individus venant du milieu des affaires, du droit, de l’éducation

postsecondaire et des médias, notamment, mais personne ne provenait des milieux les plus

155 [Prénom inconnu] Cole, « Saturday Morning – Executive session », Federal Union, Inc., Hotel Statler, St.

Louis, Missouri, June 26, 27 and 28, 1942, 27 juin 1942, p. 234, LOC, Streit Papers, mm 87065621,

Box II : 27, Conventions 1942 (2). 156 Clarence K. Streit, « Lettre de Clarence K. Streit à Harriott Miller », 2 mars 1944, p. 2, LOC, Streit Papers,

mm 87065621, Box I : 45, Chapters, Peoria, Illinois, 1943-1946. 157 En anglais, ce comité était appelé National Executive Committee, ou encore Board of Directors. 158 Leslie T. Pennington et Robert P. Russell, « Massachusetts Committee of Federal Union », 1944, LOC,

Streit Papers, mm 87065621, Box I : 44, Chapters, Boston, Massachusetts, 1944-1945. 159 Union Now Headquarters Bulletin, 19 (3 juillet 1941), p. 1, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I :

76, Publications, Headquarters Bulletin, 1940-1941. 160 Bill Cantwell, « Lettre de Bill Cantwell à Clarence K. Streit », 17 avril 1942, LOC, Streit Papers, mm

87065621, Box I : 5, 1942 (2). 161 Bien que nos données à ce sujet soient parcellaires, elles nous ont permis de constater qu’en 1940, le

comité exécutif national comptait 19 individus, entre 17 et 20 en 1941, 25 en 1942 et 27 en 1943-1944.;

« Federal Union, Inc. », 8 octobre 1940, p. 1, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I : 52, Executive

Committee, 1940-1944, 1948.; « Federal Union, Inc. », 1941, p. 1, LOC, Streit Papers, mm 87065621,

Box I : 52, Executive Committee, 1940-1944, 1948.; « Board of Directors elected at the Convention »,

Union Now Headquarters Bulletin, 19 (3 juillet 1941), p. 3, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I :

76, Publications, Headquarters Bulletin, 1940-1941.; « Federal Union Board of Directors », 1942, LOC,

Streit Papers, mm 87065621, Box I : 41, Board General 1942-1947.; « National Board of Federal Union,

Inc 1943-1944 », 1943-1944, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I : 41, Board General 1942-1947.

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pauvres de la société162. Cela peut s’expliquer par le fait qu’il faut disposer de suffisamment

de temps libre pour se permettre de participer activement à une organisation comme FUI. Or,

cette réalité est davantage le propre des plus hautes classes sociales que des plus basses, qui

sont obligées d’investir beaucoup de temps à leur métier, les laissant donc avec peu de

disponibilités en dehors de leurs obligations liées à leur emploi163. Qui plus est, le travail

effectué pour FUI se faisait essentiellement sur des bases bénévoles, sauf dans le cas de rares

individus qui œuvraient à temps plein pour l’organisation et qui, faute de disponibilités pour

être en mesure de tenir un second emploi, devaient retirer un salaire du groupe en échange

de leurs services pour survivre financièrement164.

Les membres, par ailleurs, ne semblaient pas avoir de réel poids dans les prises de

décision. Certes, la convention annuelle que FUI organisait leur offrait une tribune pour

exprimer leur opinion165, mais réalistement, il est peu plausible qu’un simple membre ayant

payé deux dollars pour faire partie de cette ONG se soit déplacé, possiblement à des

centaines, voire à quelques milliers de kilomètres de chez lui, uniquement pour s’exprimer à

la convention. De plus, au dire de Jeffrey M. Berry, spécialiste des groupes d’intérêt et des

organismes à but non lucratif, les conventions sont des mécanismes de ratification des

politiques plutôt que de formulation de celles-ci166. Par conséquent, ce n’est, dans les faits,

qu’un groupe restreint d’individus qui décidaient des orientations que devait poursuivre FUI,

faisant du coup de cette organisation une ONG dirigée selon des principes oligarchiques, ce

qui est typique de nombreux groupes défendant des intérêts et qui sont, le plus souvent, moins

162 À titre illustratif, en date du 3 juillet 1941, le comité de direction était notamment composé de Stringfellow

Barr, président du St John’s College, de Russell Davenport, éditeur du magazine Fortune, de John

Howard Ford, président de Union Iron Works, ainsi que de A. J. G. Priest, avocat pour la firme d’avocats

Reid and Priest.; « Board of Directors Elected at the Convention », Union Now Headquarters Bulletin,

19 (3 juillet 1941), p. 3, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box II: 36, Publications, Union Now

Bulletin, 1939-41.; « Federal Union, Inc. », 8 octobre 1940, p. 1-3, LOC, Streit Papers, mm 87065621,

Box I : 52, Executive Committee, 1940-1944, 1948. 163 Hrebenar, op. cit., p. 34. 164 « Promotion Activities », Federal Union, Incorporated Director’s Report Submitted at the First National

Convention Cleveland Ohio June 28th, 29th 1941, p. 14, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I : 46,

Convention, 1941, General.; Clarence K. Streit, « Lettre de Clarence K. Streit à Emery W. Balduf », 12

avril 1942, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I : 5, 1942 (1). 165 John McCutcheon, « Friday – Assembly Luncheon, Opening Remarks, Chairman John McCutcheon »,

Federal Union, Inc., Hotel Statler, St. Louis, Missouri, June 26, 27 and 28, 1942, 26 juin 1942, p. 2,

LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box II : 27, Conventions 1942 (1). 166 Berry, Lobbying for the People: the Political Behavior of Public Interest Groups, op. cit., p. 190.

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démocratiques qu’ils en ont l’air167. Dans les faits, très peu d’organisations du genre offrent

de véritables occasions à leurs membres de faire valoir leurs opinions168 et FUI ne faisait pas

exception.

***

Nous venons donc d’explorer le premier chapitre de ce mémoire. Suivant une

perspective plus descriptive qu’analytique, celui-ci avait pour objectif de faire le point sur

Clarence K. Streit, sur les rouages de sa proposition ainsi que sur les grandes caractéristiques

de l’organisation promotionnelle de son mouvement, c’est-à-dire les éléments constituant la

base de notre problématique de recherche. Ayant pris connaissance de ces éléments, il sera

maintenant possible de comprendre les chapitres subséquents, qui nous amèneront davantage

dans le vif de la question étudiée. Ainsi, le prochain chapitre aura pour but de décortiquer la

popularité du mouvement incarné par FUI, en présentant d’abord comment se traduisait cet

engouement à l’époque, puis en analysant les facteurs expliquant l’enthousiasme généré par

les idées de Streit aux États-Unis entre 1939 et 1945.

167 Berry, The Interest Group Society, op. cit., p. 86, 98. 168 Berry, Lobbying for the People: The Political Behavior of Public Interest Groups, op. cit., p. 210.

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Chapitre II. L’engouement pour le projet de Streit, pourquoi?

L’étude du mouvement de Clarence K. Streit révèle un élément fort intéressant :

l’intérêt remarquable suscité par celui-ci aux États-Unis à l’époque. De fait, dès sa

publication, le livre Union Now devint immédiatement populaire, permettant du coup à Streit

de s’imposer comme étant le plus influent parmi ceux ayant proposé des solutions alternatives

à la SDN169. Mais comment une idée si différente de tout ce qui était alors la norme en matière

de relations internationales fut-elle en mesure de gagner ainsi la faveur populaire? C’est ce

dont il sera question dans ce chapitre, qui a pour objectif, dans un premier temps, de présenter

l’ampleur de l’engouement généré par le mouvement avant de mettre en lumière les diverses

dimensions permettant de comprendre sa popularité durant la Seconde Guerre mondiale.

1. Quel engouement?

Fondamentalement, l’engouement généré par le mouvement de Streit aux États-Unis

entre 1939 et 1945 transparaît de diverses manières. Bien entendu, le nombre de membres

ayant joint FUI peut être un indicateur de celui-ci, mais ce serait cependant faire fausse route

que de nous intéresser uniquement à cette donnée pour évaluer le rayonnement du projet dans

l’opinion publique américaine. L’adhésion d’individus influents et la couverture médiatique,

notamment, doivent aussi être prises en considération.

1.1. La propagation de Federal Union, Inc. aux États-Unis entre 1939 et 1945

De prime abord, il est remarquable de constater la propagation de FUI à travers les

États-Unis entre sa création en juillet 1939 et l’année 1945. Six mois après sa formation à

l’été 1939, cette ONG comptait déjà 56 chapitres, puis leur nombre s’accrut à 97 en juillet

1941 et à 120 à la fin de l’année 1942, avant de se replier ensuite à 95 chapitres en 1944170.

169 Divine, op. cit.; Kuehl et Dunn, op. cit., p. 102. 170 « Finances », Federal Union, Incorporated Director’s Report Submitted at the First National Convention

Cleveland Ohio June 28th, 29th 1941, p. 13, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I : 46, Convention,

1941, General.; « New Chapters and Regional Committees », Union Now Headquarters Bulletin, 20 (11

juillet 1941), p. 4, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I : 76, Publications, Headquarters Bulletin,

1940-1941.; Clarence K. Streit, « Lettre de Clarence K. Streit à Buell », 20 décembre 1942, LOC, Streit

Papers, mm 87065621, Box I : 5, 1942 (1).; Clarence K. Streit, « History of Federal Union », The

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Au fil de cette période, FUI s’étendit à travers les États-Unis de sorte que l’organisation

établit des ramifications dans chacun des États américains, sans exception171. Cela montre

bien la capacité de FUI de capter l’attention à travers l’entièreté du pays, indépendamment

des disparités idéologiques régionales.

En ce qui concerne le nombre de membres, les données à notre disposition font état

que, lors de sa première année d’existence, soit de mars 1939 à mars 1940, FUI fut en mesure

de recruter officiellement 4 200 personnes172. Les chiffres les plus élevés colligés à partir de

l’analyse de nos archives portent à 8 000 le nombre d’individus ayant dûment rejoint les

rangs de l’organisation en juin 1942 et à approximativement 10 000 en avril 1944173. Mais

ces chiffres ne concernent que le nombre d’adhérents officiels aux États-Unis et excluent

tous ceux qui, tacitement, approuvaient la proposition de Streit sans pour autant activement

s’impliquer dans l’organisation. Par ailleurs, l’étude de nos archives permit de constater des

lacunes importantes dans la gestion des registres des adhérents. Selon un document émanant

du chapitre de San Francisco et rédigé en septembre 1945, de nombreux membres de ce

chapitre n’avaient pas payé leurs dûs à FUI depuis plusieurs années, rendant difficile de

recenser précisément le nombre de sympathisants officiels174. Conséquemment, il est fort

probable que ce regroupement comptait en réalité davantage d’adeptes que nous pourrions le

croire en vertu des statistiques à notre disposition et qui sont probablement plutôt

conservatrices.

Purpose, Character, Technique, History, Present Position & Prospects of Federal Union, Inc., 1er avril

1944, p. 5, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I : 57, Foundations, General, 1942-1951. 171 Clarence K. Streit, « History of Federal Union », The Purpose, Character, Technique, History, Present

Position & Prospects of Federal Union, Inc., 1er avril 1944, p. 5, LOC, Streit Papers, mm 87065621,

Box I : 57, Foundations, General, 1942-1951. 172 R. Frazier Potts, « Re : Growth of IFU in First Year », Circular to Charted Local Committees, Members

of the Council of Advisors, Speakers Committees, and the National Executive Committee, 2 mai 1940,

LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I : 65, Inter-Democracy of Federal Unionists 1939-1942. 173 [Prénom inconnu] Cole, « Saturday Morning – Executive session », Federal Union, Inc., Hotel Statler, St.

Louis, Missouri, June 26, 27 and 28, 1942, 27 juin 1942, p. 206, LOC, Streit Papers, mm 87065621,

Box II : 27, Conventions 1942 (2).; « Federal Union Lists $ 125,000 Contributions », New York Herald

Tribune, 29 avril 1941, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I : 76, Publications, Headquarters

Bulletin, 1940-1941. 174 Edgar [Bisanys], « Lettre de Edgar [Bisanys] à Clarence K. Streit », 26 septembre 1945, LOC, Streit

Papers, mm 87065621, Box I : 44, Chapters, California, 1944-1946.; Nos recherches ne nous ont pas

permis d’identifier avec certitude le nom de famille du dénommé Edgar cité précédemment, mais notre

interprétation de sa signature nous a amenée à conclure qu’il s’agissait possiblement de Bisanys.

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Cela dit, comme nous l’avons souligné, le nombre de membres s’avère insuffisant en

soi pour évaluer convenablement la popularité du projet à l’époque. D’autres facteurs doivent

être pris en considération. Comme nous l’avons évoqué lorsque nous nous sommes

concentrée sur le fonctionnement de FUI, la participation à un groupe d’intérêt est

étroitement liée au temps libre dont disposent les intéressés. C’est dire que plus quelqu’un

dispose de temps, plus cette personne aura de chances de s’investir dans un tel groupe175. Le

nombre de membres de FUI, somme toute petit comparativement à d’autres organisations

apparentées176, n’était donc pas nécessairement le signe de réticences populaires envers le

mouvement, mais peut-être plutôt le reflet d’une quantité d’individus relativement limitée

ayant suffisamment de temps à investir dans cette ONG à l’époque. La guerre y était sans

doute pour beaucoup, celle-ci amenant la mobilisation de nombreux hommes dans l’armée

après l’entrée en guerre des États-Unis en décembre 1941 et occupant parallèlement plusieurs

femmes dans les usines.

Ainsi, il est plus révélateur, à notre avis, de consulter les résultats de certains

sondages, même si cette science en était toujours à ses débuts à l’époque, en dépit des progrès

incontestables apportés par George H. Gallup à la méthodologie de collecte des données et

qui révolutionnèrent littéralement ce champ de recherche177. Dans le cadre d’un sondage

mené par la firme de Gallup en janvier 1940, des électeurs américains se firent poser les

questions suivantes : « Have you given any thought to what should be done to maintain world

peace after the present European War is over? »; « 2- And if so, in your opinion, what should

be done? » Les résultats compilés, qui parurent le 28 janvier de la même année, montrèrent

175 Hrebenar, op. cit. 176 Par exemple, America First Committee (AFC) – fondé le 4 septembre 1940 par R. Douglas Stuart, Jr.

avec l’aide de Robert E. Wood, de Hanford MacNider, de Jay C. Hormel et de Philip F. La Folette,

notamment – comptait 850 000 membres à la veille de l’attaque de Pearl Harbor. Cette organisation

prônait le non-interventionnisme et fut officiellement formée le 19 septembre 1940 dans le but de

maintenir les États-Unis hors de la Seconde Guerre mondiale. Ce regroupement échoua totalement sur

ce plan et ne réussit pas à bloquer l’avancement du moindre projet de loi important présenté devant le

Congrès. Néanmoins, AFC fut en mesure d’influencer considérablement les stratégies mises de l’avant

par Franklin D. Roosevelt. L’attaque de Pearl Harbor, toutefois, précipita la dissolution de cette

organisation, qui fut votée le 11 décembre 1941.; John E. Miller, « America First Committee », R. Alton

Lee, dir., Encyclopedia USA: the Encyclopedia of the United States of America Past & Present, Gulf

Breeze, Academic International Press, 1983, Vol. 2, p. 165.; Justus D. Doenecke, « American

Isolationism, 1939-1941», Journal of Libertarian Studies, 1, 2-3 (1982), p. 210.; Wayne S. Cole, « The

America First Committee », Journal of the Illinois State Historical Society (1908-1984), 44, 4 (1951),

p. 305-306, 321. 177 Doktorov, op. cit., p. 86.

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qu’environ deux millions d’électeurs américains auraient alors été en faveur de l’union des

démocraties comme solution au maintien de la paix après la Seconde Guerre mondiale178.

Deux années plus tard, en mars 1942, un sondage du magazine Fortune révéla que 8% des

Américains soutenaient l’établissement d’une union mondiale. Cela représentait

approximativement 11 millions d’individus, une progression nette d’environ neuf millions

de personnes par rapport aux données recueillies à l’hiver 1940179. Dans le même ordre

d’idées, les résultats de l’élection tenue au Massachusetts en novembre 1942 sont très

parlants en ce qui concerne la popularité de l’idée maîtresse du mouvement FUI. Dans 42 des

164 districts de l’État, il fut demandé aux électeurs de répondre par oui ou non à la question

à savoir si les représentants du gouvernement du Massachusetts devraient demander au

président et au Congrès d’envisager le plus tôt possible la formation d’une convention des

représentants de tous les peuples libres, afin d’ériger une constitution fédérale qui leur

permettrait de s’unir dans un gouvernement mondial démocratique. Parmi les individus

concernés, 202 503 votèrent en faveur de la proposition, contre 67 691 qui s’y opposèrent,

soit un ratio avoisinant les trois personnes pour, versus une contre180.

Le dernier aspect à prendre en considération en ce qui a trait à la propagation de FUI

à travers les États-Unis est celui de l’adhésion d’individus influents à l’idée proposée par

Streit. En effet, de 1939 à 1945, cette ONG fut capable de gagner le cœur de certaines

personnes dont la notoriété à l’époque ne peut être ignorée. Politiciens, juristes et individus

influents dans le domaine des médias faisaient notamment partie du lot de personnalités

178 Ces données sont prudentes dans la mesure où les personnes sondées ne se sont pas vues soumettre une

liste de solutions possibles au maintien de la paix. Par conséquent, leurs réponses découlaient

exclusivement de leur connaissance du sujet.; « Gallup Finds 2,000,000 in U. S. Want Union Now »,

Inter-democracy Federal Unionists, Union Now Bulletin, 2, 2 (février 1940), p. 1, LOC, Streit Papers,

mm 87065621, Box II : 36, Publications, Union Now Bulletin, 1939-41.; The Gallup Poll: Public

Opinion 1935-1971, op. cit., p. 205. 179 Selon les données du bureau du recensement américain, la population des États-Unis s’élevait à 132,2

millions d’habitants en 1940 et à 151,3 millions en 1950. Ainsi, il est possible d’estimer à 136,02 millions

d’habitants la population du pays en 1942 et d’évaluer que 8% de ce nombre représentait 10,88 millions

d’individus.; Balduf, « Lettre de Emery W. Balduf à Clarence K. Streit », 31 mars 1942, LOC, Streit

Papers, mm 87065621, Box I : 5, 1942 (1).; « A Look at the 1940 Census », U.S. Census Bureau, p. 4,

http://www.census.gov/newsroom/cspan/1940census/CSPAN_1940slides.pdf, consulté le 23 avril 2014. 180 « Final results of vote on World Federation for a special story or any use you wish to make of it »,

Massachusetts Committee of Federal Union, non daté, p. 1-2, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box

I : 44, Chapters, Boston, Massachusetts, 1943.; Clarence K. Streit, « Good News : memo to members of

the Board of Federal Union, Council of Advisors, Branch Chairman, Chief Contributors, and other

friends », novembre 1942, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I : 41, Board General 1942-1947.

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recrutées officiellement par l’organisation ou s’affichant ouvertement comme favorables à

ses idées.

Au sein du gouvernement, nous l’avons déjà évoqué, Streit est entré en contact avec

un nombre significatif d’élus ou d’individus gravitant dans les orbites gouvernementales

parmi lesquels certains furent convaincus du bien-fondé de la proposition décrite dans Union

Now. Malgré qu’elle ne fut ni une élue, ni une haute fonctionnaire, la personne la plus

prestigieuse qui adhéra aux lignes directrices du fédéralisme mondial est sans équivoque

Eleanor Roosevelt, première dame des États-Unis. Par exemple, le 12 août 1939, celle-ci

publia une chronique abordant de façon très positive les principes de Union Now et en 1941,

sur les ondes de son émission de radio du dimanche, elle exprima son désir de voir s’établir

un gouvernement mondial sur les bases du fédéralisme181. Qui plus est, Harold L. Ickes, qui

fut membre du cabinet Roosevelt en tant que secrétaire de l’Intérieur de 1933 à 1946182,

voyait également la proposition de Streit d’un œil favorable : « I am inclined to view

sympathetically such a plan as that proposed by Clarence Streit in his Union Now, which

every thoughtful citizen should read183. » À ces sympathisants dans le milieu politique, il faut

ajouter Clare Boothe Luce, qui fut représentante républicaine du Connecticut au Congrès de

janvier 1943 à janvier 1947 et femme du célèbre éditeur des magazines Time, Life et Forture,

Henry Luce, un militant républicain. Grande partisane du mouvement de Streit, elle occupa

un poste dans l’administration de FUI et fut une généreuse contributrice financière pour

l’organisation184.

181 Clarence K. Streit, « Lettre de Clarence K. Streit à Eleanor Roosevelt », 12 août 1939, LOC, Streit Papers,

mm 87065621, Box I : 32, Roosevelt, Eleanor, 1939-1943.; « “Union Now” Talks in the Air », Union

Now Headquarters Bulletin, 24 (14 octobre 1941), p. 2, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I : 76,

Publications, Headquarters Bulletin, 1940-1941. 182 « Ickes, Harold LeClaire », Richard B. Morris et Jeffrey B. Morris, dir., Encyclopedia of American

History, 7e édition, New York, Harper Collins Publishers, 1996, p. 1052. 183 « Roberts & Ickes On Federal Union », Federal Union Green Paper, 10 (10 août 1942), LOC, Streit

Papers, mm 87065621, Box I : 76, Publications, Green Papers, 1942-1943. 184 Étant la femme d’un grand joueur dans l’industrie des médias à l’époque, nous pouvons penser que Clare

Boothe Luce bénéficiait de canaux extrêmement précieux pour faire circuler les idées de Streit à travers

les États-Unis.; Clarence K. Streit, « Memo to: Members of the Board of Federal Union, Council of

Advisors, Branch Chairmen, Chief Contributors, and other friends », novembre 1942, LOC, Streit

Papers, mm 87065621, Box I : 41, Board General 1942-1947. « Luce, Clare Boothe, (1903 - 1987) »,

Bibliographical Directory of the United States Congress,

http://bioguide.congress.gov/scripts/biodisplay.pl?index=L000497, consulté le 1er août 2014.; James L.

Baughman « Luce, Henry R. », Paus S. Boyer, dir. The Oxford Companion to United States History.

Page 56: De la popularité à l’obscurité · 2020-07-30 · De la popularité à l’obscurité: Les rouages de la montée et du déclin de Federal Union, Inc. aux États-Unis, 1939-1945

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Il est par ailleurs pertinent de souligner que d’autres figures d’importance capables

d’amener une visibilité au mouvement de Streit s’y associèrent aussi. Ce fut notamment le

cas de Owen J. Roberts, juge à la Cour suprême des États-Unis de 1930 à 1945, qui s’impliqua

de façon significative dans l’organisation après avoir joint officiellement les rangs de FUI en

1945185. Des personnalités notoires dans le domaine des médias s’ajoutèrent au lot de

partisans du mouvement de Streit durant les années de la Seconde Guerre mondiale. Pensons

à Russell Davenport, éditeur en chef du magazine Fortune, qui commença à s’impliquer dans

les activités de FUI dès 1939186, ou encore à Dorothy Thompson, très influente journaliste et

chroniqueuse au New York Herald Tribune, qui était en faveur des principes de Union

Now187, pour ne nommer que celles-ci. D’autres personnalités de l’époque se greffèrent aussi

au regroupement et auraient bien entendu pu faire l’objet d’une présentation, mais afin

d’éviter d’alourdir notre analyse, nous avons choisi de nous limiter aux quelques-unes

mentionnées ci-haut188.

L’adhésion formelle ou tacite de ces individus au mouvement de Streit constituait un

atout de taille pour celui-ci. De fait, leur notoriété ou leur rôle aux États-Unis durant les

années 1940 pouvait servir de canal important pour faire connaître Union Now et FUI avait

pleinement conscience de la contribution potentielle que des gens influents pouvaient

apporter à l’organisation189. Effectivement, lorsque des individus renommés se prononcent

sur un sujet, davantage d’individus portent attention à leur propos que s’ils n’avaient pas été

connus. De surcroît, ils bénéficient d’une couverture médiatique bien plus importante qu’un

New York, Oxford University Press, 2001, p. 464.; Robert E. Herzstein, Henry R. Luce, Time, and the

American Crusade in Asia, New York, Cambridge University Press, 2005, p. 4. 185 « Owen J. Roberts, 1930-1945 », The Supreme Court Historical Society,

http://www.supremecourthistory.org/history-of-the-court/associate-justices/owen-roberts-1930-1945/,

consulté le 1er août 2014.; Stringfellow Barr, « Lettre de Stringfellow Barr à Adolph W. Schmidt », 11

juillet 1945, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I : 40, Stringfellow Barr, 1944. 186 Clarence K. Streit, « Lettre de Clarence K. Streit à Henry L. Stimson », 27 mars 1939, LOC, Streit Papers,

mm 87065621, Box I : 5, 1939 (1). 187 Lynn D. Gordon, « Thompson, Dorothy Celine », John A. Garraty et Mark C. Carnes, dir., American

National Biography, New York, Oxford University Press, 1999, Vol. 21 : Stratton – Tunney, p. 544-

545. 188 Nous pouvons penser notamment à l’acteur Thomas Mitchell, à Eleanor Wilson McAdoo, auteure et fille

de Woodrow Wilson et à l’économiste Irving Fisher.; « Celebrities », Union Now Headquarters Bulletin,

23 (33 septembre 1941), p. 4, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I : 76, Publications, Headquarters

Bulletin, 1940-1941. 189 Vernon Nash, « Sunday Afternoon Session », Proceedings First Annual Convention Federal Union, Inc.:

June 28-29 1941, Wade Park Manor, Cleveland, Ohio, 29 juin 1941, p. 281, LOC, Streit Papers, mm

87065621, Box I : 46, Convention, 1941, Proceedings.

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citoyen ordinaire, ce qui permet à leurs propos de se diffuser plus largement. Enfin, les gens

influents possèdent souvent un réseau de contacts aussi influents qu’eux pouvant agir à titre

d’intermédiaire leur donnant accès à des personnes clés, à des fonds ou à d’autres atouts

pouvant s’avérer essentiels pour une ONG comme FUI. Par exemple, la politicienne et

partisane du mouvement Clare Boothe Luce était mariée à Henry Luce, un joueur important

dans le monde médiatique américain de la période, comme nous en avons discuté. Via les

magazines de son mari, celle-ci pouvait diffuser ses idées à travers les États-Unis. Bref,

l’école de pensée de Streit attira l’attention de plusieurs personnes notoires et bénéficia du

coup de leur influence dans la société américaine.

1.2. Le rayonnement de Union Now et de FUI dans les médias

Le rayonnement du mouvement de Streit se mesure aussi par la diffusion du livre

Union Now dans le public et son traitement dans les médias. Considérant la nature de

l’ouvrage concerné qui, par son sujet très politicoéconomique, n’avait rien d’un roman grand

public pouvant prétendre à fracasser des records de ventes en librairie, il est surprenant de

constater à quel point ce livre souleva néanmoins l’intérêt au pays de l’Oncle Sam.

D’une part, dans les circonstances, les ventes de Union Now furent intéressantes. En

effet, rappelons qu’entre 1939 et 1949, environ 300 000 copies furent vendues et en moins

de deux mois après sa parution, celui-ci fut réédité à sept reprises190. De plus, attirant

l’attention des milieux littéraires, de 150 000 à 200 000 copies de Union Now furent

distribuées par le Book-of-the-Month Club à ses membres en tant que dividende spécial, en

septembre 1941191.

D’autre part, divers magazines publiant des critiques de livres s’intéressèrent aussi à

cet écrit. Ainsi, il fut sacré « one of the most important books of the year » en 1939 par le

190 « Biography of Clarence K. Streit », non daté, p. 1, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I : 40,

Bibliographical material 1919, 1939-82.; Clarence K. Streit, « Lettre de Clarence K. Streit à DeWitt

Wallace », 24 avril 1939, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I : 5, 1939 (1). 191 Clarence K. Streit, « Lettre de Clarence K. Streit à Charles O. Andrews », 12 août 1941, LOC, Streit

Papers, mm 87065621, Box I : 5, 1939 (1).; Clarence K. Streit, « Lettre de Clarence K. Streit à Charles

Evans Hughes », 9 juin 1941, p.1, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I : 5, 1940.

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magazine The Nation192. D’autres revues renommées lui accordèrent également une place

prestigieuse sur leurs palmarès, comme le Time Magazine, qui décida que parmi les 8 000

livres publiés durant les 11 premiers mois de 1939, seulement 16 étaient déjà devenus des

classiques, dont Union Now, ou encore le magazine The New Republic, qui inclut ce livre

dans son répertoire des 100 ouvrages remarquables de 1939193. À cette liste s’ajoute le

Current History, dont le comité littéraire choisit Union Now comme l’un des dix ouvrages

ne relevant pas de la fiction ayant été les plus importants de 1939194.

Plus globalement, le mouvement de Streit généra aussi un intérêt fort remarquable

dans les médias écrits, principalement, qui publièrent en masse sur cette thématique durant

la période étudiée. Ainsi, 46 magazines nationaux américains écrivirent sur le projet en 1939,

76 en parlèrent en 1940 et 60 abordèrent ce propos durant les six premiers mois de l’année

1941195. Les journaux américains ne firent pas exception. Durant les mois de mars, avril, mai

et juin 1941 seulement, par exemple, le service des coupures de journaux mandaté par FUI

répertoria 33 788 pouces d’éditoriaux, de rubriques, de nouvelles et de courrier du lecteur

portant sur le mouvement fédéraliste mondial de Streit, dont approximativement la moitié

était favorable à celui-ci. Qui plus est, il est certain que ce service, compte tenu des moyens

de l’époque, ne fut pas en mesure de dénicher la totalité des articles sur le sujet publiés à

travers tous les journaux du pays, incluant ceux diffusés seulement à l’échelle locale196. Il

faut donc supposer que les chiffres seraient nettement supérieurs si tous les articles publiés

avaient pu être colligés pour la totalité des années concernées. En bref, il apparaît clair que

192 « Union Now Honored In Annual Books Lists », Inter-democracy Federal Unionists, Union Now Bulletin,

2, 1 (janvier 1940), p. 14, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box II : 36, Publications, Union Now

Bulletin, 1939-41. 193 « Union Marches On! », Inter-democracy Federal Unionists, Union Now Bulletin, 2, 1 (janvier 1940), p.

11, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box II : 36, Publications, Union Now Bulletin, 1939-41.; « Union

Now Honored In Annual Books Lists », Inter-democracy Federal Unionists, Union Now Bulletin, 2, 1

(janvier 1940), p. 14, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box II : 36, Publications, Union Now Bulletin,

1939-41. 194 « Union Now is Chosen as 1939 Key Book », Inter-democracy Federal Unionists, Union Now Bulletin,

2, 2 (février 1940), p. 1, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box II : 36, Publications, Union Now

Bulletin, 1939-41. 195 Nous ne disposons toutefois pas des chiffres pour les six derniers mois de 1941 ainsi que pour les années

1942, 1943, 1944 et 1945.; « Public Response », Federal Union, Incorporated Director’s Report

Submitted at the First National Convention Cleveland Ohio June 28th, 29th 1941, p. 24, LOC, Streit

Papers, mm 87065621, Box I : 46, Convention, 1941, General. 196 Précisément 16 473 pouces étaient en faveur au mouvement et 17 315 étaient contre celui-ci.;

« Publicity », Union Now Headquarters Bulletin, 21 (13 août 1941), p. 4, LOC, Streit Papers, mm

87065621, Box I : 76, Publications, Headquarters Bulletin, 1940-1941.

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le mouvement de Streit se diffusa de façon prodigieuse à travers le public et les médias écrits

américains durant les mois et les années subséquentes à sa mise sur pied.

La radio, quant à elle, ni fit pas exception aux autres médias de l’époque et accorda

une place somme toute digne de mention sur ses ondes à la proposition de Streit. En effet,

plusieurs chaînes, particulièrement dans l’Est des États-Unis, accordèrent du temps d’antenne

à ce projet en diffusant notamment des entretiens concernant FUI197. Par exemple, à la fin de

l’année 1940, la série d’enregistrements intitulés The Hour for Union Now fut présentée sur

les ondes de 61 stations de radio à travers 31 États américains198. Qui plus est, via un débat

radiodiffusé le 1er décembre 1940 dans le cadre du American Forum of the Air et portant sur

la question à savoir si les États-Unis devraient former une union fédérale avec les démocraties

du Commonwealth britannique, il est estimé que FUI fut en mesure de rejoindre

approximativement 10 000 000 d’auditeurs199. Même la station KCKN de Kansas City, alors

détenue par le sénateur républicain et isolationniste du Kansas, Arthur Capper, fit la lecture

quotidienne de Union Now, à raison de 15 minutes par soir à l’automne 1941200. Ainsi, par

la radio, ce sont des millions de citoyens américains qui furent mis en contact avec l’idéologie

défendue par Streit. Toutefois, afin d’être en mesure de façonner fermement l’opinion

publique par l’entremise de ce média, une diffusion récurrente et soutenue des idées

fédéralistes mondiales défendues par Streit et ses partisans aurait été nécessaire, ce que FUI

ne fut pas en mesure de faire, faute de moyens financiers201.

197 « Minutes of the National Executive Committee Federal Union, Inc. », 30 septembre 1940, p. 2-3, LOC,

Streit Papers, mm 87065621, Box I : 41, Board Meetings, General, 1940.; « Minutes of the National

Executive Committee, Federal Union, Inc. », 30 septembre 1940, p. 2, LOC, Streit Papers, mm

87065621, Box I : 52, Executive Committee, 1940-1944, 1948. 198 « Director’s Report to The National Committee », 10 décembre 1940, p. 3, LOC, Streit Papers, mm

87065621, Box I : 41, Board Meetings, General, 1940. 199 « Director’s Report to The National Committee », 10 décembre 1940, p. 2, LOC, Streit Papers, mm

87065621, Box I : 41, Board Meetings, General, 1940. 200 « Report on Mr Streit’s Western Speaking Tour », Union Now Headquarters Bulletin, 25 (15 novembre

1941), p. 4, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I : 76, Publications, Headquarters Bulletin, 1940-

1941. 201 « Advertising », Federal Union, Incorporated Director’s Report Submitted at the First National

Convention Cleveland Ohio June 28th, 29th 1941, p. 17, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I : 46,

Convention, 1941, General.

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Cela étant dit, l’intérêt que généra le mouvement mis de l’avant par FUI ne fut

assurément pas le fruit du hasard. Plusieurs éléments, en effet, en furent à l’origine, comme

nous le verrons dans les sections suivantes.

2. Union Now, une solution novatrice aux ratés du système-monde

Les succès de FUI, lorsqu’on les compare aux échecs d’autres organisations

internationalistes lui étant apparentés, soulèvent une question, celle de savoir pourquoi ce

groupe a pu susciter un tel enthousiasme, alors que d’autres regroupements œuvrant à la

même époque sont demeurés dans l’ombre, et ce, bien qu’ils présentaient de nombreuses

similitudes avec cette organisation, notamment en ce qui a trait au territoire sur lequel ils

travaillaient, à leurs modes de fonctionnement et de mobilisation et même parfois en ce qui

concerne leurs idées.

À cette question, William Paul Browne, politologue spécialiste des groupes d’intérêt

à la Central Michigan University, répondrait que cela se comprend parce qu’il y a des idées

qui sont fondamentalement « bonnes » à mettre de l’avant, « bonnes » en ce sens qu’elles

possèdent des caractéristiques les rendant acceptables pour le public ciblé et ont le potentiel

d’être bien reçues par les autorités politiques, alors que d’autres n’ont pas d’emblée ce

potentiel, comme il l’avance dans son livre intitulé Groups, Interests, and U.S. Public Policy

(1998)202. Selon lui, les groupes d’intérêt, auxquels il consacra son étude203, connaîtront plus

de succès si la problématique qu’ils défendent est susceptible d’être bien perçue, d’être

acceptable pour une majorité de la population204. Ce qu’il soulève est intéressant puisque sa

thèse met en évidence toute l’importance de l’idée à la base d’une organisation comme un

groupe d’intérêt; il souligne en quelque sorte qu’avant même que des stratégies de

mobilisation ne soient déployées, le sort d’un projet peut en réalité déjà être scellé selon qu’il

202 William Paul Browne, Groups, Interests, and U.S. Public Policy, Washington, D. C., Georgetown

University Press, 1998, p 205. 203 Rappelons que FUI constituait un groupe d’intérêt d’ordre public et que par « groupe d’intérêt publics »,

nous entendons tout groupe de lobby ne cherchant pas à obtenir des avantages qui bénéficieront

exclusivement ou principalement aux membres de l’organisation, mais qui auront des répercussions sur

la communauté dans son ensemble.; Berry, The Interest Group Society, op. cit., p. 31.; Wilson, op. cit.,

p. 83. 204 Browne, op. cit., p. 86.

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correspond ou ne correspond pas aux attentes, aux demandes ou aux valeurs, par exemple,

de l’opinion publique et qu’il cadre ou ne cadre pas avec ce que l’État est prêt ou en mesure

de faire.

Pour Sidney Tarrow, professeur émérite spécialiste des mouvements sociaux, les

mouvements doivent structurer leurs actions autour de symboles, de schèmes culturels étant

significatifs aux yeux de la population ciblée et pouvant l’amener à se mobiliser205. C’est ce

qu’il appelle le framing206. Ces schèmes servent à amplifier ou à atténuer l’importance d’une

réalité quelconque afin de remodeler la perception d’une population à l’endroit de celle-ci207.

Il souligne cependant la difficulté que représente, pour une organisation, le fait de cerner

précisément les éléments symboliques susceptibles de générer un enthousiasme populaire et

d’amener les gens à comprendre que les réalités de la vie ne sont pas toutes des fatalités

inchangeables; qu’à travers une mobilisation collective, ils ont un pouvoir d’agir208.

La question qui se pose alors est la suivante : Union Now, c’est-à-dire la proposition

de Clarence K. Streit promue par FUI, avait-elle les atouts nécessaires pour pouvoir réussir

à mobiliser les Américains et, le cas échéant, pourquoi? Selon nous, cette idée avait le

potentiel de réussir parce qu’elle s’appuyait fortement sur des éléments très structurants pour

cette population à savoir les préoccupations sécuritaires et identitaires. Ceci étant dit, les

référents culturels ne sont pas nécessairement d’emblée en mesure d’amener une

mobilisation. Il leur faut aussi une machine derrière eux pour stimuler cette mobilisation. En

ce qui nous concerne, cette machine, c’était FUI. Dans les prochaines pages, nous allons donc

explorer comment l’organisation de Streit réussit à générer un élan d’enthousiasme aux États-

Unis entre 1939 et 1945.

205 Sidney G. Tarrow, Power in Movement: Social Movements, Collective Action, and Politics, Cambridge,

Cambridge University Press, 1994, p. 119. 206 Tarrow reprend le concept développé en 1975 par Erving Goffman dans son livre intitulé Frame Analysis:

An Essay on the Organization of Experience.; Erving Goffman, Frame Analysis: An Essay on the

Organization of Experience, Harmondsworth, Penguin Books, 1975, IX-586 p. 207 Ibid., p. 122. 208 Ibid., p. 119, 122 -123.

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2.1. Le contexte de crise dans les années 1930 et 1940, source d’inquiétudes et

accroissement populaire de l’intérêt pour la politique étrangère

Un élément absolument fondamental – probablement même le plus fondamental – à

la montée en popularité de la proposition de Streit est sans contredit le contexte dans lequel

il émergea. Sans ce contexte très particulier qui pourrait se résumer en un mot : instabilité, il

est peu probable que le projet aurait attiré l’attention aux États-Unis. Cette instabilité se fit

sentir sur plusieurs plans, dont principalement ceux politique, économique et militaire.

La Première Guerre mondiale, en dépit de la véhémence des combats sur le terrain,

qui coûtèrent la vie à environ neuf millions d’individus, ne réussit pas à régler les rivalités et

les sources de tensions intestines au territoire européen209. Au contraire, elle contribua plutôt

à les amplifier. La Grande Guerre, en effet, se solda de façon définitive par la signature de

cinq traités de paix210 dont la dureté des clauses pour les vaincus était indéniable, les laissant

avec un goût amer en bouche. René Girault et Robert Frank résument d’ailleurs très bien la

situation prévalant alors : « Les traités de paix ont créé des tensions et des conflits aux quatre

coins de l’Europe et aux portes de l’Orient […]211 »

Si la situation se stabilisa quelque peu avec l’essor économique qui se fit sentir dès

1924, la décennie des années 1930 et la virulente crise économique qui la frappa de plein

fouet vinrent mettre le feu aux poudres dans le système-monde212. Cette décennie, dans les

faits, fut marquée par de remarquables incertitudes en matière de politique internationale213.

Effectivement, les régimes autoritaires aux tendances belliqueuses se firent de plus en plus

nombreux sur le Vieux Continent, où pas moins d’une quinzaine de dictateurs prirent les

rênes du pouvoir dans différents pays européens214. Ils profitèrent aussi d’un appui populaire

rendu possible grâce à la Grande Dépression, qui sema le désespoir chez les peuples d’Europe

et les rendit avares de solutions, quelle que soit leur nature. Il n’est donc pas surprenant de

constater que la tension monta et que des conflits éclatèrent durant cette période, mettant à

209 René Girault et Robert Frank, Histoire des relations internationales contemporaines, Tome II : Turbulente

Europe et nouveaux mondes 1914-1941, Paris, Payot & Rivages, 2004, p. 118. 210 Signés entre juin 1919 et août 1920, ces traités sont ceux de Versailles, de Saint-Germain, de Neuilly, de

Trianon et de Sèvres.; Ibid., p. 103. 211 Ibid., p. 211. 212 Ibid., p. 111. 213 Ninkovich, op. cit., p. 107. 214 Girault et Frank, op. cit., p. 325-327.

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l’épreuve les mécanismes de contrôle des relations internationales alors en place, avec la

SDN en tête d’affiche.

Nous pourrions citer en exemple plusieurs actions politiques et militaires dans les

années 1930 qui firent escalader la tension sur la scène politique en Europe et ailleurs qui

montrèrent les lacunes flagrantes du système de sécurité collective alors en place. Pensons

par exemple à la crise en Mandchourie, qui éclata au mois de septembre 1931 ou encore à

l’invasion italienne du territoire de l’actuelle Éthiopie à l’automne 1935215. Ces deux

incidents exposèrent, noir sur blanc, les faiblesses patentes de la SDN tant sur le plan

technique que légal et firent en sorte que le système qu’elle incarnait s’effondra, ouvrant la

voie à un deuxième conflit d’envergure mondiale216. Que dire, de surcroît, du rôle de

l’Allemagne dans la recrudescence de ces tensions à l’époque, avec la remilitarisation de la

Rhénanie, l’annexion de l’Autriche, les accords de Munich qui menèrent à l’annexion des

Sudètes à l’Allemagne217 et, bien sûr, à l’invasion de la Pologne le 1er septembre 1939. La

guerre d’envergure mondiale qui s’ensuivra sera d’ailleurs à l’origine d’une multitude de

problèmes de nature internationale qu’il serait nécessaire de régler une fois la fin des

hostilités venue218.

Bref, il est juste d’affirmer qu’à la fin des années 1930, une crise multidimensionnelle

s’était installée non seulement en Europe, mais aussi dans tous les continents habités, y

compris en Amérique, où les États-Unis, malgré la distance géographique les séparant des

hostilités, se voyaient eux aussi menacés. La SDN n’avait donc pas réussi à jouer son rôle de

chien de garde de la paix devant prévenir un autre conflit mondial et les États-Unis, quant à

eux, avaient contribué à l’échec de cet organe international en refusant d’en devenir

membre219. Il fallait donc trouver un nouveau système de gestion des relations étrangères qui

serait efficient, cette fois-ci, et auquel les États-Unis devraient impérativement participer

justement pour en assurer l’efficacité.

215 Ibid., p. 313, 353. 216 Ciotti, op. cit., p. 16, 19. 217 Ninkovich, op. cit., p. 107, 119. 218 David Clark MacKenzie, A World Beyond Borders: an Introduction to the History of International

Organizations, Toronto, University of Toronto Press, 2010, p. 34. 219 Ciotti, op. cit., p. 6.

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2.2. La recherche de nouvelles avenues

Ce qui est remarquable, donc, c’est de constater à quel point la SDN fut impuissante

à l’égard des incertitudes et des tensions extraordinaires qui émergèrent durant l’entre-deux-

guerres. Celle-ci, pourtant, avait justement pour objectif d’apaiser ces tensions avant qu’elles

n’aboutissent à un conflit armé. Or, elle échoua lamentablement sur ce plan220, ce qui amène

des interrogations à savoir pourquoi cet organisme faillit à ce point à sa tâche de sorte qu’il

ne put empêcher le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, conflit qui, à ce jour,

demeure toujours le plus meurtrier de tous les temps.

En dépit de la mission très honorable de la SDN, c’est-à-dire le maintien de la paix à

l’échelle internationale, cette organisation avait en réalité peu de chances d’obtenir les succès

escomptés par ses fondateurs. Deux éléments, principalement, furent la cause de l’échec de

la SDN. D’une part, le mode de fonctionnement de l’organisation lui laissait peu de chances

de réussite, et d’autre part, le refus des États-Unis de se joindre à elle la minait de l’autorité

dont elle avait besoin pour fonctionner adéquatement.

L’un des principes fondamentaux régissant la SDN était celui du volontarisme. Les

penseurs à l’origine de cette organisation croyaient en effet que celle-ci fonctionnerait à son

meilleur si ses actions allaient de pair avec le respect de la souveraineté nationale et suivaient

la voie de la coopération interétatique. Ils pensaient que cette façon de gérer les relations

internationales était nettement plus efficace que l’usage de la force221. Or, le fait est que, dans

le contexte hautement tendu de l’entre-deux-guerres, et particulièrement durant les années

1930, ce mode de gestion était plutôt impraticable puisqu’il nécessitait de la part des États

impliqués dans des conflits leur acceptation de retarder le déclenchement d’hostilités, dans

le but d’en arriver à un compromis satisfaisant, plutôt que d’en venir d’emblée aux armes.

Les théoriciens de la SDN avaient donc en tête que les pays accepteraient de se soumettre

aux règles d’arbitrage mises sur pied, mais n’avaient en aucun cas considéré le comportement

de certains dirigeants agressifs à l’instar d’Adolf Hitler, pour n’en nommer qu’un seul.

Comme l’affirma le célèbre intellectuel antiquisant Gilbert Murray, la SDN avait été

220 Kuehl et Dunn, op. cit., p. 100. 221 Ciotti, op. cit., p. 3-4.

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imaginée comme si elle devait fonctionner dans un monde normal, mais le monde dans lequel

elle dut agir était loin de l’être222.

De surcroît, en vertu du cinquième article de la charte de la SDN, toute décision se

devait d’être prise à l’unanimité, conférant du coup une sorte de droit de veto à chacun des

États membres, indépendamment de la grandeur du pays, de son influence, de sa puissance

militaire ou quoi que ce soit d’autre. Ainsi, l’efficacité de l’organisation se voyait grandement

mise à mal en raison de l’obligation de chercher un compromis à chaque fois qu’un de ses

membres s’opposait à une mesure proposée223. Par ailleurs, lorsqu’une mesure réussissait à

passer à travers le processus d’acceptation et donnait lieu à une décision formelle, la SDN ne

détenait que très peu de moyens de coercition concrets, outre le décret de sanctions

économiques ou politiques envers le pays jugé fautif. Dépourvue de forces armées à sa

disposition – même si elle semblait en apparence offrir une protection à ses membres contre

les agresseurs en vertu de l’article X224 – ses décisions n’avaient, dans les faits, guère plus

d’influence que de simples recommandations. La SDN pouvait inciter ses membres à recourir

à la force, mais ne pouvait en aucun temps les obliger à le faire225. Il fallait donc que les États

acceptent de leur plein gré de se lancer dans une opération militaire, ce qu’ils n’avaient bien

entendu pas tellement d’avantages à faire.

L’absence d’une armée sous l’égide de la SDN découlait du fait que ses penseurs,

dont principalement Woodrow Wilson, étaient d’avis que les incompréhensions et les

mésententes interétatiques devaient être soumises, via la SDN, à l’opinion publique

internationale226. Pour Wilson, l’opinion publique devait constituer le principal moyen de

pression de l’organisation227. Or, l’idée qu’une force morale puisse constituer la mesure

privilégiée pour endiguer les conflits avant qu’ils n’éclatent n’était dans les faits rien de

222 Ibid, p. 5. 223 Girault et Frank, op. cit., p. 186. 224 Cet article stipulait que chaque État membre de la SDN devait porter assistance à ses homologues ayant

aussi adhéré à l’organisation, en cas de menaces d’agression.; « The Covenant of the League of

Nations », Lillian Goldman Law Library, Yale Law School, 2008,

http://avalon.law.yale.edu/20th_century/leagcov.asp, consulté le 5 août 2014. 225 Ciotti, op. cit., p. 4.; James E. Hewes, Jr., « Henry Cabot Lodge and the League of Nations », Proceedings

of the American Philosophical Society, 114, 4 (1970), p. 245. 226 James Chace, « The Wilsonian Moment? », The Wilson Quarterly, 25, 4 (2001), p. 37. 227 Ken Millen-Penn, « Democratic Control, Public Opinion, and League Diplomacy », World Affairs, 157, 4

(1995), p. 207.

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moins qu’une utopie en raison du contexte hasardeux des années 1920 et 1930. Qui plus est,

l’absence des États-Unis, qui refusèrent officiellement de se joindre à l’organisation en mars

1920, donna un dur coup supplémentaire au potentiel d’efficacité auquel la SDN pouvait

aspirer228. Aux dires de l’historien Lloyd E. Ambrosius, « [w]ithout American membership,

the new League could not function effectively as a substitute for an alliance229. » L’influence

déjà indiscutable à l’époque des États-Unis sur la scène internationale, malgré le fait que ce

pays n’avait toujours pas atteint l’apogée de sa puissance à ce moment, était sans contredit

une composante contribuant à la faiblesse de la SDN. Effectivement, la participation

déterminante des États-Unis aux hostilités de la Grande Guerre permit à ce pays de se tailler

une place notoire sur la scène mondiale230. Or, alors que toutes les puissances se joignirent à

la SDN, les États-Unis refusèrent d’emboîter le pas et de se rallier au monde, avec les

conséquences que cela impliqua, c’est-à-dire l’impuissance du principal mécanisme de

régulation des relations internationales de l’époque : la SDN231. Streit, rappelons-le, était,

dans les années 1930, journaliste à Genève et occupait pour ainsi dire une position privilégiée

pour observer les faiblesses de cette organisation internationale232.

Donc, à la fin de la Grande Dépression, la SDN, échouait à sa tâche et il devenait de

plus en plus probable et évident qu’un second conflit d’envergure mondiale éclaterait dans

un futur rapproché. Cet échec de la SDN, toutefois, ne s’accompagna pas d’une impression,

aux États-Unis, que les organisations internationales étaient inutiles, bien au contraire : « The

inability of the League of Nations to prevent the war was not widely interpreted as a reason

228 Girault et Frank, op. cit., p. 184.; Le traité de Versailles, qui comprenait la charte de la SDN, fut rejeté une

prmière fois par la Sénat américain le 19 novembre 1919, avant d’être de nouveau rejeté le 19 mars 1920,

par le compte de 49 votes en faveur, 35 contre et 12 abstentions, c’est-à-dire sept voix de moins que le

nécessaire pour atteindre la majorité requise des deux tiers. Ce rejet était principalement dû au dixième

article de la charte de la SDN, qui stipulait que les pays membres devaient porter assistance à tout autre

membre en cas d’agression, générant par conséquent la crainte que l’armée américaine ne devienne à la

disposition d’un conseil international et se voit contrainte de se battre pour diverses causes aléatoires.;

Sina Dubovoy, « Versailles Treaty of 1919 », Bruce W. Jentleson et Thomas G. Paterson, dir.,

Encyclopedia of U.S. Foreign Relations, New York, Oxford University Press, 1997, Vol. 4, p. 267.;

Hewes, loc. cit., p. 245, 249. 229 Lloyd, E. Ambrosius, « Woodrow Wilson, Alliances, and the League of Nations », The Journal of the

Gilded Age and Progressive Era, 5, 2 (2006), p. 162. 230 Herring, op. cit., p. 434. 231 Ciotti, op. cit., p. 6, 10. 232 « Biography of Clarence K. Streit », octobre 1943, p. 2, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box II : 24,

Biographical File 1919-77, n.d.; Paul Findley, « Promotor of Worldwide ‘Union of the Free’ », New

York Times, 19 juillet 1986, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box II : 24, Biographical File 1919-77,

n.d.

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not to have any other international organizations; if anything, the experience of the 1930s

only emphasized how important it was to have in place some kind of system or structure to

pursue international peace and security233. »

De plus, pour la majorité des Américains de l’époque, l’instabilité s’avérait peu

rassurante, surtout dans la mesure où plusieurs d’entre eux considéraient toujours que la

participation de leur pays à la Première Guerre mondiale avait été une erreur monumentale234.

Dans ce contexte, les affaires politiques internationales prirent une place de plus en plus

centrale parmi les intérêts des Américains, chose peu surprenante dans la mesure où ceux-ci

ont généralement tendance à porter un plus grand intérêt à ces problématiques en temps

d’instabilité que lorsque le contexte est calme235.

Les perturbations des décennies 1930 et 1940 offraient donc à n’en pas douter un

terrain très fertile aux individus souhaitant trouver un remède à long terme aux ratés du

système-monde et le public américain était alors enclin à entendre ces idées. La table était,

par conséquent, mise pour que de nouveaux projets visant à restaurer la stabilité à l’échelle

internationale soient avancés : « Au milieu des années 1930, la faiblesse des démocraties

devant les entreprises de Mussolini et d’Hitler obligeait les hommes politiques, les militaires,

les journalistes, les intellectuels à s’interroger sur les capacités de leurs pays, sur leur destin

futur et par conséquent sur les voies à suivre en matière de politique étrangère236. »

233 MacKenzie, op. cit. 234 Selon Michael H. Hunt, environ 70% des Américains en 1937 croyaient toujours que la participation des

États-Unis à la Première Guerre mondiale avait été une erreur.; Hunt, op. cit., p. 136. 235 Selon John F. Greco et Richard Sobel, en temps normal, les Américains font preuve d’une grande

indifférence et d’une méconnaissance marquée des questions de relations internationales, contrairement

à lorsque le contexte est tendu. Sobel ajoute même que leur attitude par rapport aux relations étrangères

manque la plupart du temps de structure et de contenu. Qui plus est, toujours selon ce dernier, le public

américain peut être divisé en trois groupes en ce qui concerne les relations étrangères. Le premier, qu’il

qualifie de grand public, n’est ni informé, ni intéressé par ces questions de politique extérieure. Le

second, appelé public attentif, porte une attention à ces questions, mais possède peu d’influence sur la

formulation de la politique étrangère. Enfin, les élites sont quant à elles bien informées et influentes.

Reprenant les chiffres avancés par Gabriel A. Almond en 1950, qui sont les mêmes que ceux de Martin

Kriesberg datant de 1949, Sobel affirme qu’environ 30% de la population des États-Unis ne connaît rien

du tout aux relations internationales, alors que 45% possède des connaissances, mais lacunaires à ce

sujet, et seulement 25% en est bien informée.; Greco, op. cit., p. 270.; Sobel, op. cit., p. 12-13.; Gabriel

A. Almond, The American People and Foreign Policy, New York, Praeger, 1960, p. 82.; Key, op. cit.,

p. 81. 236 Girault et Frank, op. cit., p. 360.

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Quand la guerre éclata finalement en 1939, il était devenu chose commune, parmi les

dirigeants alliés ainsi que les commentateurs médiatiques, de croire que, bien que les États-

Unis avaient remporté la Première Guerre mondiale sur le champ de bataille, ils avaient laissé

filer la paix après coup en refusant d’adhérer à la SDN237. Le conflit, de surcroît, mena à la

création de toute une panoplie d’organisations internationales qui, pour la plupart, étaient

orientées vers la gestion de l’ordre international après la guerre238. Mais cela n’assura

toutefois pas l’élaboration de projets internationalistes alternatifs à la SDN étant originaux et

convenablement structurés pour répondre aux nécessités de la période239. L’incapacité d’une

vaste part des groupes internationalistes à présenter des projets concrets et originaux se

distinguant réellement de la SDN exerça une influence positive sur le mouvement de Streit,

dont la popularité fut rehaussée par ces lacunes240. Effectivement, les idées présentées par de

nombreux autres internationalistes apparaissaient insuffisantes aux yeux d’une part du public

américain, qui avait pris conscience de l’inefficacité de la SDN et qui s’attendait à mieux que

de simplement colmater une organisation vétuste à laquelle les Américains avaient même

refusé de participer241. Pour ces internationalistes somme toute abondants, il fallait aller plus

loin que les principes du wilsonisme; il fallait chercher à constituer une fédération

mondiale242.

Ainsi, bénéficiant à la fois d’un accroissement de la popularité des problématiques

concernant la politique étrangère aux États-Unis, des échecs de la SDN et de l’incapacité de

certains penseurs à avancer des solutions nouvelles et durables au problème de la récurrence

des conflits interétatiques, le projet mis de l’avant par Streit fut en mesure de se démarquer.

En effet, celui-ci se voulait très différent des alliances politiques traditionnelles et offrait une

alternative originale et crédible à ceux qui se voyaient désillusionnés vis-à-vis des

mécanismes de régulation des relations interétatiques jusqu’alors privilégiés. Contrairement

à plusieurs internationalistes, Streit proposa une voie unique pour contrecarrer les échecs de

237 Rita James Simon, Public Opinion in America 1936-1970, Chicago, Rand McNally College Publishing

Compagny, 1974, p. 145. 238 MacKenzie, op. cit., p. 34. 239 Johnstone, Dilemmas of Internationalism: The American Association for the United Nations and US

Foreign Policy, 1941-1948, op. cit., p. 22-25. 240 Divine, op. cit. 241 Kuehl et Dunn, op. cit., p. 100. 242 Divine, op. cit., p. 57.

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la SDN : le gouvernement mondial243. En se servant de la SDN comme une sorte

d’antimodèle à ne pas répéter et en soulignant le besoin d’encadrer l’État-nation jugé

dangereux, l’union entre 15 démocraties que Streit souhaitait impliquait une extension des

principes fédéralistes à une échelle internationale, soit une idée jusqu’alors jamais

sérieusement considérée. En suggérant la création d’une union où les pays membres

transféreraient une partie de leurs pouvoirs à une entité centrale, tout en conservant entre

leurs mains une part importante de leurs pouvoirs, la proposition de ce journaliste s’imposait

comme bien plus profonde que la SDN, une organisation dans laquelle tous les membres

conservaient la totalité de leur souveraineté244. Si Streit n’inventa pas les principes du

fédéralisme sur lesquels son idéologie reposait, il fut néanmoins l’un des précurseurs ayant

adapté cette forme de gouvernance à l’échelle internationale. Dans cette foulée, durant les

années 1940 aux États-Unis, il devint plutôt difficile de lire des périodiques ou d’écouter la

radio sans être confronté à l’idée d’établir une fédération mondiale telle que celle qui

constituait le cœur et l’âme de la proposition de Streit245.

De plus, il présentait un programme qui avait pour atout d’être très structuré et

semblant offrir une solution à chaque difficulté pouvant survenir si une union mondiale devait

être mise en place. Le Union Now dresse effectivement un portrait des problèmes inhérents

au système international en vigueur durant la Seconde Guerre mondiale et fait la

démonstration que la proposition de Streit aurait été en mesure de contrer tous ces troubles

ainsi que les nouveaux qui auraient pu survenir avec l’établissement de l’union. Ainsi, il

donne l’impression au lecteur que rien n’a été laissé pour compte, que le projet est

minutieusement rodé, bref, que ce projet ne pourrait pas échouer comme la SDN246. Il

243 Ibid., p. 102. 244 Ibid., p. 100. 245 Weiss, loc. cit., p. 259. 246 Certes, un lecteur connaissant suffisamment bien les rouages de la politique internationale pourrait

contester de nombreux éléments de la démonstration que fait Streit dans Union Now, mais un lecteur

moins aguerri restera, après la lecture de ce volume, avec l’impression que le projet est tout à fait

crédible. Par exemple, Streit explique que l’union qu’il souhaitait voir s’établir dominerait le monde

parce qu’elle posséderait davantage de ressources naturelles stratégiques, de ressources financières, etc.

que les pays exclus. Pour un lecteur peu familier avec ce genre de problématiques, le raisonnement de

Streit peut sembler logique. Or, un lecteur aguerri, par contre, pourrait argumenter que de posséder

davantage de ressources ne fait pas foi de tout dans les relations interétatiques. Une simple innovation

technologique – pensons à la bombe atomique – peut renverser l’équilibre des pouvoirs à la faveur de

l’adversaire.; Streit, Union Now: A Proposal for a Federal Union of the Democracies of the North

Atlantic, op. cit., XVI-315 p.

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comblait conséquemment un vide dans le mouvement internationaliste qui, en plus de ne pas

toujours soumettre des projets originaux, peinait trop souvent à offrir au public un

programme idéologique clairement défini et très cohérent247.

3. La rhétorique argumentative du mouvement de Streit

Au-delà du contexte favorable dans lequel baignait FUI ainsi que de l’originalité de

l’idée proposée par Clarence K. Streit, la popularité de la proposition aux États-Unis entre

1939 et 1945 reposa en grande partie sur la manière de la présenter au public américain.

Quelques éléments particulièrement notoires peuvent être relevés à cet effet, notamment en

ce qui a trait aux procédés argumentatifs choisis par les partisans du mouvement comme

causes de l’accroissement de la popularité de Union Now et de FUI à l’époque.

3.1. Un projet cadrant avec le cheminement historique des États-Unis

Pour attirer l’attention, les groupes d’intérêt public comme FUI doivent établir et

promouvoir des idées qui sont plausibles de même que légitimes aux yeux de leur public et

afin de gagner en crédibilité, leur message se doit d’être convaincant248. C’était l’une des

forces de l’idée de Streit. Tout au long des pages de Union Now, ce journaliste s’efforça de

mettre de l’avant un projet semblant d’une part réaliste pour son public et d’autre part

souhaitable pour la sécurité et le bien-être du monde entier. Ainsi, il espérait convaincre les

Américains de se rallier à lui, y compris les citoyens pouvant de prime abord éprouver des

réticences.

Sur le plan de la faisabilité du projet, le fondement de l’argumentaire de Streit était

plutôt simple : comme les treize colonies américaines avaient réussi à s’unir pour former un

pays selon les principes fédératifs dans des conditions bien moins bonnes que celles prévalant

dans les années 1940, il était tout à fait envisageable, selon lui, que 15 démocraties puissent

247 Johnstone, Dilemmas of Internationalism: The American Association for the United Nations and US

Foreign Policy, 1941-1948, op. cit. 248 Lester W. Milbrah, « Interest Groups and Foreign Policy », James N. Rosenau, dir., Domestic Sources of

Foreign Policy, New York, Free Press, 1967, p. 241.

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en faire autant dans une période jugée plus favorable que lors de la Révolution américaine249.

L’expérience américaine se présentait donc, pour Streit, comme une preuve « indéniable »

qu’une union des démocraties était envisageable. De surcroît, en termes de droits et de

structures, les principes de l’union mondiale qu’il souhaitait s’apparentaient

considérablement à ceux en place au pays de l’Oncle Sam, dont il voyait la Constitution

comme étant un exemple indiscutable de réussite250 : « That Constitution [celle des États-

Unis] has been for 150 years the world’s outstanding success in inter-state government

[…]251 ». Il suffit de consulter l’ébauche de constitution de l’union, présentée en annexe de

Union Now252, pour constater les nombreuses similitudes avec le système américain. En fait,

Streit avoua même que l’ébauche de son plan fut complètement élaborée à partir de la

Constitution américaine, exception faite de quelques éléments253. Il s’appuyait donc sur le

cheminement historique des États-Unis, de même que sur un schème de gouvernance avec

lequel les Américains étaient familiers et qui avait, selon ses dires, fait ses preuves comme

étant efficace, contribuant par conséquent à la crédibilité de son plan de restructuration de

l’ordre international. Ainsi, Streit tentait de faire vibrer la corde sensible du patriotisme, si

répandue chez les Américains depuis la Déclaration d’Indépendance des États-Unis au

XVIIIe siècle.

3.2. Les valeurs au cœur de Union Now

L’étude de Union Now et de FUI permet aussi de relever la présence de certaines

valeurs dont la centralité était indiscutable dans les propos tenus par les organisateurs et les

adhérents au mouvement. Parmi ces valeurs, nous pouvons penser à la démocratie, à la

liberté, à la prospérité, à l’indépendance et au désir de maintien de la paix254. L’accent mis

249 Streit, Union Now: A Proposal for a Federal Union of the Democracies of the North Atlantic, op. cit., p.

32. 250 Divine, op. cit., p. 38-39. 251 Streit, Union Now: A Proposal for a Federal Union of the Democracies of the North Atlantic, op. cit., p.

50. 252 Ibid., p. 243-251. 253 Ibid., p. 243. 254 Clarence K. Streit, « The Basic Principles of “Union Now” », 22 février 1942, LOC, Streit Papers, mm

87065621, Box I : 41, Board General 1942-1947.; « Remember me? », non daté, LOC, Streit Papers,

mm 87065621, Box I : 5, 1939 (1).; « Draft Policy Statement », non daté, LOC, Streit Papers, mm

87065621, Box I : 71, Policy statements, 1941-1945.

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sur celles-ci eut deux effets principaux. D’un côté, cela donna une saveur américaine à

l’idéologie de l’organisation, contrecarrant du coup une part des inquiétudes pouvant être

suscitées par les aspects de nouveauté accompagnant la fédération mondiale proposée. Le

projet s’avérait donc moins déconcertant puisqu’il avait pour objectif de défendre des valeurs

faisant partie intégrante de la culture américaine et chères aux citoyens des États-Unis. D’un

autre côté, cela accentua l’attrait pour l’union. En effet, comment serait-il possible de

s’opposer à un projet dont l’objectif serait d’assurer l’épanouissement de la démocratie et de

la liberté, de favoriser la prospérité et le maintien de la paix tout en assurant l’indépendance

des pays membres? Telle était la logique derrière la mise en avant-plan de ces valeurs. Cela

allait par ailleurs de pair avec le fait que l’opinion publique américaine espérait que la

politique étrangère du pays soit morale, même si, en réalité, elle ne l’était pas toujours.

L’apport de considérations de cet ordre était donc vu d’un bon œil par la population255 et

l’accent mis sur la promotion de certaines valeurs dans Union Now fit de la proposition de

Streit une idée se présentant comme étant moralement acceptable et même souhaitable aux

yeux de son public cible, c’est-à-dire les Américains.

Plus encore, la trame de fond du projet cadrait particulièrement bien avec une idée

maîtresse de la culture américaine, avec un mythistoire256 propre à cette société : celui de la

destinée manifeste. Effectivement, cette idée, qui apparut durant les années 1840 pour

justifier l’expansion américaine vers le Texas, l’Oregon et le Mexique, stipule que les États-

Unis ont une mission civilisatrice, qu’ils doivent contribuer à l’amélioration du bonheur de

l’humanité257, trouvait un profond écho dans la proposition de Streit. Sachant

qu’historiquement, les Américains ont eu tendance à percevoir leur expérience nationale

comme un modèle devant susciter l’envie des autres nations258, Union Now s’inscrivait bien

dans cette ligne idéologique, car par l’entremise de cette proposition, les États-Unis auraient

favorisé le développement et le bien-être d’autres sociétés, du moins en théorie.

255 Yves-Henri Nouailhat, Les États-Unis et le monde au XXe siècle, Paris, Armand Colin, 2000, p. 5. 256 Un mythistoire est « tout à la fois, une fiction réaliste, un système d’explication et un message mobilisateur

qui rencontrent une demande de sens, si ce n’est un désir de croyance, chez ses destinataires. »; Jocelyn

Létourneau, « Mythistoires de Losers : introduction au roman historial des Québécois d’héritage

canadien-français », Histoire sociale/Social History, 39, 7 (mai 2006), p. 162. 257 Anders Stephanson, « Manifest Destiny », Paul S. Boyer et al., dir., The Oxford Companion to United

States History, New York, Oxford University Press, 2001, p. 470.; Nouailhat, op. cit., p. 6. 258 Dallek, op. cit., p. 142.

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Pour ainsi dire, le projet avait été expressément pensé pour toucher certaines cordes

sensibles de la société américaine. L’idée contenue dans Union Now était, dans ces

conditions, faite pour plaire à son premier public, celui des États-Unis, ce qui lui conféra un

élan de popularité non négligeable au pays de l’Oncle Sam durant la Seconde Guerre

mondiale.

Si tous les éléments détaillés dans ce chapitre jusqu’à présent eurent une influence

capitale sur l’engouement entourant Union Now et FUI, les campagnes de mobilisation

menées par l’organisation contribuèrent certainement, elles aussi, à canaliser l’opinion

publique en mettant à l’honneur le projet proposé par Streit. C’est pourquoi il importe d’y

porter dès maintenant une attention particulière.

4. La mobilisation, une campagne acharnée de recrutement

Le dernier point à aborder avant de clore ce chapitre sur l’intérêt suscité par Union

Now porte sur la question de l’approche mobilisatrice adoptée par FUI, qui fut marquée par

des efforts de recrutement menés parallèlement sur deux fronts. D’une part, les militants

s’évertuèrent à rallier la population américaine à l’idée internationaliste qu’ils défendaient et

d’autre part, ils s’efforcèrent de mobiliser les élites politiques. Cette attitude divergeait de celle

d’autres regroupements comparables de la période qui visaient surtout à gagner la faveur soit

des élites ou de la population à leur cause, mais rarement les deux de façon parallèle259.

Pour les groupes d’intérêt, la mobilisation constitue sans équivoque la clef de la

réussite ou de l’échec de leurs objectifs et c’est pourquoi il s’agit sans doute de la partie la

plus importante de leurs activités. En effet, afin qu’ils soient en mesure de faire avancer leurs

idées, ces groupes doivent déployer des efforts soutenus leur permettant de saisir les

259 Par exemple, le Carnegie Endowment for International Peace, qui avait pour but d’engendrer, aux États-

Unis, un plus grand intérêt pour les affaires internationales, avait comme principal public cible les

étudiants américains de niveau universitaire. Nous pourrions citer aussi la League of Nations Association

(LNA) qui se souciait surtout d’éduquer la population américaine au sujet de l’internationalisme, malgré

le fait que ses têtes dirigeantes, Clark M. Eichelberger et James T. Shotwell, entretenaient d’étroites

relations avec le gouvernement fédéral américain, chose qui leur sera farouchement reprochée par

plusieurs tenants de l’internationalisme, qui jugeaient qu’il était nécessaire de maintenir ses distances

avec l’État.; Divine, op. cit., p. 21.; Johnstone, Dilemmas of Internationalism: The American Association

for the United Nations and US Foreign Policy, 1941-1948, op. cit., p. 1, 7.

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différents pouls de l’opinion publique. Cela s’accompagne inévitablement de tentatives d’en

modifier, voire d’en contrôler, les tenants et aboutissants : « Estimating the direction and

incidence of public opinions […] goes hand in hand with more or less continuing efforts to

guide and control them260. » Cela passe inévitablement par des efforts de

mobilisation – qualifiés de campagnes de propagande par certains chercheurs, à l’instar du

politologue David B. Truman261.

Or, comme des sondages l’ont démontré, une part non négligeable de la population

interrogée par les sondeurs est systématiquement ignorante lorsqu’on lui pose des questions

d’ordre politique, même lorsqu’il s’agit de problématiques pour lesquelles beaucoup

d’informations ont circulé à travers les médias. David B. Truman, dans The Governmental

Process: Political Interests and Public Opinion (1993), qualifie ce groupe d’individus de

hard core of know-nothings, le noyau dur des ignorants, et souligne, en raison de leur

existence, l’inexactitude d’évoquer le public dans une perspective globale puisque celui-ci se

définit en fonction de chaque situation particulière262. C’est pour cette raison qu’il décrit

l’opinion publique comme suit : « Public opinion, therefore, consists of the opinions of the

aggregate of individuals making up the public under discussion. It does not include all

opinions held by such a set of individuals, but only those relevant of the issue or situation

that defines them as public263. » Considérant cette réalité, il est impératif, pour un groupe

d’intérêt, de chercher à cibler des segments de la population pouvant potentiellement être

réceptifs à ses idées264, bref, d’adapter ses campagnes de mobilisation en fonction des gens

qu’il espère convaincre. Par voie de conséquence, si un groupe d’intérêt considère

souhaitable de tenter de rallier à sa cause divers publics, il devient nécessaire de varier aussi

les moyens utilisés afin de maximiser les chances de capter leur attention.

Selon la vision de Truman, l’opinion publique américaine constituait donc un

amalgame de publics bien distincts. Par son objectif d’envergure, FUI avait donc évidemment

besoin de l’appui du plus grand nombre de ces divers publics afin de pouvoir réalistement

260 David B. Truman, The Governmental Process: Political Interests and Public Opinion, Berkeley, Institute

of Governmental Studies, 1993, p. 213. 261 Ibid. 262 Ibid., p. 219. 263 Ibid. 264 Ibid., p. 215.

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souhaiter l’implantation d’un gouvernement mondial265. Or, dans l’espoir d’obtenir leur

approbation à l’égard du projet, il fallait donc les approcher différemment en mettant en

œuvre une vaste gamme d’activités de mobilisation pouvant rejoindre des individus

différents, aux intérêts différents, au niveau d’éducation variable, aux moyens financiers

différents, etc.

4.1. Faire connaître le mouvement au peuple américain

Pour FUI, il était donc primordial de faire tous les efforts nécessaires pour mobiliser

d’abord le plus de publics possible, afin d’avoir le soutien absolument nécessaire à la

réalisation du projet : « I [Clarence K. Streit] persist on believing that the key to the situation

is still in American public opinion […]266 » En fait, selon un énoncé de politique rendu public

le 4 mai 1943, FUI existait pour deux principales raisons. La première était de faire réfléchir

et d’amener à discuter au sujet des problèmes internationaux et la seconde était justement de

mobiliser suffisamment les Américains pour rendre l’action gouvernementale possible, le

tout dans le but d’atteindre les objectifs internationaux visés par l’ONG267.

Selon plusieurs experts, comme Robert S. Erikson et Kent L. Tedin, Richard Sobel

ainsi que Barbara Bardes et Robert W. Oldendick, il existe une importante adéquation entre

l’opinion publique d’une région donnée et les décisions prises par les élus représentant ce

territoire. Ces spécialistes de la question sont d’avis que les gouvernements modulent leurs

décisions, du moins en partie, en fonction des désirs de la majorité de la population qu’ils

représentent, afin de se faire réélire au prochain scrutin268. Si l’opinion publique dicte

265 « Advertising », Federal Union, Incorporated Director’s Report Submitted at the First National

Convention Cleveland Ohio June 28th, 29th 1941, p. 16, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I : 46,

Convention, 1941, General. 266 Clarence K. Streit, « Lettre de Clarence K. Streit à Frederick L. Schuman », 3 octobre 1942, LOC, Streit

Papers, mm 87065621, Box I : 5, 1942 (1). 267 « Board of Fedeal Union, Inc. Issues of Statement of New Parallel Policy », Union Now, 4 mai 1943, p.

3, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I : 71, Policy statements, 1941-1945. 268 Robert S. Erikson et Kent L. Tedin soutiennent par contre qu’il n’est pas impérativement nécessaire que

les politiciens tiennent compte de l’opinion publique afin d’être réélus. Selon les statistiques qu’ils

avancent, les représentants au Congrès aspirant à être élus pour un mandat subséquent sont réélus 90%

du temps, de façon générale. Les sénateurs, eux, voient habituellement leur taux de réélection être

légèrement plus bas, alors que les gouverneurs sont ceux qui risquent le plus de payer le prix d’une

mauvaise prise en considération de l’opinion publique américaine, ceux-ci étant réélus à 80%, lorsqu’ils

se présentent de nouveau comme candidats. Cela dit, ils ajoutent qu’en dépit de ces forts taux de

réélection et de la difficulté que les politiciens ont parfois à saisir l’opinion publique, ils essaient

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rarement avec précision les politiques d’un gouvernement, elle fournit néanmoins les larges

lignes directrices servant de guides aux élus afin qu’ils sachent les limites dans lesquelles ils

ont la liberté d’agir sans être punis par le peuple aux élections269. Les groupes d’intérêt,

comme FUI, notamment, jouent dans cette dynamique le rôle d’intermédiaires liant la

population au gouvernement; ils sont les vecteurs de la transmission des opinions vers l’État

et agissent de façon bilatérale, c’est-à-dire en tentant de façonner les opinions du ou des

publics ciblés d’une part, et d’autre part, en essayant d’influencer les autorités politiques270.

Cela dit, il n’est absolument pas nécessaire qu’un consensus soit présent pour que les

autorités politiques portent une attention aux opinions existantes271. Par conséquent, FUI ne

devait pas forcément convaincre la majorité des Américains du bien-fondé de l’idée de Streit

pour que le gouvernement américain lui porte une attention, mais il fallait tout de même

mobiliser une part suffisamment importante de la population pour y arriver, de là

l’importance cruciale de mener des campagnes de mobilisation bien structurées.

FUI consacra donc une très large partie de ses activités à essayer de se rallier la plus

grande part possible des publics américains. Puisque ces activités étaient d’une variété

remarquable, il est donc plus commode de les regrouper en quelques catégories afin de

dresser un portrait clair des stratégies de mobilisation utilisées par cette ONG. Trois

principales techniques furent adoptées par l’organisation, qui tenta de catalyser un

engouement pour sa cause aux États-Unis par l’entremise de rassemblements publics, par la

voie des médias et par la sollicitation directe.

D’abord, l’un des moyens privilégiés par l’organisation pour faire connaître ses

objectifs consistait en la tenue de discours publics. L’analyse de nos archives dévoila que

Streit était sans l’ombre d’un doute l’individu le plus impliqué de FUI sur ce plan. Bien qu’il

néanmoins de la considérer lors de leurs prises de décisions parce qu’ils craignent malgré tout de se faire

montrer le chemin de la sortie au prochain scrutin.; Robert S. Erikson et Kent L. Tedin, American Public

Opinion: Its Origins, Content, and Impact, Boston, Allyn and Bacon, 1995, p. 302.; Sobel, op. cit., p.

11, 24.; Barbara A. Bardes et Robert W. Oldendick, Public Opinion: Measuring the American Mind,

Belmont, Wadsworth Publishing, 2000, p. 9-10. 269 Sobel, op. cit., p. 24. 270 Milbrah, loc. cit., p. 246.; Berry, Lobbying for the People: The Political Behavior of Public Interest

Groups, op. cit., p. 97. 271 Key, op. cit., p. 14.

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ne fut pas le seul à s’adonner à ce type d’activité promotionnelle272, il était de loin celui qui

agissait le plus à titre d’orateur pour le compte de son ONG. Effectivement, il lui arrivait

régulièrement de partir pendant quelques semaines afin d’effectuer des tournées de

conférences un peu partout à travers les États-Unis. Cela lui permit notamment de donner des

dizaines de communications sur son projet entre 1939 et 1945, lors d’événements qui

pouvaient parfois réunir jusqu’à 1 800 personnes et même plus273. Les ralliements de ce genre

ainsi que les soupers-bénéfice organisés par FUI constituaient d’excellents moyens de

générer un engouement à l’égard du mouvement, surtout si des orateurs de qualité étaient

invités à y discourir274. C’est ainsi qu’un souper organisé par FUI dans la région de New

York à l’hiver 1941, avec l’aide d’une firme spécialisée en levées de fonds275, fut en mesure

de devenir un franc succès. Grâce à des conférenciers de renom comme la politicienne Clare

Boothe Luce, l’écrivain et prix Nobel de la littérature Thomas Mann, l’acteur Raymond

272 « Union Now. Roberts Asks World Union », Union Now Bulletin, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box

II : 38, Roberts, Justice Owen J., 1941-1943.; « Federal Union Speakers Bureau 1940 -- 1941 Season »,

Supplement Federal Union Director’s Report, Convention de Cleveland, 28-29 juin 1941, p. 15, LOC,

Streit Papers, mm 87065621, Box I : 54, Financial Reports, 1939-50. 273 Auteur inconnu, « Lettre d’un auteur inconnu à Frazier Potts », 9 juin 1939, LOC, Streit Papers, mm

87065621, Box I : 5, 1939 (1).; Clarence K. Streit, « Lettre de Clarence K. Streit à Owen J. Roberts »,

24 septembre 1942, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box II : 38, Roberts, Justice Owen J., 1941-

1943.; Clarence K. Streit, « Report to the National Board of Federal Union », 4 novembre 1942, p. 1,

LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box II : 25, Board of Federal Union, Inc., 1941-1954.; « 1800 Hear

Talk In Louisville », Inter-democracy Federal Unionists, Union Now Bulletin, 2, 1 (janvier 1940), p. 1,

LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box II : 36, Publications, Union Now Bulletin, 1939-41.; « Streit

Hailed By L. A. Civic Leaders », Inter-democracy Federal Unionists, Union Now Bulletin, 2, 1 (janvier

1940), p. 10, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box II : 36, Publications, Union Now Bulletin, 1939-

41.; Rita Carlin, « Speaker’s Bureau Has Long List For New Year », Inter-democracy Federal Unionists,

Union Now Bulletin, 2, 1 (janvier 1940), p. 15, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box II : 36,

Publications, Union Now Bulletin, 1939-41.; « Lettre de Streit à Eleanor Roosevelt », 13 juin 1940,

LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I : 32, Roosevelt, Eleanor, 1939-1943.; Clarence K. Streit,

« Lettre de Clarence K. Streit à Alice Black », 12 mars 1945, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box

I : 6, 1944-1946.; « Mr. Streit Makes Ten-Day Speaking Tour in the Midwest Area », Union Now

Headquarters Bulletin, 27 (12 décembre 1941), p. 3, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I : 76,

Publications, Headquarters Bulletin, 1940-1941.; « C. K. S. Leaves for Speaking Tour », Union Now

Headquarters Bulletin, 23 (23 septembre 1941), p. 2, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I : 76,

Publications, Headquarters Bulletin, 1940-1941.; « Chief Speakers’ February Tours Gratifying », Inter-

democracy Federal Unionists, Union Now Bulletin, 2, 3 (février 1940), p. 5, LOC, Streit Papers, mm

87065621, Box II : 36, Publications, Union Now Bulletin, 1939-41.; « Federal Union Speakers Bureau

1940 -- 1941 Season », Supplement Federal Union Director’s Report, Convention de Cleveland, 28-29

juin 1941, p. 15, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I : 54, Financial Reports, 1939-50. 274 « Advertising », Federal Union, Incorporated Director’s Report Submitted at the First National

Convention Cleveland Ohio June 28th, 29th 1941, p. 9, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I : 46,

Convention, 1941, General. 275 Cette firme s’appelait Tamblyn and Brown.; « Finances », Federal Union, Incorporated Director’s Report

Submitted at the First National Convention Cleveland Ohio June 28th, 29th 1941, p. 9, LOC, Streit

Papers, mm 87065621, Box I : 46, Convention, 1941, General.

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Massey, la célèbre journaliste Dorothy Thompson et bien sûr Clarence K. Streit, l’événement

amena 1 803 personnes à payer un couvert de 5,00$ afin de participer au repas et 200 autres

à payer un moindre frais simplement pour y assister. Une quarantaine de personnes travaillant

pour la presse et des agences de photographies se déplacèrent aussi en raison du

rassemblement, de même que 82 invités d’honneur. Il en découla une couverture médiatique

considérable, l’obtention de dons substantiels, un accroissement du nombre de membres de

FUI dans la région de New York et une augmentation des ventes de documents en lien avec

la proposition276. Certes, le recours à un personnel d’expertise pour donner des

communications ou encore organiser des événements, comme cette organisation le fit,

optimisa l’impact des activités de mobilisation sur la population américaine.

Qui plus est, les campagnes de promotion du mouvement de Streit passèrent aussi par

le biais des médias, autant radiophoniques qu’imprimés. Pour sa part, la radio servit

notamment de médium de choix pour diffuser le message de FUI. Effectivement, cette ONG

réussit à obtenir du temps d’antenne sur les ondes de multiples stations de radio situées dans

plus d’une trentaine d’États américains277. Via ce moyen de communication, il fut donc

possible de rejoindre, directement à leur domicile, un nombre important de citoyens et de

leur faire prendre connaissance de l’alternative que représentait la proposition Union Now

comme solution à l’instabilité sur la scène internationale. Qui plus est, la publication

d’articles dans les journaux et les magazines offrit aussi une fenêtre de choix pour faire

connaître le projet. Comme nous l’avons exposé en début de chapitre lorsque nous avons

traité de la place du mouvement dans les médias, celui-ci fut l’objet de nombreux articles

dans les journaux à travers les États-Unis, de même que dans plusieurs magazines, souvent

nationaux278. Si ces articles n’émanèrent pas tous, pour la majorité, d’initiatives relevant

directement de FUI, ils constituèrent néanmoins un excellent moyen d’informer la population

américaine au sujet du mouvement et l’organisation ne pouvait que s’en réjouir. Des

276 « Finances », Federal Union, Incorporated Director’s Report Submitted at the First National Convention

Cleveland Ohio June 28th, 29th 1941, p. 9, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I : 46, Convention,

1941, General.; « ‘Union Now Urged by Notables Here’ », New York Times, 23 janvier 1941, p. 10 L. 277 « Director’s Report to The National Committee », 10 décembre 1940, p. 3, LOC, Streit Papers, mm

87065621, Box I : 41, Board Meetings, General, 1940. 278 Rappelons par exemple que de mars à juin 1941, inclusivement, 33 788 pouces d’articles portant sur le

mouvement furent recensés par le service des coupures de journaux à travers les États-Unis et que ce

chiffre n’est pas exhaustif.; « Publicity », Union Now Headquarters Bulletin, 21 (13 août 1941), p. 4,

LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I : 76, Publications, Headquarters Bulletin, 1940-1941.

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campagnes publicitaires furent aussi choisies comme méthode visant à faire parler du

mouvement à travers des journaux et des magazines, dont certains jouissant d’une notoriété

indéniable, comme le New York Times279. L’organisation produisit de surcroît de nombreuses

affiches présentant des illustrations et un texte expliquant le programme de Streit. FUI les

afficha à divers endroits dans les régions métropolitaines des États-Unis, notamment à

Boston, où des pancartes publicitaires furent installées dans le métro de la ville, par

exemple280.

Enfin, la sollicitation directe, par la distribution et la vente de matériel promotionnel,

constitua le dernier type d’activité de mobilisation privilégié par FUI. Sur ce plan, cette

organisation profitait de rassemblements de diverses natures pour mettre à la disposition des

individus présents des items visant soit à les informer par rapport aux idées défendues par le

regroupement ou tout simplement à les mettre au courant de son existence. FUI distribuait

ou vendait donc, lors de conventions ou de colloques, dans des bibliothèques publiques, dans

des rencontres à caractère religieux ou autre, des objets allant notamment de brochures

explicatives, à des copies d’articles de magazines sur le mouvement, à des boutons de

manchettes, en passant par des autocollants et des cartons d’allumettes à l’effigie de

279 Parmi les journaux et magazines ayant publié des publicités de Union Now, nous avons notamment recensé

l’Editor and Publisher, l’American Scandinavian Good-Will Magazine, le New York Times, le Des

Moines Register Tribune, le San Francisco Chronicle, le Boston Transcript, le Boston Globe, l’Albion

Recorder, le Pittsburgh Post-Gazette, le Lock Haven Express, le Augusta Chronicle et le Chicago Sun.

Il est évidemment possible que de telles publicités aient aussi été imprimées dans d’autres journaux et

magazines sans qu’il en ait été mention dans le corpus d’archives que nous avons analysées. Pour voir

une publicité parue dans le New York Times le 15 juillet 1940, consultez l’annexe 1.; « Minutes of the

National Executive Committee Federal Union, Inc. », 30 septembre 1940, p. 2, LOC, Streit Papers, mm

87065621, Box I : 41, Board Meetings, General, 1940.; John Klein, « Union Now Day », The Student

Federalist, 1, 5a (8 mai 1941), LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box II : 38, Student Federalists,

1941.; « New York Chapter Publishes Ad in New York Times », Union Now Headquarters Bulletin, 2

(3 septembre 1940), p. 1, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I : 76, Publications, Headquarters

Bulletin, 1940-1941.; « Liaison Man Extraordinary », Union Now Headquarters Bulletin, 12 (21 février

1941), p. 1, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I : 76, Publications, Headquarters Bulletin, 1940-

1941.; « Initiative », Union Now Headquarters Bulletin, 1 (15 août 1940), p. 3, LOC, Streit Papers, mm

87065621, Box I : 76, Publications, Headquarters Bulletin, 1940-1941.; Nell Lothrop Forstall, « Lettre

de Nell Lothrop Forstall à Clarence K. Streit », 12 février 1942, LOC, Streit Papers, mm 8706562, Box

I : 5, 1942 (2).; « 1800 Hear Talk In Louisville », Inter-democracy Federal Unionists, Union Now

Bulletin, 2, 1 (janvier 1940), p. 1, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box II: 36, Publications, Union

Now Bulletin, 1939-41.; Clarence K. Streit, « Defense now needs Union Now », New York Times, 15

juillet 1940, p. L 11. 280 « A Real Service To Locals », Union Now Headquarters Bulletin, 5 (15 octobre 1940), p. 1, LOC, Streit

Papers, mm 87065621, Box I : 76, Publications, Headquarters Bulletin, 1940-1941.; « Boston Subway

Advertising », Union Now Headquarters Bulletin, 15 (15 avril 1941), p. 3, LOC, Streit Papers, mm

87065621, Box I : 76, Publications, Headquarters Bulletin, 1940-1941.

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l’organisation281. Bref, le matériel promotionnel était très diversifié, de façon à rejoindre un

public élargi. Concrètement, cette sollicitation directe se fit par l’installation de tables, avec

des bénévoles assurant la distribution du matériel sur les lieux d’un événement ou dans des

commerces, comme le fit la division féminine du chapitre de Summit, au New Jersey, à

l’automne 1940282. Ce mode de mobilisation passa parfois aussi par des envois postaux qui,

combinés avec les publicités, comptèrent pour approximativement 30% des dépenses de FUI,

soit une proportion significative des budgets de l’organisation283. Celle-ci offrait d’ailleurs

un service de révision à ses chapitres souhaitant faire retoucher et bonifier ses lettres et son

matériel écrit destinés à être distribués ou envoyés dans les foyers américains. Des experts

en publicité étaient alors mandatés d’apporter les corrections permettant d’accroître la qualité

et, conséquemment, l’impact potentiel de ces documents284.

Bref, le cœur des activités de mobilisation menées par FUI reposait sur un principe

fondamental : celui de la diversité. En axant ses campagnes sur des approches variées,

l’organisation pouvait ainsi aspirer à rejoindre plusieurs publics différents composés de

personnes aux horizons et aux intérêts multiples.

4.2. Faire parler du mouvement au sein du gouvernement américain

Le second volet de la mobilisation menée par FUI et ses adeptes, comme nous l’avons

souligné, était de faire appel aux élites politiques. De fait, si l’organisation souhaitait

fermement convaincre les masses américaines des bienfaits du projet qu’elle mettait de

l’avant, elle ne laissa pas pour autant de côté la classe politique du pays. Via des techniques

281 Clarence K. Streit, « Lettre de Clarence K. Streit à Joe », 20 février 1944, LOC, Streit Papers, mm

87065621, Box I : 5, 1939 (1).; Nos recherches n’ont pas permis de préciser advantage l’identité de

l’individu prénommé Joe cité précédemment.; « New littérature for Free Distribution », Union Now

Headquarters Bulletin, 17 (22 mai 1941), p. 3, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I : 76,

Publications, Headquarters Bulletin, 1940-1941.; « Lapel Buttons, Matches, Car Stickers », Union Now

Headquarters Bulletin, 16 (5 mai 1941), p. 3, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I : 76,

Publications, Headquarters Bulletin, 1940-1941.; John Klein, « Union Now Day », The Student

Federalist, 1, 5a (8 mai 1941), LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box II : 38, Student Federalists, 1941. 282 « Want to Try This? », Federal Union, Inc., Headquarters Bulletin, 6 (1 août 1940), p. 3, LOC, Streit

Papers, mm 87065621, Box I : 76, Publications, Headquarters Bulletin, 1940-1941. 283 « Federal Union Lists $ 125,000 Contributions », New York Herald Tribune, 29 avril 1941, LOC, Streit

Papers, mm 87065621, Box I : 76, Publications, Headquarters Bulletin, 1940-1941. 284 Union Now Headquarters Bulletin, 5 (15 octobre 1940), p. 1, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I :

76, Publications, Headquarters Bulletin, 1940-1941.

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de lobbying direct285, FUI avait pour objectif de construire un réseau avec les élus, d’essayer

d’entrer en contact avec eux et de les sensibiliser à la proposition de fédération mondiale de

Streit, pour ensuite pousser les choses plus loin en essayant d’amener le projet à se concrétiser

dans la législature américaine.

Cela ne constituait pas, par contre, une mince tâche à accomplir. Manifestement,

établir des liens significatifs avec des membres importants d’un gouvernement représente

toujours un défi de taille puisqu’en raison de leur rôle, ces personnes sont habituellement très

occupées et ont peu de temps à accorder aux nombreux individus qui les sollicitent

quotidiennement286. Néanmoins, le travail acharné mené par FUI et tout particulièrement par

Streit permit à l’organisation de tisser des liens avec les plus hautes sphères

gouvernementales américaines, ce qui constitua un exploit hors du commun.

La base de ce travail de mobilisation reposa essentiellement sur l’envoi de courrier à

certains élus ciblés par FUI, dans le but de leur faire connaître le mouvement. Ainsi, à

plusieurs reprises, Streit écrivit directement à des sénateurs, à des représentants au Congrès

ou à d’autres politiciens afin de leur demander de lui accorder un entretien téléphonique ou

encore de les rencontrer en personne. Pour maximiser les chances qu’elles soient lues, ces

lettres étaient soigneusement rédigées dans le but d’être à la fois concises et précises287. Le

représentant John W. McCormack (démocrate, Massachusetts), les sénateurs Joseph H. Ball

(républicain, Minnesota), Lister Hill (démocrate, Alabama), Clyde L. Herring (démocrate,

Iowa), James M. Mead (démocrate, New York), Charles O. Andrews (démocrate, Floride) et

même le futur président Harry S. Truman (démocrate, Missouri) sont quelques-uns parmi

285 Le lobbying direct est une technique prisée par les groupes d’intérêt visant à entrer directement en contact

avec des membres du gouvernement en place. Cette stratégie est réputée particulièrement efficace pour

faire connaître ses besoins et ses objectifs aux élus et obtenir des résultats en retour. Toutefois, malgré

ses retombées intéressantes et les faibles coûts financiers qui lui sont associés, l’établissement de tels

liens représente un défi important puisque les politiciens sont souvent difficiles à approcher, notamment

en raison de leur emploi du temps très chargé.; Hrebenar, op. cit., p. 79, 105, 110. 286 Hrebenar, op. cit., p. 105. 287 Clarence K. Streit, « Lettre de Clarence K. Streit à Joseph Ball », 6 avril 1942, LOC, Streit Papers, mm

87065621, Box I : 5, 1942 (2).; Clarence K. Streit, « Lettre de Clarence K. Streit à Lister Hill », 6 avril

1942, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I : 5, 1942 (2).; Clarence K. Streit, « Lettre de Clarence

K. Streit à Clyde L. Herring », 6 avril 1942, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I : 5, 1942 (2).

Streit, « Lettre de Clarence K. Streit à John M. Vorys », 6 avril 1942, LOC, Streit Papers, mm 87065621,

Box I : 5, 1942 (2).; Clarence K. Streit, « Lettre de Clarence K. Streit à John W. McCormack », 6 avril

1942, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I : 5, 1942 (2).

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tous les hommes politiques à qui Streit écrivit entre 1939 et 1945288. Selon certains

chercheurs, à l’instar du politologue Jeffrey M. Berry, cette technique de lobbying, consistant

à présenter personnellement un enjeu à des membres du gouvernement, est considérée

comme étant la plus efficace et comme celle donnant le plus de résultats concrets289.

Au final, pour FUI, cette approche fut plutôt bénéfique, dans la mesure où Streit obtint

à plusieurs occasions des réponses de ses destinataires290. Or, le simple fait d’obtenir une

rétroaction, que celle-ci soit favorable ou non, représentait une réussite pour l’organisation

parce que cela prouvait qu’elle avait été en mesure de percer les nombreux filtres limitant

l’accès direct aux élus et que le propos avait suscité suffisamment d’intérêt pour amener le

destinataire à y réagir291.

Ces efforts de promotion du mouvement promut par FUI auprès des élites politiques

amenèrent Streit à obtenir des rendez-vous avec quelques individus hauts placés dans la

sphère politique américaine. Par exemple, il rencontra le secrétaire à la Guerre Henry L.

Stimson le 26 mars 1941 et le sénateur Gerald Nye (républicain, Dakota du Nord) le

lendemain. Il discuta avec les sénateurs Arthur Capper (républicain, Kansas) et Joseph Ball

(républicain, Minnesota) de même qu’avec le démocrate Dean Acheson, sous-secrétaire

d’État démocrate292. Il obtint de surcroît le privilège de participer à un souper à la Maison-

Blanche en compagnie d’une vingtaine d’invités ainsi que du président démocrate Franklin

D. Roosevelt et de sa femme, le 5 janvier 1940. Bien qu’à l’occasion de cet événement Streit

ne fut pas en mesure de discuter en privé avec le président, comme il l’aurait souhaité, il fut

288 Clarence K. Streit, « Lettre de Clarence K. Streit à John W. McCormack », 6 avril 1942, LOC, Streit

Papers, mm 87065621, Box I : 5, 1942 (2).; Clarence K. Streit, « Lettre de Clarence K. Streit à Joseph

Ball », 6 avril 1942, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I : 5, 1942 (2).; Clarence K. Streit, « Lettre

de Clarence K. Streit à Lister Hill », 6 avril 1942, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I : 5, 1942

(2).; Clarence K. Streit, « Lettre de Clarence K. Streit à Clyde L. Herring », 6 avril 1942, LOC, Streit

Papers, mm 87065621, Box I : 5, 1942 (2); Clarence K. Streit, « Lettre de Clarence K. Streit à Jas M.

Mead », 6 avril 1942, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I : 5, 1942 (2).; Clarence K. Streit, « Lettre

de Clarence K. Streit à Charles O. Andrews », 12 août 1941, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I :

89, U.S. Congress, Form Letters, 1941.; Harry S. Truman, « Lettre de Harry S. Truman à Clarence K.

Streit », 21 février 1942, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I : 5, 1942 (2). 289 Berry, Lobbying for the People: The Political Behavior of Public Interest Groups, op. cit., p. 214. 290 Robert Taft, « Lettre de Robert Taft à Clarence K. Streit », 21 février 1942, LOC, Streit Papers, mm

87065621, Box I : 5, 1942 (2).; Harry S. Truman, « Lettre de Harry S. Truman à Clarence K. Streit »,

21 février 1942, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I : 5, 1942 (2). 291 Milbrah, loc. cit., p. 242. 292 Clarence K. Streit, « Summary of Talks by Clarence K. Streit », 26-27 mars 1941, p. 1, 3, LOC, Streit

Papers, mm 87065621, Box I : 86, Talks with World Leaders, CKS, 1942-43, 1950-51.

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malgré tout en mesure de lui exprimer quelques-unes de ses idées293. Ainsi, il put approcher

directement le président des États-Unis. Il s’agissait-là manifestement d’un important succès

pour FUI, surtout considérant à quel point il peut être difficile, pour un groupe d’intérêt,

d’obtenir un tel rendez-vous pour livrer son message directement aux hommes politiques en

place294.

Toutefois, si l’établissement de contacts entre Streit et les élus de Washington est un

indicateur significatif de l’influence de plus en plus grande que prenait le mouvement à

travers les États-Unis durant la Seconde Guerre mondiale, le cheminement de l’idée jusqu’à

l’avant-scène de l’arène politique est encore plus révélateur.

Au Capitole, en 1940, les débats parlementaires ont, à quelques occasions, mis sur la

table l’idée proposée par Streit. Ce fut notamment le cas en octobre 1940, alors que Union

Now fut discuté par le sénateur Joel Bennett Clark (démocrate, Missouri), comme le relata le

Congressional Record295. De surcroît, un discours de Streit, le Free New Speech, fut aussi

réimprimé dans cette publication en 1944296.

Plus encore, au niveau des États, quelques résolutions reprenant les principes étayés

dans Union Now furent présentées devant l’Assemblée législative de la Pennsylvanie et du

Massachusetts. Par exemple, le 14 juin 1941, le démocrate Carlton T. Woodring, représentant

le comté de Northampton, introduisit à la Chambre des Représentants et au Sénat de la

Pennsylvanie une résolution recommandant au président des États-Unis ainsi qu’au Congrès

la création d’une union fédérale des démocraties. Selon nos sources, cette percée pour le

mouvement de Streit aurait été attribuable au chapitre de Philadelphie de FUI, qui aurait

sollicité les efforts de ses membres afin qu’ils mettent la pression nécessaire via l’envoi de

lettres et de télégrammes pour que la résolution soit mise de l’avant297. De plus, au

293 Clarence K. Streit, « Lettre de Clarence K. Streit à M. et Mme Henry Luce », 6 avril 1941, LOC, Streit

Papers, mm 87065621, Box I : 46, Convention, 1941, General.; Clarence K. Streit, « Lettre de Clarence

K. Streit à Karl Mundt », 6 novembre 1945, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I : 6, 1944-1946. 294 Milbrah, loc. cit., p. 239. 295 « A Real Service To Locals », Union Now Headquarters Bulletin, 5 (15 octobre 1940), p. 1, LOC, Streit

Papers, mm 87065621, Box I : 76, Publications, Headquarters Bulletin, 1940-1941. 296 « Meeting Minutes of the Executive Committee/of Federal Union, Inc. », 17 décembre 1944, p. 4, LOC,

Streit Papers, mm 87065621, Box I : 52, Executive Committee, 1940-1944, 1948. 297 « Resolution Before Pennsylvania Legislature », Union Now Headquarters Bulletin, 19 (3 juillet 1941),

p. 4, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box II : 36, Publications, Union Now Bulletin, 1939-41.; « Text

of Resolution Urging the Creation of a Federal Union of Democracies Introduced Concurrently to the

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Massachusetts, en janvier 1943, un ensemble de résolutions intitulées « Resolutions

Memorializing the President and the Congress to Call a Convention of Representatives of All

Free Peoples to Frame a Federal Constitution Under Which They May Unite in a Democratic

World Government298 » furent aussi présentées au Sénat de cet État. Quelques mois plus tard,

en mars 1943, toujours dans ce même État, d’autres résolutions titrées cette fois-ci

« Resolutions Memorializing the President and the Congress to Formulate Plans for the

Enforcement of World Peace by a Federation of Nations, Implemented by an International

Police Force » furent introduites devant la législature. Elles reprenaient presque

textuellement la plupart des idées maîtresses ayant guidé Streit dans sa démarche, notamment

l’imminence d’un danger international, l’impossibilité de demeurer isolé par rapport à celui-

ci, l’échec des alliances comme moyen d’apaiser les tensions ainsi que le désir de voir le

président américain et le Congrès formuler des plans dans le but de constituer une fédération

interétatique dotée d’une force coercitive299.

Cela dit, si ces éléments sont des signes parlants du chemin parcouru par le plan de

remaniement de l’ordre international de Streit, le fait que ce dernier fut introduit

formellement dans le cadre de scrutins à travers les États-Unis est encore plus révélateur de

l’influence de cette idée durant la Seconde Guerre mondiale au pays de l’Oncle Sam. En

effet, l’idée chemina suffisamment dans les canaux de la gouvernance pour faire l’objet d’un

vote dans environ un quart des districts électoraux de l’État, soit 42 des 164 districts. Parmi

les citoyens ayant voté sur la question, 202 503 se prononcèrent en faveur de celle-ci, contre

67 691 qui s’y opposèrent, et aucun district ne rejeta la proposition300.

State Senate and House of Representatives of the Pennsylvania Legislature by Carleton T. Woodring

(D—Northampton), June 14, 1941 », Union Now Headquarters Bulletin, 20 (11 juillet 1941), annexes

1-2, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I : 76, Publications, Headquarters Bulletin, 1940-1941. 298 « Resolutions Memorializing the President and the Congress to call a Convention of Representatives of

All Free Peoples to Frame a Federal Constitution Under Which They May Unite in a Democratic World

Government », The Commonwealth of Massachusetts, Sénat No. 333, Janvier 1943, p. 1-7, LOC, Streit

Papers, mm 8706562, Box I : 44, Chapters, Boston, Massachusetts, 1943. 299 Pour revoir les grands principes du projet de Streit, revoyez la section « Les lignes directrices de Union

Now » du present mémoire aux pages 33 à 36.; « Resolutions Memorializing the President and the

Congress to Formulate Plans For the Enforcement of World Peace By a Federation of Nations,

Implemented by an International Police Force », The Commonwealth of Massachusetts, Sénat No. 433,

Mars 1943, p. 2-3, LOC, Streit Papers, mm 8706562, Box I : 44, Chapters, Boston, Massachusetts, 1943. 300 « Final results of vote on World Federation for a special story or any use you wish to make of it »,

Massachusetts Committee of Federal Union, non daté, p. 1-2, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box

I : 44, Chapters, Boston, Massachusetts, 1943.

Page 85: De la popularité à l’obscurité · 2020-07-30 · De la popularité à l’obscurité: Les rouages de la montée et du déclin de Federal Union, Inc. aux États-Unis, 1939-1945

78

***

Dans ce chapitre, nous avons d’abord exploré les succès obtenus par Clarence K.

Streit ainsi que ses partisans. Nous avons vu que le mouvement s’est rapidement propagé à

travers la population et les élites politiques américaines, en plus de faire allègrement parler

de lui dans les médias du pays. Nous avons ensuite cherché à comprendre les raisons pour

lesquelles FUI fut en mesure de gagner autant en popularité durant le second conflit mondial

aux États-Unis. Nous avons expliqué ce phénomène par trois facteurs, à savoir le caractère

novateur de la solution offerte par Streit aux ratés du système-monde, la structure de la

rhétorique argumentative privilégiée par les militants de FUI ainsi que les efforts déployés

pour mettre en œuvre des campagnes de financement les plus efficaces possible. À l’opposé,

le troisième et dernier chapitre de ce mémoire, pour sa part, nous offrira l’occasion d’étudier

la source du déclin du mouvement aux termes de la Seconde Guerre mondiale.

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79

Chapitre III. L’agonie d’un mouvement : l’essoufflement de Federal

Union, Inc.

Le mouvement de Clarence K. Streit, en dépit de ses succès marqués au début de la

guerre, cessa de gagner en popularité après seulement quelques années d’existence. Cette

stagnation, suivie d’un déclin progressif, s’explique par divers éléments qui, les uns

additionnés aux autres, furent suffisants pour freiner l’élan d’enthousiasme suscité par Streit

et ses idées aux États-Unis. Dans ce chapitre, un portrait de cet essoufflement sera d’abord

dressé, avant de poursuivre en expliquant les composantes qui en sont à l’origine.

1. Quelle stagnation?

1.1. Le ralentissement de l’expansion et l’enlisement des campagnes de mobilisation

Au cours du chapitre précédent, nous avons fait état de l’accroissement somme toute

étonnant du nombre de membres et de branches de FUI à travers les États-Unis ainsi que de

la place occupée par le mouvement dans ce pays durant la Seconde Guerre mondiale. Il en

est ressorti qu’avec ses 10 000 membres atteints en 1944301, un intérêt pour les idées de Streit

s’était développé à l’époque au pays de l’Oncle Sam. Toutefois, en comparant ces données

avec celles concernant le célèbre regroupement America First Committee (AFC) en 1941,

elles semblent beaucoup moins spectaculaires. Effectivement, à la veille de l’attaque de Pearl

Harbor, le 7 décembre 1941, cette organisation comptait pour sa part non moins de 850 000

Américains parmi ses rangs302, un chiffre très impressionnant en comparaison avec les 10 000

partisans officiels de FUI à son apogée. De surcroît, si le nombre de chapitres de FUI n’avait

cessé de croître entre sa formation en 1939 et la fin de l’année 1942, les années suivantes

furent marquées par un recul du nombre de branches de l’organisation. À son paroxysme en

termes de nombre de chapitres, soit en 1942, cette ONG en comptait 120, mais en 1944, elle

301 Clarence K. Streit, « History of Federal Union », The Purpose, Character, Technique, History, Present

Position & Prospects of Federal Union, Inc., 1er avril 1944, p. 5, LOC, Streit Papers, mm 87065621,

Box I : 57, Foundations, General, 1942-1951. 302 Étant donné qu’AFC défendait, tout comme FUI, une vision particulière du rôle des États-Unis sur la scène

internationale, nous croyons qu’il est possible de comparer les deux organisations.; Justus D. Doenecke,

« American Isolationism, 1939-1941 », Journal of Libertarian Studies, 1, 2-3 (1982), p. 210.

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n’en avait plus que 95303. Cette régression est révélatrice d’un repli de l’organisation même

si globalement, le nombre de membres s’accrut de 2 000 individus entre 1942 et 1944,

passant de 8 000 à 10 000304. Elle indique effectivement que FUI éprouva des difficultés à

s’établir de façon durable à certains endroits aux États-Unis. D’ailleurs, sur une carte

géographique répertoriée dans les archives de Streit et illustrant la répartition du nombre de

membres sur le territoire américain, il est frappant de constater la disparité territoriale sur ce

plan. Certaines régions, notamment le Sud, le Mid-Ouest et le Nord-Ouest américain,

semblaient littéralement impénétrables. On y retrouvait en effet que très peu d’adhérents

comparativement à la Nouvelle-Angleterre, à la région des Grands Lacs et à la Californie, où

les partisans se faisaient plus nombreux, même s’ils n’étaient malgré tout pas extrêmement

abondants là-bas non plus305. En fait, jamais l’organisation ne regagnerait son remarquable,

mais bref élan ayant caractérisé son existence dans les premiers temps de la Seconde Guerre

mondiale306.

Qui plus est, en dépit d’un départ prometteur, les campagnes de mobilisation

s’enlisèrent elles aussi assez rapidement peu après les débuts du mouvement. Même si des

initiatives ponctuelles somme toute nombreuses furent menées tout au long de la guerre de

303 « Finances », Federal Union, Incorporated Director’s Report Submitted at the First National Convention

Cleveland Ohio June 28th, 29th 1941, p. 13, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I : 46, Convention,

1941, General.; « New Chapters and Regional Committees », Union Now Headquarters Bulletin, 20 (11

juillet 1941), p. 4, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I : 76, Publications, Headquarters Bulletin,

1940-1941.; Clarence K. Streit, « Lettre de Clarence K. Streit à Buell », 20 décembre 1942, LOC, Streit

Papers, mm 87065621, Box I : 5, 1942 (1).; Clarence K. Streit, « History of Federal Union », The

Purpose, Character, Technique, History, Present Position & Prospects of Federal Union, Inc., 1er avril

1944, p. 5, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I : 57, Foundations, General, 1942-1951. 304 [Prénom inconnu] Cole, « Saturday Morning – Executive session », Federal Union, Inc., Hotel Statler, St.

Louis, Missouri, June 26, 27 and 28, 1942, 27 juin 1942, p. 206, LOC, Streit Papers, mm 87065621,

Box II : 27, Conventions 1942 (2).; « Federal Union Lists $ 125,000 Contributions », New York Herald

Tribune, 29 avril 1941, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I : 76, Publications, Headquarters

Bulletin, 1940-1941. 305 La carte n’est pas datée, mais son titre, soit « I.F.U. Membership in U.S.A. by states and sources of

financial support », dans la mesure où il fait référence à IFU, laisse présager qu’elle illustre la situation

avant le 25 juillet 1940, soit avant que l’organisation ne change de nom pour FUI.; Consultez l’annexe

2 pour voir la carte en question.; « I.F.U. Membership in U.S.A. by states and sources of financial

support », non daté, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I : 65, Inter-Democracy of Federal

Unionists 1939-1942.; « Certificate of Change of Name of Inter-Democracy Federal Unionists, Inc. »,

25 juillet 1940, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I : 65, Inter-Democracy of Federal Unionists

1939-1942. 306 Divine, op. cit., p. 163.

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1939 à 1945, l’absence d’une campagne de souscription continuelle307 paralysa le

mouvement, l’empêchant de continuer à prendre de l’expansion sur tous les plans. Dans un

rapport émanant de FUI soumis à la convention de Cleveland les 28 et 29 juin 1941, il est

d’ailleurs indiqué qu’au milieu de l’été 1940, le regroupement était tombé littéralement dans

un état de dormance308. Malheureusement, il est excessivement difficile d’évaluer

concrètement l’ampleur de cet état de dormance. En effet, nous ne détenons aucune

statistique systématique répertoriant le nombre d’activités menées par FUI, la quantité de

produits promotionnels distribués ou vendus à travers les États-Unis, ni d’autres indicateurs

tangibles permettant de cerner précisément la situation de la mobilisation au fil du temps dans

ce pays. Cela dit, un élément indirect permet de l’estimer : les revenus de l’organisation.

Puisque ceux-ci étaient tirés essentiellement de contributions faites sur une base volontaire,

notamment le paiement des cotisations d’adhésion, la vente de matériel promotionnel et les

donations, ils donnent un aperçu de la vigueur de l’intérêt populaire à l’égard du mouvement.

Ainsi, des revenus élevés, signes d’une importante participation financière de la part des

partisans, indiquent un fort engagement de leur part à l’endroit de FUI et inversement lorsque

les recettes de l’organisation sont faibles.

Les revenus étant par ailleurs étroitement liés à l’ampleur des campagnes de

mobilisation, puisqu’ils en sont littéralement le carburant, permettent aussi d’estimer, bien

que de façon détournée et assez approximative, l’ampleur de ces campagnes. En effet, si une

organisation dispose de sommes monétaires limitées, ses activités promotionnelles seront

certes nécessairement réduites, faute de fonds pour les alimenter. Du coup, à la lumière des

chiffres émanant de FUI, il est possible de constater qu’après un rebond de courte durée

perceptible en 1941, qui se refléta par l’accroissement des revenus entre 1940 et 1941,

passant de 72 231$ à 101 256$, l’organisation replongea dans une situation financière

difficile au cours des années subséquentes, comme celle ayant été constatée au milieu des

années 1940. En 1942, les revenus régressèrent à 26 859$, ils continuèrent de baisser l’année

suivante pour atteindre seulement 26 098$, avant de s’accroître de nouveau légèrement à

307 William P. Blake, « Lettre de William P. Blake à Roger Baldwin », 30 mars 1940, LOC, Streit Papers,

mm 87065621, Box I : 5, 1940. 308 « Early History », Federal Union, Incorporated Director’s Report Submitted at the First National

Convention Cleveland Ohio June 28th, 29th 1941, p. 5, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I : 46,

Convention, 1941, General.

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30 139$ en 1944, puis à 46 097$ en 1945309. À la lumière de ces chiffres, il ressort que FUI

éprouva une importante difficulté, entre 1939 et 1945, mais tout particulièrement entre 1942

et 1944, à maintenir une mobilisation constante et soutenue de la part de ses membres de

même qu’à aller chercher la participation de nouvelles personnes. Dans cette perspective, le

manque de vitalité observé par Streit dans les chapitres de l’Ouest n’est guère surprenant310.

Bref, malgré des débuts prometteurs, rapidement, la cadence d’expansion du

mouvement FUI se ralentit, permettant d’observer un arrêt de la croissance et même une

réduction du nombre de chapitres, une incapacité à percer dans certaines régions américaines

et une impossibilité de soutenir financièrement de façon convenable les campagnes de

mobilisations nécessaires durant la Seconde Guerre mondiale. D’un autre côté, sur le plan

gouvernemental, Streit et ses partisans ne réussirent pas non plus à obtenir, au final, les succès

qu’ils espéraient avoir.

1.2. L’incapacité de s’imposer au Congrès

Au niveau gouvernemental, force est de constater que les actions de FUI ne donnèrent

pas les résultats escomptés et qu’au-delà de quelques percées superficielles, aucune mesure

véritablement sérieuse ne fut prise par les élus américains pour tenter d’implanter les

principes de Union Now. Même si tenter d’évaluer avec exactitude l’impact d’un groupe

d’intérêt sur le Congrès américain constitue une tâche qui est en soi irréalisable311, force est

de conclure que les travaux de FUI, au gouvernement, furent vains puisqu’en pratique, la

proposition de Streit subit un échec cinglant, et ce, malgré les quelques percées faites en

309 Consultez l’annexe 3 pour voir un tableau des revenus annuels de FUI entre 1939 et 1949.; « Financial

Data For 1939 and 1940s », non daté, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I : 40, Bibliographical

material 1919, 1939-82.; Clarence K. Streit, « Lettre de Clarence K. Streit à Stringfellow Barr », 30 août

1945, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I : 40, Stringfellow Barr, 1944.; Massachusetts

Committee of Federal Union, « Federal Union to Shorten the War Win the Peace and Build the New

World for Tomorrow », Dépliant, non daté, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I : 76, Fiche

Publications, Green Papers, 1942-1943.; « National Committee of Federal Union, Inc., Income and

Surplus Statement, For the Five Months ended May 31, 1941 », Supplement Federal Union Director’s

Report, Convention de Cleveland, 28-29 juin 1941, p. 1, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I : 54,

Financial Reports, 1939-50. 310 Clarence K. Streit, « Lettre de Clarence K. Streit à Constance (Connie) Hellyer », 16 juin 1943, LOC,

Streit Papers, mm 87065621, Box I : 65, Inter-Democracy of Federal Unionists 1939-1942. 311 Johnstone, « Americans Disunited: Americans United for World Organization and the Triumph of

Internationalism », loc. cit., p. 17.

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Pennsylvanie et au Massachusetts, de même qu’au niveau fédéral, comme nous en avons

discuté à la fin du second chapitre.

De fait, les politiciens internationalistes américains montrèrent, au mieux, une

appréciation de surface à l’égard des idées contenues dans Union Now, n’allant jamais plus

loin que l’expression de simples paroles lui étant favorables, sans toutefois s’accompagner

de gestes concrets pour en soutenir l’avancement. Par exemple, le 21 février 1942, Harry S.

Truman, alors sénateur démocrate du Missouri, signifia à Streit, par le biais d’une lettre, qu’il

n’avait pas la conviction que le moment était venu d’établir une fédération mondiale :

« Personally, I honestly think that now is not the time to put forward such a plan. It would

simply split the country, and we must not split it. We must have unity to win the war and

there is no use to stir up the isolationists’ fires312. »

Parallèlement, l’idée de fédération mondiale de Streit entraîna une vigoureuse

opposition de la part de certains élus et ces détracteurs n’hésitèrent pas à exprimer fermement

leur désaccord à l’endroit de la proposition, qu’ils percevaient comme étant nuisible et

indésirable. À cet égard, les propos tenus par le représentant du Michigan, Clare E. Hoffman

(républicain), lors de la première session du 77e Congrès en janvier 1942, et cités dans le

Congressional Record, sont très éloquents. Celui-ci se dressa catégoriquement contre

l’établissement d’un gouvernement mondial, qu’il percevait comme une trahison au serment

d’allégeance à la nation américaine :

Streit and his associates now repudiate that pledge of allegiance to the Republic “one

nation indivisible,” and would make it a part – and only a part – of a world nation.

Misapplied ambition is a ruinous thing. Unchecked, it destroys everything it touches,

tearing down the good with the evil it seeks to end.

To reign is worth ambition, although in hell. Better reign in hell than serve in heaven.

This country of ours, for more than 150 years, has not only been the haven but the heaven

of those who in other lands were oppressed, enslaved, and denied opportunity. Yet Streit and

Ickes and their associates, however distinguished they may be, would rather form and reign in a

hell made up of all the nations of the world, of all the people of the world, than serve under the

Constitution to which they have pledged allegiance, in a land where all have equal opportunity313.

312 Robert Taft, « Lettre de Robert Taft à Clarence K. Streit », 21 février 1942, LOC, Streit Papers, mm

87065621, Box I : 5, 1942 (2). 313 Clare E. Hoffman, « Don’t Haul Down the Stars and Stripes », Congressional Record, Proceedings and

Debates of the 77th Congress, First Session, 27 janvier 1942, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I :

44, Chapters, Boston, Massachusetts, 1943.

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La rudesse de tels propos à l’endroit du mouvement de Streit sous-tend la détermination de

ces opposants à s’interposer contre le projet afin de l’empêcher d’avancer. La stagnation de

FUI, évidemment, peut donc être associée en partie à cette opposition ferme venant de

quelques élus.

Tout compte fait, malgré la formidable percée que représentait le simple fait de faire

parler des idées contenues dans Union Now à certains paliers gouvernementaux, celles-ci

plafonnèrent au stade de sujet de débats, sans pour autant mener à quelque mesure législative

qui soit. Or, en l’absence d’une véritable volonté gouvernementale d’appuyer les idées d’une

organisation comme celle de Streit, ses chances d’obtenir du succès étaient totalement

compromises314.

Face à ce constat, la question est de savoir pourquoi la proposition de Streit s’essouffla

aussi rapidement, autant chez les élites que la population américaine, après des débuts

pourtant prometteurs. Selon nous, le double tranchant du contexte historique, les ambitions

trop grandes du projet, en plus des obstacles liés à la gestion de l’organisation sont autant

d’éléments pouvant en expliquer la stagnation et le recul.

2. La conjoncture historique : un double tranchant pour Federal Union, Inc.

Si le contexte historique dans lequel FUI s’inscrivait joua en la faveur du mouvement,

il est évident qu’il nuisit aussi énormément à son épanouissement. Le contexte, de fait, se

présenta d’une part comme un élément favorable et nécessaire pour le développement du

mouvement, en ce sens qu’il en justifia la pertinence, mais il représenta aussi, d’autre part,

un obstacle de taille pour la mobilisation des citoyens autour du projet.

2.1. La difficulté à recruter des membres en raison de la guerre

Entre 1939 et 1945, la guerre occupa une place extrêmement prépondérante dans le

quotidien des Occidentaux impliqués dans le conflit. Même avant leur entrée en guerre le 8

314 Johnstone, « Americans Disunited: Americans United for World Organization and the Triumph of

Internationalism », loc. cit., p. 3.

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décembre 1941, les Américains n’y échappèrent pas plus que les Européens. Déjà en 1939,

c’était 14% du budget national qui était alloué à la défense et après leur adhésion au conflit

aux côtés des Alliés, cela ne fit que s’amplifier315. Avec la mobilisation des ressources

humaines, matérielles et financières américaines, il est juste d’affirmer que la guerre

structurait alors la plus vaste partie de leur vie, qui tournait donc essentiellement autour des

préoccupations d’ordre militaires. Si le nombre de soldats américains envoyés au front

demeura somme toute réduit durant tout le conflit, l’effort fourni par la population pour

ravitailler les Alliés fut néanmoins impressionnant : « C’est tout le pays qui se mobilise pour

fournir 88 000 chars, 300 000 avions et les fameux liberty ships, 684 navires de guerre et 229

sous-marins. Les trois cinquièmes de la production américaine sont livrés aux Alliés sans

compter l’armement, les munitions et les vivres316. » Cet effort massif contribua largement

au repli du taux de chômage, si élevé durant les années de la Crise économique des années

1930, et à l’amélioration du niveau de vie des Américains317.

Mais pour maintenir un tel effort de guerre, il fallait une mobilisation constante et

soutenue de la part de la population des États-Unis, entrainant une focalisation de l’attention

populaire autour de la machine militaire américaine. Le paradigme était donc fort simple : il

était, avant toute chose, absolument nécessaire de gagner le conflit. Or, aux yeux de Horace

Lackey, un homme se disant intéressé par l’idéologie de Streit, mais éprouvant cependant

des réticences à son endroit318, l’échec de FUI à rejoindre des groupes étendus d’Américains

allant au-delà de l’élite intellectuelle s’expliquait par son incapacité à répondre aux

préoccupations des gens ordinaires, alors absorbés par le second conflit mondial :

Clarence, in my opinion, and I make this statement with humanity, – the failure of

Federal Union to reach beyond intellectual – groups of a somewhat conservative school of

thought was due to its failure to collide head-on with the problems of common human beings in

a world at war and in revolution. The people grasped and accepted your ideas of world

organization, beginning with existing democracies, but they were not enlisted in a crusade in

which they felt themselves vital participants319.

315 Jean-Michel Lacroix, Histoire des États-Unis, 3e édition, Paris, PUF, 2009 (1996), p. 388. 316 Ibid., p. 389. 317 Ibid. 318 Horace Lackey, « Lettre de Horace Lackey à Clarence K. Streit », 26 septembre 1945, p.1-2, LOC, Streit

Papers, mm 87065621, Box I : 44, Fiche Chapters, California, 1944-1946. 319 Horace Lackey, « Lettre de Horace Lackey à Clarence K. Streit », 26 septembre 1945, p.1, LOC, Streit

Papers, mm 87065621, Box I : 44, Fiche Chapters, California, 1944-1946.

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Ainsi, il aurait fallu que la population américaine se sente personnellement interpellée

par le projet de Clarence K. Streit pour qu’elle lui accorde l’attention nécessaire à son succès.

Mais dans un contexte de guerre, les objectifs de maintien de la paix de FUI, axés sur le long

terme, ne pouvaient guère attirer largement l’attention de la population, qui réclamait plutôt

une aide concrète et immédiate à la résolution de l’affrontement militaire alors en cours.

Clairement absorbés par le moment présent, les Américains préféraient donc, pour plusieurs,

aider leur pays et les Alliés en achetant des bons de la victoire ou encore en donnant à des

organismes comme la Croix-Rouge, qui agiraient directement sur le théâtre des hostilités,

plutôt que de donner à une ONG telle que FUI, dont les résultats ne se feraient sentir que

dans de nombreuses années320. Le contexte dramatique de l’époque, marqué par la souffrance

humaine immédiate associée à la guerre, semblait de toute évidence être un problème bien

plus urgent sur lequel se pencher qu’un projet politique à long terme tel que celui de Streit321.

En fait, sur le plan financier, notamment, la guerre eut pour conséquence d’amener plusieurs

grands donateurs du mouvement internationaliste en général à offrir leur cachet à d’autres

causes que celle de l’internationalisme322. Conséquemment, en 1942 et 1943, FUI perdit

certains de ses plus grands donateurs, qui préférèrent investir dans des causes exerçant un

impact plus direct sur les hostilités que le mouvement de Streit323.

L’instabilité accompagnant de surcroît les périodes de belligérance, doublée par les

fantômes de la Crise économique des années 1930 ainsi que par l’incertitude quant aux

perspectives salariales324, s’ajoutèrent au lot des barrières rendant les donateurs potentiels

320 « Promotion Activities », Federal Union, Incorporated Director’s Report Submitted at the First National

Convention Cleveland Ohio June 28th, 29th 1941, p. 14, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I : 46,

Convention, 1941, General. 321 « Finances », Federal Union, Incorporated Director’s Report Submitted at the First National Convention

Cleveland Ohio June 28th, 29th 1941, p. 9-10, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I : 46,

Convention, 1941, General. 322 Divine, op. cit., p. 103. 323 « Promotion Activities », Federal Union, Incorporated Director’s Report Submitted at the First National

Convention Cleveland Ohio June 28th, 29th 1941, p. 14, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I : 46,

Convention, 1941, General.; Emery W. Balduf, « Lettre de Emery W. Balduf à Patrick Welch », 2 février

1942, p. 3, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I : 5, Fiche 1942 (2). 324 Bien que les perspectives économiques étaient plutôt bonnes durant la Seconde Guerre mondiale aux États-

Unis, la Grande Dépression de la décennie précédente avait marqué les esprits, entraînant une méfiance

persistante quant à la durabilité de la reprise économique à long terme.; David E. Kyvig, Daily Life in

the United States, 1920-1940: How Americans Lived Through the ‘Roaring Twenties’ and the Great

Depression, Chicago, Ivan R. Dee, 2004, p. 298.

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peu enclins à investir dans FUI325 en cette période hautement tendue. Cette profonde crise

économique, en effet, eut des répercussions notoires sur l’orientation des préoccupations

américaines, qui furent recentrées vers les problématiques intérieures, reléguant à une

position plus secondaire les questions d’ordre international : « Sur le plan économique, la

Grande Dépression a conduit tout naturellement les Américains à se préoccuper avant tout

des questions intérieures et à considérer les affaires extérieures comme étant tout à fait

secondaires. La force du sentiment isolationniste a coïncidé avec un net désintérêt pour les

problèmes de politique étrangère326. » Qui plus est, l’accroissement des différentes taxes

servant à financer les activités militaires, aussi, ralentit l’élan de FUI, qui avait besoin d’un

maximum de fonds pour avancer327. Bref, sur le plan financier, la guerre et les années de crise

économique l’ayant précédée représentèrent davantage un obstacle qu’un moteur pour le

projet de Streit.

Dans une perspective plus idéologique, le contexte tendu de la Seconde Guerre

mondiale amena aussi la nécessité de solidifier l’unité nationale américaine afin de

maximiser les chances que l’effort de guerre ne mène à la victoire contre l’ennemi. Or, la

proposition de Streit suscitait la controverse328, ce qui allait à l’encontre de ce besoin de

canaliser l’opinion publique dans une seule et même direction. Ainsi, alors que pour certains,

FUI représentait une forme de sympathie interatlantique symbolique dans le cadre de la

guerre de 1939 à 1945, pour d’autres, il s’agissait plutôt d’un projet propice à engendrer de

vigoureuses oppositions à travers les États-Unis et risquant de détourner l’attention des

préoccupations les plus importantes, à savoir la victoire militaire. Selon nos sources émanant

de FUI, le Federal Bureau of Investigation (FBI) traqua même les activités de l’organisation

durant la guerre afin de s’assurer qu’elles ne soient pas subversives, signe prenant que le

regroupement de Streit suscitait une méfiance sans équivoque de la part des autorités

325 Emery W. Balduf, « Lettre de Emery W. Balduf à Patrick Welch », 2 février 1942, p. 3, LOC, Streit Papers,

mm 87065621, Box I : 5, Fiche 1942 (2). 326 Nouailhat, op. cit., p. 128. 327 « 1942 Year-End Report to Federal Union Branches », Union Now Headquarters Bulletin, 1942, LOC,

Streit Papers, mm 87065621, Box I : 76, Publications, Headquarters Bulletin, 1942-1944. 328 « Finances », Federal Union, Incorporated Director’s Report Submitted at the First National Convention

Cleveland Ohio June 28th, 29th 1941, p. 10, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I : 46, Convention,

1941, General.

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américaines329. Mais, d’un point de vue pragmatique, les États-Unis ne pouvaient pas aller

de l’avant avec une aventure aussi risquée que d’essayer d’unir une quinzaine d’États

souverains alors que les dangers de la guerre étaient omniprésents. De fait, avec le décès de

Roosevelt, qui avait montré une ouverture pour les idées de Streit, la donne fut

considérablement modifiée. Le nouveau président, Harry S. Truman, priorisait pour sa part

les questions sécuritaires plutôt que les problématiques liées à l’internationalisme330. Il n’est

donc pas surprenant de constater que celui-ci s’opposa, quelques années avant sa présidence,

soit en 1942, à l’établissement précipité d’une union mondiale, en contexte de guerre, pour

des raisons sécuritaires331. Avec un homme aussi influent que le président des États-Unis lui-

même refusant d’adhérer aux idées de Streit, les chances que le projet se concrétise étaient

donc très minces. Qui plus est, tous n’étaient pas chauds à l’idée d’établir une telle union à

court terme, dans l’empressement. En effet, l’impression que les défenseurs du mouvement

FUI tentaient de faire adopter l’union des démocraties en période d’hystérie causée par la

guerre et de vulnérabilité idéologique était plutôt impopulaire et rappelait les souvenirs

acerbes de l’instauration de la prohibition durant la Première Guerre mondiale332.

Il ressort par conséquent que dans le contexte de la Seconde Guerre mondiale les

débats idéologiques de l’envergure du projet de Streit trouvaient difficilement leur chemin à

travers les nombreuses préoccupations et inquiétudes accompagnant un conflit mondial.

2.2. Une multitude de groupes internationalistes semant la confusion

Durant la guerre de 1939 à 1945, une multiplicité de regroupements internationalistes

émergea aux États-Unis. Or, force est de constater que plusieurs de ces groupes présentaient

329 Roy Miller, « Sunday Morning Session », Proceedings First Annual Convention Federal Union, Inc.:

June 28-29 1941, Wade Park Manor, Cleveland, Ohio, 29 juin 1941, p. 218, LOC, Streit Papers, mm

87065621, Box I : 46, Convention, 1941, Proceedings. 330 Thomas M. Campbell, « Nationalism in America’s UN Policy, 1944-1945 », International Organization,

27, 1 (1973), p. 25-44. 331 Robert Taft, « Lettre de Robert Taft à Clarence K. Streit », 21 février 1942, LOC, Streit Papers, mm

87065621, Box I : 5, 1942 (2). 332 Emery W. Balduf, « Lettre de Emery W. Balduf à Patrick Welch », 2 février 1942, p. 3, LOC, Streit Papers,

mm 87065621, Box I : 5, Fiche 1942 (2).

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un nombre important de similitudes quant à leurs objectifs333, ce qui eut un impact négatif

sur le mouvement de Streit.

Effectivement, dans ce contexte, l’un des grands défis de FUI fut de se distinguer à

travers ce vaste mouvement aux abondantes ramifications, question d’être en mesure de

capter l’attention des Américains. Aux yeux de Clark M. Eichelberger, ardent militant

internationaliste de l’époque334, cette surabondance d’alternatives internationalistes

présentées au pays durant la guerre de 1939 à 1945 présentait un potentiel très dévastateur en

matière de mobilisation, car selon lui, elle pouvait provoquer une confusion aux États-Unis.

Dans les faits, celui-ci voyait juste puisqu’effectivement, l’abondance de regroupements, de

même que les nombreuses similitudes et recoupements entre eux, embrouilla la perception

de plusieurs citoyens intéressés par l’internationalisme et pour qui il devint extrêmement

difficile de se démêler à travers le vaste éventail d’idées et d’organisations s’offrant à eux.

Du coup, la pertinence de tous ces groupes se vit remise en cause, car il devint de plus en

plus difficile de justifier la raison d’être de chacun d’eux335. FUI n’échappa évidemment pas

à ce phénomène, d’autant plus qu’avec le temps, d’autres plans favorables à l’implantation

d’un système de gouvernance mondiale virent le jour, contribuant encore davantage à l’état

de confusion populaire généralisée par rapport aux projets internationalistes aux États-

Unis336.

Tout compte fait, la multitude de groupes similaires et la difficulté à établir des

distinctions claires entre les missions et les objectifs de chacun furent très nuisibles pour FUI,

notamment, de même que pour l’ensemble des organisations internationalistes aux États-

Unis durant la Seconde Guerre mondiale. Malgré cet imbroglio, une alternative se distingua

suffisamment pour s’imposer comme modèle de choix. Ce modèle, ce n’était pas celui du

fédéralisme mondial de Streit, mais bien celui de la coopération incarné par une nouvelle

organisation internationale : l’ONU.

333 Johnstone, Dilemmas of Internationalism: The American Association for the United Nations and US

Foreign Policy, 1941-1948, op. cit., p. 25. 334 Hilary Conroy, « Eichelberger, Clark Mell », John A. Garraty et Mark C. Carnes, dir., op. cit., Vol. 7 :

Dubuque – Fishbein, p. 355-356. 335 Ibid., p. 82, 87, 128. 336 Beres, loc. cit., p. 80.; Tucker Dean, loc. cit., p. 452.

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2.3. Un compromis satisfaisant : l’Organisation des Nations unies

À l’opposé de de ce qui s’est passé après la Première Guerre mondiale, la nécessité

de l’adhésion des États-Unis à une nouvelle organisation internationale à la suite de la guerre

de 1939 à 1945 n’était plus remise en question au milieu des années 1940. De fait, pour

Washington, dès l’entrée en guerre du pays, il était hors de tout doute que les États-Unis

adhéreraient à une organisation internationale à la fin de celle-ci337. La population

américaine, pour sa part, abondait dans le même sens. Durant l’essentiel des presque quatre

années que les États-Unis participèrent aux belligérances de la Seconde Guerre mondiale, en

fait, les Américains envisagèrent l’idée que leur pays soit impliqué dans une nouvelle

association interétatique promouvant la coopération. Il est donc estimé qu’à l’issue du conflit,

entre 80% et 90% des Américains étaient en faveur de l’implication de leur pays dans une

nouvelle organisation internationale alors qu’en mai 1941, cette proportion n’était que de

38%338. Ainsi, l’adhésion des États-Unis à l’ONU en 1945 ne surprit réellement personne.

Toutefois, la décision de se joindre à cette organisation eut un fort impact sur FUI,

faisant de 1945 une année décisive pour l’avenir du mouvement de Streit. L’arrivée de l’ONU

marqua effectivement un point tournant dans la gestion des relations étrangères en s’érigeant

comme la principale structure devant les encadrer. La communauté internationale ayant

dorénavant choisi sa voie pour le maintien de la paix, l’alternative que représentait FUI allait

nécessairement écoper. Il ne serait dès lors plus aussi pertinent de s’y intéresser puisque

l’ONU venait de s’ériger comme grand vainqueur, en 1945, des débats des années

précédentes portant sur la nature et la forme que devrait prendre de la nouvelle organisation

internationale s’imposant.

De surcroît, le modèle plutôt classique pris par cette organisation, s’inscrivant dans la

lignée habituelle de la coopération, suscita une sorte de complaisance chez la plupart des

internationalistes américains. En effet, tant pour les internationalistes libéraux, justement

337 MacKenzie, op. cit., p. 36. 338 Les chiffres illustrant la montée en popularité de cette idée que les États-Unis devraient joindre une

nouvelle organisation internationale après la guerre sont révélateurs de la progression de

l’internationalisme au sein de la population américaine. Effectivement, si seulement 38% des Américains

étaient en faveur de cette idée en mai 1941, cette proportion s’était accrue à 59% en 1942, puis à 81%

en septembre 1943, pour finalement atteindre approximativement 90% de la population en 1945.; Dallek,

op. cit., p. 132.; Divine, op. cit., p. 39, 68, 134.

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partisans des principes de la coopération interétatique339, que pour les internationalistes

militant pour un gouvernement mondial, tels que Streit et ses partisans, l’ONU se présenta

comme une sorte de compromis somme toute satisfaisant, en dépit de ses imperfections. En

effet, puisque jusque-là, les États-Unis s’étaient plutôt tenus à l’écart des regroupements de

la sorte, l’adhésion à quelque organe de gestion des relations interétatiques qui soit

représentait nécessairement un progrès de taille par rapport aux expériences passées, dont

notamment l’après-Première Guerre mondiale. Ainsi, la signature de la Charte des Nations

Unies, à l’été 1945, contribua au déclin progressif de la popularité du fédéralisme mondial,

car même si cette nouvelle organisation ne défendait pas les principes du gouvernement

mondial, au moins, le monde aurait à sa disposition une forme de mécanisme de régulation

des relations internationales340. Malgré le fait que l’ONU éprouva d’importantes difficultés

à mettre en application ses décisions, puisqu’elle était très souvent liée par ses États membres,

sa création réussit néanmoins à s’imposer, dans l’imaginaire collectif, comme le moment

phare du triomphe de l’internationalisme aux États-Unis341, éclipsant littéralement au passage

toutes les autres alternatives, dont FUI. Conséquemment, il n’est pas exagéré de conclure que

tous les espoirs encore présents de voir l’union envisagée par Streit soit mise sur pied

s’estompèrent définitivement après la ratification de la Charte des Nations Unies.

3. Un projet trop ambitieux pour l’époque?

Parallèlement, comme nous l’avons avancé dans le premier chapitre de ce mémoire,

les idées avancées dans Union Now étaient indubitablement ambitieuses et novatrices pour

l’époque. Du coup, pour que le projet réussisse et qu’une union des démocraties nord-

atlantiques soit établie, il aurait fallu que les populations concernées, c’est-à-dire les

Américains ainsi que les citoyens de tous les autres pays visés par l’union, soient prêtes à y

adhérer, avec tous les avantages et les inconvénients lui étant associés. Or, Clarence K. Streit

339 Pour Fred Halliday, l’internationalisme libéral est basé sur la conviction que des sociétés et des États

indépendants sont en mesure d’interagir entre eux pour évoluer et assurer une réduction des tensions

militaires et favoriser une plus grande compréhension mutuelle des enjeux en cause.; Halliday, loc. cit.,

p. 192-193. 340 Weiss, loc. cit., p. 260. 341 Ibid.; Johnstone, « Americans Disunited: Americans United for World Organization and the Triumph of

Internationalism », loc. cit., p. 1.

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proposait un remaniement du système international s’étant avéré trop draconien et avant-

gardiste pour la période dans laquelle il s’inscrivait, tant aux États-Unis qu’ailleurs.

3.1. Convaincre les Américains, une tâche colossale

L’étude de l’ascension et du déclin de FUI durant la Seconde Guerre mondiale aux

États-Unis révèle une réalité intéressante : l’importante dichotomie entre la vision des plus

fervents partisans du mouvement par rapport au degré de préparation de la population

américaine à adhérer aux principes de Union Now, et le réel degré de préparation de cette

population.

Pour certains convertis à FUI, donc, et spécialement ceux étant très impliqués dans

les activités de l’organisation, le monde dans lequel ils vivaient présentait des particularités

exceptionnelles le distinguant de celui prévalant auparavant et ces particularités favorisaient

selon eux la mise sur pied d’un gouvernement mondial. Il s’agissait pour eux d’une période

de grandes transformations, d’une époque révolutionnaire présentant tout à la fois

d’immenses dangers et des opportunités hors du commun qu’il fallait saisir342. Ainsi, aux

yeux de certains militants de FUI, comme Streit, le moment était venu d’appliquer le

programme défendu par l’organisation. De fait, malgré que cet homme fût pleinement

conscient du manque de préparation d’une majorité d’Américains à l’endroit de ses idées au

début des années 1940, il était en outre persuadé que depuis la parution de son livre, ceux-ci

avaient énormément cheminé vers une plus grande acceptation de son projet de refonte de

l’ordre international. Il était de surcroît convaincu qu’en raison du travail éducatif mené par

son équipe, mais aussi à cause des dangers inhérents à la Seconde Guerre mondiale qui se

dressaient comme une épée de Damoclès au-dessus des États-Unis, les Américains auraient

été enclins à accepter le modèle de l’union au même moment où l’organisation FUI aurait de

son côté été prête à déposer formellement son projet devant le Congrès343.

342 « Board of Fedeal Union, Inc. Issues of Statement of New Parallel Policy », Union Now Bulletin,

4 mai 1942, p. 1, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I : 71, Policy statements, 1941-1945. 343 Clarence K. Streit, « Lettre de Clarence K. Streit à George Rublee », 23 novembre 1940, LOC, Streit

Papers, mm 87065621, Box I : 5, 1940.

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Ultimement, par contre, il en fut autrement et il apparait évident que la population

américaine n’était pas prête comme Streit le prétendait à embrasser à bras ouverts sa

proposition. Considérant que, selon l’historien spécialiste des États-Unis Yves-Henri

Nouailhat, l’opinion publique américaine est habituellement plutôt reconnue pour sa lenteur

à évoluer vers l’adhésion à de nouvelles idées et en raison de sa tendance à s’ériger en barrière

aux réformes344, l’échec d’un projet aussi ambitieux que celui de Streit aux États-Unis n’est

donc pas très surprenant. Mais, au-delà de cette propension à souscrire timidement au

changement, comment pouvons-nous expliquer que les Américains dans les années du

second conflit mondial furent aussi frileux de s’aventurer dans le projet de Streit, alors que

le contexte de la période semblait pourtant plutôt favorable à celui-ci?

Sur ce point, l’analyse de nos archives nous oriente vers trois éléments, à savoir la

présence, aux États-Unis, d’obstacles d’ordre identitaires, de barrières en ce qui a trait à la

vision américaine de la politique internationale et nationale, de même que des craintes de

nature économique qui endiguèrent largement les possibilités que les principes de Union Now

ne fassent leur chemin.

Sur le plan identitaire, dans un premier temps, le programme défendu par Streit

s’avérait trop utopique pour qu’une majorité d’Américains durant la première moitié des

années 1940 y adhèrent, car ces derniers ne pouvaient se résigner à faire d’aussi larges

concessions identitaires que celles requises par l’établissement d’une fédération mondiale.

De fait, bien que Streit avait développé un projet mettant en avant-plan des valeurs

correspondantes à plusieurs valeurs phares de la culture américaine, ce projet pouvait malgré

tout être perçu comme mettant en péril certaines d’entre elles, et ce même si les défenseurs

du gouvernement mondial étaient persuadés que dans l’union, aucun pays ne perdrait son

identité, sa nationalité ou son modèle de gouvernance345. Il est vrai que puisque FUI était un

projet sans précédent, rien ne prouvait que ces valeurs importantes, voire carrément

intouchables, pour la plupart des citoyens du pays seraient préservées si l’union devait être

établie. Ainsi, des réticences découlaient d’une crainte que les répercussions de la mise en

place de l’union ne bouleversent les repères identitaires propres à la société américaine et un

344 Nouailhat, op. cit., p. 17. 345 « Remember me? », non daté, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I : 5, 1939 (1).

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sentiment de méfiance s’installa chez les individus moins fermement convaincus par le

fédéralisme mondial, une méfiance difficile à endiguer malgré les efforts de promotion

déployés par FUI. Par exemple, George E. Sokolsky, chroniqueur au New York Herald

Tribune346, affirma craindre que les Américains ne doivent abandonner leur nationalité de

même que leur identité s’ils devaient joindre l’union suggérée par Streit347.

Or, réalistement et en dépit du plaidoyer des défenseurs du projet, qui stipulaient sans

hésiter que les repères identitaires américains seraient préservés dans une éventuelle union

mondiale, il est évident que ceux-ci auraient néanmoins été bouleversés si le projet s’était

concrétisé. Dans les faits, l’établissement d’une fédération mondiale aurait nécessairement

été accompagné de modifications à la Constitution des États-Unis, qui représente, depuis la

Révolution américaine, un référent identitaire extrêmement profond au pays de l’Oncle Sam.

Historiquement, les Américains ont d’ailleurs toujours été peu enclins à l’amender. À titre

illustratif, entre sa ratification en 1788 et la Seconde Guerre mondiale, seulement 21

amendements furent apportés au texte original de la Constitution en plus de 150 ans, dont dix

en 1791348. C’est dire à quel point les Américains ont continuellement été frileux à l’idée de

modifier leur document constitutionnel. Du coup, s’il a toujours été difficile d’amender ne

serait-ce qu’un seul point de la Constitution américaine349, réussir à en amender plusieurs à

la fois, voire à refondre totalement certaines sections comme l’aurait nécessité l’application

des lignes directrices de Union Now, était un objectif fort ambitieux et même plutôt irréaliste,

d’autant plus en considérant la controverse que générait le projet350. Ainsi, les sceptiques

346 « George Sokolsky Columns: An Inventory of the Collection at Syracuse University », Syracuse

University Libraries Finding Aids, Université Syracuse,

http://library.syr.edu/digital/guides/s/sokolsky_g.htm, consulté le 21 mars 2016. 347 « Let the People Speak », non daté, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I : 5, 1939 (1). 348 Johnny H. Killian, « Constitution of the United States », United States Senate, Office of the Secretary of

the Senate, http://www.senate.gov/civics/constitution_item/constitution.htm, consulté le 16 janvier

2015. 349 En raison des majorités que requiert une proposition d’amendement pour être ratifiée, il est extrêmement

difficile de modifier la Constitution américaine. Effectivement, bien qu’il existe quelques voies possibles

pour amender ce document, tous les amendements, à l’exception d’un seul, ont été ratifiés après

l’obtention de l’accord des deux tiers du Congrès ainsi que celui des trois quarts des législatures des

États, ce qui est très compliqué à obtenir.; Edmond Orban, « La Constitution », Edmond Orban et Michel

Fortmann, dir., Le système politique américain, 3e édition, Montréal, Presses de l’université de Montréal,

2001 (1987), p. 45. 350 « Finances », Federal Union, Incorporated Director’s Report Submitted at the First National Convention

Cleveland Ohio June 28th, 29th 1941, p. 9, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I : 46, Convention,

1941, General.

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pouvaient craindre que les balises historico-culturelles américaines soient mises à mal par

l’unification d’autant de pays, ce qui amena des opposants à formuler de critiques acerbes à

l’endroit de la proposition de Streit. Par exemple, pour John B. Trevor351, la mise en œuvre

de l’union risquait d’entraîner la destruction complète de la Déclaration d’Indépendance

américaine, comme il l’exprima dans une publicité présentée par AFC : « Do You Want

“Union Now”? Do you want the Declaration of Independence stricken from our records352? »

Les affirmations de la sorte révèlent noir sur blanc la crainte qu’éprouvaient certains

Américains méfiants de voir leur bagage historique et politique s’envoler en poussière si la

proposition Union Now devait être implantée.

Dans un second temps, des obstacles liés à la conception américaine de la politique

nationale et internationale firent aussi obstacle au mouvement de Streit. En effet, plusieurs

appréhendaient les éventuelles transformations politiques associées à l’établissement d’une

fédération mondiale. Sur ce plan, d’une part, des inquiétudes surgirent quant à la place

dominante que les États-Unis pourraient réellement maintenir dans une fédération mondiale,

et d’autre part, par rapport aux sacrifices que le pays aurait dû faire sur le plan politique. A

priori, la séparation des pouvoirs telle que prévue par Streit semblait leur assurer une place

prépondérante dans l’union, en raison de la répartition du nombre d’élus en fonction de la

population de chaque État353. Or, l’union défendue par FUI ayant un objectif expansionniste,

plus le nombre de pays s’y joignant se serait accru, plus le poids des États-Unis dans

l’appareil administratif du gouvernement mondial aurait été dilué, comme le rappela

l’American Women Against Communism (AWAC) dans un dépliant en janvier 1943354. Cette

réalité s’avérait bien sûr très inquiétante pour la population américaine.

Qui plus est, les Américains auraient été forcés de faire des sacrifices concernant la

souveraineté politique des États-Unis, ce qui ne faisait pas l’unanimité et fut perçu,

351 Nous n’avons pas été en mesure de savoir s’il s’agissait de John B. Trevor, père, ou de John B. Trevor,

fils.; William H. Tucker, The Funding of Scientific Racism: Wickliffe Draper and the Pioneer Fund,

Urbana, University of Illinois Press, 2002, p. 61. 352 John B. Trevor, « American’s Wake Up! Cut Out Hyphenism! », non datée, LOC, Streit Papers, mm

87065621, Box I : 36, America First Committee 1940-1941. 353 Pour revoir les grandes lignes de la séparation des pouvoirs prévue dans Union Now, consultez la sous-

section du chapitre premier intitulée « Les lignes directrices de Union Now » aux pages 33 à 36. 354 AWAC, « What are: Union Now – World government? », janvier 1943, LOC, Streit Papers, mm

87065621, Box I : 36, America First Party 1943.

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notamment par l’AWAC, comme une profonde atteinte à l’indépendance du pays : « The

Stars and Stripes have already been mutilated almost beyond recognition by Union Now but

the proposed white flag of the United Nations of the World would indicate complete

surrender of our National Independence and would be the abandonment of our National

Emblem355. » On déplora aussi, d’ailleurs, que le pays doive renoncer à son contrôle sur la

politique internationale ainsi que sur ses forces armées dans l’éventualité de la mise sur pied

d’une fédération mondiale356. Bref, un certain sentiment isolationniste restait malgré tout

présent aux États-Unis, rendant difficile pour FUI de faire des percées d’envergure et

durables partout à travers le pays durant la Seconde Guerre mondiale357.

À tout cela, il faut ajouter la persistance de l’héritage d’une vision de la gestion des

relations internationales axée sur les alliances et la coopération qui nuisit à Streit, tout comme

elle nuisit à Woodrow Wilson dans sa tentative d’établir la SDN une vingtaine d’années

auparavant358. Effectivement, si à l’époque de Wilson, le système d’alliances était au cœur

de la ligne de pensée politique des isolationnistes359, il demeurait encore très ancré dans les

mentalités durant la guerre de 1939 à 1945 aux États-Unis. Les alliances et la coopération

représentaient donc, pour un bon nombre d’Américains à l’époque, les schèmes les plus

efficaces pour gérer la paix internationale. Il est vrai que dans les années 1940, les relations

interétatiques étaient toujours dominées par ces principes, qui s’étaient certes montrés

imparfaits par le passé – inutile de rappeler les déboires de la SDN – mais qui s’étaient

malgré tout imposés comme les meilleures options jusqu’alors connues pour régulariser les

relations interétatiques. D’ailleurs, le choix de l’ONU, à l’issue de la Seconde Guerre

mondiale, en fit la démonstration éloquente, puisque cette organisation s’inscrivait

incontestablement dans cette tradition de coopération et d’alliance plutôt que d’union

interétatique. Or, ce projet d’organisation internationale ayant été, dans une large mesure,

ébauché et mis de l’avant par les États-Unis, il est la preuve que des changements majeurs

355 AWAC, « If this is not supreme dictatorship – what is it? », janvier 1943, LOC, Streit Papers, mm

87065621, Box I: 36, America First Party 1943. 356 AWAC, « The general plan is as follows », janvier 1943, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I: 36,

America First Party 1943. 357 Emery W. Balduf, « Lettre de Emery W. Balduf à Patrick Welch », 2 février 1942, p. 3, LOC, Streit Papers,

mm 87065621, Box I : 5, Fiche 1942 (2). 358 Ambrosius, loc. cit., p. 130. 359 Ibid, p. 143.

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tels que la mise en place d’un gouvernement mondial, accompagné d’immenses

transformations dans la gestion des relations internationales, n’étaient pas encore réellement

souhaités dans ce pays.

Enfin, la question économique associée au projet de fédération mondiale de Streit

s’imposa comme dernier aspect suscitant l’inquiétude de plusieurs Américains. De fait, la

mise en place de l’union de Streit les aurait forcés à faire des compromis de taille sur le plan

économique qui auraient considérablement transformé ce à quoi ils étaient habitués. La

souveraineté des États-Unis aurait donc été bouleversée, ouvrant la voie à des récriminations

importantes, car le principe du libre marché inhérent à l’union éveillait de profondes

inquiétudes. Sur ce plan, certains évoquèrent le fait que les États-Unis auraient été dans

obligation de supporter le fardeau économique des autres pays membres et que, de surcroît,

l’immigration à même les frontières de l’union aurait eu pour conséquence d’abaisser le

niveau de vie des Américains :

The proposal to let down immigration bars and permit all citizens of the Union to wander

at will to any part of the Union hardly seems to need an answer. It does not take much imagination

to realize what this would do to the standard of living of the American working man.

Nor do the plans for uniform currency, regulation of commerce, and the defense of the

Union or army part of it mean anything but that the taxpayers of the United States are going to

shoulder the financial burdens as usual […]360

À la convention de FUI tenue à Cleveland les 28 et 29 juin 1941, Paul G. Steinbicker, un

délégué de l’organisation représentant la région de St-Louis, au Missouri, signala que dans

la région qu’il représentait, la principale opposition à FUI était reliée à la question du libre-

échange : « The major objection from my section of the country has been the danger that will

arise to your economic organization from freedom of trade within the Union immediately

upon its establishment361. » Aussi, pour James Truslow Adams, prolifique historien

américain réputé critique à l’égard des positions politiques, économiques et sociales des

360 « Federal Union and the Main Reasons for our Opposition to it », décembre 1941, p. 2, LOC, Streit Papers,

mm 87065621, Box I : 45, Chapters, Peoria, Illinois, 1943-1946. 361 Paul G. Steinbicker, « Saturday Afternoon Session », Proceedings First Annual Convention Federal

Union, Inc.: June 28-29 1941, Wade Park Manor, Cleveland, Ohio, 28 juin 1941, p. 61, LOC, Streit

Papers, mm 87065621, Box I : 46, Convention, 1941, Proceedings.

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États-Unis362, Streit minimisait les difficultés inhérentes à l’introduction de mesures de libre-

échange et à l’émission d’une nouvelle devise monétaire363.

En résumé, au sein de la population des États-Unis, les questions économiques, en

plus des soucis identitaires et politiques associés aux principes de Union Now, engendrèrent

de vives critiques et celles-ci eurent des conséquences décisives sur la stagnation du projet à

l’intérieur des frontières américaines.

3.2. Convaincre les autres démocraties

Jusqu’ici, nous avons essentiellement discuté des nombreuses difficultés rencontrées

par FUI dans ses efforts pour faire avancer la proposition de Streit au pays de l’Oncle Sam.

Même si l’adhésion des États-Unis était une condition sine qua non à la mise en place d’un

gouvernement mondial, il n’en demeure pas moins qu’il fallait aussi impérativement obtenir

l’accord des 14 autres pays visés par l’union initiale pour y parvenir. Cela représentait un

défi de taille pour l’organisation, un défi qu’elle ne fut pas en mesure de surmonter, au final.

Les pays que Streit souhaitait initialement unir364 étaient ceux qui, selon lui, étaient

les plus homogènes et les plus étroitement liés365. Pour lui, leur principale similitude reposait

sur leur régime politique, c’est-à-dire qu’il s’agissait de démocraties, comme il le souligna

dans Union Now366. Toutefois, il semble clair que cette caractéristique était nettement

insuffisante pour espérer que ces nations puissent s’unir les unes aux autres dans une

fédération mondiale, mais Streit évinça cette évidence de sa réflexion. Il préférait plutôt baser

son argumentaire sur la puissance qu’auraient constituée les 15 démocraties unies367,

puisqu’il était plus avantageux pour l’avancement de son projet d’insister sur la force de ces

démocraties ainsi que sur leurs similitudes, bien que concrètement, ces pays n’étaient pas

362 Charles Forcey, « Adams, James Truslow », John A. Garraty et Mark C. Carnes, dir., op. cit., Vol. 1 :

Aarons – Baird, p. 98-99. 363 James Truslow Adams, « Article non titré tiré du New York Times », Union Now Bulletin, mars 1939,

LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box II : 36, Publications, Union Now Bulletin, 1939-41. 364 Rappelons qu’il s’agissait des États-Unis, de la Grande-Bretagne, du Canada, de l’Australie, de la

Nouvelle-Zélande, de l’Afrique du Sud, de l’Irlande, de la France, de la Belgique, des Pays-Bas, de la

Suisse, du Danemark, de la Norvège, de la Suède et de la Finlande.; Clarence K. Streit, Union Now: A

Proposal for a Federal Union of the Democracies of the North Atlantic, op. cit., p. 6-7. 365 Ibid., p. 7. 366 Ibid. 367 Ibid.

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aussi semblables qu’il le prétendait. Ceux-ci avaient évidemment tous un bagage historique,

social, économique et politique propre leur servant de repères identitaires solides, les

distinguant considérablement entre eux.

Comme ça aurait été le cas pour les États-Unis, l’établissement d’un gouvernement

mondial les impliquant les aurait eux aussi forcés à se détacher de certains de ces jalons

identitaires, en raison des transformations que le projet aurait provoquées. Rappelons que la

proposition de Streit était une sorte d’internationalisme « à l’américaine », qu’il s’agissait

d’un projet conçu d’abord pour les Américains et correspondant principalement à leurs

propres attentes. Mais les autres démocraties étaient-elles ouvertes à faire les sacrifices

nécessaires pour se conformer à l’internationalisme américain de Streit? Nos recherches

permettent difficilement de trancher sur cette question, car notre fonds d’archives renferme

presque exclusivement des documents concernant le volet américain de FUI. Néanmoins, des

indices nous permettent de croire que non. Quelques-unes de nos sources mentionnent à cet

effet l’importance occupée à l’époque par le nationalisme et les préjugés raciaux dans les

mentalités ainsi que le problème que cela engendrait pour l’établissement d’une fédération

mondiale, de même que la tendance de Streit à minimiser leur impact sur la mise sur pied de

sa proposition368. Selon le quotidien moscovite la Pravda, la confiance internationale durant

la Seconde Guerre mondiale n’était alors pas suffisante pour que les pays renoncent à leur

souveraineté nationale369. De surcroît, tel qu’évoqué dans un dépliant opposé à FUI, la

question se pose à savoir si les pays dont le poids politique aurait été moins significatif dans

l’union, en fonction de la répartition des élus prévue dans le plan de Streit, auraient accepté

sans sourciller de se joindre à une telle entité politique, sachant qu’ils auraient été à la merci

des décisions des États plus influents qu’eux370.

Enfin, était-il réaliste de penser que la fédération mondiale de Streit aurait pu être

établie entre 1939 et 1945 sans qu’elle soit perçue comme une provocation de la part des pays

368 Adolph W. Schmidt, « Lettre d’Adolph W. Schmidt à Stringfellow Barr », 12 août 1945, LOC, Streit

Papers, mm 87065621, Box I : 40, Stringfellow Barr, 1944.; James Truslow Adams, « Article non titré

tiré du New York Times », Union Now Bulletin, mars 1939, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box II :

36, Publications, Union Now Bulletin, 1939-41. 369 « Pravda Dissents », World Government News, décembre 1945, p. 3, LOC, Streit Papers, mm 87065621,

Box I : 91, World Federalists, 1945-46. 370 « Here Are the Answers to Your Questions About Union Now », Dépliant non daté, LOC, Streit Papers,

mm 87065621, Box I : 32, Roosevelt, Eleanor, 1939-1943.

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non membres? De l’avis de quelques intervenants de l’époque, comme le lieutenant-colonel

Adolph W. Schmidt, le colonel Thomas Tchou et d’autres, cela était impensable. Ceux-ci

croyaient en effet que les exclus auraient été incités à s’unir à leur tour entre eux pour faire

contrepoids à la fédération des démocraties de Streit, ce qui aurait pu donner lieu à un conflit

d’une envergure encore jamais vue à ce moment371. De plus, l’esprit colonialiste non avoué,

mais bien évident, sous-jacent à FUI dérangeait aussi. A. J. G. Priest, par exemple, était

d’avis que le fardeau de s’assurer que le monde soit dirigé par des instances démocratiques

revenait essentiellement aux anglophones, puisque c’étaient eux qui, selon lui, avaient pavé

la route à la démocratie372. Or, cette vision des choses, prétendant que l’union devait de prime

abord réunir des nations anglophones, ne faisait assurément pas consensus373. Streit, de son

côté, tempérait davantage ses opinions à ce sujet, puisqu’il disait vouloir que le noyau de

l’union ne reste pas anglo-américain pour très longtemps après sa formation, mais il

n’évinçait pas néanmoins la possibilité que cette union soit d’abord anglophone374.

Tout compte fait, il apparaît clair que FUI faisait face à un immense défi lorsqu’il

était question de convaincre la population américaine et ses sphères politiques, de même que

les peuples étrangers ciblés par l’union. De part et d’autre, des craintes, relevant

essentiellement de vecteurs identitaires, freinaient considérablement l’élan de FUI et

l’organisation ne fut ultimement pas en mesure de surmonter ces obstacles. Ceci dit, d’autres

éléments se dressèrent de surcroît sur le chemin du groupe, comme la gestion fastidieuse, à

l’interne, de cette ONG.

371 Adolph W. Schmidt, « Lettre d’Adolph W. Schmidt à Stringfellow Barr », 12 août 1945, LOC, Streit

Papers, mm 87065621, Box I : 40, Stringfellow Barr, 1944.; Thomas Tchou, « Address », Federal

Union, Inc., Hotel Statler, St. Louis, Missouri, June 26, 27 and 28, 1942, 26 juin 1942, p. 143, LOC,

Streit Papers, mm 87065621, Box II : 27, Conventions 1942 (1).; « Federal Union and the Main Reasons

for our Opposition to it », décembre 1941, p. 2, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I : 45, Chapters,

Peoria, Illinois, 1943-1946. 372 A.J.G. Priest, « Address », Federal Union, Inc., Hotel Statler, St. Louis, Missouri, June 26, 27 and 28,

1942, 26 juin 1942, p. 143, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box II : 27, Conventions 1942 (1). 373 William P. Maddox, « Saturday Afternoon Session », Proceedings First Annual Convention Federal

Union, Inc.: June 28-29 1941, Wade Park Manor, Cleveland, Ohio, 28 juin 1941, p. 52-53, LOC, Streit

Papers, mm 87065621, Box I : 46, Convention, 1941, Proceedings. 374 Clarence K. Streit, « Summary of talk I had with Ambassador Litvinoff, Washington D. C. », 3 janvier,

LOC, Streit Papers, mm 87065621, 1942 Box I : 23, Hull, Cordell, 1940-1944.

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4. Les problèmes associés à l’organisation

Au-delà du contexte et des difficultés rencontrées sur le plan idéologique, l’analyse

de la stagnation du mouvement de Clarence K. Streit serait incomplète sans porter un regard

sur la gérance des activités et des ressources de l’organisation. Effectivement, des problèmes

majeurs de gestion interférèrent immensément avec la réussite de la proposition de Streit. Ce

fut le cas pour l’organisation de la mobilisation, de même qu’en ce qui a trait à la gouvernance

du regroupement sur le plan administratif.

4.1. Des campagnes de mobilisation inefficaces

Sur le plan populaire, le manque d’intérêt et de connaissance des questions concernant

la politique internationale, pour une vaste partie de la population des États-Unis, s’imposa

comme un obstacle sérieux dans les campagnes de mobilisation de FUI. Effectivement, selon

les recherches citées par le politologue Gabriel A. Almond au milieu du XXe et reprises par

le spécialiste de l’opinion publique Richard Sobel au début des années 2000, seule une

minorité d’Américains, soit environ 25% d’entre eux, sont relativement bien informés, ou du

moins intéressés, par les problématiques en lien avec la politique375. De nombreuses

questions d’importance ne captent donc l’attention que de très peu d’individus étant

généralement concentrés dans une petite tranche de l’électorat376. Cela est imputable à la

complexité des questions politiques, qui sont difficiles à comprendre substantiellement pour

des personnes n’étant pas des spécialistes, à moins que ces individus ne tentent assidûment

de rechercher l’information leur permettant de bien les saisir377, ce qui nécessite des efforts

et du temps que tous ne sont pas disposés à consacrer à cette fin.

À titre illustratif, les travaux de David B. Truman montrèrent que plus d’un an après

l’établissement de l’ONU, le tiers de la population adulte n’avait pas les connaissances

suffisantes au sujet de cette organisation pour en expliquer le rôle, et ce même dans des

termes extrêmement simplistes tels que « pour maintenir la paix378 ». Conséquemment, outre

375 Sobel, op. cit., p. 13.; Almond, op., cit. 376 Key, op. cit., p. 77. 377 Berry, The Interest Group Society , op. cit., p. 121-122. 378 Truman, The Governmental Process: Political Interests and Public Opinion, op. cit., p. 219.

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un petit ensemble d’individus, il est possible de penser que les Américains durant la Seconde

Guerre mondiale n’étaient pas réellement bien au fait et ne comprenaient pas adéquatement

le projet de Streit, un projet évidemment bien moins médiatisé que l’ONU lorsqu’elle fut

mise sur pied. D’ailleurs ce dernier affirmait lui-même que certains saisissaient mal le

programme de FUI379. Or, selon John Foster Dulles, alors qu’il pratiquait encore le droit380,

la réussite d’une union comme celle-là reposait sur la nécessité sine qua non que les gens en

comprennent entièrement la signification. Il était d’avis que l’atteinte de changements

politiques notables était impossible juste en s’appuyant sur les mécanismes politiques, qu’il

fallait aussi une opinion publique bien instruite quant aux idées débattues et réceptive à

celles-ci381.

Avec une population américaine généralement peu intéressée, peu informée et

comprenant souvent mal les questions politiques, les campagnes de mobilisation dirigées par

FUI se devaient donc d’être d’autant plus efficaces question d’arriver à gagner l’intérêt et

l’approbation populaire. Or, malgré les efforts déployés pour y arriver, les campagnes de

mobilisations furent difficiles et plutôt inefficaces tout au long de la Seconde Guerre

mondiale. Effectivement, avec un financement toujours déficient, avec des campagnes

manquant de structure, avec FUI qui n’offrait pas suffisamment d’avantages à ses membres

et avec une stratégie inadéquate pour rejoindre les élus au Congrès, il devient facile de

comprendre tous les ennuis éprouvés par l’ONG de Streit dans ses tentatives de convaincre

toujours plus d’individus de joindre ses rangs et d’approuver les principes du fédéralisme

mondial.

À la base des problèmes entourant les campagnes de recrutement de FUI, un obstacle

fondamental supplanta tous les autres par son importance : celui du financement. En effet,

l’organisation, durant toute son existence, éprouva de sérieuses difficultés à amasser les

sommes nécessaires pour mener convenablement ses activités de recrutement et de

379 « Article non titré », Union Now Bulletin, 1er mai 1942, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I : 71,

Policy statements, 1941-1945. 380 En 1953, John Foster Dulles sera nommé secrétaire d’État sous la présidence de Dwight D. Eisenhower.;

Richard H. Immerman, « Dulles, John Foster », John A. Garraty et Mark C. Carnes, dir., op. cit., Vol.

7 : Dubuque – Fishbein, p. 44-45. 381 John Foster Dulles, « A North American Contribution to World Order », Third Conference on Canadian-

American Affairs, St. Lawrence Univerity, Canton, New York, 20 juin 1939, p. 19, LOC, Streit Papers,

mm 87065621, Box II : 29, Dulles, John Foster 1939-40.

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mobilisation382. Or, parmi les chercheurs s’intéressant aux groupes d’intérêt, il est

communément admis que l’argent est un élément essentiel à la réussite de ce genre de

regroupement. Selon Ronald J. Hrebenar, il s’agit en fait de la ressource la plus importante

pour de telles associations, car l’argent peut être converti en une foule d’autres ressources

cruciales pour le bon déroulement des activités de l’organisation et qui nécessitent des

investissements d’ordre monétaire383. Afin de mieux comprendre la problématique

financière, il est important de dresser d’abord un bref portrait des états financiers de

l’organisation au cours de la période étudiée, avant de voir les sources de revenus et de

dépenses de FUI.

Durant la Seconde Guerre mondiale, les chiffres de FUI montrent que le budget

annuel moyen de l’organisation s’éleva à 46 104$384. Or, selon Owen J. Roberts, FUI aurait

eu besoin de 200 000$ annuellement pour assurer la promotion adéquate du mouvement de

Streit aux États-Unis385. Entre 1939 et 1945, c’est l’année 1942 qui fut la pire, alors qu’un

déficit de plus de 5 000$ fut enregistré à la fin du quatrième trimestre386. C’est dire qu’avec

plus de 150 000$ manquant en moyenne annuellement aux coffres de FUI pour assurer une

campagne de mobilisation décente, selon l’estimation de Roberts, plusieurs activités

promotionnelles envisagées par FUI durent être modérées ou carrément annulées, faute de

fonds pour les alimenter387.

Cette difficulté à recueillir des sommes suffisantes peut s’expliquer de plusieurs

façons. D’un côté, les revenus du regroupement reposaient essentiellement sur le paiement

des droits d’adhésion par les membres et sur de petites donations que l’organisation arrivait

382 Clarence K. Streit, « Prospects », The Purpose, Character, Technique, History, Present Position &

Prospects of Federal Union, Inc., 1er avril 1944, p. 8, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I : 57,

Foundations, General, 1942-1951. 383 Hrebenar, op. cit., p. 72. 384 Consultez l’annexe 3 pour voir un tableau des revenus annuels de FUI entre 1939 et 1949.; « Financial

Data For 1939 and 1940s », non daté, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I : 40, Bibliographical

material 1919, 1939-82. 385 Stringfellow Barr, « Lettre de Stringfellow Barr à Adolph W. Schmidt », 11 juillet 1945, LOC, Streit

Papers, mm 87065621, Box I : 40, Stringfellow Barr, 1944. 386 Clarence K. Streit, « Federal Union Finances in 1943 », 14 avril 1944, LOC, Streit Papers, mm 87065621,

Box I : 36, Action Committee 1944. 387 Percival F. Brundage, « Report of the Temporary Chairman of the Committee », non daté, p. 2, LOC,

Streit Papers, mm 87065621, Box I : 52, Executive Committee, 1940-1944, 1948.

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à récolter388. Or, les revenus de frais d’adhésion étaient indubitablement liés au nombre de

membres, qui était somme toute limité, en plus d’être souvent mal gérés, dans la mesure où

les membres en règle ne payaient pas tous assidûment leurs cotisations. Dans le chapitre de

San Francisco à l’automne 1945, par exemple, il fut signalé que de nombreux membres de

FUI n’avaient pas payé leurs dus depuis plusieurs années389, privant ainsi l’organisation de

revenus et montrant du coup la faiblesse de l’engagement de nombreux adhérents à l’endroit

de la cause. Quant aux donations, elles étaient sporadiques et ne constituaient pas une source

d’entrée d’argent très fiable surtout qu’en raison du contexte, certains importants donateurs

potentiels étaient réticents à piger dans leur portefeuille afin de financer FUI390, car les

atrocités de la guerre, générant une souffrance humaine extraordinaire, les touchaient

davantage que la cause de cette organisatinon. Ils étaient conséquemment plus enclins à

donner à des organismes agissant dans l’immédiat sur les victimes des combats qu’à FUI391.

D’un autre côté, un facteur législatif, cette fois-ci, peut avoir eu un léger effet sur les

finances de FUI. Il s’agit de la difficulté de l’organisation à se voir reconnaître un statut

éducatif, faisant en sorte que pendant plusieurs années, les donations et les frais d’adhésion

ne s’accompagnèrent pas d’une exemption d’impôts. Ce n’est en effet qu’à partir du 22 août

1943 et après deux rejets, que le gouvernement américain accepta de lui accorder ce statut,

permettant du même coup aux partisans de FUI de tirer un meilleur profit de leurs

contributions à l’organisation392. Il est donc envisageable que l’impossibilité, pendant

388 Clarence K. Streit, « Lettre de Clarence K. Streit à Stringfellow Barr », 30 août 1945, LOC, Streit Papers,

mm 87065621, Box I : 40, Stringfellow Barr, 1944.; « Federal Union, Inc., Combined Income Statement,

For the Year ended December 31, 1940 », Supplement Federal Union Director’s Report, Convention de

Cleveland, 28-29 juin 1941, p. 2, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I : 54, Financial Reports,

1939-50.; « National Committee of Federal Union, Inc., Income and Surplus Statement, For the Five

Months ended May 31, 1941 », Supplement Federal Union Director’s Report, Convention de Cleveland,

28-29 juin 1941, p. 1, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I : 54, Financial Reports, 1939-50. 389 Edgar [Bisanys], « Lettre de Edgar [Bisanys] à Clarence K. Streit », 26 septembre 1945, LOC, Streit

Papers, mm 87065621, Box I : 44, Chapters, California, 1944-1946. 390 « Finances », Federal Union, Incorporated Director’s Report Submitted at the First National Convention

Cleveland Ohio June 28th, 29th 1941, p. 10, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I : 46, Convention,

1941, General. 391 « Finances », Federal Union, Incorporated Director’s Report Submitted at the First National Convention

Cleveland Ohio June 28th, 29th 1941, p. 10, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I : 46, Convention,

1941, General.; Emery W. Balduf, « Lettre de Emery W. Balduf à Patrick Welch », 2 février 1942, p. 3,

LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I : 5, Fiche 1942 (2). 392 Clarence K. Streit, « Purpose and Character », The Purpose, Character, Technique, History, Present

Position & Prospects of Federal Union, Inc., 1er avril 1944, p. 1, LOC, Streit Papers, mm 87065621,

Box I : 57, Foundations, General, 1942-1951.; Auteur inconnu, « Lettre d’un auteur inconnu à un

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approximativement quatre ans, de bénéficier d’avantages fiscaux associés aux contributions

financières à cette organisation ait pu décourager quelques personnes d’investir dans le

mouvement de Streit.

Enfin, l’incapacité de mener une campagne continuelle d’appel aux contributions se

répercuta aussi directement sur les revenus de FUI393. En effet, le manque d’argent restreignit

l’ampleur des campagnes de mobilisation et de telles campagnes de moindre envergure ne

permirent pas, conséquemment, de recueillir des sommes importantes pour renflouer les

coffres de l’ONG et ainsi assurer la longévité du mouvement. À ce sujet, Streit, en dépit de

son habituel optimisme à l’endroit de son groupe, déclara en avril 1944 que les montants

amassés par FUI ne lui permirent jamais de mener une campagne de mobilisation réellement

soutenue : « Our funds have never allowed us to plan and carry out a nation-wide campaign

on even a mediocre scale for a year394. » Cette réalité amena William P. Blake, secrétaire de

l’organisation en 1940395, à conclure que l’incapacité de l’organisation à lever les fonds

indispensables à son épanouissement fut, en fait, le plus grand échec de celle-ci396.

Parallèlement au manque de revenus, les activités de l’organisation généraient quant

à elles des dépenses importantes. Tant les activités de mobilisation proprement dite, d’une

part, que celles relevant du domaine administratif, d’autre part, lui coûtaient effectivement

très cher.

Dans le but de stimuler l’enthousiasme à l’endroit des idées de Streit, FUI devait

essayer de mener des campagnes de mobilisation de la plus large envergure possible, selon

les moyens à sa disposition, question de rejoindre les masses et les élites américaines à travers

tout le pays et de les convaincre de la pertinence du projet de Streit. Or, afin d’y arriver, FUI

avait besoin d’argent, de beaucoup d’argent, puisque tenter de se rallier essentiellement toute

destinataire inconnu », 25 septembre 1945, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I : 40, Board

Correspondence, 1944-1947. 393 William P. Blake, « Lettre de William P. Blake à Roger Baldwin », 30 mars 1940, LOC, Streit Papers,

mm 87065621, Box I : 5, 1940. 394 Clarence K. Streit, « Prospects », The Purpose, Character, Technique, History, Present Position &

Prospects of Federal Union, Inc., 1er avril 1944, p. 8, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I : 57,

Foundations, General, 1942-1951. 395 « Federal Union, Inc. », 8 octobre 1940, p. 1, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I : 52, Executive

Committee, 1940-1944, 1948. 396 William P. Blake, « Lettre de William P. Blake à Roger Baldwin », 30 mars 1940, LOC, Streit Papers,

mm 87065621, Box I : 5, 1940.

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une population estimée à 132,2 millions d’habitants en 1940397 et dispersée sur un territoire

aussi vaste que celui des États-Unis, avec les moyens technologiques limités alors

existant, constituait une aventure évidemment très onéreuse. Que ce soit pour obtenir des

minutes de temps d’antenne à la radio sur une base régulière, pour imprimer et distribuer des

documents publicitaires, pour organiser des conférences dans les communautés ou toute autre

activité promotionnelle de la sorte, il fallait nécessairement des sommes que FUI n’était pas

en mesure de rassembler pour y arriver adéquatement, comme nous l’avons vu

précédemment398. Question d’illustrer l’ampleur des coûts associés à certaines activités de

mobilisation, précisons par exemple qu’en 1942, une publicité pleine page publiée une seule

journée dans le Chicago Tribune du dimanche, un journal à grand tirage, coûtait 3 548$399.

Avec un budget annuel moyen oscillant autour de 46 000$ durant la guerre, un tel montant

représentait une somme colossale pour le portefeuille de FUI400.

Manquant de fonds, l’organisation dut s’en remettre à des initiatives de moins grande

envergure et moins coûteuses, mais aussi moins efficaces, comme publier des annonces dans

des journaux aux plus petits tirages ou tenter d’obtenir des minutes d’antenne sur les ondes

de stations de radios locales401. De plus, les troubles financiers empêchèrent les partisans du

mouvement de Streit de mener des campagnes de mobilisation systématiques, freinant par

conséquent le potentiel de réussite de celles-ci. À titre d’exemple, dans le rapport du directeur

397 « A Look at the 1940 Census », U.S. Census Bureau, loc., cit. 398 « Advertising », Federal Union, Incorporated Director’s Report Submitted at the First National

Convention Cleveland Ohio June 28th, 29th 1941, p. 16-17, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I :

46, Convention, 1941, General.; « Minutes of Board of Directors Meeting », 20 août 1945, LOC, Streit

Papers, mm 87065621, Box II : 25, Board of Federal Union, Inc., 1941-1954. 399 Il est estimé que le Chicago Tribune avait un tirage s’élevant à 1 178 000 en janvier 1942.; Emery W.

Balduf, « Lettre de Emery W. Balduf à Clarence K. Streit », 21 février 1942, p. 1, LOC, Streit Papers,

mm 87065621, Box I : 5, 1942 (2).; Nell Lothrop Forstall, « Lettre de Nell Lothrop Forstall à Clarence

K. Streit », 24 janvier 1942, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I : 5, 1942 (1). 400 « Financial Data For 1939 and 1940s », non daté, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I : 40,

Bibliographical material 1919, 1939-82. 401 Le 22 février 1942, FUI fit publier une publicité dans le Chicago Sun pour la somme de 985$, plutôt que

dans le Chicago Tribune. Bien qu’élevé, ce montant était néanmoins plus de trois fois moins grand que

ce qu’il en aurait coûté pour faire de même dans le Chicago Tribune, mais son tirage était aussi moins

grand, avec 400 000 lecteurs, comparativement à 1 178 000 pour le Tribune. Consultez l’annexe 4 pour

voir la publicité en question.; Emery W. Balduf, « Lettre de Emery W. Balduf à Clarence K. Streit », 21

février 1942, p. 1, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I : 5, 1942 (2).; « Radio Broadcasts », Union

Now Headquarters Bulletin, 20 (11 juillet 1941), p. 1, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I : 76,

Publications, Headquarters Bulletin, 1940-1941.; Nell Lothrop Forstall, « Lettre de Nell Lothrop Forstall

à Clarence K. Streit », 24 janvier 1942, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I : 5, 1942 (1).; « To

win the war Attack the Axis from Within Now », Chicago Sun, 22 février 1942, p. 40, LOC, Streit

Papers, mm 87065621, Box I : 36, Advertising 1939-1942.

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de FUI présenté à la convention de Cleveland à l’été 1941, les travaux menés par

l’organisation au cours de l’année précédente pouvaient être rassemblés sous le couvert de

neuf catégories : la publicité; l’envoi de courrier; la publicité dans des magazines et des

journaux; les ralliements publics et les dîners-bénéfices; les conférences; les émissions de

radio; le travail via des organisations déjà établies; le travail conjoint avec des collèges ainsi

que des universités, et finalement, le travail avec des groupes étrangers402. Cela illustre bien

le caractère éclectique des tâches de mobilisation de cette ONG. Or, si la variété de ces

activités peut être une bonne chose dans le but de capter l’attention de diverses personnes

issues de plusieurs horizons, encore faut-il que celles-ci soient suffisamment soutenues et,

avec les moyens financiers limités de FUI, il est impossible qu’elles aient été d’une envergure

assez grande pour assurer une visibilité et générer la formation d’un vaste mouvement

d’appui pour les idées de Streit. Du coup, il aurait peut-être été préférable que l’organisation

concentre ses efforts sur quelques activités seulement, question de maximiser leur impact,

plutôt que d’essayer de travailler plusieurs choses à la fois et qu’aucune d’entre elles ne donne

de bons résultats.

De plus, les dépenses nécessaires reliées à la gestion de l’organisation venaient

s’ajouter au compte de FUI. Sans pour autant aider à accroître la popularité des idées de

Union Now, ces dépenses s’imposaient, mais sabraient aussi généreusement le budget du

regroupement. Parmi celles-ci, les salaires ainsi que les frais encourus par la tenue de la

convention annuelle coûtaient particulièrement cher. Bien qu’une part importante du travail

relié aux activités du groupe passait par des actions bénévoles, permettant d’économiser des

montants importants, comme c’est d’ailleurs le cas dans la plupart des groupes d’intérêt,

certains individus se voyaient tout de même verser un salaire pour leur travail au sein de

l’organisation403. Même s’ils étaient relativement peu nombreux, les salariés de FUI

drainaient malgré tout beaucoup d’argent hors des coffres du regroupement. Par exemple, en

1940, les salaires versés aux employés s’élevèrent à 16 213,10$, alors que les revenus annuels

402 « Promotion Activities », Federal Union, Incorporated Director’s Report Submitted at the First National

Convention Cleveland Ohio June 28th, 29th 1941, p. 14, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I : 46,

Convention, 1941, General. 403 « Promotion Activities », Federal Union, Incorporated Director’s Report Submitted at the First National

Convention Cleveland Ohio June 28th, 29th 1941, p. 14, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I : 46,

Convention, 1941, General.; Wilson, op. cit., p. 85.

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furent de 72 231$. Il s’agissait non moins de 22,4% du budget total de l’organisation404. Dans

ce contexte, il n’est pas surprenant de constater, à la lumière de nos archives, que FUI éprouva

parfois de la difficulté à payer ses employés405. Outre les salaires, la tenue, à toutes les années,

d’une convention visant à faire le point sur les activités et les politiques organisationnelles

coûtait cher à FUI. En 1943, à titre illustratif, la convention de Peoria, en Illinois, coûta

approximativement 3 000$ des 26 098$ à la disposition de FUI cette année-là, soit 11,5% du

budget annuel406. À ces dépenses de gestion, il faut aussi ajouter d’autres frais de moins

grande importance, mais qui s’accumulaient néanmoins, relevant par exemple de la location

des locaux destinés aux quartiers généraux de FUI, de leur fonctionnement, de frais de

comptabilité, etc., mais nous ne disposons pas de chiffres permettant d’évaluer la part du

budget redirigée à ces fins. En somme, il ressort que des montants importants étaient investis

dans la gestion de l’organisation, par obligation, certes, mais privant du même coup le volet

de la mobilisation de sommes d’argent dont il aurait grandement eu besoin pour la promotion

de ses objectifs.

Au-delà des questions purement financières, le manque d’éléments stimulants

émanant de FUI pouvant attirer constamment de nouveaux membres et assurer leur rétention,

en plus de favoriser leur enthousiasme, constitua un autre problème avec lequel FUI dut

composer. Selon le politologue Robert H. Salisbury, il est utile de se référer à la théorie des

échanges pour étudier l’émergence, l’épanouissement et le déclin des groupes d’intérêt. Cette

théorie stipule qu’afin d’attirer des membres, les organisateurs de ces groupes doivent leur

accorder une série d’avantages en échange de leur adhésion et de leur participation à

404 « Salaries », Supplement Federal Union Director’s Report, Convention de Cleveland, 28-29 juin 1941, p.

7, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I : 54, Financial Reports, 1939-50.; « Financial Data For 1939

and 1940s », non daté, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I : 40, Bibliographical material 1919,

1939-82. 405 Dans une lettre adressée à Clarence K. Streit le 31 mars 1942, Emery W. Balduf affirme que lui, Patrick

Welch et Margaret Blumenstiel ne recevront pas leur chèque de paye des quartiers généraux de FUI pour

une deuxième semaine consécutive, car l’organisation ne dispose pas des fonds nécessaires à cet effet.;

Emery W. Balduf, « Lettre de Emery W. Balduf à Clarence K. Streit », 31 mars 1942, LOC, Streit Papers,

mm 87065621, Box I : 5, 1942 (1). 406 Clarence K. Streit, « History of Federal Union », The Purpose, Character, Technique, History, Present

Position & Prospects of Federal Union, Inc., 1er avril 1944, p. 5, LOC, Streit Papers, mm 87065621,

Box I : 57, Foundations, General, 1942-1951.; Adélaide M. Enright, « Lettre de Adélaide M. Enright à

Clarence K. Streit », 5 mai 1944, p. 2, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I : 36, Action Committee

1944.; « Finincial Data For 1939 and 1940s », non daté, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I : 40,

Bibliographical Material 1919, 1939-82.

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l’organisation. Ils investissent donc des capitaux pour générer plusieurs bénéfices qu’ils

offrent à un marché de membres potentiels à un certain prix. Tant et aussi longtemps que les

gens accordent une valeur à ces avantages, c'est-à-dire qu’ils souhaitent les obtenir, le groupe

ne s’écroulera pas. Si les bénéfices sont insuffisants ou inadéquats, l’adhésion, la rétention et

la participation active des membres ne seront pas assurées et le groupe finira par

disparaître407. Ainsi, selon cette théorie, les gens joignent des organisations parce qu’ils y

voient l’opportunité d’en retirer un gain, dans le cadre d’une relation d’échanges, c’est-à-dire

par l’offre de leur aide au groupe en retour d’un avantage quelconque408.

Aux yeux de Salisbury, les bénéfices ne sont pas nécessairement toujours de

« véritables » avantages ayant notamment une valeur monnayable. Il s’agit en fait de choses

pour lesquelles les gens accordent de l'importance, peu importe leur nature409 et ils sont

généralement de trois types : les bénéfices matériels, ceux de solidarité ainsi que les bénéfices

expressifs – ou purposive benefits, selon les chercheurs cités410. Les premiers sont associés

aux divers biens dont les membres du groupe sont en mesure de profiter, comme des

abonnements à des magazines. Les seconds découlent directement du fait de s’associer à un

groupe. Ils relèvent du développement d’un sentiment d’appartenance, de convivialité, de

fraternité. Les derniers, quant à eux, sont en lien avec les objectifs visés par l’organisation.

Ce sont les avantages que retirent les membres lorsque le but de l’organisation est atteint, un

but dont plusieurs vont bénéficier et pas seulement les membres du regroupement en

question411. Ces trois types d’avantages associés à l’adhésion à une organisation n’ont

toutefois pas la même capacité d’attirer et de retenir des membres. Outre les bénéfices

matériels, les deux autres types sont plutôt difficiles à « vendre » et ne constituent pas un

argument fort pour pousser quelqu’un à joindre un groupe412. Afin d’assurer leur stabilité,

plusieurs regroupements vont donc miser sur divers avantages, mais pour Ronald J. Hrebenar

407 Robert H. Salisbury, « An Exchange Theory of Interest Groups », Midwest Journal of Political Science,

13, 1 (1969), p. 2, 11-12. 408 Berry, Lobbying for the People: The Political Behavior of Public Interest Groups, op. cit., p. 21. 409 Salisbury, loc. cit., p. 15. 410 Hrebenar, par exemple, parle de purposive benefits, tout comme Peter B. Clark et James Q. Wilson, alors

que Salisbury préfère pour sa part l’usage du terme expressive benefits.; Hrebenar, op. cit., p. 28-29.;

Peter B. Clark et James Q. Wilson, « Incentive Systems: A Theory of Organizations », Administrative

Science Quarterly, 6, 2 (1961), p. 135-136.; Salisbury, loc. cit., p. 16. 411 Hrebenar, op. cit.; Salisbury, loc. cit., p. 15-16. 412 Salisbury, loc. cit., p. 18-19.

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de même que pour l’économiste et sociologue Mancur Olson, leur survie à long terme dépend

essentiellement des bénéfices personnels et sélectifs, ne profitant qu’aux membres, que

l’organisation peut offrir. Puisque les groupes d’intérêt vont chercher des changements

législatifs qui vont être avantageux pour tous, il n’est donc pas absolument nécessaire d’être

membre pour obtenir ces bénéfices collectifs et c’est pourquoi il est essentiel de compter

aussi sur des privilèges plus exclusifs413.

Concernant FUI, les documents de notre corpus ne mentionnent presque rien à l’effet

que les membres avaient des avantages matériels en raison de leur adhésion, mis à part que

certaines personnes recevaient des envois postaux gratuits414. Selon nous, c’est signe qu’ils

ne retiraient pratiquement pas de bénéfices de ce genre, ce qui, d’ailleurs, ne serait pas

surprenant compte tenu des états financiers très précaires de l’organisation ne permettant pas

d’offrir une vaste gamme de produits de ce genre. Les bénéfices de solidarité, pour leur part,

étaient aussi relativement peu présents avec FUI. Rappelons que pour fonder un chapitre, il

ne fallait que sept adhérents et que plusieurs chapitres, particulièrement dans le Sud et le

Mid-Ouest américain, ne comptaient que très peu de membres415. Du coup, il était difficile

de valoriser l’idée qu’il pouvait être intéressant de s’associer à FUI dans le but de faire partie

d’un groupe, d’une sorte de club social. Il ne restait donc essentiellement que les bénéfices

expressifs pour amener les gens à rejoindre les rangs de l’organisation. Dans le cas de FUI,

ces avantages, soit l’établissement d’un gouvernement mondial et le maintien de la paix lui

étant associé, étaient très axés sur le long terme et donc peu vendeurs. Toutefois, c’était

essentiellement le seul avantage que les Américains auraient possiblement obtenu s’ils

s’étaient joints au groupe et Streit n’eut d’autres choix que de s’appuyer sur cette seule bouée.

Il misa donc sur le fait que de s’associer à FUI, ce n’était pas seulement faire partie d’une

organisation, c’était aussi et surtout participer à une grande aventure416.

413 Hrebenar, op. cit., p. 26.; Ibid., p. 20-22.; Mancur Olson, The Logic of Collective Action: Public Goods

and the Theory of Groups, Cambridge, Harvard University Press, 1971, p. 129, 133-134. 414 Edgar [Bisanys], « Lettre de Edgar [Bisanys] à Clarence K. Streit », 26 septembre 1945, LOC, Streit

Papers, mm 87065621, Box I : 44, Chapters, California, 1944-1946. 415 Clarence K. Streit, « Lettre de Clarence K. Streit à Harriott Miller », 2 mars 1944, p. 2, LOC, Streit Papers,

mm 87065621, Box I : 45, Chapters, Peoria, Illinois, 1943-1946.; « I.F.U. Membership in U.S.A. by

states and sources of financial support », non daté, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I : 65, Inter-

Democracy of Federal Unionists 1939-1942. 416 « Meeting Minutes of the Executive Committee/of Federal Union, Inc. », 17 décembre 1944, p. 4, LOC,

Streit Papers, mm 87065621, Box I : 52, Executive Committee, 1940-1944, 1948.

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Or, nous venons de le voir, les bénéfices collectifs de ce genre n’ont que peu d’impact

sur l’adhésion à un groupe, et par conséquent, les organisations pariant principalement sur ce

type d’avantages tendent à être très instables et peu durables417. Qui plus est, pour Charles B.

Handy, professeur spécialiste de management et des comportements organisationnels, les

gens aiment avoir des cibles à atteindre et celles-ci doivent être relativement à court terme,

faute de quoi elles sembleront inatteignables, ce qui se reflètera dans l’ardeur de l’effort

donné pour les atteindre418. Sans la possibilité d’obtenir un bénéfice concret et accessible

favorisant un enthousiasme, il était plus difficile d’espérer des partisans de FUI un

engagement fort et un travail soutenu pour promouvoir la cause419. Cela dit, il reste

néanmoins que certains individus se joignent à des groupes par simple idéalisme, par

admiration pour la cause défendue et pas seulement en raison de bénéfices plus personnels

qu’ils pourraient en retirer420. Toutefois, l’absence presque totale d’avantages personnels

empêchait FUI de recruter un maximum de personnes. Il lui aurait fallu offrir une

combinaison de tous les trois types d’avantages pour y arriver, en plus d’être en mesure de

bien informer les membres potentiels, via la publicité, des bénéfices qu’ils auraient pu espérer

obtenir de leur participation au sein de l’organisation421. En d’autres mots, le projet de Streit

cadrait très mal avec la typologie avancée par Salisbury.

Finalement, du côté gouvernemental, là aussi, il semble que la stratégie de FUI

présentait des faiblesses. Comme nous l’avons exposé dans le premier chapitre, la façon de

faire préconisée par l’organisation relevait du lobbying direct422, car elle consistait

essentiellement à approcher individuellement des élus afin de les convaincre d’adhérer à

l’école de pensée de Streit, ce qui, selon certains chercheurs s’intéressant aux groupes

d’intérêt, est une excellente façon de faire423. Néanmoins, établir des contacts avec des

membres du gouvernement est une tâche difficile, car ceux-ci sont normalement très occupés

417 Salisbury, loc. cit., p. 20. 418 Charles B. Handy, Understanding Voluntary Organizations: How to Make Them Function Effectively,

Londres, Harmondsworth, 1988, p. 37. 419 Ibid., p. 27. 420 Wilson, op. cit.; Cigler, loc. cit., p. 108. 421 Berry, Lobbying for the People: The Political Behavior of Public Interest Groups, op. cit.; Salisbury, loc.

cit. 422 Hrebenar, op. cit., p. 105. 423 Ibid., p. 110.

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et donc peu disponibles424. Streit disait d’ailleurs éprouver des difficultés à amener des

politiciens à lire son livre parce qu’ils manquaient justement de temps pour le faire425. Cela

dit, étant donné que l’objectif désiré des partisans de FUI était d’une envergure monstre et

aurait nécessité d’importantes réformes constitutionnelles et gouvernementales, à notre avis,

il aurait été plutôt préférable de travailler de concert avec les partis politiques présents à

Washington en vue de les amener à mettre en place une politique de parti orientée vers

l’établissement d’une fédération mondiale. De l’avis du politologue Clive S. Thomas, cette

méthode tend effectivement à donner de bons résultats. Pour lui, il est très pertinent, pour les

groupes d’intérêt, de travailler en étroite collaboration avec les partis politiques durant tout

le processus d’élaboration de leur plate-forme de parti de sorte qu’ils puissent atteindre leurs

objectifs426. Une observatrice de l’époque, Katharine Dexter McCormick, riche philanthrope

et activiste américaine427, était aussi de cet avis et affirma d’ailleurs, le 18 février 1942, qu’il

aurait été préférable pour FUI de chercher à introduire ses idées par le biais d’une politique

de parti428. Or, ce ne fut pas la stratégie adoptée et, nous l’avons vu, les gains au niveau

étatiques furent plus que modestes.

4.2. Des troubles de gestion interne

Au-delà des troubles de mobilisation, il apparaît que la manière dont les ressources et

les activités de FUI étaient gérées par ses têtes dirigeantes n’était pas toujours optimale.

Effectivement, malgré des efforts pour assurer une saine gestion de l’organisation au niveau

national et local, des lacunes sur ce plan étaient néanmoins bien présentes et se reflétèrent

dans la relation entre les deux niveaux de l’organisation, en plus de contribuer, au moins en

partie, à la stagnation et au recul de la proposition de Streit.

424 Ibid., p. 105. 425 Clarence K. Streit, « Lettre de Clarence K. Streit à Wendell Willkie », 15 avril 1941, LOC, Streit Papers,

mm 87065621, Box I : 91, Willkie, Wendell, 1941-1944. 426 Clive S. Thomas, « The United States: The Paradox of Loose Party-Group Ties in the Context of American

Political Development », Clive S. Thomas, dir., Political Parties and Interest Groups: Shaping

Democratic Governance, Boulder, Lynne Rienner Publishers, 2001, p. 92. 427 Steven L. Tuck, « McCormick, Katharine Dexter », John A. Garraty et Mark C. Carnes, dir., op. cit., Vol.

14 : Lovejoy – McCurdy, p. 916. 428 Katharine Dexter McCormick, « Lettre de Katharine Dexter McCormick à Nell Lothrop Forstall », 18

février 1942, p. 1, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I : 5, 1942 (2).

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FUI était un regroupement constitué d’une organisation nationale ayant pour mission

de chapeauter les activités tenues par les organisations locales, c’est-à-dire les chapitres. Or,

à la lumière des traces rassemblées dans les Clarence K. Streit Papers, 1838-1990, un constat

est retentissant : FUI essaya de gérer adéquatement les activités des chapitres oeuvrant un

peu partout à travers les États-Unis, mais eut d’énormes difficultés à coordonner et à

structurer efficacement les travaux de l’organisation sur le tout territoire américain. De fait,

pour assurer une cohésion, FUI mit en place certains mécanismes favorisant une saine

administration de l’organisation, comme la tenue d’une convention annuelle et la publication

d’un bulletin informatif envoyé de façon bimensuelle aux dirigeants des chapitres, le Union

Now Headquarters Bulletin, qui permettait de faire le point sur les activités de FUI429. De

surcroît, les divers comités formant l’organisation nationale, pour leur part, se rencontraient

habituellement sur une base hebdomadaire ou mensuelle et l’organisation nationale demanda

même aux chapitres de produire un rapport mensuel de leurs activités430. Bref, il est clair

qu’on tentait d’assurer un suivi plutôt serré des activités du groupe.

Cependant, ces tentatives furent insuffisantes pour garantir une saine gestion de FUI

et de profonds problèmes organisationnels existaient malgré ces démarches431. Le manque

de constance dans la tenue des rapports sur les activités de l’ONG, le travail confondant de

plusieurs membres du comité de direction siégeant à la tête de deux organisations

internationalistes différentes, en plus de la remise en question des aptitudes de Streit à diriger

le mouvement constituèrent les plus importants obstacles concernant la gestion auxquels le

groupe fut confronté.

D’abord, l’absence de rapports précis et réguliers faisant un bilan de l’état de

l’avancement de FUI ainsi que de ses activités à travers les États-Unis alimenta la

désorganisation du mouvement. À titre illustratif, Edgar Bisanys, du chapitre de San

429 « Convention is Great Success », Union Now Headquarters Bulletin, 19 (3 juillet 1941), p. 1, LOC, Streit

Papers, mm 87065621, Box I : 36, Publications, Headquarters Bulletin, 1939-41. 430 Percival F. Brundage, « Report of Secretary », Federal Union, Inc., Hotel Statler, St. Louis, Missouri,

June 26, 27 and 28, 1942, 26 juin 1942, p. 46, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box II : 27,

Conventions 1942 (1).; « Monthly Reports from Chapters », Union Now Headquarters Bulletin, 23 (23

septembre 1941), p. 1, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I : 76, Publications, Headquarters

Bulletin, 1940-1941. 431 A. Powell Davies, « Lettre de A. Powell Davies à Vernon Nash », 20 novembre 1940, Box I : 28, Nash,

Vernon, 1940-1941.

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Francisco, se souciait du manque d’informations que son chapitre détenait au sujet de FUI et

c’est pourquoi, dans une lettre destinée à Streit et datée du 26 septembre 1945, il lui demanda

plusieurs précisions sur la progression du mouvement :

How many actual dues paying members do we have now? How many did we have a year

ago? How many are $2 members, large contributors, etc. How many get free mailings? How

effective is the work to reach people of influence throughout the country? How efficient is it, can

you follow month by month or year the gain or loss in members, by regions, etc? Does anyone

keep an organization map or chart and work at the bare spots by any one of a dozen possible

means?432

Tous ces questionnements montrent bien à quel point ce chapitre était déconnecté de

l’organisation nationale. En fait, compte tenu de la difficulté que nous avons eue à colliger

des chiffres illustrant la montée en popularité de FUI au cours de la Seconde Guerre mondiale

aux États-Unis, il est fort probable que Streit n’était même pas en mesure de répondre

précisément aux questionnements de Bisanys, car l’organisation nationale ne semblait pas

détenir les statistiques suffisantes pour y arriver. Le rapport du directeur de FUI présenté à la

convention de Cleveland à l’été 1941 soulignait d’ailleurs que l’organisation éprouvait des

problèmes à maintenir des rapports appropriés de ses activités, notamment parce que le

travail effectué était majoritairement fait par des bénévoles durant leurs temps libres433. Sans

de telles informations cruciales à sa disposition, comment FUI pouvait-elle bien gérer ses

ressources et organiser sa mobilisation de façon efficace? Nous croyons que c’était

pratiquement impossible d’y parvenir. De surcroît, la gestion plutôt laxiste des livres de FUI

apparaissait encore plus évidente à la lumière des propos de Bisanys, qui affirma, en

septembre 1945, que de nombreux membres de son chapitre n’avaient pas payé leurs frais

d’adhésion depuis des années434. Cela indique aussi un manque d’engagement certain de la

part de plusieurs membres pour qui il ne semblait pas essentiel de contribuer à l’organisation,

même aussi minimalement qu’en payant leur souscription. FUI, de plus, ne semblait pas

demander une implication très importante et soutenue de ses adhérents. En effet, les archives

432 Edgar [Bisanys], « Lettre de Edgar [Bisanys] à Clarence K. Streit », 26 septembre 1945, LOC, Streit

Papers, mm 87065621, Box I : 44, Chapters, California, 1944-1946. 433 « Promotion Activities », Federal Union, Incorporated Director’s Report Submitted at the First National

Convention Cleveland Ohio June 28th, 29th 1941, p. 14, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I : 46,

Convention, 1941, General. 434 Edgar [Bisanys], « Lettre de Edgar [Bisanys] à Clarence K. Streit », 26 septembre 1945, LOC, Streit

Papers, mm 87065621, Box I : 44, Chapters, California, 1944-1946.

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analysées ne montrent pas, par exemple, la tenue régulière de réunions dans les chapitres

locaux.

La gestion fastidieuse de l’organisation, ensuite, était visible par le manque

d’indépendance, de distinction, entre FUI et d’autres organisations internationalistes. Ainsi,

à l’hiver 1944, un recoupement indiscutable entre FUI et le Massachusetts Committee for

World Federation (MCWF) s’était installé. De fait, dans un mémorandum de Streit à

l’intention d’A. J. G. Priest envoyé le 2 février 1944, Streit signala à Priest son inquiétude à

l’effet que 11 membres siégeant sur le comité de direction de FUI occupaient aussi un poste

sur le comité de direction du MCWF. Selon ses dires, ces individus utilisaient les mêmes

bureaux et les mêmes numéros de téléphone, peu importe s’ils agissaient pour le compte de

l’une ou l’autre des deux organisations. Pour qu’une telle réalité s’installe dans les murs de

FUI, il est clair qu’un problème important de gestion troublait les activités internes de

l’organisation et la conséquence de tout cela, évidemment, fut d’atténuer la ligne distinguant

les deux organisations, contribuant du coup à alimenter une confusion autour de la cause

exacte et des objectifs précis défendus par Streit et ses partisans435.

Les problèmes de gestion étaient aussi liés à la gouvernance de l’organisation, qui fut

remise en cause dès 1940. Au sein de FUI, des divergences d’opinions notables étaient

perceptibles, particulièrement entre des membres occupant des postes élevés dans la

hiérarchie du mouvement et le président de l’ONG, Clarence K. Streit. Si les partisans ne

s’entendaient pas tous sur certains points de la politique de l’organisation, comme le moment

de mettre en place l’union, par exemple, c’est surtout au sujet de la haute direction, plus

précisément de Streit lui-même, que portèrent les plus grandes récriminations en matière de

gestion.

Pour certains, effectivement, Streit n’avait pas les qualités ni les compétences pour

occuper le poste de présidence d’un regroupement comme FUI. Ils lui reprochaient ses

tendances autoritaires, voire presque dictatoriales. En tête de file parmi ceux ayant exprimé

des critiques se retrouvent William P. Blake et Vernon Nash, deux membres du comité

435 Streit, « Mémorandum de Clarence K. Streit à A.J.G. Priest », 2 février 1944, p.1, LOC, Streit Papers, mm

87065621, Box I : 40, Board Correspondence, 1944-1947.

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exécutif de FUI en 1940436, de même que Robert Wheelright, président de ce même comité

en 1944437, et Fritz R. von Windegger, un banquier devenu membre de l’organisation à partir

de 1942438. Plus précisément, les critiques jugeaient que Streit tendait à gérer l’organisation

de façon totalitaire, qu’il n’était pas ouvert aux commentaires ni aux visions différentes des

siennes, et donc, que le regroupement en soi n’était pas démocratique. Selon Wheelwright,

FUI demandait justement l’application des principes démocratiques dans les affaires

internationales, mais n’appliquait pas de telles façons de faire à ses propres pratiques

organisationnelles, dans la mesure où il avait l’impression que tout membre pensant

différemment de Streit était jugé dans l’erreur par celui-ci : « The more I think of the situation

the more I get confused. We demand democratic procedure in international affairs, we don’t

get it in FU. […] Each of us is free to say what he thinks, but every one [sic] is wrong so far

as FU is concerned if C.K.S. [Clarence K. Streit] says the opposite439. » Von Windegger

partageait cet avis, lui qui condamnait aussi la tendance perfectionniste du « tout ou rien »

préconisée par Streit qui, à ses yeux, ne considérait comme un vrai unioniste que celui qui

adhérait à 100% à tous les moindres détails de la proposition présentée dans Union Now440.

Or, dans une organisation, il n’est pas rare que les membres interprètent les choses

différemment de leurs dirigeants, mais dans FUI, cela posait problème441.

C’est dire à quel point la gouvernance administrative et exécutive de Streit au sein du

mouvement était fortement remise en question442. En fait, pour Nash, il ne faisait pas le

moindre doute dans son esprit, tout comme dans celui de la majorité des gens sur le comité

de direction à son avis, que le président de FUI était totalement incapable de diriger

436 En 1940, Vernon Nash était un membre du comité exécutif national alors que William P. Blake était le

secrétaire de ce comité.; « Federal Union, Inc. », 8 octobre 1940, p. 1, LOC, Streit Papers, mm 87065621,

Box I : 52, Executive Committee, 1940-1944, 1948. 437 Robert Wheelright, « Lettre de Robert Wheelright à Stringfellow Barr », 25 janvier 1944, LOC, Streit

Papers, mm 87065621, Box I : 40, Stringfellow Barr, 1944. 438 Streit, « Lettre de Clarence K. Streit à Fritz R. von Windegger », 15 mars 1945, p. 1, LOC, Streit Papers,

mm 87065621, Box I : 45, Chapters, St. Louis, Missouri, 1943-1946. 439 Robert Wheelright, « Lettre de Robert Wheelright à Stringfellow Barr », 25 janvier 1944, LOC, Streit

Papers, mm 87065621, Box I : 40, Stringfellow Barr, 1944. 440 Clarence K. Streit, « Lettre de Clarence K. Streit à Fritz R. von Windegger », 15 mars 1945, p. 1, LOC,

Streit Papers, mm 87065621, Box I : 45, Chapters, St. Louis, Missouri, 1943-1946. 441 Tarrow, op. cit., p. 123. 442 William P. Blake, « Lettre de William P. Blake aux membres du comité exécutif de Federal Union, Inc. »,

7 novembre 1940, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I : 28, Nash, Vernon, 1940-1941.

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efficacement l’organisation443. Celle-ci lui apparaissait donc dysfonctionnelle444. Bien que

ces allégations fussent démenties par certains partisans de Streit, comme John Howard

Ford445, il est néanmoins clair qu’une sorte de crise interne terrassait FUI, donnant lieu à

d’importants affrontements. Ainsi, Ford exprima son désir de voir Wheelwright quitter ses

fonctions occupées sur le comité exécutif, Streit demanda la démission de Blake de son poste

de secrétaire de l’organisation et Nash envisagea la possibilité de renverser les pouvoirs de

Streit446.

Pour Blake, qui finit par résigner ses fonctions à l’automne 1940, après 18 mois de

bénévolat pour le compte de FUI447, l’incapacité de Streit de faire des compromis, affecta le

regroupement dans la mesure où elle empêcha plusieurs personnes de s’identifier à

l’organisation :

He has proven himself in a hundred ways totally unable to make use of expert advice in

specialized fields of promotion, except where the expert opinion already coincides with his own.

He does not know how to use the creative work of others, unless every detail of it is done in a

spirit of blind followership.

Yet, he insists on a structural set-up which reserves to himself complete control. This is

the fundamental flaw in our organization, the condition with which Unionists inside and out of

the National Committee have struggled from the beginning […]

I am also aware that many other individuals, of infinitely greater consequence than I,

have failed to identify themselves with the organization, because they are aware of Streit’s

inability to do otherwise than head a cult rather than lead a movement448.

Après la défection de Blake, von Windegger, pour sa part vivement insatisfait du rôle et de

l’attitude de Streit, quitta lui aussi l’organisation le 15 mars 1945449.

443 Vernon Nash, « Lettre de Vernon Nash à John Howard Ford », 17 octobre 1940, LOC, Streit Papers, mm

87065621, Box I : 28, Nash, Vernon, 1940-1941. 444 Vernon Nash, « Lettre de Vernon Nash à John Howard Ford », 17 octobre 1940, LOC, Streit Papers, mm

87065621, Box I : 5, 1940. 445 À la même époque, John Howard Ford était le trésorier du comité exécutif national de FUI.; « Federal

Union, Inc. », 8 octobre 1940, p. 1, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I : 52, Executive Committee,

1940-1944, 1948. 446 John Howard Ford, « Lettre de John Howard Ford à Robert Wheelwright », 15 mars 1944, LOC, Streit

Papers, mm 87065621, Box I : 44, Chapters, Delaware, 1943-44.; William P. Blake, « Lettre de William

P. Blake aux membres du comité exécutif de Federal Union, Inc. », 7 novembre 1940, LOC, Streit

Papers, mm 87065621, Box I : 28, Nash, Vernon, 1940-1941.; Vernon Nash, « Lettre de Vernon Nash à

John Howard Ford », 17 octobre 1940, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I : 28, Nash, Vernon,

1940-1941. 447 William P. Blake, « Lettre de William P. Blake aux membres du comité exécutif de Federal Union, Inc. »,

7 novembre 1940, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I : 28, Nash, Vernon, 1940-1941. 448 William P. Blake, « Lettre de William P. Blake aux membres du comité exécutif de Federal Union, Inc. »,

7 novembre 1940, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I : 28, Nash, Vernon, 1940-1941. 449 Clarence K. Streit, « Lettre de Clarence K. Streit à Fritz R. von Windegger », 15 mars 1945, p. 2, LOC,

Streit Papers, mm 87065621, Box I : 45, Chapters, St. Louis, Missouri, 1943-1946.

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Toute cette dissension autour de Streit et de sa façon de gérer FUI, il va de soi,

constitua un obstacle à l’épanouissement du mouvement. De fait, Ronald J. Hrebenar estime

que le potentiel de réussite d’un groupe d’intérêt relève en partie de l’aspect structurel de

l’organisation, de même que de la qualité de ses dirigeants ainsi que de son personnel. Une

bonne gouvernance est un ingrédient crucial à la longévité et aux réussites d’une

organisation. Ainsi, les crises et les échecs auxquels se butent certaines organisations

obtenant peu de succès sont donc, selon lui, souvent dus à l’incompétence de ses dirigeants450.

Bien qu’il ne s’agisse pas de la seule raison expliquant les insuccès d’un groupe451, bien sûr,

les têtes dirigeantes et leur influence ont nécessairement un impact sur l’organisation qu’elles

chapeautent. Cela est d’autant plus vrai considérant que la plupart des groupes d’intérêt sont

gérés par une oligarchie dans laquelle seulement quelques individus dominent. En dépit des

apparences généralement démocratiques de ces organisations, l’autorité de ces personnes ne

peut habituellement pas être remise en question452.

FUI, pour sa part, s’inscrivait bien dans ces tendances évoquées par Hrebenar.

Effectivement, même s’il est très difficile d’évaluer avec précision le rôle joué par Streit et

de juger de ses qualités de dirigeant, notamment parce que les archives étudiées recensent

des opinions contradictoires à son endroit, il reste que la place prépondérante qu’il occupait

au sein de son organisation, tout comme sa tendance à vouloir garder la mainmise sur celle-

ci, était indéniable. Streit était conscient de son rôle, qu’il jugeait lui-même comme trop

central, et c’est d’ailleurs pourquoi il fit la demande, à la convention de Cleveland de juin

1941, qu’on lui trouve un remplaçant pour assurer la présidence. Or, selon nos sources, les

délégués lui demandèrent de demeurer en poste, le temps de trouver un successeur aussi

prestigieux453. Toutefois, étant donné qu’il resta président de l’organisation pendant de

nombreuses années, nous sommes en droit de nous questionner sur son réel désir de voir

450 Hrebenar, op. cit., p. 24, 46. 451 Berry, Lobbying for the People: the Political Behavior of Public Interest Groups, op. cit., p. 26. 452 Handy, op. cit., p. 62.; Berry, The Interest Group Society, op. cit., p. 86.; Berry, Lobbying for the People:

the Political Behavior of Public Interest Groups, op. cit., p. 186-187. 453 Clarence K. Streit, « Lettre de Clarence K. Streit à Fritz R. von Windegger », 20 janvier 1943, p. 2, LOC,

Streit Papers, mm 87065621, Box I : 45, Chapters, St. Louis, Missouri, 1943-1946.; A.J.G. Priest, « The

Federal Union Proposal », p. 3, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I : 41, Board General 1942-

1947.

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quelqu’un d’autre que lui-même être nommé à la tête de FUI. S’il avait véritablement voulu

céder sa place à la présidence, difficile de croire qu’il n’aurait pas pu y parvenir.

Bref, il y avait des problèmes majeurs de gestion et de gouvernance au sein même de

FUI aux États-Unis durant la Seconde Guerre mondiale. Il en résulta une administration

inadéquate des activités de l’organisation et de véhémentes querelles internes. Cette

dynamique trouble causa assurément un tort énorme à FUI.

***

À la lumière de ce chapitre, il est clair que, malgré son départ très prometteur, le

mouvement de Streit connut un ralentissement important peu de temps après sa mise sur pied.

Celui-ci se traduisit par un recul global du nombre de chapitres et une incapacité à prendre

de l’expansion dans certaines régions des États-Unis, par un enlisement des campagnes de

mobilisation ainsi que par une diminution frappante des revenus de FUI après 1941, de même

que par un échec à obtenir des succès au Congrès. Nous avons vu que ce phénomène fut

causé par plusieurs dimensions internes et externes à l’organisation. D’abord, le contexte, s’il

était nécessaire à l’épanouissement de la proposition Union Now, se présenta aussi comme

un obstacle à celui-ci. Ensuite, le caractère extrêmement ambitieux du projet joua contre lui,

en suscitant de farouches oppositions autant aux États-Unis qu’ailleurs dans le monde.

Finalement, des problèmes liés à l’organisation FUI elle-même et à la gestion de ses activités

et de ses ressources contribuèrent à l’enlisement du projet de Streit durant la Seconde Guerre

mondiale aux États-Unis.

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120

Conclusion

Depuis la parution de l’étude phare de Robert A. Divine en 1971454, le paradigme de

l’internationalisme triomphant aux États-Unis à partir de la Seconde Guerre mondiale

domine les interprétations historiographiques. Toutefois, voici quelques années qu’une

remise en question de cette perspective se fraye un chemin parmi les chercheurs qui, de plus

en plus, tendent à nuancer cette thèse dominante. En effet, de nouvelles études contribuent à

ce renouveau et le cas de Clarence K. Streit, de son mouvement et de son organisation

Federal Union, Inc., auxquels nous nous sommes consacrée dans ce mémoire, forme un

exemple patent montrant bien le caractère mitigé de ce triomphe. Si le rôle des États-Unis

sur la scène internationale s’est largement transformé, en plus de s’accentuer de façon

colossale depuis 1945, et que pour cette raison, la Seconde Guerre mondiale constitue sans

l’ombre d’un doute une période charnière pour ce pays, l’approche privilégiée axée sur la

coopération interétatique s’inscrit malgré tout dans la tradition politique américaine, une

tradition qui semble très difficile à déraciner.

Avec son projet de remaniement de l’ordre international par l’instauration d’une

fédération mondiale, Streit proposa, en 1939, une alternative originale ayant pour objectifs

d’assurer une paix durable ainsi que la prospérité des citoyens sous l’égide de cette union.

Mais le refus des États-Unis de consentir à la formation d’une telle fédération à la fin du

conflit amène à revoir, ou tout au moins à modérer, l’ampleur de la victoire internationaliste

affirmée par Divine et reprise par plusieurs autres chercheurs s’intéressant aussi au sujet.

Ainsi, la question n’est pas, selon nous, de savoir si l’internationalisme a triomphé aux États-

Unis après la guerre, mais bien de chercher à cerner le type d’internationalisme qui a émergé

comme dominant lors de cette période, de même que les raisons l’expliquant.

Sur ce plan, l’analyse à laquelle nous nous sommes adonnée dans ce mémoire s’inscrit

dans ce schème interprétatif. En nous intéressant au mouvement fédéraliste mondial de Streit,

nous avons mis en évidence que, malgré l’intérêt indéniable suscité par le projet, celui-ci fit

rapidement face à un repli qui se solda ultimement par la disparition pratique du mouvement.

Ainsi, il est apparu clair que l’internationalisme de Streit, un internationalisme présentant à

454 Divine, op. cit., IX-371 p.

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la fois des attributs libéraux et hégémoniques, ne triompha pas, pour sa part, aux États-Unis

après 1945. Tout au long de notre démarche, c’est sans contredit la complexité des rouages

de la montée et du déclin de FUI qui fut projetée à l’avant-scène. Avec le recul, il est fascinant

de constater à quel point les éléments qui ont favorisé l’épanouissement du projet sont

similaires à ceux qui l’ont empêché de progresser davantage et ont même provoqué sa perte.

D’abord, le contexte de crise dans lequel Streit opéra, marqué par la guerre, d’une part, et par

le foisonnement de l’internationalisme, d’autre part, s’avéra tantôt un atout, tantôt un obstacle

pour FUI. Ensuite, le bagage historique et identitaire des Américains et de leurs homologues

étrangers visés par l’union agit comme une arme à double tranchant sur les succès du

mouvement. Enfin, l’approche mobilisatrice ainsi que la gestion des activités de

l’organisation assurèrent à la fois ses succès et ses échecs.

À la lumière de ce constat, est-il possible de croire que le destin réservé au

mouvement de Streit aurait pu être différent, qu’il avait de réelles chances de réussir à

l’époque aux États-Unis? S’il aurait été possible d’assurer une meilleure gestion des

campagnes de mobilisation et de l’organisation en soi, il reste que le caractère éphémère, à

long terme, de la guerre, en addition au manque de préparation de la population américaine

pour qu’elle adhère pleinement aux principes de Union Now durant les années 1940, laisse

présager que le projet n’aurait pas pu se solder autrement. En effet, sans la Seconde Guerre

mondiale, qui agissait comme catalyseur assurant la pertinence de la proposition, et sans une

population totalement prête à embrasser le fédéralisme mondial, il est impossible de penser

que ce dernier aurait pu être viable à l’époque. La réalité est que les Américains n’étaient

tout simplement pas encore prêts à se lancer dans une telle aventure, même si elle pouvait

leur sembler désirable. Les propos du représentant républicain de l’Illinois au Congrès en

1976, Paul Findley455, ne pourraient mieux résumer la situation : « Many people, true, feel

about Atlantic Union the same as they feel about Heaven. They believe in it. They want to

be there some day. But not just yet456. »

455 « Findley, Paul, (1921 - ) », Bibliographical Directory of the United States Congress,

http://bioguide.congress.gov/scripts/biodisplay.pl?index=F000123, consulté le 4 avril 2016. 456 Paul Findley, « Clarence Streit as Seen From England, Montana, Belgium, Illinois, New York -- 1958-

1976 », non daté, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box II : 24, Biographical File 1919-77, n.d.

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En dépit de ses insuccès, Clarence K. Streit, par son projet ambitieux et novateur,

contribua de façon marquante au mouvement pour le maintien de la paix aux États-Unis. En

effet, si son travail sans relâche afin de promouvoir l’établissement d’une fédération

mondiale dans le but d’assurer une stabilité internationale permanente ne donna pas les

résultats qu’il escomptait, cet homme poussa néanmoins la réflexion sur les mécanismes de

régulation des relations interétatiques au-delà des schèmes habituels de la coopération. Ainsi,

en tant que précurseur du mouvement pour un gouvernement mondial, il pava la voie à une

nouvelle approche et participa également à l’élargissement de la doctrine internationaliste.

Conséquemment, à titre de reconnaissance pour son implication monumentale dans la

promotion de la paix, Streit se valut, rappelons-le, une nomination pour le très prestigieux

prix Nobel de la paix en 1976457. C’est dire à quel point ses efforts soutenus pendant plusieurs

années furent significatifs non seulement aux États-Unis, mais aussi à l’échelle

internationale.

Ainsi, Federal Union, Inc. ne fut pas qu’un bref mirage dans l’histoire des relations

internationales américaines. Il laissa, en effet, une trace indélébile sur l’internationalisme

comme doctrine politique.

457 « 1939-76 Financial Data Compiled For Nobel Peace Prize Nominations of Clarence and Jeanne Defrance

Streit », non daté, p. 1, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I : 40, Bibliographical material 1919,

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131

Annexes

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132

Annexe 1 : Publicité de FUI dans le New York Times du 15 juillet 1940458

458 Clarence K. Streit, « Defense now needs Union Now », New York Times, 15 juillet 1940, p. L 11.

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133

Annexe 2 : Carte de la répartition territoriale des membres de IFU459

459 « I.F.U. Membership in U.S.A. by states and sources of financial support », non daté, LOC, Streit Papers,

mm 87065621, Box I : 65, Inter-Democracy of Federal Unionists 1939-1942.

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134

Annexe 3 : Revenus annuels de FUI entre 1939 et 1949460

Année Revenus ($)

1939 20 046

1940 72 231

1941 101 256

1942 26 859

1943 26 098

1944 30 139

1945 46 097

1946 49 719

1947 66 712

1948 61 120

1949 101 236

Total : 606 573$

460 « Financial Data For 1939 and 1940s », non daté, LOC, Streit Papers, mm 87065621, Box I : 40,

Bibliographical material 1919, 1939-82.

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135

Annexe 4 : Publicité de FUI dans le Chicago Sun du 22 février 1942461

461 « TO WIN THE WAR Attack the Axis from Within Now », Chicago Sun, 22 février 1942, p. 40, LOC,

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