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42 I EXPERTISE MdA n°74 Septembre 2012 EXPERTISE I 43 MdA n°74 Septembre 2012 FUSIONS ACQUISITIONS Quelles méthodes innovantes pour monétiser ou acquérir des actifs aux Etats-Unis ? Comment faire face à la concurrence des fonds d’investissement et des acquéreurs asiatiques ? Exécution d’une transaction : les spécificités culturelles américaines Les principaux paramètres juridiques à intégrer : comparatif franco-américain SPECIAL USA 43 I EXPERTISE Jonathan Wohl, McDermott Will & Emery René-Pierre Azria, Aforge Finance Yannick de Kerhor, KPMG Advisory

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42 I EXPERTISE

MdA n°74 ● Septembre 2012

EXPERTISE I 43

MdA n°74 ● Septembre 2012

FUSIONS ACQUISITIONS

• Quelles méthodes innovantes pour monétiser ou acquérir des actifs aux Etats-Unis ?

• Comment faire face à la concurrence des fonds d’investissement et des acquéreurs asiatiques ?

• Exécution d’une transaction : les spécificités culturelles américaines

• Les principaux paramètres juridiques à intégrer : comparatif franco-américain

SPECIAL USA

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Jonathan Wohl, McDermott Will & Emery

René-Pierre Azria,Aforge Finance

Yannick de Kerhor, KPMG Advisory

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Xavier Leloup : Sur la période 2009-2011, les groupes français ont réalisé 231 acquisitions en dehors de l’Europe, dont un tiers aux Etats-Unis (75). C’est dire l’importance des rapprochements franco-américains. Compte tenu de l’environnement économique actuel, quelles sont aujourd’hui les méthodes innovantes pour monétiser ou acquérir des actifs aux Etats-Unis ?

René-Pierre Azria : J’aimerais rappeler au préalable quelques chiffres. L’activité M&A aux Etats-Unis est en baisse de 30% en 2012 (Proche de 500 Md$ d’activité depuis le début de l’année) contre seulement 15% de baisse en

Europe. Ce qui est intéressant de noter, c’est qu’il n’y a pas d’affaires américaines domestiques dans les cinq plus grosses transactions et aucun deal dans les 30/40 Md$. Le marché M&A est au ralenti aujourd’hui du fait de la volatilité des marchés et un niveau de méfiance important des conseils d’administration sur la conjoncture aux Etats-Unis et en Europe. La question qui revient est la suivante : Pourquoi aller investir dans cette période troublée ? L’autre facteur qui explique ce ralentissement alors même qu’il y a beaucoup d’argent de disponible tient au fait que les banques prêtent peu aux entreprises et difficilement aux « Private Equity Funds». Pourtant, les entreprises

américaines ont un trésor de guerre de 2 trillions de dollars. Ce n’est donc pas le manque de cash qui explique qu’il n’y a pas de deals mais bien le manque de confiance. Face à la frilosité des banques, s’est développé le marché du High Yield qui alimente le marché des acquisitions aujourd’hui. Il y a eu 210 Md$ d’émissions d’obligations à haut rendement depuis le début de l’année. Ce qui est intéressant d’observer, c’est le pricing : Ces émissions dont le rendement habituel est de l’ordre de 11 /12 % sortent réellement aujourd’hui à 6-7% pour du papier avec une notation. Cela s’explique par le fait que les fonds de pension n’ont pas vraiment le choix aujourd’hui. Dans ce

‘‘La question que l’on se pose est de savoir comment monétiser

des actifs aux Etats-Unis ?’’

contexte, la question que l’on se pose est de savoir comment monétiser des actifs aux Etats-Unis ? Le plus facile serait de mettre en vente l’actif, mais le marché du M&A est moins porteur et les prix ont baissé sensiblement. La 2e manière de sortir, c’est la mise en Bourse. Mais là encore, c’est compliqué : les valorisations sont assez aléatoires du fait de la volatilité des marchés et du « désastre » de Facebook. Depuis, il y a un embouteillage de projets d’IPO et en particulier pour des filiales de grands groupes européens. Si je prends l’exemple de Santander, leur stratégie est de coter leurs gros actifs américains mais d’en garder le contrôle, comme ils l’ont fait au Brésil et au Mexique.

Cela aurait l’avantage pour un groupe européen est de bien valoriser l’actif et de récupérer du cash. L’inconvénient, c’est que l’on dépend du timing et Santander attend depuis deux ans pour introduire leurs filiales américaines.

Xavier Leloup : 2 ans c’est long…

René-Pierre Azria : Oui, surtout pour une banque espagnole ! Donc il y a une alternative dont nous voulions vous parler. La première, c’est le « dividend recap ». C’est celle qui était très utilisée par les Private Equity en 2008/2009. C’est un nom un peu absurde car au lieu d’une recapitalisation, je dirais qu’il s’agit plutôt d’une décapitalisation

: on empile de la dette sur la société et on utilise celle-ci pour payer un dividende aux actionnaires. Comment est-ce possible ? Tout simplement parce que les marchés bancaires et obligataires sont avides de rendements. Aujourd’hui, on va plutôt chercher sur le marché de la dette ce que l’on ne trouve plus sur le marché de l’equity. Comme on dit : « The bond Investors are Thirsty ». On a pris un cas récent réalisé sur une société italienne qui possède une affaire américaine de grains qui ne peut pas trouver le financement via des banques italiennes. Pour trouver du financement, on a fait un montage financier qui reposait sur les cash-flows de la filiale américaine, tout en

René-Pierre Azria

René-Pierre est président fondateur de la banque

d’affaires Tegris, avec laquelle Aforge Finance s’est associé pour créer une joint-venture

basée à New-York Tegris a réalisé depuis sa

création plus de $24 milliards d’opérations

De nationalité franco-américaine, René-Pierre

Azria a aidé de nombreux groupes français à réaliser des

opérations transatlantiques, comme le rachat de Sterling

Drug par Sanofi, l’OPA de Suez sur United Water, le rachat de

Global One par France Télécom.

Cette année, René-Pierre a été à l’origine du retour en bourse de Burger King, une

opération à 8 Mds $.

Conférence M&A transfrontalier :Les clefs du marché US

Comment appréhender le marché américain du M&A, qui a compté pour 75 des 231 acquisitions réalisées hors d’Europe par les groupes

français entre 2009 et 2011 ? René-Pierre Azria (Aforge Finance USA), Jonathan Wohl (McDermott Will & Emery) et Yannick de Kerhor (KPMG)

ont eu l’occasion de répondre à cette question lors de la conférence organisée le 12 septembre dernier par le Magazine des Affaires.

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faire un IPO car il voulait connaître le prix à l’avance sans être distrait par 3 mois de Roadshow. Il ne souhaitait pas être dépendant des marchés. Donc on a pu négocier un accord de gré à gré entre la société cotée à Londres et Burger King. Et cet accord était structurellement un accord de fusion et non pas un accord d’underwriting, puisque Burger King allait bénéficier de la cotation de la cash shell. L’originalité du deal consistait à transposer la cotation en Bourse de Londres vers NYSE. On a signé en février/mars, on a annoncé la fusion à Londres, la cotation a été suspendue et on est ressorti à NYSE. C’était la première cotation depuis le désastre Facebook. Mais cette technique de « reverse merger » a permis que le prix ne pas change pas entre le moment ou la fusion a été décidée et le moment de la cotation à NY. S’il y a cinq ou six ans, beaucoup étaient sceptiques, aujourd’hui, on nous demande de faire des présentations chez Blackstone, KKR, Morgan Stanley. Je crois que l’on peut dire que l’on a développé un « game changer », qui est une véritable alternative à l’introduction en Bourse classique.

Xavier Leloup : Et le vendeur brésilien 3G a empoché 1,4 Md$ au passage également….

René-Pierre Azria  : Oui, 3G a vendu

29% et a touché le cash disponible dans la société, soit 1,4 Md$. 71% sont toujours entre les mains de 3G.

Xavier Leloup : J’ai une autre question sur le menu de Burger King qui a été refait à l’occasion de cette opération. On m’a parlé d’un Sunday au Bacon. Je voulais savoir si vous aviez goûté lors de la petite fête du closing ?

René-Pierre Azria : Je ne mange pas de porc.

Xavier Leloup : Bonne réponse ! Cela clôt le débat.

René-Pierre Azria : Une autre question qui s’est posée pour Burger King était de savoir quelle était la proportion de salades et de Wraps vendus. La réponse a été que ces produits étaient tous très bons. Mais en même temps, l'enseignement c’est que personne n’en mange... Tout le monde se jette sur les produits avec beaucoup de cholestérol !!!

Xavier Leloup : En tout cas, c’est une opération innovante, assez rare, qui concerne des montants importants et c’est vraie alternative à l’IPO classique.

René-Pierre Azria : C’est rare, mais en réalité avant de choisir Burger King, on a regardé 400 projets différents. Pourquoi, parce que des projets illiquides, il y en a des centaines et en

particulier pour des sociétés familiales ou des divisions de grands groupes. C’est plus facile de faire du gré à gré avec un prix négocié et une sortie.

Xavier Leloup : Il y a ce véhicule coté préexistant à Londres, c’est une SPAC. Et le tour de passe-passe c’est de le faire passer de Londres à NY.

René-Pierre Azria  : Exactement. On peut aussi faire le SPAC directement à NY. On l’a déjà fait. Le tout c’est d’avoir des structures saines et suffisamment robustes pour qu’elles soient reconnues par d’autres autorités boursières.

Jonathan Wohl : Quelle est la taille minimum de l’opération qui peut supporter ces coûts ?

René-Pierre Azria : Je dirais que c’est 500 M€ d’Equity, ce qui correspondait à 2,5 Md$ de valorisation. Donc il y a un levier énorme.

Xavier Leloup : Justement, en préparant la conférence, vous nous aviez tous dit que finalement le marché américain était recherché et attrayant comparé aux marchés européens et français mais qu’il suscite aussi beaucoup de convoitises de la part des acheteurs du monde entier et notamment asiatiques. Alors, comment fait-on quand on est une société française pour gérer

profitant de la possibilité de déduire les intérêts sur ses profits aux Etats-Unis. Le but étant de ramener de l’argent en Europe. Donc, il y a un intérêt fiscal aux USA, un intérêt bilanciel en Italie, et il y a un arbitrage entre le marché bancaire européen et américain. A noter que sur cette affaire, le problème d’un « dividend recap » c’est que l’on vide un peu le bilan de sa substance et on emprunte de sorte que la valeur de l’actif net puisse devenir négative. Par contre, cela peut poser un problème pour le financement du fonds de roulement et de la croissance. Dans ce cas, on a pu indexer avec l’accord des banques, la croissance du fonds de roulement sur celui du prix du grain. Le « dividende recap », c’est assez facile à faire en mettant en concurrence beaucoup d’acteurs bancaires et des prêteurs non bancaires.

Xavier Leloup : L’Unitranche qui se popularise aujourd’hui en France, notamment dans le Private Equity…

René-Pierre Azria  : C’est exact. La seconde branche de l’alternative de monétisation dont nous voulions vous parler est le « Reverse Merger ». Cela permet de faire une mise en Bourse sans faire d’IPO, et donc de s’affranchir des contraintes liées à l’introduction en Bourse. Dans une fusion inversée, on commence par créer une société cotée en Bourse dans laquelle on lève du cash, une « cash shell ». Ce que nous avons développé avec nos clients, c’est une nouvelle génération d’instruments dans lesquels on arrive à drainer un minimum de 1 Md$ de cash avec le soutien de grandes institutions telles que Wellington ou Blackrock qui y

voient une alternative à investir chez KKR, Blackstone ETC. Pourquoi est-ce une alternative ? Ce que nous proposons, c’est de mettre leur argent en Bourse sans management fees avec la possibilité d’investir dans des entreprises de qualité, grâce à une équipe de financiers reconnus. L’argent n’est pas gelé pendant sept ans. On essaye d’investir ce cash en un an et demi. L’autre raison pour laquelle ces cash shells sont crédibles c’est qu’on les cote sur des marchés crédibles : LSE, NYSE. On a des garanties réelles pour les investisseurs institutionnels. Avec ces instruments, nous créons une adéquation entre la société cotée en Bourse et l’actif qui cherche à être monétisé. C’est ce que l’on a vu pour Burger King, qui appartient à 3G (un fonds brésilien) qui ne souhaitait pas

Jonathan Wohl

Jonathan Wohl est un associé M&A du bureau de Paris du cabinet McDermott Will & Emery. De nationalité

américaine, il a plus de 25 ans d’expérience dans

les opérations de M&A transfrontalières

Le bureau de Paris de McDermott a été créé en

2011 et compte maintenant 25 avocats, dont une équipe dédiée au M&A d’une dizaine

de personnes.

McDermott Will & Emery est l’un des plus importants

cabinets d’avocats internationaux. Il compte plus

de 1000 avocats à travers le monde.

‘‘Quand on parle de la qualité du projet, je pense que l’on parle aussi

de l’attractivité de la France’’

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au mieux cet environnement fortement concurrentiel ?

Yannick de Kerhor : Je vais peut-être apporter un prisme différent. La première chose que je note, c’est la difficulté à se comprendre. Cette difficulté d’exécution tient au fait que d’ici, on présuppose que c’est plus complexe aux Etats-Unis. Or, en réalité, un deal américain se gère exactement de la même manière qu’ici. Toutes les techniques sont les mêmes, voire plus simples comme on pourra le voir dans certains exemples. La grande différence est surtout culturelle. La première chose à faire selon moi, c’est de s’assurer que l’on est bien calibré en termes d’exécution. Il faut que les conseils ne viennent pas compliquer le deal. Un exemple classique, c’est un « Senior Banker » qui obtient un mandat de cession auprès de son client à Paris et transfère son exécution à New-York. En conséquence, le client français se retrouve face à des américains qui ne lui permettent pas de gérer son prisme culturel. Je pense que c’est important d’être accompagné par des équipes mixtes

intégrées franco-américaines. C’est ce que KPMG fait régulièrement. Cela permet de dédramatiser les différences culturelles et les processus américains pour faciliter l’exécution. Je voudrais également revenir sur le sujet de la dette. Il est vrai qu’il y a moins de dette bancaire et que cela limite la capacité des fonds d’investissement à réaliser des opérations supérieures à 10 milliards de dollars. Néanmoins, la réalité transfrontalière aujourd’hui, c’est qu’il y a peu de fonds d’investissement européens qui achètent aux Etats-Unis (il y a eu Wendel, mais c’est assez rare). Ce sont surtout des industriels. Et pour ces opérations qui excèdent rarement 2 à 3 milliards de dollars, il est plus facile de trouver de la dette aux Etats-Unis qu’en Europe.

Xavier Leloup : Et vous confirmez tous qu’il y a un regain d’activité aux Etats-Unis et qu’il y a un haut niveau de concurrence ?

Yannick de Kerhor : Il y a de l’argent disponible. Les acteurs du Private Equity sont présents et il y a aussi des dynamiques industrielles importantes.

Par conséquent, la concurrence est forte. Comme cela se passe très souvent, l’équipe managériale va avoir tendance à être attirée par le projet de LBO. Les propositions alternatives industrielles doivent se focaliser sur la qualité du projet proposé.

Xavier Leloup : Quand la cible est américaine, l’acquéreur est français. Il dispose d’atouts pour séduire le management. Comment cela se passe-t-il ? L’équipe managériale va-t-elle avoir tendance à privilégier le LBO ?

Yannick de Kerhor : Traditionnellement, c’est assez difficile car les entreprises n’ont à leur disposition que des « Stock Options » et des actions gratuites avec tous les aléas de marché que cela implique. Toutefois, avec la montée en puissance des mécanismes de co-investissement pour les sociétés cotées, le monde du private equity et celui des sociétés cotées pourraient être amenés à converger sur le plan des incentives managériaux.

Xavier Leloup : Y-a-t-il des différences entre les marchés américains et européens de ce point de vue-là ?

Yannick de Kerhor : Les premiers outils de ce type sont apparus aux Etats-Unis. On le voit par exemple chez WPP dans la publicité avec une corrélation entre l’attribution d’actions gratuites et le montant d’actions préalablement achetées. C’est très simple et innovant. Le manager doit d’abord acheter des actions et il pourra obtenir ensuite un multiple de ce qu’il a investi. Cette technique se rapproche de l’esprit du package managérial dans les LBO.

Xavier Leloup : Et il y a une différence fiscale. En Europe cela

bouge beaucoup. Aux Etats- Unis, l’impact est-il plus limité ?

Yannick de Kerhor : Pour résumer, les revenus du travail sont taxés à peu près partout. Ce qui diffère, c’est la taxation des plus-values. Par exemple, en Angleterre un étranger fiscalement résident ne sera pas taxé sur les plus-values réalisées en dehors du Royaume-Uni. Il y a donc plus d’écarts entre la France et l’Angleterre qu’avec les Etats-Unis.

Xavier Leloup : Aujourd’hui, dans le contexte actuel de marché, les offres « corporate » gagnent en attractivité par rapport aux offres des fonds d’investissement compte tenu des risques d’exécution que celles-ci présentent. Les « corporate » ont-ils

une vraie carte à jouer ? Peuvent-ils dire qu’il y a moins d’aléas financiers sur notre offre que sur notre concurrent industriel ? Est-ce une réalité ?

Yannick de Kerhor : Il y a clairement moins de risques d’exécution. Mais c’est la qualité du projet qui prime. Aujourd’hui, un manager n’est pas seulement attiré par l’espérance de gains d’un LBO, plus aléatoire dans la période actuelle. Il regarde aussi la qualité du projet industriel.

Jonathan Wohl : Quand on parle de la qualité du projet, je pense qu’on parle aussi de l’attractivité de la France. Je dirais qu’une des forces de la France est le respect pour la technologie et donc un certain souci de

‘‘Un deal américain se gère exactement de la même

manière qu’ici’’

Yannick de Kerhor

Associé Responsable de l’Advisory au sein de KPMG

(650 personnes)

Plus de 15 années d’expérience du conseil sur les

transactions, dont 4 ans en tant qu’Associé Responsable du département Transaction Services de KPMG France.

Yannick de Kerhor a une

grande expérience du marché américain avec à la fois des acquisitions et des cessions pour le compte de groupes

français comme Total, Wendel ou Technicolor. Récemment,

Yannick de Kerhor a eu l’occasion d’accompagner Veolia lors de la cession de son activité Déchets Solides aux Etats-Unis.

Baptiste Raynaud, Senior Associate chez SODICA Corporate Finance, en charge de l’international et Sophie Dano,

Directeur chez Sodica Capital Investissement

Constance de la Guérrande, de la Direction M&A des Fromageries Bel

Peter Harbula, Directeur M&A d'Edenred, Laurent Faugérolas, associé de Weil Gotshal et François Audran,

Directeur Juridique et gérant de Rothschild & Cie

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protéger les technologies. Un autre élément d’attractivité est le fait que les entreprises françaises ont souvent la possibilité de prendre des décisions relativement vite et cela peut donner l’avantage à un acquéreur français.

Xavier Leloup : On a des sociétés qui ont un historique d’acquisitions aux Etats-Unis. C’est une réalité. Il y a une autre tendance qui est plus générale aux USA. Un certain nombre de « corporate » disent vouloir se développer à travers des formes alternatives telles que la Joint-Venture par exemple. Est-ce quelque chose qui se fait aujourd’hui ?

Jonathan Wohl : La Joint-Venture est un grand classique, notamment dans le domaine des technologies où il y a souvent une volonté d’échange de technologie. Mais en même temps, les Joint-Ventures sont assez complexes et demandent un engagement dans le temps important. Cela peut fonctionner si la Joint-Venture constitue une première étape de collaboration et permet d’aboutir à terme à une fusion rampante mais consensuelle. C’est une bonne manière de s’assurer de l’acclimatation de deux cultures d’entreprise. J’ai toutefois souvenir d’un cas où les résultats de la société américaine n’étaient pas satisfaisants et finalement la société

française a dû racheter le tout parce que les résultats financiers n’étaient pas là.

René-Pierre Azria  : La seule joint-venture que je connais et qui marche depuis très longtemps est celle entre Snecma et GE, qui est une joint-venture de fabrication de moteur

d’avions. D’un côté il y à la fois l’innovation et l’emploi français et de l’autre il y a le fait que GE gagne beaucoup d’argent dessus. Donc tout le monde est content.

Yannick de Kerhor  : Je pense que l’actualité du moment est favorable

aux partenariats, mais sous une forme différente. Auparavant, on mettait en place des joint-ventures pour développer ensemble l’activité. Aujourd’hui, ce qui motive aussi ces alliances, c’est l’optimisation des coûts. Par exemple, France Telecom et Deutsche Telekom ont créé une joint-venture pour massifier les achats. Ce type de partenariats qui permettent de réduire les coûts est en train de se développer. Cela devrait logiquement faire son apparition également avec les Etats-Unis. Si la massification des achats est possible au niveau européen, elle devrait être également envisageable avec d’autres continents. Ce qui est nouveau dans cette analyse est de considérer que l’on peut mutualiser les coûts sans que cela soit considéré comme stratégique, c’est-à-dire sans que cela mette en péril la relation entre deux concurrents. Il y a donc fort à parier que cela fasse son apparition entre l’Europe et les Etats-Unis.

Jonathan Wohl  : Evidemment dans ce cas de figure plusieurs problèmes juridiques peuvent être posés. Quand vous commencez à parler avec une société qui est dans le même secteur que vous, il y a tout de suite des questions de droit de la concurrence qui se posent. Il y a aussi une autre question qui n’est pas toujours bien prise en compte et qui est celle de la responsabilité

éventuelle pour les agissements de votre cocontractant. Bien qu’on puisse spécifier dans le contrat qu’une partie n’est pas responsable des agissements de l’autre, il peut y avoir une responsabilité quand même dans certains cas vis-à-vis des tiers.

Xavier Leloup : Est-ce que cela a du sens pour une société française, en préalable à une acquisition sur le marché américain, de se faire coter en tout ou partie ailleurs que sur Euronext, aux Etats-Unis directement, en Asie ou ailleurs ?...

René-Pierre Azria  : Il y a là un point technique. Historiquement, un certain nombre de cotations aux Etats-Unis d’entreprises françaises ont été réalisées dans l’optique de pouvoir acheter des affaires américaines en les payant en actions car on ne peut pas payer l’acquisition d’une entreprise américaine avec des actions si elles ne sont pas cotées sur une bourse américaine. Il s’agissait donc d’une question technique, surtout dans les années 80 et jusqu’au milieu des années 90, qui était qu’il fallait se coter aux Etats-Unis de manière à pouvoir s’en servir comme monnaie d’échange au cas où on en aurait besoin. Et cela avait été utile pour un certain nombre de groupes français comme Vivendi ou Rhône-Poulenc.

Aujourd’hui, je ne suis pas sûr que cela soit toujours un moteur pour une mise en bourse aux Etats-Unis. On ne choisit plus les bourses de cette manière- là. On choisit Hong-Kong pour avoir un multiple de20 plutôt qu’un multiple de 10, voir Prada

ou l’Occitane par exemple. Mais je ne vois plus l’argument technique comme un élément moteur de la cotation aux Etats-Unis aujourd’hui.

Yannick de Kerhor  : J’ajouterais

que la tendance en France - quand on examine les avantages et les inconvénients d’une cotation américaine - compte tenu du risque, fait plutôt pencher la balance dans le sens inverse, c’est-à-dire dans le sens d’un retrait de la cote aux Etats-Unis.

Xavier Leloup : C’est l’effet Facebook ?

René-Pierre Azria  : Non, plutôt Sarbanes-Oxley. .

Jonathan Wohl  : L’idée, ce matin, est de passer en revue les clauses contractuelles classiques et d’identifier les pièges qui peuvent s’y loger lors d’une acquisition aux Etats-Unis.

D’abord le seuil de déclenchement de responsabilité ou ‘‘basket’’ : Aux Etats-Unis, par rapport à la France, on opte le plus souvent pour une franchise, c’est-à-dire qu’on récupère après le seuil et pas à partir du premier euro ou premier dollar. Par contre aux Etats-Unis, les seuils de responsabilité sont bien plus bas et donc le fait qu’ils soient structurés comme des franchises ne pose pas vraiment de problème.

Les clauses de minimis : c’est-à-dire le montant d’une réclamation au titre des déclarations et garanties qui

‘‘Je dirais qu’une des forces de

la France est le respect pour la technologie’’

Jonathan Wohl, associé de Mc Dermott

Will & Emery

‘‘La seule JV que je connais et qui marche depuis très longtemps est celle entre Snecma et GE’’

René-Pierre Azria, associé d'Aforge Finance USA

‘‘Certaines clauses

contractuelles classiques

peuvent contenir des pièges lors

d’une acquisition aux US’’

Jonathan Wohl, associé de Mc Dermott

Will & Emery

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doivent être prises en compte. En France c’est assez classique de ne pas prendre en considération des petites réclamations mais aux Etats-Unis c’est assez rare, ou alors s’il y a un de minimis il est vraiment très, très bas. Et aux Etats-Unis, si on trouve une clause de minimis, les montants en question ne sont jamais ignorés pour atteindre le seuil de déclenchement de responsabilité au titre des déclarations et garanties.

Mécanisme d’ajustement de prix  : cela est évidemment très répandu aux Etats-Unis. Souvent le mécanisme d’ajustement est basé sur le working capital. Néanmoins, les vendeurs Private Equity essaient de plus en plus d’obtenir une absence de mécanisme d’ajustement de prix selon une logique take it or leave it.

Les plafonds de garantie ou caps  : Les caps sont en général plus bas qu’en France. Une étude récente a ainsi montré que trois-quarts des deals réalisés aux Etats-Unis ont des plafonds de responsabilité égaux à 25% ou moins du prix d’acquisition, à comparer à environ un tiers des deals européens. C’est donc quelque chose d’assez différent lorsque vous faites des deals aux Etats-Unis.

Durée de déclarations de garantie  : à peu près la même qu’en Europe. Aux Etats-Unis, c’est un an à deux ans, parfois moins. Il y a les mêmes exceptions qu’en Europe. Cela n’a rien de mystifiant et les pratiques sont très proches de ce qui se fait en Europe. Evidemment aux Etats-Unis il y a une grande sensibilité autour de tout ce qui peut relever des risques environnementaux où les durées sont plus longues.

Quelque chose d’intéressant que je n’ai pas vu personnellement en Europe – du moins en France – c’est une durée assez courte pour une responsabilité liée à un pre-closing covenant. C’est-à-dire qu’entre le signing et le closing, le vendeur s’engage à gérer la société en bon père de famille, à ne pas faire de choses exceptionnelles. Evidemment,

si l’acheteur découvre une violation de cet engagement avant le closing il peut toujours décider de ne pas closer. Une violation découverte après le closing peut donner lieu à une responsabilité mais en France on n’a pas pensé à limiter la durée de cette responsabilité à un délai très court, avec l’idée que l’acheteur peut facilement déterminer directement après le closing si l’événement a eu lieu.

Les séquestres aux Etats-Unis  : ils sont en général assez rares et davantage répandus dans le secteur de private equity ou dans le cas de ventes d’entreprises familiales. Souvent les montants sont assez limités avec un séquestre de 5 ou 10% du prix. Maintenant, ce qu’on voit, et en Europe aussi, c’est le recours croissant à la technique d’utiliser une police d’assurance afin de limiter le recours contre le vendeur, surtout dans les ventes par les acteurs private equity. Il n’y a pratiquement jamais de garantie bancaire aux USA pour sécuriser les déclarations et garanties.

MAC clause : Un élément incontournable aux Etats-Unis est le MAC clause : aux Etats-Unis, presque 100% des deals ont des MAC clauses. En Europe, l’usage est également répandu mais bien moins. Comme

vous le savez, une MAC clause permet à un acquéreur de ne pas conclure l’opération en cas d’événement exceptionnel. La rédaction de la clause donne lieu à des négociations très âpres entre acheteurs et vendeurs car même dans les plus beaux deals aux Etats-Unis, on n’hésite pas à inclure cette clause. Parfois le recours à cette clause sert uniquement comme un levier pour renégocier le prix, parfois c’est utilisé pour sortir d’un deal sans avoir à payer un break-up fee.

La rédaction de la clause elle-même dépend du cycle économique dans lequel on se trouve. Aujourd’hui on se trouve à nouveau dans un cycle qui devient un peu plus favorable aux acheteurs. Ce qui est important est de rédiger la clause de manière à ce qu’il n’y ait pas de problème juridique après. Il n’y a pas mal de jurisprudence sur les MAC clauses et quelques décisions importantes à retenir. Dans une décision très importante le tribunal a refusé de tenir compte d’un événement qui ne pouvait pas avoir un effet long terme pour la cible. Il s’agissait d’une baisse assez importante des résultats semestriels mais qui était prévisible dans le secteur concerné. Il faut donc que l’acquéreur soit vraiment en mesure de démontrer

que l’effet de la baisse est sur le long terme. Une manière de pallier à cette incertitude juridique est évidemment de spécifier dans dans la MAC clause sur quelle période on va mesurer cet effet. C’est évidemment une précision qui éviterait des litiges. Il y a aussi la terminologie standard qui fait des distinctions en fonction de la certitude d’un effet négatif : « would, does, ou would reasonably be expected to have an effect » par rapport à « has an effect » ; tout cela est assez classique. Par ailleurs il y a ce qu’on appelle des carve outs (exceptions) au MAC Clause que le vendeur va essayer de négocier pour la force majeure, les changements dans le cadre réglementaire, les changements qui affectent l’économie en général et aussi les changements qui affectent le secteur industriel concerné. Mais l’acheteur bien avisé va introduire une clause qui dit : si un événement affecte le secteur, il ne faut pas que la cible soit affectée de manière disproportionnée, c’est-à-dire que si la cible est moins habile que ses concurrents on doit pouvoir invoquer la MAC clause quand même. Il y a des décisions sur le sujet et donc il faut être assez vigilant dans la rédaction d’une MAC clause.

Ce qu’on peut dire aussi pour la MAC clause, c’est que s’il y a des critères

vraiment importants pour l’acheteur, autant les décrire spécifiquement, en sachant que cela peut avoir un effet pas très favorable sur la manière dont les managers vont gérer la société parce qu’ils vont avoir en vue ces paramètres très spécifiques et ce n’est peut-être pas ces paramètres qu’on veut garder comme ligne de conduite. Il faut aussi maintenir un aspect subjectif dans la MAC clause qui permet de négocier une sortie éventuelle.

Sand-bagging  : Un autre problème juridique qui existe aussi en Europe mais qui est identifié de manière très spécifique aux Etats-Unis est ce qu’on appelle le sand bagging. Il s’agit de la notion suivante : si l’acheteur est au courant d’une violation d’une déclaration et garantie au terme des due diligences, a-t-il a le droit de ‘‘close and then sue’’ ou serait-il tout à fait inéquitable de lui permettre de faire ainsi ? Il y a une tendance aux Etats-Unis d’inclure une clause dans le SPA (share purchase agreement) qui donne spécifiquement la possibilité à l’acheteur de pouvoir entamer une action sur les déclarations et garanties même s’il était au courant d’une violation découverte à l’occasion de la due diligence. Alors, quels sont les arguments de l’un et de l’autre ?

‘‘Aux Etats-Unis, on peut inclure une clause dans le SPA qui donne

la possibilité à l’acheteur de pouvoir entamer une action sur les déclarations et garanties même s’il était au courant d’une violation qu’il a découvert à l’occasion de la due

diligence” Jonathan Wohl, associé

de Mc Dermott Will & Emery

‘‘Les MAC clauses sont

incontournables aux Etats-Unis’’

Jonathan Wohl, associé de McDermott

Will & Emery

En haut à droite : Céline Lagniez Partner chez Aforge Finance, Rémy Bouleistex, Associé KPMG et Didier Gaillot, Directeur M&A de Dassault systems.

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Pour l’acheteur qui veut inclure la clause pro-sandbag, c’est pour éviter toutes les discussions sur son état de connaissance, par exemple sa connaissance réputée ou son actual knowledge, Pour lui il est équitable de considérer que le vendeur, s’il est au courant de quelque chose, doit l’identifier très spécifiquement et les porter à la connaissance de l’acheteur dans le cadre du SPA. Pour le vendeur qui pense que c’est inéquitable de close and sue et qu’une telle connaissance doit faire obstacle à ce que l’acheteur puisse intenter une action, en supprimant la clause on favorise une due diligence beaucoup plus amicale, une vraie collaboration qui permet d’identifier les problèmes et de les résoudre avant le closing.

En ce qui concerne la pratique aux Etats-Unis soit on inclut une clause pro sandbag, qui donne la possibilité à l’acheteur de close and sue, soit on ne dit rien. Alors si on ne dit rien, et dans ces cas on est régi par la loi applicable, c’est-à-dire celle d’un Etat, et cela dépend donc de ce que cette loi dispose. A New-York par exemple, cela demande une analyse assez complexe qui porte sur la question de savoir si l’acheteur a établi son prix sur la base de la véracité absolue des déclarations et garanties. C’est un peu abstrait mais si, par exemple, le vendeur a spécifiquement divulgué quelque chose avant le closing et donc l’acheteur était incontestablement au courant de cet élément, un tribunal à New-York dirait à l’acheteur, en l’absence d’une clause spécifique sur le sujet, qu’en étant au courant il ne peut pas poursuivre le vendeur sur le sujet.

Materiality scrape : Une autre clause qui commence à être répandue aux Etats-Unis est ce qu’on appelle le materiality scrape. Comme vous le savez, dans un grand nombre de déclarations et garanties, le terme « material » est souvent employé, par exemple une déclaration que ‘‘no material violation of a contract’’ existe. Mais il y a une tendance aux Etats-Unis

pour l’acheteur d’essayer d’éliminer ou de limiter l’application de cette notion de matérialité afin d’éviter les situations où de nombreux petits problèmes qui ne sont pas material viennent saper la valeur de la société alors même qu’on ne peut pas attaquer le vendeur sur la base des déclarations en garanties en raison de cette qualification de material. C’est d’autant plus important aux Etats-Unis où on n’a pas de clause de minimis. C’est donc très important pour l’acheteur d’avoir l’assurance qu’il n’existe pas de petits montants qui puissent échapper à l’application des déclarations et garanties.

Xavier Leloup: : Y-a-t-il davantage de contentieux relatifs aux transactions M&A aux Etats-Unis qu’en Europe et plus particulièrement en France ?

Jonathan Wohl  : Oui, dans le public M&A, presque 100% des deals donnent lieu à un contentieux. Il s’agit bien sûr de contentieux classique post-transactionnel sur les déclarations et garanties mais les contentieux sont fréquents aussi pre-acquisition, en ce qui concerne, par exemple, les NDAs (non disclosure areements). Certaines décisions aux Etats-Unis ont ainsi établi que des clauses d’un NDA peuvent être interprétées comme un standstill, par exemple dans le cas où deux sociétés ont commencé à discuter d’une fusion, et ont échangé des informations confidentielles et ont signé un NDA mais leur discussions n’ont pas abouti. Alors l’une des sociétés a commencé une offre hostile

sur l’autre qui a rétorqué que celle-ci a utilisé des informations confidentielles pour formuler son offre (qui a été déposé auprès de la SEC). Un tribunal a alors décidé que cette NDA avait l’effet d’un accord de standstill car les informations confidentielles ne pouvaient pas être utilisées pour les besoins d’une offre hostile.

Dans un autre cas de processus de vente aux enchères, des acheteurs avaient mené leur due diligence et signé un NDA mais avant de s’engager formellement ils ont découvert l’existence d’un passif assez important dont l’existence ne leur avait pas été divulguée. Or le NDA stipulait que les acheteurs s’engageaient à ne faire aucune réclamation basée sur les faits divulgués à moins que, in fine, ils signent un SPA. L’acheteur a poursuivi le vendeur afin de récupérer les frais très importants engagés lors des négociations, mais il a finalement perdu. Pourquoi ? Parce qu’aux Etats-Unis, ce que vous signez vous engage définitivement. En France, on aurait pu introduire, peut-être, la notion de l’exception pour dol mais aux Etats-Unis vous pouvez exclure par contrat votre responsabilité extracontractuelle.

Donc, à tout moment du processus il y a possibilité de contentieux et c’est à cette occasion que la culture contentieuse propre aux Etats-Unis se vérifie.

Xavier Leloup : En conclusion, on a donc une documentation contractuelle très sophistiquée aux Etats-Unis, ce qui n’élimine pas pour autant le risque de contentieux ?

Jonathan Wohl  : Oui, mais il faut être prudent même en ce qui concerne les clauses les plus standard car celles-ci peuvent couvrir des situations auxquelles les parties n’avaient pas forcément pensé au départ.

Xavier Leloup: Venons-en à présent à la dernière partie de nos débats qui concerne les différences culturelles

relatives à l’exécution même de la transaction.

Yannick de Kerhor : Parmi les nombreuses différences, il y en a quatre auxquelles il convient à mon avis de prêter attention.

L’Ebitda est censé se composer partout de la même manière. Cependant, il est intéressant de regarder de quoi il est constitué parce qu’en réalité rentrent en considération des différences culturelles et des pratiques de place qui ne sont pas identiques entre les marchés européens et américains. On ne pense pas que cela soit possible mais c’est en fait une réalité. Par exemple, prenons le cas des activités du secteur du Waste Management. En comparant la composition de l’Ebitda des principaux acteurs, on se rend compte que les provisions pour remise en état de sites sont parfois intégrées dans l’Ebitda alors que dans d’autres cas elles ne le sont pas. Or, le problème est que l’on applique le même multiple, mais sur des choses qui ne sont pas comparables. C’est donc très structurant sur le prix. Au demeurant, je recommande de faire le même exercice, même en Europe, parce que lorsqu’on regarde cinq ou six sociétés comparables pour savoir ce que chacune inclut dans son Ebitda, on a souvent des surprises.

Un autre élément notable a trait aux différences juridico-comptables. Il

y a une différence importante entre l’Europe et les Etats-Unis. En effet, Outre-Atlantique il n’y a pas de comptes sociaux. Une entreprise n’a pas l’obligation d’avoir ses propres comptes à partir du moment où elle est consolidée dans un tout qui a cette obligation.

C’est une différence culturelle qu’on sous-estime régulièrement. Donc, dès qu’on est en face d’un carve-out aux Etats-Unis, il faut faire preuve d’une grande prudence. Il y a donc beaucoup de choses aux Etats-Unis qui passent entre les sociétés d’un même groupe par les comptes inter-companies. Donc, dans le cadre d’un carve-out – ce qui est quand même très fréquent car on est souvent obligé de découper une partie d’une société avant d’acheter ou de vendre – on est confronté à un risque assez important qu’il convient de regarder de près.

Troisième élément dans l’exécution, on parlait des High Yield tout à l’heure.

Leur exécution est plus agressive aux Etats-Unis. Les acteurs vont essayer d’éviter à tout prix de mettre en place un bridge loan comme on le faisait jusqu’à maintenant pour laisser à l’entreprise le temps d’émettre son obligation High Yield. Aujourd’hui, l’idée est plutôt d’essayer de faire l’émission du High Yield pour le jour du closing. C’est une pression importante pour le management dans la préparation de l’information financière dont la période de validité n’est que de 135 jours. Il faut donc prêter une attention importante à cela. Une fois que l’on a signé la transaction, on a tendance à moins se préoccuper de ce qui va se passer entre le signing et le closing.

Le dernier élément porte sur la culture du cash. Bien qu’elle soit présente partout, elle est ancrée depuis plus longtemps aux Etats-Unis. Le lien entre la génération du cash et l’évaluation de l’entreprise, y compris au niveau des managers, est mieux compris. Il faut donc faire encore attention aux mouvements inhabituels de cash sans incidence sur le compte de résultat. Prenons l’exemple des engagements de retraite, on se concentre souvent sur le calcul actuariel de la provision qui, en réalité, bien que technique, ne pose pas de difficultés particulières. En revanche, il est beaucoup plus difficile d’analyser ce qui motive les appels de cash ponctuels de la part des fonds de

‘‘Dans le Public M&A, presque

100% des deals donnent lieu à un

contentieux’’Jonathan Wohl,

associé de Mc Dermott Will & Emery

‘‘L'exécution des High-Yield est plus agressive aux Etats-Unis’’

Yannick de Kerhor, Associé KPMG, responsable

des activités Advisory

Thomas Philippe, Manager chez KPMG TS; Céline Lagniez, Partner chez Aforge Finance et François Audran, Directeur Juridique et gérant de Rothschild & Cie

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pension. Dans ce domaine, le risque de collusion existe.

Xavier Leloup: J’ai cru comprendre qu’il n’y avait pas de VDD en tant que tel aux Etats-Unis. N’existe-t-il pas pour autant des rapports de due diligence mais sous une forme un peu différente ?

Yannick de Kerhor : Effectivement, il y avait une différence, qui s’amenuise. Aujourd’hui, un tiers des transactions aux Etats-Unis comprennent un vendor report. Ce n’est pas un VDD parce que le marché américain, pour des raisons qu’il est parfois difficile à comprendre, ne demande pas cette sécurité pour les acheteurs ou les prêteurs. En revanche, pour faciliter l’exécution de la transaction, ce vendor report est de plus en plus présent dans la data room.

Xavier Leloup : Qu’en est-il de la locked box qui, je crois, a également moins cours aux Etats-Unis ?

Yannick de Kerhor : C’est nettement moins fréquent, le marché américain est plus traditionnel de ce point de vue-là avec les habituels ajustements sur le working capital et la dette financière nette.

Jonathan Wohl  : Dans les due diligences qui doivent être menées par un acheteur, il y a des éléments qui sont un peu différentss aux Etats-Unis par rapport à l’Europe.

- D’abord il y a le problème des pension plans qui doivent être abondés dans certains cas par les sociétés, ce qui peut donner lieu à une responsabilité de la part de l’acquéreur quand il achète les actions de la cible car il devient responsable de sa filiale. Mais même quand il s’agit d’un transfert d’actifs qui normalement permet d’échapper au passif de ces plans, il peut y avoir des situations où l’acheteur peut être tenu responsable d’un passif au titre de certains types de multi-employer plans. Et c’est donc quelque chose dont il faut tenir compte, pas seulement

au moment des due diligences, pour savoir exactement de quel passif on peut être tenu responsable mais également au moment de négocier la structure de l’acquisition.

- Un autre domaine qui est également très important pour les due diligences aux Etats-Unis est la propriété intellectuelle. De plus en plus la véritable valeur d’une société réside dans ses brevets, ses marques, son savoir-faire. Aux Etats-Unis,l’environnement juridique afférent à la propriété intellectuelle est assez compliqué car il y a à la fois la loi fédérale et les lois des Etats qui peuvent s’appliquer. Normalement les brevets sont régis par la loi fédérale mais certains aspects très pratiques peuvent être couverts par les lois étatiques. Par exemple, on fait un audit des contrats de licence de brevet dont la cible est bénéficiaire pour savoir si ceux-ci peuvent être résiliés en raison de l’opération. Normalement on supposerait que dans le cas d’une reverse merger, puisque la société qui survit est la cible, il n’y a pas de

changement de contrôle et donc une clause anti-cession qui se trouve dans un contrat de licence ne s’appliquerait pas. Mais il y a un cas où un tribunal a trouvé qu’une clause dans une licence qui a prohibé une cession ‘‘by operation of law’’ peut s’appliquer dans le cas d’une prise de contrôle par reverse merger. Donc, dans le cas des droits de propriété intellectuelle, il faut être assez précis et faire des audits très détaillés.

- Un troisième domaine très en vue aux Etats-Unis est la responsabilité au titre du FCPA, le Foreign Corrupt Practices Act. Vous connaissez tous cet acte qui s’applique aux paiements faits aux agents gouvernementaux des Etats étrangers. Mais il faut savoir que dans le cadre d’une acquisition il faut faire une due diligence poussée si la cible est une société qui opère dans un secteur sensible (aéronautique, défense, pharmaceutique ; etc…) et qui a en plus des opérations dans des pays partout dans le monde. La due diligence FCPA est très importante parce que les sanctions sont très importantes – elles peuvent atteindre des dizaines, voire des centaines de millions de dollars. Même s’elles ne sont pas énormes par rapport à la taille de la société cible et que l’acheteur ne les a pas vues l’acheteur serait responsable vis-à-vis du DOJ (Department of Justice) aux Etats-Unis. Même une petite sanction de quelques millions de dollars peut mettre en question tout ce que l’acheteur

a pensé concernant le modèle de développement de la société cible et cela peut rendre l’investissement tout à fait inintéressant. Cela est arrivé dans certaines affaires. Dans le contexte de FCPA, il faut savoir que si vous êtes l’acheteur et ne faites pas de due diligence sur les problèmes FCPA, et qu’ensuite vous permettez à la société que vous achetez d’opérer comme avant, vous serez tenu responsable et cela peut avoir des conséquences très graves. Quand une due diligence adéquate n’est pas possible pour des raisons de confidentialité ou parce qu’on n’a pas eu le temps nécessaire, il faut faire tout de suite après le closing un audit très sérieux. Si on découvre un problème, on va au Departement of Justice et on demande une opinion en disant : ‘‘Nous avons vu ce problème, nous mettons en place un processus de contrôle et de surveillance, donc est-ce qu’on peut ne pas être tenu responsable pour tout ce qui s’est passé avant le closing parce qu’on n’a pas pu faire autrement dans ce contexte’’. C’est donc ce qui est conseillé dans le cadre d’une acquisition dans un secteur un peu sensible. Et pour finir sur ce sujet de la FCPA, il faut savoir que dans chaque Etat – ou du moins dans les plus importants - il y a une loi contre la corruption qui s’étend à la corruption purement commerciale, qui n’a rien à voir avec un gouvernement quelconque, il s’agit simplement de corporate bribery. Il faut savoir également qu’il y a une loi fédérale, le Travel Act, qui fédéralise

les violations de ces lois étatiques si les actes ont été accomplis par le moyen de interstate commerce (téléphone, email, transfert bancaire) et donc il pourrait y avoir des problèmes au niveau d’une corruption purement commerciale. C’est une arme qui est souvent utilisée par le DOJ en conjonction avec les violations au titre du FCPA pour mettre la pression sur les sociétés et il faut donc être attentif à ce type de responsabilité.

Xavier Leloup : Au-delà des chiffres que vous avez déjà donnés, dans quel état se trouve le marché américain en ce mois de septembre 2012 ?

René-Pierre Azria  : En dehors des chiffres cités tout à l’heure, je crois que le marché est très actif. Il y a de l’argent, tout le monde cherche et le M&A reste un relais de croissance avec peut-être moins de folie au niveau des très gros deals, des grands espoirs, des grandes visions et aussi au niveau de la rotation des actifs en private equity. Mais le marché est très actif et ce qui est intéressant, c’est que les nouveaux acteurs viennent d’horizons nouveaux et de pays qui n’avaient pas d’argent et maintenant en ont, et le fait que les Américains sont beaucoup plus aventureux qu’avant et effectivement vont acheter des affaires dans des territoires qui leur étaient un peu étrangers dans le passé. Tout cela est vraiment très intéressant.

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des problèmes concernant les reps and waranties. Nous achètons de l’IP et sommes obligés de demander des garanties sur des délais qui sont assez longs, le temps de s’assurer qu’aucun problème de contrefaçon n’est identifié. Donc ces garanties de durée assez longue sont difficilement acceptées par les fonds de Private Equity. Nous avons commencé à mettre en place des polices d’assurance auxquelles vous faisiez référence précédemment. Je me demande quel est le meilleur modèle : qui de l’acheteur ou du vendeur doit prendre l’assurance. Qui supporte le coût est une autre question puisque vous pouvez le répercuter à qui vous voulez… Mais qu’est-ce qui protège le mieux l’acheteur ?

Jonathan Wohl  : Je n’ai pas eu à considérer cette question mais je dirais que si l’acheteur a fait des due diligences assez poussées et sait où pourraient être les problèmes, tout dépend de la négociation de ces polices. A la limite peu importe que ce soit l’acheteur qui doive négocier pour être sûr que cela va couvrir tous les points.

Didier Gaillot : Il y a toujours la question de la connaissance. D’un côté, la police d’assurance des acheteurs est limitée par la connaissance des acheteurs. De l’autre la police d’assurance prise par le vendeur a le problème de la connaissance des acheteurs mais aussi celle de la connaissance des vendeurs. C’est pour cela que je me pose la question.

Jonathan Wohl : C’est effectivement une question intéressante…je n’ai pas la réponse ! ■

Didier Gaillot, Directeur Mergers & Acquisitions, Dassault Systèmes

Jonathan Wohl, associé de Mc Dermott Will & Emery

Jonathan Wohl répond à Renalda Harfouche, Directeur Juridique EMEA d’Ipsos

Augustin Balsan, Direction M&A de Sanofi : Concernant le FCPA, y-a-t-il un devoir de dénonciation aux autorités pendant les due diligence ?

Jonathan Wohl  : Il n’y a pas d’obligation proprement dite mais si on ne le fait pas, si on ne va pas aux autorités soit avant l’opération, soit juste après, et si les autorités prennent connaissance de la violation par d’autres moyens on n’est vraiment pas dans une bonne situation. C’est pour cela que le DOJ a mis en place ce processus qui permet de l‘approcher pour obtenir un ruling.

René-Pierre Azria : Et que se passe-t-il si vous faites les due diligence et

que vous n’achetez pas la société ?

Augustin Balsan, Direction M&A de Sanofi : En Angleterre, il me semble que si on voit quelque chose pendant les due diligences, en vertu de l’Anti Bribery Act, on est obligé de le dénoncer.

Jonathan Wohl : Ce n’est pas le cas aux Etats Unis.

Renalda Harfouche, Directeur Juridique EMEA d’Ipsos  : J’ai une petite question au sujet de la MAC clause. En droit français, est-ce qu’il y aurait des conditions qui pourraient être potestatives. Est-ce que l’acheteur doit s’appuyer sur des évènements, sur des faits qui sont extérieurs ou est-ce que cela peut

être des évènements sur lesquels lui-même, la cible ou le vendeur peuvent avoir une influence ?

Jonathan Wohl  : la MAC clause est généralement en faveur de l’acheteur. Donc les évènements sur lesquels il peut s’appuyer sont des faits objectifs car sinon, en France, cela peut être considéré comme des potestatifs. Aux Etats-Unis c’est la même chose. Je pense donc que l’extériorité est vraiment dans la nature de la MAC clause.

Didier Gaillot, Directeur Mergers & Acquisitions, Dassault Systèmes  : Bonjour, je travaille pour Dassault Systèmes où je fais du M&A dans le domaine du logiciel. Nous rencontrons parfois

Augustin Balsan, DirecteurdelastratégiechezSanofi

Questions de la salle :