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LE CAMEROUN DE 1884 A 1939 18 janvier 2014 Page 1 sur 16 CHAP. 16 LE MANDAT FRANÇAIS ET SES CONSEQUENCES - Rappeler le scenario 1 de la division du Cameroun ; - Décrire le processus d’établissement du régime de mandat sur le Cameroun - Présenter les missions dévolues à la France dans le cadre du mandat ; - Présenter et apprécier l’œuvre réellement accomplie par la France durant la période 1916- 1939 - Présenter la réaction des populations locales INTRODUCTION Les Camerounais ont été pris au piège de la réalité coloniale sous le Protectorat allemand qu’ils ont librement demandé. En effet, la cohabitation entre Allemands et Camerounais officialisée par la signature du Traité du 12 juillet 1884, va se terminer dans l’incompréhension mutuelle, la haine et de nombreux sacrifices humains. La Première Guerre Mondiale en terre camerounaise étant apparue comme une sortie heureuse du bourbier allemand, l’espoir né de cet événement n’a été que de courte durée. Après la chute de Mora qui consacre la fin de la guerre au Cameroun, Anglais et Français procèdent le 04 mars 1916 2 au partage du territoire arraché aux Allemands. Au cours des négociations qui durent de septembre 1915 à mars 1916, les Français émettent des exigences draconiennes qui aboutissent finalement à l’obtention de la quasi-totalité du territoire, les Anglais se contentant du cinquième de la partie. Ainsi, l’unité du Cameroun péniblement construite par les Allemands sur une superficie de 750 000 km², vole en éclat. Les Anglais s’emparent de 53 000 km² qu’ils s’empressent de rattacher à l’administration de leur colonie nigériane 3 . Les Français rétrocèdent à l’Afrique Equatoriale Française, la portion qu’ils ont cédé aux Allemands en 1911, avant de s’emparer des 4/5e du reste du territoire 4 . Après le partage du 4 mars 1916, Anglais et Français occupent chacun la portion du territoire camerounais qu’ils se sont octroyés. Les Anglais ne s’embarrassent d’aucune considération et intègrent purement et simplement leur part du Cameroun dans sa colonie du Nigeria alors que 1 Déroulement (d'une action) organisé à l'avance des agressions commises selon le même scénario Enchaînement des faits qui constituent la trame (d'un récit) Exemple : un roman policier au scénario rocambolesque 2 Le 4 février 1916, Anglais et Français se partagèrent le territoire du Cameroun qu'ils venaient d'arracher aux Allemands. Alors que les Français s'arrogeaient les 4/5e du territoire, les Anglais se contentèrent du 1/5e 3 Cette modestie dans les prétentions britanniques confirme une fois de plus que les Anglais estimaient n'avoir pas grand-chose à tirer de ce territoire, tout comme au XIXe siècle lorsque les correspondances adressées par les chefs Douala aux autorités de Londres, les invitant à faire du Cameroun un protectorat britannique, restèrent sans réponse. 4 431 845 km2 pour 2 millions d’habitants

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LE CAMEROUN DE 1884 A 1939

18 janvier 2014

Page 1 sur 16

CHAP. 16

LE MANDAT FRANÇAIS ET SES CONSEQUENCES

- Rappeler le scenario1 de la division du Cameroun ;

- Décrire le processus d’établissement du régime de mandat sur le Cameroun

- Présenter les missions dévolues à la France dans le cadre du mandat ;

- Présenter et apprécier l’œuvre réellement accomplie par la France durant la période 1916-

1939

- Présenter la réaction des populations locales

INTRODUCTION

Les Camerounais ont été pris au piège de la réalité coloniale sous le Protectorat allemand

qu’ils ont librement demandé. En effet, la cohabitation entre Allemands et Camerounais

officialisée par la signature du Traité du 12 juillet 1884, va se terminer dans

l’incompréhension mutuelle, la haine et de nombreux sacrifices humains. La Première Guerre

Mondiale en terre camerounaise étant apparue comme une sortie heureuse du bourbier

allemand, l’espoir né de cet événement n’a été que de courte durée. Après la chute de Mora

qui consacre la fin de la guerre au Cameroun, Anglais et Français procèdent le 04 mars 19162

au partage du territoire arraché aux Allemands.

Au cours des négociations qui durent de septembre 1915 à mars 1916, les Français émettent

des exigences draconiennes qui aboutissent finalement à l’obtention de la quasi-totalité du

territoire, les Anglais se contentant du cinquième de la partie. Ainsi, l’unité du Cameroun

péniblement construite par les Allemands sur une superficie de 750 000 km², vole en éclat.

Les Anglais s’emparent de 53 000 km² qu’ils s’empressent de rattacher à l’administration de

leur colonie nigériane3. Les Français rétrocèdent à l’Afrique Equatoriale Française, la portion

qu’ils ont cédé aux Allemands en 1911, avant de s’emparer des 4/5e du reste du territoire4.

Après le partage du 4 mars 1916, Anglais et Français occupent chacun la portion du territoire

camerounais qu’ils se sont octroyés. Les Anglais ne s’embarrassent d’aucune considération et

intègrent purement et simplement leur part du Cameroun dans sa colonie du Nigeria alors que

1 Déroulement (d'une action) organisé à l'avance des agressions commises selon le même scénario

Enchaînement des faits qui constituent la trame (d'un récit) Exemple : un roman policier au scénario

rocambolesque 2 Le 4 février 1916, Anglais et Français se partagèrent le territoire du Cameroun qu'ils venaient d'arracher aux

Allemands. Alors que les Français s'arrogeaient les 4/5e du territoire, les Anglais se contentèrent du 1/5e

3 Cette modestie dans les prétentions britanniques confirme une fois de plus que les Anglais estimaient n'avoir

pas grand-chose à tirer de ce territoire, tout comme au XIXe siècle lorsque les correspondances adressées par les

chefs Douala aux autorités de Londres, les invitant à faire du Cameroun un protectorat britannique, restèrent sans

réponse. 4 431 845 km2 pour 2 millions d’habitants

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la France qui s’inquiète encore du sort que lui réserve l’issue de la guerre hésite à intégrer sa

part du Cameroun à l’AEF malgré la demande pressante des gouverneurs généraux de l’AEF

qui voient dans cette intégration la voie royale pour sortir l’AEF de son enclavement. La fin

de la Grande Guerre va enfin donner au Cameroun divisé sa nouvelle configuration juridique

qui est celle d’un territoire sous mandat de la SDN.

I- LE CAMEROUN DEVIENT UN TERRITOIRE SOUS MANDAT DE LA SDN

Deux événements importants permettent au Cameroun de devenir un territoire sous mandat. Il

y a d’abord le rôle irremplaçable du président Woodrow Wilson dans la création de la Société

des Nations et ensuite l’activisme du nationalisme camerounais à la conférence de paix de

Versailles.

A- Le rôle du Président Wilson dans le création de la SDN

Les États-Unis, en intervenant dans la Grande Guerre aux côtés des puissances libérales,

mettent fin à la politique d’isolationnisme qu’ils avaient adoptée depuis le président George

Washington. Cette intervention qui donne la victoire aux Alliés permet au président américain

de dicter les conditions de la paix. C’est ainsi que le 8 janvier 1918, Woodrow Wilson

prononce un discours resté célèbre dans lequel il annonce les « quatorze points » devant

présider à la conclusion de la paix dans le monde. Des « quatorze points », il y en a deux, les

points cinq et quatorze qui concernent l’évolution ultérieure du Cameroun.

Le point cinq s’intéresse en effet aux territoires anciennement occupés par les puissances

vaincues et énonce que chaque peuple a le droit de disposer de lui-même, d’être libre. Le

point quatorze quant à lui recommande la création d’une société des Nations devant garantir

la paix mondiale.

Ces deux positions du président américain suscitent la méfiance des puissances coloniales que

sont la France et l’Angleterre qui se sont déjà partagé les territoires anciennement colonisés

par l’Allemagne et l’empire ottoman. Ces puissances coloniales opposent pour ce faire une

force d’inertie5 aux initiatives américaines en exigeant qu’une punition exemplaire soit

infligée à l’Allemagne, en lui enlevant notamment toutes les colonies qu’elles s’étaient déjà

octroyées. Face à cette résistance feutrée6 des puissances coloniales, le président Wilson

décide de conduire personnellement la délégation américaine à la conférence de paix

convoquée à Paris, à Versailles car il estime que personne mieux que lui ne peut défendre son

programme de paix dans le monde.

Le 4 décembre 1918, Wilson quitte les États-Unis à la tête d’une délégation et arrive en

France le 14 décembre où il reçoit un accueil triomphal. Avant le début de la conférence,

Wilson s’octroie un petit tour d’Europe pour s’entretenir avec le peuple et lui faire partager

son idéal pour la paix. Il se rend ainsi en Angleterre et en Italie où il ne peut malheureusement

partager son idéal avec le peuple car les dirigeants de ces États évitent soigneusement de le

5 Physique résistance opposée (par un corps) au mouvement en raison de sa masse Exemple : la force d'inertie

centrifuge de la terre. 6 Discret et poli ; discret et silencieux

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laisser parler à leurs populations. L’exemple le plus poignant de cette obstruction a lieu en

Italie : il est entendu que sur son chemin vers la chambre des Députés où il doit s’adresser aux

parlementaires italiens, il ait à passer par l’avenue Piazza Venezzia pour avoir un bref

entretien avec les populations italiennes qui devaient y être assemblées ; mais, au lieu de

passer par l’avenue Piazza Venezia comme il était convenu, on le fait plutôt passer par

Montecitorio et lorsqu’il demande si c’est là qu’il doit s’adresser aux citoyens italiens, on lui

répond qu’il est désormais trop tard pour ce discours. Pendant ce temps, l’ambassadeur

américain et une foule importante attendent en vain à Piazza Venezia.

Malgré ces visites quasi décevantes des États européens, Wilson revient en France fermement

décidé à faire triompher ses idées dont la première est d’imposer la création de la Société des

Nations dans le traité final de la conférence de paix. Pour y parvenir, il doit en découdre dès le

début de la conférence en janvier 1919 avec les trois autres grandes personnalités de ces

assises qui ne veulent nullement voir appliquer les « quatorze points » qui sont contraires à

leurs intérêts. Il s’agit du britannique David Lloyd George, du français Georges Clemenceau

et de l’italien Orlando. Ces derniers ne veulent pas d’une paix des braves qui ne reconnaisse

pas formellement les vaincus et qui n’exige pas de réparations de la part des vaincus.

Par ailleurs, contrairement au point un des « quatorze points » qui récuse la diplomatie

secrète, ces puissances coloniales ont déjà conclu des accords secrets entre elles. Ainsi par

exemple, il est un secret de polichinelle7 que la Grande Bretagne s’est entendue avec la Russie

pour troquer son désengagement dans le détroit de Dardanelles en faveur d’un désengagement

russe au Moyen Orient à son profit ; de même, la France et la Grande Bretagne se sont

entendues pour laisser les mains libres à la Russie en Pologne ; la France et la Grande

Bretagne ont déjà abouti à un accord pour se partager le Moyen Orient et le Cameroun, entre

autres accords.

Malgré ces divergences de vue, il est unanimement reconnu que la conférence de la paix, le

conseil suprême, le conseil des quatre qui se tiennent simultanément à Versailles sont

grandement influencés par la grande figure de Wilson à qui il arrive « souvent de ramener ses

interlocuteurs à certaines règles, à certaines idées générales dont le respect lui paraissait

indispensable ».94 C’est ainsi que le 19 avril 1919, Wilson fait adopter son projet par les

Alliés et impose que le pacte constitutif de la Société des Nations soit incorporé en tête du

traité de Versailles et des autres traités de paix.

B- L’activisme8 du nationalisme camerounais à la conférence de paix de Versailles.

Le nationalisme9 camerounais a eu à intervenir à la conférence de la paix de Versailles pour

indiquer dans quel sens il souhaite que son avenir soit pris en compte. . Par une pétition

adressée à la « Haute Conférence » le 18 août 1919, les chefs et notables douala revendiquent

l’autonomie du Cameroun sous leur administration ou à tout le moins, la possibilité de

procéder au choix du mandataire à qui confier leur pays le Cameroun10

:

7 Information tenue cachée mais connue de tous.

8 Déploiement d'activité combative

9 Mouvement revendiquant pour une communauté le statut de nation autonome

10 E. Ghomsi, "Résistance africaine à l’impérialisme européen. Le cas des Douala au Cameroun", Africa Zamani,

N°4, juillet 1975, p.168.

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Nous avons ouï dire d’une société mondiale qui serait formée à présent et dont la

première tâche serait de seconder les intérêts des indigènes et de les délivrer de

tout principe arbitraire. Les indigènes du Cameroun et leurs chefs pensent pouvoir

faire usage de ce droit et adresser aux Alliés la prière d’étudier au cours d’un

examen approprié si le Cameroun ne pourrait être considéré comme un territoire

neutre. Au cas où cette prière n’épouserait pas les intentions des Alliés, nous

serions prêts à nous soumettre éventuellement à une décision contraire de la Haute

Conférence suivant laquelle nous serions placés sous la protection des Alliés. Nous

supplions toutefois la Haute Conférence de nous accorder le droit du choix de la

puissance.

Par cette pétition, les Camerounais indiquent clairement qu’ils n’acceptent pas le sort que leur

ont réservé les Anglais et les Français par le partage de leur territoire, même s’il apparaît

évident que la demande des nationalistes camerounais n’a pas été prise en compte au moment

où le Cameroun devient un territoire sous mandat.

C- Le Cameroun est incorporé sous le mandat « B »

Le 10 janvier 1920, date de l’entrée en vigueur du traité de Versailles est également la date de

naissance de la Société des nations. Cette première organisation internationale établit à

l’article 22 de son pacte un système de mandat appliqué aux anciennes colonies allemandes et

aux anciens territoires non turcs de l’empire ottoman, conformément au point cinq des

« quatorze points » de Wilson. Cet article distingue ainsi trois types de mandats11

:

–les mandats A constitués de régions détachées de l’empire ottoman et jouissant

théoriquement de l’indépendance, sous contrôle d’un mandataire français pour la Syrie

et le Liban et anglais pour la Palestine, l’Irak et la Transjordanie ;

–les mandats B constitués des colonies allemandes d’Afrique requérant une plus

longue tutelle car leurs populations sont considérées comme incapables de se

gouverner toutes seules d’où la nécessité d’un mandataire devant les préparer à jouir

de leur indépendance. Il s’agit de l’Afrique Orientale ex allemande, du Cameroun et

du Togo ;

–les mandats C constitués des autres colonies allemandes devant être directement

intégrées aux empires coloniaux mandataires.

Le Cameroun devient ainsi un territoire sous mandat de la Société des Nations. En 1922,

celle-ci confie ce mandat à la France et à l’Angleterre qui, depuis 1916, se l’étaient déjà

octroyés après un partage dans lequel la France eut la part du lion.

D- Missions du mandat au Cameroun.

Un territoire sous mandat international est un territoire administré provisoirement par

un autre sous le contrôle d’une instance internationale qui, ici est la SDN. Cela dit

l’Etat mandataire administre et rend compte annuellement auprès de la commission

11

Compte tenu des différences sociopolitiques et économiques dans les différentes colonies, le conseil

suprême de la SDN composé de la Grande Bretagne, de la France et du Japon s’est réuni le 6 mars

1919 et a déterminé plusieurs types de mandat parmi lesquels le mandat B était réservé au Cameroun.

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permanente des mandats qui est l’organisme au sein de la SDN en charge des

mandats.

Concernant les missions proprement dites, les articles 22 et 23 du statut de la SDN

étaient explicites dans ce sens. D’une manière globale, leur mission était de favoriser le

bien-être des populations pour les amener à s’administrer elles-mêmes : « le bien-être et

le développement de ces peuples forment une mission sacrée de civilisation.la

meilleure méthode de réaliser pratiquement ce principe est de confier la tutelle de ces

peuples aux nations développées qui sont les mieux à même d’assurer leur

responsabilité. Elles exerceraient cette tutelle en qualité de mandataire de la société.»

(Art 22 .alinéa 5). Cela dit la France avait des devoirs au Cameroun et devait rendre

des rapports annuels à la commission permanente des mandats. Ainsi par ces textes, la

mission du mandat était limpide et on pouvait constater des faits :le mandat est sans

intérêt et il est provisoire car les pays mandataires doivent les amener à s’auto

administrer et enfin il a un but moral. La politique française était-elle en conformité

avec ses obligations internationales ?

II- L’ŒUVRE FRANCAISE AU CAMEROUN DE 1916 A 1939

En général, Celle-ci pratiqua une politique d’assimilation c’est-à-dire avoir un mode de

pensée et un comportement Français et oublier la culture traditionnelle. Là où cette politique

échoua on essaya la politique d’association. Celle-ci visait à se servir d’une partie de la

culture, des lois et des coutumes camerounaises pour gouverner le pays. Une autre politique

fut également mise en œuvre : le Paternalisme qui consistait en l’exercice direct du pouvoir

par la France. Les officiers coloniaux français dirigeaient le peuple avec une poigne de fer. Ils

imposaient aux gens toutes sortes de lois et ceux qui y contrevenait étaient arrêtés, battus et

gardés en prison sans jugement. Les camerounais n’avaient pas le droit de s’organiser en

syndicats sans l’autorisation du haut-commissaire Français. On appelait « indigénat » cette

législation sévère que les gens abhorraient.

Sous la direction des officiers coloniaux Français le développement se fit au moyen des

travaux forcés ou prestations. Ils s’emparèrent des plantations de caoutchouc et d’huile de

palme abandonnées par les Allemands. Ils poursuivirent la construction de la ligne de chemin

de fer Douala-Yaoundé déjà commencé par Allemands et tracèrent des routes pour relier les

villes entre elles. Il y eut aussi quelques Français qui essayèrent d’apporter de l’aide à la

population. Dans le domaine médical notamment, le docteur Jamot qui découvrit la cause de

la maladie du sommeil.

A- La politique administrative française au Cameroun: 1916-1939

1- Le Commissaire de la République, chef du territoire du Cameroun français

Au lendemain de la conquête et du partage du Cameroun entre la France et l'Angleterre,

l'autorité de Paris nomma par décret du 7 avril 1916 le général Joseph Ganderique Aymerich

commissaire de la république au Cameroun, faisant ainsi de ce territoire un commissariat de la

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république autonome, c’est à dire un territoire non intégré à l’AEF, Afrique Equatoriale

Française. Entre 1921 et 1939, on assista entre les représentants de la France au Cameroun et

le ministère des colonies à une sourde "bataille" pour le titre de haut-commissaire. Les

premiers estimaient que le Cameroun; compte tenu de sa superficie et de ses potentialités

économiques et humaines méritait cette dénomination. Le ministère des colonies quant à lui,

fort de la tendance première qui était de faire du Cameroun un territoire de l'AEF estimait que

le Cameroun ne méritait pas un honneur si grand. Le 2 mai 1939, par le décret n° 5703/2

Richard Brunot est nommé gouverneur général des colonies et haut-commissaire de la

République au Cameroun. Il est l'heureux bénéficiaire d'une victoire que les différents

commissaires de la république avaient cherchée depuis 1921. Deux raisons fondamentales

poussèrent les différents commissaires à revendiquer le titre de haut-commissaire:

premièrement combattre les convoitises des gouverneurs généraux de l'AEF. La deuxième

raison était de jouir du prestige et des avantages liés au titre de gouverneur.

Le chef du territoire du Cameroun français, qu'il fut appelé commissaire ou haut-commissaire

de la république était nommé par le chef de l'Etat français sur proposition du ministère des

colonies. La France était obligée de présenter annuellement un rapport sur sa gestion du

Cameroun à la commission permanente des mandats. Le commissaire de la république était le

véritable chef de territoire du Cameroun de par l'article 2 du décret du 23 mars 1921. "Le

commissaire de la république est le dépositaire des pouvoirs de la république. Tous les

services civils relèvent de son autorité. Il exerce à l'égard des services militaires les pouvoirs

conférés aux gouverneurs des colonies autonomes. Il correspond seul avec le gouvernement.

Il détermine les circonscriptions administratives et prend les mesures nécessaires pour assurer

leur développement et leur organisation".

Les huit commissaires de la république12

qui exercèrent au Cameroun entre 1916 et 1939, cinq

méritent le qualificatif de "bâtisseurs du Cameroun français" car les objectifs premiers furent

de franciser le Cameroun et d'imprimer la nouvelle marque avec une encre indélébile: ce

furent Joseph Ganderique Aymerich, premier commissaire de la république, mars-octobre

1916;

-Louis Lucien Fourneau 1916-1919

- Jules Gaston Garde 1919-1923

-Théodore Paul Marchand 1923-1933

12

Liste des dirigeants coloniaux français

7-04-1916---8-10-1916 Joseph Aymerich

1916-1919 Lucien Fourneau

1919-1923 Jules Gaston Carde

Mars 1923-avril 1923 Alberi Fournier

1923-1932 Théodore Paul Marchand

Août 1932-septembre 1934 Paul Auguste François

1934-1936 Jules Repiquet

1936-1937 Gaston Camille

1937-1938 Pierre Boisson

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-Auguste François Bonnecarrère 1933-1934

Les autres tels que Jean Vincent Victor Répiquet (1934-1936), Pierre Boisson (1936-1938),

Richard Edmond Maurice Edouard Brunot (1938-1939) furent les protecteurs qui auront pour

tâche essentielle de défendre le territoire français contre les revendications allemandes.

Marchand à l'endroit du sultan Ali de Goulfi qui, très orgueilleux et jaloux de son autorité ne

se soumettait pas avec toute la délinquance voulue recommanda la menace aux autorités de

Fort-Foureau: "N'hésitez-pas, enfin dans le cas où le chef indigène ne ferait pas montre à

votre endroit d'une souplesse suffisante à lui appeler que la destitution et l'exil sont les

sanctions qui attendent ceux de nos auxiliaires dont la collaboration à l'œuvre de projet

poursuivi dans ce pays manque de franchise et dont le loyalisme est incertain".

2- Le conseil des notables

Avec l'existence d'un pouvoir indigène fort la nécessité de l'administration directe brisée par

les français s'accordait très mal. Marchand, pour l'affaiblir et le rendre plus utile, crée de

nouveaux intermédiaires du pouvoir colonial qui feraient ombrage au pouvoir indigène. Les

chefs cesseraient de ce fait d'être les seuls interlocuteurs de l'autorité coloniale en ce qui

concerne les problèmes indigènes. L'arrêté pris le 9 octobre 1925 par Marchand allait y

pourvoir de manière significative en créant les conseils des notables dans l'assemblée du

territoire du Cameroun.

Charles Atangana par exemple avait plus de personnalité que les autres notables. Il est le fruit

de la colonisation allemande, il a mûri en exil, il est souvent en désaccord avec l'autorité

coloniale française et il le fait savoir. Il est pétri d'ambitions mais il sait jusqu'où il peut aller.

Il se satisfait de ce qu'il a: peu de pouvoir. Tel n'est pas le cas de Njoya, homme de tradition et

homme d'Etat de stature. Il ne doit rien de son éducation à l'occupation, ne lui a rien demandé

pour moderniser son pays. Dans une vingtaine d'écoles, on enseigne l'écriture qu'il a inventée

et l'histoire selon son œuvre histoire et coutumes Bamoum. Il publie sa somme philosophique

Nuet Nkuete avec le Bamoun pour langue liturgique. Alors que les français se contentaient

encore de la carte allemande, il fait lever une carte détaillée du sultanat achevé en 1920, il

étend les libertés personnelles, fait construire un palais. On grignote son pouvoir en

renommant les petits chefs qui s'opposent à lui. Marchand met fin à son glorieux règne de 36

ans le 3 août 1931.

Le conseil des notables était chargé de :

- Promouvoir les politiques françaises,

- Agir comme intermédiaires entre les autorités françaises et les populations locales ;

- Conseiller les autorités françaises sur toutes questions concernant les indigènes dans les

domaines tels que l’impôt, la construction des routes et des rails, les questions de droit.

Les membres de ces conseils jouissaient des privilèges suivants :

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- ils étaient dispensés de certaines obligations ;

- ils étaient rétribués pour la gestion de la construction des routes ;

- la mobilité de leurs sujets était limitée par l’administration ;

- Ils bénéficiaient d’un certain pourcentage prélevé dans l’impôt de capitation payé par les

populations.

3- Les chefs traditionnels

Afin de simplifier l’administration du Cameroun, les autorités françaises ont créé des chefs

artificiels qui exécutaient la politique française. Trois catégories de chefs avaient été créées :

les chefs de premier degré (les Lamibés dans les régions septentrionales), les chefs de canton

et les chefs de village. Dans plusieurs cas, l’administration française procéda au

remplacement des chefs récalcitrants par leurs fils.

Afin de préserver cette institution de chefferie, les autorités françaises décidèrent de la

création des écoles de fils de chefs par arrêté du 27n décembre 1933 à Yaoundé, Garoua,

Dschang et Doumé. L’objectif de ces écoles était de former les futurs chefs au respect et à la

promotion de la mission française au Cameroun tout en leur faisant acquérir les techniques

d’administration.

4- Les unités administratives

Le Cameroun fut découpé en 9 unités administratives par décret de mai 1916 :

- Kribi-Lolodorf-Campo avec pour capitale Kribi ;

- Edéa-Eséka avec pour capitale Edéa ;

- Douala-Yabassi (Douala) ;

- Barie-Foumban-Nkongsamba (Foumban);

- Yaoundé;

- Mora-Garoua (Garoua);

-Doumé-Loumé-Yokadouma (Doumé) ;

- Ebolowa- territoire d’Akoafim (Ebolowa).

Dans le nord-Cameroun, les autorités françaises maintinrent les lamidats et en 1936, on

comptait 29 lamidats et un sultanat.

B- Politique sociale

L’Éducation dans le Cameroun français était principalement entre les mains de sociétés

missionnaires. En 1937, il y avait 85 000 élèves dans les écoles élémentaires de la mission

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catholique. Les écoles régionales étaient supérieures aux écoles de village. Le programme

scolaire de l'école régionale comprenait le français, l’agriculture et l’hygiène. En ce qui

concerne la Santé, il y a eu surtout l'établissement d'un institut d'hygiène à Douala en 1925.

Une école professionnelle a aussi été ouverte à Ayos pour former les infirmiers. Le problème

principal au Cameroun français était la maladie du sommeil. Le Dr Eugene Jamot s’y était

illustré.

Les français adoucissent le sort des veuves, fixent le montant de la dot et l'âge minimum pour

le mariage, quatorze ans pour la fille et quinze ans pour le garçon. L'enseignement est

développé et il existe en 1938 trois écoles ménagères à Douala, Yaoundé, Ebolowa. Les

missions catholiques préparent les jeunes filles au mariage dans les centres appropriés. En

1939, l'enseignement public compte cent écoles rurales, une école professionnelle à Douala,

une école d'aide à la santé à Ayos, l'institut d'hygiène est créé en 1925 à Douala.

C- Politique économique

La politique économique française au Cameroun a été influencée par la politique de mise en

valeur proposée par Albert Sarraut. Cette théorie visait à dériver les avantages économiques

maxima pour la France avant de servir les intérêts économiques des colonies et le monde.

L'économie du Cameroun français a aussi été influencée par la propriété de la terre aussi bien

que la disponibilité du travail et la politique de la taxation.

S’agissant de la propriété de la terre, elle a été réglée par une série de décrets. Le décret

foncier du 5 juillet 1921 régulant le domaine public ; le décret du 19 juillet 1921 relatif à

l’expropriation pour cause d’utilité publique alors qu’un décret fut pris en 1938 relatif au

domaine de l’Etat. Ces décrets répartissaient les terres en 4 catégories : Dans la première on

retrouvait des terres ayant été acquises avec un titre foncier par inscription dans le Ganbuch

allemand ; elles pouvaient être transférées librement si elles ont été possédées par les

autochtones ou Européens. La seconde catégorie incluait les terres possédées par les natifs

sans titre de propriété ; elles étaient transférables. La troisième catégorie comprenait les

réserves indigènes qui étaient des terres destinées ç accueillir lesdites personnes. La quatrième

catégorie incluait les terres faisant l’objet d’appropriation privée ; ainsi les terres du domaine

de l’Etat, les terres vacantes et sans maitres, les terres utilisées pendant 10 ans.

Deuxièmement, il y avait l’agriculture et les plantations. Il faut noter que le Cameroun

français a été dominé par l’agriculture. Les Anglais et les Français ont hérité, dans leurs zones

respectives, les plantations laissées par les allemands. Ces plantations ont été vendues aux

enchères par les Français et les Anglais aux hommes d'affaires camerounais. Les grandes

plantations allemandes sont regroupées et nationalisées dans la partie française sur les pentes

du mont Cameroun. Elle forme la Cameroon Development Coorporation (CDC). On en trouve

dans le Moungo, dans le Ntem, le Nyong et la Sanaga. La principale récolte de l'exportation

était le cacao et sa culture était faite par les autochtones. En 1937, le Cameroun français

produisait 27 000 tonnes de cacao et en 1948 un poste du cacao a été construit dans

Nkoemuon. Le café Arabica et Robusta ont aussi été cultivés à Ebolowa, Nkongsamba et

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Dschang avec un tonnage à Penja et Njombe et avec approximativement 28 000 tonnes

exportées en 1939. Les plantations de banane ont existé dans les régions volcaniques de

Mbanga, Penja et Njombe avec 28 000 tonnes exportées en 1939. La banane du Cameroun

français a été vendue en France par la compagnie française des bananes SA. Les plantations

des pommes ont été trouvées dans la portion du sud du Cameroun français. L’Institut des

Recherches et Huiles Oléagineux (IRHO) a ouvert dans les plantations de pomme à Bafia,

Dschang, Edéa et Kribi. Le climat favorable du nord a favorisé la production du coton dans

le Nord et ce par le Compagnie de Développement de Fibres et Tissus (CFDT).

Le sous-sol n'est pas négligé. Le service des mines créé en 1929 découvre la présence de

plusieurs minerais, l'or alluviaire de Batouri et de Betaré Oya. Le cuivre de Mayo Darlé dans

le nord Cameroun.

Au sujet du recrutement des travailleurs dans les plantations et les compagnies de

construction de la route était soumis à certaines règles. Premièrement tous les ouvriers ont été

soumis à des bilans de santé, et ne pouvaient être transférés d’un employeur à l’autre ; Les

ouvriers qui travaillaient à l'extérieur de leur sous-division devaient ensuite subir un examen

médical ; les travailleurs étaient recrutés volontairement.

Par ailleurs, il y avait la taxation. Ce système a été basé sur l'impôt de la capitation (tête

impôt) lequel a été imposé à tous les hommes et femmes. Dans deux districts dans le nord, les

enfants de plus de douze années ont payé l'impôt de tête. La prestation a aussi été utilisée.

C'était un système de travail forcé auquel tous les Camerounais virils travaillaient

obligatoirement, sans salaire, pour le gouvernement pendant dix jours dans une année. Les

autochtones étaient capables de payer leurs impôts en vendant les pommes et les arachides.

Pour finir la communication. La modernisation des routes au Cameroun français a commencé

efficacement en 1939 quand les routes de Douala et de Nkam-Bafang ont été modernisées. Ce

processus a été divisé en deux principales directions. Premièrement, la ligne Nord qui lie

Douala à Bonabéri-Loum-Nkongsamba-Bafang, Foumban-Banyo-Tibati-Ngaoundéré-Garoua

avec pour terminaux ferroviaires Yaoundé et Nkongsamba. Cette construction de routes a été

faite par l'Entreprise Razel. Les autorités coloniales françaises ont aussi amélioré les ports de

Douala, Kribi et Garoua. Le Cameroun français a été lié au monde extérieur par la nationale

de la société Air France. Les vols internes étaient fournis par le Société Transatlantique

Aériens (STA). Les principaux aéroports étaient Douala, Yaoundé, Ngaoundéré, Garoua,

Maroua, Kribi et Foumban. La construction de celles-ci a été faite dans des conditions

inhumaines. Les autochtones devaient exécuter les prestations et les corvées pour les salaires

maigres et avec des conditions nutritives mauvaises. Cette situation a facilité l'exode des

autochtones du Cameroun français pour le Cameroun britannique.

D- Le bilan de l’œuvre française : un manquement aux obligations du mandat

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En dépit de tout ce qui a été fait, l'œuvre de la Frances mandataire au Cameroun peut être

considérée à certains égards comme un échec. En effet, il y a eu beaucoup d'exactions de la

part de l'administration coloniale. Le portage, la corvée, les sanctions physiques humiliantes,

les déportations et quelquefois les peines capitales, les exportations n'ont pas donné à la

population l'opportunité de voir où se trouve le respect des engagements pris devant la SDN.

Par ailleurs, la France n'a pas institué au Cameroun l'enseignement secondaire public, ni

supérieur. Ce qui a été un grand manquement au développement social.

III- LE PASSAGE DU CAMEROUN SOUS LE STATUT INTERNATIONAL DE

MANDAT DE LA SDN CONFIE A LA FRANCE SUSCITE DES REACTIONS

NATIONALISTES DES CAMEROUNAIS

Après le passage du Cameroun sous le statut international de mandat "B" de la Société des

Nations confié à l’Angleterre et à la France, les réactions nationalistes des Camerounais

resteront variées mais constantes. Et le rejet de la présence française au Cameroun sous

Mandat de la S.D.N se manifeste dès les premiers moments de cette occupation. Il s’agit

d’une hostilité matérialisée à travers deux volets d’actions. D’une part, de nombreuses

pétitions sont adressées à la commission des mandats à Genève ; d’autre part, la propagande

germanophile devient grandissante, réclamant le retour des Allemands au Cameroun.

A- La résistance à la présence française à travers les pétitions13

.

Bien avant la fin de la conférence de Versailles, les Camerounais ont exprimé le désir de ne

plus vivre une nouvelle annexion de leur territoire par une autre puissance étrangère. C’est ce

qui explique leur attitude de refus lorsqu’il leur a été présenté le manifeste de sympathie

envers la France. En effet, les Français avaient soumis à la signature des chefs de ce territoire

dès la fin de la Grande Guerre, un manifeste exprimant leur adhésion à la nouvelle puissance

européenne. Le but était de prouver à la communauté internationale qu’ils avaient été bien

accueillis par les Camerounais. Mais ces derniers s’estimant à même de prendre leur destin en

main après trente années de dure cohabitation avec les Allemands, refusèrent de le signer. Un

extrait du rapport du Haut-Commissaire Lucien Fourneau, adressé au Gouverneur général de

l’Afrique Equatoriale Française et citant les représentants de la tribu Douala à l’issue d’une

audience qui leur a été accordée le 17 décembre 1918 en est révélateur

Après la décision de faire du Cameroun un territoire sous le régime de mandat B confié à la

France, sans consultation des Camerounais, il n’en demeure pas moins que dès ses premières

années, la S.D.N est pour eux un interlocuteur venu à point nommé14

. C’est pourquoi ils

orientent leur espoir vers la commission des mandats à travers de nombreuses pétitions.

Après cette pétition non équivoque, réclamant la sauvegarde de l’indépendance de ce pays

jadis léguée aux Allemands, une deuxième pétition est rédigée le 11 août 1929, dénonçant les

décisions prises à l’encontre des intérêts fonciers des Douala. Deux arrêtés ont été en effet

signés le 10 mai 1929 sur la propriété foncière. Le premier ordonne sans aucune discussion

13

Requête ou revendication rédigées à l'intention d'une autorité. 14

Au bon moment (soutenu)

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préalable avec les propriétaires, le lotissement du quartier Bali à Douala, tandis que le second

rejette l’opposition des populations douala à ce lotissement. Deux autres arrêtés sont pris le 25

octobre 1929, attribuant à titre définitif le lot N°29 à MM. Victor Antoine G. Chidrak, tandis

qu’une parcelle de 18 850 m² à l’Est de la voie ferrée du centre est laissée à la compagnie de

distribution d’énergie électrique15

.

Une autre pétition d’importance capitale est rédigée le 19 décembre 1929 et a pour

signataires. : Elate Dale, Ngangue Mbandi, Ngaka Akwa, Ngambi Bweni, Endene Din,

Eyoum Ekwala, Mbape Bwanga, Lobe Bell. Celle-ci est un véritable réquisitoire contre le

système des mandats tel que pratiqué par la France au Cameroun. Elle demande la réforme

totale du régime politique de l’administration du Cameroun et ses rédacteurs se présentent

comme « Grande Assemblée Populaire sous la protection des chefs supérieurs qui ont conclu

comme souverains indépendants avec le gouverneur allemand, le traité politique de 1884 »16

Comme les premières pétitions n’avaient connu aucune réaction de la part de la S.D.N sous

prétexte qu’elles n’ont pas été transmises par voie hiérarchique en vertu des recommandations

adoptées, demandant que toutes les pétitions soient transmises à la commission des mandats

qui est seul juge de leur recevabilité à travers la puissance mandataire, des précautions furent

prises avec cette pétition. Afin de lui donner la chance d’atteindre ses destinataires et lui

enlever tout prétexte de son rejet, les signataires écrivent :

« A la Société des Nations de Genève par l’intermédiaire de Monsieur le Commissaire de la

République Française au Cameroun ».

Au sujet de la critique du système du mandat, cette pétition établit qu’il a échoué sur tous les

plans et demande que soit proposée par la S.D.N, la base d’une autonomie des indigènes du

Cameroun. Elle accuse par ailleurs le système de mandat d’avoir entériné à tort, le partage du

Cameroun fait au lendemain de la Grande Guerre ; s’insurge contre l’idée faussement avancée

selon laquelle ce système ou toute autre forme de colonisation est la voie royale pour aboutir à

l’indépendance des territoires confiés à des puissances mandataires.

Quant aux irrégularités résultant de l’action des puissances coloniales, cette pétition arrive à la

conclusion que les Allemands, puis les Anglais et Français installés au Cameroun n’ont

jamais respecté leurs engagements et que ces puissances ne vont pas non plus respecter l’idée

de favoriser dans l’avenir cette indépendance légitime.

Le commissaire de la République française au Cameroun, Théodore Paul Marchand, se garda

comme d’habitude, de transmettre ce message à la S.D.N. Les rédacteurs quant à eux, forts

des expériences précédentes, s’employèrent à trouver d’autres réseaux pour que la pétition

atteigne ses destinataires. De nombreuses difficultés rencontrées par ces nationalistes pour se

faire entendre à travers les pétitions à la commission des mandats, vont les entraîner sur des

terrains politiques se jouant des rivalités entre pays européens, dans le but d’exprimer à tout

prix leur rejet de la France.

15

D. Abwa, Cameroun : histoire d’un nationalisme, p. 174. 16

E. Ghomis, ‘‘Résistances africaines’’, p. 177.

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B- Le rejet de La France à travers la propagande17

germanophile

Pendant la période du mandat, un conflit latent oppose Allemands et Français sur le

Cameroun. Dans ce conflit et pour des raisons différentes, les Camerounais prennent position

pour l’un ou l’autre camp, se transformant ainsi en francophiles18

et germanophiles.

En effet, au lendemain de la Grande Guerre et à l’issue de la conférence de paix de Versailles,

l’Allemagne est contrainte d’abandonner toutes ses possessions outre-mer dont le Cameroun.

Dès le 30 janvier 1933, lorsqu’il est appelé à la Chancellerie allemande par Hindenburg,

Adolf Hitler, qui a vécu la défaite allemande et les résultats de la conférence de paix de

Versailles comme un diktat insupportable, décide de tout remettre en cause en récupérant les

anciennes possessions allemandes.

Ainsi commence une intense propagande allemande au Cameroun sous mandat anglais et

français pour le retour de cet ancien protectorat à l’Allemagne. Les élèves sortis de la

Deutschekolonialschule créée en octobre 1935 à Witzenhaussen, sont les principaux artisans

de cette propagande qui recommande la mise en place de gré ou de force d’un empire colonial

allemand dont les avantages sont clairement exposés. La presse allemande ne se laisse point

distancer dans cette campagne. Elle devient même très virulente à l’endroit des puissances

coloniales qu’elle considère comme exploitant à tort les richesses allemandes.

Les intellectuels allemands ne sont pas en reste dans cette campagne de revendication des

anciennes colonies allemandes. C’est le cas en 1938, du Dr Ernest Gerhard Jacob qui fait

éditer à Leipzig une brochure intitulée les colonies allemandes autrefois et maintenant. Il en

est de même avec l’auteur anonyme de cet ouvrage en allemand au titre très évocateur : Der

Deutsche im Ausland.

Au Cameroun sous mandat français, les répercussions de la propagande allemande pour la

rétrocession de son ancien protectorat sont d’autant plus profondes que depuis 1916 après le

partage du Cameroun, les Français redoutent cette réclamation. Ce faisant, ils n’intègrent pas

leur partie du Cameroun à l’Afrique Equatoriale Française de peur que les Allemands ne la

revendiquent à la fin de la guerre. Par ailleurs, après la victoire des alliés, ils limitent le retour

dans leur pays pour des Camerounais ayant résidé en Allemagne, autorisent avec parcimonie

et après de nombreuses tracasseries, l’entrée des Allemands au Cameroun, épient en

permanence les faits et gestes de tous ceux qui sont soupçonnés de germanophilie. Car avant

la montée d’Hitler au pouvoir à Berlin, une propagande inquiétante pour le retour du

Cameroun à l’Allemagne se manifeste déjà à Douala.

La principale cheville ouvrière de cette campagne est Peters Firminich, directeur de la

Woermann Linnie, membre de la chambre de commerce et chef du parti nazi pour le

Cameroun français. Il créé pour ce faire une organisation dénommée Front de travail afin de

coordonner les actions des Allemands résidents et donner à ceux qui sont de passage un cadre

propice pour une propagande efficace. Mais c’est avec son remplaçant Volmann en 1936 que

l’activisme pour la reconquête du Cameroun atteint son paroxysme. Celui-ci consiste non

17

Action exercée sur l'opinion publique et destinée à lui faire adopter certaines idées, à influencer ses choix et à

conditionner son comportement 18

Qui éprouve une vive sympathie pour la France et pour les Français des artistes francophiles

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seulement à espionner les Français et informer les Allemands sur les dispositions prises pour

empêcher un éventuel débarquement des troupes allemandes au Cameroun, mais aussi, à fêter

publiquement et bruyamment toute victoire du Reich en Europe. C’est ainsi que l’Anschluss

est fêtée avec éclat à Douala, célébration décrite dans le bulletin du comité de l’Afrique

française en ces termes

La propagande ainsi déclenchée trouve l’administration coloniale dans un état de grande

fébrilité19

, d’autant plus que les pétitions adressées par des nationalistes camerounais à la

S.D.N contestent fortement sa gestion et que les Allemands résidant dans cette partie du

territoire n’hésitent pas à proclamer ouvertement leur désir de voir le Cameroun redevenir une

possession allemande.

Face à cette situation, la France organise une contre-offensive visant à prendre des mesures

pour gagner les indigènes à la cause française en les éloignant de tout regret nostalgique de

l’Allemagne.

Pour ramener les Camerounais à la cause française, l’administration entreprend de se concilier

les personnes influentes de la société. L’inénarrable Charles Atangana, naguère germanophile

a été autorisé à rentrer de son exil de Fernando Pô. Plutôt que de le mettre sur la touche,

l’administration le réintègre dans ses fonctions de chef supérieur à Yaoundé, le nomme

membre du conseil d’administration du territoire et l’envoie comme délégué du gouvernement

du Cameroun, à la conférence économique de la France d’Outre-Mer à Paris en 1934. Chargé

d’honneurs et de décorations, Charles Atangana ne tarit pas d’éloges à l’égard de la France et

prend position au nom de son peuple, contre les pétitions pertinentes rédigées par ses

compatriotes pour dénoncer le régime colonial français. La formule qui a déjà fait ses preuves

dans toutes les colonies en Afrique, celle de diviser pour régner venait ainsi d’avoir raison sur

les nationalistes camerounais.

Mais pour les stratèges de la politique coloniale française, cette victoire locale ne suffit pas.

Elle devait servir de tremplin pour des manœuvres décisives. En vue d’éloigner à jamais

l’Allemagne du Cameroun, celui-ci doit changer de statut juridique : de pays de mandat, il

doit devenir une colonie française. Si l’objectif parait clair, le chemin qui y conduit l’est bien

moins. Opérer une telle annexion sans rencontrer l’opposition irréductible des pays signataires

des accords de Londres, les Etats-Unis et l’Angleterre notamment paraissait moins évident.

Par ailleurs, l’environnement international alimenté par la montée du péril nazi ne permettait

pas à la France de courir le risque de faire cavalier seul, sans ses alliés d’hier.

Diverses autres actions furent entreprises dans le but de contourner le risque de fâcher les

alliés. Il était question de susciter parmi les Camerounais, des pétitions volontaires à la S.D.N,

réclamant le rattachement du territoire à la France.

A cette action locale s’ajoute une autre menée simultanément en France, destinée à alerter

l’opinion française sur les dangers que font courir à l’ensemble de l’Empire colonial français,

les prétentions allemandes sur le Cameroun. Administrateurs coloniaux, missionnaires et

écrivains de renom se mettent ensemble pour atteindre cet objectif.

19

Agitation nerveuse

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Dans le n° spécial de la Revue de l’Empire français, Albert le Bail, vice-président de la

commission de la marine militaire arrive à la conclusion suivante dans une étude sur « Nos

droits sur le Cameroun » :

Le fait matériel de la conquête, le fait juridique du mandat justifieraient à eux seuls en

droit le maintien de la France au Cameroun.

Une revue religieuse, « Le bulletin des missions » consacre son numéro XVI de 1937 au

Cameroun. La préface est signée de Mgr René Graffin, évêque coadjuteur de Yaoundé et

personnalité de premier plan des forces religieuses au Cameroun. Les livres et revues

n’atteignant qu’un public limité, une autre forme d’action consiste en tournées de conférences

à travers toute la France et le Cameroun. C’est le cas de Jean Marie Casset, prêtre de la

congrégation du Saint-Esprit, missionnaire au Cameroun de 1932 à sa mort survenue en 1960.

Celui-ci obtient du ministère des colonies, l’autorisation d’organiser des tournées de

conférences en faveur de la présence française. Il obtient aussi une subvention de 4000 francs

et des lettres de recommandations pour les chefs des circonscriptions, lui permettant de

s’informer dans toutes les régions du pays et spécialement dans le Nord, fief des musulmans.

Toute cette mobilisation reste une preuve que la montée du nationalisme camerounais sous-

mandat de la S.D.N à la France était loin de ressembler à une simple agitation.

Pour éviter tout ralliement possible des populations camerounaises germanophiles, la France

tolère la création de l'Union Camerounaise en 1937 à Paris, association qui lutte pour

l'émancipation de la colonie et dirigée par Jean Mandessi Bell et Léopold Moumé-Etia. Tous

deux d'origine douala. Le programme de cette association portait sur deux points :

- Le passage du Cameroun français du régime de mandat B au régime de mandat A

- L’opposition au retour du Cameroun français à l’Allemagne.

Tout en tolérant cette association, les colons vont piloter en 1938 la création de la Jeunesse

Camerounaise Française (JEUCAFRA). Dirigée par Paul Soppo Priso, cette association avait

son siège à Douala. La JEUCAFRA était constituée de trois groupes aux idées totalement

opposées quant à l’avenir du Cameroun français :

- Les autorités coloniales françaises qui voulaient utiliser la JEUCAFRA pour

combattre la demande de retour du Cameroun français à l’Allemagne ;

- Les milieux d’affaires français au Cameroun qui supportaient la Jeucafra non

seulement parce qu’ils voulaient garder le Cameroun français pour la France, mais

surtout parce qu’ils voulaient soustraire le Cameroun du contrôle de la SDN et le

placer sous contrôle de la France comme les autres colonies.

- Le troisième groupe qui voyait en la JEUCAFRA un instrument pour exprimer les

sentiments antigermaniques et comme un forum pour formuler des griefs politiques,

économiques et sociaux contre l’administration coloniale française.

CONCLUSION

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http://librairie.immateriel.fr/fr/read_book/9782370150103/Abwa-7

http://www.planeteafrique.com/Actualites/cameroun/Index.asp?id=825

http://jurisconseil.e-monsite.com/pages/cemac-et-etats-membres/tout-sur-le-cameroun.html