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Choisir un test diagnostique

B Grenier

L es tests diagnostiques sont utilisés pour des buts multiples. Leur qualité principale est déterminée par l’objectifà atteindre : confirmation ou rejet du diagnostic, valeur pronostique, surveillance de l’évolution, dépistage,

protocole scientifique. Le choix est donc étroitement dépendant de la stratégie choisie par le praticien.

Mots-clés : sensibilité, spécificité, rapport de vraisemblance, gold standard, erreur a, erreur b, courbes ROC.

■Dépistage du diabète non

insulinodépendant

L’opération proposée est le dépistage dudiabète non insulinodépendant (DNID) dit diabètede type 2 chez les sujets de plus de 50 ans. Pource faire, on souhaite utiliser la mesure d’uneconstante biologique, la glycémie à jeun. Onattend de cette constante biologique qu’ellepuisse être exploitable comme séparateur entreles sujets atteints ou à risque d’un DNID, et lessujets qui en resteront indemnes à une échéancede 5 ans ; et dans l’éventualité où elle peutremplir la fonction de séparateur, exploiter cettemesure comme test diagnostique. La qualitéattendue d’un test diagnostique est de distinguerles sujets dits « à risque diabétique » de ceux quine le sont pas, en d’autres termes d’avoir unpouvoir discriminant capable de séparerefficacement ces deux populations. Ces qualitésd’un test doivent être estimées avec une précisionsuffisante afin, en premier lieu, de justifier sonchoix.

Comme les autres constantes, la glycémie est unevariable continue qui peut prendre de multiplesvaleurs. Pour gérer plus facilement le résultat de lamesure de la glycémie, il est souhaitable de latransformer en un résultat binaire, en deux réponsesqualitatives : une réponse dite positive (T+)considérée comme pathologique et une réponsedite négative (T-) considérée comme nonpathologique selon que la mesure se situe au-delàou en deçà d’une ligne de partage ou critère depositivité. Les recommandations internationalesconseillent de tenir une glycémie à jeun égale ousupérieure à 6,8 mmol/L (1,24 g/L) pour réponse« positive », c’est-à-dire liée au risque d’un diabète etde complications vasculaires rétiniennes dans les 5années suivantes, et pour « négatives » les valeursinférieures à cette ligne de partage.

Dans une population soumise à une telleopération de dépistage, les résultats en termesd’effectifs se répartissent comme il est rapporté dans

le tableau I dit « tableau à quatre cases » [9]. Dans lacolonne gauche (sujets M) sont répartis les résultatsdu test de dépistage observés parmi 100 sujets quiont développé des complications vasculaires de typediabétique dans les 5 années suivantes ; dans lacolonne droite (sujets non M), les résultats du testparmi 100 autres sujets qui, dans le même temps,sont restés indemnes de ces complications.

Ce premier tableau montre que, dans la colonnegauche des sujets M, ceux qui ont ou qui vontdévelopper des stigmates du DNID, le test dedépistage a donné une réponse positive dans 69 %des cas : on dit que le taux des vrais positifs ousensibilité (Se) est égal à 0,69. Le test a donné uneréponse faussement négative dans 31 % des cas : letaux de faux négatifs égal à 0,31 est le complémentde la sensibilité = (1- sensibilité).

Dans la colonne droite des sujets non M, qui n’ontpas développé les stigmates du DNID dans les

RV (+) = Vraisemblance ou fréquence de T (+) si M Sensibilité 0,69

Vraisemblance ou fréquence de T (+) si non - M 1 - Spécificité 0,12 = = = 5,75

Sur la ligne inférieure du tableau I, chez les sujetsM, le résultat négatif a une probabilité ouvraisemblance égale au taux des faux négatifs,complément de la sensibilité (1 - Se) = 0,31. Chez lessujets non M, le même résultat négatif a une

RV (-) = Vraisemblance ou fréquence de T (-) si M 1 - Sensibilité 0,31Vraisemblance ou fréquence de T (-) si non - M Spécificité 0,88

= = = 0,35

Le rapport de vraisemblance positif égal à 5,75signifie que la réponse positive du test est 5,7 fois

5 années suivantes, le test de dépistage a donné uneréponse négative dans 88 % des cas : on dit que letaux des vrais négatifs ou spécificité (Sp) est égal à0,88. Le test a donné une réponse faussementpositive dans 12 % des cas : le taux de faux positifségal à 0,12, complément de la spécificité =(1 - spécificité) [8].

Ainsi chez les sujets M, le résultat positif a uneprobabilité ou vraisemblance égale au taux desvrais positifs ou sensibilité (Se = 0,69). Chez lessujets non M, le même résultat positif a uneprobabilité ou vraisemblance égale au taux desfaux positifs 0,12, complément de la spécificité(1- spécificité). On exprime cela en disant que lerapport des vraisemblances du résultat positifdans ces deux populations soumises au test,respectivement les sujets M et les sujets non M,est le rapport de vraisemblance positifRV(+) :

probabilité ou vraisemblance égale au taux des vraisnégatifs ou spécificité Sp = 0,88. On exprime cela endisant que le rapport des vraisemblances du résultatnégatif dans ces deux populations soumises au testest le rapport de vraisemblance négatif RV(-) [4] :

plus fréquente parmi les sujets M, ceux qui feront undiabète dans les 5 années suivantes, que parmi ceux

Tableau I. – Comparaison des résultats du test de dépistage chez 100 sujets M et 100 sujets non M(d’après[9], avec un critère de positivité fixé à 6,8 mmol/L).

Sujets M Sujets non M

Test positif (T+) 69 12

Test négatif (T-) 31 88

Totaux 100 100

1

AK

OS

Ency

clop

édie

Prat

ique

deM

édec

ine

1-00

50 1-0050

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qui en resteront indemnes. Le rapport devraisemblance négatif égal à 0,35 signifie que lafréquence de la réponse négative parmi les sujets Mest 0,35 fois celle qui est observée parmi les sujetsnon M.

Lorsque la fréquence ou probabilité de la réponse,positive ou négative, du test est identique dans lesgroupes M et non M, le rapport de vraisemblance estégal à 1 : la réponse du test n’a, alors, aucunefonction discriminante, sa valeur informative estnulle et sa réponse ne fait en rien progresser ladémarche diagnostique. La puissance informative dela réponse positive T(+) pour porter le diagnostic estd’autant plus grande que le rapport devraisemblance positif RV(+) supérieur à 1, est plusélevé. La puissance informative de la réponsenégative T(-) pour écarter le diagnostic est d’autantplus grande que le rapport de vraisemblance négatifRV(-) inférieur à 1, est plus proche de zéro. En bref, laréponse du test est d’autant plus utile à la démarchediagnostique que les rapports de vraisemblances’écartent davantage de la valeur 1. À titre indicatif,la plupart des signes cliniques à la recherche d’undiagnostic ont un RV(+) voisin de 4 à 6 ; la réponsepositive du test enzyme-linked immunosorbent assay(Elisa) à la recherche d’anticorps sériques antivirus del’immunodéficience humaine (VIH) a un RV(+) voisinde 100. La puissance discriminante de la glycémie àjeun pour le dépistage du DNID est donccomparativement modeste.

Un test diagnostique peut comporter plusieursréponses : chacune d’elles offre un rapport devraisemblance et une puissance informative propres.C’est ce qu’illustre l’exemple d’un test classique, lequestionnaire CAGE exploité depuis plusieursdécennies à l’étranger, pour la recherche dudiagnostic de l’alcoolisme chronique, et qui faittoujours l’objet de nombreuses publications [3].

‚ Alcoolisme chronique : une décisiondiagnostique délicate

Un chirurgien vous a appelé auprès d’un blesséqui vient d’être renversé sur la voie publique ; il estporteur d’une fracture ouverte de jambe et doit êtreopéré. Alerté par quelques stigmates cliniques nonspécifiques, le chirurgien vous demande sil’éventualité d’un état d’alcoolisme chroniqueimposerait ou justifierait ou non, pour un tel patient,la mise en œuvre d’un traitement et de précautionsspécifiques afin de prévenir les complicationspostopératoires propres à un tel état de dépendance.Le blessé est conscient. Vous appliquez le test du« questionnaire CAGE » qui se déroule de la façonsuivante.

Le questionnaire CAGE est simple. Il comportequatre questions auxquelles le patient doit répondrepar oui ou par non.

– Avez-vous le sentiment que vous devriez moinsboire ?

– Êtes-vous irrité lorsqu’on vous reproche deboire ?

– Vous sentez-vous coupable de boire ?– Dans la matinée, avez-vous parfois besoin de

boire un verre de vin pour vous calmer ou vousmettre en forme ?

Le résultat du test est traduit par le nombre deréponses affirmatives. Le résultat du test comportedonc cinq réponses possibles : 0 – 1 – 2 – 3 et 4 OUI.

Les qualités diagnostiques du test ont étéévaluées, par exemple, dans une étude comparativeportant sur 117 patients alcooliques dont lediagnostic a été porté sur d’autres critères, et 401sujets non alcooliques examinés dans les mêmesconditions [3]. La répartition des réponses et leursfréquences respectives sont reportées dans letableau II. Pour simplifier la présentation, les auteursde cette étude ont rassemblé, dans la première ligne,les effectifs des sujets qui ont donné quatre ou troisréponses affirmatives.

Dans la troisième ligne du tableau II, la réponse« 1 oui » offre un rapport de vraisemblance égal à1,3, proche de 1 ; une seule réponse affirmative n’adonc qu’une puissance discriminante négligeablepour séparer les patients alcooliques de ceux qui nele sont pas. En revanche, la présence de deuxréponses affirmatives, voire celle de trois ou quatreoui donne une information qui oriente fortement enfaveur du diagnostic d’alcoolisme chronique. En sensinverse, l’absence de toute réponse affirmative « zérooui » a une forte valeur informative « négative », enfaveur de l’absence d’alcoolisme. C’est ce contenufortement informatif du résultat « zéro oui » que l’onva exploiter.

En effet, afin de gérer plus aisément le résultat duquestionnaire au prix d’une perte modéréed’information, on peut l’interpréter de façon binaireen plaçant une ligne de partage, par exemple entrezéro et une réponse affirmative, considérant commepositif tout résultat qui comporte au moins 1 oui, etcomme résultat négatif, uniquement l’absence de

réponse affirmative, zéro oui. Une telle exploitationbinaire du questionnaire se présente comme lerapporte le tableau III.

Le choix d’une tel le l igne de partageparticulièrement « basse » se justifie pleinement dansl’objectif de cette consultation puisqu’il s’agit deréduire autant que faire se peut le risque deméconnaître un cas d’alcoolisme ; au risque deporter à tort le diagnostic (risque des faux positifs) etprescrire des précautions superflues pour de telssujets. Une étude a montré qu’en dépit de la perterelative d’information qu’entraîne l’exploitationbinaire, le questionnaire CAGE offre une capacitéinformative attendue qui est supérieure à celle quiest fournie par au moins huit des tests biologiquesprescrits à la recherche d’un alcoolisme chronique[1, 11] !

Cette brève analyse montre qu’un testdiagnostique qui repose sur le seul interrogatoire,dont le résultat est immédiat et le coût nul, peut êtreplus informatif qu’une batterie d’examensbiochimiques qui sont encore couramment prescrits.Voilà un résultat réconfortant. Depuis 25 ans, denombreuses tentatives ont été faites pour adapteraux patients français ces questions très …« anglo-saxonnes ». Ces tentatives n’ont pas encoreabouti à la généralisation d’un test clinique aussisimple à la recherche clinique de l’alcoolismechronique chez nos patients.

■Notion de « gold standard »

d’une maladie

Lorsqu’au XIXe siècle les concepts nosologiquesqui définissent les maladies ont progressivement étédécrits, un génie français du nom de Pierre CharlesAlexandre Louis (1787-1872) montra que la

Les rapports de vraisemblancemesurent la capacité informative desrésultats d’un test diagnostique.L’estimation des rapports devraisemblance est l’argument centralde la justification de l’investigationdiagnostique.

Tableau II. – Qualités diagnostiques du questionnaire CAGE : analyse compartimentée(d’après[3]).

Nombre de OUI Parmi 117 sujetsalcooliques

Parmi 401 sujets nonalcooliques

Rapport de vraisem-blance

3 ou 4 60/117 = 0,513 1/401 = 0,0025 0,513/0,0025 = 205

2 28/117 = 0,24 14/401 = 0,035 0,24/0,035 = 6,09

1 11/117 = 0,094 28/401 = 0,07 0,094/0,07 = 1,3

0 18/117 = 0,15 358/401 = 0,89 0,15/0,89 = 0,17

Tableau III. – Résultats d’une exploitation binaire du questionnaire CAGE (d’après[3]).

Nombre de OUI :Résultat

Parmi 117 sujetsalcooliques

Parmi 401 sujets nonalcooliques

Rapport de vraisem-blance

1 à 4 :Positif 99/117 = 0,85 43/401 = 0,11 0,85/0,11 = 7,73

Zéro : Négatif 18/117 = 0,15 358/401 = 0,89 0,15/0,89 = 0,17

L’exploitation pertinente de lapuissance informative des tests est legarant de la qualité de la démarchediagnostique et du raisonnementclinique.

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précision du langage médical et celle duraisonnement clinique gagneraient grandement enqualité et en efficacité si la description des signes quidéfinissent les maladies précisait les fréquencesrespectives de ces signes dans le cadre ou conceptnosologique de la maladie. Par exemple, préciserque la toux quinteuse si caractéristique de lacoqueluche s’observe parmi 70 % des enfants chezqui ce diagnostic est porté. Définissant ainsi ce qu’onappellera plus tard la « sensibilité » des signes, Louisintroduisait, en 1820, le raisonnement médicalscientifique sous le nom de « méthode numérique »,méthode qui, dans son propre pays, ne connutl’audience qu’elle mérite… qu’après la DeuxièmeGuerre mondiale.

Ainsi, la fréquence ou sensibilité des signes et touséléments d’information qui appartiennent à unconcept nosologique ou maladie (dans lasignification anglophone de disease) peuvent-ils êtreindiqués dans les livres et les enseignements dontl’objet est de décrire ces concepts nosologiques — lamononucléose infectieuse, la coqueluche, l’infarctusdu myocarde…— à la condition que l’on s’entendebien à la fois sur la définition du signe et sur lescritères qui permettent d’affirmer la présence de lamaladie.

Le terme de gold standard traduit le ou les critèresd’évidence d’une maladie M, c’est-à-dire lesarguments diagnostiques qui sont adoptés pouraffirmer l’existence de cette maladie et authentifierles sujets qui en sont atteints. Le gold standard définitune « vérité » identifiable, celle de la présence de lamaladie chez un sujet ou dans un groupe de sujets siles critères d’évidence sont constatés, ou celle de sonabsence dans le cas contraire.

La définition de l’état pathologique est facilequand on dispose d’un critère indiscutable, ou admiscomme tel : la présence de bacilles de KochMycobacterium tuberculosis dans un liquidecéphalorachidien affirme l’existence d’une méningitetuberculeuse ; la visibilité des « plaques » sur la moelleépinière affirme le diagnostic de sclérosemultiloculaire.

Dans d’autres situations, les « critères d’évidence »sont difficilement accessibles ou ne sont pasutilisables pour la décision clinique. Ainsi, le goldstandard de la cause streptococcique d’une angineaiguë est l’élévation du taux sérique desantistreptolysines O (ASLO) 2 à 3 semaines après ledébut de l’angine. Or, la décision thérapeutique (laprescription d’un antibiotique bactéricide) devantêtre prise dans la première semaine de la maladie, lecritère diagnostique trop tardif et rétrospectif n’estd’aucun secours pour la décision clinique.L’argument substitutif qui, en pratique, est utilisépour justifier la prescription d’antibiotique, est lamise en évidence de Streptococcus pyogenes dans leprélèvement de gorge : comme la plupart descritères substitutifs (en anglais surrogate end points),cet argument diagnostique est un argumentinfidèle [2].

Dans d’autres maladies, la confirmation dudiagnostic ne peut être que tardive et l’objet dudépistage et du traitement est précisément de nejamais l’obtenir. C’est le cas des cancers dépistés

précocement dont la confirmation ne pourrait êtredonnée en toute certitude que par l’extension de latumeur, par les métastases et par la mort du patient !Force est donc de recourir à une informationsubstitutive qui, dans le cas du cancer, est fournie parles critères histocytologiques de malignité. Unesituation analogue et particulièrement dramatiqueest celle des diagnostics prénatals in utero desmaladies génétiques dont l’expression et laconfirmation ne peuvent être obtenues que sil’enfant naît et survit. La décision est particulièrementdifficile quand la spécificité des tests substitutifs n’estpas parfaitement établie.

Enfin, divers états pathologiques ne possèdentaucun critère de certitude diagnostique, même parsubstitution. Par convention généralement acceptéeen forme de consensus, le diagnostic est considérécomme suffisamment probable et acceptable enprésence d’une conjonction de divers critères. Ainsi,les « critères de Jones » permettent d’affirmer lediagnostic du rhumatisme articulaire aigu enprésence de deux critères majeurs, ou d’un critèremajeur et deux critères mineurs. Le diagnostic desyndrome de Kawasaki est tenu pour acceptable enprésence d’au moins cinq des six critèresd’identification, qui sont eux-mêmes périodiquementrévisés et complétés.

Contrairement à la définition sémantique dessujets M, celle des sujets non M est conjoncturelle.Dans la situation clinique où l’on est amené àrechercher la maladie M définie par ses critèresd’évidence (ou gold standard), les sujets non M sontceux qui, dans telle conjoncture clinique, nerépondent pas aux critères adoptés pour définir lamaladie M. La définition des patients non M estobtenue par soustraction (fig 1).

Chacun des deux sous-ensembles, celui des sujetsM et celui des sujets non M, comprend un grouped’informations dites « signes » : quelques signes sontcommuns aux sujets M et non M, d’autres sontdistincts. La fréquence ou probabilité d’un signe Sparmi les sujets M mesure sa sensibilité (Se) ou tauxdes vrais positifs. La probabilité de la présence dumême signe parmi les sujets non M mesure le tauxdes faux positifs. Le rapport de ces deux probabilitésest le rapport de vraisemblance positif. La probabilitéde l’absence de ce même signe S parmi les sujetsnon M mesure sa spécificité (Sp). Son absence parmiles sujets M mesure le taux des faux négatifs.

La valeur de la sensibilité de telle ou telleinformation dans une maladie M peut être

rapportée dans les livres et dans l’enseignement depathologie ; en revanche, la spécificité dépend à lafois des « critères d’évidence » adoptés pour définirla maladie M, et de la circonstance clinique oùs’applique la quête diagnostique ; la valeur de laspécificité d’un signe ou d’un test ne peut êtreindiquée que si les circonstances de la situationdiagnostique sont identifiées : par exemple, laquête de l’étiologie streptococcique d’une anginechez un enfant d’âge scolaire, ou la recherche d’uninfarctus du myocarde dans une situationd’urgence chez un patient qui souffre d’unedouleur précordiale.

Le lecteur peut penser que ces restrictionsmettent en cause le caractère prétendumentrigoureux et scientifique de telles estimations dontles arguments sont étonnement imprécis, etdifficilement contrôlables ! Ces précisionssémantiques ne sont pas superflues. Elles nousinvitent à exiger ces mêmes précisions lorsqu’unepublication ou une publicité en faveur d’un testdiagnostique se targue de telle spécificité. On nesaurait trop exiger de savoir comment est défini etconstitué le groupe non M qui est la source del’estimation de la spécificité, dimension dont l’utilitéest fondamentale pour justifier le choix desinvestigations diagnostiques et pour la conduite dela décision médicale [6, 10].

■Conséquences du déplacement

de la ligne de partage

Qu’il soit exploité pour une démarchediagnostique ou dans une opération de dépistage,aucun test diagnostique n’est « parfait » : touscomportent le risque de réponses inexactes.

On a vu précédemment que l’exploitationbinaire du test de dépistage du diabète par mesurede la glycémie à jeun considère comme « positive »toute réponse égale ou supérieure à 6,8 mmol/L, etcomme non pathologique ou « négative », uneglycémie inférieure à 6,8 mmol/L. Cette ligne departage « découpe » chacune des deux populationsM et non M, en deux sous-groupes dont lesproportions respectives définissent les qualitésdiagnostiques du test (tableaux I, III). Ne décelantcomme tels que 69 % des futurs diabétiques, le testignore 31 % d’entre eux. Parmi la population nonM qui restera indemne, le test en identifie comme

Situationclinique

Sujetsnon M

Sujets M

1 Représentation schématique d’une situation clinique à la recherche du diagnostic d’une maladie M.L’ensemble de la figure elliptique signifie la situation clinique où se pose la question du diagnostic de la présenceou non de la maladie M. Les sujets atteints de la maladie cherchée constituent le sous-ensemble des sujets Mdéfini par les critères d’évidence du gold standard. Le sous-ensemble des sujets non M est défini par soustractiondes sujets M dans l’ensemble total qui représente la situation clinique où se pose le problème diagnostique.

Choisir un test diagnostique - 1-0050

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tels 88 % mais donne abusivement une réponsefaussement positive pour 12 % d’entre eux, à quil’on appliquera à tort, outre les contraintes et lecoût de la surveillance et du traitement, unpréjudice personnel et social important par« l’étiquette » de diabétique. Parmi les sujets qui ontune réponse négative, le résultat faussementnégatif prive 31 %, soit près du tiers des futursdiabétiques, du bénéfice de prévention qui,précisément, a justifié la mise en œuvre de cedépistage (fig 2). Ce risque élevé des résultatsfaussement négatifs est un handicap préjudiciable etdifficilement acceptable dans une telle politique dedépistage.

Pour réduire le taux des résultats faux positifs(l’effectif de la case « b » en haut et à droite de lafigure 3), il suffit de choisir un critère plus exigeant,élever la ligne de partage et fixer le critère depositivité, par exemple, à une glycémie égale ousupérieure à 7,15 mmol/L (1,30 g/L). Dans unemême population, la nouvelle ligne de partagediminue le nombre des sujets considérés comme« positifs », les vrais positifs comme les faux positifs.Le taux des faux positifs est réduit au profit d’uneplus grande spécificité, mais ce qu’on gagne enspécificité est perdu en sensibilité ; le taux des fauxnégatifs augmente de façon telle qu’il fait perdretoute efficacité au protocole de dépistage. Si l’on veutréduire le taux des faux négatifs, les « ratés » dudépistage, il faut abaisser la ligne de partage, définirun critère de positivité plus « laxiste » par exemple à6,1 mmol/L (1,10 g/L). Le taux des faux négatifss’effondre au bénéfice d’une plus grande sensibilité,mais au prix d’un accroissement, vite jugéinacceptable, du taux des faux positifs par uneffondrement de la spécificité. Tout se passe commesi sensibilité et spécificité étaient antinomiques : cequi, à la faveur d’un déplacement du critère depositivité, est gagné pour l’une est perdu pour l’autre.Le choix du critère de positivité dépend desinconvénients respectifs - les « coûts » propres - desdeux erreurs, celle des faux positifs dont le taux ouprobabilité est l’erreur alpha (a), erreur de premièreespèce, et celle des faux négatifs dont le taux ouprobabilité est l’erreur bêta (b), erreur de deuxièmeespèce. Lorsque les « coûts » des deux erreurs sont demême ordre, on choisit le compromis qui offre lameilleure sensibilité compatible avec la moinsmauvaise spécificité. Les faux positifs entraînent-ilsl’erreur la plus dommageable ? On privilégie alors laspécificité aux dépens d’une sensibilité plus faible et

un risque plus élevé de faux négatifs, d’identifica-tions manquées de la maladie. C’est cette dernièresolution qui est généralement adoptée lorsqu’unretard à la mise en œuvre du traitement n’est pasfortement préjudiciable, ou lorsque la prévalence dela maladie est faible dans la population soumise audépistage. Le dépistage du diabète de type 2 répondà ces derniers critères : l’usage d’un test spécifique etmodérément sensible est donc justifié.

À cet égard, le tableau IV est instructif, comparantdeux tests utilisables pour le dépistage du diabète detype 2 : la mesure de la glycémie à jeun et celle de laglycémie 2 à 3 heures après une charge orale de75 g de glucose (50 à 100 g).

En dépit de sa complexité plus grande, ledeuxième test n’offre pas des qualités diagnostiquesnotablement supérieures à celles de la glycémie àjeun pour prévenir les risques de développementdes complications vasculaires dans les 5 annéessuivantes. La spécificité de la glycémie après chargeglucidique est moindre que celle de la glycémie àjeun, et sa sensibilité, première qualité d’un test dedépistage, est identique. Le rapport de vraisem-blance positif du deuxième test est moins puissantpour affirmer ou prévoir l’existence de la maladie. Enrevanche, le rapport de vraisemblance négatif a unevaleur inférieure, plus proche de zéro : en cas deréponse négative, il donne une assurance plusgrande de l’absence de diabète. La lecture de cetableau donne, sans ambages, la préférence audépistage par la glycémie à jeun.

‚ Bref aperçu des courbes « receptoroperating characteristic curve » (ROC)

Autant pour l’auteur que, probablement, pour lelecteur de ces lignes, il serait frustrant de ne pasaborder en quelques lignes l’invention proprement

géniale de la courbe ROC par les militairesbritanniques pendant l’épisode de la DeuxièmeGuerre mondiale di t « guerre aér ienned’Angleterre » en 1940-1941. Ils utilisaient l’écranradar où la position d’un curseur permet tantôtd’augmenter la sensibilité de l’écran pour mieuxdéceler la présence des avions ennemis et réduirele risque d’images faussement « négatives », tantôtde sacrifier momentanément la sensibilité au profitd’une plus grande spécificité afin de réduire lerisque d’identifications faussement positives. Ils ontinventé et exploité les courbes ROC afin d’identifierla position du curseur qui offrait la plus grandesensibilité compatible avec la moins mauvaisespécificité, ou d’accroître l’une aux dépens del’autre en fonction des diverses conditionsd’utilisation.

Les courbes ROC sont désormais d’un usagecourant dans la littérature médicale, dans le butd’évaluer les qualités informatives d’un paramètreproposé ou exploité en guise de séparateur. Leprincipe de la courbe ROC est fort simple [6]. Ilconsiste à relever les taux des résultats positifs - lesvrais positifs (sensibilité) et les faux positifs(1-spécificité) - déterminés par cinq ou six positionsdu critère de positivité (la ligne de partage) sur unmême paramètre. Comme le montre la figure 3, lacourbe ROC s’inscrit dans un carré dont chaque côtéest égal à 1. Sur le côté horizontal inférieur, sontportés les taux des faux positifs (1-spécificité) de 0 àgauche à 1 à droite ; sur le côté vertical gauche, lestaux des vrais positifs (sensibilité) de 0 en bas à 1 enhaut. Chacune des cinq (ou six) positions de la lignede partage induit ainsi cinq (ou six) paires de valeurs(sensibilité et taux de faux positifs) qui définissent laposition de 5 (ou 6) points que l’on relie par unecourbe grossièrement arrondie. C’est la courbe ROC.Le point qui est le plus proche de l’angle supérieurgauche (angle nord-ouest) est celui de la ligne departage (critère de positivité) qui offre le meilleurcompromis, celui de la plus grande sensibilitécompatible avec la moins mauvaise spécificité.

La courbe ROC d’un test parfait, dont sensibilité etspécificité seraient égales à 1 et qui ne se tromperaitdonc jamais, se confondrait avec les côtés gauche etsupérieur du carré, et l’aire située sous une telle« courbe » serait égale à celle du carré soit 1 x 1 = 1.

À l’inverse, un test sans aucune valeurdiscriminante aurait toujours, quelle que soit laposition de la ligne de partage, un taux de vraispositifs égal au taux de faux positifs : sa courbe ROC

Taux des vrais positifs = a/n1 = sensibilitéTaux des vrais négatifs = d/n2 = spécificité

Taux des faux négatifs = c/n1 = (1- sensibilité)Taux des faux positifs = b/n2 = (1- spécificité)

Vrais positifs

Faux négatifs

Faux positifs

Vrais négatifsTous

résultatsnégatifs

Tousrésultatspositifs

dca b

M non - M

n1 n2

T+

T-

2 Conséquences du déplacement de la ligne de partage (les cases du tableau expriment des effectifs).Le déplacement du critère de positivité du test diagnostique modifie les qualités diagnostiques et les deux risquesd’erreur, mais en sens inverse et l’un aux dépens de l’autre.

Tableau IV. – Comparaison de deux tests pour le dépistage du diabète non insulinodépendant(d’après[9]).

Glycémie à jeun Glycémie 2 heures après chargeglucidique orale

Ligne de partage 6,8 mmol/L 11,1 mmol/L

Sensibilité 0,69 0,88

Spécificité 0,88 0,80

Rapport vraisemblancepositif RV(+)

5,75 4,4

Rapport vraisemblancenégatif RV(-)

0,356 0,156

1-0050 - Choisir un test diagnostique

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se confondrait avec la diagonale du carré, oblique enhaut et à droite (fig 3). L’aire sous une telle « courbe »serait égale à la moitié de celle du carré, soit 0,50. Lepouvoir discriminant, ou valeur informative attendued’un paramètre utilisé comme test diagnostique, est

d’autant plus élevé que l’aire sous la courbe ROC estsupérieure à 0,50 et plus proche de 1.

■Qualités exigées d’un test

diagnostique : pour quel

objectif ?

– Pour confirmer un diagnostic ? La qualitédominante exigée est la spécificité.

– Pour rejeter un diagnostic ? La qualitédominante est la sensibilité.

– Pour faire progresser la démarche diagnos-tique ? Pour préciser un argument pronostique ?Pour surveiller l’évolution ? La qualité dominante estla valeur informative donnée par les rapports devraisemblance.

– Pour dépister une maladie ? La qualitédominante est en premier lieu la sensibilité puis laspécificité (dépistage en deux temps).

– Pour une publication scientifique ? Est-ce dansle cadre d’un protocole ? Les qualités dominantessont : la validité, la pertinence, la reproductibilité.

– Pour gagner du temps ? Au bénéfice de laréflexion d’un complément d’information ? Laqualité dominante est l’économie des risques et descoûts de tous ordres.

– Pour protéger le prescripteur (effet parapluie) ?Vis-à-vis de qui ? Du patient, des assurances, de lajustice, de la Sécurité sociale, des spécialistes, deshospitaliers, des collègues, de l’image de soi ? Laqualité dominante est l’économie des risques et descoûts de tous ordres…

Bernard Grenier : Professeur émérite de la faculté de médecine de Tours, 34, rue de Loches, 37000 Tours, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : B Grenier. Choisir un test diagnostique.Encycl Méd Chir (Editions Scientifiques et Médicales Elsevier SAS, Paris, tous droits réservés), AKOS Encyclopédie Pratique de Médecine, 1-0050, 2002, 5 p

R é f é r e n c e s

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[11] Sackett DL. A primer on the precision and accuracy of the clinical examina-tion. JAMA1992 ; 267 : 2638-2644

Taux des vrais

positifs (sensibilité)

Taux des faux positifs = (I - Sp)0

1

1

3 Construction et exploitation d’une courbe « recep-tor operationg characteristic curve » (ROC).Le point cerclé, le plus proche de l’angle nord-ouest,correspond à la position du critère de positivité (lignede partage) qui maximise la valeur informative du testdiagnostique, celle qui offre la meilleure sensibilitécompatible avec la moins mauvaise spécificité. Ladiagonale serait la courbe d’un test dénué de valeurdiagnostique : l’aire située sous la diagonale est lamoitié de l’aire du carré, soit 0,50. La valeur infor-mative d’un test diagnostique est d’autant plus grandeque l’aire sous la courbe ROC est supérieure à 0,50 etproche de 1, c’est-à-dire que la courbe est plusconvexe et s’éloigne davantage de la diagonale.

Six conditions préalables dites « en amont » pour justifier la prescription d’unexamen complémentaire.– La décision est différente en fonction de la réponse du test : la capacitédiscriminante est cliniquement significative.– La valeur de la probabilité primaire dite « prétest » est estimée au moinsapproximativement.– La puissance informative du test est connue au moins approximativement.– Les avantages attendus de la décision sont supérieurs aux inconvénients du test :

– le risque des faux résultats positifs et le risque des faux résultats négatifs ;– le coût financier direct ;– la douleur, les risques corporels, le temps perdu, l’angoisse du patient.

– L’information attendue n’est pas redondante avec l’information apportée par :– l’interrogatoire, l’examen clinique ;– les examens déjà effectués ;– un autre examen plus simple et moins coûteux.

– Les conditions de réalisation du test sont acceptables : accessibilité, technicité,fiabilité, coûts.

Choisir un test diagnostique - 1-0050

5

Page 7: Le Manuel Du Généraliste - Divers

Mesurer les résultats

B Grenier

O n n’améliore que ce qu’on mesure.

© 2002 Editions Scientifiques et Médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Mots-clés : analyse médicoéconomique, efficacité, efficience, rapport des cotes, odds ratio, Qaly.

■Introduction

« Soigner mieux en dépensant moins » est lel e i t m o t i v des recommandations qui sontpériodiquement formulées par les utilisateurs de lamédecine, par ses administrateurs et par sescréanciers. Soigner mieux signifie accroîtrel’efficacité, obtenir une augmentation du servicemédical rendu (ASMR), un progrès de santé enquantité et en qualité. C’est obtenir une telleprogression par une consommation égale oumodérément accrue des ressources disponibles.C’est l’exigence d’un meilleur rapport de laproduction de santé en fonction de son coût,c’est-à-dire d’une plus grande productivité ouefficience de l’action médicale. Cette revendicationdes instances pourvoyeuses de ressources n’est pasconjoncturelle. Elle est la conséquence inéluctable dela technicité croissante de la médecine, de lamultiplication des moyens d’investigation et detraitement, et de l’exigence collective de sécurité,d’efficacité et de solidarité.

Le problème proprement médical est celui demesurer les effets de l’action médicale dans safonction de soins et de prévention, d’estimer saconformité avec les « données acquises de lascience » et le respect d’un « contrat », au moinsimplicite, de sécurité (1).

■Le résultat est une différence

Le résultat d’une action médicale est unedifférence entre l’état de santé obtenu et un état desanté qui fait office de référence.

– Pour un patient déterminé, l’état référentiel est,soit l’état de santé antérieur à l’action médicale, soitl’état jugé comme normal pour l’âge et le sexe dupatient.

– Pour l’information scientifique, l’état référentield’une nouvelle action thérapeutique ou préventiveest, soit l’état de santé observé en l’absence detraitement ou sous un traitement inactif (placebo),soit l’état de santé obtenu par un traitementantérieur qui fait office de référence.

Il ressort donc qu’un même effet thérapeutiques’exprime par une valeur différente selon que laréférence de base est l’évolution spontanée ou cellequi résulte du meilleur traitement antérieur : seulecette dernière différence est la mesure de l’ASMR. Il aainsi été démontré que l’hyperglycémie du diabètenon insulinodépendant dit de type 2 est un facteurde complications sérieuses et que le contrôle strict dela glycémie a un rôle majeur dans l’amélioration dupronostic. C’est ce qu’illustre l’exemple suivant, dontle but est d’expliciter l’usage des indicateurs quitraduisent les résultats d’une action médicale,thérapeutique ou préventive.

Une étude randomisée a porté sur 160 patientsâgés de 40 à 65 ans atteints d’un diabète de type 2et porteurs d’une microalbuminurie dont lasignification pronostique est sévère [6]. Ces patientsont été répartis par tirage au sort (randomisation) endeux groupes de 80 sujets. L’un des deux groupes abénéficié d’un traitement intensif, dit multifactoriel,comportant plusieurs composantes, dans un centrespécialisé de diabétologie ; l’autre, dit groupecontrôle, a poursuivi le traitement habituel àdomicile. La durée moyenne de la surveillance à larecherche des complications microvasculaires a étéde 3,8 années. Le tableau I rapporte les effectifs quiont connu l’apparition ou l’aggravation d’unerétinopathie.

L’apparition ou l’aggravation d’une rétinopathie aété relevée chez 43 % des sujets du groupe contrôleet chez 26 % des sujets qui ont bénéficié dutraitement intensif. Le traitement intensif du diabète

a réduit le risque de rétinopathie de 0,43 à 0,26, soitune réduction absolue du risque (RAR) égale à 0,43 −0,26 = 0,17. La RAR répond à l’attente des patients ;c’est elle qui mesure l’action médicale proprementdite. Elle mesure l’ASMR obtenue par la nouvellestratégie thérapeutique intensive en centre spécialisépar rapport au traitement « habituel » à domicile.Dans cette étude, une telle RAR a été observée surdeux groupes de 80 malades. Sachant que l’objectifde la publication est de fournir une informationgénéralisable, il est prudent d’estimer sonimprécision statistique par un intervalle qui ait 95 %de chances de recouvrir sa « valeur réelle ». Comptetenu des effectifs sur lesquels la mesure a étéeffectuée, l’incertitude statistique de cette estimationest exprimée par l’intervalle de confiance (IC) à 95 %qui s’étend de 0,025 à 0,315, sachant que la valeurla plus probable est, par convention, la valeurmoyenne 0,17 ou 17 %.

Le deuxième intérêt concret de la RAR est d’offrirune estimation du nombre de sujets à traiter (NST)(ou nombre nécessaire à traiter [NNT] ou nombrepour un) pour que, en moyenne, un patient enobtienne le bénéfice attendu [2, 3]. Ce nombre estl’inverse du RAR = 1/0,17, soit en moyenne sixpatients ; l’IC à 95 % s’étend de 1/0,315 à 1/0,025,soit trois à 40 sujets. En pratique, il faut doncs’attendre à obtenir une telle réduction du risque derétinopathie, en moyenne une fois sur six patientsintensément traités… mais on peut aussi attendreplus longtemps ! La mesure des résultats est unesource de modestie !

Le résultat du nouveau traitement peut êtreexprimé, non plus par une différence, mais par lerapport du taux de risque observé sous le traitementintensif par rapport à celui du groupe contrôle : c’estle risque relatif (RR) ou rapport des risques (risk ratio)égal à 0,26/0,43 = 0,60 ou 60 %. Compte tenu des

(1) CfSargosP.Responsabilitémédicale.L’aléathérapeutiquedevantle juge judiciaire. La Semaine Juridique 2 février 2000 ; n° 5 :189-193

Tableau I.

Effectif Rétinopathie Taux du risque

Traitement intensif 80 21 21/80 = 0,26

Traitement usuel 80 34 34/80 = 0,43

1

AK

OS

Ency

clop

édie

Prat

ique

deM

édec

ine

1-00

70 1-0070

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effectifs sur lesquels le RR est établi, il est nécessaire,là encore, d’indiquer l’IC à 95 % qui s’étend de 55 %à 67 % autour de la valeur moyenne 60 % qui est lavaleur plus probable. On note que l’IC ne comprendpas la valeur 1,00 ou 100 % : il est donc tenu pourstatistiquement significatif, c’est-à-dire significati-vement différent de 1,00.

La réduction relative du risque (RRR) est le rapportde la réduction (0,43 − 0,26) = 0,17 offerte par lenouveau traitement dit « traitement expérimental »sur le risque subi par le groupe témoin 0,43, ce quis’écrit : 0,17/0,43 = (1−RR) = 0,40 ou 40 %. Sachantque la RRR est égale au complément de RR = (1− RR),l’IC à 95 % de RRR va de 33 à 45 % autour de savaleur moyenne 40 %.

L’intérêt pratique du RR (ou de son complémentRRR) est que sa valeur est, en principe, transposabled’une situation clinique à une autre où le taux derisque initial, dit risque de base, est différent, parexemple dans diverses tranches d’âges [5]. Si lerapport RR reste sensiblement constant, le bénéficeattendu du nouveau traitement est d’autant plusgrand que le risque de base est plus élevé : lebénéfice attendu d’un traitement est d’autant plusgrand qu’il s’applique à des sujets dits « sujets àrisque » ou dans des situations épidémiologiques oùle risque de base est élevé.

Autre exemple [8]. Chez les femmes soumises à untraitement hormonal substitutif après la ménopause,le RR du cancer du sein dans les 10 années quisuivent l’arrêt de l’hormonothérapie substitutive estégal à 1,24 ; l’IC 95 % est 1,15 − 1,33, légèrementmais significativement supérieur à 1. En revanche,au-delà de 10 ans après l’interruption du traitementhormonal, le RR s’abaisse à 1,01 (0,96-1,05) ; à cetteéchéance, le risque n’est plus supérieur à celui desfemmes qui n’ont pas eu recours à l’hormonothé-rapie substitutive.

Pour les femmes qui reçoivent une hormonothé-rapie substitutive, le taux de thromboses veineusesprofondes et/ou embolies pulmonaires s’élève à6,3 ‰ contre 2,2 ‰ sous placebo ; RR = 6,3/2,2= 2,86 ; il est élevé et significativement différent de 1.L’augmentation absolue du risque AAR est : 0,0063− 0,0022 = 0,0041 ; l’inverse donne le NST pourqu’une femme, en moyenne, en soit atteinte :1/0,0041 = 244. La règle approximative dite règlede trois indique que l’on pourrait éventuellementtraiter 244 × 3 = 732 patientes sans observer uneseule manifestation de thrombose, soit pendanttoute la durée d’un exercice professionnel… Maisune thrombose pourrait tout aussi bien être déploréedès la première prescription ! Nous touchons là ladifficulté de l’application des statistiques à un sujetdéterminé. La décision de prescrire ou non unehormonothérapie substitutive repose sur la balanceentre un bénéfice et un risque aléatoire et, in fine, surle choix même de la patiente entre l’accroissementminime d’un risque et l’augmentation désirée etattendue de la qualité de vie et de l’image de soi.

■Rapport des cotes

ou odds ratio (OR)

Le choix du prescripteur dépend non seulementde ces estimations numériques des résultatsattendus et des risques éventuels d’un traitement,mais aussi et surtout de l’intensité, la sécurité de laliaison entre le traitement et son issue attendue,c’est-à-dire le degré de confiance qu’il peut accorderà son choix décisionnel. Cette intensité de la liaisonentre traitement et résultat est exprimée par unevaleur fondamentale très fréquemment rapportéedans les articles, le rapport des cotes ou odds ratio(OR). Dans l’exemple du traitement intensif dudiabète, la cote ou Odds de la survenue de la lésionvasculaire rétinienne lorsque le patient bénéficie dutraitement intensif est égale à 21/59 ; chez les sujetssoumis au traitement habituel, la cote ou Odds estégale à 34/46. Le rapport des deux cotes ou ORs’écrit donc :

21 / 59

34 / 46 =

21 x 46

34 x 59 = 0,48

dont l’IC à 95 % s’étend de 0,25 à 0,94. L’IC necontient pas la valeur 1. La liaison entre l’actionthérapeutique et le service médical rendu peut doncêtre tenue pour statistiquement significative. Maiselle n’est pas très intense…

La liaison entre un résultat observé et un facteurou un traitement est d’autant plus forte etcliniquement significative que la valeur de l’OR estplus éloignée de 1 : proche de zéro lorsqu’il s’agitd’une réduction du risque, ou supérieure à 1 lorsque,à l’inverse, il s’agit d’un facteur de risque ou del’action bénéfique d’un traitement.

‚ Odds ratio et méta-analyses

Il n’est pas exceptionnel que des publicationsmédicales, parfaitement conduites et analysées,proposent des conclusions contradictoires, ou plusfréquemment non statistiquement significativesfaute d’effectifs suffisants. L’objectif d’uneméta-analyse est d’effectuer une compilation, aussi

exhaustive qu’il est possible, des travaux affectés àun projet semblable dans le but d’en extraire unedémonstration plus sûre de l’utilité, ou del’inefficacité, d’une action thérapeutique oupréventive. C’est par la comparaison des OR et deleurs IC respectifs que se présente la compilation desrésultats des publications analysées sous le terme deméta-analyse. L’analyse ne retient commestatistiquement significatifs que les résultats dont l’ICdes OR ne franchit pas la verticale de la valeur 1,comme l’illustre la figure 1.

■Mots du résultat

Ce que, depuis l’aube de l’humanité, les hommesattendent des médecins, c’est qu’ils les délivrent de lasouffrance, du handicap, du vieillissement et de lamort. L’acte médical a pour objet de réduire lasouffrance et, autant que faire se peut, de prolongerla vie dans les meilleures conditions de qualité. Lerésultat de l’intervention médicale se mesure donc àla fois en termes quantitatifs dits objectifs et entermes qualitatifs où la subjectivité, individuelle oucollective, prend dorénavant une importancecroissante.

Le résultat de l’intervention médicale s’exprime :– en termes proprement médicaux, dits objectifs,

par le service médical rendu :– un taux de guérison ;– une réduction du taux de complications, de

rechutes, de létalité ;– une moindre durée d’hospitalisation,

d’interruption de l’activité professionnelle, dehandicap ;

– un nombre d’années de vie sans handicap,sans rechutes ;

– des années de vie gagnées au-delà del’espérance moyenne de vie en fonction de l’âge etde la pathologie ;

– en termes qualitatifs, dits subjectifs, par :– la qualité de vie liée à la santé ;

Dans la lecture d’un article ou d’unepublicité professionnelle, il estindispensable de s’assurer du moded’expression du bénéfice thérapeutiqueattendu ou allégué.

Rapport des cotes : étendue de l'intervalle de confiance à 95 %

progression de la rétinopathie

progression de la néphropathie

progression de la neuropathie périphérique

en faveur du traitement intensif en faveur du traitement standard

0 0,5 1,5 2

1 Présentation d’une méta-analyse. Développement des complications microvasculaires au cours du diabètede type 2 soumis, soit au traitement standard, soit à un traitement intensif. Les rapports de cotes sont traduitspar des traits horizontaux dont la longueur exprime leur intervalle de confiance à 95 % et le trait central épais,la valeur moyenne. On observe que la réduction de la progression de la rétinopathie et de la néphropathie eststatistiquement significative chez les sujets qui bénéficient du traitement intensif et que l’ensemble de l’intervallede confiance à 95% est hors de la valeur 1. En revanche, le traitement intensif ne prévient pas significativementla progression de la neuropathie périphérique puisque l’intervalle de confiance contient la valeur 1. Lesintervalles de confiance ne sont pas symétriques par rapport à leur moyenne parce que leur échelle estlogarithmique [grade et al, 1996].

1-0070 - Mesurer les résultats

2

Page 9: Le Manuel Du Généraliste - Divers

– le produit des années par leur propre qualitéde vie, en termes de quality adjusted life years (QALY)(prononcer « quouali ») ;

– l’état de bien-être, tel qu’il est perçu par lesujet (well being state [WBS]) ;

– un équivalent d’années en bonne santé(health year equivalent) etc.

‚ QALY, un étrange concept ?

La qualité de vie liée à la santé (health relatedquality of life [HRQL]) est mesurée sur une échelleétendue de 1 (bonne santé) à zéro (mort). Le produitde sa durée en années par leur qualité propre estexprimée par les QALY où une année en parfaitesanté est l’équivalent de deux années de qualité0,50. Un tel concept peut surprendre ou choquer.Mais n’est-ce pas l’unité même que nous souhaitonstraditionnellement chaque année au premier janvierà notre entourage dans les termes de « Bonneannée, bonne santé », c’est-à-dire une bonne santépendant une année, soit… un QALY ? Le concept deQALY exprime la demande fondamentale des sujets,patients actuels ou potentiels. Au service d’unepopulation où le vieillissement, la prévalencecroissante des maladies chroniques entraîneront, àdéfaut de guérison, une attente expresse de qualitéde vie, l’estimation de la qualité de vie, les QALY, etcelle de leur coût seront les outils majeurs del’évaluation des actions de soins [7, 8].

L’intérêt des QALY est de donner une mesure dela production de santé qui soit commune auxdiverses actions curatives et préventives de lamédecine et d’offrir un instrument de mesure et decontrôle de l’action médicale, voire une mesure deson efficience, c’est-à-dire de sa dimensionmédicoéconomique.

‚ Quel « résultat » mesurable ?

L’objectif primordial d’une évaluation del’efficacité d’un traitement est la mesure de sonaction sur le résultat clinique même qui est souhaitéet attendu. Ainsi, l’objectif primordial d’un traitementde la maladie athéromateuse est la prévention ou laréduction du risque d’infarctus du myocarde etd’accident vasculaire cérébral à lointaine échéance,et non pas la correction d’un désordre biologiquedéfini. Cependant, une telle mesure des résultatscliniques à plus ou moins longue échéance exigeune observation prolongée difficilement réalisable. Ilest donc justifié de recourir à un ou des indicateursintermédiaires (surrogate outcomes) dits validés,c’est-à-dire dont la liaison statistique, élevée et fiable,avec l’issue clinique tardive a été antérieurementdémontrée [1]. Il est certain que la valeur informativeet la crédibilité d’une mesure d’efficacité qui reposentsur de tels critères intermédiaires sont moindres quecelles qui peuvent porter sur l’action clinique qui esteffectivement attendue.

C’est ainsi que la crédibilité ou « niveaud’évidence » des études thérapeutiques peut êtrehiérarchisée en cinq niveaux, de valeur informativedécroissante :

– niveau 1 : étude cas-témoin randomisée ;l’efficacité est mesurée sur le résultat clinique ; ellecomporte la difficulté d’une observation prolongée ;

– niveau 2 : étude cas-témoin randomisée ;l ’efficacité est mesurée sur un indicateurintermédiaire validé ; elle dépend de la fiabilité de laliaison de l’indicateur intermédiaire avec le résultatclinique ;

– niveau 3 : comparaison randomisée de diverstraitements dont l’efficacité est mesurée contreplacebo, par le résultat clinique ou par un indicateurintermédiaire validé ;

– niveau 4 : comparaison randomisée de diverstraitements dont l’efficacité est mesurée contreplacebo sur un indicateur intermédiaire non validé ;

– niveau 5 : comparaison non randomisée dedivers traitements dont l’efficacité est estimée sur lerésultat clinique.

Rappelons que l’intensité de la liaison entrel’application d’un traitement et la probabilité durésultat souhaité est exprimée couramment par lerapport des cotes ou OR. Si l’on dispose des ORrespectifs, OR(A) et OR(B), de deux traitements A et Bétablis pour chacun d’eux par rapport à l’absence detraitement (placebo), le rapport des cotes dutraitement A comparé au traitement B peut êtredirectement obtenu par le rapport :

OR(A)

OR(B)

L’action des deux traitements A et B peut êtreconsidérée comme significativement différente si cerapport final est significativement distinct de 1.

‚ Vies sauvées par la réduction des tauxde mortalité. Attention au piège !

La réduction d’un taux de mortalité a un impactqualitativement différent de celui des autres mesuresd’efficacité médicale. Bien entendu, patients etmédecins attachent le plus grand prix à la réduction,fût-elle minime, du risque de mortalité offerte oupromise par un traitement. Comment résister à laprescription d’une nouvelle thérapeutique quand lespublications montrent, par exemple, que laprescription pendant 1 mois d’un inhibiteur del’enzyme de conversion de l’angiotensine (lecaptopril) au décours d’un infarctus du myocardepeut, à l’issue du traitement, « sauver cinq vies sur100 sujets traités » [9] ? La courbe de survie despatients qui bénéficient de ce traitement est en effetsupérieure à celle des patients qui ne le reçoiventpas. La figure 2 montre que les deux courbes sontsensiblement parallèles ; elles ne se recoupent pas.

À l’issue du traitement, le taux de survie esteffectivement supérieur de 5 % à celui des témoins.

Mais ce qui compte, c’est la « durée du temps de viegagnée », le gain de longévité sur l’axe du temps. Legain de longévité est en moyenne de 1 mois,c’est-à-dire celui de la durée du traitement.

■Introduction de la dimension

économique dans la décision

médicale

L’estimation des résultats des actions médicales,c’est-à-dire la mesure de la production en termes desanté de l’action médicale, est un impératifincontournable, ne serait-ce que pour justifier lepoids des contributions assurées par la collectivité aunom de la solidarité sociale. Or, on ne peut reprocherà une institution chargée de maintenir la santé d’unecommunauté de gérer avec équité et raison lesressources qui lui sont accordées et, ce faisant,d’assurer le plus grand bien pour le plus grandnombre. Le coût de l’action médicale s’élevantd’année en année, une société collectivementresponsable a le devoir d’identifier ses effets et demesurer ses coûts, d’évaluer à l’aune de ses besoinset de ses possibilités, le bien-fondé et la justificationdes investissements et des bénéfices attendus.Sachant que la quantité des ressources disponiblespour les actions de santé est, par essence, limitée, ilest indéniable que les décisions prises par lemédecin pour chaque patient réduisent le montantdes ressources disponibles pour d’autres actionspeut-être plus « rentables » pour la communauté.Sous le nom de coût d’opportunité d’une décisionjugée non appropriée, on entend l’efficacité perdueen termes de santé qui, grâce à une décision plusopportune, aurait pu être utilisée pour répondre à unautre besoin non ou imparfaitement satisfait.

Afin de contrôler l’accroissement des dépenses desanté, la tentation des organismes tutélaires estgrande de chercher à réduire le volume desdépenses, quitte à réduire le nombre et la diversité

100

95

90

1 2Temps en mois

Taux desurvie %

2 Lecture horizontale des courbes de survie. Le temps est mesuré sur l’axe des abscisses, horizontal ; le tauxde survie sur l’axe des ordonnées, vertical. La courbe de survie supérieure en trait continu est celle qui estobtenue sous traitement par le captopril ; elle est comparée à la courbe inférieure discontinue observée sanstraitement. Plus encore que la réduction de la mortalité à l’issue du traitement, c’est la durée de la survie offertepar le traitement qui est lisible dans une lecture horizontale des deux courbes de survie.

Le bénéfice thérapeutique en termes delongévité doit être mesuré en termes dedurée et non pas en réduction relativedu taux de mortalité !

Mesurer les résultats - 1-0070

3

Page 10: Le Manuel Du Généraliste - Divers

des actions prises en charge par la collectivité : c’estla politique de contrainte économique parminimisation des dépenses affectées aux soins. Ledéfi proposé aux acteurs de santé est de soigneraussi bien et probablement mieux avec des moyensfinanciers identiques ou réduits, sous l’effet decontraintes qui ne sont pas seulement d’ordreéconomique, mais aussi d’ordre social etcommunautaire. En fonction de ces nouvellescontraintes, la décis ion diagnost ique etthérapeutique, voire le choix même des sujetsauxquels s’adressent les soins, risquent de devoirrépondre à une justification médicoéconomique enfonction des coûts et des résultats attendus ouobtenus, afin d’optimiser la consommation desressources allouées par la collectivité. Sous le nomd’efficience, la dimension médicoéconomiqueintroduit la notion de productivité de l’actionmédicale.

Or, il se trouve que le rapport entre laconsommation des ressources et le produit de santéau sein de la collectivité est à l’image de la loi desrendements décroissants : une plus grande dépensepeut sans doute offrir une plus grande « quantité desanté » mais en proportion toujours moindre pour unmême accroissement des dépenses. Dans le

domaine de la santé, comme dans les autresdomaines d’activité économique, le rendement desdépenses est progressivement décroissant. C’est cequ’illustre la figure 3 consacrée aux coûts marginauximposés par l’augmentation de fréquence desdépistages du cancer du col utérin, dans le but d’unemajoration de l’efficacité.

Quand s’accroît la fréquence des examens,l’accroissement d’efficacité de la prévention seminimise et l’augmentation des coûts devientprohibitive. L’accroissement de l’activité médicale setraduit bientôt par un aplatissement de la courbed’efficience : c’est l’étape d’une médecine dite « duplat de la courbe » (flat-of-the-curve medicine) !

Les risques d’une « médecine du plat de lacourbe » sont au moins de deux ordres.

Une courbe de productivité horizontale risque fortde devenir descendante sous l’effet de complicationset de divers aléas, conséquences de la multiplicationdes interventions. C’est ainsi que l’accroissement dela prévalence des souches bactériennes résistantesaux antibiotiques dans les services hospitaliers,comme au sein de la population, est directement liéà l’excessive prescription d’une antibiothérapie dansdes états qui ne la justifient pas.

Le deuxième risque d’une « médecine du plat dela courbe » est d’offrir une cible de choix auxmenaces de limitation autoritaire des crédits affectésaux actions de soins, arguant du fait que cettelimitation ne modifierait pas sensiblement l’état desanté de la population…

Ces arguments sont réels. Il serait fort imprudentde les sous-estimer en négligeant la dimensiond’efficience, c’est-à-dire de la productivité des actionsmédicales. Il s’agit de ne pas confondre efficacité etefficience.

‚ Efficience : rapport de productivité

L’efficience est le rapport entre la production desanté ou efficacité (exprimée en termes objectifs ouen termes de qualité de vie) et le coût monétaire quia été nécessaire pour l’obtenir. Ce rapport estexprimé par la pente des droites de la figure 4.

L’efficience exprime la quantité de santé qui estfournie par la consommation d’une « unité » deressources économiques. Dans un projet de« maîtrise médicalisée des coûts de la santé », le choixdes diverses stratégies dont l’objectif est semblablepeut se faire en fonction des efficiences respectives ;exiger par exemple une productivité minimaleexprimée par un seuil d’efficience que les stratégiesproposées doivent au moins atteindre. C’est un telseuil qui, dans la figure 4, est illustré par la lignepointillée : dans une telle exigence de productivité, lastratégie D devrait être rejetée. Efficacité et efficiencesont des notions différentes !

La dimension de productivité s’intègre dans leprojet d’accroissement de la qualité des soins :« soigner mieux pour un coût identique ou réduit ».Aussi, l’analyse de la décision médicale est-elle lavoie royale de la démarche de qualité, puisqu’elle apour buts :

– de mesurer l’efficacité des actions médicales,tant en termes objectifs qu’en termes de qualité devie ;

– d’estimer leur efficience en fonction de laconsommation des ressources monétaires,techniques et humaines qu’elles imposent ;

– d’assurer, en référence à une éthique deresponsabilité, l’adéquation des actions entreprisesavec l’amélioration de l’état de santé de lacollectivité, ses besoins et ses attentes.

L’adéquation aux besoins et aux désirs à la foisdes individus et de la collectivité est la conditionmême du sens de l’action médicale, sachant que lesbesoins ne sont pas des invariants de la naturehumaine, mais une création permanente de l’histoireet des structures sociales. Ce qui est nouveau, c’est laconjonction d’une éthique hippocratique et du soucid’équité au sein d’une société qui se veut solidaire,confrontée à l’ascension vertigineuse des coûts desexamens et des traitements et à la croissancesimultanée d’une légitime exigence de qualité de vie.Ces questions se posent dorénavant avec une acuitéet une complexité auxquelles ni médecins, nipatients n’ont été préparés. Or, parmi les réponsesqui sont proposées, plusieurs mettent en cause lesdimensions fondamentales de notre vieprofessionnelle :

– la dimension du rapport individuel où seules lesdimensions propres à un sujet souffrant sont cellesqui justifient la décision médicale ;

– la dimension collective, celle d’une société quise veut solidaire, équitable et juste, qui prétend ousouhaite conserver une certaine cohérence entre cequ’elle prétend être, ce qu’elle est et ce qu’elle fait ;

accroissement de l'espérance de vie en jours

100

80

60

40

20

100 200 300

123

45

accroissement du coût du dépistage (dollars)

3 Rapport coût-effıcacité du dépistage du cancer du col utérin en fonction de la périodicité des examensde dépistage. Les nombres situés au-dessus de la courbe sont les intervalles en années qui séparent les examensde dépistage.

Efficacité

Frontière d'efficience

Ea

Ec

Eb

Ca

Coût

0

A

B

D

C

4 Notion de frontière d’effıcience. Le traitement A a un coût Ca et obtient l’effıcacité Ea. La mesurede l’efficience du traitement A, exprimée par le rapport Ea/Ca, est traduite par la pente de la droite OA.Le traitement B est moins effıcace (Eb) que le traitement A, mais son effıcience, traduite par la pente de la droiteOB, est identique à celle du traitement A. L’effıcience du traitement C est supérieure à celles de A et de B puisquela pente de la droite OC est plus élevée ; l’effıcacité (Ec) du traitement C est inférieure à celle de A et supérieureà celle de B. Le coût du traitement D est supérieur à ceux de A, de B et de C ; son effıcacité est la plus basse.L’effıcience de D est la plus faible ; elle se situe, en outre, en dessous du seuil minimal d’effıcience requis. Onne doit pas confondre effıcacité et effıcience !

1-0070 - Mesurer les résultats

4

Page 11: Le Manuel Du Généraliste - Divers

– la dimension de transcendance qui donne sensà la vie, celle qui donne forme à une civilisation.

Comment évaluer l’activité médicale, au nom dequels critères et de quelles références ? Que faire decette évaluation ? Comment et au nom de quoidevons-nous justifier nos décisions ? Ce sont lesquestions majeures de notre temps.

‚ Au nom de quoi justifier nos décisionsmédicales ?

La première justification de la décision médicale,sa rationalité fondamentale, est la production desanté, en fonction de la logique scientifique, celle de« l’état actuel de la science » et de la crédibilité desinformations utilisées. La décision médicale reposesur un raisonnement probabiliste : la logiquemédicale est une « logique floue ».

La deuxième justification se formule, non plus entermes objectifs, mais en termes subjectifs de qualitéde vie. En médecine comme ailleurs, la qualité a uncoût. Dans la vie courante, nous n’ignorons pasquelle fraction de nos disponibilités nous acceptons

de consacrer à la qualité. Ce même choix de laqualité des services et des résultats attendus de lamédecine est celui de nos communautés.

La troisième justification est économique. Enl’absence de mesure des résultats de l’actionmédicale et d’options concrètes proposées aux choixde la collectivité, c’est la maîtrise comptable desdépenses en termes de minimisation des coûts quinécessairement est actuellement la réponseinéluctable à la croissance exponentielle des coûts. Ilest hautement souhaitable que la justificationéconomique prenne place en termes de maîtrisemédicalisée à la faveur d’une plus grande efficienceet dans le respect d’une éthique de responsabilité.

Il est souhaitable que de tels choix puissent sefaire hors des discours utopiques, par la recherched’analyse dans le but de soigner mieux, sinon pourmoins cher, au moins au prix d’un accroissementjustifié, évalué en fonction des choix de la collectivitéau nom de la solidarité sociale. Quelle fraction deson revenu la société des bien-portantsconsidère-t-elle légitime de consacrer aux exigences

de santé, de qualité de vie, voire de confort de sesmembres ? Quelle est l’audience de cette initiativeparmi les contribuables et dans un électorat ? À cesquestions, on ne pourra répondre ni par le silence denos institutions, ni par des manœuvres nostalgiquesdu passé, ou prétendre que la prescription médicalen’a que faire des contraintes économiques et doitconserver une totale liberté, en consommant sansautre justification, les ressources accordées, bon grémal gré, par la solidarité collective. Il est important, etsans doute urgent, que les médecins se penchent surces problèmes en dépit de leur caractèrevraisemblablement insoluble. Il s’agit là d’unproblème de société, celui de déterminer la fractiondu revenu que la société, en termes de disponibilité àpayer, tient pour légitime d’affecter aux actions desoins et de prévention. Dans nos sociétés modernes,l’homme et sa détresse conserveront-ils unedimension de transcendance et la souffrancegardera-t-elle une dimension d’absolu ? Plus encorequ’une dimension d’éthique, c’est l’ultimejustification philosophique de nos décisions et dusens de la médecine dans nos sociétés.

Bernard Grenier : Professeur émérite de la faculté de médecine de Tours, 34 rue de Loches, 37000 Tours, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : B Grenier. Mesurer les résultats.Encycl Méd Chir (Editions Scientifiques et Médicales Elsevier SAS, Paris, tous droits réservés), AKOS Encyclopédie Pratique de Médecine, 1-0070, 2002, 5 p

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Mesurer les résultats - 1-0070

5

Page 12: Le Manuel Du Généraliste - Divers

Chimiothérapie antitumorale

D Coeffic, EC Antoine, D Khayat

E n 40 ans, la chimiothérapie a modifié le pronostic de plusieurs cancers. Elle fait maintenant partie intégrantede la stratégie thérapeutique de nombreuses tumeurs, d’autant que ses modalités d’administration se sont

simplifiées et que ses effets secondaires sont mieux maîtrisés.© Elsevier, Paris.

■Introduction

Les médicaments antimitotiques sont apparus enpratique clinique au début de la deuxième moitié duXXe siècle. La première grande famille d’agent dechimiothérapie, les alkylants, est issue de larecherche militaire sur les armes chimiques àcapacité vésicante. Les premières observations ducaractère myélotoxique de l’ypérite (gaz moutarde)ont été colligées pendant la Première Guerremondiale.

Dans les années 1950, les premiers cas derémission complète de leucémies et de lymphomessont rapportés. L’utilisation de ces produits enoncologie solide est un peu plus tardive.

La chimiothérapie a réellement modifié lepronostic de plusieurs cancers. Elle fait maintenantpartie intégrante de la stratégie thérapeutique.

En situation métastatique, elle contribue à laguérison des tumeurs du testicule, des autrestumeurs germinales et des lymphomes. Pourbeaucoup d’autres tumeurs, elle améliore lepronostic : cancer du sein, cancers digestifs, sarcome.Enfin, dans la plupart des situations métastatiques, lachimiothérapie, malgré la toxicité spécifique qu’elleengendre, améliore la qualité de vie lorsqu’elle estadaptée à la situation et au patient.

Les drogues anticancéreuses sont aussi utiliséesdans les stratégies thérapeutiques initiales. Entraitement adjuvant, l’utilisation des cytostatiquesdiminue le risque de récidive métastatique dans lecancer du sein, le cancer du testicule et certainssarcomes. Dans les stratégies néoadjuvantes, lachimiothérapie rend opérables certaines tumeursinitialement avancées (cancer du poumon, cancer dusein, ostéosarcome) et permet la conservationd’organe ou la pratique d’interventions moinsmutilantes (cancer du sein et ostéosarcome).

Les produits les plus récemment développésprésentent l’avantage d’offrir une efficacité égale ousupérieure aux produits historiques, avec des effetstoxiques plus limités et des modes d’action pluscomplexes. Pour les 20 prochaines années, avantl’utilisation clinique de routine de stratégie géniqueou vaccinale, la chimiothérapie restera le traitementsystémique de référence en cancérologie

■Classifications des cytostatiques

Les produits cytostatiques sont répartis et classésen plusieurs familles (tableau I). Cette classificationrépond essentiellement à des critères d’analogiefonctionnelle (mode d’action) et structurale. Certainesde ces familles sont divisées en sous-groupes au seindesquels sont regroupés plusieurs produits trèsvoisins.

Ce chapitre n’a pas vocation à être exhaustif surl’ensemble des cytostatiques, qui sont actuellementplus d’une centaine à avoir leur autorisation de misesur le marché, mais il rappelle la classification et lesmodes d’action des produits de chimiothérapie lesplus fréquemment employés.

‚ Agents alkylants

Les alkylants représentent , parmi lescytostatiques, le groupe le plus importantquantitativement. C’est également la premièrefamille historique, car un certain nombre d’agentsalkylants dits « moutardes » sont des dérivés del’ypérite. Les produits alkylants sont pratiquementtous d’origine xénobiotique. Il existe diversessous-familles, faisant de cet ensemble un groupe trèshétérogène, tant sur le plan biochimique que surcelui des spectres d’action.

La cible de ces agents est l’acide désoxyribonu-cléique (ADN) nucléaire. L’agent alkylant se lie defaçon covalente à l’un des brins ou aux deux brinsde l’ADN par une réaction d’alkylation (réaction forteet non réversible). Cette liaison entraîne unemodification biochimique de certaines basesnucléiques, et par conséquent des défauts detranscription et l’apparition de mutation aprèsréplication de l’ADN. Par ailleurs, ces alkylations sontle plus souvent bifonctionelles, créant ainsi des pontsintra- ou intercaténaires qui vont réduire la plasticitéde l’hélice d’ADN. La sommation de lésions surl’ADN est létale pour la cellule.

Presque tous ces agents alkylants ont une toxicitéhématopoïétique prédominante et limitante.

Oxazaphosphorines ou moutarde à l’azote

Les deux agents les plus utilisés de ce sous-groupesont le cyclophosphamide et l’ifosfamide. Ils ontpour point commun d’être très fréquemment

Tableau I. – Classification générale descytostatiques.

Classepharmacologique DCI

Agents alkylants

Oxazophosphorines CyclophosphamideIfosfamideChlorambucil

Dérivés du platine CisplatineCarboplatineOxaliplatine

Nitroso-urées BCNUCCNUMéthyl-CCNUFotémustine

Divers DacarbazineProcarbazineThiotépaBusulfanMelphalanAltrétamine

Antimétabolites 5-fluoro-uracileRaltitrexedMéthotrexateAracytinetHydréatGemcitabine

Agents intercalants AdriamycineÉpirubicineIdarubicineMitoxantroneElliptiniumBléomycine

Inhibiteurs de la topo-isoméraseÉpipodophyllotoxines VP16, téniposideInhibiteur de la topo-isomérase II

CPT 11, topotécan

Poisons du fuseauVinca-alcaloïdes Vincristine

VinblastineVindésineVinorelbine

Taxanes PaclitaxelDocétaxel

DCI : dénomination commune internationale.

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employés en oncologie et d’avoir un spectre d’actiontrès large. Leur pharmacocinétique est complexe etencore mal connue. Ils entraînent une myélosup-pression importante et également une toxicitévésicale de type cystite inflammatoire par l’un deleur métabolite, l’acroléïne.

Le chlorambucil, médicament utilisé par voieorale dans les syndromes lymphoprolifératifschroniques, est rattaché à ce groupe.

Sels de platine

Le cisplatine, chef de file historique de ce groupede médicaments, a été découvert dans les années1960 après que l’on ait constaté des altérations del’ADN sur des bactéries soumises à un champélectrique généré par des électrodes en platine.

L’avènement du cisplatine est l’un desévénements thérapeut iques majeurs encancérologie, puisque ce médicament a permisd’obtenir un nombre substantiel de rémissionscomplètes et de guérisons, notamment dans lecancer du testicule et de l’ovaire, avec égalementune amélioration du pronostic.

Son utilisation courante date du début des années1980, lorsque les problèmes d’administration(hyperhydratation requise pour éviter la toxicitérénale) ont été résolus.

L’indication thérapeutique de cette drogue estlarge. Sa toxicité est essentiellement néphrologiqueet neurologique.

Le mécanisme d’action associe alkylation,intercalation sur l’ADN et création de radicaux libres.

Plus récemment, le carboplatine a été développé.Ses indications thérapeutiques et sa pharmacody-namie sont voisines de celles du cisplatine, mais iln’a pas de toxicité rénale, au prix d’une hémato-toxicité accrue.

La dernière génération de dérivés du platine estreprésentée par l’oxaliplatine, dont les indicationssont spécifiques (cancer oto-rhino-laryngologique[ORL], cancer du côlon). Le profil toxique estégalement différent, comportant une prédominancede neurotoxicité périphérique aiguë.

Nitroso-urées

Les nitroso-urées sont des agents alkylants utilisésdepuis trois décennies. Leur regroupement enfamille s’explique par l’alkylation spécifique qu’ilsinduisent et également par leurs analogiesstructurales. Le BCNU, le CCNU et le méthyl-CCNUappartiennent à cette sous-famille. Leur spectred’indication est relativement large ; il concerne uncertain nombre de maladies typiquementhématologiques, mais également des tumeurssolides telles que cancer du poumon, mélanomemalin métastatique ou tumeur cérébrale. Cependant,en oncologie solide, leur utilisation est quelque peutombée en désuétude en raison de la pression desdrogues récemment apparues et d’un profil toxiqueparticulier où prédominent des thrombopéniesprofondes et retardées et des toxicités pulmonaireschroniques.

Le Muphorant est le produit le plus récent danscette classe thérapeutique. Il est très utiliséactuellement en raison de ses indicationsspécifiques : mélanome malin métastatique ettumeurs cérébrales.

Alkylants divers

On retrouve dans cette catégorie des agentssouvent utilisés.

Des dérivés moutardes tels que le melphalan, lebusulfan ou le thiotépa, sont essentiellementadministrés dans les maladies hématologiques. Lemelphalan est également utilisé dans lesintensifications thérapeutiques.

L’altrétamine s’administre oralement. Son spectred’action est large et elle est souvent utilisée dans lecancer de l’ovaire et également dans les situationspalliatives.

La dacarbazine est préférentiellement utiliséedans le mélanome malin et les tumeurs cérébrales.C’est l’agent le plus émétogène actuellement enphase aiguë.

La mitomycine C, agent alkylant issu de larecherche en antibiotique, est utilisée assezfréquemment en oncologie solide, mais sonadministration est rendue difficile par son potentielthrombopéniant et la possibilité d’induire dessyndromes hémolytiques et urémiques graves etirréversibles.

La streptozocine voit son indication de choixdans les tumeurs carcinoïdes du grêle.

Enfin, il faut citer la procarbazine, administréedans les lymphomes.

‚ Antimétabolites

Le mode d’action de ces agents peut être qualifiéd’intelligent au sens pharmacodynamique encomparaison avec les alkylants. La cible est toujoursl’ADN. Le moyen d’y parvenir est d’inhiber lafabrication et l’incorporation dans l’ADN de certainesbases nucléiques, par un mécanisme d’antagonismeexpliqué par des analogies structurales avec lesbases concernées.

Le 5-fluoro-uracile (5-FU) est l’un des chefs de filede cette famille. I l inhibe la synthèse etl’incorporation des bases pyrimidiques dans l’ADN.Son utilisation est universelle (indication dans laplupart des tumeurs solides), son coût est modique.Ses modes d’administration sont très diversifiésselon les indications. Son profil toxique estsatisfaisant, consistant essentiellement en desatteintes muqueuses. Récemment, le raltitrexed,analogue du 5-FU, a été commercialisé.

Le méthotrexate, autre chef de file de cettefamille, agit par un mécanisme indirect de blocagedu système enzymatique (dihydrofolate-réductase)de synthèse des bases pyrimidiques. Son utilisationest ubiquitaire en oncologie solide à des dosesfaibles (< 100 mg/m_), et sa toxicité est quasi nulle.En revanche, le méthotrexate est administré à fortesdoses dans des indications très spécifiques : tumeurspédiatriques, tumeurs osseuses. Dans ce cadre,l’administration demande des précautionsdraconiennes de type hydratation continue,alcalinisation des urines et sauvetage itératif paracide folinique, dans le but d’éviter une toxicitémultiviscérale (toxicité neurologique centrale, mucitegrave, hépatite cytolytique).

Il existe d’autres agents antimétabolites qu’ilconvient de citer en raison de la fréquence de leuremploi. L’Aracytinet est un agent de manipulationdifficile, potentiellement très aplasiant, réservé auxtraitements des leucémies aiguës. L’hydroxyurée estencore très uti l isée dans les syndromesmyéloprolifératifs chroniques.

La gemcitabine est récemment commercialisée.Cette molécule est très intéressante à plus d’un titre.Son profil toxique est quasi nul. Elle est indiquéedans certaines tumeurs à pronostic sombre

(pancréas, cancer du poumon métastatique), où lesétudes ont montré qu’elle améliore objectivement laqualité de vie.

‚ IntercalantsLes agents intercalants ont pour mode d’action

principal le mécanisme d’intercalation au sein del’ADN, c’est-à-dire la possibilité pour la molécule des’incorporer entre deux paires de bases par desliaisons covalentes, menant par accumulation à descassures monobrins. Par ailleurs, un certain nombrede molécules de cette classe peuvent interagir avecles membranes cellulaires ou intracytoplasmiques,créer des radicaux libres intracytoplasmiques(responsable de la toxicité cardiaque retardée), ouinteragir avec la topo-isomérase II, enzymenécessaire à la phase de réplication de l’ADN.

Anthracyclines

Les molécules de cette classe sont issues pour laplupart de la recherche en antibiotique et sont desdérivés synthétiques d’espèces fongiques. Ellespossèdent une grande analogie structurale et ontpour caractéristique une cardiotoxicité retardée.

Leur chef de file et premier agent commercialiséest l’adriamycine. Son spectre d’action est large,mais elle représente surtout une révolutionthérapeutique dans le cancer du sein, l’ostéo-sarcome, le sarcome d’Ewing et les lymphomes, oùelle a transformé le pronostic et amélioré la qualitéde vie. La toxicité, outre l’insuffisance cardiaqueretardée, comporte en phase aiguë un potentielémétogène important, des risques de nécrosesétendues en cas d’extravasation, et une alopéciefréquente.

L’épirubicine, produit voisin aux indicationssuperposables, semble moins cardiotoxique.

Enfin, il existe un certain nombre de produitsapparentés ou dérivés tels que l’idarubicine ou lapirarubicine, utilisées surtout dans les leucémiesaiguës en induction et dans les lymphomes.

Autres agents intercalants

On a coutume de faire rentrer dans cettecatégorie des molécules plus ou moins éloignées desanthracyclines. La mitoxantrone est un agentproche des anthracyclines, mais très peucardiotoxique.

L’acétate d’elliptinium est un agent peu employé,essentiellement dans le cancer du sein. Il a pourcaractéristique d’entraîner de façon constante dessyndromes secs buccaux, parfois irréversibles.

La bléomycine est un cytostatique antibiotique.Ses indications sont larges : cancer du testicule,lymphomes, cancer du poumon, cancer du col del’utérus, ostéosarcome, mésothéliome. Sonutilisation est cependant progressivement restreinte,essentiellement en raison de sa toxicité pulmonaireretardée potentiellement létale.

‚ Agents tubuloaffinesLe mode d’action de cette classe médicamenteuse

s’éloigne des autres agents cytotoxiques. Les agentstubuloaffines génèrent des anomalies ducytosquelette cellulaire (fuseau constitué depolymères de tubuline), induisant ainsi uneimpossibi l i té de séparat ion du matér ie lchromosomique en lots égaux au moment de lamitose, et également un défaut de la transduction designaux biochimiques intracytoplasmiques et desdifficultés pour la motilité des cellules habituellementmobiles.

2-0140 - Chimiothérapie antitumorale

2

Page 14: Le Manuel Du Généraliste - Divers

Ils sont pour la plupart des dérivés semi-synthétiques du règne végétal. Leurs indications sontassez larges selon les drogues.

Ils ont pour trait commun, sur le plan toxique,d’être neurotoxiques et myélotoxiques.

Dérivé de la pervenche (vinca-alcaloïdes)

C’est historiquement la première classe d’agentstubuloaffines découverte. Ces agents, pourl’essentiel, empêchent la polymérisation de latubuline et ainsi la formation du cytosquelette. Laneurotoxicité est périphérique et parfois végétative(iléus réflexe). Les indications sont assez larges :mélanome malin, cancer du poumon, lymphomes,cancer du rein, sarcome, cancer du sein.

La vinorelbine, dernière venue au sein de cegroupe, semble moins neurotoxique, mais plushématotoxique. Elle est l’une des molécules deprédilection en première intention dans le cancer dupoumon inopérable.

Taxanes

Cette sous-famille, comportant actuellement deuxmolécules, le paclitaxel et le docétaxel, représentela quintessence de ce que l’on appelle les nouvellesdrogues depuis le début des années 1990(molécules connues depuis longtemps, mais nonencore développées, profil toxique raisonnable,pression industrielle et commerciale très forte,tendance à éclipser des drogues plus anciennes danscertaines pathologies sans fondements scientifiquesavérés).

Cette famille semble cependant bien participerd’une nouvelle révolution thérapeutique, comme enatteste l’amélioration des indicateurs de survie desétudes randomisées contrôlées dans le cancer del’ovaire (association paclitaxel et cisplatine) et dans lecancer du sein métastatique en première intention(association anthracyclines et taxanes).

Le mécanisme d’action est diamétralementopposé à la famille précédente : les taxanesinduisent un blocage du fuseau déjà constitué,empêchant les phénomènes dedépolymérisation-repolymérisation.

Les taxanes sont des dérivés de différents ifs.La toxicité limitante est hématologique. La

neurotoxicité retardée est plus marquée pour lepaclitaxel, alors que le docétaxel induit des œdèmespériphériques retardés d’étiopathogénie non encorecomprise.

‚ Inhibiteurs de la topo-isoméraseLa topo-isomérase est une enzyme protéique

indispensable au bon déroulement de la réplicationde l’hélice d’ADN. Elle confère une certaine plasticitétridimensionnelle à l’ADN en permettant descassures monobrins au moment de la réplication.

Inhibiteurs de la topo-isomérase I (dérivésde la camptothécine)

Cette classe médicamenteuse présente desmolécules d’hémisynthèse isolées depuis les années1960 mais dont le développement clinique avait étéfreiné en raison de difficultés toxiques et galéniques.Le chef de file de ce groupe est un dérivé direct de lacampthotécine, le CPT 11 . Son indicationpréférentielle est le cancer du côlon. Sa toxicité estoriginale : il peut induire de façon retardée desdiarrhées sécrétoires sévères.

Le topotécan, produit voisin, est utilisé enrattrapage dans le cancer de l’ovaire. Il est peutoxique.

Inhibiteurs de la topo-isomérase II(épipodophyllotoxines)

Historiquement, il s’agit de la première familled’inhibiteurs de la topo-isomérase. Ces agents, dontle chef de file est le VP16, ont longtemps été prispour des poisons du fuseau.

Le VP16 a un spectre d’action très étendu : cancerdu testicule, du poumon, du sein, tumeur de primitifinconnu. Bien toléré, le VP16 est essentiellementmyélotoxique.

■Rationnel des associations

de molécules

La monothérapie en chimiothérapie estmaintenant rarement pratiquée, à l’exception depathologies bien spécifiques ou de situationspalliatives avancées.

L’association de deux ou plusieurs produitsrépond à la nécessité d’améliorer l’efficacité dutraitement en escomptant une additivité ou unesynergie.

I l existe différentes règles empir iquesd’association :

– utilisation de drogues à mécanismes d’actiondistincts, voire de familles biochimiques distinctes.Cette règle garantit la synergie. Il arrive parfois que lepraticien associe au contraire deux drogues trèsvoisines (exemple carboplatine et cisplatine). Dans cecas, l’objectif est d’intensifier deux modes d’actionvoisins en contournant les spectres toxiques distinctsdes deux drogues ;

– utilisation de drogues à mécanismes derésistance cellulaire non croisés afin de contourner lachimiorésistance innée ou acquise des contingentstumoraux ;

– utilisation de drogues à spectre toxique nonredondant, à toxicité limitante distincte.

Les associat ions sont l imitées par lesphénomènes de toxicité et par les problèmesd’interaction pharmacocinétique mal maîtrisésau-delà de quatre drogues.

Le développement des sciences pharmacociné-tiques et de la qualité des essais cliniques de phase Ipermet maintenant de concevoir des associationssur des bases moins empiriques.

■Indication de la chimiothérapie

par pathologie

‚ Cancer du sein

Les drogues les plus efficaces dans cettepathologie sont, dans l’ordre, les anthracyclines, lestaxanes, le 5-FU et la vinorelbine. Beaucoup d’autresmolécules y ont aussi leur indication : VP16,méthotrexate, cyclophosphamide, sels de platine.

Les anthracyclines (épirubicine ou adriamycine)sont les molécules de référence. La notion demaladie réfractaire ou non à cette classemédicamenteuse influe nettement sur le pronostic.

Dans les stratégies locales néoadjuvantes ouadjuvantes, les combinaisons les plus utiliséesassocient une anthracycline (adriamycine ouépirubucine), le cyclophosphamide plus ou moins le5-FU : protocole AC, EC, FAC, FEC.

En première ligne métastatique, les mêmesassociations sont utilisées, mais l’associationanthracycline-taxane sera probablement le régimede demain.

En deuxième ligne thérapeutique et plus, lescombinaisons sont validées soit par la littératurecomme les protocoles FUN (5-FU et vinorelbine),CMF (cyclophosphamide, méthotrexate et 5-FU) ou3M (mitoxantrone, mitomycine C, méthotrexate),soit par des associations plus empiriques faisantparfois appel aux sels de platine dans certaineséquipes.

‚ Cancer du poumon non à petites cellules

L’association vinorelbine-cisplatine estactuellement considérée comme un standard danscette pathologie, quelle que soit l’indication de lachimiothérapie (induction, adjuvant, métastatique).

L ’a l ternat ive récente est l ’associat iongemcitabine-cisplatine, avec une efficacité au moinséquivalente.

D’autres catégories de cytotoxiques ont montréune efficacité dans cette maladie : VP16, taxanes,mitomycine C, agents alkylants, 5-FU.

‚ Cancer du poumon à petites cellules

Le traitement de base, que la tumeur soit limitéeau thorax ou métastatique, est une association decisplatine et de VP16. Certaines équipes y associentégalement un agent alkylant et/ou uneanthracycline pour gagner en synergie et endose-intensité. En deuxième intention, desassociations sel de platine et vinca-alcaloïdes sontassez souvent utilisées, mais le topotécan est enpasse de devenir une alternative crédible, ainsi quele VP16 per os.

‚ Cancer de la vessie

Pendant longtemps, le standard thérapeutiqueétait le protocole MVAC (méthotrexate, adriamycine,cisplatine et vinblastine). Ce protocole est lourd etassez toxique sur le plan néphrologique.

Le protocole cisplatine-gemcitabine et lesassociations sel de platine-taxane sont maintenantutilisées aussi en première intention.

‚ Cancer du rein

Hormis l’immunothérapie, les seules droguesayant montré une efficacité, néanmoins très faible,sont les poisons du fuseau et certains antimétabo-lites. La chimiothérapie est en principe réalisée enmonothérapie ou en associat ion avecl’immunothérapie.

‚ Adénocarcinome de l’ovaire,adénocarcinome de l’endomètre

Dans le cancer de l’ovaire, on utilise maintenanten première ligne thérapeutique l’associationpaclitaxel-cisplatine qui a démontré sa supériorité surla combinaison cisplatine-cyclophosphamide enterme de survie. Les protocoles CAP ou CEP(cisplatine, cyclophosphamide et anthracycline) ontencore beaucoup d’adeptes.

Le carboplatine est dans cette pathologie un bonsubstitutif du cisplatine en cas de contre-indication àcette dernière drogue (d’ordre essentiellementnéphrologique).

Le docétaxel, le topotécan, l’oxaliplatine, lagemcitabine et la vinorelbine ont leur place endeuxième ligne actuellement.

Chimiothérapie antitumorale - 2-0140

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L’adénocarcinome de l’ovaire est une tumeur trèschimiosensible globalement, répondant aussi bienaux agents alkylants qu’aux anthracyclines, àcertains antimétabolites et aux poisons du fuseaudans leur ensemble. Cependant, à l’instar du cancerdu sein pour les anthracyclines, dans le cancer del’ovaire, la drogue de référence est le cisplatine. Elleest la molécule la plus déterminante dansl’amélioration du pronostic.

Dans l’adénocarcinome de l’endomètre, lesmêmes molécules semblent très actives, aveccependant une efficacité moindre que dans l’ovaire.Par ailleurs, les drogues dites nouvelles n’ont pasencore leur place dans cette pathologie.

‚ Cancer du col de l’utérus

Il n’existe aucune association consensuelle danscette pathologie réputée peu chimiosensible. Lecisplatine, le 5-FU et la bléomycine sont les droguesles plus actives. La vinorelbine, les taxanes etl’ifosfamide ont montré également une activitéthérapeutique comme dans la plupart des tumeursépidermoïdes.

‚ Tumeur testiculaire, autres tumeursgerminales

Le protocole BEP (bléomycine, VP16 et cisplatine)est le traitement de référence, mais de nombreuseséquipes font maintenant un EP (sans bléomycine) enraison des effets pulmonaires délétères de labléomycine.

Le protocole de rattrapage le plus usité est le VIP(vinblastine, ifosfamide, cisplatine). L’actinomycinepeut aussi être employée.

‚ Cancer de la prostate

La chimiothérapie est un traitement de secondeintention après hormonothérapie. Quelques droguessont moyennement actives et parfois utilisées enassociation : cisplatine, 5-FU, adriamycine,cyclophosphamide.

‚ Cancer colorectal

En situation adjuvante ou en première lignemétastatique, l’association la plus utiliséeactuellement est le FUFOL, association de 5-FU etd’acide folinique (modulateur de l’action du 5-FU). Cerégime est administré dans une grande diversité deschémas (hebdomadaire, par quinzaine, tous lesmois, en chronomodulation). D’autres drogues tellesque le méthotrexate à faibles doses ou lamitomycine C n’ont qu’une très faible activitédémontrée.

Les deux drogues de seconde ligne sont récentes :oxaliplatine et CPT 11. Elles sont utilisées enmonothérapie ou en association avec 5-FU ouFUFOL. L’oxaliplatine est déjà autorisé en premièreligne.

‚ Cancer de l’estomac

Parmi les drogues les plus actives dans cettepathologie (avec cependant une chimiosensibilitéintermédiaire), on retrouve les anthracyclines, les selsde platine, le 5-FU et le méthotrexate. L’un desprotocoles les plus actifs, bien que très toxique, étaitjusqu’à une époque récente le FAMTX (adriamycine,méthotrexate, acide folinique et 5-FU). Lesalternatives actuelles sont les traitements à base desels de platine.

‚ Cancer du pancréas

Les drogues qui sont actives pour le cancergastrique le sont également pour l’adénocarcinomedu pancréas. Devant le pronostic sombre et la faiblechimiosensibilité de ce cancer, les associationsactuelles sont simplifiées de manière à préserver laqualité de vie du patient : association cisplatine et5-FU, gemcitabine.

‚ Sarcome des parties molles

Le sarcome des parties molles présente unechimiosensibilité intermédiaire, variable selon lesdonnées histologiques initiales. Les anthracyclines(surtout adriamycine), les moutardes azotées, ladacarbazine et certains vinca-alcaloïdes sont lescytostatiques de référence. L’associationadriamycine-ifosfamide est le traitement le moinstoxique à efficacité égale en comparaison avec desassociations plus anciennes avec plus de deuxdrogues (régime CYVADIC). L’ifosfamide à fortesdoses est parfois utilisée en rattrapage, ainsi que leméthotrexate, dans cette pathologie.

‚ Ostéosarcome, sarcome d’Ewing

On retrouve un grand nombre de moléculesactives ou utiles dans les sarcomes osseux, avec uneconstante meilleure chimiosensibilité en faveur del’ostéosarcome : anthracyclines, cisplatine,méthotrexate à fortes doses, actinomycine D,mitomycine C, bléomycine, moutardes azotées,vinca-alcaloïdes. Dans l’ostéosarcome, le régime deréférence utilisé en situation néoadjuvante etadjuvante est le régime T 10, qui reprend lesdrogues citées en schéma alterné complexe. Dans lesarcome d’Ewing, le protocole VAC (vincristine,adriamycine et cyclophosphamide) est le régime leplus universellement utilisé en première lignethérapeutique.

‚ Cancers ORL

L’association cisplatine-5-FU n’a pas rencontréd’autres protocoles de chimiothérapie moinstoxiques ou réellement plus efficaces en premièreintention. À l’instar du cancer du col de l’utérus, denature épidermoïde comme les tumeurs ORL, leméthotrexate, la bléomycine, la vinorelbine et lestaxanes sont également actifs.

‚ Mélanome malin

Le mélanome malin métastatique n’est pas ungrand modèle de chimiosensibilité (hormisassociation chimio-immunothérapie). La drogue deréférence reste la dacarbazine. Les autres produitsutilisés sont les nitroso-urées dans leur ensemble, etsurtout la fotémustine (très prometteuse), lesvinca-alcaloïdes, la bléomycine et le cisplatine. EnEurope, les protocoles à base de fotémustine, dedacarbazine et plus ou moins de vindésine sontrégulièrement employés, alors que les Anglo-Saxonsutilisent plus fréquemment le régime dit deDarthmouth, associant BCNU, dacarbazine etcisplatine plus ou moins tamoxifène.

‚ Tumeur cérébrale primitive

Seuls certains oligodendrogliomes peudifférenciés sont réellement sensibles à lachimiothérapie. Les autres tumeurs cérébrales(hormis les tumeurs pédiatriques) ne voient pas leurpronostic modifié par la chimiothérapie.

Les drogues les plus fréquemment employéessont les nitroso-urées et les vinca-alcaloïdes.

‚ Lymphome non hodgkinien, lymphomede Hodgkin

Les tumeurs du système lymphatique sont dansleur ensemble extrêmement chimiosensibles, mêmeen situation de rattrapage ou de troisième lignethérapeutique, avec cependant des nuances enfonction de l’histologie initiale et du caractère plus oumoins agressif de la tumeur. Parmi les cytostatiquesles plus sensibles, on retrouve les anthracyclines, labléomycine, le cisplatine, les vinca-alcaloïdes, ladacarbazine et les moutardes à l’azote.

■Étude de la toxicité

des cytostatiques sous l’angle

analytique

‚ Généralités

Par essence, l ’agent antimitotique estpotentiellement une molécule toxique. En effet, lesmolécules de chimiothérapie, en plus d’être dessubstances étrangères à l’organisme, avec tout ceque cela induit de potentiel (anaphylaxie,déplacements médicamenteux, toxidermie...), ontune pharmocodynamie au premier abord que l’onpeut juger « grossière ». Après avoir été distribuésdans les secteurs extravasculaires et vasculaires, ilspénètrent dans la cellule, le plus souvent sansmécanisme de transport spécifique, et s’attaquentaux structures fondamentales de l’architecturecellulaire (ADN, acide ribonucléique [ARN], systèmeenzymatique, production des acides nucléiques,cytosquelette). Pour l’essentiel, leur mécanismed’action n’est pas médié par des phénomènes detransduction biochimique retrouvés pour lemédicament traditionnel.

Par ailleurs, le cytostatique n’est pas délivré defaçon spécifique aux cellules tumorales. Sonefficacité provient d’un différentiel d’activité entrecellules saines et tumorales. En effet, la divisioncellulaire est la cible de choix de l’ensemble desmédicaments anticancéreux. Il paraît donc logiqueque les cellules cancéreuses, se divisant beaucoupplus rapidement, soit soumises de façon plusimportante à l’action des cytostatiques. Cependant,l’action de la chimiothérapie sur les cellules saines,notamment celles à division rapide telles que lescel lu les du revêtement muqueux ou del’hématopoïèse, n’est pas nulle et explique la toxicitédes médicaments anticancéreux.

Les toxicités des cytostatiques sont complexes,nombreuses et de mécanisme diversifié.

Les types de toxicité peuvent être classés endifférents sous-ensembles qui peuvent se recouper :

– toxicité aiguë : elle survient pendantl’administration de la drogue ou dans les 2 à 3semaines maximum suivant l’administration. Elle esten principe potentiellement létale, réversible, nondose cumulée-dépendante mais corrélée à ladernière dose administrée ;

– toxicité chronique : elle peut survenir dessemaines, des mois, voire des années aprèsl’administration du produit. Il s’agit le plus souventd’une toxicité spécifique d’organe, assez souventlétale et difficilement réversible (à l’exception del’alopécie !), typiquement dose cumulée-dépendanteet cependant difficilement prévisible ;

– toxicité générale : elle est observée avecpresque tous les agents anticancéreux, d’intensitéplus ou moins importante en fonction de l’agent

2-0140 - Chimiothérapie antitumorale

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concerné. Les exemples types sont la toxicitémuqueuse, les nausées et les vomissements,l’alopécie et la myélotoxicité ;

– toxicité spécifique : à l’inverse, c’est une toxicitéconcernant une drogue, voire un sous-groupe demolécules voisines, le plus souvent viscérale.

Les toxicités, qu’elles soient strictementbiologiques (donc objectives) ou alors cliniques, fontl’objet d’une classification de l’Organisationmondiale de la santé (OMS) en grades (de I à IV) enfonction de la gravité. Cette classification, quoiqueimparfaite, surtout en matière de toxicité clinique,répond à deux objectifs :

– pour le patient : évaluer la dangerosité decontinuer un traitement selon les modalitésantérieurement employées, éventuellement adapterou modifier les protocoles de chimiothérapie ;

– pour la recherche clinique : évaluer de façonassez objective les toxicités des protocoles au seind’essais thérapeutiques.

En guise d’espoir, on note sur les deux dernièresdécennies, avec l’apparition de drogues ditesnouvelles, des spectres de toxicité plus étroits,l’exemple type étant la gemcitabine, produitrécemment autorisé, pratiquement non toxique auxdoses habituellement recommandées.

‚ Toxicités aiguës

Toxicité hématologique centrale

Elle concerne pratiquement tous les cytotoxiquessauf la bléomycine et le 5-FU (aux doses habituelles).

Elle est réversible, mais elle peut être prolongéeou létale. Le mécanisme de cette toxicité est l’atteinteau sein des tissus de l’hématopoïèse des cellulessouches pluripotentes.

La profondeur de l’atteinte ainsi que l’atteintepréférentielle de telle ou telle lignée dépendent de ladose administrée et du type de produit administré.

Les toxicités concernant les lignées myéloïdes etmégacaryocytaires sont décrites selon lesparamètres suivants :

– le grade OMS (profondeur de la toxicité) ;– le moment de survenue maximale de la

toxicité par rapport à l’administration du ou desproduits, appelé également « nadir », par rapport à ladate d’administration de la chimiothérapie ;

– le délai de récupération (en jours).Chacun de ces paramètres a naturellement une

signification pronostique.L’atteinte des lignées myéloïdes est la plus

fréquente. La leuconeutropénie induite par cetteatteinte comporte un risque infectieux vital. Ellesurvient en général du septième jour au quinzièmejour suivant la chimiothérapie et peut durer plus de10 jours. Une neutropénie de grade IV (neutrophilesinférieurs à 500/mm3) conduit à un épisode fébrilepotentiellement grave dans un cas sur quatre. Uneneutropénie pendant plus de 5 jours est égalementune situation à risque.

Parmi les produits les plus neutropéniants, onretrouve les agents alkylants en général, le VP16, lesagents intercalants, les taxanes et les sels de platine.

L’atteinte de la lignée lymphoïde est plusinconstante et n’entraîne pas de conséquence grave.Cependant, la baisse des lymphocytes circulants auquatrième jour est un excellent facteur prédictif de laleuconeutropénie dans les jours qui suivent.

Le traitement de l’aplasie fébrile est encore sujet àcontroverse en ce qui concerne le lieu de prise encharge initiale de la toxicité (maintien à domicile ouhospitalisation d’emblée).

Il paraît raisonnable cependant, dans la plupartdes équipes de cancérologie, dans la situation d’unefièvre isolée, de proposer un traitement pour 7 jourspar antibiotiques oraux à large spectre à domicile(avec par exemple amoxici l l ine et acideclavulanique, ou céphalosporine de troisièmegénération orale).

La situation de fièvre isolée correspond dans cecontexte à un patient compliant ne présentant pasd’altération hémodynamique ou de signe de choc,sans foyer clinique apparent (validé par le passaged’un médecin à domicile). Le sujet doit pouvoirprendre des antibiotiques oraux (pas decontre-indication à la voie orale, pas de troublespsychiatriques ou neurologiques), et ne doit pashabiter loin du centre où il est suivi.

Cette attitude thérapeutique a pour désavantagede ne pas permettre, dans tous les cas, l’identificationbactérienne, dans la mesure ou les prélèvementsbactériens sont parfois difficiles à réaliser à domicile,cependant la documentation bactérienne neconcerne que 25 % des aplasies postchimiothérapieactuellement. Sur le plan strictement écologique,cette attitude est également contestable, car ellefavorise l’émergence de résistances bactériennes enville. Le principal avantage du maintien à domicileest l’amélioration de la qualité de vie chez cespatients fréquemment hospitalisés (chimiothérapie,complication de la maladie, transfusion…) et aupronostic le plus souvent incertain.

Si l’apyrexie complète n’est pas obtenue en 48heures, et dans tous les autres cas sortant du cadrede la fièvre isolée, une attitude plus classique estnécessaire. On hospitalisera le patient en urgence, depréférence dans son centre de référence, pourprélèvement bactérien, double antibiothérapieempirique à large spectre et isolement. Les facteursde croissance hématopoïétiques ne semblent pasavoir d’indication formelle en situation curative.

En situation préventive, après observation d’uneneutropénie fébrile, le praticien a le choix entre deuxstratégies de prévention pour la cure suivante :réduction de dose ou emploi de facteurs decroissance hématopoïétiques.

Le risque plaquettaire est beaucoup moinsfréquent mais il n’est cependant pas théorique. Ilsurvient généralement plus tardivement, auquinzième jour, et peut durer pendant 21 jours. Lerisque hémorragique vital (essentiellementhémorragie cérébroméningée) survient à partir d’untaux de plaquette inférieur à 20 000/mm3.

Les agents responsables de thrombopéniessévères sont moins nombreux : sels de platine,nitroso-urées et mitomycine C.

La transfusion plaquettaire est recommandéepour un taux inférieur à 20 000/mm3, et égalementcomme traitement de toute manifestationhémorragique d’une thrombopénie . Lesanticoagulants (sauf situation de coagulationintravasculaire disséminée ou thrombose évolutive)doivent être arrêtés en dessous de 50 000/mm3. Enpratique clinique, il n’existe pas de facteurs destimulation de la production mégacaryocytaire, et lemeilleur traitement préventif est la baisse de dosepour le cycle de chimiothérapie suivant.

Les vraies anémies arégénératives normo-chromes, parfois sévères, sont très rares. Le principalresponsable en est le cisplatine. Le plus souvent,viennent se surajouter d’autres étiologies d’anémie(mécanisme inflammatoire, métastases médullaires).La transfusion de globules rouges en est le meilleurtraitement. L’érythropoïétine est maintenant utiliséechez certains patients traités par sels de platine : elleréduirait le nombre de transfusions nécessaires.

Nausées et vomissements

C’est réellement la toxicité la plus mal vécue par lepatient, largement responsable de la mauvaiseréputation allouée à la chimiothérapie. L’avènementrécent des anti-5 HT3 a permis une révolution en cedomaine.

L’origine des nausées et vomissements est mixte :toxicité centrale médiée par différents neurorécep-teurs (essentiellement sérotoninergiques) et atteintede la muqueuse digestive.

Les nausées et vomissements concernentpresque tous les cytostatiques, avec des différencesd’intensité très importantes d’un produit à l’autre. Lecisplatine, la dacarbazine et les anthracyclines sontles produits les plus émétisants. En revanche, labléomycine et les vinca-alcaloïdes sont peuémétisants (tableau II).

Il existe trois types de nausées et vomissements :– anticipateurs : observés avant la cure de

chimiothérapie, ils sont essentiellement anxiogènes(apparentés par exemple à l’hypertension artérielleréactive à la blouse blanche). Ils sont activés par uneodeur ou l’entrée dans l’hôpital par exemple.L’administration de benzodiazépines à demi-viecourte ou de neuroleptiques sérotoninergiques àfaibles doses constitue le traitement ;

– précoces : apparaissant pendant lachimiothérapie et dans les 24 heures qui suivent. Ilssont contrôlés dans 95 % des cas par l’adminis-tration d’antiémétiques dopaminergiques, decorticoïdes intraveineux et d’anti-HT3 injectable(ondansétron ou granisétron) ;

– retardés : ils apparaissent quelques jours etjusqu’à 2 semaines après la cure. Ils s’observentessentiellement avec les sels de platine. Letraitement fait appel à l’association d’antiémétiquedopaminergique, de corticoïdes per os en curecourte et éventuellement d’ondansétron per os.

Muqueuse

La mucite peut se présenter comme un simpleérythème muqueux ou une aphtose plus ou moinsconfluante selon la gravité.

Tableau II. – Classes pharmacologiques desmédicaments antiémétiques.

Classes d’antiémétiques disponibles

Neuroleptique dopami-nergique

Chlorpromazine

Neuroleptique sérotoni-nergique

Métoclopramide, Dom-péridone

Anti-5 HT3 (sétron) Granisétron intravei-neux, per os

Ondansétron intravei-neux, per os

Corticoïdes Prednisolone, Predni-sone, Méthylprednisone

Chimiothérapie antitumorale - 2-0140

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La stomatite est la localisation première etpréférentielle, mais l’atteinte peut concerner aussil’ensemble du tube digestif, de la cavité buccale àl’anus.

L’atteinte muqueuse est souvent pérennisée parune infection fongique ou à Herpèsvirus.

Le traitement de base est le bain de boucheitératif avec mélange de bicarbonate à 14 ‰,d’antiseptique buccal et d’amphotéricine B orale. Lesantiherpétiques intraveineux sont parfois associésen cas de persistance des lésions.

Le pronostic vital est parfois engagé si les mesuresadéquates ne sont pas prises. Pour les mucites degrade IV (impossibilité de se nourrir en raison de ladouleur), une réhydratation intraveineuse avecapport calorique doit être associée à une nutritionpar sonde nasogastrique.

La morphine est le meilleur antalgique de lamucite sévère.

Le 5-FU, le méthotrexate et l’acétate d’elliptinium(par le biais d’un syndrome sec buccal) sont lesprincipaux pourvoyeurs de l’atteinte muqueuse.

Tout patient sous chimiothérapie (quels quesoient le ou les produits) doit réaliser à titre préventifdes bains de bouche quotidiens.

Toxicité digestive

Les poisons du fuseau (taxanes et dérivées de lapervenche) favorisent le ralentissement du transitintestinal et parfois produisent des iléus réflexestransitoires par mécanisme de sidérationneurovégétative.

Le CPT 11 est souvent responsable de terriblesdiarrhées retardées, de mécanisme typiquementexsudatif, nécessitant l’hospitalisation pourréhydratation intensive et administrationd’antisécrétoires à fortes doses.

La plupart des cytostatiques sont capables demodifier la motricité digestive.

Toxicité cardiaque

Le 5-FU peut induire en cours d’administration unsyndrome angoreux d’allure spastique, mais dont lemécanisme reste non démontré. On observe cetincident plus souvent chez le sujet déjà angoreux. Lasymptomatologie cède le plus souvent à l’arrêt de laperfusion de 5-FU. Le 5-FU sera contre-indiqué pourl’avenir.

Quelques chocs cardiogéniques mortels d’origineanaphylactique ont été décrits, essentiellement avecle VP16 et les taxanes.

Le 5-FU et le méthotrexate sont capables d’induireune péricardite exsudative, alors que lecyclophosphamide à fortes doses peut êtreresponsable de myocardite fugace d’expressionessentiellement électrophysiologique.

Manifestation anaphylactique

Elles peuvent apparaître avec tous lescytostatiques, mais sont plus fréquentes aprèsadministration de bléomycine, de VP16 ou detaxanes. Une prémédication basée sur de fortesdoses de corticostéroïdes et des antihistaminiquesH1 et H2 est préconisée avant l’administration detaxanes.

Toxicité vésicale : cystite hémorragique

Apparaissant autrefois dans les 5 jours suivantl’administration de cyclophosphamide oud’ifosfamide (à des doses supérieures à 1 g/m_), elle

ne se voit plus aujourd’hui en raison del’administration concomitante d’un antidote : lemesna.

Toxicité de contact

La plupart des molécules de chimiothérapie ontun potentiel irritant ou vésicant au contact des tissus.Les anthracyclines, certains dérivés de la pervenche,les sels de platine et la mitomycine sont parmi lesagents les plus dangereux en ce domaine. Le risqueest de deux ordres :

– extravasation lors de l’administration en raisonde la déficience de la voie d’abord veineuse(périphérique ou centrale). Le risque de nécrose estimportant avec les produits les plus vésicants. L’unedes meilleures préventions consiste à réaliser lesperfusions à l’aide d’une voie sûre : la voie centrale(cathéter ou site implantable) est donc préconisée.Lorsque l’extravasation est avérée, il n’existe pasd’antidote réellement fiable. Il faut arrêter laperfusion et aspirer le contenu restant. Certaineséquipes réalisent des injections de corticoïdes auxquatre coins de la zone supposée d’extravasation,ou de chlorure de sodium pour diluer le cytostatiqueextravasé. La surveillance ultérieure permettrad’indiquer le cas échéant des gestes chirurgicaux deréparation plastique ;

– lésions cutanées lors d’un contact accidentel(patient ou personnel soignant). Pour juger de lagravité de l’incident, il faut connaître le potentielvésicant du produit incriminé. Le nettoyage à grandeeau est préconisé.

Toxicité neurologique centrale

Une encéphalopathie réversible peut s’observerdans les 3 jours suivant l’administration d’ifosfamideà fortes doses ou de méthotrexate à fortes doses.

Toxicité rénale

Le cisplatine, produit à élimination rénale,administré sans précaution d’hydratation, entraînedans les 8 jours une insuffisance rénale aiguë dontl’étiologie est une nécrose tubulaire aiguë. Lameilleure prévention de ce type de toxicité estd’administrer le cisplatine en l’encadrant d’unepréhydratation d’au moins 1,5 L de sérum en aumoins 6 heures, et d’une posthydratation sur aumoins 12 heures de 2 L de sérum. Le patient doit,dans les jours qui suivent, boire correctement.

L’ifosfamide induit également une tubulopathied’intensité modérée et d’expression le plus souventbiologique (protéinurie, glycosurie, aminoacidurie,chlorurie).

La mitomycine C est capable d’induire dessyndromes de type hémolytique et urémique, depronostic en général réservé.

Toxicité hépatique

De nombreux cytostatiques induisent desmodifications biologiques hépatiques.

Le méthotrexate à fortes doses (plus de 5 g/m_)peut entraîner en revanche des hépatitessymptomatiques.

‚ Toxicités retardées

Alopécie

L’alopécie est toujours réversible à l’arrêt dutraitement, sauf en cas d’irradiation céphaliqueconcomitante à la chimiothérapie. Son intensitédépend du cytostatique en cause.

Les anthracyclines et les dérivés de la pervenchesont des alopéciants forts, alors que la fotémustineou le thiotépa ne font pas tomber les cheveux.

L’utilisation du casque réfrigéré en coursd’administration des produits alopéciants permettraitau moins de retarder la chute des cheveux. Sonutilisation est mal tolérée dans un cas sur deux.

Toxicité cardiaque chronique

Les anthracyclines dans leur ensemble (avec lanuance de la mitoxantrone, beaucoup moinscardiotoxique) peuvent induire de façon trèsretardée une insuffisance cardiaque congestivegrave. Son apparition est progressive et sondéveloppement lent.

Le meilleur traitement préventif consiste à ne pasdépasser les doses cumulées suivantes (tableau III) :

– adriamycine : 550 mg/m_ (et 300 mg/m_ siantécédent d’irradiation thoracique) ;

– épirubicine : 900 mg/m_.Le dexrazoxane, nouvel agent protecteur, peut

être administré en même temps que l’anthracycline.Il serait capable de doubler les seuils de la dosecumulée à ne pas dépasser.

Le traitement de l’insuffisance cardiaqueconstituée est symptomatique : cardiotonique,diurétiques.

Toxicité pulmonaire

La bléomycine peut provoquer, de façon trèsretardée, une fibrose pulmonaire de physiopatho-logie controversée. Cette affection est sournoisedans son évolution et complètement irréversible unefois constituée. Le pronostic vital est menacé dans uncas sur deux. Le seul signe annonciateur est la baissede la diffusion libre du monoxyde de carbone enexploration fonctionnelle respiratoire. Le seuil de ladose cumulée à ne pas dépasser est 300 mg/m_,sous peine de voir apparaître la symptomatologiepulmonaire. Le traitement est symptomatique :oxygénothérapie et corticoïdes.

La mitomycine C, le méthotrexate et certainesnitroso-urées induisent parfois de façon retardée despneumopathies immunoallergiques de pronosticmoins sombre.

Toxicité neurologique

Les taxanes, le cisplatine, l’oxaliplatine et lespoisons du fuseau induisent des neuropathiessensitivomotrices des extrémités, et parfois uneneuropathie végétative. L’administration de cesproduits est en général arrêtée ou modulée lors del’apparition de la symptomatologie neurologique.Ces neuropathies sont très partiellement réversiblessous vitaminothérapie B1 B6.

Tableau III. – Seuil de dose cumulée à ne pasdépasser.

Agents Seuil Risque

Adriamycine 550 mg/m_ Cardiotoxicité

Épirubicine 900 mg/m_ Cardiotoxicité

Cisplatine 1 000 mg/m_ Insuffısancerénalechronique

Bléomycine 150 mg/m_ Fibrosepulmonaire

2-0140 - Chimiothérapie antitumorale

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Le cisplatine présente également un tropismepour le nerf auditif. Tout patient sous cisplatine doitavoir un audiogramme de référence puis un suivipar audiogramme.

Toxicité rénale

Au-dessus d’une dose cumulée de 1 000 mg/m_de cisplatine, une insuffisance rénale chroniqueprogressive apparaît. Son mécanisme estglomérulaire. Elle est irréversible. En revanche, sondegré de gravité ne nécessite que très rarement unedialyse de routine.

Mutagenèse, stérilité

La quasi-totalité des antimitotiques estpotentiellement mutagène ou tératogène. Lagrossesse ou la procréation sont formellementdéconseillées en période de chimiothérapie.

En revanche, chez la femme enceinte, certainesdrogues à gros poids moléculaire ne passent pas labarrière placentaire. Les anthracyclines et les poisonsdu fuseau sont utilisés dans ce contexte. Il ne fautpas en revanche administrer les cytostatiques enpériode périnatale en raison du risque de passage àl’enfant lors de la délivrance.

La plupart des agents induisent également unestérilité en général réversible, se traduisant par uneoligospermie. Tout sujet masculin jeune doitactuellement pouvoir bénéficier, avant sa premièrecure de chimiothérapie, d’un prélèvement et d’uneconservation de sperme.

Leucémogenèse

L’utilisation de certains alkylants et du VP16augmente le risque relatif de second cancer,essentiellement les leucémies et les syndromesmyéloprolifératifs.

Immunodépression, infection opportuniste

La fludarabine, agent antimétabolite indiquéessentiellement dans les syndromes myéloprolifé-ratifs chroniques, fait baisser le taux des lymphocytesCD4 de façon itérative, induisant ainsi un syndromed’immunodéficience acquise réversible, cependantrarement symptomatique.

Par ailleurs, l’ensemble des drogues à caractèremyélotoxique administrées à doses habituellesinduisent également des lymphopénies itératives. Iln’est donc pas rare de constater certaines infections

opportunistes classiques (aspergillose, pneumo-cystose, toxoplasmose cérébrale, candidosesystémique) chez le sujet grandement prétraité.

Dans les situations d’intensification thérapeutiqueavec ou sans support hématologique, ainsi que dansles traitements d’induction des leucémies aiguës, lesaplasies sont très prolongées et peuvent donner lieuaux infections opportunistes ou virales (Herpèsvirus,Cytomégalovirus).

■Conclusion

La durée d’administration des protocoles dechimiothérapie a tendance à se réduire car lesmodalités d’administration des drogues les plusrécemment apparues se simplifient. Par conséquent,les périodes d’intercure à domicile sont plus longues.Le médecin généraliste a donc un rôle privilégiédans le suivi du patient et des effets secondaires destraitements. Il peut alerter en cas de toxicité. Il est lerelais indispensable de proximité pour des patientsdont le maintien à domicile, lorsqu’il est possible,constitue un élément essentiel de préservation de laqualité de vie.

David Coeffıc : Praticien hospitalier.Eric-Charles Antoine : Chef de clinique-assistant.

David Khayat : Professeur des Universités, praticien hospitalier, chef de service.Service de cancérologie, groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière, 47-83, boulevard de l’Hôpital, 75651 Paris cedex 13, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : D Coeffıc, EC Antoine et D Khayat. Chimiothérapie antitumorale.Encycl Méd Chir (Elsevier, Paris), AKOS Encyclopédie Pratique de Médecine, 2-0140, 1998, 7 p

R é f é r e n c e s

[1] Khayat D, Waxman J, Antoine EC. Cancer chemotherapy treatment protocols.Blackwell and Science, 1998

[2] De Vita VT, Hellman S, Rosenberg SA. Cancer: Principles and practice ofoncology. Philadelphia : JB Lippincott, 1996

[3] Khayat D, Rixe O. Chimiothérapie anticancéreuse, protocoles et traitementsdes effets secondaires. Arnette, 1994

Chimiothérapie antitumorale - 2-0140

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Dépistages et préventions

utiles en cancérologie

M Gozy, EC Antoine, G Auclerc, D Nizri, D Khayat

L e cancer représente dans nos pays industrialisés la première cause de mortalité. Il faut bien se rendre àl’évidence que les efforts thérapeutiques déployés jusqu’à présent n’ont pas enrayé cette progression. Les

causes sont multiples mais on peut incriminer l’augmentation de la durée de vie, l’exposition au tabac et certaineshabitudes alimentaires. Beaucoup d’espoirs reposent donc sur le dépistage et la prévention. Nous verrons dans cetarticle que tous les cancers ne s’y prêtent pas et que pour être conduites avec succès ces démarches requièrentl’engagement des pouvoirs publics, des personnels médicaux et surtout de la population. Enfin nous envisagerons lapossibilité que la chimioprévention devienne l’une des armes thérapeutiques de l’avenir.© Elsevier, Paris.

■Introduction

Les principaux moyens thérapeutiques mis enœuvre dans la lutte contre le cancer n’ont pas réussi,hormis pour certaines localisations rares, à fairereculer ce fléau. Les cancers sont devenus lapremière cause de mortalité aux États-Unisdevançant ces dernières années les maladiescardiovasculaires. En France, nous retrouvons cettesituation chez les hommes. Cinq pays d’Europe duNord : la Suède, le Danemark, la Finlande, laNorvège et l’Islande ont estimé, qu’en 2005, lamortalité par cancer augmenterait de 23 % enl’absence d’intervention. En revanche le dépistage etla prévention pourraient réduire de près de 40 %l’incidence pour certaines localisations. Leprogramme « l’Europe contre le cancer » qui a étéinitié en 1985 préconise des mesures de préventionprimaire : suppression du tabagisme, réduction de laconsommation d’alcool, consommation de fruits, delégumes et céréales, modification de l’exposition ausoleil. On le voit, beaucoup d’espoirs sont suscitéspar la prévention secondaire ou dépistage mais cesprogrammes doivent être conduits de façonrigoureuse pour pouvoir induire une diminutiond’incidence et de mortalité.

Après avoir exposé la méthodologie et les outilsnécessaires à de telles actions, nous envisagerons lestypes de cancers pouvant se prêter au dépistage et àla prévention. Enfin nous approfondirons la notiond’utilité en terme de dépistage et nous poserons laquestion de savoir si la prévention peut devenir untraitement des cancers.

■Coût des cancers

Les maladies chroniques comme le canceroccupent dans nos sociétés une place prépondé-rante. La disparition des maladies infectieuses, levieillissement des populations et les changementsdes habitudes de vie en sont les principales causes.

Les études sur les coûts médicaux montrent qu’untiers des ressources affectées par habitant estdépensé dans les derniers mois de sa vie. Tous cesfacteurs associés montrent que la part des dépensesde santé ne cessera de croître dans les années 2000.Aux États-Unis, le coût direct du cancer a été estiméen 1990 à 104 milliards de dollars (35 milliards dedépenses médicales, 12 milliards par diminution deproductivité des patients, 57 milliards par décès).

La communauté médicale et les pouvoirs publicssont interpellés par une équation de plus en plusdifficile à élaborer, entre un coût de la maladie enaugmentation constante et des ressources qui nesuivent pas le même rythme. Traiter le cancer danssa phase débutante et recourir au dépistage et à laprévention représentent l’alternative des années àvenir.

■Critères nécessaires pour

le dépistage des cancers

Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS),le dépistage constitue l’un des domaines del’épidémiologie d’intervention et s’intègre dans lesactions de prévention secondaire (tableau I).

Il s’agit d’une intervention consistant à séparerdans une population apparemment en bonne santéet au moyen d’un test simple, les personnesprobablement atteintes d’un cancer (ou d’une lésionprécancéreuse) des personnes probablementexemptes. Comme on le définit, le dépistage n’adonc pas pour objectif de poser un diagnostic maisde proposer aux personnes positives, une séried’examens complémentaires diagnostiques etthérapeutiques. Les résultats se jugent sur ladiminution de la mortalité ou de l’incidence. Nous leverrons, le dépistage est une expérience difficile quinécessite une méthodologie rigoureuse ainsi que lerespect de contraintes techniques, sociologiques,éthiques et économiques. Plusieurs critères doiventêtre examinés avant de se lancer dans unecampagne de dépistage.

‚ Critères liés au cancer

L’OMS a défini pour le cancer à dépister desprincipes à respecter : le cancer doit représenter unemenace grave pour la santé publique par safréquence et/ou sa gravité. Il est de plus nécessairede disposer de moyens diagnostiques etthérapeutiques efficaces et acceptables au stadeprécoce de la maladie. Enfin, il faut qu’il soitdécelable pendant sa phase de latence ou au débutde sa phase clinique. Cela signifie que les chances deguérison sont meilleures au stade précoce de lamaladie. Nous pourrions ajouter qu’il est nécessaireque la population soit sensibilisée à la gravité ducancer dépisté.

‚ Critères liés au test de dépistage

Le test de dépistage proposé doit posséder denombreuses qualités. Il doit être simple d’utilisation,non dangereux, reproductible chez la mêmepersonne et entre les observateurs. L’utilisation dutest repose sur le volontariat, seule garantie d’untaux de participation élevé. Enfin, il faut que son coûtsoit modéré et que sa validité soit reconnue. Oncaractérise un test de dépistage par sa sensibilité, saspécificité et sa valeur prédictive (tableau II).

Tableau I. – Prévention primaire, secondaire ettertiaire.

Prévention primaire

Tous les actes destinés à diminuer l’incidenced’une maladie dans une population en réduisant lerisque d’apparition des nouveaux cas

Prévention secondaire

Tous les actes destinés à diminuer la prévalenced’une maladie dans une population en réduisantl’évolution et la durée

Prévention tertiaire

Tous les actes destinés à diminuer la prévalencedes incapacités chroniques dans une population enréduisant au minimum les invalidités fonctionnellesconsécutives à la maladie

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Avant de lancer une campagne de dépistage, ondoit s’interroger sur le nombre potentiel de testspositifs et parmi ceux-ci sur le nombre de fauxpositifs. La proportion de malades parmi les sujetspositifs est la valeur prédictive positive (VPP) etinversement la proportion de sujets sains parmi lessujets négatifs est la valeur prédictive négative (VPN).On conçoit aisément que les valeurs prédictivesdépendent du nombre de cancers dans lapopulation, c’est-à-dire de la prévalence dans lapopulation dépistée. Plus la prévalence est élevée,plus la VPP est forte. L’effet de la prévalence sur lesperformances d’un test justifie la nécessité de ciblerle dépistage sur des populations à risque élevé(souvent repéré par des limites d’âge) comme parexemple le dépistage du cancer du sein chez lesfemmes de plus de 50 ans.

‚ Efficacité et efficience du dépistage

Contrairement aux actions thérapeutiques, ledépistage a une obligation de résultats. On ne peutpas mener des actions de grandes envergures,coûteuses pour la société, sans espoir de diminuer lamortalité ou l’incidence du cancer considéré.L’évidence de l’efficacité doit être démontrée aumieux par des essais cliniques contrôlés ou à défaut,par un faisceau d’arguments convainquants (étudesde cas- témoins , tendances temporel les ,comparaisons géographiques).

Actuellement, seuls les dépistages de masse ducancer du sein et du col de l’utérus ont montré unediminution de la mortalité. Pour le sein, l’efficacitéde la mammographie de dépistage a été démontréepar des essais contrôlés. Dans le groupe« dépistage », on a assisté à une diminution de 30 %de la mortalité chez les femmes de 50 à 69 ans [1, 9].

Pour le cancer du col de l’utérus, il existe desfaisceaux d’arguments concordants (existence d’unedysplasie préalable au cancer, autres facteurs derisques) qui ont permis de lancer les campagnes dedépistage obtenant des réductions d’incidence et demortalité de l’ordre de 90 % [2].

Depuis la publication des travaux de Kind et al, ona introduit aussi bien dans les actions thérapeutiquesque pour les situations de dépistage, la notion du

prolongement de la vie ainsi que celle de la qualitéde vie [3]. Le concept de cette analyse est le QALY(quality adjusted life year), défini comme le nombred’années de vie en parfaite santé. Ce qui revient àassocier le nombre d’années de vie gagnées à uncoefficient de qualité (≤ 1). En cancérologie, lesparamètres les plus souvent pris en compte sontl’état physique, la capacité à se livrer à une activitéprofessionnelle, la permanence d’un traitement, lesséquelles psychologiques, etc. Les résultats desévaluations économiques sont quelques foisexprimés en coût par année de vie sauvée ou coûtpar QALY ou encore coût par cancer évité.

‚ Rapport coût/bénéfice

En pratique, on compare le plus souvent lesrésultats d’un dépistage organisé à une situationsans dépistage. Mais à l’échelle d’une campagne dedépistage il faut tenir compte du décalage temporelentre les coûts immédiats (coûts médicaux directs, lescoûts indirects, les coûts intangibles) et les coûtsmédicaux évités.

‚ Coûts médicaux directs

Il s’agit des charges liées à la mise en place et aufonctionnement du programme de dépistage.

‚ Coûts indirects

Ce sont les conséquences induites par leprogramme de dépistage comme l’absence autravail, le transport et le temps passé par chaquepersonne pour effectuer son dépistage. Il est souventdifficile de les quantifier.

‚ Coûts intangibles

Ils représentent les conséquences sociales oupsychologiques induites par le dépistage. Il s’agit del’anxiété générée par l’attente des résultats, dudanger ou de la douleur provoqués par les examenscomplémentaires chez les faux positifs.

Les coûts intangibles peuvent être appréciés pardes questionnaires de qualité de vie, mais leurnature subjective rend leur monétarisation aléatoiresi bien qu’ils ne sont pas pris en compte le plussouvent dans l’évaluation économique du dépistage.

‚ Coûts médicaux évités

C’est la résultante espérée du dépistage deslésions précancéreuses ou des cancers débutants.L’effet se mesure par la diminution du nombre decancers incidents ou du nombre de cancers précocesdépistés. Les études pilotes permettent d’estimer cegain avant de se lancer dans un dépistage à grandeéchelle. Par exemple, en France, ce type d’analyse aestimé que le dépistage du cancer du col tous les 3ans coûterait 773 millions de francs et permettrait deréduire la mortalité de 910 décès par an, soit850 000 francs par décès évité ou année de viegagnée.

‚ Organisation et suivi du dépistage

Ces deux critères sont fondamentaux pour bienconduire une campagne de dépistage. Une perted’efficacité peut survenir en cas d’insuffisance decouverture de la population cible, un défaut despratiques médicales ou par un suivi insuffisant. Il estimportant d’assurer une formation des acteurs desanté en ce qui concerne les modalités pratiques dudépistage et sur les suites à donner en cas de testpositif (orientation des patients vers des centres dediagnostics et de traitements). Cette assurance dequalité est gérée par une structure de coordination etde suivi. Il lui faut assurer un contrôle de qualité de laperformance médicale (exemple : double lecture desmammographies), des techniques (exemple :contrôle du taux d’irradiation des mammographes etqualité des films) et de l’organisation de lacampagne elle-même ; le but étant de diminuer lenombre de faux positifs, source d’examens inutiles etdonc de surcoût. En plus des actions définies plushaut, elle se charge du recueil des données et de lacirculation des informations entre les partenaires.

‚ Causes d’échecs possibles

Les causes sont nombreuses. Il peut s’agir d’uneinsuffisance de participation des populations ciblesqui doit être d’au moins 60 %. Par exemple, alorsque le frottis constitue un excellent test de dépistageet que son nombre par année est élevé, on note uneaugmentation globale de l’incidence du cancer ducol en Angleterre. L’explication tient en partie aumanque de fréquentation des jeunes femmes auxcampagnes de dépistage. Il peut s’agir aussi d’unmanque de sensibilité du test lui-même ou en cas debonne sensibilité d’un manque de régularité dans saréalisation. Enfin il peut s’agir d’un défaut de prise encharge des anomalies découvertes.

‚ Dépistage de masse ou dépistageindividuel

La comparaison dans les pays nordiques(Finlande, Suède, Norvège, Danemark, Islande) entreun dépistage individuel à la demande et undépistage de masse organisé a montré une plusgrande réduction de la mortalité due au cancer ducol utérin chez les femmes de plus de 50 ans avec ledépistage organisé. On met souvent en opposition ledépistage de masse et le dépistage individuel prescrità la demande où tout est fait pour parvenir audiagnostic. Grâce au dépistage de masse, il estpossible de connaître constamment les résultats etsuivre les progrès accomplis. Mais il n’est pas certainqu’il puisse toucher les personnes qui échappaientdéjà au dépistage comme par exemple les femmesde bas niveau socioéconomique pour lescampagnes contre le cancer du sein. D’un autre côtéil faut tenir compte de la situation actuelle du

Tableau II. – Indicateurs d’un test de dépistage.

Malades Non malades Total ligneTest positif VP (vrais positifs) FP (faux positifs) VP + FP

Test négatif FN (faux négatifs) VN (vrais négatifs) FN + VN

Total colonne VP + FN FP + VN VP + FP + FN + VN(total de la population)

VPVP + FN × 100 = sensibilite ~ en % !

C’est la proportion de tests positifs chez les personnes malades

VNVN + FP × 100 = specificite ~ en % !

C’est la proportion de tests négatifs chez les sujets sains

VPVN + FP × 100 = valeur predictive positive (VPP) ~ en % !

C’est la proportion de sujets vraiment atteints parmi les positifs du test

VNVN + FN × 100 = valeur predictive negative (VPN) ~ en % !

C’est la proportion de sujets vraiment indemnes parmi les négatifs au test

2-0110 - Dépistages et préventions utiles en cancérologie

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dépistage individuel effectué par les médecinstraitants ou les spécialistes d’organes, qui a produitsuffisamment de bons résultats, même s’ils sontdifficilement évaluables. N’avons-nous pas en tête lapolémique sur l’âge des femmes qui pourraientbénéficier d’une mammographie ou celui de lafréquence des frottis ? Il faut donc concevoir qu’unecampagne de masse n’a d’intérêt que si elle nestérilise pas la surveillance individuelle.

■Cancer du sein

‚ Situation épidémiologique et politiquesde prévention

Le cancer du sein est à l’échelle mondiale lecancer le plus fréquent chez la femme, avec environ700 000 nouveaux cas par an et plus de 300 000décès annuels. Son incidence augmente dans tousles pays. En Europe, il existe un gradient nord-sud,avec des incidences beaucoup plus élevées dans lenord (pays scandinaves et Royaume-Uni). En France,le cancer du sein est responsable d’environ 11 000décès annuels pour 30 000 cas incidents. Nousl’avons vu, la mammographie tous les 2 ou 3 anspermet de réduire la mortalité de 30 % chez lesfemmes de 50 à 69 ans [1, 9].

‚ Apports des expériences de dépistage

L’essai randomisé suédois ayant enrôlé 282 777femmes de 40 à 77 ans avec un suivi entre 5 et 13ans montre que la mammographie tous les 2 ansinduit une diminution de la mortalité uniquementdans les tranches d’âge 50-59 ans et 60-69 ans [9].

En revanche, l’étude randomisée américaineayant recours à une mammographie annuelle chez31 000 femmes âgées de 40 à 60 ans montre unediminution de la mortalité de 25 % dans la tranched’âge 40-49 ans à 10 ans du dépistage. Ce bénéficereste significatif à 20 ans. Elle confirme par ailleurs lebien-fondé du dépistage pour les femmes de 50 à 69ans [8].

‚ Option française en matièrede dépistage

En France, le cancer du sein est découvert dans85 % des cas par autopalpation, à un stadeconsidéré comme avancé, c’est-à-dire au-delà de2 cm. C’est ainsi que dès 1988, quelques opérationspilotes départementales ont débuté. En 1993, leministre de la Santé a décidé d’étendreprogressivement le dépistage à l’ensemble du payset un Comité national de pilotage de dépistage (CNP)a été créé au sein du ministère de la Santé (Journalofficiel du 15 Juin 1994).

Les modalités du programme de dépistage sontinscrites dans un cahier des charges : l’unitégéographique est le département. Le dépistages’adresse à toutes les femmes de 50 à 69 ans. Laméthode de dépistage utilise la mammographieselon une seule incidence oblique externe.L’intervalle entre deux mammographies est de 3ans. En 1997, 20 départements développent unprogramme de dépistage systématique. Ceprogramme s’adresse à une population de1 700 000 femmes soit à peu près un tiers de lapopulation féminine de 50 à 69 ans. Les indicateursd’évaluation du programme sont ceux reconnus parle programme « Europe contre le cancer » (tableau III).

Les taux de participation pour la premièremammographie atteignent en France pour lesmeilleurs programmes 53 %. À 3 ans, c’est-à-direaprès la première campagne, ces taux tombent à26 % en moyenne (11 à 42 %). Cependant, encomptant les femmes ayant recours au dépistageindividuel, on estime que le taux dépasserait 60 %dans beaucoup de départements.

‚ Système français et autres

Après 9 ans d’application, les résultats duprogramme de masse sont à la hauteur des normeseuropéennes, si bien que le dépistage organisédevrait s’étendre à tout le territoire en l’an 2000. Lapolémique cependant reste vive sur l’âge du débutdu dépistage depuis les dernières publicationsfaisant état du bénéfice de la mammographieannuelle pour les femmes de 40 à 49 ans. De même,la fréquence triennale semble insuffisante parrapport aux études suédoises où le dépistagebiennal est appliqué à l’ensemble de la population(tableau IV). Les négociations avec les caisses sonttoujours en cours sur le nombre de clichésnécessaires. Doit-il y avoir deux incidences comme lepréconisent beaucoup de radiologues ou une seuleincidence oblique externe comme le pensent lescaisses d’assurance maladie ?

‚ Prévention et chimiopréventiondu cancer du sein

L’incidence du cancer du sein augmente de 1 %par an dans le monde occidental. Malheureusement,40 % des patientes présentant un cancer du seinvont mourir de leur maladie. Si on estime que25 000 cancers du sein sont diagnostiqués tous lesans en France et que chaque cancer évolue pendantenviron 8 ans avant d’être radiologiquementperceptible, on peut estimer qu’i l existeconstamment 200 000 cancers du sein infraradiolo-giques. Les facteurs de risques sont connus.

De nombreux essais randomisés ont montré dansces cas une diminution de 40 % du risque grâce à laprescription du tamoxifène.

Trois essais (américain, britannique, italien)thérapeutiques de prévention basés sur la prise detamoxifène ont donc débuté. Les résultats serontpubliés dans les années à venir. En France, pour denombreuses raisons, un tel essai ne sera pas conduit(absence de réflexion de fond sur l’éthique de laprévention primaire en cancérologie, problèmes deresponsabilités médicolégales non résolus, choix dutamoxifène et critères de définition de la populationcible).

■Dépistage du cancer du col

de l’utérus

De nombreuses études réalisées dans le mondeont montré que le dépistage du cancer du col del’utérus par le frottis était remarquablement efficace.Un dépistage qui commencerait à 25 ans, àcondition d’une participation de 100 % des femmes,selon un rythme annuel, s’accompagnerait d’unediminution de l’incidence cumulative de 93,5 %. Si cedépistage était triennal, la diminution de l’incidenceserait de 90,8 %. Il est vrai que le frottis annuel dèsles premiers rapports sexuels est certainement leplus efficace des tests, mais il a comme inconvénientd’une part d’avoir des coûts très élevés, et d’autrepart d’augmenter les effets délétères paraugmentation du nombre de faux positifs. En France,le fait de recourir au dépistage annuel, à conditiond’une participation de 100 %, provoquerait unsurcoût de 1 439 millions de francs pour éviter 20décès de plus. Le coût moyen par décès serait de2,38 millions de francs, alors qu’il ne serait que de0,85 million pour un frottis triennal. L’efficacité dudépistage annuel par rapport au triennal serait àpeine améliorée de 2 %. En poursuivant les calculs eten considérant d’une part l’épidémiologie française(rareté des cancers du col avant 25 ans) et d’autrepart les coûts (coût de la consultation, coûts du suivides frottis pathologiques, faux positifs, coût destraitements des lésions qui régressent spontané-ment...), 500 millions de francs seraient nécessairespour éviter deux décès supplémentaires avec undépistage annuel plutôt que triennal [7].

En France, l’effort du dépistage doit porter sur lacouverture de la population cible plutôt que sur lafréquence du dépistage. Un tiers des femmes de 25 à65 ans n’ont pas ou trop irrégulièrement de frottisalors que la majorité d’entre elles ont des frottis troprapprochés. La mise en place d’un dépistageorganisé dans le cadre des structures existantes

Tableau III. – Dépistage du cancer du sein.Indicateurs et valeurs de référence.

Indicateurs de qualité(première mammographie) Référence

Taux de participation > 60 %Taux de tests positifs 7 %Valeur prédictive positive du test 10 %Taux des biopsies < 1,5 %Valeur prédictive positive desbiopsies

> 50 %

Taux de détection des cancers > 0,5 %Taux de détection invasifs≤ 10 mm > 25 %Taux des cancers d’intervalle(à 12 mois)

< 0,6 %

Tableau IV. – Bénéfice du dépistage de massedes cancers du sein.

1 000 femmes

7,8 % feront un cancer du seinau cours de leur vie

78

45 % des cancers sontdiagnostiqués entre 50 et 69 ans

35

40 % des femmes atteintesmourront de leur cancer

14

60 % de participation audépistage

8,4

30 % de réduction de lamortalité grâce au dépistage

2,5

Facteurs de risques du cancer du sein✔ Âge.✔ Antécédents familiaux de cancer dusein.✔ Antécédent personnel de cancer dusein (risque multiplié par 3 à 5).✔ Ménarchies longues (règlesprécoces, ménopauses tardives).✔ Première grossesse après 30 ans.✔ Certaines mastopathieshyperplasiques.

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comme il a été instauré pour le cancer du seinentraînerait un coût de 150 millions de francs par an.Parallèlement cette structure permettrait de diminuerde plus de 500 millions de francs le taux deremboursement actuel. Ce qui donne une économiede l’ordre de 350 millions de francs par an avec unemeilleure efficacité du dépistage.

■Dépistage et prévention

du cancer du côlon

Le cancer colorectal est, par ordre de fréquencedans le monde, le quatrième cancer pour les deuxsexes confondus. Il se situe après le cancer dupoumon et de l’estomac chez l’homme et après lecancer du sein et du col utérin chez la femme. Sonpronostic reste mauvais, avec un taux de survie à 5ans de l’ordre de 40 % en Europe malgré les progrèsthérapeutiques récents.

Les polypes adénomateux de plus de 1 cm dediamètre constituent les vraies lésions précancé-reuses : un quart à un tiers deviennent des cancers.En revanche, le risque est faible pour les adénomesinférieurs à 1 cm de diamètre (2 à 3 % de risque). Larecherche de saignement occulte fécal constitue lemoyen le plus simple pour effectuer un dépistagedes cancers colorectaux. La coloscopie et lelavement baryté qui sont au demeurant de bonsexamens diagnostiques ne peuvent être proposésdirectement pour un dépistage parce qu’ils sont tropcontraignants et que leur coût à cette échelle seraitprohibitif. La rectoscopie ou la sigmoïdoscopiepourraient constituer une bonne alternative puisqu’iln’y a pas besoin d’une préparation digestiveimportante et que plus de la moitié des cancerscolorectaux touchent le rectos igmoïde .Malheureusement, l’adhésion de la population à cegenre d’examen est encore loin d’être acquise. Larecherche d’un saignement occulte a donc étéproposée comme test de sélection. En moyenne, larecherche est positive chez 2 % des sujets de plus de45 ans, ce qui est le reflet de l’incidence de lapathologie. D’autres tests de recherche desaignements occultes existent. Certains ont proposél’association d’un test plus sensible mais moinsspécifique (Hémocultt Sensa) confirmé par un autretest immunologique (Hémoselectt). Mais cetteméthode paraît inadaptée au dépistage de masse enraison des conditions difficiles de prélèvement et deson coût.

‚ Participation et acceptation du test

La participation dans les pays nordiques aprèsune sollicitation par envoi postal du test est de 65 %alors qu’il est de 20 % en France. En France,l’intervention du médecin généraliste qui propose letest montre que 85 % des tests remis sont effectués,et le score de participation s’améliore au fil desannées, à l’inverse des pays nordiques où lesreconvocations sont postées.

‚ Résultats du dépistage chez lesvolontaires (tableau V)

Les études randomisées de Mandel et al, ainsi quecelle de Winawer et al, confirment les résultats desétudes de cas témoins. Il est possible, grâce audépistage, de réduire de 30 % environ la mortalité.Cependant, il faut examiner plus attentivement cesrésultats. Dans l’étude de Mandel et al, le test était

réhydraté, ce qui donnait un test positif dans 10 %des cas au lieu des environ 2 % attendus. Le nombrede coloscopies de contrôle a été important, ce qui afait dire que le véritable dépistage se faisait par cetexamen. De façon générale, de nombreux biaislimitent la portée de ces études s’adressant à desvolontaires car il s’agit souvent d’une population àbas risque, soucieuse de sa santé. L’étude danoise deKronborg, avec un suivi de 10 ans pour unepopulation de 61 933 personnes, montre uneréduction de la mortalité dans le groupe dépisté. Ladifférence en survie s’explique par le pourcentageplus important de cancer Dukes A dans le brasdépisté. Les résultats de l’étude française serontdisponibles dans 2 ans. Par ailleurs, des études sonten cours pour tester l’association de l’Hémoculttavec la rectosigmoïdoscopie.

‚ Peut-on pour autant parler de dépistagedans le cancer colorectal ?

Pour les Américains notamment, il n’est pasprouvé que le dépistage tel qu’il est présenté dansces études engendre réellement une baisse demortalité. Les échantillonnages restent imparfaits :volontaires dans certaines études, personnesd’univers géographiques différents pour d’autres. Onle sait, le cancer colorectal reste longtempsasymptomatique, ce qui, tout en constituant un boncritère pour être dépisté, peut faire pencherfaussement la balance en faveur d’un bénéfice d’unecampagne de dépistage. La survie comptabilisée dèsle diagnostic peut être artificiellement allongée. Ledépistage idéal serait celui des polypes, ce que ne faitpas l’Hémocultt. La coloscopie, seul examenefficace, ne peut pas pour autant être proposéesystématiquement car elle est trop onéreuse (coûtdirect de l’examen, par la préparation et la journéed’arrêt de travail) et comporte un risque deperforation de 1/1 000 ainsi qu’un risque lié àl’anesthésie. En Europe, seule l’Allemagne propose

annuellement à la population de plus de 40 ans,depuis 1977, un Hémocultt et un toucher rectal (TR).Les autres pays ne recommandent pas encore depolitique nationale, en attendant les résultatsd’autres études randomisées.

‚ En attendant le dépistage de masse,il faut proposer un dépistage auxpersonnes considérées à risque

‚ Prévention primaire du cancer colorectal

D’après les données de l’épidémiologiedescriptive et analytique, un groupe d’expertsaméricains a défini certaines règles alimentairespréventives. La consommation de graisses doit êtrebasse, n’excédant pas 20 % de la ration calorique. Ilfaut diminuer le plus possible les graisses animalesau profit des graisses végétales. Les repas doiventêtre équilibrés et comporter des fruits, des légumes,des graines céréalières et du pain. La ration

Tableau V. – Études d’évaluation de l’efficacité du dépistage par endoscopie ou Hémocultt sur lamortalité par cancer colorectal.

Auteurs Type d’études Moyens de dépistage Acceptabilité Diminutionde la mortalité

Mandel[5] randomisée H réhydraté annuel volontaires 33 %Winawer[10] randomisée H + S volontaires 43 %Kronborg [4] randomisée H tous les 2 ans 67 % 21 %

S : sigmoïdoscopie ; H : Hémocultt.

Test HémoculttLe test est constitué d’un papier réactif imprégné de guaïac, situé dans une plaquetteen carton. Au moyen d’une spatule, le sujet étale sur le disque de papier un petitfragment de selles fraîchement émises. On propose de faire deux prélèvements endeux endroits différents de la selle et de faire le test sur trois selles consécutives (ilexiste un cadre pour chaque prélèvement). Les plaquettes sont conservées à latempérature ambiante et envoyées le plus rapidement possible au centre de lecture.En France, aucun régime n’est prescrit avant le test. Il est possible de se laver lesdents sans risque de faux positifs mais on recommande de pas absorber de vitamineC ou d’aspirine. Le test est lu sans réhydratation (risque de faux positifs). Larévélation se fait par adjonction de quelques gouttes d’une solution alcoolique d’eauoxygénée. Une réaction positive se traduit par une coloration bleue apparaissant enmoins de 60 secondes. La lecture est instantanée car la coloration disparaîtrapidement, ce qui rend impossible les contrôles de qualité a posteriori.

Pathologies ou prédispositionshéréditaires engendrant un cancercolorectal✔ Polypose rectocolique familiale.✔ Familles atteintes sans polypose(syndromes de Lynch I et Lynch II).✔ Antécédent de cancer coliquefamilial sporadique.✔ Femmes ayant un cancer del’ovaire, du corps de l’utérus, dusein avant 45 ans.✔ Antécédent personnel d’adénome.✔ Antécédent personnel de cancercolique (cancer métachrone).✔ Rectocolique hémorragique etmaladie de Crohn (risquecontroversé).

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quotidienne de fibres doit être d’au moins 25 g/j.Bien sûr, il faut combattre l’excès pondéral et ne pasfumer tout en préservant une activité physique.

■Dépistage du cancer

de la prostate

Son incidence dans la population est élevée et ilreste longtemps localisé à la prostate permettant untraitement locorégionnal. Nous avons de plus lesmoyens d’un diagnostic précoce par le recours auTR, l’échographie prostatique et le dosage du PSA(antigène prostatique spécifique). Cependant, nousallons le voir, alors que les campagnes de dépistagede masse n’ont jusqu’à présent pas montré debénéfice, le cancer de la prostate fait l’objet d’undépistage individuel massif. Cette situation peut êtrecomparée à celle du cancer du sein avantl’instauration des grandes campagnes de dépistagede masse par la mammographie.

Les chiffres d’incidence sont éloquents : laprobabilité de développer un cancer de prostatechez les hommes américains est d’un sur six(15,4 %). Il s’agit de la deuxième cause de mortalitépar cancer chez l’homme après le cancer dupoumon (7 200 décès annuels en France et plus de40 000 aux États-Unis). Son incidence augmenteconsidérablement par tranches d’âge : elle estpratiquement nulle avant 40 ans, puis elle s’accroîtrapidement pour atteindre 50/100 000 à 60 ans,200/100 000 à 70 ans en France. Dans notre pays,l’incidence moyenne reste intermédiaire entre leschiffres de 100/100 000 chez les Noirs-Américains et3/100 000 dans les pays asiatiques (Japon).L’incidence est exponentielle à partir de 50 ans(jusqu’à 90 % des hommes âgés de plus de 80 ans).Mais pour cette pathologie il faut compter sur le faitque la majorité des cancers de la prostate restentcliniquement muets.

Outre son importance épidémiologique, le cancerde la prostate est un des sujets d’actualité exposésaux controverses depuis la découverte, dans lesannées 1970, du PSA dans le liquide séminal. En1979, on montrait sa spécificité prostatique etl’année suivante on a pu l’identifier dans le sérum. Àla fois test de dépistage, facteur pronostique, critèred’évaluation des résultats thérapeutiques, ledosage du PSA a complètement bouleversé la priseen charge du cancer prostatique. Les techniques dedosage de première génération ne faisaient pas lapart des deux fractions libre et liée, ce qui pouvaitconduire à un taux élevé de faux positifs. La plupartdes laboratoires utilisent maintenant des techniquesimmunoenzymatiques de dosage. Cependant,compte tenu des différentes méthodes de dosage etdu nombre de trousses disponibles sur le marché,une conférence de consensus a été organisée àStanford en 1995 pour définir un point PSA-étalon etpermettre le calibrage des tests.

Face au TR, le dosage du PSA détecte plus decancers prostatiques (4,6 % versus 3,2 %).L’association des deux permet de dépister 5,8 % decancers. Ces résultats sont le fruit d’une campagnemenée chez 6 630 volontaires sains de 50 ans etplus. Le TR associé au PSA détecte plus de formes

intracapsulaires que le TR seul. Le problème des fauxpositifs représentés par les adénomes n’est toutefoispas résolu. C’est pourquoi certaines équipesconsidèrent la densité de PSA, c’est-à-dire le rapportentre le taux de PSA et le volume de la prostate.Cette densité serait en moyenne de 0,04 en casd’adénome (maximum 0,12) et de 0,6 en cas decancer. Mais ces résultats ne sont pas retrouvés partoutes les équipes, certainement en raison dumanque de fiabilité et de reproductibilité de lamesure échographique. Plus récente et plusprometteuse semble être la mesure de la cinétiquedu PSA : l’élévation est plus lente en cas d’adénome(temps de doublement variant de 2 à 17 ans) qu’encas de cancer (temps de doublement de 2 ans enmoyenne).

En définitive, il est maintenant indéniable que ledépistage par le PSA permet de diagnostiquer plusde cancer intraprostatique, mais il n’est pas acquisque cela permette une diminution de la mortalitéétant donné la fréquence des formes infracliniquesdans les séries autopsiques. Pourtant dans une deses récentes publications, le NCI (Institut national ducancer américain) a annoncé que la mortalité parcancer de la prostate avait diminué de 6 % entre1993 et 1994.

Deux explications ont été avancées : la premièreest la conséquence du dépistage par le PSA dans lesannées 1980 et son résultat favorable 10 ans plustard, la seconde est l’effet de l’augmentation desprostatectomies radicales. La plupart de ces patientsavaient moins de 65 ans et on peut penser que c’estdans ce groupe que 10 ans plus tard se seraientdéveloppées les formes avancées et métastatiques.Ces arguments sont indirects et restentcontrebalancés par la meilleure gestion destraitements hormonaux dans les phasesmétastatiques. De même, le principal facteur derisque reconnu qui est la consommation de graissespar personne est en diminution aux États-Unis avecqui plus est une augmentation de la consommationd’acides rétinoïques auxquels on prête des vertusprotectrices.

Plusieurs études randomisées sont en cours afinde tester l’efficacité globale du dépistage et pourdémontrer l’efficacité d’un traitement local pour lesstades précoces. Réponse dans 10 ans !

En attendant des recommandations sur ledépistage de masse, le dépistage individuel estlargement utilisé et dans beaucoup de registres ducancer, on assiste à une augmentation de l’incidencedes formes localisées dans les tranches 50-70 ans.

■Dépistage et prévention

du cancer bronchique

Le cancer pulmonaire est la première cause demortalité aux États-Unis dans les deux sexes et chezl’homme en France. Les thérapeutiques actuellesn’ont pas permis d’améliorer significativement lepronostic (5 à 7 % de survie à 5 ans tous stadesconfondus). On conçoit qu’il est absolumentnécessaire d’envisager des moyens de dépistage etde prévention. Sur ce sujet, on fait habituellementréférence à l’étude coopérative du NCI (NCI

cooperative early lung cancer group) qui a étéeffectuée il y a plus de 20 ans. Il s’agissait de suivre30 000 volontaires masculins, âgés d’au moins 45ans considérés à risque en raison de leur tabagisme.La moitié d’entre eux avaient une analysecytologique des crachats quatre fois par mois ainsiqu’une radiographie de thorax annuelle. L’autremoitié constituait le groupe témoin. Cette vasteétude regroupait en fait trois centres dont chacunavait le choix de suivre le groupe témoin à conditionque chaque patient ait eu une radiographie dethorax au début de l’étude. Les résultats ont montréqu’il y avait plus de cancers débutants dépistés (40 %versus 15 %) et que ces patients avaient une survie à5 ans de 35 % alors qu’elle était de 15 % dans lapopulation générale. Cependant, il n’y avait pas dedifférence significative en survie globale entre lesdeux groupes de l’étude. En dépit de ces résultatsdécevants, la plupart des investigateurs restaientpersuadés de l’intérêt de ce dépistage, mais il estdifficile de le justifier à grande échelle.

La première grande étude prospective sur lesconséquences du tabagisme en terme de mortalitéglobale a démarré en Grande-Bretagne en 1951, eta été poursuivie pendant 40 ans [6].

La mortalité des sujets fumeurs est, entre 60 et 70ans, environ trois fois plus importante que celle desnon-fumeurs. Ces données vont dans le même sensque beaucoup d’autres études sur l’imputabilité dutabac vis-à-vis du cancer du poumon. Aussi, lameilleure prévention consiste à diminuer laconsommation du tabac. Les moyens sont différentsd’un pays à l’autre. Ils doivent faire coexister lesmesures dissuasives avec celles d’éducation, dans lesécoles. Nous ne pouvons les détailler dans cechapitre.

Des données expérimentales ont montré quecertaines substances pouvaient prévenir ou inhiberdans sa croissance le cancer bronchique. Il s’agitd’antioxydants (vitamine E, sélénium, bêtacarotène,N-acétyl-cystéïne) et de rétinoïdes (vitamine A et sesdérivés). Les études de chimioprévention sontfondées sur les hypothèses qu’il existe unecarcinogenèse par étape, répartie sur la surface del’épithélium exposé au tabac. Cette cancérisationmultifocale est démontrée par la présence demodifications histologiques des épithéliumsapparemment normaux chez les fumeurs. Deslésions d’hyperplasie, d’hyperkératose ou decarcinomes in situ sont souvent rencontrées àdistance des tumeurs opérées. Ces anomaliesaugmentent proportionnellement avec le tabacreproduisant les courbes d’incidence du cancerbronchique avec la quantité de tabac fumée.Malheureusement, trois études (une finlandaise, uneanglaise et une américaine) randomisées de grandeenvergure n’ont pas montré d’intérêt pour lasupplémentation en bêtacarotène et en vitamine Achez les patients fumeurs. Il n’y a pas eu dediminution du risque de décès par cancerpulmonaire par rapport aux groupes prenant unplacebo.

Les conclusions de ce chapitre sont décevantes :on ne connaît pas de moyen de dépister le cancerbronchique et les études de chimioprévention n’ontpas apporté de bénéfices. La seule préventionefficace reste pour le moment la diminution dutabagisme.

Dépistages et préventions utiles en cancérologie - 2-0110

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Page 24: Le Manuel Du Généraliste - Divers

■Dépistage et prévention d’autres

localisations cancéreuses

On regroupera dans ce chapitre les lésionscancéreuses pour lesquelles l’examen cliniqueeffectué par le médecin généraliste constitue ledépistage efficace. Il s’agit de la surveillance desgrains de beauté à la recherche d’une modificationde la taille, de la couleur, de la forme. L’exérèse doitêtre indiquée au moindre doute de peur deméconnaître un mélanome. Il en est de même pourles carcinomes basocellulaires et spinocellulairessurvenant sur des zones de dysplasies cutanées. Laprévention utile consiste à diffuser l’information surles facteurs de risque : tabagisme, alcoolisme,exposition solaire bien que l’on accuse les crèmes

solaires protectrices de modifier les UVB incidents etd’augmenter leur pouvoir carcinogène.

■Conclusion

Il semble évident après l’exposé que nousvenons de faire que la prévention primaire seraitune arme très efficace si elle parvenait à diminuerla consommation de tabac et d’alcool. Lesdécisions sont d’ordre politique et économique, eton peut citer en exemple la disproportiond’argent dépensé en faveur de la publicité parrapport à la prévention du tabagisme (44 millionsde francs contre 1 million de francs). Il est toujourspossible de promulguer des lois antitabac très

coercitives comme aux États-Unis, dont les effetsapparaîtront dans une dizaine d’années. Mais onne doit pas négliger l’éducation préventive àl’école avant que les habitudes s’instaurent. Nousl’avons vu, le dépistage de masse est uneentreprise difficile qui a une obligation de résultat.Il nécessite un engagement total des pouvoirspublics ainsi qu’une sensibilisation de lapopulation. Dans beaucoup de situations encorele dépistage individuel reste de mise (mélanome,cancers cutanés, cancers des voies aérodigestivessupérieures...). Sa place vis-à-vis du dépistage demasse, si l’on possède un bon test de dépistage,devrait s’effacer au profit du dépistage de masse.

Remerciements : Jocelyne Renaud et Brigitte Cédreau

Michel Gozy : Chef de clinique-assistant.Eric-Charles Antoine : Chef de clinique-assistant.

Gérard Auclerc : Attaché.Daniel Nizri : Attaché.

David Khayat : Médecin des Hôpitaux, professeur des Universités.Service d’oncologie médicale, groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière, 47-83, boulevard de l’Hôpital, 75013 Paris, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : M Gozy, EC Antoine, G Auclerc, D Nizri et D Khayat. Dépistages et préventions utiles en cancérologie.Encycl Méd Chir (Elsevier, Paris), AKOS Encyclopédie Pratique de Médecine, 2-0110, 1998, 6 p

R é f é r e n c e s

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2-0110 - Dépistages et préventions utiles en cancérologie

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Page 25: Le Manuel Du Généraliste - Divers

Épidémiologie et cancer

M Gozy, EC Antoine, G Auclerc, D Nizri, D Khayat

L ’épidémiologie se définit comme l’étude des différents facteurs intervenant dans l’apparition et l’évolution desmaladies. En cancérologie, il s’agit d’une discipline essentielle dont les buts sont multiples : aider la recherche

clinique et fondamentale, faire bénéficier la population de mesures de dépistage et de prévention et permettre auxÉtats d’établir une planification sanitaire. Les mécanismes de la cancérogenèse ne sont pas connus mais comme lemontrent les études épidémiologiques, il existerait une lente cascade d’événements aboutissant à la déclaration dela maladie. Des relations de causes à effets peuvent être mise en évidence. Dans cet article, nous nous proposons deprésenter les méthodologies des enquêtes cas-témoins, des enquêtes de cohortes avant d’établir la liste des principalescauses des cancers.© Elsevier, Paris.

■Introduction

L’épidémiologie se définit comme l’étude desdifférents facteurs intervenant dans l’apparition etl’évolution des maladies. Durant ce siècle, lespremiers succès épidémiologiques ont étéenregistrés dans le domaine des maladiesinfectieuses. Les enquêtes réalisées ont permis demettre en évidence, le plus souvent, l’agent causal etde pouvoir ainsi mesurer à l’échelle de groupeshumains l’efficacité thérapeutique. Avec ces succès,cette méthodologie s’est naturellement transposéeaux maladies chroniques dont le cancer représenteun modèle d’importance : en 1992 on enregistrait520 000 décès par cancers aux États-Unis et en1994 environ 144 000 en France. Comme lemontrent les données actuelles, le cancer est unproblème majeur de santé publique et constitue undes enjeux futurs pour nos sociétés.

On conçoit que l’épidémiologie est encancérologie une discipline essentielle dont les butssont multiples : aider la recherche clinique etfondamentale, faire bénéficier la population demesures de dépistage et de prévention et permettreaux États d’établir une planification sanitaire.

Nous allons dans cet article exposer les différentesapproches épidémiologiques dans le domaine ducancer. Nous pourrons insister alors sur leursconditions de mise en place ainsi que sur leurslimites d’interprétation. À l’aide de quelquesexemples, nous pourrons alors percevoir leur intérêtet entrevoir la possibilité d’une prévention du cancer.

L’épidémiologie nous a permis de concevoirqu’en matière de cancer il existe une lente cascade

d’événements aboutissant à la déclaration de lamaladie. Certains facteurs interviendraient très tôtdans cette séquence comme initiateurs de lamaladie, tandis que d’autres agiraient à un stadeplus tardif. D’autres encore agiraient à plusieursniveaux de la chaîne. Enfin il est possible quel’association de deux carcinogènes potentialise leprocessus carcinologique comme, par exemple,l’association du tabac et l’asbestose, pour le cas ducancer bronchique ou l’association du tabac etl’alcool pour les cancers des voies aérodigestivessupérieures (VADS). Certaines autres associationspeuvent avoir un effet inverse et retarderl’émergence du cancer (antioxydants pour lescancers des VADS). Ces relations de cause à effetpeuvent être mise en évidence grâce aux enquêtesépidémiologiques que l’on sépare en deux grandescatégories : les enquêtes épidémiologiquesdescriptives qui s’intéressent aux fréquences et auxrépartitions dans le temps et l’espace, et les enquêtesépidémiologiques analytiques qui étudient deshypothèses suggérées par les enquêtes descriptives.Ces dernières procèdent par des études de cohortesou des études de cas-témoins. À cette deuxièmeapproche, on rattache les essais thérapeutiques dephase III ainsi que l’épidémiologie biochimique etmoléculaire.

■Historique

Les premières publications d’ordre épidémiolo-gique remontent au XVIIIe siècle avec Bernardino

Ramazzini qui avait observé que le cancer du seinétait plus fréquent chez les nonnes et qui suggéraitl’influence néfaste du célibat. En 1775, le chirurgienanglais, Percival Pott, publiait la premièreobservation du cancer de la peau du scrotum chezles ramoneurs avant que d’autres observationsconfirment que la suie en était la cause. C’estégalement au XVIIIe siècle qu’il a été rapporté qu’ilexistait un risque de cancer chez les fumeurs (Hill,1761). Et en 1795, von Soemering établissait un lienentre les fumeurs de pipe et les cancers des lèvres.Mais les premières démarches épidémiologiquesmodernes remontent en 1840 avec les travaux deFaucon sur la fréquence du cancer dans la régionparisienne, puis en 1842, par Rigoni-Stern, sur lesrisques de cancer de l’utérus dans la ville de Vérone.Plus tard, en 1879, Harting et Hesse soulignaient lelien entre le cancer du poumon et les mineurs dumétal. Rehn, en 1895, étayait la relation entre lecancer de la vessie et les teinturiers utilisant l’aniline.Enfin, en 1888, Hutchinson imputait aux lotionscontenant de l’arsenic le développement de cancerscutanés.

Ainsi, au fil des ces publications, plusieurs notionsse sont dégagées : l’élévation de l’incidence decancer avec l’âge, une tendance à une augmen-tation de cette incidence dans les villes, l’influencepossible de l’alimentation et des comportementshygiénodiététiques sur l’éclosion des cancers et,enfin, la mise en évidence d’agents cancérogènes.

Dans les années 1930 les bases méthodolo-giques de l’épidémiologie moderne étaient jetées,avec l’élaboration des registres des cancers et desétudes de cas-témoins.

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■Épidémiologie descriptive

Contrairement aux autres maladies, il y a dansl ’épidémiologie du cancer peu d’étudeslongitudinales (qui consistent à suivre un seul sujet)au profit des enquêtes transversales uniques ourépétées (qui concernent un groupe d’individuspendant un temps donné). Le but de ces enquêtesest d’avoir une idée sur les variations et lestendances des cancers. On étudie l’influence defacteurs (l’âge, le sexe, les origines ethniques, letemps, les niveaux socioéconomiques, etc) sur ledéveloppement du cancer et on élabore les outilsdont nous allons parler.

‚ Outils

Définition de la maladie cancéreuse

Habituellement, il s’agit d’une définitionhistologique qui considère le caractère primitif ousecondaire ainsi que le siège. Il s’y associe souventd’autres précisions : clinique, radiologique,biologique, cytologique...

Taux de mortalité et de létalité

Le taux brut de mortalité est le rapport entre lenombre total de décès durant une période donnéesur la moyenne de cette population durant cettepériode. Ce taux, qui est le reflet d’une tendanceglobale, est en fait la résultante d’une mortalité parâge.

On attribue habituellement à ce taux quantitatifun taux qualitatif, comme le taux de létalité qui estintéressant pour suivre l’histoire naturelle descancers. Il permet également d’apprécier les effetsthérapeutiques et de déterminer le caractèremeurtrier du cancer.

Taux de morbidité

¶ IncidenceLe taux d’incidence nécessite de connaître le

nombre de personnes atteintes par la maladie(numérateur), la période d’étude (temps) et lapopulation observée (dénominateur).

Le plus souvent, l’unité de temps est l’année, aveccomme chiffre de population totale le nombre depersonnes vivantes au milieu de l’année. Ces tauxsont le plus souvent exprimés pour 100 000personnes, ou quelquefois pour un million depersonnes. On perçoit l’imprécision de ce chiffrequand il s’agit de cancer. En effet, pour ces maladiesévolutives, ce taux ne fait pas la différence entre lesmaladies débutantes et celles qui sont évoluées. Deplus, il dépend des capacités diagnostiques quipeuvent varier d’un pays à l’autre. Ces taux nepeuvent pas être comparés directement. Parexemple si on veut comparer l’incidence du cancerdu sein dans deux pays différents alors que leurpopulation est différente, on conçoit aisément qu’il yaura moins de cancer du sein dans une populationjeune, que dans une population plus âgée. Pourpouvoir s’exercer à une comparaison, on effectueune standardisation directe, ou méthode de lapopulation type, qui consiste à appliquer les taux par

tranche d’âge des deux populations à une seule etmême composition par âge, pour bloquer l’effet decet âge (il en est de même pour les autres indices del’épidémiologie descriptive). Les taux d’incidencesont alors rapportés à une population de référence,ce qui rend possible la comparaison.

¶ PrévalenceOn parle le plus souvent du taux de prévalence

instantané qui est défini par le nombre de personnesatteintes de cancer à un moment précis sur unepopulation étudiée.

Ce taux porte souvent sur une période d’étude de1 an et traduit en fait le lien existant entre l’efficacitédiagnostique et thérapeutique. Ainsi l’augmentationde la survie d’un cancer, sans que l’incidence soitmodifiée, se traduit par une augmentation de laprévalence.

‚ Origine des données sur le cancer

Certificat de décès

Dans beaucoup de pays, ce document est remplipar un médecin lors du décès. Ce certificat légalprécise la cause immédiate du décès et l’étatpathologique antérieur. S’il est correctement rempli,on peut faire la part des pathologies ayant concouruau décès, comme par exemple un état de cachexieen phase terminale d’un cancer ou une complicationinfectieuse ou une thromboembolique d’un cancer.

Registres régionaux ou nationaux des cancers

Leur rôle principal est d’établir les tauxd’incidence, ce qui permet d’apprécier le poids de lamaladie dans la population. On établit ces donnéesen fonction des localisations, du sexe, par tranched’âge de 5 ans. Le plus ancien registre américain aété créé en 1935 dans le Connecticut, tandis qu’enFrance, le plus ancien est celui du Bas-Rhin créé en1975. Ils relèvent d’une organisation lourde etcoûteuse. Il existe souvent des difficultés d’accès auxdates des décès, une dissociation entre les donnéesnominatives et médicales des certificats dedécès [1, 8]. Il faut procéder par recoupement desinformations et faire des démarches auprès descliniciens, des communes de naissance et derésidence pour collecter les données de survies. Lenombre de données à recueillir impose égalementune gestion informatique de qualité (matériels etpersonnels), des contrôles de cohérence,d’homogénéité de la saisie et d’expression desdonnées. Par ailleurs, la participation aux étudeseuropéennes impose un langage commun, ce quipeut nécessiter des changements de programmesinformatiques.

Registres hospitaliers

Ils constituent une source d’information pour lesregistres des populations. Ils sont en général richesd’informations et l’accès au dossier médical estpossible. Cependant ils concernent une populationsélectionnée aussi bien en type qu’en stade decancer. En contrepartie, ils sont très utiles pourconnaître l’histoire naturelle du cancer et les risquessur l’émergence des seconds cancers. Ils peuventégalement permettre de dépister des facteurs derisque d’exposition, ou des facteurs génétiques.

Registres d’autopsies

Comme les registres hospitaliers, ils sont consultéspour établir les registres des populations. Ils sontmoins représentatifs de la population puisque lesautopsies ne sont pas systématiques. Ils apportentcependant des renseignements précieux sur lalatence de certains cancers et leur extensionanatomique, de même qu’ils renseignent sur lafréquence des cancers occultes.

‚ Épidémiologie descriptive des cancers

Quelques chiffres

En 1990, en France (tableau I) [6], les cancers sontdevenus la première cause de décès chez l’hommeavec 31 %, devant les maladies cardiovasculaires(29 %). Chez les femmes, le cancer reste la 2e causede décès (21 %) après les maladies cardiovasculaires.Pour l’ensemble des deux sexes, la mortalité parcancer représente 26 % des décès contre 33 % parles maladies cardiovasculaires. Cependant, entre 35et 64 ans, les cancers sont de très loin devant avec42 % des décès en 1990 ; (41 % des décèsmasculins, 46 % des décès féminins). La mortalitédans cette tranche d’âge y est deux fois plusimportante que la mortalité cardiovasculaire.

Le poids de la mortalité par cancer est différentselon le sexe. Chez l’homme, le cancer du poumonest responsable de 23 % de la mortalité des cancers,le cancer de la prostate de 11 %, le cancer colorectalde 10 % et les cancers des VADS de 9 %. Chez lafemme, le cancer du sein représente 19 % de lamortalité des cancers, le cancer colorectal 15 % et lecancer pulmonaire 5 %. Pour le cancer du pancréas,un diagnostic porté sur un certificat de décès sansqu’il y ait eu de preuve histologique n’est pas inclusdans les statistiques d’incidence. Dans le tableau II, ilfaut garder à l’esprit un décalage de dix entre lapériode d’estimation de l’incidence et celle de lamortalité. C’est ainsi que la mortalité par cancerpulmonaire apparaît supérieure à l’incidence. Enfinces données d’incidence sont estimées mathémati-quement pour la France à partir des données de cinqdépartements.

Taux de mortalite =nombre de personnes decedant de cancer par unite de temps

population totale vivante pendant ce temps .

Taux de letalite =nombre de deces pour un cancer par periode de temps

nombre de cas nouveaux de ce cancer pendant la periode de temps considere

Taux d’incidence de cancer =nombre de personnes atteintes du cancer par unite de temps

population totale vivant a ce moment

2-0100 - Épidémiologie et cancer

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Variations Internationales

On estime que 75 % à 80 % de tous les cancersaux États-Unis sont dus à des facteurs environne-mentaux [1]. C’est une des conclusions de l’étude desvariations internationales. Pour un cancer donné, onconsidère que l’incidence la plus basse représente letaux des « tumeurs spontanées « pour lesquelles laprévention est inefficace. Des incidences plusimportantes dans d’autres régions résultent doncd’une influence extérieure. Toutefois les facteursgénétiques peuvent expliquer certains chiffrescomme, par exemple, pour le mélanome chez lespopulations à peau claire

Étude des populations migrantes

C’est aussi une méthode de recherche des causespossibles. Par exemple, le changement de mode devie des Japonais immigrés en Californie a faitaugmenter le taux d’incidence des cancers coliqueschez les descendants.

Évolution dans le temps (fig 1) [7]

En France (fig 1), on observe, chez les hommes,une nette diminution de la mortalité par cancer desvoies aérodigestives supérieures (VADS), depuis lesannées 1970, sans doute depuis la diminutionrégulière de la consommation d’alcool (observéedepuis les années 1950) ainsi que la stabilisationplus récente de la consommation du tabac. Chez lesfemmes, comme aux États-Unis, on commence àvoir une augmentation de la mortalité par cancerpulmonaire allant de pair avec une accentuation dela consommation du tabac.

La mortalité du cancer de la prostate augmenterégulièrement et concerne essentiellement lapopulation âgée où il occupe la 2e place après lecancer du poumon. Celle du cancer colorectalcontinue elle aussi à diminuer dans la populationféminine et commence à diminuer chez les hommes.Cependant, ce type de cancer reste très fréquent (3e

rang chez l’homme, et 2e rang chez la femme).

En France, comme aux États-Unis, la mortalité parcancer de l’estomac continue à diminuer (de façonplus importante chez les femmes que chez leshommes toutefois). Pour le sein et l’ovaire, lamortalité reste stable, ces dernières années. Lamortalité par cancer de l’utérus, col et corps, diminuedans toutes les tranches d’âge.

Sur notre territoire, la mortalité globale par cancerreste stable ces dernières années aussi bien chez leshommes que chez les femmes. Chez l’homme, elleest essentiellement due à la baisse de la mortalitépar cancer des VADS et de l’estomac compensée parl’augmentation de celle du poumon. Chez la femme,on l’explique par la baisse de la mortalité par cancerde l’utérus, de l’estomac et de l’intestin, compenséepar l’augmentation du cancer du poumon.

Profil d’évolution des incidencesen fonction du temps

Aux États-Unis, on observe (fig 2) [5] quel’incidence des cancers pulmonaires augmente chezles hommes de 3 % par an pour deveniractuellement, avec le cancer de la prostate, le cancerle plus fréquent. Le dépistage du cancer de laprostate en est l ’expl ication essentiel le.L’augmentation des cancers de vessie chez l’hommeest le reflet non seulement d’une nouvelledénomination des papillomes, mais également celuidu tabagisme. On est en droit de suspecter descauses diététiques avec la baisse d’un côté de 68 %des cancers gastriques et l’élévation, d’un autre côté,de 33 % des cancers colorectaux dans les années1970 à 1990. Le bronzage plus intensif se traduit parune augmentation de près de quatre fois l’incidencedes mélanomes ces 30 dernières années. Chez lesfemmes, l’incidence des cancers du sein atteint 56 %de l’ensemble des incidences avec une accélération

Tableau I. – Nombre annuel estimé de cas incidents (1978-1982) et nombre observé de décès en1990 en France[6].

Localisations Nombre de cas Nombre de décèstous sites 163 700 138 000

Poumon 17 200 21 500Côlon et rectum 23 500 16 200

Sein 21 500 10 200Prostate 9 400 9 200

Urologique 11 000 7 400Utérus 8 800 3 100VADS 17 200 8 600

Mélanomes 2 400 1 000Pancréas 3 100 5 700Leucémies 4 500 4 700Ovaires 3 100 3 100

Autres sites 42 000 47 300

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1950 1960 1970 1980 1990 2000

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Population féminine80

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Taux

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0, s

tand

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euro

péen

1950 1960 1970 1980 1990 2000

Poumon

VADS* etœsophage

Prostate

Côlon-rectum

Estomac

VessiePancréas

Population masculine

1 Évolution de la mortalité par cancer en France.

Épidémiologie et cancer - 2-0100

3

Page 28: Le Manuel Du Généraliste - Divers

de la courbe entre 1980 et 1990. Ce pic s’expliquepar les dépistages des années 1970. En revanche,dans la même période, l’hormonothérapiesubstitutive a induit un pic d’incidence des cancersde l’utérus qui a disparu quand on n’a plus prescritd’œstrogènes seuls.

L’incidence du cancer du col de l’utérus a diminuéde 75 % en 40 ans, soit à peu près 4 % par an, ce quiconstitue la plus forte diminution enregistrée. Onl’explique par la pratique des frottis de dépistagemais aussi par l’augmentation du nombre decolpohystérectomies.

Survies

Aux États-Unis, les taux de survie à 5 ans de tousles cancers étaient dans les années 1960 de 39 %,de 50 % dans les années 1980 et de 64 % dans lesannées 1990 (statistiques SEER 1973-1993). Ceschiffres traduisent non seulement l’amélioration destraitements (maladie de Hodgkin, des lymphomes,des cancers du testicule, de la prostate, de la vessie,du mélanome et des cancers pédiatriques), maisaussi l’amélioration des dépistages (cancer du coll’utérus) et la forte diminution de l’incidence desautres localisations (cf supra).

Variation de la répartition en fonction de l’âge(fig 3) [5]

La plupart des cancers épithéliaux sont raresavant 30 ans, puis leur incidence augmenteprogressivement avec l’âge (cancer du côlon, rectum,prostate, vessie). Chez les femmes, l’incidence descancers gynécologiques et du sein croît rapidementdès la quarantaine pour atteindre un plateau puis atendance à diminuer après la ménopause soulignantainsi l’influence hormonale sur ces cancers. Seulsquelques cancers non épithéliaux augmentent avecl’âge (myélome, leucémie lymphoïde chronique).

La répartition bimodale des maladies de Hodgkinet des leucémies, avec un pic de fréquence dansl’enfance, suggère une influence prénatale. Cesformes restent cependant rares dans les paysdéveloppés, ce qui n’est pas le cas en Afrique ou auMoyen-Orient où l’incidence peut atteindre 20 à25 % ; il s’agit d’un argument supplémentaire enfaveur d’une infection dans le jeune âge,notamment par l’agent de la mononucléoseinfectieuse (EBV).

Différences selon les groupes ethniques

Le consortium SEER (surveillance, epidemiologyand end results program) est la principale sourceépidémiologique du cancer aux États-Unis depuis1973. Il a mené plusieurs études comparatives entreAméricains blancs et certains groupes ethniques,dont l’importance numérique était suffisante pourpouvoir conduire à une interprétation

Ainsi, par rapport aux autres groupes ethniques,les Américains blancs présentent des taux plusélevés de mélanomes, de maladie de Hodgkin, delymphomes non Hodgkinien, de leucémies et decancers des lèvres, du sein, du corps de l’utérus et dela prostate.

Tableau II. – Variations géographiques des incidences des cancers.

Type de cancer (1) Population à incidenceélevée

Rapport entre lesextrêmes (2)

Population à incidencefaible

Œsophage Iran NE 300 NigeriaPénis Ouganda 300 Israël, JuifsPeau Australie (Queensland) > 200 Inde (Bombay)Foie Mozambique 100 AngleterreProstate USA, Noirs 40 JaponRhinopharynx Singapour, Chinois 40 AngleterrePoumon Angleterre 35 NigeriaCorps utérin USA (Californie) 30 JaponEstomac Japon 25 OugandaBouche Inde (Bombay) 25 DanemarkPharynx Inde (Bombay) 20 DanemarkCôlon USA (Connecticut) 20 NigeriaRectum Danemark 20 NigeriaCol utérin Colombie 15 Israël, JuivesLarynx Brésil (Sao-Paulo) 10 Japon

N Zélande (Maoris)Pancréas Canada (Colombie Br) 8 Inde (Bombay)

USA (Connecticut)Sein Danemark 7 Israël, non JuivesVessie 6 JaponOvaire 6 Japon

(1) : Population masculine sauf pour col et corps de l’utérus, sein et ovaires(2) : Rapport des taux standardisés entre 35 et 64 ans.D’après[3 ; 6].

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01945 1950 1955 1960 1965 1970 1975 1980 1985 1990

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Hommes

Taux

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100

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01945 1950 1955 1960 1965 1970 1975 1980 1985 1990

Poumon

Côlon et rectum

EstomacMélanome

UtérusCol

Sein

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Femmes

2 Évolution des incidences des cancers selon l’âge de la population blanche dans cinq états des États-Unis.

1 000

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10 5 10 15 20 25 30 35 40 45 50 55 60 65 70 75 80 85 90 95 100

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Prostate

PoumonCôlonProstateVessieBouche et pharynx

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Taux

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Côlon et rectumSeinCôlonPoumonUtérus/colOvaire

OvaireUtérus/col

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Taux

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Âge

Leucémie

Leucémie

Système nerveux

Système nerveux

Maladie de Hodgkin (M)

Maladie de Hodgkin (F)

Maladie de Hodgkin (M)

Maladie de Hodgkin (F)

Col

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3 Incidence des cancers en fonction de l’âge dans la population blanche américaine.

2-0100 - Épidémiologie et cancer

4

Page 29: Le Manuel Du Généraliste - Divers

Cancers professionnels

Grâce aux enquêtes épidémiologiques on a pu ensupprimer quelques-uns et permettre à d’autres leclassement en maladies professionnelles. On peutciter les cancers cutanés et les leucémies observéschez les radiologues, les adénocarcinomespulmonaires des travailleurs du bois et despersonnes manipulant du chrome, les mésothé-liomes des travailleurs de l’amiante, les leucémiesdues à l’exposition au benzène, les angiosarcomeshépatiques avec exposition au chlorure de vinyle...Ces études sont difficiles à mener en raison de lalatence de la maladie, des imprécisions sur lapratique professionnelle, des changements depostes, des restructurations des entreprises, de lamultiplicité possible des expositions...

Études de corrélation

Les enquêtes descriptives peuvent faire apparaîtreun lien entre deux variables quand on observe uneélévation des taux de cancer dans une région où onsuspectait déjà l’existence d’un facteur de risque.L’association est alors exprimée en termes decorrélation ou de coefficient de régression. Toutefois,il faut se méfier des conclusions trop hâtives. En effet,ces enquêtes descriptives concernent l’expositiond’une population, et non pas d’un individu, à unrisque. De plus, si cette association existe, elle neprécise pas l’agent causal comme dans l’exempledes cancers du col de l’utérus où on avait observéune augmentation du risque en fonction du nombrede partenaires sexuels. On sait maintenant quel’agent causal est d’ordre viral plutôt que le nombrede partenaires.

Ces études de corrélation peuvent orienter sur despistes qui nécessitent, pour être confirmées, desétudes analytiques qui donneront alors : lapuissance de l’association, la reproductibilité d’uneétude à l’autre, la pertinence sur le planphysiologique, le fait que le facteur incriminéprécède au développement du cancer et qu’il existeenfin une relation dose/réponse qui rend probablecette association.

■Épidémiologie analytique

Il s’agit d’une méthode comparative à l’échelled’une population où on compare un groupe exposéà un groupe témoin. Les groupes étudiés doiventêtre suffisamment importants et homogènes pourrefléter l’ensemble de la population. Souvent, cesétudes sont étalées dans le temps pour respecter lalatence du cancer. On peut imaginer facilement lesdeux grandes difficultés de ces approches : les biaisde recrutement et les difficultés de suivi despopulations considérées. L’épidémiologie analytiquefait appel à deux grands types d’enquêtes : l’étude decohorte et les études cas-témoins.

‚ Études de cohorte

Elles sont également dénommées par lesAnglo-saxons études de suivi (follow-up studies) ouétudes prospectives (prospective studies). Une

cohorte est un groupe de sujets ayant vécu unévénement semblable pendant la même période detemps (exemple : tous les sujets nés une mêmeannée), qui entre à un moment donné sous uneobservation à long terme. Un groupe est exposé aurisque suspecté et pas l’autre.

Les enquêtes de cohorte peuvent se faire à partird’un échantillon représentatif de la population àétudier, c’est-à-dire un groupe de sujets obtenus partirage au sort afin d’éviter les biais de sélection. Ils’agit dans ce cas d’une enquête de type I. Laséparation entre sujets exposés et sujets nonexposés se fait après leur sélection. Dans les autrescas, on considère d’emblée deux groupes enchoisissant les sujets exposés pour le premier, nonexposé pour le second. Il s’agit d’enquête de type II.On mesure le facteur d’exposition avant l’apparitionde la maladie. Si cette condition est remplie,l’enquête peut être menée sur des cohorteshistoriques et, dans ce cas, l’investigateur définit desgroupes étudiés sur la base de l’exposition etcompare leur devenir depuis ce moment. Ce typed’étude est fréquemment employé en milieuprofessionnel.

‚ Enquêtes cas-témoins ou cas-contrôle

Elles sont dénommées par les Anglo-Saxonscase-referent studies ou retrospective studies. Onconstitue un groupe de sujets atteints du cancer, etun groupe indemne. On enregistre pour tous cessujets l’exposition dans le passé aux facteurs derisque étudiés. Ces enquêtes toujours rétrospectivessont appelées de type III.

‚ Avantages et inconvénientsde ces deux principaux types d’études

Les études de cohorte permettent une estimationdirecte du risque relatif avec un meilleur contrôle desbiais puisque les facteurs à étudier sont déterminésavant l’apparition de la maladie. Les expositionspeuvent certes varier dans le temps mais cesvariations peuvent être enregistrées dans ce typed’enquêtes contrairement aux études rétrospectives.Habituellement, on envisage qu’un seul facteur à lafois mais plusieurs maladies peuvent être étudiées.Malheureusement ces études sont coûteuses etpeuvent comporter un nombre important de perdusde vue. Ces enquêtes de cohortes sont peu rentablesen cas de maladie rare surtout si la duréed’incubation est très longue ou si la populationétudiée est très peu stable. On choisira dans ces casles enquêtes cas-témoins qui sont rapides et peucoûteuses (par exemple, l’interrogatoire peut se fairepar téléphone). À l’inverse des études de cohortes,dans les enquêtes cas-témoin, on ne peut envisagerqu’une seule maladie, à condition qu’elle soit biendéfinie, mais on peut étudier plusieurs facteurs derisques. En fait, cela dépend souvent de la qualité dudocument du suivi. Il faut savoir que le risque relatif yest estimé de façon indirecte et peut être biaisé danssa mesure ou par la sélection des témoins.

‚ Résultats d’une enquête de cohorte

La mesure principale est le risque relatif.

Le risque relatif (RR) est le rapport des incidencesentre les sujets exposés et les témoins (Ie = incidencedes sujets exposés, Ine = incidence des sujets nonexposés).

RR = Ie = a/a + cIne = b/b + d

Un risque relatif égal à 2 signifie que la maladieest deux fois plus fréquente chez les sujets exposésque non exposés.

Le risque relatif (RR) ne peut être obtenu que pardes enquêtes de cohorte. Si la différence entre lesdeux groupes est significative au sens statistique duterme (CHI2) et que Ie est supérieure à Ine, on peutdire que le facteur considéré est un facteur de risque.

Il est possible que les groupes soient soumis àd’autres facteurs inconnus lors de la constitution desgroupes, mais si l’appareillement est correct, lessujets des deux populations sont soumis de façonidentique à ces facteurs. Il est donc logique de penserque l’incidence chez les sujets non exposés seretrouve chez les sujets exposés, c’est-à-dire qu’il y aune partie des cancers chez les sujets exposés quin’est pas due alors aux facteurs étudiés mais à un ouà ces facteurs inconnus. On définit alors le risqueattribuable RA= Ie - Ine comme la différence desincidences entre les sujets exposés et les nonexposés. On peut ainsi savoir si la relation observéeest d’ordre causal entre les facteurs étudiés et lescancers développés.

Pour les enquêtes de cas-témoins où leséchantillons de populations sont moins bien définis,il n’est pas possible de savoir de quelle cohorteproviennent les cas et les témoins. On ne pascalculer le risque relatif. Les sujets ont étésélectionnés selon qu’ils présentaient ou non lamaladie et cela exclut déjà d’emblée les sujetsdécédés qui auraient pu faire partie de la mêmecohorte de départ. On définit alors OR (l’odds ratio) :

OR = a X d / b X cOn le considère comme une appréciation du RR.

Plus l’OR est élevé, plus la liaison entre l’exposition etla maladie est importante. Quant la maladie est rare,on montre que l’OR est une bonne appréciationapproximation du RR.

‚ Épidémiologie expérimentale

Ces enquêtes constituent le 3e volet de l’approcheanalytique épidémiologique. Elles permettentd’éviter les biais et les autres facteurs qui peuventinfluencer les résultats. On procède par un tirage ausort des sujets pour qu’ils appartiennent soit augroupe contrôle, soit au groupe étudié. Cetteopération assure l’équivalence entre les groupes audépart de l’essai ce qui est nécessaire pour porter unjugement de causalité. Les techniques utilisées(permutation aléatoire) permettent d’équilibrer lesgroupes en effectifs grâce à la stratification. Pour lesrecherches des causes et de leur prévention, ce typed’enquête n’est pas toujours approprié en raison de

Exposés Non exposésCancer a bNon cancer c d

Épidémiologie et cancer - 2-0100

5

Page 30: Le Manuel Du Généraliste - Divers

la longue période d’étude nécessaire avant que nese développe le cancer. On réserve souvent ce typed’étude pour évaluer l’apport nutritionnel sur lecancer, comme par exemple, le â-carotène qui estsusceptible d’inhiber la cancérogenèse ou évaluer lebénéfice d’un traitement par rapport à un autre(études randomisées).

■Interprétation des études

épidémiologiques

‚ Taille des échantillonset puissance statistique

Le nombre de sujets nécessaires pour une étudeépidémiologique peut être déterminé à l’avanceselon une méthode statistique qui prend enconsidération la hauteur des résultats espérés.Schématiquement, on a toujours intérêt à considérerun groupe important de sujets. On doit donc êtreréservé quant à la conclusion d’un risque faible ounul, si les échantillons sont trop petits.

‚ Association non causaleOn doit toujours se demander quand on analyse

les résultats si l’association observée est le fruit d’unbiais ou d’une relation cause/effet. Le biais et leserreurs systématiques sont le plus souventrencontrés et ne peuvent pas être corrigés parl’analyse statistique. Beaucoup de biais ont étédécrits, mais la plupart résident dans la sélection oule recueil des données. Il faut également faire la partdes choses entre plusieurs facteurs confondus,comme par exemple la cigarette qui peut augmenterde façon plus nette l’incidence du cancer du poumonchez les personnes soumises à une pollution intense,que chez les fumeurs moyens.

‚ Déterminer le lien causalLe lien de causalité résulte d’une évaluation

scientifique qui surpasse les probabilités. Parexemple, pour le lien causal entre la cigarette et lecancer du poumon, les épidémiologistes ont dûrépondre à une série de critères, comme la force dela spécificité du lien causal, la présence d’un gradientdose/effet, la constance et la reproductibilité desétudes ainsi que l’association dans le temps ;c’est-à-dire que l’exposition au tabac précédait lecancer du poumon. Toutefois, Il est possible quecertains des critères ne soient pas remplis en cas derisque relatif faible, et a fortiori s’il existe plusieursagents déclenchants.

■Causes des cancers

Nous sommes encore loin d’avoir déterminé lescauses des cancers, mais l’épidémiologie analytique,principalement, nous indique certaines pistes. Cettepartie ne se voudra pas exhaustive mais orienterasur les principales causes identifiées à l’heureactuelle.

‚ TabacLe tabac est un des facteurs de risque pour les

cancers du poumon, du larynx, de la bouche, dupharynx, de l’œsophage, de la vessie et dupancréas [8].

Le tabac tue un fumeur sur deux, c’est ce quiressort de l’étude de Doll et Peto, 1994, [2] réalisée surune cohorte de 36 000 médecins anglais hommesaprès un suivi de 40 ans.

La fréquence du cancer bronchique a augmentéselon le rythme de la consommation de cigarettesavec un décalage d’une trentaine d’années, entre ledébut de l’intoxication et l’apparition du cancer. Cequi explique l’âge de prédilection d’émergence entre45 et 60 ans. Ce cancer est l’effet du fumeur decigarettes qui inhale la fumée, et son risqueaugmente avec la quantité totale de fumée inhalée.Pour les fumeurs de plus de deux paquets decigarettes par jour, le risque de cancer du poumonest vingt fois plus important que chez les non-fumeurs. L’effet bénéfique de l’arrêt du tabac existeavec un risque de cancer pulmonaire qui devientéquivalent aux non-fumeurs après une périoded’une dizaine d’années [1].

La qualité du tabac fumé intervient également.C’est ainsi que la mise sur le marché des cigarettes àfiltre et à teneur allégée en goudron a permis dediminuer le risque des cancers bronchiques. Latempérature de combustion et la taille des particulesinhalées font que les fumeurs de pipe ou de cigaresont une incidence de cancer bronchique plus faibleque les fumeurs de cigarettes. Mais le risque esttoutefois le même pour les cancers ORL et ceux del’œsophage. Catherine Hill [6] estime qu’en 1990,55 000 décès par an, chez les hommes, sontattribuables au tabac et qu’un fumeur homme surdeux décède d’un cancer. Chez les femmes, 2 500décès par an sont dus au tabac et la proportion de lamoitié reste similaire à celle des hommes en ce quiconcerne la mortalité par cancer.

D’autres études impliquent le tabac dans lagenèse des cancers du rein, du col de l’utérus, del’estomac et des leucémies. La diversité des organestouchés reflète l’extraordinaire absorption du tabacet l’existence de nombreuses substances entrant enjeu dans l’émergence de ces cancers. Les fumeurspassifs semblent également avoir un risque majoréde 30 % par rapport aux non-fumeurs selonl’importance de leur intoxication.

‚ Alcool

Alors que l’éthanol induit rarement les cancerschez les animaux de laboratoire, les étudesépidémiologiques impliquent fortement l’alcoolcomme facteur de risque dans les cancers des voiesaérodigestives supérieures. La cancérogenèsepourrait être secondaire à d’autres substancescontenues dans les boissons alcoolisées, ou être lefait des agressions répétées sur la muqueuse ou bienencore agir en potentialisant les effets du tabac.

‚ Cancers professionnels

Dans les années 1960, des excès de cancers ontété reconnus par les épidémiologistes dans lesindustries de l’amiante, du benzène, de la benzidine,des teintures. En 1981, Doll et Peto ont estimé que4 % des décès par cancer aux États-Unis étaient dusà des cancers professionnels [1]. Depuis quelquesannées, on s’accorde à estimer ce chiffre entre 4 et10 % chez l’homme, ce qui conduit en France à deschiffres annuels compris entre 5 000 et 10 000

cancers d’origine professionnelle. Et sur les 25 000cancers pulmonaires actuels, 10 à 20 % seraientattribuables aux cancers professionnels.

‚ Radiations ionisantes

Les effets cancérogènes chez l’homme ont étéconnus avec le suivi des survivants des explosionsatomiques, des personnes irradiées accidentel-lement ou des patients traités par radiothérapie. Lesdonnées ont été colligées par type de tumeurradio-induite, de latence d’émergence des cancers,des doses d’irradiation reçues et du sexe. Cesdonnées souvent incomplètes, ne serait-ce que parla dose reçue réellement et le petit échantillon depersonnes concernées, rendent les analyses difficiles.Néanmoins, on peut affirmer que l’irradiationprovoque des leucémies, des cancers de la thyroïde,du sein, du système respiratoire, des tubes digestifs,de la peau, des os, des tissus mous. Il y a peu dedonnées solides concernant les irradiationsdiagnostiques, excepté pour les irradiations in uteroqui seraient responsables d’une augmentation de50 % du risque de leucémie ou de cancerpédiatrique.

Pratiquement tous les organes sont sensibles auxirradiations avec une sensibilité accentuée pour lamoelle osseuse, le sein, et la thyroïde. Pour lessurvivants des explosions atomiques, les leucémiesapparaissent après un délai de 3 ans, avec un pic defréquence de 5 à 8 ans après l’exposition. Enrevanche, les tumeurs solides surviennent après undélai de 5 à 10 ans après l’exposition. La pratiquedes mammographies de dépistage a fait l’objet depolémiques après ces publications. Dans le suivi dessurvivants de la bombe atomique, on aeffectivement montré l’existence d’une relationdose/réponse pour le cancer du sein, mais l’effet estplus marqué chez les jeunes femmes que chez lesfemmes irradiées de plus 40 ans. On peut donc endéduire que le dépistage par mammographie après40 ans ne devrait pas augmenter l’incidence descancers du sein.

‚ Médicaments

On estime qu’ils sont responsables de 2 %environ de tous les cancers. Dans les années1970-1980, on a montré que la prescriptiond’œstrogènes synthétiques pendant la grossesse(diéthylstilbœstrol) provoquait des adénocarcinomesdu vagin et du col plusieurs années après chez lesfilles. La prise d’œstrogène seul a montré aussi uneaugmentation des cancers de l’endomètre et du sein,lorsque la prescription s’effectuait pendant denombreuses années en période de préméno-pause [9]. En ce qui concerne la prise de la pilule, lesdonnées sont encore peu cohérentes pour la priseprolongée avec un début précoce, mais quelquesétudes suggèrent une augmentation du risque s’ilexiste une prédisposition familiale de cancer du seinou une maladie bénigne mammaire.

On considère actuellement que tous les alkylantsont un pouvoir leucémogène particulièrement lemelphalan, le cyclophosphamide, le chlorambucil(leucémie aiguë myéloïde) et plus récemment

2-0100 - Épidémiologie et cancer

6

Page 31: Le Manuel Du Généraliste - Divers

l’étoposide. Il en est de même pour le méthyl-CCNUqui avait été, entre autres, prescrit dans lestraitements des cancers digestifs. Les agentsimmunosuppresseurs sont également incriminés,particulièrement l’azathiopine, utilisé pour lestransplantations rénales.

‚ Exposition solaire

L’exposition solaire excessive augmente le risquede carcinomes basocellulaires et spinocellulaires parl’intermédiaire des lésions précancéreuses qu’ellefavorise (télangiectasies, élastose, lentigine etkératose). L’expérimentation animale a montré queles UVB provoquent des carcinomes cutanés. Maisles arguments épidémiologiques sur le rôle des UVdans l’apparition de ces tumeurs dans lespopulations au teint clair est essentiellement de typedescriptif : plus les pays sont proches de l’équateur,plus l’incidence des carcinomes cutanés est élevéedans les populations blanches. Le risque decarcinome basocellulaire est plus élevé chez lessujets nés en Australie ou ayant émigré dans ce paysavant l’âge de 10 ans que chez ceux qui y ontémigré après l’âge de 10 ans.

D’une façon générale, le risque est plus importantchez les personnes de type caucasien vivant dans lesrégions tropicales par comparaison avec cellesrésidant sous des climats tempérés. Au sein de cegroupe, il existe des disparités avec un risque accrude mélanome pour les personnes à peau claire,celles souffrant de xeroderma pigmentosum ouprésentant déjà des nævi dysplasiques (chezl’homme, la moitié des mélanomes se déclarent surdes nævi dysplasiques).

En France, comme dans les autres pays, lamortalité par mélanome est en augmentation. Cetteaugmentation va de pair avec l’augmentationgénérale à l’exposition solaire : bronzage estival,bancs solaires ou des activités sportives de plein air.

‚ Pollution

On suspecte depuis longtemps la pollutiond’ induire des cancers mais les donnéesépidémiologiques montrent que son rôle estmodeste. Les agents incriminés sont, entre autres, lesgaz d’échappements riches en hydrocarburespolycycliques. Doll et Peto [1] estimaient en 1981 que2 % de la mortalité par cancer relevaient de cettecause. Dans quelques cas on a pu analyserl’influence directe détectable d’une pollution massive(comme en Europe de l’Est). Certains pensenttoutefois qu’il s’agit d’une sous-évaluation, masquéepar l’effet direct d’autres émanations comme letabac. Cependant, si l’irruption dans notre milieu demilliers de nouveaux produits chimiques avaient euun impact global notable, la fréquence des cancersaurait du croître malgré une latence d’une vingtained’années. Les deux organes qui sont le plus exposésaux pollutions sont l’estomac pour l’eau et lesaliments, les poumons pour l’air. Or, la fréquence descancers de l’estomac a diminué tandis que, chez lesnon-fumeurs, celle du cancer du poumon est restéeconstante.

‚ Virus et autres agents infectieux

L’étude de la cancérologie virale a débuté avec lesiècle avec, entre autres, les observations de PeytonRous en 1911 montrant qu’un sarcome de pouletpeut être transmis par injections d’extraits cellulaires.Doll et Peto [1] estimaient en 1981 à 5 % la part desvirus sur la mortalité par cancer. Bien que leur rôlepathogène reste encore à démonter, l’implicationdes virus est vraisemblablement sous-estimée.Depuis l’avènement des techniques d’amplificationgénique on a pu retrouver la présence de différentsfragments de virus dans beaucoup de tumeurscancéreuses. De plus, d’autres agents infectieuxjoueraient un rôle, comme Helicobacter pylori pour lelymphome dit de Malt de l’estomac (muco associatedlymphoid tissue).

Le virus de la mononucléose infectieuse, virusd’Epstein-Barr (ou EBV) est considéré comme étant lacause des lymphomes de Burkitt et probablementdes cancers du cavum. En Afrique Noire, lepaludisme pourrait stimuler l’action de l’EBV pourdéclencher le lymphome de Burkitt comme peut lefaire penser la superposit ion des zonesgéographiques d’endémie de ces deux pathologies.Sur la base également des techniques d’amplifi-cation génique, l’association entre l’infection parl’EBV et le développement de la maladie de Hodgkinest maintenant établi. Le lien de causalité entre l’EBVet le cancer du cavum tient au fait de la présenced’un titre plus élevé d’anticorps anti-EBV chez lespatients atteints que chez les personnes saines ainsique de la présence de parties du génome viral dansles cellules cancéreuses. En Chine, où le tauxd’incidence est particulièrement élevé, on pense qued’autres facteurs interviendraient comme laconsommation de poissons fumés ou un certainprofil HLA.

En ce que concerne le virus de l’hépatite B,l’épidémiologie descriptive montre une concordancegéographique entre les zones d’endémie et celles del’hépatocarcinome en Asie et en Afrique. Une étudemenée à Taïwan sur une cohorte de 22 707hommes a montré que le risque de développer unhépatocarcinome était 200 fois plus important encas de portage du virus de l’hépatite B.

Il est possible qu’il existe d’autres cofacteurs telsque l’exposition à l’aflatoxine (toxine produite pardes moisissures contaminant certains aliments oul’alcool). Le virus de l’hépatite C exercerait égalementun pouvoir carcinogène pour l’hépatocarcinome etpeut-être plus particulièrement chez les patientscirrhotiques.

Les enquêtes d’incidence du cancer du col del’utérus ont montré qu’il était plus fréquent chez lesprostituées et les femmes qui ont de multiplespartenaires, des premiers rapports précoces ainsiqu’un passé chargé de maladies sexuellementtransmissibles. On a également remarqué une plusgrande fréquence chez les femmes dont lespartenaires étaient porteurs d’un cancer de la vergeou qui avaient eu eux-mêmes plusieurspartenaires [9]. L’agent viral identifié est lepapillomavirus et plus précisément les souches HPV

16, 18, 31 et 33. L’HPV est également considérécomme promoteur pour les cancers vulvaires, de laverge, de l’anus.

Le premier rétrovirus humain a été isolé en 1980sur des lignées cellulaires obtenues à partir depatients atteints de leucémie de type T. L’HTVL-1(Human T-leukemia virus type-1) touche lapopulation mature CD4 et est associé à uneleucémie aiguë de type T très agressive (localisationscutanées et viscérales dont la première description aété faite en 1977). La transmission du virus s’effectuepar voie sanguine et sexuelle. Il existe une zoned’endémie aux Caraïbes, dans le sud du Japon etdans certaines zones d’Afrique. Un second virusappelé HTVL-2 est également associé à certainesleucémies à tricholeucocytes.

Depuis 1986, le sarcome de Kaposi, leslymphomes de haut grade de malignité et leslymphomes cérébraux font partie des critères dedéfinition du sida. On accuse le virus HIV deperturber directement l’immunosurveillance desclones de cellules aberrantes ou de jouer le rôle decovirus comme dans le sarcome de Kaposi avec levirus de l’Herpès [4].

La bilharziose, due à l’infection par un parasite, leSchistosoma haematobium, est un facteur de risquepour le cancer épidermoïde de la vessie, notammenten Afrique de l’Est (Égypte, Zambie, Mozambique...).Les infections par la douve du foie, Chlonorchissinensis ou Opistorchis viverni, augmententprobablement le risque de cholangiocarcinome dufoie.

‚ Alimentation

L’étude des populations migrantes a permis depréciser le rôle de l’environnement social et culturel.On estime aujourd’hui qu’environ 80 % des cancerssont dus à cet environnement dont 75 % liés aumode de vie individuel et 5 % au milieu. Le débat surl’influence de l’alimentation est ouvert depuis qu’ona pu montrer un rôle cancérogène direct chez desanimaux de laboratoire. Plusieurs hypothèses ontété avancées sans que l’on connaisse véritablementle (ou les) agent(s) responsable(s). Des études, dontune menée chez une cohorte de 88 000 infirmièresanglaises, montrent que la surconsommation deviande et de graisses animales augmente le risquede cancer du côlon.

Il est encore impossible de dire s’il s’agit d’uneaction directe des graisses ou des produits associés(protéines, autres carcinogènes de cuisson) d’autantqu’aucune corrélation positive n’a été montrée entrele taux de cholestérol sanguin, qui dépend engrande partie des graisses absorbées, et un risqueconséquent de cancer du côlon ou du sein. Ce seraitl’obésité secondaire à l’excès calorique qui seraitresponsable par le biais d’une hyperœstrogénie(conversion périphérique des androgènessurrénaliens en œstrogènes). Cette hypothèse etcelle de la diminution du taux sanguin de la protéinesex hormone binding globulin sont actuellementretenues pour expliquer le développement ducancer de l’utérus.

Épidémiologie et cancer - 2-0100

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Les conclusions des études de cohortes menéessur la consommation de fibres alimentaires sont plusfloues. Il existe en effet une grande diversité de fibreset ce type d’études très longues nécessitent deseffectifs importants et compliants.

‚ Facteurs génétiques

Les facteurs génétiques représenteraient 5 %environ des causes des cancers. On sait depuislongtemps que l’existence d’antécédentsfamiliaux multiplie par deux à quatre les risquesde cancer du côlon ou du sein. Mais récemment,un certain nombre de gènes ont été identifiésqui sont pour le sein BRCA1 ; BRCA2 (Breast

Cancer 1 et 2). Ils sont situés sur les chromosomes17 et 13 respectivement et pour le côlon HMSH2 etHMLH1 situés sur les chromosomes 2 et 3. Danscertaines familles on observe des associationspathologiques incluant des cancers ; ainsi lesyndrome des néoplasies endocriniennes multiplesqui associe cancer de la médullaire de la thyroïde àd’autres tumeurs endocriniennes ou encore lesyndrome de Li-Fraumeni qui associe sarcome(rhabdomyosarcome), cancer du sein, tumeurcérébrale, corticosurrénalome et leucémie. Dans cecas, on a pu montrer l’existence d’une mutation dugène codant pour la protéine P53, suppresseur detumeur.

■Conclusion

Nous l’avons vu, le poids du cancer dans nossociétés occidentales est devenu un problèmemajeur de santé publique. Il s’agit de la premièrecause de mortalité aux États-Unis et en France, lapremière chez les hommes et la seconde chez lesfemmes. L’épidémiologie moderne a besoin pourprogresser du soutien des fonds publics ainsi qued’une coopération efficace internationale. C’est dansces conditions que nous pourrons identifier desfacteurs de risques pour les éradiquer ou établir desprogrammes de dépistage et de prévention.

Michel Gozy : Chef de clinique-assistant.Eric-Charles Antoine : Chef de clinique-assistant.

Gérard Auclerc : Attaché des Hôpitaux.Daniel Nizri : Attaché des Hôpitaux.

David Khayat : Praticien hopitalier, professeur des Universités.Service d’oncologie médicale, groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière, 47-83, bd de l’Hôpital, 75013 Paris, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : M Gozy, EC Antoine, G Auclerc, D Nizri et D Khayat. Épidémiologie et cancer.Encycl Méd Chir (Elsevier, Paris), AKOS Encyclopédie Pratique de Médecine, 2-0100, 1998, 8 p

R é f é r e n c e s

[1] Doll R, Peto R. The causes of cancer : Quantitative estimates of avoidable riskof cancer in the United States today.J Natl Cancer Inst1981 ; 66 :

[2] Doll R, Peto R. Epidemiology of cancer. In : Weatherall DJ, Ledingham JG,Warrell DA eds. Oxford textbook of Medicine. Oxford University Press, 1988 ;(vol 1) : 95-123

[3] Doll R, Peto R, Wheatley K, Gray R, Sutherland I. Mortality in relation tosmoking : 40 years observations on male British doctors.BMJ1994 ; 309 : 901-911

[4] Dupin N, Grandadam M, Calvez V, Gorin I, Aubin JT, Havard S et al.Herpesvirus-like DNA sequences in patients with Mediterranean Kaposi’s sar-coma.Lancet1995 ; 345 : 761-762

[5] Fraumeni JF Jr, Devesa SS, Hoover RN, Kinlen LJ. Epidemiology of Cancer(4th ed). In : DeVita VT Jr, Hellman S, Rosenberg SA eds. Cancer : principles andpractice of oncology (4th ed). JB Lippincott Compagny, 1993 : 150-181

[6] Hill C. Tabagisme et santé : aspects épidémiologiques.Presse Med1996 ; 25 :959-962

[7] Hill C, Doyon F, Sancho-Garnier H. Epidémiologie des cancers. Paris : Flam-marion Médecine-Sciences, 1997

[8] International Agency for research on cancer. Tobacco smoking. Monographson the evaluation of the carcinogenic risk of chemicals to Humans. Lyon : Interna-tional Agency for research on cancer, 1986 : (vol 38)

[9] Steinberg KK, Thacker SB, Smith SJ, Stroup DF, Zack MM, Flanders WDet al. A meta-analysis of the effect of estrogen replacement therapy on the risk ofbreast cancer.JAMA1991 ; 265 : 1985-1990

2-0100 - Épidémiologie et cancer

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Aides techniques. Appareillage

M Perrigot, V Veaux-Renault, M Chevignard, P Pradat-Diehl

L es déficits de l’appareil locomoteur peuvent être corrigés, compensés ou suppléés. C’est le rôle de l’appareillage,qui comprend l’aide technique, les aménagements de l’environnement et les aides à la communication. Les

prescriptions nécessitent une collaboration entre médecin traitant et centre médicotechnique spécialisée.© 2002 Editions Scientifiques et Médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Mots-clés : appareillage, aide technique, cannes, orthèses, atelles, fauteuil roulant, domotique.

■Introduction

Parmi les moyens thérapeutiques dont dispose lemédecin de médecine physique et de réadaptation,l’appareillage constitue un élément important. Undéficit permanent de l’appareil locomoteur peut êtrecorrigé, compensé ou supppléé.

Les aides techniques peuvent être temporaires oudéfinitives. Les aides temporaires s’inscrivent dansun programme de récupération physiologique. Lesaides définitives, associées ou non à une prothèse,s’inscrivent dans un programme de rééducationprogressif ayant pour but de redonner au patientune autonomie efficace et sûre.

De tout temps, l’utilisation empirique des aidestechniques et de l’appareillage a permis decompenser ou de suppléer des déficiences motricessources de handicap fonctionnel : une prothèseprobable pour les amputés survivants du néolithique(36 000 ans) ; une prothèse de bras de plus de 2 000ans sur les bas-reliefs égyptiens ; des béquilles ou descannes rapportées dès l’Égypte ancienne ; uncatalogue plus complet par Hippocrate ; le crochetdu pirate ; après la deuxième guerre mondiale lesfauteuils roulants lors de la création des centres desoins des blessés médullaires, la création des centresd’appareillage pour anciens combattants ; après1950 les grands appareillages, en particulier lesorthèses de tronc lors des épidémies depoliomyélite ; la création des spécialitésd’orthésistes-prothésistes et d’ergothérapeutes ;actuellement des centres intégrés d’appareillage(hôpitaux publics, centres de rééducation, équipes àdomicile). La révision depuis quelques années dutarif interministériel des prescriptions sanitaires(TIPS), qui permet la prise en charge des aidestechniques et appareillages, s’est orientée vers lamédicalisation de la prescription de l’appareillage,c’est-à-dire l’adaptation la plus précise possible à ladéficience présentée par le malade.

Les aides à la marche remontent sans doute àl’Antiquité. La plus ancienne représentation d’unebéquille (bout de bois à bec coudé, d’où son nom debec-quille) a été trouvée sur un bas-relief d’unetombe égyptienne datant de 2 830 av. J.-C. Les

artistes, souvent attirés par la représentation de lamisère humaine, nous font découvrir au cours dessiècles la variété de ces aides (Jérôme Bosch, Dürer,du Greco pour ne citer qu’eux). Au XVIIIe siècleapparaît la béquille telle que nous la connaissonsencore aujourd’hui. Les premières béquilles réglablesont été introduites en France par des prisonniersrevenant d’Allemagne après la première guerremondiale. La béquille axillaire standard reste l’aide laplus utilisée dans les pays anglo-saxons, car elle estla plus efficace pour les handicaps sévères.

■Médecin généraliste :

rôle de conseil

La loi d’orientation du 30 juin 1975 garantit, pourles handicapés en particulier, un minimum deressources, l’intégration sociale, l’accès aux sports etaux loisirs [2]. L’Organisation mondiale de la santé aévalué six dimensions du handicap, en particulier lesfonctions et la capacité de l’individu à maintenir uneexistence effectivement indépendante quant auxbesoins physiques de son corps (hygiène corporelle,se nourrir), à se déplacer effectivement dans sonenvironnement, à occuper son temps de façoncoutumière à son sexe, son âge et sa culture... Cesabords nouveaux, conceptuels et pragmatiques, desdimensions du handicap ont permis de mieux saisirses différents aspects, médicaux, fonctionnels,sociaux et économiques, de même qu’ils ont été àl’origine d’évaluations plus précises et de meilleuresplanifications des soins et interventions diverses [3].

Le médecin de famille, au centre du dispositif desoins et de prise en charge du malade handicapé, encollaboration avec les services sociaux proches dudomicile, est le référent pour un certain nombre deconseils et d’aides : pour l’aspect fonctionnel duhandicap conséquence de la déficience, le contrôlede l’environnement à domicile, l’accessibilité dulogement, les différents dispositifs d’aide à lacommunication, l’utilisation des aides techniques, laprescription de l’appareillage, chaussuresorthopédiques, orthèses, fauteuils roulants.

■Matériels disponibles [6]

‚ Aides techniquesLes aides techniques sont les divers moyens

matériels utilisables pour se mouvoir, agir sur sonenvironnement, pour communiquer, pour accomplirdes tâches de la vie quotidienne, domestique, socialeet professionnelle. Elles permettent d’assurerl’indépendance fonctionnelle, le confort et lasécurité. Elles s’adressent à tous les types de déficits :moteurs (neurologiques, conséquence de lésions del’appareil locomoteur traumatiques, rhumatisma-les...), sensoriels, également troubles des fonctionscognitives. Cependant, des troubles importants ducomportement sont difficilement contournables etune assistance humaine est en règle nécessaire.

Les aides techniques sont souvent classées selonles besoins : aides à la marche et à la locomotion,aides pour les soins personnels, pour les activitésdomestiques, pour l’adaptation du logement, pour lacommunication et les systèmes de contrôled’environnement.

L’aide technique doit être efficace (aide réelle dansla vie courante). La prescription doit donc êtreindividuelle, fondée sur l’évaluation des besoins réelset souvent sur un essai en situation. Elle doit êtrefiable, évolutive, en particulier dans certainesmaladies rapidement progressives.

Aides à la marche

Parmi ces aides techniques, les moyens dedéplacement sont les plus importants. Ilsconditionnent l’indépendance du patient. Cesmoyens de déplacement comprennent les fauteuilsroulants et les aides à la marche : barres parallèles ;déambulateurs ou cadres de marche ; béquilles etcannes-béquilles ; cannes.

¶ CannesIl en existe de hauteur réglable ou de longueur

ajustée à la morphologie du patient. La poignée doitpermettre une prise efficace, notamment en cas depolyarthrite ou de spasticité.

Les cannes à appui antibrachial (cannes anglaisesou canadiennes, cannes Schlick) comprennent unbracelet d’avant-bras.

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La canne-accoudoir permet l’appui sur lesavant-bras grâce à une gouttière d’appui horizontale.Elle permet de ne pas solliciter les mains et lespoignets en cas d’affection rhumatismale ou delésions traumatiques distales du membre supérieur,en cas d’ankylose du coude à angle droit.

Les cannes tripodes offrent une bonne stabilité auprix d’un poids et d’un encombrement accrus. Ellespeuvent être utiles chez certains patients présentantdes troubles de coordination ou un contrôle posturalmédiocre.

¶ Appareillage de transfertC’est une aide directe à la personne handicapée

(potences, poignées et barres de lit, barres d’appuimurales, dispositifs de levage et transfert,rehausseurs) ou une assistance à la tierce personne,lève-malade en particulier. Le lève-maladehydraulique et mécanique est plus coûteux et pluslourd. L’encombrement général et la manipulationdu dispositif, la possibilité d’accéder facilement aupatient sont des éléments de choix.

¶ Orthèses [10]

Les orthèses sont destinées à compenser ou àsuppléer la fonction déficitaire d’un ou plusieurssegments corporels, et à corriger, le cas échéant, lesaggravations sur l’appareil locomoteur secondaires àce déficit. Ce sont des appareils de prévention, decorrection ou de substitution d’une déficience.

Le caractère modulaire d’un grand nombre decomposants et l’adaptation individuelle de lamajorité des orthèses permettent de nombreusespossibilités d’appareillage qui répondent à la plupartdes situations cliniques et à leur évolution.L’efficacité, l’adaptabilité et l’esthétique de cesappareils retentissent sur la qualité de vie despatients.

Orthèses de membre inférieurLes orthèses d’immobilisation sont des appareils

destinés à l’immobilisation d’un segment demembre, d’un membre ou d’une partie plusimportante du corps du patient, pour le placer endécubitus, pour l’asseoir ou le mettre debout.

L’importance de l’orthèse de marche estproportionnelle au déficit moteur. Tout ce qui enaméliore les performances (qualité de l’adaptation,rapport poids/solidité, fonctions biomécaniques) estimportant.

Les releveurs de pied permettent de stabiliser lespieds ayant un déficit des fléchisseurs dorsaux de lacheville, qu’il soit transitoire ou définitif : releveurs enplastique au contact de la peau ou dispositifsappliqués sur des chaussures.

Les orthèses de genou sont de types divers :attelles d’immobilisation ; genouillères élastiques ;orthèses pour instabilité de genou post-traumatique.

Les attelles d’immobilisation sont utilisées dansun contexte traumatique d’urgence (hémarthrose,contusion, entorse), en postopératoire ou au coursd’affections médicales (atteintes inflammatoires ouinfectieuses du genou). Elles peuvent être réalisées àtitre provisoire en plâtre, en résine hydrodurcissable(Scotchcastt, Dynacastt, etc) ou en polyuréthane.

Les orthèses de stabilisation du genou, ouorthèses fonctionnelles, sont fabriquées en série ousur mesure. Leur rôle est de réduire les instabilitésséquellaires des traumatismes ligamentaires quandelles sont insuffisamment compensées par larééducation ou la chirurgie.

Les genouillères élastiques, réalisées en série, ontun but antalgique mais un rôle modeste decontention. L’indication essentielle concerne lapathologie rotulienne.

Les orthèses stabilisatrices de cheville,préfabriquées, paraissent être un excellentcompromis entre le traitement fonctionnel etl’immobilisation stricte. Les modèles les plus courantssont : l’attelle Aircastt, pneumatique amovible, avecune version training autorisant une flexion plantairecomplète ; l’orthèse Malléoloct, composée d’unelame de matériau thermoformable, se situe entre lestrapping qui stabilise la cheville et la botte plâtréeou en résine qui l’immobilise.

Orthèses rachidiennes de maintien et/ou d’aide à lamarche

Les orthèses cervicales sont utiles dans denombreuses situations cliniques, le plus souvent defaçon transitoire. Les plus fréquentes sont les collierscervicaux, les minerves, les orthèses cervicales avecappui occipitomandibulaire (miniminerves). Le portprolongé d’une minerve est susceptible deprovoquer une sorte d’habituation-dépendance etl’ablation de l’orthèse doit être progressive.

Les orthèses thoracopelviennes pour cyphosesdorsales ou scolioses, particulièrement chez lespersonnes âgées, sont souvent mal tolérées, ce quiréduit beaucoup leur utilisation, d’autant quel’efficacité au plan de la correction de la déformationn’est que partielle.

Les orthèses d’immobilisation lombaire (ceintureset corsets), de prescription courante, existent en unegamme d’offres très diversifiée permettant unebonne adéquation de l’orthèse au malade et à lamaladie.

Le lombostat provisoire est réalisé en plâtre, enrésine hydrodurcissable, en résine de polyuréthane,en thermoplastique basse température.

Les ceintures et corsets du petit appareillage, pourun port au long cours, réalisent une contentionsouple ou renforcée.

Les corsets de grand appareillage (instabilitérachidienne marquée, déformations évolutives) sontrapidement confect ionnés en matériauxthermoplastiques. Au long cours, la réalisation encuir et métal offre plus de confort.

Orthèse pneumatiqueSchématiquement, l’orthèse se présente sous la

forme d’un vêtement en fibres synthétiques. Ellerecouvre soit les membres inférieurs et le tronc, soituniquement les membres inférieurs.

¶ ProthèsesLes prothèses ont pour objet de remplacer

artificiellement l’absence d’un ou plusieurs segmentscorporels. Après la période de rééducation à lamarche faite avec des appareils provisoires vientcelle de l’appareillage dit définitif. La fabrication dece matériel est confiée à un orthopédiste, quiprocède à son montage et à son adaptation. Lerééducateur peut suivre encore l’amputé pour l’aiderà utiliser sa prothèse dans les meilleures conditions.

¶ Chaussures orthétiques [10]

L’orthèse plantaire, au centre de la chaussureorthétique, joue un rôle majeur, celui de compensertoutes les anomalies d’appui du pied au sol.

Les chaussures orthétiques sont indiquées en cas :– d’amputation du pied ;– de déformations du pied ;

– de déformations partiellement réductibles ouirréductibles des orteils ;

– de troubles de la statique plantaire et dudéroulé du pas (pied creux varus, pied de l’infirmemoteur cérébral, pied bot) ;

– de troubles trophiques. Le contexte artéritiquepose le problème de pieds au revêtement cutanéfragi le des diabét iques. Des chaussuresthérapeutiques de série, adaptables parthermoformage (Podiabètet) apportent souvent dessolutions ;

– de troubles paralytiques ; la paralysie desreleveurs du pied, périphérique ou centrale, flasqueou spastique, associée ou non à celle d’autresmuscles de la jambe, peut relever du port dechaussures orthétiques ;

– de raccourcissements ; le raccourcissementd’un membre inférieur (quelle qu’en soit l’origine) estcompensé par une chaussure orthétique à partir de2 cm (en dessous, on compose éventuellement unetalonnette, une orthèse plantaire ou unesurépaisseur du talon d’une chaussure ducommerce).

La chaussure de compensation est une chaussurepour pied du membre inférieur sain controlatéral.

¶ Fauteuils roulants [4, 6]

Le fauteuil roulant est une aide technique quicompense l’incapacité de marcher. Il peut aussiredonner une mobilité dans le plan vertical (fauteuilsverticalisateurs). Pour le malade, l’idéal estl’indépendance complète en fauteuil roulant pour lestransferts (du fauteuil roulant au lit, à la baignoire, ausiège des toilettes, au siège de voiture...) et pour lesdéplacements (montée et descente des trottoirs en« deux roues », descente de quelques marches avecun fauteuil roulant manuel, évolution sur toutterrain, rangement du fauteuil roulant dans lavoiture). Souvent, l’indépendance est beaucoup pluslimitée, voire quasi nulle : les transferts sontimpossibles sans aide et le fauteuil roulant estpoussé par le conjoint ou la tierce personne.

Les indications du fauteuil roulant sont lesamputations des membres inférieurs, les atteintesneurologiques par hémiplégie, paraplégie, maladiede Parkinson, sclérose en plaques..., les atteintesarticulaires douloureuses et destructrices, lesatteintes musculaires, les troubles de l’équilibre, leschutes fréquentes...

Le fauteuil roulant à propulsion manuelle estindiqué chaque fois que la marche est difficile ouimpossible malgré l’utilisation éventuelle d’orthèsesou de prothèses, et chaque fois que la marche estcontre-indiquée pendant un temps donné (location).Il est indiqué lorsqu’il y a atteinte d’un ou des deuxmembres inférieurs mais utilisation possible d’aumoins un des deux membres supérieurs.

Le fauteuil roulant à propulsion par moteurélectrique est indiqué lorsque la personne ne peutelle-même se propulser en fauteuil manuel.L’existence de troubles cognitifs (altération desfonctions supérieures, troubles du comportement) etde troubles sensoriels (vision, audition) peut rendredifficile, voire dangereuse, la conduite d’un véhiculeélectrique et doit être prise en compte.

Aides des membres supérieurs [6]

Les aides des membres supérieurs sont desadaptations et des aides techniques pourl’alimentation, la toilette, l’habillage, les tâchesménagères et les loisirs. Les dispositifs les plus

3-1500 - Aides techniques. Appareillage

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Page 35: Le Manuel Du Généraliste - Divers

répandus ont pour principe la facilitation de lapréhension, la stabilité de l’objet manipulé(dispositifs de fixation, supports antidérapants),l’augmentation de la distance d’action, la réductiondes contraintes (systèmes de démultiplication oud’empaumement).

¶ Aides à la préhensionLes aides à la préhension sont diverses :– bracelet métacarpien (ou orthèse) fixé autour

de la main et comportant une poche ou une pincedestinée à bloquer le manche d’un outil : couvert,stylo, brosse à dents ou autre ;

– grossissement de l’objet : soit simple tube enmousse dans lequel son manche est glissé, soitmousse ou résine modulable permettant uneréalisation individualisée ; des dispositifs spécifiquessont également commercialisés : adaptateur pourcrayon, boules de préhension, poignées ; certainsoutils répondent aux difficultés de préhension fine,comme les enfile-boutons, les clips de laçage ; il nefaut pas négliger les possibilités d’adaptation duvêtement (déplacement du boutonnage en avant,velcro, fermeture à glissière ou à pression) ;

– pinces à long manche qui permettent deramasser des objets au sol sans avoir à se baisser oude saisir un objet en hauteur ;

– couteau-fourchette en cas d’hémiplégie ;– objets pouvant être fixés à l’aide de ventouses

ou de serre-joints : bols, brosses, épluche-légumes,râpes ; une autre possibilité de fixation est offerte pardes planches ou des supports munis de pointespermettant le maintien du légume ou du painpendant la découpe, ou encore percés de trous oùest bloqué le bocal dont on veut dévisser lecouvercle ;

– prolongation d’instruments avec long manche(chausse-pied, brosse, enfile-bas par exemple) ;

– tiges à crochet ou d’enfilage des vêtements ;– dispositifs pour actionner les clés, les poignées

de fenêtre ou de porte, la robinetterie.La commande myoélectrique des prothèses et

orthèses du membre supérieur est d’un principesimple. Le signal myoélectrique, produit par lacontraction d’un muscle indemne en totalité ou enpartie, est capté au niveau de ce muscle, amplifié, etcommande le fonctionnement d’un moteur ou d’unmuscle pneumatique.

¶ Orthèses de la main [11]

Les orthèses de la main jouent un rôle importantdans la rééducation fonctionnelle de la mainhandicapée. Elles doivent respecter les principes dephysiologie de la main. Elles doivent être simples,faciles à confectionner rapidement, faciles à mettreen place et à enlever par le patient lui-même. Ellesdoivent également être « confortables », donc peuencombrantes, non traumatiques pour la peau etn’entraînant aucune douleur. Enfin, point capital,elles doivent être esthétiques. Ces impératifs sontsouvent contradictoires et l’on doit se contenter d’uncompromis. La surveillance, l’adaptation de l’orthèseà l’évolution, l’entraînement à la mise en place et àl’utilisation nécessitent une collaboration étroiteentre le malade d’une part, le médecin de médecinephysique et de réadaptation et son équipe(ergothérapeutes, appareilleurs, kinésithérapeutes)d’autre part.

Les orthèses de la main sont différentes selonl’objectif que l’on poursuit :

– orthèses de repos utilisées dans la mainrhumatismale et dans certaines affections

neurologiques, et orthèses d’immobilisation mises enplace par le chirurgien en cas de lésion osseuse,tendineuse ou ligamentaire ;

– orthèses correctives, exerçant une contraintedans le but de réduire une raideur ou unedéformation ; on trouve les contraintes rigides(plâtres) et les contraintes élastiques (ressorts, lamesmétalliques souples, tracteurs de caoutchouc) ;

– orthèses statiques de fonction, par exemple lesorthèses maintenant le poignet et le pouce dans uneparalysie radiale pour améliorer la préhension, lesorthèses utiles dans les mains rhumatismales enbloquant un poignet douloureux pour permettre unemeilleure utilisation des doigts ;

– orthèses dynamiques de fonction, transposantaux doigts le travail effectué par le poignet (orthèsede ténodèse) ou des systèmes de commande plusou moins complexes (mécaniques, myoélectriques).

Beaucoup de ces orthèses jouent un rôle dans larééducation des éléments anatomiques de la main :une orthèse de fonction permet le réentraînementdes articulations non immobilisées et contribue àredonner un sens kinesthésique correct. Bonnombre d’orthèses poursuivent plusieurs objectifs.Une orthèse de fonction prévient également lesraideurs et permet même, par son utilisation, derécupérer certaines amplitudes articulaires.

Literie et lits [6]

La literie doit être ferme, épousant le poids ducorps, facile à désinfecter et à nettoyer. À côté desrisques de lésions cutanées liés à une surpressionfocale, la macération, le poids du matelas ou safragilité peuvent être autant d’inconvénients. Il n’y apas de matelas idéal convenant à toutes lessituations. Il faut souligner que si un support bienchoisi peut devenir un appoint précieux pourl’équipe soignante, il ne doit jamais se substituer auxmesures de nursing, particulièrement de préventiond’escarres.

Les lits médicaux simples ne peuvent convenirque pour des personnes ayant un bon niveaud’autonomie ou comme solution temporaire. Dansles autres cas, un sommier articulé est préférable,permettant au moins de redresser le buste, et le plussouvent de soulever le pied du lit. La motorisation etla commande électrique en simplifient considéra-blement le maniement et permettent au handicapéde modifier sa position sans l’intervention d’un tiers.Certains de ces lits sont réglables en hauteur,permettant de faciliter les transferts ou l’interventiond’une tierce personne. D’autres permettent uneinclinaison longitudinale ou latérale pour rendre lessoins plus aisés. Enfin, il existe même des lits deverticalisation, qui sont en fait plus des outils derééducation que du mobilier à l’usage du handicapéà domicile.

Les lits de traitement des escarres peuvent êtreséparés en deux groupes : les lits à appui intermittentet les lits à appui permanent. Les lits à appuiintermittent sont des lits motorisés permettantl’inclinaison variable et parfois le retournement dupatient, et donc une décharge régulière des zonesd’appui. Ils ont l’avantage de permettre un maintienorthopédique rigoureux (immobilisation, posture,mise en traction) mais sont coûteux et encombrants.Les lits à appui permanent (lits fluidisés parsuspension de billes de silice et, plus récemment, litsà air) voient leur utilisation réduite par leur coûtélevé, mais aussi par certaines contraintes : bruit de

fonctionnement, encombrement et poids élevés,déshydratation de l’alité, difficulté du nursingorthopédique.

Les matelas sont de différents types : en mousse(cliniplots), à eau ou surmatelas à air.

‚ Accessibilité et contrôlede l’environnement. Aides à lacommunication [6, 8]

Accessibilité du logement et des bâtiments

L’accessibilité du logement et des bâtiments estévaluée par la visite à domicile de l’équipe derééducation, l’individu concerné, les partenaires dusoutien à domicile (proches ou professionnels).

Elle nécessite :– le dégagement des espaces de circulation (en

fauteuil roulant, une largeur minimale de passage de90 cm) ;

– le remplacement des portes à gonds ;– la suppression des facteurs de chutes ou

blessures ;– l’adaptation à la manipulation des poignées,

robinetterie, volets et rideaux ; la hauteur du lit et desfauteuils choisis pour permettre des transfertsfaciles ;

– l’accès au mobilier de rangement ;– les aides techniques qui facilitent les transferts :

barres d’appui et de traction ; potence ; systèmerehausseur d’assise, en particulier dans les toilettes ;pour la douche ou le bain, un système d’assise et desprotections antidérapantes peuvent être proposés.

Contrôle d’environnement spécifiquementadapté aux personnes handicapées

– Téléthèses d’environnement (systèmespermettant d’agir à distance).

– Appels, systèmes de détection d’anomalies.– Activités de la vie de relation (communication,

jeux et loisirs).– Maîtrise du confort (éclairage, contrôle

thermique...).

Rôle d’environnement pour tous. Domotique

Il s’agit de fonctions simples de contrôled’environnement et de téléalarme, programmationdes appareils électrodomestiques, boîtier uniquepermettant leur commande par un sujet à mobilitéréduite.

La téléalarme est très répandue. Elle permet decomposer des numéros téléphoniques préétablis oud’alerter un standardiste de veille. Elle est utile chezles personnes handicapées isolées, notamment lespersonnes âgées exposées au risque de chutes. Lestroubles intellectuels importants ne permettent passon utilisation.

Les moyens de télétransmission peuventpermettre parfois l’exercice d’une activitéprofessionnelle. Les limites en sont le coût élevé, ladifficulté d’aménagement dans un logement ancien,la maintenance et la fiabilité des systèmes.

Aides à la communication en cas de déficitmoteur

La « sonnette » habituelle est remplacée par descontacteurs utilisant les possibilités résiduelles desmembres, du tronc ou cervicoencéphaliques :interrupteur ultrasensible ou à effleurement,contacteur à surface élargie (en cas de mouvementsanormaux), contacteur au souffle ou au bruit. Cescontacteurs sont placés sur un support ou un bras

Aides techniques. Appareillage - 3-1500

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souple pour être facilement accessibles à lapersonne handicapée, peut-être relayés par undispositif de téléassistance.

La communication écrite peut être aidée par legrossissement du stylo, un bracelet carpien, uneorthèse de maintien, la suspension ou un dispositifde support du membre supérieur en cas de déficitproximal. Les moyens informatiques (traitement detexte, dessin assisté par ordinateur) tendent àremplacer, malgré leur coût, les machines à écrire.Pour la lecture, des chevalets permettent unpositionnement adéquat des documents. On trouvediverses aides pour tourner les pages : doigtier,embout buccal ou licorne, bracelet métacarpien,tourne-pages électrique.

En cas de difficultés d’expression orale, on peututiliser des tableaux de communication, soit simpleplanche de lettres ou de pictogrammes simples, soittableau plus sophistiqué de plusieurs pages utilisantun langage symbolique ou des segments de phraseet des éléments syntaxiques permettant unecommunication plus élaborée.

■Règles de prescription [9]

‚ Qui doit prescrire ? Quand ?Le petit appareillage est prescrit par le médecin

traitant.Le grand appareillage est prescrit par des

médecins compétents en médecine physique et deréadaptation, rhumatologie, chirurgie orthopédique.Il peut également être prescrit par le médecin traitantou d’autres spécialistes, après consultation dupatient dans un centre médicotechnique spécialisé.

La prescription doit se faire le plus précocementpossible, dès que la mutilation ou l’invalidité peutêtre considérée comme définitive.

‚ Faut-il une demande d’ententepréalable ?

La demande d’entente préalable est en généralnécessaire en cas de prescription de petitappareillage. Elle est obligatoire en cas deprescription de grand appareillage.

Elle doit être adressée à la caisse primaired’affiliation. C’est elle qui ouvre les droits auremboursement.

‚ Qui délivre l’accord de prise en charge ?Dans tous les cas de prescription de petit

appareillage, c’est la caisse primaire d’affiliation oude subsistance qui délivre l’accord de prise encharge, après avis du médecin-conseil pour lesarticles soumis à entente préalable. L’accord doit êtreexpress. L’accord tacite, à défaut de réponse de lacaisse dans un délai de 10 jours, ne joue pas enmatière d’appareillage. L’assuré qui ne se seraitsoumis à cette disposition s’expose à un refus deremboursement.

En ce qui concerne le grand appareillage, c’est lecentre d’appareillage qui délivre l’accord de prise encharge, après accord de la caisse primaired’affiliation ou de subsistance, avis favorable del’intéressé et répondant à la prescription médicale.

‚ Qui participe aux frais engagésà l’occasion de l’achat,du renouvellement, des réparations ?

Dans tous les cas, c’est la caisse primaired’affiliation.

Il n’y a pas application du ticket modérateur encas de fourniture de petit appareillage, sauf danscertains cas d’exonération. Le ticket modérateur estappliqué en cas de fourniture de grand appareillage,sauf pour la prothèse oculaire et les chaussuresorthétiques.

‚ Qui fabrique ?

C’est le fournisseur agréé par la caisse régionaled’assurance maladie qui fabrique l’appareillage,après avis de la commission nationale consultativeen cas de grand appareillage.

‚ Qui facture ?

C’est le fabricant lui-même s’il est agréé, ou lesapplicateurs agréés non fabricants, qu’il s’agisse depetit ou de grand appareillage.

‚ Qui contrôle ?

En cas de petit appareillage, c’est le médecin-conseil de la caisse primaire qui contrôle enattribution, pour les articles soumis à ententepréalable. En réception, c’est le médecin-conseilattaché à la caisse primaire sur demande du serviceadministratif.

En cas de grand appareillage, c’est la commissiond’appareillage qui contrôle en attribution et enréception, après inscription du patient au centred’appareillage.

Les renouvellements ne sont pas systématiques àl’expiration des délais de garantie opposables auxfournisseurs, que ce soit pour du petit ou du grandappareillage.

■Prescription [9]

‚ Aides techniques

Critères de choix et prescription d’une aidetechnique

La prescription d’une aide technique ne peut seconcevoir comme une prestation isolée. Elle doits’intégrer dans un projet de rééducation ou deréadaptation. Il faut prendre en compte la dimensionsymbolique de certains matériels comme, parexemple, la proposition d’un fauteuil roulant ou d’undisposi t i f de contrôle d’environnement .L’ergothérapeute joue un rôle important dansl’information du patient sur les différents dispositifsexistants, dans le conseil et l’adaptation du matériel.

Téléthèses et moyens robotiques. Animauxd’assistance

Deux difficultés sont particulièrement marquéesdans le domaine du contrôle d’environnement : lamultiplicité des fournisseurs alors que le marché esttrès étroit ; l’essor technologique rapide qui rend lesmatériels obsolètes. La maintenance et lacompatibilité des matériels avec des développe-ments technologiques futurs sont problématiques.

‚ Aides à la marche

Toute aide à la marche doit faire l’objet d’uneprescription médicale. Il ne s’agit pas d’une simpleformalité car chaque type de marche peut nécessiterune aide adaptée et inversement. La prescriptiond’une aide à la marche tient compte descaractéristiques d’utilisation des différentes aides, des

possibilités du sujet, du type de marche envisagé etégalement de l’utilisation d’une prothèse ou d’uneorthèse.

‚ Orthèses et prothèses

Un appareillage parfaitement adapté est difficile àobtenir (brièveté des segments, encombrement del’orthèse, efficacité, conservation de l’usage de lamain, esthétisme, etc). L’orthèse doit être stable ettoutes les forces qui s’appliquent sur elle doivents’équilibrer. Aucun glissement ne doit entraîner demodifications des appuis sous peine pour l’orthèsede perdre toute efficacité, voire d’être nocive.L’orthèse doit être confortable. La surveillance de labonne adaptation des orthèses de main justifie unsuivi systématique et une information des patientsquand il existe des risques cutanés liés aux troublessensitifs ou trophiques.

La partie passive des orthèses de main etd’avant-bras est le domaine privilégié desthermoplastiques basse température (Aquaplastt,Polysart, San Splitt, Hexcelitet, Orfitt). Ilsramollissent dans de l’eau chaude (ou une étuve)entre 50 à 70 °C. Ils se moulent directement sur lepatient. Ils sont perforés pour limiter le confinementcutané responsable d’une exagération de latranspiration.

Les thermoplastiques haute température(polypropylène, polyéthylène) sont plus rarementutilisés et sont réservés aux segments de bras oud’avant-bras. Ils ont une température deramollissement comprise entre 140 et 170 °C et semoulent sur un dispositif plâtré.

Pour la prescription d’une orthèse de grandappareillage, le prescripteur doit préciser toutes lesparticularités de l’orthèse commandée : finalités,matériaux, hauteur sur la main ou l’avant-bras,points d’appui, détails des fonctions, etc. Lesspécifications doivent être nombreuses et précises,surtout si l’appareilleur n’est pas habitué à lafabrication de cet appareillage.

Les orthèses sont prescrites dans un contextemédical (neurologique, rhumatologique, pédiatrique,gériatrique, etc) ou chirurgical (urgence traumatique,orthopédie), pour un traitement d’une durée limitéeou pour la compensation d’une déficience définitive.

Le petit appareillage est fabriqué en série, selondes tailles standardisées. Sa vente est assurée pardes orthoprothésistes, des pharmaciens et desrevendeurs de petit appareillage agréés. Le grandappareillage est fabriqué sur mesure ou sur moulagepar des orthoprothésistes agréés. Environ 10 % de laproduction, le plus souvent à titre provisoire, sontréalisés dans les ateliers intégrés des centres ou desservices de médecine physique et de réadaptation.

‚ Chaussures orthétiques

Des prescriptions détaillées, établies en fonctiondes spécificités de chaque patient et des moyens desorthoprothésistes, garantissent le succès de cetappareillage.

Un pied tombant simple pose peu de problèmestechniques. Les difficultés sont liées à l’extension dela paralysie au membre inférieur, au caractèrecentral de l’atteinte, à l’importance de l’hypertoniespastique, à l’existence de troubles sensitifs associéset à celle de déformations orthopédiques au pied.

3-1500 - Aides techniques. Appareillage

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‚ Fauteuils roulants

Critères de choix

Ils sont liés à l’utilisateur mais également auxconditions d’utilisation. Il faut évaluer le type dedéficience, le degré d’indépendance, l’âge, lamorphologie, les conditions d’utilisation, les goûts,ainsi que les ressources financières du patient. Unedéficience temporaire entraîne une location dufauteuil, une déficience définitive son achat.

Prescription

Elle doit mentionner les éléments suivants :– propulsion manuelle ou par moteur électrique ;– largeur de siège ;– dans le cas d’un fauteuil roulant manuel :

grandes roues arrière ou avant, fauteuil pliant ounon, allégé ou non (poids de 10 à 20 kg) ;

– dans le cas d’un fauteuil roulant électrique :type de commande (manuelle de série sur tablette ;actionnée par la tête, la nuque, l’épaule, le coude, legenou, le pied ; commande à la langue, au souffle, àla voix ; commande accompagnateur...).

Elle doit mentionner les adjonctions :– coussin d’aide à la prévention des escarres ; il

surélève l’assise et il faut en tenir compte pour leréglage des repose-pieds et pour la hauteur desaccoudoirs, mais les accoudoirs réglables apportentun supplément de poids ;

– sangle de tronc, ceinture de sécurité, siègecoquille, cale-tronc en cas de tronc ballant ou demouvements involontaires ;

– appui-tête, dossier haut, coussin de dossier ;– dossier inclinable : position de repos si

transferts impossibles (tétraplégiques, personnesâgées), limitation de la flexion de la hanche(arthrodèse), manque d’équilibre du tronc ; pour quele fauteuil soit stable, penser au déport de l’axe desgrandes roues vers l’arrière ;

– séparation de cuisse (cale antiadduction) ;– garde-robe ;– repose-jambes réglable : position de repos,

surélévation d’une jambe plâtrée ou œdématiée,avec ou sans gouttière ;

– cale-pieds et sangles talonnières ;– dispositif pour conduite unilatérale (hémiplégie)

en précisant le côté : double main courante ; systèmeà levier ;

– tablette ;– aménagement des mains courantes (difficultés

de préhension : tétraplégie, déformationsrhumatismales des doigts) : ergots, revêtementcaoutchouté antidérapant, mains courantes élargiesou moulées ;

– roues gonflables (tout terrain) ou à bandage(intérieur, plus maniable) ;

– commande des systèmes d’immobilisationallongée ou élargie (poignée moulée).

■Problèmes financiers. Prise en

charge par les organismes

de sécurité sociale [6]

‚ Aides techniques

Les couteaux-fourchettes, les verres-pipettes, lesenfile-bas, les potences de lits, des systèmes deverticalisation et lève-malade, les poussettes, lescannes et déambulateurs sont par exemple pris encharge sur la base du tarif de remboursement, quipeut néanmoins laisser une part importante du coûtà la charge de l’usager. Les autres aides techniques,non inscrites au TIPS, peuvent parfois être prises encharge partiellement ou en totalité dans le cadre desprestations extralégales, sur demande spécialeauprès de la caisse d’assurance maladie. Desmutuelles, des associations peuvent égalementparticiper au financement. Les caisses d’allocationsfamiliales ou de retraite, les collectivités locales, lePACT (protection, amélioration, conservation,transformation de l’habitat ancien) peuvent fournirune aide pour des adaptations du logement. Lefonds pour l’insertion professionnelle des personneshandicapées (AGEFIPH) peut intervenir pourl’aménagement du poste de travail. Cette multiplicitédes financeurs potentiels entraîne des démarcheslongues et complexes et fait obstacle au retourrapide au domicile.

‚ Orthèses

Pour donner lieu à prise en charge, les orthèsesdoivent correspondre à la description du TIPS. Lesorthèses de grand appareillage sont prises en chargeà 100 % sous réserve que les caractéristiquestechniques et les références du TIPS soientrespectées. Le tarif est dit opposable, c’est-à-direqu’aucun supplément ne peut être demandé aupatient. Les orthèses de petit appareillageappartiennent également au TIPS, mais leur prise encharge relève d’un tarif de responsabilité : lesorganismes de sécurité sociale limitent leur prise encharge à un forfait. Le complément est apporté par lepatient, partiellement remboursé par la mutuelle. Lecoût des appareils prescrits et réalisés au cours d’unehospitalisation entre dans le budget global del’établissement. Il en est de même des appareilsréalisés dans les ateliers intégrés.

‚ Chaussures orthétiques

La prise en charge des chaussures est délivrée parpaire. Quand la pathologie est unilatérale, lachaussure controlatérale est de compensation ou decomplément. La première mise comprend deuxpaires de chaussures orthétiques. Le renouvellementest fonction de l’utilisation (au maximum une pairepar an). Des réparations du semelage, de la semelleinterne ou de la tige sont prises en charge. Le ticketmodérateur (à régler par le patient ou sa mutuelle)

est de 35 %. Dans les cas d’affection de longuedurée la prise en charge est de 100 %.

‚ Fauteuils roulants

Tous les fauteuils ne sont pas agréés parl’assurance maladie et beaucoup ont un prixsupérieur au tarif de remboursement. La fractionsupplémentaire du prix du fauteuil et de sescompléments est à la charge de l’usager. Pourobtenir le remboursement, une prescriptionmédicale indiquant les principales caractéristiques etles adjonctions souhaitées doit être adressée à lacaisse d’assurance, accompagnée d’une demanded’entente préalable et d’un devis correspondant auxindications techniques de l’ordonnance. Ce devis estétabli par un fournisseur agréé, choisi par lapersonne handicapée. Certaines caisses assurentune fourniture directe par leur service appareillage.Rappelons que le fauteuil roulant reste la propriétéde l’organisme de prise en charge et doit être restituéen fin d’utilisation. Si le fauteuil n’est nécessaire quepour une durée courte, on peut recourir à unelocation. Le premier mois de location est accordésans entente préalable. Celle-ci devient nécessaireau-delà, avec une durée qui ne peut pas dépasser 12mois.

■Filières

La distribution des aides techniques se heurte à ladiversité des voies de distribution, à la rareté desdistributeurs spécialisés, à la multiplicité desfabricants, à des fabrications de qualité irrégulière eten faible série, à des prix de vente parfois excessifs.Certains dispositifs simples peuvent être fabriquéspar les services d’ergothérapie et les ateliersd’appareillage.

■Adresses utiles

Le réseau européen Handynet(http\\wal.autonomie.org/guide/df_25.htm/) gèreune banque de données sur les aides techniques.

Centres d’information et de conseils sur les aidestechniques.

Secrétariat général pour l’administration (SGA).Direction des statuts, des pensions et de la

réinsertion sociale.CERAH - Bellevue, BP 719, 57147 Woippy cedex.Téléphone : 03 87 51 30 30. Télécopie

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Aides techniques. Appareillage - 3-1500

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Michel Perrigot : Professeur des Universités, praticien hospitalier.Mathilde Chevignard : Chef de clinique-assistant.

Pascale Pradat-Diehl : Praticien hospitalier.Service de médecine physique et de réadaptation, groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière, 47, boulevard de l’Hôpital, 75651 Paris cedex 13, France.

Viviane Veaux-Renault : Docteur en médecine,14, avenue Ledru-Rollin, 75012 Paris, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Perrigot M, Veaux-Renault V, Chevignard M et Pradat-Diehl P. Aides techniques. Appareillage.Encycl Méd Chir (Editions Scientifiques et Médicales Elsevier SAS, Paris, tous droits réservés), AKOS Encyclopédie Pratique de Médecine, 3-1500, 2002, 6 p

R é f é r e n c e s

[1] Arrêté du 24 août 2000 modifiant le titre IV du TIPS et relatif aux véhiculespour handicapés physiques.JO20 septembre 2000 : 14698-14701

[2] Charpentier P. Handicap et environnement.Encycl Méd Chir(Éditions Scien-tifiques et Médicales Elsevier SAS, Paris), Kinésithérapie - Médecine physique etde réadaptation, 26-170-B-20, 1998 : 1-6

[3] Charpentier P, Aboiron H. Classification internationale des handicaps.EncyclMéd Chir(Éditions Scientifiques et Médicales Elsevier SAS, Paris), Kinésithéra-pie - Médecine physique et de réadaptation, 26-006-B-10, 2000 : 1-6

[4] Fodé P, Defert H. Les assises de fauteuil roulant.Technimedia1994 ; 56 :15-18

[5] Held JP, Dizien O. Traité de médecine physique et de réadaptation. Paris :Flammarion Médecine-Sciences, 1998

[6] Joseph PA, Daverat P. Indépendance et activités de la vie quotidienne. In :Held JP, Dizien O éd. Traité de médecine physique et de réadaptation. Paris :Flammarion Médecine Sciences, 1998 : 262-275

[7] Les véhicules pour handicapés physiques. Module médical, module techni-que. Paris : CERAH édition, 1999

[8] Mazaux JM. Communication. In : Held JP, Dizien O éd. Traité de médecinephysique et de réadaptation. Paris : Flammarion Médecine Sciences, 1998 :256-260

[9] Roques CF, Chatain M, Courtade D. La prescription en rééducation. In : HeldJP, Dizien O éd. Traité de médecine physique et de réadaptation. Paris : Flamma-rion Médecine Sciences, 1998 : 320-323

[10] Sautreuil P, Darmon L. Chaussures orthétiques. In : Held JP, Dizien O éd.Traité de médecine physique et de réadaptation. Paris : Flammarion MédecineSciences, 1998 : 311-319

[11] Sautreuil P, Fodé P. Orthèses. In : Held JP, Dizien O éd. Traité de médecinephysique et de réadaptation. Paris : Flammarion Médecine Sciences, 1998 :279-306

[12] Véhicules pour handicapés physiques. TIPS Titre IV 1999 ; 3 :22-27

3-1500 - Aides techniques. Appareillage

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Page 39: Le Manuel Du Généraliste - Divers

Handicap neuropsychologique

après traumatisme crânien

P Pradat-Diehl, M Chevignard, D Mazevet, K Vassilev

U n scanner cérébral normal ou presque ne permet pas de mettre en cause les séquelles cognitives sévères dutraumatisme craniocérébral.

© 2002 Editions Scientifiques et Médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Mots-clés : handicap, traumatisme crânien, neuropsychologie, orthophonie, réinsertion.

■Introduction

Cause bien connue d’urgence neurochirurgicale,les traumatismes crâniens sont aussi à l’origine deséquelles invalidantes mais souvent « invisibles » cartouchant des fonctions neuropsychologiquesélaborées.

■Épidémiologie : une population

d’hommes jeunes, un problème

de santé publique

On peut estimer en France l’incidence destraumatismes craniocérébraux (TCC) à 155 000/an,avec 12 000 décès et 3 000 à 4 000 cas de handicappersistant par an.

Les TCC sont dus aux accidents de la route dans60 à 70 % des cas. Il s’agit d’automobilistes,conducteurs ou non, de piétons renversés,d’accidents de moto ou de vélo plus rarement. Lesmesures de prévention routière ont amené unediminution du nombre de ces accidents, qui restentencore à un nombre dramatiquement élevé enFrance par rapport aux autres pays de lecommunauté européenne. Quinze pour cent de cesaccidents de la voie publique sont des accidents lorsdu trajet pour se rendre au travail et sont pris encharge dans le cadre de la législation des accidentsdu travail. Les autres causes sont les accidents deloisir et du sport, ainsi que les chutes.

Les TCC touchent particulièrement les hommesjeunes entre 15 et 25 ans, avec une netteprédominance masculine (sex-ratio deuxhommes/une femme). Deux autres groupes d’âge àrisque sont retrouvés : les enfants de moins de 5 anset les personnes âgées de plus de 75 ans. En outre,des caractéristiques sociologiques sont notées : lesdifficultés familiales, sociales, professionnelles ouscolaires avant la survenue du TCC semblent plusimportantes que dans la population générale. Ainsi,40 % des adolescents traumatisés crâniensprésentaient déjà des difficultés scolaires avant leTCC.

La fréquence des TCC et des handicapspersistants, la jeunesse des patients en font unproblème grave de société, qui a été mis en évidencepar une circulaire ministérielle dont l’auteur est JFBauduret, et des mesures spécifiques pour l’insertionde ces jeunes sont mises en application depuisquelques années.

■Traumatisme crânien à la phase

aiguë

‚ Lésions cérébrales et extracérébralesdu traumatisme craniocérébral

Les complications des TCC nécessitant untraitement neurochirurgical en urgence telles quel’hématome extradural (HED) ou l’hématomesous-dural (HSD) [3] sont particulièrement bienenseignées en faculté. Comme les fractures du crâneisolées, il s’agit de lésions extracérébrales. Mais lesmécanismes des lésions cérébrales proprementdites, ainsi que les séquelles qui en résultent, sontplus mal connues. C’est à cette pathologie que seréfère le terme de TCC utilisé dans cet article. Leslésions cérébrales des TCC sont des contusions etdes lésions axonales diffuses [2]. Les contusions sontdes zones de nécrose du tissu cérébral, souventhémorragiques, en regard du choc direct sur la boîtecrânienne (lésion de coup), ou parfois à l’opposé ducoup correspondant à l’impact du cerveau projetésur la boîte crânienne (lésion de contre-coup). Cescontusions sont situées dans les régions corticales, etdonc dans les zones relativement externes ducerveau. Elles sont souvent localisées dans le lobefrontal et fréquemment bilatérales et multiples. Leslésions axonales diffuses sont des lésionssous-corticales de la substance blanche, situées dansla profondeur du tissu cérébral. Elles correspondent àun étirement brutal des axones de communicationintra- ou interhémisphériques. Ces lésions axonalesseraient responsables d’un défaut d’activation dulobe frontal sans lésion frontale visible en imageriecérébrale. Ainsi, les lésions cérébrales destraumatismes cérébraux sont multiples (contusions)

ou diffuses (lésions axonales) et prédominent dans larégion frontale. Ce caractère diffus ou multipledifférencie les TCC des accidents vasculairescérébraux (AVC) où l’atteinte, même étendue, estsouvent limitée à un hémisphère et à un territoireartériel.

‚ Prise en charge des patients traumatiséscrâniens au décours du traumatisme

Les mesures de neuroréanimation et deneurochirurgie progressent et permettent de gérer laphase aiguë du coma, les complications secondairesdu traumatisme et le risque vital immédiat [6]. À lasortie du service de neurochirurgie ou deréanimation, les patients présentent fréquemmentencore des troubles neurologiques invalidants,empêchant le retour immédiat au domicile. Ils sontalors hospitalisés en centre de rééducation dans unservice de médecine physique et de réadaptation, etsont pris en charge par une équipe multidisciplinairepour l’évaluation des séquelles et leur rééducation.Ils bénéficient le plus souvent d’une évaluationneuropsychologique spécialisée et de rééducationkinésithérapique, ergothérapique, orthophonique etneuropsychologique, ayant pour objectif depermettre au patient de retrouver une autonomiemaximale. L’assistante sociale, après une évaluationspécifique, tente d’éclaircir la situation sociale parfoisperturbée avant le traumatisme et met en place avecle patient, sa famille et l’équipe de rééducation unprojet social pour le retour au domicile. Mais lessoucis des patients et de leur famille ne s’arrêtent pasà la sortie de l’hôpital, et c’est souvent lors du retourau domicile et de la tentative de réintégration socialeque se démasquent des incapacités et des handicapsqui avaient pu passer inaperçus aux yeux de lafamille dans le milieu protecteur de l’hôpital.

Par ailleurs, certains patients qui n’ont pas eu detroubles évidents prolongés peuvent rentrerdirectement à leur domicile sans avoir été pris encharge par une équipe spécialisée dans les suites deleur TCC.

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‚ Sévérité du traumatisme craniocérébralet séquelles neurologiques

Le pronostic fonctionnel est lié à la sévérité duTCC, mais ce qui est reconnu pour un groupe depatients n’a pas de valeur individuelle formelle. Lerisque de décès et de handicap persistant est bien sûrplus important en cas de TCC sévère. Cependant, desTCC sévères peuvent avoir une évolution favorableavec peu de séquelles, et à l’inverse des TCC légersprésenter des séquelles persistantes lourdes.

Le premier facteur de gravité du TCC est laprofondeur du coma et plus particulièrement lamesure du score de Glasgow (GCS) initial, soit lescore le plus bas au cours des 24 premières heures.Le score de Glasgow a été décrit spécifiquementpour les TCC et est utilisé plus largement en urgenceou en réanimation maintenant pour caractériser laprofondeur des troubles de vigilance. Avec un scoremaximal à 15 et un minimum à 3, il permet demesurer la qualité des réponses verbales, visuelles etmotrices. Les TCC sévères sont caractérisés par unGCS compris entre 3 et 8, les TCC de gravitémoyenne par un GCS entre 9 et 12 et les TC légerspar un GCS entre 13 et 15.

La durée du coma, ainsi que celle de l’amnésiepost-traumatique (APT), a aussi une valeurpronostique. L’APT est caractérisée par uneconfusion, une désorientation temporospatiale, unoubli à mesure. Elle peut durer de quelques heures àplusieurs jours ou mois. Sa durée peut être évaluéerétrospectivement en interrogeant le patient et sonentourage sur la période après le traumatismependant laquelle le patient a oublié les visites ou ceque son entourage lui disait, ou pouvait répéterplusieurs fois de suite la même question, oubliantqu’il l’avait déjà posée ou quelle avait été laréponse...

La sévérité du TCC est une donnée importante àconnaître pour évaluer de façon prospective lepronostic d’un patient en phase aiguë ou lors de larééducation. C’est aussi une donnée importante àrechercher lorsque l’on voit un patient à distance,pour faire le lien entre les troubles observés et lagravité initiale du traumatisme, particulièrementdans des processus d’expertise ou devant destroubles du comportement de type psychiatrique.Par exemple, un tableau d’isolement, sans contactverbal, peut être expliqué par un TCC grave, ayantprésenté un coma profond et prolongé, mais un TCCléger ne peut expliquer ce type de tableaupsychotique.

■Séquelles motrices et épilepsie

Les déficits moteurs et les troubles du langagesont de meilleur pronostic qu’en cas d’AVC et sontsouvent susceptibles d’amélioration. Les séquellesmotrices, hémiplégie ou syndrome cérébelleux,concernent un peu moins de la moitié des TCCsévères. Elles sont réellement invalidantes chez10 %. Ces séquelles parfois majeures allant jusqu’àla persistance d’un état végétatif posent desproblèmes majeurs de société et causent dessituations familiales dramatiques.

L’épilepsie post-traumatique survient chezenviron 20 % des traumatisés crâniens graves et serévèle le plus souvent au cours de la premièreannée. Elle ne justifie pas un traitement préventifsystématique des crises d’épilepsie, même si enpratique de nombreux services de neurochirurgiecontinuent à les prescrire. En revanche, la survenued’une crise nécessite la mise en route d’un traitementadapté. Les crises sont parfois difficiles à contrôlermédicalement et il peut être nécessaire de recourir àune consultation de neurologie spécialisée. Enl’absence de crises sous traitement, peut se discuterl’arrêt progressif et contrôlé du traitement.

■Séquelles cognitives. Handicap

singulier, invisible

Les séquelles invalidantes après un TCC sontessentiellement d’ordre neuropsychologique [1].

‚ Syndrome dysexécutifpar dysfonctionnement frontal

Le tableau est dominé par le dysfonctionnementfrontal qui peut être rattaché à deux mécanismes :des contusions bifrontales directes et/ou un

mécanisme sous-cortical secondaire à des lésionsaxonales diffuses qui entraînent un défautd’activation du lobe frontal pourtant morphologi-quement indemne.

Les lobes frontaux ont une fonction de contrôle,d’activation et d’inhibition des autres fonctionsneurologiques, en particulier pour l’interaction avecle monde extérieur. Ils ont une fonction de contrôlesocial. Le grand syndrome frontal « neurologique »avec grasping, comportement d’utilisation oud’imitation est le plus souvent transitoire. Mais il n’estpas besoin d’avoir un grasping pour être frontal. Lanotion de syndrome dysexécutif tend à remplacercelle de syndrome frontal dans la description desconséquences cognitives du dysfonctionnementfrontal. Le syndrome dysexécutif se manifeste par undéfaut de prise d’initiative et de formulation d’un but,par la réduction des capacités de planification et desdifficultés de contrôle. Ces difficultés d’organisationse manifestent dans les actes, les paroles, la pensée.Il peut ainsi exister isolément, mais plus souventassociées, une impulsivité et une adynamie avecapragmatisme. Le ralentissement cognitif est aussiconstamment retrouvé.

‚ Troubles attentionnels

Les patients présentent également fréquemmentdes troubles attentionnels. Ils peuvent faire l’objet deplaintes rapportées par le patient : distractibilité,difficulté de concentration, défaut de maintien del’attention, difficultés en double tâche. Ces troublesde l’attention divisée sont très invalidants. Ilsconsistent en l’incapacité de faire deux choses à lafois. Le patient reste bloqué sur une action et ne peuts’en détacher, et s’il passe à la seconde, il ne peutrevenir à la première. Ces situations de double tâchesont très fréquentes dans la vie quotidienne etsurtout professionnelle (écrire, répondre autéléphone ou à un collègue sans oublier la réunionqui va suivre).

‚ Troubles de la mémoire

Les troubles de la mémoire à long terme sont uneplainte fréquente après un TCC. Une lacunemnésique entoure le TCC, le patient ayant perdu nonseulement le souvenir de l’accident même, maisaussi celui des heures ou jours qui ont précédé, ainsique la période du coma et de l’APT. Le souvenir del’accident ne revient pas, mais le patient peutreconstituer l’histoire du TCC grâce à ce qu’on luiraconte. Ces troubles de mémoire touchent parfoisles connaissances didactiques et scolaires, acquisesavant l’accident. Les souvenirs personnels antérieursà l’accident (mémoire épisodique rétrograde) sontcependant le plus souvent respectés ou retrouvés. Ilstouchent essentiellement la mémoire épisodiqueantérograde, c’est-à-dire la capacité à acquérir denouvelles informations. Ces troubles peuvententraîner les oublis au quotidien. Ils sont le plusefficacement compensés par l’utilisation d’agenda etde carnets mémoire.

Que faire devant un patient porteur deséquelles cognitives vu en ville ?✔ Faire le lien entre les troublesobservés et le TCC.✔ Rechercher quelle a été la sévéritédu TCC : GCS initial, durée ducoma, de l’APT. La duréed’hospitalisation en structure aiguëou en rééducation peut aussi être unélément d’orientation.✔ Écouter les plaintes du patient oude sa famille, concernant lestroubles cognitifs et les troubles ducomportement.✔ Rechercher s’il a déjà eu uneévaluation neurologique,neuropsychologique, un suivi enrééducation.✔ En l’absence d’évaluation récente,orienter le patient vers uneévaluation cognitive etéventuellement une rééducation destroubles cognitifs.✔ Faire le point de la prise en chargesociale :

– sécurité sociale ;– arrêt maladie ;– invalidité.

– Cotorep :– carte d’invalidité ;– allocation adulte handicapé ;– reconnaissance travailleurhandicapé.

– rechercher une prise en chargepar une assurance et une procédurede réparation du dommage corporel.

3-1510 - Handicap neuropsychologique après traumatisme crânien

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‚ Anosognosie

L’anosognosie des difficultés est très fréquente. Lepatient est dans l’incapacité de prendre consciencede l’existence de ses difficultés ou de leur nature.Cela peut entraîner une dangerosité liée à lamauvaise évaluation de ses capacités par rapportaux situations rencontrées. Cette anosognosie est unobstacle à la reconnaissance des séquelles ensituation d’expertise. Le patient en situationd’expertise ou de réorientation professionnelle peutexpliquer que tout va bien, qu’il peut tout fairecomme avant, ce qui n’est pas remis en cause si lepatient est vu rapidement, car il ne présente pas lesstigmates visibles du handicap : il marche, il parle, ilsemble guéri. L’anosognosie peut aussi être sourced’incompréhension entre une famille ou unentourage qui constate des difficultés et un patientqui ne les comprend pas.

‚ Troubles du comportement

Les troubles du comportement sont très fréquentset sont la première source d’incapacité et dehandicap des TCC. Ils sont caractérisés par uneapathie, une difficulté de prise d’initiative, qui peutparadoxalement être associée à une désinhibition, àune impulsivité. Les patients peuvent être incapablesd’organiser leur journée, tel ce jeune garçon qui audécours d’un TCC grave suivait sa mère dans lamaison en lui répétant « et maintenant qu’est cequ’on fait ». L’irritabilité, l’intolérance aux frustrationspeuvent entraîner une agressivité aboutissant à desconduites sociales inadaptées. Ces troublescomportementaux peuvent être multifactoriels. Ilsdépendent bien sûr des facteurs lésionnels,c’est-à-dire les troubles cognitifs directement liés auxlésions cérébrales et particulièrement audysfonctionnement frontal. Le syndromedysexécutif, les troubles attentionnels ou mnésiques,ainsi que l’anosognosie entraînent bien sûr desdifficultés pour organiser son activité. Mais deséléments psychopathologiques [5] tels que lapersonnalité prétraumatique et parfois l’histoirefamiliale, l’expérience traumatique, le traumatismeémotionnel, ainsi que des éléments sociaux etenvironnementaux, peuvent participer à un degréplus ou moins important aux troubles comporte-mentaux. À ce stade, le syndrome dépressif estfréquent et justifie un traitement spécifique.

Ces troubles comportementaux, parfois violents,peuvent motiver des consultations, souvent enurgence. Ils peuvent conduire à la prescription deneuroleptiques, parfois nécessaire dans ce contexte.C’est la prise en charge des différents composantscognitifs, psychologiques et sociaux à l’origine dutrouble du comportement qui permet d’améliorer lasituation de façon plus durable. Dans certains cas, lespatients TCC évoluent vers un tableau purementpsychiatrique.

■Populations particulières

‚ Traumatismes de l’enfant [4]

Il faut arrêter de croire que le pronostic d’un TCCgrave de l’enfant est favorable parce qu’il s’agit d’un

enfant dont le cerveau aurait plus de capacités deplasticité et d’adaptation après lésion cérébrale. Si lepronostic vital est certainement meilleur chezl’enfant, les séquelles après lésions cérébralesdiffuses sont graves. L’enfant est un être endéveloppement qui acquiert sans cesse de nouvellesaptitudes et de nouvelles connaissances. L’enfantpossède des acquis d’autant plus limités qu’il est plusjeune au moment de l’accident, et ses possibilités dedéveloppement ultérieur dépendent de ses capacitésd’apprentissage. Si celles-ci sont altérées du fait dutraumatisme crânien, l’enfant récupère au mieux sonniveau du moment de l’accident, mais ne peut fairede nouvelles acquisitions en fonction de son âge.L’exemple le plus cruel est celui des « enfantssecoués » (shaken babies) chez qui on observe mêmela stagnation du périmètre crânien. L’évaluation desséquelles ne peut être faite que plusieurs annéesaprès le traumatisme crânien.

La famille doit être particulièrement entourée etelle peut se tourner vers son médecin traitant dès laphase aiguë de l’accident. La famille doit faire face,outre à un fréquent sentiment de culpabilité, au deuildes projets et espoirs qu’elle fondait sur l’enfant encas de séquelles persistantes.

‚ Traumatismes craniocérébraux légers

Les traumatismes crâniens légers peuvent êtreresponsables de dysfonctionnements neuropsycho-logiques qui doivent être connus et pris en charge. Ilexiste plusieurs définitions d’un traumatisme crânienléger et l’intérêt est de faire la part entre le simplecoup sur la boîte crânienne sans conséquence surson contenu et un réel TCC léger. Pour définition, onpeut retenir qu’un traumatisme crânien léger peutêtre caractérisé par une perte de connaissance demoins de 20 minutes, une confusion ou une APT demoins de 1 heure, ou un GCS entre 13 et 15. Pourcertains auteurs, la simple plainte concernant destroubles de la mémoire et de l’attention après untraumatisme crânien est en faveur d’un TCC léger.Comme dans les TCC graves, le mécanismelésionnel serait celui de lésions axonales diffuses etle mécanisme de coup de fouet cervical lors d’unaccident par impact postérieur sur le véhicule estfréquent.

L’incidence en France est certainementsous-estimée et, suivant les études, des symptômespersisteraient dans 10 à 40 % des cas au-delà de

3 mois à 1 an. Les plaintes neuropsychologiquesles plus fréquemment rapportées sont un troublede la mémoire, des troubles attentionnels et unralentissement cognitif. Le système mnésiquelui-même est intègre, mais les troubles del’attention perturbent la sélection et le traitementdes informations. Ces difficultés doivent êtrereconnues, leur organicité expliquée au patient, quidoit être rassuré et bénéficier éventuellement d’uneprise en charge de rééducation par uneorthophoniste permettant de compenser cesdifficultés.

Cette notion de TCC léger tend à remplacer leclassique syndrome subjectif des traumatiséscrâniens, dont il a été montré qu’il n’avait rien desubjectif mais que l’on pouvait mettre en évidencede réelles lésions organiques.

■Devenir et réadaptation

des traumatismes craniocérébraux

La période de réadaptation familiale posesouvent des problèmes, la modification ducomportement du patient n’étant pas toujours bienacceptée par la famille, qu’il s’agisse de la réductiondes initiatives faisant qu’une personne auparavantvolontaire, active, enthousiaste devient passive, ouqu’il s’agisse de désinhibition ou d’agressivité.

La poursuite de la rééducation après le retour audomicile est souvent nécessaire, rééducation motricekinésithérapique et surtout rééducation cognitive. Enlibéral, ce sont les orthophonistes qui assurent larééducation des troubles frontaux, attentionnels etmnésiques, après l’évaluation spécifique pratiquéepar un(e) psychologue.

Facteur primordial d’intégration sociale, la reprisede la conduite automobile est un problème délicat.L’autorisation de reconduire a rarement été donnéedès la sortie de l’hôpital, et c’est lors de laréadaptation au domicile qu’est soulevée laquestion. Elle est bien sûr interdite en cas de crised’épilepsie récente. D’autres séquelles telles quel’hémianopsie latérale homonyme empêchent cettereprise. Enfin, les troubles cognitifs attentionnels etdysexécutifs frontaux ne permettent pas au patientde reconduire. Dans tous les cas, après un accidentneurologique grave, le patient doit obligatoirementpasser devant la Commission départementale dupermis de conduire, à la préfecture de police de sondépartement. C’est le seul organisme habilité àdonner cette autorisation. Le patient se rend àl’expertise avec un certificat médical de son médecin.Nous avons l’obligation légale d’informer lespatients de l’interdiction de conduire en l’absence decette autorisation officielle.

La réadaptat ion profess ionnel le posefréquemment problème. Quand les patientsexerçaient déjà une activité professionnelle, si lesséquelles le permettent, une reprise progressive dansle cadre d’un mi-temps thérapeutique peut êtreorganisée avec l’accord du médecin de la Sécuritésociale. Il est souhaitable d’organiser avec lemédecin du travail une adaptation du poste detravail, tenant compte des difficultés séquellaires,comme par exemple éviter une activité impliquant

Troubles cognitifs des TCC✔ Syndrome frontal« neurologique » :grasping,comportement d’utilisationtransitoire.✔ Syndrome dysexécutif cognitif.✔ Troubles attentionnels : attentionsélective/attention divisée.✔ Troubles mnésiques.✔ Ralentissement cognitif.✔ Anosognosie.✔ Troubles du comportement.

Handicap neuropsychologique après traumatisme crânien - 3-1510

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des situations de double tâche, nécessitant desressources attentionnelles, éviter un entouragebruyant ou faire intégrer un nouveau poste detravail nécessitant une formation. Il est nécessaire dedemander son accord au patient pour contacter lemédecin du travail car nous sommes tenus au secretprofessionnel.

Les jeunes traumatisés crâniens n’avaientsouvent pas d’intégration sociale ni de formationprofessionnelle, et d’autres gardent des séquellesincompatibles avec la reprise de leur activitéantérieure. À la suite de la « circulaire Bauduret » quimontrait le déficit de prise en charge de ces jeuneshandicapés, des Unités d’évaluation, deréentraînement, d’orientation socioprofessionnelle(UEROS) ont été créées avec l’objectif de favoriserleur intégration sociale et si possible profession-nelle. Ces structures sont développées dans lamajorité des régions. Elles permettent à distance dutraumatisme de faire une évaluation des séquelleset des capacités préservées, et de proposer unprogramme de réentraînement à la vie sociale et sipossible professionnelle. La réinsertionprofessionnelle peut être faite en travail ordinaire

dans quelques cas, une orientation en milieuprotégé (Centre d’aide par le travail) peut aussi êtreproposée. Dans de nombreux cas malheureu-sement, l’intégration professionnelle n’est paspossible.

■Conclusion

La survenue d’un TCC a des conséquencesprolongées sur la vie du traumatisé lui-même et desa famille. Les séquelles neuropsychologiques« invisibles » au premier abord doivent être prises encompte pour la réinsertion familiale et sociale. Laplace du médecin généraliste au cœur même de lafamille lui permet d’aider le patient à retrouver saplace en comprenant ses difficultés, en lui expliquantet en les expliquant à sa famille. Un travailmultidisciplinaire avec les acteurs de la rééducationet de la réinsertion permet de mieux faire face à cehandicap grave.

Pascale Pradat-Diehl : Praticien hospitalier.Mathilde Chevignard : Chef de clinique-assistant.

Dominique Mazevet : Praticien hospitalier.K Vassilev : Interne.

Service de médecine physique et de réadaptation, groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière, 75651 Paris cedex 13, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : P Pradat-Diehl, M Chevignard, D Mazevet et K Vassilev. Handicap neuropsychologique après traumatisme crânien.Encycl Méd Chir (Editions Scientifiques et Médicales Elsevier SAS, Paris, tous droits réservés), AKOS Encyclopédie Pratique de Médecine, 3-1510, 2002, 4 p

R é f é r e n c e s

[1] Bergego C, Azouvi P. Neuropsychologie des traumatismes crâniens graves del’adulte. Paris : Frison-Roche, 1995

[2] Cohadon F, Castel JP, Richer E, Mazaux JM, Loiseau H. Les traumatiséscrâniens de l’accident à la réinsertion. Paris : Arnette, 1998

[3] Faillot T. Suivi pratique et thérapeutique d’un traumatisé crânien.Encycl MédChir (Éditions Scientifiques et Médicales Elsevier SAS, Paris), Encyclopédie Pra-tique de Médecine, 5-1070,1998 : 1-2

[4] Laurent-Vannier A, Meyer P, Brugel DG. Particularités du traumatisme crâ-nien grave de l’enfant.Glossa1997 ; 58 : 30-36

[5] Oppenheim-Gluckman H. La pensée naufragée : clinique psychopathologiquedes patients cérébro-lésés. Paris : Anthropos, 2000

[6] Ract C, Vigué B. Traitement médical des comas traumatiques.Rev Neurol2001 ; 157 : 701-707

Attention aux faux amis✔ Imagerie cérébrale : les lésionscérébrales des TCC même sévèressont souvent discrètes, voireinapparentes au scanner et même enimagerie par résonance magnétique.Un scanner cérébral normal oupresque ne permet pas de mettre encause des séquelles cognitivessévères du TCC.✔ Petit bilan cognitif inadapté : leMMS bien utilisé dans les démencesdégénératives n’est pas suffisantpour les troubles cognitifs d’unTCC. Il n’est perturbé qu’en cas detrouble majeur.

AssociationUnion nationale des associations defamilles de traumatisés crâniens(UNAFTC).22 bis, rue de Tolbiac, 75013 Paris.Tél : 01 53 80 66 03 . Adresseélectronique : www.traumacranien.org

3-1510 - Handicap neuropsychologique après traumatisme crânien

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Incontinence urinaire

M Herry, H Fernandez

L es femmes commencent à parler de leur incontinence d’urine responsable d’une vraie gêne à la vie sociale.Comment les examiner, quand et comment les explorer et quels traitements proposer ?

© Elsevier, Paris.

■Introduction

L’incontinence urinaire est définie par une fuiteinvolontaire d’urine par le méat urétral,responsable d’une gêne à la vie sociale. Cesymptôme devient un motif de consultation chezles femmes jeunes. Il est assez facilement avouélors de l’interrogatoire chez les femmes plusâgées. De quelques fuites transitoires aprèsl’accouchement ou chez des jeunes fillespratiquant des sports de compétit ion,l’incontinence s’aggrave au fur et à mesure destraumatismes obstétricaux. Les mécanismes de lacontinence s’altèrent encore à la ménopause,imposant souvent le port de garnitures. L’impactpsychosocial devient majeur chez les femmesâgées : 20 % des patients admis en gériatrie lesont pour incontinence. Une prise en chargeprécoce rééducative, médicale ou chirurgicalepeut améliorer sensiblement la qualité de vie decette population.

La fragilité du système sphinctérien urétral et labrièveté de l’urètre sont responsables de la précaritéde la continence féminine. Le diagnostic, leretentissement et, dans une moindre mesure, leschances de succès de la chirurgie, reposent surl’interrogatoire et l’examen clinique. Les examenscomplémentaires permettent d’affiner le diagnosticétiologique et le pronostic des incontinencesurinaires complexes.

■Interrogatoire

‚ Type d’incontinence

Les fuites sont en jet, intermittentes : deuxtableaux sont alors évocateurs.

Incontinence urinaire d’effort (stress urinaryincontinence)

La fuite survient lors de conditions d’hyper-pression abdominale : toux, rire, éternuement,course, marche rapide, lever, montée d’escalier. Lesynchronisme entre les deux actions est total.

Deux mécanismes étiopathologiques sontévoqués :

– une altération des mécanismes extrinsèques desoutien du sphincter urétral : le col urétral devienthypermobile et bascule en arrière à la poussée. Ils’agit d’une insuffisance anatomique ;

– une incompétence intrinsèque du sphincteraprès di lacérat ion, dévascularisat ion oudénervation : on parle alors d’insuffisancesphinctérienne.

Incontinence urinaire par impériositémictionnelle (urge incontinence)

La fuite urinaire est précédée d’un besoin nonrépressible d’uriner. La femme assiste alors,impuissante, à une miction le plus souvent complète.Il s’agit de mictions impérieuses. À un stade demoins, la patiente parvient à refréner cette envie : cesont des impériosités mictionnelles sans fuite. Lebesoin est parfois induit par des stimuli sensorielsvariés (audition d’un robinet ouvert, contact avecl’eau froide) ou lors de paroxysmes émotionnels(peur, colère...). Cette incontinence d’origine vésicaleest la conséquence de contractions du détrusor, noninhibées, qui submergent la puissance du sphincterurétral. Parfois, la contraction vésicale est associée àun relâchement sphinctérien. Le mécanismeinvoqué est une instabilité vésicale ou undysfonctionnement vésico-urétral.

Cas complexes

La symptomatologie est plus difficile àanalyser : un besoin impérieux peut êtredéclenché par l’effort. Des besoins impérieuxpermanents peuvent masquer une composanted’effort. La fuite peut être goutte à goutte,permanente.

‚ Évaluation de la gêne fonctionnelle

Elle repose sur des critères subjectifs etsemi-objectifs.

Critères subjectifs

L’interrogatoire indique la fréquence dessymptômes et leur degré de sévérité.

Devant des impériosités mictionnelles, on précisela possibilité de différer la miction, le temps écouléentre deux mictions impérieuses, la présence d’uncomportement de prévention, à type de pollakiuriele plus souvent.

Les incontinences urinaires d’effort sont classéesen trois stades :

– stade 1 : les fuites surviennent à la toux, au rire,à l’éternuement ;

– stade 2 : les pertes se produisent lors dusoulèvement de charges, à la marche, auchangement de position ;

– stade 3 : les fuites existent dès le moindre effort.

Il peut s’agir de quelques gouttes ou de véritablesmictions incontrôlables.

Critères semi-objectifs

Des questionnairess plus ou moins maniables ontété élaborés pour préciser au mieux le degré degêne fonctionnelle : on s’enquiert d’une réductiondes activités professionnelles, ménagères ousportives.

Le calendrier mictionnel précise, sur 24 heures, lesapports hydriques, le volume uriné à chaquemiction, la fréquence de ces dernières.

Le degré de souillure des protections peut êtreprécisé par pesage.

‚ Recherche des autres antécédentset des pathologies associées (tableau I)

Antécédents chirurgicaux

– Chirurgie proctologique ou colique.– Cure de prolapsus par voie vaginale ou

abdominale.

Tableau I. – Interrogatoire.

Préciser le type d’incontinence :– incontinence urinaire d’effort– incontinence par impériosité mictionnelle– incontinence urinaire complexe

Évaluer le degré de gêne fonctionnelle

Préciser les antécédents médicochirurgicaux

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– Cure chirurgicale d’incontinence urinaire.– Hystérectomie ou chirurgie pelvienne majeure

pour cancer.On précise l’importance de la gêne fonctionnelle

avant et après l’intervention.

Antécédents obstétricaux

– Nombre d’accouchements voie basse oucésarienne.

– Poids des nouveau-nés.– Forceps.– Épisiotomie ou déchirure.– Incontinence urinaire du post-partum et

rééducation périnéale éventuelle.

Antécédents médicaux et pathologiesassociées

– Diabète, affection neurologique, affectionrachidienne, toux chronique, syndrome dépressif.

On recherche systématiquement :– une pollakiurie, une dysurie associée ;– une incontinence aux gaz, aux matières

liquides ou solides, une constipation opiniâtre ;– une pesanteur, une douleur vaginale : on

précise le type, la périodicité, les circonstancesdéclenchantes ;

– une prescription de traitement hormonal de laménopause, de traitement antidépresseur .

■Examen clinique

Il authentifie une incontinence urinaire d’effort :vessie à moitié remplie, on demande à la patiente,en position couchée, de tousser pour reproduire lafuite. Si le test est négatif, il est répété, patiente enposition assise, puis debout, un pied surélevé.

‚ Diagnostic différentiel

L’examen clinique permet d’éliminer ce qui n’estpas une incontinence urinaire (tableau II).

Pertes d’origine vaginale

– Hydrorrhée intermittente.– Fistule vésico-utérine ou vésicovaginale :

l’examen doit être pratiqué vessie pleine pourauthentifier la fistule.

Fuites postmictionnelles

L’examen retrouve une poche sous-urétrale. Ilexiste des antécédents de chirurgie urétrale.

‚ Bilan urogynécologique

L’examen clinique comprendra un bilanurogynécologique complet.

Appréciation de la trophicité vaginale

La carence hormonale de la femme ménopauséefavoriserait l’incontinence urinaire.

Recherche d’une hypermobilité du col vésical

Le col bascule en arrière dans le vagin lorsquel’on demande à la patiente de pousser, authentifiantainsi la cervicocystoptose dont la définition exacteest radiologique. Plus rarement, on introduit uncoton tige dans l’urètre : à la poussée, l’axe du cotontige s’horizontalise.

Recherche d’une cystocèle

Elle correspond à une chute de la vessie enarrière, entraînant ainsi un déroulement de la partiehaute du vagin antérieur (zone non striée du vagin).

La cystocèle peut être présente dès l’inspection oun’apparaître qu’à la poussée. Il est nécessaire dedéprimer le vagin postérieur avec une des deuxvalves du spéculum pour la mettre en évidence. Unecystocèle peut masquer une incontinence urinaire :la courbure de l’urètre est modifiée, un effet peloteest réalisé. La réduction manuelle ou par une valvede spéculum de cette cystocèle est indispensablepour démasquer l’incontinence urinaire.

Recherche d’autres éléments de prolapsus

– Hystéroptose : le col utérin atteint le tiersinférieur du vagin (type I), affleure la vulve (type II) ous’extériorise (type III) à la poussée.

– Rectocèle : un déroulement de la paroipostérieure du vagin, accompagné d’une saillie durectum est recherchée en déprimant la vaginantérieur avec une valve de spéculum.

– Élytrocèle : souvent présente en cas deprolapsus récidivé, elle est difficile à différenciercliniquement d’une rectocèle.

Testing des muscles releveurs de l’anus

On note leur trophicité. Leur puissance est cotéede 1 à 5 (tableau III).

Manœuvre de Bonney

Il faut toujours évaluer les chances de succèsd’une cure chirurgicale de l’incontinence par lamanœuvre de Bonney.

Devant une incontinence urinaire d’effort, onrepositionne manuellement le col vésical, en plaçantdeux doigts écartés au niveau de chaque cul de sacvaginal latéral, sans comprimer l’urètre.

L’arrêt des fuites lors des efforts de toux est unélément de bon pronostic chirurgical.

Examen neurologique

Il comprend une étude de la sensibilité périnéale,un examen des réflexes achiléens, rotuliens etclitorido-anal (ce dernier peut être absent chez 30 %de la population féminine sans incidencepathologique). Une incontinence urinaire peutrévéler une sclérose en plaques débutante.

Recherche d’une rétention chronique d’urineavec mictions par regorgement

Ce diagnostic doit être évoqué chez les femmesâgées ou les malades neurologiques. On peutpratiquer une étude clinique du résidu postmic-tionnel par simple sondage.

■Examens complémentaires

‚ Examen urodynamique

Il confirme le type d’incontinence urinairesuspecté cliniquement et expertise un équilibresphinctérien qui conditionne le pronostic.

Il comporte trois temps :– une débitmétrie ;– une cystomanométrie couplée à la mesure de

la pression abdominale ;– une mesure statique et dynamique de la

pression urétrale.

Cystomanométrie

Une incontinence urinaire par impériosité estconfirmée par la cystomanométrie.

Des contractions vésicales de plus de 15 cm d’eaud’amplitude apparaissent à bas volume deremplissage. On précise leur fréquence et leuramplitude. Cette contraction peut être associée à unerelaxation urétrale réflexe, alors qu’une contractionvésicale devrait induire une réponse sphinctérienne.Cette réponse insuffisante ou trop tardive est doncresponsable des fuites.

On distingue schématiquement :– des contractions amples, avec un bon tonus

sphinctérien, justiciables d’un traitement médical ;– des contractions de faible amplitude, associées

à une hypotonie sphinctérienne, dont le traitementest davantage rééducatif.

Urétromanométrie

Les chances de succès d’un traitement chirurgicalde l’incontinence urinaire d’effort sont appréciéespar l’urétromanométrie.

L’urétromanométrie statique détermine la« pression efficace » du sphincter urétral, encoredénommée pression de clôture... Sa valeur normaleest de 100 cm d’eau moins l’âge. Un résultatinférieur à 30 cm d’eau traduit une atteinteintrinsèque sévère du sphincter urétral ou

Tableau II. – Examen clinique.

Éliminer :– pertes vaginales– fuites postmictionnelles

Mettre en évidence la fuite d’urine

Préciser les éléments du bilanurogynécologique :– trophicité vaginale– mobilité du col vésical– prolapsus associé– testing des releveurs de l’anus– manœuvre de Bonney– examen neurologique

Tableau III. – Évaluation de la tonicitédes releveurs de l’anus.

0 - Pas de contraction palpable

1 - Frémissement sous le doigt

2 - Contraction faible mais certaine

3 - Contraction nette facilement contrariée

4 - Contraction forte mais encore aisémentcontrariée

5 - Contraction maximale résistant à une opposi-tion forte

3-1270 - Incontinence urinaire

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insuffisance sphinctérienne. C’est un élément demauvais pronostic : le taux d’échec chirurgical est de6 % [2] quand la pression est à plus de 50 cm d’eau,contre 70 % quand la pression de clôture estinférieure à 30 cm d’eau.

L’urétromanométrie dynamique évalue ledifférentiel de pression entre la vessie et l’urètre lorsdes efforts de toux. L’existence d’un défaut detransmission des pressions devrait correspondre à laprésence d’une cervicocystoptose. Ce test n’est plusréalisé par certaines équipes, en raison du manquede corrélation entre l’examen clinique et l’examenurodynamique, de la faible sensibilité et de lamauvaise reproductibilité de cet examen.

DébitmétrieElle renseigne sur la pression mictionnelle. Une

vessie hypocontractile compensera mal la dysurieinduite par l’intervention : le tableau pourra évoluervers une rétention ou des mictions par regorgement.

L’examen urodynamique précise enfin lesmécanismes d’une incontinence urinaire complexeou récidivée.

‚ Cystoscopie

Elle est indispensable au bilan étiologique d’uneincontinence urinaire par impériosité.

Elle permet de mettre en évidence une lithiase,une tumeur vésicale, une sténose urétrale organiqueou fonctionnelle. Les instabilités sensorielles au froidou à l’eau, les causes psychogènes ne sont que desdiagnostics d’élimination. Une instabilité vésicalepeut être le témoin d’une affection grave, à exploreravant tout traitement médical.

‚ Colpocystogramme

C’est un examen spécifique de la statiquepelvienne. Il permet le bilan d’un prolapsuscomplexe, chez des patientes déjà opérées.

Il est inutile devant une incontinence urinaireisolée.

‚ Examen cytobactériologique des urines

Une infection urinaire peut être responsabled’impériosités mictionnelles.

■Traitement

Il est à la fois étiologique et symptomatique, enfonction des tableaux cliniques (tableau IV).

‚ Incontinence par mictions impérieuses

Suppression des épines irritatives

Le traitement est d’abord celui des éventuellesépines irritatives :

– infection urinaire ;– lithiase ou tumeur vésicale ;– fécalome.

Traitement médical de l’instabilité vésicale

– Anticholinergiques : oxybutynine (Ditropant,Driptanet) à dose progressivement croissante de

2,5 à 5 mg 3 fois/j permettent une relaxation dudétrusor. Ils sont contre-indiqués en cas de glaucomeou de myasthénie. Les effets secondaires sont unesécheresse de la bouche, une constipation et trèsrarement des épisodes de confusion mentale.

– Inhibiteurs calciques : Adalatet 10 à 20 mg/j. Ilssont utilisés quand les anticholinergiques sontcontre-indiqués ou inefficaces.

– Anti-inflammatoires non stéroïdiens : Ponstylt2 comprimés 3 fois/j.

– Myorelaxants : Urispast 3 à 6 comprimés/j. Ilssont de moindre efficacité.

– Benzodiazépines (Valiumt) : elles potentialisentl’action des anticholinergiques avec lesquels ellespeuvent être associées.

Rééducation

Une rééducation peut être indiquée.Grâce aux techniques de biofeedback, la patiente

apprend à prévenir et à inhiber les contractionsvésicales par une contraction périnéale. Larééducation comportementale agit sur les habitudesmictionnelles et le mode de vie, la relaxation permetune prise de conscience du schéma corporel. Ce sontdes traitements d’appoint.

‚ Incontinence urinaire d’effort (tableau V)

Rééducation périnéale

C’est une prise de conscience de la musculaturepérinéale et de la façon de s’en servir. L’acquisitiondu verrouillage périnéal à l’effort permet de diminuerles fuites d’urine quand l’incontinence est peusévère.

Elle fait appel à deux techniques :– l’électrostimulation fonctionnelle : elle réactive

les muscles périnéaux et augmente leur résistance àla fatigue musculaire ;

– la kinésithérapie active, contre résistance,associée au biofeeback : elle rend la patientecapable de contracter le périnée volontairement.

Chirurgie

Le principe est de soutenir le col vésical par unpoint fixe sur lequel il vient se fixer et se fermer lorsdes efforts avec hyperpression abdominale.

Les techniques les plus usitées sont :

– les colposuspensions rapprochant le col vésicaldu ligament de Cooper (procédé de Burch) ou dupérioste rétrosymphysaire (Marshall Marchetti) ;

– les frondes sous-cervicales utilisant unebandelette aponévrotique (opérat ion deGœbell-Stœckel).

En l’absence d’insuffisance sphinctérienne, le tauxde succès à 1 an est de 80 % à 90 % [3]. Lestechniques de colposuspension par voie basse seuleou par injection sous-cervicale de biomatériaux sontmoins efficaces.

La chirurgie, si elle corrige l’absence desoutènement du col vésical, n’améliore pas la qualitéintrinsèque du sphincter. Devant une insuffisancesphinctérienne sévère, se discutent une frondesous-cervicale ou l’implantation d’un sphincterartificiel.

‚ Cas particuliers

– Incontinence urinaire du post-partum : elleassocie le plus souvent une hypermobilité cervicaleet, dans les cas les plus graves, une insuffisancesphinctérienne. Le traitement est rééducatif ; 1 % desfemmes présentent une incontinence de grade 3,1 an après le premier accouchement [4], 10 à 15 %souffrent d’une gêne épisodique [1].

– Chez la femme ménopausée, l’œstrogénothé-rapie locale et générale a une action trophique sur lamuqueuse urétrotrigonale. C’est un traitementd’appoint.

– Présence d’un prolapsus associé : il doit êtrecorrigé dans le même temps chirurgical quel’incontinence, sous peine d’induire une instabilitévésicale postopératoire.

■Conclusion

Le bilan d’une incontinence urinaire est avant toutclinique. L’incontinence urinaire d’effort mérite d’êtredépistée et traitée, même chez une femme jeune,alors que la symptomatologie est encore discrète. Letraitement de choix est la rééducation périnéale. Enpéri- ou postménopause, alors que l’incontinencedevient plus invalidante, la chirurgie donned’excellents résultats. Les incontinences urinairesavec insuffisance sphinctérienne sévère demeurentde mauvais pronostic. La mise en place d’unsphincter artificiel est une voie de recherche. Lesinstabilités vésicales, en particulier chez la femmeâgée, répondent bien aux anticholinergiques dont latolérance est bonne.

Tableau IV. – Traitement de l’incontinenceurinaire par mictions impérieuses.

Suppression des épines irritatives– Infection urinaire– Lithiase ou tumeur vésicale– Fécalome

Traitement médical de l’instabilité vésicale– Anticholinergiques : oxybutynine (Ditropant,Driptanet : 1 à 3comprimés/j)– Myorelaxants (Urispast : 3 à 6comprimés/j)– Inhibiteurs calciques(Adalatet : 1 à 2comprimés/j)– Anti-inflammatoires non stéroïdiens(Ponstylt : 2 comprimés 3 fois/j)

Rééducation périnéale et comportementale

Tableau V. – Traitement de l’incontinence uri-naire d’effort.

Rééducation périnéaleŒstrogénothérapie locale et générale si patienteménopauséeChirurgie

Incontinence urinaire - 3-1270

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Martine Herry : Ancien chef de clinique-assistant,département mère-enfant, institut mutualiste Montsouris, 42, boulevard Jourdan, 75014 Paris, France.

Hervé Fernandez : Professeur des Universités, praticien hospitalier,service de gynécologie-obstétrique, hôpital Antoine-Béclère, 157, rue de la Porte-de-Trivaux, 92141 Clamart cedex, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : M Herry et H Fernandez. Incontinence urinaire.Encycl Méd Chir (Elsevier, Paris), AKOS Encyclopédie Pratique de Médecine, 3-1270, 1998, 4 p

R é f é r e n c e s

[1] Foldspang A, Mommsen S, Lang GW, Elving L. Parity as a correlate of adulturinary incontinence prevalence.J Epidemiol Community Health1992 ; 46 :595-600

[2] Haab F, Ciofu C, Pedron P, Lukacs B, Doublet JD, Gategno B et al. FaisabilitéduValsava leak point pressure. Étude prospective.Prog Urol 1997 ; 7 : 611-614

[3] Jarvis JG. Surgery for guenuine stress incontinence.Br J Obstet Gynaecol1994 ; 101 : 31-37

[4] Viktrup L, Lose G, Rolf M, Barfoed K. The symptom of stress incontinencecaused by pregnancy or delivery in primiparas.Obstet Gynecol1992 ; 79 : 945-949

3-1270 - Incontinence urinaire

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Page 47: Le Manuel Du Généraliste - Divers

Introduction à la notion

de handicap

P Pradat-Diehl, H Chardonneraux, D Mazevet

L e handicap appartient au domaine social de la santé, et nécessite pour son appréciation une collaborationétroite entre médecins et services sociaux. Il résulte de l’interaction entre l’environnement et les déficiences et

incapacités.© 2002 Editions Scientifiques et Médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Mots-clés : handicap, Cotorep, classification internationale des handicaps, incapacité, déficience.

■Introduction

Le handicap n’appartient pas directement audomaine médical, mais au domaine social de lasanté. L’interaction avec le milieu médical estcependant très forte, car le handicap est le plussouvent la conséquence sur la vie personnelle etsociale d’une maladie ou d’un accident. Ce conceptde handicap fonctionnel tend à s’élargirprogressivement, pour ne plus concerneruniquement les déficiences ou désavantagesphysiques (handicap moteur, visuel…) oupsychiques, mais également les difficultésuniquement sociales (le handicap du chômage).

En France, la loi d’orientation du 30 juin 1975constitue le fondement juridique en matière dehandicap. Au plan international, l’Organisationmondiale de la santé (OMS) est à l’origine de laclassification internationale des handicaps (CIH).

■Épidémiologie

Les trois causes de handicap [3] sont les accidents,les maladies congénitales (cause la plus fréquente dehandicap chez l ’enfant) , et les maladies(principalement après 50 ans). Les handicapspeuvent ne pas être stables, mais susceptiblesd’évolution (soit d’amélioration soit d’aggravation).L’évolutivité du handicap dépend souvent de sacause. Il peut être stable (par exemple uneparaplégie après traumatisme médullaire), oususceptible de s’aggraver du fait du caractère évolutifde la maladie (trouble de la marche d’une scléroseen plaques s’aggravant progressivement jusqu’à lanécessité de recours au fauteuil roulant). Enfincertains handicaps sont transitoires et régressentavec la guérison de la pathologie causale.

Différentes sources et différents outils permettentd’évaluer le nombre de personnes handicapéesvivant en France [4]. On peut évaluer de façonglobale que 6,5 % de la population françaiseprésenterait un handicap permanent, soit 4,5 % dela population avant 65 ans et 20 % après. Dans

l’enquête de l’Institut national des statistiques et desétudes économiques (Insee) de 1980, plus de cinqmillions de personnes déclaraient une gêne dans lavie quotidienne, et environ 800 000 personnesvivaient au domicile avec un handicap lourd. En1987, dans les ménages soumis à l’impôt, 1 200 000personnes possédaient une carte d’invalidité.

■Classification des handicaps

‚ Classification internationaledes handicaps

Les maladies sont répertoriées dans « laclassification internationale des maladies (CIM 10) »,qui ne prend pas en compte l’individu et lesconséquences sur sa vie personnelle. La CIH [1], oumodèle de Wood, permet une approche synthétiquedes conséquences des maladies et développe lesconcepts de déficience, d’incapacité, et de handicapproprement dit, aussi appelé désavantage social(tableau I).

La déficience est définie par une « perte desubstance ou altération d’une structure ou fonctionpsychologique, physiologique, ou anatomique ».C’est l’extériorisation d’un état pathologique qui semanifeste le plus souvent au niveau d’un ou deplusieurs organes. On va ainsi retrouver desdéfic iences motr ice , sensor ie l le , decommunication…

L’incapacité est la « réduction partielle ou totalede la capacité à accomplir une activité d’une façonnormale, ou dans les limites de la normale pour unêtre humain ». Elle concerne notamment la capacitéà accomplir une activité de la vie quotidienne, telleque la toilette, l’habillage, l’alimentation, lapréparation des repas. Elle peut s’inscrire dans deschamps plus larges, et concerner la capacité àcommuniquer avec les autres, à s’organiser… Ildécoule de cette notion d’incapacité celle dedépendance, c’est-à-dire la nécessité de recourir àune aide pour accomplir une tâche. Ainsi, on peutdistinguer différents degrés de sévérité del’incapacité, allant de l’absence d’incapacité à unbesoin d’aide plus ou moins important dans

l’exécution de la tâche. Il faut aussi tenir compte,dans l’évaluation de l’incapacité, des difficultésd’exécution de la tâche, de la lenteur et de la fatiguequi en découlent.

Le handicap proprement dit, appelé aussidésavantage social, correspond à la limitation ou àla réduction d’un rôle social normal, c’est-à-dire enrapport avec l’âge, le sexe, les facteurs sociaux etculturels. Il concerne la place de l’individu dans lafamille et la société. Il résulte de l’interaction entrel’environnement social et les déficiences etincapacités. Les limitations résultent de la déficience

Tableau I. – Classification internationale deshandicaps.

Les déficiences1. déficiences intellectuelles2. autres déficiences du psychisme3. déficiences du langage et de la parole4. déficiences auditives5. déficiences de l’appareil oculaire6. déficiences des autres organes7. déficiences du squelette et de l’appareil de sou-

tien8. déficiences esthétiques9. déficiences des fonctions générales, sensitives,ou autres déficiences

Les incapacités1. incapacités concernant le comportement2. incapacités concernant la communication3. incapacités concernant les soins corporels4. incapacités concernant la locomotion5. incapacités concernant l’utilisation du corps

dans certaines tâches6. maladresses7. incapacités révélées par certaines situations8. incapacités concernant des aptitudes particuliè-

res9. autres restrictions d’activités

Les désavantages1. désavantage d’orientation2. désavantage d’indépendance physique3. désavantage de mobilité4. désavantage d’occupations5. désavantage d’intagration sociale6. désavantage d’indépendance économique7. autres désavantages

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conjuguée avec les conditions de l’environnement. Sion prend l’exemple d’un patient paraplégique, ilprésente une déficience motrice et une incapacité delocomotion. L’importance de son désavantage demobilité, d’intégration sociale… dépend cependantde l’accessibilité de la ville où il se trouve. Il pourrasans difficulté utiliser les transports en commun pourse rendre à son travail ou à des loisirs, dans une villeoù l’environnement est adapté aux fauteuilsroulants. En revanche, ses déplacements en villeseront très limités dans une ville où seuls desescaliers permettent l’accès au métro, où les trottoirsne sont pas surbaissés, où des voitures sont garéespar commodité sur les emplacements réservés auxhandicapés.

‚ Échelles d’évaluation des handicaps

Ces différents niveaux de handicap peuvent êtremesurés par des échelles standardisées. Les plusconnues sont les échelles d’incapacité qui décriventl’autonomie dans la vie quotidienne. Les plusutilisées sont l’échelle de Barthel et la mesured’indépendance fonctionnelle (MIF). Des échellesspécifiques à une population ont pu êtredéveloppées, en particulier en populationgériatrique. Toutes ces échelles ont comme pointcommun la description de l’autonomie dans lesactes simples de la vie quotidienne tels que latoilette, l’habillage, la prise des repas, lesdéplacements, l’autonomie sphinctérienne.

Le niveau de handicap proprement dit estbeaucoup plus difficile à mesurer individuellement,car, si on reprend sa définition, le rôle social est trèsdifférent suivant les individus. Les échelles de« qualité de vie » tendent à se développer, pourprendre en compte la vision subjective du patient surses propres limitations.

‚ Nouvelle classification : la CIH-2

La première CIH doit être bien connue, car elle estlargement utilisée pour communiquer avec lesorganismes sociaux. Cependant, l’OMS a mis aupoint et vient de publier une nouvelle classification,la CIH-2 [5], dont l’utilisation est encore restreintemais qui remplacera certainement à terme lapremière classification.

La CIH-2 est constituée de deux parties,comprenant chacune deux composantes :

– partie 1 : fonctionnement et handicap :– fonctions organiques et structuresanatomiques ;– activité et participation ;

– partie 2 : facteurs contextuels :– facteurs environnementaux ;– facteurs personnels.

À la différence de la première classification quis’exprimait uniquement en termes négatifs(déficience, incapacité, handicap), dans la CIH-2,chaque composante peut être exprimée d’abord entermes positifs (fonctionnement, activité,participation). Les fonctions organiques sont définiespar les fonctions physiologiques des systèmesorganiques, y compris les fonctions psychologiqueset les structures anatomiques, les partiesanatomiques du corps, des organes, des membres etleurs composants. Les déficiences désignent lesproblèmes des fonctions organiques ou desstructures anatomiques.

L’activité est l’exécution d’une tâche par unepersonne, et la participation, l’implication d’unepersonne dans une situation de vie réelle. Ces

termes remplacent ceux d’ incapaci té etdésavantage, en incluant les expériences positives.Les limitations d’activité désignent les difficultés querencontre une personne dans l’exécution decertaines activités. Les restrictions de participationdésignent les problèmes qu’une personne peutrencontrer en s’impliquant dans une situation de vieréelle.

■Organismes sociaux

et personnes handicapées

Deux organismes sont particulièrement impliquésdans l’aide aux personnes malades ou handicapées.

‚ Sécurité sociale

En cas de maladie ou d’accident, les frais de soinssont couverts par la Sécurité sociale, à la conditionque des droits soient ouverts. La création de lacouverture médicale universelle (CMU) a permisd’élargir le nombre de personnes pouvant bénéficierde cette prise en charge. Si le patient exerçait uneactivité professionnelle au moment de l’arrêt detravail, à condition qu’un temps de travail suffisantait été atteint, des indemnités journalières sontversées pour une durée de 3 ans au maximum. Ellescorrespondent à 50 % du salaire plafonné.

Après ces 3 ans, le patient peut être mis eninvalidité (tableau II), selon trois catégories :

– l’invalidité de première catégorie reconnaît ladiminution des capacités de travail, et est versée encas de reprise du travail à temps partiel, la réductiondu temps de travail étant due au handicap ;

– l’invalidité de deuxième catégorie reconnaîtl’incapacité d’exercer une activité professionnelle, ennotant que stricto sensu pour la Sécurité sociale ils’agit bien de la capacité à exercer une activitéprofessionnelle et non son activité professionnelle ;

– l’invalidité de troisième catégorie reconnaît enoutre la nécessité de la présence constante d’unetierce personne.

Le montant de la pension d’invalidité dépend dusalaire antérieur et de la catégorie d’invalidité. Il estlà encore plafonné.

‚ Commission technique d’orientationet de reclassement professionnel(Cotorep)

La Cotorep a été créée par la loi d’orientation du30 juin 1975. Cet organisme est le passage obligépour la reconnaissance du handicap, pour bénéficierdes mesures particulières offertes en matière deformation professionnelle et d’emploi, ainsi que pourla détermination d’un taux d’invalidité et l’attributiond’allocations spécialisées.

C’est un organisme départemental, compétentpour recevoir les demandes des personneshandicapées adultes de plus de 20 ans, ouexceptionnellement de 16 ans. Un organismeéquivalent existe pour les enfants handicapés : laCommission départementale d’éducation spéciale(CDES).

La Cotorep est divisée en deux sectionsspécialisées :

– la première section concerne l’insertionprofessionnelle. Elle permet le bilan des aptitudesprofessionnelles, une orientation professionnelle enmilieu protégé ou en milieu ordinaire, et unereconnaissance de travailleur handicapé (RTH). LaCotorep ne fournit pas d’emploi aux personneshandicapées ;

– la deuxième section détermine le tauxd’invalidité en fonction d’un barème. De ce tauxdépend l’attribution éventuelle d’une carted’invalidité, l’attribution d’allocations, du macaron degrand invalide civil, ainsi que l’orientation enétablissement d’accueil ou d’hébergement.

Les procédures de dossier auprès de la Cotorepsont très longues, du fait de l’engorgement desdossiers et aussi du fait que, si la Cotorep estl’organisme décideur pour l’attribution desprestations sociales, il n’est pas l’organisme payeur.Les dossiers acceptés par la Cotorep doivent ensuiteêtre transmis aux Caisses d’allocations familiales ouau Conseil régional.

■Médecin et handicap

‚ Comment remplir le certificat médicalde la Cotorep

Le dossier Cotorep comprend un dossiertechnique et un certificat médical. Le dossiertechnique note des informations d’état civil etprécise les demandes. Ce premier dossier est remplipar la personne handicapée ou sa famille, si possibleavec l’aide d’une assistante sociale.

L’arrivée de l’imprimé bleu du certificat médicalest signe d’un surcroît de travail pour le médecin,mais il ne s’agit pas d’un acte administratif inutile etpénible. C’est au contraire un acte médicalprimordial qui peut déterminer la vie du patient. Lecertificat médical est une pièce capitale du dossier. Laqualité des informations fournies permet au patientd’avoir toutes ses chances pour faire aboutir sondossier. Le même imprimé est utilisé pour les deuxsections, mais il faut le plus souvent faire unedemande séparée pour chaque section.

Tableau II. – Les différentes « invalidités » et« incapacités ».

Il ne faut pas confondre les catégories et lespourcentages d’invalidité, invalidité et incapa-cité !Les patients naviguent parmi différents systèmessociaux, totalement imperméables les uns auxautres, qui utilisent des termes identiques, maissansrecouvrement. Comment comprendre qu’unmême patient soit à 80 % d’invalidité et en mêmetemps à 30 % pour un autre organisme ?Il coexiste :1. l’invalidité de la Sécurité sociale. Aux termes

des 3 années d’arrêt de travail, en cas de réduc-tion des capacités de travail, il peut être décidéd’une mise en invalidité qui entraîne le verse-ment d’une rente. Il existe trois catégories d’in-validité ;

2. le pourcentage d’invalidité de la Cotorep déter-miné à partir du barème de cette institution per-met l’attribution des cartes d’invalidité... Le tauxde 80 % d’invalidité est crucial car il permetd’accéder en particulier à la carte d’invalidité ;

3. le taux d’incapacité permanente partielle (IPP),de nouveau dans le système de la Sécurité so-ciale, est utilisé en cas d’accident du travail, etest fixé en fonction du barème spécifique d’acci-tent du travail ;

4. le taux d’IPP en cas d’accident du travail cou-vert par un contrat d’assurance ou tiers respon-sable est déterminé en expertise médicale sui-vant un autre barème...

3-1480 - Introduction à la notion de handicap

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Il faut impérativement :– savoir pourquoi on le remplit. Est-ce pour une

demande de carte d’invalidité où l’on va d’aborddécrire les incapacités, ou pour une demandeprofessionnelle dans laquelle il sera aussi nécessaired’insister sur les compétences préservées ?

– décrire les conséquences fonctionnelles en viequotidienne, plutôt que donner seulement desdiagnostics pathologiques bruts. C’est le trouble de lamarche avec réduction du périmètre de marche,l’incapacité de faire sa toilette seul ou sans gêne quijustifient de l’invalidité, qui vont déterminer le tauxd’invalidité, et non le diagnostic d’accident vasculairecérébral (AVC) ni même celui d’hémiplégie.

Il ne faut pas oublier de signaler les troublescognitifs attentionnels et mnésiques qui sontsusceptibles, quand ils existent, de mettre le patienten danger. De même, il est important de faireapparaître les déficiences associées, par exemplel’épilepsie secondaire dans le cas d’un AVC, ou lapathologie cardiaque associée.

Faire le point des incapacités dues à unepathologie est un exercice difficile, auquel les études

médicales n’apportent pas de formation directe.Chacun a appris à reconnaître les signes quipermettent le diagnostic de la maladie, mais il faut iciapprécier quelles peuvent être ses conséquencesdans la vie au quotidien du patient.

‚ Reconnaître le handicap

Toutes sortes de handicaps existent, les plusconnus et extériorisés étant les déficiences visuellesou auditives, ou la déficience motrice duparaplégique [2]. Cependant, des handicaps moinsévidents existent et doivent être pris en compte. Lehandicap des traumatisés crâniens dû à uneinadaptation comportementale est « invisible ». Lalombalgie chronique n’est pas seulement unemaladie à soigner, avec plus ou moins de succès,mais doit aussi être abordée dans sa dimensiond’incapacité à soulever des objets, à changer deposition, à marcher, ou d’intolérance à l’effort. Lesconséquences d’intégration sociale sont majeurespour l’accès au travail ou aux loisirs. L’incontinenceurinaire , déficience et incapacité, a des

conséquences très sévères en termes de qualité devie des patients, avec un risque majeur d’isolementsocial.

■Conclusion

La collaboration étroite avec les services sociaux,et en particulier les assistantes sociales, estabsolument indispensable pour faire le lien entremédical et social. Seules les assistantes socialespeuvent faire le bilan social de chaque personne,permettant d’évaluer les droits possibles dans leméandre des réglementations et de leurs exceptions.

Les médecins spécialistes en médecine physiqueet de réadaptation peuvent intervenir encollaboration avec les médecins libéraux pour laprise en charge des personnes handicapées, nonseulement pour la prise en charge en rééducation àla période aiguë, mais aussi dans le suivi deréadaptation familiale et sociale.

Pascale Pradat-Diehl : Docteur, praticien hospitalier.Hélène Chardonneraux : Assistante socioéducative.Dominique Mazevet : Docteur, praticien hospitalier.

Service de médecine physique et de réadaptation, hôpital Pitié-Salpêtrière, 75651 Paris cedex 13, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : P Pradat-Diehl, H Chardonneraux et D Mazevet. Introduction à la notion de handicap.Encycl Méd Chir (Editions Scientifiques et Médicales Elsevier SAS, Paris, tous droits réservés), AKOS Encyclopédie Pratique de Médecine, 3-1480, 2002, 3 p

R é f é r e n c e s

[1] Classification internationale des handicaps : déficiences, incapacités et désa-vantages. CTNERHI-INSERM, 1988

[2] Held JP, Dizien O. Traité de médecine physique et de réadaptation. Paris :Flammarion, 1998

[3] Perrigot M, Minaire P, Bouffard-Vercelli M, Arnaud A. Les handicapés. In :Brücker G, Fassin D éd. Santé publique. Paris : Ellipses, 1989 : 738-758

[4] Triomphe A. Les personnes handicapées en France. Paris : INSERM- CTNE-RHI, 1995

[5] WHO website: http://www. who. int/icidh

Introduction à la notion de handicap - 3-1480

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Lombalgie chronique commune

M Morel-Fatio, P Vassel

L e traitement de la lombalgie chronique commune doit s’inscrire dans une logique d’incitation au maintiend’activités, éliminant le repos du répertoire des moyens thérapeutiques.

© 2002 Editions Scientifiques et Médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Mots-clés : lombalgie commune, incapacité, réadaptation, douleur chronique.

■Introduction

Le diagnostic de lombalgie commune est undiagnostic d’élimination d’une cause lésionnellespécifique. Il est basé sur l’interrogatoire ; l’examenphysique ne fait que le confirmer, en l’absenced’éléments cliniques symptomatiques. Ce diagnosticne peut rendre compte de la grande variabilité desmodes de présentation, des conséquencesfonctionnelles et de leur évolution. On ne peutaborder le lombalgique et son incapacitéuniquement en termes de lésion et de douleur, maisdans un modèle considérant à la fois lescomposantes physique, psychologique et sociale etleurs interactions. Ce modèle bio-psycho-social s’estprogressivement imposé comme cadre d’évaluationet de traitement du lombalgique chronique. Lalombalgie commune est une douleur, sans spécificitélésionnelle, dont l’essentiel des manifestationsmorbides se limite à la plainte douloureuse et à deslimitations de mobilité. Le problème central résidedans le dépistage précoce des risques d’incapacitévis-à-vis du travail et des conséquencessocioéconomiques qui lui sont associées. Toutlombalgique à la phase aiguë doit être considérécomme un lombalgique chronique potentiel et traitécomme tel dès le début. Il a été montré qu’uneattitude médicale inadéquate dans les premiers jourssuivant l’apparition d’une lombalgie peut, chezcertains sujets , favor iser une évolut ionultérieurement défavorable. Savoir reconnaître unelombalgie commune chronique est simple, traiterl’incapacité qui en résulte est plus complexe etdemande de la part du praticien une bonneconnaissance des différents systèmes impliquésdans la réadaptation face à une douleur persistanteinvalidante : somatique, psychologique, social etprofessionnel. Le message médical doit être positif etrassurant, soulignant le caractère bénin de cetteaffection, corrigeant précocement des croyances etconvictions « dysfonctionnelles » vis-à-vis de sadouleur. Amener le patient à accepter et comprendrele bien-fondé d’une telle approche n’est pas tâcheaisée et réclame un savoir-faire. La relation avec unlombalgique chronique peut être délicate du fait deson agressivité induite par les frustrations, les échecssuccessifs, les avis divergents... La relation est

toujours facilitée lorsque le thérapeute montreclairement au patient qu’il croit à sa douleur et qu’ilfait preuve d’empathie. Un fonctionnementpluridisciplinaire en réseau, réunissant l’ensembledes intervenants (médecins traitants, médecinsspécialistes, kinésithérapeutes...) qui partagent unminimum des concepts communs, permet unecohérence dans les avis lors de l’évaluation et dansles stratégies thérapeutiques proposées aux patientsautour de principes communs de réactivation.

■Épidémiologie et facteurs

de risque de chronicisation

des lombalgies

‚ Définition

La lombalgie commune chronique se définit par :– sa topographie ; elle s’étend du rachis lombaire

(D12 à S1) aux crêtes iliaques, irradiant parfois versles fesses et la face postérieure des deux cuisses sansdépasser les genoux ;

– son profil évolutif, qui permet de distinguer :– l’épisode isolé (aigu : inférieur à 7 jours) ;– la forme continue et la forme récurrente(subaiguë : entre 7 jours et 3 mois) ;– la forme chronique, évoluant depuis plus de

3 mois ;– l’absence d’une lésion organique symptoma-

tique spécifique d’une maladie ; el le estclassiquement attribuée à un désordre mécaniquerésultant de l’altération physiologique normale desstructures du segment mobile intervertébral, sansque l’on puisse établir de façon précise laresponsabilité de telle lésion ou défaut anatomique.

[D’après Clinical Practice Guideline, AccidentRehabilitation and Compensation InsuranceCorporation of New Zeland and the National HealthCommitee, Wellington, New Zealand, 1997].

‚ Pour la pratique quotidienne

Définir la lombalgie ; avant d’instaurer unprogramme de réadaptation, il faut avoir vérifié leséléments suivants [synthèse guide line AccidentRehabilitation and Compensation Insurance of NewZeland and the National Health Commitee,Nouvelle-Zélande 1997].

Distinguer :– la lombalgie aiguë :

– commune ;– guérison spontanée dans la majorité descas ;– la meilleure prise en charge associeexplications (et réassurance), conseils demaintien d’activité et attente de normalisationrapide ;– la meilleure prise en charge repose, sinécessaire, sur des antalgiques simples et/oudes manipulations ;– la meilleure prise en charge repose sur une

incitation à limiter le repos couché à moins de2 jours ;

– la lombalgie récurrente :– commune, bénigne ;– probablement mieux traitée si on traite

chaque épisode comme un épisode delombalgie aiguë ;

– la lombalgie chronique :– une cause majeure d’incapacité qui peutamener un individu à la misère et auchômage ;– de traitement très difficile ;– plus facile à prévenir qu’à traiter ;– souvent associée à des facteurs

psychosociaux.Repérer les facteurs de risque :– facteurs de risque physique (« drapeaux

rouges ») ; ces signes requièrent une interventionappropriée et rapide lorsqu’ils sont associés à unedouleur lombaire :

– signes évocateurs d’un syndrome de laqueue-de-cheval (rétention urinaire,symptômes et signes neurologiquesdéficitaires bilatéraux, anesthésie en selle) ;– traumatisme significatif ;– perte de poids ;– antécédent de cancer ;– fièvre ;– usage de drogues par voie intraveineuse ;– usage de corticoïdes ;– âge supérieur à 55 ans ou inférieur à 20ans ;– douleurs aggravées par le décubitus ;– douleurs nocturnes sévères ;

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– facteurs de risques psychosociaux (« drapeauxjaunes ») ; ces éléments peuvent identifier les risqued’incapacité à long terme, avec perte d’emploi due àla lombalgie, et altération de la qualité de vie ; cessignes requièrent une prise en charge cognitive etcomportementale appropriée pour atteindre les butsfonctionnels fixés :

– attitudes et croyances relatives à lalombalgie ;– comportements inadaptés ;– compensations attendues ;– résultat du diagnostic et traitement ;– facteur émotionnel ;– facteur familial.

Définir avec le patient le cadre thérapeutique.Au terme de cette phase d’investigation, le

diagnostic médical de « lombalgie communechronique » doit être énoncé et expliqué au patient.Dans leur pratique, les différents thérapeutes doiventintégrer le fait maintenant largement démontré de lafaible corrélation entre l’intensité de la douleur, lalésion et l’incapacité.

L’énoncé de ce diagnostic permet :– de faire part au patient :

– du pronostic médical de bénignitésomatique (résolution spontanée quel que soitle traitement en 6 semaines dans 80 % descas) ;– du pronostic fonctionnel ; l’objectif n’est pas

la guérison sans douleur mais le maintien d’unniveau fonctionnel optimal, en améliorant satolérance à la douleur ;

– dès le stade initial, de développer unedémarche pédagogique d’information de la situationmédicale du patient débouchant sur des attitudesprat iques : descr ipt ion des mécanismesétiopathogéniques de ces douleurs, les attitudesd’« évitement » qui concourent à aggraverl’incapacité ;

– d’envisager la logique thérapeutique, qui n’estpas curative, mais vise à développer les capacitésadaptatives du patient ;

– de favoriser une démarche thérapeutique enréseau évitant l’effet iatrogène d’attitudescontradictoires des différents intervenants.

Le diagnostic médical ne permet pas :– d’identifier clairement la lésion tissulaire ou le

défaut anatomique, et donc de pouvoir proposer untraitement spécifique, mais d’avoir recours à untraitement « global » ;

– d’analyser les mécanismes de l’incapacitéfonctionnelle ;

– d’expliquer les différentes modalitésd’expression de la plainte douloureuse.

‚ Données épidémiologiques utilesà la pratique quotidienne

L’invalidité liée à la lombalgie commune a connudans les 10 dernières années une croissanceextrêmement forte dans les pays industrialisés.

Il n’existe pas en France d’enquête portant sur lafréquence des lombalgies dans la populationgénérale. La prévalence de la lombalgie (vie entière)dans la population adulte varie selon les études de66 % à 75 %. Quatre-vingt-dix pour cent desépisodes guérissent sans recours à un médecin. Lamajorité des épisodes sont rapidement résolutifs,mais 10 à 23 % durent plus de 3 mois.

En Angleterre, chaque année un homme sur 25change de travail du fait d’un accident lombaire.

Vingt-cinq pour cent des lombalgiques consomment90 % du coût global du mal au dos.

En France, les coûts médicaux directs représententenviron 1,6 % des dépenses d’assurance maladie et0,1 % du produit intérieur brut. Les coûts indirectsreprésentent cinq à dix fois les coûts directs.

De nombreux facteurs de risque de passage à lachronicité ont été individualisés. Parmi ceux-ci,soulignons ceux qui devraient influencer notrepratique médicale :

– un tiers des patients lombalgiques « nonspécifiques » vont passer à la chronicité parce quel’énoncé du diagnostic initial utilisait lors de lapremière semaine d’arrêt de travail une terminologiefaisant référence abusivement à un diagnosticspécifique (hernie discale...) ; ces données soulignentl’impact iatrogène de certaines formulations dulangage médical, surtout lorsqu’elles sont associéesà des recommandations de restriction d’activité ;

– facteurs de risques psychosociaux ousocioéconomiques :

– âge supérieur à 40 ans ;– salaire mensuel bas, faible qualification,travail peu motivant et stressant ;– situation familiale difficile ;– conflit lié à l’indemnisation d’un accident de

travail.

■Rappel anatomopathologique

et syndrome de déconditionnement

fonctionnel : « ce que le patient

doit savoir »

L’éducation du patient à sa pathologie doit êtrebasée sur une information simple et efficace délivréepar son médecin, lui permettant de comprendre lesmécanismes en jeu dans sa lombalgie et lesconséquences fonctionnelles qui en résultent pourfaciliter son investissement dans un processus actifd’adaptation à sa douleur. Elle requiert du praticiend’avoir du temps et un message pédagogique rodéaidé de supports écrits, de vidéos, de vertèbres enplastique... Ces notions consensuelles doivent êtrepartagées par l’ensemble des intervenants pourcontribuer à réduire les interprétations erronées de ladouleur et promouvoir précocement des messagesde réassurance qui seront mis en pratique dans leprogramme.

‚ Évolution du segment mobile et douleur

Reprenant comme base de description les notionsde « segment mobile » et de « trépied rachidien » (undisque plus deux articulations interapophysairespostérieures), la lombalgie commune survientcomme l’histoire naturelle du vieillissementrachidien. La dégénérescence discale fait partie duprocessus de vieillissement normal, habituellementasymptomatique. Trois étapes se succèdent dans letemps : dysfonctionnement ; instabilité ; stabilisation.

Stade de dysfonctionnementdu segment mobile

Lorsque le disque se détériore, le noyau subit unprocessus de dessiccation, suivi de fissures et deruptures de l’annulus au travers duquel le nucleuspeut s’infiltrer et s’extérioriser sous le ligamentvertébral. C’est à ce stade que peut se produire unehernie discale qui est le plus souvent totalementasymptomatique. Si elle vient au contact d’unestructure sensible, ligamentaire ou nerveuse, ou créeun obstacle mécanique, elle est responsable delumbago ou d’une lomboradiculalgie.

Stade d’instabilité

L’évolution se fait progressivement etnaturellement vers un pincement du disque (perte eneau du noyau) responsable d’un bombement del’annulus autour des plateaux vertébraux (protrusiondiscale objectivée sur le scanner), aboutissantprogressivement à une laxité discoligamentaire,facteur d’instabilité du trépied. L’instabilité rend lerachis plus vulnérable aux traumatismes (douleursligamentaires ou articulaires postérieures). Elle rendcompte d’une part des lumbagos récidivants paraccrochage des articulaires postérieures, réalisant àce niveau de véritables entorses, et par ailleurs desdouleurs d’« insuffisance discale », se manifestant enposition prolongée et au changement de position,traduisant la mise en contrainte des surfacesarticulaires en extension, rotation, inclinaison, et quise réduisent en flexion par réduction de cescontraintes.

Stade de stabilité

Le pincement des apophyses articulaires (blocage,douleur) et la production d’ostéophytes, processusdégénératifs (constructifs et destructifs), peuventaboutir progressivement :

– à une ankylose relative du segment mobile,immobilisant le segment mobile douloureux ;

– à un rétrécissement canalaire (ostéophytesintracanalaires et foraminaux, saillie de l’annulus,ossification d’une hernie), qui peut être responsablede conflit radiculaire ;

– à un pseudospondylolisthésis dégénératifrésultant d’une subluxation par usure des apophysesarticulaires postérieures, souvent asymptomatique.

‚ Syndrome de déconditionnement

Il est décrit initialement par Mayer comme unesuccession de réactions en chaîne déclenchées parl’apparition de la douleur chez le lombalgiquechronique, qui contribuent à une aggravation de sonincapacité :

– inutilisation par inactivité liée à la douleur et àla peur de la lésion qu’elle évoque... ;

– enraidissement articulaire, atrophie musculaire,inhibition neuromotrice... ;

– désadaptation cardiovasculaire à l’effort... ;– interprétation erronée de ces symptômes chez

des patients anxieux renforçant leur inactivité... ;– entretien de l’incapacité chronique.Ce modèle est à la base des programmes intensifs

de « restauration fonctionnelle du rachis » pour leslombalgiques chroniques, qui vise à sortir d’unelogique d’évitement de l’activité par une logique deconfrontation graduée à l’activité physique. Ilss’appuient sur un diagnostic médical de bénignité etsur l’absence de troubles psychiatriques perturbantla compréhension du programme, et doncl’adhésion à sa logique. Ils sont associés à unaccompagnement professionnel et psychosocial,faisant largement appel à des procéduresmotivationnelles cognitives et comportementales.

■Bilan clinique de réadaptation

d’un lombalgique chronique

‚ Données de l’interrogatoire

L’interrogatoire, tout en recueillant les élémentscliniques, permet de situer : le contexte, en particulierpsychologique, socioprofessionnel et culturel, à la

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recherche des éléments dont nous avons soulignél’importance comme facteurs de risque d’évolutionvers la chronicité ; le caractère brutal ou progressif ;le degré d’impotence immédiat et son évolution ; lesthérapeutiques utilisées et leurs effets ; le lienreconnu avec le travail. Il apprécie le « terrain » :attitude face à la douleur, ainsi que les conséquencessociales, professionnelles et financières de lalombalgie.

Antécédents susceptibles d’influencer les choixthérapeutiques

– Antécédents digestifs : ils peuvent restreindrel’utilisation des traitements anti-inflammatoires nonstéroïdiens (AINS) etc.

– Antécédents psychologiques : événements devie associés à des troubles psychopathologiques,suivi psychothérapique. L’évaluation par unpsychiatre peut être utile pour juger des orientationsthérapeutiques et éventuelles contre-indications à laparticipation à des programmes basés sur laconfrontation progressive à la douleur déclenchéepar l’activité.

– Antécédents à l’appareil locomoteur : ilspeuvent réduire les possibilités de compensation pard’autres secteurs du corps et limiter les capacitésadaptatives recherchées en rééducation.

– Antécédents cardiologiques : ils sont à préciseravant d’inclure les patients dans des programmes deréadaptation fonctionnelle comportant unreconditionnement à l’effort et un travail surmachine isocinétique du rachis qui sollicitentl’adaptation cardiovasculaire.

Bilan des douleurs

Il consiste à faire décrire par le patient lescaractéristiques de sa douleur actuelle pour enétablir un relevé précis, descriptif (topographie,intensité), qualitatif, évolutif depuis son installation etd’en apprécier le retentissement général (sommeil,moral), les conséquences fonctionnelles (niveaud’activité quotidien), sociales et professionnelles.

¶ Description de la douleur– Siège : il est utile d’utiliser les schémas

représentant la silhouette de face et de profil pour enconserver une trace dans le dossier.

– Intensité : elle est mesurée par l’échelle visuelleanalogique (EVA) ou les échelles de cotationnumérique (EN) sur une échelle de 0 à 10 (se reporterau document de l’Agence nationale d’accréditationet d’évaluation en santé [ANAES] pour les règlesd’utilisation). Le questionnaire douleur deSaint-Antoine (QDSA) en donne une appréciationqualitative, permettant de mettre en évidence lacomposante de détresse émotionnelle réduisant latolérance à la douleur.

– Facteurs de soulagement ou d’aggravation : ilsdoivent être recherchés avec attention. Ils sontposturaux, liés à l’activité, à la fatigue, à l’anxiété ousans facteur d’influence retrouvé. L’important estd’apprécier s’ils sont susceptibles d’être contrôlablespar le patient et comment. Ils sont alors intégrés à lacomposante du programme visant le dévelop-pement des moyens de contrôle de la douleur.

– Descriptif du type de douleur : il permetd’entrevoir les mécanismes physiopathologiques endistinguant les douleurs neurogènes de la douleurnociceptive et d’orienter vers des thérapeutiquesplus ciblées.

– Le guide pratique des recommandations del’ANAES, « Outil d’évaluation de la douleur chronique

en médecine ambulatoire », donne les indicationsd’utilisation pratique de ces instruments.

¶ Évaluation du retentissement de la douleur

Conséquences psychologiquesTout syndrome douloureux et tout handicap

peuvent se compliquer d’une dépression etinversement les syndromes dépressifs associentsouvent des douleurs à la souffrance morale. Lesyndrome dépressif intervient dans la perceptiondouloureuse : la topographie devient imprécise, plusdiffuse, s’accompagnant de malaise et fatigue, etcontribue à la réduction du potentiel fonctionnelutilisé. Le recours à des autoquestionnaires évaluantla dépression et/ou l’anxiété (Beck-Hospital anxiétédépression/HAD) permet d’alerter le praticien surcette composante et de la traiter par des moyensspécifiques. L’évolution est un argument essentiel dudiagnostic. L’intervention d’un psychiatre peut êtreutile pour prendre en charge cette composantedépressive.

Deux groupes de variables cognitives sontreconnus comme importants à considérer :

– la « conviction d’efficacité personnelle », qui sedéfinit comme la force de conviction que le sujetporte dans sa capacité d’exercer un contrôle sur unesensation perçue comme aversive dans unesituation spécifique ;

– le « catastrophisme », qui se définit comme unétat dans lequel on se focalise exclusivement sur lesaspects aversifs de l’expérience douloureuse ; ilaccroît les perceptions de la douleur et diminue lescapacités d’adaptation active.

Par ailleurs, de nombreux auteurs ont mis enévidence la composante comportementaled’évitement d’activité entretenue par la douleur,décrite sous le terme de « kinésiophobie », quicontribue également à réduire le niveau fonctionneldu lombalgique chronique.

Conséquences fonctionnellesLe niveau d’incapacité est établi avec le patient en

évaluant le retentissement de la douleur sur les itemsde base : périmètre de marche, tolérance à laposition assise, au piétinement, au port de charge...Le relevé chiffré sert de base à la détermination desobjectifs et au suivi selon deux modalités :

– un entretien semi-structuré, comportant leséléments suivants :

– analyse séquentielle des différentes activitésjournalières, permettant de circonscrire lesincapacités et de déterminer les itemsfonctionnels déficitaires, « cibles » duprogramme (activités ménagères, profession-nelles, bricolage, conduite automobile, loisirs,sports, gestes professionnels...) ;– évaluation :

– du périmètre de marche (en mètres) ;– de la tolérance à la position assise (enminutes) ;– de la tolérance au piétinement (enminutes) ;– du temps de position couchée par jour ;– des capacités de port de charge ;

– des autoquestionnaires ; les questionnairesd’Oswestry et de Dallas, validés en français, sontlargement utilisés.

Conséquences sociales et professionnelles

– Fréquence et durée des arrêts de travail.– Conséquences financières.

– Conflit avec les organismes de protectionsociale...

‚ Données de l’examen clinique en vuede l’établissement d’un programmede réadaptation impliquant le patient

L’observation de la gestuelle spontanée et d’uneéventuelle discordance automaticovolontaire (ladiscordance entre les raideurs douloureusesdéclenchées par l’examen clinique et la mobilitéobservée en activité spontanée) laisse envisager unretentissement psychocomportemental qui ne remetpas en cause le diagnostic de lombalgie communechronique.

Données de l’examen orthopédique utilespour la rééducation

Sur un patient déshabillé et pieds nus, cet examenvise à recueillir l’ensemble des données physiquespouvant concourir au symptôme et à la limitationfonctionnelle. I l est conduit de manièresystématique, d’abord global puis segmentaire,statique puis dynamique, successivement debout(marche/statique), assis, couché. On examine lerachis, les membres et l’équilibre du tronc sur lesmembres. Chaque élément relevé est expliqué aupatient de façon à lui donner au fur et à mesure del’examen une représentation de son problème desanté lui permettant de s’impliquer activement dansla logique de son programme de réadaptation.

¶ Examen de la marche et des accroupissementsIntérêt pour la rééducation : recherche des

capacités d’adaptation par utilisation des membresinférieurs, réduisant les sollicitations rachidiennes.

¶ Morphotype et indices de déconditionnementphysiqueIntérêt pour la rééducation : le gain de condition

physique est corrélé à une amélioration de latolérance à la douleur et à l’augmentation du niveaufonctionnel.

¶ Examen standardisé du rachisIntérêt pour la rééducation : repérer les raideurs

globales ou segmentaires, les troubles de la statiqueimpliqués dans les douleurs, les arcs douloureux à lamobilisation qui doivent bénéficier d’exercices visantla flexibilité et le contrôle segmentaire lombopelvien.

¶ Examen morphodynamique du rachisIntérêt pour la rééducation : une raideur

segmentaire ou globale douloureuse, des arcsdouloureux en flexion ou en extension oriententvers des techniques d’assouplissement lombaire(flexibilité) et le travail d’acquisition de contrôlesposturaux lombopelviens en position de confort,c’est-à-dire en apprenant à se placer par bascule dubassin dans un degré de délordose lombaire mieuxsupportée.

¶ Examen des membres inférieursIntérêt pour la rééducation : la disponibilité des

membres inférieurs est l’un des paramètresdéveloppés pour réduire les sollicitationsrachidiennes. On en évalue la qualité, en appréciantles possibilités d’utilisation : stabilité articulaire, forcemusculaire, indolence et mobilité articulaire.

¶ Examen du complexe lombo-pelvi-fémoralIntérêt pour la rééducation : la liberté du secteur

sous-pelvien (droits antérieurs, ischiojambiers) est unobjectif pour réduire les sollicitations lombairesd’origine pelvifémorale.

Lombalgie chronique commune - 3-1520

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¶ Mesure de la force musculaireElle permet de préciser les secteurs déficitaires ou

le déséquilibre de couples agonistes-antagonistes.Elle concerne les fléchisseurs du tronc, les spinaux,les muscles de la ceinture pelvienne et des membresinférieurs.

Intérêt pour la rééducation : restaurer les déficitsou déséquilibres observés.

¶ Examen local des structures articulaires,ligamentaires et musculoaponévrotiquesdu tronc et des membresIntérêt en rééducation : traitements locaux,

massages, pétrissages, étirements, physiothérapie...

Données de l’examen neurologique, donnéesutiles pour la rééducation

Réalisé de façon systématique à la recherche designes déficitaires moteurs ou sensitifs des membresinfér ieurs (ou du tronc) , ou de troublespérinéaux-sphinctériens, l’examen neurologiquetémoigne d’une participation radiculaire récente ouancienne. La présence d’une parésie des membrespeut réduire les possibilités de compensationnécessaires à l’économie rachidienne.

In té rê t en rééducat ion : programme derééducation spécifique, éventuel appareillage.

■Éléments de la thérapeutique

Au terme de ce bilan, on aura pu identifier avec lepatient ses caractéristiques physiques, sa conditionphysique, ses capacités fonctionnelles, lesparamètres psychologiques, les enjeux sociaux etprofessionnels, et la perception qu’il en a.

Cette approche vise à l’impliquer dans leprocessus d’adaptation. Ce raisonnement menéprogressivement l’amène naturellement àreconnaître les éléments physiques, gestuels maisaussi cognitifs et comportementaux impliqués dansle maintien de son incapacité et de ses douleurs. Uneparticipation active et une logique d’efficiencepersonnelle orientée vers la réduction des situationsd’inconfort et le maintien d’activité peuvent ainsis’instaurer. L’enjeu est d’éviter au plus tôt l’entréedans la chronicité, en évitant le piège des escaladesthérapeutiques conduisant à la dépendancemédicale , la pass iv i té , l ’ inact iv i té et ledéconditionnement.

‚ De la plainte douloureuseà la réadaptation fonctionnelle,les étapes de l’entretien motivationnel

La rééducation et la prise en charge comporte-mentale sont aujourd’hui les éléments essentiels dela prise en charge des lombalgiques chroniques. Ellevise à faire abandonner au patient son statut de« malade » et à lui faire retrouver ses différents rôlesdans sa vie professionnelle, sociale, familiale... Unefois le stade du diagnostic médical établi, le bilanclinique de réadaptation a pour objectif d’amener lepatient dans une logique de reprise d’activité malgréla douleur. Cette étape prend du temps, car elle faitappel aux processus motivationnels d’un patient quiconsulte pour ne plus avoir de douleurs invalidanteset à qui l’on propose de mieux vivre avec...

L’adhésion du patient à cette démarched’« adaptation » est l’étape indispensable à l’efficacitédu traitement. Lors de la consultation, les données

de l’examen physique doivent être expliquées au furet à mesure en prenant soin d’en souligner leséléments déficitaires à récupérer, leurs liens avecl’incapacité fonctionnelle, ce qu’il faut faire pour enréduire l’importance. Pour entrer dans la logique duprogramme thérapeutique, chaque praticien doitavoir établi sa « grille d’entretien » comportant cettedimension motivationnelle :

– énoncer le diagnostic de lombalgie commune,d’évolution chronique ; cette première étape permetde conclure la phase des investigations et d’enexpliquer les résultats (explication approfondie desdifférentes investigations) ;

– entendre et favoriser l’expression de la plainte(empathie), en évaluer les différents aspects (ladouleur et ses conséquences, le terrain...) ; celapermet d’établir une relation thérapeutique baséesur la réalité de la douleur telle quelle est perçue parle patient et sur laquelle sera organisé leprogramme ;

– reprendre les différents aspects de la plainte, endissocier les composants : la douleur, l’incapacité etles situations de handicap qui constituent autantd’objectifs à maîtriser dans le cadre du programmede réadaptation ;

– considérer l’examen physique comme lemoyen de faire percevoir au patient la logiqued’adaptation qu’il devra développer dans leprogramme ; chaque élément mis en évidence lorsde l’examen sera replacé dans une logique derécupération fonctionnelle d’activités abandonnéesou difficiles ; l’important est d’instaurer avec lepatient une logique de travail dans laquelle leschangements attendus répondent aux objectifsfixés ;

– fixer des objectifs personnalisés, en établissantune liste hiérarchisée et graduée (%) des activitésrendues difficiles ou impossibles ;

– établir le « cadre du programme individuel » àpartir des données de l’examen et établir les règles etmodalités de travail.

‚ Modalités thérapeutiques

Traitements médicamenteux

– Antalgiques : épisodes aigus ou subaigus.Paracétamol associé ou non aux morphiniquesmineurs.

– AINS : épisodes aigus ou subaigus.– Voie générale : AINS.– Infiltrations locales de corticoïdes : articulaires

postérieures, ligamentaires, sacro-iliaques,épidurales).

Traitements physiques

¶ Repos couché strictIl est indiqué sur de courtes périodes de 24 à

48 heures lors d’épisodes aigus avec blocage(associé aux AINS). Sa prescription peut devenir unélément renforçateur de l’« évitement dumouvement ».

¶ Orthèses de contention lombairesLeur indication est encore l’objet de controverses

médicales. Il faut éviter de créer une dépendancechez les patients et les indications doivent répondreà des utilisations ponctuelles.

Elles peuvent être rigides ou souples :– lombostats plâtrés ou en résine, indiqués dans

les épisodes aigus lorsque le repos strict n’est paspossible à appliquer ;

– lombostats en coutil baleinés sur mesure ;prescription réalisée sur devis, remboursée selon lanomenclature du TIPS ; ils sont indiqués danscertaines lombalgies ; ils peuvent réduire la gênedouloureuse et contribuer au maintien de la capacitéfonctionnelle ;

– ceintures de maintien lombaire (modèle« classique » remboursé par la Sécurité sociale venduen pharmacie ou « ceinture moto » plus aérée, mieuxtolérée, vendue dans les magasins de sport sansremboursement) ; proposées de façon ponctuelledans les activités considérées par le patient commesystématiquement douloureuses et non contrôlables(ménage, voiture, sports, bricolage, jardinage, etc).

¶ Tractions et manipulations vertébralesLes tractions, peu pratiquées, visent à agrandir

l’espace intervertébral et à corriger la tendance à laprotrusion du nucleus. Elles sont indiquées en cas desouffrance discale. Il s’agit d’un acte médical.

Les manipulations sont indiquées dans leslombalgies d’origine dorsolombaire (souffrancearticulaire postérieure de Maigne). Il s’agit d’unemobilisation articulaire segmentaire avec mise entension maximale et « passage » amenant un ressautaudible, associé à une récupération immédiate de laliberté d’un secteur articulaire. Elles donnent en règleune amélioration nette en une à trois séances.

Place de la rééducation fonctionnelleLa rééducation fonctionnelle fait partie des

traitements généralement proposés de façonsystématique lorsque le lombalgique vient consulterun médecin.

¶ Techniques à visée antalgiqueIl s’agit de techniques passives. À ce titre, elles

peuvent être considérées chez le lombalgiquechronique comme un facteur renforçant sadépendance au thérapeute, réduisant ledéveloppement de ses moyens d’adaptation.

Le massage prépare au traitement actif et joue àce titre un rôle facilitateur en début de séance.

La physiothérapie regroupe l’ensemble desagents physiques ayant un effet antalgique. Citons :

– l’électrothérapie : ionisations, courants de bassefréquence, ultrasons ;

– les sources de température en applicationlocale (chaleur : fangothérapie, rayons infrarouges,hot-pack ; cryothérapie à l’air liquide, applicationslocales de cold-pack) ; ces techniques ont égalementun rôle de facilitation avant un travail demobilisation actif ; elles sont réalisées en début deséance.

La balnéothérapie, l’effet combiné de la flottaisonet de la chaleur, associé aux possibilités de massagesaux jets, se combinent pour faciliter la reprise de lamobilisation active des patients très algiques.

¶ Techniques à visée correctriceUn des effets recherchés en rééducation est de

modifier certains paramètres physiques considéréscomme facteurs d’entretien de la lombalgie.Schématiquement, il s’agit :

– de techniques d’assouplissement visant lacorrection de déséquilibres statiques/dynamiques durachis et des membres (raideurs musculoligamen-taires du secteur sous-pelvien, étirementsdélordosants d’un syndrome articulaire postérieur,ou d’un canal lombaire étroi t , ou d’unspondylolisthésis) ;

– de techniques de renforcement musculaire ; endehors du caisson abdominal et des érecteurs du

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rachis, il est indispensable d’obtenir une bonnedisponibilité des membres inférieurs, dont vadépendre en grande partie l’essentiel des techniquesd’économie rachidienne.

¶ Techniques visant à développer les perceptionscorporelles (proprioceptif)On regroupe sous le terme de rééducation

proprioceptive une approche basée sur un travail deperception et de contrôle postural :

– la rééducation en cyphose : lombalgiesaggravées par l’hyperlordose (canal lombaire étroit,spondylolisthésis douloureux, arthrose articulairepostérieure, maladie de Baastrup) ;

– la rééducation en lordose : tassementsvertébraux douloureux, inversions de courburedouloureuses ;

– le verrouillage lombaire : phases algiques(utilisé spontanément par le patient), en prophylaxieaprès cure de hernie discale ;

– l’ajustement postural : phase préliminaire auxacquisitions gestuelles du programme deconditionnement des lombalgiques.

Dans la pratique, les techniques utiliséess’inspirent de ces grands schémas, mais le choix dela position de travail de référence est toujours basésur la règle de la non-douleur.

¶ Techniques issues de l’ergothérapieElles visent l’élargissement des aptitudes

gestuelles à l’ensemble des situations de la vie :– apprentissages gestuels visant à adapter

progressivement l’individu à son environnementdomestique, de loisir ou professionnel (exemple :décharger un caddie, passer l’aspirateur, faire un litetc.) ;

– adaptation de l’environnement : donnéesd’ergonomie pratiques individualisées (les positionsassises à un bureau, debout devant un évier etc.).

Différentes modalités de soin

¶ Kinésithérapie individuelle/kinébalnéothérapieen villeIndication : en dehors des épisodes aigus. Elle doit

être proposée dans les lombalgies récentes oumodérées. Action de prévention précoce, préventiondu passage à la chronicité, elle facilite la repriseprécoce d’activité et le retour au travail le plusprécoce possible dans les lombalgies persistantes.

Les prescriptions au kinésithérapeute doiventcomporter les indications suivantes :

– prescription de rééducation du rachis et desmembres pour une lombalgie commune ;

– x séances par semaine pendant y semaines,soit z séances ;

– urgent.Un courrier explicatif joint précise :– les caractéristiques du patient (données

cliniques, psychologiques, professionnelles etc)permettant d’orienter la prise en charge ;

– les objectifs thérapeutiques ;– les modalités opératoires, l’intérêt de chaque

séance étant d’être systématiquement replacé dansune perspective de pratique quotidienne à viséefonctionnelle ; organisation en programmed’activités visant l’instauration rapide d’uneautorééducation, réduisant les composantes dedéconditionnement physique et psychologique.

La prescr ipt ion moyenne habituellementconseillée est de 15 séances. Au terme de cettepremière série, une évaluation conjointe avec lekinésithérapeute basée autant sur des critères

physiques que fonctionnels (activités reprises ouabandonnées) apprécie divers éléments :

– rôle actif ou non du patient pendant la séanceet en dehors des séances ;

– exerc ices or ientés sur une final i téfonctionnelle ;

– règles d’hygiène rachidienne utilisées dans lavie courante ;

– compréhension générale des buts de larééducation ;

– incitation à la reprise d’activités physiques ;– compliance du patient après avoir fixé avec lui

les modalités pratiques qu’il doit mettre en œuvrepour assurer la pérennité des bénéfices.

Il est souvent utile de prévoir de courtes sériescomplémentaires de relance pour réactiver cesprocédures lorsque le patient montre des signes.

¶ Programmes multidimensionnels

Programmes de restauration fonctionnelle du rachisIl s’agit d’intervenir énergiquement sur les

déterminants potentiels de l’invalidité chez cespatients : déconditionnement physique ; facteurspsychosociaux individuels ou relatifs au milieu detravai l ; facteurs socioéconomiques. Cesprogrammes de restauration fonctionnellecomportent les éléments suivants :

– quantification exhaustive et répétée de diversparamètres fonctionnels physiques pour guider laréadaptation ;

– évaluation psychosociale approfondie ;– entraînement physique actif et intensif, la

kinésithérapie passive étant proscrite ;– répétitions de tâches industrielles simulées ;– apprentissage éducatif du type « école du dos » ;– approche cognitivocomportementale centrée

sur la réduction de l’incapacité fonctionnelle (plutôtque sur la douleur).

Les recommandations suivantes peuvent êtrerépercutées pour la sélection des patients :

– l’absence confirmée d’indication chirurgicale ;– le caractère volontaire de la participation au

programme ;– une incapacité de travail d’au moins 4 mois

après l’épisode aigu.La prise en charge ne doit donc pas intervenir

trop tôt mais il semble aussi qu’il ne faille pas qu’elleintervienne trop tard : des résultats récents montrentque la probabilité d’un résultat favorable estmeilleure pour des patients en incapacité de travaildepuis 4 à 8 mois qu’avec des patients en incapacitédepuis plus de 18 mois.

Il apparaît que les actions de réinsertion deslombalgiques chroniques ont une efficacitésupérieure aux traitements classiques proposés. Lesrésultats obtenus dans différents pays industrialisésmontrent que la plupart de ces programmes intensifset pluridisciplinaires ont permis de prévenir (oud’inverser) l’installation d’une invalidité en favorisantd’une façon significative la reprise du travail chez deslombalgiques chroniques.

Programme de type comportementalHypothèse.La douleur chronique est un comportement

appris qui peut persister au-delà de la causenociceptive initiale. La réactivation physique est lacomposante centrale.

L’intervention est basée sur l’exposition graduée àdes activités évitées par peur de la douleur ou parpeur d’aggraver la lésion.

Buts.– Augmenter la capacité fonctionnelle en

réduisant la composante émotionnelle aversiveassociée à la douleur. Reprise progressive desactivités.

– Amélioration de l’état de santé perçu (conditionphysique).

– Développement du sentiment de contrôle de ladouleur, améliorant la tolérance à l’activitédouloureuse.

– Augmentation de l’efficacité personnelle,élargissement des niveaux d’activité fonctionnelleconsidérés comme possibles.

Techniques utilisées.– Exposition graduée aux activités évitées,

réentrainement :– à l’effort sur ergocycle (travail à quotas parpaliers) ;– au rééquilibrage musculaire du coupleextenseur/fléchisseur du tronc et àl’augmentation de la flexibilité rachidienne, enisocinétisme ;– à la souplesse sous-pelvienne également.

– Thérapie de résolution de problème (Nezu,1998) ; « stratégies de coping » appliquées auxsituations incapacitantes quotidiennes, de loisirs etprofessionnelles qui contribuent au handicap.

– Groupes d’éducation ; correction des idéesfausses ; pédagogie de groupe de patients ;banalisation et dynamique du « savoir-faire » desautres lombalgiques modèles.

Efficacité.– Démontrée dans les indications citées plus

haut.– Optimale entre la troisième semaine et le

troisième mois.– Douleur : réduction de faible importance.– Niveau fonct ionnel : augmentat ion

significative.– Retour au travail à 1 an et 5 ans : entre 75 % et

85 % selon les études.Il faut cependant souligner qu’il s’agit de

populations dont les caractéristiques sontdifficilement comparables (niveau de formation,caractéristiques psychosociales, caractéristiques del’environnement...).

■Aspect professionnel :

rôle du médecin traitant

L’objectif de réinsertion des lombalgies sévères etinvalidantes est considéré comme essentiel ; en effet,7,5 % des lombalgies utilisent 75 % du coût globaldes lombalgies et la reprise du travail chute à 20 %des cas à 1 an d’arrêt, elle est pratiquement nulle à2 ans. Il est important de développer des actions deréinsertion centrées sur la reprise précoce desactivités. L’un des buts est la reprise précoce (avant lesixième mois si possible) par la mise en placed’actions coordonnées multidisciplinaires (médecintraitant, rhumatologue, médecins de rééducation,médecin du travail, médecin conseil, Cotorep,assistante sociale...).

Les difficultés de la réinsertion professionnellesont réelles : situation de l’emploi ; complexité desmoyens et des structures sociales en place ; positiondu médecin du travail dans l’entreprise. Il fautconsidérer que la coordination des différentes

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actions de réinsertion est un élément important duprogramme thérapeutique du lombalgiquechronique.

Le médecin traitant est le premier intervenant. Àla phase initiale, l’arrêt de travail est l’un deséléments de la prescription, prenant en compte laplainte douloureuse et les exigences du poste detravail. Il est en règle limité à quelques jours.

En cas de prolongation, dès le premier mois il fautpréparer les conditions de la reprise. Il est nécessairede replacer le patient sur sa courbe d’évolution pourne pas laisser s’installer un état d’incapacitéchronique.

L’envoi au spécialiste, rhumatologue ou demédecine physique, permet de valider le diagnosticde lombalgie commune et les objectifs thérapeu-tiques. Une visite de préreprise en médecine dutravail permet de mettre au point les conditions de lareprise lorsque des difficultés sont prévisibles :adaptation du poste ou des horaires ; changementde poste transitoire.

On considère que le recours aux programmes derestauration fonctionnelle du rachis devraitintervenir entre le premier et le troisième mois, avantde passer à la chronicité. On sait qu’au-delà leschances de reprise sont réduites (fig 1). Le suivi seraassuré au mieux par le réseau de prise en charge deslombalgiques. Cette équipe multidisciplinaire peutprendre en compte les dimensions médicales,psychologiques et sociales de cette incapacité. Ellepeut préciser les chances d’une éventuellereconversion professionnelle. Elle peut contribuer àréduire leur dépendance aux soins.

En cas d’inaptitude à tout poste dans l’entreprise,le médecin du travail peut décider d’orienter lepatient vers la Cotorep. En attendant que dessolutions pratiques puissent être mises en place, lemédecin-conseil et le médecin traitant peuvent être

sollicités afin de prolonger l’arrêt de travail. LaCotorep décide de la reconnaissance du statut dehandicapé et des modalités d’un éventuelreclassement.

Dans le cadre de l’accident de travail, lemédecin traitant peut dans les cas difficiles, enparticulier la relation entre l’accident etl’incapacité constatée, prendre contact avec lemédecin-conseil pour résoudre en commun cequi pourrait devenir un litige. S’il ne délivre pas decertificat, ou ne fixe pas de date de guérison oude consolidation, la caisse fixe cette date aprèsavis du médecin-conseil.

■Conclusion

Depuis les 10 dernières années, l’évolution desconnaissances dans le domaine de la douleurchronique a modifié l’abord du lombalgiquechronique. Cette approche nouvelle s’appuie sur la

référence au modèle bio-psycho-social de la douleur,et à ses aspects cognitifs et comportementaux. Leurprise en charge s’oriente maintenant vers desprogrammes plurimodaux, agissant sur l’ensembledes facteurs considérés comme prenant part àl’incapacité.

Les résultats obtenus montrent que cesprogrammes permettent de prévenir, voired’inverser, l’installation d’une invalidité en favorisantd’une façon significative la reprise du travail chez deslombalgiques chroniques. Ceci souligne pour lapratique de ville l’importance d’un fonctionnementpluridisciplinaire, sous la forme d’un réseau depraticiens qui partagent un minimum de conceptscommuns et qui reconnaissent l’importancethérapeutique d’une cohérence dans les avis et lesstratégies thérapeutiques. Dans l’idéal, il réunit lemédecin traitant, les kinésithérapeutes, le médecindu travail, les spécialistes de la lombalgie et lesstructures spécialisées dans la prise en charge deslombalgiques.

Pourcentage deretour au travail

Nombre de jours d'arrêt de travail

à 3 mois < 10 % à 1 an < 5 %

40 80 120 200 240 280 320 360 400

100 %

0 %

1 Retour au travail aprèsun épisode aigu (basé surdes séries scandinaves etaméricaine)[3].

Points essentiels✔ La lombalgie commune est la forme la plus fréquente des lombalgies (de 95 % à 98 % selon les études).✔ Il s’agit d’une pathologie « bénigne » qui nécessite l’établissement d’un diagnostic positif : il faut éliminer une lombalgiesymptomatique d’une affection d’origine rachidienne ou extrarachidienne.✔ L’examen ne peut prédire les différences de modalités évolutives. Un seul épisode, une douleur continue ou des épisodesrécidivants de gravité variable n’ont pas de relation spécifique avec telle ou telle atteinte anatomique.✔ Des épisodes guérissent sans recours à un médecin. La plupart des personnes ayant une douleur lombaire aiguë reprennentleur travail après quelques jours.✔ En l’absence d’élément permettant d’individualiser précocement les cas d’incapacité chronique, tous les patients doivent êtreconsidérés à risque. En effet, il a été établi qu’un lombalgique sur dix évoluera vers un déconditionnement physique etpsychologique responsable de conséquences sociales et professionnelles graves.✔ Si, d’un point de vue clinique, la lombalgie commune constitue une entité bien individualisée, le diagnostic étiologique estsouvent peu spécifique. Ceci explique la diversité des approches en fonction des intervenants (médecin traitant, rhumatologue,rééducateur, médecin du travail, médecin-conseil, médecins-experts d’assurance, kinésithérapeute, assistante sociale...).L’efficacité thérapeutique passe par une harmonisation des raisonnements, dont la forme la plus appropriée paraît être le« réseau ».✔ Le principale indicateur de suivi de l’efficacité thérapeutique se fait sur l’évaluation de l’impact de la lombalgie sur le niveaud’activités quotidiennes.✔ La kinésithérapie est l’un des traitements les plus prescrits chez le lombalgique. Ce traitement doit s’inscrire dans une logiqued’incitation au maintien d’activités, éliminant le repos du répertoire des moyens thérapeutiques.✔ La prescription de kinésithérapie est établie à partir du diagnostic médical de lombalgie commune. Elle donne lieu à undiagnostic kinésithérapique permettant d’établir avec le patient les objectifs à atteindre au terme de la prescription de 15 séances.

3-1520 - Lombalgie chronique commune

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Page 56: Le Manuel Du Généraliste - Divers

Michel Morel-Fatio : Médecin de médecine physique et réadaptation.Philippe Vassel : Médecin de médecine physique et réadaptation.

Unité d’évaluation et de réadaptation de la douleur.Centre de médecine physique et réadaptation de Coubert. (UGECAM-IdF), route de Liverdy, 77170 Coubert, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : M Morel-Fatio et P Vassel. Lombalgie chronique commune.Encycl Méd Chir (Editions Scientifiques et Médicales Elsevier SAS, Paris, tous droits réservés), AKOS Encyclopédie Pratique de Médecine, 3-1520, 2002, 7 p

R é f é r e n c e s

[1] Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé. Prise en chargekinésithérapique du lombalgique. Conférence de Consensus, Novembre 1998

[2] Fordyce WE. Back pain in the workplace management: management of dis-ability in nonspecifique conditions. In : A report of the Task Force on Pain in theWorkplace of the International Association for the Study of Pain. Seattle : IASPPress, 1995

[3] Gordon W. The Back pain revolution. New York : Churchill Livingstone 1998

[4] INSERM. Rachialgies en milieu professionnel. Édition Expertise, 1995 :1-193

[5] INSERM. Lombalgies en milieu professionnel. Édition Expertise, 2000 :1-151

[6] Mayer T, Tabor J, Bqvasso E, Gatchel RJ. Physical progress and residualimpairment quantification after functional restoration. Part I lumbar mobility.Spine1994 ; 19 : 389-394

[7] Morel Fatio M. Quelle est la place du diagnostic kinésithérapique dans letraitement de la lombalgie ?Kinésithér Scient1998 ; n° 383

[8] Nachemson AL. Newest knowledge of lowback pain. A critical look.ClinOrthop1992 ; 279 : 8-20

[9] Revel M. La rééducation dans la lombalgie commune : mise au point.RevRhum Mal Ostéoartic1995 ; 62 : 37-47

[10] Vlayen JW, Kole-Snidjer AM, Boeren GB, Van-Eek J. Fear of movement/(re) injury in chronic low back pain and its relation to behavioral performances.Pain1995 ; 62 : 363-372

Lombalgie chronique commune - 3-1520

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Page 57: Le Manuel Du Généraliste - Divers

Amyloses

G Grateau

L es amyloses forment un groupe de maladies qui se définissent par une accumulation dans l’espaceextracellulaire d’une substance pathologique dont on sait maintenant qu’elle correspond à la voie finale

commune du métabolisme anormal de certaines protéines.© Elsevier, Paris.

■Introduction

Les amyloses forment un vaste groupe demaladies n’ayant en commun que la lésionélémentaire qui les définit : l’accumulation dansl ’espace extracel lulaire d’une substancepathologique aux propriétés tinctoriales spécifiques.Longtemps réduite à deux formes, primitive etsecondaire, la classification des amyloses a étébouleversée par l’analyse biochimique qui a permisun démembrement de ses constituants etl’élaboration d’une classification biochimique. Onsait maintenant que l’amylose est la voie finalecommune du métabolisme anormal de nombreusesprotéines qui n’ont en dehors de cette aberrationaucun point commun structural ou fonctionnel. Cetteclassification doit être, au moins pour les formes lesplus courantes, toujours à l’esprit du clinicien car c’estelle qui gouverne en grande partie la nature dessignes cliniques rencontrés, l’enquête étiologique etle traitement qui doit être adapté à chaque variété(tableau I).

Le clinicien n’est confronté, à titre diagnostique,qu’à un sous-groupe de ces maladies : celles pourlesquelles les lésions d’amylose sont l’essentiel de lamaladie et sont directement responsables des signescliniques observés. Ces maladies ont le plus souventune expression polysystémique et ce sont elles quiseront essentiellement évoquées dans ce texte.

■Quand évoquer une amylose ?

Il n’existe pas ou peu de signes cliniquesspécifiques des amyloses. Le diagnostic est doncgénéralement évoqué en présence d’uneassociation de signes, survenant dans un contexteclinique susceptible d’entraîner une amylosegénéralisée. À l’inverse quand ce contexte estprésent, l’amylose doit être suspectée à titresystématique dés qu’un signe clinique compatibleest présent. Ce contexte peut être celui d’une

amylose immunoglobulinique ou amylose AL, d’uneamylose de l’inflammation ou amylose AA, ou de laprincipale variété d’amylose héréditaire, l’amylosede la transthyrétine ou ATTR (tableau II).

Deux signes cliniques sont très évocateursd’amylose, bien que non pathognomoniques : lepurpura facial « en lunettes » et la macroglossie.

D’autres sont assez évocateurs : le syndrome ducanal carpien et la neuropathie végétative.L’association d’au moins deux de ces quatre signesest probablement beaucoup plus spécifique.

En fait, l’amylose est une affection polysystémiqueet peut donc quasiment toucher tous les organes.

Les signes rénaux sont les plus fréquents maiségalement les moins spécifiques. Ainsi la protéinurieest le principal mode de découverte des amylosesgénéralisées. L’atteinte rénale est progressive et leplus souvent évolue vers un syndrome néphrotiquepuis entraîne une insuffisance rénale.

Les principaux signes cardiaques, qui font toute lagravité de la maladie, sont les troubles du rythme etde la conduction ainsi que l’insuffisance cardiaque.

Tableau I. – Nomenclature et classification actuelle des amyloses.

Protéine Amyloïde Précurseur Amylose

AA apoSAA réactionnelle : infections, inflammationschroniques, tumeurs, maladie périodique,syndrome de Muckle et Wells

AL chaîne légère d’Ig (j, λ) idiopathique (primitive), associée au myé-lome ou à la maladie de Waldenström

AH chaîne lourde d’IgG (γ)

ATTR transthyrétine mutée héréditairetransthyrétine normale sénile

AApoA1 apoA1 héréditaire

AGel gelsoline héréditaire

ND chaîneα du fibrinogène héréditaire

ND lysozyme héréditaire

Aâ2M â2-microglobuline associée à l’insuffısance rénale chroniqueterminale

ACys cystatine C hémorragie cérébrale héréditaire

Aâ précurseur de la protéineâ maladie d’Alzheimerâ PP trisomie 21

hémorragie cérébrale héréditaire

AScr précurseur de la protéine encéphalopathie spongiforme, scrapiescrapie Gerstmann-Straüssler-Scheinker

ACal procalcitonine associée au cancer médullaire de la thy-roïde

AANF facteur atrial natriurétique amylose auriculaire isolée

AIAPP polypeptide amyloïde des îlots îlots de Langerhans du diabète de type 2,insulinome

ND : non encore définie.

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D’autres signes sont plus rares, par exemple :embolie artérielle, angor. Les signes digestifs sontvariés : œsophagiens (dysphagie) ; gastriques(vomissements) ; intestinaux (diarrhée, pseudo-obstruction ou occlusion, perforation) ; deshémorragies digestives sont également possibles.L’hépatosplénomégalie est fréquente. En revancheune maladie hépatique grave avec hypertensionportale, ascite, ictère, rupture du foie, est rare commel’est l’hyposplénisme. L’atteinte du nerf périphériqueest avant tout une neuropathie sensitive alors queles signes moteurs sont plus tardifs ; la neuropathievégétative : troubles fonctionnels digestifs,impuissance sexuelle, hypotension orthostatique,troubles de la sudation et mictionnels, est assezcaractéristique. Outre le purpura « en lunettes »,l’amylose peut donner de nombreux signescutanés : macules, papules et nodules voire bulles,lésions sclérodermiformes et unguéales. Les signesrespiratoires sont probablement sous-estimés.

Les différents types de lésions bronchique,médiastinale ou parenchymateuse, peuvent serévéler par une toux, une dyspnée ou unehémoptysie.

Plusieurs segments de l’œil et de ses annexespeuvent être atteints et se manifester par les signesfonctionnels oculaires correspondants.

Les signes rhumatologiques sont assez rares :arthropathie déformante des épaules, des genoux,des lésions osseuses lytiques favorisant des fracturessont possibles. Une hématurie peut être un signed’amylose vésicale.

■Comment l’affirmer ?

Une fois le diagnostic clinique d’amylose évoqué,il faut s’efforcer d’en faire le diagnostic histologique.S’il est parfois possible de le suspecter dès lescolorations usuelles, les techniques spécifiques sonttoujours indispensables pour l’affirmer. La plusspécifique est la coloration par le rouge Congo : enlumière polarisée, la substance amyloïde colorée parle rouge Congo apparaît vert-jaune (dichroïsme).

La thioflavine T, en fluorescence, marquel’amylose avec une excellente sensibilité, elle estdonc utile en cas de dépôts de faible taille, maismanque de spécificité. Les colorations métachroma-tiques au violet de méthyl et au cristal violet sontmoins utilisées. L’examen en microscopieélectronique n’est pas utilisé en diagnostic de

routine. En revanche l’examen immunohistochi-mique est nécessaire pour le diagnostic de variété (cfinfra).

Le geste diagnostique le moins invasif possibledoit toujours être proposé en première intention.Quand l’organe atteint est facilement accessible àune biopsie, c’est le cas essentiellement des lésionscutanées, la preuve du diagnostic est rapidementapportée. Dans les autres situations, la stratégiediagnostique repose sur la présence fréquente dedépôts d’amylose silencieux dans des tissusfacilement accessibles. Ces tissus sont le tube digestif,la graisse sous-cutanée et les glandes salivaires ; lestechniques employées sont respectivement : labiopsie rectale, l’aspiration de la graisse sous-cutanée abdominale et la biopsie de glandessalivaires accessoires labiales.

La biopsie rectale reste actuellement la techniquela plus courante. La biopsie a lieu au cours d’unerectoscopie et doit comporter de la sous-muqueuse,beaucoup plus riche en vaisseaux que les tuniquesmuqueuse et musculaire muqueuse. De nombreusesétudes ont confirmé l’intérêt de cette technique pourle diagnostic des amyloses généralisées, AA, AL etATTR. Il est probable que la biopsie digestive hauteobtenue par gastroduodénoscopie pourrait donnerdes informations semblables à celles de la biopsierectale.

L’aspiration de graisse sous-cutanéeabdominale (AGA) a été introduite récemment. Latechnique est simple et consiste à ponctionner etaspirer à l’aide d’une aiguille montée sur uneseringue la graisse sous-cutanée de l’abdomen dansla région sous-ombilicale. La ponction doit ramenerdu tissu entourant les lobules graisseux, car c’est làque siègent les dépôts amyloïdes. Cette technique ades performances diagnostiques proches de celle dela biopsie rectale pour les amyloses AA et AL. Mais laponction-aspiration est une technique cytologiquequi peut soulever des difficultés d’interprétation duessurtout à la possibilité de résultats faussementpositifs et nécessite la collaboration d’unanatomopathologiste entraîné.

La biopsie orale connaît un renouveau sous laforme de la biopsie de glandes salivaires accessoires(GSA) qui remplace très avantageusement l’anciennebiopsie gingivale, douloureuse et peu sensible. Labiopsie de GSA est une technique simple nenécessitant pas de suture (ou est faite avec unesuture minime).

Il n’existe pas d’étude comparant de façonrigoureuse ces trois techniques entre elles. En

pratique, elles peuvent être considérées commeéquivalentes et cumulées si besoin chez un mêmemalade, car elles sont peu agressives.

En revanche, lorsque ces trois techniques depremière intention ne font pas la preuve del’amylose, un prélèvement direct de l’organe atteintdoit être proposé. La biopsie rénale reste souventfaite, car les signes rénaux sont les plus fréquents, etelle est très performante. La biopsie hépatique est unexamen très discuté, car des complicationshémorragiques mortelles ont été décrites et elle doitêtre évitée. La biopsie de nerf périphérique est ungeste douloureux et de sensibilité variable, car lesdépôts d’amylose dans le nerf sont très épars. Labiopsie endomyocardique est un examenexceptionnellement réalisé, à réserver aux formescardiaques pures.

■Enquête étiologique devant

une amylose

Le diagnostic d’amylose ne doit pas se limiter àl’affirmation de la présence de substance amyloïdedans les fragments biopsiques. Il doit comporter ladétermination de la nature de la protéine amyloïde,car de ce diagnostic de variété dépend en fin decompte le traitement à proposer au malade.Conformément à la classification biochimiqueexposée dans le tableau I, trois grandes variétésd’amylose généralisée peuvent être rencontrées etdoivent donc être systématiquement évoquées :l’amylose AL, l’amylose AA et l’amylose ATTR quicomprend la principale forme d’amylose héréditaireet l’amylose systémique sénile.

Le diagnostic de variété repose sur troiséléments :

– le contexte clinique ;– l’existence de signes cliniques pathognomo-

niques ou très évocateurs d’une variété donnée ;– l’examen immunohistochimique des dépôts.

‚ Amylose AL

■ Quelques signes spécifique de cette variété :macroglossie, purpura ecchymotique « en lunettes »,déficit en facteur de la coagulation sanguine (facteurIX et X) ; l’atteinte des organes suivants, évocatricebien que non pathognomonique : os et articulation,poumon, voies aériennes supérieures, vessie.

■ L’existence d’une prolifération lymphoplasmo-cytaire le plus souvent un myélome, qui est souventdéjà connue.

■ La présence d’une immunoglobuline ou dechaînes légères monoclonales dans le sang oul’urine qui a une grande valeur, même en l’absencede prolifération plasmocytaire caractérisée.

‚ Amylose AA

L’élément le plus important est l’existence d’unemaladie susceptible d’entraîner cette complication.Habituellement, c’est une maladie inflammatoire ouinfectieuse évoluant depuis plusieurs années. Plusrarement, c’est un cancer, et sa découverte estsouvent simultanée à celle de l’amylose.Exceptionnellement, l’amylose AA apparaît primitive.

Tableau II. – Quand évoquer une amylose ?

Contexte clinique Signes cliniques

Maladie inflammatoire chronique (amylose AA)

Prolifération lymphoplasmocytaire (amylose AL) MacroglossiePurpura ecchymotique « en lunette »

Histoire familiale d’amylose (amylose ATR) Syndrome du canal carpienNeuropathie végétative et sensitiveAtteinte rénaleAtteinte cardiaque

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‚ Amyloses héréditaires

Elles sont probablement méconnues. Pourtantune histoire familiale doit être recherchée deprincipe chez tout malade atteint d’amylose, surtoutlorsqu’il existe une neuropathie périphérique, maiségalement une atteinte rénale, cardiaque, cutanée etoculaire. Il existe des formes de diagnostic difficile. Lediagnostic de neuropathie n’a pas toujours été faitdans la famille et un diagnostic neurologique erronéa été retenu. Le caractère héréditaire peut même êtreinapparent et de nombreux cas d’amylosehéréditaire sont sporadiques.

‚ Amylose systémique sénile

Elle était considérée encore récemment commeune entité purement histologique. Elle estmaintenant reconnue comme une caused’insuffisance cardiaque chez des sujets âgés de plusde 65 ans. Son diagnostic est exceptionnellementfait car il nécessite une biopsie endomyocardique, lesdépôts amyloïdes étant dans cette forme limités aucœur.

Il existe toutefois des situations où le contexteclinique et les éléments décrits ci-dessus nepermettent pas d’orienter vers un diagnostic devariété. La caractérisation des dépôts amyloïdes parl’immunohistochimie prend là toute sa valeur. Maiselle devrait être réalisée dans tous les cas mêmelorsque le diagnostic de variété est déjà suggéré avecune forte probabilité par la clinique. L’immunohisto-chimie permet d’étudier la fixation sur les dépôtsamyloïdes d’anticorps dirigés contre la plupart desprotéines amyloïdes connues. Pour la caractérisationdes amyloses généralisées, il est nécessaire d’étudierles anticorps antiprotéine AA et antichaînes légèresd’immunoglobuline j et k qui reconnaissent lamajorité des dépôts amyloïdes formés de protéineAA et de chaînes légères d’immunoglobuline. Uneprécaution pratique doit être signalée : l’examen dela fixation des anticorps antichaînes légèresd’immunoglobuline est beaucoup plus fiable etreproductible lorsque les prélèvements ont étéimmédiatement congelés. L’usage des anticorpsanti-TTR doit être large, afin notamment de ne pasporter à tort le diagnostic d’amylose AL.

Parallèlement à l’enquête étiologique, il convientd’évaluer l’extension de l’amylose (tableau III).

■Principes du traitement

Il repose sur la physiopathologie de la maladie(fig 1). Les traitements actuels visent à diminuer ou àsupprimer la disponibilité en protéine amyloïde. Lesprincipaux traitements agissent en diminuant laproduction du précurseur circulant. Dans l’amylose

AL, la chimiothérapie dirigée contre le cloneplasmocytaire, même lorsqu’il semble peu évolutif,reste le traitement de première intention.L’association melphalan-prednisone est la plusutilisée, mais son efficacité est modeste. C’estpourquoi des traitements plus agressifs visant àéradiquer le clone ont été récemment proposés. Cestraitements consistent en une chimiothérapie pluslourde suivie d’autogreffe de moelle ou de cellulesouche périphérique. Dans l’amylose AA, letraitement dépend de la maladie sous-jacente. Ainsipour les maladies inflammatoires chroniques, letraitement est le contrôle strict de l’inflammation qui

Protéine native ou précurseur

Protéolyse

Mutation

Polymorphisme

Protéine amyloïdeconformation β−plissée

prédominante

Composantscommuns

Glycosaminoglycanes

Composant P

Apolipoprotéine E

Dépôt d'amylose

Augmentation dela disponibilitélocale ou générale

Inflammation Cloneplasmocytaire

Insuffisancerénale

chronique

Vieillissement

1 Mécanismes généraux de l’amylase.La formation des dépôts amyloïdes est multifactorielle. Certains éléments se rapportent à des variationsquantitatives de la protéine amyloïde, essentiellement une augmentation de sa production, ou qualitatives,essentiellement héréditaires : polymorphismes ou mutations. Tous ces facteurs tendent à modifier la conforma-tion spatiale de la protéine vers une structure diteâ-plissée. A` ce titre, les amyloses qui sont définies sur le planhistologique comme des maladies de surcharge extracellulaire, sont aussi des maladies du repliement desprotéines. Plusieurs molécules communes à la plupart des variétés d’amylose, appelées ici composantscommuns, et qui appartiennent à la matrice extracellulaire interviennent également. Ils interagissent avecla protéine amyloïde en favorisant les changements de conformation amylogènes et en la protégeant de ladégradation enzymatique.

✔ Amylose ALMacroglossie.Purpura ecchymotique.Déficit en facteur de la coagulationsanguine.Atteintes : os, poumons, vessie.Prolifération plasmocytaire.Ig ou chaînes légères monoclonalesdans le sang et les urines.

✔ Amylose AAMaladie inflammatoire.Cancer.

✔ Amyloses héréditairesHistoire familialeNeuropathie périphérique.Atteinte rénale, cardiaque, cutanée,oculaire.

Tableau III. – Comment évaluer l’extension de l’amylose ?

Examen clinique

Examens complémentaires systématiquesRein Protéinurie, créatininémie, échographieCœur Radio thoracique, électrocardiogramme, échogra-

phie cardiaqueTube digestif E´ lectrophorèse des protides sériquesFoie Enzymes hépatiques, échographieRate Echographie, NFSHémostase TP, TCASurrénale Cortisol

Examens complémentaires à discuterCœur Holter, scintigraphie au pyrophosphate de techne-

tiumTD Manométrie, maldigestion, malabsorptionNerf Examen électriqueŒil Fond d’œil, lampe à fente

NFS : numération formule sanguine ; TP : taux de prothrombine ; TCA : temps de céphaline activateur ; TD : tube digestif.

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nécessite parfois le recours à des médicamentsimmunosuppresseurs puissants comme lechlorambucil ou l’azathioprine. Les résultats les plusintéressants ont été obtenus dans l’arthritechronique juvénile qui est la première caused’amylose AA chez l’enfant, mais au prix d’unemalignité secondaire importante.

Dans la principale forme d’amylose héréditaire :les amyloses de la transthyrétine, la protéine

pathologique est synthétisée par le foie et letraitement logique est la transplantation hépatique.L’expérience acquise avec ce traitement est encoretrop faible pour que l’on puisse conclure à une réelleefficacité.

La colchicine doit être mentionnée à part car ellen’est utile que dans l’amylose AA de la fièvreméditerranéenne familiale et son mode d’action estinconnu.

Le traitement symptomatique a une placeimportante dans l’amylose, en particulier letraitement de l’insuffisance rénale terminale par ladialyse ou mieux par la transplantation.

Des traitements plus spécifiques devraient sedévelopper dans les années à venir, ciblés sur lesmécanismes intimes de la précipitation des fibrillesamyloïdes et leur interaction avec le tissu conjonctifenvironnant.

Gilles Grateau : Praticien hospitalier,service de médecine interne du Pr Loïc Capron, Hôtel-Dieu, 1, place du Parvis-Notre-Dame, 75181 Paris cedex 4, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : G Grateau. Amyloses.Encycl Méd Chir (Elsevier, Paris), Encyclopédie Pratique de Médecine, 5-0390, 1998, 4 p

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Page 61: Le Manuel Du Généraliste - Divers

Critères des connectivites

Z Amoura, JC Piette

■Introduction

Le terme connectivite ou collagénose désignaitinitialement un ensemble d’affections ayant commedénominateur commun des modificationsanatomopathologiques du tissu conjonctif. Même siles conceptions physiopathologiques ontconsidérablement évolué et ne mettent plus aupremier plan les anomalies du tissu collagène, leterme de connectivite a été consacré par l’usage etdésigne habituellement le lupus érythémateuxsystémique (LES), les dermatopolymyosites (DPM), lasclérodermie systémique, le syndrome deGougerot-Sjögren primitif et les connectivites mixtes.Ces maladies doivent être distinguées desdystrophies congénitales du tissu conjonctif (maladiede Marfan, maladie d’Ehlers-Danlos, élastorrhexie…).

■Critères de classification

des connectivites

Les connectivites sont également appeléesmaladies auto-immunes non spécifiques d’organes.Cette appellation témoigne d’une atteinte souventmultiviscérale qui rend le diagnostic de ces affectionssouvent difficile. Devant le caractère protéiforme dessignes cliniques des connectivites, il est apparunécessaire aux cliniciens d’essayer de regrouper lespatients ayant un même groupe de symptômes sousun même diagnostic. C’est là l’intérêt essentiel descritères de classification [1]. Il est important de préciserque ces critères résultent d’une analyse statistiqueétablie le plus souvent à partir d’un recrutementrhumatologique, et que certains critères ont étécertainement surévalués aux dépens d’autres. Cetteanalyse peut donc ne pas s’appliquer à un patientdonné et le sens clinique du médecin doit toujoursprévaloir.

■Critères de classification

du lupus

¶ Éruption malaire en aile de papillonÉrythème malaire fixe, plan ou en relief, tendant à

épargner le sillon nasolabial.

¶ Éruption de lupus discoïdePlacards érythématheux surélevés avec des

squames kératosiques adhérentes et des bouchonscornés folliculaires.

Cicatrices atrophiques pouvant apparaître sur deslésions anciennes.

¶ PhotosensibilitéÉruption cutanée résultant d’une réaction

inhabituelle au soleil, à l’interrogatoire du patient ouobservée par le clinicien.

¶ Ulcérations buccales ou nasopharyngéesUlcérations orales ou nasopharyngées,

habituellement douloureuses, observées par unclinicien.

¶ Polyarthrite non érosiveArthrite non érosive touchant au moins deux

articulations périphériques, caractérisée par douleur,augmentation de volume, ou épanchementarticulaire.

¶ Pleurésie ou péricarditePleurésie : épanchement pleural patent ou

histoire convaincante de douleurs pleurales oufrottement pleural entendu par un clinicien.

Péricardite : documentée sur un électrocardio-gramme (ECG) ou frottement péricardique ou miseen évidence de l’épanchement.

¶ Atteinte rénaleProtéinurie supérieure ou égale à 0,5 g/j ou

supérieure à trois croix en l’absence dequantification possible, ou cylindres urinaires(globules rouges, hémoglobine, leucocytes, cellulestubulaires ou mixtes).

¶ Atteinte neurologiqueConvulsions : en l’absence de cause médicamen-

teuse ou de désordres métaboliques (insuffisancerénale, acidose, déséquilibre électrolytique).

Psychose : en l’absence de cause médicamen-teuse ou de désordres métaboliques (insuffisancerénale, acidose, déséquilibre électrolytique).

¶ Atteinte hématologiqueAnémie hémolytique avec hyper-réticulocytose.

Leucopénie (inférieure à 4 000 leucocytes/mm3)trouvée à au moins deux reprises.

Lymphopénie (inférieure à 1 500 lymphocytes/mm3) à au moins deux reprises.

Thrombopénie ( infér ieure à 100 000plaquettes/mm3) en l ’absence de causemédicamenteuse.

¶ Désordre immunologiqueAnticorps anti-ADN positif.

Présence d’anticorps anti-Sm.

Fausse sérologie syphilitique positive depuis aumoins 6 mois et confirmée par la négativité du testde Nelson ou du FTA.

¶ Présence de facteurs antinucléaires à un titreanormal en l’absence de médicamentsinducteursTitre anormal d’anticorps antinucléaires en

immunofluorescence ou technique équivalente àn’importe quel moment de l’évolution, en l’absencede médicaments inducteur.

Quatre critères simultanés ou successifs sontnécessaires pour poser le diagnostic.

■Critères de classification

du syndrome de Gougerot-Sjögren

¶ Symptômes oculairesRéponse positive à au moins une des questions

suivantes :– avez-vous eu les yeux secs de façon

quotidienne, gênante et persistante depuis plus de3 mois ?

– avez-vous la sensation récidivante d’avoir dusable ou du gravier dans les yeux ?

– utilisez-vous des larmes artificielles plus de3 fois/j ?

¶ Symptômes buccauxRéponse positive à au moins l’une des questions

suivantes :– avez-vous eu quotidiennement une sensation

de bouche sèche depuis plus de 3 mois ?– avez-vous eu à l’âge adulte un gonflement des

glandes salivaires persistant ou récidivant ?– utilisez-vous souvent des liquides pour vous

aider à avaler des aliments solides ?

¶ Atteinte oculaireRéponse positive à au moins l’un des deux tests

suivants :– test de Schirmer (inférieur ou égal à 5 mm en

5 minutes) ;– test au rose bengale supérieur ou égal à 4.

¶ Atteinte buccaleAtteinte objective et évidente des glandes

salivaires définie par au moins un test positif parmiles trois suivants :

– scintigraphie salivaire ;– sialographie ;– débit salivaire sans salivation inférieur ou égal

à 1,5 mL en 15 minutes.

¶ Données histopathologiquesScore focal supérieur ou égal à 1 sur la biopsie des

glandes salivaires accessoires. Le score focal estdéfini par le nombre de foyers sur 4 mm2 de tissuglandulaire. Un foyer est défini par l’agglomérationd’au moins 50 cellules mononucléées.

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¶ AutoanticorpsPrésence d’au moins un type des anticorps

sériques suivants nécessaire :– anti-SSA (Ro) ou anti-SSB (La) ;– anticorps antinucléaires ;– facteur rhumatoïde.

‚ Critères d’exclusion

– Lymphome préexistant.– Syndrome de l’immunodéficience acquise

(sida).– Sarcoïdose.– Réaction du greffon contre l’hôte (GVH).

■Critères de classification

de la polydermatomyosite

¶ Déficit moteurProximal symétrique, progressif avec ou sans

dysphagie ou atteinte des muscles respiratoires.

¶ Élévation des enzymes sériquesCréatine phosphokinase (CPK), LDH, aldolase et

transaminases.

¶ Triade électromyographique– Unités motrices de faible amplitude, brèves,

polyphasiques.

– Fibrillation, irritabilité membranaire lors del’insertion des aiguilles, grandes ondes dedénervation.

– Décharges spontanées de haute fréquence

¶ Biopsie musculaireOn rencontre : nécrose des fibres musculaires,

phagocytose, régénération avec basophilie,distribution périfasciculaire de l’atrophie, exsudatsinflammatoires interstitiels.

¶ Lésions cutanéesEruption héliotrope : érythème œdémateux rouge

violacé des paupières.Signe de Gottron : macules ou érythème

atrophique rouge violacé kératosipus sur les tendonsextenseurs des articulations des doigts.

Erythème de la face d’extension des articulationsdes membres : érythème rouge violacé légèrementsurélevé sur les coudes ou les genoux.

■Critères de classification

de la sclérodermie systémique

‚ Critère majeur

¶ Sclérodermie proximaleModification sclérodermique typique de la peau

(tendue, épaissie, indurée, ne prenant pas le godet),

touchant la face, le cou, le tronc ou la partieproximale des membres supérieurs ou inférieurs.

‚ Critères mineurs

– Sclérodactylie.– Cicatrice déprimée d’un doigt ou ulcération de

l’extrémité d’un doigt.– Fibrose pulmonaire des bases.

■Critères de classification

du syndrome de Sharp

‚ Critères majeurs

– Présence d’anticorps anti-RNP à un taux élevé.– Phénomène de Raynaud.

‚ Critères mineurs

– Synovite.– Myosite.– Doigts boudinés.

Zahir Amoura : Chef de clinique-assistant des Hôpitaux.Jean-Charles Piette : Professeur des Universités, praticien hospitalier, chef de service.

Service de médecine interne, groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière, 83, boulevard de l’Hôpital, 75013 Paris, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Z Amoura et JC Piette. Critères des connectivites.Encycl Méd Chir (Elsevier, Paris), Encyclopédie Pratique de Médecine, 5-0250, 1998, 2 p

R é f é r e n c e s

[1] Amoura I, Bourgeois P. Maladies systémiques : le livre des critères. Pfizer Ed,Orsay 1996.

Trois critères : diagnostic deGougerot-Sjögren primitif problable.Quatre critères : diagnostic deGougerot-Sjögren primitif certain.

Quatre critères sont nécessaires pourporter le diagnostic.

Le diagnostic est posé devant uncritère majeur ou deux critèresmineurs.

Le diagnostic est posé avec deuxcritères majeurs et deux critèresmineurs.

5-0250 - Critères des connectivites

2

Page 63: Le Manuel Du Généraliste - Divers

Cryoglobulinémies

P Cacoub, L Musset, JC Piette

L es cryoglobulinémies sont des immunoglobulines qui précipitent au froid et qui peuvent être à l’origine devascularites à complexes immuns parfois sévères, avec atteinte multiviscérale. Les causes de production de

cryoglobulinémies sont très nombreuses : maladies infectieuses, hémopathies malignes ou connectivites.La recherche de la cryoglobuline est parfois difficile et s’effectue au mieux dans des laboratoires spécialisés.© Elsevier, Paris.

■Introduction

Les cryoglobulinémies sont définies par la présencepersistante dans le sérum d’immunoglobulines quiprécipitent au froid et se solubilisent à nouveau lors duréchauffement. Cette définition permet de distinguerles cryoglobulinémies des autres cryoprotéines, c’est-à-dire les cryofibrinogènes et les agglutinines froides.

Depuis 1974, la classification de Brouet est la plusutilisée et repose sur une analyse immunochimiquedes cryoglobulinémies, permettant d’en définir troistypes. Les cryoglobulinémies de type I sont composéesd’une immunoglobuline monoclonale unique. Lescryoglobulinémies de type II et de type III représententles cryoglobulinémies mixtes, car elles sont composéesd’immunoglobulines polyclonales associées (type II) ounon (type III) à un ou plusieurs constituantsmonoclonaux. L’immunoglobuline peut se comportercomme une antiglobuline, avec une activité facteurrhumatoïde anti-IgG. Cette classification immunochimi-que permet en partie de guider les recherchesétiologiques. Les cryoglobulinémies peuventégalement être classées selon un cadre étiologique, ouplus exactement selon les associations à despathologies sous-jacentes, dont la liste est longue(tableau I). Les cryoglobulinémies de type I (25–35 %)sont associées à une hémopathie maligne lymphoïdeB. Les cryoglobulinémies mixtes (65–75 %) sontassociées aux hémopathies lymphoïdes B, maiségalement aux maladies auto-immunes et auxmaladies infectieuses (en particulier celles au coursdesquelles l’agent pathogène persiste longtemps dansl’organisme, avec une mention particulière pour levirus de l’hépatite C). Pour 15 % des cryoglobulinémiesmixtes, aucune cause n’est retrouvée, et lacryoglobulinémie est dite mixte « essentielle »(tableau II).

■Tableau clinique

Les cryoglobulinémies font partie des vascularitessystémiques : il existe en effet une diffusionfréquente des lésions à plusieurs organes, et lesubstratum anatomique de ces lésions est une

vascularite par complexes immuns. Il s’agit d’unemaladie à prédominance féminine (deux femmes pourun homme) dont les symptômes débutent entre la 4e

et la 5e décennie, sans caractéristique particulière enfonction des races.

‚ Atteintes cutanéesLe purpura vasculaire survient volontiers au cours

des périodes hivernales, il est souvent révélateur, nonprurigineux, intermittent et débute toujours auxmembres inférieurs, pouvant s’étendre progressive-ment jusqu’à l’abdomen. Le tronc et les membressupérieurs sont plus rarement touchés, et la face estrespectée. Il est infiltré, d’aspect pétéchial ou papulaire,rarement nécrotique, sauf dans les cryoglobulinémiesde type I. Ce purpura peut s’associer à des maculesérythémateuses et à des nodules dermiques pourformer le trisymptôme de Gougerot. Chaque pousséepurpurique, volontiers précédée d’une sensation debrûlure, persiste 3 à 10 jours, les poussées successiveslaissant une hyperpigmentation brunâtre séquellaire.Les poussées peuvent être déclenchées parl’orthostatisme, les efforts prolongés, l’exposition aufroid, voire par un traumatisme. Des ulcèressupramaléolaires peuvent survenir, associés aupurpura, notamment chez des patients ayant uneinsuffisance veineuse préexistante, et posent dedifficiles problèmes thérapeutiques. L’urticaire au froidest une éruption urticarienne systémique, d’évolutionchronique, dont les plaques restent fixées au-delà de

Tableau I. – Pathologies associées à la produc-tion de cryoglobuline.

Hémopathies malignes lymphoïdes BMaladie de WaldenströmMyélome multiplePlasmocytomeLymphome non hodgkinienLeucémie lymphoïde chroniqueLeucémie à tricholeucocytesMaladies systémiques et/ou auto-immunesLupus érythémateux disséminéPériartérite noueuseSyndrome de Gougerot-SjögrenPolyarthrite rhumatoïdePurpura rhumatoïdeGranulomatose de WegenerDermatopolymyositeSclérodermieMaladie de BehçetSarcoïdoseThyroïdite auto-immuneCirrhose biliaire primitiveHépatites auto-immunesMaladie cœliaquePemphigus vulgaireFibrose endomyocardiqueFibrose pulmonaire idiopathiqueMaladies infectieuses

BactériennesEndocardite subaiguëSyphilisGlomérulonéphrite aiguë poststreptococciqueMaladie de LymeBrucelloseFièvre boutonneuse méditerranéenneSurinfection de shunt atrioventriculaireLèpre lépromateuse

ViralesVirus d’Epstein-BarrCytomégalovirusHépatite virale aiguë AHépatites virales chroniques B et CVirus de l’immunodéficience humaine (VIH)Adénovirus

ParasitairesPaludismeLeishmaniose viscéraleToxoplasmoseSchistosomiaseÉchinococcoseSplénomégalie tropicale

FungiquesCoccidioïdomycoseAutresGlomérulonéphrite extracapillaireCancers : sein, nasopharynx, œsophage

Tableau II. – Répartition des cryoglobuliné-mies en fonction de leur type immunochimi-que et des pathologies associées ou causales.

25 %Monoclonales (type I)

Hémopathie lymphoïde B

45 %Mixtes (type II ou III)Maladie auto-immuneInfection chronique

Hémopathie lymphoïde B

15 %Mixtes (type II ou III)

Infection par le virus de l’hépatite C

15 %Mixtes « essentielles »

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24 heures, sans prurit, déclenchée par une baisserelative de la température extérieure, voire par le testdu glaçon sur l’avant-bras. Un syndrome de Raynaudet une acrocyanose se rencontrent chez 25 % despatients. Ces manifestations cutanées sontsignificativement plus fréquentes au cours descryoglobulinémies mixtes associées à une infectionpar le virus de l’hépatite C.

‚ Atteintes articulaires

Il s’agit principalement d’arthralgies touchant lesgrosses articulations, mains et genoux, plus rarementles chevilles et les coudes, bilatérales et symétriques,non déformantes et non migratrices. Elles sonttrouvées chez 50 à 75 % des patients, intermittentes etsouvent inaugurales. Une arthrite vraie apparaîtbeaucoup plus rarement, de même que l’atteinterachidienne.

‚ Atteintes rénales

L’atteinte rénale est habituellement retardée et semanifeste par une protéinurie, une hématuriemicroscopique ou parfois une insuffisance rénalechronique modérée. Un syndrome néphrotique impurou un syndrome néphritique aigu peuvent survenir ;une hypertension artérielle est fréquente dèsl’apparition de la néphropathie. L’atteinte rénales’observe préférentiellement chez les patients qui ontune cryoglobulinémie de type II dont l’IgM j est lecomposant monoclonal. Histologiquement, il s’agitd’une glomérulonéphrite membranoproliférative dontcertaines particularités permettent d’évoquer lediagnostic : infiltrat monocytaire important,volumineux thrombi intraluminaux amorphes etéosinophiles, membrane basale glomérulaire épaissiede façon diffuse avec aspect en double contour, et trèsrarement une prolifération extracapillaire. Il existesouvent une vascularite des vaisseaux de petit etmoyen calibre, avec nécrose fibrinoïde de la paroi etinfiltration périvasculaire monocytaire. Enimmunofluorescence, on note la présence de dépôtssous-endothéliaux et intraluminaux constituésd’immunoglobulines identiques à celles ducryoprécipité ; seuls les dépôts sous-endothéliauxcontiennent du C3. En microscopie électronique,l’aspect cristalloïde des dépôts sous-endothéliaux etendoluminaux est pathognomonique. Une rémissionprolongée, partielle ou complète, parfois spontanée,peut être observée. Les anomalies urinaires,notamment la protéinurie et l’hématurie, peuventpersister avec, pendant de nombreuses années, undébit de filtration glomérulaire normal. À un stadetardif, une insuffisance rénale chronique apparaîtfréquemment mais demeure modérée, obligeantexceptionnellement à l’épuration extrarénaledéfinitive.

‚ Atteintes neurologiques

Elles touchent essentiellement le système nerveuxpériphérique : polyneuropathie sensitive ousensitivomotrice distale prédominant aux membresinférieurs chez deux tiers des patients, oumononeuropathies multiples chez un tiers despatients. L’atteinte commence toujours par destroubles sensitifs superficiels avec douleurs etparesthésies asymétriques, devenant secondairementsymétriques. Le déficit moteur est inconstant et peutêtre retardé de quelques mois à quelques années,s’installant progressivement et prédominant sur lesloges antéroexternes des membres inférieurs, plutôtasymétriques. L’évolution prolongée se fait par

poussées, avec stabilisation, rémission ouexacerbation des symptômes parfois déclenchés parune exposition au froid. Une neuropathie asymétriquede survenue brutale et d’évolution subaiguë peutévoquer une multinévrite sévère. Les étudesélectrophysiologiques suggèrent des lésions dedégénérescence axonale, avec une diminution desamplitudes des potentiels moteurs et/ou sensitifs, desvitesses de conduction motrices peu diminuées, deslatences distales peu allongées et la présence designes de dénervation ou de réinervation dans lesmuscles distaux. Les potentiels sensitifs sont toujoursaltérés, plus souvent aux membres inférieurs qu’auxmembres supérieurs. L’atteinte du système nerveuxcentral est exceptionnelle : convulsions, encéphalopa-thie avec coma, atteinte des nerfs crâniens, voireaccident vasculaire cérébral.

‚ Autres manifestations,beaucoup plus rares

Une atteinte clinique hépatique (hépatomégalie,splénomégalie, circulation veineuse collatérale, voireangiomes stellaires) peut survenir, liée à une infectionpar le virus de l’hépatite C (cf paragraphe« Physiopathologie »).

Une atteinte cardiaque peut se manifester par uneatteinte valvulaire mitrale, une vascularite coronaireavec infarctus du myocarde, une péricardite ou uneinsuffisance cardiaque congestive. L’atteintepulmonaire est souvent asymptomatique, mais ellepeut se traduire par une dyspnée d’effort modérée,une toux sèche, des épanchements pleuraux ou deshémoptysies. Il s’agit d’une atteinte des petitesbronches distales.

L’atteinte digestive se manifeste par des douleursabdominales, parfois pseudo-chirurgicales, et deshémorragies digestives peuvent révéler unevascularite mésentérique.

Enfin, une fièvre inexpliquée, associée ou non àune altération de l’état général, s’associe fréquemmentau tableau de la maladie. Le caractère « essentiel » de lacryoglobulinémie repose sur un bilan étiologiqueextensif négatif (tableau I) et une longue surveillance.Certaines affections comme le lupus érythémateuxdisséminé ou la maladie de Waldenström peuvent sedéclarer plusieurs mois, voire années, aprèsl’apparition des symptômes dus à la cryoglobuline.

■Tableau biologique

Les cryoglobulinémies nécessitent des techniquessensibles et spécifiques afin d’optimiser leur recherche,de préciser leur taux et de les typer correctement. Cesprélèvements seront au mieux techniqués dans deslaboratoires hospitaliers spécialisés. Le tube deprélèvement sanguin est maintenu à 37 °C pendant aumoins 1 heure avant la centrifugation à 37 °C. Lesérum est placé à 4 °C, et au 8e jour, en l’absence deprécipitation, on pourra exclure la présence d’unecryoglobulinémie. La présence de cryoglobulinémie àtaux faible a longuement fait discuter de l’opportunitéd’un seuil pathologique. Après plusieurs études, onutilise actuellement le seuil de 50 mg/dL avant deprendre en compte la découverte d’une cryoglobuliné-mie. Le taux de cryoglobulinémie est très variable chezun même sujet, et il n’y a pas de strict parallélismeentre l’importance des signes cliniques et la quantitéde cryoglobuline présente dans le sérum. Latempérature maximale de cryoprécipitation peutvarier de 11 °C à 37 °C. Quand la recherche est positive

à un taux significatif (≥ 50 mg/dL), le typageimmunochimique de la cryoglobulinémie estindispensable, par immunofixation ou, de façon plusperformante, par immunoempreinte (western blot) ;ces techniques permettent le typage de lacryoglobulinémie et une classification parmi les troistypes précédemment décrits. Des anomalies ducomplément, relativement spécifiques, sontobservées : diminution des composants précoces (C1q,C2, C4) et du CH50, concentration normale du C3 etcomposants tardifs (C5 et C9) et inhibiteur du C1augmentés. Une activité facteur rhumatoïde estsouvent retrouvée, liée à la présence dans certainescryoglobulinémies d’une IgM avec activité anti-IgG.L’électrophorèse et l’immunoélectrophorèseretrouvent une hypergammaglobulinémie polyclonaleou un pic monoclonal.

Les anomalies biologiques hépatiques sontextrêmement fréquentes au cours des cryoglobuliné-mies mixtes, avec une élévation des transaminases etdes phosphatases alcalines chez 50 à 70 % despatients. Les lésions histologiques hépatiques sontfréquentes : hépatite chronique active ou cirrhose sontnotées chez plus de la moitié des patients. Cesdifférentes anomalies ont longuement fait discuter dumécanisme en cause : cause ou conséquence de lacryoglobulinémie ?

La présence d’une cryoglobulinémie peut perturbercertains examens de routine : variations inattenduesde la protidémie ou des gammaglobulines, vitesse desédimentation faussement normale (fluctuante d’unjour à l’autre, élevée à 37 °C du fait de l’hypergamma-globulinémie ou abaissée à 20 °C), autoagglutinationdes globules rouges sur lame, pseudo-leucocytose,pseudo-thrombocytose ou pseudo-macrocytoseglobulaire.

■Physiopathologie

Le substratum anatomique comporte d’une partune précipitation intravasculaire des cryoglobulinesfavorisée par le froid, d’autre part une vascularite parcomplexes immuns atteignant préférentiellement lapeau et les reins. Les cryoglobulinémies représententdonc un type particulier de vascularite à complexesimmuns, dont les antigènes promoteurs restent pourla plupart inconnus. Certaines infections chroniquessont à l’origine de la production de cryoglobulinémie,liées à des micro-organismes qui persistent longtempsdans l’organisme hôte, permettant une stimulation

L’atteinte hépatique au cours descryoglobulinémies est le plus souventen rapport avec une hépatitechronique virale C, beaucoup plusrarement avec une hépatite chroniquevirale B.La présence de la cryoglobulinémie estplus liée à la présence du virus qu’àl’importance des lésions histologiqueshépatiques.Cinquante à 70 % descryoglobulinémies mixtes dites« essentielles » sont liées à uneinfection par le virus C.

5-0455 - Cryoglobulinémies

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Page 65: Le Manuel Du Généraliste - Divers

importante et prolongée du système immunitaire,notamment lymphocytaire B : virus d’Epstein-Barr,Cytomégalovirus, virus de l’hépatite C, Leishmania,Plasmodium, tréponèmes... Au cours des hémopathieslymphoïdes B, la production en excès de nombreusessubstances par les plasmocytes dystrophiques inclutrégulièrement les cryoglobulinémies. Au cours desmaladies auto-immunes, le mécanisme semble moinsévident et pourrait passer par une rupture de l’équilibreidiotype/anti-idiotype favorisant l’hyperproduction decryoglobulines.

■Évolution et traitement

‚ Cryoglobulinémies de type IEn règle liées à une hémopathie maligne

lymphoïde B, elles sont sévères par l’importance deslésions cutanées ou viscérales associées et du fait de

la maladie hématologique sous-jacente. Letraitement de la cryoglobulinémie rejoint alors celuide l’hémopathie.

‚ Cryoglobulinémies mixtes

De type II ou III, elles ont une évolution et unpronostic très variables d’un sujet à l’autre, quidépendent de l’atteinte rénale (cryoglobulinémies detype II), de l’extension systémique de la maladie et dela sévérité de l’hypertension artérielle. Dans plusieursgrandes séries, la probabilité de survie à 5 ans après ledébut des symptômes est de 90 % en l’absenced’atteinte rénale et de 50 % en cas d’atteinte rénale.Les principales causes de décès sont les accidentscardiovasculaires (hémorragie cérébrale, insuffisancecardiaque, infarctus du myocarde), les infectionssévères, l’insuffisance hépatocellulaire, voirel’émergence d’un syndrome lymphoprolifératif. Dansles cryoglobulinémies mixtes essentielles, l’absenced’étude contrôlée et les fluctuations importantes des

symptômes cliniques et du taux de la cryoglobuline nepermettent pas de donner une conduite standardisée.Dans les formes mineures, le traitement repose surl’absence d’exposition au froid, l’éradication des foyersinfectieux, le repos en cas de poussée purpurique et lesantalgiques, voire les anti-inflammatoires nonstéroïdiens, en cas d’arthralgie ou d’arthrite. Lesthérapeutiques vasodilatatrices modernes, enparticulier les analogues de la prostacycline (Iloprost)en association aux antiagrégeants plaquettaires et/ouaux anticoagulants, sont utilisées en cas de lésionsischémiques distales. L’interféron alpha sembleprometteur dans quelques études pilotes par sespropriétés immunomodulatrices sur les celluleslymphoïdes B et par ses effets antiviraux sur le virus del’hépatite C. Dans les formes sévères ou récidivantes(neuropathie périphérique sévère, nécrose-gangrènedistale des membres, glomérulonéphrite...), leséchanges plasmatiques en association auximmunosuppresseurs peuvent se discuter.

Patrice Cacoub : Professeur des Universités, praticien hospitalier, service de médecine interne.Lucile Musset : Chef de service, laboratoire d’immunochimie.

Jean-Charles Piette : Professeur des Universités, praticien hospitalier, chef de service, service de médecine interne.Groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière, 47-83, boulevard de l’Hôpital, 75651 Paris cedex 13, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : P Cacoub, L Musset et JC Piette. Cryoglobulinémies.Encycl Méd Chir (Elsevier, Paris), Encyclopédie Pratique de Médecine, 5-0455, 1998, 3 p

R é f é r e n c e s

[1] Brouet JC. Les cryoglobulinémies.Presse Med1983 ; 12 : 2991-2996

[2] Brouet JC, Clauvel JP, Danon F, Klein M, Seligman M. Biologic and clinicalsignificance of cryoglobulins.Am J Med1974 ; 57 : 775-788

[3] Cacoub P, Lunel Fabiani F, Musset L et al. Mixed cryoglobulinaemia andhepatitis C virus.Am J Med1994 ; 96 : 124-132

[4] Cacoub P, Musset L, Lunel Fabiani F, Perrin M, Leger JM, Thi Huong Du Let al. Hepatitis C virus and essential mixed cryoglobulinaemia.Br J Rheumatol1993 ; 32 : 689-692

[5] Gorevic PD, Kassab HJ, Levo Y, Kohn R, Meltzer M, Prose P et al. Mixedcryoglobulinaemia: clinical aspects and long-term follow-up of 40 patients.Am JMed1980 ; 69 : 287-308

[6] Hobbs JR. Cryoproteins.Ann Med Interne1986 ; 137 : 254-259

[7] Lunel Fabiani F, Musset L, Cacoub P et al. Cryoglobulinaemia in liver dis-eases: role of hepatitis C virus and liver damage.Gastroenterology1994 ; 106 :1291-1300

[8] Musset L, Diemert MC, Taibi F, Thi Huong Du L, Cacoub P, Leger JM et al.Characterization of cryoglobulins by immunoblotting.Clin Chem1992 ; 38 :798-802

[9] Tribout B, Delobel J, Westeel PF, Bove N, Fournier A. Les cryoglobulinémiesmixtes.Rev Prat1989 ; 39 : 2051-2056

Cryoglobulinémies - 5-0455

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Page 66: Le Manuel Du Généraliste - Divers

Fibroses systémiques

C Chapelon-Abric

L es fibroses systémiques regroupent principalement les fibroses rétropéritonéales, la panniculite mésentériqueet la mésentérite rétractile, les fibroses médiastinales et les thyroïdites de Riedel. Toutes ces fibroses peuvent

s’associer entre elles.© Elsevier, Paris.

■Fibroses rétropéritonéales [1, 4]

Les fibroses rétropéritonéales (FRP) représententla localisation la plus fréquente des fibrosessystémiques. Il s’agit d’une pathologie rare, observéedans moins de 1 cas pour 10 000.

Il s’agit d’une transformation progressive du tissurétropéritonéal en une nappe sclérofibreuse etrétractile, centrée sur les gros vaisseaux. Elle s’étenddes hiles rénaux au promontoire où elle prédomine.Toutes les structures rétropéritonéales, abdominales,pelviennes et thoraciques peuvent être intéresséespar la fibrose.

‚ Étiologie des FRP

Les FRP relèvent de multiples causes :– vasculaires ;– traumatiques ;– inflammatoires ;– infectieuses ;– réactionnelles.

Deux causes sont à recherchersystématiquement :

– une néoplasie ;– une prise médicamenteuse.

La FRP idiopathique est probablement en rapportavec une réaction immuno-allergique à la plaqued’athérome.

‚ Clinique

Les FRP s’observent majoritairement chez leshommes, entre 40 et 60 ans [1].

Le stade initial se caractérise par unesymptomatologie douloureuse associée à des signesgénéraux parfois extrêmement sévères et destroubles digestifs non spécifiques. Les douleurs sontmodérées, continues, uni- ou bilatérales, de siègeprincipalement abdominal, dorsal ou à la base desflancs. Elles peuvent irradier vers la régionpériombilicale, les quadrants abdominaux inférieurs,les cuisses. L’examen clinique est le plus souventnégatif ou révèle une masse abdominale indolore

dans la région ombilicale ou hypogastrique, parfoispulsatile, devant faire suspecter un anévrismeinflammatoire [2].

À un stade chronique, les signes résultent del’extension de la fibrose. Ils sont dominés par lesdouleurs, les signes urinaires associés à unsyndrome inflammatoire biologique. Les douleurssont permanentes ou spastiques, associées à unedysurie, une anurie permanente ou à éclipse.L’insuffisance rénale, présente dans près de 50 %des cas, est à l’origine de nausées, d’anorexie etd’une hypertension artérielle. L’extension auxorganes de voisinage entraîne des signesvasculaires, abdominaux, pelviens ou thoraciques.

■Examens paracliniques

Un syndrome inflammatoire est présent dansplus de 70 % des cas, associé à une anémienormochrome normocytaire secondaire .L’insuffisance rénale s’associe parfois à unehématurie et/ou une protéinurie. Un dosagesystématique des lacticodéshydrogénases (LDH), Ca125, antigène carcino-embryonnaire (ACE) doit êtrefait afin d’éliminer une cause néoplasique.

Certains examens sont réalisés en premièreintention, en fonction de la symptomatologiedominante :

– urographie intraveineuse (UIV) ;– urétéro- pyélographie rétrograde (UPR) ;– échographie ;– cavographie ;– artériographie.

Dans tous les cas, un scanner et/ou une imageriepar résonance magnétique (IRM), devront êtreeffectués à la phase initiale et lors du suivi.

L’échographie, le scanner et l’IRM visualisent lafibrose, précisent son épaisseur, son étendue et sesrapports avec les structures adjacentes. Ces examensrecherchent une organomégalie, une masseabdominale ou pelvienne. L’échographie et lescanner peuvent guider un geste biopsique etpermettent de suivre l’évolution sous traitement.

L’IRM procure les mêmes renseignements, mais sansinjection de produit contraste, élément importantchez ces patients souvent insuffisants rénaux.

Aucune de ces investigations ne précise l’originebénigne de la FRP. Au moindre doute, unelaparotomie ou une laparoscopie avec biopsiesmultiples doit être réalisée.

‚ Conduite à tenir

Poser le diagnostic de FRP impose de transférer lepatient en milieu hospitalier chirurgical (vasculaireou urologique) ou médical. Cette affection, bénignehistologiquement (en dehors des couléesnéoplasiques), est responsable d’un décès dans 15 à20 % des cas.

La décision thérapeutique sera fonction :– des menaces que la FRP fait peser sur le

pronostic vital et/ou sur la vitalité d’un organe ;– de la cause de la FRP (le traitement des FRP

néoplasiques repose sur celui du cancer primitif : uneFRP iatrogène peut régresser à l’arrêt du traitement) ;

– de la présence de facteurs de mauvaispronostic (âge élevé et insuffisance rénale).

‚ Indications principalesdu traitement chirurgical

■ Anévrisme inflammatoire.■ Insuffisance rénale rapidement évolutive,

hydronéphrose sévère ou un sepsis.■ Indication diagnostique avec exploration

complète de la cavité péritonéale et rétropéritonéaleavec multiples biopsies profondes.

‚ Indications du traitement médical

La corticothérapie est efficace sur tous les signescliniques et le syndrome inflammatoire dans undélai de 7 à 10 jours. Les conditions du succès sont :

– une posologie initiale élevée (supérieure ouégale à 0,5 mg/kg/j) ;

– une phase d’attaque de 4 à 6 semaines ;– une diminution lente pendant une durée

minimale de 6 mois ;– une durée de dose d’entretien de 5 mg/j

pendant au moins 1 an.

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Page 67: Le Manuel Du Généraliste - Divers

Les indications sont :– des manifestations systémiques prédomi-

nantes sans complications vasculaires ouurologiques sévères ;

– les formes urologiques sans altération de lafonction rénale ou sepsis ;

– en pré- et postopératoire d’un geste chirurgicalle plus souvent urologique ;

– en cas de contre-indication à la chirurgie.Des bolus de solumédrol peuvent précéder la

corticothérapie per os, et en cas d’échec, un autreimmunosuppresseur peut être proposé.

La surveillance clinique, biologique, scannogra-phique de ces patients doit être prolongée, desrechutes étant possibles très à distance de la phaseaiguë (10-12 ans).

■Fibroses médiastinales [5]

Les fibroses médiastinales (FM) sont rares etreprésentent moins de 10 % des massesmédiastinales isolées. Elles siègent préférentiel-lement dans le médiastin antérosupérieur ets’associent fréquemment à une atteinte pulmonaire.

Il n’existe pas de prédominance de sexe, ni d’âge.Il faut rechercher systématiquement une causeinfectieuse (histoplasmose en zone d’endémie ettuberculose principalement), une néoplasie, unecause médicamenteuse. Dans de nombreux cas, laFM est idiopathique.

‚ Clinique

Un syndrome cave supérieur révèle la fibrosedans 60 % des cas, avec œdème cervicocéphallique,circulation collatérale, turgescence des jugulaires etcéphalées. Une dyspnée d’effort, des hémoptysies

peuvent traduire une sténose trachéale, une atteintepulmonaire ou une atteinte vasculaire pulmonaire.La dysphagie est rarement révélatrice.

‚ Paraclinique

Le bilan de la fibrose repose sur la tomodensito-métrie (TDM) et l’IRM.

‚ Conduite à tenir

Dans la majorité des cas, une interventionchirurgicale est nécessaire, à but diagnostique etthérapeutique. La corticothérapie semble, au coursdes FM, sans intérêt.

■Panniculite mésentérite

et mésentérite rétractile [6]

La panniculite mésentérite (état d’inflammationsubaiguë du mésentère) s’observe surtout chez leshommes, âgés en moyenne de 55 ans. Cetteaffection très rare entraîne des douleursabdominales souvent périombilicales, des troublesdu transit associés fréquemment à un amaigris-sement et un état subfébril. Lors de l’examen, ilexiste une masse abdominale périombilicale sanscontours nets, non pulsatile.

Un syndrome inflammatoire est fréquent. Lesexplorations digestives révèlent une compressionextrinsèque. Le scanner abdominal montre unemasse hypodense, inhomogène.

La laparotomie établit le diagnostic. Après despoussées, l’évolution est, en principe, spontanémentfavorablement. Une surveillance est nécessaire dufait de l’association possible avec un lymphome.

La mésentérite rétractile apparaît chez despatients qui ont un passé de douleurs abdominales

et de troubles du transit. Les signes sont des douleursviolentes, iliaques, avec parfois un tableau occlusifou subocclusif révélateur. L’examen révèle une oudes masses molles, élastiques, mal délimitées et peudouloureuses, para-ombilicales ou situées dans lafosse iliaque. Le transit du grêle montre des ansesrétrécies, dentelées, sténosées. L’échographie et lescanner notent des masses hétérogènes etrecherche une FRP associée. En dehors de quelquessuccès obtenus par la corticothérapie plus ou moinsassociée à de la colchicine, l’évolution est le plussouvent défavorable. Les épisodes occlusifs sesuccèdent imposant des traitements appropriés puisapparaît un anarsaque irréversible.

■Thyroïdite de Riedel [7]

Cette thyroïdite fibreuse invasive, extrêmementrare, s ’exprime essentiel lement par uneaugmentation rapide du volume de la thyroïde,souvent sur un goitre ancien. La thyroïde devienttrès dure et adhérente aux structures adjacentes. Dessignes de compression des organes de voisinagesont fréquents. Il n’existe, en principe, pas desyndrome inflammatoire. Le bilan thyroïdien est,dans la majorité des cas, normal, mais unehypothyroïdie, et moins souvent une hyperthyroïdie,ont été décrites. Des anticorps antithyroïdiens sontobservés dans près de 70 % des cas.

L’échographie montre une masse hypo-échogène, qui s’étend aux structures adjacentes. Lescanner et l’IRM confirment la lésion et ses rapports.Cette thyroïdite s’associe fréquemment avec uneautre fibrose.

Le traitement est essentiellement chirurgical, à lafois diagnost ique et thérapeut ique dedécompression.

Catherine Chapelon-Abric : Praticien hospitalier,médecine interne 2, service du Pr Piette, groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière, 47-83, boulevard de l’Hôpital, 75651 Paris cedex 13, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : C Chapelon-Abric. Fibroses systémiques.Encycl Méd Chir (Elsevier, Paris), Encyclopédie Pratique de Médecine, 5-0385, 1998, 2 p

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5-0385 - Fibroses systémiques

2

Page 68: Le Manuel Du Généraliste - Divers

Hémochromatose :

manifestations cliniques, enquête

génétique et traitement

R Moirand, P Brissot, Y Deugnier

■Quand l’évoquer ?

‚ Histoire naturelle : une expressiontardive

L’évolution de l’hémochromatose peut être décriteen trois phases. La première est totalement latente surle plan clinique et biologique. Puis apparaissent desanomalies biologiques (augmentation du fer sérique etsurtout du coefficient de saturation de la transferrine,d’abord isolée, puis associée à l’augmentation de laferritine sérique), sans aucune symptomatologieclinique : cette deuxième phase est très prolongée,s’étendant le plus souvent de la deuxième à laquatrième décennie de la vie. La troisième phase,cliniquement symptomatique, est donc tardive, l’âgemoyen du diagnostic se situant autour de 50 ans, et lespremiers symptômes (asthénie, douleurs articulaires)sont peu spécifiques et souvent longtemps méconnus.

L’hémochromatose est responsable d’unediminution significative de la survie, mais uniquementchez les patients présentant une cirrhose au momentdu diagnostic. En revanche, les patients diagnostiquésau stade précirrhotique et traités par saignées ont uneespérance de vie identique à celle de la populationgénérale. Le pronostic fonctionnel est dominé par lesarthropathies et l’impuissance, peu sensibles autraitement déplétif.

Il est donc fondamental de faire un diagnosticprécoce de l’hémochromatose, qui permet de détecterdes formes peu exprimées, correspondant à dessurcharges en fer modérées, sans lésions tissulairesirréversibles.

‚ Principales circonstances de découverteIl faut donc savoir évoquer l’hémochromatose,

aussi bien chez la femme que chez l’homme, devantune asthénie isolée, une arthropathie ou uneostéoporose inexpliquée, mais aussi une élévationmodérée des transaminases. Il faut égalementsouligner l’importance du dépistage familial, et savoirque le dépistage systématique fait l’objet de débatsquant à sa faisabilité. Il est regrettable que le diagnosticsoit encore parfois porté devant une forme majeure aupronostic déjà engagé.

‚ Principales manifestations cliniquesLa classique triade - cirrhose bronzée avec diabète -

est donc devenue rare, au profit des formes frustes,paucisymptomatiques, voire asymptomatiques. Deplus, l’hémochromatose est une maladie d’expressiontrès variable dans l’intensité de la surcharge en fer,mais aussi dans les lésions tissulaires secondaires à lasurcharge en fer.

L’asthénie est fréquente, physique et psychique,réalisant un tableau d’altération de l’état général, sansanorexie ni amaigrissement.

Les signes cutanés et unguéaux sont dominés parla mélanodermie, hyperpigmentation typiquementgrisâtre, parfois brune, bien différente du hâle solaire.

Elle prédomine au niveau des zones d’expositionsolaire, des organes génitaux et des cicatrices. Lapigmentation mélanique n’existe pas chez les patientsroux. Les autres signes possibles sont l’ichtyose, unaspect plat, voire incurvé des ongles (koïlonychie), etune diminution globale de la pilosité.

L’hépatomégalie , inconstante, peut êtreconsidérable, principalement au niveau du lobegauche, ferme à la palpation, avec parfois un bordinférieur tranchant, évoquant fortement la cirrhose.Elle est rarement associée à des symptômes cliniquesde dysfonctionnement telle une hypertension portaleou une insuffisance hépatocellulaire. La biologiefonctionnelle hépatique est le plus souvent normale, àl’exception d’une discrète augmentation destransaminases, prédominant sur les alaninesaminotransférase (ALAT), en règle inférieure à trois foisla limite supérieure de la normale. La complicationmajeure de la maladie hépatique est le développe-ment d’un carcinome hépatocellulaire. Dès lors oùexiste une fibrose hépatique et, a priori, une cirrhose, lerisque de carcinome hépatocellulaire apparaît mêmechez le sujet correctement traité.

L’arthropathie est une manifestation commune del’hémochromatose génétique, parfois révélatrice etsouvent cause d’erreur diagnostique initiale.Cliniquement, l’atteinte la plus caractéristique est unearthrite chronique touchant les deuxièmes ettroisièmes métacarpophalangiennes dont latraduction clinique est une « poignée de maindouloureuse ». Les articulations radiocubitaleinférieure, métacarpophalangienne du pouce,interphalangiennes proximales peuvent être affectées,aussi bien que les genoux, les poignets ou les hanches.Les patients peuvent également présenter des crises

aiguës de pseudogoutte, en rapport avec unearthropathie au pyrophosphate. Radiologiquement,les signes les plus fréquents sont l’arthropathie sous-chondrale (pincement articulaire, sclérose et formationde kystes sous-chondraux), et la condrocalcinose,notamment au niveau des genoux. La déminéralisa-tion osseuse par ostéoporose est fréquente, évocatricechez l’homme.

Le diabète est une complication classique, parfoisrévélatrice, de l’hémochromatose évoluée. Il estd’abord sensible au traitement oral, puis nécessite lerecours à l’insuline. Les complications dégénérativessont observées avec la même fréquence que dans lediabète ordinaire.

Les autres désordres endocriniens sont dominéspar l’hypogonadisme par insuffisance gonadotrope,apanage des formes évoluées. Chez la femme, il s’agitclassiquement d’une ménopause précoce et chezl’homme d’une diminution de la libido, d’uneimpuissance sexuelle et d’une atrophie testiculaireassociées à une diminution de la testostérone sérique.

L’atteinte cardiaque est rare. Les anomaliesélectrocardiographiques sont, par ordre décroissant defréquence, un aplatissement et une inversion de l’ondeT, un bas voltage et des troubles du rythme(tachyarythmie auriculaire et, de façon moinsfréquente, extrasystolie et tachycardie ventriculaires).Elles s’inscrivent dans le cadre d’une cardiomyopathieplus souvent de type dilaté que restrictif. L’insuffisancecardiaque congestive est rare mais peut être fatale,parfois précipitée par une prise importante devitamine C.

‚ Facteurs associésLa consommation excessive d’alcool aggrave

l’expression phénotypique, non pas en termesd’intensité de surcharge, mais en termes d’anomaliesbiologiques (majoration de l’hyperferritinémie, desanomalies hépatiques) et de lésions viscérales(augmentation du risque de cirrhose).

Il était classique de dire que le sexe fémininprotégeait de la maladie. En fait, si en moyenne lesfemmes sont en effet deux fois moins surchargées queles hommes, en revanche certaines femmesprésentent des surcharges massives, aussi importantesque celles des hommes les plus surchargés, avec deslésions viscérales graves, et ce même avant laménopause. Les symptômes les plus fréquents chezles femmes sont l’asthénie et les atteintes articulaires,et chez les hommes l’atteinte hépatique et le diabète.

■Diagnostic

‚ Diagnostic positifIl a été bouleversé par les apports de la génétique

moléculaire. Une fois suspecté cliniquement, lediagnostic va être étayé dans un premier temps par ledosage du coefficient de saturation de la transferrine

Tableaux typiques✔ Un sujet jeune, des deux sexes,totalement asymptomatique, avecune saturation supérieure à 60 % etune ferritine modérémentaugmentée : c’est unehémochromatose.✔ Un homme de la cinquantaine, nonbuveur excessif, en surpoids modéré,avec une hyperferritinémieinférieure à 1 000µg/L et un bilanhépatique normal : c’est unehépatosidérose dysmétabolique.✔ Un homme de 40 ans, alcooliquechronique, présentant unemélanodermie intense, une cirrhosedécompensée avec ascite, un diabète,une saturation et une ferritinémieélevée : c’est bien plus souvent unecirrhose éthylique qu’unehémochromatose.

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(qui nécessite la détermination du fer sérique), et dansune moindre mesure de la ferritine sérique, puisconfirmé par la mise en évidence de la mutationC282Y à l’état homozygote.

La saturation de la transferrine est le testphénotypique le plus sensible. Toujours augmentée(supérieure à 45 %) lorsqu’une surcharge est présente,même minime, elle ne permet pas de quantifierl’importance de la surcharge car elle atteintrapidement son maximum. Elle est légèrement plusélevée chez l’homme que chez la femme, et présented’importantes variations circadiennes (maximale lematin et minimale l’après-midi) ainsi que d’un jour àl’autre (± 30 %, voire plus). Elle s’accompagne en règled’une augmentation du fer sérique, dont le tauxsérique normal est de l’ordre de 20 µmol/L.

La ferritine sérique est proportionnelle au stockmartial de l’organisme, et permet donc unequantification assez précise de l’importance de lasurcharge. Ses fluctuations sont moins importantesque celles du fer sérique ; la normale est généralementinférieure à 150 µg/L chez la femme et 300 µg/L chezl’homme. La ferritine manque de sensibilité, en sortequ’une ferritinémie normale ne doit pas faire écarter lapossibilité d’une surcharge en fer notable.

La recherche de la mutation C282Y du gène HFE estmaintenant disponible dans les laboratoires degénétique moléculaire agréés pour le diagnosticgénétique, mais n’est pas inscrite à la nomenclature. Saprescription doit suivre les règles de tout testgénétique, réalisation d’un conseil génétique etconsentement écrit du patient. La présence à l’étathomozygote de la mutation, associée à un tableauphénotypique compatible, c’est-à-dire augmentationdu coefficient de saturation, associée ou non àl’augmentation de la ferritine sérique et à desmanifestations cliniques évocatrices, permet de poserle diagnostic d’hémochromatose. Il convient alors defaire le bilan du retentissement viscéral, de mettre enroute le traitement, ainsi que l’enquête familiale.

Le bilan du retentissement dépend des signescliniques, de l’importance de la surcharge appréciéesur des paramètres biologiques simples et del’existence de facteurs associés éventuels(consommation excessive d’alcool, surpoids). Nousdemandons systématiquement un bilan fonctionnelhépatique (aspartate aminotransférase [ASAT], ALAT,gammaglutamyl transférase [GGT], taux deprothrombine [TP], électrophorèse des protéines). Labiopsie hépatique n’est utile que pour apprécierl’existence d’une cirrhose. Les patients ne présentantpas d’hépatomégalie, dont la ferritine sérique estinférieure à 1 000 µg/L et dont les ASAT sontinférieures à la limite supérieure de la normale neprésentant jamais de fibrose grave dans notreexpérience, nous la réservons, ainsi que l’échographieabdominale, aux patients ne répondant pas à cescritères. Nous demandons des radiographies desprincipales articulations (mains, poignets, bassin etgenoux), une glycémie à jeun et postprandiale et,uniquement en cas de manifestations cliniques ou deforte surcharge, un bilan endocrinien (testostéronémie,follicle stimulating hormone [FSH], luteinizing hormone[LH]) ou cardiovasculaire (électrocardiogramme,échocardiographie).

‚ Diagnostic différentiel

Diagnostic d’une augmentation du fer sériqueou du coefficient de saturation

Les principales causes sont répertoriées dans letableau I. En pratique, il faut se méfier desprélèvements hémolysés et garder à l’esprit la grande

variabilité intrasujet, en particulier au cours dunycthémère, ce qui conduit à préconiser unprélèvement au laboratoire le matin à jeun, et uncontrôle en cas d’élévation. Fer sérique et coefficient desaturation sont souvent élevés en cas de consomma-tion excessive d’alcool, mais se normalisent après1 semaine de sevrage. Les œstroprogestatifsfortement dosés pouvaient être responsablesd’augmentation du fer sérique par augmentation de latransferrine, donc sans augmentation de la saturation,mais les composés actuels ne doivent plus êtreincriminés.

Diagnostic d’une hyperferritinémie

Les principales causes sont répertoriées dans letableau II. La consommation excessive d’alcool, leshépatopathies et les syndromes inflammatoires sontles causes les plus fréquentes d’hyperferritinémie avecles surcharges en fer. Après sevrage, la ferritineretrouve son taux de base en 1 mois.

‚ Étiologies des surcharges en fer nonhémochromatosiques

Elles sont répertoriées dans le tableau III.En pratique, la situation la plus fréquente est celle

de l’hépatosidérose dysmétabolique, qui associe chezun homme d’âge mûr une surcharge en fer légère ou

modérée, asymptomatique, s’exprimant par unehyperferritinémie à saturation fluctuante, parfoisnormale, et des éléments du syndrome polymétaboli-que (surpoids de répartition androïde, hyperlipémieprédominant sur les triglycérides, anomalies demétabolisme des glucides, hypertension artérielle).

Toute hépatopathie, en particulier au stade decirrhose, peut se compliquer d’une augmentation dufer intrahépatique, parfois importante.

La consommation excessive d’alcool peut entraînerdes faux positifs de la saturation et de la ferritine ; elleest parfois associée avec une surcharge en ferhépatique, toujours modérée. La cirrhose alcoolique,lorsqu’elle est associée à un diabète et à unemélanodermie - secondaire à l’exposition solaire ou àl’ictère chronique - et à une élévation de la saturationet de la ferritine, voire à une surcharge en fer

Tableau III. – Principales étiologies des surcharges en fer.

Génétiques

Hémochromatose par homozygotie pour la mutation C282Y du gène HFESurcharge en fer africaineAcéruloplasminémie par mutation homozygote du gène de la céruloplasmine (satu-ration basse)Hémochromatose non homozygote C282Y(1)

Hémochromatose juvénile(2)

Acquises

Apport excessif de ferSyndrome polymétaboliqueMaladies chroniques du foie- consommation excessive d’alcool- cirrhose- hépatite chronique virale CPorphyrie cutanée tardiveMaladies hématologiques- transfusions massives- dysérythropoïèses- anémies hémolytiques

(1) tableau de surcharge en fer évoquant une hémochromatose, sans mutation C282Y et sans aucune des étiologies suivantes - exceptionnel dans notreexpérience.(2) tableau de surcharge en fer majeure, avec cardiomyopathie au premier plan, chez un sujet de moins de 30 ans, sans mutation C282Y et sans aucune desétiologies suivantes. Serait autosomique récessive, liée au chromosome 1 (un).

Tableau I. – Diagnostic d’une élévation du fersérique et du coefficient de saturation de latransferrine.

Fer sérique et coefficient de saturation

Surcharges en ferConsommation excessive d’alcool en coursToute lyse cellulaire- hépatites aiguës ou chroniques- hémolyse- rhabdomyolyse- infarctus du myocardeTraitement martial

Fer sérique seul

Contraceptifs oraux fortement dosés

Coefficient de saturation seul

Insuffısance hépatocellulaire (par effondrement dela transferrine)

Tableau II. – Diagnostic d’une augmentationde la ferritine sérique.

Avec saturation augmentée

Surcharges en ferConsommation excessive d’alcoolToute lyse cellulaire- hépatites aiguës ou chroniques- hémolyse- rhabdomyolyse- infarctus du myocarde

Avec saturation normale ou diminuée

Surcharges en ferConsommation excessive d’alcoolTumeurs malignes- pancréas- poumon- foie- sein- lymphomesSyndrome inflammatoireDivers- maladie de Still- maladie de Gaucher- syndrome d’activation macrophagique- hyperthyroïdie- histoplasmose au cours du sidaSyndrome hyperferritinémie-cataracte(1)

(1) mutation du gène de la ferritine, associant hyperferritinémie sanssurcharge en fer et cataracte précoce.

5-0400 - Hémochromatose : manifestations cliniques, enquête génétique et traitement

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Page 70: Le Manuel Du Généraliste - Divers

hépatique notable, peut constituer un tableauphénotypique très évocateur d’hémochromatose.

L’acéruloplasminémie est une maladie autosomi-que récessive rare, par mutation dans le gène de lacéruloplasmine. Son phénotype est évocateur de parl’association de manifestations neurologiques(démence, syndrome extrapyramidal), d’un diabète et,biologiquement, d’un fer sérique et d’une saturationeffondrés. Le diagnostic repose sur le dosage de lacéruloplasminémie qui est indosable.

‚ Conduite diagnostique (fig 1)La discussion diagnostique se pose le plus souvent

chez un patient présentant des anomalies cliniques etsurtout biologiques évocatrices de surcharge en fer.L’étape initiale consiste à rechercher des argumentsphénotypiques en faveur de l’hémochromatose et àéliminer par la clinique et des examens biologiquessimples (numération de formule sanguine [NFS],transaminases, GGT, vitesse de sédimentation [VS]) lescauses de faux positifs de la saturation et de la ferritine,ainsi que les causes évidentes de surcharge en fer. Encas de saturation augmentée, la recherche de lamutation C282Y du gène HFE permet le diagnosticd’hémochromatose. En cas de saturation normale ouen l’absence d’homozygotie C282Y, se pose laquestion de la confirmation de l’existence de lasurcharge en fer, qui repose sur la biopsie hépatiqueou sur l’imagerie par résonance magnétique

(IRM) quantitative, quand elle est disponible. Enpratique, lorsque le tableau d’hépatosidérosedysmétabolique est typique et que le bilan hépatiqueest normal, nous ne demandons pas d’histologie. Il enest de même en cas ce consommation excessive

d’alcool. Dans les autres cas, la ponction-biopsiehépatique (PBH) est souvent nécessaire afin d’affirmerla surcharge en fer et d’apprécier l’état hépatique.

■Enquête génétique

La recherche d’autres patients atteints dans lafamille d’un probant est importante puisqu’elle permetle plus souvent de retrouver des patientsasymptomatiques, qui bénéficieront au mieux d’untraitement déplétif précoce.

‚ Bases génétiques

L’hémochromatose est une maladie autosomiquerécessive, retrouvée uniquement dans la race blanche.Le gène HFE est situé sur le bras court duchromosome 6. Comme tout gène, il est présent endeux exemplaires, l’un venant du père, l’autre de lamère. Seule la présence de la mutation C282Y sur lesdeux exemplaires (état homozygote) est associée à lamaladie avec toutes ses conséquences. Cependant,certains homozygotes, en nombre encore inconnu,n’expriment aucune anomalie, même biologique. Lespatients simplement hétérozygotes, possédant unexemplaire muté et un exemplaire normal, neprésentent pas plus d’anomalies biologiques que lespatients sans mutation, et en tous cas, n’évoluentjamais vers une maladie symptomatique en dehors defacteurs associés. En Bretagne, la fréquence del’homozygotie C282Y est de 0,43 % ; celle del’hétérozygotie de 11,9 %.

La transmission dans une famille se fait selon deuxmodèles. Dans le cas le plus fréquent, le patientprobant (premier cas de la famille) est issu de l’unionde deux hétérozygotes (fig 2). Ses frères et sœurs ontune chance sur quatre d’être également homozygotes,une chance sur deux d’être hétérozygotes, et unechance sur quatre d’être homozygotes normaux.Sinon, le probant peut être issu de l’union d’unhétérozygote avec un homozygote, auquel cas sesfrères et sœurs ont une chance sur deux d’êtrehomozygotes et une chance sur deux d’êtrehétérozygotes (fig 2).

La transmission aux enfants du probant la plusfréquente est illustrée par la figure 2C : le conjoint duprobant est homozygote normal et tous les enfants

Cause évidenteFer per osTransfusions massivesAnémie réfractaire

non

non

non

non

non

non

non

non

oui

oui

oui

oui

oui

oui

oui

oui

Avis hématologue

Recherche de la mutationC282Y du gène HFE

Homozygote= hémocromatose

Hétérozygote ou négatif

CS > 45 %

Saturation effondrée

Consommation excessived'alcool

Sevrage (si possible)normalisation

Céruloplasminémie indosable= acéruplasminémie

Syndrome polymétabolique

Anomalies hépatiques

Recherche causes raresPorphyrie cutanée tardiveDysérythropoïèse compensée

Bilan étiologique (avec PBH)CirrhosesHépatites chronique

= Faux positif des test sériques secondaire à l'alcool

Bilan hépatique normal

= hépatosidérose dysmétabolique

1 Suspicion clinique ou biologique de surcharge en fer.Clinique : phénotype hémochromatose, syndrome polymétabolique, consommation excessive d’alcool ?Biologie : saturation, ferrine, aspartate aminotransférase (ASAT), alanine aminotransférase (ALAT), gamma-glutamyl transférase (GGT), numération formule sanguine (NFS), vitesse de sédimentation (VS).CS : coeffıcient de saturation de la transferrine ; PBH : ponction-biopsie hépatique.

Parents

Enfants

Parents

Enfants

Parents

Enfants

Parents

Enfants

Union hétérozygote - hétérozygote Union hétérozygote - homozygote

Descendance du probant Descendance d'un hétérozygote

Légende :Probant

Allèle porteur de la mutation C282Y Allèle normale (sauvage)

Homozygote normal

A

C D

B

Homozygote Hétérozygote

2 Différentes possibilités de transmission familiale de l’hémochromatose.

Hémochromatose : manifestations cliniques, enquête génétique et traitement - 5-0400

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Page 71: Le Manuel Du Généraliste - Divers

sont hétérozygotes. Il est possible que le conjoint soithétérozygote, auquel cas on se retrouve dans lasituation illustrée par la figure 2B.

La descendance d’un patient hétérozygote, dépistélors d’une enquête familiale par exemple, est illustréepar la figure 2D, lorsque son conjoint est homozygotenormal, cas le plus fréquent : les enfants ont unechance sur deux d’être hétérozygotes et une chancesur deux d’être homozygotes normaux. Si le conjointest hétérozygote, on est renvoyé à la situation de lafigure 2B.

‚ Réalisation pratique

Un certain nombre de conditions sont légalementnécessaires : le probant doit être informé, lors d’uneconsultation de conseil génétique, de l’intérêt queprésente le dépistage pour sa famille. C’est lui qui doiten prévenir les membres. Un dépistage sans sonintervention n’est donc pas possible.

Le dépistage repose sur l’examen clinique, ledosage du coefficient de saturation, et la recherche dela mutation C282Y. L’ensemble de ces tests doit êtreréalisé dans la fratrie du probant. Chez les parents,souvent d’âge avancé, nous proposons de ne fairequ’un dépistage phénotypique, et de réserver larecherche génétique aux parents présentant desanomalies. Pour les enfants, il est possible soit de leurproposer directement une recherche génétique, soit detester le conjoint du patient, et de n’explorer lesenfants que si le conjoint est hétérozygote.

Les homozygotes exprimant des anomaliesbiologiques doivent faire l’objet d’un bilan et d’untraitement, ceux ayant une biologie normale serontsurveillés annuellement. Le dépistage familial doit êtreétendu aux enfants des homozygotes et deshétérozygotes.

■Traitement

Il comporte le traitement symptomatique deslésions viscérales et le traitement déplétif proprementdit.

‚ Mesures diététiques

Le régime pauvre en fer n’est pas indiqué. Unrégime pauvre en boissons alcoolisées estrecommandé, en particulier tant que la désaturationn’est pas obtenue.

‚ Saignées

Technique

Les saignées peuvent être réalisées au domicile dupatient par une infirmière, au cabinet médical, enmilieu hospitalier ou en centre de transfusionsanguine. Le matériel nécessaire comprend unetubulure à saignée (associant l’aiguille à ponction et latubulure) et un flacon sous vide type « Redon » ou unepoche à sang. Il est recommandé de faire boire aumalade, au décours de la saignée, une quantité deliquide approximativement équivalente au volumesoustrait.

Surveillance

Il est conseillé de remettre au patient un « carnet desaignées » où il consignera les saignées (date etvolume) et les résultats des examens de suivi. Latolérance est évaluée cliniquement à chaque saignée(état général, tension artérielle...) et hématologique-ment (NFS) à intervalles réguliers. L’efficacité est jugéesur des critères cliniques (état général, mélanodermie,hépatomégalie...) et sur la ferritinémie.

Phases du traitement déplétif

¶ Phase d’attaqueLe débit de soustraction recommandé est de 400 à

500 mL par semaine. Chez le sujet âgé et/ou auxantécédents vasculaires, il est souhaitable de débuterplus prudemment par une saignée de 250 mL tous les15 jours, puis toutes les semaines. Le traitementd’attaque durera tant que le patient ne sera pastotalement désaturé (de quelques mois à 3 ans). Le butà atteindre est la « sous-normalisation » des paramètressériques de charge en fer, à savoir une ferritinémieinférieure ou égale à 50 µg/L, un fer sérique inférieur à15 µmol/L et une saturation de la transferrineinférieure à 20 %. La périodicité de la surveillancebiologique dépend de l’excès de départ. La NFS est enrègle mensuelle. Le dosage de la ferritinémie peut être

trimestriel initialement si le taux de départ estsupérieur à 1 000 µg/L ; sa fréquence devientmensuelle lorsque la désaturation approche. Fersérique et saturation ne sont dosés que lorsque laferritine approche de la normale. En effet, ces deuxparamètres ne se normalisent que très tardivement,c’est-à-dire peu avant l’obtention de la désaturation.

¶ Phase d’entretienEngagée dès la désaturation obtenue, elle doit

durer toute la vie, et repose sur la réalisation desaignées de 300 à 500 mL tous les mois à tous les3 mois. L’objectif est de maintenir la ferritinémie, lasidérémie et la saturation de la transferrine auxmêmes taux qu’à la fin de la phase d’attaque.

‚ Surveillance ultérieureElle est impérative chez les patients de plus de

50 ans ayant une cirrhose ou une fibrose sévère aumoment du diagnostic, et repose sur la réalisationd’une échographie abdominale et d’un dosaged’alphafœtoprotéine tous les 6 mois.

‚ RésultatsLe pronostic vital est sensiblement amélioré : la

survie rejoint celle de la population générale lorsque ladésaturation est obtenue avant l’installation de lacirrhose. Les manifestations de la maladie répondentde façon variable au traitement : l’état générals’améliore, la mélanodermie s’atténue puis disparaît.En l’absence de cirrhose constituée, l’hépatomégalierégresse et la biologie fonctionnelle hépatique senormalise. En cas de cirrhose constituée, uneamélioration clinique et biologique est souvent notée,mais la cirrhose est irréversible et représente alors lefacteur pronostique majeur de la survie, d’autantqu’elle fait courir le risque, même au sujet désaturé, decarcinome hépatocellulaire. La cardiomyopathie réagitbien au traitement par saignées. En cas de diabète, letraitement déplétif permet seulement de diminuer lesdoses d’insuline ou de stabiliser un diabète noninsulinodépendant. Les manifestations ostéoarticulai-res sont peu influencées par les saignées ; ellespeuvent même apparaître ou s’aggraver en cours detraitement. L’insuffisance gonadique classiquement nerépond pas aux saignées. Cependant, l’augmentationdes taux de testostérone plasmatiques et le retourd’une fonction sexuelle normale ont été décrites chezquelques patients.

Romain Moirand : Praticien hospitalier.Pierre Brissot : Professeur des Universités, praticien hospitalier.Yves Deugnier : Professeur des Universités, praticien hospitalier.

Clinique des maladies du foie, hôpital Pontchaillou, 1, rue Henri-Le-Guillou, 35033 Rennes cedex, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : R Moirand, P Brissot et Y Deugnier. Hémochromatose : manifestations cliniques, enquête génétique et traitement.Encycl Méd Chir (Elsevier, Paris), AKOS Encyclopédie Pratique de Médecine, 5-0400, 1999, 4 p

R é f é r e n c e s

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5-0400 - Hémochromatose : manifestations cliniques, enquête génétique et traitement

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Page 72: Le Manuel Du Généraliste - Divers

Lupus érythémateux systémique

Z Amoura, JC Piette

A rchétype de la maladie auto-immune non spécifique d’organe, le lupus érythémateux systémique (LES) estun syndrome caractérisé cliniquement par l’association de manifestations protéiformes et biologiquement

par la présence presque constante d’anticorps dirigés contre divers constituants du noyau (anticorps antinucléaires).© Elsevier, Paris.

■Introduction

La maladie touche les femmes jeunes sept à neuffois sur dix. La prévalence du LES est de 15-20 caspour 100 000 habitants. Tout médecin a donc deschances d’en rencontrer plusieurs cas au cours deson exercice.

■Signes cliniques et éléments

du diagnostic

Les atteintes organiques sont multiples ; elles sontrésumées dans le tableau I. Des critères declassification diagnostiques ont été élaborés en1982 par l’Association américaine de rhumatologie.Il ne s’agit toutefois que d’une analyse statistiqueétablie à partir d’un recrutement rhumatologique etcertains critères ont été certainement surévalués auxdépens d’autres. Cette analyse peut donc ne pass’appliquer à un patient donné et le sens clinique dumédecin doit toujours prévaloir. La présencesimultanée ou successive d’au moins quatre de cescritères permet de poser le diagnostic de LES.

Schématiquement, le praticien fait face à deuxtypes de situations :

– devant un symptôme ou une anomaliebiologique évocateurs, il convient alors derechercher les autres éléments du diagnostic ;

– devant un tableau clinique évocateur, il fautconfirmer le diagnostic de LES.

Dans les deux cas, une bonne connaissance desmanifestations cliniques et biologiques du LES(tableaux I et II) est fondamentale. De façon nonexceptionnelle, le praticien fait face à des signescliniques moins évocateurs, qu’ils soient cliniques,comme des ulcérations buccales récurrentes, unealopécie, un antécédent de fausses couchesrépétées, une polyadénoapthie périphérique avecfièvre, ou bien biologiques, comme une leucopénie,

une lymphopénie, une anémie, une thrombopénieou une élévation de la vitesse de sédimentation avecprotéine C réactive normale.

■Traitement

‚ Principes généraux du traitement

Le lupus évolue par poussées entrecoupées derémission. Ces notions doivent toujours êtreprésentes à l’esprit pour déterminer la prise encharge thérapeutique du patient lupique. Lecaractère aigu de la maladie, lié à une atteinteorganique précise et qui peut avoir desconséquences graves, nécessite une interventionthérapeutique rapide et spécifique afin de contrôlerla poussée de la maladie (par exemple : atteinte dusystème nerveux central se traduisant par des crisescomitiales). Le caractère chronique du lupusnécessite l’éducation du patient, des évaluations

régulières et la reconnaissance précoce des signesd’évolutivité. Des modifications adaptées dutraitement permettront ainsi de prévenir ou decontrôler les poussées évolutives à des stades trèsprécoces (par exemple, protection solaire,contraception adaptée).

‚ Schémas thérapeutiques

Même si les indications sont à adapter à chaquecas, il est possible de dégager des grandes lignesthérapeutiques. La prise en charge graduelle despr inc ipales mani festat ions est résuméeschématiquement dans le tableau III.

‚ Éducation du patient lupique

Souvent négligée à tort, l’éducation du malade etde sa famille est un élément important de la prise encharge thérapeutique. Le malade doit pouvoirreconnaître seul les signes cliniques avant-coureursde la poussée évolutive et consulter. L’Associationfrançaise des lupiques (25, rue des Charmettes,69100 Villeurbanne) organise des réunions

Tableau I. – Fréquence relative des manifestations cliniques du lupus au stade initial et au coursde l’évolution de la maladie sur 1 000 patients, d’après Cervera[2].

Stade initial ( %) Au cours de l’évolution ( %)

Rash malaire 40 58Lupus discoïde 6 10Ulcérations orales 11 24Photosensibilité 29 45Arthrites 69 84Sérites (pleurésie, péricardite) 17 36Néphropathie 16 39Atteinte neurologique 12 27Syndrome de Raynaud 18 34Livedo reticularis 5 14Myosite 4 9Fièvre 36 52Atteinte pulmonaire 3 3Syndrome sec 5 16Adénomégalie 7 12Chorée 1 2Thromboses 4 14Thrombopénie 9 22Anémie hémolytique 4 8

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d’information destinées aux malades et édite desbrochures explicatives. On insistera sur les risquesd’un arrêt intempestif du traitement et sur lanécessité d’une surveillance médicale régulière, ycompris en période de rémission clinique.

Protection solaire

La patiente est mise en garde sur les risques d’uneexposition prolongée au soleil. Le port d’un chapeauà bords larges, de lunettes teintées, l’application decrème écran total à répéter toutes les 4 heures sur lesparties exposées seront conseillés. Le médecingénéraliste doit participer à l’éducation et vérifier lerespect des « règles éducatives » de la patientelupique.

Éviter les médicaments inducteurs

Le risque de poussée déclenchée par certainesprises médicamenteuses sera expliqué au patientafin d’exclure tout médicament non indispensable.Le généraliste doit connaître et pouvoir fournir à lapatiente la liste des médicaments inducteurs(tableau IV).

Grossesse et contraception

Le problème de la grossesse et de lacontraception doit être très rapidement envisagéavec la patiente, en collaboration étroite avec ungynécologue averti. La grossesse devra êtreprogrammée et sera « autorisée » si la maladie estrestée quiescente au cours de l’année précédente eten l’absence de prise de médicaments tératogènes.

Tableau II. – Critères de classification du lu-pus proposés par l’American RheumatismAssociation en 1982[4].

1. Eruption malaire en aile de papillon : érythèmemalaire fixe, plan ou en relief, tendant à épargnerle sillon nasolabial.

2. Eruption de lupus discoïde : placards érythéma-theux surélevés avec des squames kératosiquesadhérentes et des bouchons cornés folliculaires.Cicatrices atrophiques pouvant apparaître sur deslésions anciennes.

3. Photosensibilité : éruption cutanée résultantd’une réaction inhabituelle au soleil, à l’interroga-toire du patient ou observée par le clinicien.

4. Ulcérations buccales ou nasopharyngées : ulcé-rations orales ou nasopharyngées, habituellementdouloureuses, observées par un clinicien.

5. Polyarthrite non érosive : arthrite non érosivetouchant au moins deux articulations périphéri-ques, caractérisée par : douleur, augmentation devolume, ou épanchement articulaire.

6. Pleurésie ou péricardite :— pleurésie : épanchement pleural patent ou his-toire convaincante de douleurs pleurales ou frotte-ment pleural entendu par un clinicien.— péricardite : documentée sur un ECG ou frotte-ment péricardique ou mise en évidence de l’épan-chement.

7. Atteinte rénale : protéinurie supérieure ou égaleà 0,5 g/j ou supérieure à 3 croix enl’absence dequantification possible ou cylindres urinaires (glo-bules rouges, hémoglobine, leucocytes, cellulestubulaires ou mixtes).

8. Atteinte neurologique :— convulsions : en l’absence de cause médicamen-teuse ou de désordres métaboliques (insuffısancerénale, acidose, déséquilibre électrolytique).— psychose : en l’absence de cause médicamen-teuse ou de désordres métaboliques (insuffısancerénale, acidose, déséquilibre électrolytique).

9. Atteinte hématologique :— anémie hémolytique avec hyperréticulocytose.— leucopénie (inférieure à 4 000 leucocytes/mm3)trouvée à au moins deux reprises.— lymphopénie (inférieure à 1 500 lymphocytes/mm3) à au moins deux reprises.— thrombopénie (inférieure à 100 000plaquettes/mm3) en l’absence de cause médica-menteuse.

10. Désordre immunologique :— recherche de cellules LE positive.— anticorps anti-DNA positif.— présence d’anticorps anti-Sm. Fausse sérologiesyphilitique positive depuis au moins 6 mois etconfirmée par la négativité du test de Nelson ou duFTA.

11. Présence de facteurs antinucléaires à un titreanormal en l’absence de médicaments inducteurs :Titre anormal d’anticorps antinucléaire en immu-nofluorescence ou technique équivalente à n’im-porte quel moment de l’évolution, en l’absence demédicaments inducteurs du lupus.

Tableau III. – Indications thérapeutiques pro-gressives au cours du lupus, d’après Decker[3].

Fièvre 1. AAS2. AINS3. AMS4. Corticoïdes

Arthralgies 1. AAS2. AINS3. AMS

Arthrites 1. AAS2. AINS3. AMS4. Corticoïdes

Rash cutané 1. Hydrocortisone locale2. Dermocorticoïdesfluorés3. AMS4. Injection locale decorticoïdes

Sérites 1. AINS2. Corticoïdes

Atteinte pulmonaire 1. Corticoïdes

Thrombopénie 1. CorticoïdesAnémie hémolytique 2. Veinoglobulines

3. Immunosuppresseurs4. Splénectomie

Atteinte rénale 1. Corticoïdes2. Assauts corticoïdes3. Immunosuppresseurs

Atteinte système nerveuxcentral

1. Corticoïdes2. Immunosupresseurs

AAS : acide acetylsalycilique ; AINS : anti-inflammatoires non sté-roïdiens ; AMS : anti-malariques de synthèse.

Tableau IV. – Médicaments inducteursde lupus.

Acébutolol Sectralt

Acide aminosalicylique Aspirinet

Acide nalidixique Negramt

Allopurinol Zylorict

Carbamazépine Tegretolt

Chlorpromazine Largactilt

Chlortalidone Hygrotont

Contraceptifs oraux

D-Pénicillamine Trolovolt

Ethosuccimide Zarontint

Griséfuline Griséfulinet

Hydralazine Apressolinet

Hydrochlorothiazide Esidrext

Isoniazide Rimifont

L-Dopa Modopart - Sinemett

Labétalol Trandatet

Lithium Teralithet -Neurolithiumt

Méthyldopa Aldomett

Méthysergide Désernilt

Minoxidil Lonotent

Nomifensine Alivalt

Oxprénolol Trassipressolt

Pénicilline

Phénylbutazone Butazolidinet

Phénytoïne Dihydant

Pindolol Viskent

Practolol Eraldinet

Procaïnamide Pronestylt

Propafénone Rythmolt

Propranolol Avlocardylt

Propylthiouracile Basdènet

Pyrithioxine Encephabolt

Quinidinique Longacort

Réserpine Serpasylt

Sels d’or Allochrysinet

Sotalol Sotalext

Streptomycine Streptomycinet

Sulfasalazine Salazopyrinet

Sulfonamides

Tertatolol Artext

Tétracyclines

Thioglycolate depotassium

Crème Veett

Timolol Timoptolt

Trimétadione Triméthadionet

5-0260 - Lupus érythémateux systémique

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Une contraception efficace sera mise en route enprenant soin d’éviter les œstroprogestatifs. L’acétatede cyprotérone (Androcurt) analogue synthétiquede la progestérone avec un puissant effetantiœstrogène est intéressant dans cette indicationcar outre son effet contraceptif, il diminue le nombrede poussées. En raison du risque infectieux, la posed’un dispositif intra-utérin est contre-indiquée.

Surveillance clinique et biologique du lupus

Le médecin généraliste, par sa connaissance de lasymptomatologie lupique, devra reconnaître les

signes avant-coureurs d’une poussée lupique(arthralgies, éruption …) ce qui permettra d’intervenirprécocement. La surveillance biologique se fera parun bilan minimum régulier (NFS, VS, protéinurie).

Le praticien devra connaître les effets indésirablesdes traitements. Nous insisterons sur la surveillanceophtalmologique annuelle nécessaire lors de laprescription d’antipaludéens de synthèse et sur lerôle de la corticothérapie prolongée dansl’accélération de l’athérogénèse car le pronosticlointain du lupus est en grande partie conditionnépar le risque vasculaire.

■Conclusions

Le lupus n’est plus une maladie mortelle puisquela survie à 20 ans dépasse maintenant 90 %. Dansl’immense majorité des cas, il s’agit d’une affectionbénigne permettant une vie normale au prix d’unmodeste traitement d’entretien. Le rôle du médecingénéraliste est primordial, au côté du médecininterniste, dans la prise en charge de la maladielupique.

Zahir Amoura : Chef de clinique-assistant des Hôpitaux.Jean-Charles Piette : Professeur des Universités, praticien hospitalier.

Service de médecine interne, hôpital Pitié-Salpêtrière, 47-83, boulevard de l’Hôpital, 75013 Paris, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Z Amoura et JC Piette. Lupus érythémateux systémique.Encycl Méd Chir (Elsevier, Paris), Encyclopédie Pratique de Médecine, 5-0260, 1998, 3 p

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Lupus érythémateux systémique - 5-0260

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Maladie de Still de l’adulte

J Pouchot, P Vinceneux

L a maladie de Still de l’adulte (MSA) se manifeste typiquement par une fièvre élevée hectique, des arthralgiesou des arthrites, et une éruption cutanée fugace. Les nombreuses manifestations systémiques qui peuvent

diversement s’associer à cette triade rendent compte du polymorphisme de cette affection.© Elsevier, Paris.

■Épidémiologie

La MSA a été rapportée dans la plupart desethnies et plus de 600 observations ont été publiéesdans la littérature depuis sa description en 1971 [4, 6].L’incidence annuelle de la maladie est de l’ordre de0,1 à 0,2 pour 100 000. La MSA peut se présenter defaçon inaugurale chez l’adulte, ou être la résurgenceà l’âge adulte d’une maladie de Still ayant évoluédans l’enfance [4]. La MSA débute entre 16 et 35 anschez environ 70 % des patients.

■Étude clinique

Les manifestations cliniques de cette maladie sontreprésentées dans le tableau I.

‚ Fièvre

Il s’agit d’une fièvre élevée et intermittente, le plussouvent vespérale, à 39-40 °C. Cette fièvre hectiques’accompagne fréquemment d’une altération del’état général avec amaigrissement parfois trèsimportant. L’enquête infectieuse est négative.

‚ Éruption cutanée

D’allure morbiliforme, elle se traduit par de petitesmacules rosées non prurigineuses, de quelquesmillimètres de diamètre, qui siègent avecprédilection à la racine des membres, au tronc etdans les zones d’appui [6]. L’une des caractéristiquesessentielle de cette éruption est d’être évanescente.Elle est maximale au moment des pics fébriles etdisparaît souvent totalement pendant les périodesd’apyrexie. Les biopsies cutanées ne montrent qu’unœdème du derme superficiel et moyen ainsi qu’uninfiltrat polymorphe diffus ou à prédominancepérivasculaire [5, 6].

‚ Atteinte articulaire

Les manifestations articulaires sont constantesmais peuvent apparaître de façon retardée [4, 5]. Dansla majorité des cas il existe de véritables arthritesavec synovite ou épanchement articulaire. Il s’agit leplus souvent d’une polyarthrite bilatérale etsymétrique [5, 6] intéressant plus volontiers lesgrosses articulations. Le liquide articulaire estinflammatoire et contient en moyenne plus de10 000 éléments/mm3 [5, 6]. Les biopsies synovialesne montrent qu’une synovite aiguë et nonspécifique [5, 6]. Cette atteinte articulaire peut récidiverlors de poussées ultérieures de la maladie et mêmepasser à la chronicité [5, 9]. Les radiographies desarticulations atteintes montrent alors souvent desdestructions majeures, plus particulièrement auxhanches et aux genoux [1, 5, 6, 9]. L’ankylose du carpe,généralement non érosive que l’on observe sur lesradiographies des poignets chez plus de 50 % despatients après 1 ou 2 ans d’évolution est trèscaractéristique de la MSA [1, 6].

‚ Autres manifestations cliniques

Atteinte musculaire

Des myalgies intenses et parfois très invalidantessont fréquentes [5, 6]. Elles prédominent dans lesrégions proximales des membres et les régionslombaire et cervicale. Un déficit et une atrophiemusculaires sont rares [6]. Il n’y a généralement pasd’élévation des enzymes musculaires. L’électromyo-gramme et les biopsies musculaires sont normaux.

Douleurs pharyngées

Des douleurs pharyngées qui contribuent souventà égarer le diagnostic peuvent inaugurer la maladie,mais également survenir lors des pousséesultérieures [5, 6]. L’examen clinique ne montre qu’unepharyngite non exsudative et les prélèvements degorge sont négatifs.

Adénopathies et splénomégalie

Un peu plus de 60 % des patients présente desadénopathies mobiles et de volume modéré. Il s’agitd’adénopathies superficielles, le plus souventcervicales [5, 6]. Dans quelques observations, une

Tableau I. – Manifestations cliniques de la maladie de Still de l’adulte*.

Nombre Pourcentage

Sexe féminin 439 67,6Âge≤ 35 ans 393/568 69,2Épisode dans l’enfance 57/439 13Arthralgies 645 99,4Arthrites 484/555 87,2

Type d’atteinte articulaire { Polyarthrite 137/178 77Oligoarthrite 41/178 23

Fièvre≥39 °C 533/564 94,5Perte de poids≥10 % 157/335 46,9Éruption cutanée 530/640 82,8Mal de gorge 371/565 65,7Myalgies 209/328 63,7Adénopathies 339/548 61,9Hépatomégalie 184/483 38,1Splénomégalie 264/627 42,1Pleurésie 144/608 23,7Péricardite 138/617 22,4Pneumopathie 66/484 13,6Douleurs abdominales 81/412 19,7Atteinte oculaire 15/292 5,1Atteinte rénale 31/345 9Atteinte neurologique 27/465 5,8

* La fréquence des principales manifestations cliniques de la la maladie a été calculée à partir de la revue de la littérature d’Ohta et al[4] et des séries de lalittérature publiées depuis, comprenant au moins dix patients.

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hypertrophie ganglionnaire considérable ou unelocalisation profonde, ont fait évoquer un diagnosticde lymphome malin. L’aspect histologique le plussouvent rapporté est celui d’une hyperplasieréactionnelle non spécifique [4, 6]. Cependant, il existeparfois une hyperplasie immunoblastique diffuseparacorticale, constituée de lymphocytes T et B etd’immunoblastes, qui peut faire discuter unlymphome [6]. Une splénomégalie, souventseulement mise en évidence par une échographieabdominale, est fréquente [5, 6, 9].

Douleurs abdominales

Des douleurs abdominales, généralementdiffuses, ne sont pas exceptionnelles [2, 6]. Si cesdouleurs sont généralement modérées, ellesréalisent parfois un tableau d’allure pseudochirur-gicale avec signes péritonéaux [6].

Atteinte hépatique

Il s’agit de l’une des manifestations potentiel-lement les plus graves de la maladie [6]. Desperturbations biologiques sont présentes chez lesdeux tiers des patients. Elles peuvent êtrespontanées, témoignant d’une hépatopathie propreà cette affection [4, 5, 6, 9], ou bien être déclenchéespar un traitement par les anti-inflammatoires nonstéroïdiens (AINS) [6]. Il s’agit fréquemment d’unecytolyse. Ces anomalies biologiques sont souventmodérées et régressent avec le contrôle de lamaladie [5, 6]. Les biopsies hépatiques ne montrentqu’un infiltrat inflammatoire des espaces portesconstitué de cellules mononucléées [2, 5]. Il fautcependant insister sur le risque de survenued’hépatites cytolytiques majeures, compliquantgénéralement un traitement par AINS [2, 5]. Dans cesobservations, la biopsie hépatique montre unenécrose hépatocytaire massive, et si l’évolution estparfois favorable sous corticoïdes à fortes doses [6],au moins sept patients sont décédés d’insuffisancehépatocellulaire [5, 6]. La gravité de ces observationsjustifie une surveillance particulièrementrigoureuse des fonctions hépatiques dans la MSA.

Atteinte cardiaque et vasculaire

Il s’agit le plus souvent d’une péricardite, parfoisrévélatrice de la maladie [1, 2, 4, 5, 6, 9]. Elle se traduit leplus souvent par une simple douleur thoracique etpar un frottement, ou n’est découverte que par uneéchographie cardiaque systématique [2 , 6 ] .Cependant, plusieurs observations de tamponnadeont été rapportées [5, 9]. Le liquide péricardique est unexsudat. L’examen histologique du péricarde nemontre que des lésions inflammatoires nonspécifiques. L’évolution vers la constriction n’a étérapportée que deux fois. Une atteinte myocardiqueest possible et se traduit par des troubles du rythme,de la repolarisation ou de la conductionintraventriculaire, voire dans les formes les plusgraves par une insuffisance cardiaque congestive.L’évolution peut être défavorable malgré lacorticothérapie avec développement d’unecardiomyopathie dilatée. Une atteinte valvulaireaort ique ou mitrale n’a été rapportéequ’exceptionnellement.

Atteinte pleuropulmonaire

Elle se traduit le plus souvent par unépanchement pleural uni- ou bilatéral, de petite oumoyenne abondance [4, 5]. Le liquide pleural estexsudatif et l’examen histologique de la plèvre nemontre qu’une inflammation aiguë nonspécifique [5]. Une atteinte parenchymateuse, sous laforme d’infiltrats habituellement labiles, est observéechez environ 13 % des patients [5, 6]. Cette atteinte estsouvent asymptomatique et d’évolution favorablespontanément ou sous corticoïdes. Les biopsiestransbronchiques montrent des lésions depneumopathie ou de fibrose interstitielles [5, 6]. Unsyndrome restrictif et des troubles de la diffusionparaissent fréquents lors des études systématiquesde la fonction pulmonaire, mais une insuffisancerespiratoire chronique restrictive est exceptionnelle.Quelques observations de syndrome de détresserespiratoire aiguë ont été rapportées [5].

Manifestations plus rares

Les manifestations ophtalmologiques décrites aucours de la MSA sont très polymorphes : syndromesec oculaire, ou même véritable syndrome deGougerot-Sjögren, uvéite, épisclérite ou conjonctivite.Les atteintes neurologiques, méningite ouméningoencéphalite, ne sont pas fréquentes maispeuvent parfois engager le pronostic vital. Quelquesneuropathies périphériques et plusieursobservations de paralysie des nerfs crâniens, ont étérapportées. De rares observations de néphropathies,tubulo-interstitielle ou glomérulaire, ou d’amyloserénale ont été publiées [2, 6].

■Signes biologiques

L’hyperleucocytose lorsqu’elle est franche, à plusde 15 000/mm3 avec polynucléose, est évocatricedu diagnostic ; elle est présente chez 60 % despatients. La présence d’une myélémie n’est pasexceptionnelle. Le myélogramme ne montre qu’unemoelle riche et granuleuse [5, 6](tableau II).

L’hyperferritinémie parfois considérable que l’onpeut observer dans la MSA peut avoir un intérêtdiagnostique. En effet, les valeurs constatées sontsouvent beaucoup plus importantes que ne levoudrait le seul syndrome inflammatoire, et des tauxsupérieurs ou égaux à 10 000, voire 100 000 ng/mL

ne sont pas exceptionnels. De telles élévations nesont cependant pas constantes, et des ferritinémiessupérieures à quatre fois la normale ne sonttrouvées que chez seulement 67 % des patients [10].Cependant, des données récentes pourraient donnerplus d’importance à ce dosage. En effet, dans la MSA,les analyses biochimiques montrent uneffondrement de la fraction glycosylée en deçà de20 % (normale de 60 à 80 %).

De nombreuses observations de CIVD(coagulation intravasculaire disséminée), parfois trèssévères ont été rapportées et viennent souventcompliquer une hépatite cytolytique grave [4, 5, 9]. Ontrouve souvent comme facteur déclenchant untraitement par l’aspirine ou les AINS. Le syndromeinflammatoire, habituellement très marqué etconstant, s’accompagne d’une anémie parfoisprofonde [2, 4, 5, 6, 9]. La sérologie rhumatoïde estnégative, de même que la recherche des anticorpsantinucléaires et anti-DNA natifs. Une hypergam-maglobulinémie polyclonale est fréquente pendantles poussées.

■Formes cliniques,

évolution et pronostic

‚ Début

Le début de la MSA peut être dissocié et lesobservations débutant par une fièvre isolée au longcours ne sont pas exceptionnelles. Les signesarticulaires sont fréquemment absents au début dela maladie. La classique triade, fièvre, éruptioncutanée et atteinte articulaire n’est observée quechez un peu moins d’un patient sur deux dans lespremiers mois d’évolution.

‚ Modalités évolutives et pronostic

Dans la forme monocyclique, la maladie serésume à une seule poussée, articulaire etsystémique. Cette poussée peut se prolongerplusieurs semaines ou mois en l’absence detraitement. Environ 25 % des patients ont une telleévolution [1, 3, 5, 9]. Dans les formes intermittentes, lamaladie évolue par poussées successives articulaireset/ou systémiques, entrecoupées de périodes derémission. Le nombre et la sévérité des poussées, etla durée des rémissions sont extrêmementvariables [3]. Environ un tiers des patients présenteune telle évolution [3, 5]. La dernière forme évolutiveest celle d’une maladie articulaire chronique sur

Tableau II. – Principales données biologiques dans la maladie de Still de l’adulte.

Nombre Pourcentage

Vitesse de sédimentation élevée 528/545 96,9Leucocytose≥ 10 000/mm3 543/592 91,7Leucocytose≥ 15 000/mm3 313/517 60,5Polynucléaires neutrophiles≥ 80 % 213/290 73,4Anémie≤ 10g/100 mL 265/400 66,3Plaquettes≥ 400 000 mm3 77/128 60,2Hypoalbuminémie< 35 g/L 234/299 78,3Biologie hépatique perturbée (transaminases) 369/554 66,6Anticorps antinucléaires positifs 40/641 6,2Facteur rhumatoïde positif 28/642 4,4Augmentation des immunoglobulines 93/134 69,4

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laquelle viennent parfois se greffer des pousséessystémiques. Cette forme intéresse un peu moinsd’un patient sur deux [3, 5, 9]. C’est essentiellementdans ces formes qu’apparaissent des destructionsarticulaires.

Le pronostic fonctionnel est essentiellementarticulaire avec la survenue d’une atteintearticulaire destructrice chez environ un tiers despatients. Une étude récente permet cependant detempérer ces inquiétudes [7]. En effet, si la douleur, etl’incapacité fonctionnelle sont plus importantes chezles patients que chez les témoins, les scores observésont tendance à s’améliorer avec l’ancienneté de lamaladie. Malgré tout, environ la moitié des patientsreçoit encore un traitement 10 ans après lediagnostic. Le pronostic vital est parfois mis en jeupar la sévérité des manifestations systémiques ou lasurvenue d’une amylose. Une trentaine de patientsayant une MSA sont décédés du fait de leur maladie.La majorité des décès est en rapport avec uneatteinte hépatique [5, 6]. Une complication infectieusedue à une corticothérapie ou un traitementimmunosuppresseur n’est pas exceptionnelle [1, 4, 6].

■Étiopathogénie

L’étiopathogénie de cette affection demeureinconnue, mais l’hypothèse d’une infection agissantcomme facteur déclenchant de la maladie chez despatients présentant un terrain génétiqueprédisposant est souvent proposée. De tous lesagents infectieux incriminés, c’est le virus de larubéole qui retient le plus l’attention. Cependant,dans une récente étude, il n’a pas été possibled’identifier un facteur de risque infectieux dans ledéclenchement de la maladie [8]. L’antigène HLABw35 pourrait être à la fois plus fréquent et associé àun bon pronostic, mais ces données ont étécontroversées [3, 5].

■Diagnostic

Le diagnostic de la MSA reste difficile en l’absencede tout signe réellement pathognomonique, et denombreuses observations font ainsi état de délaisdiagnostiques très longs. Cette situation aboutit à ladéfinition de critères dont les plus utilisés sont ceuxde Yamaguchi et al [10] qui apparaissent les plussensibles et les plus spécifiques (tableau III). Leproblème le plus difficile est de satisfaire les critèresd’exclusion et d’éliminer les maladies infectieuses,néoplasiques et systémiques pouvant donner untableau clinique proche de celui de la MSA.

■Traitement

‚ Anti-inflammatoires non stéroïdiens

Lorsque l’aspirine est utilisée, le traitement doitêtre réparti en quatre à six prises sur lenycthémère [5, 6]. Il est souvent conseillé d’augmenter

la posologie jusqu’à la dose tolérable la plus élevéepossible, en s’aidant du dosage de la salicylémie (25à 30 mg/100 mL) [9]. Les doses prescrites sont ainsicomprises entre 90 et 130 mg/kg/24h. En dehors del’aspirine, de nombreux AINS ont été utilisés, et c’estl’indométacine qui est la plus fréquemment prescrite,aux doses de 150 à 250 mg/24h [3, 9].

‚ Glucocorticoïdes

Les doses utilisées, de prednisone dans lamajorité des cas, sont comprises entre 0,5 et1 mg/kg/24h, et dépendent de la sévérité dutableau [1, 4, 5, 9]. Dans quelques observations, desbolus de méthylprednisolone ont été prescrits [3, 6, 9].L’efficacité des corticoïdes est en généralspectaculaire mais ils n’empêchent pas laprogression des lésions érosives [9]. Après unmaintien de la dose initiale pendant 4 à 6 semaines,la corticothérapie est diminuée en quelquessemaines jusqu’à une dose de 15 à 20 mg/24h deprednisone, en deçà de laquelle la décroissance serabeaucoup plus lente [5, 9].

‚ Traitements dit « de fond »

De nombreuses observations sont venuesconfirmer l’intérêt du méthotrexate (MTX) prescrit àfaibles doses hebdomadaires (7,5 à 15 mg/semaine).Ce traitement, même lorsqu’il est efficace,n’empêche pas totalement la survenue despoussées, et son rôle essentiel est de permettre unediminution de la corticothérapie [3]. Une réponsetotale ou partielle au MTX est observée dans 70 %des cas environ. L’existence de perturbations desfonctions hépatiques n’est pas une contre-indicationà l’emploi du méthotrexate, mais justifie unesurveillance renforcée du bilan hépatique [9]. Lesautres traitements de fond sont habituellementemployés dans les formes articulaires chroniques :

sels d’or, D-pénicillamine, tiopronine, antimalariques,salazopyrine, dapsone ou colchicine. La sévérité dela MSA conduit parfois à la prescriptiond’immunosuppresseurs : cyclophosphamide,azathioprine ou chlorambucil. Les immunoglobu-lines intraveineuses, utilisées chez quelques patients,ont paru efficaces et peu toxiques.

‚ Traitement local des manifestationsarticulaires

Le traitement fait souvent appel aux infiltrationsou aux synoviorthèses. La mise en place d’uneprothèse de hanche ou de genou est parfoisnécessaire.

‚ Indications thérapeutiqueset surveillance du traitement

Le traitement de première intention doit reposersur les AINS en évitant à notre avis l’aspirine, qui n’apas démontré clairement une plus grande efficacité,mais dont l’utilisation est plus délicate, surtout auxdoses préconisées. Chez environ 70 % des patients ilest nécessaire de recourir à une corticothérapie dontla dose initiale dépend de la gravité desmanifestations. C’est dans les formes corticorésis-tantes ou corticodépendantes que le MTX à faiblesdoses hebdomadaires trouve son indication idéale.Les autres traitements de fond pourraient être utilesdans les formes articulaires chroniques. Laprescription des immunosuppresseurs doit resterdu domaine de l’exception. L’utilisation des AINSnécessite une surveillance du bilan biologiquehépatique, d’autant plus rapprochée qu’il existe desanomalies avant le début du traitement. Le contrôlerégulier en début de traitement du taux desplaquettes et des tests de coagulation est égalementsouhaitable.

Tableau III. – Critères de classification de Yamaguchi et al[10] pour la maladie de Still de l’adulte.

Critères majeurs1. Fièvre≥39 °C, pendant au moins 1 semaine2. Arthralgies évoluant depuis au moins 2 semaines3. Éruption cutanée typique(a)

4. Leucocytose (au moins 10 000/mm3) avec au moins 80 % de polynucléaires neutrophiles

Critères mineurs1. Douleurs pharyngées2. Adénopathies(b) et/ou Splénomégalie(c)

3. Perturbations du bilan biologique hépatique(d)

4. Absence d’anticorps antinucléaires et de facteur rhumatoïde(e)

Critères d’exclusionI. Infections (tout particulièrement les sepsis et la mononucléose infectieuse)II. Néoplasies (tout particulièrement les lymphomes)III. Maladies systémiques (tout particulièrement la PAN et la PR avec signes extra-articulaires)

Au moins cinq critères sont nécessaires, dont au moins deux critères majeursf en l’absence de tout critèred’exclusion

(a). éruption maculeuse ou maculopapuleuse non prurigineuse, rosesaumon habituellement fugace (contemporaine des poussées fébriles),(b). adénopathiesd’apparition récente et de volume significatif,(c). splénomégalie confirmée par la palpation ou par une échographie,(d). élévation des transaminases et/oudes LDH en rapport avec la maladie, en excluant une toxicité médicamenteuse ou une autre cause,(e).négativité des tests usuels permettant de dépister lesfacteurs rhumatoïdes IgM et les anticorps antinucléaires par immunofluorescence,(f). chacun des critères ne peut être pris en compte qu’en l’absence d’autreexplication.(LDH) lactodéshydrogénase ; (PAN) périartérite noueuse ; (PR) polyarthrite rhumatoïde.

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Jacques Pouchot : Professeur des Universités, praticien hospitalier.Philippe Vinceneux : Professeur des Universités, praticien hospitalier.

Service de médecine interne V, hôpital Louis-Mourier, 178, rue des Renouillers, 92700 Colombes, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : J Pouchot et P Vinceneux. Maladie de Still de l’adulte.Encycl Méd Chir (Elsevier, Paris), Encyclopédie Pratique de Médecine, 5-0440, 1998, 4 p

R é f é r e n c e s

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[3] Masson C, Le Loët X, Lioté F, Renou P, Dubost JJ, Boissier MC et al. Lamaladie de Still de l’adulte. II. Traitement, évolution, facteurs pronostiques.RevRhum Mal Osteoartic1995 ; 62 : 815-824

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Maladies héréditaires

du collagène et du tissu élastique

C Francès

L es fibres de collagène et du tissu élastique forment la charpente fibrillaire du tissu conjonctif de nombreuxorganes. Avec deux autres familles de macromolécules, elles constituent la matrice intercellulaire des

organismes pluricellulaires (les protéoglycanes et les glycoprotéines de structure).Seules sont étudiées dans ce chapitre les maladies où l’altération majeure porte sur le collagène et/ou le tissuélastique. Les progrès récents de la biologie moléculaire ont permis l’identification d’anomalies géniques dansnombre de ces affections [2].© Elsevier, Paris.

■Syndrome d’Ehlers-Danlos

Décrit dès 1682 par Job Van Meeckeren, lesyndrome d’Ehlers-Danlos (SED) [1, 3] regroupe desmaladies génétiques ayant en commun unehyperélasticité cutanée, une hyperlaxité articulaire etune fragilité tissulaire en rapport avec des altérationsdu collagène. Plus de dix types distincts ont étéindividualisés sur des critères cliniques oubiochimiques.

Les manifestations cliniques peuvent êtreprotéiformes : évidentes ou plus discrètes, mises enévidence par un examen clinique minutieux, dediagnostic parfois difficile en l’absence d’anomaliebiochimique décelable.

‚ Manifestations dermatologiques

Hyperélasticité cutanée

La peau se laisse étirer de façon excessive (fig 1)puis, relâchée, elle revient aussitôt en positionnormale, contrairement aux peaux atrophiques oùle pli cutané augmenté se maintient longtemps.

Elle est parfois évidente, à l’origine de clowneriesattractives. Ailleurs, elle demande à être recherchéeavec soin, à la face antérieure des cuisses, à la facepostérieure des bras ou sur les joues. L’aspect cutanéest théoriquement normal, la peau douce et fine.

Fragilité cutanée

La fragilité dermique ou dermatorrhexie estresponsable de déchirures au moindre traumatisme,de retard de cicatrisation, de cicatrices disgracieuses.Elle rend les sutures difficiles. Les cicatricescaractéristiques atrophiques, en « pelures d’oignon »

plissées, pigmentées ou leucodermiques (fig 2),prédominent dans les zones les plus exposées auxtraumatismes : genoux, face antérieure de jambes,coudes, front... Parfois, les cicatrices sont saillantes,pseudomolluscoïdes, formant des bourreletsbrunâtres dépressibles comparés à des grains deraisin vidés de leur contenu.

De nombreuses autres manifestationsdermatologiques ont été décrites au cours du SED :atrophie cutanée généralisée, spécifique du type IV,papules xanthomatoïdes, nodules profonds de petitetaille, calcifications profondes, ecchymoses ethématomes liés à la fragilité vasculaire.

‚ Manifestations rhumatologiques■ L’hyperlaxité articulaire, parfois modérée, est

objectivée par la possibilité de dorsiflexion passivedu cinquième doigt à plus de 90° sur la main,d’apposition passive du pouce sur la face de flexionde l’avant-bras (fig 3), d’hyperextension des coudes

ou des genoux au delà de 10°, de flexion du troncavec les mains à plat sur le sol sans flexion desgenoux.

1 Hyperélasticité cutanée chez un malade ayant unsyndrome d’Ehlers-Danlos de type I.

2 Cicatrices atrophiques en « pelures d’oignon »,témoins de la fragilité cutanée chez un malade ayantun syndrome d’Ehlers-Danlos de type I.

3 Hyperlaxité articulaire du poignet chez un maladeayant un syndrome d’Ehlers-Danlos de type III.

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L’hyperlaxité s’accompagne parfois d’uneinstabilité avec luxations multiples souventspontanément réductibles, d’entorses récidivantes,d’épanchements articulaires, voire d’hémarthroses,de spondylolisthésis avec risque de compressionmédullaire. Certaines articulations (hanche et coude)s’enraidissent progressivement du fait dudéveloppement d’une arthrose secondaire.

■ Une ostéoporose a été décrite.

‚ Fragilité vasculaire

■ La fragilité vasculaire cutanée ou muqueuse,fréquente, est à l’origine d’hématomes après untraumatisme insignifiant ou d’épistaxis. Elle n’a pasde signification pronostique. Il en est de même desvarices dues à une insuffisance pariétovalvulaire.

■ En revanche, la fragilité vasculaire des grosvaisseaux (aorte, artères viscérales, artèrescérébrales, artères des membres), essentiellementobservée dans le type IV, conditionne le pronosticvital. Elle est à l’origine de catastrophes artériellesmult iples , responsables de mort subite ,d’hématomes, d’hémorragies, d’anévrismes, defistules artérioveineuses. Une très grande prudenceest alors nécessaire quant aux indicationsd’éventuelles interventions chirurgicales oud’investigations paracliniques comportant uneponction artérielle.

‚ Manifestations oculaires

■ L’atteinte annexielle conduit à l’éversementfacile de la paupière supérieure, à un strabisme avecépicanthus, à un ptosis.

■ L’atteinte du globe oculaire, plus grave, peutretentir sur la vision. Elle donne un amincissementdes membranes, avec sclérotiques bleues, unkératocône, un relâchement du ligament suspenseurdu cristallin responsable de subluxation, unedégénérescence de la lame vitrée de la choroïdeavec stries angioïdes, des hémorragies ou desdéchirures des enveloppes oculaires pouvantentraîner des décollements parcellaires de la rétine,une dégénérescence maculaire.

‚ Manifestations digestives

La fragilité et la distensibilité des parois du tubedigestif peuvent être responsables de prolapsusrectal, de dilatations des différents segments du tubedigestif (méga-œsophage, atonie gastrique,mégaduodénum avec ou sans malabsorption liée àune pullulation microbienne, mégacôlon...) et dediverticuloses (gastrique, colique, vésiculaire...).

Les hernies sont fréquentes, favorisées parl’hypotonie de la paroi musculaire abdominale.

Les ruptures digestives, en particulier les coliques,souvent itératives lors de simples efforts dedéfécation et les hémorragies graves sont surtout àcraindre dans le type IV.

‚ Autres manifestations viscérales

Les études échocardiographiques systématiquesont mis en évidence la fréquence d’un prolapsusvalvulaire mitral. D’autres anomalies sont possibles :prolapsus tricuspidien, sténose des valves aortiqueset pulmonaires, dilatation du sinus de Valsalva, de la

crosse de l’aorte ou des artères pulmonaires,communication interauriculaire, tétralogie de Fallot,troubles de la conduction auriculoventriculaire etintraventriculaire.

D’autres manifestations viscérales sont décrites,témoignant toutes de la déficience du tissuconjonct i f dans les organes intéressés :pneumothorax spontané, pneumomédiastin,dilatation des bronches, diverticulose vésicale, chutedes dents (type VIII), prolapsus génital...

‚ Syndrome d’Ehlers-Danlos et grossesse

Des complications maternelles graves du SEDsont surtout à redouter dans les types I et IV,particulièrement dans la période du pré- ou dupost-partum, avec de sévères hémorragies. Dans leSED de type IV, ce risque obstétrical est considérable,avec 10 à 25 % de mortalité par rupture intestinale,utérine ou vasculaire.

Ailleurs, les incidents sont moins dramatiques :accentuation de l’instabilité articulaire ou de varicesdes membres inférieurs, insuffisance cervicalepouvant conduire à un avortement ou à unaccouchement prématuré, déchirures périnéales,élargissement de cicatrices d’épisiotomie, prolapsusutérins ou vésicaux...

Les complications fœtales comprennentessentiellement une rupture précoce desmembranes si le fœtus est atteint et une prématurité,très fréquente dans le type I. Une présentation par lesiège peut conduire à une luxation de hanche ou àune atteinte du plexus brachial.

‚ Hétérogénéité du syndromed’Ehlers-Danlos

De nombreuses formes de SED ont étéindividualisées sur des bases cliniques, génétiquesou biochimiques. Actuellement, la nomenclaturedécidée en 1986 à Berlin est encore largementutilisée, identifiant neuf types différents [2]. Lesanciens types IX et XI ont été exclus de cetteclassification (tableau I). De nombreux chevauche-ments existent entre ces types, et la classificationprécise d’un malade est souvent très difficile, surtouten l’absence d’études biochimiques difficilementréalisables et coûteuses. Les trois premiers typessont les plus fréquents, représentant 80 % des cas.

Syndrome d’Ehlers-Danlos type I (grave)

L’hyperélasticité, la fragilité cutanée etl’hyperlaxité articulaire sont importantes, avec denombreuses cicatrices atrophiques et descomplications de l’hyperlaxité. Les atteintesviscérales sont fréquentes : squelettiques (pieds plats,scoliose...), cardiovasculaires, gastro-intestinales(multiples hernies) et oculaires. Les malades ontparfois un visage particulier avec épicanthus,

Tableau I. – Caractéristiques des principaux types de syndromes d’Ehlers-Danlos (SED).

Type Dénomination Anomalie biochimique Mode detransmission

SED I Grave Inconnue AD

SED II Moyenne Inconnue AD

SED III Hypermobile Inconnue AD

SED IV Vasculaire Anomalies variées du collagène III HétérogèneIV-A Acrogérique ADIV-B Acrogérique ARIV-C Ecchymotique ADIV-D Autres

SED V Lié à l’X Déficit inconstant en lysyloxydase Lié à l’X

SED VI Oculoscoliotique ARVI-A Déficit lysyl-hydroxylaseVI-B Lysyl-hydroxylase normale ?

SED VII Arthrochalasie HétérogèneMultiple congénitale

VII-A Anomalie de la chaîne pro-α1 (I) du collagène ADVII-B Anomalie de la chaîne pro-α2 (I) du collagène ADVII-C Déficit de la N-protéinase du procollagène I ? AR

SED VIII Périodontique Inconnue AD

SED IX Éliminé Actuellement classé dans les maladies dutransport du cuivre

Lié à l’X

SED X Anomalie de la fibronectine AR

SED XI Éliminé Actuellement classé dans les syndromesfamiliaux d’hypermobilité articulaire

AD : autosomique dominant ; AR : autosomique récessif.

Un diagnostic prénatal par étude del’acide désoxyribonucléique (ADN) oudes protéines n’est théoriquementpossible que dans les types de SEDavec anomalies biochimiquescaractérisées mais n’est pas encore depratique courante.

5-0430 - Maladies héréditaires du collagène et du tissu élastique

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hypertélorisme et grandes oreilles. Aucune anomaliebiochimique n’a été mise en évidence. Un défaut del’assemblage des fibres et des fibrilles de collagène aété évoqué sans être démontré. La transmission estautosomique dominante.

Syndrome d’Ehlers-Danlos type II (moyen)

L’hyperélasticité et la fragilité cutanée sont plusmodérées. L’hyperlaxité est limitée aux mains et auxpieds. Les atteintes viscérales sont beaucoup plusrares. Il n’y a pas de risque de prématurité en cas degrossesse. Le défaut biochimique est inconnu et latransmission autosomique dominante.

Syndrome d’Ehlers-Danlos type III(hypermobile)

Les manifestations cutanées sont minimes,contrastant avec une hyperlaxité importante etgénéralisée sans déformation squelettique.

Le défaut biochimique est inconnu et latransmission autosomique dominante. Le diagnosticpeut être difficile avec le SED de type VII, différent dutype III du fait de la stature, d’une micrognathie etdes anomalies biochimiques. Le syndromed’hypermobilité articulaire familiale est égalementtrès proche du SED de type III ; il en diffère parl’absence d’atteinte cutanée.

Syndrome d’Ehlers-Danlos type IV(ecchymotique ou artériel de Sack et Barabas)

À la différence des autres types de SED,l’hyperélasticité cutanée et l’hyperlaxité articulairesont absentes ou modérées. Le diagnostic estévoqué devant la finesse de la peau, dont latransparence rend visible le réseau veineuxsous-jacent (fig 4) . Il existe une tendanceecchymotique avec un retard à la cicatrisation desplaies. Dans la forme acrogérique, l’aspect du visageest particulier avec un nez fin et pincé, des lèvresminces, des joues creuses, des yeux proéminents. Lapeau des mains et des pieds est alors particuliè-rement amincie et flétrie, avec disparition du tissuadipeux sous-cutané.

Les complications vasculaires et digestivesdominent le pronostic : décès précoce par ruptureartérielle spontanée ou traumatique, perforationintestinale ou hémorragie digestive.

Le diagnostic est essentiellement clinique.Le dosage du propeptide aminoterminal du

procollagène de type III, indicateur de la synthèse du

procollagène de type III, a une mauvaise sensibilitémais une grande spécificité lorsqu’il est effondré.

L’analyse moléculaire du gène du collagène detype III (COL3A1), localisé sur le bras long duchromosome 2, a permis de caractériser plus d’unevingtaine de mutations.

La transmission du SED de type IV estessentiellement autosomique dominante.

Syndrome d’Ehlers-Danlos type VI(oculoscoliotique)

Il s’agit d’une forme sévère, proche du type I, avechyperélasticité cutanée, hyperlaxité articulairesévère, possibilité de ruptures vasculaires artérielles.S’y associent une cyphoscoliose, souvent présente àla naissance et s’aggravant avec l’âge, unehypotonie musculaire et des signes oculaires(microcornée, myopie, fragilité oculaire conduisant àdes décollements de rétine ou à des ruptures duglobe oculaire pour des traumatismes mineurs).

Syndrome d’Ehlers-Danlos type VIII(péridontal)

Il s’agit d’une forme rare, de transmissionautososmique dominante, caractérisée cliniquementpar une chute des dents lors de la troisièmedécennie, avec résorption alvéolaire.

‚ Traitement

Il n’y a malheureusement pas de traitementsatisfaisant de ces affections, et aucun protocole dethérapie génique n’est actuellement envisagé.L’intervention médicale est limitée au traitementsymptomatique, aux mesures prophylactiques et auconseil génétique.

La majorité des SED sont bénins, ne contre-indiquant pas les interventions chirurgicales. Dansles formes sévères, en particulier dans les types I etIV, celles-ci sont à discuter au cas par cas, en fonctionde leur risque.

■Pseudoxanthome élastique

ou élastorrhexie systématisée [3, 12]

‚ Manifestations dermatologiques

Elles sont caractéristiques par leur aspect et leurlocalisation mais ne révèlent qu’exceptionnellementl’affection.

Les grands plis de flexion sont préférentiellementatteints : faces latérales du cou, aisselles, plis du

coude, région inguinale, creux poplités, mais aussi larégion périombilicale et les anciennes cicatrices.

Habituellement bilatérales et symétriques, leslésions se présentent soit sous la forme de papulesjaunâtres, donnant à la peau un aspect quadrillé oude « peau d’oie plumée » (fig 5), soit sous la formed’épaississement cutané homogène avec une peaulâche, pâteuse, ayant perdu son élasticité (fig 6).

L’étendue des lésions cutanées, très variable d’unmalade à l’autre, ne permet pas de présumer del’extension des lésions viscérales. Certaines atteintesdermatologiques infracliniques ne sont mises enévidence que par l’examen anatomopathologiquesystématique d’un pli de flexion ou d’une anciennecicatrice. Des localisations muqueuses micronodu-laires ont été rapportées dans la bouche et lesmuqueuses vaginale, rectale et gastrique.

À la nuque ou dans les zones exposées, lediagnostic peut se rapprocher d’une élastose solaired’aspect voisin, mais habituellement absente dansles aisselles.

‚ Manifestations oculairesElles sont très fréquentes, présentes dans environ

90 % des cas.Les stries angioïdes, secondaires à la déchirure de

la membrane élastique de Bruch, sont souventasymptomatiques, variables dans leur nombre, leuraspect, leur couleur. Ce sont des craqueluresvolontiers bilatérales, roses, rouges ou grises, parfoisanastomotiques, situées derrière le réseauvasculaire, rayonnant à partir d’un anneau grisâtreentourant la papille. Si elles sont hautementévocatrices d’élastorrhexie systématisée, elles ne luisont pas spécifiques, pouvant être détectées aucours d’autres affections du tissu conjonctif, de lamaladie de Paget, d’hémoglobinopathies,d’anomalies du métabolisme phosphocalcique oude purpuras thrombopéniques immunologiques...

4 Atrophie cutanée laissant voir le réseau veineuxsous-jacent chez une malade ayant un syndromed’Ehlers-Danlos de type IV.

L’histologie cutanée est évocatricesans être spécifique :✔ hypoplasie du collagène avec desfibres élastiques paraissantaugmentées et horizontalisées ;✔ dilatation du réticulumendoplasmique granuleux ;✔ fibroblastes visibles enélectronique ;✔ anomalies de l’immunomarquagepar les anticorps anticollagène detype III.

5 Papules jaunâtres des aisselles chez une maladeayant un pseudoxanthome élastique.

6 Épaississement cu-tané homogène avec peaulâche, pâteuse, des aissel-les chez une malade ayantun pseudoxanthome élas-tique.

Maladies héréditaires du collagène et du tissu élastique - 5-0430

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Les lésions choroïdorétiniennes, généralementplus tardives mais plus graves fonctionnellement,sont à l’origine d’une pigmentation donnant à larégion maculaire un aspect sombre et granité en« peinture pochée », d’hémorragies et d’exsudats puisde plages cicatricielles blanchâtres parsemées oubordées de pigment noir.

L’évolution des lésions oculaires est lente etprogressive, avec des poussées parfois déclenchéespar des hémorragies ou une grossesse, aboutissant àune dégradation de la vision.

‚ Manifestations vasculaires

Les artères de moyen ou de petit calibre sontpréférentiellement touchées, donnant destableaux cliniques d’oblitération artérielle oud’hémorragie. Leur apparition chez un sujet jeunedoit faire évoquer une pathologie du tissu conjonctif.

L’atteinte artérielle des membres prédomine surles artères distales. Les manifestations fonctionnellessont exceptionnelles du fait de l’évolution lente deslésions permettant le développement d’unecirculation collatérale efficace. Les pouls distaux sontsouvent diminués ou abolis, et des calcificationsartérielles sont visibles sur les clichés sanspréparation. L’artériographie, quand elle estpratiquée, révèle une artériopathie diffuse avec unediminution parfois étagée des calibres artérielspouvant conduire à l’oblitération complète.

L’atteinte coronarienne, souvent silencieuse, semanifeste parfois par des douleurs de typeangineux, associées ou non à des anomaliesélectriques ou à des calcifications coronariennes. Lesinfarctus sont plus rares.

L’atteinte cardiaque est le plus souventasymptomatique, avec fréquemment un prolapsusmitral. Des insuffisances et des rétrécissementsaortiques ou mitraux et des fibroses endomyocar-diques ont également été signalés.

Les accidents cérébroméningés ischémiques ouhémorragiques sont une des causes de décèsprécoce. Là encore, des calcifications accompagnentvolontiers l’atteinte artérielle, notamment au niveaudu siphon carotidien.

L’hypertension artérielle est plus fréquente quedans la population générale. Elle est rarement liée àune atteinte artérielle rénale spécifique. Elle doit êtredépistée et traitée précocement, car elle aggrave lesautres atteintes vasculaires et majore le risquehémorragique cérébral ou digestif.

L’atteinte des artères digestives se traduit plussouvent par des hémorragies que par des lésionsischémiques. Les hémorragies prennent l’aspect demelaena, ou surtout d’hématémèses parfoisabondantes ou récidivantes , apparaissantvolontiers avant 30 ans. Les explorationsendoscopiques ou l’intervention révèlent deshémorragies diffuses de la muqueuse, éventuel-lement un granité jaunâtre, exceptionnellement uneulcération. La biopsie gastrique met inconstammenten évidence des altérations du tissu élastiquevasculaire avec constitution de microanévrismes etde calcifications.

‚ Autres manifestations

Les autres manifestations viscérales sont rares,habituellement en rapport avec une atteinteartérielle responsable notamment de métrorragiesou d’hématuries.

Le tissu élastique pulmonaire est généralementrespecté.

Le pseudoxanthome élastique (PXE) retentit peusur le déroulement des grossesses : discrèteaugmentation du risque de fausses couches dans lepremier trimestre et d’une souffrance fœtale en finde grossesse. La grossesse favorise les hémorragiesdigestives.

‚ Anatomopathologie

L’aspect anatomopathologique est évocateur dufait d’un nombre important de fibres élastiquespathologiques situées dans le derme moyen etprofond. Ces fibres sont épaissies, granuleuses,fragmentées, « enchevêtrées en fil de fer barbelé ». Leréseau élastique du derme superficiel est respecté.Des dépôts calciques, parfois importants, sont mis enévidence par la réaction de von Kossa, ou par l’étudeultrastructurale [3, 4]. En microscopie électronique, lesfibres élastiques apparaissent fragmentées,granuleuses, lacunaires, riches en inclusions densesaux électrons.

Au niveau des artères, des altérations voisinessont observées dans la média, associées à unépaississement de l’intima, une rupture de lalimitante élastique interne et une sclérose del’adventice. Ces altérations sont beaucoup moinsspécifiques que celles des lésions cutanées.

‚ Génétique

L’existence de phénotypes partiels de PXE, avecuniquement des lésions ophtalmologiquesinfracliniques et/ou des anomalies histologiquescutanées, explique la difficulté des étudesgénétiques [6] et l’incertitude quant à la prévalenceexacte du PXE, estimée, suivant les auteurs, de1/40 000 à 1/1 000 000 [12]. Il s’agit en tout état decause d’une affection hétérogène de transmissionplus souvent autosomique récessive qu’autoso-mique dominante.

‚ Traitement

Il est symptomatique. Un geste de chirurgieréparatrice peut être proposé en cas de gêneesthétique. Une photocoagulation au laser estindiquée sur les néovaisseaux choroïdiensresponsables de la dégénérescence maculaire. Desmesures préventives sont indispensables, enparticulier l’évitement de l’irradiation solaire et lecontrôle de tous les facteurs de risque vasculaire.

■Maladie de Marfan [3, 8]

La maladie de Marfan est la dystrophiehéréditaire du tissu conjonctif la plus fréquente. Ils’agit habituellement d’une affection autosomiquedominante, apparaissant comme sporadique dans15 à 25 % des cas.

‚ Manifestations ostéoarticulaires

Un morphotype particulier permet d’évoquer lediagnostic dès la naissance ou au cours de lapremière enfance. Les malades sont grands,longilignes, avec un allongement excessif desmembres (dolichosténomélie) prédominant à leurextrémité. Les mains et les pieds allongés sont deplus décharnés, déformés en « pattes d’araignée »(arachnodactylie). Radiologiquement, les os desmembres sont anormalement longs, les diaphyses etles épiphyses grêles. Les vertèbres sacrées peuventêtre érodées par une ectasie durale. Le thorax estpresque constamment déformé en carène, enentonnoir, en « bréchet de pigeon ». D’autresmanifestations sont fréquentes : scoliose, diminutionde la cyphose dorsale, voûte palatine ogivale,hyperlaxité ligamentaire...

‚ Manifestations cardiovasculaires

Présentes dans 95 % des cas, elles sont àrechercher systématiquement du fait de leur gravité(90 % des décès). L’insuffisance aortique, ladissection et la rupture aortique sont les principalescauses de décès précoces.

Une dilatation de l’aorte ascendante, localisée oudiffuse, serait présente dans 80 % des cas,habituellement sous-estimée par la radiographiethoracique de face car se projetant sur la silhouettecardiaque. Elle est évaluée et surveillée par uneéchographie annuelle. Le risque d’insuffisanceaortique, de dissection ou de rupture aortique,augmente avec la diffusion et le degré de ladilatation aortique. La pratique d’un scanner et/oud’une imagerie par résonance magnétique (IRM) del’aorte thoracique, tous les 2 ans, est égalementindispensable à la recherche d’un autre siège dedilatation aortique moins fréquent.

Un prolapsus affectant les deux feuillets mitrauxest présent chez 60 à 80 % des malades, avecépaississement de type myxoïde et risqued’évolution vers une insuffisance mitrale.L’association à un prolapsus tricuspidien estfréquente.

Plus rare est la survenue de dilatationsanévrismales ou de dissections sur le réseau artérielpulmonaire ou les autres artères de gros ou moyencalibre.

‚ Manifestations oculaires

Les signes ophtalmologiques, présents dans 60 à90 % des cas, sont parfois révélateurs. La

Trois signes évoquant le diagnostic✔ L’envergure totale, bras et mainsécartés à l’horizontale, dépasse lataille de 15 à 20 cm.✔ Le troisième doigt a une longueursupérieure à une fois et demie cellede son métacarpien.✔ Du fait de sa longueur et del’hyperlaxité articulaire, le pouceplié dépasse nettement du poingfermé.

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subluxation du cristallin, liée à l’insuffisance duligament suspenseur, habituellement bilatérale etsymétrique, est initialement asymptomatique, puiss’associe à une diminution de l’acuité visuelle. Elledoit être systématiquement recherchée par unexamen à la lampe à fente. Elle peut se compliquerde glaucome aigu ou chronique, de décollementrétinien et de cécité. Une myopie, un allongement duglobe oculaire, une cataracte, une coloration bleutéedes sclérotiques ou un kératocône peuventégalement être observés.

‚ Manifestations du système nerveuxcentral

Les anomalies ostéoneuroméningées lombosa-crées font à présent partie des critèresdiagnostiques considérés comme les plusspécifiques. Elles doivent être recherchéessystématiquement par scanner et/ou IRM [11]. Uneectasie durale serait présente chez deux tiers desmalades, correspondant à une expansion du sacdural résultant de la pression du liquidecéphalorachidien sur une séreuse anormalementélastique. La localisation en est essentiellementsacrée, du fait d’une forte pression sous-arachnoïdienne à ce niveau. L’évolution peut se fairevers une érosion vertébrale lombosacrée, un kystearachnoïdien, plus rarement vers un méningocèlepelvien antérieur. Ces lésions, le plus souventasymptomatiques, peuvent se manifester par unecompression des organes de voisinage, voire uneméningite, après rupture spontanée ou fistulisationdans le rectum.

‚ Manifestations cutanées

Des vergetures sans cause évidente sont parfoisprésentes dans des localisations atypiques(pectorales, deltoïdiennes ou sur les cuisses). Deshernies inguinales ou sur des cicatrices sontsignalées.

‚ Autres manifestations

Les pneumothorax spontanés et les lésionsemphysémateuses apicales résultent de la fragilitédu tissu conjonctif pleural et interalvéolaire. Unediverticulose digestive est parfois notée.

‚ Anatomopathologie

Au niveau des artères, la média est préférentiel-lement touchée avec des fibres élastiquesdisloquées, hyperplasiées et une perte de cohésiondes fibres musculaires lisses. Des zones lacunairespseudokystiques sont remplies d’une substanceprenant les colorations des protéoglycanes (bleualcian, bleu de toluidine). L’examen histologique desvalvules cardiaques révèle également cettedégénérescence fibromyxoïde non spécifique.

Dans la peau, le réseau élastique papillaire estraréfié alors que les fibres élastiques du dermemoyen et profond sont nombreuses et irrégulières.

‚ Diagnostic

Évident dans les cas typiques, le diagnostic estplus difficile dans les formes paucisymptomatiques,notamment en l’absence d’antécédent familial. Une

réunion internationale d’experts a établi, en 1986,une liste de critères diagnostiques avecindividualisation de critères majeurs (tableau II).

‚ Physiopathologie

Une liaison génétique a été clairement établieentre plusieurs familles de maladie de Marfan et undes gènes des fibrillines (famille de glycoprotéinesassociées à l’élastine) situé sur le chromosome 15 [7].Dans ce gène (FBN1), plusieurs mutations ont étécaractérisées. Toutefois, les mutations de FBN1 nesont pas constamment retrouvées au cours de lamaladie de Marfan. Par ailleurs, elles peuvent êtreégalement observées au cours de syndromesapparentés de pronostic différent (anévrismeaortique familial ou ectopia lentis). La traductionbiochimique de ces mutations est variable avec desmodifications de la synthèse, de la sécrétion, del’incorporation de la fibrilline dans le milieuextracellulaire ou avec fibrilline apparemmentnormale [7]. Les progrès considérables de lagénétique moléculaire devraient permettre, dans lesprochaines années, d’affiner la corrélation entrephénotype, génotype et anomalies biochimiques, dedépister les sujets asymptomatiques, et de proposerun conseil génétique.

‚ Traitement

L’utilité d’un traitement bêtabloquant dans laprévention des complications aortiques, principalecause de décès, est démontrée, depuis lapublication récente d’une étude randomiséecomprenant 70 malades présentant une maladiede Marfan, avec une dilatation minime à modéréede l’aorte ascendante [10]. La progression dudiamètre mesuré/diamètre théorique et le nombred’événements cliniques (décès, insuffisancecardiaque ou aortique, dissection aortique ouchirurgie cardiovasculaire) étaient moins importantsdans le groupe traité. Le mode d’action desbêtabloquants semble plus complexe que la seuleréduction de la pression artérielle. Aussi, cette étudeincite à débuter très précocement l’administrationd’un traitement bêtabloquant au long cours. Unesurveillance est indispensable, par échographie,scanner et/ou IRM. Étant donnée la corrélation entrele risque d’insuffisance aortique ou de dissectionaortique et la taille de la racine de l’aorte, un gestechirurgical préventif est actuellement proposé chezles malades dont le diamètre initial aortiquedépasse 60 mm, voire 55 mm. Ce geste associe unremplacement valvulaire aort ique et unremplacement prothétique de l’aorte ascendante. Lachirurgie de l’insuffisance mitrale fait actuellementplus volontiers appel à une réparation par plastieplutôt qu’au remplacement prothétique.

Le danger maternel de la grossesse dépendsurtout de l’importance des manifestationscardiovasculaires avant le début de celle-ci [5]. Si ladilatation aortique ne dépasse pas 40 mm etl’atteinte cardiaque est minime, le risque est limité,mais jamais nul. Ailleurs, il existe un risque dedissection justifiant une surveillance étroite paréchographie transœsophagienne, un traitementchirurgical en début de grossesse si l’anneauaortique dépasse 55 mm, l’utilisation prophylactiquede bêtabloquants (métoprolol, aténolol) avecanticipation de leurs effets secondaires sur l’enfant(retard de croissance, bradycardie, hypoglycémie,

Tableau II. – Critères diagnostiques du syn-drome de Marfan[2].

Anomalies squelettiques

Érosions des vertèbres sacrées par une ectasieduraleDéformation du thorax en carène (pectus carina-tum)DolichosténomélieArachnodactylieScolioseDiminution de la cyphose dorsaleDéformation du thorax excavé (pectus excavatum)Grande tailleHyperlaxité ligamentaire

Anomalies oculaires

Subluxation du cristallinGlobe oculaire allongéDécollement de la rétineMyopie

Anomalies cardiovasculaires

Dilatation de l’aorte initialeDissection aortiqueInsuffısance aortiqueProlapsus tricuspidienInsuffısance mitraleDilatation de l’anneau mitralEndocarditeProlapsus valvulaire mitralArythmies

Anomalies pulmonaires

Pneumothorax spontanéBulles d’emphysème apical

Anomalies cutanées

Vergetures (sans autre cause évidente)Hernie sur cicatriceHernie inguinale

Anomalies du système nerveux central

Méningocèle pelvien antérieurEctasie duraleTroubles neuropsychiques (troubles de l’apprentis-sage, hyperactivité, troubles de l’attention)

Les manifestations sont classées suivant leur spécificité. Celles qui figurenten gras, considérées comme les plus spécifiques, constituent les critèresmajeurs.

En l’absence de maladie de Marfantypique chez un parent proche, lediagnostic ne peut être retenu que s’ilexiste une atteinte squelettique, uneatteinte cardiovasculaire et uneatteinte d’un autre appareil, avec aumoins un critère majeur. S’il existeune maladie de Marfan chez unparent proche, le diagnostic nerequiert que la présence d’une atteintesquelettique et d’une atteinte d’unautre appareil[2].

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hyperbilirubinémie...), et la pratique systématiqued’une césarienne avant le début du travail [5].

En tout état de cause, il est nécessaire d’interdiretoute activité sportive et de pratiquer uneprophylaxie de l’endocardite bactérienne en casd’insuffisance valvulaire.

■Cutis laxa

Le cutis laxa généralisé est une affectionexceptionnelle, le plus souvent congénitale, parfoisacquise, caractérisée par un aspect dermatologiqueparticulier, et la possibilité de nombreuses lésionsviscérales. Il en existe de nombreuses formes [9] dontla classification est résumée dans le tableau III.

‚ Manifestations dermatologiques

La peau, trop grande pour le revêtement cutané,forme de nombreux plis flasques, mobiles sur lesplans profonds, donnant un aspect de sénilitéprécoce. Ces plis sont particulièrement nets sur levisage, le cou, les épaules, le tronc, la racine desmembres. L’épaisseur cutanée est normale, la peaureste douce au palper mais a perdu complètementson élasticité, avec un pli cutané anormalementgrand et persistant très longtemps. Ces modificationscutanées très disgracieuses sont mal tolérées par lesmalades qui paraissent prématurément vieillis.

‚ Manifestations pulmonaires

L’atteinte pulmonaire est la plus fréquente, surtoutà type d’emphysème panlobulaire précoce etévolutif, avec risque de retentissement cardiaque etde décès précoce. Plus rarement, sont observés despneumothorax, une trachéobronchomégalie, desbronchectasies, une fibrose interstitielle ou desinfections bronchiques chroniques.

Le dosage sanguin d’alpha-1-antitrypsine estnormal ou élevé.

‚ Manifestations cardiovasculaires

Elles sont soit secondaires à l’atteinte pulmonaire,aboutissant à un cœur pulmonaire chronique, soitliées à une atteinte du tissu élastique artériel,localisée principalement sur l’aorte et l’artèrepulmonaire. Sont surtout observées : des sténosesartérielles pulmonaires ou des ectasies aortiquespouvant éventuellement se rompre. Descommunications interventriculaires ont étéégalement rapportées.

‚ Manifestations digestives

Elles ne mettent généralement pas en jeu lepronostic vital et témoignent de la diffusion del’atteinte du tissu élastique. Elles sont responsablesessentiellement de diverticuloses sur tout le tubedigestif, le plus souvent asymptomatiques en dehorsd’hémorragies, mais aussi de hernies diaphragma-tiques, d’ulcères gastriques, de sténoses du pylore, deprolapsus rectaux, d’anomalies de positionnementcolique. Le tube digestif est parfois engagé dans deshernies pariétales.

‚ Autres manifestations

Des diverticules vésicaux, une hydronéphrose parsténose de la jonction vésico-urétérale, desprolapsus génitaux, une hyperlaxité articulaire, uneluxation congénitale de hanche, une rupture dutendon rotulien, un palais ogival, un ectropionbilatéral, peuvent être occasionnellement associésaux autres manifestations cliniques du cutis laxa.

Les dépressions, fréquentes, sont liées à un aspectphysique difficile à assumer psychologiquement.

‚ Anatomopathologie

Quel que soit l’organe prélevé, il existe unediminution des fibres élastiques. Dans la peau, leréseau élastique, absent du derme superficiel,persiste sous la forme de quelques amas de fibresépaisses et granuleuses dans le derme profond. Lesétudes ultrastructurales confirment la raréfaction dutissu élastique avec des anomalies variées del’élastine et/ou des microfibrilles. Le collagène estnormal ou altéré avec une irrégularité du diamètrede ses fibres.

‚ Génétique-physiopathologie

Les cutis laxa héréditaires sont transmis sur unmode autosomique dominant, autosomique récessifou récessif lié à l’X (tableau III). Les lésions viscéralessont plus fréquentes et graves dans les formesautosomiques récessives. Le blépharochalasis estune forme localisée d’apparition tardive, à partir del’adolescence, caractérisée par une ptose despaupières supérieures, avec raréfaction des fibresélastiques. L’association de cette ptose à undédoublement de la lèvre supérieure définit lesyndrome d’Ascher.

Les cutis laxa acquis peuvent être soit primitifs,soit secondaires. Les formes secondairesapparaissent à la suite d’une dermatose, le plussouvent aiguë (érythémateuse, urticarienne,

vésiculeuse, bulleuse, nodulaire...), ou sont enrapport avec une amylose éventuellement associéeà un myélome, avec infiltration cutanée par lasubstance amyloïde.

Plusieurs hypothèses ont été émises quant à laphysiopathologie de ces maladies, aucune n’ayantreçu de confirmation : défaut de synthèse del ’élast ine, anomalies enzymatiques avecaugmentation de l’activité élastasique tissulaire ouhypothèse immunologique, notamment pour lesformes secondaires.

‚ Traitement

Il n’y a pas de traitement médical des cutis laxa endehors des traitements symptomatiques. Lachirurgie plastique est souvent pratiquée du fait de labonne cicatrisation, de l’absence de fragilité cutanéeou d’anomalie de l’hémostase. Les résultats, souventsatisfaisants au début, ne sont pas très durables, d’oùla nécessité d’interventions correctrices itératives.

■Ostéogenèse imparfaite

C’est une ostéopathie génétiquementdéterminée, en rapport avec des anomalies ducollagène de type I de l’os. Ces anomalies sont trèsdiverses d’une famille à l’autre, sans relationévidente avec l’aspect phénotypique [11].

‚ Manifestations osseuses

L’ostéoporose domine la symptomatologieclinique, avec une fragilité osseuse exposant à desfractures quasispontanées. Radiologiquement, ilexiste une hypertransparence diffuse du squelette,avec corticales minces et parfois gracilité des os. Lesvertèbres sont volontiers aplaties ou biconcaves.Suivant le type d’ostéogenèse imparfaite, lesfractures sont plus ou moins précoces, pouvantexister dès la naissance, survenir lors de la marcheou plus tardivement. Elles se consolidenthabituellement de manière satisfaisante, avecparfois un cal très volumineux. Les déformationsosseuses sont surtout observées dans les formessévères en rapport avec des fractures multiples etune malléabilité excessive des os : incurvationexterne des fémurs, incurvation antérieure des tibias(en lame de sabre), tronc court par platyspondylie,saillie sternale, scoliose...

Un défaut d’activité ostéogène du périoste peutêtre à l’origine d’os minces et graciles, avecnotamment un aspect filiforme du péroné. Le défautde croissance en longueur explique la petite tailledes sujets avec de nombreuses lignes transversalesdes os. Dans la forme précoce, l’ossification de lavoûte crânienne peut être défectueuse, avec unaspect en mosaïque des os wormiens. Le bilanphosphocalcique est habituellement normal. Lesphosphatases acalines peuvent être élevées.

‚ Autres manifestations cliniques

La teinte bleu ardoisé des sclérotiques ,caractéristique, est liée à la minceur de la sclère surune choroïde noire (fig 7).

Tableau III. – Classification des cutis laxa.

Cutis laxa héréditaires

Cutis laxa autosomique dominantCutis laxa autosomique récessif type ICutis laxa autosomique récessif type II :- hyperlaxité articulaire- retard du développementGeroderma osteodysplatica :- hyperlaxité articulaire- os wormiens- ostéoporoseSyndrome de de Barsy :- retard mental- opacités cornéennesSyndrome de la corne occipitale lié à l’X :- anciennement syndrome d’Ehlers-Danlos type IXBlepharochalasis

Cutis laxa acquis

Élastolyse primaire généraliséeÉlastolyse généralisé après éruption cutanéeÉlastolyse généralisée avec amylose

Pseudocutis laxa accompagnant des maladieshéréditaires du tissu conjonctif

Syndrome d’Ehlers-DanlosPseudoxanthome élastique

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Dans un tiers des cas il existe une surdité,s’installant généralement entre 20 et 30 ans, enrapport avec des lésions de l’oreille moyenneproches de l’otospongiose, pouvant être amélioréechirurgicalement.

D’autres manifestations témoignent de ladiffusion de l’atteinte collagénique : hyperlaxité etfragilité ligamentaire, fragilité des dents paranomalies de la dentine, peau fine avec ecchymosesfréquentes, hernies...

‚ Hétérogénéité de l’ostéogenèseimparfaite

L’ostéogenèse imparfaite est hétérogène, avecquatre formes principales.

Le type I, le plus classique, correspond à lamaladie de Lobstein, de transmission autosomiquedominante. Les sujets atteints ont une taille normaleou subnormale, avec peu ou pas de déformation desos. La fragilité osseuse est tardive, ne se manifestantqu’après le début de la marche. Les sclérotiques sontbleues. Il existe volontiers une surdité et unehypermobilité articulaire modérée. Un sous-groupeest caractérisé par une dentinogénèse imparfaite.

Le type II, léthal, est de transmission autosomiquedominante, ou plus rarement récessive. La majoritédes enfants atteints sont mort-nés ou meurent dansles semaines qui suivent la naissance. Ils ont demultiples fractures et déformations, avec absencepresque complète d’ossification de la voûtecrânienne et sclérotiques bleues.

Le type III, progressif et déformant, est égalementde transmission autosomique dominante, ou plusrarement récessive. La mortalité infantile est élevée,avec de multiples fractures souvent présentes dès lanaissance, des déformations osseuses progressives,

une cyphoscoliose et une taille petite à l’âge adultechez les survivants. Les sclérotiques sont blanches, lasurdité rare, la dentinogénèse imparfaite commune.

Le type IV, de transmission autosomiquedominante, ressemble au type I, avec dessclérotiques blanches et la possibilité dedéformations très progressives, avec taille plus oumoins petite.

‚ TraitementIl n’y a pas de traitement curatif de l’ostéogenèse

imparfaite. L’efficacité des traitements classiques del’ostéoporose n’est pas démontrée (œstrogènes,androgènes, anabolisants de synthèse, fluorure desodium...). Un traitement chirurgical des fractures estparfois nécessaire, avec nécessité de réduire letemps d’immobilisation au minimum indispensable.Tous les traitements favorisant l’ostéoporose, tellel’héparinothérapie, sont à éviter au long cours.

Camille Francès : Professeur des Universités,service de médecine interne 2, groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière, 47-83, boulevard de l’Hôpital, 75651 Paris cedex 13, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : C Francès. Maladies héréditaires du collagène et du tissu élastique.Encycl Méd Chir (Elsevier, Paris), AKOS Encyclopédie Pratique de Médecine, 5-0430, 1998, 7 p

R é f é r e n c e s

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7 Sclérotiques bleues chez un malade ayant uneostéogenèse imparfaite de type I.

✔ Diminution de la production decollagène de type I dans le type I.✔ Mutations ponctuelles des deuxchaînes de collagène dans les autrestypes.

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Céphalées essentielles

bénignes

H Massiou

L a céphalée est un symptôme extrêmement fréquent ; on estime qu’elle motive plus de 2 % des consultationsde médecine générale. Il importe avant tout de distinguer les céphalées essentielles bénignes, de loin les plus

fréquentes, des céphalées symptomatiques. Le profil évolutif de la céphalée est l’élément capital du diagnosticétiologique, qui repose donc sur l’interrogatoire du patient.© Elsevier, Paris.

■Introduction

Une céphalée récente, d’installation brutale ourapidement progressive, impose la pratiqued’explorations complémentaires en urgence, à larecherche d’une pathologie neurologique organique(tableau I). En revanche, les céphalées chroniquesqui évoluent par crises et les céphalées permanentessont dans la grande majorité des cas des céphaléesdites « essentiel les bénignes ». L’examenneurologique, l ’examen du fond d’œil etl’auscultation craniocervicale sont par définitionnormaux dans les céphalées essentielles bénignes,et les examens complémentaires inutiles lorsque letableau clinique est typique.

■Migraine

‚ Épidémiologie

La migraine est une affection très répandue : elletouche environ 12 % des adultes et prédominenettement chez les femmes, qui sont atteintes deuxà trois fois plus souvent que les hommes [5]. Lamigraine débute tôt dans l’existence, avant 40 ansdans 90 % des cas, et des cas très précoces, dès l’âgede 1 an, ont été rapportés. On évalue à 5 % lepourcentage d’enfants migraineux ; les garçons et

les filles sont touchés dans la même proportionjusqu’à l’âge de 12 ans, puis on observe uneaugmentation rapide du nombre de cas de migrainechez les filles aux alentours de la puberté, ce quiaboutit à la nette prépondérance féminine à l’âgeadulte. Une chute nette de la prévalence s’observeaprès 60 ans.

‚ Clinique

Il existe plusieurs types de crises migraineuses ; lesplus fréquentes sont la migraine sans aura (autrefoisappelée migraine commune) et la migraine avecaura (migra ine accompagnée, migra ineophtalmique).

Migraine sans aura

C’est la plus fréquente des migraines.L’International Headache Society (IHS) en donne unedéfinition précise [4], maintenant utilisée dans tousles travaux concernant cette affection (tableau II). Lacrise est souvent annoncée par des prodromes :troubles de l’humeur, asthénie, somnolence,sensation de faim, constipation. La céphalée atteintson maximum en quelques heures ; elle peutdébuter à n’importe quel moment de la journée, et iln’est pas rare que le malade se réveille avec. Elle

peut se terminer avec le sommeil, ou se prolongersur plusieurs jours. Elle est souvent pulsatile,classiquement unilatérale (hémicranie), mais peutêtre bilatérale. D’intensité variable, souvent sévère,elle gêne ou oblige à cesser l’activité quotidienne.Elle est aggravée par les efforts, la lumière, le bruit, etsoulagée par le repos, le calme et l’obscurité. Elles’accompagne généralement de nausées etvomissements, qui font parfois parler à tort de « crisede foie », de photophobie, phonophobie,osmophobie, d’une asthénie extrême, de troubles del’humeur. On observe souvent une pâleur du visage,une saillie anormale des vaisseaux temporauxsuperficiels, plus rarement une obstruction ou unécoulement nasal, une hyperlacrymation.

Migraine avec aura

La céphalée y est précédée ou plus rarementaccompagnée d’une « aura » , qui est undysfonctionnement neurologique focal transitoire.L’extension progressive de l’aura en 5 à 60 minutes,ce que l’on appelle la « marche migraineuse », estquasiment pathognomonique de l’affection. Elle estbien différente de l’extension en quelques secondesde l’aura épileptique, et de l’installation brutale desdéficits neurologiques lors des accidents vasculairescérébraux. Les auras les plus fréquentes sontvisuelles et intéressent toujours les deux yeux. Lesdeux principales manifestations en sont le scotomescintillant, point lumineux et scintillant s’étendant parun de ses côtés vers la périphérie du champ visuel etlaissant place au scotome, et les phosphènes, quisont des taches, zigzags, éclairs, brillants ou colorés.Plus rares sont les phénomènes purementdéficitaires, comme l’hémianopsie latéralehomonyme, ou les troubles de la perception visuelle,tels que les métamorphopsies de l’enfant. Les aurassensitives font généralement suite à une auravisuelle ; il s’agit le plus souvent de paresthésiesunilatérales de distribution cheiro-orale. Les troublesdu langage et l’hémiparésie sont encore plus rares.La céphalée s’installe généralement lors de ladécroissance de l’aura. Lorsqu’elle est unilatérale, ellesiège le plus souvent du côté opposé à l’aura. Elle estsouvent plus courte que dans la migraine sans aura

Tableau I. – Céphalées symptomatiques d’ur-gences neurologiques.

Céphalées d’installation brusque récenteHémorragie méningéeAccident vasculaire cérébralDissection des troncs supra-aortiquesEncéphalopathie hypertensive

Céphalées d’installation rapidement progressiveHypertension intracrânienne (tumeur, abcès,

hématome sous-dural, thrombose veineuse céré-brale, hypertension intracrânienne bénigne)

MéningiteArtérite temporale

Tableau II. – Critères diagnostiques de la mi-graine sans aura selon l’International Heada-che Society.

A. Au moins cinq crises répondant aux critères B-D

B. Crises de céphalées durant de 4 à 72heures(sans traitement)

C. Céphalées ayant au moins deux des caractéristi-ques suivantes :

— unilatéralité— pulsatilité— intensité modérée ou sévère— aggravation par les activités physiques de

routine, telles que montée ou descente des escaliers

D. Durant les céphalées, au moins l’un des carac-tères suivants :

— nausées et/ou vomissements— photophobie et phonophobie

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et les nausées y sont moins fréquentes. La céphaléepeut être absente et on parle alors d’« aura isolée ».

Variétés rares de migraine

Elles posent des difficultés diagnostiques etnécessitent, contrairement aux formes précédentes,la pratique d’explorations : imagerie par résonancemagnét ique ( IRM) ou scanner , é lec-troencéphalogramme (EEG), ponction lombaireselon les cas.

Dans la migraine basilaire, l’aura comporte, defaçon diversement associée, des troubles visuels etsensitifs bilatéraux, des vertiges, une ataxie, unedysarthrie, une diplopie, des troubles de la vigilance.

La migraine hémiplégique familiale est une formerare, transmise selon un mode autosomal dominant,dont l’aura comporte une hémiparésie ou unehémiplégie.

La migraine ophtalmoplégique, également trèsrare, débute presque toujours dans l’enfance. Lacéphalée y est suivie d’une paralysie unilatérale d’unou plusieurs nerfs oculomoteurs, qui régresse enquelques jours à quelques semaines. C’est undiagnostic d’élimination, et une paralysiedouloureuse du III doit faire rechercher avant toutun anévrysme de la terminaison de la carotideinterne.

Complications de la migraine

L’état de mal migraineux est la persistance d’unecéphalée qui a, au départ, les caractères d’unemigraine et se transforme, au fil des jours, encéphalée chronique, presque toujours associée à unabus des médicaments de crise et à un état anxieuxou dépressif.

L’infarctus migraineux : on le rencontreexceptionnellement lors d’une crise de migraineavec aura ; les symptômes de l’aura ne sont pasréversibles et un infarctus est confirmé par laneuro-imagerie. Une étiologie migraineuse ne peutêtre retenue qu’une fois éliminées toutes les autrescauses d’accident ischémique cérébral. Le bilan doitêtre complet et comporter une artériographiecérébrale, un bilan d’hémostase, un bilaninflammatoire et immunologique, une échographiecardiaque avec sonde transœsophagienne.

Migraines symptomatiques

Des crises migraineuses peuvent parfois êtresymptomatiques d’une lésion cérébrale, enparticulier d’une malformation vasculaire.Lorsqu’elles surviennent toujours strictement dumême côté et surtout lorsqu’existent des atypiessémiologiques ou des signes neurologiquesd’examen, la poursuite des investigations estnécessaire. Une symptomatologie migraineuse peutaussi s’observer dans des maladies générales tellesque le lupus, le syndrome des antiphospholipides, lecadasil, les thrombocytémies, les cytopathiesmitochondriales.

Migraine de l’enfant

Elle diffère peu de celle de l’adulte. La céphalée estsouvent frontale, les vomissements et les douleursabdominales volontiers au premier plan. Le sommeil

est presque toujours réparateur. Les auras visuellesextraordinaires à type de micropsie, d’inversiond’image ne sont pas rares. Certains phénomènesrécurrents observés chez l’enfant, tels que desdouleurs abdominales, des vomissements cycliques,des vertiges aigus récidivants, sont considéréscomme des « équivalents migraineux ». Il faut segarder de porter trop vite ce diagnostic et réaliser lesexamens complémentaires nécessaires pouréliminer une lésion organique [7].

‚ Migraine et vie quotidienne

Facteurs déclenchants des crises

Leur liste est longue : facteurs psychologiques,aliments (chocolat, alcool…), modifications durythme de vie (week-end, grasse matinée…), repassautés, bruit, lumière, effort physique, odeurs… Il nefaut pas confondre la maladie et ses facteursdéclenchants : la migraine n’est pas plus unemaladie psychologique parce que les crisessurviennent après une contrariété qu’elle n’est unemaladie digestive parce que le chocolat déclencheles crises. Il est rare qu’un patient identifie un facteurdéclenchant unique, et la crise peut aussi survenir defaçon totalement imprévisible.

Profil évolutif de la migraine

La migraine est une maladie capricieuse ; lescrises sont variables d’un patient à l’autre, et chez unmême patient, d’une période de la vie à l’autre. Lafréquence moyenne des crises est de une à deux parmois, mais la variabilité est extrême entre lespatients qui n’ont que quelques crises dans leur vieet ceux qui en ont plus de dix par mois.

Migraine et vie hormonale de la femme

La vie hormonale de la femme a une influenceimportante sur le cours de la maladie migraineuse.La prépondérance féminine de la migrainen’apparaît qu’après la puberté, période durantlaquelle 20 % des migraineuses voient débuter leurmaladie. Cinquante pour cent des femmesétablissent un lien entre leurs migraines et leursrègles, et 5 % des migraineuses présententuniquement des crises menstruelles. Durant lagrossesse, la migraine s’améliore ou disparaît chezprès de 70 % des femmes ; elle peut néanmoinsrester inchangée ou s’aggraver. Contrairement à uneidée reçue, la migraine ne disparaît pas toujours à laménopause et elle a même tendance à s’aggravertransitoirement lors de l’installation de celle-ci. Lacontraception orale peut modifier l’évolution de lamaladie migraineuse, dans le sens d’uneaggravation ou d’une amélioration, ou la laisserinchangée. En cas d’apparition des migraines souspilule, l’arrêt des contraceptifs n’apporte pas toujoursune amélioration immédiate des crises et, danscertains cas, la maladie migraineuse continued’évoluer pour elle-même. Plusieurs études récentesont montré que la migraine représente un facteur derisque d’accident ischémique cérébral chez lesfemmes de moins de 45 ans [9]. Néanmoins, le risqueabsolu reste extrêmement faible : il est d’environ6/100 000 par an chez les non-migraineuses et de19/100 000 chez les migraineuses. Le risque est un

peu plus élevé en cas de migraine avec aura etaugmente avec le tabac et les contraceptifs oraux,d’autant plus que leur contenu en œstrogène estélevé. La migraine ne représente pas unecontre-indication à la contraception orale, sousréserve de quelques règles de prudence : unemigraineuse sous œstroprogestatifs ne devrait pasfumer ; chez les femmes souffrant de migraines, ilfaut préférer les pilules faiblement dosées enœstrogènes ; une aggravation importante desmigraines sous pilule nécessite d’interrompre celle-ci,surtout s’il s’agit de crises avec aura.

‚ Physiopathologie

La physiopathologie de la migraine reste encoremal connue. Selon les hypothèses actuelles, lecerveau migraineux serait caractérisé par desanomalies des fonctions corticales et hypothala-miques de régulation de la douleur et du tonusvasculaire. Chez ces sujets porteurs d’un « seuilmigraineux » bas, un certain nombre de facteurspeuvent déclencher la crise : stimuli externes (stress,aliments, émotions, lumières vives, odeurs) ouinternes (variations hormonales chez la femme…).Durant l’aura migraineuse, existe une diminutionrégionale du débit sanguin cérébral. La zoned’hypoperfusion progresse des régions postérieuresvers l’avant, à la vitesse de 2 mm/min, et estcontemporaine d’anomalies métaboliques. Cetteprogression est superposable à la marchemigraineuse et s’expliquerait par un phénomène dedépression corticale propagée, qui cependant n’a étémis en évidence pour l’instant que chez l’animal,après stimulation du cortex. Un modèle animal de lacéphalée migraineuse a été proposé parMoskowitz [1] : la stimulation antidromique des fibresdu trijumeau qui innervent les vaisseaux méningésentraîne la libération de neuropeptides : substance P,calc i tomine-gene-re lated pept i te (CGRP) etneurokinine A. Il en résulte une inflammationneurogène de la dure-mère, avec vasodilatation,extravasation de protéines plasmatiques,dégranulation mastocytaire. Les fibres sensitivesafférentes sont alors stimulées en retour dans le sensorthodromique et véhiculent l’influx vers les noyauxhypothalamiques et thalamiques et vers le cortex, cequi rend compte des nausées, des vomissements etde la douleur. Durant la crise migraineuse, on aretrouvé chez l’homme une élévation du tauxplasmatique de CGRP dans le sang veineux jugulairedu côté de la céphalée [2].

Des récepteurs de la sérotonine 5 HT1 sontlocalisés sur les terminaisons du trijumeau et sur lesartères cérébrales. Le sumatriptan, l’ergotamine,agonistes de ces récepteurs, sont des médicamentsde la crise migraineuse ; ils sont vasoconstricteurs etbloquent l’inflammation neurogène de la dure-mèrechez l’animal. Le système nerveux central estégalement riche en récepteurs sérotoninergiques, enparticulier dans les structures du contrôle endogènede la douleur. Les récepteurs 5 HT1 sont à ce niveauprincipalement inhibiteurs et les 5 HT2 excitateurs ;certains traitements de fond antimigraineux sont desantagonistes des récepteurs 5 HT2.

Diverses anomalies ont été mises en évidencechez les migraineux : une diminution de la

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concentration de magnésium cérébral, une élévationde certains acides aminés excitateurs, unehyperactivité catécholaminergique centrale, uneformation excessive d’oxyde nitrique (NO), moléculesusceptible de déclencher des crises migraineuses.

Le caractère familial de la migraine est bienconnu. Les bases génétiques des variétés habituellesde migraine sont en cours d’exploration. Dans uneforme rare de migraine, la migraine hémiplégiquefamiliale, la moitié des familles atteintes ont uneanomalie d’un gène du chromosome 19 [6], qui codepour un canal calcique [8].

‚ Approche thérapeutique

Avant de lui prescrire un traitement, il estindispensable d’expliquer au patient que la migraineest une maladie à part entière, qu’il n’a pas unetumeur cérébrale, un problème vasculaire ou une« maladie de foie », et qu’il est inutile de pratiquer desexamens complémentaires. Tout en étant rassurant,il faut montrer que l’on prend en compte lecaractère invalidant de sa maladie. Les principauxfacteurs déclenchants des crises seront rappelés, afinde les éliminer lorsque c’est possible. La différenceentre le traitement de crise et le traitement de fondsera soulignée.

Traitement de crise

Quelques gestes simples peuvent aider à soulagerla céphalée : application de froid ou de chaleur sur lecrâne, pression sur la tempe, repos à l’abri du bruit etde la lumière, prise de thé ou de café. Quatregroupes de substances ont une efficacité démontréedans le traitement de la crise migraineuse (tableau

III). Les antalgiques et les anti-inflammatoires nonstéroïdiens (AINS) sont des médicaments depremière intention. Des anti-inflammatoiresdifférents méritent d’être utilisés sur des crisessuccessives car il n’y a pas d’efficacité croisée entreeux. En cas d’échec de ces traitements, on a recours

aux antimigraineux dits « •spécifiques » que sont lesdérivés ergotés et le sumatriptan. Ces substancessont vasoconstrictrices, et il est nécessaire derespecter les contre-indications cardiovasculaires enrapport avec cette propriété (coronaropathie,hypertension artérielle sévère ou mal contrôlée,artériopathie). Certains médicaments adjuvants sontsusceptibles d’augmenter l’efficacité des traitementsde crise : la caféine, les anxiolytiques, lesantiémétiques. Chez les migraineux qui souffrent denausées et de vomissements, la voie orale est àdéconseiller au profit des voies rectale, nasale ouinjectable. Les traitements doivent être pris dès ledébut de la crise ; au moment de l’aura, il estpréférable d’utiliser de l’aspirine ou des AINS. Lesprises de médicaments de crise ne doivent pas êtretrop fréquentes, en raison de la toxicité propre dessubstances et surtout du risque d’accoutumance etd’apparition d’une céphalée chronique avec abusmédicamenteux.

Traitement de fond

Il a pour objectif la réduction de la fréquence descrises. Il est généralement proposé aux patients quisouffrent d’au moins deux crises par mois. Sonindication dépend aussi de la réponse auxtraitements des crises, de la durée et de l’intensité decelles-ci, de leur retentissement sur la qualité de vieet du risque éventuel d’abus d’antalgiques. Lesmédicaments de fond majeurs, dont l’efficacité a étédémontrée dans au moins deux essais contrôléscontre placebo sont : certains bêtabloquants, lepizotifène (Sanmigrant ) , le méthysergide(Désernil-Sandozt), l’oxétorone (Nocertonet), la

Tableau IV. – Traitements antimigraineux de fond majeurs.

Posologie par jour Effets secondaires Contre-indications

BêtabloquantsPropranolol (Avlocardylt) 40-240 mg Fréquents : asthénie, mauvaise tolé-

rance à l’effortAsthme, insuffısance cardiaque, blocauriculoventriculaire, bradycardie,syndrome de Raynaud

Métoprolol (Lopressort, Selokent) 100-200 mgTimolol (Timacort) 10-20 mgAténolol (Ténorminet) 100 mg Rares : insomnie, cauchemars, impuis-

sance, dépressionNB : possibilité d’aggravation des mi-graines avec aura. Potentialisation del’effet vasoconstricteur du tartrate d’er-gotamine

Nadolol (Corgardt) 80-240 mg

Pizotifène (Sanmigrant) 2 mg (3 cp) en une prise le soir Somnolence, prise de poids Glaucome, adénome prostatique

Oxétorone (Nocertonet) 120-180 mg (2-3 cp) en une prise lesoir

Fréquents : somnolenceRares : diarrhée nécessitant l’arrêt dutraitement

Méthysergide (Désernil-Sandozt) 4-6 mg (2-3 cp). Fréquents : nausées, vertiges, insom-nie

Hypertension artérielle, insuffısancecoronarienne, artériopathies, ulcèregastrique, insuffısance hépatique etrénale

Arrêt nécessaire 1 mois tous les 6 mois Rares : ergotisme, fibrose rétropérito-néale

Flunarizine (Sibéliumt) 10 mg (1 cp) le soir, pas plus de 6 moisd’affılée

Fréquents : somnolence, prise de poids Syndrome dépressif, syndrome extrapy-ramidalRares : dépression, syndrome extrapy-

ramidal

Amitriptyline 20-50 mg le soir Sécheresse de la bouche, somnolence,prise de poids

Glaucome, adénome prostatique(Laroxylt, Élavilt)

AINS 1 100 mg Troubles digestifs, ulcère, baisse d’effı-cacité du stérilet

Ulcère digestif, stériletEx : naproxène(Naprosynet, Apranaxt)

Valproate de sodium 500-1 000 mg Nausées, prise de poids Pathologies hépatiques(Dépakinet) somnolence, tremblements,

alopécie, atteinte hépatique

Tableau III. – Médicaments de la crisemigraineuse.

AntalgiquesAspirinePhénacétine (contenue dans de nombreuses spé-

cialités)Dextropropoxyphène (contenu dans de nombreu-

ses spécialités)Noramidopyrine (contenue dans de nombreuses

spécialités dont Optalidont)Paracétamol (contenu dans de nombreuses spé-

cialités)

Anti-inflammatoiresIbuprofène (Brufent, Nureflext, Advilt…)Naproxène (Naprosynet, Apranaxt)Flurbiprofène (Cebutidt)Acide méfénamique (Ponstylt)Diclofénac (Voltarènet)Indométacine (Indocidt)

Dérivés de l’ergot de seigleTartrate d’ergotamine (Gynergènet caféiné : cp

à 1 mg, supp à 2 mg ; Migwellt : cp à 2 mg)Dihydroergotamine(Dihydroergotamine-Sandozt injectable IM, SC

ou IV ; Diergot-Spray nasal)

SumatriptanImigranet : cp à 100 mg, injection SC à 6 mg

IM : intramusculaire ; SC : sous-cutanée ; IV : intraveineuse.

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flunarizine (Sibéliumt), l’amitriptyline (Laroxylt,Élavilt), les AINS et le valproate de sodium(Dépakinet). Leur posologie, leurs effets secondaireset contre-indications sont résumés dans le tableauIV. D’autres substances peuvent aussi être utiliséesen traitement de fond : la dihydroergotamine,l’aspirine, l’indoramine (Vidorat), le vérapamil(Isoptinet). Un traitement de fond est jugé efficacelorsqu’il permet de réduire la fréquence des crisesd’au moins 50 %, ce qu’il faut expliquer au patientqui pense souvent que ses crises vont complètementdisparaître. Aucun essai contrôlé n’ayant démontréla supériorité d’un de ces médicaments par rapport àl’autre, le choix du premier traitement à essayerrepose sur plusieurs éléments : les effets secondaireset les contre-indications de la substance, leséventuelles pathologies associées du patient et letype des crises migraineuses. Par exemple, la femmejeune préférera éviter les traitements qui fontprendre du poids, le sujet sportif les bêtabloquants ;les migraines du réveil sont souvent sensibles àl’oxétorone et les migraines avec aura à l’aspirine.Dans la plupart des cas cependant, il est impossiblede prédire quel médicament aura le meilleur rapportefficacité/tolérance chez un patient donné, et il estsouvent nécessaire d’essayer plusieurs traitementssuccessivement avant de trouver le plus approprié.

Les doses des médicaments seront toujoursaugmentées très lentement afin de limiter les effetssecondaires fréquents chez ces patients. Si la toléranceest bonne, un traitement de fond doit être pris aumoins pendant 2 à 3 mois, durant lesquels le patienttiendra un calendrier de ses crises. À la fin de cettepériode, en cas d’échec, un autre traitement sera misen route. En cas de succès, la dose efficace estmaintenue pendant environ 6 mois, puis diminuéetrès lentement afin d’essayer d’arrêter le traitement ou,au moins, de trouver la dose minimale efficace.

Les traitements non médicamenteux : l’acu-puncture, la relaxation, les méthodes de biofeedbacksont aussi susceptibles d’apporter une améliorationdes migraines.

Cas particuliers

Chez certains patients, les crises de migraine sontstrictement unilatérales et débutent toujours dans larégion latérocervicale haute, avec un facteur

déclenchant positionnel. Dans ces cas très rares, lescrises peuvent s’améliorer après infiltrations oumanipulations cervicales.

La migraine cataméniale : chez les femmessouffrant de migraines exclusivement cataménialeset dont les cycles sont réguliers, l’estradiol en gelpercutané à la dose de 1,5 mg/j (Œstrogelt, Estrevat)a une bonne efficacité préventive lorsqu’il estcommencé 48 heures avant la date prévue desurvenue de la migraine et poursuivi pendant les 7jours suivants.

■Céphalées de tension

La définition qu’en donne l’IHS est purementdescriptive : il s’agit de céphalées à type depression ou de serrement, non pulsatiles,d’intensité modérée ou moyenne, le plus souventbilatérales, ne s’aggravant pas avec l’effortphysique. Les nausées, la photophobie et laphonophobie sont généralement absentes. Lescéphalées de tension épisodiques, qui surviennentavec une fréquence inférieure à 15 jours par mois,touchent près de deux tiers de la population. Lescéphalées de tension sont dites « chroniques »lorsqu’elles sont présentes au moins 15 jours parmois depuis plus de 6 mois ; leur prévalence estd’environ 3 %, avec une prépondérance féminine.La physiopathologie de ces céphalées resteobscure. Plusieurs mécanismes entrentcertainement en jeu : un dysfonctionnement ducontrôle central de la douleur, une tensionexcessive des muscles craniocervicaux, destroubles psychiques de nature très variable, uneprédisposition génétique. Le traitement descéphalées de tension épisodiques repose sur larelaxation, les antalgiques et les AINS. Letraitement des céphalées de tension chroniques estsouvent difficile. Il est essentiel de proscrire la prisequotidienne d’antalgiques, qui est un facteurd’aggravation. La relaxation, associée éventuel-lement au biofeedback musculaire, et de faiblesdoses d’amitriptyline peuvent apporter uneamélioration. Lorsqu’il existe une pathologiepsychiatrique bien définie, une prise en chargespécialisée est nécessaire.

Il n’est pas rare qu’un patient souffre à la fois demigraines et de céphalées de tension. Leurstraitements sont différents, et il est important de lesdistinguer par un interrogatoire extrêmement préciset la tenue d’un agenda des céphalées.

■Céphalées liées à un abus

d’antalgiques

Chez les patients souffrant de migraines ou decéphalées de tension, la prise trop fréquente demédicaments de crise, quelle qu’en soit la nature, peutconduire à une accoutumance responsable d’unecéphalée chronique quotidienne. Cet abusd’antalgiques est loin d’être exceptionnel [10], et il estsouvent sous-estimé car le patient ne le mentionnepas spontanément. Le traitement nécessiteimpérativement l’arrêt des médicaments responsables,ce qui entraîne durant plusieurs jours un syndrome desevrage avec recrudescence des céphalées, et parfoisnausées et vomissements, anxiété, insomnie. Certainspatients parviennent à interrompre l’abusd’antalgiques en externe, aidés par exemple par desdoses modérées d’amitriptyline (30 à 50 mg) ; pourd’autres, une hospitalisation est nécessaire.

■Algie vasculaire de la face

Beaucoup moins fréquente que la migraine,l’algie vasculaire de la face (AVF) a une prévalenced’environ 0,1 %. Elle touche l’homme cinq à six foisplus souvent que la femme, et débute généralemententre 20 et 30 ans. Le tableau clinique eststéréotypé : les douleurs sont strictement unilatéralesà prédominance orbitaire et temporale,extrêmement sévères, évoluant par crisesquotidiennes (de une à huit, en moyenne deux àtrois), qui durent de 15 à 180 minutes. Les crisess’accompagnent souvent de signes homolatéraux àla douleur : injection conjonctivale, larmoiement,congestion nasale, rhinorrhée, sudation de la face,myosis, ptosis, œdème de la paupière. Dans l’AVFépisodique – la plus fréquente –, les crisessurviennent par salves, appelées « accès » ou« épisodes », qui durent de 2 à 8 semaines en

Tableau V. – Traitements de l’algie vasculaire de la face (AVF).

Traitements préventifs Posologie moyenne par jour Traitements de crise autoriés

AVF épisodiques

1re intentionVérapamil (Isoptinet) 360-480 mg Imijectt ou oxygène

Si échecMéthysergide (Désernil-Sandozt) 6-12 mg Oxygène seulementTartrate d’ergotamine (Gynergène caféinét, Migwellt) 1-4 mg Oxygène seulementPrednisone (Cortancylt, Solupredt) 40-60 mg Imijectt ou oxygèneIndométacine (Indocidt) 75-150 mg Imijectt ou oxygène

AVF chroniques

Substance Posologie moyenne par jour Traitements de crise autorisés

Vérapamil (Isoptinet) 360-480 mg Imijectt ou oxygèneLithium (Téralithet) 500-750 mg (lithiémie< 0,9 mEq/l) Oxygène seulement

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moyenne et se reproduisent une à deux fois par an.Dix pour cent environ des patients souffrent d’uneforme chronique avec des crises quotidiennes, soitd’emblée, soit après quelques années de formeépisodique. Les crises peuvent être déclenchées parl’alcool. La physiopathologie de l’AVF restetotalement inconnue.

Le but essentiel du traitement est la préventiondes crises durant la période de l’accès dans lesformes épisodiques ou au long cours dans lesformes chroniques [3]. Les médicaments de fond del’algie vasculaire de la face et leur mode d’utilisationsont résumés dans le tableau V. En crise, seuls deuxtraitements ont fait la preuve de leur efficacité :l’inhalation d’oxygène pur à un débit de 7 L/minpendant 15 minutes et le sumatriptan en injectionsous-cutanée à la dose de 6 mg (Imijectt, remboursédans cette indication sur prescription de médicamentd’exception).

■Hémicranie paroxystique

chronique

Il s’agit d’une variante rare d’algie vasculaire de laface, caractérisée par la fréquence élevée des crises(de 5 à 30 par jour), leur brièveté (de 2 à 45 minutes),la forte prédominance féminine, et la disparitiontotale des crises sous indométacine (Indocidt) à ladose de 75 à 150 mg/j.

■Autres céphalées essentielles

‚ Céphalées en « coup de piolet » (icepickheadaches)

Ce sont des douleurs extrêmement brèves etaiguës ressenties comme des « coups de poignard ».Dans les rares cas où un traitement est rendunécessaire par leur fréquence, l’indométacine ou lepropranolol peuvent être utilisés.

‚ Céphalées liées à la toux

Elles sont bilatérales, de survenue soudaine,durant moins d’une minute après un effort de toux.Avant d’en affirmer le caractère bénin, il imported’éliminer une pathologie intracrânienne, enparticulier les malformations de la base du crâne etles tumeurs.

‚ Céphalées d’effort

Elles doivent également faire l’objet d’uneenquête étiologique approfondie, car bien descéphalées symptomatiques peuvent s’exacerber àl’effort. Les céphalées essentielles déclenchées parl’effort peuvent, chez certains patients, êtreprévenues par le propranolol ou l’indométacine.

‚ Céphalées sexuelles bénignesElles apparaissent soit progressivement, soit

brutalement au moment de l’orgasme. Lorsque lasurvenue de la céphalée est très brutale, en « coup detonnerre », il est nécessaire d’éliminer un anévrysme.Le propranolol peut être proposé préventivement sileur fréquence devient gênante.

■Conclusion

L’interrogatoire est l’élément essentiel dudiagnostic d’une céphalée. En précisant son profilévolutif, il permet de distinguer les urgencesneurologiques des céphalées essentielles bénignes.Celles-ci ne nécessitent, la plupart du temps, aucunexamen complémentaire. La migraine est unemaladie très fréquente et invalidante, que l’on peut,dans la majorité des cas, soulager en essayant defaçon successive les médicaments de crise et, le caséchéant, les traitements de fond. L’abusd’antalgiques est un problème souvent sous-estiméchez les patients souffrant de migraines ou decéphalées de tension ; il est responsable d’unecéphalée chronique quotidienne, qui nécessite unsevrage parfois très pénible. L’algie vasculaire de laface est une affection extrêmement douloureuse quirelève de traitements spécifiques. Son profil évolutifcaractéristique permet de l’identifier aisément.

Hélène Massiou : Ancien interne des hôpitaux de Paris, ancien chef de clinique-assistant, médecin des Hôpitaux, neurologue,service de neurologie, hôpital Lariboisière, 2, rue Ambroise-Paré, 75475 Paris cedex 10, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : H Massiou. Céphalées essentielles bénignes.Encycl Méd Chir (Elsevier, Paris), Encyclopédie Pratique de Médecine, 6-0510, 1998, 5 p

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Céphalées essentielles bénignes - 6-0510

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Dyspareunies

S Mimoun

S i la douleur est qualifiée de psychogène, la patiente le vit comme une non-« validation », une non-acceptationde sa plainte.

© Elsevier, Paris.

■Introduction

Les dyspareunies sont des rapports sexuelsdouloureux difficiles. Cette plainte, essentiellementféminine, s’observe avec une fréquence notable : 4 à28 % des femmes en souffriraient [8]. Ces douleurssont aiguës ou chroniques. La sphère vulvovaginaleest un lieu d’une sensibilité intense, tant pour leplaisir que pour la gêne ou la douleur. Quand celle-cidevient obsédante, récalcitrante, la répercussion surle psychisme est obligatoire, et ce même si descauses organiques existent.

Nous verrons qu’il est utile de tenir compte de cetétat de fait si l’on veut renforcer l’impactthérapeutique et les chances de guérison.

■Définition

Les dyspareunies sont des douleurs génitalesprovoquées par le rapport sexuel, le rendant ainsidifficile.

On différencie habituellement les dyspareuniesprimaires (qui ont toujours existé) et secondaires (quisont survenues après une période sans douleurs).

On distingue aussi la dyspareunie superficielle(douleurs à l’entrée du vagin), qui peut parfoisempêcher la pénétration vaginale et la dyspareunieprofonde (douleurs au fond du vagin), qui intéressele pelvis.

Il est difficile de connaître la réelle prévalence dece trouble car, à notre connaissance, il n’a pas étéévalué isolément, mais si l’on considère le problèmede la douleur pelvienne chronique (DPC) (qui cacheune dyspareunie dans près de 40 % des cas d’aprèsnotre expérience clinique), on peut mieux repérercette prévalence. Trente pour cent des cœlioscopieset 12 % des 600 000 hystérectomies annuellesréalisées aux États-Unis concernent cette DPC,selon Reiter cité par Dellenbach [2]. Par ailleurs, noussavons que nombre de symptômes fonctionnelsféminins (asthénie, troubles du sommeil, irritablité...)qui motivent des consultations chez le généralisteont comme origine une plainte sexuelle non dite.Parmi celles-ci, la dyspareunie occupe une bonneplace.

Un examen clinique rigoureux est indispensabelepour évaluer ce symptôme. Il s’appuiera surl’interrogatoire, l’examen clinique et quelquesexamens complémentaires.

Quand la plainte est chronique ou répétitive, uneprise en charge sur un mode psychosomatique esthautement souhaitable, éventuellement aprés l’avisd’un gynécologue chirurgien « peu intervention-niste » pour les dyspareunies profondes, ou d’undermatologue connaissant bien la pathologievulvaire pour les dyspareunies superficielles.

■Interrogatoire

Patient et minutieux, il cherchera à préciser :■ le siège de la douleur :– vulvaire, orificiel, parfois au niveau du

vestibule, d’autres fois au niveau de l’anneauhyménéal diffus ou localisé ;

– pelvien, médian ou latéralisé ;■ l’intensité : permettant ou non l’intromission

vaginale, inhibant ou non l’orgasme ;■ le déclenchement : par le moindre contact

(même l’effleurement parfois), les mouvements, lespositions ;

■ la chronologie : au début, pendant ou à la findu rapport ;

■ la constance : persistante, intermittente oupermanente, en sachant que 15 à 25 % des femmeséprouvent quelques douleurs coïtales plusieurs foispar an, selon Paniel [8] ;

■ les facteurs déclenchants éventuels : périodedu cycle, stress professionnel, conjugal ou autre...

Bien que la part des facteurs psychiques soittoujours présente et parfois même prépondérante,les causes organiques doivent toujours êtrerecherchées, avec soin bien sûr.

■Examen

Il doit être doux, progressif et méthodique :– palpation de l’abdomen à la recherche d’une

éventuelle tuméfaction abdominale ;

– palpat ion des aines à la recherched’adénopathies inguinales ;

– examen de la vulve avec minutie et délicatessepour déployer et observer le vestibule (orifice desglandes de Bartholin), l’orifice vaginal, l’hymen et lebas vagin. Des leucorrhées peuvent exister etorienter le diagnostic.

La mise en place, quand elle est possible, d’unspéculum lubrifié simplement à l’eau, permetd’inspecter le col utérin et le vagin. L’existence deleucorrhées peut orienter le diagnostic ici aussi. Cetexamen permet enfin d’observer les modificationsvulvaires éventuelles, susceptibles de générer unedouleur (bride de la fourchette, hymen élastiquedistendu mais non rompu...).

Au terme de tout ceci, nous pourrons faire lediagnostic différentiel avec le vaginisme (contractioninvolontaire des muscles releveurs de l’anus quienserrent le vagin, rendant la pénétrationimpossible).

■Causes

‚ Dyspareunies superficielles

Étiologies des dyspareuniessuperficielles à recherchersystématiquement✔ Vulvovaginites infectieuses.✔ Causes iatrogènes.✔ Causes générales :– diabète ;– neuropathies.✔ Carence œstrogénique.✔ Dermatoses :– lichen scléreux vulvaire ;– lichen plan ;– vestibulite ;– VIN (néoplasie intraépithélialevulvaire) de grade 3 (atypiescellulaires avec deux entitéscliniques : la maladie de Bowen et lapapulose bowenoïde).

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■ Les vulvovaginites infectieuses : elles sont engénéral de début brutal, s’accompagnent de prurit,de leucorrhées et de lésions dermatologiques. Lesinfections les plus fréquentes sont les mycoses, lestrichomonases et les infections à Gardnerellavaginalis. Plus rarement, les Chlamydiae (quigénèrent peu de douleurs vulvaires habituellement)ou l’herpès. Le plus souvent, ces causes infectieusesgénèrent une dyspareunie aiguë. Si ces infections serépètent, le traitement de la cause infectieuseseulement ne suffit plus et on se met dans le cadredes douleurs chroniques.

■ Les causes iatrogènes :– les toilettes ou irrigations vaginales répétées ;– l’utilisation intempestive de tampons

pér iodiques en dehors des pér iodes demenstruations ;

– les psychotropes et les hypotenseurs (quiinduisent une hyperprolactinémie, donc unesécheresse vaginale) ;

– les suites opératoires de lésions vulvovaginales.■ Les causes générales :– le diabète ;– les neuropathies.■ Les causes hormonales : el les sont

représentées essentiellement par toutes les causesde carence œstrogénique, dont l’atrophiephysiologique postménopausique est la plusfréquente.

■ Les rares malformations congénitales del’hymen et du vagin.

■ Les dermatoses :– le lichen scléreux vulvaire ;– le lichen plan ;– la vestibulite ;– les VIN de grade 3 (atypies cellulaires avec

deux entités cliniques : la maladie de Bowen et lapapulose bowenoïde).

‚ Dyspareunies profondes

Ce sont la plupart des causes responsables desdouleurs pelviennes.

– L’endométriose : elle est diagnostiquée plusfacilement si la femme a une dysménorrhée tardive(douleurs les deuxième ou troisième jours desrègles). Le plus souvent, une cœlioscopie estnécessaire pour faire le diagnostic.

– Les infections génitales hautes, aiguës ouchroniques, accompagnées de séquel lesadhérentielles et de dysfonctionnement ovarien,sont sources de dyspareunies. Après la confirmationdiagnostique par l’examen clinique et la cœlioscopie,on pourra mettre en place un traitementanti-infectieux et anti-inflammatoire prolongé.

– Les kystes fonctionnels ou organiques del’ovaire.

– Les rétroversions utérines sont classiquementdécrites mais sont rarement en cause. Si c’est le cas,une douleur soudaine et brutale peut être retrouvéelors de la mobilisation du fond utérin à l’examenclinique. Il faut être très prudent avant de conseillerla cure de rétroversion.

– Le syndrome de Masters et Allen lié à ladéchirure obstétricale de la face postérieure duligament large. Il entraîne des dyspareuniesparoxystiques. La mobilité anormale de l’utérusévoque le diagnostic qui sera confirmé par lacoelioscopie.

– Les complications des fibromes en nécrobiose.– L’hystérectomie totale peut être en cause en

cas de raccourcissement du vagin, surtout s’il y a euune curiethérapie associée.

Ce catalogue, un peu schématique, des différentescauses organiques ne doit pas faire perdre de vuecependant que, pour la femme, ce symptôme apeut-être un autre sens (conscient ou inconscient),surtout si la dyspareunie persiste depuis quelquesmois ou quelques années, d’autant que cesymptôme a une interférence sur la fonctionsexuelle et l’on sait que, dans les dysfonctionssexuelles, il y a dans tous les cas une participationdes facteurs psychologiques (éventuellementassociés aux causes organiques), cause ouconséquence du mal-être qui accompagne le troublesexuel.

C’est pourquoi il ne faut pas perdre de vue que, laplupart du temps, quand une femme vient nousconsulter, elle cache sa plainte derrière d’autrestermes et d’autres plaintes. La douleur dans ladyspareunie semble être, pour certaines femmes, leseul symptôme sexuel présentable, alors que lafrigidité ou l’insatisfaction sexuelle ne l’est pas,d’autant que le médecin est plus habitué (et habilité)à s’occuper de douleur que de plaisir.

D’autres fois la plainte est plus détournée. Lesfemmes parlent de mycose à répétition, exprimantainsi leur inconfort vaginal ou leur prurit vulvaire.D’autres fois encore, ce sont les signes urinaires quisont au premier plan : pollakiurie, mictionimpérieuse, cystalgie, troubles de la continence...Mais quelquefois, derrière cette plainte, on neretrouve que le manque de lubrification [9, 10].

La sécheresse vaginale est parfois découverte aucours de l’examen clinique. Précisons quand mêmeque c’est surtout quand le médecin demande, defaçon claire, « si le vagin est lubrifié » que la réalitéapparaît.

Mais les dyspareunies ne s’expliquent pas toutespar la sécheresse : c’est pourquoi l’examengynécologique est ici très important.

Si, comme toujours en médecine, le premierobjectif de l’examen est de faire un diagnostic, ici ilpourra nous permettre en outre d’évaluer le vécupsychologique de ce symptôme. En effet, lepronostic et la conduite à tenir ne sont pas lesmêmes si l’examen gynécologique est possible,voire assez facile, ce qui est plutôt de bon augure, ousi au contraire le simple contact de la vulve est vécucomme insupportable.

Chez certaines femmes, la peur (véritable phobie)de la pénétration peut être telle que même la simpleévocation imaginaire de celle-ci est intolérable.

‚ Causes psychologiques

Elles sont en fait multiples. Elles peuvent êtreseules en cause, ou associées, intriquées aux causesorganiques.

Schématiquement, on peut les répertorier commesuit, en allant des causes les plus immédiates, lesplus superficielles, les plus conscientes, vers lescauses les plus profondes, les plus inconscientes :

– les problématiques psychosexuelles ;– les conflits conjugaux et/ou relationnels ;– les syndromes dépressifs (masqués) ;– les états névrotiques.

Problématiques psychosexuelles

Ici se retrouvent toutes les causes susceptiblesd’induire une frustration sexuelle :

– une éducation sexuelle stricte et/ou religieuse(avec la culpabilité de ressentir du plaisir) ;

– le manque d’expérience (quel que soit l’âge dela femme) ;

– l’angoisse due à un état gynécologique :infertilité, ménopause, hystérectomie, éventuel-lement le post-partum, mais aussi l’angoisseexistentielle bien sûr ;

– des éventuels traumatismes passés : tentativede viol, voire d’inceste ;

– plus fréquemment, l’insatisfaction sexuelle quiinduit la disparition de la lubrification vaginale etl’installation de la sécheresse vulvovaginale.

Rappelons que la lubrification résulte d’unetranssudation à travers les parois de la muqueusevaginale à partir de la stimulation érotique physiqueou psychique. Il s’agit en fait d’un processusvasocongestif intéressant les plexus veineux,périvaginaux et périutérins. Le temps d’apparition decette lubrification varie beaucoup selon l’âge et lessituations : de 10 à 30 secondes chez l’adolescente,elle peut demander de 2 à 3 minutes chez la femmesménopausée [3]. Ce retard à la lubrification s’aggraveen cas d’interruption notable de l’activité sexuelle.

Le phénomène de lubrification vaginale chez lafemme est en fait l’équivalent de la survenue del’érection chez l’homme. Dans les deux cas, celadépend des conditions physiologiques adéquatesmais aussi, et en même temps, d’un contextepsychologique favorable, c’est-à-dire un contexte quipermette une détente et un laisser-aller, tout enautorisant une stimulation érotique suffisante. Si cesconditions font défaut, la lubrification serainsuffisante ou absente et, de ce fait, la qualité de laréponse sexuelle sera altérée et pourra engendrerinquiétude, frustration, sentiment d’échec,appréhension vis-à-vis des rapports ultérieurs et...des douleurs.

Enfin, n’oublions pas qu’un certain nombre defrustrations sexuelles féminines sont induites par un

Étiologies des dyspareunies profondes✔ Endométriose.✔ Infections génitales hautes aiguësou chroniques.✔ Kystes fonctionnels ou organiquesde l’ovaire.✔ Syndrome de Masters et Allen.

Causes psychologiques✔ Problématiques psychosexuelles.✔ Conflits conjugaux et/ourelationnels.✔ Syndromes dépressifs (masqués).✔ États névrotiques.

6-0590 - Dyspareunies

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Page 93: Le Manuel Du Généraliste - Divers

trouble sexuel masculin, comme l’éjaculationprématurée ou les troubles de l’érection parexemple.

Conflits conjugaux

Le conflit conjugal est en général peu propice à ladétente et à la stimulation érotique. Il n’est donc pasétonnant que la sécheresse vaginale et ladyspareunie qui l’accompagne surviennent commeune vraie barrière entre les deux partenaires quandla mésentente conjugale s’installe.

Derrière ces conflits conjugaux, on peut retrouverune ambivalence affective vis-à-vis du conjoint, ouplus nettement son rejet, ou encore la peur d’êtrerejetée, donc un sentiment d’insécurité.

Quoi qu’il en soit, vis-à-vis du conjoint, il est plusfacile de dire « j’ai mal ou je ne peux pas », que « je neveux pas ».

Ici, le partenaire a un rôle dans l’économiedéfensive de ces patientes. Les uns sont décritscomme gentils et patients (quand ils acceptentl’absence de vie sexuelle), les autres sont décritscomme bougons et taciturnes.

État dépressif

C’est, par définition, une inhibition dontl’inhibition et l’insatisfaction sexuelle ne sont qu’undes éléments. Cette dépression peut être évidente,tristesse, envie de rien, amertume, mais le plussouvent elle est masquée, le symptôme sexuel ou ladouleur étant le seul signe apparent, le « j’ai mal »signifiant alors « je vais mal ». Prendre en compte cetétat dépressif (cause ou conséquence des douleurs)est très utile en thérapeutique.

États névrotiques

Certaines femmes ne peuvent faire entendre leurmal être, leur détresse, qu’en parlant de leursdouleurs, d’autant que ce n’est qu’à ce moment quecertains médecins tendent l’oreille.

Dans ces cas, le symptôme peut avoir plusieursfonctions, dont la plus évidente à percevoir est lebénéfice secondaire : évitements des rapports, sesentir « entourée »...

Mais il est très fréquent aussi qu’à l’origine dusymptôme de vulvodynie, on retrouve le refus de lasexualité, voire de la féminité et/ou la peur du sexemasculin. L’acte sexuel est alors ressenti par lapatiente comme quelque chose de persécutant. Ladyspareunie est ici une manifestation corporelle dela frigidité.

Ce qui complique les choses, c’est que certainesformes de dyspareunies sont associées à uneintense érotisation de la douleur, la douleur pouvantalors être, consciemment ou inconsciemment,recherchée.

Dans ces cas, le pronostic est plutôt réservé, dufait du fond dépressif et du vécu corporel trèsperturbé qui existe souvent chez ces femmes.Vaincre la dyspareunie et le rapport de couplesadomasochiste qui y est associé signifie donc aiderla patiente à surmonter les difficultés quil’empêchent de parvenir au plaisir.

Finalement, soulignons très schématiquementque ce qui semble prédisposer à la douleur génitale

chronique, c’est la concordance dans le temps entreune lésion initiale et une tension émotionnelle due àun autre événement (rupture sentimentale, deuil...).De ce fait, la patiente peut intimement lier ces deuxévénements. A chaque tension inexprimable, cetorgane (devenu cible) risque de se manifester ànouveau par des douleurs.

C’est encore plus évident :– lorsque l’événement marquant a été à l’origine

de la douleur : une vaginite contractée à la suite d’unrapport adultérin du mari, par exemple, associeravolontiers une vulvodynie chronique en « souvenir »de ce qu’il ne faut pas oublier ;

– lorsque le point d’appel du traumatisme initialest lourd de sens, par exemple une dyspareunieprofonde après une interruption volontaire degrossesse, « imposée » par le conjoint.

D’une manière plus générale, la vulvodynie peutn’être qu’un prétexte, un alibi. Elle fait barrière entrela femme et son partenaire. Sur le plan sexuel, lesfemmes qui se plaignent de vulvodynies refusentsouvent la sexualité dans son ensemble, nousl’avons dit. Elles sont agressives contre elles-mêmes(à l’inverse des femmes qui se plaignent devaginisme qui sont plutôt anxieuses mais nerefusent pas le contact sexuel, tant que celui-ci évitela pénétration).

Sur un autre plan, il semblerait ressortir denombreuses études sociopsychologiques [4, 12] queles femmes qui ont subi des abus sexuels dansl’enfance souffrent beaucoup plus fréquemment queles autres de douleurs gynécologiques.

■Prise en charge thérapeutique

Une des principales difficultés rencontrées quandon est face à une femme qui se plaint dedyspareunies chroniques, c’est d’aborder la phasethérapeutique. Autant rechercher les élémentsdiagnostiques de ces troubles fait partie de ladémarche habituelle de tout médecin, autant mettreen place une thérapeutique adaptée nécessite defaire appel à une association de moyens.

En premier lieu, dans la démarche thérapeu-tique, nous n’avons pas pour objectif de séparer lespatientes « organiques » de celles considéréescomme psychogènes.

D’ailleurs, pour la malade, cette séparation est unnon-sens. Elle a mal dans son corps, donc elle vientconsulter un médecin pour qu’il l’aide à vaincre cettedouleur. Si la douleur est qualifiée de psychogène, lapatiente le vit comme une non-« validation », unenon-acceptation de sa plainte.

Mais comme l’a montré J Paavonen dans unerevue de la littérature [7], souvent la vulvodynie(et/ou la dyspareunie) reste un syndrome inexpliqué,comportant une dysfonction sexuelle et unedifficulté psychologique.

En pratique, quand le médecin rencontre desdyspareunies chroniques ou une sécheressevaginale persistante qui dure depuis longtemps(c’est-à-dire des troubles qui ont de fortes chancesd’avoir des composantes psychologiques associées),il devrait se demander s’il souhaite prendre en

charge complètement cette patiente, tant pour lesaspects physio logiques organiques quepsychologiques, ou s’il préfère faire le tridiagnostique et l’adresser à un confrère.

En effet, mettre en place un traitementsymptomatique ne suffit pas le plus souvent, et si cetraitement symptomatique est répété à plusieursreprises et toujours sans succès, cela peut mêmeinduire une résistance à toutes les thérapeutiquesqui vont suivre.

Pour apaiser ce type de plainte, il faut le plussouvent des consultations répétées qui associent lesmoyens médicamenteux certes, mais aussi uneapproche psychosomatique [6] qui aide ces femmes àpercevoir les conflits sous-jacents qui s’expriment parleur plainte. Qu’il s’agisse de frustration sexuelle quine peut se formuler, de désamour de soi, ou encorede difficultés relationnelles, la plainte mise en avantpeut être alors un appel à l’aide.

En fait, quand une femme consulte pour cestroubles, il s’agit le plus souvent de mettre en placeles moyens thérapeutiques suivants :

– en cas de pathologie vulvovaginale organique,le traitement dépend bien sûr de la cause ;

– en cas de carence hormonale, le traitementgénéral et/ou local sera mis en place, s’il n’y a pas decontre-indications ;

– comme il s’agit de troubles affectant la sphèresexuelle et psychoaffective, les sexothérapies et lesdivers types de psychothérapies, associées auxtraitements symptomatiques, seront indispensables.

Pour ce troisième point, il nous faut garderclairement à l’esprit que pour ces femmes qui ontmal dans leur corps, c’est presque toujours sur leplan somatique qu’il nous faut débuter la prise encharge et installer la relation de confiancemédecin-patiente qui va être le moteur duchangement.

Pour pouvoir aider ces femmes, il faut s’appuyersur ce que l’on sait de la physiologie (et des conseilsque celle-ci nous pousse à donner) et sur un certainnombre d’éclairages que la psychologie peut nousapporter.

Les conseils et le soutien du médecin se doiventd’être aussi détaillés que son ordonnance, plusencore même quand le contexte est angoissant(dyspareunie postintervention mutilante pour cancerpar exemple).

L’information à donner à la femme, lamodification des perceptions locales du fait desdivers traitements (ovules, pommades, crèmes, bainsde siège, préparations pharmaceutiques, lubrifiant,polycarbophile) aide beaucoup à faire en sorte quela patiente croit à nouveau à sa guérison et qu’elleveuille aussi se prendre en charge.

L’objectif premier de la thérapie est de ne pasaggraver le symptôme par des actions chirurgi-cales, ou même par des actions médicales tropponctuelles et limitées (comme le fait de prescrireuniquement des ovules ou des crèmes pendant dessemaines), sans prendre en compte le fait qu’il s’agitaussi et d’abord d’un symptôme sexuel. C’estpourquoi, le plus souvent, une formation àl’approche des difficultés sexuelles est souhaitablepour venir compléter le traitement médical.

Dyspareunies - 6-0590

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En effet, pour ce type de symptôme, il estindispensable de soulager le symptôme« insatisfaction sexuelle » dans son ensemble,d’autant que nous savons que le meilleurantidouleur, c’est le plaisir [5]. Mais pour cela, il fautpouvoir aider la patiente pour qu’elle cesse d’êtredans la loi du tout ou rien, loi qui la maintient dansl’attente d’une cessation complète de la douleuravant qu’elle ne s’autorise à tenter la recherche duplaisir.

Une thérapeutique sédative, ainsi que desméthodes psychocorporelles, peuvent être associéesaux conseils sexothérapiques.

Dans une étude en cours, la prescription depetites doses d’amineptine (Survectort 50 à100 mg), associée à une prise en chargesexothérapique, à 52 patientes souffrant dedyspareunies, a permis la cessation de la plaintechez 41 d’entre elles (79 %).

Cependant, n’oublions pas qu’indépendammentde toute prescription, il est parfois indispensable derésoudre d’abord des éventuels problèmesrelationnels avec le conjoint, donc d’entreprendreune psychothérapie de couple. Le symptômevulvopérinéal est bien placé pour servir de rempartcontre les rapports sexuels. Aussi, la prise en compteplus directe de la problématique sexuelle etconjugale aide parfois à éclaircir et à résoudre lesconflits latents, qui cherchent souvent à s’exprimer àtravers ces symptômes.

D’autres fois, ce sont des troubles plusinconscients qui peuvent gêner la résolution du

symptôme, ce qui évoque la nécessité d’une prise encharge psychanalytique plus introspective (avec unautre thérapeute).

Dans de nombreux cas, la relaxation oul’hypnose éricksonnienne (relaxation mentale) estun excellent adjuvant thérapeutique. Si la patientepeut détourner son attention de son périnée,l’obsession de son symptôme perd de son acuité.

Cette approche médicale et psychologiquedynamise les patientes et les couples qui se sententsoutenus par ces moyens thérapeutiques. Trèssouvent, au début de leurs troubles, les femmes sesentent dépassées par leurs symptômes qui lesbloquent et les obligent à « tourner en rond ».

La mise au point d’un « programme thérapeu-tique » les aide et elles reprennent confiance.

On se rend vite compte, dans ce domaine, que lapersonnalité du médecin et sa compétencepsychologique sont des facteurs thérapeutiques, aumême titre que sa compétence technique. Pour

prendre en charge la douleur, le médecin doit croireà cette douleur et au potentiel de changement de lapatiente. De ce fait, il peut agir au moins sur ladimension psychologique de la perception de cettedouleur, c’est-à-dire la souffrance.

Dans ce contexte, l’impression d’impuissancethérapeutique est en général éphémère si nous nenous laissons pas gagner par le découragement,l’agressivité et le renvoi de la patiente, ou encore sinous ne nous lançons pas, sans aucun recul, dansune escalade thérapeutique qui ne peut qu’induireune escalade de la résistance du symptôme.

Quelquefois, cependant, il apparaît clairementque le symptôme a une fonction (dans la dynamiquepsychique) qu’il est utile de respecter.

L’objectif thérapeutique n’est alors plus le mêmepuisque la douleur est ici un « moindre mal » et quesa suppression, si tant est que l’on puisse le faire, faitcour i r le r isque d’une décompensat ionpsychologique.

Globalement, par cette approche multidirectio-nelle qui cherche à s’adapter au cas par cas, lesdivers travaux [1, 5, 11] soulignent le fait que l’on peutaider de 50 à 80 % des patientes, et ce même si ladouleur est installée depuis plusieurs années.

C’est à travers cette communication, par le biaisde la thérapie personnalisée, au cas par cas, telle quenous l’avons définie, que pourra s’établir,pensons-nous, le processus de guérison.

Sylvain Mimoun : Gynécologue responsable de l’unité de gynécologie psychosomatique et d’études de la sexualité humaine,service de gynécologie-obstétrique de l’hôpital Robert-Debré (Pr Blot), 45, rue de Maubeuge, 75009 Paris, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : S Mimoun. Dyspareunies.Encycl Méd Chir (Elsevier, Paris), AKOS Encyclopédie Pratique de Médecine, 6-0590, 1998, 4 p

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Erreur à ne pas commettre✔ Ne pas dire « vous n’avez rien » oumême « c’est psychologique ».✔ Ne pas aggraver le symptôme pardes actions chirurgicales, ou mêmepar des actions médicales tropponctuelles et limitées.

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Page 95: Le Manuel Du Généraliste - Divers

Dyspepsie chronique idiopathique

B Coffin

L a dyspepsie chronique idiopathique (DCI) motive 2,5 % des consultations non spécialisées et 10 à 25 % desconsultations de gastroentérologie. C’est un diagnostic d’interrogatoire ; les examens complémentaires sont le

plus souvent inutiles. Le traitement, largement empirique, fait appel aux antiacides, aux antisécrétoires ou auxprokinétiques. La prise en charge du patient sur le plan psychologique fait partie intégrante du traitement.© Elsevier, Paris.

■Introduction

Parmi les patients ayant une pathologiefonctionnelle du tube digestif, un grand nombre seplaint de symptômes chroniques dont l’origine estattribuée au tractus digestif haut. Parmi ceux-ci, lamajorité répond à la définition de la dyspepsiechronique idiopathique qui, étymologiquement,signifie « difficultés à digérer ». Ces dernières années,des techniques d’exploration de plus en plussophistiquées ont permis d’objectiver denombreuses anomalies fonctionnelles au cours de ladyspepsie chronique idiopathique, essentiellementau niveau de la sphère gastroduodénale.

■Syndrome dyspeptique

‚ Définition

Longtemps, la multiplicité des termes utilisés pourqualifier la dyspepsie (dyspepsie chroniqueidiopathique, non ulcéreuse, essentielle, motrice,estomac irritable) témoignait de l’absence dedéfinition consensuelle de cette entité. Depuis ledébut des années 1990, un accord s’est établi aprèsde nombreuses réunions d’experts internationaux.Le terme de dyspepsie chronique idiopathique (DCI)doit être utilisé en présence de symptômeschroniques, évoluant depuis au moins 3 mois, quisemblent émaner de l’estomac. Les autresqualificatifs ne doivent plus être utilisés. Cessymptômes comprennent une sensation de satiétéprécoce avec difficultés à terminer un repas normal,une sensation de plénitude gastrique postprandiale,une distension siégeant dans la région épigastriqueen période postprandiale, des nausées et desvomissements alimentaires et une impression dedigestion lente. La douleur épigastrique vraie,

pouvant faire évoquer une pathologie ulcéreuse, estparfois présente. Le plus souvent, les patients seplaignent davantage d’une sensation d’inconfortdigestif, désagréable. Bien que la gêne soit difficile àquantifier, ces symptômes interfèrent directementavec la qualité de vie des patients. L’absenced’amaigrissement doit être soulignée.

La DCI est de loin la cause la plus fréquente de cessymptômes, mais certaines pathologies organiques,parfois exceptionnelles, peuvent provoquer la mêmesymptomatologie ( tab leau I ) . Elles serontrecherchées au moindre doute, notammentl’existence d’une obstruction par une endoscopie etla prise de médicaments susceptibles d’interféreravec la vidange gastrique par un interrogatoiresoigneux.

Ils doivent être présents, depuis au moins 3 mois,en l’absence de prise médicamenteuse susceptibled’interférer avec la vidange gastrique.

En cas de doute clinique, il faut éliminer, parendoscopie, une pathologie ulcéreuse ouobstructive.

‚ Dyspepsie chronique idiopathiqueet autres pathologiesfonctionnelles digestives

Il existe un chevauchement considérable entre lesdifférentes pathologies fonctionnelles digestives.L’interrogatoire soigneux d’un patient se plaignantde DCI retrouve fréquemment des signes évocateursde reflux gastro-œsophagien ou d’autres évoquantun syndrome de l’intestin irritable. Il est admis deconsidérer le reflux gastro-œsophagien comme uneentité propre, répondant à un mécanismephysiopathologique précis, et de ne plus l’intégrerdans le cadre de la DCI, comme cela a été fait, à tort,pendant longtemps. Les liens entre la DCI et lesyndrome de l’intestin irritable, c’est-à-dire unedouleur améliorée par l’émission de selles ou de gaz,ou des troubles du transit digestif, sont extrêmementforts. Des études épidémiologiques ont montréqu’avec le temps, la symptomatologie étaitsusceptible de se modifier du syndrome de l’intestinirritable à la dyspepsie et inversement.

Dans tous les cas, c’est le symptôme quiprédomine et qui motive la consultation qui

Tableau I. – Principales causes des symptômes dyspeptiques.

— Dyspepsie chronique idiopathique— Obstruction (tumeurs gastriques et duodénales, inflammatoires...)— Dermatomyosite, sclérodermie, dystrophies musculaires et autres collagénoses— Neuropathies viscérales (diabétique, amylose, dysautonomies primitives)— Myélopathie, hypertension intracrânienne, anorexie mentale— Médicaments (dopaminergiques, anticholinergiques, psychotropes, opiacés)— Gastro-entérites virales— Séquelles de la chirurgie gastrique (vagotomie)

Les symptômes de la dyspepsiechronique sont :✔ satiété précoce ;✔ plénitude gastrique postprandiale ;✔ distension épigastriquepostprandiale ;✔ nausées, vomissements ;✔ douleur épigastrique ;✔ sensation d’inconfort digestifen l’absence d’amaigrissement.

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permettra de classer le patient dans un cadrenosologique particulier, de réaliser les explorationséventuellement nécessaires et d’entreprendre untraitement adapté.

■Épidémiologie

Plusieurs études épidémiologiques, réaliséesessentiellement dans les pays anglo-saxons etscandinaves, ont montré que la DCI est unepathologie particulièrement fréquente. Entre 20 et40 % des sujets interrogés signalent des symptômesdyspeptiques. Il est possible que ces différencessoient dues à des variations géographiques, mais ilest plus probable qu’elles soient dues aux problèmesde définition. En France, la fréquence de cettepathologie est certainement très proche de ceschiffres. Actuellement, on estime que la DCI motive 2à 5 % des consultations non spécialisées et 10 à25 % des consultations en gastroentérologie.

■Physiopathologie

Le développement de nombreuses techniquesd’exploration fonctionnelles a permis de mieux saisirla physiopathologie de la DCI.

‚ Anomalies motrices

La première anomalie qui a été clairementdémontrée chez ces patients était l’existence detroubles de la motricité gastroduodénale. À jeun, ilexiste une hypomotricité antrale et duodénale. Maisc’est surtout en période postprandiale que lesanomalies sont les plus marquantes. Les études detransit scintigraphiques ont montré qu’environ 50 %des patients sont atteints de gastroparésie. Le retardde la vidange gastrique porte aussi bien sur lavidange des solides que sur celle des liquides, mais

des dissociations sont parfois possibles. À partir de laseule analyse des symptômes, il est difficile d’isolernettement les patients ayant des troubles moteurs.Seule la sensation d’une digestion lente semble avoirune certaine valeur prédictive pour l’existence d’unegastroparésie. Cette stase gastrique postprandiale estsous-tendue par une hypomotricité antrale enpériode postprandiale. Outre ces anomalies de lamotricité antrale, il existe fréquemment unemauvaise coordination de la région antropyloroduo-dénale et, parfois, des anomalies de la motricitéintestinale.

Le rôle physiopathologique de ces anomalies dela motricité gastrique reste discuté. D’une part leurprésence est inconstante, d’autre part l’utilisation deprokinétiques, qui corrigent le retard de vidangegastrique chez ces patients, ne fait pas totalementdisparaître les symptômes.

‚ Anomalies de la sensibilité gastrique

Au cours des autres pathologies fonctionnellesdigestives, comme les douleurs thoraciques nonangineuses et le syndrome de l’intestin irritable,certains travaux ont montré qu’il existait chez cespatients une hypersensibilité viscérale à ladistension. Cette anomalie a été égalementretrouvée au cours de la DCI. Lorsqu’on effectue destests de distension par un ballonnet placé dans lacavité gastrique, la douleur survient pour desvolumes ou des pressions de distension plus faibleschez les patients que chez les sujets sains contrôles(fig 1). Cette hypersensibilité gastrique à la distensionn’est pas due à un défaut d’« extensibilité » del’estomac. En effet, la compliance, c’est-à-dire lescaractéristiques mécaniques des cellules musculaireslisses, était toujours normale. Dans la majorité descas, ces tests de distension permettent de reproduireles symptômes spontanément ressentis par lespatients. Cela suggère fortement que cette anomaliesoit directement impliquée dans la genèse dessymptômes. Cette hypersensibilité viscérale n’est pasassociée à une hypersensibilité somatique, qui esttoujours normale. Mais comme les anomalies de lamotricité, cette hypersensibilité viscérale n’est pas

constante. D’après les données publiées dans lalittérature, on estime qu’elle est présente chezenviron 60 % des patients. Aucune corrélation avecles anomalies de la motricité gastrique n’a étéretrouvée.

Le siège de cette anomalie sensitive, localisé àl’estomac ou diffuse à l’ensemble du tube digestif,reste encore discuté. Certaines études suggèrent quel’atteinte serait uniquement gastrique ; dans d’autrestravaux, cette anomalie serait diffuse à l’ensembledu tube digestif comme au cours des autres troublesfonctionnels digestifs.

Cette anomalie de la sensibilité viscérale s’intègrepeut-être dans le cadre d’une neuropathie viscéralesensitivomotrice diffuse évoluant a minima. En effet,un travail a montré qu’il existait, chez ces patients,des anomal ies d’une boucle réflexeduodénogastrique.

L’origine de cette hypersensibilité viscérale aucours de la DCI, mais aussi au cours des autrespathologies fonctionnelles digestives, reste encoreméconnue, compte tenu de la multiplicité desstructures nerveuses mises en jeu et des nombreuxmécanismes régulateurs impliqués. Les nouvellestechniques d’exploration neurophysiologique quiapparaissent actuellement, comme la scintigraphie àémission de positron ou la résonance magnétiquenucléaire fonctionnelle, permettront sans douted’élucider les questions qui restent en suspens.

‚ Sécrétion gastrique acide

Plusieurs études ont tenté de faire la preuve d’uneanomalie de la sécrétion gastrique acide chez lespatients ayant une DCI. Il est aujourd’huirelativement clair qu’une telle anomalie n’est pas encause chez ces patients. Parfois, les patientsdécrivent une symptomatologie qui reproduit à s’yméprendre une symptomatologie ulcéreuse.Certains d’entre eux sont même manifestementsoulagés par la prise d’un antiacide oud’antisécrétoires. Cette efficacité a été confirmée lorsd’études randomisées contre placebo selon lesméthodes classiques, mais aussi en utilisant denouveaux plans thérapeutiques, dits enmulticrossover , permettant de comparer letraitement au placebo selon un ordre aléatoire chezun même patient. Ces résultats suggèrent quecertains patients pourraient présenter unehypersensibilité gastrique à l’acide. Cette hypothèsen’a pas encore été confirmée chez des patients, maisun travail récent vient de montrer que l’acidechlorhydrique était capable de modifier le seuildouloureux lors d’une distension mécanique chez lesujet sain. L’acide chlorhydrique agirait comme unsensibilisateur.

‚ Reflux duodénogastriqueL’hypothèse d’un reflux duodénogastrique de

sécrétions biliaires ou pancréatiques a aussi étéévoquée. À ce jour, aucune étude n’a permis demettre en évidence une telle anomalie chez cespatients.

‚ Gastrite et Helicobacter pyloriLa découverte histologique d’une gastrite

inflammatoire localisée ou diffuse n’est pas corréléeà l’existence des symptômes.

Physiopathologie de la dyspepsieidiopathique chroniqueOn évoque :✔ des anomalies motrices avec unehypomotricité antrale et duodénale,à jeun et surtout en périodepostprandiale ;✔ des anomalies de la sensibilitégastrique avec une hypersensibilitéviscérale à la distension ;✔ un abaissement par la sécrétiongastrique acide du seuil douloureuxlors de la distension mécanique ;✔ le rôle déclenchant de certainsaliments, souvent évoqué, estpossible mais non démontré ; il n’y apas d’allergie alimentaire vraie.Il n’y a pas de profil psychologiqueparticulier.

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1 Pourcentage de sujets dyspeptiques ressentant unedouleur lors d’une distension gastrique par un bal-lonnet. Le seuil douloureux est obtenu pour des volu-mes de distension plus faibles chez les patients quechez les sujets sains contrôles (d’après Lémannet al) [6].

6-0570 - Dyspepsie chronique idiopathique

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Page 97: Le Manuel Du Généraliste - Divers

Plus récemment, le rôle d’Helicobacter pylori (Hp) aété évoqué. Dans ce cas, son éradication, par uneassociation d’antibiotiques et d’antisécrétoires, devraitentraîner une disparition rapide et durable dessymptômes. Malheureusement, les résultats sontcontradictoires. Dans certains travaux, l’éradication deHp entraîne une diminution, voire une disparition, dessymptômes, alors que dans d’autres, cet effet n’est pasretrouvé. Dans la majorité des études, l’efficacité surles symptômes était jugée à court terme (4 à 8semaines). Deux études ont cherché à déterminer sil’éradication de Hp entraînait une améliorationsymptomatique à long terme. Dans ces travaux, alorsque l’amélioration symptomatique était faible au boutde 4 semaines chez les patients éradiqués, au bout deplusieurs mois, les symptômes finissaient pardisparaître. Cela pourrait suggérer un rôle de Hp dansla genèse des symptômes, mais pourrait aussi êtreseulement le reflet de l’histoire naturelle de la maladie.

Concernant l’étude de la sensibilité viscérale, lesseuils douloureux à la distension ne sont pasdifférents chez les patients à Hp positif et ceux à Hpnégatif. Ces résultats suggèrent que le rôle de Hp estlimité dans la genèse des symptômes et n’invitentpas à effectuer une éradication systématique de cegerme chez les patients ayant une DCI.

‚ Profil psychologique

Plusieurs travaux avaient montré que les patientsayant des troubles fonctionnels digestifs avaient desprofils psychologiques particuliers, comme unetendance hypochondriaque ou une personnalitéhystérique. Ces études initiales étaient biaisées carréalisées chez des patients consultant pour leurpathologie. Plus récemment, d’autres travauxéliminant ce biais n’ont pas confirmé l’existence deces anomalies. Seuls les patients consultants ontparfois une personnalité particulière, qui ne s’intègrepas dans un cadre physiopathologique précis. Lerôle du stress dans l’apparition des symptômes estdifficile à apprécier. Plus que l’importance du stress, ilsemble que ce soit la manière dont il est ressenti parles patients qui doive être prise en compte.

‚ Alimentation

Le rôle déclenchant de certains aliments est trèssouvent évoqué par les patients. Mais il ne faut pasparler d’allergie alimentaire vraie, qui est exceptionnellechez l’adulte. Il est possible que certains aliments,comme ceux riches en lipides, par les libérationshormonales qu’ils induisent, en particulier lacholécystokinine, favorisent l’apparition d’anomaliesmotrices ou une hypersensibilité gastrique.

■Place des explorations

complémentaires

Des examens complémentaires seront éventuel-lement réalisés en fonction des données obtenues parl’interrogatoire et l’examen clinique (tableau II). Dansla majorité des cas, ils sont inutiles, le diagnostic deDCI reposant sur l’interrogatoire. Le problèmeessentiel est la réalisation ou non d’une fibroscopieœsogastroduodénale. Il semble légitime de la

réaliser en cas de syndrome douloureux d’allureulcéreuse, et si les symptômes sont apparusrécemment chez un patient âgé de plus de 45 ans.La prévalence du cancer de l’estomac et dulymphome gastrique est faible en France, mais cettehypothèse diagnostique doit être gardée à l’esprit.

Dans les autres cas, aucun consensus ne se dégage.Des études comparant le rapport coût/bénéficethérapeutique d’un traitement empirique versus untraitement précédé d’une fibroscopie ont été réalisées,essentiellement en Grande-Bretagne et aux États-Unis,deux pays qui se différencient nettement de la Francepar les possibilités d’accès aux soins et par le coût desexamens complémentaires. Dans ces études, aucunedifférence significative de coût entre les deuxstratégies ne se dégage. L’avantage à réaliserrapidement une endoscopie est d’éliminer aveccertitude une pathologie organique, ce qui rassurera lepatient et confortera le médecin traitant dans sondiagnostic. Cependant, il ne faut jamais répéter cetexamen de manière itérative, sauf modificationsimportantes de la symptomatologie clinique.

Les autres examens complémentaires, comme lamesure de la vidange gastrique par scintigraphie, oul’étude de la sensibilité viscérale par des tests dedistension, sont réservés aux patients ayant uneforme clinique sévère, adressés à des centres deréférence de type CHU et, si possible, dans le cadrede protocoles de recherche cl inique outhérapeutique précis.

La recherche de H pylori par biopsies, cultures outests sérologiques n’est pas souhaitable à titresystématique.

Les examens radiologiques, comme un transitœsogastroduodénal, n’ont aucune place dansl’évaluation diagnostique de ces patients et doiventêtre abandonnés. Peu sensible et peu spécifique, letransit œsogastroduodénal ne permet pasd’apprécier quantitativement la vidange gastrique.

Dans tous les cas, sauf modifications récentes dutableau clinique ou devant l’existence d’unealtération de l’état général, il est totalement inutile deles répéter.

■Approche thérapeutique

Les différentes approches pharmacologiques quivont être proposées au patient dépendent dumécanisme physiopathologique établi ou supposéêtre à l’origine des symptômes.

‚ Antiacides et antisécrétoires

Certains patients sont nettement améliorés par lasimple prise d’un antiacide ou par des antisécré-toires, anti-H2 ou inhibiteurs de la pompe à protons.Cette efficacité laisse supposer un rôle physiopatho-logique à la sécrétion gastrique acide. Les anti-H2

devraient être préférés aux inhibiteurs de la pompe àprotons, compte tenu essentiellement d’un coût plusfaible. Ils peuvent être administrés sous leur formeclassique ou sous leur forme effervescente, quicomporte également des antiacides. Dans cetteindication, il est probable que des prises répétéesdans la journée, deux à trois fois par jour, soient plusefficaces qu’une prise unique le soir, bien qu’aucuneétude n’ait comparé ces deux protocolesthérapeutiques.

‚ Prokinétiques

Les différents prokinétiques disponibles et leursmécanismes d’action sont rapportés dans le tableauIII. À l’exception de l’érythromycine, l’efficacité desprokinétiques a été démontrée dans de nombreusesétudes au cours de la DCI. Dans l’ensemble, ilsaméliorent significativement les symptômes et,quand cela a été étudié, ils accélèrent la vidangegastrique. Quant à l’érythromycine, son actionprokinétique a été montrée au cours de lagastroparésie diabétique avec de faibles doses(125 mg), mais n’a pas été confirmée au cours de laDCI. De nouvelles molécules dérivées del’érythromycine, sans action antibiotique et avec uneffet moteur plus important, sont en coursd’élaboration.

‚ Modificateurs de la sensibilité viscérale

La recherche de molécules ayant une actionspécifique sur la sensibilité viscérale est un desgrands challenges de la recherche pharmaceutiquepour ces prochaines années. Des résultatsencourageants ont été obtenus avec certainesmolécules en cours de développement, comme lafédotozine, un agoniste des récepteurs opiacéspériphériques, ou certains antagonistes desrécepteurs de type 3 (les anti-5HT-3) à la sérotonine.Cependant, aucune de ces molécules n’est encoredisponible sur le marché.

‚ Modificateurs de l’humeur

Peu d’études ont cherché à mettre en évidenceune efficacité des anxiolytiques ou des antidépres-seurs à faible dose au cours de la DCI. Dans certains

Tableau II. – Place des examens complémentaires nécessaires chez des patients ayant un syndromedyspeptique sans signes de gravité.

Examen indispensable :- aucun

Examens possibles :- fibrosocopie œsogastroduodénale- glycémie- mesure de la vidange gastrique (par un centre de référence)- test de sensibilité gastrique (par un centre de référence et dans le cadre d’un protocole)

Examens inutiles :- fibrosocopies œsogastroduodénales répétées (sauf modifications récentes du tableau clinique)- transit œsogastroduodénal- recherche d’Helicobacter pylori (quelle que soit la méthode)

Dyspepsie chronique idiopathique - 6-0570

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Page 98: Le Manuel Du Généraliste - Divers

cas, cette option thérapeutique est parfoisnécessaire. Elle ne doit en aucun cas êtresystématique.

‚ Prise en charge psychologique

La prise en charge du patient sur le planpsychologique fait partie intégrante du traitement.L’efficacité de techniques de relaxation plus oumoins profonde, dont l’hypnose fait partie, a été bienétablie au cours du syndrome de l’intestin irritable,mais pas spécifiquement au cours de la DCI. Sanspousser les patients à entreprendre de telstraitements, il est indispensable de les rassurer sur labénignité de leurs symptômes en leur expliquant, sipossible, les mécanismes physiopathologiquesévoqués. Les notions d’« estomac paresseux » oud’« estomac trop sensible » sont bien acceptées parles patients et les aident à mieux vivre avec leurssymptômes. En revanche, nier l’origine digestive dessymptômes, les rejeter sur une anomaliepsychologique, et orienter d’emblée les patients versune consultation psychiatrique, ou une prise en

charge psychologique, sont des attitudes très malressenties. Elles ne font qu’augmenter le désarroi dupatient.

‚ Quelle option thérapeutique choisir ?

Le traitement de la DCI est largement empirique.On utilisera plus facilement les antisécrétoires en casde douleurs d’allure pseudo-ulcéreuse et lesprokinétiques en cas de symptômes évoquant unepathologie motrice. Aucun schéma thérapeutiquestandardisé n’est reconnu. Dans la mesure dupossible, il faut réaliser initialement un traitement de4 à 6 semaines et juger, à ce terme, de l’évolutionsymptomatique. Si les symptômes disparaissent, iln’y a pas lieu de poursuivre un traitementd’entretien. En cas de récidive, toujours possible, untraitement à la demande est souvent suffisant. Enrevanche, si les symptômes persistent malgré untraitement bien conduit, il est logique, soit d’essayercertaines associations thérapeutiques, soit decompléter les investigations. L’association deplusieurs prokinétiques ayant des mécanismes

d’action différents, ou l’association de prokinétiqueset d’antisécrétoires n’ont jamais été testées dans desétudes randomisées.

Un régime alimentaire draconien n’est justifié enaucun cas. Par lui-même, le patient aura tendance àéliminer certains aliments susceptibles de majorerses symptômes.

■Conclusion

La DCI est une pathologie fonctionnelle bénigneparticulièrement fréquente. Grâce aux nombreuxprogrès technologiques réalisés ces dernièresannées, de nombreuses avancées ont été réaliséessur le plan physiopathologique, avec, notamment, lamise en évidence d’anomalies de la motricité et de lasensibilité viscérale. Il est probable que dans lesannées à venir, des prokinétiques puissants et desantalgiques agissant spécifiquement sur la douleurviscérale verront le jour. Ils permettront sans douteune meilleure prise en charge de ces patients.

Benoît Coffın : Ancien chef de clinique, assistant des Hôpitaux,service de gastro-entérologie, hôpital Saint-Lazare, 107 bis, rue du Faubourg-Saint-Denis, 75475 Paris cedex 10, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : B Coffın. Dyspepsie chronique idiopathique. Encycl Méd Chir (Elsevier, Paris), Encyclopédie Pratique de Médecine,6-0570, 1998

R é f é r e n c e s

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Tableau III. – Différents prokinétiques avec leurs mécanismes d’action proposés pour le traitement de la DCI.

Molécule Action Mécanisme d’action Nom commercialt et posologie

Métoclopramide Accélère la vidange gastrique, centre desvomissements

Facilite la libération d’acétylcholine Primpéran, Anausin Métoclopramide, ProkinylLP, Primpéroxane

? 1cp x 3/j

Dompéridone Accélère la vidange gastrique. Antidopaminergique Motilium, PéridysAméliore la coordination antropyloroduodénale 1cp x 3/j

Cisapride Accélère la vidange gastrique Agoniste des récepteurs 5-HT-4 PrepulsidFaciliterait la libération d’acétylcholine 1 cp x 3/j

Érythromycine Accélère la vidange gastrique (à faibles doses) Agoniste de la motiline Éry (nourrisson)125 mg x 3 j

6-0570 - Dyspepsie chronique idiopathique

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Facteurs psychologiques

des rachialgies chroniques :

de l’évaluation à la prise en charge

S Perrot

L ’approche du rachialgique chronique doit être multiple. Cherchant à analyser les facteurs mécaniques, elledevra prendre en compte les facteurs psychologiques intriqués, cette prise en compte permettant d’éviter des

erreurs diagnostiques et thérapeutiques.© Elsevier, Paris.

■Introduction

La douleur est un phénomène complexedifficilement évaluable qui fait très souvent discuterune origine organique prouvée ou une atteinte ditepsychogène, la réalité étant le plus souvent uneintrication des deux. Les douleurs rachidiennes sonttrès fréquentes dans les pays occidentaux, à l’origined’un nombre élevé de consultations et de journéesd’arrêt de travail, représentant un réel problème desociété et de santé publique. Les rachialgiesoccupent une place particulière dans la douleur carpour les patients, elles ne sont pas forcément liées àun problème médical. En revanche, la prise encharge classique des rachialgies a tendance à êtreessentiellement médicamenteuse, alors que lesfacteurs professionnels, psychologiques oud’hygiène de vie sont au premier plan et restentnégligés. Ce mal de dos, que l’on qualifie souvent de« mal du siècle », n’est souvent que l’expressionsomatique de personnes vivant dans unenvironnement difficile, dans des conditions de vieet de travail pénibles et devant des responsabilitéslourdes à assumer.

Il faut donc actuellement envisager une autreapproche des douleurs chroniques, en particulier desrachialgies, le médecin se trouvant confronté à unedemande qui souvent le dépasse et qui ne pourraêtre raisonnablement satisfaite par des moyensmédicaux habituels et strictement rhumatologiques.Ainsi, nous envisagerons dans un premier temps lesmodalités de l’évaluation psychologique deslombalgies, qui doit aller au-delà de la différenciationclassique entre les douleurs du dos et celles qui neseraient que « dans la tête ». Nous tenterons ensuitede définir une prise en charge globale des rachialgiesqui devrait éviter les dérives iatrogènes, souventnéfastes, mais qui viserait aussi à ne pas fairesupporter par le médecin tous les problèmes que ledos des patients n’est plus à même d’assumer.

■Physiopathologie : des mécanismes

complexes encore méconnus

‚ Altérations morphologiquesrachidiennes

Elles n’ont aucune corrélation avec le niveau dedouleur. La cause des rachialgies reste encoremystérieuse. On sait maintenant que tous lescomposants rachidiens et périrachidiens participentà la genèse de la sensation douloureuse et que ledisque intervertébral n’est pas le seul en cause. Desnocicepteurs sont présents dans toutes les structureslocales : plateaux vertébraux, ligament communintervertébral postérieur, muscles paravertébraux,articulations interapophysaires postérieures etjouent un rôle dans les différentes composantes dela douleur rachidienne chronique. La partinflammatoire est mieux connue grâce aux progrèsrécents de l’imagerie rachidienne qui ont permis demettre en évidence des anomalies inflammatoiresdes plateaux vertébraux en postopératoire, aprèsune nucléolyse ou dans les discarthrosesdestructrices rapides.

Malgré tout, les niveaux de douleur sont trèsdifférents selon les patients pour des atteintesrachidiennes comparables et il ne semble pasexister de parallélisme entre l’imagerie rachi-dienne quelle que soit la technique employée et leniveau de douleur ou de handicap. L’imagerie n’estutile que lorsqu’elle se confronte à l’analysesémiologique pour permettre d’éliminer desdiagnostics de gravité.

‚ Caractéristiques psychologiquesdu rachialgique

Les facteurs psychologiques jouent un rôlemajeur dans les rachialgies [1], mais on ne peutdéfinir précisément si c’est la douleur qui modifie lescaractéristiques psychologiques des patients ou si, àl’inverse, ces rachialgies surviennent sur un terrainprédisposé. On sait ainsi que des rachialgies peuventrévéler une dépression dite masquée. À l’inverse, des

lombalgies particulièrement invalidantes pourrontavoir des conséquences sur l’humeur des patients,notamment dans des contextes professionnelsmanuels où la perte d’activité peut entraîner desconséquences dramatiques pour la famille de cespatients. La représentation symbolique de lacolonne rachidienne a un rôle majeur et il n’est pasrare de remarquer que tout s’effondre quand lacolonne ne tient plus. On considère que lesrachialgies chroniques qui ne sont pas résolues enmoins de 6 mois se compliquent presqueinéluctablement de désordres psychologiques telsque dépression, anxiété voire somatisation dansd’autres sphères physiques. Certains patientslombalgiques chroniques sont typiquementdéprimés, coléreux, préoccupés par leurssymptômes physiques, la sévérité de l’atteinte étantcorrélée à la durée des symptômes [8]. En fait, cepoint reste controversé, et dans une étude sur desmineurs, Leino et Magni [7] n’ont pas confirmé queles lombalgies chroniques prolongées pouvaient secompliquer de dépression au long cours.

Malgré tout, si la douleur chronique est à l’origined’un retentissement psychologique important, lescaractéristiques préalables de la personnalité despatients semblent jouer un rôle important dans ladétermination de l’extension, de la nature et de lasévérité des symptômes psychologiques [2]. Il estdonc important d’évaluer précisément ces patients etde tenter de démêler ce qui relève de leur structurepsychologique et de problématiques préalables et cequi découle de la douleur et de sa pérennisation.

■Évaluation psychologique

des patients rachialgiques

Lorsqu’un patient consulte pour rachialgie,l’évaluation physique va reposer sur des critèresd’examen clinique et des techniques d’imagerieadaptées. Dans une rachialgie chronique, même surun terrain ne présentant pas de caractéristiquespsychologiques morbides évidentes, on sait que

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vont s’intriquer rapidement des difficultésprofessionnelles, sociales, parfois financières etconjugales [6]. Il est donc indispensable quel’évaluation clinique soit complétée par uneévaluation psychologique. Cette évaluation peut sefaire par le médecin traitant, ne nécessitant pas detechniques particulières, devant suivre un plan précistel que nous l’envisageons. Parfois, dans le cadre deprotocoles de recherche, d’évaluation des soins oude thérapeutiques, il peut être utile de s’aider de testspsychométriques et de questionnaires réalisés pardes spécialistes. Nous verrons ainsi que l’évaluationdu rachialgique chronique est proche de celle detous les douloureux chroniques, à ceci près qu’ici lesfacteurs professionnels, les litiges et le handicap sontdes éléments incontournables.

‚ Évaluation du contexte psychologique

À l’interrogatoire, les antécédents de dépression,de traumatismes (guerres, accidents, viols...), dedeuils dans la vie antérieure sont des élémentsimportants à prendre en compte. Plusieurs auteursont récemment insisté sur le lien possible entre lestraumatismes sexuels de l’enfance et certainstableaux douloureux chroniques de l’âge adulte,mais de nombreux biais méthodologiques se posentdans les séries publiées, le plus souvent américaines.La vie conjugale et le vécu actuel du patient devrontêtre analysés avec tact et discrétion. Les étudesépidémiologiques ont ainsi montré que le risque delombalgie chronique est majoré chez les personnesseules, divorcées ou veuves. En revanche, le risquede lombalgie est minoré par la présence d’enfantsau foyer.

La problématique conjugale joue un rôleimportant dans les lombalgies. Les cas d’impuis-sance masculine ou de frigidité féminine sontfréquents, la relation entre les douleurs et lestroubles sexuels pouvant être envisagée de deuxfaçons. Les relations sexuelles sont écartées carressenties comme douloureuses, et parfois ladévalorisation physique qui accompagne le tableaudes rachialgies peut également entraîner destroubles du désir. À l’inverse, comme dans lamigraine, les rachialgies peuvent être un moyend’éluder les problématiques conjugales et lesdifficultés relationnelles.

La dégradation de l’image de soi et la restrictionressentie des capacités sont des éléments importantsdans les rachialgies chroniques. En effet, un grandnombre de patients rachialgiques sont relativementjeunes, sportifs et actifs et l’apparition de cessymptômes est vécue comme les premiers signesd’un vieillissement, voire d’une dégradation. Lesmédecins sont souvent en cause dans ce contexte : iln’est pas rare d’entendre un médecin dire à unpatient de 30 ans qu’il a le dos d’un patient de85 ans !

À côté de l’évaluation globale de ces patients, uneanalyse sémiologique psychologique plus fine peutparfois être nécessaire, aidée par un psychiatre ouun psychologue. Ainsi, l’anxiété, la dépression,l ’ inhibit ion psychomotrice, des élémentshypocondriaques ou conversifs, voire paranoïaques,peuvent jouer un rôle. Ils semblent qu’ils aientsurtout une valeur prédictive sur l’évolution des

malades souffrant d’une lombalgie aiguë [7]. Si ceséléments sont retrouvés, les risques de développerune lombalgie chronique après un épisode aigu sontmultipliés par deux à cinq.

‚ Évaluation du contextepsychosomatique et du « coping »

Les rachialgiques chroniques sont plus souventatteints de céphalées et de syndromes douloureuxdivers tels que la fibromyalgie. Les antécédentsmorbides psychologiques et somatiques sontimportants à préciser dans ce contexte. Desantécédents de maladie chronique modifientégalement la perception du rachialgique chroniqueen particulier sur ses capacités de guérison. Denombreuses recherches en cours étudient les liensentre mémoire et douleur en particulier grâce auxapports de la psychologie comportementale [5].

Le patient rachialgique chronique est souventmaintenu dans une passivité délétère par tous lesintervenants, médicaux ou non. Le concept de« coping », c’est-à-dire la façon de faire face à ladouleur, a permis de mieux analyser les possibilitésd’évolution des patients en fonction de leur attitudeface au symptôme. La douleur ne doit pas guider lavie des patients et les médecins ont trop longtempsfavorisé cette attitude. On a très souvent préconisédu repos prolongé dès la moindre douleur et desarrêts de travail prolongés dès la moindre rachialgieaiguë. Tous ces conseils ont pour conséquence dedésinsérer le patient de son milieu professionnel etsocial et rendent plus difficile toute reprise d’activité.Actuellement, on insiste sur le concept deréactivation à l’effort qui permet à certains patientstravailleurs manuels de reprendre une activitéprofessionnelle.

‚ Évaluation du contexte professionnel

Il est couramment admis que les facteurspositionnels sont importants dans le travail : lespersonnes sédentaires, travaillant sur écran ouconducteurs, se plaignent plus souvent de dorsalgiesqui pourront être réglées par des conseils posturauxou par l’adaptation du poste de travail aidée par uneanalyse ergonomique. Or, l’analyse du contexteprofessionnel ne doit pas se limiter à l’évaluation descontraintes mécaniques [6]. Les contraintespsychologiques sont probablement encore plusdéterminantes, notamment dans des périodes dedifficultés économiques. Le stress, les conflits, lestensions sociales peuvent influer sur les douleurs etla façon de les gérer. Une faible qualificationprofessionnelle, l’inadaptation physique auxcontraintes, un travail monotone ou pénible, dansun environnement désagréable ou bruyant,favorisent l’absentéisme et l’invalidité. L’absence depossibilités d’aménagement du poste de travail audécours d’un épisode lombaire est un facteurpéjoratif. Enfin, l’insatisfaction au travail, la faibleancienneté au poste et une mauvaise évaluationhiérarchique des employés, les facteurs linguistiques,le bas niveau des ressources... sont des facteurscorrélés à la gravité des lombalgies. Desquestionnaires permettent d’identifier les patients àrisque en milieu professionnel.

D’autre part, dans un contexte d’accident detravail, les litiges éventuels en cours avecl’employeur, les organismes d’assurance ou lesorganismes sociaux ne permettent pas d’envisagerd’amélioration notable de la douleur. Vouloirsupprimer une douleur dans un contexte de litige estillusoire : la douleur en cause est l’élément sur lequels’appuie le patient, à tort ou à raison, pour fairevaloir ses droits face à une décision considéréecomme injuste.

‚ Évaluation de la demande du patient

Avant de débuter une prise en charge, il estimportant de savoir analyser la demande du patient,de décrypter les espoirs et les priorités en jeu. Il estainsi abusif de promettre un soulagement total desdouleurs dans certains cas : un déménageurlombalgique chronique ne pourra pas êtretotalement soulagé tant qu’il continuera son activitéprofessionnelle sans adaptation de celle-ci, ce quin’est pas toujours possible. Il faut donc faire évoluerla demande, l’aménager de façon réaliste sous peinede se trouver dans une impasse thérapeutique.

Le médecin se place souvent sous la pression dela demande du patient et il est tenu de dépister lacause des douleurs et si possible de soulagerrapidement les symptômes. Dans les rachialgies, lesspécialistes sont nombreux (chirurgiens, rhumato-logues, ostéopathes, manipulateurs,kinésithérapeutes, paramédicaux...) à promettretrop rapidement une guérison sans séquelles, dansdes délais rapides, conduisant à des escaladesthérapeutiques iatrogènes et dramatiques pour lavie des patients. Cette demande insistante despatients, que parfois rien ne peut satisfaire, en cached’autres plus profondes, la plainte douloureusen’étant plus que le seul moyen d’exister pourcertains patients. Vouloir dans ce cas-là supprimer ladouleur rachidienne est illusoire, voire dangereux,pour la survie du patient. Il faudra auparavant faireévoluer la vie du patient grâce à une prise en chargeglobale intégrant éventuellement un travailpsychothérapique. Il faut attendre le moment où lepatient pourra se détacher de sa douleur sansrencontrer le vide.

■Prise en charge globale

des rachialgies

Ce n’est qu’après une évaluation complète etexhaustive des facteurs participant à la genèse desrachialgies chroniques, qu’il parait possibled’envisager une prise en charge thérapeutiqueadaptée et réaliste [4].

‚ Prise en charge psychologique

Pour certains patients, une prise en chargepsychologique sera utile, permettant de démêler lesintrications avec un passé difficile et un présentconflictuel. Dans tous les cas, cette approche doitêtre librement consentie, préparée et adaptée, lesuivi médical devant se faire en parallèle, sansabandonner les patients aux psychothérapeutes.Une collaboration active entre le psychothérapeuteet le médecin peut être nécessaire, à l’image des

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protocoles mis en place dans les centres detraitement de la douleur.

‚ Réactivation des patients

La réactivation des patients implique uneréactivation psychologique et physique, basée surdes principes d’approche comportementale.Fordyce [5] a proposé une théorisation ducomportement du douloureux selon le modèleopérant. Ce conditionnement, également dénomméskinérien, signifie qu’un comportement estdéterminé par les conséquences qui suivent saréalisation. Ce concept assez récent va à l’encontredes habitudes médicales et des patients qui ont tropsouvent préconisé le repos et l’inactivité dans lesdouleurs rachidiennes. On distingue ainsi destechniques d’approche comportementale globale,associant des rééducateurs, des psychologues et desrhumatologues. On décrit également desprogrammes de réactivation à l’effort, proposés surplusieurs semaines, qui se rapprochent deprogrammes d’entraînements intensifs pour sportifs.La réactivation physique et psychique se fait au prixd’une réactivation douloureuse transitoire acceptée,que prennent en charge des antalgiques parfoismajeurs et à fortes doses. Cela nécessite uneinversion de la prescription médicale et deshabitudes en cours qui visent encore trop souvent àmettre les patients au repos en prescrivant desdoses minimales d’antalgiques alors que l’inverseest nécessaire.

‚ Relaxation et techniques dérivées

La reprise d’une activité physique doit chercher àredonner au patient une place à son corps, à sondos. La maîtrise du stress, des douleurs, de l’anxiétédoit faire partie de cette prise en charge physique etpsychologique. Dans ce cadre, de nombreusestechniques psychologiques peuvent être bénéfiquespour gérer le stress et la douleur : la relaxation, leyoga, le biofeedback, voire l’hypnose, peuvent êtreutiles.

‚ Psychotropes dans les rachialgieschroniques

Antidépresseurs

Les propriétés antalgiques des antidépresseurssont connues depuis quelques années, en particulierdans les lombalgies [3, 9]. Ce sont essentiellement lesantidépresseurs tricycliques qui sont utilisés dans cesindications. Seules l’imipramine (Tofranilt) etl’amitriptyline (Laroxylt) ont l’autorisation de misesur le marché dans des indications antalgiques. Lesdoses utilisées sont ici moins importantes que dansla dépression, de l’ordre de 20 à 50 mg/j. Il n’y a pasd’indication à introduire de traitement par voieinjectable, en dehors du traitement d’une véritabledépression associée. Il est important d’expliquer auxpatients les raisons de la prescription d’antidépres-seurs en différenciant l’effet antalgique de l’effetantidépresseur recherché. Ces molécules sont assezsouvent utilisées dans les rachialgies rebelles, enparticulier persistant après chirurgie rachidienne.

Benzodiazépines

Elles sont fréquemment utilisées dans lesrachialgies [3]. Elles n’ont pas d’effet formellementdémontré sur les douleurs. En revanche, elles sontutiles pour diminuer les contractures musculairesparavertébrales et l’anxiété liée aux douleurs aiguës.

■Conclusion

L’approche psychologique des patientsrachialgiques chroniques est indispensable, que lesfacteurs psychologiques soient ou non au premierplan et nécessite de laisser de côté de nombreusesidées reçues. Dans l’évaluation du patient, il fautéviter de différencier les douleurs du dos et celles quiseraient « dans la tête », les mécanismes étantintriqués la plupart du temps. Dans la prise en chargedes patients, la négligence des facteurspsychologiques risque d’être source de difficultésthérapeutiques, voire de conduites iatrogènes.Malgré la prise en compte de tous ces facteurs,l’échec de la prise en charge de certains patientsrachialgiques chroniques déborde largement leproblème médical, rejoignant les problèmeséconomiques et les choix de société. Dans ces casdramatiques, il reste à se demander si seule l’éthiquemédicale doit se trouver confrontée à ce problème.

Serge Perrot : Praticien hospitalier, ancien chef de clinique-assistant,consultation d’analgésie et service de rhumatologie A, hôpital Cochin, 27, rue du Faubourg-Saint-Jacques, 75014 Paris, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : S Perrot. Facteurs psychologiques des rachialgies chroniques : de l’évaluation à la prise en charge.Encycl Méd Chir (Elsevier, Paris), AKOS Encyclopédie Pratique de Médecine, 6-0515, 1998, 3 p

R é f é r e n c e s

[1] Croft PR, Papageourgiou AC, Ferry S, Thomas E, Jayson MI, Silman AJ.Psychologic distress and low-back pain.Spine1995 ; 20 : 2731-2737

[2] De Groot KI, Boeke S, Van den Berge HJ, Duivenvoorden HJ, Bonke B,Passchier J. The influence of psychological variables on postoperative anxiety andphysical complaints in patients undergoing lumbar surgery.Pain1997 ; 69 : 19-25

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[5] Fordyce WE. Behavioral factors in pain.Neurosurg Clin North Am1991 ; 2 :749-759

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Facteurs psychologiques des rachialgies chroniques : de l’évaluation à la prise en charge - 6-0515

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Glossodynies

H Szpirglas, S Zucca-Quesemand

C ’est une langue qui brûle, une souffrance qui n’empêche pas de dormir et qui disparaît lors des repas. Lalangue, comme le reste de la cavité buccale, est le plus souvent normale, ce que confirme l’examen

stomatologique spécialisé. Il faut d’abord et toujours reconnaître la réalité de cette souffrance au niveau de la langue.© Elsevier, Paris.

■Introduction

Les glossodynies (de glosso : langue et odynie :douleur) sont des douleurs de la langue d’un typetrès particulier, des sensations de brûlures plus oumoins importantes ; plus étendues dans la cavitébuccale, on parle alors de stomatodynies ; sanssupport organique elles sont qualifiées de façon plusprécise de dysesthésies buccales psychogènes [3]

mais le terme de glossodynie reste, en pratique, leplus souvent utilisé au sens large.

Deux particularités sont à retenir d’emblée :

– le diagnostic d’une glossodynie doit êtreévoqué par tout médecin confronté à un patient quise plaint de sensations de brûlures de la muqueusebuccale : ce diagnostic encore trop souventméconnu est relativement simple à établir ;

– un patient glossodynique est un patient quisouffre : il revient au médecin de reconnaître cettesouffrance, tout en rassurant son patient surl’absence d’organicité sous-jacente.

■Diagnostic clinique

La plainte est assez remarquablementconstante : sensations de brûlures évoquantl’idée de piment, de poivre, de picotementsélectriques, quelquefois avec un goût métallique,ou amer, quelquefois avec une sensation decorps étrangers comme du sable.

Ces sensations, dysesthésies plutôt que douleurs,atteignent le plus souvent la pointe de la langue, etles bords latéraux ; mais souvent elles affectent aussiles gencives, les lèvres, le palais, soit isolément, soitassociées aux brûlures de la langue.

L’intensité des douleurs est variable : le plussouvent, la sensation de brûlure est discrète au réveilet augmente au cours de la journée, avec un picmaximal en fin d’après-midi ; elle n’empêche pas dedormir.

Un élément quasi pathognomonique : les repassont un moment d’accalmie ; certains patients sontd’ailleurs soulagés par le grignotage, la masticationde gommes ou de bonbons.

Cette douleur peut être accompagnée d’uneplainte de bouche sèche, qu’il convient d’apprécierde façon grossière mais suffisante par le test ausucre : un morceau de sucre placé sous la languefond normalement en trois minutes ; au delà de troisminutes le degré d’hyposialie est proportionnel autemps mis par le sucre à fondre. L’hyposialie estfréquente chez les patients âgés et aggravée danstous les cas par l’action atropinique despsychotropes, sédatifs, antidépresseurs etneuroleptiques. Quelquefois les patients se plaignentde salivation excessive ; elle correspond le plussouvent à des troubles de la déglutition ou à desdyskinésies linguales.

L’intensité de la glossodynie est très variable d’unpatient à l’autre ; simple gêne pour certains, elle peutenvahir la vie d’un patient dont toutes les activitéssociales, conviviales, familiales, sont littéralementorganisées autour de cette brûlure de la langue ;pour certains patients elle est un symptômedouloureux parmi d’autres : œsophagite, gastrite,colite...

Cette bouche qui brûle est, par ailleurs, d’autantplus inquiétante pour le sujet, que personne engénéral dans son entourage n’a entendu parler d’untel symptôme : contrairement au migraineux ou aucolopathe qui entendra toujours raconter, un jour oul’autre, autour de lui, l’histoire d’un autre migraineuxou d’un autre colopathe, le glossodynique est isolé etla description de sa plainte suscite souventl’incrédulité de son entourage. Affection chronique,elle entraîne de nombreuses consultationsmédicales dont la conclusion est trop souvent « vousn’avez rien ! « Pourtant l’anxiété, l’angoisse ou, selonles cas, un syndrome dépressif peuvent d’emblée semanifester dans le discours du patient, ce qui donneà la tonalité de la consultation du patientglossodynique une résonance particulière.

L’examen clinique par le médecin généraliste estun moment très important : la langue comme le

reste de la cavité buccale, est le plus souventnormale. Mais l’examen spécialisé stomatologiquereste un recours nécessaire pour rassurer totalementle patient, souvent cancérophobe, et quelquefoisaussi pour rassurer le médecin.

■Diagnostics différentiels

L’examen de la bouche n’est jamais « négatif » ;dans une bouche normale, des anomaliesmineures ou plus ou moins pathologiquespeuvent être rencontrées au niveau de lamuqueuse, des gencives et des dents, desrestaurations dentaires ou prothétiques sans pourautant être incriminées dans les glossodynies ;quelquefois on hésite si la sécheresse buccale estmanifeste ou si la muqueuse linguale est un peuérythémateuse :

– il faut alors éliminer un problème anémique surles résultats d’un hémogramme, le fer sérique, laferritine, le dosage de la vitamine B12 ;

– ou un problème salivaire en vérifiant l’issue desalive aux ostiums des canaux excréteurs, le test ausucre, en écartant la xérostomie du syndrome deGougerot-Sjögren, ou plus souvent celle associée àune prise médicamenteuse ;

– on peut vérifier l’absence d’une mycosebuccale, fréquemment évoquée et abusivementtraitée pendant des mois ; elle sera éventuellementconfirmée par un examen mycologique d’un frottisde la langue, en rappelant que le Candida albicansest un saprophyte occasionnel de la cavité buccale etque seule une culture positive avec plus de 20 ou 30colonies est significative ;

– le lichen plan buccal sera diagnostiqué surl’examen des muqueuses, surtout les joues, ou il semanifeste par un réseau blanc kératinisécaractéristique ;

– enfin, l’absence de tumeur linguale doittoujours pouvoir être attestée sans ambiguïté,surtout par exemple au niveau des amygdaleslinguales, grosses papilles dont la découverte par lepatient anxieux est très inquiétante.

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Les glossodynies doivent aussi être distinguéesdes douleurs sans cause apparente qualifiées de« névralgies atypiques » dont le siège est fixe, pointde départ d’irradiations faciales, souventaccompagnées de manifestations vasculaires,d’intensité constante, permanentes pendant lesrepas qui deviennent une épreuve redoutée.

■Que dire à un patient qui

consulte pour une glossodynie ?

Dans un premier temps, reconnaître et admettrela réalité de la souffrance au niveau de la langue,même s’il n’y a rien de visible, mais faire comprendreque, comme pour les douleurs d’un membreamputé, la douleur de la langue a son siège ailleurs.

Il s’agit dans un second temps de rassurer etd’expliquer.

■ La glossodynie n’est pas un cancer. Il estimportant de l’affirmer, car beaucoup de patients,sans être tous cancérophobes, pensent que cettedouleur inconnue de tant de médecins déjàconsultés, est forcément suspecte ; la biopsie et lescanner sont inutiles.

■ La glossodynie n’est pas non plus une mycose.Les antifongiques par voie générale ou topiquessont superflus.

■ La glossodynie n’est pas une infection. Lesbains de bouche sont plutôt néfastes, beaucoup sontirritants et augmentent les brûlures ; il n’y a parailleurs aucun risque de contagion et on peutembrasser ses petits enfants !

■ La glossodynie n’est pas une allergie. Lesrégimes, les évictions ou restrictions alimentairessont inutiles ; on peut manger tout ce que l’on aime.

■ La glossodynie enfin n’est pas en relation avecune nouvelle prothèse, ou le bridge posé il y aquelques mois.

Il arrive certes parfois qu’une glossodynie sedéclenche à la suite de soins dentaires. Dans ce cas,bien plus qu’un processus mécanique, c’est unprocessus psychopathologique de déplacement etde focalisation de l’angoisse qui est en cause.

Il s’agit aussi d’informer, car cette douleur n’est nimystérieuse, ni exceptionnelle et d’autres patients ensouffrent ; dire en quelques mots « cette douleur dontvous vous plaignez s’appelle la glossodynie » ; c’est letémoignage d’une difficulté ou d’un état soitanxieux, soit dépressif, et c’est cet état là qu’ilconvient de soigner afin que ces brûlures puissentcesser ou au moins s’atténuer : ces mots là ont unegrande importance, ils authentifient la souffrance,trop souvent niée par les médecins, dès lors qu’ellen’a pas de support organique.

A l’inverse, il importe de ne pas dramatiser àl’excès, en portant un diagnostic de chronicitéirrémédiable à la glossodynie : la glossodynie a eneffet, un cheminement insidieux, sur plusieurs moisou plusieurs années selon les cas ; mais elle peutaussi se manifester de façon très passagère, voirefugitive.

Au fil du temps le patient lui-même va remarquerque cette brûlure n’est pas obligatoirement

permanente, qu’elle varie parfois, mais pas toujours,en fonction de différents paramètres de la vie,activités, distractions, rencontres. Il devient alorspossible de souligner ces moments de rémissionpour nuancer la notion de chronicité, laissantémerger l’espoir de guérison ; cela constitue unpremier temps du traitement, peut être le plusimportant.

■Formes cliniques

des glossodynies

Les patients sont très souvent des femmes ; ladescription classique des glossodynies en faisaitl’apanage de la femme ménopausée âgée ; la réalitéclinique est moins restrictive. Des femmes plusjeunes et des hommes, plus rarement il est vrai,consultent aussi pour une glossodynie.

On peut schématiquement distinguer deux cas defigures.

‚ Glossodynie isolée de la femme âgée

A l’occasion d’un traumatisme (deuil, maladied’un proche...) ou d’un repli obligé, retraite, départdes enfants, la langue se met à brûler, imposant àces femmes, pratiquement à leur insu, unquestionnement amer sur leur vie passée, uneintolérance à la solitude, à laquelle s’ajoute uneappréhension révoltée de la mort.

La notion de dépression masquée peut alorssouvent être évoquée chez ces femmes qui neprésentent par ailleurs aucun autre élément desyndrome dépressif : seule la glossodynie signe lasouffrance morale, plus ou moins volontiersreconnue.

‚ Glossodynie associée

La glossodynie s’inscrit d’emblée comme unépiphénomène parmi d’autres symptômes au seind’un tableau cl inique riche en élémentspsychopathologiques.

On peut rencontrer plusieurs situations. La plusfréquente est la glossodynie survenant dans untableau dépressif évident :

– soit il s’agit d’un syndrome dépressif connudepuis de longues années, authentifié par la longueliste d’antidépresseurs, d’hospitalisations, demédecins que le ou la patiente décline dès sonarrivée ;

– soit Il s’agit d’un syndrome dépressif débutant,avec perte de l’élan vital, désintérêt, aboulie, tristesse,insomnie ;

– soit il s’agit au contraire d’un syndromedépressif récent apparemment résolu dont laglossodynie exprime un reliquat.

Plus rarement chez des hommes et des femmesplus jeunes, la glossodynie peut s’intégrer à uncortège de symptômes témoignant d’une angoisseplutôt que d’un syndrome dépressif. Il s’agit souventd’un patient surmené, professionnellement très actif ;des manifestations somatiques, palpitations, sueurs,boule dans la gorge, manifestations ditesspasmophiles, sont alors retrouvées, soit en mêmetemps, soit en alternance ou en relais de laglossodynie.

Dans de rares cas, les glossodynies s’accompa-gnent de sensation de brûlures génitales.

Encore plus rarement les hypocondriaques, sidifficiles parfois à repérer comme tels dans lespremiers entretiens, peuvent présenter uneglossodynie, rarement isolée. On peut aussirencontrer un patient délirant, la glossodyniesurvenant sur une personnalité paranoïde, patientrevendicant, accusateur, dont l’activité délirante s’estorganisée autour de cette bouche brûlante,hyperalgique.

■Thérapeutique

Dans un grand nombre de cas l’écoute et laréassurance du patient constituent une attitudethérapeutique suffisante ; elles peuvent être assuréespar le médecin habituel ou le stomatologiste, ou toutautre spécialiste attentif et patient, assidûmentfréquenté par le malade ; en effet chaqueconsultation peut être suivie d’une améliorationsuffisante, voire d’une rémission complète, qui durejusqu’à l’approche du rendez-vous suivant ; un bonrythme s’établit entre 4 et 6 mois.

Mais lorsque la glossodynie est très intense,douloureuse, envahissante, invalidante parfois, troismodes d’approche peuvent être envisagés etéventuellement associés.

‚ Écoute psychothérapique

Lorsqu’il semble évident que le malade, à partirde cette brûlure de la langue, commence à élaborerun questionnement sur une souffrance autre, unepsychothérapie est conseillée. Il peut s’agir d’unepsychothérapie de soutien, d’une thérapied’inspiration psychanalytique, voire dans quelquescas d’une psychanalyse. Mais il ne s’agit pas pourautant, d’assurer ou de promettre qu’au bout dequelques mois d’une telle démarche, la langue nebrûlera plus. La glossodie est une douleur têtue etimprévisible dans sa durée. Parler, travailler dans lecadre d’une écoute psychothérapique ou analytiquepeut néanmoins se révéler tout à fait important. Laglossodynie peut y perdre son caractère incurable,elle peut surtout être reconnue comme le signe d’unmal-être psychique, familial ou social, et non pluscomme un symptôme uniquement somatique. Lemédecin, généraliste ou spécialiste, peut être amenéà prendre contact avec le thérapeute pour l’informerdu diagnostic de glossodynie, souvent mal connuedes psychothérapeutes, et confirmer l’absence depathologie buccale sous-jacente.

‚ Médicaments

Mais il arrive que les patients, ou quelquefois leurspraticiens, se refusent à toute idée d’entretienspsychothérapiques ; dans certains cas les patientstrès âgés sont peu mobilisables psychiquement,rétifs à la notion de toute prise en charge, d’autressont incapables de s’exprimer, voire d’entendre oude comprendre ; d’autres encore présentent de touteévidence un syndrome dépressif plus ou moins

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grave ; enfin, certains présentent une douleur simassive que la seule approche par la parole sembleirréaliste.

Dans tous ces cas la chimiothérapie peut êtreenvisagée, en évitant la multipl icité desthérapeutiques et la poursuite des traitementsinutiles.

Quels sont les médicaments dont dispose lemédecin ?

En cas d’angoisse prédominante, et/ou deglossodynie modérée, on peut utiliser lesanxiolytiques, benzodiazépines, comme lebromazépam (Lexomilt ¼ à 1 comprimé/24h) endoses fractionnées, ou le clonazépam (Rivotrilt 1 à10 gouttes). Il faut adapter la posologie à l’âge,proscrire l’automédication de ces médicaments troplargement utilisés et surveiller de près l’escalade desdoses.

Les antidépresseurs tricycliques sont utilisés encas de glossodynie très sévère ou associée à unsyndrome dépressif. Ils sont prescrits à dosesprogressives en tenant compte des contre-indications cardiovasculaires ou prostatiques ou

glaucomateuses : clomipramine (Anafranilt, 25 à150 mg), amitriptyline (Laroxylt, 75 à 150 mg),utilisés à ½ dose chez le sujet âgé ; de petites dosespeuvent donner de bons résultats, parfois après uncertain temps ; les effets desséchants des muqueusesdoivent rendre vigilants, mais sont inconstants pourles faibles doses.

Les antidépresseurs antisérotoninergiques,fluoxétine (Prozact, 1 comprimé le matin),paroxétine (Deroxatt, 1 ou 2 comprimés le matin),ont l’avantage d’être mieux tolérés, mais leur effetantalgique est peut-être moins évident.

Les neuroleptiques utilisés à dose antidépressive,amisulpride (Soliant), sulpiride (Dogmatilt, 50 à200 mg), peuvent être adoptés dans certains cas.

Il existe évidemment des cas rebelles à touttraitement médical pour lesquels il faut savoir éviterle passage à une médicalisation chroniqueinefficace, dont les inconvénients se surajoutent à ladouleur chronique. D’autres approches sont alorsrecherchées par les patients et peuvent avoir un effetbénéfique au moins passager, l’acupuncture par

exemple, ou la relaxation, qu’il est légitimed’encourager, en évitant les dérives ésotériques.

■Conclusion

Les glossodynies sont fréquentes et faciles àreconnaître ; dans tous les cas le médecin doit être àla fois ferme et précis dans son diagnostic, tout endonnant au patient le temps d’exprimer sasouffrance, ses doutes, ses interrogations. S’il lepense nécessaire, le médecin peut se faire aider dansla prise en charge par un psychiatre ou unpsychothérapeute, en choisissant le momentadéquat, surtout sans rejet du malade et sans éluderla poursuite d’une relation médicale confiante ; cettedouble approche est la plus utile.

De la clarté du cadre thérapeutique mis en placedépendent l’établissement et la permanence du lienavec ces malades difficiles, en espérant leur épargnerun nomadisme médical qui, loin de les soulager,ancre leur souffrance dans la déception à l’égard desmédecins.

Henri Szpirglas : Stomatologue,service de chirurgie maxillofaciale et stomatologie, groupe Pitié-Salpêtrière, 47-83, boulevard de l’Hôpital, 75651 Paris cedex 13, France.

Sylvie Zucca-Quesemand : Psychiatre, psychanalyste,1 bis, rue Friant, 75014 Paris, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : H Szpirglas et S Zucca-Quesemand. Glossodynies.Encycl Méd Chir (Elsevier, Paris), Encyclopédie Pratique de Médecine, 6-0520, 1998, 3 p

R é f é r e n c e s

[1] Demange C, Husson C, Poï Vet D, Escande JP. Paresthésies buccales psycho-gènes et dépression. Une approche psychanalytique.Rev Stomatol Chir Maxillo-fac1996 ; 97 : 244-252

[2] Fleury JE, Deboets D, Assaad C, Maffre N, Duboc B, Ferrey G. Les glossody-nies.Rev Stomatol Chir Maxillofac1990 ; 91 : 276-280

[3] Kuffer R. Paresthésies buccales psychogènes (stomatodynies et glossody-nies).Ann Dermatol Venereol1987 ; 114 : 1589-1596

[4] Poire M. Étude clinique et thérapeutique des glossodynies, à propos de 130cas. [Mémoire pour le CES de psychiatrie], Faculté de médecine Saint-Antoine,1981

Glossodynies - 6-0520

3

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Hypoglycémie réactive

AJ Scheen, PJ Lefebvre

L ’hypoglycémie réactive postprandiale est rare. Son diagnostic repose sur le dosage de la glycémie (inférieure à3 mmol/L) au moment du malaise. Une glycémie inférieure à 3 mmol/L lors d’une hyperglycémie provoquée

par voie orale (HGPO) ne permet pas, à elle seule, d’affirmer l’existence d’une hypoglycémie réactive. Le traitementfait appel à la fragmentation de l’alimentation et à la limitation des apports en glucides à index glycémique élevé.L’acarbose peut donner de bons résultats. En revanche, un « malaise neurovégétatif » postprandial, sanshypoglycémie concomitante, est beaucoup plus fréquent. Le diagnostic peut être fait à l’interrogatoire. Il fautéliminer une attaque de panique ou un malaise vagal. Le traitement est purement symptomatique, essentiellementempirique.© Elsevier, Paris.

■Concept

La notion d’hypoglycémie réactive a longtemps faitl’objet de controverses, certains allant même jusqu’ànier sa réalité. Il existe cependant des individus, parailleurs parfaitement normaux, qui peuvent présenter,dans la vie de tous les jours, une diminution excessivede la concentration plasmatique de glucose (au-dessous de 3 mmol/L ou 54 mg/dL) dans les heuressuivant un repas. Ce phénomène peut s’accompagnerde symptômes désagréables, voire chez certainespersonnes très incommodants : il est alors qualifiéd’hypoglycémie réactive ou réactionnelle [3]. Ce typed’hypoglycémie appartient aux hypoglycémies ditesfonctionnelles ; c’est également le cas deshypoglycémies en rapport avec une pathologiegastrique (gastrectomie partielle, vagotomie, etc)auxquelles il est proposé de réserver le termed’hypoglycémies alimentaires [2].

■Physiopathologie

Les mécanismes par lesquels la glycémie retourne àsa valeur de départ après un repas ont été bienétudiés. L’ingestion d’aliments, surtout riches englucides, représente une source de glucose exogènequi, par la stimulation de l’insulinosécrétion qu’elleentraîne, inhibe la production endogène (hépatique)de glucose. À distance du repas doit s’opérer unetransition harmonieuse vers un processus inverse :l’épuisement progressif de la source de glucoseexogène doit faire place à une réaugmentation de laproduction hépatique de glucose. Tout asynchronismedans cette dynamique risque de faire apparaître unehypoglycémie réactive. Cette dernière peut êtrefavorisée dans certaines circonstances particulières,comme après l’ingestion simultanée de glucides etd’alcool.

La physiopathologie de l’hypoglycémie réactivereste encore imparfaitement comprise. Diversescauses ont été invoquées, dont une réponse excessive

de l’insulinosécrétion, un déficit des hormones de lacontre-régulation à l’hypoglycémie et une sensibilitéexagérée à l’insuline. Parmi ces différentes causes, c’estcertainement l’hyperinsulinisme réactionnel qui est leplus facile à mettre en évidence, par exemple lorsd’une hyperglycémie provoquée par voie orale(HGPO), lors d’un test au saccharose ou même aprèsun repas mixte riche en glucides. Cependant, certainssujets semblent bien présenter des hypoglycémiesréactionnelles sans que l’on puisse mettre en évidenceune réponse excessive de l’insulinosécrétion. Un déficitdes hormones de la contre-régulation représente unehypothèse intéressante, mais qui n’a jamais puvraiment être objectivée. Rappelons que c’est leglucagon qui représente la première hormone dedéfense, suivi par les catécholamines, alors que lecortisol et l’hormone de croissance ne jouent qu’unrôle tardif et accessoire. Enfin, une augmentation de lasensibilité à l’insuline a été bien documentée chezcertains sujets, grâce à la technique du « glucose clampeuglycémique hyperinsulinémique » ou, plusrécemment, par la méthode de l’hyperglycémieprovoquée par voie intraveineuse avec modélisationmathématique (minimal model).

■Symptomatologie

L’hypoglycémie réactive, comme toute hypoglycé-mie, doit être évoquée devant toute symptomatologierécurrente témoignant soit d’une réactionneurovégétative adrénergique (sudations,

tremblements, sensation de faim impérieuse, plusrarement palpitations), soit d’une souffrance cérébrale(asthénie, vue trouble ou diplopie, troubles ducomportement, etc).

Des travaux expérimentaux ont pu mettre enévidence l’existence d’une hiérarchie, dans l’apparitiondes symptômes, au fur et à mesure que la glycémiediminue. La séquence normale est la suivante :activation des hormones de la contrerégulation(lorsque la concentration de glucose plasmatique surdu sang veineux artérialisé tombe à 3,7 mmol/Lenviron), puis symptômes neurovégétatifs ditsadrénergiques (à une valeur de 3,2 mmol/L), enfinseulement symptômes neuroglucopéniques etdétérioration des fonctions cognitives (à une valeur de2,7-2,8 mmol/L). Dans certains cas, les individuspeuvent donc se plaindre de symptômes d’hyperacti-vité adrénergique alors que le seuil d’hypoglycémiebiochimique n’est pas atteint (glycémie aux environsde 3,7 mmol/L, soit bien supérieure à la valeur seuilclassique de 3 mmol/L). La terminologie d’hypoglycé-mie réactive ne peut alors être utilisée stricto sensu,mais peut être remplacée par celle de « syndromeadrénergique postprandial » [1].

Classiquement, les hypoglycémies réactivesn’évoluent jamais jusqu’à une perte de consciencetotale (coma ou convulsions). Si tel est le cas, lemédecin doit évoquer un autre diagnostic, non lié àune hypoglycémie ou alors associé à unehypoglycémie organique (insulinome) ou factice (prisede médicaments antidiabétiques chez un sujet non

Hypothèses physiopathologiques del’hypoglycémie réactive :✔ réponse excessive del’insulinosécrétion ;✔ sensibilité exagérée des tissus ciblesà l’insuline ;✔ déficit des hormones de contre-régulation (glucagon, catécholamines).

Signes négatifs lors d’unehypoglycémie réactive :✔ survenue de malaises identiques àjeun ou à l’effort ;✔ symptômes digestifs à type dediarrhées ou de vomissements ;✔ sensation de soif d’air avechyperventilation ;✔ perte de connaissance.

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diabétique). Le caractère stéréotypé des manifestationschez un patient donné et l’amélioration, ou ladisparition, des symptômes, rapidement après la prised’un repas sucré, sont des arguments en faveur dudiagnostic. Il n’est pas inutile de rappeler qu’unesymptomatologie évocatrice ne permet jamaisd’affirmer le diagnostic d’hypoglycémie chez un sujetnon diabétique et que l’étape d’authentification del’hypoglycémie est rigoureusement indispensable.

■Diagnostic

L’anamnèse est une étape capitale pour préciser lediagnostic d’hypoglycémie (tableau I). Dans le casd’hypoglycémie réactive, il conviendra d’être plusparticulièrement attentif à l’horaire des manifestations.Typiquement, les malaises surviennent, en effet, 2 à 3heures après un repas, surtout si celui-ci est sucré. Desantécédents de chirurgie gastrique peuvent favoriser

une symptomatologie plus précoce, et devront fairepenser à l’hypoglycémie alimentaire.

L’authentification de l’hypoglycémie au momentd’un malaise, dans les conditions de vie habituelle, eststrictement indispensable pour établir le diagnostic [2,

4]. Elle peut être facilitée par l’utilisation de lecteurs deglycémie, si possible à mémoire. L’HGPO ne peut, à elleseule, constituer la base du diagnostic. En effet, desvaleurs glycémiques basses peuvent se rencontrerchez des sujets strictement normaux au cours de laphase tardive d’une HGPO. En revanche, une fois lediagnostic posé, le recours à une HGPO peut être utilepour éventuellement confirmer l’associationsymptômes-glycémie basse ou pour apprécier unhyperinsulinisme fonctionnel, associé ou non à unediminution de la tolérance au glucose, dans lespremières heures de l’épreuve.

Nous avons préconisé dans les hypoglycémiesalimentaires et réactionnelles l’utilisation d’une HGPOutilisant une dose de 75 g de saccharose, méthode quipermet le cas échéant d’objectiver l’efficacité sur lesyndrome d’un inhibiteur des α-glucosidasesdigestives. En cas de suspicion d’hypoglycémiealimentaire, une étude radiologique ou radio-isotopique de la vidange gastrique peut être utile.

■Traitement

La base du traitement de l’hypoglycémie réactiveest le respect de conseils diététiques simples. Ceux-cireposent sur deux principes élémentaires :

– d’une part, il convient de respecter unfractionnement de l’alimentation en trois repas et troiscollations, pour éviter une période de jeûneinterprandial trop importante ;

– d’autre part, il faut éviter la prise de sucressimples (ou à index glycémique élevé) qui stimulent laréponse insulinique précoce et favorisent la survenued’hypoglycémie réactionnelle tardive.

Comme la chronologie particulière des hypoglycé-mies réactives fait qu’elles surviennent de façonpréférentielle en fin de matinée, il est important, chezles sujets à risque, d’insister sur l’absence de sucressimples au petit déjeuner et sur la prise d’une collationau milieu de la matinée. Il faut également éviter laconsommation de boisson sucrée alcoolisée, surtout àjeun, et recommander d’enrichir l’alimentation enfibres. Ce n’est que si les mesures diététiques bienconduites ne permettent pas d’améliorer de façon

substantielle la symptomatologie qu’il faut envisager lerecours à un éventuel traitement pharmacologique.Avant de prescrire celui-ci, il n’est cependant pas inutilede remettre en doute le diagnostic, si aucuneamélioration de la symptomatologie n’est observéeavec le seul régime alimentaire (tableau I).

Diverses approches médicamenteuses ont étéproposées. Elles visent à ralentir la vidange gastrique(par les dérivés atropiniques), à réduire l’hyperinsuli-nisme réactionnel (par la metformine, surtout s’ilcoexiste une diminution de la tolérance au glucose ouchez le sujet obèse), ou encore à ralentir et étaler larésorption des sucres simples dans l’intestin grêle (parles inhibiteurs des α-glucosidases digestives). De cesdifférentes approches pharmacologiques, c’estcertainement celle faisant appel aux inhibiteurs des α-glucosidases digestives qui donne les résultats les plusspectaculaires. Le seul agent de cette classeactuellement commercialisé est l’acarbose (un autrecomposé, le miglitol, est toujours en cours dedéveloppement). Dans cette indication, le traitementpar acarbose se révèle remarquablement efficace, déjàà faibles doses, par exemple 25 mg avant le petitdéjeuner ou, si nécessaire, avant les trois repasprincipaux. Dans notre expérience, ce traitementpermet de prévenir la symptomatologie associée àl’hypoglycémie réactive vraie et améliore nettement laqualité de vie des patients au quotidien [5].

■Message essentiel

L’approche de l’hypoglycémie réactive doit se faireavec la même rigueur scientifique que celle de touteautre pathologie métabolique. La démarcherecommandée est la suivante [4] :

– interroger soigneusement le patient présentantdes symptômes évocateurs d’une hypoglycémie ;

– authentifier l’hypoglycémie, idéalement dans lesconditions de vie habituelle (utilisation d’un lecteur deglycémie à mémoire) ;

– éventuellement, explorer le patient par unehyperglycémie provoquée par voie orale, un test ausaccharose ou un repas-test ;

– proposer un traitement approprié, en privilégiantles mesures hygiénodiététiques, et en réservant lesapproches pharmacologiques (dérivés atropiniques,metformine et surtout acarbose) aux cas réfractaires.

André J Scheen, Pierre J Lefèbvre :Service de diabétologie, nutrition et maladies métaboliques, département de médecine, CHU Sart-Tilman, B-4000 Liège 1, Belgique.

Toute référence à cet article doit porter la mention : AJ Scheen et PJ Lefèbvre. Hypoglycémie réactive.Encycl Méd Chir (Elsevier, Paris), Encyclopédie Pratique de Médecine, 6-0600, 1998, 2 p

R é f é r e n c e s

[1] Berlin I, Grimaldi A, Landault C, Cesselin F, Puech AJ. Suspected postpran-dial hypoglycemia is associated withâ-adrenergic hypersensitivity and emotionaldistress.J Clin Endocrinol Metab1994 ; 79 : 1428-1433

[2] Lefèbvre P. Stratégie d’exploration des hypoglycémies de l’adulte.Ann Endo-crinol 1993 ; 54 : 409-412

[3] Lefèbvre PJ. Hypoglycemia or non-hypoglycemia. In : Rifkin HG, ColwellJA, Taylor SI eds. Diabetes. Amsterdam : Elsevier Science Publishers, 1991 :757-761

[4] Lefèbvre PJ, Andreani D, Marks V, Creutzfeldt W. Statement on postprandialor reactive hypoglycemia.Acta Diabetol Lat1987 ; 24 : 353,Diabetologia1988 ;31 : 68-69,Diabetic Med198 ; 5 :200,Diabetes Care1988 ; 11 : 439-440

[5] Lefèbvre PJ, Scheen AJ. The use of acarbose in the prevention and treatmentof hypoglycaemia.Eur J Clin Invest1994 ; 24 (suppl 3) : 40-44

Malaise adrénergique postprandial :La survenue de facteurs évocateursd’hypoglycémie réactive en l’absenced’hypoglycémie vraie (glycémie supé-rieure à 3 mmol/L) doit faire évoquerun syndrome adrénergiquepostprandial idiopathique, mais il fautéliminer une attaque de panique ou unmalaise vagal.

Tableau I. – Étapes successives conduisant àl’établissement d’un diagnostic positif d’hypo-glycémie réactive(1).

- Symptomatologie évocatrice d’hypoglycémie- Horaire compatible par rapport au repas- Amélioration de la symptomatologie par la prisede sucre- Authentification de l’hypoglycémie par une me-sure au moment d’un malaise- Prévention de la symptomatologie par des me-sures diététiques appropriées- Si échec, prévention de la symptomatologie parun inhibiteur desα-glucosidases digestives

(1) Toute étape où la réponse n’est pas positive doit faire remettre en doutele diagnostic.

6-0600 - Hypoglycémie réactive

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Page 107: Le Manuel Du Généraliste - Divers

Automédication

A. Baumelou, S. Lauraire, S. Tachot, M. Flachaire

En France les médicaments non inscrits sur une liste de substances vénéneuses peuvent être achetés par lepublic sans prescription médicale préalable. Ils constituent la classe des médicaments dits de prescriptionmédicale facultative. De nombreux principes actifs ont subi au cours des 10 dernières années uneexonération de la liste des substances vénéneuses, par la procédure dite de délistage ou « switch ». Cesdélistages ont contribué à modifier le champ des indications cliniques concernées par l’automédication.Longtemps cantonnée à des traitements de courte durée pour des symptômes ou des affections bénignes,l’automédication concerne aussi maintenant des affections chroniques ou des problèmes majeurs desanté publique (addiction tabagique, contraception d’urgence). L’automédication reste néanmoins enFrance un mode marginal de traitement. Les ventes des spécialités non listées non remboursées nereprésentent que 6 % des ventes totales de médicament. Les facteurs favorisant le développement de cecomportement : éducation thérapeutique, consumérisme, sont contrebalancés par un certaincorporatisme de la profession médicale, une anxiété des pharmaciens face à un élargissement de leuractivité de soins mais surtout l’attachement des patients à la classe des médicaments remboursés.© 2006 Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Automédication ; Prescription médicale facultative ; Législation pharmaceutique ;Éducation thérapeutique ; Délistage

Plan

¶ Introduction 1

¶ Définition du médicament d’automédication 1

¶ Statut réglementaire du médicament d’automédication 2

¶ Classe des médicaments de prescription médicale facultative 3

¶ Automédication et Europe 3

¶ Comportement d’automédication et acteurs 3

¶ Risques de l’automédication 4

¶ Avenir de l’automédication 4

■ IntroductionL’automédication est un comportement. Face à un symptôme

ou une maladie le patient prend un médicament qu’il croitbénéfique pour sa santé. Ce comportement suppose que l’indi-vidu connaît ou reconnaît le symptôme ou la maladie, qu’ilconnaît cet agent extérieur comme ayant des effets bénéfiquessur son état et qu’il a suffisamment confiance en lui et dans lemédicament pour se l’administrer sans avis médical [1]. Danscette démarche le patient peut s’aider de nombreux autres avis.

Nous envisageons successivement les médicaments suscepti-bles d’être ainsi consommés et les caractéristiques de ce com-portement.

Les législations concernant l’automédication étant trèsdifférentes d’un pays à l’autre, notre analyse se borne à étudierla situation française et les évolutions de la réglementationeuropéenne.

■ Définition du médicamentd’automédication

Il n’existe pas en France de définition réglementaire dumédicament d’automédication. Comme pour tout médicament,les autorités sanitaires vérifient a priori que c’est un médica-ment et lui accordent une autorisation de mise sur le marché(AMM) : « On entend par médicament toute substance oucomposition présentée comme possédant des propriétés curati-ves ou préventives à l’égard des maladies humaines ou animalesainsi que tout produit pouvant être administré à l’homme ou àl’animal en vue d’établir un diagnostic médical ou de restaurer,corriger, ou modifier leurs fonctions organiques. »

En France, la prescription est obligatoire pour toute spécialitéinscrite sur une liste (listes I, II, stupéfiants). D’après le Code dela Santé publique (article L.5132-6), ces listes comprennent « lessubstances, les médicaments, les produits insecticides ouacaricides ou tout autre produit ou substance susceptible deprésenter pour la santé des risques directs ou indirects ». Dansle droit français, seuls les médicaments inscrits sur une liste sontsoumis à prescription médicale préalable. A contrario on endéduit que tous les médicaments non inscrits sur une liste

¶ 1-0153

1Traité de Médecine Akos

Page 108: Le Manuel Du Généraliste - Divers

peuvent faire l’objet d’automédication mais cette définitionpositive n’est jamais formulée. On peut substituer au terme de« médicament d’automédication » le terme de médicament deprescription médicale facultative (PMF) puisque réglementaire-ment ces médicaments peuvent bien sûr être prescrits par unmédecin. Ce terme correspond exactement au terme anglais« non prescription drug » [2]. Les termes autrefois utilisés demédicament-conseil, de médicament semi-éthique n’étaient pasplus réglementairement définis que celui d’automédication. Ilsne sont plus guère utilisés. Le terme OTC (« over-the-counter ») [3]

n’est pas utilisable car il désigne les « General sale list medicines »délivrées sans recours au pharmacien, mode de délivrance quin’existe pas en France.

Les classifications en rapport avec le remboursement par lesorganismes sociaux et les modes de délivrance à l’officinen’interviennent pas dans cette définition : on connaît en Francede nombreux médicaments non listés qui sont remboursés(antalgiques par exemple) et des médicaments listés qui sontnon remboursés (médicaments des troubles de l’érection parexemple). Il est, en France, habituel de considérer que lemédicament d’automédication n’est pas remboursé par lesorganismes sociaux puisqu’il ne peut y avoir de remboursementsans prescription médicale initiale.

■ Statut réglementairedu médicament d’automédication

Le médicament non inscrit sur une liste de substancesvénéneuses ou médicament de PMF doit faire l’objet avant sacommercialisation d’une autorisation préalable par le ministrechargé de la santé dite autorisation de mise sur le marché ouAMM. Elle est proposée par le directeur général de l’AgenceFrançaise de Sécurité Sanitaire des Produits de Santé (AFSSAPS)sur avis de la commission d’AMM. L’analyse des dossiers de cesmédicaments est réalisée par un groupe de travail ad hoc. Lesconditions d’analyse des dossiers avant autorisation ne diffèrentpas de celles définies pour les médicaments listés. Elles sontdéfinies par l’avis aux fabricants du 27 mai 2005 [4].

Une voie spécifique de la mise sur le marché de ces médica-ments consiste en l’exonération de la liste des substancesvénéneuses. Elle est aussi appelée procédure de « délistage ». Leterme anglais de « switch » est souvent utilisé. Actuellement,cette procédure consiste pour le fabricant à demander pour unmédicament déjà commercialisé et dont la substance active estinscrite sur une liste des substances vénéneuses une exonérationà la réglementation des dites substances. Cette exonération estaccordée selon des conditions particulières concernant la formepharmaceutique, le dosage unitaire et le conditionnement. Cetteexonération peut ne concerner que certaines indicationsthérapeutiques. Le processus est scientifiquement et réglemen-tairement bien défini. Des critères pharmacologiques et clini-ques permettant d’envisager pour un principe actif un délistageont été proposés. L’accent est mis sur la démonstration de lasécurité de la spécialité dans les conditions réelles d’un usagesans prescription médicale.

Au niveau européen une recommandation pour la constitu-tion d’un dossier en vue d’un délistage a été publiée en septem-bre 1998. Cette recommandation a été actualisée début 2006 [5].Le Tableau 1 donne la liste des principes actifs exonérés enFrance depuis 1996.

L’ampliation d’AMM d’une spécialité non soumise à prescrip-tion médicale comporte quatre annexes. L’annexe I ou résumédes caractéristiques du produit est destinée aux professionnelsde santé, l’annexe II concerne notamment des données phar-maceutiques ainsi que les conditions de délivrance,l’annexe IIIA définit les mentions obligatoires concernantl’étiquetage, l’annexe IIIB définit les modalités d’information dupublic, la notice destinée au patient. Un soin tout particulier estapporté à la rédaction de cette notice, vecteur direct auprès dupatient de l’information spécifique au médicament mais aussivecteur

possible de conseils d’éducation sanitaire et document deréférence pour le contrôle de la publicité auprès du public [4].

La publicité du médicament de PMF est soumise à uneréglementation spécifique. Pour les spécialités remboursées parles régimes obligatoires d’assurance maladie, la publicité dirigéevers le public est interdite et seule la publicité dirigée vers lesprofessionnels de santé est autorisée. Cette publicité fait l’objetd’un contrôle a posteriori.

Pour les médicaments ni listés ni remboursés il y a possibilitéde publicité auprès du public sauf restriction spécifique dansl’AMM. Celle-ci fait l’objet d’un contrôle a priori. Ce contrôleporte tout particulièrement sur la conformité des allégations auxmentions de l’AMM.

En France le seul lieu de délivrance d’un médicament (pres-crit ou non) est l’officine pharmaceutique. La délivrance dumédicament de PMF doit être faite par un pharmacien. Elle doitêtre accompagnée d’un conseil thérapeutique en vue du bonusage de ce médicament.

Le système français de notification des effets indésirables, lapharmacovigilance, fait obligation aux professionnels de santéde notifier les éventuels effets indésirables des médicaments. Lafréquence des notifications concernant les médicaments de PMFest néanmoins très faible [6].

“ Points essentiels

Le médicament de prescription facultative (PMF) est unespécialité dont le(s) principe(s) actif(s) n’est (ne sont) pasinscrit(s) sur une liste de substances vénéneuses. Lesconditions d’autorisation de ces spécialités sont définiesdans un avis au fabricant publié au Bulletin officiel de laRépublique Française du 15/09/2005.La procédure administrative de sortie de liste d’unprincipe actif est appelée délistage ou exonération ou« switch ». Les conditions d’obtention d’un délistage parun fabricant sont définies par des recommandationseuropéennes mises à jour en janvier 2006.

Tableau 1.Principes actifs exonérés en France depuis 1996.

Voie orale

Dextrométhorphane bromhydrate

Famotidine

Nicotine

Ranitidine

Kétoprofène

Nifuroxazide

Cétirizine dichlorhydrate

Lopéramide

Cimétidine

Lévonorgestrel

Ibuprofène

Métopimazine

Voies locales

Diclofénac

Aciclovir

Hydrocortisone

Kétoconazole

Cromoglycate de sodium

Minoxidil

Acide niflumique

Ibuprofène

Terbinafine chlorhydrate

Béclométasone chlorhydrate

1-0153 ¶ Automédication

2 Traité de Médecine Akos

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■ Classe des médicamentsde prescription médicalefacultative

Les médicaments délivrés sans ordonnance (c’est-à-direachetés spontanément par le patient) ne représentent qu’unetrès faible part de la consommation pharmaceutique globale.Encore faut-il distinguer à l’intérieur de cette classe ceux quisont présentés au remboursement et ceux que l’on pourraitconsidérer comme correspondant réellement à un comporte-ment d’automédication. Le Tableau 2 donne le marché enFrance du médicament non prescrit, en distinguant la partremboursée et la part non remboursée.

Ces médicaments couvrent les classes pharmacothérapeuti-ques suivantes : affections des voies respiratoires, antalgie,affections du tractus digestif, affections cutanées, vitamines etminéraux. Le Tableau 3 représente les parts des principalesclasses pharmacothérapeutiques de ce marché.

Les indications de ces médicaments définissent le champd’exercice d’une prise en charge personnelle du soin : ellesétaient traditionnellement définies comme des symptômesbénins et de courte durée [7]. Ce champ s’est notablement accruet cette tendance commune aux autres pays européens et auxEtats-Unis [8] s’est illustrée en France par deux décisionsgouvernementales récentes : les délistages des médicaments dela contraception d’urgence et des substituts nicotiniques. Dansun cas comme dans l’autre, les affections concernées ne sont nides symptômes, ni des affections bénignes et le traitement (parles substituts nicotiniques) peut s’étendre sur plusieurs mois.

Dans certains pays le champ de l’automédication peuts’étendre à la prévention [9]. La Grande-Bretagne est le premierpays à avoir autorisé une statine (hypolipidémiant inhibiteur dela HMG CoA estérase) en automédication. La simvastatine a été

autorisée à la dose de 10 mg sur la liste P (délivrance sansordonnance en officine et par le pharmacien). L’autorisation aété accordée au vu des résultats de la Heart Protection Study.Cette autorisation fait l’objet de polémiques importantes.D’autres pays ont ouvert de nouvelles perspectives de délistage :l’Australie a délisté l’orlistat dans le traitement et la préventionde l’obésité.

Suivant cette orientation générale visant à élargir le champdes indications de la prise en charge personnelle de la maladie,une réflexion commune entre agences et industriels a défini leschamps possibles des nouvelles indications. Celles-ci sontrépertoriées en fonction de leur orientation vers les domaines dela prévention ou du traitement, pour des maladies aiguës ou despoussées aiguës de maladies chroniques.

■ Automédication et EuropeDans le domaine du médicament la réglementation euro-

péenne est un élément moteur majeur des modifications de laréglementation française. Une directive européenne récente(2004/27/CE 31.03.04) introduit des modifications dont latransposition dans le droit national va modifier à coup sûrcertains fonctionnements.

En cas d’innovation thérapeutique ou en cas d’intérêt majeurpour la santé publique, la procédure d’examen de l’autorisationdu médicament pourra être centralisée au niveau européen. Seraalors aussi décidée au niveau central par l’EMEA (EuropeanAgency for the Evaluation of Medicinal Products) la non-inscription sur liste.

Des recommandations européennes susceptibles de favorisercette procédure centralisée ont été rédigées. Elles concernent lesprocédures de délistage, les règles de dénomination de cesspécialités, les conditions d’autorisation des spécialités utilisantdes principes actifs dits d’« usage médical bien établi ».

Concernant le délistage, la directive précitée introduit uneprotection des données d’une durée de 1 an à dater de l’octroidu délistage lorsque la modification de la classification d’unmédicament a été accordée sur la base d’essais précliniques oucliniques dits « significatifs ». Cette protection est aussi accordéeen cas de nouvelle indication pour des substances d’usagemédical bien établi.

La création au sein de l’EMEA d’une structure spécialisée dansla réglementation des spécialités de prescription médicalefacultative est en discussion.

■ Comportement d’automédicationet acteurs

Le comportement qui consiste à vouloir se soigner seul esttrès ancien. Au XVIIIe siècle Furetière voulait même lui donnerun nom. Il distinguait les situations où on se « médicine »(automédication) de celles où on se « médique » (sur prescrip-tion). Il faut rappeler qu’en 1950 à la naissance de la sécuritésociale de l’ordre de 50 % de notre pharmacopée n’était pasinscrite sur liste.

L’objet d’un développement de l’automédication commeélément normal du soin suscite donc une profonde modifica-tion des comportements des nombreux intervenants sur cesujet. Le comportement d’automédication correspond pour lepatient (certains dans le cadre de ce comportement l’appellentle consommateur) à des situations très différentes [10]. Certainespeuvent être a priori considérées comme dangereuses ou illiciteset doivent être découragées : réutilisation dans l’armoire àpharmacie de médicaments de prescription médicale obligatoire,autoprescription de médicaments hors de leurs indications,délivrance pharmaceutique de médicaments inscrits sur liste,prescription a posteriori par le médecin traitant aux fins deremboursement (pratique qui touche près d’un achat sur deuxde médicament non listé).

Nous n’envisageons ici que le comportement dit vertueux oùl’individu a reconnu son symptôme, sait le traiter, connaît leslimites de cette prise en charge personnelle et assume la

Tableau 2.Le marché en France des médicaments de prescription médicalefacultative.

2002 2003 2004

En millions d’euros prix consommateur

MPT 23447 24403 25323

HPT 5384 5383 5201

AM 1555 1575 1493

Variation en % par rapport à l’année antérieure

MPT + 2.,9 + 4,1 + 3,8

HPT - 2,41 0 - 3,4

AM - 8,2 + 1,2 - 5,2

Pourcentage du marché pharmaceutique total

HPT 23 22,1 20,5

AM 6,6 6,4 5,9

MPT : marché pharmaceutique total, HPT : marché de la prescription médicalefacultative remboursée et non remboursée, AM : marché de la part nonremboursée de la PMF (source : AESGP).

Tableau 3.Principaux domaines d’utilisation des médicaments d’automédication(prescription médicale facultative non remboursée).

En millions d’eurosprix consommateur

2002 2003 2004

ORL et respiratoire 360 377 350

Antalgiques 176 172 168

Digestif 211 198 194

Dermato 176 172 168

Vitamines et minéraux 133 125 119

Fatigue 67 58 53

Substituts nicotiniques 86 132 119

Autres 346 340 321

Total 1555 1575 1493

Automédication ¶ 1-0153

3Traité de Médecine Akos

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responsabilité financière de son achat. Ce comportement estrare dans la population française, en comparaison notammentavec les pays voisins du Nord de l’Europe. Deux facteursconcourent au faible développement de cette pratique. D’unepart le mouvement d’« empowerment » [11, 12] qui soutient dansles pays anglo-saxons les pratiques de « managed care », de « col-laborative care » est beaucoup moins développé en France.D’autre part, l’absence de remboursement hors prescriptionmédicale préalable et le coût plus élevé de ces médicaments parrapport à ceux de prescription constituent à notre avis les freinsmajeurs.

Pour le pharmacien [12], la délivrance d’un ou plusieursmédicaments de PMF exige une bonne connaissance de lapharmacie clinique, lui permettant la reconnaissance de laplainte, la connaissance des signes rendant préférable un avismédical, une délivrance adaptée et le conseil thérapeutique.L’enseignement de la pharmacie clinique au cours des études depharmacie pourrait être renforcé mais surtout une formationprofessionnelle continue dans ce domaine est indispensable. Deplus, l’acte de délivrance idéal est long et exige de la confiden-tialité. Les conditions matérielles de l’organisation des pharma-cies en France ne sont pas toujours adaptées. Un espace deconfidentialité, une meilleure accessibilité et un affichage desprix de ces médicaments devront accompagner un éventueldéveloppement de ce marché.

Pour le médecin il existe deux obstacles majeurs à la prescrip-tion de ces médicaments. Le premier est la méconnaissance parle corps médical des médicaments composant cette classe. Fortpeu de ces médicaments sont catalogués dans le Vidal, principaldictionnaire en France des spécialités pharmaceutiques, lesmonographies sont rares [13, 14], les réseaux de visite deslaboratoires commercialisant ces médicaments sont dirigésprincipalement vers le pharmacien. Le second est la demandepar le malade de médicaments remboursés. Un développementde la pratique d’automédication serait contemporain d’unchangement radical de l’attitude du médecin, orientant son rôlevers des pratiques d’information, d’éducation thérapeutique,d’aide à la prévention [15].

■ Risques de l’automédicationLe terme automédication a en France une connotation

négative. Le drame de la thalidomide commercialisée horsprescription par les laboratoires Grunenthal en Allemagne est ànotre avis pour beaucoup dans cette image. Rappelons que danstous les autres pays où elle était commercialisée avec prescrip-tion médicale obligatoire, l’incidence des accidents n’a pas été

profondément différente. L’erreur était une erreur d’évaluationinitiale. Les remèdes ont été une modification profonde de lalégislation pharmaceutique internationale, dont une inscriptionsur liste presque systématique pour tous les nouveaux principesactifs.

Les risques d’un mésusage en automédication existent : usageen automédication de médicaments listés antérieurementprescrits, erreurs de conditionnement, abus médicamenteux, depsychotropes notamment, dopage, usage chez la femmeenceinte [16, 17].

Le risque globalement le plus reproché à l’automédication estcelui de perte de chance. À notre connaissance ce risque n’ajamais été évalué de manière scientifique. La prescriptionmédicamenteuse ne garantit nullement dans notre contextesanitaire la qualité du dépistage. Les conditions actuellesd’autorisation de ces médicaments doivent apporter de bonnesgaranties en termes de santé publique ; en particulier lesindications retenues pour un usage en automédication doiventcomporter un risque de perte de chance le plus faible possible.La délivrance pharmaceutique est une autre sécurité.

Deux risques actuellement sont mal évalués. Le risque desurdosage est accru par la dénomination de la spécialité : unpatient peut absorber sous des dénominations différentesplusieurs doses d’un même principe actif. Ce risque est réel,notamment avec le développement des marques « ombrelle »(déclinaison d’une gamme de produits ayant le même principeactif) même si l’agence française veille à ce que cette informa-tion soit clairement mentionnée sur les notices et dans lesconditionnements. Le risque d’interaction médicamenteuseexiste également, interaction notamment entre les médicamentsprescrits et non prescrits [18].

■ Avenir de l’automédicationLe développement d’un comportement d’automédication

dans la population n’est pas une fin en soi. Il a pour objectifde développer l’initiative des patients dans des domainesdéfinis, ce faisant de soulager dans le domaine du soin primairele praticien d’un certain nombre de prises en charge et donc delui offrir la possibilité de recentrer son action sur la prévention,l’éducation thérapeutique et la prise en charge de pathologieslourdes.

Une grande part du conseil thérapeutique sur ces indicationsbien définies sera déléguée au pharmacien. La responsabilisationfinancière du patient est un gage de bonne observance etdiminuera sans doute le gaspillage.

Les moyens de ce développement seront apportés par ledélistage (ou exonération) de principes actifs médicamenteuxd’efficacité prouvée et pourront être accélérés par des procéduresde déremboursement sur des classes pharmacothérapeutiques.

Les conséquences financières de cette évolution pour lepatient seront peut-être limitées par des prises en chargepartielles ou totales de certains de ces médicaments par desassurances complémentaires.

■ Références[1] Bader JP. Réflexions sur le bon usage du médicament. Concours Méd

1995;117(1839-42, 1912-4, 1980-2, 2049-51, 2113-7):1758-60.[2] Bowen D. Nonprescription drug regulation in the United States. Drug

Inf J 2000;34:323-7.[3] Soller RW. The over-the-counter scientific/regulatory paradigm. Drug

Inf J 1999;33:799-804.[4] Ministère des Affaires Sociales et de la Solidarité. Avis du 27 mai 2005

aux fabricants concernant les demandes d’autorisation de mise sur lemarché des médicaments de prescription médicale facultative. BulletinOfficiel n°2005-8. Annonce n°32.

[5] European Commission. A guideline on changing the classification forthe supply of a medicinal product for human use. 2005.

[6] Hanser E. Surveillance des effets indésirables des médicaments nonprescrits. [thèse de doctorat en médecine], UER Pierre et Marie Curie,2000.

“ Points essentiels

Recommandations aux pharmaciensLes bonnes questions lors de la délivrance d’unmédicament de PMF :• Pour qui ce médicament ?• Quels sont les symptômes ?• Ça dure depuis quand ?• Quels autres médicaments prenez-vous (prend-il ou–elle) ?Conduite à tenir concernant l’automédication lorsd’une consultation médicale• Demander au patient s’il prend un (des) médicament(s)non prescrit(s).• Se renseigner sur leur composition (boîte, notice,pharmacien, fabricant).• Vérifier l’absence de cumul de dose d’un principe actifavec d’autres médicaments prescrits ou non.• Apprécier les risques d’interaction médicamenteuse.

.

1-0153 ¶ Automédication

4 Traité de Médecine Akos

Page 111: Le Manuel Du Généraliste - Divers

[7] Ministère des Affaires Sociales et de la Solidarité. Médicamentsd’automédication.Avis aux fabricants concernant les demandes d’auto-risation de mise sur le marché. Bulletin Officiel 91/9bis.

[8] AESGP. France. In: Economic and legal framework for non prescrip-tion medicines. June; 2005. p. 160-79.

[9] Cohen JP, Paquette C, Cairns CP. Switching prescription drugs to overthe counter. BMJ 2005;330:39-41.

[10] Laure P. Enquête sur les usagers de l’automédication : de la maladie à laperformance. Therapie 1998;53:127-35.

[11] Blenkinsopp A, Bradley C. Patients, society and the increase in selfmedication. BMJ 1996;312:629-32.

[12] Bond C, Bradley C. The interface between the community pharmacistand patients. BMJ 1996;312:758-60.

[13] THERA. Dictionnaire des médicaments et des produits deparapharmacie. Paris: Éditions du Vidal; 2005.

[14] Vidal de l’automédication. Paris: Éditions du Vidal; 2004.[15] Droz C, Guilbert JJ. Que sera le médecin du patient de demain. Med

Hyg (Geneve) 1998:2240-1.[16] Bouvier N, Trenque T, Gabriel R, Quereux C, Millart H. Risques

iatrogènes de l’automédication chez la femme enceinte. Presse Med2001;30:37-40.

[17] Leclerc C, DebasA, Bagheri H, Montastruc JL. À propos d’une enquêteprospective systématique de pharmacovigilance à l’officine. Therapie1996;51:563-4.

[18] Honig PK, Gillepsie BK. Drug interactions between prescribed andover-the-counter medication. Drug Saf 1995;13:296-303.

A. Baumelou ([email protected]).Hôpital Pitié-Salpêtrière, département Biospim (Santé Publique-Biostatistiques-Information Médicale), 47-83, boulevard de l’Hôpital, 75651 Paris cedex 13,France.

S. Lauraire.S. Tachot.AFSSAPS, 143-147, boulevard Anatole-France 93285 Saint-Denis cedex, France.

M. Flachaire.AFIPA, 8, rue Saint-Saëns 75015 Paris, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Baumelou A., Lauraire S., Tachot S., Flachaire M. Automédication. EMC (Elsevier SAS, Paris), Traité deMédecine Akos, 1-0153, 2006.

Disponibles sur www.emc-consulte.com

Arbresdécisionnels

Iconographiessupplémentaires

Vidéos /Animations

Documentslégaux

Informationau patient

Informationssupplémentaires

Auto-évaluations

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5Traité de Médecine Akos

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Croyances médicamenteuses :

aller contre ou faire avec

C Breton

L a maladie, plus particulièrement la maladie chronique, confronte chacun d’entre nous à la fragilité humainede notre corps, mais aussi à l’imaginaire de ce corps puisque nous sommes des êtres parlants et désirants, et

enfin aux inventions humaines et aux différentes théories médicales qui ont été découvertes.Il s’agit d’un véritable nœud de représentations que le médicament va actualiser lors de sa prise, mais aussi del’imaginaire de la ou des théories médicales de chacun.La croyance actuelle est que nous serions des êtres rationnels non modifiables par le traumatisme de la maladie etdonc qu’une explication claire suffirait à éliminer d’autres croyances. Or, qu’est-ce qu’une croyance ? C’est souventune capacité d’illusion qui est une force, et qui trouve son origine dans la détresse et la souffrance (Freud, L’avenird’une illusion). Le rapport à la thérapeutique est infiltré de croyances :- croyance médicale qui centre le savoir sur le corps biologique ;- croyance en la toute-puissance de la pensée qui permettrait de guérir ;- croyance en la nature qui serait toujours bonne ;- croyance en un objet thérapeutique tout-puissant ou au contraire destructeur.Mais n’est-ce pas là l’étymologie même du mot pharmakon (« poison » et « remède ») que nos croyances actualisent ?Je pense qu’il est irrationnel, en médecine, de ne pas écouter chaque personne dans sa subjectivité, lorsqu’elle estprise dans le désir de prescription et dans l’histoire de ce médicament-là. Car c’est oublier que l’homme n’est pas unanimal biologique, même s’il l’est aussi, et que, en s’humanisant dans le désir, la parole, le manque et la souffrance, ilrevendique aussi sa place de sujet.© 2003 Editions Scientifiques et Médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Mots-clés : croyance et détresse, corps anatomique et corps imaginaire et symbolique, médicament représentant lesoin et la maladie.

■Introduction

Le rapport de l’homme malade, mais aussi detous les hommes, à la médecine et au médicamentfait partie intégrante de chaque culture. Cependant,la thérapeutique s’adresse à l’homme malade(cliniquement, radiologiquement, biologiquement)ou possiblement à risque de maladie, c’est-à-dire àune personne pour qui se pose la question humainepar excellence de sa fragilité et donc de sasouffrance, voire de sa mort. Face à cette souffrance,de tous les temps les hommes ont inventé unethéorie de la maladie et une réponse thérapeutique.

La théorie actuelle est une théorie biologique.L’application de la science à la médecine a permis depréciser objectivement la qualité thérapeutique dumédicament. La maladie n’est plus traitéesymboliquement (en extirpant le mal en faisantvomir, en purgeant, en scarifiant et en faisantsaigner) mais objectivement en étudiant aulaboratoire sur des animaux puis sur l’homme lescauses de la maladie et les thérapeutiques, et entraitant directement dans l’intimité du corps.

Ces découvertes scientifiques entraînentbeaucoup d’affrontements. Entre le « guérisseur

scientifique » et celui qui souffre, la rencontre estsouvent difficile, car à la rationalité apparentemédicale s’opposent des croyances multiples quireprennent parfois les théories anciennes ou encréent d’autres.

Ces théories sont aussi une façon de s’opposer autout biologique de l’épistémologie médicale actuelle(épistémé : savoir ; logos : parole) et permettentsouvent de réintroduire le corps imaginaire etsymbolique, mais aussi de lutter par des croyancescontre la souffrance de la maladie.

Écouter ces croyances, c’est aussi découvrir lacomplexité du rapport de tout un chacun au médical,c’est peut-être aussi permettre des avancées enmédecine, nous verrons pourquoi.

Mais tout d’abord, la question principale est :pourquoi tant de croyances en médecine ?

■Pourquoi tant de croyances

en médecine ?

Les questions de vérités et croyances sonttoujours très prégnantes en médecine, car la maladiepose avant tout le problème de la souffrance et de lamort.

‚ Croyance et détresse

La croyance est une force qui s’oppose à ladétresse. Les êtres humains que nous sommesdoivent s’affronter au manque que représente lamaladie et la mort, et c’est dans notre rapport aumanque, constitutif de notre spécificité humaine, ques’organise notre être psychique. C’est aussi dans sonrapport à la mort que se constitue une civilisation.Or, le lien de l’homme à la maladie et à la mort estde l’ordre du réel et, comme Freud nous l’a appris,dans tout rapport de l’homme au réel il est besoind’une médiation imaginaire et symbolique. Laquestion essentielle pour notre civilisation, dans lerapport de tout un chacun au médical, est d’inventercette médiation entre humains, car les découvertesthérapeutiques de notre siècle, qui ont permis parfoisde guérir quelqu’un marqué par une mort proche,ont modifié par là même la base de la civilisation enrefoulant en partie le divin dans le rapport aumédical. Mais quel était le rôle du divin dans larelation au médical ? Il permettait un tiers dans cetterelation car c’était à lui qu’était attribuée la violencede la maladie et sa résolution. Or, l’hypothèse deFreud est que l’une des sources de l’efficacité desreligions réside dans leur capacité d’illusion ; c’estainsi qu’il nomme la croyance. L’illusion, dit-il, n’est

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pas l’erreur ; elle n’est pas fausse comme le délire ; cen’est pas davantage une falsification, mais c’est uneforce qui trouve son origine dans la détresse infantilede l’abandon et de la souffrance. C’est dire que faceà la souffrance de la maladie, l’illusion de théoriesmultiples va être sollicitée pour prévenir le désespoirde la confrontation à cette souffrance.

‚ Possibilité thérapeutique

L’existence même d’une possibilité thérapeutiquea des conséquences souvent paradoxales.

La place et l’existence d’un objet thérapeutique nesont pas toujours simples dans la relationmédecin-patient, comme l’a montré l’histoire récentede l’épidémie à virus de l’immunodéficiencehumaine (VIH). En effet, l’absence de thérapeutiqueau début de l’épidémie a souvent permis laréintroduction de la parole dans l’échangemédecin-patient, parole que l’objet thérapeutiquesouvent empêche paradoxalement pour beaucoup.Je voudrais citer cet article qui est paru dansLibération du 27 octobre 1996 avec pour titre Latrithérapie ronge le dialogue et citer la phrase deDaniel Deffert : « Le risque existe que beaucoup demédecins à travers la prescription de médicamentsretrouvent le pouvoir de vie et de mort qu’ils avaienttout juste évité du temps de leur impuissance ».

Cette phrase, à mon avis, montre plusieurschoses : d’une part, le déplacement opéré sur lesmédecins de la puissance ou impuissance de lathérapeutique, mais d’autre part, et surtout, que lapossibilité thérapeutique du savoir humain peut êtrevécue comme une violence.

Il est certain pour la psychanalyste que je suis quel’absence d’objet thérapeutique dans la relationmédecin-patient, au début de l’épidémie du VIH, aformidablement développé la possibilité de la paroleet de transfert , permettant une relat ionmédecin-patient qui était en partie la même quecelle qu’a découverte la psychanalyse, puisque letransfert devenait alors un transfert de sentimentsans rapport à l’objet qui est en prise directe sur leréel (du corps anatomique).

Citons deux attitudes différentes : « moi, j’ai unetrès bonne relation aux médecins parce que je penseque leur savoir et leurs découvertes, c’est Dieu qui lesleur a donné. Ils sont pour moi les messagers deDieu. Cependant j’ajoute, comme il est dit dans leCoran, du miel (un mot égyptien) ». Le patientsuivant : « J’avais une excellente relation à monmédecin tant qu’il n’avait pas de médicaments car jele sentais impuissant comme moi. Nous étions deuxpersonnes fragiles. Depuis qu’il a des médicaments,je ne peux plus le supporter parce que je me sensinférieur à lui ». C’est dire à quel point la possibilitéthérapeutique peut représenter la fragilité humaine.

‚ Fragilité humaine

La maladie exprime par définition la fragilitéhumaine ; c’est dire l’extrême ambivalence durapport de tout un chacun à la médecine, aumédecin et au médicament.

La question est, face à chaque patient, de réfléchiravec lui à ses théories médicales et à son rapportavec la blessure de la maladie. En effet, le rapport àla théorie médicale et à l’objet médicament estinvesti de représentations, représentations souventsurdéterminées. Cette surdétermination dessinel’épistémologie intérieure où s’affrontent dans lemême individu des processus de pensée conformesaux exigences rationnelles, mais d’autres aussi filant

au plus court vers un acte manqué, vers la répétitiond’un événement traumatique ou quelquesreprésentations imaginaires du désir.

Comme le disait si bien le psychanalyste PierreBenoît1 : « aucune théorie de la médecine qui ne faitpas sa part à la vie secrète de l’homme malade et deson entourage de vivant et de mort n’est viable, etune théorie qui ne fait pas leur part aux acquisitionsdes sciences biologiques positives et des effetsobjectifs des produits de leur laboratoire ne peutparaître que comme une aberration. »

‚ Corps biologique et corps humanisé

De plus, enfin, la théorie médicale s’applique aucorps biologique animal pourrait-on dire. Or, puisquenous sommes des êtres parlants et désirants, notrecorps nous l’imaginons, l’abstrayons et lesymbolisons. Le médicament actuel nous relie certesà ce corps biologique animal, mais en même temps,puisqu’il est prescrit pour résoudre une maladie, ilnous relie aussi aux découvertes humaines, à lasouffrance, à la vie, à la mort, bref à la spiritualité.

■Fonctions des thérapeutiques

‚ Lutter contre la maladie

Les thérapeutiques luttent contre la maladie defaçon symbolique jusqu’au XIXe siècle, de façonobjective à l’intérieur du corps humain depuisl’application de la science à la médecine.

En effet, les médicaments proposés dans notrepays jusqu’au XIXe siècle étaient avant tout dessubstances utilisées pour leur effet réel etsymbolique d’extirpation du mal.

On utilisait des substances capables de fairevomir, de purger ou encore la petite lance pourscarifier et faire saigner, ce qui peut aussi évoquer,voire mimer, la violence humaine, peut-être plusfamilière que la violence de la maladie (une desprincipales revues médicales se nomme « TheLancet »).

On utilisait aussi des éléments de la nature quimimaient la violence de la maladie : par leur nom, la« thériaque », bête sauvage ; par leur forme, la« thériaque », racine qui a une forme de tête deserpent, était censée lutter contre les morsures deserpent ; mais la thériaque devint une « panacée »,c’est-à-dire capable de s’opposer à tous les maux,lorsque Néron fit ajouter du poison à cettesubstance.

Or, l’étymologie de pharmakon, n’est-ce pasprécisément « poison » et « remède » ? C’est-à-dire quiréunit Éros et Thanatos dans le même objet. C’estdire aussi l’ambivalence du rapport au médicament.

On utilisait, et on utilise encore, des élémentsévoquant et réunissant le divin et le corps en unmême objet : par l’hostie et la transsubstantiation ducorps du Christ, où il s’agit de donner au corpshumain un objet le reliant au sacré, ou encorelorsque l’on prescrit des versets coraniques dissousdans un verre d’eau.

Car, pour beaucoup, avant les réussitesthérapeutiques liées au savoir humain, c’était à un

dieu ou des dieux qu’était dévolue la responsabilitéde la guérison, mais c’est aussi à travers un objetpour le corps que le divin était sollicité pour agir.

Or, depuis l’application de la science à lamédecine, c’est le corps exclusivement biologiquequi est étudié. Il faut souligner cependant que c’eststatistiquement que les bénéfices thérapeutiquessont étudiés et que c’est individuellement qu’ils vontêtre pris, avec toutes les incidences du métabolismepersonnel.

‚ Porter la violence de la maladie

Auparavant attribuée à Dieu, la violence de lamaladie est maintenant souvent déplacée sur lemédecin qui la nomme ou le médicament qui lasoigne, ou encore le politique qui décide.

On peut dire que, en France, nous sommes passésde la théorie d’Ambroise Paré : « je le pansais, Dieu leguérit » à « la médecine et les médicaments sedoivent de guérir ». La violence de la maladie commesa résolution sont maintenant déplacées sur lemédecin et les médicaments. Car depuis que lesdécouvertes thérapeutiques ont permis de sauver unmalade d’une mort prochaine, et ceci non plus aunom de Dieu mais au nom de l’homme lui-même,de son savoir, la violence de la maladie n’est plusmédiatisée par le religieux mais est devenue un faitde savoir humain. La question essentielle est deretrouver un tiers dans cette relation ; ce tiers ne peutêtre que la spécificité humaine de la maladie et nonpas le médicament. Or, la théorie scientifique de lamédecine a négligé avec un certain mépris la part deDieu en thérapeutique « elle a cru qu’il s’agissait là desuperstitions qui s’éteindraient d’elles-mêmes à lalumière de la science et n’a donc absolument paspensé aux moyens d’assurer la seule évolutionconcevable, c’est-à-dire le transfert de la part de Dieusur la part de l’Homme, moyennant quoi le transferts’est bien opéré, mais en douce, et non sur l’Hommemais bel et bien sur la thérapeutique et lesmédecins » (Pierre Benoît, opus cité). Il n’y a plus detiers dans la relation médecin-patient.

Politique, « droit à la santé »et « fantasme de toute-puissance médicale »

Deux grands événements ont marqué lamédecine au cours de ce dernier siècle. D’une part,l’application de la science à la thérapeutique,permettant des découvertes fondamentales et desréussites radicalement nouvelles, et, d’autre part, lademande de soin et de recherche qui est adresséemaintenant aussi aux gouvernements qui prennentdes décisions en santé publique. Cela changefondamentalement le rapport de l’homme à lamaladie et à la mort. Cela change donc la civilisation.Nous sommes passés en médecine d’une positionhétéronome (qui se soumet à une puissancesupérieure et antérieure) à une position autonome etau « droit à la santé » pour chaque individu. Cela poseà l’évidence des questions fondamentales liées àl’épistémologie médicale et à un type de société.

Je pense que la pensée si souvent exprimée :« quelque part, il existe une thérapeutique cachée àlaquelle les patients n’ont pas accès », montre bien laposition cléricale dans laquelle est mis parfois lesavoir médical, en place du grand Autre, dirait Lacan.Je pense, de plus, que cette position detoute-puissance imaginaire a peut-être bien un lienavec cette expression : « droit à la santé », qui mesemble être de l’ordre du cauchemar messianique ;ce qui est différent du « droit d’accès aux soins ». Que

(1) Pierre Benoît. Chroniques médicales d’un psychanalyste.Collection Rivages, 1988 : 216 p.

1-0115 - Croyances médicamenteuses : aller contre ou faire avec

2

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l’on parle de droit à l’accès aux soins en en prenantla mesure et les décisions de société qui s’ensuivent,certes, mais parler de droit à la santé me semble uneposition idéologique excluant par là même lespersonnes atteintes d’une maladie chronique qui sedevraient donc d’être guéries et qui identifieégalement le savoir médical, dans sa relativité, à unefaute de non-toute-puissance. Si l’on pousse leraisonnement, le savoir médical est en faute parfoisde ne pas donner l’immortalité.

Relativité du savoir en médecine

L’application des sciences à la médecine a permisde découvrir des connaissances objectives etstatistiquement vérifiables, et de mettre au point desthérapeutiques en fonction de ces connaissances. Cequi est dit en médecine de la vérité du savoir estcentré sur le biologique. La médecine parle avanttout de corps anatomique, animal pourrait-on dire.Mais notre corps fonctionne-t-il totalement commecelui d’un animal ?

Or, qu’avons-nous découvert aussi au XXe siècle ?Que l’enfant, avant le langage, ne se développaitbiologiquement et endocrinologiquement que si lesnourritures tout à fait objectives étaient donnéesdans un contexte relationnel et de parole quipermettait aussi que ces substances soient efficacesbiologiquement. C’est ce qu’ont montré les études deSpitz sur l’hospitalisme, avec ses conséquences(nanisme etc), mais c’est aussi, après l’acquisition dela parole, que les effets organiques de l’abandonrelationnel ont été montrés, en particulier dans lesorphelinats de Roumanie.

La vérité en médecine est-elle alors uniquementreprésentée par le savoir sur le corps biologiqueanimal ? Ou doit-on aussi étudier la part de l’humaindans le rapport au médical ? Voire aussi étudier cettepart dans les effets de la thérapeutique, bien au-delàde ce que l’on nomme « psychosomatique » ? Nedoit-on pas prendre en considération aussi les effetsde la spécificité humaine du langage et de lareprésentation sur le corps ? N’y aurait-il pas enmédecine des vérités intriquées encore à découvrir ?Mais pour les découvrir, il faudrait aussi les chercher,en se mettant à l’écoute de chaque patient et de sesreprésentations, et en entendant son rapport auxthéories médicales comme spécifique de l’humain.Car, parlant et disant « je », notre rapport au médicalne peut être que subjectif, et un fait de subjectivité nepeut être traité avec l’appareil conceptuel qui permetde traiter une vérité objective.

Ce que pose bien l’énigme du placebo. Quepeut-on en effet remarquer :

– que l’effet placebo est souvent réduit à un effetimaginaire de croyance, alors que les étudesmontrent qu’il peut avoir aussi, certes pas danstoutes les maladies, un effet biologique objectif, cequi pose énormément de questions très rarementabordées ;

– que l’effet nocebo, « qui nuit », de lareprésentarion du médicament est souvent ignorée,du grand public et des législateurs ;

– que les effets de la thérapeutique sontrarement étudiés dans le quotidien de la vie et,au-delà des effets de la substance, quels sont leseffets du nom, de la forme, de la couleur, du goût etcdu médicament sur les croyances dans lesmédicaments ?

C’est la part humaine liée au langage, à la parole,au manque, à la souffrance qui a été refoulée et quirevient en force, par exemple dans la demande de

médecine parallèle, dite « douce », demande qui est àentendre comme revendication de la part humainedans la thérapeutique. Comme le dit lepsychanalyste Pierre Benoît, « humaniser lamédecine ne consiste pas à se montrer humain avecles malades mais à reconnaître ce qu’il y a despécifiquement humain au sein même desprocessus morbides dont ils sont affectés ».

La question est que le biologique ne représentepas la vérité de l’être humain dans sa totalité,puisque la spécificité de l’être humain c’est aussi sasubjectivité vécue dans la parole, le désir et lasouffrance, et qu’il y a actuellement deux tendancesopposées : représenter l’humain par sa partexclusivement biologique, animale ou au contraireexclusivement subjective. La question quant auxcroyances est souvent, pour les personnes atteintescomme pour les médecins, de tenter de lier les deux.

La question actuelle dans le rapport aumédicament vacille entre plusieurs positions : soit lemédicament est sollicité à une place où il doitcombler tous les manques, permettant par exemplela réussite sociale ou intellectuelle, l’exploit physique,voire abolissant la fragilité humaine, demandeadressée à l’État et à la médecine ; soit il existe, aucontraire, un rejet du médicament biologique vécucomme ayant refoulé la part humaine, et unedemande alors de médecine parallèle ou encore unfantasme de toute-puissance psychique quiannulerait la fragilité organique et son énigme.

Mais il existe aussi une croyance en un êtrehumain prenant rationnellement un médicamentpour son corps biologique où la souffrance de lamaladie et ses effets sont masqués, ou, à l’autreextrême, une croyance en la toute-puissance de lapensée qui guérirait, éliminant la nécessité d’unmédicament, soit encore des croyances en desthéories médicales et des médicaments s’opposantaux théories biologiques proposées par la médecine,c’est la demande de médecine parallèle dite« douce » que l’on voit de plus en plus présente, neserait-ce que dans les vitrines de pharmacie.

C’est donc aussi une question de société. C’est direla nécessité de reconnaître publiquement lacomplexité du rapport au médical. Cette complexiténe pourra être découverte et, par là même,enseignée que si elle est reconnue commespécifiquement humaine.

La tendance actuelle est donc d’espérer quel’éducation et l’information scientifiques vont suffireà éliminer d’autres croyances.

■Confrontation

des représentations

‚ Information et partage du savoir

L’idée que la prise du médicament est avant toutliée à sa valeur thérapeutique, à la connaissance decette valeur, et donc à l’information adéquate et à labonne relation médecin-patient, est la pluscommunément exprimée, certes. Cependant, lesétudes montrent que ceux qui sont les plus informésquant aux médicaments et leurs effets, je veuxnommer les médecins, sont ceux qui sont parmi lesmoins observants d’une thérapeutique prescrite.Donc, à l’évidence, l’information ne suffit pas à unebonne observance.

L’information scientifique en médecine est filtréepar la subjectivité et si l’on peut dire l’épistémologie

intime de chaque personne qui la reçoit. Leredoutable devoir du médecin, de l’infirmière, dupharmacien, est d’entendre et de communiquer avecla personne dans son être spécifique : c’est cela l’artmédical. Car parler de maladie et de médicament,c’est aussi parler de traumatisme et de blessure, quientraîne chez beaucoup de patients un processus derefoulement ou de déni. Ce n’est pas decompréhension qu’il s’agit souvent mais deprocessus de protection psychique. Quel médecinn’a pas été confronté à un confrère malade ignoranttout de sa maladie ? Il faut savoir que lorsque lemédecin parle objectivement de la maladie ou desmédicaments c’est subjectivement que cela va êtreentendu. Il s’agit souvent que le médicament raconteune histoire au patient coïncidant avec son désir devie, de sens, voire sa position philosophique.

La connaissance de cette complexité du rapportau médicament est peu enseignée en médecine enFrance, car la valeur de la thérapeutique estprécisément étudiée en essayant d’éliminer la parthumaine dans les études.

Cependant, certaines personnes sont tout à fait enaccord avec les théories biologiques, elles préfèrentacquérir un savoir médical et parlent volontiers de cesavoir avec leur médecin. Ces personnes intègrentdes connaissances médicales, ce qui leur permet des’approprier ce savoir comme valeur humaine et leurdonne parfois un sentiment de meilleure maîtrise etde moindre soumission passive. Elles paraissentalors parler techniquement de leur maladie avec leurmédecin, que cela d’ailleurs réconforte souvent, carla souffrance est ainsi masquée. L’adhésion à lathérapeutique est consciemment acquise et c’estalors que les oublis ou la non-prise du médicamentsont souvent tus, peut-être même censurés, soit pourprotéger le médecin de la souffrance, soit pourmasquer un défaut de rationalité. Les croyancesautres ne sont pas exprimées, voire même paspensées, car l’irruption de la subjectivité estdéroutante voire blessante pour les deuxprotagonistes, et les oublis ou la non-prise sont alorsrationalisés et non déchiffrés.

D’autres patients qui demandent l’information ouqui l’acquièrent vivent l’effet négatif éventuel dumédicament, même exceptionnel, comme troptraumatisant et psychiquement envahissant, etrenoncent donc à une thérapeutique qui aurait pune pas du tout être toxique pour eux. En particulier,les patients anxieux ou hypocondriaques peuventavoir une décompensation psychique lorsque l’onparle des effets secondaires.

L’information au patient dépend certes de lapossibilité de compréhension et de la qualité del’explication. Mais il faut savoir aussi que lorsque lesmédecins parlent objectivement de la maladie et dumédicament, c’est subjectivement que cela va êtreentendu. La grande difficulté de l’information enmédecine c’est que celui qui la fait, c’est-à-dire lemédecin, le pharmacien ou l’infirmière, a par làmême une théorie de la médecine et dumédicament qui ne laisse pas toujours place àl’écoute du patient dans la complexité de sonrapport au médical et à l’objet thérapeutique, car lesdécouvertes objectives de notre siècle ont parfois faitoublier la part de subjectivité dans le rapport à lathérapeutique.

Je pense que, pour faire alliance avec le patientlors d’une prescription, il faut à la fois que le médecinsoit attentif à ce qu’il dit et qu’il accepte peut-êtred’être en position de recherche avec le patient pour

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apprendre sa ou ses théories de la médecine et dumédicament. Tout malade possède en effet unsavoir sur son rapport au médical et au médicament.C’est ce savoir du malade qu’il est indispensabled’écouter, tout en entendant la valeur constructiveou parfois destructrice pour chaque personne et enacceptant de renoncer à l’idéal publiquementproposé d’être en face d’un sujet purement rationnel,transparent à lui-même, voulant son bien, acceptantles théories médicales, n’étant pas modifié par letraumatisme que représente parfois l’information surle médicament et la blessure de sa maladie. Il s’agitpour nous tous d’entendre la blessure quereprésente aussi la maladie, et donc le médicamentet le médecin lui-même. Il s’agit d’accepter larationalité de l’irrationalité.

‚ Ambivalence des rapportsmédecin-patient-médicament

Mais il reste une grande difficulté : si lemédicament représente pour celui qui le prescrit lesoin, pour le patient ce même médicamentreprésente certes souvent le soin, mais aussi samaladie, sa souffrance et le manque. C’est direl’ambivalence du rapport médecin-patient et dechacun des deux au médicament. L’adhésion à laprise de médicament est liée certes à la maladie et àsa perception, à la connaissance de la valeurthérapeutique du médicament, à la crainte ou auvécu de ses effets secondaires, au désir de se soigneret de se soigner avec ce médicament-là, c’est-à-dire àl’épistémologie médicale de chacun, et donc à lacomplexité humaine, à la souffrance, au savoir, aumanque, aux représentations, à la blessure de lamaladie et à l’histoire de chacun, bref à ce qui nousspécifie comme humain et qui est déplacé sur cetobjet médicament, et sur le rapport au médical.

C’est ce rapport à l’objet et aux multiplesreprésentations dont il est le support que je vaistâcher de transmettre. Cependant, il me semble quel’art médical nécessite l’écoute de l’humain enévitant deux écueils opposés : la réduction del’humain au biologique ou au psychique. Le rapportà l’objet thérapeutique touche aussi au préobjectal,et au ternaire de l’imaginaire et de la parole.

Le médicament en grec pharmakon veut direpoison et remède, ce qui exprime bien l’ambivalencede la thérapeutique qui allie Éros et Thanatos. Laquestion important est que pour beaucoup depatients, le médicament « chimique » est identifié àThanatos. Peut-on réintroduire une alliance avecÉros ? Parfois, nous l’avons dit, c’est l’acquisition dusavoir médical mais parfois aussi l’expression d’unethéorie médicale autre, parfois c’est l’expression durapport à l’objet médicament et à l’image du corpsdu patient, parfois tout simplement l’écoute de ceque pense et vit le patient de la thérapeutique quipermettent à nouveau l’alliance entre Éros etThanatos à propos de la thérapeutique. Il s’agit pournous maintenant de découvrir les multiples façonsd’opérer cette alliance. « Cependant, pour qu’un objetsoit accessible à l’analyse, il ne suffit pas del’apercevoir, il faut encore qu’une théorie soit prête àl’accueillir » (François Jacob2). Encore une fois, je lerépète, il s’agit de réintroduire l’humain dans saspécificité. Il me paraît qu’un cadre d’écoute de la

complexité du rapport au médical est indispensable.Certains médecins peuvent le proposer, d’autresnon. L’écoute psychanalytique, à condition que lepsychanalyste entende aussi le patient dans sonrapport au médical, peut étudier plus spécifiquementle rapport à l’objet, et par là même contribuer à l’artmédical que la biologie et la technique ont modifié.

Or, si l’on écoute les représentations des patients,ce sont ces trois corps, symbolique, réel etimaginaire, qui sont concernés lorsque l’on parle demédecine, et cela même chez les médecins : si onleur demande de dessiner leur cœur, ils dessinent un« cœur à la Peynet ». Je citerai un patient :

« Une image terrifiante surgit à l’évocation du mot« immunité », mêlée d’un doute : de quelle immunités’agit-il ? De la mienne ou de l’immunité en général ?Celle dont on parle dans la presse et ailleurs ? De fait,le mot immunité est assez nouveau dans monvocabulaire, il y est entré de manière violente,immédiatement menaçante. L’irruption de ce motdans le quotidien de ma pensée a provoqué uncoma mental, l’impossibilité de penser le sens de cemot, seulement son enveloppe terrifiante. Laquasi-obligation de me penser à travers un mot dontje n’entends que le sens morbide ou pas de sens dutout… Quelque temps après, pendant la marche[donc au moment où il sent son corps vivant], unrenversement s’opère, il faut que je me réappropriece sens du mot immunité. Penser mon immunitémême menacée dans toute la puissance secrète desa signification, penser mon propre système dedéfense et d’amitié, le mot immunité commence àtrouver une place sympathique dans ma pensée. Jecommence à m’intéresser d’une autre manière àmes médicaments. »

C’est dire à quel point lorsqu’un médecin emploiedes mots qui concernent le corps et sonfonctionnement, c’est bien sûr subjectivement quecette information est entendue.

Car c’est la position personnelle par rapport autraumatisme, au narcissisme, à l’image du corps etses représentations, à la frustration, à l’histoirepersonnelle etc qui va filtrer l’information.

La relation médecin-patient est certes importantepour rationaliser la prescription, expliquer etpartager le savoir sur la thérapeutique et, donc,souvent permettre l’adhésion du patient à lathérapeutique. Le désir du médecin que le patient sesoigne est parfois très porteur pour le patient,parfois, au contraire, il est mis ou il se met à uneplace fantasmatique de maître insupportable. Deplus, par son « ordonnance » et par son savoir, lemédecin est souvent imaginairement placé du côtédu maître. C’est cette place de maître qu’il se doit dequestionner. Mais ce qu’il pense de la thérapeutique,sa culpabilité éventuelle à ne pas guérir, son désird’être médecin, tout cela et bien d’autres choses biensûr, sont exprimés par ses mots et ses attitudes.

C’est dire que la relation médecin-patient dépendcertes de la structure psychique de ces deuxpersonnes. Mais la rencontre de chacun des deuxautour de l’objet thérapeutique dépend aussi deleur(s) propre(s) théorie(s) médicale(s), ce qui faitpartie de l’histoire consciente et inconsciente dechacun des deux protagonistes.

Il me semble que c’est aussi de l’ordre dufantasme de toute-puissance médicale d’imaginerque chaque médecin est à même d’entendre chaquepatient dans sa complexité humaine. La rencontreentre ces deux personnes est aussi la rencontre entredeux inconscients, pas toujours compatibles,

d’autant que c’est le médecin qui nomme la fragilitéhumaine, et cette fragilité-là rend souvent cetterencontre impossible. Il n’en reste pas moins que,porteur de la nomination de l’atteinte, il est porteurde souffrance et donc si souvent identifié àl’agresseur. La même attitude d’un médecin peutêtre adéquate avec un patient et inadéquate avec lepatient suivant. La médecine reste un art difficile.

Le médecin lui-même a aussi un rapport subjectifà la maladie et aux médicaments, très rarementévoqué et élaboré. Son rapport aux médicaments etdonc à l’histoire récente du savoir, sa position parrapport aux recherches et à la thérapeutiqueinfluencent sa relation aux patients. Il m’apparaîtque souvent certains médecins s’identifient autraitement et à la guérison ou à la non-guérison dupatient. Certains mêmes sont culpabilisés de ne pasguérir la mort. C’est dire l’extrême tension de larelation à la non-observance du patient.

Mais je pense aussi que les médecins ont à sedéfendre de la violence de leur savoir, et de laviolence de la technicisation et de la biologisationque la médecine induit. Cela peut les amener à uneposition défensive de toute-puissance imaginaire,car prédire la mort au nom du savoir humain, c’estsouvent en être comptable, voire responsable (jerappelle que dans les siècles précédents on exécutaitles porteurs de mauvaises nouvelles). Et la techniqueisole souvent le médecin du patient. Enfin, biologiserla maladie, c’est déshumaniser l’homme. On ne peuten effet parler uniquement objectivement dequelque chose qui touche la subjectivité de l’êtrehumain. C’est une « position cléricale » (Pierre Benoît),c’est-à-dire de toute-puissance.

Je suis très frappée à ce propos de la solitudedans laquelle ont été mis les médecins, tant de lapart des philosophes que des psychanalystes.

Beaucoup certes accompagnent le malade dansses rapports à la maladie et aux médicaments,acceptant les difficultés tout en soutenant la pulsionde vie. Cependant, certains médecins entendent lesubjectif en le réduisant à de l’irrationnel et sedéfendent par là même de l’humain en médecine.Comme me le disait récemment un médecin : « moi,je fais de la médecine pure (du sujet ?) ».

Les psychanalystes ont peu ou pas travaillé sur lerapport à l’objet médicament puisque lapsychanalyse s’est constituée autour durenoncement à cet objet et, pourtant, la place de cetobjet médicament est certainement à entendre aussipsychanalytiquement, ce qui pourrait contribuer àl’art médical. Cependant, il m’apparaît que l’absencede théorisation sur le statut de l’objet médicamentpeut être entendue comme un symptôme de lathéorie psychanalytique.

‚ Pour une épistémologie médicale

Ce qui me paraît donc important est de rétablir lapart de l’humain dans la thérapeutique et dans laprescription, d’entendre la place du désir à la fois dusoignant et du soigné, et pourquoi pas d’étudier lapart de la personne dans l’effet thérapeutique, ycompris objectif. Il n’est pas question depsychologiser l’effet de la thérapeutique, il estquestion de redonner à l’homme la place de saparole, de son désir, dans toute la complexité de sonrapport au médical.

L’écoute et l’attention portées aux patientsconcernant leur rapport au médical et auxmédicaments permettent à certains patients de saisirles défenses qu’ils ont opposées aux théories

(2) François Jacob. La logique du vivant : une histoire de l’hérédité.Paris : Gallimard, 1976 : 352 p.

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scientifiques ou psychiques et de se confronter à leurrapport au « manque à être » actualisé par la maladie,parfois d’établir une alliance avec le médical, parfoisau contraire contre le médical tout en se confortantcomme sujet.

Les découvertes de notre siècle ont fait basculerpour beaucoup toute thérapeutique dans un « devoirguérir » ; beaucoup de patients auront donc à seconfronter à une frustration, à un renoncement quinécessite de repenser le soin. Il faut donc souventtout un travail extrêmement complexe et variabled’élaboration qui nécessite du temps. On ne peutqu’observer que souvent, dans les médias, lesprogrès thérapeutiques sont présentés comme quasimiraculeux. Les procès récents ont bien montré àquel point le fantasme de toute-puissance médicalepouvait même faire l’objet de jurisprudence. Ainsi,s’agissant de maladies nosocomiales, les juristes ontinventé l’« homme stérile », exigeant des médecinsune obligation de résultat. Or, la pratique médicalemontre à l’évidence qu’il s’agit beaucoup plussouvent de soins que de guérison.

Nous l’avons dit, la relation médecin-patient estmarquée par une relation de chacun des deux àl’objet thérapeutique et à la théorie médicale. C’estune longue histoire qui précède de beaucoup lesdécouvertes biologiques et a aussi sans doute unlien avec d’une part la constitution de l’objet dans latoute petite enfance et, d’autre part, ce qui spécifiel’humain, c’est-à-dire le monde ternaire del’imaginaire et du symbolique par la parole.

Je pense qu’il faut aller au-delà de la théorie deBalint qui a identifié le médecin à la thérapeutique etréintroduire dans les recherches le rapport dechacun à la théorie médicale et à la constitution pourlui de l’objet interne.

Le désir de se soigner implique au minimum ledésir de prendre soin de soi, d’avoir une consciencede la maladie et d’accepter ce médicament-là. Ledésir de se soigner nécessite aussi de se confronterau désir de vivre. Il faut dire que l’annonce de lamaladie, souvent nommée uniquement biologi-quement et non ressentie, est un choc qui entraîned’ailleurs souvent un coma mental, et uneimpossibilité de penser et d’entendre les mots quisont dits.

Se soigner avec ce médicament-là implique uneadhésion à la théorie médicale. Or, les médecinessont toujours symboliques et souvent, chez unemême personne, plusieurs théories se superposentou alternent.

■Rapport à la maladie et aux

différentes théories médicales

‚ « Être cobaye »

Ce terme, si souvent employé, n’est-ce pas unefaçon de nommer que la recherche scientifiques’intéresse d’abord à la part animale de l’homme,même si on lui demande son accord, et que lesrecherches actuelles sont uniquement biologiques etne s’intéressent pas à la part humaine ?

‚ Théories ou fantasmespsychosomatisants

Beaucoup expriment que, pour eux, prendre unmédicament ce serait s’opposer à leur forcepsychique et signer leur « défaillance » psychique. Le

médicament est alors vécu comme un élémentdestructeur de leur « équilibre psychosomatique » etsouvent ils expriment que le terme lutter, si souventemployé, leur donne une idée de leur valeur et deleur force et n’est pas compatible avec l’expression« être sous thérapeutique », qui les met en positionpassive psychiquement.

L’aggravation biologique devient parfois pour euxla preuve de leur faiblesse psychique et lemédicament représentant alors cette faiblessepsychique est rejeté en tant que tel. Je pense que leterme « psychosomatisant » est souventextrêmement gênant, car souvent vécu commeopposant force psychique et force somatique. Laquestion est de réintroduire le lien entre les deux etsurtout l’instance tierce de l’imaginaire, permettreaussi un espace de jeu dans cette articulationpsychique somatique, comme il s’agit souvent de lierà nouveau pulsion de vie et pulsion de mort.

On demande aux malades de lutter, certes pourdévelopper leur force de vie ; ne pas confondre cela,toutefois, avec un fantasme de toute-puissancepsychique guérissant le somatique, ce qui serait unfantasme obsessionel de toute-puissance de lapensée.

Il s’agit de reconnaître que les liens entrepsychique et somatique sont de l’ordre de l’énigme àécouter, certes, tout en sachant qu’une part échappenécessairement à l’homme, à son savoir et à sesconstructions objectivantes.

‚ Sens de maladie

Beaucoup aussi cherchent un sens à leur maladie,sens éminemment constructif pour eux, mais parfoisaussi aliénant car touchant à la culpabilitépsychologisante de la maladie. Le livre de Fritz Zorn,Mars3, en est un bel exemple. La question est làextrêmement difficile, car il s’agit à la fois dereconnaître cette construction souvent essentiellepour la personne, mais souvent aussi représentantde l’histoire de notre société et de la culpabilisation,personnelle ou projetée sur l’autre, de l’atteinte.

Maladie et faute sont encore bien souvent liées.D’ailleurs, ne parle-t-on pas souvent de lamaladie « injuste » ; cela voudrait-il dire qu’il y a desmaladies « justes » ?...

‚ Autres théories

De multiples autres théories de la maladie sontsouvent exprimées. Ce qui a été dit dans l’enfance dela médecine, le statut de la maladie dans la famille,réapparaît. Beaucoup de patients retrouvent enparlant les théories de leur enfance, les théories deleur culture.

La difficulté pour eux est que, pris entre deuxcultures, deux théories, ou plus, et touchés trèsprofondément par une maladie vécue commegrave, ils ont besoin de retrouver leurs racines, leursorigines.

Les deux théories sont parfois vécues commeincompatibles ; or c’est souvent l’alliance entre lesdeux théories qu’ils ont besoin d’exprimer et derepérer. Il leur est souvent nécessaire de pouvoirretrouver les théories de leur enfance, de lesexprimer, tout en ajoutant une autre théorie, celleque les médecins leur proposent. C’est la formulationdes théories de leur culture d’origine ou d’enfance,

devant quelqu’un qui peut l’entendre et le respecter,qui permet souvent cette alliance entre deux ouplusieurs théories. Ils prennent alors, parfois, desobjets (médicament, ou rituel, ou plantes, créés parles multiples théories), ce qui leur permet de se situerdans leur culture et dans leur être actuel.

Je voudrais citer là une patiente : « Je viens deHaïti. Dans mon pays, on prend plus des tisanes, desdécoctions que des médicaments ; c’est quelquechose de doux, que l’on prend naturellement. J’aibesoin de cet héritage transmis de génération engénération.

Il y a de la violence dans la rationalité occidentale.J’ai l’impression qu’il y a une sorte d’aliénation, queje m’oublie, que je me livre à l’inconnu de la science.Néanmoins, je reconnais le bien-fondé de la scienceet je veux jouir du confort relatif qu’elle peutproposer. C’est une douleur dans ma famille deparler de médicaments.

Les plantes par contre, il y a une connivence entreelles et nous : c’est notre famille, un berceau, uneautre mère. Le médicament c’est drastique, c’est lapeur, si je ne les prends pas, je vais mourir. Lemédicament, c’est cette bouteille qui est en verre etqui peut se casser, si jamais elle tombe. Et puis, ondoit les avaler. C’est une forme de violence, ce n’estpas naturel ; et puis il y a la tyrannie de la dose. Il fautcontrôler, pas une goutte de plus, pas une goutte demoins. Je manie le danger. Ce que j’ai peut me tuer.Le médicament peut me tuer. La plante est peut-êtreaussi un danger, mais je suis dans une sorte debéatitude inconsciente, comme un bébé.

Vous savez, le médicament, ce serait comme lemonde du père, une contrainte, la loi, la sentence.Mais au fond, c’est vrai. Je suis née d’un père etd’une mère ; et puis j’étudie. Il faudrait que j’allie lesdeux, les médicaments et les plantes ».

‚ Théories biologiques

Certains patients (cf supra) sont tout à fait d’accordavec les théories biologiques et préfèrent parler dusavoir théorique avec leur médecin. Ils intègrent lesconnaissances médicales dans un rapportd’identification et de désir de savoir, ce qui leurpermet de se réapproprier le savoir comme valeurhumaine et non comme traumatisme, évitant ainsil’effet d’intrusion de ce savoir et lui donnant souventune place subjective, par exemple la valeur desdécouvertes humaines.

Certains patients se sont mis avec les chercheursen position de chercheurs et ils paraissent parlertechniquement de leur maladie avec le médecin, cequi n’empêche jamais que leur position subjectivepeut faire irruption à leur insu, ce qu’ils constatent ens’interrogeant sur les conditions de l’oubli dumédicament.

Leurs connaissances permettent, parfois, desoulager leur relation au monde médical, atténuantun sentiment de fragilité et de soumission.

Croire en l’efficacité de la thérapeutique et sonbénéfice est certes fondamental.

L’amélioration à la fois clinique ou biologique estessentielle, et reste le support principal de l’adhésionà la thérapeutique et de l’acceptation des frustrationsimposées.

Cependant, certains malades sont aussiconfrontés à l’absence de parallélisme entre cliniqueet examen biologique.

Un bien-être physique peut coïncider avec desexamens biologiques qui s’aggravent, ou, au(3) Fritz Zorn. Mars. Paris : Gallimard, 1982.

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contraire, un malaise physique coïncide avec uneamélioration des examens biologiques. Queprivilégier alors ?

Il s’agit aussi d’accepter le soin et donc derenoncer à l’idéal de guérison.

Il est extrêmement douloureux pour certainspatients de constater, chez eux, une non-amélioration, ce qui redouble la frustration etsouvent la culpabilité. Et un des grands dangersactuels est d’identifier non-amélioration etnon-observance, ce qui, lorsque c’est vrai, nécessiteune respectueuse élaboration de ses causes.

Ce qui m’apparaît aussi, c’est que beaucoup depatients me disent parler facilement avec moi, qui neprescris pas, de leur difficulté d’observance. Ils n’enparlent pas, me disent-ils, avec leur médecin pour nepas être vécus comme mauvais patients et aussipour protéger ce médecin-là.

■Rapport à l’objet médicament

‚ Nature du médicament

Certains patients sont d’emblée contre lathérapeutique ; ils estiment que les découvertesscientifiques humaines bouleversent l’ordre dumonde et de la nature. Pour eux, les découvertessont à rejeter, car s’opposant à la nature, qui esttoujours bonne, d’ailleurs. Ces découvertesreprésentent pour eux une violence faite à l’ordre dumonde et sont comme telles dangereuses.

Ces personnes sont opposées aux vaccins, auxantibiotiques et évoquent souvent la réduction del’homme à sa part animale, biologique, technique,excluant sa part humaine dans les thérapeutiquesactuelles. Souvent, ils demandent des médecinesdouces ou parallèles, la médecine étant identifiée àune violence et à Thanatos.

Cependant, parlant de leur théorie médicale,certains découvrent qu’ils peuvent prendre encompte la théorie biologique sans éliminer la parthumaine et font alors alliance entre Éros etThanatos, situant Éros du côté des médecinesparallèles et Thanatos du côté des médecinesbiologiques. Mettant en acte l’éthymologie même dumot pharmakon : soigner et détruire.

C’est le développement et l’écoute de leursthéories qui permettent parfois l’acceptation de cettealliance. C’est dire à quel point l’écoute des théoriesmédicales propres à chaque sujet est aussiimportante.

Beaucoup parlent aussi de médicamentschimiques. N’est-elle pas trop dangereuse cettethérapeutique « chimique » ? alors qu’unethérapeutique naturelle est souvent vécue commedouce. Ce qui est évoqué là, n’est-ce pas la place dusavoir humain ? Ce savoir humain viendrait occuperlà la place de la violence de la maladie, violence quiest ainsi par déplacement attribuée à l’objetthérapeutique.

Mais aussi, ce qui est reproché à la chimie neserait-ce pas un reproche adressé à l’homme : des’occuper objectivement de guérison et de prendreainsi la place qui, jusqu’à présent, dans toutes lescivilisations, était attribuée à un dieu ou des dieux ?

Il faut dire que les premiers médicamentsdécouverts, vraiment efficaces, les antibiotiques (cequi étymologiquement veut dire « contre la vie ») ontpeut-être par leur nom même redoublé ce malaise

lié aux découvertes humaines, agissant contre la vieel le -même. N’est -ce pas auss i expr imerl’ambivalence de la thérapeutique ? Que dire aussidu terme « chimiothérapie » réservé aux traitementsdu cancer ?

Il est rarement parlé de biochimie (de chimie de lavie) et certains patients découvrent que lemédicament est certes, à la fois synthétiséartificiellement, mais aussi mis au point en fonctiondes connaissances biologiques, c’est-à-dire que lachimie est également à l’œuvre dans leur corps etdonc les concerne comme êtres vivants.

‚ Médicament au quotidien

Dépression et anxiétéLa dépression et l’anxiété sont des obstacles

majeurs à la prise de médicaments et à la croyanceen leur efficacité. Pour avoir envie de se soigner et dese soigner avec ces médicaments-là, il faut d’abordpouvoir anticiper un mieux-être. Ceci nécessite de lapart du médecin d’entendre et de prendre encompte avant toute chose la dépression et l’anxiété.

OralitéPrendre un médicament par la bouche touche

l’oralité.Beaucoup de patients me parlent du goût des

médicaments ou de la modification de leur goût,avec parfois le désir ou le besoin de modifier leuralimentation. D’ailleurs, très souvent, à l’annonced’une maladie grave, beaucoup de personnesatteintes évoquent leur désir de modifier leuralimentation pour avoir, je cite, « une alimentationsaine et protectrice ».

Dans le cas du VIH, ce qui apparaît c’est que lafrustration du goût renvoie, chez beaucoup, à lafrustration sexuelle liée à la maladie et à sa possibletransmissibilité ; les modifications du goût sontvécues comme réactualisant une frustrationfondamentale et insupportable ; c’est pour celaqu’un travail sur le goût serait important, maisencore certains patients se sentent dans l’obligationde désinvestir l’oralité pour pouvoir accepter lemédicament, comme s’il fallait s’opposer à sespulsions.

HorairesIls bouleversent souvent le rythme quotidien et le

rapport au temps.Il faut aussi se questionner sur l’éventuelle rigidité

imposée par ces horaires, peut-être aussi liée àl’angoisse du médecin et aux relativités desconnaissances.

Pouvoir prendre un médicament c’est pouvoiraussi, certes, avoir une intégration quotidienne quipermet de se situer dans le temps présent et à venir,ce qui est, chez beaucoup de patients sans domicileou très démunis, quasi impossible.

Le début de la thérapeutique impose un tempsd’organisation et souvent les oublis sontparticulièrement importants la première semaine oulors de modifications de la vie quotidienne, voyagesetc.

La nécessité d’une consultation dans la semainequi suit le début de la thérapeutique est souventmanifeste.

Rupture du secretL’annonce d’une atteinte somatique bouleverse

l’idée de l’intimité touchant un double secret, rupturedu secret de ce qui se passe dans le corps, rupture dusecret du futur.

Le médicament est l’objet qui risque deréactualiser cette double rupture du secret.

« Il faut savoir que l’existence d’un jardin secret estsi nécessaire que son éventuelle violation déclencheun naufrage irrémédiable à partir de quoi toutl’univers d’un sujet bascule parfois dans lapsychose » (Jacques Durandeaux).

Beaucoup de patients parlent et viventdouloureusement le médicament commeréactualisant la violence de l’atteinte de ce secret.

Ce secret est à entendre comme rapport àl’intimité, parfois, certes, surdéterminé par laculpabilité de certaines maladies.

Mais on peut remarquer aussi la confusionactuelle dans notre société entre intimité et faute denon-dit.

Il est illusoire de prescrire un médicament àgarder au réfrigérateur si la personne n’a pas parlé, àceux qui partagent sa vie, de sa maladie. Comme ilest illusoire de prescrire un médicament à prendreau milieu du repas à ceux pour qui ce médicamentdévoile la maladie aux collègues du travail.

Pour certains, il s’agit, d’abord, de pouvoir faire ensorte que le déjeuner ou le dîner soit possible.

Dépendance

La dépendance au médicament, si souventexprimée comme peur de la dépendance, renvoieégalement dans mon écoute à une autredépendance, celle de la relation à l’autre, dont lapersonne a été parfois frustrée du fait de la maladie,mais aussi parfois à la peur de la dépendancerelationnelle, ou encore à l’idée d’une dépendanceaux médicaments à vie, projetant dans le futur lesconnaissances thérapeutiques actuelles sansimaginer les progrès thérapeutiques.

Soumission

La « soumission » à l’ordonnance (bien expriméepar le terme être « sous thérapeutique ») est parfoisvécue comme une soumission à l’« ordre médical » ;certes, la bonne rencontre entre médecin et patientest ici particulièrement importante, mais, là encore,souvent, c’est l’idée d’une soumission qui estinsupportable. Et beaucoup de patients découvrenten parlant que c’est cette idée de soumission quiempêche la prise de médicament, le terme« ordonnance » renvoyant souvent à l’idée desoumission passive. Dans ce cas, le travail deconnaissance et d’appropriation du savoir estparticulièrement important, car réintroduisant lavolonté et la décision de la personne, et l’allianceavec le médecin et la théorie médicale. Cependant,certains patients auront besoin pour se sentir actifsde modifier en partie les doses ou d’ajouter uneautre thérapeutique.

Les termes ordonnance, compliance, observance,expriment aussi un rapport au maître, parfoissoulageant, parfois anihilant la personne.

‚ Signifiants liés à l’objet-médicament

Nom

Cet objet a une forme, un goût, un nom, unnombre et des effets secondaires annoncés ouparfois vécus. Son nom est un signifiant qui a parfoisdes effets de signifié, ce qui est souvent ignoré.

Le nom qui évoque tout d’abord la maladie, parexemple dans l’atteinte par le VIH Retroviry. Lesmédecins et les laboratoires qui ont choisi ce noml’ont choisi en fonction de ce qu’il représentait pour

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les médecins et les chercheurs, et de ce contre quoi illutte. Mais n’est-ce pas oublier que, pour le patient, lesignifiant de ce mot peut évoquer d’autres signifiés :rétro derrière, vie la vie, vir le sexe masculin, demême Vidext, ex, vie, vider, se vider, et que dire deHividt, le lit vide, livide, être livide etc.

Ont-ils oublié, ces décideurs de laboratoires, quenous étions des êtres de parole ? Mais non, puisqueprécisément les noms du médicament évoquent lenom du laboratoire, ou qu’ils choisissent ce nom enfonction d’une identité avec ce que le médicamentsoigne ; ce sont les patients, comme êtres parlants endehors de leur maladie, qui sont oubliés.

Pourtant, il faut remarquer que les médecins et leschercheurs de laboratoire sont sensibles au nom,dans ses effets de signifiant et de signifié, puisque,par exemple, lorsqu’ils font une recherche communeentre la France et la Grande-Bretagne, ils intitulent leprojet « Concorde » (que je sache, ils n’ont pas choiside l’appeler « Discorde »).

Qu’est-ce qu’évoque ce mot ? À l’évidence uneconcorde, c’est-à-dire « s’accorder », mais il évoqueégalement l’avion, la création de l’avion et lapuissance.

C’est dire que parlant de la recherche entremédecins, l’évocation du nom d’un projet dans sonrapport au signifiant et au signifié est bien évoqué etpourtant, lorsqu’il s’agit du nom d’un médicaments’adressant à un patient, ce qui est seulementmarqué, c’est le nom de la maladie VIH.

Je pense qu’oublier le patient dans sa vie estquelque chose de grave et qu’il y a une réflexion àfaire sur les effets de noms, qui poussent, en tout casdans mon écoute, certains patients à ne pas pouvoirprendre le médicament dont le nom actualise àchaque prise ses effets de signifié, d’autant plusmarquants qu’inconscients. Comme tumeurs évoque« tu meurs » et morphine évoque « mort fine ».

La couleur est parfois évoquée, mais c’est surtoutl’inscription du nom du médicament qui touche aussiau secret de la maladie.

L’odeur, la forme, accentuent parfois la difficultéd’avaler.

Le nombre est souvent évoqué et certainementsurdéterminé.

Comme me le disait un patient, « je ne compte pasles bouchées que j’avale, mais je compte le nombrede médicaments, même si je les avale en une seulebouchée ».

Notice

La notice où sont inscrits tous les effetssecondaires, mis sur le même plan, est par là mêmeun faux-vrai. Certes, l’information du patient estnécessaire, mais se doit d’être accompagnée d’uneexplication du médecin dans une relationinterhumaine ; il n’en reste pas moins que les écritsrestent et que la multiplicité de ces effets secondairesest inscrite en « une seule personne ». Si un effetsecondaire est apparu une fois sur un millier deprescriptions, voire plus, il est reçu dans cetteinscription comme personnellement possible.

Les notices sont vécues d’une façon tout à faitvariable. Certains, voyant écrite la multiplicité deseffets secondaires possibles, situent le médicamentcomme aussi puissant que la maladie et peuvent parlà même l’accepter. D’autres sont effrayés par lenombre d’effets secondaires possibles et renoncentà la thérapeutique par crainte d’une destructionsupplémentaire d’eux-mêmes.

Effets secondaires

Les effets secondaires grèvent, parfois, quand ilsexistent, la vie quotidienne du patient et obligent àun choix très douloureux entre l’acceptation de ceseffets secondaires malgré tout (puisque lathérapeutique est bénéfique) et le renoncement autraitement.

Parfois, l ’expérience de nausées ou devomissements peut par la suite déclencher cesmêmes symptômes à la seule vue du médicament.

Certains effets secondaires sont peut-être dus à lacrainte et aux représentations liées à la nominationde ces effets secondaires. Mais certaines nausées ouvomissements ou diarrhées ne seraient-ils pas deséquivalents de l’extirpation du mal ?

De plus, il ne faut pas oublier que des « placebos »peuvent déclencher nausées, vomissements,douleurs abdominales, céphalées, vertiges par leureffet nocebo, si rarement évoqué. Quels sont leseffets placebo/nocebo d’un médicamentpharmacologiquement actif et ayant une histoire ?Quelle est l’origine de l’effet « nocebo » d’unplacebo ?

L’effet placebo/nocebo d’un médicament n’estpeut-être pas réductible à un effet de croyance, maisplutôt à un effet d’histoire, et lié à la complexité del’être parlant et désirant dans son lien au biologiqueet à sa souffrance, ou encore à la nécessité d’unobjet pour le corps qui rétablirait une complétudeatteinte par l’idée de la maladie : ce qui lie lemédicament à l’objet transitionnel.

Il s’agit de faire coïncider de façon acceptablel’histoire du médicament et l’histoire du rapport aumédical et au savoir médical du patient.

‚ Image du corps (au sens classique)

La nomination de la maladie a souvent entraînéune altération de l’idée du corps. Cette altération estune superposition de représentations. Lemédicament va là être associé soit à une réparationde cette image, soit à une destruct ionsupplémentaire.

Prendre un médicament lors d’une atteinteuniquement nommée biologiquement, sansperception de cette atteinte, nécessite de « croire »dans la biologie et dans le savoir médical. De croirenon seulement à la thérapeutique et d’êtreconvaincu que cette thérapeutique est bénéfiquemalgré ses effets secondaires. Or, ses effetsbénéfiques sont aussi jugés pour la plupart enfonction des critères biologiques et nond’améliorations cliniques.

Prendre un médicament lorsqu’un malade perçoitune gêne physique que le médicament améliore estdifférent de prendre un médicament lorsque la viequotidienne est facile et que le médicamentdéclenche des effets secondaires parfois confondusavec une aggravation de la maladie.

Beaucoup de patients disent prendre beaucoupplus facilement la thérapeutique lorsqu’ils ont vécuune atteinte qui a donné une réalité à la maladie.

L’altération de l’idée du corps est très liée auxreprésentations ; par exemple dans le cas del’atteinte par le VIH, les médias représentent le viruspar une image de bombe qui touche l’idée del’intégrité corporelle.

Les examens complémentaires sont aussi parfoisvécus comme une intrusion, en particulier le fondd’œil et l’imagerie par résonance magnétiquecérébrale, et la représentation du corps, en tout cas

de son fonctionnement, est exprimée, souvent enchiffres, qui sont souvent surdéterminés. Combien depatients sont ravis ou désespérés lors d’unemodification infime des T4 ou de la charge virale !

‚ Objet transitionnel et objet phalliqueJ’ai souvent entendu, en analyse, l’évocation de

l’objet transitionnel à partir de l’évocation dumédicament et c’est au moment où cet objettransitionnel était évoqué que le médicamentpouvait être accepté comme réparateur de l’intégritécorporelle. Le médicament dans une maladie gravetouche à la structure archaïque de la personne etl’objet thérapeutique, sur lequel se condensent tantde représentations, est accepté ou rejeté en fonctionde ces représentations.

Parfois, d’ailleurs, le médicament a plus un statutd’objet phallique. Je citerais à ce propos un médecinqui, récemment allant faire une conférence, m’a ditqu’il avait pris un médicament et qu’il s’étaitimmédiatement senti très puissant (il s’agissait d’uncardiotonique). En effet, le médicament pourbeaucoup est vécu comme un objet permettanttoutes les puissances, intellectuelles, physiques ouautres. C’est cela un objet phallique. Il suffit deregarder les devantures de pharmacie qui proposentla résolution de tous les manques.

‚ Rôle des médiasLes médias ont une position difficile et privilégient

souvent le scoop, même si beaucoup de journalistesont appris la nuance, ils permettent parfois uneinformation et donc une augmentation du « savoir ».

« Mais c’est dans les médias tout particulièrementque l’on voit l’ambivalence des non-médecinsvis-à-vis de la médecine, qui a sans doute existé detout temps et qui est fortement accentuée à l’époqueactuelle », dit Pierre Benoît.

Je citerai aussi Pierre Kneip : « On s’aperçoit que cesont des représentations, façonnées et diffusées parles médias, qui prévalent toujours dans le grandpublic au point de constituer l’obstacle majeur desuivi médical. Les personnes concernées ont du malà cause de ces images violentes à vouloir se soigner.Ils parlaient des images de signature sur le corps ».

Au total, comment faire une informationscientifique dans les médias ? Je crois qu’il estnécessaire d’avoir une réflexion sur la théorie de lathérapeutique, c’est-à-dire une réflexionépistémologique pour ne pas cautionner uneposition cléricale de la médecine. Cléricale,c’est-à-dire religieuse ou idéologique, car estreligieuse ou idéologique toute démarche quiprétend prendre en compte un fait de subjectivité etdonc de désir au nom du savoir de l’Autre,prétendument incarné dans cet autre qu’est le clerc(Pierre Benoît).

Pour cela, il faut certes reconnaître l’acquis de labiologie, mais ne pas réduire l’homme comme êtreparlant et désirant à sa biologie, ne pas nier lacomplexité humaine et la souffrance humaine.

■Conclusion

Chacun d’entre nous a un rapport à la médecineet à l’objet médicament qui est de l’ordre del’épistémologie.

Il me semble nécessaire de développer plusieursdomaines de réflexion et de recherche du côté :

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– des patients, pour permettre de développer uneformulation et une réflexion sur ce qu’ils pensent dela thérapeutique ;

– des laboratoires, pour travailler la forme, legoût des médicaments, ce qui n’est pas dérisoire ; ilme semble aussi nécessaire de travailler sur lesnotices etc ;

– des médecins, qui pourraient entendre, autantque faire se peut, les croyances comme spécifiquesde la personne humaine dans sa complexité et noncomme fragilité insupportable ;

– des « psys », qui pourraient travailler sur lerapport à l’objet médicament, mais aussi sur lerapport au médical et à l’objet comme constitutif dusujet ;

– des médias, qui ont une responsabilité en santépublique.

Ce travail sur la complexité du rapport aumédicament et sur les croyances me semblelargement à découvrir.

Je terminerai en citant un entretien :

« Quand j’ouvre le réfrigérateur, j’ai l’impressionde sentir l’odeur du médicament, comme si j’avaisune mémoire olfactive, mon yaourt va se

transformer en médicament, je ne pourrai pasl’avaler, c’est le blocage total. Cinq minutes après, jepeux retourner et manger le yaourt. En fait, c’estcomme si je voulais et ne voulais pas desmédicaments. Avec vous je peux penser, car vous neprenez pas partie pour ou contre les médicaments.C’est comme si vous n’étiez pas une personne. Celame permet de penser. Avec le Dr. C., je sens son désirque je me soigne, ça m’aide peut-être mais pas à mesoigner. Je ne veux rien recevoir. Certes, j’accepte lemédicament contre le cancer car je suis passif, on meperfuse, et puis, ces médicaments ont dû êtredécouverts par des femmes. Je ne veux pas avalerdes médicaments contre le VIH, je serais actif, je neveux pas. En fait, je suis double. Cette maladie, jesais, et avec autant de force je me rends compte queje ne sais pas. C’est impossible que ça tombe sur moi.J’ai pris conscience cette semaine de ça. J’arrive pas àme dire malade. Je ressens rien, et je n’ai rien. Et jene veux pas changer de vie. C’est plusieurs choses,ces médicaments. Très terre à terre : les horaires quisignifient une perte de liberté m’obligent à prendreconscience que j’ai un problème sérieux. Un peu tuertous mes rêves. Par exemple avant je passais devantune vitrine « Jet Tours », je comptais pas partir, maisje pouvais en rêver. Maintenant, j’ai l’impression qu’il

n’y a plus de voyage possible. Je rends cette maladiecoupable de m’empêcher de rêver et puis je refusetout ce qui peut me mettre en position de recevoir. Jene veux que donner, je donne à mes frères, monpère, ça me donne une valeur. Recevoir, je ne peuxpas. Surtout recevoir d’un homme. Je suis sûr que cesont des hommes qui ont découvert cesmédicaments. D’un côté, j’imagine qu’il faut limitermes activités, prendre des jus de fruits, des légumes,des brocolis anticancéreux. C’est le déplaisir même,ça me casse les pieds. C’est déjà la mort de la vie. Jesuis double. Accepter les médicaments, c’est acceptermon homosexualité, la contamination et le hasard.Accepter de perdre la maîtrise, accepter de sesoumettre, de se perdre. Ne pas accepter, c’est aussise perdre. Mais dans la vie, il faudrait d’abord que jesois sûr de ma valeur. »

Ce patient a accepté les médicaments quand il aquitté son médecin femme pour être suivi par unmédecin homme, dont il a accepté les médicamentscomme équivalent sexuel.

Cependant, c’est le médecin qui est intrigué etperplexe, car ce patient présente rapidement leseffets secondaires parmi les plus graves lors dechaque prescription.

Catherine Breton : Psychanaliste. Service Pr Caulin, hôpital Lariboisière - Paris.11, rue de l’Aqueduc, 75010 Paris, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : C Breton. Croyances médicamenteuses : aller contre ou faire avec.Encycl Méd Chir (Editions Scientifiques et Médicales Elsevier SAS, Paris, tous droits réservés), AKOS Encyclopédie Pratique de Médecine, 1-0115, 2003, 8 p

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Effets indésirables,

pharmacovigilance

C Soubrié, M Jasson

I l n’existe pas de médicament sans effets indésirables. Toute prescription comporte un risque.

© Elsevier, Paris.

■Introduction

Ces effets indésirables sont plus ou moinsfréquents et plus ou moins gênants. Selon leuracceptabilité pour le malade et leur gravité, ilsconduisent :

– à un inconfort, plus ou moins ressenti selon lessujets et le bénéfice perçu ;

– à une observance irrégulière ;– à des consultations supplémentaires ou des

hospitalisations pour leur diagnostic, leursurveillance ou leur traitement ;

– à des arrêts de traitement ;– à des séquelles, pour le patient ou sa

descendance, voire à des décès. C’est dire que pourtoute prescription médicamenteuse, chez un patientdonné, on s’intéresse à la balance bénéfice-risque,l’acceptabilité d’un risque dépendant de l’importancedu bénéfice espéré, de même que l’estimation del’intérêt du traitement dépend de la contrepartie engêne ou en risque.

Cette balance, pour un médicament donné, tient :– au médicament ;– au médecin, qui a la responsabilité du choix du

produit et des modalités de prescription, de lasurveillance, et du diagnostic précoce d’un effetindésirable ;

– au malade, parce que l’acceptabilité d’un risqueest quelque chose de très individuel.

■Pourquoi les médicaments

ont-ils des effets indésirables ?

Essentiellement parce qu’il est rare qu’on disposed’un médicament qui ne fasse que ce qu’on veut, làoù on le veut et avec l’intensité instantanée désirée,même après avoir été prescrit de façon tout à faitappropriée, et pris par le malade exactementcomme prévu.

‚ Un effet indésirable peut survenir

Quand l’effet recherché lui-même devientindésirable, si on dépasse un certain niveau.

Quand l’effet recherché est la conséquence d’uneaction primaire (stimulation d’un récepteur donné,

effet membranaire ou cellulaire autre) et que cetteaction primaire a d’autres manifestations,éventuellement indésirables, dans d’autres tissus oud’autres organes (exemple : effet anticholinergique,recherché sur la vessie, gênant sur le systèmenerveux central).

Quand le médicament a plusieurs actions etpropriétés, en dehors de celle(s) qu’on désire (ou sesproduits de transformation) ; les médicaments trèssélectifs sont l’exception.

Quand le médicament contenant parmi sesconstituants un produit qui n’est pas strictementidentique à un constituant de l’organisme peutinduire une réaction immunoallergique, susceptibled’atteindre un ou plusieurs tissus (ou organes).

Quand l’arrêt brutal du médicament est suivi desymptômes de rebond ou de sevrage, et que lemédicament est pris de façon irrégulière.

■Risque acceptable ?

L’acceptabilité d’un risque peut être uneproblématique individuelle, ou une problématiquecollective. En tout premier lieu, elle dépend de sacontrepartie, soulagement mineur ou guérison d’unepathologie susceptible en elle-même d’entraîner unemorbidité ou une mortalité. Éviter des risques« inacceptables », c’est en premier lieu, prescrire àbon escient.

Au plan individuel, l’apparition d’une symptoma-tologie ou d’une pathologie due à un traitement quidevait apporter une amélioration à l’état du malade,apparaît rarement acceptable ; a fortiori si lanouvelle pathologie est plus gênante ou plus graveque celle qu’on cherchait à améliorer, ou si elle étaitévitable par des mesures de prévention simples et« sans risque ».

L’acceptabilité d’un effet indésirable est trèsindividuelle. La façon dont un symptôme est ressenti

n’est pas la même pour chacun ; elle tient à sonhistoire, sa personnalité, son mode de vie, son âge,ses désirs, etc. Le prescripteur ne possèdequ’exceptionnellement tous les éléments pour leprévoir. Il lui faut donc souvent tenter d’en discuteravec le malade qu’il va traiter.

Au plan collectif, l’acceptabilité d’un risque peutêtre évaluée de façons diverses : en argent ou entemps, temps d’hospitalisation, journées de travailou d’autonomie perdues, traitement de séquelles,etc.

Un médicament qui est sur le marché a été jugécomme ayant un risque « acceptable » pour lacollectivité compte tenu de son bénéfice. Cependant,il se peut que la découverte ultérieure d’un effetindésirable et de ses facteurs de risque modifie cejugement, au moins pour ceux des sujets présentantun de ces facteurs de risque ; le médicament feraalors l’objet d’une précaution d’emploi, ou, aumaximum, peut être retiré du marché.

■Quels signes évoquent

une étiologie médicamenteuse ?

Les pathologies médicamenteuses ont-elles desparticularités cliniques ? Aucune. Une pathologiemédicamenteuse est plus habituellement bilatéralemais elle peut souvent débuter sous une formeunilatérale.

Toute pathologie connue est susceptible d’avoirune origine médicamenteuse. Il y a 15 ans, on nepensait pas qu’il puisse exister des syndromes deGuillain-Barré médicamenteux, à l’exception de ceuxsurvenant après une vaccination, on en a trouvédepuis ; on ne pensait pas qu’un médicament prispar voie générale puisse induire une toux, on enconnaît maintenant ; les exemples sont légions.

Mais, selon les types de pathologie et lescaractéristiques du patient, une même étiologiemédicamenteuse peut être au tout premier rang, oubien au contraire au tout dernier des causespossibles. Le rôle de l’inhibiteur de l’enzyme deconversion doit être évoqué moins vite devant unetoux survenant en hiver chez un homme grosfumeur que chez une femme jeune qui ne fume pas.De même, devant une hépatite cytolytique, larecherche d’une cause médicamenteuse est

Le risque médicamenteux est fonctionnon seulement du médicament, maisaussi de la façon dont il est prescrit,pris, et surveillé.

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immédiate chez un sujet âgé sédentaire, alors qu’ellene viendra qu’après l’évocation des causes virales,chez un sujet plus jeune et voyageur.

■Étude chronologique fine

‚ Une des bases sous-estimée dudiagnostic

Le diagnostic d’effet indésirable se fait en utilisanttrois types d’éléments.

■ L’analyse de la probabilité des autres causeshabituelles de ce type de pathologie, selon lesrésultats des examens éventuellement pratiqués,positifs ou négatifs ; autrement dit, c’est très souventun diagnostic d’exclusion.

■ La probabilité a priori qu’un sujet traité par cemédicament présente un tel événement, si on laconnaît ; cependant, savoir que « il y a déjà des caspubliés » n’est pas synonyme de « ce cas, parce qu’ilest analogue aux cas publiés avec ce traitement doitdonc être dû au traitement ».

■ La relation temporelle entre la ou les prise(s)médicamenteuse(s) et l’événement intercurrentchronologie. En réalité, dans la démarchediagnostique, c’est la première étape. L’analyse de lachronologie des événements, déterminante, doitêtre faite d’emblée, avec la précision nécessaire : parexemple, il faut connaître non pas les prescriptionsreçues par le malade, mais ce qu’il a réellement pris(combien, quand..).

Délai de survenue

Lorsqu’on recherche la date de début detraitement et qu’on la confronte à la date de débutde l’effet indésirable (si on arrive à en définir ledébut, ce qui peut se révéler difficile) on se rend trèssouvent compte que le médicament que l’onsoupçonnait initialement n’a été pris qu’après ledébut de l’effet, ce qui l’innocente.

Lorsque ce délai est établi, on peut réfléchir enterme de logique biologique et médicale. Ainsicertains effets peuvent-ils très logiquement surveniraprès un délai de prise bref, alors que d’autresdemandent une exposition prolongée.

Délai de régression après l’arrêt éventuel

Lorsqu’on est en situation de réfléchir à la relationentre un événement médical passé, mal expliqué etune ou plusieurs prise(s) médicamenteuse(s), on estamené là encore à vérifier de façon fine quel a été ledernier jour de prise de chacun des médicaments, etquand l’événement a commencé à régresser. Selonle type d’événement considéré, on peut trouver quele délai observé est tout à fait logique et compatibleou au contraire très peu plausible. Ainsi, uneagranulocytose, liée à un blocage médullaire hautsitué ne peut pas régresser dès le lendemain del’arrêt d’un médicament, alors que si la lyse estpériphérique, c’est envisageable.

Délai de récidive après une réintroduction

Si la réintroduction se fait aux mêmes doses quela première fois, selon le mécanisme supposé del’effet observé, on s’attendra à voir survenir larécidive :

– soit dans le même délai que la première fois etavec la même intensité, si le mécanisme est toxiqueou pharmacologique (et que les facteurs associéssont les mêmes) ;

– soit plus rapidement (et plus intensément), si lemécanisme est immunoallergique.

■Comment minimiser les risques ?

La première étape consiste évidemment à choisirle traitement présentant le moindre risque pour unpatient donné pour un niveau d’efficacité donné.Ceci suppose de bien connaître les contre-indicationset les précautions d’emploi des médicaments quel’on peut utiliser mais aussi, et cela n’est pas le plusfacile, le malade, pour juger s’il fait partie desmalades « à risque », c’est à dire si l’utilisation de cemédicamenteux fait courir plus de risques que lamoyenne.

L’interrogatoire du malade doit donc être completet comprendre tant les traitements antérieurs et lafaçon dont ils ont été pris et supportés que larecherche de caractéristiques particulières :anomalies génétiques, maladies associées et leurstraitements, perturbations des fonctionsd’élimination ou de transformation, etc.

Dans la mesure où l’observance irrégulière peutparfois induire des risques supplémentaires,notamment en ce qui concerne les risquesimmunoallergiques, plus fréquents en cas de prisesdiscontinues, ou des signes de sevrage, lors desarrêts brutaux, il est très important en cours detraitement de demander au patient s’il arrive àprendre régulièrement ou non son traitement ; si laréponse est négative, cela peut conduire soit àchercher comment éviter ces interruptions, soit àchanger pour un traitement ayant moins de risquesen cas de prise irrégulière.

Enfin, la plupart des effets indésirablesmédicamenteux sont moins graves si le traitementest arrêté dès les premiers signes. Selon lesmédicaments et les patients, il faut donc soit unesurveillance régulière clinique ou biologique, soitprévenir le patient que, devant la survenue decertains signes, il devra suivre des consignes prévuesà l’avance (modifier ou arrêter le traitement, faire unbilan particulier, appeler le médecin...).

■Pourquoi les effets indésirables

graves sont-ils rares ?

Lorsque un effet toxique peut être prévu à partirde données observées chez l’animal avec unemarge entre les doses « utiles » et les doses toxiquesétroite, on ne met le médicament sur le marché quesi en moyenne, les effets toxiques semblentacceptables par rapport aux bénéfices escomptés.Cette acceptabilité est jugée en fonction des autrestraitements déjà sur le marché ou « en développe-ment » pour cette même pathologie. C’est dire qu’àpriori un médicament qui présente des risquesfréquents et graves n’est commercialisé que dans lesdomaines où l’on ne dispose pas d’alternative.

Cependant, le risque n’est pas distr ibuéuniformément sur tout malade potentiel, ce quiconduit à certaines précautions d’emploi oucontre-indications ; celles-ci identifient parfois dessous-groupes chez qui certains des risques sontélevés ou plus graves.

Certains effets indésirables graves ne peuvent êtreprévus chez l’animal. En général, ils ne surviennentque chez une minorité de sujets qui, pour des raisonsprobablement génétiques, seront les seuls àfabriquer en quantité suffisante le métabolitetoxique, ou immunogène. Si ces « minorités » étaientimportantes, on verrait apparaître ces effets gravesavant la mise sur le marché, et sauf pour destraitements difficilement remplaçables, celaconduirait à ne pas les commercialiser.

Une exception toutefois : les risques infectieux enparticulier dans le cadre des médicaments dérivés dusang, au cas où la matière première, souvent issuede nombreux donneurs, contiendrait un agentinfectant qui n’ait pas été éliminé par les procédésd’inactivation, par exemple un agent encoreinconnu...

■Que sait-on des effets

indésirables d’un médicament ?

Les études faites avant la mise sur le marchéportent sur des groupes relativement homogènes depatients, le plus souvent des hommes, n’ayant dansla mesure du possible qu’une seule pathologie etdonc pas trop de traitements associés, en dehors destranches d’âges extrêmes (de 18 à 70 ans le plussouvent), le médicament n’étant administré que pourune durée limitée.

Par ailleurs il est souvent étudié dans unenvironnement hospitalier, ce qui peut empêcher dedétecter certains effets (exemple : une phototoxicité).

Enfin, la gravité des effets peut être sous-estimée,les malades faisant l’objet d’une surveillancesystématique, éventuellement quotidienne àl’hôpital, qui permet d’arrêter le médicament aupremier soupçon, ainsi, par exemple, unmédicament peut ne donner qu’une élévation destransaminases pendant la période des essais etinduire des hépatites cliniques dans son utilisationultérieure « habituelle », c’est-à-dire avec unesurveillance bien moindre.

Ce qu’on connaît lors de la mise sur le marché, cesont seulement les effets immédiats, fréquents(supérieurs à 1 %), sur certains types de malades.

■Ce qu’on ne sait pas

nécessairement

‚ Effet sur des malades rarementrencontrés ou traités

Même après des années de commercialisation,certains types de malades auront été très peu traitéspar un médicament : ainsi les femmes enceintes, lespersonnes très âgées... On peut donc rester avec desinconnues importantes dans certains sous-groupes.

Rappelons que si un traitement a été administré àn sujets, dans des conditions données, et n’a jamais

1-0140 - Effets indésirables, pharmacovigilance

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induit un phénomène X, on peut seulement affirmer,au risque 5 %, que l’incidence réelle du phénomèneX (éventuellement) induit par ce médicament seracertainement plus rare que 1 pour n/3. Ainsi, unmédicament qui n’aurait été donné qu’à 200 sujetsayant un lupus, ou une porphyrie, ou seulement 300fois pendant une durée de plus de 1 an, ouseulement 300 fois dans le cadre d’une associationparticulière ou... pourrait parfaitement induire dansces cadres particuliers un effet gravissime à unefréquence de 1 %, même si cet effet n’a jamais étéobservé jusque-là.

‚ Effet de traitements prolongés, ou effetretardé des médicaments

Dans la mesure où, le temps passant, lestraitements se font de plus en plus longs, il estpossible qu’apparaissent des effets gênants quin’existaient pas lors de traitements plus brefs, étudiéslors de la mise sur le marché.

Par ailleurs, on ne pense jamais facilement àrattacher un événement à un traitement qui n’estplus présent. Aussi, la détection des effets retardésest-elle...très tardive.

Enfin, au fur et à mesure de la vie d’unmédicament, ses conditions de prescription peuventchanger (doses, coprescription...) et les donnéesobtenues dans des conditions de prescriptionsdifférentes ne s’appliquent pas nécessairement.

■Pharmacovigilance et études

épidémiologiques

Dans la mesure où on ne peut pas attendre quedes dizaines de milliers de patients aient été traitéspour mettre un médicament sur le marché, niattendre que les patients aient été suivis sur desdurées très prolongées, et où de toutes façons, touteétude modifie les conditions de prescription et lasurveillance, il faut étudier les risques réels desmédicaments dans les conditions où ils sont utilisés,après la mise sur le marché.

Partant de l’idée que dans les années 1960, onaurait pu éviter une partie de l’épidémie dephocomélies dues au thalidomide (médicamentutilisé à l’époque comme hypnotique) si les premierscas avaient été rassemblés en un même lieu, lesanglosaxons ont décidé de demander à chaqueprescripteur de notifier tout événement imprévu ougrave qui l’intriguerait, à une structure centralisatrice,afin que celle-ci puisse être rapidement alertée par lamultiplicité ou la gravité des signalements luiarrivant, et qu’elle puisse prendre, si nécessaire, desmesures de protection adéquates. C’est le principemême de tout système national de pharmaco-vigilance.

La centralisation par le seul fabricant présente undouble inconvénient : devant un effet indésirable, onhésite souvent entre plusieurs médicaments suspectsmais on ne déclare pas l’observation à plusieursfabricants ; une part de l’information contenue dansl’observation va donc toujours être perdue ; parailleurs, un fabricant confronté à un problème grave

peut se trouver en « conflit d’intérêt », ce qui peutparfois l’empêcher d’agir aussi rapidement qu’unestructure de Santé publique.

Dans les pays latins, comme la France, où ladéclaration des effets graves ou imprévus observésest obligatoire (décrets des 10 avril 1980, 29 mai1984, 7 mars 1995 et 6 mai 1995), « déclarationobligatoire » n’est pas ressentie par tous les médecinscomme impliquant une obligation absolue ; on adonc organisé le système public de recueil desnotifications, en y mettant une structureintermédiaire conviviale et incitative, entre lesmédecins notificateurs et l’Agence du médicamentcentralisatrice : il s’agit de centres régionaux depharmacovigilance qui sont en même temps descentres de renseignements sur le médicament.Ceux-ci sont organisés en réseau, et communiquenten permanence avec l’Agence du médicament.

Les praticiens ayant un correspondant dans cescentres leur signalent plus volontiers lesobservations troublantes, après avoir obtenu desrenseignements sur les médicaments qu’ilssoupçonnent ; les notifications sont retransmisesrapidement à l’Agence du médicament, (comme lesont les observations qui ont transité par unestructure industrielle). Les observations obtenues decette façon sont plus étoffées, donc plus utiles.

■Attentes du médecin d’un CRPV

Il existe en France 31 centres régionaux depharmacovigilance (CRPV) dont les numéros detéléphone figurent dans les premières pages dudictionnaire Vidal.

Ainsi tout médecin, pharmacien, infirmière,sage-femme peut passer un coup de fil à un médecinde ces centres pour discuter d’un patient pour lequelon cherche le traitement à moindre risque, comptetenu de ses particularités, ou pour discuter d’uneobservation où un médicament pourrait êtresoupçonné d’être à l’origine d’un effet indésirable. Ilpourra ainsi savoir si des observations analoguesont déjà été observées par d’autres (à conditionqu’elles aient été notifiées...), qu’elles aient fait l’objetd’une publication ou aient été simplement signalées.

Ces centres disposent d’une bonne documen-tation sur les effets indésirables médicamenteux etont un accès permanent à la banque nationale desnotifications de pharmacovigilance. Ils disposentaussi d’un personnel (en nombre réduit) capable dediscuter et d’interpréter cette information.

Ils ont en plus de leur activité d’expertise etd’alerte en Santé publique pour mission, d’informersur les effets indésirables et la pharmacovigilance et,comme tels, ils participent (à la demande) à des

séances de formation continue ; ils ont aussi pourmission la recherche dans ce domaine, et sont prêtsà collaborer avec tous les demandeurs sur ce thème.

■Notification des effets

indésirables graves ou imprévus

‚ Comment procéder ?

Une observation de pharmacovigilance, c’est toutsimplement la description des éléments dont ondispose en rapport avec le patient concerné, lescaractéristiques du patient, les éléments cliniques,avec les diverses causes de l’événement qui ont puêtre écartées s’il y en a, et les traitements présentslors du début des troubles, avec leur date de début etleur date de fin. Rien n’interdit à un médecin de larédiger sur papier blanc même si, pour faciliter leschoses, un imprimé a été conçu à cet effet, dont toutcentre de pharmacovigilance dispose et qu’il est prêtà envoyer à tout médecin demandeur.

D’ailleurs, après une question concernant un effetindésirable, la plupart des centres en envoie un aumédecin..

Le système a plusieurs objectifs :

– détecter l’existence d’effets méconnussurvenant dans les conditions « réelles » d’emploi dumédicament ;

– mettre en évidence (si c’est possible) les facteursde risque, car on peut parfois faire disparaître uneffet en cessant de prescrire le médicament à desindividus particuliers ou en modifiant la façon deprescrire ;

– détecter d’éventuelles modifications defréquence.

■Études épidémiologiques

Les données de pharmacovigilance permettentparfois d’approcher des limites inférieures defréquence, en faisant un certain nombred’hypothèses.

Si on désire obtenir des chiffres « exacts », on faitappel aux études systématiques, d’épidémiologie.Deux grandes méthodes sont utilisables pour étudierles effets indésirables : la cohorte, ou l’étudecas-témoins.

Une étape supplémentaire s’est ajoutéerécemment tout en haut de la pyrami-de, l’Agence Européenne dumédicament, transformant en partie lerôle des Agences nationales en celuid’un centre transmetteur « régional ».

En France, l’obligation de déclarationconcerne les effets graves ou imprévus,adjectifs définis par des textes :✔ imprévu = non mentionné dans lerésumé des caractéristiques duproduit (notice Vidal) ;✔ grave = susceptible de mettre la vieen danger, provoquant ouprolongeant l’hospitalisation,entraînant une incapacité ou uneinvalidité, voire mortel.

Effets indésirables, pharmacovigilance - 1-0140

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Page 123: Le Manuel Du Généraliste - Divers

La cohorte consiste en un suivi d’un groupe (oude plusieurs) à partir du moment où il se trouveexposé, à la recherche d’un ou de quelques typesd’événements définis qu’on pourra compter, etrapporter au nombre d’exposés. Les comparaisonséventuelles devront prendre en compte que lessujets traités ou traités « autrement » ne sont pas tirésau sort, puisqu’on utilise des données d’observation.

Ce type d’étude est parfois dévié de son but parcertains industriels, qui peuvent n’y chercher qu’unefaçon d’obtenir de la part de nombreux médecinsqu’ils prescrivent le médicament X sous prétexte dele « surveiller », en réalité pour leur faire écrire et doncconnaître le nom du médicament.

L’étude cas-témoins, à l’inverse, étudie des sujetsprésentant déjà l’événement médical auquel ons’intéresse (traités ou non) et recherche le niveaud’exposition au médicament (dont on pense qu’ilpourrait induire l’événement), et on va comparer ceniveau d’exposition à celui d’un autre groupe

(témoins, ne présentant pas l’événement médical enquestion) bien sélectionné. On pourra estimer desrisques relatifs de présenter l’événement soustraitement, par rapport à son absence ou par rapportà un autre traitement. Là encore, il ne faudra pasoublier dans l’interprétation des chiffres obtenusl’absence de randomisation, autrement dit qu’unrisque plus important sous médicament A parrapport à B peut signifier que A induit plus souvent lephénomène que B, ou bien que les sujets traités parA sont plus souvent atteints, mais peut-être parceque la forme ou la gravité de la maladiehabituellement traitée par A induit un plus grandrisque de présenter l’effet, indépendamment dutraitement.

Si l’effet auquel on s’intéresse est assez fréquent,l’étude de cohorte est possible.

En revanche, pour l’étude d’événements rares,l’étude cas-témoins est plus réaliste, si les ventes de

ce médicament dans la population à laquelle ons’intéresse ne sont pas trop faibles..

■Conclusion

Le généraliste, qui connaît en principe l’ensembledes traitements pris par ses patients, estparticulièrement sollicité pour participer activement àla pharmacovigilance, seul moyen de détectionrapide d’événements inattendus ou d’évaluationgrossière de modifications de fréquence ; il sera deplus en plus recherché pour participer à des étudesvisant à apprécier la présence, la fréquence oul’absence d’événements définis, dont on peutcraindre l’apparition pour un médicament donné ; ilimporte que le médecin s’assure que ces études sontmenées sérieusement, avec un objectif clair et unprotocole adéquat, et qu’il ne s’agit pas depromotion déguisée.

Martine Jasson : Médecin-attaché.Claudine Soubrié : Maître de conférence universitaire, praticien hospitalier.

service de pharmacologie clinique, hôpital Pitié-Salpêtrière, 47-83, boulevard de l’hôpital, 75661 Paris cedex 13, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : C Soubrié et M Jasson. Effets indésirables, pharmacovigilance.Encycl Méd Chir (Elsevier, Paris), Encyclopédie Pratique de Médecine, 1-0140, 1998, 4 p

R é f é r e n c e s

[1] Anonymous. Bonnes pratiques de pharmacovigilance. Saint-Denis : Agencedu médicament, 1994

[2] Begaud B et al. Organisation et résultats de la pharmacovigilance en France.Revue de Sante Publique1994 ; 42 : 416-423

[3] Bénichou C. Guide pratique de pharmacovigilance. Paris : Pradel, 1992

1-0140 - Effets indésirables, pharmacovigilance

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Page 124: Le Manuel Du Généraliste - Divers

Essais cliniques des médicaments

M Molinier-Jasson, P Lechat

T oute substance chimique destinée à devenir un médicament doit obligatoirement passer par un certainnombre d’étapes quasi incontournables : études in vitro, chez l’animal, chez l’homme ; chaque étape étant

conditionnée par la précédente. Au terme de ce long parcours, cette substance chimique obtiendra peut-être uneautorisation de mise sur le marché (AMM), elle deviendra alors un médicament à part entière.© Elsevier, Paris.

■Devenir un médicament

La première administration à l’homme d’unesubstance suppose que l ’on dispose desuffisamment d’éléments pour penser qu’elle seraéventuellement utile et qu’elle est a priori sans risquemajeur prévisible à une dose qu’il faut pouvoirestimer. Tous ces éléments sont apportés par lesprérequis.

‚ Prérequis

Il s’agit de l’ensemble des études in vitro et in vivonécessaires et indispensables pour autoriser lepassage d’une substance à l’homme.

Les recommandations officielles imposent auminimum :

– une étude de pharmacodynamie animale (effetde la substance chez l’animal pouvant faire espérerune activité thérapeutique chez l’homme) ;

– la recherche d’une éventuelle génotoxicité dela molécule ;

– des études de pharmacocinétique animale ;– des études de toxicologie animale aiguë et

chronique ;– des études de fertilité et de reproduction dans

certains cas.

Même si ces études semblent relever du domainetrès spécialisé des toxicologues, il faut garder àl’esprit qu’elles permettent de calculer la premièredose à administrer chez l’homme, et que dans lamonographie du Vidal, pour des molécules denouvelles classes chimiques, ce sera la seuleinformation disponible concernant la grossesse.

Les différentes phases se succèdent dans un ordrechronologique. Les études d’une nouvelle phase nepeuvent, en principe, être réalisées qu’après analysedes résultats des phases antérieures, mais égalementà condition que les prérequis soient complétés. Eneffet, la durée d’administration d’une substance chezl’homme est limitée par la durée des études réaliséeschez l’animal. On ne peut exposer l’homme à unmédicament plus longtemps que ne l’ont été les

animaux. Cependant, aucune étude de toxicitéanimale dépassant 6 mois n’est exigée, même si ladurée d’administration prévue au cours de l’essaiclinique est plus longue.

‚ Différentes phases des essais cliniques

Schématiquement, on a coutume de distinguerquatre phases dans le plan de développement d’unmédicament. Elles ne représentent qu’un codeconventionnel permettant de situer rapidement leniveau d’avancement de la molécule. Il n’existe pasde définition exacte de chacune de ces phases, desnuances pouvant apparaître selon les auteurs. Parexemple, une recherche peut être considéréecomme une phase II pour certains auteurs, alors qued’autres la considèrent comme une phase III.

Phase I

Ce sont les premières administrations à l’homme,le plus souvent si le profil toxicologique de lamolécule l’autorise, à des sujets sains volontaires,plus rarement à des malades. L’objectif principal desétudes de phase I est avant tout la tolérance de lasubstance (tolérance en dose unique, tolérance dedoses répétées avec escalade et recherche de dosemaximale tolérée), les études de pharmacocinétique(devenir du médicament dans l’organisme),éventuellement de pharmacodynamie (effet dumédicament sur l’organisme). Cette première étapen’est jamais une recherche d’efficacité.

Phase II

Après les premières études de tolérance chez lesujet sain volontaire, on peut passer aux études chezle malade. Limitées à un nombre restreint de sujets,elles s’adressent à un groupe homogène de maladesminutieusement sélectionnés. Elles sont en généralrelativement courtes (inférieures à 3 mois).

Le but de ces études est d’obtenir des données detolérance chez le malade, couplées aux premièresrecherches d’efficacité (recherche d’indication,recherche de dose efficace). Des dosages dumédicament sont souvent pratiqués à ce stade.

Phase III

Cette phase est la phase clé du développementd’un médicament en terme de preuve d’efficacité.Son but est de prouver l’efficacité de la substancetestée et d’en cerner les effets indésirables les plusfréquents (éventuellement de réaliser des étudesd’interaction). Les études sont réalisées dans unepopulation de malades variée, hétérogène, aussiproche que possible des malades qui seront amenésà recevoir le médicament par la suite, pendant unepériode souvent prolongée, sur des effectifsimportants.

Phase IV

Ce sont toutes les études réalisées aprèscommercialisation d’un médicament dans lesindications de l’AMM. Ces études permettent derechercher des effets indésirables, les facteurs derisque susceptibles de modifier l’efficacité de lasubstance ou de déclencher un effet indésirable, deconnaître l’observance, de comparer plusieursmédicaments dans des conditions naturellesd’utilisation... Elles s’adressent aux maladesprésentant la pathologie pour laquelle lemédicament est indiqué. Ce sont souvent des étudesà très grande échelle.

■Méthodologie des essais cliniques

Tout essai clinique doit avoir un objectif clair etprécis, reposant sur un justificatif scientifiquesuffisant. Les moyens mis en œuvre pour laréalisation de l’essai doivent être en mesured’apporter la réponse à la question posée, dans lerespect des règles de l’éthique. Nul essai ne peut êtreenvisagé sans cette condition.

‚ Objectif d’un essai

L’objectif d’un essai clinique doit être défini avantde le débuter. Les critères d’évaluation doivent êtreprécis et objectifs. L’efficacité d’un médicament peut

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être évaluée par le pourcentage de sujetsrépondeurs, définis par des critères précis (quanti-tatifs et qualificatifs) ou bien par l’effet moyen surl’ensemble des sujets. Pour un antiépileptique, parexemple, s’agit-il du nombre de sujets n’ayant plusde crises, ou bien de la diminution du nombre decrises sur l’ensemble des sujets ? Si dans les deux casl’objectif est le même c’est-à-dire, prouver l’efficacitéde l’antiépileptique, le critère de jugement peut êtretrès différent d’une étude à l’autre.

‚ Critères d’inclusion :quel sujet pour quel essai ?

L’importance des critères d’inclusion ne peut secomprendre que si l’on a à l’esprit la notion devariabilité interindividuelle. Au cours des premièresphases d’étude d’un médicament, on essaie derepérer les effets pharmacodynamiques de lamolécule étudiée. Ces effets sont a priorireproductibles dans les mêmes conditionsd’utilisation. Si la population étudiée présente desdifférences trop importantes, les effets propres de lamolécule risquent d’être noyés au milieu d’unemultitude d’événements différents dus à lapathologie traitée, aux conditions physiologiques dusujet, aux particularités génétiques...

Il est donc important de disposer d’un groupe leplus homogène possible dans les premières phasesdu développement. Pour cela, des critères dits« d’inclusion » définissent les sujets susceptiblesd’appartenir à ce groupe. Il peut s’agir du sexe, del’âge, de critères très précis définissant unepathologie, de pathologies associées, decoprescriptions autorisées... Plus les critères sontnombreux et restrictifs, plus le groupe esthomogène. Ils doivent être rigoureusementrespectés.

Au fur et à mesure du développement, les critèresdeviennent de plus en plus « larges », c’est-à-diremoins restrictifs, pour que la population étudiée dansles essais de phase III se rapproche le plus possiblede la population qui sera traitée lorsque lemédicament sera commercialisé.

Volontaires sains ou malades ?

Il est parfois difficile de comprendre l’intérêt desessais cliniques chez le sujet sain volontaire, assimilédans le jargon populaire à un « cobaye ». Pourtant,cette étape, quand elle est possible (car lestraitements dont le risque s’avère d’emblée tropimportant ne sont pas administrés chez le sujetvolontaire sain, comme les chimiothérapiesanticancéreuses, les substances mutagènes...), estindispensable.

Rappelons en effet que la phase I correspond auxpremières administrations à l’homme, que lamolécule dont on dispose est susceptible deprésenter un intérêt à venir dans une pathologie, etque les données précliniques (in vitro et in vivo) n’ontpas repéré de risques majeurs. Pourtant, tous ceséléments ne sont que spéculatifs, et même à cestade, l’inconnue est totale sur les effets potentiels,bons ou mauvais, chez l’homme. Il semble doncprudent d’administrer ces nouvelles molécules à dessujets présentant des caractéristiques physiolo-giques, cliniques et biologiques parfaitement

normales afin de limiter au maximum les risques et,en cas d’effets indésirables, avoir des sujetssusceptibles de récupérer rapidement.

Les volontaires sains constituent par ailleurs ungroupe homogène, nous l’avons vu, recherché pourcertaines études.

‚ Plan expérimental■ Les études contrôlées , c ’est -à-d i re

comparatives par rapport à un groupe dit « contrôle »ou « témoin », sont actuellement la panacée desétudes. Elles supposent, par définition, plusieursgroupes de sujets. On distingue schématiquementplusieurs types de comparaisons : les comparaisonsde plusieurs molécules, ou schémas d’administrationentre eux chez les mêmes sujets, ou bien lescomparaisons de groupes de sujets différents. Ellessont réalisées en situation « expérimentale », a priori.

Groupes parallèles

Chaque groupe reçoit un traitement différent. Lesrésultats obtenus dans chacun des groupes serontcomparés.

Essais croisés ou en « cross-over »

Les sujets de l’étude reçoivent alternativementplusieurs traitements de l’étude. Lorsque deuxtraitements sont comparés, ils reçoivent l’un, puisl’autre, dans un ordre différent. Lorsque plusieurstraitements sont comparés, les sujets peuvent ne pasrecevoir toutes les molécules, mais chaque moléculeest administrée au même nombre de sujets.

Carré latin

De nombreux logiciels et tables permettent deprévoir l’ordre d’administration dès qu’il y a plusieursmolécules de façon à ce que chaque substance soitadministrée le même nombre de fois, dans un ordredifférent pour chaque groupe. L’un des plus célèbress’appelle le carré latin.

■ Les études peuvent être non contrôlées (noncomparatives) si l’objectif principal vise à préciser leprofil du traitement. Par exemple, les étudespharmacocinétiques reposent uniquement sur desdosages sanguins et urinaires.

Comparaisons historiques

Ce sont des études a posteriori.Elles consistent à comparer les résultats obtenus

dans une étude non contrôlée avec les données dela littérature. Ce type d’étude peut être justifié par desconsidérations éthiques (comparaison d’unepratique courante non évaluée avec des pratiquesabandonnées), mais peut également servir de basede calculs pour des effectifs plus importants, ou pourgénérer de nouvelles hypothèses. Ces comparaisonscomportent des biais importants : groupes noncomparables, méthodes diagnostiques différentes,suivis des patients non vérifiables, donnéesmanquantes...

‚ Aveugle

Les effets thérapeutiques ou indésirables d’unmédicament tiennent non seulement au principeactif, mais également au contexte (au pouvoir depersuasion du médecin, à la confiance du sujet dansla substance, à l’inquiétude vis-à-vis de la formeadministrée...). Le jugement de l’investigateur nepeut pas être objectif s’il connaît la répartition destraitements. Une partie de l’effet thérapeutique estliée à l’effet placebo, une partie de l’effet indésirableà l’effet nocebo.

L’idéal est d’obtenir qu’aucun des acteurs de larecherche ne sache quel sujet a pris quellesubstance. On dit alors que l’étude est réalisée enaveugle (ou en insu). On parle de double aveugle (oudouble insu) quand ni l’investigateur, ni le sujet neconnaissent l’identité du médicament qu’ilsreçoivent, de simple aveugle (ou insu) quand seull’un des deux, en général le sujet, ignore l’identité dela substance.

Afin de respecter l’aveugle, il faudra que lestraitements soient indiscernables. On a alors recoursà des modifications de forme des substances, oubien à des placebos. On peut être par exempleamené à donner dans un groupe le traitement A etle placebo du traitement B, et dans l’autre groupe letraitement B et le placebo du traitement A.

L’aveugle n’est pas toujours facile à garantir, leseffets pharmacologiques ou indésirables de certainsprincipes actifs pouvant les rendre facilementidentifiables. Par exemple, dans une étudebêtabloqueur versus placebo, les effetsbradycardisants de la molécule active permettrontd’identifier rapidement les personnes soustraitement actif.

‚ Randomisation

La randomisation, c’est-à-dire le tirage au sort,assure la plus grande probabilité que les différentsbras de l’étude soient comparables au départ.Randomiser les sujets dans un groupe revient àrandomiser les traitements ou bien l’ordred’attribution des traitements. Dans certains cas, lesmédecins eux-mêmes peuvent être randomisés.

La randomisation doit être définie avant decommencer l’étude. Tout doit être préparé àl’avance. Le code de randomisation consiste àattribuer le traitement A ou le traitement B à un sujetdonné. Toutes les mesures doivent être prises pourque le code de randomisation soit inviolable :enveloppes scellées, une seule personneresponsable du code... En cas de nécessité, il esttoujours possible de « lever l’aveugle » pour un sujetdonné, voire pour tous les sujets de l’étude.

Il arrive que l’on trouve a posteriori que lesgroupes de sujets n’étaient pas identiques avant derecevoir les traitements. Ce n’est alors que le fruit duhasard et non pas un acte délibéré. Les résultats del’étude seront ininterprétables, ou les données serontanalysées après ajustement statistique. Même avecune randomisation respectée, il est malheureu-sement impossible d’éviter ce genre d’aléas, surtoutsi les effectifs sont petits.

Certaines études comparatives ne sont pasrandomisées parce qu’elles ne peuvent pas l’être. On

Groupe I : ——————————————————————————————Traitement AGroupe II : —————————————————————————————Traitement BGroupe III : ————————————————————————————Traitement C

Groupe I : ———————traitement A —————————traitement BGroupe II : ——————traitement B —————————traitement A

1-0150 - Essais cliniques des médicaments

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Page 126: Le Manuel Du Généraliste - Divers

peut imaginer par exemple que les pratiques desoins soient comparées dans des services différents.Chaque patient sera traité selon l’habitude du serviceoù il est soigné. Ceci revient à avoir des groupesdifférents au départ.

‚ Analyse statistique

C’est une partie très importante des essaiscliniques, cependant, nous n’entrerons pas dans ledétail de ses finesses. Il est très important de réalisercette analyse des traitements en aveugle, c’est-à-direen comparant un traitement A à un traitement Bsans savoir l’identité de A et de B, afin, une foisencore, de ne pas être influencé par la nature dutraitement.

Calcul du nombre de sujets

Le nombre de sujets doit être suffisant pourrépondre à la question posée, mais, à l’inverse, iln’est pas nécessaire d’inclure trop de sujets, pour desraisons éthiques et économiques. Il est possible decalculer ce nombre à partir de la différence que l’onveut mettre en évidence.

Dans certains cas, les résultats ne permettront pasd’atteindre la puissance escomptée, ou bien, aucontraire, si la différence entre les groupes estbeaucoup plus grande que celle estimée au départ,certains essais pourront s’arrêter après une analyseintermédiaire.

Dans certains cas, le calcul du nombre de sujetsest impossible. Conventionnellement, les étudespharmacocinétiques incluent au moins 12 sujets,sans que ces chiffres ne reposent sur une analysestatistique. L’analyse est purement descriptive.Lorsque l’on ne dispose pas de données suffisantespour prévoir a priori une différence, les études sontdites « pilotes » ou « de faisabilité ». Elles incluent unpetit nombre de sujets, leurs résultats permettantuniquement de générer de plus vastes étudesultérieures.

La formation médicale ne peut se concevoir sanslectures de publications d’essais cliniques quipermettent de connaître les nouvelles molécules, lesnouveaux schémas thérapeutiques, les nouvellesindications... Les industriels l’ont bien compris, et bonnombre de publicités pharmaceutiques s’appuientsur les résultats d’essais. Cependant, leur lecture estdifficile et nécessite une certaine habitude. Il estimportant de garder un esprit ouvert mais critique.Cela suppose de vérifier quelques pointsméthodologiques.

¶ Quelques points à vérifierLe plaisir du lecteur est de se précipiter vers les

résultats de l’étude publiée. Il ne faut pas s’arrêter ensi bon chemin.

Les premières questions à se poser sontsûrement : ces résultats peuvent-ils s’appliquer aumalade que l’on soigne habituellement ? Aura-t-il unbénéfice étant donné ses particularités ? Les résultatsde l’étude sont-ils liés au traitement ? Y a-t-il desraisons de penser que les résultats peuvent être liés àd’autres éléments ?

¶ Objectif initialIl est important de vérifier que les résultats portent

bien sur l’objectif initial de la recherche, ainsi que lescritères d’efficacité choisis. Ces critères sont-ils

pertinents ? Les résultats portant sur des hypothèsesréalisées a posteriori sont moins solides etprésentent souvent des biais importants.

¶ Comparabilité des groupesLa randomisation a pour but d’homogénéiser les

différents bras, mais il peut arriver, par le fait duhasard, que l’un des groupes ait par exemple unepathologie moins sévère. Les résultats de ce groupepeuvent apparaître meilleurs que les autres. Cecitiendra plus aux caractéristiques initiales des sujetsinclus qu’à la substance administrée dans ce groupe.

Le mode d’administration et le suivi des sujetsdoivent être également rigoureusement identiquesdans tous les groupes. Ils ne doivent pas êtreinfluencés par le sujet ou par l’investigateur.

¶ Plan utiliséLes essais contrôlés, randomisés en double

aveugle versus une molécule de référence ou unplacebo obtiennent la palme d’or des essais.Cependant, il ne faut pas systématiquement rejeterles essais réalisés en ouvert ; il faut rechercher lesraisons qui ont poussé vers ces essais ou vers desessais non randomisés. Des motifs éthiques,économiques et techniques sont rencontrés.L’aveugle peut parfois n’être qu’un qualificatif sansréalité, nous l’avons vu, lorsque la molécule activeest trop facilement repérable.

¶ PopulationPour savoir si les résultats sont extrapolables aux

patients que l’on est amené à voir, il faut vérifier lescritères d’inclusion et de non-inclusion pour s’assurerque la population choisie n’est pas trop atypique etque les résultats de l’étude s’appliquent à cesmalades.

¶ Analyse statistiqueElle doit être décrite en précisant le niveau de

significativité et la différence mise en évidence. Si ladifférence est significative statistiquement, il faudrabien sûr se demander si elle est cliniquementpertinente. On peut par exemple mettre en évidenceune baisse du cholestérol, et si cette baisse estmineure, se demander quel sera l’intérêt pour lesujet. Au contraire, si la différence n’est passignificative, il faudra bien sûr savoir pourquoi. Onne peut pas conclure par exemple que deuxmolécules sont équivalentes sur le seul argumentqu’il n’y a pas de différence significative si lapuissance de l’étude est trop faible.

Il est très important de comprendre sur queléchantillon de la population porte l’analyse. S’agit-ilde tous les sujets inclus dans l’étude, de ceux ayantreçu le traitement, ou bien encore de ceux ayantterminé l’étude ? En fonction du type d’analysechoisi, les résultats peuvent être complètementdifférents. Prenons l’exemple d’une analyse portantsur les sujets ayant terminé un essai qui conclut àune meilleure efficacité du traitement A sur letraitement B. Si l’on s’intéresse aux sorties d’essai decette étude, on s’aperçoit qu’une proportionimportante de sujets traités par A sont rapidementsortis d’essai pour aggravation. L’analyse ne portedonc plus que sur un sous-groupe de sujetsrépondant rapidement au traitement. L’analyse

Les essais cliniques ne doivent pas êtreconsidérés comme étant réservés à des« chercheurs émérites ». Tous lesmédecins doivent être à même departiciper à ces essais et surtout desavoir lire une publication concernantun essai clinique.

✔ Glossaire à l’usage des lecteursd’essais cliniques

La compréhension d’une publicationpasse tout d’abord par la maîtrise dela terminologie utilisée.

ARC : assistant de recherche clinique.Il seconde le moniteur.Bras : groupe de sujets recevant tousla même substance.CCPPRB : Comité consultatif pour laprotection des personnes dans larecherche biomédicale.Carré latin : étude comportant plus dedeux substances. Chaque sujet prendtoutes les substances dans un ordrealéatoire.Croisé (cross-over) : les sujetsprennent alternativement toutes lessubstances de l’étude dans un ordredifférent.Essai contrôlé : essai présentant aumoins un groupe comparateur.Groupe contrôle : groupecomparateur.Groupes parallèles : chaque groupe desujets ne prend qu’une des substancesde l’étude.Insu (aveugle) : l’identité dutraitement est inconnue.Simple aveugle : quand plusieurssubstances sont comparées, l’un desacteurs de la recherche, en général lesujet, ne sait pas quelle substance luiest administrée.Double aveugle : ni le sujet, nil’investigateur ne connaissentl’identité da la substance reçue.Investigateur : celui qui dirige etsurveille la réalisation de la recherche.Moniteur : personne désignée par lepromoteur pour suivre le déroulementde l’étude chez l’investigateur.Monocentrique : étude réalisée dansun seul centre investigateur.Multicentrique : étude réalisée dansplusieurs centres investigateurs.Promoteur : personne qui prendl’initiative de la recherche.Randomisation : tirage au sort.

Essais cliniques des médicaments - 1-0150

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Page 127: Le Manuel Du Généraliste - Divers

portant sur tous les sujets de ce groupe, y compris lessorties d’essai, aurait montré des résultats opposés.

¶ Experts et méta-analysesIl est bien sûr très difficile de savoir quelle est la

valeur d’une étude noyée au milieu de dizainesd’autres aux résultats parfois contradictoires. Il peutêtre alors uti le de pouvoir disposer descommentaires d’experts qui mettent l’accent sur lespoints litigieux d’un essai en citant d’autresréférences ou résultats.

Les revues d’articles sont d’un abord un peu plusfacile, puisqu’elles sélectionnent les essais les plussignificatifs.

Les méta-analyses constituent un procédéstatistique qui permet de « pooler » toutes les études,publiées ou non, sur un thème donné. Ellespermettent d’obtenir, quand les résultats des essaissont discordants, la tendance globale d’un résultat.Cependant, ces méta-analyses ne sont pas non plusexemptes de critiques méthodologiques.

■Recherche et éthique :

loi Huriet

On se souvient encore de Pasteur guérissant unjeune garçon en lui inoculant le premier vaccinantirabique. Cette époque est bien révolue. Leschercheurs ont progressivement essayé de se mettreà l’abri des critiques par des méthodologies de plusen plus rigoureuses, dans le plus grand respect desconsidérations éthiques. Ce courant a toutnaturellement conduit les législateurs français àélaborer un texte de loi sur la protection despersonnes qui se prêtent aux recherchesbiomédicales, loi du 20 décembre 1988communément appelée loi Huriet. Elle donne lecadre général des recherches. Elle définit les rôles etresponsabilités de chacun des protagonistes. Elleprécise enfin le rôle des comités (CCPPRB) chargés derendre un avis sur ces projets.

‚ Comité consultatif de protectiondes personnes dans la recherchebiomédicale

Ces comités sont chargés de rendre un avis,obligatoire mais consultatif, sur les projets derecherche au regard de la protection des personnes.Cet avis est obligatoire, puisque aucun essai ne peutdébuter sans avoir au préalable demandé l’avis ducomité. Il n’est que consultatif, puisque le ministrechargé de la Santé a seul l’autorité pour autoriser ounon une recherche. Mais en pratique, l’avis desCCPPRB est souvent décisif.

La loi leur accorde un rôle majeur, puisqu’ilsdoivent juger de la protection des personnes, maiségalement de la pertinence générale du projet, del’adéquation entre les objectifs poursuivis et lesmoyens mis en œuvre pour y parvenir, de laqualification des investigateurs et de l’informationproposée aux sujets qui se prêtent à la recherche.

Les comités siègent le plus souvent dans leshôpitaux. Leurs membres, 12 titulaires et 12suppléants, sont nommés par les préfets de région àpartir de listes. Ce sont des médecins, pharmaciens,

infirmières, psychologues salariés ou libéraux,légistes, représentants de consommateurs, depersonnes âgées, personnes qualifiées en matièreéthique (philosophes, représentants de communautéreligieuse...). Ils représentent donc différentescompétences techniques, mais également descourants de pensée et de sensibilité distincts.

‚ Être investigateur

L’investigateur est par définition la personnephysique qui dirige et surveille la réalisation de larecherche. Quand plusieurs investigateurs participentà une recherche, le promoteur nomme uninvestigateur coordinateur de l’étude.

L’investigateur, qui doit être docteur en médecine,a la lourde tâche de proposer l’étude, de recueillir leconsentement informé, de sélectionner les sujets, degérer les effets indésirables et les sorties d’essai.Dans certains cas, il assure la distribution desmédicaments, il se substitue alors au pharmacien etendosse ses responsabilités en termes deconservation, de stockage et de distribution desmédicaments. Il est l’interlocuteur du CCPPRB. C’estlui qui soumet le protocole de recherche au CCPPRBde sa région, et c’est à lui que sera adressé l’avis.

L’investigateur ne doit jamais oublier qu’il estavant tout un médecin et qu’il doit se soumettre àson code de déontologie. Il est tenu d’aviser leconseil de l’Ordre de sa participation à un essai.

‚ Être promoteur

Le promoteur est la personne physique oumorale qui prend l’initiative d’une recherche. Si lespromoteurs sont la plupart du temps des organismespublics (AP-HP, CNRS, Inserm) ou privés (industriels), ilpeut arriver qu’une personne désireuse de réaliserune recherche se porte promoteur. Le promoteur estl’interlocuteur de l’autorité administrativecompétente, en pratique le ministre chargé de laSanté. Il doit adresser une lettre d’intention auministre avec l’avis du CCPPRB avant de débuterl’étude. C’est lui qui informe le ministre de tout effetindésirable survenu au cours de la recherche, etsurtout c’est lui qui assume l’indemnisationéventuelle des personnes en cas de dommages. Il estdonc tenu de prendre une assurance qui couvre cerisque.

‚ Être inclu dans un essai

La réussite d’un essai repose sur l’adhésion desinvestigateurs et des personnes, à la recherche. Cespersonnes peuvent refuser de participer à larecherche et peuvent également se retirer à toutmoment, sans avoir à se justifier. Il est très importantque les relations entre soignant et soigné restenttoujours bonnes, et que la recherche n’altère pas larelation de confiance qu’il y a entre eux. Si larecherche est proposée aux sujets qui correspondentaux critères d’inclusion, il faut en outre la proposer àdes personnes qui, a priori, ont toutes les chancesd’être observantes, et de ne pas sortir prématu-rément de l’étude. Il vaut mieux proposer l’étude àmoins de sujets, mais que ces sujets soient plusfiables.

‚ Notion de bénéfice individuel directLe législateur a prévu de distinguer deux types de

recherche :– les recherches avec bénéfice individuel direct

(BID) : les personnes qui se prêtent à la recherchepourront en tirer un bénéfice immédiat ;

– les recherches sans bénéfice individuel direct(SBID).

L’exemple le plus simple est l’étude d’efficacitéd’un traitement chez des malades pour lesrecherches avec BID et les études chez le volontairesain pour les recherches SBID.

Les sujets qui participent aux recherches SBID ontune protection maximale :

– l’assurance prise par le promoteur couvre lesconséquences dommageables de la recherche,même sans qu’il y ait eu faute... ;

– la recherche est réalisée dans des locauxhabilités pour ce type d’essai SBID, c’est-à-direbénéficiant de garanties techniques médicales ;

– les mineurs et les personnes protégées par laloi ne peuvent participer à ces études en dehors decas particulier ;

– une indemnisation est possible pourcompenser les contraintes inhérentes à larecherche ;

– les sujets sont inscrits sur un fichier national. Ilsne peuvent participer à plusieurs études en mêmetemps.

On voit tout de suite que la qualification d’uneétude SBID impose aux investigateurs et promoteursdes contraintes.

‚ Quelques problèmes éthiquesLes essais cliniques supposent un engagement

réciproque des investigateurs-promoteurs et dessujets participant à la recherche.

Un compromis doit être trouvé entre l’intérêtscientifique, la quête par les patients de nouveauxtraitements, l’intérêt financier pour les volontairessains et la sécurité des sujets. Quel que soit l’intérêtde chaque acteur de la recherche, l’éthique doitrester au centre des préoccupations.

Qualification BID ou SBIDComme dans toute classification, il existe une

frontière un peu floue entre les types de recherche(exemple : étude pharmacocinétique greffée sur uneétude d’efficacité chez le malade qui rend laqualification difficile et est souvent source dediscussion entre CCPPRB et investigateur).

Par ailleurs, si l’on conçoit que le législateur avoulu protéger au maximum les volontaires sains ouvolontaires malades, la qualification en SBID decertains essais peut empêcher leur réalisationpratique alors même que le risque est quasi nul. Parexemple, une prise de sang unique dans le cadre desrecherches génétiques ne peut être pratiquée audomicile des sujets puisqu’elle doit l’être dans deslocaux habilités. Cette simple contrainte a parfoisempêché des recherches, les sujets ne pouvant sedéplacer...

PlaceboLes études versus placebo posent parfois des

problèmes éthiques importants. En effet, il est plusfacile de montrer l’efficacité d’une molécule versus

1-0150 - Essais cliniques des médicaments

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Page 128: Le Manuel Du Généraliste - Divers

un placebo, que versus une molécule de référence,car elle nécessite un nombre de sujets moinsimportant, sur une durée plus courte. Ce type derecherche est légitime lorsque le malade n’a pas deperte de chance sans traitement pendant unepériode courte. Il arrive que certains essais soientproposés versus placebo alors qu’il existe untraitement dans cette indication, car on espèredisposer d’un traitement plus efficace. Faut-ilautoriser ce type de recherche ? Une étude versusplacebo permet d’obtenir un résultat rapide et évitel’inclusion d’un grand nombre de sujets dans desétudes. Certains sujets tireront peut-être un bénéficeimportant de l’étude, mais à l’inverse, on sait que lessujets du groupe placebo n’auront même pas lebénéfice du traitement de référence.

Information

Tous les sujets participant à des essais cliniquesprésentent un point commun : ils ont signé unconsentement libre et éclairé, quel que soit le typed’études, quelle que soit la phase de l’étude. Uneinformation claire et précise sur les objectifs, ledéroulement et les contraintes de l’étude, sur les

bénéfices et risques liés à l’étude et aux substancesutilisées doit être fournie au sujet à qui l’étude estproposée.

En France, un sujet ne peut être inclus qu’après, etseulement après, avoir signé un consentement, enayant lu et compris l’information.

Le contenu exact de l’information soulève denombreux débats. Que dire et comment le dire ?Est-ce à la recherche de dévoiler au sujet sapathologie ? Faut-il détailler toutes les donnéestoxicologiques d’une substance que l’on vaadministrer ? Au contraire, un sujet qui ne connaîtpas son diagnostic exact peut-il signer unconsentement réellement informé ? Comment fairecomprendre l’intérêt d’un tirage au sort et d’ungroupe placebo dans des pathologies encoreincurables ?

Autant de questions qui soulèvent des discussionset auxquelles l’investigateur est confronté.

Études de phase IV

Ce n’est pas parce qu’un médicament a obtenuune AMM que les recherches s’interrompent.L’utilisation d’un médicament sur un grand nombre

de sujets offre au contraire d’autres voies derecherche et fait naître d’autres hypothèses.

Les études postcommercialisation peuventpermettre de préciser certains points : rechercherdes effets indésirables particuliers, déterminer dessous-groupes de sujets répondeurs ou nonrépondeurs, rechercher des facteurs de risque,apprécier l’observance, vérifier l’efficacité ensituation plus « naturalistique », comparer desmodes d’administration ou des schémasthérapeutiques... Elles s’adressent en général à unnombre très important d’investigateurs et depatients.

Ces études posent parfois des problèmeséthiques, lorsque l’objectif de la recherche apparaîtplus économique que scientifique. Faut-il accepterces études qui supposent des contraintes pour lessujets, visites plus fréquentes, prélèvementssupplémentaires, sans aucun intérêt scientifique ?Faut-il les refuser alors qu’il n’y a pas véritablementde problème de protection des personnes et que la« recherche » peut permettre dans certains cas unmeilleur suivi et une meilleure adhésion autraitement ?

Martine Molinier-Jasson : Médecin-attachée.Philippe Lechat : Professeur des Universités, praticien hospitalier.

Service de pharmacologie (Pr A Puech), groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière, 47-83, boulevard de l’Hôpital, 75651 Paris cedex 13, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : M Molinier-Jasson et P Lechat. Essais cliniques des médicaments.Encycl Méd Chir (Elsevier, Paris), Encyclopédie Pratique de Médecine, 1-0150, 1998, 5 p

R é f é r e n c e s

[1] Code de la santé publique. Protection de personnes qui se prêtent à des recher-ches biomédicales. Livre II bis, Art L 209 : 1-23

[2] Eschwège E, Bouvenot G, Doyon F, Lacroux A. Essais thérapeutiques. Moded’emploi. Paris : Inserm, 1990

[3] Greenberg P. The interpretation of clinical trials.Australian Prescriber1997 ;20 : 61-64

[4] Guyatt GH, Sackett DL, Cook DJ. User’s guides to the medical literature.JAMA1994 ; 5 :59-63

[5] Spriet A, Dupin-Spriet T, Simon P. Méthodologie des essais cliniques desmédicaments (3e ed). Bâle : Karger, 1993

[6] Yusuf S, Wittes J, Probstfield J, Tyroler HA. Analysis and interpretation oftreatment effects in subgroups of patients in randomized clinical trials.JAMA1991 ; 3 :93-98

Essais cliniques des médicaments - 1-0150

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Interactions médicamenteuses

en pratique quotidienne

D Warot, C Soubrié

■Introduction

Le terme « interactions médicamenteuses »n’évoque en général pour le praticien que dessituations désagréables ; celle où il devrait mémoriserdes listes, sans logique évidente ; celle où, face à unmalade déjà traité, il ajouterait un médicament anodinqui déséquilibrerait en efficacité ou en toxicité untraitement jusque là bien supporté ; celle où unpharmacien lui fait remarquer que son ordonnancepose un problème.

Derrière le terme « interaction », en réalité, il y aplusieurs situations différentes, pour lesquelles il existe,en filigrane, une même logique :

– des effets (souvent peu connus) qui s’ajoutent ous’opposent ;

– une forme active d’un médicament dont laconcentration augmente ou diminue dans certainssites d’action, l’introduction d’un autre médicamentayant induit une modification de son devenir.

Le résultat peut être :– utile si augmentation d’un effet insuffisant,

antagonisme d’un effet indésirable, économie sur unmédicament hors de prix ;

– gênant car augmentation (ou diminution) d’uneffet attendu ; apparition d’une propriété ou d’un effettoxique habituellement non perceptible.

■Limites des connaissances

Tout médecin a appris que ce qu’on sait desinteractions ne concerne que des couples demédicaments, alors que les malades prenant plus dedeux médicaments ne sont pas rares ; la notiond’interaction renvoie donc d’emblée aux limitesexistant dans les connaissances des outilsthérapeutiques.

Pour tout médicament récent, les études avantcommercialisation peuvent prévoir la possibilité decertains types d’interactions, même si elles nepermettent pas d’en appréhender la fréquence réelleni l’intensité. Si ce principe actif nouveau a un potentielinteractif prévisible, cela invitera à appeler lesnouveaux prescripteurs à une vigilance touteparticulière.

■Moyens de prévision et de

détection d’une interaction

Prévoir une interaction fait intervenir différentsdomaines : la déduction à partir de certaines données

théoriques, confrontée à l’analyse des résultatsd’expérimentation, in vitro ou in vivo, chez l’animal etchez l’homme.

‚ Prévisions fondéessur des considérations théoriques

La structure chimique mais peut-être plusl’appartenance à une classe pharmacologique« interactive » sont des éléments d’orientation ;cependant la prévision est très incomplète en raisonde possibilités de différences d’efficacité, de toxicité(donc de marge thérapeutique) et de métabolisme.

‚ Prévisions fondées sur les résultatsde l’expérimentation animaleet les études in vitro

La nature des propriétés pharmacologiques oriented’emblée vers des interactions spécifiques : diurétiquehypokaliémant, propriété anticoagulante...

L’expérimentation animale conduit à la déter-mination des caractéristiques pharmacocinétiques dela molécule (résorption, distribution, clairance, demi-vie) et à l’identification des principales voiesmétaboliques, avec la mise en évidence d’éventuelsmétabolites actifs. Ces informations permettentd’envisager diverses possibilités d’interactions etd’entrevoir des situations à risque (interactionsmédicamenteuses dans des populations particulièrespar exemple). Cependant l’extrapolation rencontrequelques écueils. Ainsi, de nombreuses interactionspar défixation ont été établies sur la base des résultatsd’études in vitro montrant qu’un médicament déplaceun autre médicament de ses sites de fixationprotéique. Des études in vivo ont précisé,ultérieurement, que les effets d’un déplacementétaient minimes et transitoires. Ces études n’infirmentpas l’existence d’une défixation mais ne permettentguère de prévoir leurs conséquences cliniques.

‚ Prévisions fondéessur les résultats des essais cliniques

Les études chez le volontaire sain permettent dedéfinir les caractéristiques pharmacocinétiques dumédicament mais ne peuvent étudier tous lesmétabolites. Un métabolite identifié peut ne pas êtreintéressant en clinique, ce qui n’est pas synonymed’« indifférence » métabolique.

Les études de recherche d’interactions spécifiqueschez le volontaire sain ou le malade sont encoreparcellaires, orientées par l’appartenance à une classeayant soit une marge thérapeutique étroite, soit unpotentiel « interactif » connu.

Ainsi certains fabricants effectuent des étudesd’association : antivitamines K + anti-inflammatoiresnon stéroïdiens, sulfamides hypoglycémiants + anti-inflammatoires non stéroïdiens. La réponse esttoujours intéressante mais avec les réserves d’usageconcernant le faible effectif de sujets et le monitorageextrêmement étroit, quelquefois trop éloigné dessituations réelles.

Ces études sont dans certains cas entreprises aprèsla survenue de quelques observations cliniques ayantattiré l’attention sur un risque potentiel d’interaction.De même, certaines études « vérifient » que les autresmembres d’une même classe d’antibiotiques parexemple ne comportent pas le même risque qu’un desreprésentants de la famille (macrolides + théophylline).

La difficulté d’extrapoler des différencesstatistiquement significatives entre un placebo et unmédicament à un risque réel pour le patient resteentière. Ce sont les études à long terme d’associationsdes médicaments les plus fréquemment prescrits quiapportent les indications les plus intéressantes :exemple d’un nouveau dérivé nitré associé au longcours chez un angineux, aux anticoagulants, à diversanti-arythmiques, à des antihypertenseurs, à desbêtabloquants...

Moyens de détection

Ils font appel aux méthodes d’étude des effetsindésirables des médicaments. De trop nombreusesinteractions « établies » émanent de résultats d’étudeschez l’animal, d’études in vitro, de considérationsthéoriques et de cas isolés anecdotiques.

Une meilleure analyse pourrait et doit conduire àrejeter une information souvent erronée, c’est-à-diresans conséquences cliniques importantes. Des étudesépidémiologiques prospectives, des étudescomparatives sont souhaitables pour confirmer ouinfirmer des inquiétudes mais aussi pour détecter lesinteractions imprévisibles.

Pour les médicaments anciens, il arrive que desobservations isolées d’effets inattendus soit publiées,interprétées comme une possible interaction. Et quecertains (mauvais) ouvrages les reprennent, sansnuances, et sans les distinguer des interactionsétablies, ce qui fait grossir le catalogue en interactionsnon hiérarchisées. Et que ces « interactions » y figurentencore dix ans plus tard, alors qu’elles n’ont pas étéobservées depuis, ce qui signifie probablement quel’interprétation initiale doit être remise en doute.

■Comprendre

‚ Interactions bénéfiques

C’est tous les jours, que le praticien en fait, commeMonsieur Jourdain, mais elles ne lui posent pas deproblème ; il les appelle souvent « associations ».Comme les associations à risque, leurs mécanismessont :

– soit de nature pharmacodynamique (addition ouantagonisme d’effets) ;

– soit de nature pharmacocinétique (modificationdu devenir dans l’organisme).

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Quelques exemples

¶ Premier typeL’association d’un diurétique kaliurétique avec un

diurétique épargneur du potassium. L’ajout à unmorphinique d’un médicament prévenant laconstipation. L’association d’un bêtabloquant à unhypotenseur.

La prescription simultanée de plusieursantituberculeux.

¶ Deuxième typeL’inactivation d’une pilule estroprogestative par la

rifampicine

‚ Associations « à risque »Celles qui ont une traduction clinique visible sont

bien moins nombreuses que le médecin ne le craint.Comme toujours, pour un même risque, certains

malades sont plus sensibles que d’autres ; ce sont ceuxdont les principales voies d’élimination sontdiminuées, ou ceux dont les régulations sont plusdifficiles ou plus lentes que la moyenne : ou bien ceuxdont un organe est anormalement sensible ; cesmalades doivent être repérés, car ils demandent uneattention particulière.

Disposer de listes, ouvrages, ou logiciels nerésout pas complètement la question

La vraie difficulté pour le praticien réside dans lasélection des malades pour lesquels il doit être sur lequi-vive, et pour qui il doit faire l’effort de vérifier deplus près la compatibilité des prescriptions.

Il n’est aujourd’hui plus possible de connaîtreparfaitement toutes les interactions.

Le médecin peut certes vérifier systématiquementtoutes ses prescriptions (de façon informatique, parexemple) ; mais la possibilité d’interaction (addition,antagonisme) entre deux des médicaments pris est sifréquente que la vérification systématique aboutira àun message trop fréquent pour ne pas êtredémobilisateur.

Ou bien, même si la sensibilité du système peut êtreréglée à ne dépister que les interactions à l’origined’une précaution d’emploi ou d’une contre-indication,le médecin apprendra à les connaître lors des premiersmessages, puis trouvera vite ce rappel irritant...et ilcessera de le lire systématiquement.

Additions gênantes de propriétés semblables,complémentaires ou opposées

¶ lnteractions pharmacodynamiquesCes interactions ne sont pas très faciles à

mémoriser ; en effet, les prévoir est très facile, à lasimple condition de bien connaître l’ensemble deseffets des médicaments.

Or, si le prescripteur connaît les effets recherchés, ilest moins bien informé sur les (nombreux) autreseffets, surtout si ceux-ci ne s’expriment cliniquementque rarement. Il en arrive même à oublier que tous lesmédicaments ont un nombre tout à fait étonnant depropriétés différentes, susceptibles de se manifesterchez certains patients plus sensibles.

Ces propriétés figurent souvent dans leparagraphe : « pharmocodynamie » à la fin du résumé

des caractéristiques du médicament qu’on peut (entreautres) lire dans la fiche signalétique du médicament,ou dans le dictionnaire Vidal, ou bien se trouventsignalées en tant qu’effet indésirable.

¶ Quelques exemples d’interactions (tableaux I, II,III)

■ Additions d’effets.■ Addition de propriétés complémentaires.■ Antagonisme.Interaction pharmacocinétique ou modification de

l’intensité des effets d’un médicament par l’associationd’un autre.

Cette modification est le reflet d’une modificationdes concentrations tissulaires d’un premiermédicament par la présence d’un autre qui n’a, apriori, pas lui-même ces effets. Elle n’aura deconséquences cliniques réelles que pour unmédicament pour lequel une augmentation ou unediminution des concentrations plasmatiques modifieconsidérablement les effets induits, autrement dit pourun médicament dont la marge thérapeutique estétroite.

Médicaments concernés : ceux dont la margethérapeutique est étroite

Tous les médicaments qu’on dose habituellement,le dosage étant justement effectué parce que leurbalance risque-bénéfice n’est acceptable que si lesconcentrations plasmatiques restent à l’intérieur delimites bien définies.

Exemples : lithium, antibiotiques aminosides,théophylline, ciclosporine, tacrolimus

Les médicaments pour lesquels on recherche laposologie utile en tâtonnant, soit en augmentant peuà peu, soit en diminuant les doses en fonction de l’effetobservé, clinique ou biologique.

Exemples : thyroxine, antiarythmiques, corticoïdes,hypnotique type triazolam, sulfamides hypoglycé-miants, antivitamines K.

Des médicaments pour lesquels l’inefficacité estinacceptable : immunosuppresseurs, contraceptionestroprogestative, antiviraux ou le surdosageinacceptable : dérivés vasoconstricteurs de l’ergot deseigle.

L’interaction se produit du fait de l’association demédicaments dont la présence est à l’origine desmodifications de concentrations parce que cesmédicaments ajoutés :

– bloquent ou facilitent la résorption d’autresmédicaments ;

– augmentent ou diminuent des transformations,activantes ou inactivantes, en général au niveau dufoie (effet inducteur ou inhibiteur) ;

– du fait d’une très forte affinité pour certains tissus,déplacent d’autres médicaments de sites de stockage ;

– peuvent augmenter ou bloquer des processusd’élimination, au niveau du rein par exemple.

¶ Médicaments diminuant la résorptionPour beaucoup d’entre eux, l’interaction ne se

produit pas si les prises sont espacées, d’au moins 2heures, 4 heures si possible : charbon, topiques gastro-intestinaux, sels et hydroxyde d’aluminium, sucralfate,antiacides (il y en a dans le didanoside), kayexalate,cholestyramine, sels de fer.

Notons qu’une baisse de la résorption peutconduire à une baisse du pic sérique, ce qui peut êtregênant, notamment pour les antibiotiques ou lesantituberculeux.

¶ Médicaments modifiant les transformationshépatiques

Par induction enzymatique : les principauxinducteurs enzymatiques, phénobarbital, phénytoïne,primidone, carbamazépine, rifampicine, rifabutine,(modafinil, griséofulvine : conséquences cliniques àconfirmer pour les deux derniers).

Par inhibition enzymatique : allopurinol,atovaquone, amiodarone, cimétidine, chloramphéni-col, ciclosporine, fluconazole, itraconazole,dextropropoxyphène, fluoroquinolone, fluvoxamine,fluoxétine, paroxétine, citalopram, viloxazine,isoniazide, imao, macrolides, clarythromycine,ticlopidine, indinavir, ritonavir...

¶ Médicaments modifiant la fixation protéiqueCe sont par exemples méthotrexate, certains

sulfamides, les fibrates.

■Retenir

‚ Quels sont donc les malades et lesmédicaments « à risque », en termesd’interaction ?

Tous ceux qui prennent un traitement dont il fautimpérativement éviter le sur ou le sous-dosage.

En plus de bons ouvrages/logicielschez le médecin et chez le pharmacien,une réaction d’hypervigilance du mé-decin lui-même, focalisée sur certainsmalades et sur certains traitementsreste indispensable.

Tableau I. – Additions d’effets.

Propriété Médicaments

Hyperkaliémiant diurétiques hyperkaliémiants, inhibiteurs de l’enzyme de conversion,tacrolimus, héparine

Hypotension antiHTA, neuroleptiques, IEC, diurétiques, alpha-1-bloquants

Sédation antidépresseurs, neuroleptiques, antihistaminiques H1 (certains), morphi-niques et apparentés, anxiolytiques, hypnotiquesclonidine et apparentés, alcool

Effet antifolique triméthoprime, pyriméthamine, methotrexate

Acidose lactique metformine, alcool en aigu

Hypertension intracrânienne tétracyclines, rétinoïdes

Toxicité néphrologique ciclosporine, antibiotiques aminosidiques, amphotéricine B, melphalan

Hyponatrémie desmopressine, carbamazépine, inhibiteurs du recaptage de la sérotonine

HTA : hypertention artérielle ; IEC : inhibiteurs de l’enzyme de conversion.

1-0130 - Interactions médicamenteuses en pratique quotidienne

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Page 131: Le Manuel Du Généraliste - Divers

Ceux qui seraient spécialement sensibles à un sur-ou un sous-dosage de leurs traitements.

Ceux qui prennent un médicament capable demodifier les capacités d’absorption, de stockage sur lesprotéines plasmatiques, de transformation oud’élimination de l’organisme (tableau IV).

■S’informer ?

Lorsqu’on a un doute, il faut pouvoir vérifier dansune source sûre, même si aucune source n’est parfaite.

L’information sur les interactions médicamenteusesdoit être adaptée dans le fond et la forme, rapidementaccessible, actualisée.

Sur le fond, seules les interactions ayant de réellesconséquences cliniques (bénéfiques, dangereuses)devraient apparaître dans les ouvrages deconsultation courante. Les ouvrages spécialisés trèsutiles par ailleurs car bien documentés sur l’historiquede l’interaction, ne sont pas adaptés à la consultationau moment de la prescription médicale.

Les autres sources d’information sont multiples :des revues « exhaustives » des principales interactions,pour une classe donnée de médicament, des disques,des tables, des diagrammes. Leur faible encombre-ment est un avantage mais ne préjuge pas de leur

commodité de consultation. L’information sous cetteforme ne se conçoit que si elle est directementutilisable par le consultant. Au mieux seront précisésles médicaments sous leurs noms de spécialités, descommentaires sur le sens de la variation observéeavec un jugement sous la forme de mentions tellesque : association contre-indiquée, association possiblemais à surveiller que certains auteurs remplacent pardes feux verts, oranges ou rouges.

Les précautions, les éléments de surveillance relatifsà l’association médicamenteuse si elle est possibledoivent être mentionnés, ainsi que les mécanismes.Enfin, l’alternative thérapeutique, si elle est connue,peut être indiquée.

Depuis une dizaine d’années, avec le dictionnaireVidal, un livret sur les interactions médicamenteusesest disponible, tendant ainsi à la création d’une sourceunique d’information pour le prescripteur rédigeantson ordonnance. Il est actualisé annuellement.

Il rebute encore certains médecins, qui ont du mal àtravailler avec des noms de principes actifs (et non desnoms de spécialité). L’arrivée des médicamentsgénériques va favoriser l’habituation à ces autresnoms.

Ce livret « interaction » est une très bonne synthèse,avec un classement selon le retentissement clinique.

Si le médecin souhaite avoir un interlocuteur, lescentres de pharmacovigilance, les fabricants peuventle renseigner.

Le rôle du pharmacien ne doit pas être sous-estimé.Il est un des destinataires de l’ordonnance. D’autantque les pharmaciens se sont souvent informatiséspour la détection des interactions, et de façongénérale, plus que les médecins, en partie parce queces systèmes sont regroupés avec ceux de la gestionde l’officine. La qualité de l’information des systèmesinformatisés a la même variabilité que celle desouvrages.

Enfin le malade peut être informé, par l’intermé-diaire de la notice insérée dans les boîtes demédicament, sur les associations médicamenteuses.Sous la forme actuelle, l’information est peut-êtresouvent plus source d’inquiétudes pour lui que deréconfort ; son efficacité préventive peut être discutée.

Dans le cadre de certains traitements précis, il a étéétabli des listes de médicaments que le malade ne doitpas prendre (exemple avec les inhibiteurs de la mono-amine-oxydase, les anticoagulants) ; vu leurévolutivité, il semble plus prudent de proposerquelques remèdes autorisés, de mettre en garde lemalade contre des initiatives d’automédication et delui demander de se renseigner à la demande auprèsde son pharmacien, de son médecin chaque fois qu’ilva vers un médicament non explicitement autorisé.

Dominique Warot : Maître de conférences, praticien hospitalier.Claudine Soubrié : Maître de conférences, praticien hospitalier.

Service de pharmacologie, hôpital Pitié-Salpêtrière, 47-83, boulevard de l’hôpital, 75661 Paris cedex 13, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : D Warot et C Soubrié. Interactions médicamenteuses en pratique quotidienne.Encycl Méd Chir (Elsevier, Paris), Encyclopédie Pratique de Médecine, 1-0130, 1998, 3 p

R é f é r e n c e s

[1] Dictionnaire Vidal 1997. Interactions médicamenteuses. Paris : éditions duVidal, 1997

[2] Shinn AF, Shrewsbury RP. Evaluation of Drug Interactions (3rd ed). SaintLouis : CV Mosby, 1985

[3] Stockley IH. Drug Interactions (3rd ed). Oxford : Blackwell Scientific Publi-cations, 1994

Tableau II. – Addition de propriétés complémentaires.

Effet sur la coagulation Ticlopidine, anticoagulants, atamoxef, AINS

Allongement de l’espace QT = Risque de torsades depointe favorisé par les ralentisseurs du rythme car-diaque ou les hypokaliémiants

amiodarone, quinidiniques, sotalol, sultopride, terfé-nadine, astémizolediphémanil méthylsulfate,érythromycine IVcertaines fluoroquinolones, halofantrinebêtabloquants, tacrine

Baisse de la pression de perfusion= insuffısance ré-nale aiguë, favorisée par déplétion sodée

AINS, IECdiurétiques

Précipitation de cristaux rénaux :— médicaments dont la concentration urinaire est

proche de la saturationsulfaméthoxazole, sulfadiazineindinavir

— précipitation favorisée par certains modifica-teurs du ph urinaire acidifiants, alcalinisants

AINS : anti-inflammatoires non-stéroïdiens ; IEC : inhibiteurs de l’enzyme de conversion ; IV : intraveineux.

Tableau III. – Antagonisme.

Miansérine (alphabloqueur) clonidine, rilmenidine, et apparentés (stimulants alpha-adrénergiques)

L-DOPA (agoniste dopaminergi-que) neuroleptiques (antagonistes dopaminergiques)

Interféron corticoïdessalicylés

Spermicides médicaments par voie vaginale

Tableau IV. – Médicaments modifiant l’élimi-nation rénale.

Médicaments induisantune atteinte rénalefonctionnelle

diurétiquesanti-inflammatoiresIEC

Médicaments occupantles voies d’élimination probénécide

Médicaments néphro-toxiques

aminosides, ciclospo-rine, etc.

IEC : inhibiteurs de l’enzyme de conversion.

Interactions médicamenteuses en pratique quotidienne - 1-0130

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Page 132: Le Manuel Du Généraliste - Divers

Médicaments utiles et inutiles :

notion de service médical rendu

J.-F. Bergmann

L ’utilité d’un médicament est difficile à cerner avant plusieurs années d’utilisation et doit être différenciée d’uneactivité pharmacologique, d’une efficacité thérapeutique ou d’une rentabilité économique ou sociale. L’utilité

d’une thérapeutique peut être perçue par un malade ou par la société, selon que le médicament agit sur unsymptôme, un handicap ou qu’il diminue une morbi-mortalité, en séparant les actions curatives des actionspréventives. La mesure de l’utilité est approchée, non tant par l’autorisation de mise sur le marché, que parl’évaluation du service médical rendu qui dépend de la gravité de la maladie, de l’efficacité du médicament, de saplace dans la stratégie et de l’existence d’alternatives thérapeutiques. L’amélioration du service médical rendu a pourbut de situer l’utilité du médicament par rapport à d’autres thérapeutiques précédemment disponibles et indiquéespour la même pathologie. Enfin, les données de pharmacoépidémiologie et de pharmacoéconomie permettent desituer l’utilité sociétale du médicament. L’évaluation de l’utilité repose sur la qualité des essais contrôlés et desmesures d’efficacité, sur l’évaluation du rapport bénéfice/risque et sur la pertinence clinique du bénéficethérapeutique. Mais au-dessus d’une efficacité pharmacothérapeutique, l’utilité d’un médicament peut reposer surson intérêt global dans une prise en charge et peut être différenciée d’une réelle efficacité, ce qui revient à considérerl’utilité d’un placebo pharmacologiquement inactif. Le placebo fait partie intégrante de la relation médecin/maladeet son utilité est indiscutable. À l’inverse, des médicaments efficaces n’ont pas forcément une utilité thérapeutiqueindividuelle ou collective.© 2003 Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Mots-clés : Service médical rendu ; Essai thérapeutique ; Activité pharmacologique ; Efficacité thérapeutique ;Autorisation de mise sur le marché ; Placebo

■Introduction

Depuis les années 1970, la méthodologie des essais thérapeutiques a permisune mesure fiable de l’efficacité thérapeutique d’un nouveau médicament. Il estdésormais rigoureusement possible de savoir quel est le degré d’activitépharmacothérapeutique d’une nouvelle molécule. Il est beaucoup plus difficile deconnaître son utilité thérapeutique, car la mesure de cette utilité dépend denombreux facteurs individuels et collectifs. C’est pourtant cette utilité qui est lafinalité de l’acte thérapeutique et qui doit essayer d’être évaluée le plusrigoureusement possible. Cette évaluation impose d’associer aux donnéesd’efficacité des informations en termes de stratégie thérapeutique, de rapportbénéfice/risque, d’existence d’alternatives thérapeutiques. Elle impose deconnaître l’histoire naturelle de la maladie concernée et le rapportbénéfice/risque des différentes thérapeutiques. C’est dire que l’utilité d’unmédicament ne peut être cernée qu’après plusieurs années d’utilisation.

■Place de l’utilité dans l’évaluation du bénéfice

thérapeutique d’un médicament : définitions

‚ Notion d’activité, d’efficacité, d’utilité et de rentabilité

L’activité d’un médicament est une donnée de pharmacologie. Au début dudéveloppement d’un nouveau médicament, les études de pharmacologie chez levolontaire sain et chez le malade (phase II) permettent de mettre en évidence uneactivité pharmacologique, c’est-à-dire une modification quantitative d’un critèreprédictif d’une amélioration thérapeutique. L’amélioration de la chute

tensionnelle, d’un périmètre de marche, d’un taux de cholestérol oud’hémoglobine glyquée, est la preuve d’une activité pharmacologique laissantespérer (mais n’affirmant pas) un bénéfice pour le malade.

L’efficacité est une donnée thérapeutique obtenue grâce à des essais contrôlésrandomisés permettant de montrer qu’un nouveau médicament modifiepositivement un critère clinique. L’amélioration d’un symptôme, d’une douleur, lamoindre incidence d’un événement morbide ou mortel, la guérison, sont despreuves d’efficacité thérapeutique. Tout médicament ayant une activitépharmacologique n’a pas forcément une efficacité thérapeutique.

L’utilité est une donnée encore plus pertinente pour le malade et pour lasociété. Le médicament peut être jugé utile lorsque son usage améliore lessymptômes, mais aussi le bien-être des patients de façon significative, c’est-à-direressentis par eux. L’utilité intègre la notion de rapport bénéfice/risque au niveauindividuel et la notion coût/efficacité au niveau collectif. Un médicament ayantune efficacité thérapeutique n’a pas forcément une utilité lorsque cette efficacitéest minime, peu significative ou si elle se fait au prix de contraintes ou d’effetsindésirables importants. Un médicament efficace pour un individu n’est pasforcément utile pour la société s’il ne permet pas une amélioration de l’état desanté global de la population ou si son usage individuel expose à des risquesglobaux, comme par exemple un usage trop large des antibiotiques.

La rentabilité est une notion à séparer de celle d’utilité. Un médicament mêmepeu utile ou peu efficace peut être commercialement rentable pour l’industriel etdonc pour l’économie de la nation. La rentabilité peut être aussi individuelle si lerapport coût/bénéfice est favorable pour le malade lorsqu’il paye le médicament,comme par exemple un substitut nicotinique. Enfin, la société, et toutparticulièrement la sécurité sociale, peut juger qu’un médicament même utilen’est pas à rembourser, donc n’est pas rentable pour elle-même, dès lors qu’elleconsidère que le coût de remboursement serait disproportionné par rapport à lafaible utilité du produit pour la communauté.

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‚ Utilité d’un médicament : pour qui ?

La notion d’utilité impose de définir un seuil au-dessus duquel le médicamentpeut être considéré comme utile. Or, cette notion de seuil est très difficile àpréciser, d’autant plus qu’elle dépend des acteurs à considérer. Tout maladesentant une amélioration de son état de santé à la suite de la prise d’unmédicament peut considérer ce dernier comme utile. Un veinotonique, unoxygénateur cérébral, une granule d’homéopathie ou un placebo, est ressenti parle patient comme un traitement utile dès lors qu’il rattache la prise thérapeutiqueà une amélioration symptomatique. En revanche, le traitement d’unehypercholestérolémie ou d’une hypertension artérielle n’est pas ressenti commesymptomatologiquement utile par le patient qui n’en retire pas de bénéficeimmédiat. Pourtant l’utilité est évidente en termes de santé publique dès lors quece traitement a démontré que son efficacité va de pair avec la diminution d’unemorbi-mortalité. Cependant, cette utilité en termes de santé publique dépend dela population cible et un traitement par statine pour traiter unehypercholestérolémie peut être utile chez un patient à risque et devient inutilechez un sujet de plus de 90 ans sans autre facteur de risque.

La chimioprophylaxie du paludisme et certaines vaccinations sont parfoisinsuffisamment ressenties comme utiles par le malade, qui ne veut pas assumerles contraintes de ce traitement alors que l’utilité en termes de santé publique estévidente. En revanche, la sécurité sociale peut décider de ne pas prendre encharge le remboursement de tels médicaments, considérant qu’il est inutile que lasociété consacre ses revenus à de telles dépenses qui devraient être prises encharge par les individus eux-mêmes. Il apparaît donc que la notion d’utilité, quellequ’en soit sa mesure, dépend du contexte d’évaluation. L’utilité pour le maladen’est pas la même que l’utilité pour la santé publique ou que l’utilité pour lasécurité sociale.

■Outils de mesure de l’utilité thérapeutique

La mesure de l’utilité d’un médicament dépend de son objectif thérapeutique :selon qu’il s’agit d’un médicament symptomatique (traitement d’une douleur,d’une gêne, d’une constipation, d’une angoisse…), d’un traitement de fond d’unhandicap (traitement de la polyarthrite rhumatoïde, de la sclérose en plaques…),d’un médicament ayant pour but de diminuer une morbi-mortalité (médicamentde cancérologie, de cardiologie, d’infectiologie…), d’un traitement ayant pour butl’amélioration des performances (produit anabolisant, médicament del’impuissance…) ou pour lutter contre le vieillissement (traitement del’ostéoporose, de l’alopécie, de la maladie d’Alzheimer…), les modesd’appréciation de l’utilité sont radicalement différents. De même, cette évaluationest différente s’il s’agit d’un traitement préventif ou d’un traitement curatif, enfin lamesure de l’utilité dépend directement du degré d’efficacité.

‚ Essais contrôlés

En dehors des traitements placebo, la première étape de la mesure de l’utilitéest la mesure de l’efficacité thérapeutique d’un médicament. Pour que celle-ci soitappréciée au mieux, il est désormais nécessaire que l’évaluation d’une nouvellethérapeutique repose sur des essais contrôlés et randomisés. La fiabilité de lamesure de l’efficacité du médicament repose sur la notion de contrôle, derandomisation, de comparabilité des groupes, d’essais en double aveugle, menésdans une population bien définie et correspondant à la population cible dumédicament, en calculant avant le début de l’essai un nombre de sujetsnécessaires pour mettre en évidence la différence escomptée, en faisant uneanalyse en intention de traiter où tous les malades inclus dans l’étude serontgardés dans l’analyse statistique finale et en utilisant un critère d’évaluationprincipal unique, préalablement défini avant le début de l’essai et cliniquementsignifiant (Tableau 1). La comparaison de l’efficacité thérapeutique dans le groupetraité par le nouveau médicament au terme de l’essai sur l’ensemble de lapopulation incluse permet de s’assurer que le médicament a bien une efficacitésupérieure à celle d’un placebo s’il est comparé au placebo et/ou a une efficacitécomparable ou supérieure à celle du traitement de référence s’il a été choisicomme comparateur. L’essai contrôlé randomisé est l’outil initial incontournablepour l’évaluation d’une efficacité thérapeutique. Il est indispensable mais nepermet en rien de préjuger de l’utilité d’un médicament [1].

‚ Autorisation de mise sur le marché (AMM)

Il s’agit d’une décision administrative prise par l’Agence européenne desproduits de santé, ou autrefois ou pour certaines modifications d’anciens produits

déjà sur le marché français par l’Agence française de sécurité sanitaire desproduits de santé (AFSSAPS). L’AMM est obtenue si le médicament offre desgaranties pharmaceutiques (garantie de qualité de fabrication), présente desdonnées de sécurité préclinique (toxicologie, risque cancérigène, fœtotoxicité…)et clinique (effets indésirables, effets graves de toxicité…). Enfin et surtout, l’AMMprend en compte les données d’efficacité obtenues par des essais contrôlés. Unnouveau médicament a l’AMM s’il a démontré une certaine efficacitéthérapeutique, ou tout du moins une activité pharmacologique prédictive d’uneffet thérapeutique bénéfique. Le rapport bénéfice/risque, mal apprécié lors dudépôt du dossier d’AMM car le médicament n’a alors été donné qu’à quelquescentaines ou quelques milliers de patients, doit être comparable ou supérieur àcelui observé avec les médicaments précédemment mis sur le marché, sauf danscertains cas où la pauvreté de l’arsenal thérapeutique pourrait conduire àaccepter une mise sur le marché de médicaments potentiellement moinsefficaces que les prédécesseurs, mais pouvant servir d’alternative thérapeutique.Ainsi, certaines chimiothérapies anticancéreuses, des médicaments de l’épilepsie,des hypoglycémiants, peuvent être mis sur le marché avec un rapportbénéfice/risque mal cerné, dès lors que leur utilité potentielle est suspectée danscertaines situations, notamment chez les patients en impasse thérapeutique.

L’AMM est donc une première étape permettant d’approcher trèsgrossièrement le degré d’utilité d’un médicament. Cette utilité peut d’embléesembler évidente pour certains produits à bénéfice thérapeutique indiscutable.Pour d’autres médicaments d’efficacité minime ou ayant des effets indésirablespouvant grever l’évaluation du rapport bénéfice/risque, l’AMM n’est pas unegarantie d’utilité.

‚ Évaluation du service médical rendu (SMR)

En France, la Commission de la transparence de l’AFSSAPS détermine le servicemédical rendu des médicaments demandant à être remboursés par la sécuritésociale. Le SMR n’est donc pas évalué pour les médicaments ne voulant pas êtreremboursés, ce qui ne signifie pas pour autant qu’ils soient inutiles. Lorsqu’unmédicament a une importance indiscutable en termes de santé publique etlorsqu’il n’existe pas d’alternative thérapeutique remboursée, les autoritéssanitaires imposent à l’industriel qu’il fasse une demande de remboursement,donc d’évaluation du SMR, mais dans certaines pathologies où des alternativesremboursées existent, cette demande de remboursement n’est passystématique ; c’est ainsi que les pilules de troisième génération, que destraitements de l’obésité et que des médicaments de confort n’ont pas demandé leremboursement afin d’avoir un prix de vente libre.

Pour tous les autres, le SMR est apprécié en tenant compte de la gravité de lamaladie, de l’efficacité du rapport bénéfice/risque du médicament, mais aussi dela place dans la stratégie, l’existence d’alternatives thérapeutiquesmédicamenteuses ou non médicamenteuses, l’importance du problème entermes de santé publique du fait qu’il s’agit d’un traitement symptomatique oucuratif et de la place en première ou deuxième intention du nouveaumédicament. La Commission de la transparence doit donc intégrer les donnéesd’efficacité ayant conduit à l’AMM mais doit aussi s’aider d’essais comparatifs par

Tableau 1. – Critères de qualité d’un essai thérapeutique

A. Essai contrôlé : comparaison à un groupe contrôle recevant un traitement deréférence ou un placeboB. Essai randomisé : tirage au sort entre les différents groupes de traitementC. Essai en double-aveugle : l’évaluation de l’effıcacité thérapeutique n’est pasbiaisée par la connaissance du produit administréD. Définition claire de la population incluse : les résultats ne sont valables quepour les malades ayant le même type de maladie que la population étudiée dansl’essaiE. Calcul du nombre de sujets nécessaires : les effectifs de malades inclus dansl’essai sont d’autant plus grands que la différence que l’on cherche à mettre enévidence est petite. Les effectifs doivent être calculés avant le début de l’essai.F. Critère d’évaluation unique et cliniquement pertinent. Ce critère doit êtredéterminé avant le début de l’essai et constituera le critère principal d’évalua-tion.G. Analyse en intention de traiter : tous les patients inclus dans l’étude et ran-domisés seront pris en compte pour l’analyse finaleH. Analyse unique en fin d’essai sur l’ensemble de la population incluse : seulecette analyse de fin d’essai doit être prise en compte et elle doit inclure l’ensem-ble de la population randomiséeI. Différence mise en évidence statistiquement significative : p< 0,05J. Différence mise en évidence cliniquement signifiante : la différence statistiquene prive pas d’une analyse clinique des résultats observés

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rapport à d’autres médicaments ou à d’autres stratégies non médicamenteuses sices essais comparatifs existent. Sinon, elle doit tenter d’apprécier la place futuredu nouveau médicament dans la stratégie thérapeutique et tenter de faire descomparaisons indirectes de son rapport bénéfice/risque par rapport auxthérapeutiques déjà existantes. Le SMR est d’autant plus grand que l’efficacité estimportante pour une pathologie grave ayant un coût majeur en termes de santépublique. Les traitements préventifs sont préférés aux traitements curatifs, lestraitements curatifs sont préférés aux traitements symptomatiques. L’absenced’alternative thérapeutique et le fait que le nouveau médicament soit untraitement de première intention, valorisent aussi son SMR. L’appréciation duSMR a une part de subjectivité, surtout pour des médicaments très innovants àplace encore mal définie dans la stratégie thérapeutique . Néanmoins, lesmédicaments très efficaces et/ou actifs dans une pathologie grave peuvent êtreconsidérés comme ayant un SMR important, conduisant à un taux deremboursement de 65 %. Les médicaments peu efficaces et/ou actifs pour despathologies de faible gravité sont considérés à SMR modéré, conduisant à unremboursement à 35 %. Enfin, les médicaments peu efficaces dans despathologies bénignes, agissant de façon symptomatique dans les situations où ilexiste de nombreuses alternatives thérapeutiques, pourraient être jugés à servicemédical faible, n’ouvrant pas droit au remboursement. Les niveaux de SMRdépendent bien évidemment d’une volonté politique de remboursementsystématique ou sélectif. Il est évident que le SMR permet de cerner l’utilité ; ilexiste à l’évidence un parallélisme entre le degré de SMR et le degré d’utilité [2].

‚ Amélioration du service médical rendu (ASMR)

L’ASMR est elle aussi évaluée par la Commission de la transparence del’AFSSAPS et a pour but de situer le SMR d’un nouveau médicament par rapport àcelui des médicaments déjà mis sur le marché. Il s’agit donc d’une évaluationpurement comparative, recherchant à mettre en évidence une éventuelleamélioration. Une ASMR est de niveau 1 lorsque le produit permet uneamélioration thérapeutique majeure, jamais observée jusque-là, dans dessituations pathologiques où il n’existait pas de traitement aussi efficace (lesstatines dans le traitement du risque cardiovasculaire, les inhibiteurs de l’enzymede conversion dans l’insuffisance cardiaque, l’éradication d’Helicobacter pyloridans l’ulcère gastroduodénal, les antirétroviraux dans le sida…). Les produits àASMR 1 sont à l’évidence des médicaments très utiles. Les ASMR 2 correspondentà des améliorations importantes, les ASMR 3 à des améliorations d’efficacité plusminime. Les ASMR 4, voire 5, sont attribuées à des médicaments peu différentsdes précédentes molécules mises sur le marché. Les génériques ont tous uneASMR de niveau 5. Un faible niveau d’ASMR ne signifie donc en rien une inutilité.Les copies d’un médicament utile restent elles aussi utiles mais auront une ASMRde niveau 5. Une bonne ASMR signifie une amélioration thérapeutique, qui n’estpas forcément synonyme d’une forte utilité, si ce n’est que les ASMR de niveau 1,voire 2, sous-entendent une utilité thérapeutique indiscutable.

L’ASMR permet d’aider le Comité économique des produits de santé àdéterminer le prix de vente d’un médicament. Les médicaments à ASMR deniveau 1 ou 2 pourront bénéficier d’un prix élevé, permettant unereconnaissance de l’innovation thérapeutique. Les médicaments à prix plus basque leur concurrent sont forcément des médicaments sans ASMR, donc sans gainthérapeutique par rapport aux thérapeutiques précédemment disponibles. Lamise sur le marché d’un médicament à ASMR de niveau 5 n’apporte sûrementpas une utilité thérapeutique nouvelle. Ce nouveau médicament n’a donc quel’utilité de ses précurseurs dans la même indication.

‚ Prix de vente du médicament

Comme nous venons de le voir, pour les médicaments remboursés, le prix devente est une indication de l’ASMR : un prix inférieur à d’autres médicaments dela même classe pharmacologique signifie une absence d’ASMR, et donc uneutilité partagée avec les prédécesseurs. Mais à l’inverse, un prix élevé ne signifieen rien une utilité thérapeutique indiscutable. Ce prix élevé peut être lié à unebonne ASMR prédictive d’une certaine utilité mais peut être aussi lié à de simplesconsidérations de coût de fabrication ou de faible population cible.

Enfin, n’oublions pas que certains médicaments peuvent ne pas êtreremboursés sans pour autant avoir une utilité indiscutable. Lenon-remboursement peut être un choix marketing, mais aussi une exigence de lasécurité sociale. La chimioprophylaxie du paludisme, certaines vaccinations,certaines contraceptions d’urgence, sont des médicaments d’une utilitéindiscutable et ne sont pourtant pas remboursés. En résumé, le prix d’unmédicament est un mauvais indice d’utilité.

‚ Données post-commercialisation

En dehors des quelques rares révolutions thérapeutiques à rapportbénéfice/risque indiscutablement très positif et à très bonne ASMR, la réelle utilitéd’un médicament est mal connue lors de sa commercialisation. Ce n’est queplusieurs années après, et grâce à des études de pharmaco-épidémiologie et depharmacoéconomie, que l’on peut réellement apprécier « dans la vraie vie » lebénéfice thérapeutique observé, la réelle incidence des effets indésirables, lescontraintes du traitement (nécessité de surveillance, contrôle biologique, moded’utilisation…), les coûts induits directs et indirects. Des études de modélisation,des suivis thérapeutiques intégrant des données économiques, permettentd’apprécier la place du médicament non seulement en termes d’efficacitéclinique, mais aussi en termes d’amélioration de qualité de vie, de coûtéconomique, etc. Les traitements de la maladie d’Alzheimer sont d’autant plusutiles qu’ils retardent l’institutionnalisation des malades ; les antibiotiques sontd’autant plus utiles qu’ils n’entraînent pas l’apparition de souches résistantes ; untraitement symptomatique est d’autant plus utile qu’il diminue les arrêts de travailou certains recours aux soins. Ces données d’utilité arrivent donc plusieursannées après la commercialisation du médicament. Elles sont malheureusementsouvent dépendantes de l’industriel et ne sont pas soumises pour validation àune autorité indépendante. C’est donc l’analyse qui pourra en être faite dans lecas de conférences de consensus, de recommandations pour la pratique, deréférence médicale, qui pourra établir in fine l’utilité thérapeutique.

■Comment le prescripteur peut juger de l’utilité

d’un nouveau médicament ?

Comme nous l’avons vu précédemment, le prescripteur a à sa disposition uncertain nombre d’outils permettant d’approcher l’utilité thérapeutique : les essaiscontrôlés, l’AMM, la mesure du SMR et de l’ASMR, les études post-AMM.Cependant, toutes ces données ne sont pas toujours disponibles ou mises à sadisposition et un travail personnel est nécessaire pour tenter d’approcher l’utilitéd’un nouveau médicament, en sachant que cette approche est d’autant plusimparfaite que le médicament est très récent, donc avec peu d’expérienceclinique « de terrain ». Néanmoins, plusieurs méthodes sont utiles pour refaire sapropre approche de l’utilité d’un médicament que l’on souhaite prescrire.

‚ Lecture des essais contrôlés

Nous avons vu les critères de qualité d’un essai thérapeutique (Tableau 1). Lelecteur des résultats de ces essais peut cerner l’utilité du médicament si lapopulation incluse dans l’essai correspond à la population de sa pratiquemédicale, si le critère d’évaluation a une réelle signification clinique et si lebénéfice observé est grand. La notion de nombre de sujets à traiter (NST) permetd’approcher l’utilité d’un médicament. Elle définit le nombre de patients à traiteravec un nouveau médicament pour voir apparaître un événement escompté :une guérison, une amélioration symptomatique, ou pour éviter un événementmorbide. Un médicament est d’autant plus utile que son NST est faible [3].

‚ Évaluation du rapport bénéfice/risque

Grâce à la lecture des essais contrôlés, mais grâce aussi au libellé d’AMM et aurésumé des caractéristiques du produit disponibles sur le site de l’Agenceeuropéenne du Médicament [4], il est possible d’apprécier l’importance dubénéfice clinique, mais aussi l’importance des effets indésirables et du risquethérapeutique. Celui-ci doit être évalué non seulement quantitativement, maisaussi qualitativement en fonction de la gravité des effets indésirables. Certainsmédicaments très efficaces peuvent de par leurs effets indésirables devenirinutilisables, donc inutiles.

Les avis de la Commission de la transparence donnant le niveau de SMR etd’ASMR sont disponibles sur le site de l’AFSSAPS [5].

‚ Mesure de l’utilité individuelle ou collective

S’il est possible d’approcher un NST et un rapport bénéfice/risque individuel, cen’est pas pour autant que l’utilité du médicament pour la société est réellementdéfinie. On dit habituellement que ce n’est qu’après 5 ans d’usage que cette réelleutilité peut être cernée. Les nouveaux antibiotiques peuvent être générateurs derésistance particulièrement difficile à traiter. Les traitements des maladieschroniques ou les traitements préventifs mettent souvent de très nombreusesannées à démontrer leur utilité ou leur inutilité : il a fallu attendre la fin du XXe

siècle pour que l’étude UKPDS [6] démontre l’indiscutable utilité de l’équilibreglycémique pour prévenir les complications du diabète, que le traitement

Médicaments utiles et inutiles : notion de service médical rendu - 1-0155

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hormonal substitutif de la ménopause voit son utilité en termes de prévention del’ostéoporose contrecarrée par des effets indésirables risquant d’inverserl’évaluation du rapport bénéfice/risque. Il faut donc admettre que le degré d’utilitéd’un médicament peut changer au fur et à mesure de l’acquisition desconnaissances sur le produit. L’utilité est donc une variable qui dépend nonseulement de la connaissance des bénéfices et des risques, mais aussi del’actualisation permanente des données scientifiques et des modifications ou desexigences que veut s’imposer un individu ou une société.

■Relation utilité-efficacité

‚ Inefficace utile : notion de placebo

Le placebo est une substance pharmacologiquement inactive, dénuée detoute propriété thérapeutique spécifique mais qui peut entraîner uneamélioration d’un critère clinique subjectif ou objectif. Le placebo faitintrinsèquement partie de la relation médecin/malade lorsque le prescripteurperçoit une demande de médicament et que l’acte thérapeutique peut êtreamélioré par l’utilisation d’un outil médicamenteux. L’utilisation du placebo estlégitime lorsqu’il n’existe pas de médicament pharmacologiquement actif dans lapathologie considérée ou lorsque les médicaments actifs sont contre-indiqués ouont un rapport bénéfice/risque défavorable. Le placebo peut aussi être unedemande spécifique d’un malade ; la non-prise en compte de cette demandepourrait conduire à une dégradation de l’état clinique. Par définition, le placebon’a pas d’activité ni d’efficacité thérapeutique, il est cependant utile dans certainessituations, compte tenu du fait qu’il entraîne une amélioration symptomatiquepouvant être observée chez plus de 40 % des sujets dans certaines situations [7].On peut donc dire qu’il existe une réelle efficacité thérapeutique, séparée d’uneactivité pharmacologique. Ces traitements sont donc légitimes et utiles danscertaines situations thérapeutiques. Le placebo en tant que tel ne peut pas êtreremboursé par la sécurité sociale, qui conceptuellement ne prend en charge queles actions thérapeutiques ayant une activité pharmacologique démontrée.

Le placebo est donc l’exemple typique du traitement inactif, qui peut avoir uneutilité thérapeutique indiscutable en améliorant les symptômes du patient, enévitant le recours à des thérapeutiques plus dangereuses et plus coûteuses, enrenforçant la confiance du patient et la qualité de la relation médecin/malade, endiminuant le recours aux soins inutiles. Encore faut-il qu’ils soient donnés par leprescripteur uniquement dans les situations où il n’existe pas d’autres

médicaments plus actifs, et donc plus utiles, et à condition qu’ils n’entraînent pasde retard diagnostique pouvant conduire à des démarches thérapeutiques plusspécifiques.

‚ Médicament efficace mais inutileUne efficacité pharmacologique peut conduire à une mise sur le marché, à un

remboursement et à une appréciation favorable du rapport bénéfice/risque.Cependant, certains médicaments n’ont pas réellement d’utilité thérapeutique,bien qu’ils soient remboursés, soit parce qu’il s’agit de médicaments anciensévalués sur des critères dépassés, et donc dont l’utilité pressentie il y a quelquesannées ne s’est pas confirmée, soit parce que ce médicament, par son utilisation,risque de détourner le malade d’une prise en charge thérapeutique plus efficace(il a été dit que le médicament symptomatique de l’artériopathie oblitérante desmembres inférieurs détournait les malades d’objectifs thérapeutiques majeurs telsque l’arrêt du tabac, l’utilisation d’antiagrégants plaquettaires et les explorationsen vue d’une éventuelle revascularisation), soit que l’efficacité même indiscutablen’entraîne pas de réelle amélioration à long terme de l’état de santé. Il est doncpossible qu’une impression d’utilité ponctuelle liée à une efficacitépharmacologique ne signifie pas une utilité réelle pour le malade ou pour lasociété.

■Conclusion

Force est donc de constater qu’il n’existe pas un parallélisme absolu entrel’efficacité thérapeutique d’un médicament clairement mise en évidence par desessais contrôlés et des études prospectives et l’utilité réelle de ce médicamentpour le malade ou pour la société. Certains médicaments, et notamment leplacebo, peuvent s’avérer utiles sans avoir la moindre efficacité thérapeutique etcertains médicaments très efficaces ne sont finalement que très peu utiles.Cependant, il existe une évidente corrélation entre le niveau du SMR et l’utilité.Lorsqu’il y a le choix dans un large éventail thérapeutique, le prescripteur se doitde choisir le médicament ayant le meilleur niveau d’efficacité, le meilleur SMR etla meilleure ASMR. Ce sont ces produits-là qui ont très probablement le meilleurniveau d’utilité pour le malade. Néanmoins, il est indispensable que tout praticienactualise régulièrement ses connaissances [8] : les données nouvelles de la sciencepermettent d’approcher de plus en plus précisément le niveau d’efficacité d’unmédicament. Il est donc indispensable de poursuivre les études pratiques desthérapeutiques même anciennes, comme il est indispensable de publier, de lire etd’analyser les résultats de telles études.

Jean-François Bergmann (Médecin des Hôpitaux, professeur à l’Université Paris VII)Adresse e-mail: [email protected]

Clinique thérapeutique, service de médecine interne A, Hôpital Lariboisière, 2, rue Ambroise-Paré, 75475 Paris cedex 10, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : J.-F. Bergmann. Médicaments utiles et inutiles : notion de service médical rendu.Encycl Méd Chir (Elsevier SAS, Paris, tous droits réservés), Akos, 1-0155, 2003, 4 p

R é f é r e n c e s

[1] Caulin C, Bergmann JF. Principes des essais thérapeutiques. Godeau P ed.Traité de médecine Paris: Flammarion Médecine-Sciences,1996; 2799-2803

[2] Bergmann JF. La commission de la transparence : de l’évaluation à la rééva-luation.Presse Méd2001; 30: 941-946

[3] Cook RJ, Sackett DL. The number needed to treat: a clinically useful measureof treatment effect.Br Med J1995; 310: 452-454

[4] Site de l’Agence Européenne EMEA à Londres: www.emea.eu.int.

[5] Site de l’AFSSAPS: http://afssaps.sante.fr.

[6] UKPDS Intensive blood-glucose control with sulphonylureas or insulin com-pared with conventional treatment and risk of complications in patients with type2 diabetes (UKPDS 33).Lancet1998; 352: 837-853

[7] Lemoine P. Le mystère du placebo. Paris: Odile Jacob, 1996; 238p

[8] Greenhalgh T. Savoir lire un article médical pour décider. Meudon: RandEditeur, France, 2002; 182p

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Pharmacocinétique

et métabolisme des médicaments

B Diquet, C Soubrie

L a pharmacocinétique vise à suivre le devenir d’un produit ou d’un médicament chez l’homme. Ainsi, c’estsouvent à l’aide de données pharmacocinétiques que sur le plan pharmaceutique on fabriquera un comprimé

plutôt qu’une gélule ou un suppositoire. En pharmacologie expérimentale, l’analyse pharmacocinétique pourrasouvent contribuer à une meilleure compréhension des mécanismes, de la durée d’action, des interactions.Enfin, sur le plan clinique, la pharmacocinétique peut se définir comme un outil destiné à conduire une thérapeutiqueplus rationnelle et plus efficace. Elle n’est donc pas seulement l’étude de l’absorption, de la distribution, dumétabolisme et de l’excrétion des médicaments mais fait partie intégrante de la pharmacologie.© Elsevier, Paris.

■Introduction

En pratique, la pharmacocinétique pallie certainesméconnaissances de l’action d’un médicament.Lorsque l’expérimentation clinique ou les étudesaprès commercialisation sont développées pourapporter des renseignements suffisants sur lamanière d’utiliser en thérapeutique le médicamentconsidéré, la pharmacocinétique devrait devenirsuperflue dans la majorité des cas. Cependant, lesessais cliniques susceptibles de donner desrenseignements sur tous les types de patientsconcernés sont virtuellement impossibles à réaliser,et la pharmacocinétique, par le suivi thérapeutique,permet alors de rationaliser le traitement d’unpatient donné en adaptant à son cas les critèresgénéraux d’une population.

■Absorption, biodisponibilité,

bioéquivalence

‚ Médicaments génériques

Le postulat principal formulé à propos d’unmédicament générique est que le principe actif utiliséétant bien connu, une efficacité thérapeutiqueidentique peut être obtenue pour peu que les dosesemployées soient les mêmes que celles préconiséespour la spécialité copiée, dans des indicationsidentiques. Implicitement cette définition de bonsens (et pourtant erronée) assimile dose contenuedans la forme galénique et dose atteignantl’organisme, négligeant complètement les étapespharmacocinétiques qui précèdent l’accès duprincipe actif à son site d’action.

La première étape est la résorption dumédicament, à partir du site d’administration, le plussouvent par voie orale, vers la circulation systémiqueL’absorption digestive proprement dite, c’est-à-dire laquantité de principe actif atteignant la circulationsystémique, est difficile à mesurer puisque lacirculation porte est d’accès peu aisé. L’approche de

cette quantité disponible au niveau systémique sefait donc de manière indirecte et comparative pourle générique et la spécialité de référence.

La biodisponibilité se définit comme étant lafraction de la dose de médicament administré quiatteint la circulation générale et la vitesse à laquelleelle l’atteint.

La quantité de médicament qui atteint lacirculation générale (ou systémique) est bien sûrfonction de la quantité absorbée par l’épithéliumdigestif (et donc de la dose administrée) maiségalement d’autres processus d’éliminationprésystémique : dégradation dans la lumièreintestinale, métabolisme au niveau des entérocytes,captage hépatique important au premier passagefirst pass effect. En effet, lorsque le médicament a uneforte affinité pour l’hépatocyte et les enzymeshépatiques, une fraction de la dose absorbée estcaptée lors de la « première traversée », diminuant laquantité de médicament retrouvée dans lacirculation systémique (fig 1).

Remarques

Pour certains médicaments, le captage hépatiqueau premier passage est tellement important quel’administration par voie orale est impossible. Outrela voie parentérale, plusieurs voies peuvent« court-circuiter » partiellement le foie.

¶ Voie sublingualeAdministré par cette voie, le médicament atteint

les veines linguales et maxillaires internes puis laveine jugulaire externe et la veine cave supérieure.Ce mode d’administration est utilisé par exemplepour la trinitrine.

¶ Voie rectaleLes principes actifs administrés par voie rectale

sont soustraits à l’action des sucs digestifs et sontrapidement absorbés. Ainsi, le diazépam (Valiumt)administré par voie rectale chez le jeune enfantpossède une cinétique proche de la voieintraveineuse. Une fraction du médicamentabsorbée au niveau des veines hémorroïdalesinférieures et moyennes éviterait le foie. En fait biensouvent la circulation collatérale annule cet effetpositif.

¶ Voie transdermiqueElle nécessite une phase de résorption du principe

actif depuis le lieu de dépôt jusque vers la circulationsystémique. Les concentrations sanguines obtenuessont moins élevées que lors d’ inject ionintraveineuse, le pic de concentration est écrêté et lalibération prolongée.

‚ Facteur quantitatif de la biodisponibilité

Il ne peut être apprécié que par rapport à uneforme de référence.

Biodisponibilité absolue

La forme de référence est le médicamentadministré par voie intraveineuse puisque pardéfinition toute la dose atteint la circulation générale.

Biodisponibilité relative

La forme de référence est administrée par lamême voie que la forme à tester, mais il s’agit soitd’une autre forme galénique (solution aqueuse,suspension...) soit d’une autre formulation d’uneforme commercialisée depuis longtemps (cas desgénériques).

En général la quantification du facteur (F) debiodisponibilité s’effectue par comparaison dessurfaces sous la courbe des concentrations en

tube digestiflumière

dégradation

veine porte

vers lacirculationgénérale

veine sushépatique

métabolisme

métabolisme

féces

paroi

excrétion biliaire

foie

1 Système porte hépatique.

1

Ency

clop

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1-0120

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fonction du temps (SSC) après administration dechaque forme séparément. Celles-ci sont en effetproportionnelles à la quantité de médicamentprésent dans la circulation générale, et reflètentdirectement la « dose active thérapeutique ».

Pour la biodisponibilité absolue

Dans le cas des génériques la dose par unité deprise (comprimé, gélule...) est identique dans la formede référence et la forme à tester.

Pour les médicaments éliminés principalementsous forme inchangée dans les urines, le facteurquantitatif de la biodisponibilité peut se calculerd’après les excrétions urinaires. En effet, ne peut êtreéliminé que ce qui a été absorbé, c’est-à-direbiodisponible.

‚ Facteur vitesse

Il est apprécié par la constante de vitessed’absorption ka ou plus facilement par laconcentration maximale (Cmax) et le temps pouratteindre cette concentration (Tmax). Plus lemédicament est absorbé rapidement plus le pic deconcentration sera élevé et le Tmax court etinversement. Au même titre que la quantitéabsorbée, la vitesse d’absorption d’un médicamentest un paramètre significatif pour l’efficacité d’unprincipe actif ; par exemple, ce pourrait être le caspour l’antibiotique imaginaire dont les profils deconcentrations plasmatiques sont simulés sur lafigure 2. Seule la forme B permet d’atteindre desconcentrations efficaces et non toxiques, tandis quela forme C risque d’induire la production de mutantsdans les plus basses concentrations qui serontsélectionnés dans un deuxième temps lorsque lesconcentrations s’élèvent. La sélection de mutantsrésistants est un facteur très péjoratif dans lemaintien à long terme de l’efficacité thérapeutiquedes agents anti-infectieux. Ce problème de lasélection est l’enjeu majeur du traitement despatients atteints par le VIH et recevant en associationdes antiviraux de la classe des inhibiteurs de latranscriptase inverse analogues nucléosidiques(zidovudine, lamivudine, stavudine, zalcitabine,didanosine...) et des inhibiteurs de la protéase(indinavir, ritonavir, saquinavir,...). La montée desrésistances aux traitements chez ces patients estsusceptible de remettre en question l’améliorationsignificative et spectaculaire du pronostic et de ladurée de vie (fig 2).

On conçoit donc qu’un médicament génériqued’une spécialité antibiotique puisse être inefficacealors que la dose contenue par comprimé estcorrecte ; des exemples ont été rapportés dans lespays en voie de développement. Le paradoxe dans

ces situations est que l’économie réalisée sur l’achatde médicaments ne se traduit pas par un effetfavorable en terme de Santé Publique.

La vitesse de passage est un paramètreprépondérant pour les médicaments destinés à uneaction rapide (antalgique par exemple) en priseunique ou de courte durée. Pour les traitementschroniques, où une imprégnation constante estrecherchée, la notion de Tmax est moinsdéterminante, au profit de la vitesse d’élimination(t½). Plus celle-ci est lente, moins les concentrationsfluctueront.

Pour qu’un médicament générique soit considérébioéquivalent à la spécialité de référence, il faut queles valeurs exprimant la quantité et la vitesse (SSC,Cmax, Tmax) de passage du principe actif au niveausystémique ne diffèrent pas de plus de 20 %, ce quireprésente numériquement un écart important, maisdemeure pragmatiquement compatible avec lesvariations observées en médecine, en biologie etdans les processus industriels pharmaceutiques.

Remarque

Si une spécialité conduit en moyenne à des SSCplus faibles de 25 % cela exprime que la dosebiodisponible (celle qui est active et a servi de repèredans les essais cliniques pour démontrer l’intérêtthérapeutique de la molécule) est 25 % plus faibleque la référence. En résumé, la dose contenue dansle comprimé ou la gélule ne reflète pas la dosebiodisponible : un générique est bioéquivalentquand la dose biodisponible est identique à celle dela référence pour une dose pondérale identiquedans les deux formulations (tableau I).

L’effet thérapeutique attendu ne devrait donc pasdifférer entre la spécialité et le générique, puisque lesconcentrations au niveau du site d’action seront lesmêmes.

Il convient toutefois d’être très vigilant sur lescomparaisons successives de génériques entre eux.En effet, la bioéquivalence n’est pas « transitive », etpar calcul il est aisé de constater que dès la 3e

comparaison un générique C peut être très différentde la spécialité d’origine qu’il copie.

Une référence constante est donc toujoursnécessaire. À l’extrême il est possible d’aboutir à unedose biodisponible 50 % plus faible que celle de laspécialité copiée (fig 3).

La biodisponibilité absolue est déterminée lors del’étude d’un nouveau médicament. La détermination

de la biodisponibilité relative est utilisée pourcomparer des formes galéniques ; elle est obligatoirepour tout changement de formulation (changementd’excipient..) et avant commercialisation d’unmédicament « générique ». Un exemple classiquepermet de comprendre la nécessité de telles études.

La mauvaise biodisponibilité d’un principe actifpeut être due à sa forme galénique mais surtout àses caractéristiques physico-chimiques : une petitemodification structurale peut entraîner une grandeamélioration de biodisponibilité : par exemplel’amoxicilline (F = 95 %) ne diffère de l’ampicilline(F = 50 %) que par un groupement hydroxyle. Il estégalement possible d’améliorer la biodisponibilité decertains médicaments en « bloquant » le groupementchimique responsable de la mauvaise biodisponi-bilité. Ceci est à l’origine des « précurseurs »(prodrugs ) ; la bacampicilline est un ester,bactériologiquement inactif, de l’ampicilline ; cetester est hydrolysé dans la cellule pariétaleintestinale libérant l’ampicilline dans la circulationporte avec une biodisponibilité de 90 %.

De même, la sultamicilline est un double esterd’ampicilline et de sulbactam (inhibiteur desbêtalactamases). Sous cette forme, l’ampicilline et lesulbactam ont des biodisponibilités de 85 % alorsque celle de l’ampicilline est de 50 % et celle dusulbactam de 10 %.

Con

cent

ratio

ns p

lasm

atiq

ues

Cmax

A

B

C

Tmax

Seuil de toxicité

Seuil d'efficacité

temps

2 Concentrations plasmatiques obtenues après ad-ministration de 3 formes pharmaceutiques d’un mêmemédicament, chacune ayant des quantités de médica-ment biodisponible identiques (SSC identique) maisdes vitesses de passage différentes.

Il est donc fondamental de vérifier, pardes études bien conduites, que legénérique est bioéquivalent à laréférence.

Tableau I. – Bioéquivalence entre un médicament générique et une spécialité de réference.

Spécialité Générique

Principe actif identique identique

Forme galénique identique identique

Dose par unité de prise identique identique

Excipients éventuellement différents

F (SSC, Cmax, Tmax) moyenne± 20 % identique identique

Variabilité comparable comparable

Bioéquivalence et« Permutabilité »

Spécialité de référence nécessaire

A non différent de B (+ 20 %)

B non différent de C (+ 20 %)

Mais C différent de A

A

B

B

C

3 Bioéquivalence et permutabilité.

En 1972 en Angleterre, unemodification dans le procédé defabrication de la digoxine (Lanoxinet)entraîna un doublement de sabiodisponibilité ; les malades traitéspar cette nouvelle forme présentèrentdes signes d’intoxication.

1-0120 - Pharmacocinétique et métabolisme des médicaments

2

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La mise en forme pharmaceutique d’unmédicament est donc déterminante ; c’est ledomaine de la biopharmacie.

Autres remarques

■ Il ne faut pas assimiler obligatoirementmauvaise biodisponibilité et faible efficacité. En effet,si la mauvaise biodisponibilité provient d’un captagehépatique au 1er passage, il est possible que cecaptage aboutisse à la transformation dumédicament en métabolite pharmacologiquementactif. Dans ces conditions, malgré une faiblebiodisponibilité, le médicament administré par voieorale pourrait être aussi actif que par voieintraveineuse. C’est le cas du propranolol dont labiodisponibilité est de 30 % mais qui est métaboliséen 4-OH propranolol dont l’activité bêtabloquanteest comparable à celle du propranolol.

■ Pour les génériques de spécialités contenantun principe actif de cette nature, il sera nécessaired’évaluer la bioéquivalence sur le profil cinétique dela molécule-mère et du (des) métabolite(s)pertinent(s) en clinique.

■ À l’inverse, le vérapamil avec une biodisponi-bilité de 15 % est, à dose identique, sept à dix foismoins actif par voie orale que par voieintraveineuse : ses métabolites sont beaucoup moinsactifs que le produit inchangé.

■ Par définition, les précurseurs ont unebiodisponibilité nulle : le clorazépate dipotassique(Tranxènet) et le prazépam (Lysanxiat) ne sont pasretrouvés dans la circulation générale : ils sonttransformés au préalable en nordiazépamresponsable de l’activité. Des génériques demédicament de ce type devront bien évidemmentétablir la bioéquivalence sur la base des moléculesactives circulantes.

■ Une faible biodisponibilité ne serait pasgênante en soi si elle était constante. Mais plus labiodisponibilité d’un médicament est faible, plus lavariabilité inter et intra-individuelle est grande, etplus le risque d’inefficacité est grand pour les patientschez qui cette biodisponibilité est la plus faible.

■Du site d’application

à la distribution dans l’organisme

Une fois la circulation sanguine atteinte, lesmédicaments peuvent se lier aux protéinesplasmatiques, présentes en grande quantité, pourformer des complexes. La première protéineimpliquée est l ’albumine, suivie par lesbêtaglobulines et les glycoprotéines acides. Certainesmolécules spécifiques se lient à d’autres protéinesplasmatiques, comme la transcortine, la transferrineetc.

Après pénétration dans l’organisme, le principeactif se distribue donc dans le sang et par sonintermédiaire dans les tissus. Certaines molécules serépartissent très vite dans les éléments figurés dusang, affichant ainsi une forte fixation tissulaire touten étant circulantes. C’est le cas pour les moléculesant ipaludéennes comme la chloroquine(Nivaquinet). Généralement, la distribution se faitdans l’espace extracellulaire (volume plasmatique +volume interstitiel) et peut comprendre le volumecellulaire. Les molécules fortement fixées aux tissussont en quelque sorte « aspirées « du compartimentsanguin et les concentrations totales circulantes

décroissent fortement, sans entraîner demodification du pourcentage de fixation auxprotéines plasmatiques s’il n’y a pas dissociation. Àl’inverse, les molécules fortement liées aux protéinesplasmatiques se trouveront essentiellement dansl’espace vasculaire (les tests d’exploration pourmesurer les différents volumes liquidiens à l’aide decolorants liés aux protéines sont fondés sur cettepropriété). La proportion entre le volume du liquideinterstitiel et l’eau cellulaire varie selon l’âge et lamasse corporelle. Le pourcentage de liquideinterstitiel est plus important chez le nouveau-né oule prématuré (50 % de l’eau corporelle)) et plus faiblechez l’obèse ou le sujet âgé.

La relation entre la quantité présente dansl’organisme et la concentration plasmatiques’exprime par le volume de distribution (V).Connaissant la dose administrée (D) et laconcentration plasmatique (c) extrapolée à l’origineCo après injection intraveineuse, il est en effet simplede calculer ce volume de distribution :

V =dose

CoCette méthode est souvent fausse, à cause de

l’imprécision régnant sur l’estimation de cetteconcentration à l’origine, du fait des phénomènes dedistribution qui rendent hasardeuse touteextrapolation.

Il est de loin préférable d’utiliser la relation quiexiste entre la clairance et la constanted’élimination k.

V =Cl

k=

dose

aire sous la courbe × kLa valeur obtenue par ce calcul est en fait le

volume apparent de distribution qui serait atteint ensupposant une répartition homogène de la moléculedans un volume tel que la concentration demédicament serait partout identique à celle duplasma. Si une substance est fortement fixée auniveau tissulaire, la concentration plasmatique serafaible et le volume de distribution grand etréciproquement. Le volume de distribution n’estcependant pas une représentation anatomique de larépartition de la molécule, et des médicamentscomme les antidépresseurs imipraminiques peuventatteindre des valeurs supérieures à mille litres (aulieu des 70 litres de l’homme standard) reflétant lestrès faibles concentrations plasmatiques atteintesaprès des doses thérapeutiques.

Une des conséquences cliniques de cettecaractéristique pharmacocinétique est qu’en casd’intoxication par surdosage, il sera vaind’entreprendre une épuration extrarénale pardialyse pour toutes les molécules à grand volume dedistribution : le dialyseur n’ayant accès qu’à desquantités circulantes très faibles, l’efficacité globalesera insignifiante.

■Métabolisme et élimination

des médicaments

L’élimination des médicaments de l’organismerésulte de l’addition de plusieurs processus. Ellecomprend la capacité métabolique de différentsorganes, en premier lieu le foie et l’excrétion soustoutes ses formes, en particulier rénale.

Un paramètre synthétique est largement utilisépour exprimer l’élimination d’un médicament del’organisme : la demi-vie. La t1/2 correspond autemps nécessaire pour passer d’une concentrationplasmatique à sa moitié, quel que soit le niveau decette concentration. Le facteur de proportionnalité,entre la dose administrée et la concentrationplasmatique, étant le volume de distribution, uneautre manière d’exprimer la même notion est deconsidérer la t ½ comme le temps mis pour diminuerde moitié la quantité totale de molécule contenuedans l’organisme quelle que soit la dose.

La capacité globale de l’organisme à éliminerune molécule est la clairance, définie comme levolume de plasma totalement épuré par unité detemps ; elle est ainsi habituellement expriméecomme un débit en mL/min.

La clairance totale est égale à la somme desclairances de chaque organe susceptible d’intervenirdans l’élimination du médicament : clairance rénale,hépatique, intestinale, pulmonaire, etc.

Cette notion de l’additivité des clairances estdifficile à interpréter au niveau des poumons. Eneffet, physiologiquement, la totalité du flux sanguinsystolique traverse les poumons avant d’atteindre lapériphérie où le prélèvement est effectué : laconcentration mesurée reflète donc ce qui n’a pasété retenu par le tissu pulmonaire lors d’un premierpassage en son sein, et non ce qui a atteint lacirculation systémique.

La notion de clairance recouvre deux aspectscomplémentaires l’un de l’autre :

– la biotransformation du composé parent enmétabolites dans les différents organes (foie, intestin,peau, etc) ;

– l’excrétion du composé inchangé par les voiesclassiques (rein, voies biliaires, sueur, larmes, etc).

À titre d’exemple, il est possible de raisonner surun organe : le foie. La quantité de médicamentéliminé par cet organe dépend à la fois du nombrede molécules qui parviennent au foie et de« l’efficacité » du tissu hépatique à la métaboliser.Pour une concentration donnée, le nombre demolécules dépend du débit sanguin hépatique ;« l’efficacité » est, quant à elle, une caractéristiquepropre de l’organe pour le médicament concerné :c’est la clairance intrinsèque. La capacité de l’organeà métaboliser un médicament est généralementexprimée par la fraction du flux sanguin le traversant

Volumes de distribution (valeursmoyennes) (L/kg)

clofibrate : 0,08warfarine : 0,10céfuroxime : 0,25amoxicilline : 0,40cyclophosphamide : 0,50isoniazide : 0,60métronidazole : 0,80acébutolol : 1,20cimétidine : 2,00quinidine : 2,80bromocriptine : 3,50amitriptyline : 8,00digoxine : 10,00halopéridol : 25,00

Pharmacocinétique et métabolisme des médicaments - 1-0120

3

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pouvant être complètement épurée du médicamentpar unité de temps. Cette fraction est définie commele coefficient d’extraction E :

E =CSA - CSV

CSA(CSA : concentration sanguine artérielle ; CSV :

concentration sanguine veineuse)et classiquement l’on classe les médicaments en :– fortement extraits si E > 0,7 ;– moyennement extraits quand 0,3 < E < 0,7 ;– faiblement extraits quand E < 0,3.Lorsque la molécule est totalement extraite du

sang lors de son passage à travers l’organe, laclairance (Cl) du médicament est égale au débitsanguin à travers ce même organe :

E =Ca-0

Ca= 1

et Cl = Q x E où Q est le débit sanguin.La clairance sanguine totale (ou systémique) est

généralement calculée à partir des donnéessanguines du médicament obtenues après injectionintraveineuse (bolus) selon la formule :

Cl =dose

aire sous la courbeD’une façon simple, la clairance hépatique

indique le volume virtuel de sang perfusant le foiequi est totalement débarrassé du médicament parunité de temps. Le flux sanguin hépatique estnormalement de 1,5 L/min chez l’adulte de 70 kg. Sile médicament est essentiellement éliminé sousforme de métabolites par le foie et que soncoefficient d’extraction est de 0,50, la clairancehépatique de ce produit sera donc de 0,75 L/minpour ce sujet. Un coefficient d’extraction proche dezéro signifie que la quasi-totalité du médicamentpasse dans la circulation générale après avoirtraversé le foie.

Si l’on administre le médicament par voie orale, ilfaut dans le calcul de la clairance tenir compte de lafraction qui atteint réellement la circulation, ce quel’on exprime par :

Cl =F × dose orale

aire sous la courbe apres voie oraleoù F est la biodisponibilité.

Remarque

Si l’on ne pondère pas par la fraction F, celarevient à surestimer la clairance ; à l’extrême si lamolécule n’est que peu résorbée au niveau dutractus gastro-intestinal, les concentrationssanguines seront très faibles, la surface sous lacourbe tendra vers zéro et la clairance sera trèsélevée, donnant l’illusion d’une grande capacitéd’élimination d’une dose de médicament alors qu’enfait ce médicament n’a jamais atteint la circulation.

Il faut remarquer qu’il n’est nul besoin deconnaître la demi-vie ou le volume de distribution (cf.ci-après) pour calculer la clairance. Lorsque l’on parlede clairance totale, sans autre précision, il s’agit de laclairance plasmatique totale obtenue à partir del ’aire sous la courbe des concentrationsplasmatiques du médicament ; c’est en effet trèsgénéralement à partir du plasma que sont dosés lesproduits. Si par contre on se préoccupe de laclairance d’un organe qui est traversé par le sang etnon seulement par le plasma, c’est la clairancesanguine qui importe. La clairance sanguine peut

être obtenue à partir de la clairance plasmatique. Onpeut utiliser indifféremment la clairance plasmatiqueou la clairance d’extraction. En effet, la mesure d’uneconcentration de médicament dans le plasma netient pas compte de l’éventuelle fixation auxhématies. Si l’on désire donc calculer E, connaissantla clairance plasmatique du médicament, il fautmesurer la concentration sanguine et laconcentration plasmatique de l’échantillon ; larelation entre les deux est :

clairance plasmatique

clairance sanguine=

concentration sanguine

concentration plasmatiqueLe rapport concentration sanguine/concentration

plasmatique dépend à la fois de l’hématocrite, de lafixation aux protéines et de la fixation sur leshématies (tableau II).

‚ Influence des modifications du débitsanguin

Pour les substances fortement extraites,l’influence sur la clairance du débit sanguinhépatique est très grande. Les facteurs susceptiblesde modifier ce débit sanguin sont essentiellementd’ordre :

– physiologique : le décubitus augmente le débit.La prise de nourriture modifie également le débitsanguin ainsi d’ailleurs que la nature de la nourritureingérée. De même l’exercice physique augmente cedébit ;

– pathologique : insuffisance cardiaque, cirrhose,etc ;

– pharmacologique : le propranolol modifie ledébit sanguin hépatique (et différemment selon qu’ils’agit du d-propranolol ou du l-propranolol) ce quirend très complexe l’analyse de la pharmacociné-tique de ce bêtabloquant ; les anesthésiquesgénéraux diminuent le débit sanguin hépatique,l’isoprénaline augmente ce même débit sanguinhépatique, etc.

‚ Modifications métaboliquesCes modifications sont le reflet de l’activité des

hépatocytes, dépendant de facteurs aussi variés quel’âge (maturation chez le nouveau-né), la pathologie,ou les substances associées provoquant uneinduction enzymatique ou une inhibitionenzymatique.

Pour une clairance élevée, les molécules à petitvolume de distribution, donc à concentrationsplasmatiques élevées, seront éliminées avec unedemi-vie courte et réciproquement. La t ½ n’est ainsiqu’un résumé de deux paramètres physiologiquescaractéristiques de chaque molécule, la clairance etle volume de distribution.

Généralement la demi-vie est calculée à partir desconcentrations plasmatiques mesurées durant laphase d’élimination :

t1/2 =0,693

Keet Ke =

Log ~ C1/C2 !

t2 − t1

C1 est la concentration au temps 1 et C2 laconcentration au temps 2.

L’élimination de la molécule inchangée ne peut sefaire qu’à partir des organes d’élimination, encontact avec le sang ou le plasma. Comme parailleurs la quantité de médicament dans le sang oule plasma à tout moment dépend du volume dedistribution, la vitesse de disparition du médicamentdépendra à la fois de la clairance et du

volume de distribution : t1/2 =0,693 × V

Cl

Des situations cliniques existent où la t½ resteconstante alors que Cl et V ont varié de la mêmeproportion dans le même sens (c’est le cas chezl’insuffisant rénal pour certains médicaments).

Les études pharmacocinétiques chez les maladesqui n’utilisent que la demi-vie comme l’indicateur del’élimination se trouvent parfois faussées car ellesnégligent le fait qu’une pathologie donnée puissemodifier la clairance et/ou le volume de distribution :si l’on est dans le cas où V et Cl sont diminués tousles deux de la même proportion, la t½ calculée selonl’équation restera inchangée mais les concentrationsplasmatiques du médicament auront augmenté etce de façon potentiellement importante. Les risquesde toxicité croissent en même temps.

En pratique, la t½ est surtout utile pour établir lerythme posologique et estimer le temps mis pouratteindre le plateau d’équilibre. Lorsqu’unmédicament est administré en chronique, le profildes concentrations dépendra du rapport entre la t½

et l’intervalle entre les prises. Lorsque la doseadministrée est totalement éliminée avant la dosesuivante, le profil de concentrations sera unesuccession de pics identiques à une prise unique. Siau contraire, une prise médicamenteuse intervientalors que la dose précédente n’est pas éliminée,cette nouvelle dose vient s’ajouter au reste présentdans l’organisme : il y a accumulation jusqu’àl’obtention du plateau d’équilibre, en 4 à 5 t½, instantoù la quantité apportée par chaque prise compensela quantité éliminée entre deux prises (fig 4). Plusl’intervalle entre deux administrations est petit encomparaison de la t½, plus le reliquat auquel vients’ajouter la nouvelle dose est grand et plus lamolécule s’accumule dans l’organisme.

■Métabolisme

‚ Définition

L’analyse du métabolisme d’un principe actif estavant tout une approche descriptive des diversesvoies métaboliques et de leur importance relative,ainsi que des conséquences sur l’élimination dumédicament.

Le terme de métabolisme fait référence à latransformation, par une réaction enzymatique d’un

Tableau II. – Classification de différents médi-caments selon leur coefficient d’extractionhépatique (E).

faiblement moyennement Fortementextrait extrait extrait0 < E < 0,3 0,3< E < 0,7 0,7< E < 1

phénytoïne codéine désipraminediazépam nortriptyline morphinethéophylline quinidine propranolol

1-0120 - Pharmacocinétique et métabolisme des médicaments

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médicament en un ou plusieurs autres composésactifs ou inactifs au plan pharmacologique. Denombreux tissus peuvent réaliser cette transfor-mation (peau, poumon, rein, etc) mais pour laplupart d’entre eux, les médicaments sontmétabolisés au niveau hépatique, par les enzymesdes microsomes.

Schématiquement ces enzymes sont capablesd’oxyder, de réduire, d’hydrolyser ou de conjuguerdes molécules. L’oxydation, la réduction etl’hydrolyse sont des activités regroupées sous leterme de « métabolisme de phase I » qui conduit àdes dérivés dont les groupements fonctionnels sontle plus souvent des hydroxyles (- OH), des amines(- NH2) ou des carboxyles (- COOH).

Ces groupements fonctionnels sont susceptiblesd’être ensuite conjugués, c’est la réaction de phase II.

Les mécanismes de conjugaison chez l’hommefont généralement appel à l’acide glucuronique, auglycocolle, au sulfate ou à l’acétyl.

‚ Réactions de phase I

Réactions d’oxydation

Elles sont majoritairement localisées dans lesmicrosomes hépatiques. Elles consomment duNADPH (nicotinamide phosphate réduit), del’oxygène moléculaire et se fixent sur le cytochromeP 450. Les hormones stéroïdes par exemple sontoxydées selon ce mécanisme. Parmi les exceptions, ilfaut citer l’éthanol et la mercaptopurine qui sontoxydés par un système enzymatique nonmicrosomial.

Réactions de réduction

Elles sont beaucoup moins fréquentes et moinsbien explorées. La cortisone et la prednisone sontréduites en hydrocortisone et prednisolone, leursmétabolites actifs respectifs. Dans les réactions deréduction, citons encore le chloramphénicol qui voitson groupement nitré réduit en groupement aminé.

La réduction n’intervient pas exclusivement auniveau hépatique mais également dans l’intestin viala flore bactérienne.

Hydrolyse

C’est une voie métabolique banale, qui intervientdans le foie, dans différents tissus et même dans leplasma. Les enzymes de type des estérases sont le

plus souvent non spécifiques. La réactiond’hydrolyse par clivage d’un ester ou d’un amide est,chez l’homme, très rapide.

‚ Réactions de phase II

Glucuroconjugaison

La conjugaison avec l’acide glucuronique est laplus fréquente des conjugaisons. Elle est catalyséepar le système enzymatique de la glucuronyltrans-férase et concerne les molécules possédant ungroupement hydroxylé, carboxylé ou aminé. Lesglucoroconjugués sont très hydrosolubles ce quiexplique la facilité avec laquelle ils sont éliminésdans l’urine et la bile. Dans quelques cas, les esterssont instables et après hydrolyse dans l’urine ou leplasma redonnent la molécule mère.

Lorsqu’un médicament est métabolisé, il l’estrarement de façon unique et plusieurs voiesmétaboliques sont possibles. Tous les métabolites nesont d’ailleurs pas toujours identifiés (en particulier àcause des problèmes analytiques qui se posent pourles isoler, les caractériser et définir leur structure).A ins i la chlorpromazine , neurolept iquephénothiazinique, a sans doute plusieurs dizaines demétabolites différents dont certains sont inactifs etd’autres d’activité inconnue.

‚ Enantiomères

Un point précis du métabolisme mérite d’êtresouligné : les isomères. En effet, de nombreuxmédicaments possèdent dans leur structurechimique un carbone asymétrique, de sorte qu’ils nesont pas uniques mais existent sous formeracémique. Les énantiomères, qui au planphysico-chimique ne diffèrent que par leur pouvoirrotatoire, ont souvent des propriétés pharmacody-namiques très différentes, en terme d’activité. Bienplus, les voies métaboliques ne sont pas les mêmespour chaque énantiomère. L’exemple le plus ancienet le mieux étudié est celui de la warfarine, unanticoagulant antivitamine K. Chez l’homme (et nonchez l’animal) la S-warfarine est 5 fois plus puissanteque la R (+) warfarine, mais l’élimination de cettedernière est plus lente : la demi-vie de la R-warfarineest en moyenne de 37 heures contre 25 pour laS-warfarine. De plus la S-warfarine est d’abordoxydée tandis que la R (+) warfarine estmajoritairement réduite. Les conséquences cliniquesde ces différences se trouvent dans la grandevariabilité interindividuelle des réponses à une dosedonnée et dans les interactions médicamenteusesvariant avec les produits coadministrés (exemple : laphénylbutazone).

■Relation concentration-effet

‚ Définition

L’un des rôles importants attribué à lapharmacocinétique en pratique clinique estd’élaborer le mode et le rythme d’administration dumédicament qui produira la réponse pharmacolo-gique ou thérapeutique désirée tout en restant à unniveau minimal d’effets indésirables.

La méthode « essai-erreur » pour estimer la dose àadministrer en vue d’obtenir un effet donné peutêtre développée pour un individu mais n’est pasréellement applicable à une population. La raison

essentielle tient à la variabilité des réponses pour unmédicament. Cette variabilité peut être divisée endeux éléments :

– la variabilité qui reflète simplement lesdifférentes sensibilités en terme de récepteurspharmacodynamiques (cf ce chapitre) ;

– la variabilité pharmacocinétique qui traduit lefait qu’une même dose de médicament conduit àdes concentrations au niveau du site d’actiondifférentes entre les individus selon l’absorption, ladistribution, l’élimination et le métabolisme dechacun.

De nombreux faits expérimentaux, tant chezl’animal que chez l’homme, montrent que l’effet d’unmédicament est mieux corrélé à la concentrationplasmatique ou sanguine qu’à la dose totaleadministrée.

Par ailleurs, il est rarement possible de mesurerdirectement la concentration du médicament auniveau du site d’action, soit parce que ce site estinconnu (c’est le cas le plus fréquent), soit parce qu’ilest inaccessible (tissu cérébral par exemple). C’estpourquoi l’on s’intéresse en priorité à laconcentration plasmatique ou sanguine voireurinaire du médicament car ces milieux biologiquessont d’accès plus aisé. Ceci conduit à postulerl’existence d’une relation (quelle qu’elle soit) entre laconcentration au site d’action et celle mesurée dansle plasma ou le sang. Quand l’effet thérapeutiquerecherché est la modification d’un paramètrebiologique (exemple : la glycémie) il est souvent plussimple de suivre la cinétique de ce paramètre aprèsadministration du médicament que de suivre lestaux plasmatiques du médicament lui-même.

■Élimination hépatique

Le foie est l’organe principal du métabolisme desmédicaments ; il reçoit environ 1,5 litres de sang parminute (1,2 L par la veine porte et 0,3 L par l’artèrehépatique). Les hépatocytes contiennent un grandnombre d’enzymes impliquées dans la transfor-mation des médicaments, en particulier les réactionsd’oxydoréduction, les hydroxylations ou la ruptureoxydative des liaisons N-C et O-C. L’élémentfondamental de ce système enzymatique est lecytochrome P450 comprenant de nombreusesisoenzymes. L’identification des principalesisoenzymes impliquées dans l’élimination de lamajorité des médicaments a conduit à une meilleureconnaissance des mécanismes d’interaction denature métabolique. Certaines de ces voies sontsoumises à un polymorphisme génétique de sorteque les individus sont métaboliseurs rapides,intermédiaires ou lents vis-à-vis des molécules quiempruntent ces voies.

Par ailleurs, la disponibilité de moléculesmédicamenteuses dont les voies métabolique sontbien connues permet de phénotyper les individus(sujet sain ou malade) au cours d’un testd’exploration simple et non invasif. L’exemple dudextrométhorphane, antitussif opiacé d’actioncentrale, pour explorer la voie du CYP2D6 est unmodèle. Il suffit en effet d’absorber le médicamenttest (Capsylt, Nodext, Tuxiumt, etc), de recueillir lesurines pendant une durée déterminée de quelquesheures puis d’y quantifier la molécule inchangée et

D D D D D D D

Concentrationsplasmatiques

T 1/2Temps

4 Obstention de l’état d’équilibre lors d’une priserépétée touts les T1/2.

Pharmacocinétique et métabolisme des médicaments - 1-0120

5

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son métabolite. Selon la proportion de métaboliteproduit par rapport à la molécule-mère le sujetpourra être identifié sur son statut métabolique et lesposologies de médicament chois ies enconséquence.

Enfin, certaines molécules sont capables demodifier le statut métabolique d’un sujet : laquinidine, en inhibant la voie du CYP2D6 transformetous les sujets en métaboliseur lent. De même le jusde pamplemousse, vraisemblablement parl’intermédiaire de la naringénine substance qu’ilcontient, est capable d’inhiber significativement lesvoies du CYP3A. Réciproquement, des voies sontsusceptibles d’être induites par différentessubstances médicamenteuses ou non ; laconséquence de cette induction enzymatique seraune accélération de la dégradation de la moléculeinductrice mais aussi des autres moléculesempruntant la même voie. Cette induction sedéveloppe en quelques jours après le début dutraitement (quinze à dix jours) avant de se stabiliser,et raccourcit de manière importante la demi-vie desmédicaments (d’un facteur 2 à 3 voire davantage... !).À l’arrêt du traitement, le retour à l’état initial se faitprogressivement. La participation des différentesisoformes le plus souvent mises en jeu dans lemétabolisme des médicaments chez l’homme estrésumée dans le tableau III.

■Élimination rénale

La plupart des molécules sont éliminées dans lesurines, soit sous forme inchangée, soit sous forme deproduits de dégradation. Le plus souvent lesmédicaments ou leurs métabolites ont une massemoléculaire bien inférieure à 5000 et sont de ce faitfiltrés par le glomérule. Une sécrétion active estégalement observée pour quelques molécules, entreautres des cations ou anions qui sont sécrétés dansla lumière du tubule par des systèmes de transportspécifiques, consommant de l’énergie et à lacapacité saturable ; on peut donc observer desphénomènes de compétition. Selon le ph urinaire etleur structure chimique des molécules filtréespeuvent également être réabsorbées. Cette propriétéest utilisée dans certains surdosages pour accélérerl’élimination du médicament en bloquant laréabsorption.

■Conclusion

I l est utile de préciser qu’en terme depharmacocinétique les diverses pathologies ont desrépercussions qui ne se limitent pas à l’organe

atteint. Ainsi l’insuffisance cardiaque modifie le débitsanguin hépatique, lui-même impliqué dans lecoefficient d’extraction hépatique des médicaments.L’insuffisance cardiaque modifie également laclairance rénale, le flux sanguin rénal ou la filtrationglomérulaire. Elle a en outre des répercussions sur labiodisponibilité des médicaments : le flux sanguinmusculaire est diminué, entraînant une diminutionde la résorption après injection intramusculaire. Il estde plus très vraisemblable que chez l’hommel’insuffisance cardiaque s’accompagne d’unediminution du flux sanguin mésentérique etintestinal. Chez l’animal (chien par exemple), lavitesse de résorption de la digoxine estexpérimentalement modifiée lors des changementsde débit sanguin intestinal.

De même, dans le domaine de la pathologie desbrûlés, les patients subissent des altérationsimportantes de leur physiologie. Les conséquencescardiovasculaires hépatiques, rénales etdermatologiques sont étroitement intriquées, desorte que l’influence sur la pharmacocinétique d’unemolécule donnée demeure imprévisible en l’absenced’étude spécifique.

Les pathologies thyroïdiennes ont elles aussi desrépercussions variées au niveau général.L’insuffisance rénale a des conséquences cardiaqueset métaboliques : il y a modification de la fixationaux protéines plasmatiques, ce qui en retour modifiel’élimination. L’insuffisance hépatique, même si elleest beaucoup plus difficile à quantifier quel’insuffisance rénale, reste assurément une despathologies les plus importantes quant à larépercussion qu’elle peut avoir sur la pharmacociné-tique d’un médicament. La chirurgie et laréanimation postopératoires elles-mêmes peuventêtre une source de modifications importantes de lapharmacocinétique d’un médicament. C’est ainsiqu’il a été montré que des patients opérés du tubedigestif supérieur, traités en per et postopératoire parvoie parentérale avec du métronidazole enprévention des infections à germes anaérobies àGram négatif, « perdaient « jusqu’à 23 % de la dosejournalière par voie gastrique à travers la sonded’aspiration en continu.

Bertrand Diquet : Maître de conférences, praticien hospitalier.Claudine Soubrie : Maître de conférences, praticien hospitalier.

Service de pharmacologie clinique, hôpital Pitié-Salpétrière, 47-83, boulevard de l’Hôpital, 75651 Paris cedex 13, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : B Diquet et C Soubrie. Pharmacocinétique et métabolisme des médicaments.Encycl Méd Chir (Elsevier, Paris), Encyclopédie Pratique de Médecine, 1-0120, 1998, 6 p

R é f é r e n c e s

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[2] Leslie Benet Z, Massoud N, Gambertoglio JG. Pharmacokinetic basis for drugtreatment. New York : Raven Press, 1984

[3] Rowland M, Tozer TN. Clinical pharmacokinetics, concepts and applica-tions. Philadelphia : Lea and Febiger, 1990

[4] William E, Evans E, Schentag JJ, Jusko WJ. Applied pharmacokinetics prin-ciples of therapeutic drug monitoring. Applied Therapeutics, 1987

Tableau III. – Principales isoenzymes du cytochrome P450 humain impliquées dans le métabo-lisme des médicaments (liste de molécules non exhaustive).

CYP1A2 CYP2C9 CYP2D6 CYP3A3/4

Substrat théophylline phenytoine codéine cyclosporinecaféine diclofenac captopril tacrolimustacrine piroxicam imipramine ketoconazole

fluoxétine midazolamlovastatine

Inhibiteur cimétidine isoniazide quinidine macrolidesquinolones sulfaphenazole fluoxetine naringenine ?fluvoxamine ritonavir cimetidine azolés

Inducteur rifampicine rifampicine carbamazépineomeprazole phénytoinecigarette phénobarbital

1-0120 - Pharmacocinétique et métabolisme des médicaments

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Placebo, effet placebo

PLemoine, B Lachaux

L es placebos impurs représenteraient 35 à 45 % des prescriptions, alors que, malgré certains succès indéniables,aucun d’entre eux n’a vraiment démontré une activité spécifique. Le placebo ne saurait cependant être un

médicament de complaisance, ni constituer un alibi pour éviter la confrontation quand il n’existe pas de traitementspécifique. Cependant, à partir du moment où la conviction, la compassion, l’attention portée, le partage du savoir,la compétence et la bienveillance ne sont pas prétextes à mensonge ou à charlatanisme, l’effet placebo n’a aucunecontre-indication.© Elsevier, Paris.

■HistoriqueC’est en 1638 que la comtesse de Chinchon

introduisit en Europe le quinquina, première substanceayant une activité objective, précise et revendiquée etdonc, par définition, premier médicament véritable. Sil’on excepte le pavot (morphine) et l’écorce de saule(aspirine), il ne reste pratiquement rien desinterminables pharmacopées telles que le coded’Hammourabi ou le papyrus d’Ebert. D’un certainpoint de vue, Molière avait raison de se gausser deDiafoirus et de ses confrères, car, jusqu’à une époquetrès récente, toute la thérapeutique pharmacologiquese résumait à l’emploi de placebos plus oumoins purs.En revanche, toute autre est la question de l’effetplacebo, qui lui est le témoin de l’art médical. Ilreprésente tout ce qui sépare la pharmacologie de lathérapeutique et marque l’écart existant entre l’effetscientifiquement prévisible d’un médicament et l’effetobservé. L’effet placebo peut amplifier l’efficacité d’untraitement tout comme il peut la réduire.

‚ Origines du mot

Le terme « placebo » est extrait des vêpres desmorts : « Placebo Domino in regione vivorum », etsignifie littéralement « je plairai ». Il prendra ensuite lesens de flagorneur, courtisan, parasite. En 1785, leMotherby’s New Medical Dictionnary définit le placebocomme «méthode banale ou médecine ». Il semblequ’il faille prendre le mot « banal » au sens d’anodin.Plus tard, en 1945, volontairement ou par erreur,Pepper le définit comme « méthode banale demédecine », l’annexant définitivement à la médecine.En 1848, émerge l’idée des effets psychologiques duplacebo, puisqu’il est défini comme : « Épithète donnéà n’importe quelle médecine, administrée plus pouramuser l’esprit du patient que pour remplir unequelconque intention thérapeutique définie. » En 1894,le placebo est mentionné comme substance inerte. EnFrance, l’usage médical du mot n’apparaît qu’en 1876dans le Dictionnaire de la Langue française. LeBlakiston’s est le premier dictionnaire majeur àcantonner le placebo à sa place actuelle demédicament inactif. L’actuel Grand Larousse en cinqvolumes ne lui attribue qu’un sens très partiel :« Substance inoffensive et inactive administrée à la

place d’un médicament au cours d’une expérimenta-tion sur l’efficacité réelle d’un médicament, en vued’éliminer toute participation psychologique dumalade. »

‚ Historique méthodologique

Au XIXe siècle, Bernheim, expérimentant le sulfonalen simple aveugle contre placebo (essence parfumée àlamenthe), conclut sur cette phrase : « Non que tout estsuggestion, mais qu’il y a de la suggestion en tout », eten tire la conviction de la nécessité des expérimenta-tions avec groupe contrôle. Trousseau, aprèsBretonneau, est le premier à comparer, sous la mêmeprésentation, l’effet de substances inertes à celui duverum. Il constate que leur efficacité varie selon laconfiance que lui accordent malade et médecin.Hahnemann recommande l’usage du placebo(Saccharum lactis) en homéopathie afin de marquerdes pauses à l’insu du malade entre les périodes« actives ». À l’inverse, Seidlit utilise des contrôles parplacebo afin de réfuter l’action de la mêmehoméopathie. En 1945, Pepper publie Note on theplacebo, premier article à citer lemot placebo dans sontitre et consacré exclusivement au sujet. En 1950, leplacebo est dissocié de l’effet placebo. Enfin, leCongrès de psychopharmacologie de 1958 insiste surl’importance du contrôle des tranquillisants parplacebo.

■DéfinitionsLe placebo est une substance inerte donnée dans

un contexte thérapeutique. Le placebo pur, corps sansaction pharmacodynamique spécifique, s’oppose auverum n’ayant qu’une action pharmacodynamiquespécifique. Le placebo impur est un médicament dontl’activité spécifique n’est pas démontrée ou bien unesubstance thérapeutique dont l’indication estdétournée. Par exemple, la vitamine C est certai-nement efficace dans le scorbut, mais est surtoututilisée contre la grippe ou la fatigue, où son efficacitéest moins évidente. Les placebos impurs représententune fraction non négligeable du Vidal. L’effet placeboest l’écart entre l’action pharmacologique prévisible etl’action thérapeutique constatée. Si cet écart est

négatif, on parle d’effet nocebo. L’effet placebo estsouvent difficile à séparer de l’évolution naturelle de lamaladie.

■Pharmacologie

Les substances les plus souvent utilisées sont lelactose (voie orale) et le sérum physiologique (voieparentérale). Lors des expérimentations cliniques, leurprésentation doit être en tous points identique à celledu verum. Dans certains hôpitaux, les pharmaciescentrales disposent de placebos sous forme decomprimés aux couleurs et noms variés selonl’indication. En médecine praticienne, la prescriptiond’un placebo pur est difficile car il n’en existe pas endehors des préparationsmagistrales.L’efficacité générale du placebo se situerait autour

de 30%.Le placebo peut se montrer efficace chez l’animal

domestique, le sujet sain et le nourrisson.Ce sont bien évidemment les signes dits

« fonctionnels » qui sont les plus accessibles à l’effet duplacebo, notamment la douleur et l’insomnie ainsi queles maladies psychosomatiques. Cependant, les signesobjectifs peuvent également être placebo-sensibles :acidité gastrique, diamètre pupillaire, lipoprotéines,cholestérol, éosinophiles et lymphocytes, électrolytes,corticostéroïdes où l’on a rapporté des modificationscomparables à celles déclenchées par l’adenocortoco-trophic hormone (ACTH), la tension artérielle ou laglycémie (26%des patients diabétiques).

■Facteurs modifiant

l’effet placebo

Selon Rabelais, « Lamédecine est un combat ou unecomédie jouée à trois personnages : le médecin, lemalade et lamaladie. » Nous rajouterons un quatrièmeacteur : lemédicament.

‚ MédecinLa médecine occidentale a développé, au cours des

âges, un rituel nommé la consultation, laquelle obéit àun code précis.Le vocabulaire médical est particulièrement

important : le titre de docteur est attribué au médecin

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EncyclopédiePratiquedeMédecine

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©Elsevier,Paris

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par un malade promu patient. Le paiement devienthonoraires et le conseil, ordonnance. Les noms dessymptômes sont traduits en un langage initiatique : lesmaux de tête sont des céphalées, l’arrêt des règles estl’aménorrhée...Le costume rituel comprend une blouse blanche et

un collier, le stéthoscope. Au cours du cérémonial, lepatient doit adopter des attitudes de soumission(nudité, décubitus, confession).L’ordonnance, parchemin sacré non modifiable

sous peine de poursuites, est couverte d’une écriture leplus souvent indéchiffrable, sauf par le pharmacien.On peut supposer que l’ensemble de ce rite obéit à unenécessité précise, probablement la recherche d’uneamplification magique de l’efficacité de la substanceprescrite.Le temps de la consultation et le montant des

honoraires contribuent certainement à l’effet placebo,mais ils n’ont jamais été quantifiés avec précision. Lapersonnalité du médecin joue également un grandrôle (son charisme, sa capacité à communiquer, àrassurer, à compatir) : l’effet placebo a été évalué àtravers l’influence de la visite préopératoire del’anesthésiste. Deux groupes furent constitués : lepremier bénéficia d’une visite standard, et le secondd’une information détaillée sur la nature et les moyensde prévenir la douleur ; dans le second groupe, lademande de médicaments antalgiques fut deux foisplus faible, et la sortie se produisit deux jours plus tôt.Le même placebo, prescrit chez des ulcéreux, peut

produire une variation significativement différente del’acidité gastrique selon les prescripteurs : dans certainscas, l’augmentation atteint 12%, dans d’autres, ladiminution est de 18%.

Grâce à l’attention portée dans le cadre d’une unitéde recherche, une amélioration de plus de 80% a étéconstatée chez des schizophrènes.L’enthousiasme des chercheurs, un personnel

motivé, le sentiment de bénéficier de traitements depointe augmentent les performances des lieux derecherche, ce qui pose le problème de la validité desétudes, toujours réalisées en premier dans de telscentres. Comme en témoigne l’exemple du Dr Wolf,cité par Schwartz, la croyance dans l’efficacité dutraitement est très importante : « Un patient souffrait decrises d’asthme cédant lorsque le médecin luiprescrivait un médicament nouveau et ne cédant paslors de l’administration de placebo, jusqu’au jour où lemédecin apprit que, dans les deux cas, il administraitdes placebos. » L’assurance sereine manifestant laconvictionthérapeutiqueaugmente l’actionplacebo.Le cadre de la prescription est important : le même

antiacide a pu varier de 17 à 79% de réponsesfavorables d’un service à l’autre dans le même hôpital.Une ordonnance peut avoir des effets différents si elleest prescrite par un patron renommé, entouré de sacour, ou par un modeste praticien opérant dans lesecret de son cabinet.

‚ MédicamentLe nom du médicament joue également un rôle :

l’efficacité d’un traitement décroît du médicament actifavec nom, au médicament actif sans nom, puis auplacebo avec nom, et enfin au placebo sans nom. Lesnoms commerciaux obéissent à des règles incan-tatoires, invoquant la maladie pour la combattre(Catarstatt stabilise la cataracte) ou la guérison pour lafavoriser (Sérestat induit sérénité et stabilité). Lescouleurs des comprimés ont une symbolique plus oumoins précise : bleu clair pour les tranquillisants, rougeou jaune vif pour les stimulants, marron pour leslaxatifs (sic). La taille, la forme, le goût, le prix, lanouveauté jouent également un rôle.

‚ MaladePas plus qu’il n’existe de profil type de médecin

placebo-inducteur, il n’existe de patient placebo-répondeur ou résistant. Il n’existe que des situationsplacebo-inductrices. La capacité à répondre à unplacebo n’est pas fonction du Quotient Intellectuel nide la structure. Nous aurionsmême tendance à penserque la capacité à faire confiance à l’autre est plutôt legage d’un bon équilibre mental. La suggestibilité et leconformisme sont les traits les plus souvent retrouvésen cas de réponse positive.En réalité, c’est le niveau d’attente, d’espoir, et donc

de détresse et de stress, qui conditionnent le plus laréponse placebo. Le niveau de bénéfices secondairespeut également intervenir, notamment dans l’effetnocebo. Ce sont donc bien les facteurs situationnels etrelationnels (relation médecin-malade) qui sontprépondérants dans lemode de réaction au placebo.

‚ MaladieÀ part le coma profond, toutes les maladies ou

presque semblent pouvoir, peu ou prou, répondre àl’effet (du) placebo. Un médicament est d’autant plusactif que la maladie rétrocède spontanément ouévolue avec des périodes de rémission, surtout, bienentendu, si la prescription intervient lors des périodesde rémission spontanée. C’est souvent le cas pour lagrippe. Pratiquement toutes les maladies et tous lessymptômes étudiés en double insu peuvent réagir auplacebo, même le diabète, l’angine de poitrine et lecancer. Une efficacité plus grande est cependantremarquée dans le traitement des maladieschroniques.

■Usages du placebo

‚ Placebo

En période d’investigation, telle qu’un enregistre-ment de sommeil, le placebo peut être utilisé car il nerisque pas de perturber les examens. La réponse auplacebo peut également donner une indicationpronostique : sur 103 patients schizophrènes, 86,9%des placebo-résistants subiront un échec thérapeuti-que dans leur maintien hors de l’hôpital. En dehors detout contexte de recherche, la méthode dite du «N ofone » de Guyatt permet de donner au prescripteurl’assurance de l’utilité d’une prescription en alternant,en aveugle, des périodes placebo et des périodesverum. Pour éviter l’apparition d’une dépendance chezles patients nécessitant des traitements opiacésprolongés, on peut alterner médication active etplacebo. Lors des sevrages médicamenteux, tels quepar exemple les hypnotiques, nous demandons auxpatients de fabriquer leur propre placebo : nousprescrivons des gélules vides (préparation magistrale)que le patient remplit avec un produit inerte (farine,sucre...), au cours du premier mois, trois gélules surquatre contiennent lemédicament à sevrer (en plus duproduit inerte), alors que une sur quatre ne contientque le produit inerte. Le patient mélange l’ensembledes gélules et en prend tous les soirs une au hasard. Lemois suivant, une gélule sur deux contient le verum etainsi de suite jusqu’à sevrage complet. Parfois, sil’environnement le permet, c’est le conjoint (ou lepharmacien au moyen d’un pilulier) qui, tous les soirs,tire au sort le verum ou le placebo et le remet aupatient, lequel pronostique le lendemain matin lanature du produit reçu, en le notant également. En finde mois, devant le médecin, les deux conjointscomparent leur liste et constatent généralementl’absence de concordance complète entre les « bonnesnuits », supposées sous verum, et la nature dumédicament reçu, ce qui amène généralement uneprise de conscience suffisante pour terminer sansencombre le sevrage.Dans les établissements gériatriques, et même dans

tout service hospitalier, il est souvent intéressant derecommander à l’équipe de nuit, en cas d’insomnie, deprescrire un placebo pur ou impur (plantes, homéo-pathie, oligoéléments), plutôt qu’un hypnotique(risques de chute, amnésie, dépendance...), et de lesignaler à l’équipe de jour, qui sera en mesured’aborder le problème avec l’intéressé.Enfin, en matière de recherche, le contrôle, même

relatif, des variables non spécifiques est le seul moyend’isoler l’action spécifique d’un nouveau médicament.Dans le contexte du double aveugle, le placebo doitêtre utilisé dans les phases II et III des expérimentationsnécessaires à l’obtention de l’autorisation de mise surlemarché.

‚ Effet placebo

L’effet placebo étant une amplification de l’effetpharmacologique d’une substance active, il est évidentque toute prescription doit s’accompagner de sarecherche systématique.

■Mésusages du placebo

Le placebo a été proposé pour faire le diagnosticdifférentiel entre organique et fonctionnel (parexemple hémiplégie et hystérie). Cette conception

D’un point de vue pharmacologique, leseffets des placebos peuvent êtrecomparés aux produits de référence :✔ temps de latence raccourci et picd’activité précoce (dans les douleursdu postpartum, la réponse maximaleest obtenue en 1 heure avec le placebo,en 2 heures avec l’aspirine) ;✔ durée d’action raccourcie (l’effetplacebo antalgique est maximalpendant 2 semaines, puis disparaîtprogressivement ; parfois, cependant,l’action se poursuit pendant 1 année,voire plus) ;✔ relation dose-effet (en pathologieanxiodépressive, quatre compriméssont plus efficaces que deux) ;✔ effet cumulatif ; potentialisationréciproque avec les drogues actives ouavec la psychothérapie ;✔ effets secondaires rappelant les signesfonctionnels (asthénie, céphalées,nausées, vertiges, mais avec desvariations culturelles pouvant parfoisêtre plus sévères : érythèmemaculopapuleux diffus, hypotension,œdème angioneurotique) ;✔ possible apparition d’une dépendancecomparable à celle des opiacés, qui nes’en distinguerait que par l’intensité.

1-0110 - Placebo, effet placebo

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courante est erronée et dangereuse (retard audiagnostic, fausse certitude), car un signe organiquepeut être transitoirement amélioré par le placebo, alorsqu’un signe fonctionnel pourra ne pas être modifié. Leplacebo ne doit pas être prescrit sans examen clinique(somatique et psychique) sérieux, sans diagnosticprécis ou s’il existe un traitement spécifique. Unemauvaise relation médecin-malade est aussi unecontre-indication, car elle laisse libre cours au« sadisme »médical.Un placebo, surtout s’il est impur (fortifiants,

calmants), ne devrait pas être prescrit à la demande, aurisque de renforcer les symptômes : le placebo nesaurait être un médicament de complaisance. Ilfavorise la dépendance en perpétuant unconditionnement à la prise de médicaments. Leplacebo, souvent prescrit à la suite d’échecs, peutempoisonner la relation. Le mauvais malade, celui quine guérit pas, est forcément soupçonné de mauvaiseobservance ou d’hostilité (« Vous prenez plaisir à memettre en échec. »). De son côté, le mauvais médecinest soupçonné d’incompétence ou de négligence.L’usage inapproprié du placebo entraîne « l’étique-tage » de certains patients décrétés « fonctionnels »,induit de fait un manque de motivation à les soigner,voire des attitudes de mépris ou de dérision. Devant lamenace de consultation d’un autre confrère ou lerisque d’une automédication, c’est un moyen desatisfaire « à bon compte » certains patients. Desplacebos impurs (fortifiants) sont souvent prescrits auxétudiants à la veille d’un examen. Il est, si possible,préférable de révéler, après coup, la nature dutraitement, ce qui a, entre autres, pour avantage derévéler au sujet ses possibilités réelles. Le placebo nesaurait constituer un alibi pour éviter la confrontationquand il n’existe pas de traitement spécifique. Il estégalement contre-indiqué chez l’enfant, car il favoriseune dépendance vis-à-vis des « médicamentsbonbons », alors qu’en réalité, il ne traite que l’anxiétédes parents.

■Éthique du placebo

‚ Placebo purIl faut d’abord différencier l’acte avec intention de

tromper, de celui sans intention de tromper. De plus, leplacebo recherche est éthiquement très différent duplacebo thérapeutique et de celui à visée pronostique.

Un essai contre placebo ne posera pas de problèmeéthique si l’affection concernée n’a pas de traitementspécifique ou si la question est particulièrementimportante. Ainsi, l’essai du vaccin contre lapoliomyélite versus placebo paraît étonnant de nosjours, mais doit être replacé dans le contexte de 1955,lorsque son efficacité n’était pas évidente. Peut-êtren’était-il pas nécessaire de réaliser une étude à sigrande échelle ? À l’inverse, l’essai de contraceptifsversus placebo sur des femmes américaines d’originemexicaine afin de montrer la nature psychologiquedes effets secondaires est injustifiable (dix grossesses).

Au sens juridique, le placebo est un médicament.Sa prescription est donc licite (article 511 du Code de lasanté publique) et n’est pas contraire au code dedéontologie. Pourtant, dès 1953, son utilisation futjugée par certains comme le symbole d’une époqueoù il n’existait pas de remède efficace. D’un point devue technique, la tromperie (production d’informationserronées) éventuellement liée à leur emploi peut eneffet détruire la confiance, alors que l’efficacité duplacebo dépend justement de la confiance, em-barquant le médecin, et son patient, dans un cycleinfernal demensonges.

La communication repose en effet sur desmessages verbaux et non verbaux (métacommunica-tion). Mentir, pour des non-professionnels tels que lesacteurs, conduit à émettre des message involontaires(le nez de Pinocchio qui s’allonge) risquant de dégraderla relationmédecin-malade. D’un point de vuemoral, ilparaît difficile d’exiger vérité et confiance de la partd’un patient que l’on trompe sciemment et qui vientconsulter un praticien diplômé, et donc officiellementinvesti par la société.

Il paraît donc essentiel d’insister sur la forme dumessage : entre « Je vais vous prescrire un produitmiracle » (mensonge) et « Je vais vous prescrire ce qu’ily a demieux dans votre cas » (stricte vérité s’il n’y a pasde traitement réellement efficace), la différence estfondamentale.

‚ Placebos impurs

De types magnésium, phlébotoniques, hépatotro-pes, oligoéléments, acides aminés, médicaments de lamémoire, vitamines, fortifiants, sans parler des eauxthermales, de l’organothérapie et autre homéopathieà hautes dilutions, ils représenteraient 35 à 45% desprescriptions, alors que, malgré certains succèsindéniables, aucun d’entre eux n’a vraiment démontréune activité spécifique.

Est-il correct, pour un médecin sérieux, derecommander des remèdes qui ne le sont pastoujours ?

Le problème éthique de l’usage thérapeutique desplacebos impurs est donc aussi celui de la tromperieou du mensonge. Toute la question est de savoir si lemédecin croit ou non en ce qu’il prescrit : « Je sais bienque la prescription demagnésium dans la nervosité nerepose pas sur des bases scientifiques en dehors descas de carence documentée (diarrhée chronique), maisle patient en face de moi n’aurait-il pas tout de mêmeune petite carence ? » Le médecin s’illusionne enillusionnant son patient, mais ment-il ? À chacun saréponse.

Le placebo peut-il marcher sans tromperie ?L’avènement de la loi Huriet (consentement éclairé) amontré que oui, puisque le placebo reste efficace,même si le patient sait qu’il peut en recevoir. Au coursd’une étude ouverte contre placebo, 14 patientspsychiatriques ambulatoires présentant dessomatisations furent traités pendant 1 semaine avecdes placebos. Bien qu’informés, 13 furentobjectivement améliorés. Dans cette optique, leplacebo est à considérer et donc à présenter commeunmédicament actif, et l’on donnera au patient toutesles informations qu’il est capable de comprendre. Il estalors prescrit, soit de façon vague : « Ces pilulespeuvent vous aider », soit de façon descriptive : « Cemédicament inoffensif et bien toléré est très souventefficace dans votre maladie ». Le seul placebomoralement inattaquable est, en fait, la relationmédecin-malade, et les découvertes sur lesendorphines ne contredisent en rien ce facteurprimordial, car elles en laissent entrevoir un supportbiologique.À titre d’exemple, une procédure éthique de

prescription en « simple aveugle dans le temps » a étéimaginée pour une patiente sévèrement déprimée,mais chez qui la prescription d’antidépresseur (mêmeplacebo), quelle que soit sa classe, entraînait, au boutde quelques minutes, des effets secondaires graves(collapsus). Elle fut informée qu’elle allait recevoir desperfusions d’un antidépresseur, mais que celles-ciseraient précédées d’une période au cours de laquelleelle recevrait un placebo identique dans saprésentation. La seule inconnue concernait donc ladurée de la période placebo. Cette procédure, qui évitele mensonge inhérent à l’utilisation du placebo, aeffectivement permis de prévenir l’apparition d’effetssecondaires tout en évitant lemensonge.

Patrick Lemoine : Praticien hospitalier, chef de service,Unité clinique de psychiatrie biologique, CHS Le Vinatier, 95, boulevard Pinel, 69677 Lyon Bron, France, chercheur associé, centre de recherche Philippe-Pinel de

Montréal, 10905, boulevard Henri-Bourassa Est H1C 1H1Montréal, Canada.Bernard Lachaux : Praticien hospitalier, chef de service,

hôpital Saint-Jean de Dieu, 290, route de Vienne, 69373 Lyon cedex 08, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : P Lemoine et B Lachaux. Placebo, effet placebo.Encycl Méd Chir (Elsevier, Paris), Encyclopédie Pratique de Médecine, 1-0110, 1998, 3 p

R é f é r e n c e s

[1] Lachaux B. Le placebo, unmensonge qui cherche la vérité. Le placebo dans lecadre de la prescription médicamenteuse, étude théorique et pratique [thèse]. Uni-versité Claude Bernard de Lyon, 1987

[2] Lachaux B, Lemoine P. Placebo, un médicament qui cherche la vérité. Paris :Medsi/McGraw Hill, 1988 : 1-148

[3] Lemoine P. Le mystère du placebo. Paris : Odile Jacob, 1996 : 1-238

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Cancer de la langue

F Bado, F Guilbert

E n dépit des progrès réalisés au fil des années, les cancers de la langue, et globalement de la cavité buccale,conservent toute leur gravité au double plan vital, car trop souvent ils causent la mort dans un délai moyen de

12 à 18 mois, et fonctionnel, en raison de leur retentissement sur la mastication, la déglutition et la phonation.© Elsevier, Paris.

■Introduction

Les problèmes sociaux et psychologiques sont enoutre préoccupants.

Les progrès thérapeutiques ne concernent que leslésions, et non la maladie cancéreuse. Ilsn’influencent de ce fait qu’indirectement les résultatsd’ensemble. L’augmentation du nombre et de ladurée des survies n’est pas sensible, restant liéeétroitement au stade initial de la maladie. Desurcroît, le pronostic à long terme est assombri par lafréquence des métastases ganglionnaires et lasurvenue d’un second cancer. Les séquelles destraitements sont encore lourdes bien que la chirurgieréparatrice se propose de les atténuer.

Il est donc essentiel de souligner l’intérêt d’undiagnostic précoce qui appartient, pour une grandepart, au médecin généraliste et au chirurgiendentiste, mais aussi le caractère impératif d’untraitement codifié et mis en œuvre par une équipespécialisée pluridisciplinaire.

■Caractères généraux

Comme la plupart des cancers des voiesaérodigestives supérieures (VADS), ce cancer atteintavant tout l’homme de 60 ans, alcoolotabagique, laconjonction des deux toxiques multipliant le risque.

Le plus souvent, la lésion se développe sur unemuqueuse apparemment saine et revêt un aspectulcéreux, ulcérovégétant, voire végétant. Parfois elleprend un aspect particulier : infiltrant, fissuraire.Ailleurs, elle « émerge » au sein d’une lésionpréexistante dont il convient de discuter la nature« précancéreuse » (17 % des cas).

‚ Forme ulcéreuse

Elle est très fréquente. Quels que soient sadimension et son siège, l’ulcération tumoraleprésente un bord et un fond dont les caractères sontbien spéciaux. Le bord, plus ou moins irrégulier, estinduré, surélevé, parfois éversé. Son versant externeest recouvert d’une muqueuse saine, au moins enapparence, ou congestive. Le versant interne, à pic etcruenté, se prolonge avec le fond bourgeonnant del’ulcération. Selon une notion classique, la lésionsaigne au moindre contact. En fait, ce constat estexceptionnel en pratique quotidienne et il seraitgrave, en son absence, de modifier l’orientationdiagnostique qui repose encore sur les données dela palpation, temps primordial de l’examen clinique.

Cette ulcération repose sur une indurationprofonde, témoin du caractère infiltrant de latumeur. C’est un fait déterminant. Cette induration,dure ou ligneuse, plus ou moins étendue enprofondeur, déborde toujours plus ou moinslargement les limites visibles de l’ulcération. Elleentraîne un certain degré de fixité des tissus voisinset leur rétraction. Reconnue par le toucher buccal, ilfaut en apprécier les limites en fonction desconditions anatomiques locales. On peut dire que lepronostic, sur le plan local, est lié au degré del’infiltration sous-muqueuse. L’ordre de classementselon la classification internationale (TNM) et laconduite du traitement en dépendent, au moins enpartie.

‚ Forme végétanteElle est moins fréquente. Elle se présente sous

l’aspect de bourgeons, plus ou moins épais, en sailliesur la muqueuse saine. Parfois la lésion surplombe lamuqueuse vois ine, figurant un pédiculed’implantation plus ou moins large. Certains aspectstrès en relief correspondent à une forme« exophytique ». L’induration profonde reste

néanmoins plus étendue que la base d’implantationde la tumeur. Cette forme s’observe plutôt dans unelocalisation jugale.

‚ Forme ulcérovégétante

Elle associe les deux aspects précédents. Commetoujours, l’infiltration profonde est plus étendue quela lésion visible.

‚ Forme infiltrante ou ulcéro-infiltrante

Elle est définie par l’importance de la tumeurprofonde en regard des signes d’inspection. Elle estd’un très mauvais pronostic.

‚ Forme fissuraire

L’ulcération revêt ici l’aspect particulier d’unefissure en « crevasse » au sein de la tumeur. Parfois,l’ulcération est dite en « feuillet de livre » lorsqu’ellesiège cachée dans une zone de réflexion de lamuqueuse, tel le sillon pelvilingual.

‚ Nodule interstitiel

Il est très rare dans la langue, quoique classique.Perçu sous une muqueuse saine, sa dureté et lecaractère infiltrant donnent l’éveil. Ce nodule traduiten fait un carcinome glandulaire, et par suite localisédans une région riche en glandes salivairesaccessoires : voile, plancher buccal, lèvres et joues.

‚ Formes en surface

Très particulières, elles ont été isolées en 1949 parP Cernea et al. Elles sont remarquables par leurextension en surface, leur évolution lente et leurinsidiosité contrastant avec la fréquence desrécidives parfois rapidement évolutives.

Forme érosive superficielle

Souvent observée sur une plage érythroplasiqueou lichénienne, elle est caractérisée par l’extension,en surface, d’une lésion qui lèche la muqueuse sans

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l’infiltrer ni l’ulcérer en profondeur. Cette lésionunique, ou parfois multiple, est tantôt limitée dans lesillon pelvilingual, tantôt largement étendue sur lalangue. Les bords ne sont jamais franchement à platsur la muqueuse, mais presque toujours, fût-ce en unpoint, légèrement surélevés et fermes. Le fond del’érosion est pâle, grisâtre, finement granuleux oubourgeonnant et congestif, propre dans l’ensemble.

Forme « papillomateuse hyperkératosique »

Elle semble moins rare. Elle réalise une tumeurfaite de bourgeons plus ou moins kératinisés à leursommet. Elle s’apparente à ce que l’on décrit sous lenom de « papillomatose orale floride » ou« carcinome verruqueux » de grade I, considérécomme une « lésion précancéreuse ». Le grade IIprésente des anomalies de la couche basale, avecdes bourgeons et des aspects dysplasiques. Le gradeIII, synonyme de « cancer invasif », a l’aspect d’uncarcinome épidermoïde.

■Diagnostic

La découverte de la tumeur est souvent faite àun stade d’évolution tel qu’il peut être dit que lediagnostic de cancer est clinique. Dans le cas d’unelocalisation buccale, la tumeur est à l’évidenced’emblée accessible à l’examen par l’œil et par ledoigt.

‚ Tumeur ulcérée

C’est une tumeur dont un pôle est ulcéré. Aucuneautre lésion buccale ne se manifeste sous cet aspect.Dès lors, est-il bien nécessaire de se mettre à couvertpar une biopsie avant d’adresser le patient à uncentre spécialisé ? Il est plus important de soulager lepatient qui éprouve une douleur en prescrivant uncorticoïde, et par suite un antibiotique. Les conditionsde l’examen clinique ultérieur n’en seront, desurcroît, que facilitées.

‚ Petite lésion moins typique

Biopsie

La difficulté est tout autre en présence d’une petitelésion dont l’induration sous-jacente est discutable etdont l’allure est inflammatoire. La nécessité d’uneconclusion anatomopathologique est ici évidente.Néanmoins, une biopsie faite en toute premièreintention n’est pas sans inconvénient. Lorsque lepatient est ensuite adressé au spécialiste, celui-citrouve en bouche une zone cicatricielle dont il ne saità quoi elle correspond : nodule cicatriciel sansreliquat tumoral ou reliquat tumoral indiscernable ausein de la sclérose. Surtout, il n’a plus la possibilitéd’apprécier à sa juste valeur l’extension initiale de lalésion. De ce fait, il paraît difficile de considérer labiopsie comme un geste rigoureusement simple etsans inconvénient, et plus encore de défendre lefameux principe de l’exérèse-biopsie qui ne réalisejamais, c’est évident, une exérèse de typecarcinologique. En pareil cas, le traitement qualifié decomplémentaire ne peut être qu’aveugle ou deprincipe. Il s’avère souvent justifié, mais parfois non.

Examen cytologique

L’examen cytologique d’un frottis a en revanchetout son intérêt. Encore impose-t-il une technique deprélèvement et de laboratoire parfaite, permettantd’anticiper le diagnostic histologique quand il estpositif, ne dispensant pas de la biopsie s’il est négatif.

Quoiqu’il en soit, l’examen anatomopathologiqueest nécessaire au plan médicolégal, avant la mise enœuvre d’un traitement souvent lourd. Il établira lanature épidermoïde du carcinome, ce quicorrespond à 95 % des tumeurs malignes de lalangue, à côté des sarcomes et autres tumeursmalignes exceptionnelles.

‚ Autres diagnostics à évoquer

Ulcération traumatique

Elle est de loin l’ulcération la plus commune, sousl’aspect d’une lésion verticalement disposée sur lebord de la langue en regard d’une dent ou d’unélément prothétique agressif. La suppression de lacause par extraction dentaire, correction de laprothèse fixe ou dépose de l’appareil mobile doitentraîner la guérison de l’ulcération traumatique,sans autre traitement, dans un délai de 8 jours. Passéce délai, la suspicion d’un cancer doit être envisagée.

Aphte isolé

Surtout s’il mesure plus de 10 mm et qu’il neguérit pas en quelques jours spontanément ou qu’ila un aspect creusant, nécrotique, l’aphte isolé estune manifestation buccale souvent rencontrée chezles malades atteints de sida. La guérison est acquiseen quelques jours avec le thalidomide.

Intrication cancer-candidose

Elle peut également être trompeuse. Lasurvivance des lésions, après traitement de lacandidose, est éminemment suspecte.

Lésions précancéreuses

À côté des ulcérations tuberculeuses ousyphilitiques, qu’il convient de ne pas trop oubliersous prétexte qu’elles sont exceptionnelles, leslésions précancéreuses posent un réel problème. Ilfaut beaucoup d’expérience pour dépister, en unezone d’une lésion leucoplasique ou d’un lichen plan,une modification d’aspect. Une ulcération de surface,une exagération de la kératose imposent uncontrôle cytologique et anatomopathologique.

Nodule intralingual

Très particulier, un nodule intralingual douloureuxcorrespond souvent à un abcès centrolingual causépar une piqûre accidentelle (arête de poisson). S’il estindolore, il peut s’agir d’un exceptionnelschwannome bénin.

■Formes topographiques

L’extension tumorale s’opère en fonction de troisfacteurs : caractère des tissus sous-jacents, trajet deslymphatiques, rapports de voisinage. Par suite, des

subdivisions régionales se justifient par desconditions anatomocliniques, évolutives etpronostiques particulières.

‚ Cancer de la portion mobile

Il regroupe 75 % des cancers de la langue (quireprésentent 25 % des cancers de la cavité buccaleet environ 5 % de toutes les tumeurs malignes chezl’homme). La latence explique qu’à l’occasion d’unexamen systématique, guidé ou non par l’existencede troubles frustres (gêne, brûlure au contactd’aliments acides ou épicés) ou d’une adénopathiecervicale, on découvre une lésion dont la tailledépasse 15 mm de diamètre.

Chaque région de la langue doit être exploréeavec méthode. La face dorsale est accessible envision directe, en faisant tirer la langue, et en notantbien une éventuelle limitation de la protraction, avecou sans déviation du côté atteint. Le bord de lalangue est déployé en maintenant celle-ci par unecompresse entre deux doigts, en la tirant du côtéopposé tout en écartant la commissure labiale. Laface inférieure est exposée en refoulant la languevers la voûte palatine et en la dégageant de lamandibule par un abaisse-langue qui, ramenéd’arrière en avant, déplisse et étale les reliefs. Enfin,la palpation avec la pulpe de l’index recherche lesigne fondamental de l’extension au sein desmuscles, vis-à-vis du septum médian et en épaisseurpar le palper bidigital.

‚ Tumeurs marginales

Leur fréquence, 50 % des cas, explique qu’ellessoient prises comme type habituel de description,siégeant au tiers moyen du bord. Petites et peuinfiltrantes ou débordant sur la face ventrale de lalangue, elles peuvent, dans une forme évoluée,atteindre le sillon pelvilingual, le plancher buccal et leplan médian de la langue.

Au niveau du tiers postérieur du bord, l’infiltrationgagne aisément le plancher buccal postérieur, lepil ier antérieur de l’amygdale, la régionamygdalienne. Un trismus gêne parfois l’examen. Àl’aplomb du V lingual existent souvent des petitsreplis verticaux ou « papilles foliées » dont ladécouverte inquiète quelques patients. Hormis leurbilatéralité, une induration ou une minime ulcérationest suspecte.

Un cancer marginal antérieur est moins fréquent.La tumeur déborde sur les deux faces de la langue,mais surtout sur l’inférieure.

‚ Tumeurs de la face ventrale

Elles dépassent volontiers le sillon pelvilingualpour s’étendre au plancher.

‚ Tumeurs de la face dorsale

Elles sont très rares, de siège plutôt postérieur,parfois infiltrantes pures jusqu’à réaliser un aspectscléroatrophique particulier à cette localisation.

‚ Cancer du sillon pelvilingual

Sillon étendu du frein de la langue au replipalatoglosse transversalement tendu entre la basedu pilier antérieur de l’amygdale et le bord de la

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langue, il est fréquent et souvent infiltrant, à peu prèségalement réparti entre le plancher buccal et lalangue. L’ulcération est de type fissuraire ou en« feuillet de livre ».

■Examen cervical

Quels que soient l’aspect et le siège de la tumeurbuccale, l’exploration du cou doit être conduite, sansaucun a priori, groupe ganglionnaire après groupeganglionnaire, et de façon bilatérale. Si lesstatistiques confirment la donnée classique d’unedissémination lymphatique homolatérale à la lésion,la fréquence des adénopathies controlatérales estune notion suffisante pour ne jamais déroger à ceprincipe d’examen.

Il en est de même des localisations antérieures ettoutes postérieures, plus sujettes à produire d’embléeune dissémination bilatérale.

Une ou plusieurs adénopathies sont présentesdès le premier examen dans environ 40 % des cas,ce qui n’implique pas qu’elles correspondent à unemétastase (60 % N+ contre 40 % N-) et non plus quel’absence de ganglions palpables signifie qu’il n’y apas d’envahissement microscopique (celui-ci estestimé à 25 % des patients sans adénopathie,classés N0). Enfin, une adénopathie dure, mobile etindolore est éminemment suspecte.

■Traitement

L’exérèse de la tumeur linguale et des adénopa-thies cervicales constitue toujours à l’heure actuellele traitement le moins mauvais. Toutefois, leprotocole thérapeutique mis en œuvre pour chaquepatient découle, en milieu spécialisé, de la décisiond’une équipe pluridisciplinaire, alliant chirurgien,radiothérapeute et chimiothérapeute, surtoutlorsque la tumeur est étendue. De façon succincte,cette décision s’appuie sur une triple évaluation :locale, régionale (adénopathie, secondelocalisation ?) et générale.

La tumeur linguale est traitée par glossectomieplus ou moins élargie. Les séquelles engendrées parles grandes exérèses sont tempérées par la pratiquede lambeaux myocutanés.

L’endocuriethérapie (iridium 192) conserve sesadeptes.

L’évidement cervical est souvent nécessaire. Sonindication et son type anatomique relèvent d’une

décision qui doit s’appuyer sur le siège, le volume dela tumeur linguale et bien sûr le siège desadénopathies cliniques. Fréquemment de typesuprahyoïdien bilatéral, il est ailleurs jugulocarotidienradical et complet, ou fonctionnel lorsque laconservation de la veine jugulaire, du musclesternomastoïdien et du nerf spinal est justifiée.

Le traitement par agents physiques peututilement compléter l’acte chirurgical, toutparticulièrement lorsque les données anatomopa-thologiques révèlent un envahissementganglionnaire massif et plus encore une rupturecapsulaire.

La chimiothérapie a été, tout au long de cesannées, diversement prescrite au gré de protocolesfaisant appel à des drogues variées. Les espoirs quel’on a pu placer dans son indication première, quientraîne des régressions parfois très importantes, cequi facilite l’indispensable exérèse complémentaire,ont amené à bien des déceptions.

Elle est encore indiquée après chirurgie, associéeou non à la radiothérapie, tout en sachant que sonintérêt est discuté, dans la prévention ou letraitement d’une dissémination à distance.

Concernant les tumeurs très étendues pourlesquelles n’existe pas de solution chirurgicaleraisonnable, la radiothérapie ou la chimiothérapie, etmieux, leur association, constituent les seulesressources thérapeutiques, associées au traitementsymptomatique des troubles engendrés par lamaladie.

En définitive, en dehors de quelques situationsbien définies comme celle d’une tumeur T1-N0 pourlaquelle une exérèse de la tumeur est, en règlegénérale, associée à un statu quo cervical, le choixdu traitement, bien que s’appuyant sur des schémasthéoriques très utiles, doit être nuancé en fonction del’âge, de l’état général du patient et aussi del’expérience de chaque équipe.

Quoi qu’il en soit, la surveillance des maladestraités s’impose tous les 2 à 4 mois les deuxpremières années, puis de façon semestrielle durantenviron 5 ans. Au cours de cette période, en dehorsdes complications du traitement, d’une récidive de latumeur ou de l’adénopathie, le malade est, dans12 % des cas, susceptible de présenter undeuxième cancer, le plus souvent sur les VADS,sinon à distance.

De façon globale, la survie à 5 ans est de 60 %pour les petites tumeurs T1 inférieures à 2 cm, nedépassant pas 20 % pour les tumeurs T3 de plus de4 cm. Mais la présence d’adénopathies cervicalesdiminue de moitié les chances de survie (de 40 à20 %) si les ganglions sont envahis.

■Cancer de la base de la langue

La tumeur est située en arrière du V lingual et desreplis palatoglosses, infiltrant la pente pharyngée.Les signes d’alarme sont tardifs, peu évocateurs :otalgie intermittente, dysphagie fébrile ou non,quintes de toux, fausses-routes, hémorragie. Ainsi,une adénopathie cervicale est-elle souventl’occasion d’un examen systématique des VADS, aucours duquel la lésion est découverte.

L’infiltration révélée par le toucher est un signeimportant , mais l ’examen au miroir estindispensable, permettant de voir la lésion qu’il fautdistinguer d’un amas lymphoïde mamelonné. Sonsiège est médian ou latéral, débordant ou non sur lessillons voisins, entraînant ou non une limitation de laprotraction de la langue. Un examen tomodensito-métrique est ici bien utile.

Les adénopathies sont souvent bilatérales ethautes. Elles constituent un des facteurs de gravité, àcôté des difficultés pratiques du traitement. De ce fait,le pronostic est très réservé, la survie ne dépassantpas 10 % à 5 ans.

Le traitement peut faire appel à la radiothérapieexterne sur la tumeur et les aires ganglionnaires,associée ou non à la chimiothérapie. Unebuccopharyngectomie transmaxillaire, qui imposeune reconstruction par lambeau myocutané, esthabituellement réservée au sujet jeune, en bon étatgénéral, et pour une tumeur d’extension limitée.

■Conclusion

Il revient au médecin généraliste et au chirurgiendentiste de dépister le cancer lingual devant toutelésion ulcéreuse implantée sur une zone d’indurationprofonde décelable au doigt.

La prise en charge du patient, en coordinationavec une équipe spécialisée vers laquelle il est saged’orienter le malade, s’impose ensuite au plan dusoutien psychologique dont le patient a besoin, dusuivi du traitement, des séquelles, parfoisinvalidantes, et de la surveillance clinique prolongéeindispensable.

Enfin, la prévention doit s’appuyer sur lasuppression des facteurs de risque habituels descancers des VADS que sont l’alcool et le tabac, et surla prise en charge spécialisée des lésionsprécancéreuses dominées par les lésions blanchesde la langue.

Fabrice Bado : Chef de clinique-assistant des hôpitaux de Paris.Francis Guilbert : Professeur des Universités, praticien hospitalier.

Clinique de stomatologie et de chirurgie maxillofaciale, groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière, 47-83, boulevard de l’Hôpital, 75651 Paris cedex13, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : F Bado et F Guilbert. Cancer de la langue.Encycl Méd Chir (Elsevier, Paris), AKOS Encyclopédie Pratique de Médecine, 7-1115, 1998, 3 p

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Foyers infectieux dentaires

et complications

M Donazzan

T rop souvent, le médecin généraliste, lors de l’examen d’une cavité buccale, s’intéresse modérément à larégion dorsale de la langue et néglige totalement l’examen de la denture, ce qui lui permettrait pourtant de

déceler certains foyers infectieux qui, maltraités ou non traités, peuvent être à l’origine de complications graves.Nous envisagerons successivement les foyers dentaires, soit muqueux, soit dentaires proprement dits (radiculaires ouligamentaires), et leurs complications, soit locorégionales, soit à distance, dans le cadre de l’infection focale.© Elsevier, Paris.

■Foyers infectieux dentaires

‚ Foyers muqueuxIls sont représentés essentiellement par la

péricoronarite de dent de sagesse inférieure, celle-ciétant gênée dans son évolution par un manque deplace entre la deuxième molaire et le bord antérieurde la branche montante. Le sac péricoronaire quientoure normalement la couronne s’ulcère ets’infecte car la dent ne peut évoluer : c’est laclassique péricoronarite congestive qui,rapidement, peut devenir suppurée et être à l’originede complications fréquentes, diverses et parfoisredoutables si elles sont maltraitées.

Cliniquement, la péricoronarite se manifeste pardes douleurs et un trismus. L’examen, gêné par letrismus, met en évidence une congestionrétromolaire et parfois une suppuration. Le clichépanoramique confirme le diagnostic : la dent n’a pasla place pour évoluer.

Le traitement comprend antibiothérapie puisavulsion de la dent. L’antibiothérapie consiste enl’administration orale de spiramycine associée aumétronidazole (Rodogylt). Lorsque l’infection estréduite et le trismus levé, il faut confier le patient auspécialiste pour l’avulsion chirurgicale de la dent.

Le traitement préventif consiste en l’avulsion desdents de sagesse (germectomies) lorsque lesexamens radiographiques confirment un manquede place évident.

‚ Foyers dentairesL’infection peut apparaître et se propager par voie

radiculaire ou ligamentaire.

Voie radiculaireElle résulte de la nécrose, puis de la gangrène des

éléments de la pulpe dentaire.

¶ CausesLa carie entraîne l’ouverture de la chambre

pulpaire et son infection immédiate (pulpite aiguë,congestive, suppurée ou gangreneuse).

La mortification pulpaire peut résulter :

– d’un fait accidentel : fractures et fissuresdentaires ;

– de polymicrotraumatismes : au cours de lamastication, une dent subit des pressions répétées enraison de malpositions dentaires ou d’une édentationpartielle. Il en résulte un engorgement apical quientraîne un arrêt de la vascularisation (nécrose) ;

– d’une origine iatrogène : soit thermique(échauffement de la pulpe lors d’un fraisage dentairemal refroidi), soit chimique (protection pulpaireinsuffisante avant emploi de produits agressifs telsque les résines...).

Cette mortification, ou nécrose pulpaireaseptique, se constate cliniquement par un aspectgrisâtre de la couronne (inconstant), mais surtout parl’absence de réaction à l’application de froid sur lacouronne. Inexorablement, cette mortification finittoujours par s’infecter.

¶ ÉvolutionQuelle qu’en soit l’origine, cette infection va

entraîner la destruction complète de la trameorganique pulpaire, jusqu’à se faire jour au niveaude la région de l’apex radiculaire pour y engendrerune desmodontite apicale aiguë ou chronique,éventuellement un kyste apical. C’est dire l’absoluenécessité, devant toute nécrose ou infectionpulpaire, de confier le patient au praticien dentairepour extirper l’ensemble de la pulpe, désinfecter etobturer la chambre coronaire et le canal radiculaire.

Rappelons qu’aucun traitement antibiotique nepeut atteindre un foyer infectieux pulpaire,puisqu’il y a nécrose et rapidement gangrène.

Desmodontite apicale aiguë

Elle se manifeste cliniquement par des douleurspulsatiles au cours de la mastication (impression dedent longue). Douloureuse au moindre contact etlégèrement mobile, la dent est mortifiée. Le clichérétroalvéolaire montre un flou apical. Le traitementconsiste en une antibiothérapie type Rodogylt,suivie de l’avulsion de la dent ou de sa conservation,après traitement canalaire, si la dent est utilisable (àl’appréciation du praticien dentaire).

Desmodontite apicale chronique (ou granulome)

Elle peut succéder à une période aiguë ou, plussouvent, se développer à bas bruit. Toujours témoind’une infection canalaire, sa découverte est souventfortuite, à la suite d’un examen radiographique. Lecliché panoramique, ou mieux, rétroalvéolaire (fig 1),met en évidence une zone lytique arrondie, centréesur l’apex radiculaire, de 1 à 5 mm de diamètre.

Quiescent, ce granulome peut être à l’origine demanifestations focales et peut à tout moment se« réchauffer » et entraîner des complicationslocorégionales. Il est donc impératif de s’endébarrasser par un traitement comprenantextirpation de la pulpe, désinfection soigneuse etobturation canalaire complète, lorsque l’état de ladent permet sa conservation. Dans le cas contraire, ilfaut pratiquer l’éradication du granulome parcuretage alvéolaire après avulsion de la dent ; ilarrive parfois de l’extirper au moment de l’avulsion(fig 2A).

Kyste apical

Il peut succéder à un granulome par dégénéres-cence épithéliale. Quiescent, sa découverte estsouvent fortuite, par un examen radiographiquerévélant une image claire, arrondie, bien limitée, de

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0,5 à 1 cm de diamètre ou plus (fig 2B). Infecté, lessignes sont ceux d’une desmodontite aiguë, et laradiographie révèle des limites floues. Le traitementest soit conservateur (obturation canalaire) si laqualité de la dent le permet, soit radical (avulsion),toujours complété par l’ablation de la pochekystique.

En définitive, granulome et kyste apicaux, mêmes’ils apparaissent quiescents, demeurent des foyersinfectieux potentiels, à virulence atténuée, toujourssusceptibles d’être à l’origine des complicationsenvisagées ultérieurement. Ils doivent êtreéradiqués.

Voie ligamentaire

Elle correspond à l’infection des tissus de soutiende la dent (périodonte). Cette atteinte peut êtrelocalisée à une dent (desmodontite cervicale) ougénéralisée à l’ensemble de la denture (parodontiteou pyorrhée alvéolodentaire).

¶ Desmodontite cervicaleElle résulte de l’infection gingivoligamentaire par

le tartre ou l’inoculation septique du desmodontepar piqûre, tassements alimentaires... Cliniquement,elle se manifeste par une congestion gingivaleassociée ou non à des abcès gingivaux péridentaires(parulies). Le cliché rétroalvéolaire révèle l’existenced’une lyse osseuse alvéolaire à point de départcervical . Le trai tement est ét iologique :antibiothérapie et détartrage.

¶ Parodontite (pyorrhée alvéolodentaire)Elle peut intéresser un groupe de dents ou

l’ensemble de la denture. Cliniquement, il existe uneinfection gingivale relativement étendue avecdécollement de la gencive, mise à nu des racinesdentaires recouvertes de tartre, abcès paruliques etmobilité dentaire.

Radiologiquement, l’alvéolyse est irrégulière,parfois très profonde.

Le traitement comporte une antibiothérapiesuivie d’un traitement local multidisciplinaire(motivation d’hygiène rigoureuse, détartrage,rééquilibration occlusale, parfois orthodontie...). Lecul-de-sac pyorrhéique, secondaire à l’alvéolyseirrégulière, entretient une suppuration interminablepouvant retentir sur l’organisme au cours de ladéglutition (pyophagie) ou par voie sanguine(bactériémie).

■Complications infectieuses

locorégionales

De proche en proche, l’infection à point de départdentaire peut intéresser :

– le tissu osseux : ostéites ;

– le sinus maxillaire : sinusites ;– le tissu cellulaire : cellulites ;– le tissu lymphatique : adénites.

‚ Ostéites

Ostéite aiguë diffusée de la mandibule

C’est la plus typique. Souvent secondaire à ladesmodontite apicale d’une dent de 6 ans (premièremolaire), elle évolue en quatre phases :

– phase initiale, dentaire : douleurs intensesirradiées, trismus et mobilité dentaire ;

– phase d’état, suppurative : température à38-39 °C, trismus serré, haleine fétide. À l’examen :asymétrie faciale par tuméfaction allongée enfuseau et signe de Vincent (hypo- ou anesthésielabiomentonnière), tuméfaction vestibulaire avecsuppuration au niveau de la dent causale. Laradiographie montre le granulome entouré d’unezone de décalcification ;

– phase de séquestration : amélioration dessignes généraux et fonctionnels, persistance d’unefistule muqueuse ou cutanée, impression de sucremouillé au stylet. La radiographie montre unedécalcification étendue avec des îlots sombres (lesséquestres) ;

– phase de réparation : lente après disparitiondes séquestres.

Formes évolutives

– Abortives : à la suite d’une antibiothérapiegénérale appropriée.

– rechutes : si la dent causale n’a pas été traitée(avulsion le plus souvent).

– Extensives : panostéite mandibulaire avecfracture spontanée chez les diabétiques.

– Subaiguës : avec tuméfaction périostéeimportante, surtout chez l’enfant.

Ostéites circonscrites

– Ostéopériostite : avec abcès sous-périosté(palais).

– Alvéolaire : après extraction dentaire difficiled’une dent infectée.

Ostéites nécrosantes (ostéoradionécrosesmandibulaires)

Les radiations ionisantes fragilisent définitivementl’os mandibulaire. À la suite d’une avulsionintempestive non couverte par antibiothérapie,l’alvéole ne cicatrise pas, devient très douloureuse(avec otalgies) et nécrotique. Cette nécrose s’étendrapidement, intéressant à la fois l’os et les tissusenvironnants.

Le traitement curatif peut conduire à unehémimandibulectomie.

Le traitement prophylactique consiste à éviter toutfoyer infectieux d’origine dentaire (avulsionspréalables des dents infectées, puis posequotidienne de gouttières de fluoruration).

Traitement des ostéites

– Antibiothérapie polyvalente en perfusion :Augmentint, Flagylt à la période aiguë.

– Avulsion de la dent causale.

1 Cliché rétroalvéolaire. À droite, granulomesur dent cariée. Au centre, granulome sur dent mor-tifiée par polymicrotraumatismes occlusaux.

2 A. À gauche : granu-lome typique.B. À droite : kyste in-fecté en voie d’évacua-tion radiculaire.

A B

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2

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– Ablation des séquestres si l’évolution arrive à cestade.

‚ Sinusites maxillaires

Anatomiquement, le plancher sinusal est enrapport immédiat avec les apex des prémolaires etdes premières molaires supérieures. Une infectionapicale de ces dents entraîne par contiguïté uneinfection sinusale, aiguë ou chronique, le plussouvent unilatérale.

Formes cliniques

– Sinusite maxillaire aiguë : elle se révèle par desdouleurs spontanées, violentes, irradiées, accentuéespar la tête penchée en avant, avec écoulement nasalunilatéral muqueux puis purulent et pointdouloureux constaté au niveau d’une fosse canine.

– Emphysème du sinus : il se manifeste parl’évacuation brutale de pus malodorant.

– Sinusite maxillaire chronique : elle estcaractérisée par un jetage nasal purulent, unilatéralet intermittent, et par l’existence d’une cacosmiesubjective.

Diagnostic

Il est favorisé par la rhinoscopie antérieure(obstruction unilatérale), et la radiographie enincidence de Blondeau ou Waters (hyperplasiemuqueuse en cadre, niveau liquide, opacité localiséedu bas-fond sinusal ou complète de la cavitésinusale).

Traitement

Il doit toujours être double :– antibiothérapie générale et locale (aérosols,

ponction lavage) ;– avulsion de la dent causale au décours de cette

antibiothérapie (danger éventuel de communicationbuccosinusale).

‚ Cellulites

Il s’agit de l’infection propagée aux espacesprémaxillaires et périmandibulaires. Elles sont très

fréquentes. On peut observer soit des cellulitescirconscrites, soit des cellulites diffuses.

Cellulites circonscrites

¶ Cellulite circonscrite périmandibulaireElle est le plus souvent secondaire à une infection

molaire et peut évoluer en trois phases :– phase de cellulite séreuse avec douleurs,

tuméfaction périmandibulaire dont la peau esttendue, lisse, élastique, rosée et chaude au palper,trismus modéré permettant d’observer la dentcausale, très douloureuse. Bien traitée, l’évolutionpeut s’arrêter à cette phase ;

– phase de cellulite suppurée (fig 3) avectempérature à 38-39 °C, douleurs intenses pulsatiles,irradiées. La peau est rouge, la tuméfaction fait corps

avec l’os. La palpation douce détermine uneempreinte en « godet », signe essentiel pour affirmerune suppuration profonde qui impose unehospitalisation pour antibiothérapie et drainagefiliforme ;

– phase de fistulisation : le pus peut s’extérioriserspontanément, soit vers la muqueuse buccale, soitvers le plan cutané, exposant à une cicatricedisgracieuse.

¶ Formes évolutives– Forme suraiguë gangreneuse avec téguments

blafards, crépitation neigeuse à la palpation,rapidement diffusante (cf infra), souvent secondaire àun traitement inadapté.

– Forme subaiguë : décapitée par le traitementantibiotique adéquat, elle ne doit pas faire oublier letraitement de la dent causale.

– Forme chronique : les fistules muqueuses oucutanées faciales relèvent dans plus de 99 % des casd’une cause infectieuse dentaire qu’il fautdiagnostiquer avant toute tentative de correctionchirurgicale (fig 4, 5).

¶ Formes topographiques– Abcès dentaire (fig 6) avec tuméfaction

vestibulaire fluctuante en regard d’une dent à l’étatde racine.

– Abcès migrateur : il réalise une tuméfactionfluctuante et allongée d’un vestibule inférieur dont lapalpation douce, d’avant en arrière, fait sourdre dupus au niveau de la dent de sagesse correspondante(péricoronarite suppurée).

– Cellulite massétérine avec trismus très serré.– Cellulite sus-mylohyoïdienne : elle entraîne

une dysphagie en raison de la masse lingualesoulevée vers la voûte palatine. Elle imposel’hospitalisation en raison du danger de diffusionpostérieure (asphyxie).

– Cellulite sous-mylohyoïdienne : elle est àl ’origine d’une volumineuse tuméfactionsous-mentonnière.

– Cellulite nasogénienne : elle est secondaire àl’infection d’un bloc incisivocanin supérieur. Elle estcaractérisée par une tuméfaction entraînant la

4 Fistule mentonnière ayant subi plusieurs interventions correctrices. 5 Incisive centrale droite mandibulaire, mortifiée et grisâtre, à l’origine de lafistule mentonnière.

3 Cellulite périmandibulaire avec signe du godetparamentonnier gauche.

Foyers infectieux dentaires et complications - 7-1105

3

Page 151: Le Manuel Du Généraliste - Divers

disparition du pli nasogénien et un œdèmepalpébral inférieur. Mal traitée, elle expose à unecomplication majeure, la thrombophlébite du sinuscaverneux, par l’intermédiaire de la thrombose de laveine angulaire, caractérisée par un frisson brutalinaugural avec hyperthermie importante, œdèmepalpébral supérieur et exophtalmie. Il s’agit d’uneurgence absolue exigeant l’hospitalisationimmédiate en réanimation.

¶ TraitementIl dépend du stade évolutif :

– au stade de cellulite séreuse avec unetempérature inférieure à 38 °C : antibiothérapie dutype Rodogylt suivie du traitement radical de la dentcausale (avulsion) ;

– au stade de cellulite suppurée ou avec unetempérature supérieure à 38 °C : hospitalisation pourtraitement énergique par perfusion, associant deuxantibiotiques (Augmentint + Flagylt ou Clamoxylt +Flagyl t), un drainage filiforme de l’abcès (fig 7) etune éradication du foyer dentaire.

Cellulites diffuses

Elles sont toutes caractérisées par unesymptomatologie d’une extrême gravité.

¶ Cellulite diffuse sus-mylohyoïdienneElle est rare et évolue en quelques heures avec

frissons, pâleur, sueurs profuses, tachycardie,hyperthermie à 40 °C et tuméfaction du plancherbuccal qui s’étend vers la langue, le cou et surtout larégion pharyngée, entraînant dyspnée, cyanose etobstruction mécanique respiratoire. Il s’agit d’uneurgence absolue imposant l’hospitalisationimmédiate.

¶ Cellulite diffuse faciale (fig 8, 9)Elle est plus fréquente et survient à la suite

d’une banale infection dentaire, traitéeexclusivement par anti-inflammatoires ou parantalgiques (souvent automédication), chez dessujets jeunes (péricoronarite de dent de sagesse).Son évolution est très rapide, caractérisée parl’apparition d’un œdème recouvert d’une peau

8 Accident d’évolution de dent de sagesse droite traitée par anti-inflammatoiresseuls : gangrène cutanée.9 Accident d’évolution de dent de sagesse gauche autotraitée par anti-inflam-matoires seuls : gangrène jugale diffuse au médiastin.

8

9

6 Abcès dentaire en re-gard d’une molaire à l’étatde racines.

7 Drainage filiforme.

10 Radiographie cervicale : coulée de gaz au niveaudes axes vasculaires gauches vers le médiastin.

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blafarde, avec des placards cyanotiques etéventuellement une crépitation neigeuse à lapalpation.

La nécrose gangreneuse peut s’étendre, soit versle plan cutané cervicothoracique avec nécrosecutanée extensive (cas favorable), soit, parl’intermédiaire des gouttières vasculaires cervicalesavec coulées gazeuses visibles à la radiographiesans préparation (fig 10), vers le médiastin (fig 11), yréalisant une médiastinite gangreneuse de pronosticsombre.

¶ TraitementIl exige l’hospitalisation d’extrême urgence en

service de réanimation pour y prescrire :– une triantibiothérapie en perfusion type

Augmentint + Flagylt + Gentamicinet ;– une corticothérapie à visée réanimatrice ;– une oxygénothérapie hyperbare après

débridement large des foyers nécrotiques (etdrainage thoracique éventuel).

‚ Adénites

Elles sont classiques.

Adénite aiguë sous-maxillaire

Un ou plusieurs ganglions siégeant en dedans dela branche horizontale de la mandibule deviennent

gros, fermes, douloureux et mobiles, pouvantévoluer vers la suppuration avec tuméfactionsous-mandibulaire, toujours séparés du bordbasilaire de la mandibule par un sillon. Le traitementde l’adénite aiguë sous-maxillaire est identique àcelui d’une cellulite banale.

Adénite chronique

Il s’agit le plus souvent d’un ganglionaugmenté de volume, légèrement douloureux,plaqué contre la face interne de la mandibule. Laradiographie confirme l’existence d’ungranulome en regard de ce ganglion. Sonablation fait disparaître l’adénopathie.

‚ Principes généraux du traitementdes complications infectieuses d’originedentaire

■Manifestations à distance

des foyers infectieux dentaires

‚ Définition

À côté des phénomènes infectieux étudiésci-dessus, les foyers dentaires peuvent être à l’originede manifestations à distance de divers types(septiques, inflammatoires aseptiques ou réflexes),loin du foyer initial avec lequel ils ne présententaucun lien évident de contiguïté.

‚ Pathogénie très succincte

– Microbienne : par l’intermédiaire, soit d’unebactériémie vraie, soit d’une réaction seconde,responsable du réveil de la virulence d’agentsmicrobiens latents à l’occasion d’une infectionlégère.

11 Scanner du médiastin : médiastinite gangreneuse (décès).

12 Évolution rapided’une cellulite circonscritepar application de com-presses chaudes.

Ce qu’il ne faut pas faire✔ Utiliser seuls lesanti-inflammatoires.✔ Négliger ou ignorer la causedentaire.✔ Mettre une compresse chaude oude l’antiphlogistine au niveau de laface pour « accélérer le processus desuppuration » : danger d’extensionrapide (fig 12).✔ Inciser au bistouri une collectionpurulente localisée banale.✔ Prescrire des corticoïdes : lesréserver à la réanimation descellulites diffusées.

Ce qu’il faut faire✔ Antibiothérapie :– infection banale : associationspiramycine + métronidazole (per os) ;– cellulite circonscrite : associationamoxicilline + métronidazole (enperfusion) ;– cellulites graves : associationamoxicilline + métronidazole +aminosides (en perfusion).✔ Localement :– cellulite suppurée :

– sous-cutanée : drainagefiliforme ;– sous-muqueuse : incision authermocautère ;

– cellulite diffusée : débridementlarge.✔ Dent responsable : avulsion sousantibiothérapie.

Foyers infectieux dentaires et complications - 7-1105

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– Allergique ou toxinienne : les toxines desgermes des foyers dentaires sont à l’origined’antigènes formateurs d’anticorps, ce qui produitsecondairement un conflit antigènes-anticorps.

– Nerveuse réflexe : basée sur le nerf trijumeau,nerf le plus réflexogène de l’organisme.

‚ Formes cliniques

– Manifestations cardiovasculaires : endocar-dites d’Osler consécutives parfois à un essaimagemicrobien, justifiant les examens dentaires avanttoute chirurgie cardiaque.

– Manifestations ophtalmologiques : iridocy-clites, névrite optique, herpès cornéen...

– Manifestations rhumatismales : polyarthriterhumatoïde, rhumatismes chroniques, tendinites.

– Manifestations cutanées :– dermatoses réflexes : pelade, canitie,herpès... ;

– dermatoses microbiennes : sycosis ;

– dermatoses allergiques : œdème, urticaire.

– Manifestations générales : hyperthermiesinexpliquées au long cours.

■Conclusion

Comme cet article vient de le rappeler, les foyersinfectieux dentaires peuvent avoir des conséquencesredoutables, ce qui justifie parfaitement leurrecherche et surtout leur éradication systématique, àl ’ in i t iat ive du prat ic ien dentaire , sur larecommandation éventuelle, éclairée, du médecingénéraliste.

Michel Donazzan : Professeur des Universités, praticien hospitalier, chef de service,service de stomatologie et chirurgie maxillofaciale, hôpital Roger-Salengro, rue du 8 Mai 1945, 59037 Lille cedex, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : M Donazzan. Foyers infectieux dentaires et complications.Encycl Méd Chir (Elsevier, Paris), AKOS Encyclopédie Pratique de Médecine, 7-1105, 1998, 6 p

R é f é r e n c e s

[1] Bado Silveira F, Fleuridas G, Lockhart R, Chikhani L, Favre-Dauvergne E,Bertrand JC et al. Cellulites cervicales diffuses. À propos de 15 cas.Rev StomatolChir Maxillofac1997 ; 98 : 266-268

[2] Donazzan M. Foyers infectieux dentaires et leurs complications.Rev Prat1994 ; 44 : 2249-2256

[3] Rose C, Tellion C, Ferri J, Donazzan M. Les cellulites faciales diffuses.RevStomatol Chir Maxillofac1997 ; 98 : 269-271

Conduite à tenir en cas d’avulsiondentaire✔ Une antibiothérapie s’avèretoujours nécessaire avant l’avulsiond’une dent infectée en raison desrisques de bactériémie dans tous lescas suivants :– cardiopathies à risques : prothèsesvalvulaires, antécédentsd’endocardites... ;– rhumatisme articulaire aigu ;– néphrites et fièvres inexpliquées.✔ Les antibiotiques recommandéssont l’amoxicilline (3 g per os) ou lapristinamycine (1 g per os), àprescrire dans l’heure précédantl’acte opératoire.

7-1105 - Foyers infectieux dentaires et complications

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Lithiase salivaire

E Maladière, F Guilbert

L a lithiase salivaire est la plus fréquente des affections salivaires après les oreillons.

La glande sous-mandibulaire est le plus souvent en cause, à tel point que le terme « lithiase salivaire » sous-entendcommunément l’atteinte calculeuse de cette glande.Les données de l’interrogatoire orientent très directement la conduite de l’examen clinique. Deux à trois radiographiessimples suffisent à préciser le siège et le nombre des calculs.Sauf cas particulier, le traitement est chirurgical.© Elsevier, Paris.

■Lithiase sous-mandibulaire

‚ Diagnostic

La lithiase sous-mandibulaire s’observe avant toutchez l’adulte, mais elle ne semble pas exceptionnellechez l’enfant, dès l’âge de 4 à 5 ans (fig 1).

De façon courante, elle révèle son existence pardes manifestations mécaniques ou inflammatoirestrès évocatrices. Sinon, sa grande latence la faitdécouvrir à l’occasion d’une radiographie de larégion.

Accidents mécaniques

Traduisant un blocage momentané, partiel oucomplet, du flux salivaire, ils sont de deux types trèssignificatifs, puisqu’ils sont rythmés par les repas :

– la hernie salivaire (Garel) est caractérisée parl’apparition soudaine, lors d’un repas, ou autrest imulat ion sal ivaire, d’une tuméfact ionsous-mandibulaire postérieure, plus visible parl’entourage que sensible pour l’intéressé. Legonflement disparaît en quelques minutes, souventaccompagné d’un écoulement de salive dans labouche ;

– la colique salivaire (Morestin) est caractériséepar la survenue brusque, lors d’un repas, d’unedouleur parfois intense, dans la langue, le plancherbuccal, voire l’oreille. Un gonflement de la régionsous-mandibulaire peut accompagner la douleur.Celle-ci se calme rapidement avec émission desalive, ou parfois après quelques heures.

L’une ou l’autre de ces manifestations se reproduitou non aux repas suivants. Un silence absolu peuts’installer pour de longs mois, voire années avantqu’ils ne se reproduisent ou que surviennent desaccidents inflammatoires.

Cette relation très particulière avec les repas doitsuffire, dès le premier incident, à déclencher lesgestes utiles et simples pour faire la preuve du oudes calculs. Il faut :

– tout d’abord noter l’aspect de l’ostium duWharton, rouge et turgescent ou non, et celui de lasalive qui s’en écoule, clair ou opalescent (parrétention salivaire), ou encore absent, ce qui n’aguère de valeur si une palpation préalable de laglande a été effectuée ;

– par la palpation entre un doigt explorantd’arrière en avant le plancher buccal et un doigtsous-mandibulaire fixant les plans, déceler un calculsuffisamment gros (nodule dur, arrondi ou oblong,

sur le trajet du canal). À défaut de percevoir un troppetit calcul, le patient peut ressentir une douleur aupassage du doigt (fig 2, 3) ;

– par deux radiographies endobuccales (filmsocclusaux ou mordus « antérieur et postérieur » en

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5

2

5

3

4

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6

1 Plancher buccal. Glande sous-mandibulaire (1-2). 1. pôle supérieur accessible par le toucher buccal ;2. prolongement entéro-interne et canal de Wharton ;3. ostium du Wharton ; 4. frein de la langue ; 5. glandesublinguale (crête salivaire) ; 6. replis palatoglosse ;7. sillon pelvilingual ; 8. nerf lingual sous-croisantle Wharton ; 9. bord postérieur du musclemylohyoïdien.

4

3

4W

1

2

2 Région sous-mandibulaire postérieure. 1. glandesous-mandibulaire, son prolongement entéro-interneet le Wharton (W) ; 2. ganglions sous-mandibulaires(quatre groupes) ; 3. filet mentonnier du facial ; 4.nerf lingual.

Temps utiles et simples de l’examen :✔ rougeur de l’ostium du Wharton ;✔ éventuelle issue de pus ;✔ calcul perçu à la palpationd’arrière en avant du plancherbuccal ;✔ films occlusaux antérieur etpostérieur ;✔ éventuelle radiographie de profil dela mandibule.

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fonction des rayons orthogonal et oblique postérieurexplorant ainsi l’ensemble du canal et la glande),obtenir l’image du calcul unique ou dépisterplusieurs calculs (fig 4, 5).

L’absence d’image ferait discuter un accident« réflexe » par lésion du plancher buccal(traumatisme, aphte), voire pulpite dentaire oudysfonction temporomandibulaire, toutes situationsnon liées au repas, ou plutôt un calcul trop petit pourêtre vu.

Accidents inflammatoires

Ils sont apparemment inauguraux ou succèdentaux précédents.

Les signes cliniques sont fonction du segmentanatomique intéressé, canal ou glande.

La « whartonite » débute souvent de façonbrusque, par une douleur du plancher buccal, avecou non otalgie, dysphagie, sialorrhée, maladresse dela langue et une fièvre modérée.

Une tuméfaction inflammatoire, plus ou moinsoblongue, dans l’axe du canal, est centrée sur leplancher buccal latéral entre langue et mandibule àdistance. L’ostium du Wharton est rouge, œdématié,

turgescent. Il donne issue à du pus, spontanémentou lors de la palpation douce d’arrière en avant duplancher buccal (où le calcul n’est guère perceptible)ou de la glande parfois discrètement tuméfiée.

La « périwhartonite » est caractérisée par lesmêmes signes accentués et un trismus. Latuméfaction ferme ou déjà ramollie noie l’ensemblede l’hémiplancher, refoulant la langue dont laprotraction est limitée. Un œdème déborde souventsur le plancher opposé. Cette « cel lul i tesus-mylohyoïdienne » est séparée de la mandibulepar un sillon, ce qui oriente sur l’origine salivaire del’infection tout autant que l’ostium rouge et productifde pus.

Cet ensemble de signes permet d’écarter :– un abcès lingual ;– un kyste mucoïde surinfecté ;– et surtout une cellulite susmylohyoïdienne

d’origine dentaire, où la tuméfaction du plancherbuccal est plaquée contre la table interne de lamandibule, avec signes dentaires.

L’évolution spontanée se ferait vers la fistulisationmuqueuse avec issue de pus et parfois du calcul. Unphlegmon diffusé est exceptionnel.

La « sous-mandibulite » ou « sialadénite » estfréquemment associée, latente ou discrète, auxaccidents infectieux précédents.

Plus intéressante, la sous-maxillite, installéed’emblée ou dominante, a des signes généraux,fonctionnels et d’examen, variables selon lecaractère aigu (avec ses stades œdémateux,présuppuratif, collecté), subaigu, ou plus tardchronique de l’infection.

En sus de la tuméfaction sous-mandibulaire,l’examen du plancher buccal montre l’ostium rougequi donne du pus et la tuméfaction accessible audoigt endobuccal, sous la muqueuse œdématiée duplancher tout postérieur, au contact du pôlesupérieur de la glande.

La « péri-sous-maxillite » résulte de l’évolution del’accident précédent, parfois d’un seul tenant enquelques heures. La région sous-mandibulairepostérieure et au-delà est noyée dans unetuméfaction imprécise de contour avec signesinflammatoires cutanés et muqueux. Si l’évolutionde ce phlegmon sous-maxillaire n’est pas enrayéeou si la fluctuation n’est pas dépistée, unefistulisation se produit, plus souvent muqueuse (aupôle supérieur de la glande dans le plancherpostérieur) que cutanée.

Une tuméfact ion inflammatoire sous-mandibulaire pose parfois problème. Celle-ci doitconduire dans l’ordre :

– à la recherche de signes salivaires (ostium, filmsocclusaux), mais il peut s’agir d’une exceptionnellesous-maxillite non lithiasique ;

– à celle de signes dentaires, il s’agirait alorsd’une cellulite ;

– en l’absence de signes salivaires puis dentaires,à celle d’une adénite, d’un adénophlegmon dont laporte d’entrée cutanée ou muqueuse n’est pasobligatoirement évidente. Quoi qu’il en soit, unmême traitement symptomatique s’impose.

Une sous-mandibulite chronique peut à la longues’installer, même après l’ablation correcte des calculs.C’est le diagnostic d’une tumeur de la glande(sialographie), d’une adénopathie chronique, d’unelocalisation salivaire d’un lymphome ou d’unesarcoïdose, voire d’une sous-maxillite tuberculeuse...

Découverte d’une opacité au hasardd’une radiographie

Cette découverte, telle qu’un profil de lamandibule, ouvre une double discussion. Si l’opacitése projette sur l’image mandibulaire, elle peut êtreendo-osseuse (apex dentaire restant, odontome,cémentome...) ou au sein du système salivaire, ceque montreront les films occlusaux.

Si elle se projette tout ou partie au-dessous dubord basilaire de l’os, on doit distinguer lescalcifications irrégulières et groupées d’uneadénopathie calcifiée, celles pâles et plusdisséminées d’un angiome, celles d’une calcinosesalivaire bilatérale ou à bascule. Le piège à éviter estde prendre pour un calcul la petite corne de l’oshyoïde.

‚ Traitement

Le traitement est symptomatique lors desaccidents révélateurs :

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1

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3 Palper bidigital explorant la glande sous-mandibulaire et le plancher buccal. 1. projection de laparotide et du canal de Sténon (à 15 mm au-dessousde l’arcade zygomatique 2).

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5 Incidence occlusale postérieure droite. Tête en hyperextension. Rayon incident rasant la face internede l’angle de la mandibule. L’image est plus ou moins « défilée », mais le calcul postérieur est dépisté.

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4 Incidence occlusale antérieure droite.

7-1125 - Lithiase salivaire

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– contre les troubles mécaniques, sont prescritsatropiniques, sympathicolytiques et antispasmo-diques, ceux-ci pouvant être relayés par dessialogogues (teinture mère de Jaborandi, 30 gouttesaux trois repas, Génésérinet) ;

– contre l’infection, c’est l’antibiothérapie, ensachant la prédominance des cocci Gram+.

Au stade de collection, c’est l’incision de latuméfaction sous-muqueuse issue de pus etéventuellement d’un calcul, ou bien le drainagefiliforme, parfois suffisant, préférable à l’incisioncutanée d’une sous-maxillite collectée.

Le traitement chirurgical est en pratiqueinévitable, exception faite de l’expulsion spontanéed’un calcul. Encore faut-il s’assurer qu’il est unique etsavoir que l’affection n’est pas pour autant éteinte.

On dispose de deux techniques dont le choix estaffaire de spécialiste :

– la taille du Wharton sous anesthésie localepermet l’exérèse du ou des calculs plus ou moinsbloqués, ou parfois très mobiles, dans le canal.Toutefois, un calcul postérieur impose une techniqueéprouvée et une anesthésie générale ;

– la sous-mandibulectomie par voie cutanéecourte, avec exérèse du prolongement antéro-interne de la glande et du canal jusqu’à l’ostium.Cel le -c i s ’ impose lorsque des acc identsinflammatoires figurent dans le passé, la glandeétant sans nul doute gravement altérée. Elle estsouvent justifiée lorsqu’existe un long passé muetdepuis le premier signe mécanique révélateur,comme en témoigne fréquemment l’examenanatomopathologique de la glande.

Si l’infection est récente, il est impératif deprogrammer la sous-mandibulectomie 6 semainesau moins après extinction complète desphénomènes infectieux.

Les risques et complications du traitementchirurgical ne sont pas négligeables : hémorragie,hématome, surinfection, mais aussi calcul oublié ouperdu dans les parties molles, notant la fréquentefragilité de celui-ci, et surtout lésion du nerf lingual enrapport intime avec le canal et la glande, et lésion dufilet mentonnier du facial lors de l’abord cutané(fig 1, 2).

Les films occlusaux de contrôle postopératoiresont toujours bien indiqués.

■Lithiase des autres

glandes salivaires

Lithiase parotidienne

Beaucoup plus rare, elle est révélée par desmanifestations avant tout infectieuses : sialodochitedu Sténon, abcès génien circonscrit, parotiditelocalisée ou diffuse, en fonction du siège et dunombre de calculs. Ceux-ci sont souvent multiples etpetits, à la limite de la visibilité sur une radiographiede face selon une incidence horizontale tangentielleà la joue.

Il est rare que le calcul soit dans le Sténon,palpable et visible sur un film dentaire disposé entrejoue et molaires supérieures.

La sialographie, en dehors d’une phaseinflammatoire aiguë, prend ici tout son intérêt,montrant une dilatation des canaux, mais nontoujours les calculs. Or les parotidites non lithiasiquessont fréquentes.

Le traitement est avant tout médical, mettantl’accent sur l’intérêt dans les formes évoluées deslavages du canal à la framycétine.

En dehors de l’exérèse d’un calcul dans le Sténon,une parotidectomie en cas d’échec des traitementsmédicaux et de troubles majeurs est à discuter.

Lithiase sublinguale

Elle donne lieu à une sublingualite ou simule unelithiase du Wharton antérieur. L’occlusal antérieurmontre des opacités fines en dehors du canal. Ellejustifie un traitement anti-infectieux et unesublingualectomie.

Lithiase des glandes accessoires

Cette lithiase est une curiosité. Il faut y penser enprésence d’un petit nodule inflammatoiresous-muqueux, de la lèvre ou de la joue enparticulier, centré par un pertuis productif d’unegoutte de pus. Son incision amène l’expulsion ducalcul. Son excision permet à l’anatomopathologistede trouver le calcul qu’une simple radiographierévélerait comme une micro-opacité.

E Maladière : Rôle ?,Adresse ? Ville ?, Pays ?.Francis Guilbert : Rôle ?,Adresse ? Ville ?, Pays ?.

Toute référence à cet article doit porter la mention : E Maladière et F Guilbert. Lithiase salivaire.Encycl Méd Chir (Elsevier, Paris), Encyclopédie Pratique de Médecine, 7-1125, 1998, 3 p

Choix des examens chez un patientprésentant un syndrome lithiasiquesous-mandibulaireDeux radiographies endobuccales sontindispensables :– films (55 x 75 mm) « mordus » ou« occlusaux » :– « antérieur » : rayon orthogonalascendant projetant les deux tiersantérieurs du canal(fig 4),– « postérieur » : rayon oblique (MBonneau) projetant le tierspostérieur du canal et la glande(fig 5).Examens possibles :– profil strict de la mandibule avecrayonnement peu pénétrant enraison de la faible densité descalculs, utile pour une lithiase de laglande si les occlusaux ne montrentrien ;– sialographie selon une techniquerigoureuse, si les radios simpleslaissent un doute : image claire ducalcul avec ou sans dilatationcanalaire en amont, mais calcul petitnoyé dans le lipiodol ? Bulle d’air ?Elle permet d’apprécier la valeurfonctionnelle de la glande, mais ceciest relativement accessoire sachant latrès grande fréquence, à l’examenanatomopathologique, des lésionsinflammatoires chroniques de celle-ci,ce qui est évident si un accidentinfectieux est noté dans lesantécédents ou même lorsqu’existe unlong passé muet depuis le premiersigne révélateur, habituellementmécanique.

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