8
Article original Le message que la mère adresse à ladolescent The message transmitted from the mother to her adolescent B. Voizot 53, boulevard Saint-Jacques, 75014 Paris, France Résumé Les adolescents sont très sensibles à la qualité du regard porté sur eux et aux paroles qui les concernent. Lapproche psychanalytique de ladolescence a montré que la confrontation aux imagos parentales pouvait renforcer un sentiment dincapacité à grandir et une mauvaise estime de soi. Au moment des rencontres avec la famille, les consultants qui se situent comme un tiers, peuvent formuler les références symboliques nécessaires au développement du processus de subjectivation. Devenir un homme ou une femme nécessite une prise de distance et dindépen- dance vis-à-vis des imagos tutélaires parentales et par ailleurs, la reconnaissance de laltérité chez lautre : garçon ou fille, adulte ou enfant. Les équipes de psychiatrie infantojuvénile doivent ainsi sefforcer de mieux comprendre les contenants culturels de la société actuelle et la façon dont des adolescents peuvent se représenter la société dans laquelle ils vont prendre leur place. © 2007 Publié par Elsevier Masson SAS. Abstract Adolescents are very sensitive to quality of the way they are looked at and to the words concerning them. Psychanalytic approach of adoles- cence shows that confrontation with parental imagos might strengthen their feeling of beeing unable to grow up and a bad self opinion. During meetings with the family, the consultants (beeing present as a third party) can formulate the symbolic references which are required to develop the subjectivations processus. To become a man or a woman needs keeping a distance with parental imagos and, in the other hand, it needs recognition of the others difference: boy or girl, adult or child. Staffs of psychiatric services for childs and adolescents have to increase their understanding of the culturals references of the present society and the way of adolescents perception of that society in which they are going to take their place. © 2007 Publié par Elsevier Masson SAS. Mots clés : Adolescence ; Imagos ; Parentalité ; Message maternel Keywords: Adolescence; Imagos; Parenthood; Maternal message Les consultants qui reçoivent des adolescents avec leur famille ont souvent limpression que les paroles quils adres- sent à ces jeunes sont assimilées à un message parental dont le contenu paraît brouillé. Dès les premiers entretiens, lexpres- sion dun transfert ambivalent et complexe domine. Lorsque cela est réalisable, lassociation de plusieurs consultants pour une famille permet dorganiser des transferts différenciés pater- nel et maternel qui rendent plus lisible le contenu des rencon- tres avec le jeune et sa famille. En effet, lorsquune mère qui élève seule un garçon de 14 ans consulte, elle nous dit quelle ne sait plus comment lui parler, comment mettre une limite à toutes ses demandes. Para- doxalement, elle aura tendance à se précipiter au collège pour le défendre sil y a le moindre problème. Depuis plusieurs années, je mefforce de repérer la manière dont les préadolescents peuvent recevoir les différentes formes du message que les adultes leur transmettent. Ce message dit http://france.elsevier.com/direct/NEUADO/ Neuropsychiatrie de lenfance et de ladolescence 55 (2007) 269276 Adresse e-mail : [email protected] (B. Voizot). 0222-9617/$ - see front matter © 2007 Publié par Elsevier Masson SAS. doi:10.1016/j.neurenf.2007.06.008

Le message que la mère adresse à l'adolescent

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Le message que la mère adresse à l'adolescent

http://france.elsevier.com/direct/NEUADO/

Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 55 (2007) 269–276

Article original

Le message que la mère adresse à l’adolescent

The message transmitted from the mother to her adolescent

B. Voizot

53, boulevard Saint-Jacques, 75014 Paris, France

Résumé

Les adolescents sont très sensibles à la qualité du regard porté sur eux et aux paroles qui les concernent. L’approche psychanalytique del’adolescence a montré que la confrontation aux imagos parentales pouvait renforcer un sentiment d’incapacité à grandir et une mauvaise estimede soi. Au moment des rencontres avec la famille, les consultants qui se situent comme un tiers, peuvent formuler les références symboliquesnécessaires au développement du processus de subjectivation. Devenir un homme ou une femme nécessite une prise de distance et d’indépen-dance vis-à-vis des imagos tutélaires parentales et par ailleurs, la reconnaissance de l’altérité chez l’autre : garçon ou fille, adulte ou enfant. Leséquipes de psychiatrie infantojuvénile doivent ainsi s’efforcer de mieux comprendre les contenants culturels de la société actuelle et la façon dontdes adolescents peuvent se représenter la société dans laquelle ils vont prendre leur place.© 2007 Publié par Elsevier Masson SAS.

Abstract

Adolescents are very sensitive to quality of the way they are looked at and to the words concerning them. Psychanalytic approach of adoles-cence shows that confrontation with parental imagos might strengthen their feeling of beeing unable to grow up and a bad self opinion. Duringmeetings with the family, the consultants (beeing present as a third party) can formulate the symbolic references which are required to developthe subjectivation’s processus. To become a man or a woman needs keeping a distance with parental imagos and, in the other hand, it needsrecognition of the other’s difference: boy or girl, adult or child. Staffs of psychiatric services for childs and adolescents have to increase theirunderstanding of the culturals references of the present society and the way of adolescent’s perception of that society in which they are going totake their place.© 2007 Publié par Elsevier Masson SAS.

Mots clés : Adolescence ; Imagos ; Parentalité ; Message maternel

Keywords: Adolescence; Imagos; Parenthood; Maternal message

Les consultants qui reçoivent des adolescents avec leurfamille ont souvent l’impression que les paroles qu’ils adres-sent à ces jeunes sont assimilées à un message parental dont lecontenu paraît brouillé. Dès les premiers entretiens, l’expres-sion d’un transfert ambivalent et complexe domine. Lorsquecela est réalisable, l’association de plusieurs consultants pourune famille permet d’organiser des transferts différenciés pater-

Adresse e-mail : [email protected] (B. Voizot).

0222-9617/$ - see front matter © 2007 Publié par Elsevier Masson SAS.doi:10.1016/j.neurenf.2007.06.008

nel et maternel qui rendent plus lisible le contenu des rencon-tres avec le jeune et sa famille.

En effet, lorsqu’une mère qui élève seule un garçon de14 ans consulte, elle nous dit qu’elle ne sait plus comment luiparler, comment mettre une limite à toutes ses demandes. Para-doxalement, elle aura tendance à se précipiter au collège pourle défendre s’il y a le moindre problème.

Depuis plusieurs années, je m’efforce de repérer la manièredont les préadolescents peuvent recevoir les différentes formesdu message que les adultes leur transmettent. Ce message dit

Page 2: Le message que la mère adresse à l'adolescent

B. Voizot / Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 55 (2007) 269–276270

aux jeunes ce que sont le monde et la place que les adultes leurdonnent dans l’organisation sociale. Mes réflexions s’accordentavec celles de Daniel Marcelli concernant l’importance duregard. Nous devons donc approfondir l’analyse de la percep-tion visuelle comme moyen de connaître le vrai. Cela nousincite à réexaminer tout ce qui passe par le regard en particulierchez les préadolescents. Il y a le regard qui reconnaît et leregard qui rejette l’autre, car il est différent. Il y a le rapportentre le regard, l’aspect, la présentation extérieure et l’identité.

1. À partir de deux situations cliniques

Je voudrais montrer comment les formulations du messagematernel de la castration symbolique ont un effet protecteur del’existence du sujet. Je propose de poursuivre les travaux deMichel Fain et Denise Braunschweig concernant le messagematernel et par ailleurs, ce qu’ils ont nommé la censure del’amante qui sépare l’enfant de la mère pour que celle-ci puisseretrouver son échange libidinal avec le père.

Il est capital que ces réflexions s’efforcent de reconnaître lesmécanismes inconscients qui organisent les échanges à l’inté-rieur de la famille et par ailleurs, au sein de chaque espacepsychique propre des parents et de l’adolescent. Les parolesdes consultants et de ceux qui interviennent auprès des adoles-cents sont alors reçues comme celles d’un tiers qui apporte unéclairage nouveau et ne se comporte pas comme un personnageautoritaire tyrannique.

J’évoquerai d’abord le cas de Lydie, petite fille instable dehuit ans que sa mère, Sophie, est incapable de maîtriser. Sonpère est absent, pris par son travail, peu préoccupé par lesconduites de sa fille avec qui il se montre tendre et séducteur.L’entretien avec la mère de Lydie montre que cette jeunefemme projette sur sa fille l’image d’une mère très exigeantequi refuse la frustration. La réussite professionnelle de Sophiequi a été valorisée par son père, n’a suscité que des remarquescaustiques de sa mère qui lui montre très souvent qu’elle est enéchec dans l’éducation de sa fille alors que cela aurait dû êtresa tâche principale en tant que mère. Sophie ne trouve donc pasles mots permettant de s’adresser à sa fille avec une autoritérassurante. Elle se montre toujours très énervée et explose àla moindre crise de contrariété de Lydie. Au cours des entre-tiens avec elle, on a pu se rendre compte qu’elle n’avait pu êtreelle-même un bébé câlin (au sens donné par Gérard Szwec) etqu’il lui était donc difficile de pouvoir s’abandonner à une rela-tion de tendresse. C’est par l’autorité tierce du consultant et àl’occasion de jeux qu’il a initiés que Sophie et Lydie ont puretrouver une complicité homosexuelle bien tempérée. Cela adébouché sur quelques moments privilégiés qui ont permis à lamère et à la fille de pouvoir éprouver ensemble un plaisircalme à confectionner des gâteaux à la cuisine en dehors dela présence de deux personnages exigeants et autoritaires : lamère de Sophie et le père de Lydie.

Pour cela, il a fallu que Sophie s’appuie sur les prescriptionsdu médecin–psychanalyste consultant dont l’autorité pouvait, àl’intérieur d’elle, être supérieure à celle des autres imagospaternelles et maternelles qui la dépossédaient de sa place

d’adulte en la maintenant dans un statut de petite fille dépen-dante.

S’affranchir du pouvoir des imagos dominatrices qui ont étéintériorisées représente un travail psychique qui n’est pas tou-jours réalisable. Certains parents ne parviennent pas à affirmerleur position d’autorité symbolique. L’analyse de ces situationsnous conduit souvent à découvrir d’importants traumatismesqui ont mis à mal le narcissisme de ces personnes et les ontprivées de la présence d’imagos tutélaires protectrices. M. etMme D. sont venus à la consultation médicopsychologiquepour demander de l’aide à propos de leur second fils Benoît.Ils ne comprennent pas pourquoi le climat familial se dégradetant depuis un an. Benoît est agressif, violent avec son frère etavec eux. On ne peut rien lui dire. Il est complètement à vif.Cette situation les déstabilise complètement alors que l’adoles-cence du frère aîné s’était déroulée sans trop de difficultés.L’entretien montre que le lien que M. D. a établi avec sonsecond fils reste flou et ambigu. Tout se passe comme s’il nepouvait s’identifier à lui. Il le trouve étrange et ne peut sereconnaître en lui. Le fils aîné était actif, sportif, se faisaitbeaucoup de camarades. Benoît paraît incapable de créer desliens des relations nouvelles. Mme D. est inquiète, car elleidentifie son second fils à son frère psychotique qui est décédédans un accident. Elle lutte contre le fantasme inquiétant qui luifait redouter que la passivité et le retrait de Benoît annoncentquelque chose de plus grave comme ce qui s’était passé pourson frère. Dans sa famille quelques personnes ont d’ailleurstrouvé des points communs entre Benoît et son oncle. Cela ad’abord révolté Mme D. puis, elle s’est mise à avoir peur queces proches aient raison. Elle est alors prise d’une sorte desentiment d’impuissance anxieuse qui la pousse à se conduirede manière incohérente et parfois brutale avec Benoît. Derniè-rement, à l’occasion d’une rencontre avec les professeurs de cegarçon Mme D. a craqué. Elle était seule sans son mari. Cetévénement a poussé M. et Mme D. à venir chercher de l’aide.

Un travail approfondi, long et difficile pour les deux parentsleur a permis de prendre conscience du fait que l’adolescencede ce second garçon mobilisait une angoisse importante chezeux. M. D. a pu dire combien il s’était trouvé seul sans soutien,sans aide paternelle au moment de son adolescence quand sonpère avait fui le foyer familial en choisissant une vie profes-sionnelle qui le tenait longtemps éloigné de sa femme et de sesenfants. Pour Mme D. le cheminement fut plus long et plusdouloureux, car son souci d’agir, de comprendre et de bienfaire, l’a longtemps empêché d’évoquer la période traumati-sante de sa vie. Lorsqu’elle était étudiante, elle dut accompa-gner à l’hôpital psychiatrique son frère qui se mettait grave-ment en danger par des passages à l’acte autoagressifs. Àl’époque ses parents ne comprenaient rien aux troubles deleur fils. Son entourage rejetait celui qui était fou et portaitatteinte à la bonne image qu’il fallait maintenir pour conserverle statut social de la famille. Elle avait donc dû signer lademande d’hospitalisation et n’avait trouvé que froideur et rigi-dité dans les attitudes de ceux qui avaient reçu son frère.

Ces exemples cliniques rapportés rapidement permettent dese rendre compte que la capacité des parents à comprendre et

Page 3: Le message que la mère adresse à l'adolescent

B. Voizot / Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 55 (2007) 269–276 271

contenir les transformations de leur adolescent se fonde surl’étayage narcissique qu’ils ont reçu de leurs propres parents.Les défaillances dans cet étayage sont parfois rapidement évo-quées au cours des entretiens, mais il arrive que les qualités decertains parents qui peuvent se montrer actifs et déterminés,masquent des manques profonds et complexes qui interagissententre eux et empêche le couple qu’ils forment d’exprimer laforce d’une autorité rassurante.

2. L’approche psychanalytique de l’adolescence a montrél’importance de la confrontation aux imagos parentales

De tous ces travaux, je retiendrai, pour ce qui concernenotre sujet d’aujourd’hui, ceux qui insistent sur l’incertitudede l’évolution du processus d’adolescence en raison de l’accèsà la sexualité génitale, avec une inquiétude identitaire, une tropgrande capacité de coexcitation, une difficulté à maintenir unlien tendre avec l’entourage. On sait pourtant qu’accepter lesinteractions avec les adolescents permet de les accompagnerdans ce processus de changement et de partager leurs émotionsdans un échange transitionnel.

2.1. Encore faut-il que leur confrontation aux imagosne vienne pas renforcer leur sentiment d’incapacité à grandir

Philippe Gutton a insisté sur l’atteinte narcissique que pou-vait entraîner l’investissement d’une imago de père grandiose.Pour un garçon par exemple, les caractéristiques de cette imagosont faites de ses projections, mais aussi des positions réellesdu père et des paroles de la mère qui peuvent décrire sonhomme comme un être surpuissant. Cela peut pousser l’adoles-cent à se montrer inhibé et hésitant, facilement angoissé. Sil’atteinte narcissique est plus importante, l’imago paternellesera investie paradoxalement par une conduite de collage etde déni du lien. Une phrase telle que « je suis toujours avecmon père, mais il ne compte pas pour moi » permet de mesurerl’incapacité de ce jeune à problématiser la relation conflictuelleà son père sous la forme d’un complexe d’Œdipe. L’accès àl’ambivalence qui permet de rétablir un jeu d’identification,de prise de distance de rapprochement, qui ouvre la voie à lafiguration d’une relation complexe et conflictuelle.

Le recours à l’agir au moment de l’adolescence témoigne dupouvoir de l’imago dominante. L’adolescent a besoin d’exercerune emprise sur la réalité et il y investit la plus grande partie deson énergie pulsionnelle. La part de l’activité hallucinatoire, entant que mode d’obtention de la satisfaction, est réduite.L’adolescent ne peut se laisser aller à la prescription de lalibre association. Son moi obéit à une force qui le contraint àlutter contre un danger dont la figuration se lie aux objetsexternes ainsi qu’aux représentations pulsionnelles.

Dans d’autres circonstances, il met en scène un affrontemententre son analyste et l’imago dominatrice dont il ne peuts’affranchir.

Parfois, l’agir est plus subtil et c’est le travail contre-transférentiel du psychanalyste qui lui permet de reconnaître

les moments où l’imago s’impose dans la rencontre avec lejeune.

Plusieurs psychanalystes se sont intéressés à la place prisepar les imagos, mettant en évidence leurs caractéristiques.

L’imago fige. Sa présence paralyse l’appareil à penser dupatient et de l’analyste. En effet, l’incarnation de l’imago, sonexcès de réalité dans la situation analytique, est liée au fait quele deuil de la personne en cause ne s’est pas fait. Ce deuil gelé(selon Paul-Claude Racamier) maintient une relation qui seprolonge indéfiniment dans le registre de l’incestuel.

J’ajouterai que le pouvoir de l’imago est lié à l’importancede son investissement, car elle contient les premiers liens logi-ques de causalité qui se sont constitués au moment de la créa-tion des premières formes de la pensée. La force et le sens desinvestissements du sujet sont contenus dans l’imago qui endétient la connaissance. Elle sait l’origine de l’éprouvé d’unaffect ou de l’excès d’un état d’excitation.

En outre, l’imago, quelle que soit sa figuration (paternelle,maternelle, composite…), est née de la projection. Située dansle registre de l’imaginaire où se représente le rapport de soi àl’autre dominateur, elle contient les traces mnésiques des pre-mières relations objectales qui y sont en quelque sorte figées.De plus, elle est ambiguë. L’ambivalence n’a pu s’instaurer,car les clivages fonctionnels ne sont pas opérants.

Le « meurtre de l’imago » (selon Jean Gillibert) permet ausujet d’accéder à l’individuation et à la connaissance. Cela nepeut se réaliser que si le sujet est séparé de l’objet investi. Lesrelations complexes, établies pendant la période de lutte avecl’imago, sont décelables dans les cures quand le processus ana-lytique atteint les zones refoulées où elle exerce son pouvoirtyrannique.

Dans ses différentes représentations, le complexe d’Œdipefigure le rapport du sujet à ses géniteurs. Il intervient dans ledéclin de l’imago en réduisant l’omnipotence qui avait figé,dans les fantasmes, les représentations des relations entre lespersonnes. L’investissement de la différence des sexes et desgénérations en tant que pouvoir séparateur, libère de l’empriseque l’imago exerce. La restauration des qualités de l’objetinterne marque aussi le moment où celle-ci perd son pouvoir.

2.2. Travail de la culture

Plus le sujet est pris dans la culture, c’est-à-dire dans le récitde l’histoire du groupe familial et dans la présentation desvaleurs de son entourage, moins il est soumis au pouvoir desimagos dominatrices. Le travail de la culture vise à mettre enmots, utilisables par tous, les motions pulsionnelles les plusviolentes dans leur diversité. La connaissance socialisée dupulsionnel crée ce réseau de représentations de mots quiconcerne le sexuel et sert de contenant de pensée pour les fan-tasmes de chaque sujet.

Cette mise en mots s’effectue progressivement depuis leséchanges les plus intenses entre la mère et l’enfant, en passantpar les étapes de la scolarité et les moments initiatiques de lavie sociale. Chaque étape est marquée par une désignation durapport du sujet à l’objet et par le deuil des objets primaires

Page 4: Le message que la mère adresse à l'adolescent

B. Voizot / Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 55 (2007) 269–276272

progressivement abandonnés au profit de l’investissementd’objets plus socialisés puis de valeurs et d’idéaux. Un travailde symbolisation permanent est nécessaire pour mener à biencette évolution. Ce qui apparaît comme fixation à des positionsantérieures défensives, marque la nécessité de ne pas se déta-cher d’un objet primaire indispensable au narcissisme.

3. Le message parental est énoncé au momentdes rencontres avec l’adolescent et sa famille

Ceux qui pratiquent des psychothérapies familiales avecl’entourage des adolescents, observent que la manière dontest formulé le message parental est fondamentale dans la capa-cité de résoudre les conflits de cette période de la vie familiale.Nous nous attacherons aujourd’hui à mieux comprendre com-ment le message maternel permet aux jeunes de se représenterprogressivement les mouvements de sa vie pulsionnelle ou àl’inverse entrave ses capacités de figurer une image acceptablede lui-même.

3.1. Quelques formes du message maternel

Il est fréquent de réentendre au moment de l’adolescencedes phrases que la mère a pu prononcer dans les premièresannées de la vie de l’enfant. Elles traduisent sa position vis-à-vis de la motricité c’est-à-dire de la pulsionnalité de son enfant.

Certaines mères phobiques interdisent l’autonomie motriceen raison du danger projeté sur l’action de l’enfant : « faisattention tu vas casser ton verre de jus de fruits » ; « ne bougespas tu vas faire mal à ton frère (à ta sœur) ». D’autres imagi-nent toutes sortes de danger que peut courir leur petit, qu’ellesdoivent donc perpétuellement protéger, tenir par la main.L’investissement forcené de cette protection constitue souventun mode défensif contre une agressivité inconsciente à l’égardde cet enfant ou une crainte permanente de phobies d’impul-sions.

On pourrait ainsi détailler une grande quantité de messagesmaternels qui seraient ainsi à la fois des messages de vie et deprotection mais aussi, de manière paradoxale, des messageschargeant l’enfant d’une peur dont il ne trouve pas l’originedans la réalité qu’il peut appréhender.

Une analyse approfondie des messages maternels qui sontformulés actuellement conduit à se rendre compte qu’ilscontiennent à la fois un déni de la réalité dangereuse et uneidéalisation des compétences de l’enfant. Une phrase telleque : « débrouille-toi tout seul » comporte à la fois un messagevalorisant nommant les capacités de l’enfant, mais aussi unmessage qui peut être compris comme un abandon par la puis-sance maternelle tutélaire protectrice.

Nous sommes donc amenés à analyser la manière dont lamère présente à l’enfant à la fois les dangers du monde exté-rieur et ses capacités d’y faire face seul ou soutenu partielle-ment. C’est dans la qualité de sa verbalisation de la distance àlaquelle la mère se place vis-à-vis de l’enfant en action, qu’elleva construire le cadre de la situation dans laquelle son enfant

pourra se sentir efficace, en capacité de réussir ou bien dans ladétresse de l’échec dans son rapport au monde extérieur.

On comprend bien que toutes ces situations fassent revivre àla mère tous les émois qu’elle a éprouvés depuis qu’elle l’a misau monde. Ce qu’elle éprouve est toujours référé au tiers repré-senté par le père réel, mais aussi par le père imaginaire de sonenfant. Parfois, les représentations de son lien à l’imago pater-nelle vont venir brouiller l’idée qu’elle se faisait de sa relationà son enfant. Les ruptures du lien conjugal, la perte des êtreschers de son entourage, les situations d’immigration viennentcompliquer encore les liens d’une mère avec ses enfants. Parailleurs, il n’est pas indifférent de constater qu’actuellementbeaucoup de cellules familiales monoparentales sont consti-tuées par une mère et (son) ou ses enfants.

3.2. Dans l’exercice actuel des rôles parentaux les figurationsde l’imago maternelle se sont modifiées

Par exemple, il arrive souvent que la mère ne soit pas pré-sente à la maison au retour des adolescents du collège. Biensouvent elle rentre après eux. Elle a alors à accomplir les tâchesnécessaires à la vie de la famille. Elle doit aussi trouver unemanière d’être attentive à l’activité d’apprentissage de cesenfants. Elle doit aussi assez souvent les détacher des jeuxvidéos et de la télévision. Le père rentre tard lui aussi. Lesparents disent avoir l’impression de ne pas avoir le temps deparler et d’échanger avec leurs enfants. Cela peut se produireau cours du week-end quand les deux parents restent présentsauprès de leurs enfants. Cependant, on observe que ces diffi-cultés liées à l’organisation de la vie actuelle poussent à unedramatisation de l’expression des conflits nécessaires à l’indi-viduation des adolescents et à leur découverte de la sexualité.

On observe une accentuation de l’aspect dangereux, hyper-trophié, parfois terrible des imagos paternelles et maternelles.L’érotisation des conflits peut amener des parents à développerdes conduites d’emprise envers les enfants. Les adolescentstraduisant par l’instabilité et l’insomnie leur incapacité à réin-vestir des représentations issues de la résolution des conflitsœdipiens qui avaient été mises en latence.

Dans les difficultés avec les enseignants, les mères peuventavoir tendance à incorporer les conflits que les jeunes rencon-trent avec les personnages porteurs de l’autorité au sein du col-lège. Sans s’en rendre compte, elles peuvent donc être pous-sées à prendre des positions de « mère phallique » cherchant àprotéger leur enfant contre des règles extérieures qu’ellesjugent contraires à l’intérêt de leur petit.

Il existe maintenant une ambiguïté dans les rapports entreidentité et rôle pour les pères et mères. Les consultants cons-tatent aussi que les cas les plus difficiles correspondent à ceuxoù les mères sont seules pour élever des enfants.

L’analyse du transfert qui s’établit à l’occasion des rencon-tres avec les jeunes montre que ceux-ci sont sous le pouvoird’imagos composites. Pour que puisse s’effectuer un travailde différenciation et de décondensation des deux imagos paren-tales, les consultants mettent en valeur des situations différen-tes où la tiercéité peut être inscrite. Ils ont tout intérêt à dési-

Page 5: Le message que la mère adresse à l'adolescent

B. Voizot / Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 55 (2007) 269–276 273

gner des lieux différenciés, à exposer la complexité des indica-tions thérapeutiques, à utiliser le temps de la mise en œuvre desprojets avec la rencontre des deux parents géniteurs de l’enfantmême s’il s’agit de situation familiale recomposée. Il faut doncprendre du temps et se donner le temps d’entendre le récit del’histoire de ce jeune avant de répondre à l’injonction d’actionque des mères phalliques sont amenées à adresser aux consul-tants.

4. Message des mères aux adolescents

Après avoir évoqué ce que contient le message de la ten-dresse maternelle, nous reviendrons sur les conceptions freu-diennes du message maternel de castration qui sépare l’enfantde ses premières attaches incestueuses. Après Freud, MichelFain et Denise Braunschweig ont mis en valeur la censure del’amante. Quand la mère se détache de son enfant, ses paroleset son acte ont la valeur d’une action parlante telle que l’aconçue Paul-Claude Racamier.

4.1. Message de tendresse

Mettre en valeur la place du courant tendre dans la vie fami-liale peut paraître contradictoire avec le fait que les équipessont plutôt confrontées actuellement aux effets de la violence.Pourtant, la qualité de l’écoute référée à la psychanalyse faitrevenir au jour chez les adolescents les modalités d’échangestendres de la toute première période de l’enfance qui ont étéréélaborées par la résolution de la problématique œdipienne.Le courant tendre présent dans les échanges au sein du groupefamilial constitue un contenant pour la mutation pulsionnellede l’adolescence.

Freud a distingué le courant tendre et le courant sensuel. Lecourant tendre est le plus ancien. Il provient des toutes premiè-res années d’enfance et s’est formé à partir de la pulsiond’autoconservation. Il est orienté vers les personnes de lafamille et celles qui donnent des soins à l’enfant. Il est lié dèsle début aux pulsions sexuelles avec les composantes érotiquesqui sont déjà dans l’enfance plus ou moins évidentes. Celacorrespond au choix d’objet infantile primaire.

Pour Freud, cela signifie que les premières satisfactionssexuelles sont éprouvées en étayage sur les fonctions corporel-les nécessaires à la conservation de la vie. Il poursuit en indi-quant qu’au moment de la puberté, le courant sensuel neméconnaît plus ses buts. Il investit alors de charges libidinalesbeaucoup plus fortes les objets du choix primaire infantile.Mais, il se heurte à l’obstacle dressé entre-temps par la barrièrecontre l’inceste. Il va se détourner de ces objets inadéquatspour d’autres objets étrangers avec lesquels on peut menerune vie sexuelle réelle. Ces objets étrangers seront de nouveauchoisis selon le prototype (l’image) des objets infantiles, maisils attireront à eux la tendresse qui était attachée aux objetsantérieurs. Tendresse et sensualité seront alors réunies.

Ainsi, pendant l’enfance la permanence du lien tendre rendpossible l’éprouvé de l’écoulement du temps. La durée de larelation tendre devient alors dans les structures familiales sta-

bles un contenant de déliaisons possibles qui peuvent survenirau moment de l’adolescence.

Lorsque se déclare la puberté, l’expression du courant pul-sionnel tendre a une valeur narcissique considérable. En effet,l’exhibition de la sexualité prend pour chaque adolescent unevaleur d’affirmation narcissique au plan spéculaire. Il y a eu, aumoment de l’expression de la sexualité infantile, le temps pourse montrer et s’éprouver.

Je voudrais insister particulièrement sur les pulsions qui ontpour but de regarder et de se montrer. La complexité de ladescription des buts actifs et passifs de ces pulsions par Freudnous permet de comprendre les jeux de l’enfant suscitant leregard tendre de la mère qui accompagne le passage de la posi-tion active à la position passive ; de la situation de se regarder àse montrer ; le jeu de se cacher pour se faire découvrir. Cettecomplexité du jeu des représentations figurées dans la diversitédes situations créées peut être amoindrie par une sexualisationexcessive du regard de l’adulte ou de celui de l’enfant qui cher-che à obtenir une satisfaction rapide. En donnant au temps del’attente une connotation de plaisir tempéré, le courant tendrepermet la figuration de la complexité. Le temps de la subjecti-vation doit compter avec l’attente, l’attente de voir le regardtendre de l’autre porté sur soi.

4.2. Message maternel de castration

Il situe l’enfant dans la culture en le séparant progressive-ment de ses premières attaches incestueuses. Freud a décrit àplusieurs reprises la façon dont la mère, d’abord séductrice,s’inquiète plus tard des effets de sa séduction lorsqu’elle voitson enfant se masturber. L’énoncé par la mère de la menace decastration par le père prend sa force à partir de la perception dela différence des sexes par le tout petit. La mère transmet doncl’image d’un père jaloux de l’érotisme de son enfant. L’imagopaternelle est marquée aussi par la discontinuité de son lien àl’enfant.

Pour l’enfant qui reçoit ce message, la manière dont lesparoles de la mère et du père organisent les rapports entre lesdeux imagos, va structurer les scénarios originaires. À ceux-cis’attachent les descriptions mythiques et les contenants de pen-sée culturels. Le temps des récits des histoires pour s’endormirest ce qui sert à l’enfant de contenant pulsionnel lui permettantde se laisser aller, de s’abandonner au sommeil, autre forme devie pulsionnelle.

4.3. Censure de l’amante

Ce que Michel Fain et Denise Braunschweig ont désignécomme la censure de l’amante, confère à ce détachement dela femme vis-à-vis de son comportement maternel incestueux,sa valeur organisatrice du psychisme de l’enfant. Celui-ci setrouve alors placé dans le registre œdipien.

En revanche, lorsque la mère investit cette séparationcomme un arrachement à l’objet idéalisé qu’elle a surinvestiet une soumission à une imago dominatrice et intrusive, lemessage délivré à l’enfant le placera dans la position de l’objet

Page 6: Le message que la mère adresse à l'adolescent

B. Voizot / Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 55 (2007) 269–276274

réparateur non séparé et le contraindra à agir en permanencepour lutter contre cette imago.

La mise en place des référents culturels débute avec les toutpremiers échanges entre l’enfant et son entourage. L’instaura-tion du langage vient marquer sa séparation des objets primai-res et l’organisation d’un code de signification qu’il s’appro-prie progressivement.

Les travaux concernant les premières organisations du lan-gage qui s’effectuent sur le mode transitionnel, montrent que lamère se trouve messagère de sa culture et de celle qui l’envi-ronne, par les significations qu’elle transmet à son enfant. Pourdénommer les représentations de chose, elle lui impose des res-trictions de sens en fonction de sa problématique personnelle.La complexité de ces censures et des refoulements qui leur sontliés justifie les recherches actuelles concernant les formes desmessages transmis par les mères immigrées et la place prise parles représentations culturelles dans l’organisation du surmoiindividuel.

Des femmes immigrées, qui ont perdu leurs racines, fonc-tionnent parfois comme des « mères mortes » au sens décrit parAndré Green. D’autres femmes par exemple, en raison dumode de fonctionnement de la famille recomposée dans lequelelles sont prises, délivrent un message distordu car elles sontdans l’incertitude lorsqu’il s’agit de désigner les valeurs deréférence. Leur message maternel comporte des clivages quisuscitent chez l’enfant un sentiment d’incertitude et de dangerpermanent, laissant le champ libre au développement du pou-voir d’une imago. Il n’existe pas de message clair formulant uninterdit.

5. Entretiens familiaux

5.1. Figurations introduites par les références symboliquesmentionnées au cours de ces rencontres

Au cours des entretiens familiaux menés par des personnesqualifiées, les personnes qui incarnent des imagos différenciéespaternelles et maternelles se situent en référence à des différen-ciations sexuées masculines et féminines. Cela introduit :

● d’une part, la censure de l’amante c’est-à-dire l’interruptionde l’investissement de la fonction maternelle qu’impose lasexualité féminine de la mère ;

● d’autre part, la qualité contenante du féminin de la mère.

Les figurations du fonctionnement de l’entourage au coursdes rencontres avec le sujet et l’évocation des comportementsau sein du domicile familial permettent de figurer des écartsqui introduisent une prise de distance vis-à-vis du pouvoir dela compulsion de répétition qui pouvait paraître quasi absolu :« on ne peut pas faire autrement ».

5.2. Accompagnement du processus de subjectivationà l’adolescence

Le processus de subjectivation mêle un processus d’appro-priation du soi et des interrogations sur les qualités des conte-

nus pulsionnels intrapsychiques, dans leurs aspects conflic-tuels. La structuration d’un sentiment de culpabilitéinconscient, c’est-à-dire l’acceptation d’une responsabilitéconcernant les mouvements pulsionnels, passe par le renonce-ment à la dépendance vis-à-vis des objets primaires. Cela sedéroule d’abord sous la protection d’imagos tutélaires quiassure la sécurité du sujet et l’acquisition de défenses par sonmoi. Plus tard, leur pouvoir sera réduit par la qualité des inves-tissements narcissiques du soi.

La fonction protectrice des imagos tutélaires incarnées parles parents ou toute autre personne investie de l’autoritéconsiste à protéger le développement des capacités propres dusujet, c’est-à-dire la croissance de ses processus de pensée. Lesujet doit à la fois utiliser l’héritage parental (leur culture) etconstruire ses propres modalités de défense.

Pour illustrer notre réflexion nous nous autoriserons à ébau-cher une présentation schématique des liens que nous pouvonsfaire entre la psychopathologie familiale et le développementde la personnalité des enfants. Lorsque l’autorité paternelleprotectrice est associée à la possession des biens et des fem-mes, cette situation peut conduire à une forme de patriarcat quiimpose un style de soumission s’organisant plutôt sous le pri-mat de l’ordre phallique. De manière différente, le pouvoirmatriarcal fait courir le risque potentiel d’une évolution défici-taire et psychotique des enfants en raison de l’absence ou del’extrême difficulté de séparation vis-à-vis de l’imago mater-nelle toute puissante qui constitue un objet omnipotent.

Au moment des crises qui se manifestent par des passages àl’acte tant des adolescents que des parents, il est indispensablede pouvoir constituer autour de ces familles un réseau de per-sonnes qui peuvent se situer comme des tiers. Lorsqu’au seind’une équipe, le consultant peut dialoguer avec un travailleursocial, une orthophoniste et un thérapeute en psychomotricitéqui interviennent pour plusieurs membres de la famille, leréseau qui se constitue permet à chacun des intervenantsd’exercer une fonction protectrice et une fonction de commen-taires subjectifs permettant l’accès à une image de soi.Lorsqu’il est possible de recevoir la famille avec le réseaudes membres de l’équipe qui sont impliqués, la dimension spé-culaire de l’intervention du tiers réside dans sa capacité à parlerde façon adéquate du sujet devant lui-même et son entourage,pour le faire exister. Il s’agit de trouver un style de parole sub-jectivante. Celle-ci s’oppose à une parole qui serait objecti-vante à partir du comportement par exemple en décrivant unjeune comme : « un paresseux qui ne fait aucun effort ». Unautre exemple consisterait à faire présenter un père comme« un caractériel sadique et dangereux ».

5.3. Figuration de l’altérité dans les entretiens familiauxavec les adolescents

Les paroles subjectivantes présentent au sujet son imaged’une façon acceptable avec les éléments de réalité traduitsdans des actes, dans des réalisations avec la part inconnue,inconsciente de ses conduites. Lorsqu’ils sont menés par desprofessionnels expérimentés, capables de cohérence et de créa-tivité, les entretiens familiaux avec un groupe de thérapeutes

Page 7: Le message que la mère adresse à l'adolescent

B. Voizot / Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 55 (2007) 269–276 275

permettent une prise de parole qui introduit l’altérité. Ce typede prise de parole qui décrit la pensée de l’autre, fait intervenirun personnage tiers et permet à chaque membre de la cellulefamiliale de se familiariser avec un autre style d’interventionverbale. Elle rend possible l’identification à un tiers différentqui se trouve porte-parole de quelqu’un d’autre que soi, quiverrait vivre le groupe et qui en dirait ce qu’il en pense.L’énoncé de la parole d’un tiers extérieur à un groupe qui fonc-tionne de manière fusionnelle, apporte une capacité de figura-tion qui peut permettre à chacun de ses membres de s’indivi-dualiser.

6. Conclusions

Les équipes de psychiatrie infantojuvénile reconnaissentqu’elles sont maintenant confrontées à des mutations importan-tes du fonctionnement familial et sociétal. Il est nécessaire depromouvoir une attitude de recherche permettant à la foisd’analyser les modes de transmission des valeurs et des repèressymboliques dans la famille et dans l’organisation de la sociétéet par ailleurs, de déterminer les modalités d’intervention deséquipes qui sont sollicitées par les adolescents et leur entouragefamilial et scolaire.

À l’occasion de cette journée, et après les Journées nationa-les de Brest de la SFPEADA qui ont eu lieu en juin 2006, nouspouvons tenter de déterminer les principaux axes des travauxde recherches à poursuivre.

● Certains doivent mieux explorer les rapports des adolescentsaux objets qu’ils investissent préférentiellement. L’étude deleurs modes de consommation montre qu’ils sont soumis àla pression de la séduction par les messages publicitaires.Nous aurons alors à nous demander comment sont comprisle message maternel et le message paternel. Je fais référenceau livre de Daniel Marcelli : l’enfant chef de famille, l’auto-rité de l’infantile. Nous devons apprécier les forces duconflit qui peut exister chez des adolescents entre le mes-sage parental et les identifications qui lui sont liées (consé-quences de la résolution du complexe d’Œdipe) et par ail-leurs le message du groupe des adolescents et celui de lasociété (qui me paraît véhiculer une obligation deconformité) ;

● un autre axe de recherche pourrait concerner la dimensionnarcissique du développement de l’adolescence. Lorsquecelle-ci est vécue comme une période transitoire, un travailpsychique menant à la situation d’adultes, à la prise de res-ponsabilité ultérieure qu’est la paternité, les messages desdeux parents s’inscrivent dans la durée. Or, nous voyonsque les modifications sociétales introduisent des change-ments dans les conduites éducatives des parents. Ceux-ciexpriment une grande difficulté à pouvoir imposer une frus-tration à leurs enfants. Alain Lazartigues dans son article :Réflexions sur les droits de l’enfant, les couples contempo-rains et l’éducation nouvelle, propose de nommer la struc-turation de la personnalité de base : narcissico-hédoniste. Ilmet en valeur les investissements centrés sur la personne,son propre mode de satisfaction, son rapport au corps.

J’ajouterai que nous devons aussi nous efforcer de compren-dre comment la juxtaposition de modes de satisfaction nar-cissiques conduit à l’évitement du conflit et à l’acceptationde la paradoxalité du fonctionnement social ;

● la démarche d’André Carrel illustre la notion d’un processusd’autorité. Elle a une analogie avec les remarques qui ontété énoncées par Daniel Marcelli. Nous sommes doncconduits à mieux évaluer ce qui se joue dans les échangesentre les générations lorsque les parents géniteurs s’impo-sent à leurs enfants. Ils réduisent ainsi un fantasme d’omni-potence et d’autoengendrement en présentant leur positiond’antériorité et de géniteurs tant au plan biologique qu’àcelui de l’éducation.

Toutes ces remarques ne visent pas à chercher à rétablir unesorte d’autorité hiérarchique des anciens sur les jeunes, mais àmieux mettre en valeur la qualité de la transmission des mes-sages de vie entre les générations. Dire que les parents et lesgrands-parents ont à apprendre des adolescents n’implique pasqu’ils doivent renoncer à la transmission des contenus et desvaleurs de leur propre histoire personnelle. C’est au contrairedans la qualité de la présentation du contexte dans lequel ilsont vécu leur adolescence, qu’ils pourront transmettre à leursenfants et leurs petits-enfants les repères permettant à ceux-cide se dégager de l’emprise du message de conformité quiémane des pairs et de ceux qui maintiennent un fonctionne-ment « adolescent » dans la société. On peut voir dans les dif-ficultés qu’énoncent certains jeunes adultes à s’engager dura-blement et à choisir d’avoir des enfants, le maintien d’uneposition infantile de dépendance à des groupes dont le fonc-tionnement narcissique dominant impose la conformité.

Le message maternel dont les psychanalystes ont parlé doitêtre articulé au message paternel. Ils constituent tous deux lemessage du couple originaire auquel se confronte chaque ado-lescent. Le temps de l’adolescence correspond réellement à untravail psychique avec des objets intériorisés et des imagosdont on a vu qu’elles peuvent avoir un aspect terrible. Ils’agit, en effet, de pouvoir faire le deuil d’un lien originaireavec un objet idéalisé apportant la satisfaction et de se confron-ter à l’aspect pénible, lent et difficile de la maturation psy-chique.

L’acceptation du déroulement du temps, la mise en valeurdes qualités d’endurance font partie du message des parents quitransmettent ainsi à leurs enfants la figuration des qualitésnécessaires pour réussir leur scolarité et leur insertion sociale.

Les idées exprimées ici ne doivent pas être comprisescomme l’énoncé de regrets concernant une époque révolue oucomme une sorte de catalogue de conseils éducatifs ou de pres-criptions comportementales, elles incitent au contraire les équi-pes de psychiatrie infantojuvénile à dialoguer avec les cher-cheurs en sciences sociales, avec les parents et lesenseignants, mais aussi avec les autorités politiques locales,en particulier municipales, pour élaborer ensemble un discoursd’adultes compréhensible par les adolescents afin de leur don-ner le cadre de vie à l’intérieur duquel ils pourront exercer leurliberté et leur créativité.

Page 8: Le message que la mère adresse à l'adolescent

Laz

Ma

Par

Pas

Pig

QuRaRoVo

B. Voizot / Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 55 (2007) 269–276276

Pour en savoir plus

Braunschweig D, Fain M. La nuit, le jour. Paris: PUF; 1975.Carel A. Le processus d’autorité. Rev Fr Psychoanal 2002;66(1):21–40.Consoli S. La tendresse. Paris: Odile Jacob; 2003.Duparc F, et al. La censure de l’amante et autres préludes à l’œuvre de Michel

Fain. Lausanne: Delachaux et Niestlé; 1999.Freud S. Psychologie de la vie amoureuse. In: « La vie sexuelle ». Paris: PUF;

1910 (1969).Freud S. Pulsions et destins des pulsions. In: « Métapsychologie ». Paris: Gal-

limard; 1915 (1968).Freud S. La disparition du complexe d’Œdipe. In: La vie sexuelle. Paris: PUF;

1923 (1969).Gillibert J. Le meurtre de l’imago et le processus d’individuation. Rev Fr Psy-

choanal 1969;33(3):375–414.Guignard F. Épître à l’objet. Paris: PUF; 1997.

artigues A. Réflexions sur les droits de l’enfant, les couples contemporainset l’éducation nouvelle. Lettr Psychiatre 2006;2(3):97–101.rcelli D. L’autorité de l’infantile. Pour une nouvelle gouvernance familiale.Lettr Psychiatre 2006;2(3):97–101.at C. Avatars du « courant tendre » freudien. Rev Fr Psychoanal 1992;56(3):777–91.che F. L’imago-zéro, une relation de non-dialogue. In: Le sens de la psy-chanalyse. Paris: PUF; 1988.ott C. Les imagos terribles. Paris: Éditions du Collège de psychanalysegroupale et familiale; 1999.inodoz D. Des mots qui touchent. Paris: PUF; 2002.camier PC. Le génie des origines. Paris: Payot; 1992.ussillon R. Le jeu et le potentiel. Rev Fr Psychoanal 2004;68(1):79–94.izot B. Le courant tendre dans la situation analytique. Bull Soc PsychoanalParis 2006;81:173–91.nnicott DW. Jeu et réalité, l’espace potentiel. Paris: Gallimard; 1971.

Wi