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" Les races supérieures ont un droit sur les races inférieu- res "... ... " Les colonies sont pour les pays riches un placement de capitaux des plus avanta- geux " Istoria Le mythe Ferry et la République coloniale Jules Ferry Assemblée Nationale, 28 juillet 1885 Lors de son investiture à la présidence de la République le 15 mai 2012, François Hollande choisit d'honorer la mémoire de Jules Ferry comme symbole de l'école républicaine et de la laïcité. Mais cette référence était-elle bienvenue? En effet, si les lois Ferry sur l'école sont considérées comme un acquis républicain fondateur, on peut s'interroger sérieusement sur la politique coloniale de la Ille République inspirée par Jules Ferry, dont nous subissons aujourd'hui encore les conséquences. Malgré les réserves exprimées par notre nouveau Président, il faut rappeler que l'accession au pouvoir de Jules Ferry a signé le vaste élan de la conquête d'un nouvel empire : protectorat français sur la Tunisie sous son premier ministère (sept 1880 - nov.188l) ; conquête de l'Annam et du Tonkin, poursuite de la colonisation du Congo et inter- vention à Madagascar sous son second ministère (fév 1883 - mars 1885). Dans " Les Affaires de Tunisie " en 1882, il écrit: " La concurrence est de plus en plus ardente entre nations européennes, pour se dis- puter ces débouchés lointains, ces stations aux portes de la barbarie, qu'un instinct sûr indique à la vieille Europe comme les têtes de pont de la civilisation et les voies de l'avenir. [. ..} Il n'y a rien à retran- cher, rien à dédaigner, rien à laisser en friche dans notre domaine colo· nial. Il faut le conserver et le féconder, il faut l'étendre partout il est manifeste qu'étendre est le seul moyen de conserver. " La colonisation: un devoir et un droit Le 28 juillet 1885, lors d'un débat parlementaire, Jules Ferry répond au radical Pelletan qui conteste la politique coloniale de la France, en justifiant celle-ci par un " devoir et un droit" qu'auraient " les races supérieures " d'apporter leur mode de civilisation aux " races inférieures ":" Je soutiens que les nations européennes s'ac- quittent avec largeur, avec grandeur et honnêteté de ce devoir supérieur de civilisation. Est-ce que vous pou- vez nier qu'il ya plus de justice, plus d'ordre matériel et moral, plus d'équité, plus de vertus sociales dans l'Afrique du Nord depuis que la France a fait sa conquête ?" 18 NO 1 R.., Et Jules Ferry de poursuivre son intervention en affirmant que la France doit être une " grande nation ", et doit rayonner sur le monde entier sans se laisser dis- tancer par les autres états euro- péens, dont les rivalités coloniales et la course aux armements de- vaient provoquer l'éclatement -de l'Europe en 1914, et plonger notre continent dans un demi-siècle de guerres et de dictatures féroces ; sans oublier leurs conséquences dans le monde entier, aujourd'hui encore en Orient par exemple mais aussi en Mrique. École et colonies: une même politique On ne peut pas séparer la politique coloniale de Jules Ferry de sa politique scolaire. Son long passage au ministère de l'Instruc- tion publique a donné lieu à un " matraquage " systématique des maîtres autour de leur formation patriotique, qu'ils devaient incul- quer aux élèves, en même temps que s'engageait une guerre impi- toyable contre les langues histo- riques de France . L'hebdomadaire " L'instruction primaire " jouera dans ce contexte un rôle primordial :" La patrie, notre grande famille, a droit à toute notre affection, à tout notre dévoue- ment. Nous devons nous sacrifier pour la défendre,. nous ne sommes pas nés pour nous mais pour elle. Le drapeau est le symbole de la patrie. [. . .] Les maîtres n'oublieront pas que c'est surtout par l'étude de l'histoire nationale, se ren- contrent si souvent les mots de patrie et de patriotisme, qu'ils arriveront à faire l'éducation de ce patriotisme et à produire sur l'esprit et le coeur de leurs élèves une im- pression forte et durable. [. . .] Nous demandons aux institutrices de former {. .. } des françaises {. .. }

Le mythe Ferry etlaRépublique coloniale

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Page 1: Le mythe Ferry etlaRépublique coloniale

"Les races supérieures ont undroit sur les races inférieu­res "...... "Les colonies sont pour lespays riches un placement decapitaux des plus avanta­geux "

• Istoria

Le mythe Ferryet la République coloniale

Jules FerryAssemblée Nationale,

28 juillet 1885

Lors de son investitureà la présidencede la Républiquele 15 mai 2012,François Hollande choisitd'honorer la mémoirede Jules Ferrycomme symbolede l'école républicaineet de la laïcité.Mais cette référenceétait-elle bienvenue?En effet, si les lois Ferrysur l'école sont considéréescomme un acquis républicainfondateur, on peut s'interrogersérieusement sur la politiquecoloniale de la Ille Républiqueinspirée par Jules Ferry,dont nous subissonsaujourd'hui encoreles conséquences.

Malgré les réserves expriméespar notre nouveau Président, il fautrappeler que l'accession au pouvoirde Jules Ferry a signé le vaste élande la conquête d'un nouvel empire :protectorat français sur la Tunisiesous son premier ministère (sept1880 - nov.188l) ; conquête del'Annam et du Tonkin, poursuite dela colonisation du Congo et inter­vention à Madagascar sous sonsecond ministère (fév 1883 - mars1885).

Dans " Les Affaires de Tunisie "en 1882, il écrit: " La concurrenceest de plus en plus ardente entrenations européennes, pour se dis­puter ces débouchés lointains, cesstations aux portes de la barbarie,qu'un instinct sûr indique à lavieille Europe comme les têtes depont de la civilisation et les voies del'avenir. [. ..} Il n'y a rien à retran­cher, rien à dédaigner, rien à laisseren friche dans notre domaine colo·nial. Il faut le conserver et leféconder, il faut l'étendre partout oùil est manifeste qu'étendre est le seulmoyen de conserver. "

La colonisation:un devoir et un droit

Le 28 juillet 1885, lors d'undébat parlementaire, Jules Ferryrépond au radical Pelletan quiconteste la politique coloniale de laFrance, en justifiant celle-ci par un" devoir et un droit" qu'auraient" les races supérieures " d'apporterleur mode de civilisation aux" races inférieures " : " Je soutiensque les nations européennes s'ac­quittent avec largeur, avec grandeuret honnêteté de ce devoir supérieurde civilisation. Est-ce que vous pou­vez nier qu'il y a plus de justice,plus d'ordre matériel et moral, plusd'équité, plus de vertus socialesdans l'Afrique du Nord depuis quela France a fait sa conquête ? "

18n,..,..it~ni::l • NO 1 R..,

Et Jules Ferry de poursuivre sonintervention en affirmant que laFrance doit être une " grandenation ", et doit rayonner sur lemonde entier sans se laisser dis­tancer par les autres états euro­péens, dont les rivalités colonialeset la course aux armements de­vaient provoquer l'éclatement -del'Europe en 1914, et plonger notrecontinent dans un demi-siècle deguerres et de dictatures féroces ;sans oublier leurs conséquencesdans le monde entier, aujourd'huiencore en Orient par exemple maisaussi en Mrique.

École et colonies:une même politique

On ne peut pas séparer lapolitique coloniale de Jules Ferryde sa politique scolaire. Son longpassage au ministère de l'Instruc­tion publique a donné lieu à un" matraquage " systématique desmaîtres autour de leur formationpatriotique, qu'ils devaient incul­quer aux élèves, en même tempsque s'engageait une guerre impi­toyable contre les langues histo­riques de France .

L'hebdomadaire " L'instructionprimaire " jouera dans ce contexteun rôle primordial : " La patrie,notre grande famille, a droit à toutenotre affection, à tout notre dévoue­ment. Nous devons nous sacrifierpour la défendre,. nous ne sommespas nés pour nous mais pour elle.Le drapeau est le symbole de lapatrie. [. . .] Les maîtres n'oublierontpas que c'est surtout par l'étude del'histoire nationale, où se ren­contrent si souvent les mots depatrie et de patriotisme, qu'ilsarriveront à faire l'éducation de cepatriotisme et à produire sur l'espritet le cœur de leurs élèves une im­pression forte et durable. [. . .] Nousdemandons aux institutrices deformer {. .. } des françaises {. .. }

Page 2: Le mythe Ferry etlaRépublique coloniale

prêtes, enfin, le jour venu, à confon­dre dans une même pensée ce culte :le drapeau et cette religion: lapatrie. " Quant à " La Ligue del'Enseignement ", elle avait pourdevise : " Pour la patrie, par le livreet par l'épée "...

Ainsi donc, une nouvelle religionest née, Ernest Lavisse en écrira lecatéchisme inspiré de Michelet, quisera enseigné à tous les enfants deFrance, d'Afrique et des DOM­TOM, et qui conditionnera la viepolitique, sociale et diplomatique del'État jusqu'à nos jours avec la" France-Mrique" ...

Lavisse s'adresse aux insti­tuteurs de l'École Normale en1885 : "À l'enseignement historiqueincombe le devoir de faire aimer etde faire comprendre la patrie.!...] Sil'écolier n'emporte pas avec lui levivant souvenir de nos gloires natio-

• à gauche: Jules Ferry• à droite: Ernest Lavisse

nales ,. [. ..] s'il ne devient pas uncitoyen pénétré de ses devoirs et unsoldat qui aime son fusil, l'institu­teur aura perdu son temps. "

Suzanne Citron, maître deconférence à Paris XIII, écrivait en1992 : " La France de la IlleRépublique, dirigée par un person­nel politique qui, en majorité, apartie liée avec les grandes Affaires,n'a jamais été une Républiquesociale. D'autre part, de puissantscourants racistes, antisémites etxénophobes n'ont cessé de se mani­fester dans le pays jusqu'à ce que lerégime de Vichy leur donne valeurd'institution. Et l'empire colonial dela Ille République s'est construitsur l'idée de la supériorité desFrançais sur les indigènes. L'écolede Jules Ferr) ne cherchait nulle­ment l'éveil du sens critique qui nese cultivait qu'au lycée. Elle voulait

remplacer la soumission à l'églisecatholique par une autre religionaussi dogmatique: la République etla France comme absolu. À l'écoleprimaire, chapeautée, comme toutl'enseignement public, lycée com­pris, par une administration centra­lisée, hiérarchisée et autoritaire, lesleçons de morale enseignaientl'obéissance et le respect de l'ordreétabli ".

En finir avec Ferry?Un nouveau quinquennat vient

de s'ouvrir. Mettra-t-il fin à la poli­tique coloniale de la France inau­gurée par Jules Ferry voici près de130 ans et consolidée par la confé­rence de Berlin en 1884, don~les

problèmes de l'Afrique d'aujour­d'hui sont la conséquence. On l'a vuavec l'affaire Elf au Gabon instruite

.. ./. ..

Page 3: Le mythe Ferry etlaRépublique coloniale

• La France apporte sa civilisationaux indigènes de ses colonies

. ERNEST LAVISSE

Histoire mo'",o

Histoire COolO";,O<3'no

Revision ~'''.'mo ...

Éducation n.Uonaio

La Première an·née

d~1Jistoire.':. '. . -",

de France

Pour en savoir plus:

- Suzanne Citron, Le mythe national(Ed. ouvrières Paris, 1991) etL'Histoire de France autrement (Edde l'atelier, Paris 1992)- Georges Labouysse, Histoire deFrance, L'Imposture (IEO,2007)- Alem Surre Garcia, La théocratierépublicaine (Ed L'Harmattan, 2010

Georges Labouysse

nouvelle coopération entre laFrance, voire l'Europe et lespeuples d'Mrique.

Enfin en ce qui concerne leslangues et cultures historiques deFrance d'une part et les pouvoirsrégionaux d'autre part, le nouveaugouvernement aura-t-il la volontéde mettre en œuvre une politiquede rupture avec l'État-nation " unet indivisible" du 1ge siècle, etd'impulser une véritable construc­tion politique de l'Europe?

par Éva Joly et on le voit avecl'exploitation de l'uranium dontdépend le tout-nucléaire français.

La France a construit là-bas desÉtats artificiels à l'image de larépublique française" une et indi­visible " sans tenir compte des po­pulations différentes qui ont été en­globées dans ces États, voire scin­dées en plusieurs" morceaux ",comme l'ont été ici en Europe lesBasques et les Catalans de part etd'autre des Pyrénées, ou en Orientles Kurdes sur quatre États nou­veaux après 14-18 (Irak, Iran, Syrieet Turquie).

Une nouvelle coopérationLes problèmes du Mali, la

" rébellion " des Touaregs spoliésde leurs territoires, etc. montrentl'urgence d'une mise à plat de cesquestions et de la définition d'une