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LE NÉOLIBÉRALISME EST-IL UNE PHASE DU CAPITALISME ? Stéphane Haber Presses de Sciences Po | Raisons politiques 2013/4 - N° 52 pages 25 à 35 ISSN 1291-1941 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-raisons-politiques-2013-4-page-25.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Haber Stéphane, « Le néolibéralisme est-il une phase du capitalisme ? », Raisons politiques, 2013/4 N° 52, p. 25-35. DOI : 10.3917/rai.052.0025 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Presses de Sciences Po. © Presses de Sciences Po. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - National Chung Hsing University - - 140.120.135.222 - 02/04/2014 10h26. © Presses de Sciences Po Document téléchargé depuis www.cairn.info - National Chung Hsing University - - 140.120.135.222 - 02/04/2014 10h26. © Presses de Sciences Po

Le néolibéralisme est-il une phase du capitalisme ?

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LE NÉOLIBÉRALISME EST-IL UNE PHASE DU CAPITALISME ? Stéphane Haber Presses de Sciences Po | Raisons politiques 2013/4 - N° 52pages 25 à 35

ISSN 1291-1941

Article disponible en ligne à l'adresse:

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Pour citer cet article :

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Haber Stéphane, « Le néolibéralisme est-il une phase du capitalisme ? »,

Raisons politiques, 2013/4 N° 52, p. 25-35. DOI : 10.3917/rai.052.0025

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Le néolibéralismeest-il une phasedu capitalisme ?

Stéphane Haber

E n réfléchissant aux usages de la notion de néolibéralisme dans lathéorie sociale contemporaine, on s’aperçoit vite qu’ils tendent à se

répartir autour de deux pôles assez nets. Leur contenu peut être approchégrâce à la question suivante : le néolibéralisme est-il, oui ou non, le nomd’une certaine phase du capitalisme ?

Se dégageant à partir d’une orientation commune, ces deux choixs’avèrent parfaitement commensurables. Car parler de néolibéralismeaujourd’hui, et faire de ce terme le mot-clé d’un diagnostic historique duprésent, cela revient à faire un pari : celui qui consiste à prendre commefil conducteur un certain type de politiques gouvernementales nouvelle-ment mises en œuvre par des pays du vieux capitalisme au début des années1980. Nous considérons alors que ce changement de cap a révélé des trans-formations sous-jacentes, a eu des effets globaux considérables, puis estentré en synergie avec des évolutions indépendantes, notamment au Sud.Le débat commence lorsqu’il s’agit d’identifier ces transformations sous-jacentes, à la fois, donc, exprimées et stimulées par la réorientation despolitiques économiques occidentales. Il oppose deux camps. Il y a ceuxpour qui la notion de « phase du capitalisme », en plus d’être intrinsèque-ment valide, se trouve aussi être pertinente pour le cas présent (ils affirmentque nous vivons une phase néolibérale du capitalisme et que c’est sansdoute là l’élément le plus important ou le plus intéressant de notre époque) ;et il y a ceux pour qui l’intérêt du terme « néolibéralisme » provient jus-tement du fait qu’il nous invite à regarder ailleurs que vers l’économie, ausens où ce terme renvoie d’une façon à peu près claire à un univers assezspécial, caractérisé par l’utilisation des ressources naturelles, la productionde biens et de services, l’échange monétaire et la consommation.

Le néolibéralisme au-delà de l’économie

L’idée la plus forte sur laquelle peut s’appuyer cette seconde position,celle qui se veut hostile à la thématique des phases du capitalisme, est quece que désigne le concept de capitalisme reste trop indéterminé sociolo-giquement pour fournir à lui seul le principe d’une forme sociale.

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Dans les théories historiques du capitalisme – par exemple chez KarlPolanyi 1 ou chez Fernand Braudel 2 –, on trouve ainsi parfois le thème selonlequel celui-ci est quelque chose de très simple, de trop simple, pour ainsi dire,de trop pauvre ; il se ramène à des mécanismes pour faire de l’argent avec del’argent, infiniment, en passant à un certain moment par la médiation dumarché et par celle du travail, ou du moins à grande proximité de la médiationdu travail. Il n’y a pas de société capitaliste tout court, affirment ainsi les tenantsde ces conceptions ; il n’y a que des sociétés qui disent oui au capitalisme,c’est-à-dire à la petite machinerie capitaliste, et qui, si elles disent oui, le fontde telle ou telle manière. Plus clairement : il n’y a que des sociétés qui tolèrentou accompagnent son implantation et sa diffusion dans les différentes sphèressociales, encouragent les synthèses institutionnelles qu’elles requièrent pourperdurer et l’émergence de groupes actifs qui ont intérêt à son développement ;il n’y a que des sociétés qui acceptent de voir se recomposer les rapports sociauxen fonction des besoins inhérents à sa dynamique expansive. Bref, dans cetteperspective, le capital ne fait pas société. Il ne devient pas ce principe démiur-gique de refonte et de réagencement autonome, voire totalitaire, des rapportssociaux que le marxisme tend parfois à y voir depuis certaines fameuses for-mules du début du Manifeste communiste. Son statut ontologique est plutôt àrapprocher de celui du parasite, de l’enclave, ou même de l’instrument tech-nique, au sens où, dans la vision classique, l’instrument technique se trouveen attente d’un usage et d’une appropriation sociale qui ne sont pas décidésd’avance.

Partant de prémisses distinctes, la position de Foucault peut pourtant êtrecomparée à ces conceptions lorsqu’il s’avère qu’elle s’appuie explicitement surl’idée que le capitalisme, comme forme d’organisation économique, est souple,si souple que le traditionnel évolutionnisme des phases n’est pas de mise pourle comprendre, dépendant qu’il reste d’une téléologie essentialiste 3. N’ayantpas d’essence fixe ni de terme programmé, affirme le philosophe, il n’est pasnon plus tronçonnable en périodes distinctes, à la manière d’étapes ordonnées

1 - Karl Polanyi, La Grande transformation (1944), Paris, Gallimard, 1983.

2 - Fernand Braudel, Civilisation matérielle, économie et capitalisme, 3 vol., Paris, ArmandColin, 1979.

3 - « Si (...) ce que les économistes appellent “le capital”, ce n’est en fait qu’un processusrelevant d’une théorie purement économique, mais que ce processus n’a et ne peut avoir deréalité historique qu’à l’intérieur d’un capitalisme qui, lui, est économico-institutionnel, alorsvous comprenez bien que le capitalisme historique que nous connaissons n’est pas déductiblecomme [étant] la seule figure possible et nécessaire de la logique du capital. En fait, on ahistoriquement un capitalisme, un capitalisme qui a sa singularité, mais qui, à travers cettesingularité même, peut donner prise à un certain nombre de transformations institutionnelleset par conséquent économiques, un certain nombre de transformations économico-institution-nelles qui ouvrent devant lui un champ de possibilités. Dans le premier type d’analyse, référéentièrement à la logique du capital et de son accumulation, un seul capitalisme, et par consé-quent, bientôt, plus de capitalisme du tout. Dans l’autre possibilité, vous avez la singularitéhistorique d’une figure économico-institutionnelle devant laquelle, par conséquent, s’ouvre, sidu moins on se donne un peu de recul historique et un peu d’imagination économique, politiqueet institutionnelle, un champ de possibilités » : Michel Foucault, Naissance de la biopolitique.Cours au Collège de France. 1978-1979, éd. par Michel Senellart, sous la dir. de François Ewaldet Alessandro Fontana, Paris, Gallimard-Seuil, coll. « Hautes Études », 2004, p. 170.

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propres à un développement organique unifié. Si l’on suit certaines formulesde Foucault, il ne suffit pas d’affirmer qu’il faut toujours un contexte socialpour que les logiques du capital s’épanouissent ; on doit dire aussi que ce quifait que le capitalisme prend telle ou telle forme n’a pas sa cause dans le mondeéconomique, mais dans des configurations de pouvoir autonomes qui lui prê-tent, en quelque sorte, une part de leur propre souplesse. Le néolibéralisme,celui qui a été anticipé par les théoriciens de l’ordolibéralisme et les libertariensaméricains évoqués dans Naissance de la biopolitique 4, n’est pas un moment del’histoire du capitalisme ; c’est une forme de gouvernementalité qui, finit paraffirmer Foucault dans l’une de ses rares déclarations explicites sur le thème ducapitalisme (mais elle fournit une clé), peut ensuite contribuer à donner leurforme singulière à certains moments de celui-ci, au-delà d’une fixation exagéréesur l’originalité du moment fordiste et keynésien, peut-on d’ailleurs ajouter.

Ce qui, en revanche, est complètement original dans le cours de MichelFoucault, c’est sa position normative 5. Refusant d’assimiler le capitalisme et lenéolibéralisme à des forces du Mal, elle consiste à affirmer que nous n’avonsaucune raison d’accrocher notre réflexion théorique à une hostilité de principeà leur encontre. Cette position normative ne reste pas purement abstraite.Lorsque Foucault entre sur le terrain des pratiques, évoquant des mesures depolitique économique précises à propos du néolibéralisme, c’est le revenuminimum qu’il mentionne, sous le nom d’impôt négatif 6. Le revenu minimumserait le filet de sécurité qui permettrait aux citoyens de se comporter en fonc-tion des lois du marché ; c’est vers lui que semblent s’orienter les nouvellespolitiques publiques, explique Foucault en 1979. Il s’agit, on le voit, d’un dis-positif assez ambivalent, en tout cas pas vraiment haïssable en soi. Le néolibé-ralisme réel auquel il pense apparaît donc rétrospectivement comme une sorted’utopie : une synthèse prudente entre les valeurs de l’État social classique etl’extension d’un principe individualiste de liberté marchande. C’est un néo-libéralisme qui considère comme assez inintéressante l’égalité, sans cependantla détester. Et qui n’est pas, en tout cas, principalement déterminé par cespenchants punitifs et sadiques, disons malthusiens, qui se sont révélés si déter-minants depuis le thatchérisme, penchants qui se sont adjoints une tolérancesans bornes face au renforcement d’inégalités parfois spectaculaires. Le rôleassez important que joue le thème du revenu minimum dans le cours (unmoment de reprise de contact avec le réel) semble bien prouver qu’il ne fautpas majorer la prescience dont ces pages, par ailleurs évidemment géniales,

4 - Ce point a été récemment souligné à juste titre, avec des accentuations très différentes,par des auteurs tels qu’Isabelle Garo (Foucault, Deleuze, Althusser et Marx, Paris, Démopolis,2011) et Geoffroy de Lagasnerie (La Dernière leçon de Michel Foucault, Paris, Fayard, 2012).

5 - Michel Foucault, Naissance de la biopolitique..., op. cit., p. 208 et suiv.

6 - Un autre élément de l’argument du philosophe peut également contribuer à nous faireprendre conscience de la distance considérable qui nous sépare de lui. La dénonciation de lacritique du consumérisme dans le style des années 1960 et 1970 à laquelle, non sans complai-sance, se livre Foucault (ibid., p. 117) sonne étrangement à nos oreilles, alors que nous savonsaujourd’hui à quel point la fuite en avant consumériste, aux conséquences environnementales,sociales et culturelles dévastatrices, a joué un rôle fonctionnel crucial, ne serait-ce que commealiment de l’endettement de masse, depuis trente ans.

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font preuve 7. Les évolutions dont Foucault pense à son époque qu’elles consti-tuent un commencement de traduction reconnaissable des thèmes du néoli-béralisme des théoriciens ne recouvrent que trop partiellement ce qui s’estpassé dans les faits depuis les années 1980, tout simplement 8.

Les prolongements contemporains de la position foucaldienne

Cette limite évidente explique le fait que, dans la réflexion contemporaine,on a tenté de reformuler sur d’autres bases l’idée selon laquelle certaines poli-tiques économiques post-thatchériennes favorables au marché, au business,etc., révèlent l’existence de tendances historiques plus profondes qui ne sontpas d’abord celles du « capitalisme ».

Le propre du travail de Pierre Dardot et Christian Laval, La Nouvelle raisondu monde 9, est de sortir d’une certaine ambiguïté, ou au moins de l’espèce deneutralité analytique troublante qui caractérise parfois les cours de Foucault.Pour ce faire, la mobilisation de la thématique disciplinaire apparaît tentante,induisant des inflexions significatives. Chez Foucault, le néolibéralisme repré-sentait l’une des façons dont les sociétés occidentales envisageaient de relativiserla discipline, au sens de Surveiller et punir. Sans vouloir systématiser à outrance,on peut dire qu’il illustrait, à ses yeux, une sorte de modernisation biopolitiquepar laquelle le pouvoir tend progressivement à substituer la définition discrètede marges de tolérance et de normes générales à l’exposition de strictes pro-cédures d’enfermement et de coercition, comme celles qui se sont concentréesdans l’univers de la prison du 19e siècle 10. Chez Pierre Dardot et ChristianLaval, le néolibéralisme implique au contraire une continuation de la « disci-pline » par d’autres moyens. Les auteurs ne manquent pas de matériaux

7 - Les risques liés à la décision de comprendre le néolibéralisme à partir des théoriciens etdes idéologues deviennent évidemment de plus en plus apparents à mesure que le néolibéra-lisme réellement existant prend forme. Ainsi, le fait que Foucault, partant des livres, en vienneà donner une image trop unifiante des conceptions néolibérales n’est sans doute pas ici le pointcrucial. Ce qui importe, c’est, par exemple, que la montée de l’individu-entreprise n’ait pris unsens original que dans le contexte d’une transformation des conditions du travail et de nouveauxrapports de force très déséquilibrés entre les principales classes sociales. Ce sens original, ilserait absurde de reprocher à Foucault de ne pas l’avoir anticipé, même de loin. Il ne l’a pasfait, c’est tout.

8 - Pierre Dardot et Christian Laval, La nouvelle raison du monde. Essai sur la société néoli-bérale, Paris, La Découverte, 2010.

9 - Le livre de François Ewald, L’État Providence (Paris, Seuil, 1986) a été très loin dans cettedirection. Il a été, en fait, jusqu’au point où la construction historique de l’« État social » danssa globalité, et par là toute la période contemporaine, s’en trouvent éclairés. Cette période seraitbien, si l’on suit Ewald, celle du déclin absolu de la discipline.

10 - À juste titre, Pierre Dardot et Christian Laval (La nouvelle raison du monde..., op. cit.,p. 411) critiquent le propos de Luc Boltanski et Ève Chiapello dans Le Nouvel esprit du capita-lisme (Paris, Gallimard, 1999). Ces derniers, prisonniers de leurs sources (la littérature profes-sionnelle, largement fonctionnelle et idéologique) auraient sous-estimé la dimension autoritaire,disciplinaire, du management contemporain, soulignant trop massivement son côté séducteur.Mais ce différend sociologique n’apparaît que sur fond d’un accord : le management d’entreprisedit l’essentiel de la période contemporaine. Méthodologiquement, il forme, croit-on, le seul lieuoù l’on observe de près non pas tant l’« économie » en soi, laissée pratiquement hors champ,que la façon dont celle-ci joue un rôle de transformation sociale et influe sur les individus.

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empiriques pour nourrir cette sombre redescription. En effet, le néolibéralismeréellement existant, celui dont Michel Foucault ne pouvait presque rien savoirhistoriquement, s’est traduit par la multiplication impressionnante descontraintes et des néodominations en tout genre, visant en particulier les sala-riés, les agents de l’État, les chômeurs, les usagers, les bénéficiaires de presta-tions. Et c’est l’appareil d’État qui en fut le promoteur privilégié, ne serait-cequ’à titre d’instance de légitimation.

Cependant, une difficulté posée par cette approche, particulièrement puis-sante, déjà presque classique, tient à ce qu’elle incite à aller très loin, peut-êtreplus loin que ne l’autorisent les faits, dans le sens de l’idée d’une autonomiedu néolibéralisme compris comme vision du monde, comme forme socialenon-économique ou comme tendance historique fondamentale. En somme, leprincipe tacite est celui du tout sauf l’économie, laquelle ne retrouve son impor-tance que par le biais (politique, donc indirect) du management d’entreprise 11.

Or, à l’usage, cette accentuation sur l’extra-économique apparaît peut-êtreun peu trop appuyée.

Critique de la critique du néolibéralisme

Dans La Nouvelle raison du monde, la critique du néolibéralisme se densifiethéoriquement lorsqu’il est question de formes de subjectivation hautement pro-blématiques qui ont accompagné la mise en place des politiques néolibérales.D’ailleurs, on peut même dire que la proposition la plus synthétique du livre n’estpas foucaldienne, puisqu’elle fait de l’organisation du psychisme individuel (absor-bant ce que Foucault analysait en termes de subjectivation), conçu dans son auto-nomie, le cœur du néolibéralisme, à la fois son résultat le plus profond et sadernière condition de possibilité comme phénomène durable. Il est alors questionde formes d’individualité définies par la performance compétitive et la jouissanceaveugle. Ici, on se sent plus proche de Christopher Lasch 12 ou de CharlesMelman 13, disons de l’ensemble composite des psychologies historiques post-freudiennes critiques, voire même de Tocqueville, que de Foucault. Au-delà de ladiscipline, concluent Pierre Dardot et Christian Laval, on voit donc qu’il y avraiment quelque chose qui ne tourne pas rond, philosophiquement, avec le néo-libéralisme – en dernier ressort, le développement de personnalités étroites, mar-chandes et frénétiques, exposées à de nouvelles pathologies ad hoc. Le phénomènecrucial se situe donc extrêmement loin de l’économie, en l’occurrence dans l’appa-rition d’un nouveau type d’âme humaine, type que l’argumentation de l’ouvrageinvite à voir d’abord comme le corrélat de dispositifs de gouvernement qui onttrouvé leur efficacité maximale, tout comme leur forme naturelle, en étant pilotéspar l’État.

11 - Christopher Lasch, La Culture du narcissisme (1979), Castelnau, Climats, 2000.

12 - Charles Melman, L’Homme sans gravité, Paris, Denoël, 2002.

13 - Sur la nécessité d’une théorie sociale de l’individualité sensible à la variété individuelle,voir Stéphane Haber, Freud et la théorie sociale, Paris, La Dispute, 2012.

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Une telle position s’expose à des critiques de principe assez générales. Ellesreviennent toutes à souligner à quel point il est difficile de considérer les indi-vidus comme les produits d’une fabrication sociale en série, fabrication qui setrouverait être homogène à la domination sociale en général. On se rend impos-sible la tâche d’affronter la réalité phénoménale, forcément très diversifiée, desindividuations et des socialisations 14. Comment penser sérieusement celles-cià l’écart d’une ontologie sociale capable d’admettre résolument que les pro-cessus sociaux de production et de reproduction comportent inévitablementde l’inattendu, des ratés, des bougés, des décalages, bref, de la complexité etde la variété ?

Dans le cas présent, il est clair également que si les formes de vie néolibéralesse sont enracinées et ont même connu une sorte de diffusion virale, c’est pourdes raisons qui n’ont rien à voir avec le modelage social des psychismes et despersonnalités. C’est sur des bases assez larges que la vitalité s’est trouvée effec-tivement instrumentalisée. Des prédispositions sédimentées de longue date(celles qui incitent à s’orienter en fonction des comportements marchands,acquisitifs ou productifs) ont ainsi été réveillées et consolidées, en continuitéavec certaines tendances profondes de l’individualisme moderne. Ensuite, desaffects comme l’envie, la jalousie et le désir d’imitation, ou tout simplement larecherche de l’excitation, ont été puissamment sollicités. Enfin, une situationtrès spéciale est née de certaines réalités historiques : dans les années 1980, lacrise conjointe du socialisme et du tiers-mondisme créait un vide idéologiqueabyssal, les recettes néolibérales permettaient à certaines populations, au Sud,de sortir de la misère (dans quelles conditions réelles, c’est une autre histoire),et, finalement, il y avait bel et bien eu de la « croissance », de la production derichesses nouvelles.

Bref, plusieurs voies peuvent conduire à la conclusion selon laquelle il nefaut pas exagérer la part de passivité et d’irrationalité dans l’adhésion auxcroyances « néolibérales » et dans l’adoption de conduites « néolibérales ».Comme l’avait noté très tôt Stuart Hall, sans avoir eu besoin de nier le rôleévident de la manipulation des masses et de la contrainte pure et simple, il ya là des choses qui ont parfois parlé aux gens, qui ont rencontré certaines deleurs aspirations 15, et même qui les ont convaincus sur la base de raisonstangibles, bien que partielles. Rien n’aurait été possible sans ces correspon-dances, sans ce mouvement positif d’accommodation et d’appropriation, quidépasse de loin ce que l’on nomme souvent la « servitude volontaire »(puisqu’il y a bien des moyens, et pas seulement ceux que suggèrent cetteexpression, d’être placé quelque part entre les statuts de victime, de compliceet de profiteur).

14 - Voir, à partir de prémisses théoriques divergentes, les analyses de Bernard Lahire (LaCulture des individus, Paris, La Découverte, 2004) et de Judith Butler (La Vie psychique du pou-voir, Paris, Léo Scheer, 2002).

15 - Voir Stuart Hall, Le Populisme autoritaire, Paris, Éditions Amsterdam, 2008. Il y a là, àdistance de toute nostalgie, une invitation à réfléchir aux limites du monde keynésien-fordiste :il a généré d’énormes insatisfactions qui ont contribué à rendre possible le néolibéralisme.

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C’est pourquoi il paraît difficile, dans le sillage du culturalisme d’autrefois,de désigner, à titre de point de fuite d’une théorie englobante du néolibéra-lisme, le thème (d’ailleurs en lui-même sans doute trop indifférencié) de laproduction de sujets addictés à l’individualisme de la performance effrénée etde la jouissance sans entraves. Pour le meilleur et pour le pire, les gens et leurpsychisme sont restés très vivants, indépendamment des besoins supposés dupouvoir et des transformations de l’État. La masse des malaises, des troubles,des adaptations bancales, des aspirations insatisfaites que le néolibéralisme aengendrée en forme une preuve a posteriori, et cela même si la force des compli-cités avec le système reste l’élément le plus frappant au premier abord.

Or, il semble bien que la tentation d’un psychologisme fonctionnalisterésulte d’une sorte de sous-estimation ontologique de l’économique. L’affir-mation sèche que l’on trouve dans l’ouvrage de Pierre Dardot et de ChristianLaval selon laquelle le néolibéralisme (comme ensemble de formes sociales) et,disons, le néocapitalisme (comme ensemble de formes économiques 16) ont eudes tas de points de contact ne fait pas du tout l’affaire, même si elle estévidemment vraie en elle-même. Pareille affirmation permet certes d’éloignerle spectre de la réduction économiciste – une étape importante, assurément.Mais, pour ce faire, elle nous invite à nous installer à une distance démesuréedes activités « économiques », devenues indifférentes et sans relief, rejetées auloin. Certains pans du paysage se trouveront peut-être éclairés grâce à cettestratégie paradoxale. Mais il faut faire bien attention, doit-on souligner parcontraste au propos de la Nouvelle raison du monde, à disposer aussi de conceptsqui nous permettent d’établir des correspondances fortes entre les formessociales néolibérales et le monde des rapports sociaux et des pratiques direc-tement liées à la vitalité économique du capitalisme. Si l’on veut essayer defaire tenir ensemble des données différentes, il faut dire que tout ne se ramènepas au management, comme si l’économie ne devenait intéressante qu’une foisreconvertie sans résidus en domination organisationnelle.

Pour énoncer une hypothèse positive générale à ce propos, on dira que, sousbeaucoup d’aspects, les formes de domination et de subjectivation néo-libérales n’ont pu agir pleinement qu’au sein d’un univers économique original :en l’occurrence, un univers formé par des puissances anonymes et autonomesdécomplexées et acharnées, fonctionnant en synergie, dont les grandes entre-prises multinationales ont été les principales incarnations. Pour ces puissances 17,l’impératif de dynamique expansive s’est transformé en finalité obsédante ;s’affirmer positivement et s’engager dans le jeu de l’accélération ne font plusqu’un. La financiarisation contemporaine a évidemment eu dans cette affaireune fonction à la fois paradigmatique et motrice. Elle n’a pas seulement intro-duit un paramètre économique nouveau, comme cela s’est déjà passé à d’autres

16 - Sur la légitimité et la portée de cette catégorie, voir Stéphane Haber, Penser le néocapi-talisme, Paris, Prairies Ordinaires, 2013.

17 - Dans le chapitre IV du Capital, Marx décrit l’univers capitaliste comme traversé par unetendance expansionniste infinie. La chrématistique aristotélicienne, l’art de faire de l’argent parl’argent et pour l’argent, s’incarne désormais, explique-t-il, dans des mécanismes anonymes

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époques du capitalisme. En plus de former de nouvelles modalités de pouvoir 18,elle a été productrice de changements d’échelles et de transformations qualita-tives essentielles. Le gigantisme et la complexité des structures, le mouvementcontinu d’escalade et de fuite en avant dans le processus de l’enrichissement(qui peut désormais contourner la production) et de prise de pouvoir social,l’accélération continue, l’auto-référentialité radicale, tout cela a dessiné unmonde, et pas seulement un contexte extérieur. Beaucoup de choses se sontmises à bouger au rythme de cette nouvelle danse ; une culture et des formesde vie se sont dessinées, des opportunités originales se sont créées. Cet exemplemontre qu’il est impossible d’avancer sans passer par une caractérisationcompréhensive des évolutions économiques récentes par rapport auxquelles lesélucubrations en provenance du Mont Pèlerin n’ont eu d’importance qu’anec-dotique 19. Elles n’ont rien préfiguré du tout.

À propos de certains phénomènes (relevant du monde du travail ou de laconsommation), on peut plutôt dire, en partant du bas et pas du haut, qu’ily a d’abord eu le nouveau capitalisme et la masse composite des envoûte-ments, des engouements et des adaptations qu’il a suscités. En d’autres termes,une forme d’organisation économique et des gens affectés de passions, d’inté-rêts, de désirs, de vices et de vertus, de croyances. Au Sud comme au Nord,ce sont des canalisations et des sollicitations originales qui ont transforméles conditions de l’individualisation, en engendrant des boucles nouvellesreliant attitudes et faits économiques. Ainsi, on peut affirmer que, à côté del’État prescripteur de l’individu-entreprise sur lequel insistent Pierre Dardotet Christian Laval, les formes d’activité économiques ont bien joué une fonc-tion, et une fonction sans doute première : complexes, à la fois stimulanteset enrichissantes, dans plusieurs sens du mot, elles ont, d’un côté, aimantél’activité subjective, et elles ont, de l’autre côté, servi de normes et de modèlesobligatoires pour de nombreuses pratiques sociales. D’où le fait que l’entre-prise, qui peut devenir dans certains cas le modèle même de ce qu’est unepuissance détachée, ait exercé une influence de plus en plus énorme, deve-nant, entre autres choses, un fournisseur inépuisable de valeurs et de para-digmes institutionnels.

qui visent leur propre perpétuation toujours agrandie. Il y a absolutisation. Mais à ce motif, ilfaut d’ajouter un complément crucial, qui nous éloigne sans doute de l’image trop concrète de« l’accumulation du capital ». Au 20e siècle, la tendance expansive en question n’est plus seu-lement le fait d’une contrainte systémique aveugle. Elle est prise en charge très consciemment,très méthodiquement, par des acteurs individuels et surtout collectifs (à commencer par lesgrandes entreprises, y compris celles de l’ingénérie financière) qui se l’approprient, la procla-ment et la revendiquent fièrement. Le centre de l’affaire se déplace alors vers la tendance àl’accumulation des conditions de l’accumulation. Du coup, l’histoire est de plus en plus faite parces puissances détachées qui captent la vitalité au nom de la croissance, qui tendent à reforgertout le dynamisme de la vie en fonction du modèle de l’entreprise cherchant à se développer.

18 - Dont l’argent, capable de se constituer en support et en objet d’une accumulation sans finde richesse, constitue évidemment un élément constitutif et un symbole.

19 - Maurizio Lazzarato, La Fabrique de l’homme endetté, Paris, Éditions Amsterdam, 2012.

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Finalement, une phase néolibérale du capitalisme ?

La conclusion que l’on peut tirer de ces brèves remarques est qu’il fautvraiment sortir de l’idée, fréquentée un moment par Michel Foucault, d’uncapitalisme dépourvu de lois caractéristiques, essentiellement amorphe, sansinstitutions-clés, sans capacité d’irradiation propre, auquel le néolibéralisme,parmi d’autres éléments, viendrait enfin, de l’extérieur, donner un contourprécis. L’invocation du temps long, celui des idées et des formes de vie qui ontpréparé l’époque actuelle depuis le triomphe de l’utilitarisme 20, comme l’invo-cation de la profondeur sociologique, peuvent s’avérer unilatérales, si l’on sou-haite continuer à désigner les politiques néolibérales commencées à la fin desannées 1970 comme des index fiables d’une situation historique globale enmutation. Il faut faire une place aux faits qui montrent l’existence d’un lienplus intime, plus interne, entre néolibéralisme et néocapitalisme. Or, une solu-tion fort simple se dessine si nous voulons continuer à qualifier notre époquede néolibérale et même d’essentiellement néolibérale, tout en marquant mieuxl’importance des médiations économiques. Elle consiste à radicaliser l’idée qu’ilne faut pas rester au large de tout ce que veut dire concrètement le capitalismedérégulé, mondialisé, financiarisé, décomplexé. Il faut même s’en rapprocherjusqu’au point où cette idée conduit à la stratégie non-foucaldienne consistantà utiliser néolibéralisme pour caractériser directement une phase du capitalisme.

En la matière, le livre de David Harvey, A Brief History of Neoliberalism,s’est imposé comme la référence majeure. David Harvey part bien des politi-ques économiques qui ont changé la face du monde à partir de la fin des années1980. Ce n’est pas un hasard si la photo de Margaret Thatcher figure sur lacouverture. Mais dans sa démonstration, il insiste surtout sur les difficultésrencontrées par le processus d’accumulation du capital au cours des années1960 et 1970, et enchaîne sur une explication sociologique qui met au premierplan le rôle d’une lutte de classes atypique car initiée par les classes dominantes,avec les États-Unis comme épicentre. Il décrit ainsi la dérégulation, associée àla restauration d’un pouvoir de classes autoritaire et répressif, comme le prin-cipe de transformations en cascade qui ont affecté le monde entier. Avec desaccentuations différentes, Gérard Duménil et Dominique Lévy 21 suivent éga-lement cette voie : nous vivons en régime de capitalisme néolibéral, un régimedont les politiques économiques ont été des auxiliaires bienvenus, des expres-sions secondes, quoique nullement inefficaces. En parlant ainsi, on rejoint touteune problématique qui s’est imposée dès l’époque de Hilferding et de

20 - Pierre Dardot et Christian Laval admettent évidemment que le néolibéralisme des philo-sophes et des économistes n’est pas la cause, ni même la préfiguration du néolibéralismecomme forme sociale actuellement hégémonique. Néanmoins, la continuité entre ces deuxmoments du néolibéralisme reste forte dans leur livre. Quelque chose de la gouvernementalité,de la rationalité politique néolibérale, parait bien avoir été entrevu et préparé par ces théoriciens.Une cohérence reste perceptible. D’où, sans doute, la tentation de décrire la doctrine néolibéralecomme elle-même assez cohérente. Sur ce point, voir Serge Audier, Néo-libéralisme(s). Unearchéologie intellectuelle, Paris, Grasset, 2011.

21 - Christian Laval, L’Homme économique, Paris, Gallimard, 2007.

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Luxemburg et qui n’a pas quitté la scène du marxisme depuis lors : le capita-lisme contemporain présente un certain nombre de traits originaux qui sontliés à une certaine capacité de renouvellement et de résilience (une capacité àinitier de nouvelles modalités de manifestation de sa dynamique expansive)dont les analyses de Marx ne pouvaient pas anticiper les effets. Et la notion dephase du capitalisme s’impose alors là pour tenter de saisir un ensemble decaractères et de tendances de fond censé posséder une profonde cohérence.

Suivant David Harvey, on peut en effet utiliser par synecdoque le termenéolibéralisme pour désigner une phase du capitalisme, disons par commoditéle capitalisme sous sa forme actuelle : un capitalisme qui, au moyen de lamondialisation, s’est lancé dans une folle fuite en avant destinée, illusoirement,à retrouver les taux de croissance inédits dont ont bénéficié les pays occiden-taux après 1945 22. On vise alors certaines idéologies typiques et certainespratiques sociales remarquables qui expriment ou accompagnent ce néocapi-talisme, mais aussi qui y réagissent et s’y adaptent. Ces idéologies et ces pra-tiques auraient été expérimentées et se seraient diffusées à partir du basculementthatchérien et reaganien, émanation politique naturelle du néocapitalisme, aveclequel elles forment un bloc. Le néolibéralisme, c’est donc ici le néocapitalismevu sous certains de ses aspects, appréhendé à partir d’un certain point de vue,mais d’un point de vue qui a l’avantage d’être panoramique.

La difficulté vient alors de ce que l’on choisit comme indice pertinent d’unemutation du capitalisme (une nouvelle politique comme expression transpa-rente et corrélat proche d’une nouvelle phase du capitalisme) un élément qui,en réalité, est devenu de plus en plus difficile à appréhender avec le temps.On peut concevoir cette difficulté comme la conséquence d’une stratégie hété-rodoxe sur la forme consistant, chez David Harvey, à passer par la sphèrepolitique pour, en fait, rétablir l’orthodoxie (à savoir, le primat de l’« infra-structure »). Plusieurs arguments vont dans cette direction.

Déjà, d’un point de vue géographique, il est clair que la trajectoire écono-mique des grands pays émergents depuis trente ans n’a pas seulement étécommandée ni même symbolisée par les ajustements dans les politiques éco-nomiques des pays du vieux capitalisme 23. Certains interprètes de la croissancechinoise de ces vingt dernières années tendent aujourd’hui à souligner la sin-gularité des conditions historiques qui l’ont rendue possible, plutôt que del’assimiler d’emblée, comme David Harvey est bien obligé de le faire en vertude la logique de son argumentation, à une variante de la trajectoire néolibéraledes pays du vieux capitalisme du Nord 24.

22 - Gérard Duménil et Dominique Lévy, The Crisis of Neoliberalism, Cambridge, Harvard Uni-versity Press, 2012.

23 - David Harvey, A Brief History of Neoliberalism, Oxford, Oxford University Press, 2005, p. 11.C’est donc bien la crise économique qui est le premier moteur chez Harvey. C’est en cherchantà revenir à une situation de stabilité antérieure que le capitalisme se transforme, entraînanttoute la société.

24 - Voir Vijay Prashad, The Poorer Nations. A Possible History of the Global South, Londres,Verso, 2012. Prashad, contre Harvey, insiste à la fois sur l’autonomie relative des évolutions

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Chronologiquement, la trajectoire de longue durée, et en particulier lacésure impliquée par la crise financière de 2007, rendent par ailleurs les chosescompliquées. Pour David Harvey, dont l’ouvrage est antérieur à cet événement,une crise grave du néolibéralisme signifierait forcément sa fin. Or, à proposdes évolutions récentes, certains auteurs, frappés par sa survie inattendue, évo-quent désormais un « nouveau » néolibéralisme, un late neoliberalism, un néo-libéralisme devenu visqueux, opportuniste et banalisé, un néolibéralisme pardéfaut 25, ou encore, plus connu aujourd’hui, un néolibéralisme qui, se déta-chant de la bruyante religion du marché, se fait bureaucratique, insidieux etnormatif, passant par la grisaille routinière des règlements de détail et desrecommandations technocratiques. C’est celui que les critiques de l’Unioneuropéenne invoquent le plus souvent aujourd’hui. Comme le néolibéralismeau sens étroit, mais qui continue inévitablement à guider les discussions (lespolitiques économiques pro market), a perdu sa relative simplicité d’antan 26,cet élément a cessé de pouvoir servir de révélateur quasi transparent de ten-dances plus profondes. Nous ne disposons plus d’indices bien clairs. Ouencore : il n’existe plus de réponses nettes à la question de savoir ce qui, exac-tement, doit servir de référence empirique lorsqu’il est question d’un néolibé-ralisme, entendu comme politique économique et sociale, censé nous indiquerau-delà de lui l’infrastructure économique pertinente qu’il reflète.

Face à ces difficultés, il faut trancher. On peut le faire en suivant quelquesprincipes fort simples.

Dans le marxisme du début du 20e siècle, celui qui devait rendre comptetout à la fois de la concentration (Hilferding, Luxemburg), de la financiarisa-tion et de l’impérialisme, le capital en mouvement était devenu le sujet del’Histoire. Du coup, la problématique des phases (que l’on a toujours préféré,en partie pour de mauvaises raisons, à celle, moins historiciste, des « types »ou des « cas ») reposait sur une vision substantialiste dans laquelle les méta-morphoses du capitalisme, toujours présentées comme très massives, très cohé-rentes entre elles, très uniformes, ainsi que les contradictions macroscopiquesqui en résultaient, constituaient le facteur le plus important. C’est d’ailleursgrâce à cette présupposition que la lutte des classes avait cessé de former cettepuissance extérieure au système qu’elle restait encore partiellement chez Marx.Dans l’ontologie sociale implicite qui se dessinait dans le sillage de la penséedes phases du capitalisme, la société s’assimilait plus à un tout intérieurementcohérent qu’à un assemblage approximatif et imparfait. C’est ce qui explique,chez les grands théoriciens marxistes des phases, une certaine désinvolture faceà des phénomènes tels que la coexistence, à travers toute l’histoire du capita-lisme, de formes de domination et d’exploitation différentes – qu’elles

économiques du Sud et sur la nature réactive, seconde, du néolibéralisme du Nord : entre autresaspects, il a constitué pour celui-ci une façon d’essayer de rétablir son hégémonie menacée.

25 - Voir Michel Aglietta et Guo Bai, La Voie chinoise, Paris, Odile Jacob, 2012.

26 - Sur ce thème de la souplesse grandissante du néolibéralisme d’après la crise financière,voir Jamie Peck, Constructions of Neoliberal Reason, Oxford, Oxford University Press, 2010.

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concernent les rapports de genre, le statut des minorités racialisées ou les pola-risations géopolitiques 27. Ou encore le fait que salariat et esclavage peuvents’articuler et pas seulement se succéder 28. Or, il semble bien envisageable decorriger cette erreur d’aiguillage sur le terrain contemporain.

Pour ce faire, il faudra dire, en bref, que le néocapitalisme, en tant quepartie immergée de l’iceberg néolibéral, se présente effectivement comme unephase, mais comme une drôle de phase, comme une phase paradoxale. Parrapport aux images très unifiées que défendaient les marxistes ou même lesrégulationnistes, notre capitalisme historique d’aujourd’hui apparaît commeun assemblage de bricolages et de dispositifs aussi mobiles que compliqués :un vrai fourre-tout 29. Jameson disait déjà en 1990 qu’il était devenu « irre-présentable 30 ». Sous certains angles, il ressemble en tout cas moins à uneétape supplémentaire d’un vaste processus de rationalisation soutenu, en der-nière instance, par la puissance de l’État, symbole obsédant et vecteur massifde l’unité sociale, qu’à un agencement polycentrique à l’équilibre instable 31.Un équilibre instable qui, dans certaines circonstances, peut justement impli-quer encore plus de souplesse, conférant à ce capitalisme une énorme capacitéde résilience, assurant par là cette emprise persistante des politiques et desconceptions néolibérales que nous sommes bien obligés aujourd’hui deconstater. Décidément, il ne nous est donc plus permis de rêver à une théorie« pure » du capitalisme en général qui, en s’inspirant, par exemple, de Marx,

27 - Stuart Hall (Le Populisme autoritaire, op. cit.) a très lucidement compris le blairisme decette manière : la continuation du néolibéralisme moyennant une autre rhétorique, d’autresaccentuations politiques. Dès ce moment, le néolibéralisme comme politique économique etsociale revêtait une complexité inattendue, commençant une série de métamorphoses encoreen cours.

28 - La critique des théories de la dépendance qu’a élaborée Ernesto Laclau dans les années1970 a constitué un moment important dans la prise de conscience des limites du modèle unifiantet systémique que présupposait la théorie classique des phases. L’Amérique latine, affirmaitLaclau, n’est pas d’abord intégrée au capitalisme mondial en tant que victime d’un pillage sys-tématique de ses richesses, mais en tant que terrain d’expression de formes non-capitalistesde production. On subordonne des régimes économiques, pas seulement des gens ou desclasses. Le capitalisme mondial ne se présente donc pas comme une organisation hiérarchiquesimple. Voir « Feudalism and Capitalism in Latin America » in Politics and Ideology in MarxistTheory, Londres, New Left Review, 1979, p. 15-51. Sur ce thème, voir aussi Stuart Hall, « Race,articulation et sociétés structurées “à dominante” » (1980), in Identités et cultures 2, Paris, Édi-tions Amsterdam, 2013.

29 - Yann Moulier Boutang, De l’esclavage au salariat, Paris, PUF, 1998.

30 - Comme, aujourd’hui, les théoriciens du capitalisme cognitif, les régulationnistes propo-saient, dans les années 1970, une vision très cohérentiste, très organiciste, du capitalismecontemporain, vision que l’insistance convenue sur les crises et les contradictions ne parvenaitpas vraiment à bousculer. D’où l’effet de déstabilisation exercée sur cette École, à partir desannées 1980, par la prise en compte de la thématique de la variété régionale et nationale ducapitalisme.

31 - De même que les trajectoires économiques nationales ou régionales récentes dessinentles contours d’un « système-monde » plus polycentrique qu’autrefois, de même les voies parlesquelles le néolibéralisme a reconfiguré et reconfigure les institutions et le monde de la viese présente comme extrêmement diversifiées. Les nouvelles formes juridiques (celles qui consis-tent à inciter, à canaliser, à autoriser, à valider certaines façons de faire plutôt qu’à contraindreau sens kelsénien), les nouvelles politiques publiques, les évolutions techniques, l’organisationdu travail, la finance, l’évolution de la culture de masse, etc., tout cela a compté, en dessinantdes correspondances imprévisibles et mobiles.

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prétendrait isoler son essence et ne se chercher à rattacher, dans le cours del’argumentation, à ses différentes configurations historico-géographiques quede façon tardive ou superficielle.

Certes, il existe des phénomènes de fond, des traits globaux reconnaissables,des interconnexions systémiques ; tout n’est pas sporadique, chaotique et dis-persif. Mais ce néocapitalisme ne semble, en l’occurrence, pas tant refléter lavictoire sans appel du capital que le triomphe plus léger d’un certain air defamille. Son unité n’est que vague. Il y a un certain état très général de l’alié-nation objective, un certain profil que présentent les puissances détachées, profilqui détermine des possibilités originales de synergies. Le néocapitalisme (lemégacapitalisme, l’hypercapitalisme, disent parfois les auteurs contemporains)ce n’est pas d’abord la proximité accrue de l’effondrement final ou l’aiguise-ment des contradictions, mais l’arrogance bruyante des puissances détachées,jointe à la multiplication étourdissante des signes de leur absurdité ; c’est l’alié-nation sur un mode à la fois retors et provocateur, sidérant et insidieux. Or,tout cela ne dessine pas une phase au sens essentialiste et évolutionniste duterme, mais un paysage d’arrière-plan sur fond duquel surgissent et agissentdes acteurs différents et interviennent des évolutions multiples, elles-mêmesincontrôlées. Partout, il y a contemporanéité de circonstances variées et irré-ductibles, de tendances qui n’ont pas commencé ensemble et continuent à allerleurs chemins décorrélés, d’articulations relativement contingentes et défaisa-bles, plus qu’une belle totalité organique et hiérarchique.

Conclusion

En définitive, nous devons donc relativiser l’antinomie sémantique : le néo-libéralisme (si, encore une fois, celui-ci s’identifie à toutes ces choses cachéesqui sont révélées par la diffusion de certaines politiques économiques) commeforme transversale de domination sociale ou bien comme phase du capitalisme.Nous avons vu que cette seconde solution, incontournable, est aussi plus large,plus féconde que la première, mais qu’elle implique, pour devenir acceptable,un concept de phase largement révisé. Dans ces conditions, que reste-t-il de latentative pour faire du néolibéralisme existant le fil conducteur d’un diagnosticd’époque, tentative qui forme l’un des legs des impressionnantes réflexionsfoucaldiennes sur ce thème ? Un principe d’analyse assez général, mais néan-moins important, sans doute : la complexité déroutante du néolibéralisme,qu’on le prenne au sens étroit (les politiques économiques) ou au sens large(comme un phénomène idéologique, social et politique total) reste une trèsbonne voie d’accès la complexité du néocapitalisme lui-même. Il n’est doncpas déraisonnable de commencer par lui.

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AUTEUR

Stéphane Haber est professeur à l’Université Paris-Ouest Nanterre La Défense, spécialistede philosophie politique et sociale ainsi que d’épistémologie des sciences humaines. Il apublié, entre autres, Critique de l’antinaturalisme. Études sur Foucault, Butler, Habermas(Paris, PUF, 2006) ; L’Homme dépossédé. Une tradition critique, de Marx à Honneth (Paris,CNRS Éditions, 2009) ; Freud sociologue (Lormont, Le Bord de l’eau, 2012) ; Freud et lathéorie sociale (Paris, La Dispute, 2012) ; Penser le néocapitalisme (Paris, Les PrairiesOrdinaires, 2013).

RÉSUMÉ

Le néolibéralisme est-il une phase du capitalisme ?

Engageant une confrontation critique avec des positions qui mettent l’accent sur la valeursociale de la gouvernementalité néolibérale en tant que vision générale du monde etconstruction des individus, cet article souligne l’irréductibilité de la dimension économiquedu néolibéralisme. Une sous-estimation du rôle de l’économie dans l’analyse des pratiquesgouvernementales néolibérales conduit à la « tentation d’un psychologisme fonctionna-liste », qui passe à côté des rapports complexes et bidirectionnels s’instaurant entre l’uni-vers économique capitaliste et les formes des subjectivités qui l’habitent (leurs désirs,leurs croyances, leurs intérêts). Il n’y a pas d’antinomie entre le néolibéralisme commeforme de la société et le néolibéralisme comme rationalité économique. Le néolibéralismepeut alors être compris comme un moment essentiel (bien que mobile et pluriel) du capi-talisme contemporain.

ABSTRACT

Is neoliberalism a phase of capitalism?

This article engages a critical dialogue with the interpretations of neoliberalism as ageneral view on the world and a construction of individual psychology. It aims at showingthat the economic importance of neoliberalism is primordial. Underestimating the econo-mical dimension in neoliberal governmental practices leads to the temptation of a “func-tionalist psychologism”: it prevents from understanding the complex and bidirectionalrelations between capitalist economy and the subjects living in it (their desires, their beliefs,their interests). There is no contradiction between neoliberalism as a form of society andneoliberalism as an economic rationality. Therefore, neoliberalism can be understood asan essential (even if mobile and plural) moment of contemporary capitalism.

38 - Stéphane Haber

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