Embed Size (px)
Citation preview
Le parcours de vie des femmes comme moteur de changement social
Stéphanie Gaudet
Département d’anthropologie et sociologie
Université d’Ottawa
Identifiez deux changements importants des parcours de vie des femmes depuis
les 40 dernières années
Plan de l’exposé
1. Présentation sur le parcours de vie: le paradigme, l’institution et le parcours biographique
2. Changements dans la trajectoire scolaire et professionnelle et processus d’individuation des femmes
3. Trajectoire parentale et professionnelle : la 1ière naissance comme événement-pivot
4. Trajectoire conjugale, espérance de vie et cumul des ressources
5. La participation sociale à travers les âges de la vie
Parcours de vie, âges et générations
Les sociétés traditionnelles et les rituels: La naissance (filiation), le début de l’âge adulte et de la reproduction, le
mariage (alliance), le décès. Le cycle de reproduction ritualise les parcours. L’âge n’est pas un élément considéré par les sociologues de la modernité C’est la mise en place de la société industrielle et plus particulièrement
des politiques publiques de l’État providence qui institutionnalise les parcours.
Désormais, c’est la participation au marché de l’emploi qui structure la vie Il existe au moins trois types de génération: familiale, par cohorte de
naissance, génération sociale
1. Le parcours de vie
« Le paradigme du parcours de vie représente une façon d’expliquer sociologiquement l’individu au carrefour de l’histoire et de sa réalité subjective. L’unité de base des analyses est le temps, et plus particulièrement l’articulation des différentes temporalités : les temps biologiques et subjectifs, les temps sociaux qui régissent nos emplois du temps, et les temps qui s’inscrivent à travers l’évolution des institutions sociopolitiques et économiques des sociétés dans lesquelles nous évoluons. Parce que le temps est une unité dynamique, l’analyse porte nécessairement sur les transformations et les processus de continuité et de discontinuité qui caractérisent les vies à l’échelle de l’individu et de la société dans laquelle il évolue » (Gaudet, 2013, p.45)
1.1 Principes du paradigme du parcours de vie
Une approche théorique et empirique multidisciplinaire
Développement psychosocial
continu
Les vies sont interreliées
Les institutions marquent les temps de vie
Les vies s’inscrivent dans
le temps et l’espace
Agentivité des individus
Le cumul des ressources au cours de la vie
Le tempo des transitions
Le paradigme du parcours de vie nous invite à comprendre
• Les différentes trajectoires (professionnelle, scolaire, familiale, résidentielle, santé)
• Les transitions (entre les statuts sociaux et les rôles), les événements-clés, les bifurcations
• Les influences des contraintes sociales sur les trajectoires
• Les influences des contextes de négociations identitaires et culturelles sur les trajectoires
Ce paradigme nous permet de comprendre des processus, l’analyse porte sur le sujet au carrefour de l’histoire et du social
1.2. Le parcours de vie comme script social ou comme institution
Des normes formelles (lois, politiques publiques, règlements) régissent les âges de la vie.
Il y a des normes informelles qui dictent les façons d’être et de faire à certains âges de la vie (scripts sociaux)
Le parcours de vie est de plus en plus perçu comme un projet personnel
1.3. Le parcours biographique
Dans la société contemporaine, les individus ont développé une grande réflexivité
Le récit que fait la personne de son histoire est aussi réel que les événements chronologiques de son parcours
Le récit permet d’accéder au sens que donnent les individus à leurs pratiques. Le discours permet de comprendre les représentations sociales, c’est-à-dire les valeurs et les croyances partagées par un groupe. L’utilisation conjointe du calendrier et des entretiens nous permettent de mieux comprendre les interrelations entre le récit subjectif et les événements historiques, mais aussi les interactions entre les différentes trajectoires du parcours (Passeron, 1990).
2) Changements dans les trajectoires scolaire et professionnelle et processus d’individuation
des femmes
Identifiez une distinction entre le parcours de vie: 1) d’une mère et de sa fille et 2) celui d’un père et de son fils?
Si vous comparez votre entrée dans l’âge adulte à celle de vos parents (ou enfants), croyez-vous que vous étiez (ou êtes) plus privilégié? » Cette question a été posée dans des entretiens menés auprès de jeunes de la génération X
et d’un de leur parent de la génération du baby boom (Gaudet, 2009)
Des réponses obtenues, 4 caractéristiques différencient les deux générations :
1) la fragmentation du contrôle social actuel;
2) l’allongement de la période d’entrée dans l’âge adulte;
3) la multiplicité de choix qui s’offrent à la nouvelle génération;
4) le processus de réflexivité qui arrive plus tôt dans les parcours de vie;
5) La perception de la difficulté de cette transition de vie: 1) les hommes perçoivent avoir la vie plus difficile que leur père; 2) les femmes perçoivent qu’elles ont beaucoup plus de chances, même si elles (et leurs mères) perçoivent le poids des choix.
Devenir adulte pendant les années 1960
« Il y avait comme un profil de vie… Tu te cherches un emploi, tu te maries, tu fondes une famille, tu élèves les enfants et tu prends ta retraite. Pour Étienne (son fils), c’est plus dynamique alors que je dirais que pour moi c’était comme statique ou par étapes. Tu connaissais, disons, l’entrée puis la sortie. (Rires) Tandis que là, tu rentres… Entre 75 et l’an 2000, il s’est passé bien des affaires au niveau de l’évolution et du changement et tout ça. C’est ça notre différence, il y a le changement très dynamisant alors que moi quand j’ai fait mes choix, on était disons dans une société très unipolaire, stationnée je dirais. (Court silence) » Bernard, 63 ans
« On ne pouvait pas faire ça. C’est sûr que quand on partait de la maison, on se mariait. On s’en allait. Fait que… C’est ça, on s’en allait puis le cordon il se coupait bien, bien vite. Oui, il se coupait ben vite, ah oui, ben (accentué) vite. Ça se faisait, tu te maries, bye, tu t’en vas avec ton mari puis… Ça été ça chez nous, ça été, pas plate, mais c’était comme ça dans ce temps-là, j’en veux pas à mes parents de ça, mais c’était comme ça. Un moment donné la mère elle disait, vous allez vous marier quand vous autres là? (Rires) il fallait qu’on se marie. (…) C’était vraiment coupé raide nous autres, plus qu’avec vous autres aujourd’hui. On fait ça à petits feux aujourd’hui là. Dans notre temps c’était drastique en.. ». Mariette, 56 ans
Le contexte des années 1960
Pour comprendre le contexte historique de la génération des baby-boomers, rappelons trois événements historiques importants :
1) au Québec, l’incapacité juridique de la femme mariée a été abolie uniquement en 1964;
2) toujours au Québec, la démocratisation de l’enseignement a lieu en 1964;
3) la pilule a été légalisée au Canada en 1969 et la décriminalisation de l’avortement arrive au même moment
DEVENIR ADULTE À LA FIN DES ANNÉES 1990
Q : Puis est-ce que tu penses que tu es plus privilégiée dans ta vie actuellement que tes parents l’ont été dans leur vie en général ?
R : Oui. Bien ne serait-ce que par les contraintes culturelles qu’il y avait avant aussi. (Rires) Je ne sais pas, ma mère s’est mariée quand même jeune. Elle a eu tout de suite des enfants, elle n’a pas eu nécessairement de relations avec d’autres hommes avant. Elle n’a pas eu le temps de voyager. Elle n’a pas pu aller à l’école longtemps, c’est quelque chose qu’elle aurait adoré faire puis qu’elle n’a pas fait, qu’elle a mis de côté pour ses enfants. Sur ce point-là, je me trouve privilégiée. Je sens plus que j’ai eu beaucoup plus jeune les libertés que ma mère n’a pas eues et j’avais beaucoup moins de contraintes. Il fallait qu’ils assument aussi la famille, il fallait qu’ils travaillent plus jeunes. C’était plus difficile, c’était plus pauvre aussi. Il y avait plus de monde dans la famille tandis que nous on a été gâtés quand même. Je veux dire, on n’était pas la famille riche en banlieue, on était pauvre comparativement à bien du monde surtout quand mon père est parti sauf que je me suis toujours sentie privilégiée. Puis par rapport à ma mère, je suis certaine que j’ai eu comme beaucoup plus matériellement, mais ça, ça fait en sorte que tu as plus de liberté aussi. Ce n’est pas juste une question de matériel. (Sophie, 26 ans)
Le contexte des années 1990
Crise de l’emploi et fort taux de chômage chez les jeunes
Diminution des mariages
Report de la naissance du premier enfant
Allongement de la période d’études
Désengagement des groupes politiques et sociaux
Déclin de la pratique religieuse
Les parcours de vie s’individualisent
Individualisation des parcours de vie
Détraditionnalisation
Diversité des parcours de vie
Décalage entre les individus et les institutions
Relations collectivité-individu à redéfinir
Processus de singularisation
Culture des choix
Diversité des normes et des cultures
3) Trajectoires parentale et professionnelle La naissance du premier enfant comme élément-pivot du
parcours de vie des femmes
Taux de fécondité au Québec: 1975-2013. Changements dans les scripts sociaux liés à la maternité
Indice de fécondité 2003,2008 et 2015. L’importance du contexte socio-spatial
Institut de la statistique du Québec
Un changement majeur: le retour en emploi deux ans après la naissance d’un enfant
Les femmes qui ont eu un enfant entre 1995 et 1999 sont 61% plus susceptibles de retourner au travail 24 mois suivant la naissance.
Les facteurs qui influencent le retour rapide: un niveau d’étude universitaire, un revenu élevé, habiter au Québec.
Gaudet, Cooke et Jacobs (2011) Working after Childbirth: A Lifecourse Transition Analysis of Canadian Women from the 1970s to the 2000s, Canadian Review of Sociology,, 48 (2):153-180.
Les femmes et le marché de l’emploi depuis les CPE…
Comparativement aux autres Canadiennes, en 2006 les Québécoises avec des enfants âgés entre 0 et 4 ans: • sont plus nombreuses à être en
emploi • travaillent un plus grand nombre
d’heures Beaujot, R., C. Jiangqin et Z.Ravanera (2013) Family policies in Quebec and the Rest of Canada: Implications for fertility, child care, women’s paid work, and child development
indicators,” in Canadian Public Policy 39(2):221-239.
L’équilibre entre les hommes et les femmes est presque atteint en matière de temps de travail
4) Trajectoire conjugale, espérance de vie et cumul des ressources
Le type d’union et le cumul des ressources
« Lorsque l’enfant naît, Justine prend un congé de maternité qui se prolonge avec l’arrivée du petit deuxième. Ces événements conduisent aussi le couple à rediscuter de leur mode de gestion de l’agent, soit après près de 7 ans de vie commune. Olivier propose que le partage des charges communes du ménage se fasse au prorata du revenu de chacun afin de prendre en compte les écarts de revenus entre eux. Justine est partagée sur cette question. D’un côté, elle souhaite préserver son autonomie financière et voudrait conserver pour elle-même une part de ses revenus si petite soit-elle, mais, de l’autre, elle aurait préféré que tous les revenus soient mis en commun, qu’il lui soit possible de placer éventuellement de l’argent pour ses vieux jours et qu’il ne soit plus nécessaire de faire les comptes entre eux. Comme c’est lui qui rapporte le revenu le plus important, elle adopte le mode de gestion qu’il propose. Le couple ouvre un compte conjoint dans lequel Olivier verse une part de son salaire afin que Justine puisse faire les dépenses quotidiennes et gérer le budget du ménage. Après avoir passé deux ans à donner du temps à ses enfants et à compenser les longues heures d’absence d’Olivier, Justine trouve un emploi à temps plein. Mais dès le premier mois, elle décide de réduire son temps de travail, car elle dit ne plus arriver à concilier travail et famille surtout lorsque les enfants tombent malades. Justine et Olivier sont alors âgés tous les deux de 28 ans. » P. 82 Hélène Belleau et Julie Vézina (2013), Les transitions conjugales à la croisée d’univers normatifs pluriels dans Gaudet, S., N. Burlone et M. Lévesque. Repenser la famille et ses transitions. Repenser les politiques publiques. Presses de l’Université Laval.
Espérance de vie : l’écart entre les hommes et les femmes s’amenuise
L’écart moyen entre les revenus des hommes et des femmes est plus faible au Québec (11 100$)
http://www.statcan.gc.ca/pub/89-503-x/2010001/article/11388/tbl/tbl002-fra.htm
L’écart de revenu entre les sexes est plus important chez les plus âgés
http://www.statcan.gc.ca/pub/89-503-x/2010001/article/11388/tbl/tbl002-fra.htm
5) La participation sociale à travers les âges de la vie
La participation sociale
Nous définissons la participation sociale comme un échange de temps consacré gratuitement à des personnes ou des organisations. Le temps consacré aux membres de la sphère domestique est exclu du calcul.
Cette définition permet de: Comprendre les liens sociaux dans la perspective de l’individu
Qualifier les relations sociales et l’engagement
Quantifier l’engagement social
En 2005: déclin chez les femmes en âge d’avoir des enfants
8,7
9,6
10,7
3,1
4,7
8,1
0
2
4
6
8
10
12
15-24 25-49 50-64
Bé
né
vola
t(%
)
Groupes d’âges
Bénévolat: femmes
7,9 7,5
10,6
3,4
4,5
6
0
2
4
6
8
10
12
15-24 25-49 50-64
Bé
né
vola
t(%
)
Groupes d’âges
Bénévolat: hommes
1992
2005
Source: Statistique Canada, GSS, 1992, 1998, 2005.
Les femmes âgées de 50 à 64 ans sont les plus actives
Femmes Hommes
15,1
13,4
17,2
7,8
10,2
15,9
0
2
4
6
8
10
12
14
16
18
15-24 25-49 50-64
Pa
rtic
ipa
tio
n s
oci
ale
(%
)
Groupes d’âges
1992
2005
13,1
11,7
14,1
6,6
8,2
10,6
0
2
4
6
8
10
12
14
16
18
15-24 25-49 50-64
Pa
rtic
ipa
tio
n s
oci
ale
(%
)
Groupes d’âge
1992
2005
Source: Statistique Canada, ESG, 1992, 1998, 2005.
Le déclin de la participation formelle est le plus important
Source: Statistique Canada, ESG1992, 1998, 2005.
9,5
8,7
10,2
8,3
7,3
9,2
5,3 5 5,7
0
2
4
6
8
10
12
Total Men Women
Bénévolat (%) 1992-2005
1992
1998
2005
Le déclin de la participation est présent dans tous les groupes d’âge...
… particulièrement chez les plus jeunes et les plus vieux
14,2
12,5
15,7
17,2
7,1
9,2
13,2 12,5
0
2
4
6
8
10
12
14
16
18
15-24 25-49 50-64 65 and over
Pa
rtic
ipa
tio
n s
oci
ale
(%
)
Groupes d’âge
Participation sociale et groupes d’âge
1992
2005
Source: Statistique Canada, GSS, 1992, 1998, 2005.
Comparaison entre les sources de données (taux annuel formel vs temps quotidien) (Couton et Gaudet, 2008)
Rethinking social participation of immigrants (Couton et Gaudet, 2008)
En considérant la participation sociale formelle et informelle, le temps consacré à la participation sociale par les Canadiens nés au pays et les immigrants tend à se rapprocher.
La différence pour le temps consacré au bénévolat entre les deux groupes est marquée selon le genre. Les femmes immigrantes sont moins représentées.
Le fait d’avoir des enfants d’âge scolaire influence peu leur participation alors qu’il est le facteur d’influence principal pour les personnes nées au Canada.
Les femmes qui travaillent à temps plein ou à temps partiel sont toujours très actives en participation sociale en 2010 (Turcotte et Gaudet, 2013)
En conclusion
Plusieurs changements sociaux résultent d’une négociation entre de nouvelles pratiques, de nouvelles façons de vivre sa vie et l’adaptation de la société et des institutions à celles-ci.
Cette adaptation résulte de luttes, mais aussi de changements de pratiques culturelles.
Les femmes ont été le moteur de plusieurs de ces changements: Le contrôle de leur vie reproductive amène des bouleversements dans les scripts
sociaux, les politiques sociales et les institutions qui les encadrent.
La participation active à la vie sociale et politique, notamment à un âge avancé, contribue à un apport important à la vie civique.
Leur forte présence sur le marché de l’emploi au moment où les enfants sont d’âge préscolaire amène une renégociation des relations hommes-femmes et de la conception des services à la petite enfance.
