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Le pays igbo du Nigeria et sa littérature Françoise Ugochukwu Open University & LLACAN

Le pays igbo et sa littérature

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Le pays igbo du Nigeriaet sa littérature

Françoise UgochukwuOpen University & LLACAN

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C’est la guerre du Nigeria (1967-70) qui a permis aux Français de découvrir le pays igbo, au sud-est du Nigeria. Ses étudiants ont été nombreux après la guerre à s’inscrire dans les universités françaises et à y poursuivre des études doctorales. Plusieurs de ses écrivains - Achebe, Ekwensi, Emecheta, Nwankwo, Nwapa, et plus récemment Adichie, ont été traduits en français. Cette région anglophone a été marquée par un contact privilégié avec la France ; c’est une terre de mission qui depuis un siècle essaime dans le monde entier, et le berceau de Nollywood, ce nouveau cinéma qui sert aujourd’hui de modèle à toute l’Afrique. C’est également une pépinière d’écrivains anglophones dont le plus connu en France est Chinua Achebe, dont le premier roman a été au programme de l’agrégation d’anglais en 1980. Mais cette littérature est l’héritière d’une tradition et d’une littérature en langue igbo, peu connue et très peu traduite, qui se développe parallèlement.

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Carte du Nigeria

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Cinq Etats de la fédération: Abia, Anambra, Ebonyi, Enugu, Imo, et une partie des Etats des Rivières et du Delta.

Le pays igbo du Nigeria : présentation

La seule région du pays à majorité chrétienne Une pépinière d’écrivains anglophones Un immense attrait pour l’éducation 13 universités / 107 Une pléiade de chercheurs émérites et de pionniers Des artistes de renom international Une place unique dans l’histoire politique mouvementée du Nigeria : c’est l’ancienne République du Biafra (1967-1970) Une importante diaspora, principalement implantée aux Etats-Unis

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Les débuts de la littérature écrite igbo

Avant la colonisation: À cette époque, les Igbo étaient en contact constant avec leurs voisins, et l’influence de leur langue et de leur culture s’exerçait bien au-delà des frontières du pays igbo. Les travaux missionnaires: Les premiers missionnaires, ceux de la CMS, s’installent à Onitsha, en pays igbo, en 1857, mais ils sont en fait arrivés sur le territoire du futur Nigeria une vingtaine d’années auparavant, avec l’expédition britannique de la Compagnie du Niger. Après avoir surmonté un certain nombre de difficultés du fait des dialectes, Ils se mettent à traduire le Nouveau Testament en igbo et à rédiger des grammaires, des livres de lecture et des lexiques.

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Peu après l’arrivée des commerçants et des administrateurs coloniaux européens, l’anglais va être progressivement introduit puis imposé par le biais des ordonnances et des Codes d’éducation coloniaux, renforcés par les écoles et les activités missionnaires catholiques, surtout à partir de l’installation de Mgr Shanahan. Cette influence va conduire les élites igbo à considérer que l'usage de la langue locale les marquait comme des arriérés, d’autant plus que l’anglais - et non plus l’igbo - était devenu la langue de communication de la nouvelle classe moyenne, celle des kotuma, les interprètes, les caissiers et les employés subalternes de l’administration coloniale.

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Les premiers romans en igbo1)Omenuko de Pita Nwana (1933), récit inspiré par le succès du chef à brevet Igwegbe Odum (1860?-1940) d’Arondizuogu, qui réussit à se sortir de la pauvreté et à devenir immensément riche. Mais lorsqu’il perd accidentellement tous ses biens dans l’écroulement d’un pont, il vend ses porteurs et ses apprentis à des marchands d’esclaves pour se renflouer. Plus tard, rongé par le remords, il fait tout pour réparer le mal commis, rachète ces jeunes et, revenue dans son village, y acquiert une réputation de bienfaiteur en distribuant sa richesse. 2)Ala Bingo de D.N.Achara (1937) a pour décor la même aire géographique (Uzuakoli, Item). Le roman traite le thème du conflit de générations, autour des relations interpersonnelles et des attitudes de société, mais la seconde partie du récit se déroule dans le monde surnaturel.

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Le pays igbo

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3) Ije Odumodu jere de Léopold Bell-Gam (1963) est fortement influencé par Omenuko. Le récit se déroule dans la seconde moitié du dix-neuvième siècle. Son héros, Odumodu, d’humble origine, réussit à monter dans l’échelle sociale et voyage à l’étranger (Europe, Amérique du nord et Cuba). Maltraité par ses hôtes, il finit par retourner chez lui et moderniser sa communauté.

Things Fall Apart / Le Monde s’effondre de Chinua Achebe (1958/1966), récit de la réussite d’Okonkwo et de son exil, obtient lors de sa sortie le prix Margaret Wrong et on en vend plus de 300,000 exemplaires dès les premières années.

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N.B. Il faut remarquer que les premières publications en igbo, Omen k , Akpa Uche ụ ọ et Udo Ka Mma ont toutes été le produit de concours littéraires. Le manuscrit d’Omenuko par exemple a obtenu le premier prix d’un concours littéraire visant à encourager la production de récits en langues africaines et organisé par l’Institut international des langues et des cultures africaines de Londres. Le fait que ces concours se déroulent dans un contexte spécifique, ont une date limite et sont récompensés par un prix, ne garantit pas automatiquement la production d’œuvres littéraires sur le long terme. L’organisation d’ateliers d’écriture ou de critique littéraire peut elle-même gêner la créativité : les romans de Tony Ubesie, Isi Akwu Dara N'Ala, J Obinna ụọ et autres, ont tous été écrits avant qu’il aille à l’université, et il a plus tard confié que sa plume s’est asséchée après ses cours d’esthétique littéraire.

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La question de l’orthographe igboL’une des raisons du succès d’Omenuko est qu’on a réussi à le publier dans les orthographes officielles successives : l’orthographe protestante, puis les autres. La 'grande' question de l’orthographe igbo s’est nourrie de la querelle entre la CMS et l’Eglise catholique autour de l’alphabet igbo, querelle qui s’est longtemps prolongée. En conséquence, de 1929 à 1961, la production littéraire en igbo est restée quasi nulle, et les quelques ouvrages publiés sont restés inconnus. À l’indépendance, le Gouvernement du Nigeria oriental nomma une commission linguistique, chargée de résoudre le problème une fois pour toutes. Le document de synthèse résumant le résultat de leurs délibérations quant à l’alphabet et à l’orthographe à utiliser fut adopté par le ministère de l’Education et envoyé à tous les établissements scolaires. Les progrès de la publication en igbo doivent en outre beaucoup à Maaz Chiifuị , D k taọ ị Frederick Chiedozie gbal (1927-1990), Ọ ụqui, entre 1944 et 1992, facilita la publication en igbo et la diffusion d’une littérature grandissante, encourageant l’utilisation de la langue pour l’écriture et le calcul, et produisant dans les locaux de son imprimerie d’Onitsha, romans, pièces de théâtre et manuels, recueils de contes et de proverbes.

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L’Omenuko de Pita Nwana et son impactCaractéristiques

On retrouve dans le roman un certain nombre de marqueurs culturels. La tradition orale : la structure du roman modèle celle du conte ; le conteur-auteur y est très présent; elle intègre l’interactivité qui caractérise le contage, le ton didactique et l’usage des proverbes et adages, des prières et des invocations de la religion traditionnelle. L’histoire orale et la fiction : Importance des généalogies et de l’histoire orale en pays igbo, bien avant l’arrivée des Européens. Le culte du héros : la célébration du succès individuel, perçu comme celui du groupe. Cf. le proverbe selon lequel « celui dont le frère est au ciel ne va pas en enfer. »

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L’influence missionnaire : reconnaissable au ton moral et à la trame du récit, parallèle à celle de la parabole de l’enfant prodigue et du roman allégorique de J.Bunyan, Pilgrim’s progress (1678). Les progrès de la publication en igbo doivent en outre beaucoup à Maaz Chiifuị , D k taọ ị Frederick Chiedozie gbal (1927-1990), Ọ ụqui, entre 1944 et 1992, facilita la publication en igbo et la diffusion d’une littérature grandissante, encourageant l’utilisation de la langue pour l’écriture et le calcul dès le primaire, et produisant dans les locaux de son imprimerie d’Onitsha romans, pièces de théâtre et manuels, recueils de contes et de proverbes.

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Omenuko OkonkwoDes hommes qui ont réussi seulsD’humble extractionDe famille pauvreDes pères de famille

Quatre enfants Trois femmes Huit enfants

Dans le commerce Des réussites en agriculture

Etude comparée d’Omenuko de Pita Nwana et du Monde s’effondre de Chinua Achebe Personnages principaux

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Omenuko OkonkwoDes hommes respectés

MariésPropriétairesPères de famillePratiquants traditionnels

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Omenuko OkonkwoUne même histoire

Un pont qui s’effondre

Une enfance difficileUne réussite acquise de haute lutteUn accident qui balaie tout leur avoir

un homicide involontaire

Un village amiUne fuite nocturne en famille vers un refuge le village maternel

ancestral

Une vingtaineUn séjour de plusieurs années hors de chez eux

sept

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Omenuko OkonkwoUn succès retrouvé là-basMais pas de satisfaction

Respect communautaire

NostalgieNégociation du retour sous conditionsRetour final prison, meurtre et

suicide

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Omenuko OkonkwoCaractère

AmbitieuxAudacieuxTravailleurLeaderFidèle en amitié

Sage comme la tortueCalculateurManipulateurFlexible, adaptable

ObstinéMû par la peurViolentconservateur

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La société igbo dans les deux romans

Une communauté très organisée vivant et fonctionnant à trois niveaux:• Au sein du village• Au sein de l’Umunna, la parentèle paternelle• Au sein de l’Ikwunne ou Nnamochie, la parentèle maternelle. Au-delà de ces groupes, les Igbo entretiennent des alliances et des relations avec leur Mba – les

‘pays étrangers’ voisins. • En pays igbo, la vie quotidienne est réglée autour de quatre cultes centraux : • Ikengà – le culte de la main droite, symbole de la réussite individuelle gagnée à la force du

poignet (‘de ses mains’)• Iru – le culte de la face, symbole de la force de la personnalité et de l’influence• Ùhu – le culte du corps et de la langue, symboles du charme personnel et de l’éloquence • kw nà ijeỤ ụ – le culte des jambes en mouvement, symbole du succès dans les entreprises.

La Société précoloniale traditionnelle

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Cette société ne s’intéressait pas aux affaires d’argent : elle encourageait la création, l’acquisition et le partage de la richesse. Le succès individuel y était perçu comme bénéficiant au groupe entier, et reflétant les valeurs collectives – goût du risque, courage et générosité. Ces valeurs étaient transmises à la fois par l’exemple et par l’éloquence persuasive comprise comme l’expression d’une forte personnalité et soutenue par la structure politique locale et le culte de l’Uhu.

Cette société n’était certes pas parfaite - l’igbo possède des mots pour toute une série de crimes. Mais une fois leur auteur découvert, ces crimes étaient punis : « Il y avait des confessions publiques, des exécutions, et des suicides en cas d’atteinte grave aux lois régissant les relations avec Ala [la Terre]. » C’était aussi une société remarquablement démocratique, comme le rappelle encore Emenanjo : « même dans certains des royaumes igbo connus, le roi, en dépit de la transmission de la couronne de père en fils, était plutôt traité comme un président – on attendait de lui qu’il se préoccupe avant tout du bien de son peuple, qu’il soit démocratique et républicain […]. Comme le dit l’adage, ‘ hà nwè ezè ma Èzè nwe hà [le peuple Ọ Ọpossède le roi mais le roi possède le peuple]’ » (Ahiajoku 2001)

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Les premiers contacts et transactions avec la Compagnie royale du Niger sont suivis par les expéditions coloniales punitives, les occupations et la colonisation, puis l’implantation des sociétés missionnaires : la CMS en 1857 CMS, et la RCM en 1885.

Transition vers la société coloniale

Omenuko Le Monde s’effondre

absents Les missionnaires

Perçus comme des envahisseurs

Des partenaires Les autorités coloniales

Des ennemies

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Le style des romans

Les deux romans, nourris d’oralité, adoptent une perspective historique et une approche didactique dans leur présentation de la société igbo.

Omenuko est clairement influencé à la fois par la structure du conte oral et par le modèle des livres de lecture missionnaires, comme le démontrent la structure de la phrase, l’usage de proverbes, le style didactique, la présence continuelle de l’auteur-narrateur et la présentation générale des personnages.

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Le Monde s’effondre présente un retour à la tradition orale après des décennies caractérisées par le développement d’une littérature de la ville. C’est un récit complexe caractérisé par un choix délibéré, celui de mettre en scène la société traditionnelle, en même temps que par une réflexion constante sur les personnages et l’impact de leurs actes sur la société. L’auteur y a plié la langue anglaise pour lui permettre de rendre compte de la culture, par tout un travail sur le vocabulaire et la structure de la phrase, en même temps qu’il a imbibé la forme européenne du roman de ce qui fait la beauté des récits traditionnels igbo.

Le public visé est en relation avec le choix de la langue: Omenuko, en igbo, était destiné à un lectorat interne, alors que Le Monde s’effondre, écrit en anglais, était destiné en priorité à un lectorat d’abord européen puis international.

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L’avenir de la littérature en igbo L’anglais s’est depuis longtemps positionné comme langue nigériane, avec un statut à mi-chemin entre celui de langue seconde et celui de première langue étrangère, et les Igbo continuent à le préférer à leur langue, percevant l’anglais, remanié et nigérianisé, comme un passeport vers le monde extérieur. Le peu d’intérêt pour l’étude et la lecture de l’igbo, aussi bien au sein des élites que parmi les communautés villageoises, a longtemps découragé les éditeurs de publier les nombreux manuscrits qui leur étaient soumis. Selon Emenanjo cependant, « Maazi Tony Uchenna Ubesie, le diegwu [phénomène] de l’Ecole des études igbo de Lagos, a prouvé à la communauté internationale des écrivains que l’igbo peut apporter sa contribution à tous les genres littéraires, à toutes les tendances et aux productions radiotélévisées » (Ahiajoku 2001, Owerri). S’il est vrai qu’après des décennies d’enseignement de l’igbo officiel à tous les niveaux, cette langue a encore peu de lecteurs hors du système scolaire, le statut de la langue igbo a beaucoup changé au sein des universités ces dernières années, et ce changement d’attitude, perceptible sur l’Internet où se multiplient les sites igbo, a pour corollaire une explosion de publications en igbo soutenue par éditeurs et imprimeurs locaux, en même temps que la production de claviers et de logiciels igbo par Microsoft est en passe de révolutionner le marché électronique de la langue comme sa transmission par écrit.

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