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Albin Michel David Saada LE POINT INTÉRIEUR Méditations sur les lectures hebdomadaires de la Torah

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Albin Michel

David Saada

LE POINTINTÉRIEURMéditations sur les lectureshebdomadaires de la Torah

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Avant-propos

Ces nouvelles «Þméditations sur les lectures hebdomadaires de laTorahÞ» sont, tant dans la méthode utilisée que dans leur «Þsub-stanceÞ», dans la continuité des premières, publiées en 2006 sous letitre Le Pouvoir de bénir.

La méthode tout d’abordÞ: partir d’un verset de la paracha1 dela semaine, et en scruter les significations à la lumière de ce que lesgénérations de Sages nous ont laissé au fil des sièclesÞ: Midrach2,commentaires classiques3, kabbalistiques4, hassidiques5. LeMidrach est le noyau toujours actif, qui donne vie et sens au texte.Ceux qui considèrent, à partir d’une lecture superficielle, qu’ils’agit de «ÞlégendesÞ» ou de fantaisies de l’imagination des rabbinscommettent un grave contresens. Le Midrach est une pensée, unephilosophie, formulée de manière non conceptuelle. Le Midrachporte un regard étonné, interrogateur, sur le texte et sur ses parti-cularités, ses apparentes contradictions, ses non-dits. Il fournit des

1. Tout le texte de la Torah (Pentateuque) est lu à la synagogue sur uneannée, chabbat après chabbat. Il est pour cela divisé en cinquante-trois para-chiyot (sing. paracha) couvrant généralement trois ou quatre chapitres.

2. Commentaires écrits dans l’Antiquité, qui mettent en lumière les allu-sions du Texte écrit à la tradition orale.

3. En particulier les commentaires médiévaux (Rachi, Nahmanide, IbnEzra…) qui mettent l’accent sur le sens littéral.

4. Tradition mystique du judaïsme, qui considère le Texte biblique commetissé de Noms divins et comme étant, par la permutation de ses lettres, lamatrice de l’univers.

5. Tradition mystique issue de la kabbale qui invite l’homme à se réaliserdans l’adhésion au divin.

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clés pour une compréhension en profondeur de la Torah, maissouvent sous une forme énigmatique, qui donne à penser. Iln’assène pas de vérités, il ouvre des pistes vers la Vérité, c’est-à-direvers l’enseignement divin dont le vecteur est la Torah. Les com-mentateurs classiques, les kabbalistes, les maîtres du hassidisme,gravitent autour du Midrach dont ils tirent, chacun à leurmanière, les sucs qui les nourrissent. Le miracle est que toutes lesstrates de signifiants, depuis le sens obvie jusqu’au sens si profondqu’il est de l’ordre du secret, se correspondent, s’éclairent mutuel-lement, s’enrichissent. Aucune signification enseignée par les maî-tres n’est «ÞdépasséeÞ» par on ne sait quelle prétendue évolutionhistorique ou sociologique. Quelle que soit l’époque au cours delaquelle ils ont vécu, ils sont nos contemporains et leurs enseigne-ments sont toujours actuels.

Parmi les maîtres qui nourrissent ces méditations, certains mesont plus proches, plus familiers, comme des personnalités quej’aurais connues personnellement, et particulièrement trois d’entreeux. L’un est né en Italie au XVIIIeÞsiècle, Rabbi Moïse Haïm Louz-zatto1, connu par son acronyme le RamhalÞ; l’autre, Rabbi YaakovAbihssira2, a vécu au Maroc au XIXeÞsiècleÞ; le troisième a grandi enPologne et y a vécu jusqu’au début du XXeÞsiècle, Rabbi YehoudaArié Leib Alter, le Rabbi de Gur3, dit le Sfat Emet. Leurs enseigne-ments imprègnent ces méditations. Ils sont souvent cités dans lesnotes de références mais leur présence dépasse largement les cita-tions ponctuelles. Que leur mémoire soit bénieÞ! Ces maîtres, ins-pirés par la kabbale, ont apporté des éclairages précieux pour notrecompréhension de la Torah, et leur fidélité aux maîtres dont ilsont reçu l’enseignement n’a d’égale que leur capacité à renouvelernotre approche de la Torah. Il n’y a d’ailleurs de renouvellement,de hidouch, qu’enraciné très profondément et solidement dans la

1. Jeune prodige kabbaliste et visionnaire que les autorités rabbiniques del’époque soupçonnèrent (à tort) d’hérésie. Son œuvre la plus célèbre est Le Sen-tier de rectitude (Messilat Yecharim), manuel d’éthique inspiré de la kabbale.

2. Kabbaliste à l’œuvre multiforme et à la réputation de grand saint, à l’ori-gine d’une grande dynastie rabbinique.

3. Auteur de commentaires bibliques et talmudiques portant le titre de SfatEmet (La Langue de vérité), mettant l’action sur l’intériorité. Le hassidisme deGur est considéré comme plus «ÞintellectuelÞ» et plus porté sur l’étude qued’autres courants.

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terre fertile laissée par les Sages. Paradoxalement, pour atteindre lehidouch authentique, ce n’est pas sa propre pensée subjective qu’ilfaut exprimer. Il faut en effet s’efforcer d’atteindre la pensée deKnesset Israël, l’Assemblée d’Israël, au-delà du temps et del’espace. Cette pensée est l’héritage remis par Dieu à Moïse sur lemont Sinaï. Il y a une pensée propriété de tout Israël, une penséede la Torah, que les maîtres de chaque génération mettent au jourprogressivement. Une pensée qui, pour se révéler, ne procède paspar ruptures mais par approfondissement, par actualisation pro-gressive d’un potentiel. Le hidouch doit se situer dans ce courant,dans ce mouvement vers une révélation toujours plus profonde dela Torah, une révélation qui sera parfaitement accomplie avec lavenue du Machiah (Messie). Il faut donc faire taire sa pensée sub-jective pour atteindre la pensée de Knesset Israël. Le hidouch estle fils de l’humilitéÞ! Mais l’humilité requise face à la Torah ne«ÞparalyseÞ» pas. Au contraire, elle conduit au questionnement.«ÞLe timide n’apprend pasÞ», enseigne le Traité des Pères, PirkéAvot1. C’est dans cette démarche «ÞcritiqueÞ» qui est en fait nonpas l’expression d’un sentiment de supériorité sur le texte, mais aucontraire la manifestation de notre infériorité par rapport à lui,qu’il est possible de s’ouvrir à la Torah. La question qui interpellele texte est comme celle de l’enfant qui a soif de connaissance, etqui interroge l’adulte parce qu’il est convaincu que son interlocu-teur détient la réponse, parce qu’il a foi dans la capacité de cetinterlocuteur à satisfaire ses interrogations.

Cette attitude est la seule féconde parce que la Torah est uneénigme qui renferme en elle-même sa propre solution. Pas uneénigme dont il faut chercher la solution ailleurs, dans l’archéolo-gie, l’histoire, ou la psychologie. Étudier la Torah par la TorahÞ:l’expression consacrée Torah lichma, c’est-à-dire étudier la Torahpour elle-même, de façon désintéressée, doit aussi être comprisedans ce sensÞ: la Torah par elle-même. Si on ne comprend pas lacohérence profonde du texte, l’unité qui le sous-tend, c’est parceque notre étude n’est pas parvenue à maturité. Les contradictionsdu texte sont placées devant nous pour nous signaler que gisent làdes correspondances lumineuses, qui révèlent une harmonieinsoupçonnée. Le postulat est que la Torah est vraiment, de

1. Recueil d’aphorismes éthiques des Sages de l’Antiquité.

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manière absolue, la Parole de Dieu donnée aux hommes, l’expres-sion de Son Projet, le reflet de Son Unité. Accessible aux hommesmais Parole qui les dépasse à jamais. Outil pour grandir, grandirsans finÞ!

La substance des méditations, maintenantÞ: au-delà desréflexions sur les questions classiques que soulève une lecturemidrachique du verset étudié – démarche indispensable pourpénétrer dans le texte –, la visée est de tenter de dégager de para-cha en paracha des constantes, des lignes de cohérence transversa-les susceptibles d’apporter un éclairage permettant de relier entreeux des éléments apparemment disparates. Une question fonda-mentale anime toutes les interrogations ponctuellesÞ: que signifiel’apparition a priori étrange dans l’histoire d’un peuple voué auservice de DieuÞ? Dans Le Pouvoir de bénir1, cette démarches’appuyait sur le concept de bénédiction, qui est présent dans laTorah du début à la fin, dans la première paracha, Genèse, «ÞAucommencementÞ», comme dans la dernière, qui commence par lesmots «ÞEt voici la bénédictionÞ». Mais la signification de la béné-diction n’est pas donnée de manière explicite. L’approfondisse-ment des enseignements des Sages fait comprendre que labénédiction est l’actualisation du potentiel de Bien qui existe dansl’Être, une actualisation que les fautes commises par l’Hommeentravent, retardent. La bénédiction dans sa forme achevée, uni-verselle, est l’accomplissement ultime du Projet divin, le mondequi vient. Au cœur d’un verset en apparence anodin, le Midrachrévèle qu’à partir d’Abraham, une lignée humaine est dotée dupouvoir de bénir, retrouvant ainsi l’essence de l’Homme conformeà l’«ÞambitionÞ» du Créateur. Cette essence est désignée par unnéologisme, l’«ÞadamitudeÞ», c’est-à-dire la «Þnature humaineÞ» cor-respondant au Projet divin premier, compromis par la fauted’Adam. Les méditations du Pouvoir de bénir tentaient de décou-vrir différents aspects de cette thématique à travers les enseigne-ments de maîtres de toutes les générations.

Le Point intérieur est en quelque sorte un prolongement, unapprofondissement des méditations du Pouvoir de bénir. Le

1. Bibliophane, 2006.

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terme «Þpoint intérieurÞ» est emprunté au Sfat Emet qui l’utilisesouvent pour désigner ce qui, à ses yeux, est la spécificité spiri-tuelle d’Israël. Ce concept a en fait pour origine l’enseignement dela kabbale qui souligne de manière récurrente l’importance vitalepour toute la Création du «ÞlieuÞ» spirituel où se joignent le Cielet la Terre, un lieu à partir duquel l’influx divin se répand dansl’Être. Ce lieu, c’est le point intérieur. L’union du Ciel et de laTerre, en d’autres termes la fixation de la Présence divine dans lemonde, est le but ultime de la Création. Ce but était en quelquesorte intériorisé en Adam, partenaire du Créateur pour la réalisa-tion du Projet divin. Mais la finalité dont Adam était le porteur aété pour ainsi dire perdue de vue par l’humanité jusqu’à l’appari-tion des Patriarches. Le point intérieur était alors «ÞrefouléÞ»,occulté. Le travail spirituel des Patriarches a permis son dévoile-ment et, par conséquent, la possibilité de réactiver le Projet divind’unir le Ciel et la Terre. Il appartient à Israël, descendance desPatriarches, d’actualiser le potentiel d’unité dont est chargé lepoint intérieur.

Mais les Patriarches ont fait plus que dévoiler à nouveau lepoint intérieur. Ils ont rendu irréversible l’actualisation de sonpotentiel. Le point intérieur qui fonde Israël est réfractaire à toutesouillure, hors de l’emprise du Mal. C’est pourquoi les fautesd’Israël, aussi graves soient-elles, sont toujours susceptibles deretour. Le point intérieur est en fait le fondement du pouvoir debénir, la source d’où sourd la bénédiction. Le point intérieur estpour ainsi dire gravé en filigrane dans tout le texte de la Torah.Chacun des cinq livres de la Torah peut être compris commedécrivant une «ÞétapeÞ» du dévoilement puis de l’extériorisation dupoint intérieur depuis les Patriarches, après l’occultation que luiavaient fait subir Adam et les premières générations de l’humanité,jusqu’au peuple d’Israël délivré d’Égypte, et construit «Þselon labouche de Hachem1 par la main de MoïseÞ», durant les quaranteannées passées dans le désert du Sinaï avant de s’installer sur laterre de la promesse divine. Mais ce qui a été commencé par lesPatriarches ne s’arrête pas à l’entrée de la terre d’Israël. Le cheminsera encore long et durera le temps de l’histoire et des quatre exils

1. Hachem, littéralement «Þle NomÞ», est un euphémisme employé pour leTétragramme.

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du peuple juif. Le potentiel d’unité du point intérieur ne sera par-faitement actualisé qu’aux temps messianiques, à la fin de la domi-nation du quatrième Royaume1, avec le retour de la Présencedivine dans le troisième Temple de Jérusalem, selon l’annonce duprophète ZacharieÞ: «ÞEn ce jour-là, Hachem sera Un et Son NomUn.Þ»

1. Dans la vision juive traditionnelle de l’histoire, le peuple juif en exil estsuccessivement soumis à quatre «ÞroyaumesÞ»Þ: les Empires babylonien, perse,grec et romain. Il se trouve encore dans ce dernier exil, le plus long.

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Avertissement au lecteur

Afin de rendre ce texte accessible au plus grand nombre, nousavons simplifié au maximum la transcription de l’hébreu.

Notre livre suit l’ordre des lectures hebdomadaires du Pentateu-que prescrites par la Tradition juive, les parachiyot (paracha), aux-quelles nous avons conservé leurs noms traditionnels. Ontrouvera, en ouverture de chaque paracha, un résumé de celle-ci,ainsi que la traduction de son nom et la citation du verset dontelle le tire.

Tous les termes hébraïques, ainsi que toutes les œuvres et leursauteurs, sont présentés en note à la première occurrence. Ils sontégalement tous repris dans le glossaire en fin d’ouvrage.

Toutes les citations des maîtres de la Tradition, traduites dansle corps du texte, sont reprises en annexe dans leur version hébraï-que originale, pour permettre à ceux qui le souhaitent de prolon-ger l’étude. Pour chaque citation, en note de bas de page, figureainsi un renvoi aux annexes.

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GENÈSE

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Paracha Beréchit

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Paracha Beréchit (Au commencement)Genèse 1, 1 à 6, 8

«ÞAu commencement Dieu créa le Ciel et la Terre…Þ»

La première lecture hebdomadaire de la Torah, la paracha Béréchit,évoque d’abord le Maasé Beréchit, l’«ÞŒuvre du CommencementÞ», c’est-à-dire les six jours de la Création du monde couronnés par le chabbat.Un récit à l’apparence simple, qui recèle dans son écriture cryptique lessecrets de l’Être. Le récit nous présente ensuite l’histoire des dix premièresgénérations de l’humanité, depuis Adam jusqu’à Noah, une histoire quicommence dans l’harmonie parfaite du Jardin d’Éden et se termine parla décision terrible du Créateur déçu par ses créatures de détruire lemonde par les eaux du Déluge. Les débuts de l’humanité sont difficiles.Après leur faute, Adam et Ève, sa femme, sont expulsés du Jardin d’Éden.Le premier couple humain vivait au Jardin d’Éden dans un monde situéau-dessus des lois de la Nature. La mort y était inconnue et la Présencedivine permanente. La faute d’Adam et Ève les a précipités dans un autremonde, dominé par les contraintes biologiques, économiques, un mondeoù la Présence divine n’est pas évidente, le monde qui est encore le nôtre.Après Adam, le Projet divin pour l’Homme subit encore de nouvellesdéconvenues avec l’assassinat d’Abel par son frère Caïn, et le déchaîne-ment instinctuel des générations antédiluviennes.