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- 1 - - Le populisme - un point de vue systémique Essai sur les causes du populisme (V) Jean-François Greset

Le populisme

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- Le populisme -

un point de vue systémique

Essai sur les causes du populisme

(V)

Jean-François Greset

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Table des matières I. Définitions du populisme II. Identification des causes III. Analyse systémique IV. Un diagnostic V. Conclusion

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Le populisme d’un point de vue systémique I. Les définitions Dans l’espace public, le terme populisme est souvent prononcé afin de disqualifier tout discours dérangeant susceptible de troubler les convenances intellectuelles, d’ébranler des certitudes bien établies. Par ce procédé tout débat se trouve exclu, recouvrant d’un voile pudique des fautes, des malentendus, des manquements émanant de la sphère politique. A bien y regarder, le populisme reflète une réalité qu’il serait inconvenant de réduire à une expression vide de sens. Le but de cet essai est de démontrer le contraire. Ce terme employé abondamment, et souvent à mauvais escient, comporte une diversité de définitions, telles que :

Lexilogos : Attitude, comportement d’un homme ou d’un parti qui, contre les élites dirigeantes, se pose en défenseur du peuple et en porte-parole de ses aspirations, avançant des idées le plus souvent simplistes et démagogiques. Larousse : Idéologie politique de certains mouvements de libération nationale visant à libérer le peuple sans recourir à la lutte des classes. Hubert Védrine : C’est la réaction violente de peuples qui se sentent abandonnés et méprisés. (réf. Le Figaro du 12.11.16, p. 4, Que doit faire l’Europe après l’élection de Donald Trump ?)

La première définition se situe au niveau du particulier protestataire ne tolérant plus la manière discutable dont se comportent les organes dirigeants. Celui-ci devient alors sensible aux suggestions de rejet des autorités politiques en place. La deuxième définition se réfère à des groupements politiques ne suivant plus l’idéologie des partis dominants, accusés de trahir l’électorat à leur profit. La troisième est encore plus radicale que la deuxième, puisqu’elle fait référence à des termes forts, tels que : abandon et mépris. En fait, ces trois définitions, au lieu de s’exclure, nous donnent une parfaite illustration des facettes du problème que nous tentons de cerner. Les relations circulaires nourrissant le populisme font l’objet du schéma suivant :

Fig. No 1 - Le terreau du populisme

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On observe que le populisme repose sur des motifs qui ne sont pas tous déraisonnables, méritant plus d’attention qu’un simple rejet désinvolte, coupant court à tout débat. II. Identification des causes Point de vue du citoyen - On distinguera les éléments sous-jacents causés, de leurs modalités d’expression. En effet, l’attitude négative des citoyens à l’égard de la démocratie n’est pas née de rien. Des facteurs bien précis ont contribué à former cette hostilité. A ce propos, on citera : • Trop souvent, par paresse ou aveuglement, les gouvernements pratiquent un déni plus ou moins

affiché de la réalité, exaspérant ceux qui la supportent au quotidien. A titre d’exemple, le manque de sécurité dans la rue, les transports publics, même les hôpitaux, est minimisé et les fauteurs si peu réprimandés.

• L’angélisme juridique pratiqué par nos institutions constitue une disparité choquante entre la manière dont sont traitées les victimes et la délicatesse mise en œuvre pour punir les malfrats. D’ailleurs, cette justice est hors d’atteinte d’une grande partie de la population pour de simples raisons financières.

• Se répand dans la société une dictature des mots, des expressions, empêchant d’aborder les sujets brûlants, mais considérés par les intégristes du langage comme inconvenants. En France, on peut même parler de répression puisque des associations, sous les habits de la vertu, poursuivent en justice, avec assiduité, des personnalités en vue qui ont osé se prononcer sur des thèmes délicats suscitant pourtant un fort questionnement au sein de la société.

o la liberté d’expression est ainsi devenue une imposture, réduite à une liberté sous surveillance ;

o la justice, en l’occurrence, se mêle maintenant de juger doctement les personnes dénoncées, et participe activement à museler la pensée par une procédure longue et coûteuse, voire par une condamnation.

o la censure des mœurs est remplacée par celle des idées.

• Le sentiment d’appartenir à l’Histoire de son pays est considéré comme étant ringard, rétrograde, par ceux qui prêchent le vivre ensemble, le communautarisme. Autant le culte outrancier des valeurs nationales (la patrie, le drapeau et autres symboles) est ridicule, autant son absence serait le signe d’un morcellement du pays en communautés qui s’ignoreraient. Bien des exemples nous montrent que vivre ensemble est possible sous la condition impérative d’un respect réciproque. La seconde condition est d’accepter les usages du pays hôte et de s’y plier lorsque les circonstances l’exigent. A partir du moment où une collectivité se referme sur elle-même, des heurts verbaux ou physiques sont à craindre au sein de la population. La division s’installe, les divergences se durcissent par effet circulaire, le dialogue se rompt. Des zones de non-droit apparaissent, difficiles à reconquérir par un Etat devenu impuissant.

• Sur le plan politique, les faits divers montrent que nos autorités, ou les partis ne sont pas à l’abri de critiques. Leurs réflexions présentent trop souvent des lacunes, des incohérences, ou alors sous l’influence des lobbys trop présents. Bref, leur image est dégradée par leurs petits arrangements, combines et autres compromissions. Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que nombre de personnes refusent cette corruption et adhèrent en désespoir de cause à des formules violentes, radicales, rejetant le système auquel ils ne croient plus.

Le contexte ainsi créé éloigne le citoyen de la politique et renforce son intransigeance. Il devient accessible à des propos simplistes, basés sur l’émotionnel et le rejet de l’autorité, ou fondés sur des raisonnements s’appuyant sur des postulats incomplets, ou même erronés. Dans la plupart des cas, ces postulats font fi des mécanismes économiques (entre autres), du poids géopolitique, de l’environnement, du pays concerné. En d’autres termes, le caractère systémique des multiples composants formant la société est ignoré, d’où des diagnostics incorrects et, par conséquent, des propositions de solutions souvent fantaisistes, formulées sous la forme de slogans, dont on connaît avec quelle facilité ils imprègnent les esprits.

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La croissance fulgurante du volume des informations circulant dans les différents canaux des médias pose la question de la qualité de ces dernières. En effet, celles-ci passent de la médiocrité la plus vile, à un niveau qui n’insulte pas l’intelligence. Il en résulte une cacophonie insupportable s’infiltrant dans les consciences, polluant la perception et altérant l’interprétation des évènements, avec les conséquences néfastes que cela implique. Se forment des tourbillons d’opinions, de certitudes, pour se défaire tout aussi vite, auto-entretenus par un phénomène étrange d’agrégation de croyances en dehors de tout esprit critique. De la sorte, tout quidam, sans connaissance particulière, s’exprimera sur un sujet en se référant à une collection d’idées reçues plutôt qu’à un raisonnement construit. La parole ainsi libérée se déverse en un torrent non maîtrisé où l’émotion primaire submerge toute raison. Ces causes conjuguées contribuent à faciliter la propagation d’une attitude de rejet, de refus des normes et, en même temps, à rendre perméable cette même personne à des idées délirantes. Point de vue de l’Etat - L’Etat est aussi responsable de cette attitude d’hostilité à son encontre. Rappelons ici quelques reproches fondés, exprimés en quelques traits : • Le lien de confiance est coupé avec une partie de la population ; • L’appareil politique est sous influence, si ce n’est corrompu ; • Les autorités en question s’enferment dans un angélisme juridique excessif, sans pour autant se priver

d’adhérer à un barbarisme législatif répressif ; • De sa propre volonté, l’Etat s’est réduit à l’impuissance d’exercer son pouvoir répressif contre les

atteintes délibérées à son intégrité ; • La grande majorité des citoyens investis dans la politique ignorent le caractère systémique des lois

qui régissent une société ; ils méconnaissent la théorie des systèmes. • L’appareil de l’Etat s’est laissé dominer par la logique de l’Economie, laquelle imprègne tous les

comportements et les discours. On observe que le populisme repose sur un substrat de causes objectives. Le populisme ne naît donc pas du néant, et s’il faut le combattre ce n’est pas en le traitant telle une maladie honteuse. Le déplorer, soit, mais charger ce terme d’une connotation si négative, que le simple fait de le prononcer clôt le débat, est une forme de cécité qui rassure les bien-pensants. Le caractère complexe de ce problème est indéniable et sera exposé au chapitre suivant. III. Analyse systémique Les relations circulaires entre le citoyen et l’Etat posent quelques conditions minimales pour que ce dispositif fonctionne de manière cohérente. La fig. infra en donne un aperçu global :

Fig. No 2 – le système « démocratie »

Ce modèle repose sur un contrat implicite, mal connu, voire pas du tout, liant les institutions publiques et le peuple. De cette méconnaissance, il en découle des comportements inappropriés de part et d’autre. Cet aspect conventionnel fait l’objet de la figure suivante.

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Fig. No 3 - Structure du système1 « société et démocratie »

Commentaires : - Le contrat implicite dont il est question contient des obligations précises imposées personnellement au citoyen, tandis que celles relatives à l’Etat comportent une portée plus générale s’étendant à toute la Société. - La parfaite exécution de ce contrat demande

un consentement réciproque et sans-arrière-pensée de la part de chacun des partenaires. Par exemple, l’assujetti accepte de payer des impôts à condition que les recettes fiscales perçues soient affectées intelligemment, parcimonieusement, en conformité avec les finalités que l’Etat s’engage à respecter. De plus, la redistribution d’une part des revenus prélevés est ressentie comme étant acceptable, dans la mesure où la charge fiscale à supporter n’est pas jugée excessive et que les récipiendaires ne soient pas assimilés à des profiteurs.

- La pratique de la démocratie moderne exige un niveau élevé des qualités personnelles requises aussi bien auprès des électeurs que des représentants des autorités publiques, et des partis.

- Les relations circulaires (fig. 2) qui animent le tout, et leur complexité, constituent la signature d’un système au sein duquel existent des liens très étroits entre ses divers composants. Ces liens ne sont pas que d’ordre matériel, ils sont également entretenus par les multiples flux porteurs d’informations qui parcourent le système afin d’assurer sa cohésion. Hélas, combien de fois2 ces dernières sont-elles biaisées, manipulées dans le but d’emporter l’adhésion des votants ? Trop souvent. Face à de telles manœuvres, les citoyens en rupture de confiance répondent par le rejet de nos institutions, la dérision, l’abstention, ou alors en adoptant des thèses extrémistes.

C’est bien dans ce contexte où personne ne s’écoute que naît le populisme, formé de gens désabusés, déçus, et qui brusquement se reconnaissent dans le discours de bonimenteurs doués pour la parole, mais peu enclins à la réflexion, dont le seul message est de leur dire : je vous comprends et à ce titre, je serai votre porte-parole.

1 Cette figure est une représentation sommaire de la structure de la Société, mais suffisamment explicite dans ce cadre. 2 Il s’agit d’une constante que l’on observe lors d’enjeux sensibles. Là, les dérives sont bien visibles et ce sont leur massivité qui fait problème.

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IV. Un diagnostic Les raisons susceptibles d’expliquer la propagation du populisme sont issues de la rupture du consensus entre les citoyens et l’appareil politique. Dès lors, le dialogue si important dans une démocratie se raidit, d’un côté par une absence de consentement aux actes publics, et de l’autre côté par des discours niant ce fossé allant grandissant. Le modèle ci-dessous montre à l’évidence que le populisme résulte de carences imputables aux deux constituants (le citoyen et l’Etat), lesquelles finissent par se renforcer mutuellement en un cercle vicieux. Se contenter de déplorer ce comportement est donc insuffisant et superficiel ; ce sont les motifs profonds qu’il convient de découvrir par l’approche systémique.

Fig. No 4 - Formation du populisme (analyse systémique)

Cette figure met en évidence le cœur des causalités ; il se situe au rang des qualités morales et intellectuelles des personnes concernée3. Or, trop souvent, des défaillances ont lieu à ce niveau, d’autant plus difficiles à surmonter qu’elles

impliquent une prise de conscience intime de ses propres carences. Il est bien sûr malaisé de se juger et d’admettre ses défauts, mais la clé est pourtant bien conditionnée à cette démarche d’introspection. Assurément, être élue aux instances législatives ou exécutives ne constitue pas la garantie que la personne bénéficiant d’un tel statut n’endosse pas un costume trop large pour elle. La complexité des problèmes tend à s’accroître en termes de coûts et d’incidences négatives4 sur la société. En outre leur fréquence augmente. Par conséquent, le système subit une croissance du stress qui l’affecte à cause du renforcement des antagonismes, de l’accélération des interactions circulaires, dans un temps de plus en plus étroit. Cette fébrilité débouche sur des tensions avivées encore par des décisions politiques mal perçues, ensuite critiquées, risquant alors de perdre leur pertinence, cela dans un brouhaha médiatique perturbateur. Ce constat quelque peu pessimiste dérive des observations que nous avons tous eu l’occasion de faire, à savoir que notre métasystème est poussé dans ses retranchements à cause d’une viabilité rétrécie, à force d’atteintes pernicieuses à son milieu naturel. Par conséquent, cet ensemble tend à voir diminuer sa capacité de s’adapter par ses propres moyens aux chocs sociaux qui déjà se produisent. On relève alors la séquence :

3 Aussi bien la sphère politique que celle des citoyens. 4 L’irruption de la COVID constitue l’exemple d’un « cygne noir » (Taleb) aux effets négatifs considérables.

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En l’occurrence, cette séquence met en évidence l’intolérance du dispositif allant croissante en regard de propositions, de comportements, de décisions, inadéquats issus des acteurs du monde politique ou des membres de la société civile, dont la carrure intellectuelle n’est plus adaptée. Le populisme révèle un mal de la Société que l’on ne peut pas réduire seulement à des propos simplistes et démagogiques, tenus par des personnes aigries et chicaneuses. Un tel résumé est souvent propagé par les membres du groupe b’, voulant ainsi se dispenser de leurs responsabilités quant à l’émergence de cet état d’esprit. Derrière le populisme se cache aussi une appréhension manifestée par des personnes inquiètes de leur avenir, dans un écosystème montrant des signes visibles de dégradations. Sans aucun doute, les dommages sévères portés à notre environnement ne sont pas venus de nulle part. Ils sont les conséquences de décisions prises par des politiciens engoncés dans leurs certitudes, et peu enclins à écouter les avis contraires aussitôt écartés avec dédain. V. Conclusion Les conséquences sont suffisamment dramatiques aujourd’hui pour réveiller, notamment les jeunes personnes, lesquels prennent conscience des dangers qui nous guettent. En effet, nous vivons tous sur plusieurs volcans, l’un climatique, le deuxième concerne notre biosphère déréglée, le troisième comprend toutes les formes de pollutions (chimiques, poussières fines...), le quatrième inclut les excès de bavardage, de bruit, d’images, le cinquième se manifestant par la formation d’une intelligence collective au travers des réseaux sociaux asservissant la pensée à des idées reçues sans esprit critique en l’absence d’outils intellectuels oubliés. Enfin le sixième, actuellement endormi, se réfère à la somme colossale de la dette mondiale, sans régulation digne de ce nom, donc sensible aux moindres secousses susceptibles d’ébranler un équilibre précaire. Ces tensions extrêmes se signalent par des problèmes de plus en plus aigus ; leurs solutions réclament une érudition dont nombre de revendicateurs sont dépourvus. Il en résulte une cacophonie d’exigences impatientes, d’imprécations, se brisant sur les réalités temporelles, techniques, économiques, financières et sociétales du moment. A l’opposé, ces revendications sont reçues par une classe politique impavide, ou alors pétrifiée par son impuissance. Au même titre que les demandeurs, cette classe raisonne au moyen d’un logiciel inadapté5. Tous les ingrédients sont réunis, contribuant à nourrir les diverses formes de populisme, signature d’un malaise plutôt que d’un caprice. Une incompréhension réciproque est aujourd’hui visible entre ces deux groupes d’interlocuteurs se signalant par une exaspération partagée. Ce point d’ébullition constitue un état de criticalité du système « Société » que l’on peut définir par le terme de populisme.

5 C’est-à-dire linéaire et non systémique. Il en découle une impasse logique conduisant à des propositions de solutions incomplètes, inappropriées, voire iconoclastes. La recherche de solutions est d’autant plus difficile que celles-ci se logent dans des antagonismes dont il faut mesurer les interactions circulaires, en temps et intensité. De plus, certains disparaissent, tandis que d’autres surgissent ou résistent à toutes solutions.