111
Université Lumière Lyon II Institut d’Etudes Politiques Section Politique et Administration Filière Service Public Les usages du terme « populisme » dans la campagne présidentielle de 2007 Du succès des utilisations stratégiques d’un mot équivoque Mémoire de fin d’études Orianne Ledroit Directeur de mémoire M. Denis Barbet, Maître de Conférences à l’Institut Responsable du séminaire « Mots et symboles en politique » Année universitaire 2006-2007

Les usages du terme « populisme » dans la campagne ...doc.sciencespo-lyon.fr/.../MFE2007/.../ledroit_o.pdf · cette course électorale. Par ailleurs, force est de constater l’éruption

  • Upload
    others

  • View
    1

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Les usages du terme « populisme » dans la campagne ...doc.sciencespo-lyon.fr/.../MFE2007/.../ledroit_o.pdf · cette course électorale. Par ailleurs, force est de constater l’éruption

Université Lumière Lyon IIInstitut d’Etudes Politiques

Section Politique et AdministrationFilière Service Public

Les usages du terme « populisme » dansla campagne présidentielle de 2007 Dusuccès des utilisations stratégiques d’unmot équivoque

Mémoire de fin d’étudesOrianne Ledroit

Directeur de mémoireM. Denis Barbet,

Maître de Conférences à l’InstitutResponsable du séminaire « Mots et symboles en politique »

Année universitaire 2006-2007

Page 2: Les usages du terme « populisme » dans la campagne ...doc.sciencespo-lyon.fr/.../MFE2007/.../ledroit_o.pdf · cette course électorale. Par ailleurs, force est de constater l’éruption
Page 3: Les usages du terme « populisme » dans la campagne ...doc.sciencespo-lyon.fr/.../MFE2007/.../ledroit_o.pdf · cette course électorale. Par ailleurs, force est de constater l’éruption

Table des matièresREMERCIEMENTS . . 5Introduction . . 6

1. Champ de la réflexion . . 72. Méthodologie . . 93. Problématisation . . 12

1ère partie : La campagne présidentielle de 2007 : De la réussite sociale du terme« populisme » . . 13

Section 1 : La confirmation de la « désémantisation » 32 du mot « populisme » . . 13

I) Préambule analytique sur le concept de « populisme » . . 13II) Contextualisation des usages du « populisme » dans la campagneprésidentielle : un processus récent d’extension incontrôlée . . 18

Section 2 : Les difficultés d’un usage du « populisme » comme concept valable et savantde la science politique . . 26

I) Un désordre conceptuel persistant . . 26II) Un terme facilement mobilisable par les acteurs . . 36

2ème partie : Le triomphe des usages polémiques et stratégiques du concept. Analysedes représentations cachées derrière ce mot : entre hyperdémocratisme, pseudo-démocratisme et anti-démocratisme . . 43

Section 1 : Un usage tactique : diaboliser l’adversaire . . 43I) Analyse des désignants et des désignés . . 43II) Au-delà de la force péjorante du mot lui-même . . 53

Section 2 : Un usage symptomatique de l’état global de la société : le nouvel opium desélites ? . . 62

I) Le pendant d’un usage diabolisant l’adversaire . . 63II) Le mot « populisme » : objet de luttes symboliques . . 66

Conclusion : De la force des mots en politique . . 76Bibliographie . . 80

1/ Les ouvrages . . 80Ouvrages spécifiques au thème abordé . . 80Ouvrages sur l’analyse lexicale . . 80Ouvrages généraux de la science politique et des sciences sociales (sociologie,histoire…) . . 81Dictionnaires et encyclopédies . . 81

2/ Les articles de référence . . 81

Articles sur les populismes 455 . . 82

Articles sur l’analyse lexicale en science politique . . 82Articles sur la démocratie et la campagne présidentielle de 2007 . . 82Dossiers spéciaux dans les revues . . 83

3/ Sites Internet . . 83Annexes . . 85

ANNEXE N°1 : LISTE DES DISCOURS UTILISES DANS LE CORPUS456 . . 85

Page 4: Les usages du terme « populisme » dans la campagne ...doc.sciencespo-lyon.fr/.../MFE2007/.../ledroit_o.pdf · cette course électorale. Par ailleurs, force est de constater l’éruption

ANNEXE N°2 : EXTRAIT DU DISCOURS DE SEGOLENE ROYAL A RENNES LE 20FEVRIER 2007 . . 86ANNEXE N°3 : EXTRAIT DU DISCOURS DE NICOLAS SARKOZY A VILLEBON-SUR-YVETTE LE 20 MARS 2007 . . 90ANNEXE N°4 : EXTRAIT DU DISCOURS DE NICOLAS SARKOZY A MONTPELLIER LE3 MAI 2007 . . 95ANNEXE N°5 : LISTE DES ARTICLES DU CORPUS (Classés par journaux et par ordre

chronologique)457 . . 961/ Articles de Libération (26 articles) . . 962/ Articles de l’Humanité (33 articles) . . 973/ Articles du Figaro (20 articles) . . 984/ Articles du Monde (79 articles) . . 99

ANNEXE N°6 : ARTICLES DE JOURNAUX REPRODUITS458 . . 1021/ A. Duhamel, « La contagion populiste », Libération, 8 novembre 2006. . . 1022/ E. Le Boucher, « Le retour mondial des populistes », Le Monde, 10 décembre2006. . . 1043/ J.-F. Durantin, « 2007: Renouveau de la démocratie participative? », Libération,23 février 2007. . . 1054/ S. Homer, Entretien avec F. Jost, « Une certaine idée de la vérité », L’Humanité,5mai 2007. . . 107

ANNEXE N°7 : OCCURRENCE DU TERME « POPULISME » SELON LES MOIS ET LESCANDIDATS . . 108ANNEXE N° 8 : ANALYSE DES OUTILS INFORMATIQUES ET QUELQUESILLUSTRATIONS POUR NOTRE REFLEXION . . 109

1/ Analyse de l’outil LéxiMédia 2007459 . . 1092/ L’outil Discours 2007 . . 111

Page 5: Les usages du terme « populisme » dans la campagne ...doc.sciencespo-lyon.fr/.../MFE2007/.../ledroit_o.pdf · cette course électorale. Par ailleurs, force est de constater l’éruption

REMERCIEMENTS

LEDROIT Orianne_2007 5

REMERCIEMENTS

A ma famille et mes amis pour leur soutien tout au long de cette année,

Ce mémoire n’aurait pas vu le jour sans le suivi et l’aide précieuse et avisée de M. Barbet,responsable du séminaire. Je l’en remercie très sincèrement.

Ma reconnaissance s’adresse, en outre, à l’ensemble des documentalistes de l’Institut d’Etudespolitiques, et des bibliothèques universitaires de Lyon II pour leur aide dans mes recherchesdocumentaires et leurs conseils dans le domaine informatique.

Enfin, je tiens à remercier très sincèrement Monsieur P. Guillard pour son assistance en matièreinformatique, mes parents pour leur relecture attentive et leurs questions pertinentes et mes amis(notamment Loubna, Alexandra, Cécile et Julie) pour leurs encouragements et les témoignages deréconfort dans les périodes de doutes accompagnant tout travail universitaire de recherche.

Page 6: Les usages du terme « populisme » dans la campagne ...doc.sciencespo-lyon.fr/.../MFE2007/.../ledroit_o.pdf · cette course électorale. Par ailleurs, force est de constater l’éruption

Les usages du terme « populisme » dans la campagne présidentielle de 2007 Du succès desutilisations stratégiques d’un mot équivoque

6 LEDROIT Orianne_2007

Introduction

Dans 1984, l’écrivain G. Orwell symbolise le triomphe noir du totalitarisme au travers,notamment, d’une métaphore astucieuse de l’invention d’une langue politique nomméeNovlangue et simplifiée à l’extrême afin de rendre impossible toute nuance, contradictionou idée subversive. Ainsi, la richesse du langage témoignerait de la vigueur du débatdémocratique. Étayant cette réflexion, on peut supposer avec Damon Mayaffre que « ladémocratie et le discours sont consubstantiels depuis le miracle grec » ; la crise de l’unserait crise de l’autre1. Dans la même veine, certains spécialistes affirment que « le discoursest constitutif de la politique »2. D’ailleurs, l’étude de D. Mayaffre élabore une descriptionsémantique de la présidence de J. Chirac soulignant le « glissement logocratique d’unpouvoir présidentiel virtuel » ; la démocratie devenant, ainsi, « logomachie »3. Selon P.Braud, il existe trois grandes catégories d’objets symboliques dans le champ politique4 : 1/on trouve des concepts largement investis de représentations dans l’ordre du langage, 2/des objets matériels, et enfin, 3/ des pratiques et des comportements. Le langage tient doncune place considérable dans la vie politique. Mais, plus précisément, reprenant G. Meadpour qui, « le langage ne symbolise pas seulement une situation ou un objet qui existe déjà,[puisqu’] il rend possible leur existence ou leur apparition ; [en faisant] partie du mécanismequi la crée »5, P. Braud souligne le fait que les mots-clés traversant le langage politique sontchargés d’une force symbolique qui, au-delà d’une aide pour penser l’univers politique, leferait « advenir »6. Ainsi nous ramène-t-il au concept de « langage performatif » brillamment

développé par J.L. Austin dans son célèbre Quand dire, c’est faire 7 .

Aussi serait-il nécessaire voire totalement indispensable pour un politiste des’intéresser au discours ; la plupart des comportements politiques étant discursifs, ettoute activité sociale passant par le langage ou par des signes. Une entrée lexicalepermet donc d’accéder aux représentations sociales d’un objet. Dans cette logique, deslinguistes ont créé, avec le concours du CNRS, le Laboratoire de lexicologie politique del’ENS-Saint Cloud, afin de conférer une autonomie scientifique à la lexicologie politique.De ce laboratoire fécond naîtra une revue semestrielle Mots ainsi que des méthodesd’analyse discursive telles que la léxicométrie paradigmatique ou encore la léxicométrie

1 D. Mayaffre, Paroles de Président. Jacques Chirac (1995-2003) et le discours présidentiel sous la Vème République, Paris, HonoréChampion, 2004.2 A. Trognon et J. Larrue, Pragmatique du discours politique, Paris, Armand Colin, 1994, p. 10.3 D. Mayaffre, ibid.4 P. Braud, L’émotion en politique, Paris, Presses de Science Po, Coll Références Inédites, 1996.5 G. Mead, L’esprit, le soi et la société, (1934) trad., Paris, PUF, 1963, p. 66, cité in P. Braud, ibid.6 P. Braud, ibid.7 J.L. Austin, Quand dire, c’est faire, Paris, Seuil, Points Essais, 1991.

Page 7: Les usages du terme « populisme » dans la campagne ...doc.sciencespo-lyon.fr/.../MFE2007/.../ledroit_o.pdf · cette course électorale. Par ailleurs, force est de constater l’éruption

Introduction

LEDROIT Orianne_2007 7

syntagmatique8. Notons à ce sujet que toute étude sémantique suppose au préalable defaire l’hypothèse que les choix des mots ou expressions sont rarement fortuits ou aléatoiresmais participent d’une stratégie claire et définie par le locuteur.

1. Champ de la réflexionLa campagne électorale qui s’est déroulée cette année universitaire 2006-2007, nous estapparue, en tant que citoyenne active et vivement intéressée par les stratégies de conquêtedu pouvoir, comme un laboratoire d’idées riche et dense pour un mémoire s’inscrivant dansle domaine des mots et symboles en politique. La lecture quotidienne de journaux, l’écoutedes émissions radiophoniques (telles « La Rumeur du Monde » sur France Culture) ainsique le visionnage d’émissions télévisées (comme « C dans l’air » ou encore « Ripostes »)ont porté à notre connaissance la récurrence du mot « populisme » dans les analyses decette course électorale. Par ailleurs, force est de constater l’éruption sur la scène politiquenotamment européenne de mouvements dits communément « populistes », émergencequi est bien antérieure à notre période d’étude. En témoigne par exemple le dossier quileur a été consacré dans Courrier International en 2002 dessinant le tableau d’une Europetoute entière menacée par le spectre du populisme9. Cet emploi répétitif a fait naître uneprofonde curiosité pour un concept fréquemment utilisé mais pour lequel la plupart descommentateurs se retrouvent vite dans l’embarras et l’inconfort s’agissant de l’expliciter.Aussi avons-nous supposé qu’une étude des usages du terme lui-même pourrait êtrepertinente afin de donner une profondeur et une épaisseur à un phénomène généralementanalysé sous l’angle d’un concept historiquement situé et pour lequel il s’agit le plus souventd’examiner la présence réelle ou illusoire de formes concrètes dans la réalité.

Il apparaît raisonnable et intéressant d’opérer un bref retour sur les principales thèsesanalysant le phénomène populiste. Il faut, tout d’abord, rappeler que le populisme est enfin« pris au sérieux par la science politique, la sociologie et l’anthropologie »10 au-delà dela seule recherche historique à partir de l’ouvrage collectif publié en 1969 Populism : Its

Meanings and National characteristics 11 . Nombre de réflexions oscillent entre la volonté

de construire une théorie générale du populisme et l’exploration purement empiriste etpluraliste de toutes les configurations sociopolitiques qui se présentent et dans lesquelleson pourrait reconnaître un aspect du populisme12. Par ailleurs, certains chercheurs tententde mettre en évidence les conditions de jaillissement du populisme dans les démocratiesprenant comme hypothèse que le but de cet appel au peuple soit de « redresser la balance

8 Pour plus de précisions, voir A. Prost, « Les mots », in R. Rémond (dir.), Pour une histoire politique, Paris, Seuil, 1988, p 267.La première méthode concerne le regroupement en série des unités textuelles, indépendamment de leur ordre de succession dansla chaîne écrite alors que la seconde prend en compte leur ordre de succession dans la chaîne écrite.9 Voir « Les populistes. Des xénophobes à la conquête de l’Europe », Courrier International, n° 683 du 4 au 10 décembre 2003, p.48 à 54. Voir aussi à ce sujet M. Winock, « Radiographie de l’élection présidentielle », L’Histoire, n°275, avril 2003, p. 35-41.

10 P.-A. Taguieff, L’Illusion populiste. Essai sur les démagogies de l’âge démocratique, Paris, Champs Flammarion, 2007, p. 199.11 G. Ionescu et E. Gellner (dir.), Populism : Its Meanings and National characteristics, Londres, Weidenfeld and Nicolson,

1969, cité dans P.-A. Taguieff, ibid, p. 199.12 P.-A.Taguieff, ibid., p.89. Voir par exemple à ce sujet : A. Dorna, Le populisme, Paris, PUF, Coll « Que sais-je ? », 1999

notamment le chapitre 1 : « Questions sur le populisme » et l’importance donnée au « fond émotionnel qui anime » le populisme (p. 10).

Page 8: Les usages du terme « populisme » dans la campagne ...doc.sciencespo-lyon.fr/.../MFE2007/.../ledroit_o.pdf · cette course électorale. Par ailleurs, force est de constater l’éruption

Les usages du terme « populisme » dans la campagne présidentielle de 2007 Du succès desutilisations stratégiques d’un mot équivoque

8 LEDROIT Orianne_2007

du pouvoir » afin qu’un « gouvernement authentiquement populaire puisse continuerd’exister »13. Dans cette logique et reprenant la distinction de M. Oakeshott entre la« politique de la foi » et la « politique du scepticisme »14, M. Canovan affirme que danstoute démocratie il existe une tension entre deux pôles distincts celui de la foi et celui dupragmatisme. Et le populisme naîtrait d’un « déséquilibre entre les deux pôles au profit dela dimension réaliste »15.

En outre, P.-A. Taguieff, chercheur ayant importé en France le concept de « populisme »des Etats-Unis dans le but de donner une terminologie au Front national, livre, dans sapréface actualisée de L’Illusion populiste, une réflexion sur le côté populiste de certainsconcurrents à la présidentielle de 2007. S’intéressant particulièrement au « cas SégolèneRoyal », le spécialiste affirme qu’elle est « une figure singulière du nouveau populismeidéologiquement non fixé », « un populisme ‘d’opiniomane’ professionnel »16. Et rappelantque J. Chirac fut en 1995 une bonne illustration à la française du « néopopulisme »17, ilévoque aussi le cas de F. Bayrou qui oscillerait entre « mi-populiste et mi-misérabiliste »18.Dans le sillage de cet exemple, G. Hermet développe, dans une interview au Monde 2,son concept de « semi-populisme contrôlé » appliqué aux discours de S. Royal et de N.Sarkozy19, distinguant , d’ailleurs, un « mauvais populisme » qui « porterait une accusation »et un « bon populisme » qui serait plus positif. Ainsi, quelques commentateurs ont entreprisune analyse des discours des candidats à la présidentielle en vue de déterminer la présencede formes de « populisme ». Pour autant, aucun ne se livrait à une réflexion sémantique enprofondeur sur les usages du concept lui-même. Notons cependant que certains ouvrageslaissent quelques fois la place à une courte analyse de la fonction du terme « populisme ».Preuve en est, par exemple, du passage explicitant l’emploi du mot dans le discoursmédiatique de la Russie post-communiste20.

Il s’agit ici, au travers d’une réflexion sémantique de l’usage du mot « populisme »dans la campagne présidentielle, de dépasser les thèses consistant à reconnaître desdoses de populisme dans les discours et les pratiques des candidats, pour déchiffrer enprofondeur la fonction d’un tel mot dans les textes. Effectivement, le mot garde-t-il toujoursla même signification ? Qui traite qui de populiste ? Et dans cette logique, pouvons nousfaire apparaître des continuités dans les locuteurs utilisant ce terme ainsi que dans lespersonnes visées ? Au contraire, l’identité de ces catégories varient-elles ? Les usagersdu terme populisme sont-ils motivés pour les mêmes raisons ? A quoi sert ce mot dansl’argumentation ? Comment le terme « populisme » fonctionne-t-il ? Pouvons-nous accéderaux représentations sociales, aux charges symboliques qui se cachent derrière ce mot ?

13 M. Canovan, « Trust the People ! Populism and the Two Faces of Democracy”, Political Studies, 47 (1), 1999, p. 3, citénotamment dans Y. Mény et Y. Surel, Par le peuple, pour le peuple. Le populisme et les démocraties, Paris, Fayard, 2000, p. 30-32.

14 Voir M. Oakeshott, The Politics of Faith and the Politics of Scepticism, New Haven, Yale University Press, 1996, p. 21-38,108, 128 cité notamment dans Y. Mény et Y. Surel, Par le peuple, pour le peuple. ibid, p. 30-32.

15 P.-A. Taguieff, ibid, p. 172. Voir dans la même logique l’analyse de Y. Mény et Y. Surel entre le pôle constitutionnaliste et lepôle populiste des démocraties, in Y Mény et d’Y. Surel, ibid, p. 38-84.

16 P.-A. Taguieff, ibid, p. 51.17 Nous pouvons aussi nous référer à ce sujet aux analysesd’Y Mény et d’Y. Surel, op cit., p. 78.18 P.-A. Taguieff, op cit., p. 299.19 « Du bon usage du populisme ». Entretien avec G. Hermet, Le Monde 2, 4 novembre 2006, p. 46-50.20 Voir à ce sujet : P.-A. Taguieff, ibid, p. 138-139.

Page 9: Les usages du terme « populisme » dans la campagne ...doc.sciencespo-lyon.fr/.../MFE2007/.../ledroit_o.pdf · cette course électorale. Par ailleurs, force est de constater l’éruption

Introduction

LEDROIT Orianne_2007 9

2. MéthodologieSelon la définition issue de Encylopaedia Universalis qui désigne le corpus comme« rassemblement de textes ou collection de textes regroupés sur la base d’hypothèsesde travail en vue de les interroger », le corpus est un objet heuristique construit enfonction des hypothèses préalables de la recherche ainsi que des questionnements de base.Effectivement, « la définition du corpus dépend du questionnement du chercheur »21. Ainsi,après avoir précisé ces quelques réflexions préalables, nous pouvons aisément justifier untravail se référant à un double matériau. Des discours de campagne ainsi que des articlesde journaux formeront le socle de notre analyse. Ce corpus offre le précieux avantagede reproduire fidèlement l’actualité de l’usage du terme « populisme » tout au long de lacampagne présidentielle.

D’une part, nous nous sommes attachés aux discours des candidats à la présidentiellecontenant les mots « populisme/populiste ». En effet, les meetings ou interventionspubliques des candidats sont considérés comme la clé de voûte de toute campagneélectorale. Mais, il convient, à ce niveau, de tout de suite souligner la polysémie du terme« discours ». D’abord, le discours peut se définir comme le langage qui est mis en action, soitun synonyme de la parole. De plus, le terme peut aussi recouvrir tout énoncé supérieur à laphrase, s’opposant ici à « texte », ou encore à « mot ». En effet, un discours comprend destextes, lesquels sont constitués de phrases, composées à leur tour de mots22. Par ailleurs, lediscours apparaît comme l’équivalent d’une conversation. Il est, enfin, l’instance d’évocationpour certains linguistes tels que E. Benveniste, selon lequel « il faut entendre discoursdans sa plus large extension : toute énonciation supposant un locuteur et un auditeur,et chez le premier l’intention d’influencer l’autre en quelque manière »23. Le discours estdonc une production sociale traversée par une stratégie du locuteur. Dans ce cadre, unquestionnement sur l’utilité de ce type d’intervention publique surgit. En effet, symboleset temps forts de toute campagne électorale, dans quels buts les discours politiquessont-ils produits ? Comme l’expliquent les auteurs analysant la rhétorique lepéniste24, lesdiscours ont forcément une visée première et gratuite qui consiste à informer l’auditoire.Toutefois, en vertu de la définition précédente de Benveniste, il faut rajouter que les discourspolitiques tentent aussi d’influencer leur public. Effectivement, le discours politique « parlede politique » et, « ce faisant, réalise certains types d’actes transformateurs des rapportsintersubjectifs […] : il met en place des sujets « autorisés » […], installe des « devoirs »,crée « des attentes », instaure la « confiance » ; et l’on peut ajouter que « considérer de lasorte le discours [politique] […], c’est peut être se donner le moyen d’aborder […] l’analysedes conditions d’existence et d’exercice du pouvoir »25.

En outre, le choix de travailler sur les discours de campagne dans lesquels setrouvait l’occurrence des termes « populisme/populiste » a été facilité par l’accès au site

21 A. Prost, « Les mots », in R. Rémond (dir.), op cit., p. 273.22 Voir M. Souchard, S. Wahnich, I. Cuminal et V. Wathier, Le Pen, les mots. Analyse d’un discours d’extrême-droite, Paris,

Le Monde Edition, 1998, p. 19.23 E. Benveniste, Problèmes de linguistique générale, Gallimard, Paris, 1966, t.1, pp. 241-242, in M. Souchard et Al., ibid, p. 20.24 M. Souchard, S. Wahnich, I. Cuminal et V. Wathier, ibid, p. 21.25 E. Landowski, La Société réfléchie, Paris, Seuil, 1989, p.9, in M. Souchard et Al. op. cit, p. 21.

Page 10: Les usages du terme « populisme » dans la campagne ...doc.sciencespo-lyon.fr/.../MFE2007/.../ledroit_o.pdf · cette course électorale. Par ailleurs, force est de constater l’éruption

Les usages du terme « populisme » dans la campagne présidentielle de 2007 Du succès desutilisations stratégiques d’un mot équivoque

10 LEDROIT Orianne_2007

de J. Véronis26 qui répertorie notamment l’ensemble des discours des candidats avec,en complément, un moteur de recherche par mots-clés présents dans les discours. Parailleurs, notons à ce sujet qu’une multiplicité d’outils de traitement statistique et d’analysede discours est à notre disposition sur ce site ; offrant une aide précieuse dans touterecherche universitaire en la matière. Cependant, nous devons rappeler, à ce stade, unelimite inhérente à tout discours politique rédigé, pour la plupart, par les plumes des hommespolitiques à une cadence infernale. Le terme populisme se retrouve dans plusieurs discoursdu même candidat, reprenant exactement les mêmes formulations. Ainsi se trouventréduites, de manière considérable, la quantité et donc la pertinence de notre analyse.Quantitativement, sur 17 discours contenant au moins une occurrence du terme générique« populisme », on retrouve 2 répétitions dans les discours de S. Royal et 5 répétitionsdans les discours de N. Sarkozy. Pour autant, le terme « populisme » apparaît parfois àplusieurs reprises dans le même discours. Au final, nous disposons donc de 17 occurrencesdifférentes à analyser dans les discours de campagne27. Au passage, nous pouvons préciserque la plupart des discours du recueil ne sont pas ceux qui restent emblématiques dansl’imaginaire de tout citoyen intéressé par la course à la présidentielle. Effectivement, lesmythes fondateurs du charisme présidentiel et les engagements des principaux candidats(que sont S. Royal et N. Sarkozy) ont eu lieu respectivement à Villepinte le 11 février 2007pour la candidate socialiste et le 14 janvier 2007 au Congrès de l’UMP.

Aussi, compte tenu du nombre restreint d’occurrences du mot « populisme » à étudierdans les discours des candidats, il nous était conseillé de compléter cette analyse lexicalepar une étude de la presse écrite. Nous avons choisi de limiter notre corpus à des quotidiensfrançais offrant l’intérêt (par rapport aux hebdomadaires) de saisir la campagne électoraledans toute sa vitesse et sa dynamique, et nous permettant d’accéder à une plus granderéactivité face aux événements et de capter efficacement les usages évolutifs du terme« populisme ». Notre sélection s’est faite au profit de quatre grands quotidiens nationauxcomplémentaires dans leurs angles d’approche de l’actualité et disposant d’un site Internetriche et facilement accessible en matière d’archives car fournissant un moteur de recherchepar mots-clés. Détaillons notre choix de quotidiens :

1/ Nous avons tout d’abord retenu L’Humanité dont la sensibilité de gauche communistehistoriquement convenue et revendiquée sera un élément d’analyse.

2/ Ensuite, Le Figaro, quotidien légèrement marqué à droite, contre-balançeraitL’Humanité dans sa partialité politique.

3/ Par ailleurs, les articles du Monde font partie de notre analyse dans la mesure où ilapparaît comme quotidien de référence dont l’objectivité semble reconnue par les lecteurset les commentateurs.

4/ Enfin, nous avons choisi de nous intéresser aux articles de Libération du fait dela place essentielle qu’occupe ce journal dans le traitement médiatique de la vie politiquefrançaise.

Le choix de ces quotidiens répond aussi à la volonté d’aller au-delà du langagestrictement journalistique en étudiant des articles écrits par des commentateurs extérieurs

26 Voir à ce sujet l’outils Discours 2007 sur le site http://aixtal.blogspot.com/ et voir aussi : http://erss.irit.fr:8080/LexiMedia2007/search/forme.jsp . Voir aussi Annexe n°8, p. XXXV-XXXVII. Jean Véronis est professeur de linguistique etd’informatique à l’Université de Provence et est notamment l’auteur de Combat Pour l’Elysée, Paris,Seuil, 2006 dans lequel il analyse,non sans humour, les paroles des présidentiables. Voir l’ensemble des discours analysés en Annexe n°1, p. II et III

27 Pour le détail des discours, voir Annexe n° 1 p. II-III.

Page 11: Les usages du terme « populisme » dans la campagne ...doc.sciencespo-lyon.fr/.../MFE2007/.../ledroit_o.pdf · cette course électorale. Par ailleurs, force est de constater l’éruption

Introduction

LEDROIT Orianne_2007 11

et aux origines multiples donnant une légitimité intellectuelle à l’article. Ainsi, la diversité desarticles retenus alimente la recherche en analyses intellectuelles faites par des spécialistes,dépassant le simple cantonnement aux usages journalistiques. Dans ce contexte, il estimportant de souligner que les sources de la production de parole ou de discours seronttriples, distinguant le discours du journaliste lui-même d’un discours rapporté. En effet :

l’usage du mot « populisme » pourra être le fait de citations reprises dans les articles(des hommes politiques, mais aussi du simple citoyen),

le terme pourra être, de plus, employé par les journalistes ou les commentateursrédacteurs d’un article,

et enfin, l’usage du mot pourra se retrouver au travers d’interviews de spécialistes.Tous ces acteurs participent, en effet, à l’évolution sémantique du terme « populisme »

et à une compréhension en profondeur des représentations sociales noyées derrière ceconcept. Ce corpus consistant et, semble-t-il, approprié permet une vue d’ensemble dela campagne. Et une grande interaction entre les deux supports de la recherche existepuisque la presse écrite rend compte des principaux discours des candidats, analysant ainsia posteriori les pratiques lexicales des hommes politiques en campagne. On retrouveradonc facilement des articles au sujet des discours étudiés ; ces articles offrant un éclairageextérieur, varié (car analytique ou purement descriptif) dont la focale dépendra, évidemment,du quotidien considéré.

En outre, le corpus d’articles sélectionnés comprend aussi certaines chroniques faisantréférence à la vision de la presse étrangère sur la campagne française, et enrichissantainsi notre étude sémantique du terme « populisme » puisqu’elles offrent la possibilité decomparer les usages étrangers du mot avec ceux faits en France. Enfin, quelques articlesont été retenus arbitrairement dans la mesure où, ne traitant pas spécifiquement de laprésidentielle, ils peuvent pourtant apporter un éclairage pertinent et des points de repèreprécieux sur le fonctionnement du concept de « populisme ».

Cependant, la délimitation du corpus nous a posé problème. En effet, il nous a étédifficile de cerner précisément les contours temporels de la campagne présidentielle. Malgrél’existence de dates-clés cadrant la campagne des grands candidats (comme l’élection deS. Royal pour porter les couleurs du Parti socialiste le 16 novembre 2006, confirmée par lecongrès d’investiture du PS le 26 novembre ; ou encore la déclaration de candidature de J.MLe Pen le 12 novembre, celle de F. Bayrou le 2 décembre ; et enfin l’élection de N. Sarkozypar l’UMP le 14 janvier alors qu’il s’était déclaré candidat depuis le 30 novembre) et en dépitdes dates officielles (selon lesquelles la liste des candidats a été publiée le 20 mars 2007 etla prise en compte scrupuleuse des temps de parole afin d’assurer l’égalité des candidatsa débuté le 9 avril 2007), il s’avère délicat d’assigner une limite temporelle en amont dela campagne. En effet, ne pouvons-nous pas considérer que la candidate socialiste, toutcomme son principal rival N. Sarkozy, avaient entamé leur campagne dès le début del’année 2006 ; voire même, pour ce qui est du candidat de la droite, depuis que celui-ciest entré au gouvernement avec la volonté de se construire un bilan positif pour apparaître« présidentiable ». Ainsi, nous avons décidé arbitrairement de débuter notre recherchepar un article du 5 septembre 2006 dans le quotidien Libération intitulé « Les étudiants etSarkozy ». Par ailleurs, la limite postérieure d’une analyse sur la campagne présidentiellese voudrait moins ambiguë dans la mesure où, par définition, la campagne s’achève parune « date fatidique »28, le jour de l’élection. Pour autant, nous avons choisi de prendre en

28 D. Bertrand, A. Dézé et J.-L. Missika, Parler pour gagner. Sémiotique des discours de la campagne présidentielle de 2007,Paris, Presses de Science Po, Coll. Nouveaux Débats, 2007, p. 7.

Page 12: Les usages du terme « populisme » dans la campagne ...doc.sciencespo-lyon.fr/.../MFE2007/.../ledroit_o.pdf · cette course électorale. Par ailleurs, force est de constater l’éruption

Les usages du terme « populisme » dans la campagne présidentielle de 2007 Du succès desutilisations stratégiques d’un mot équivoque

12 LEDROIT Orianne_2007

compte certains articles écrits en mai et juin dans le sillage du second tour car ils sont desanalyses de la campagne et de la victoire du candidat Sarkozy avec 53,06% des suffragesexprimés29. Au total, notre corpus est composé de 158 articles de la presse quotidienneillustrant les usages du mot « populisme » tout au long de la campagne présidentielle.

3. ProblématisationUne réflexion sémantique sur les usages d’un mot nous ramène à souligner les deuxinterprétations notionnelles du terme « usage » en ce qu’il peut signifier « fonction » ou« emploi » mais aussi « coutume commune à un groupe »30. Ainsi, pouvons-nous mettreen évidence une utilisation généralisée et admise du mot « populisme » au cours de lacampagne présidentielle dont témoigneraient des continuités transversales au corpus ? Lesacteurs ont-ils intériorisé le terme « populisme » dans une acception particulière dont lesusages pendant la campagne en seraient la preuve ? Et s’il existe une signification admise,que recouvre-t-elle ? S’inscrit-elle dans l’histoire du mot ou au contraire en rupture avecson passé ? Nous montrerons que les usages du mot « populisme », lors de la bataillepour la présidence, témoignent d’un processus historique de perte de signification du mot,le réduisant à n’être utilisé majoritairement qu’à des fins stratégiques.

Ainsi, gardant à l’esprit la réflexion pertinente de P. Corcuff selon laquelle « les résultatsdes sciences sont toujours provisoires »31, nous nous proposons de livrer une réflexion endeux temps. Tout d’abord, il s’agit de mettre en évidence le fait que le mot « populisme » estchargé d’histoire. Et ses usages actuels participent de ce mouvement en s’inscrivant dansune dynamique particulière. Aussi, la campagne présidentielle de 2007 confirmerait-elle lesdeux principales caractéristiques du concept lui-même ; à savoir sa polysémie constitutiveet sa très grande récurrence dans le langage politique et médiatique (ces deux attributsentretenant un lien de causalité à préciser). Dans une seconde étape, nous réfléchironsaux divers usages polémiques et tactiques du mot « populisme », concept vide et fourre-tout. En effet, véhiculant une ambivalence quant aux représentations contenues dans leterme, celui-ci est majoritairement employé dans une logique normative, témoignant d’unepossibilité d’agir au moyen d’un mot.

29 Pour les résultats précis et détaillés, voir le site du CEVIPOF : http://www.cevipof.msh-paris.fr/bpf/index.htm . Voir la listedes articles étudiés à l’Annexe n°5, p. XVIII-XXIV.30 Voir la définition du mot dans le Larousse de Poche 2003, p. 842.

31 P. Corcuff, Les nouvelles sociologies, Paris, Nathan, Coll. « 128 », 1995, p. 7.

Page 13: Les usages du terme « populisme » dans la campagne ...doc.sciencespo-lyon.fr/.../MFE2007/.../ledroit_o.pdf · cette course électorale. Par ailleurs, force est de constater l’éruption

1ère partie : La campagne présidentielle de 2007 : De la réussite sociale du terme « populisme »

LEDROIT Orianne_2007 13

1ère partie : La campagne présidentiellede 2007 : De la réussite sociale duterme « populisme »

Section 1 : La confirmation de la « désémantisation » 32 du mot « populisme »« Le populisme est l’un des mots les plus confus du vocabulaire de la sciencepolitique ».

Margaret Canovan, Populism, New York-Londres, Harcourt Brace Janovich, 1981, p. 301.

I) Préambule analytique sur le concept de « populisme »Il s’agit ici d’introduire notre objet d’étude par une brève analyse étymologique,définitionnelle et théorique afin de situer les usages de la campagne présidentielle.

1. Précisions sémantiques préalables« L’histoire témoigne de la virulence de certaines batailles sémantiques dansle domaine des idées. Le recours aux mots dans l’espace politique est unearme subtile et à double tranchant. La confusion et l’évolution opportuniste dequelques notions constituent la toile de fond des grandes polémiques»33. Dansce contexte, il paraît primordial de préciser l’étymologie du terme « populisme» ; étymologie caractérisée par la confusion et la charge affective des notionsassociées au mot étudié. En effet, « populisme » provient, à l’évidence, du terme« peuple ». Or ce terme s’incarne dans deux sens : demos et populus. D’unepart, le terme grec « nostalgique et noble » ; d’autre part, l’étymologie latine d’unpeuple « refoulé et plébéien »34. Plus précisément, la première racine renvoiepositivement à une « unité retrouvée, [au] sujet souverain, [à] la forme esthétique32 Voir l’expression de P.-A. Taguieff, « Populismes et antipopulismes : le choc des argumentations », Mots/Les langages

du politique, n°55, juin 1998, p. 6.33 A. Dorna, Le populisme, Paris, PUF, Coll. Que sais-je ?, 1999, p. 6.34 A. Dorna, op cit., p. 6.

Page 14: Les usages du terme « populisme » dans la campagne ...doc.sciencespo-lyon.fr/.../MFE2007/.../ledroit_o.pdf · cette course électorale. Par ailleurs, force est de constater l’éruption

Les usages du terme « populisme » dans la campagne présidentielle de 2007 Du succès desutilisations stratégiques d’un mot équivoque

14 LEDROIT Orianne_2007

de la volonté générale ». Au contraire, le terme latin incarne pêle-mêle la « massemultiple, la foule ignorante, la populace déchaînée et passionnelle », bref, « lanégation de l’homme, la masse redoutée »35. Ces deux étymologies traduisentdonc clairement « l’écart entre le principe politique et la réalité sociologique

»36. Ainsi, l’article « peuple » de l’Encyclopédie du XVIIIème siècle, rédigé parJaucourt, notait : « Nom collectif difficile à définir parce qu’on s’en forme desidées différentes dans les divers lieux, dans les divers temps et selon la naturedes gouvernements »37. Le peuple apparaît donc comme « une énigme et unepuissance »38.

L’étymologie du mot peuple met d’emblée la lumière sur la « polysémie de ce terme »39,qui aurait « une compréhension et une extension qui varient considérablement selon lescontextes » pour l’historien M. Agulhon40. Dans cette perspective, permettons-nous derappeler la classification de G. Sartori dans sa Théorie de la démocratie, caractérisantutilement 5 conceptions du peuple : 1/ le peuple comme « pluralité approximative » (le grandnombre) ; 2/ le peuple comme « pluralité intégrale » (tous) ; 3/ le peuple comme entité(un « tout organique ») ; 4/ le peuple comme « pluralité s’exprimant selon le principe dela majorité absolue » ; 5/ le peuple comme « pluralité s’exprimant selon le principe de lamajorité relative »41. Et soulignons à cet égard que P.-A. Taguieff rajoute, à cette typologie,une dernière approche d’un peuple « plèbe, prolétariat, masse, non possédants ou classespopulaires »42.

Un terme si équivoque comme le mot « peuple », référent premier du concept de« populisme », fait peser sur l’analyse du second terme une ambiguïté constitutive quenous nous devons nécessairement d’éclairer à ce stade préalable de l’analyse des usagesdu « populisme ». Effectivement, comme l’affirme B. Lewis, l’énantiosémie (ou « étudedes variations sémantiques de termes aux sens opposés » selon P.-A. Taguieff) s’avèrenécessaire pour toute analyse du discours politique dans la mesure où certains motspeuvent avoir des sens contraires. Et l’auteur de préciser par exemple que c’est le cas pour«populaire » signifiant à la fois « pour et contre le peuple »43.

Dans la même veine, l’équivocité du terme « peuple » explique aussi l’ambiguïtéconstitutive de deux termes dont la racine est demos : la démagogie et la démocratie.

35 A. Dorna, ibid, p. 6.36 A. Dorna, ibid, p. 6. Voir aussi à ce sujet : J. Julliard, « Le peuple », in P. Nora (éd.), Les lieux de mémoire, t. III, Les

France, vol. 1, Paris, Gallimard, 1992.37 Voir P. Rosanvallon, Le peuple introuvable. Histoire de la représentation démocratique en France, Paris, Gallimard,

Bibliothèque des Histoires, 1998, p. 31. Notons comme le rappelle P. Rosanvallon que le « Dictionnaire de l’Académie

française souligne cette polysémie [du mot peuple] dans son édition de 1786 ».38 A. Dorna, ibid, p. 7.39 P.-A. Taguieff, L’Illusion populiste, op cit., p. 36.40 M. Agulhon, « Le peuple à l’inconditionnel », Vingtième siècle. Revue d’histoire, n°56, octobre-décembre 1997, p. 225-226.41 Voir G. Sartori, Théorie de la démocratie, tr. Fr. Christiane Hurtig, Paris, Armand Colin, 1973, chap 2 in P.-A. Taguieff, ibid, p. 36.42 P.-A. Taguieff, ibid, p. 36-37.

43 B. Lewis, « Islam et Démocratie », Notes de la Fondation Saint-Simon, n°54, juin 1993, p.7, in P.-A. Taguieff, op cit., p.173-174.

Page 15: Les usages du terme « populisme » dans la campagne ...doc.sciencespo-lyon.fr/.../MFE2007/.../ledroit_o.pdf · cette course électorale. Par ailleurs, force est de constater l’éruption

1ère partie : La campagne présidentielle de 2007 : De la réussite sociale du terme « populisme »

LEDROIT Orianne_2007 15

Nous verrons d’ailleurs, par la suite du développement, que ces deux mots se retrouventde manière récurrente dans l’environnement lexical de « populisme » tant dans les discoursque dans les articles de journaux analysés. Et cette proximité textuelle s’avère non fortuite.Aussi, le terme « démagogie » désigne-t-il à la fois le « fait de suivre le peuple » et« l’acte de le manœuvrer ou de le faire suivre »44. Par déduction, la démocratie, « dans sesusages modernes, signifie soit l’acte d’éclairer le peuple (pour en faire une communauté decitoyens), soit celui d’affronter le peuple ou l’opinion publique selon des règles, donc dansle cadre de la loi, en avançant des arguments d’ordre rationnel »45. Et l’historien-politologuede préciser qu’il s’agit ici de la claire distinction entre la « conception républicaine ou civiquede la démocratie, privilégiant la tâche d’éducation du peuple, et la conception libérale de ladémocratie, méfiante à l’égard des masses présumées irrationnelles »46. Cette tension seretrouvera dans notre analyse de l’usage du terme « populisme ».

2. DéfinitionsA ce stade des précisions lexicales, il est intéressant de faire un bref mais judicieuxpanorama de la définition du « populisme » que l’on peut trouver dans divers dictionnairesou encyclopédies. Préalablement, nous devons informer le lecteur que les termes« populisme » et « populiste » sont des mots modernes ; dans la mesure ils ne sont,par exemple, pas enregistrés dans les différentes éditions du Dictionnaire de l’Académiefrançaise (de 1694 à 1935), ni dans le Dictionnaire de la Langue française de Littré publié

dans la seconde moitié du XIXème siècle.Selon le Petit Robert de la langue française :« populisme [pCpylism] n. m.1912 ; du lat. populus « peuple »Didact. Ecole littéraire qui cherche, dans les romans, à dépeindre avec réalisme la vie

des gens du peuple »Et « populiste [pCpylist] n. et adj.1907 ; de populisme

Partisan du populisme, inspiré par le populisme. Roman populiste. Le Prix populiste »47.Ainsi, comme en témoigne cette définition, la première attestation de « populisme » date

de 1912 dans l’ouvrage La Russie moderne, alors que « populiste » est déposé en 1907.Plus rigoureusement, le Dictionnaire encyclopédique Larousse de 1979 (intéressant car

publié avant l’extension incontrôlée du terme que nous développerons par la suite) définitle populisme comme :

« Doctrine littéraire et artistique qui s’attache à l’expression de la vie et des sentimentsdes milieux populaires. || En Russie, mouvement idéologique qui avait pour but de luttercontre le tsarisme en s’appuyant sur le peuple. Représenté par Lavrov et Ouspenski, le

44 S. Kobi, « Entre pédagogie et démagogie populiste », Mots/les langages du politique, n°43, juin 1995, p. 33-50.45 P.-A. Taguieff, ibid, p. 38.46 P.-A. Taguieff, ibid, p. 38.47 Accès au dictionnaire grâce au portail étudiant de l’Université Lyon II : http://etu.univ-lyon2.fr/index_frame.html

Page 16: Les usages du terme « populisme » dans la campagne ...doc.sciencespo-lyon.fr/.../MFE2007/.../ledroit_o.pdf · cette course électorale. Par ailleurs, force est de constater l’éruption

Les usages du terme « populisme » dans la campagne présidentielle de 2007 Du succès desutilisations stratégiques d’un mot équivoque

16 LEDROIT Orianne_2007

mouvement du populisme tenta d’attirer à lui les paysans, puis, noyauté par la police, setransforma dans les années 80 [comprendre 1880] en anarchisme »48.

En outre, l’entrée dans le dictionnaire de l’Encyclopaedia Universalis nous donne unedéfinition plus fournie :

« Populisme n. masc. sg :Attitude politique cherchant à attirer la sympathie du peuple par des mesures sociales

populairesIdéologie de certains mouvements politiques se fondant sur le peuple

Mouvement politique russe de la fin du XIXème siècleGenre littéraire s’attachant à dépeindre la vie des milieux populaires »Et « populiste :Adj. : qui concerne le populisme, idéologie de certains mouvements politiques se

fondant sur le peuple

Nom : partisan du populisme »49.Enfin, pour achever ce court aperçu des quelques entrées définitionnelles de la notion

de « populisme », nous nous pencherons sur l’article très détaillé et intéressant issu du

Dictionnaire historique et géopolitique du 20 ème siècle ; dictionnaire dont l’orientationintellectuelle et la spécificité thématique enrichissent notre panorama :

« La notion de populisme trouve ses origines dans la doctrine du narodnitchestvo(de narod [peuple] et narodnik [populiste]) qui apparut après 1870 au sein de la Russieimpériale : elle désignait alors un mouvement de retour de l’intelligentsia vers le peupleafin de l’aider et de l’instruire, mais aussi d’apprendre à son contact et d’équilibrerl’intellectualisme lié à une modernité faite de ruptures et d’importations. Le mouvementse voulait politique, avec notamment […] l’anarchiste Michel Bakounine (1814-1876), maiss’élargissait à la littérature, avec notamment Fedor Dostoïevski (1821-1881), et surtoutLéon Tolstoï (1828-1910). Il mobilisait des révolutionnaires de gauche, mais incluait aussicertains idéologues de droite inquiets des effets de la modernisation. Cette pré-histoiredonne déjà la mesure du populisme : extensif, interclassiste, mêlant conservatisme et visionrévolutionnaire, teinté d’anti-intellectualisme, de méfiance à l’égard de l’étranger, de flouidéologique et surtout d’idéalisation du peuple »50.

Ainsi, ces définitions variées soulignent l’importance de l’histoire du mot. En effet, celui-ci est d’abord utilisé pour décrire des expériences politiques passées notamment en Russie,puis pour définir un genre littéraire spécifique.

3. Réticence à toute catégorisation inhérente au concept et hypothèse detravailAprès avoir brièvement étudié l’étymologie ainsi que mis en évidence la pluralité dedéfinitions possibles, nous pouvons raisonnablement nous interroger sur (comprendre, ici,douter de) la possibilité et la réceptivité du mot « populisme » à toute volonté scientifique

48 Dictionnaire encyclopédique Larousse, Librairie Larousse, 1979, p. 1124.49 Accès par le site Internet de l’Université Lyon II.50 Le dictionnaire historique et géopolitique du 20 ème siècle, La Découverte, 2ème édition augmentée, 2005, p544-546.

Page 17: Les usages du terme « populisme » dans la campagne ...doc.sciencespo-lyon.fr/.../MFE2007/.../ledroit_o.pdf · cette course électorale. Par ailleurs, force est de constater l’éruption

1ère partie : La campagne présidentielle de 2007 : De la réussite sociale du terme « populisme »

LEDROIT Orianne_2007 17

de typologisation. Evidemment, il s’agit ici de faire le bilan des divers apports scientifiquessur le concept de « populisme » afin de souligner la pertinence d’un traitement sémantiques’attachant aux usages du terme dans la campagne présidentielle, comme méthode deconfrontation des idées théorisées avec les réalités empiriques. Retraçant l’historique desrecherches majeures et qui ont fait date, P.-A. Taguieff constate un consensus scientifiqueétabli sur l’ambivalence du terme « populisme ». E. Laclau affirme par exemple aucommencement de ses recherches que :

« ‘Populisme’ est un concept insaisissable autant que récurrent. Peu de termes ont étéaussi largement employés dans l’analyse politique contemporaine, bien que peu aient étédéfinis avec une précision moindre. Nous savons intuitivement à quoi nous nous référonslorsque nous appelons populiste un mouvement ou une idéologie, mais nous éprouvons laplus grande difficulté à traduire cette intuition en concepts. C’est ce qui a souvent conduità une sorte de pratique ad hoc : le terme continue d’être employé d’une façon purementallusive, et toute tentative de vérifier sa teneur est abandonnée »51.

Et en dépit de l’existence de nombreux termes imprécis et équivoques dans la sciencepolitique (comme nous l’avons vu précédemment avec B. Lewis), l’originalité du conceptde « populisme » tient dans l’absence « d’accord raisonnable sur un noyau dur »52 danssa signification. Le populisme couvrirait ainsi « un éventail extraordinairement large dephénomènes divers […] utilisés sans méfiance par différents auteurs pour renvoyer à deschoses tout à fait différentes »53. Malgré ce flou terminologique persistant, les spécialistes sesont appliqués à fabriquer ou à re-fabriquer un tel concept, dépassant la solution simplisteprônée par certains d’évincer le mot du langage scientifique54.

Suivant les propositions méthodologiques d’une spécialiste reconnue du populisme,deux possibilités de construction du concept s’offrent au chercheur : soit entamer une« théorie du populisme » en général basée sur une vision essentialiste du concept ;soit s’engager dans un catalogue énumératif des formes empiriques de celui-ci55. Pourautant, une solution alternative a été amorcée au travers d’un article de l’anthropologueRodney Needham en 1975 dans lequel est adoptée la notion de « terme polythétique »56.Par définition, un tel terme se réfèrerait « à des choses entre lesquelles il existe desressemblances, un ‘air de famille’, mais qui ne relèvent pas pour autant d’une seule et même

51 E. Laclau, Politics and Ideology in Marxist Theory : Capitalism-Fascism-Populism, Londres, Verso, 1979 (1er éd., Londres,New Left Books, 1977), p. 143, in P.-A. Taguieff, op cit., p. 160.

52 M. Canovan, « Two Strategies for the Study of Populism », Political Studies, XXX (4), 1982, p. 544, in P.-A. Taguieff, ibid,p. 161.

53 M. Canovan, ibid. Cette analyse est partagée par divers auteurs notamment H.-J. Puhle, « Was ist Populismus ? », dansH. Dubiel (dir.), Populismus und Aufklärung, Francfort, Suhrkamp, 1986, p. 12-13, ou encore K. M. Roberts, « Neoliberalism and theTransformation of Populism in Latin America : The Peruvian Case », World Politics, 48(1), octobre 1995, p. 82-116.

54 R. Quintero, El Mito del Populismo en el Ecuador, Quito, FLACSO, 1980 ou encore I. Roxborough, “Unity and Diversityin Latin American History”, Journal of Latin American Studies, 16, mai 1984, p. 1-26 (notamment p. 14), in P.-A. Taguieff, L’Illusionpopuliste, op cit., p. 161.

55 M. Canovan, op cit., in P.-A. Taguieff, ibid., p. 164.56 Voir R. Needham, « Polythetic Classification : Convergence and consequences », Man, 10 (3), 1975, p. 349-369, in P.-A.

Taguieff, ibid, p. 165.

Page 18: Les usages du terme « populisme » dans la campagne ...doc.sciencespo-lyon.fr/.../MFE2007/.../ledroit_o.pdf · cette course électorale. Par ailleurs, force est de constater l’éruption

Les usages du terme « populisme » dans la campagne présidentielle de 2007 Du succès desutilisations stratégiques d’un mot équivoque

18 LEDROIT Orianne_2007

définition »57. Ainsi, si le populisme peut s’apparenter à une notion « aux limites effacées »,selon la formule de L. Wittgenstein58, on peut en tirer que celui-ci « signifie à peu près ceciou cela » et illustrer aussitôt avec des exemples en « supposant que le « ce que c’est »s’épuise dans l’énumération des exemples, situés dans leurs contextes respectifs »59. Cetroisième instrument nous semble intéressant pour notre analyse sémantique de l’usage duterme populisme dans la campagne présidentielle dans la mesure où il permet une réflexionsavante sur un terme dont le contenu définitionnel peut varier.

II) Contextualisation des usages du « populisme » dans la campagneprésidentielle : un processus récent d’extension incontrôlée

Nous voudrions, à ce stade de l’analyse, expliciter en profondeur la dynamique historiquedans l’utilisation du terme « populisme », dynamique dans laquelle s’insère notre périoded’étude du mot.

1. La mésaventure du « populisme » : un mot devenu populaire (P.-A.

Taguieff) 60

La campagne présidentielle de 2007, support historique de notre analyse, s’inscrit dans unedynamique parcourant la vie politique française et mondiale. En effet, elle se situe dans uncadre temporel et spatial particulier qui exerce sur elle (en tant qu’événement), ainsi que surses participants (candidats et citoyens) et ses analystes ou commentateurs (journalistes,politologues, écrivains), des forces, des contraintes conjoncturelles de manière impliciteou explicite. Ainsi s’insère-t-elle clairement dans un contexte spécifique, dans lequel leterme « populisme » s’inscrit, avec ses références historiques, ses définitions passées, sesthéories savantes. En ce sens, nous nous sommes d’abord penchés sur l’évolution récentequ’a connu le terme « populisme » (au-delà des théories précédemment citées) ; processusillustré par P.-A. Taguieff dans un article issu de la revue Vingtième siècle. Revue d’histoirede 1997 repris dans un ouvrage collectif sous la direction de J.-P. Rioux de 200761. Pourle chercheur :

« il est arrivé une singulière mésaventure au mot « populisme » : il est récemmentdevenu populaire. Le terme étant sorti du langage savant, ses usages dominants s’inscrivent

57 D. Sperber, La contagion des idées. Théorie naturaliste de la culture, Paris, Odile Jacob, 1996, p. 28-29, in P.-A. Taguieff,ibid, p. 165.

58 L. Wittgenstein, Investigations philosophiques, § 71, tr. Fr. Pierre Klossowski, Paris, Gallimard, 1961, in P.-A. Taguieff, ibid,p. 166.

59 P.-A. TAguieff, ibid, p. 166.60 P.-A. Taguieff, « Le populisme et la science politique », in J.-P. Rioux (dir.), Les populismes, Paris, Presses de la

Fondation nationale des sciences politiques et Perrin, Coll. Tempus, 2007, p. 17-59. Voir aussi P.-A. Taguieff, L’Illusion

populiste, op cit, p. 93.61 Voir P.-A. Taguieff, « Le populisme et la science politique », Vingtième siècle. Revue d’histoire, n°56, octobre-décembre 1997.Pour la référence de l’ouvrage collectif sous la direction de J.-P. Rioux noir note n° 60. La date de la publication de l’article de base deTaguieff est ici essentielle pour soutenir notre analyse car la contribution du chercheur sur le populisme a vu le jour bien avant le débutde la campagne présidentielle ; ce qui n’est pas le cas si l’on s’attache uniquement à la date de publication de l’ouvrage collectif.

Page 19: Les usages du terme « populisme » dans la campagne ...doc.sciencespo-lyon.fr/.../MFE2007/.../ledroit_o.pdf · cette course électorale. Par ailleurs, force est de constater l’éruption

1ère partie : La campagne présidentielle de 2007 : De la réussite sociale du terme « populisme »

LEDROIT Orianne_2007 19

désormais dans l’espace polémique occupé par les acteurs politiques, les journalistes etles intellectuels médiatiques »62.

Au passage, le chercheur vient, précisément de justifier et de légitimer le corpus detravail retenu pour notre analyse puisqu’il admet la place prépondérante prise par le terme« populisme » dans les différents supports que nous avons choisis d’étudier.

Et le spécialiste d’ajouter à la suite de cela :« Cette désémantisation est le prix à payer pour toute extension indéfinie d’une

catégorie d’usage courant (« C’est baroque ! », « c’est décadent ! », « c’est raciste ! ») »63.Ainsi, le mot « populisme » s’est vu investir d’une toute autre signification dépassant

son cantonnement premier à des usages historiographiques. Retraçons rapidementce cheminement afin de mieux saisir le cadre dans lequel s’inscrit l’emploi du motlors de la campagne présidentielle de 2007. Comme il est apparu dans les quelquesdéfinitions données au commencement de la recherche, la dénomination sous l’étiquettede « populisme » n’était jusqu’au début des années 1980 guère utilisée comme « modede désignation politique » dans l’espace public français64. En effet, le terme servait à

caractériser pêle-mêle le « populisme russe » de la seconde moitié du 19ème siècle65, les

mouvements américains de la fin du 19ème siècle, l’école littéraire de l’entre-deux-guerresen France et enfin l’expérience latino-américaine qui a eu lieu au cours du second tiers du

20ème siècle. Brève digression sur ces cas empiriques de populisme dont la connaissancene serait-ce que superficielle (des caractéristiques particulières et essentielles seulement)éclaire précieusement notre réflexion. Notons que l’expérience russe a été décrite dans lesdéfinitions préliminaires. Le populisme américain naît, pour sa part, d’une réaction négativeà l’encontre des progrès rapides et déstabilisateurs ; changements perçus comme autant demenaces voire de reniements des bases symboliques instaurées par les Pères fondateurs,en vertu desquelles les petites gens devaient être protégées des puissants. Aussi a-t-il consisté en une « lutte morale contre les monopoles et les puissantes corporationsindustrielles »66.

En outre, concernant les cas latino-américains, force est de constater la pluralité desmouvements populistes qui sont à géométrie variable. Cependant, le modèle péroniste faitfigure d’exemple mythique resté dans tous les esprits : ce colonel argentin s’est imposé,dès la décennie 1940, comme le président des couches populaires, avec une idéologiepolitique combinant socialisme et capitalisme67. « Les définitions savantes du populismelatino-américain mettaient l’accent sur le caractère interclassiste de la mobilisation,sociologiquement mise en relation avec le passage convulsif à la démocratie de massedans un contexte de modernisation économique forcée, sur la dimension nationaliste du

62 P.-A. TAguieff, « Le populisme et la science politique », in J.P Rioux (dir.), ibid., p. 17.63 P.-A. Taguieff, « Le populisme et la science politique », in J.-P. Rioux, op cit., p. 17.64 P.-A. Taguieff, « Populismes et antipopulismes : le choc des argumentations », Mots/Les Langages du politique, n°55, juin

1998, p. 5-26.65 Voir la définition précédemment citée du populisme dans le Dictionnaire historique et géopolitique du 20 ème siècle.66 Voir A. Dorna, op cit., p. 29.67 Pour plus de détails sur ces expériences historiques, voir notamment A. Dorna, op cit. ou encore J.P Rioux (dir.), op cit.

Pour un étude de référence sur le paradigme latino-américain : G. Germani, « Démocratie représentative et classes populaires enAmérique latine », Sociologie du Travail, n°4, 1961, p. 96-113.

Page 20: Les usages du terme « populisme » dans la campagne ...doc.sciencespo-lyon.fr/.../MFE2007/.../ledroit_o.pdf · cette course électorale. Par ailleurs, force est de constater l’éruption

Les usages du terme « populisme » dans la campagne présidentielle de 2007 Du succès desutilisations stratégiques d’un mot équivoque

20 LEDROIT Orianne_2007

mouvement […], sa propension à l’autoritarisme, la forte personnalisation du mouvementpolitique et l’orientation idéologique « anti-statu quo de ce dernier » »68. Ainsi les usagesdu terme « populisme » étaient auparavant purement motivés par une volonté scientifiqued’écrire une histoire des expériences empiriques du phénomène. Néanmoins, et c’est ce quinous intéresse plus particulièrement, le mot « populisme » a subi de nombreuses extensionssémantiques depuis 1980, invalidant par là même le diagnostic autoritaire de la mort dupopulisme69 qui se trouvait partiellement confirmer par le constat d’un raréfaction du termedans les journaux des années 197070.

En effet, P.-A. Taguieff met en évidence trois grandes phases dans la labellisationextensive du phénomène. Tout d’abord, le terme est utilisé « en référence à desphénomènes sociopolitiques contemporains observables en Europe de l’Ouest […] pourcaractériser des styles politiques émergents, tous repérables dans l’espace de la droiteconservatrice ou de l’extrême droite, qu’il se soit agi du phénomène Thatcher en Grande-Bretagne ou de la « Révolution conservatrice » reaganienne aux Etats-Unis, puis dumouvement lepéniste en France, enfin à partir de 1986, de l’ascension de Jörg Haideren Autriche »71. Cette dénomination s’explique par un discours d’appel au peuple contreles élites et les étrangers ; mobilisant à la fois le demos et l’ethnos au travers d’unregistre « protestataire » et « identitaire ». Ensuite, suivant les propos de P.-A. Taguieff,un second étirement du concept se produit alors que le bloc soviétique est en traind’imploser. Cette désignation, utilisée contre des leaders politiques post-communistes etnotamment à l’endroit de Boris Eltsine puis de Lech Walesa ou encore de SlobodanMilosevic, fonctionne comme synonyme de fascisme et de nationalisme. D’ailleurs, l’emploidu « mot nouveau popoulizm a fait oublier la signification traditionnelle de son concurrentnarodnitchestvo »72. Enfin, une troisième extension de la notion advient face à « l’apparition,à la fin des années 1980 et au début des années 1990, de leaders politiques atypiques,démagogues télégéniques (dits « télépopulistes ») prétendant s’adresser directement au« peuple » (parfois réduit au public des téléspectateurs) »73 et recourant à un registre virulentà l’égard des élites en place. On retrouve conjointement sous cette étiquette le milliardaireRoss Perot, Carlos Menem, Alberto Fujimori, Silvio Berlusconi, l’homme d’affaire françaisBernard Tapie, le lieutenant-colonel Chavez74 ou encore le sociologue Pim Fortuyn75 ; autant

68 P.-A. Taguieff, L’Illusion populiste, op cit., p. 125. A ce sujet, l’auteur décrit les huit caractéristiques des populismes latino-américains : 1/ « une capacité de mobilisation des classes populaires » ; 2/ « une hyperpersonnalisation des mouvements ; 3/« l’existence d’un lien direct et personnel, d’ordre affectivo-imaginaire, entre le leader charismatique et les masses mobilisées » ;4/ « l’accent mis sur la nation » ; 5/ « la mise en œuvre d’une stratégie d’incorporation, d’intégration ou de cooptation des classespopulaires » ; 6/ « une importance plus ou moins grande accordée à ce que Peron appelait « la doctrine » » ; 7/ « la construction d’unparti transclassiste à vocation majoritaire » ; 8/ « la volonté de confier à l’Etat la responsabilité de la modernisation industrielle et dudéveloppement économique » in P.-A. Taguieff, ibid, p. 128-132.

69 Voir à ce sujet A. Asor Rosa, Scrittori e popolo : il populismo nella letteratura italiana contemporanea, Rome, Samonà eSavelli, 1965, p.3, in P.-A. Taguieff, L’illusion populiste, ibid, p. 122.

70 Voir R. Bosc, « Un enfant perdu de la science politique : le populisme », Projet, 96 (6), juin 1976, p. 627-638, in P.-A. Taguieff,L’illusion populiste, ibid, p. 122.

71 P.-A. Taguieff, L’illusion populiste, ibid, p. 136-137.72 P.-A. Taguieff,op cit., p. 140.73 P.-A. Taguieff, ibid, p. 146.74 Voir à ce sujet « L’élection présidentielle racontée aux enfants », in Le Monde, 6 avril 2007.75 Voir à ce sujet « Qui veut tuer le ‘loup’ démocratique ? », in Le Monde, 16 novembre 2006.

Page 21: Les usages du terme « populisme » dans la campagne ...doc.sciencespo-lyon.fr/.../MFE2007/.../ledroit_o.pdf · cette course électorale. Par ailleurs, force est de constater l’éruption

1ère partie : La campagne présidentielle de 2007 : De la réussite sociale du terme « populisme »

LEDROIT Orianne_2007 21

dire des hommes politiques qui ont, a priori, peu de points communs. Ainsi, « cette extensionincontrôlée du mot « populisme » lui a fait perdre tout sens précis, l’a privé de toute valeurconceptuelle »76. Le terme populisme est donc passé « d’un outil conceptuel à une armeidéologique »77.

2. Des référents historiques multiples convoqués pour soutenir l’usage dutermeCette rétrospective des évolutions dans l’usage du terme de populisme s’avérait nécessairedans la mesure où nous faisons l’hypothèse que tout terme s’inscrit dans un héritage lexical,portant ainsi en lui-même une « mémoire sémantique » témoignant « d’une sédimentationdes successives couches de signification qu’il tient de ses aventures sociopolitiques »78.Les usages de la campagne présidentielle s’établiront donc en relation directe avec le passéde la notion. Pour appuyer cette hypothèse, P.-A. Taguieff nous rappelle que l’abstractionétudiée ici de « populisme » s’utilise en « référence, directe ou indirecte, consciente ou nonconsciente, aux mouvements et aux régimes dits « nationaux-populaires », puis « nationaux-populistes », d’Amérique latine – des années 1930 aux années 1950 – […] »79. D’ailleurs,nous pouvons remarquer l’importance de références historiques qui truffent les articlesde journaux contenant le terme « populisme ». Ainsi, les désignants (les personnes quiutilisent le terme) cherchent à légitimer leur parole en la raccrochant à une expériencehistorique concrète, mobilisant une partie de l’imaginaire collectif. Néanmoins, force est deconstater que ces repères historiques ne se limitent pas aux seuls exemples de modèleslatino-américains. En effet, d’autres expériences passées sont convoquées au cours dela campagne présidentielle française. Ces références fonctionnent uniquement dans lamesure où le locuteur fait le pari que les lecteurs de la presse écrite ont intériorisé unecertaine représentation du phénomène évoqué en tant qu’exemple de populisme ; donnantainsi de la force à leur argumentaire. Cela suppose ainsi une connaissance acquise en lamatière pour qu’un simple rappel ou une simple comparaison fasse rejaillir des images etdes représentations assimilées par le lecteur. En outre, il est intéressant de relever quecertaines expériences mobilisées ne s’inscrivent pas dans le passé (lointain ou non) maisdans une situation contemporaine à la campagne. Ces repères utilisés ont de grandeschances de jouer avec force leur rôle dans l’argumentation ou la description puisque leurproximité avec notre actualité les rend intelligibles par une plus grande partie de lecteurs.

Ainsi est-il pertinent d’illustrer cette réflexion par des exemples d’articles du corpus :Dans un article du Monde du 23 octobre 2006 intitulé « Les jurys de citoyens proposés

par Mme Royal font "reculer la démocratie", martèle l'UMP », Valérie Pécresse convoque laRévolution culturelle de Mao en Chine pour expliciter l’utilisation du terme « populisme » àl’encontre de Ségolène Royal. La porte-parole de l’UMP, faisant explicitement référence àun régime totalitaire (ou, du moins, non démocratique) basé sur le culte de la personnalitéet la propagande, rappelle une période de troubles et de contestations entamée pourréhabiliter Mao dans son pouvoir et au cours de laquelle les jeunes ont été incités à se

76 P.-A. Taguieff, ibid, p. 150.77 P.-A. Taguieff, « Populismes et antipopulismes », op cit., p. 6.

78 P.-A. Taguieff, L’illusion populiste, ibid, p. 120-121.79 P.-A. Taguieff, L’illusion populiste, op cit., p. 124-125.

Page 22: Les usages du terme « populisme » dans la campagne ...doc.sciencespo-lyon.fr/.../MFE2007/.../ledroit_o.pdf · cette course électorale. Par ailleurs, force est de constater l’éruption

Les usages du terme « populisme » dans la campagne présidentielle de 2007 Du succès desutilisations stratégiques d’un mot équivoque

22 LEDROIT Orianne_2007

révolter contre les fonctionnaires corrompus, ennemis du peuple80. Cette assimilation a étéreprise dans l’éditorial du 27 octobre par J.M Colombani qui, pour sa part, réfute cetteréférence, tout comme il rejette celle faite au sujet des « sans culottes de 1793 »81, du« général Boulanger » ou encore de « Pétain »82. L’héritage de Pétain est, par contre,mobilisé à l’endroit de N. Sarkozy par F. Jost, chercheur et enseignant à la Sorbonne, ainsique par le sociologue L. Mucchielli83.

De plus, dans un entretien au Monde, un spécialiste du populisme, Yves Mény,convoque l’expérience américaine des années 1880-1890 (précédemment entrevue dansnotre analyse) où l’on retrouve « une profonde méfiance à l’égard des élus (« touscorrompus »), des banques, des grandes sociétés, des élites politiques et économiques engénéral »84.

Par ailleurs, une autre illustration de cette réflexion se trouve dans l’emploi de l’héritagepoujadiste pour J.M Le Pen qui est aussi désigné sous le terme de « populiste »85. Dans lamême veine, la référence à P. Poujade (ainsi qu’aux « ligues d’avant-guerre ») est évoquéedans un article sur N. Sarkozy alors que le terme « populisme » se trouve à proximité dansle texte86.

En outre, deux articles reprennent une citation d’Eric Besson dans laquelle il parledu « populisme » de Royal évoquant, à ce sujet, « les ressemblances » de la candidatesocialiste avec « l’Amérique latine »87. Ce même référent est mobilisé par E. Todd qui a,en outre, recours à une utilisation du gaullisme, du bonapartisme et du pétainisme, àl’encontre cette fois-ci du candidat de l’UMP88.

Dans un article du Monde du 5 juin 2007 intitulé « Appel à la vigilance. Attention à ne pasnous forger un avenir ‘ travail, famille, patrie’ », la journaliste, Marie-Béatrice Baudet, traitede la thèse développée par F. Lenglet, directeur de la Rédaction d’Enjeux-Les échos, selon

80 « "C'est une proposition démagogique et populiste" et "ce serait un véritable recul de la démocratie", a affirmé ValériePécresse, porte-parole de l'UMP.[…] Pis, a dit Mme Pécresse, "cela renvoie à une vision un peu étrange de la démocratie qui rappellele temps de la révolution culturelle de Mao en Chine" », in Le Monde, 23 octobre 2006.

81 Il faut remarquer que l’héritage révolutionnaire est aussi convoqué à l’égard de la candidate socialiste dans un article duFigaro intitulé «Présidentielle : point par point, les programmes décryptés » du 6 avril 2007 : « l’enthousiasme de Ségolène Royal,qui prône le droit de vote des étrangers et l’instauration d’une démocratie participative, populiste et très 1789 ».

82 Voir « Démocratie en crise », in Le Monde, Editorial du 27 octobre 2006.83 Voir « Une certaine idée de la vérité » (voir Annexe n°6, p. XXXII) et voir « Un populisme social de droite », in L’Humanité,

5 mai 2007.84 Voir « Aux grands maux de la démocratie, les grands remèdes des mots vrais », in Le Monde, 29 octobre 2006.85 Voir « Le nouveau style de Le Pen passe mieux auprès des Français », in Le Monde, 15 décembre 2006.86 Voir « Nicolas Sarkozy, le France et son histoire », in Le Monde, 10 mai 2007.87 Voir « Diatribe d’un déçu de ‘Madame Royal’ », in Le Monde, 17 mars 2007 et voir aussi « Eric Besson ‘redoute’ la victoire

de Royal », in Le Figaro, 15 mars 2007 dans lequel le journaliste rappelle la comparaison faite avec l’Amérique latine et reprend uneautre citation d’Eric Besson mobilisant le terme de « poujadisme » contre la candidate socialiste. Il faut aussi noter ici que les modèlespopulistes latino-américains ont été explicités précédemment dans la recherche.

88 Voir « Pour Emmanuel Todd, démographe, Royal a trop joué sur l'identitaire, au détriment de l'économie. ‘DSK ou Fabiusauraient pu gagner’», in Libération, 10 mai 2007.

Page 23: Les usages du terme « populisme » dans la campagne ...doc.sciencespo-lyon.fr/.../MFE2007/.../ledroit_o.pdf · cette course électorale. Par ailleurs, force est de constater l’éruption

1ère partie : La campagne présidentielle de 2007 : De la réussite sociale du terme « populisme »

LEDROIT Orianne_2007 23

laquelle il faut prendre garde à un retour à la rengaine pétainiste. Cette allusion à une despages les plus noires de notre histoire française s’explique par la peur pour le populisme89.

Enfin, le paroxysme dans une telle convocation de références historiques semble êtreatteint dans l’article d’A. Duhamel au cours duquel il mobilise pêle-mêle des héritagespassés tels que le « boulangisme », « le péronisme » ou le « polpotisme », avant dedresser le tableau d’un populisme omniprésent en Amérique latine ou centrale, en Europe,au Japon :

« La polémique à propos du populisme prend un tour beaucoup plus politicien.[…] Lesuns se font accuser de boulangisme, voire de péronisme ou de polpotisme, les autressont taxés d'élitisme aveugle, d'oligarchisme méprisant. […]

Qu'il y ait, bien au-delà du cas français, contagion du populisme, presque pandémie,c'est un fait peu contestable. En Amérique latine (Chávez, après Fujimori), en Amériquecentrale (Ortega), la tradition se poursuit. Elle progresse spectaculairement au Japon,où le populisme nationaliste ne cesse de marquer des points. Elle domine actuellementen Turquie, elle pèse lourd dans la campagne électorale américaine. L'Europe n'est pasépargnée, tant s'en faut, elle apparaît même de plus en plus exposée. […] Pire : dansdes pays à la culture démocratique parfaitement enracinée et même longtemps cités enmodèle comme le Danemark, la Norvège ou la Suède, elle progresse, elle enfle.[…] Car,bien entendu, la France échappe de moins en moins à l'emprise du populisme […]» 90 .

De la même façon, l’article du politologue J.F Durantin mêle différents référents actuelscaractérisés de populisme, tout en utilisant ce terme pour les candidats français:

« D'où, un premier avatar : le populisme. On constate que celui-ci n'est pas attachépar définition à un courant autoritaire ou fasciste. En ce qui concerne Jean-Marie Le Pen,il est évidemment de la droite extrême, au même titre que Jörg Haider en Autriche etVladimir Meciar en Slovaquie.[…] En Europe, c'est au Danemark et en Norvège quesont nés les partis populistes contemporains. Opposés à la pression fiscale des sociaux-démocrates, ils sont les alliés des gouvernements conservateurs. En Italie, on peut affirmerque Silvio Berlusconi, à la tête de la coalition Forza Italia, allié à la Ligue du Nordd'Umberto Bossi et à l'Alliance Nationale de Gianfranco Fini, s'identifiant à une forme depaléo-gaullisme, aura été incontestablement le premier chef de gouvernement populistede l'Europe contemporaine »91.

Nous devons néanmoins préciser que les références historiques pratiquées danscertains articles n’illustrent pas l’usage du terme « populisme ». Par exemple, l’héritage dePétain ainsi que la référence plus actuelle à Berlusconi sont mobilisés dans un article deL’Humanité à l’encontre du candidat de l’UMP, N. Sarkozy, par Patrick Le Hyaric, directeurdu quotidien, alors que le terme de « populisme » n’est utilisé qu’envers F. Bayrou:

« Et M. Bayrou, qui camoufle si bien son programme derrière la forêt des sondages, etun petit populisme soft […]. […] en voyant le candidat ministre de l’Intérieur, décidément

89 Voir l’extrait de l’article illustrant cela : « L'antienne pétainiste n'est évidemment pas choisie au hasard. François Lenglet apeur de la montée du populisme, de la « michucratie » puisqu'aujourd'hui, raille-t-il lucidement, « pour élaborer un cadre éthique », ilsuffit de faire « un sondage parmi les pêcheurs à la ligne ou les usagers du métro » », in Le Monde, 5 juin 2007.

90 Voir « La contagion du populisme », in Libération, 8 novembre 2006. Voir Annexe n°6, p. XXV.91 Voir « 2007 : Renouveau de la démocratie participative », in Libération, 23 février 2007. Voir Annexe n°6, p. XXIX.

Page 24: Les usages du terme « populisme » dans la campagne ...doc.sciencespo-lyon.fr/.../MFE2007/.../ledroit_o.pdf · cette course électorale. Par ailleurs, force est de constater l’éruption

Les usages du terme « populisme » dans la campagne présidentielle de 2007 Du succès desutilisations stratégiques d’un mot équivoque

24 LEDROIT Orianne_2007

de plus en plus berlusconisé, reprendre la proposition d’essence pétainiste de créer « unministère de l’immigration et de l’identité nationale » » 92 .

L’importance et la force de ses référents historiques ne se trouvent pas dans leur véritéau sujet de l’analyse du caractère populiste du phénomène évoqué. Bien au contraire, leuraction sera d’autant plus efficace sur le lecteur que la représentation du phénomène s’inscritdans un imaginaire collectif plus ou moins mythique ; peu importe la validité scientifique de lathèse populiste de l’expérience. Pour autant, il nous apparaît approprié de préciser certainesréférences sur lesquelles les analystes du concept de populisme se sont déjà penchés.

Tout d’abord, nous pouvons tenter d’analyser brièvement la référence bonapartisteen suivant les propos d’A. Dorna. « Discuté, voire discutable, le populisme bonapartisteexprime la volonté –fictive ou réelle- de la reconstruction de l’Empire »93. Les thèsesavançant sa catégorisation populiste se fondent sur la réaffirmation de l’attachement aux« liens directs entre un peuple et son gouvernant »94 au travers de l’importance donnée aurecours au plébiscite ; symbole même de l’établissement d’un lien direct entre le peuple etl’empereur, personnage populaire et charismatique, au-delà de toute médiation. Ainsi, outrela force de cette expérience de césarisme plébiscitaire dans l’imaginaire collectif français, lebonapartisme pourrait légitimement s’apparenter à un certain populisme contemporain envertu de ses quatre grandes caractéristiques reconnues notamment par le célèbre historiendes droites, René Rémond 95: « le refus catégorique des étiquettes idéologiques, la volontéde supprimer les partis qui divisent la « nation », l’intention de réconcilier les Français etla volonté de se tourner vers l’avenir »96. Par ailleurs, nous avons constaté que les articlesde journaux laissaient une grande place à l’évocation du boulangisme. Ce mouvementse nourrit d’un contexte de crise des valeurs républicaines (au travers notamment d’unantiparlementarisme exacerbé) et de la société, constituant ainsi un terreau favorable àl’émergence d’un mouvement incarné dans une figure populaire et charismatique prônantle changement97 et parlant au nom du peuple. D’où sa proximité possible avec le termede « populisme », proximité admise notamment par M. Winock sous l’appellation de« populisme protestataire »98.

De plus, il apparaît important de préciser que, malgré le recours fréquent à la référencepétainiste, nous nous devons de ne pas assimiler populisme et pétainisme ; ce dernier étant,depuis les travaux d’historiens étrangers comme R. Paxton et M. R. Marrus, généralementqualifié de régime autoritaire99. Aussi verrons-nous ultérieurement les ressorts d’une telleévocation dans l’environnement lexical du terme « populisme ».

92 Voir « Alerte ! », in L’Humanité, 12 mars 2007.93 A. Dorna, Le populisme, op cit., p. 47.94 A. Dorna, ibid, p. 50.95 R. Rémond, Les Droites en France, Paris, Aubier-Montaigne, Collection historique, 1982.96 A. Dorna, op cit., p. 55.97 Voir pour plus de précisions : A. Dorna, ibid.98 M. Winock, « Les populismes français », in J.-P. Rioux (dir.), op cit., p. 132. Voir au sujet du boulangisme : Z. Sternhell, La

droite révolutionnaire 1885-1914. Les origines françaises du fascisme, Paris, Seuil, 1978.99 Voir à ce sujet les deux ouvrages de référence : R. Paxton, La France de Vichy, 1940-1944, Paris, Seuil, 1973 et M. R.

Marrus et R. Paxton, La France et les juifs, Paris, Calmann-Lévy, 1981.

Page 25: Les usages du terme « populisme » dans la campagne ...doc.sciencespo-lyon.fr/.../MFE2007/.../ledroit_o.pdf · cette course électorale. Par ailleurs, force est de constater l’éruption

1ère partie : La campagne présidentielle de 2007 : De la réussite sociale du terme « populisme »

LEDROIT Orianne_2007 25

Pour sa part, le gaullisme contient, pour de nombreux auteurs, quelquescaractéristiques essentielles d’un style populiste : « la composante transclassiste »100

dépassant le traditionnel clivage gauche-droite ; « la composante charismatique »101 ; ouencore la « composante mystique […] de l’unité du peuple de France »102.

En outre, le mouvement poujadiste s’avère être un « corporatisme populiste »103 oupopulisme antifiscal « protestataire » qui « s’en prend aux parlementaires, aux technocrates,aux intellectuels, à toute cette élite parisienne qui a perdu le sens du terroir », poursuivantle combat « des petits contre les gros »104.

En résumé, « le populisme-tradition de droite, d’origine bonapartiste, a notammentpour figures historiques successives le boulangisme (à l’origine, une mobilisation lancéepar les radicaux, donc « de gauche »), le nationalisme anti-dreyfusard et, pour une part,l’Action française, les ligues de masse des années 1930, le RPF (dans une certainemesure), le poujadisme et le Front national »105. Pour autant, il faut, dès à présent, objecterque, dans certains articles, la référence à une de ces expériences de « populisme de droite »est convoquée à l’égard d’un candidat de gauche ; en témoigne par exemple le reportagecitant les propos d’E. Besson au sujet de Ségolène Royal106. Aussi devons-nous analyserles flous qui président encore aux usages du terme « populisme » dans le traitementmédiatique ainsi que dans les discours de la campagne présidentielle de 2007. Cette volontéd’établir des filiations non anodines mais chargées de sens pour « redonner l’épaisseur dutemps »107 aux phénomènes et usages actuels du terme « populisme » se heurte donc àl’ambiguïté du mot en lui-même ; cette ambivalence étant confirmée par la grande diversitédes caractéristiques des expériences historiques évoquées comme références. Ainsi, lesauteurs sont-ils contraints de qualifier précisément chaque mouvement au travers d’adjectifsvariés comme « plébiscitaire », « protestataire » ou encore « corporatiste ».

L’omniprésence du terme populisme se trouve soulignée par son emploi dans certainsarticles de presse qui ne participent pas, à proprement parler, au traitement médiatique dela campagne présidentielle. En effet, lors de notre recherche documentaire, nous avonsété confrontés à certaines références journalistiques reprenant le terme « populisme » horsdu contexte de la course électorale, confirmant la popularité d’un mot qui s’applique à dessituations très diverses. En effet, le terme est, par exemple, utilisé dans un entretien avecS. Fath, spécialiste des religions au CNRS, relatant des succès des pratiques évangéliquesdans l’hémisphère Sud :

« [Ces mouvements] portent un risque de populisme et de simplisme avec un fortcontrôle social et des effets d’enfermement, voire des dérives sectaires »108.

100 A. Dorna, ibid, p. 71.101 A. Dorna, ibid, p. 72. Voir au sujet de la notion de “charisme” les célèbres analyses de M. Weber in Economie et Société,

Paris, Pocket, 1995 et Le savant et le politique, Paris, Plon, 1963.102 A. Dorna, ibid, p. 73.103 A. Dorna, op cit., p.75.104 M. Winock, « Les populismes français », in J.-P. Rioux (dir.), op cit., p. 147.105 P.-A. Taguieff, L’illusion populiste, op cit., p. 143.106 Voir « Eric Besson ‘redoute’ la victoire de Royal », in Le Figaro, 15 mars 2007.107 A. Collovald, Le « populisme du FN » un dangereux contresens, Broissieux,Editions du Croquant, 2004,p. 28.108 Voir « La tentation évangélique », in Le Monde, 3 juin 2007.

Page 26: Les usages du terme « populisme » dans la campagne ...doc.sciencespo-lyon.fr/.../MFE2007/.../ledroit_o.pdf · cette course électorale. Par ailleurs, force est de constater l’éruption

Les usages du terme « populisme » dans la campagne présidentielle de 2007 Du succès desutilisations stratégiques d’un mot équivoque

26 LEDROIT Orianne_2007

De la même façon, on retrouve le terme dans un éditorial d’Y. Thréard rendant hommageà l’Abbé Pierre :

« De lui, c'est exceptionnel, on a tout excusé. D'un autre, on aurait sans doute moinsgoûté les cris et les émotions qui seraient parfois passés pour de la démagogie, voire dupopulisme »109.

Par ailleurs, quelques journaux étrangers témoignent de la présence récurrente duterme « populisme », mobilisant ainsi ce concept dans leur analyse au sujet de la campagneélectorale française. Effectivement, El Mundo titre, dans sa rubrique internationale,« ‘Glamour’, socialismo y populismo » pour un portrait détaillé de la socialiste fraîchementélue pour représenter son parti dans la bataille présidentielle110. De la même manière,The Economist utilise l’expression « economic populism » en référence à l’approche ducandidat N. Sarkozy en matière économique111.Ainsi, nous avons vu la récurrence dumot « populisme » dans la campagne présidentielle, omniprésence s’inscrivant dans unedynamique historique de « sur-utilisation » à tout-va du concept.

Section 2 : Les difficultés d’un usage du« populisme » comme concept valable et savant de lascience politique

« Cependant, du terme « populisme », l’on pourrait dire ironiquement ce qu’Irving Howedisait du mot ethnicity : il est très utile précisément parce que personne ne sait ce qu’ilsignifie réellement »

P.-A. Taguieff, L’Illusion populiste, op cit., p. 162.

I) Un désordre conceptuel persistant

1. Absence de définitions et diversité des définitions

« Nommer n’est pas connaître »112.Après avoir analysé les diverses représentations empiriques et les définitions du mot

« populisme », allant toutes dans la thèse d’une ambivalence forte de la notion, il nousparaît important, dès maintenant, de nous attacher plus particulièrement à la batailleélectorale de 2007. Le malaise sémantique repéré dans les usages savants de la notion de« populisme » inscrit notre recherche spécifique dans une configuration inconfortable. Et,on peut raisonnablement s’interroger :

109 Voir « Rebelle », in Le Figaro, 23 janvier 2007.110 Voir El Mundo, 17 novembre 2006 repris par « La presse mondiale ausculte le phénomène Royal », in Le Figaro, 17

novembre 2006.111 Voir « France’s chance », in The Economist, April 12th 2007, repris par « The Economist vote N. Sarkozy », in Le Figaro,

12 avril 2007.112 P.-A. Taguieff, L’Illusion populiste, op cit., p. 74.

Page 27: Les usages du terme « populisme » dans la campagne ...doc.sciencespo-lyon.fr/.../MFE2007/.../ledroit_o.pdf · cette course électorale. Par ailleurs, force est de constater l’éruption

1ère partie : La campagne présidentielle de 2007 : De la réussite sociale du terme « populisme »

LEDROIT Orianne_2007 27

Cette campagne électorale, au travers du traitement médiatique et de l’analyse decertains discours, valide-t-elle la plasticité de notre objet d’étude ?

Le mot « populisme » n’existe-t-il que dans les définitions concurrentes qu’en font lesacteurs de la campagne ?

Et, au-delà de la pluralité des figures historiques auxquelles les articles du corpus fontréférence, pouvons-nous trouver une unité, une unicité du concept lors de cette course àla présidence ? Ou, au contraire, sommes-nous contraints de rester dans une imprécisionnotionnelle ? Et si indéfinition sémantique il y a, n’est-elle pas la condition sine qua noneà la force du mot dans la campagne ? En effet, cette figure polymorphe ne serait-elle pas« devenue utile précisément parce que personne ne sait exactement ce qu’elle signifie enréalité »113?

Enfin, ne pouvons-nous pas suggérer la présence dans la course à la présidentielled’une utilisation contextualisée du concept de « populisme », sous-entendant ainsi que desévénements conjoncturels seraient favorables à l’emploi de notre objet d’étude ?

En répondant à ces interrogations, nous passerons « du nommer au connaître, enpassant par le repérer et le décrire »114 pour ce qui concerne les usages langagiers du terme« populisme » dans notre champ d’étude.

Pour autant, pourquoi un titre si ambigu ? La raison est simple : il s’agit ici de suggérerque les définitions du mot « populisme » dans les supports étudiés sont plurielles et variées,quand définition il y a ; ce qui n’est, par ailleurs, pas la règle. En effet, au travers de l’analysedu corpus, nous mettons facilement en évidence que la grande majorité des articles depresse et des discours utilise le mot « populisme » sans en donner aucune précisiondéfinitionnelle. Ce manque de rigueur lexicale se retrouve souvent dans les discours descandidats ou dans les articles reprenant simplement une citation d’un acteur politique.

Effectivement, dans l’article de Libération du 26 mars 2007, le journaliste ne mobilisele terme « populisme » que dans une expression de Gilles de Robien, seul ministre UDFencore dans le gouvernement de Villepin, à propos de F. Bayrou :

« Son refus de soutenir publiquement la candidature de Bayrou, dont il a longtempsfustigé le discours « populiste » , l'a coupé de sa famille d'origine. […]. Un petit déjeunerpartagé mi-décembre n'a pas suffi à gommer leurs différends »115.

Nous pouvons remarquer la même pauvreté analytique dans un article du Monde :« Les murs disent la rancœur : ‘Sarkozy, racaille populiste !’ ; ‘les politiques ont détruit

nos enfants’ »116.De la même façon, l’analyse d’E. Dupin emploie l’expression de « populisme des

classes moyennes » au sujet du style bayrouiste sans pour autant expliquer une telleénonciation ; le reste de l’article n’étant d’aucune aide pour percer la réalité de sonaffirmation117.

113 A. Dorna, op cit., p. 6.114 P.-A. Taguieff, ibid, p. 86.115 « Cible des manifs d'hier, le ministre de l'Education n'est soutenu ni à l'UDF ni à l'UMP. Robien exclu de la classe », in

Libération, 26 mars 2007.116 « A Toulouse, la police en mal de proximité et de résultats », in Le Monde, 17 février 2007.117 « Quatre paradoxes au cœur d’une campagne électorale », in Le Figaro, 6 avril 2007.

Page 28: Les usages du terme « populisme » dans la campagne ...doc.sciencespo-lyon.fr/.../MFE2007/.../ledroit_o.pdf · cette course électorale. Par ailleurs, force est de constater l’éruption

Les usages du terme « populisme » dans la campagne présidentielle de 2007 Du succès desutilisations stratégiques d’un mot équivoque

28 LEDROIT Orianne_2007

Néanmoins, même si de nombreuses occurrences du terme « populisme » restentvagues et imprécises, l’environnement lexical permet quelques fois de saisir au moins ledomaine de référence d’un tel usage nébuleux. Ainsi en est-il d’une utilisation floue du motmais précisée par son entourage lexical (environnement mis en évidence en bleu afin depermettre une meilleure visibilité pour le lecteur)118 :

« Un clivage idéologique très net se manifeste entre la prudence du candidatde l’UMP et l’enthousiasme de Ségolène Royal, qui prône le droit de vote desétrangers et l’instauration d’une démocratie participative , populiste et très 1789 ».119

Ou encore :« Le candidat de l’UMP sortant fera à leur intention son show habituel sur la sécurité et l’immigration dans le droit fil de ses déclarations de la veille àMarseille, empruntées au discours lepéniste. Démagogie et populisme érigés enart oratoire »120.

Ainsi, ces deux extraits illustrent parfaitement l’équivocité plus ou moins prononcée dansl’usage du terme « populisme » lors de la campagne présidentielle. En effet, pour ce qui estde la première citation, le « populisme » présumé de la candidate socialiste s’expliqueraitpar son recours à une forme de démocratie participative. Les contours de la notion étudiéerestent vagues mais le lecteur peut néanmoins rattacher cette dénomination à une pratiqueconcrète de S. Royal. D’ailleurs, le second extrait oriente aussi le lecteur vers une analysedu supposé « populisme » de N. Sarkozy comme discours sécuritaire proche des habitudeslepénistes. Ainsi, l’absence de définition d’un terme très ambivalent reste la norme pournotre corpus. Le mot « populisme » s’utilise souvent de manière évasive et confuse. Ilfaut, dès lors, porter une attention particulière à son environnement lexical ; appliquantainsi soit la méthode d’analyse des « cooccurrences » afin de rechercher les termes qui setrouvent avant et après le mot « populisme » ; soit la technique du repérage méthodiquedes expressions récurrentes dans le texte121. Les champs lexicaux présents dans la presseainsi que dans les discours des candidats seront traités en profondeur ultérieurement dansnotre recherche. Néanmoins, certaines occurrences systématiquement présentes peuventêtre rapidement énoncées comme celle des termes de « pensée unique », de « système »,de « démocratie participative », « représentative » ou « d’opinion », ou enfin de « crise ».Néanmoins, le concept de populisme garde toute son ambiguïté.

118 Voir aussi d’autres articles non cités : « Catalyseur de la gauche errante? Le souhait d'un vote de sanction le 22 avril pourraitprofiter au patron de l'UDF », in Libération, 15 mars 2007 ; « Le parti centriste sera radical », in Libération, 22 mai 2007 ; « Le moutonenragé et les rigolos », in Le Monde, 21 mars 2007 ; « Bayrou ou le ‘général de l’armée morte’ », in Le Monde, 16 mai 2007.119 « Présidentielle : point par point, les programmes décryptés », in Le Figaro, 6 avril 2007. Voir aussi d’autres articles

où l’on peut retrouver l’association entre « démocratie participative » et « populisme » : « La démocratie participative, ce

n’est pas la méfiance », in L’Humanité, 31 octobre 2006 ; « Madame la Présidente », in Le Monde, 24 février 2007 ; « Mme

Royal et la démocratie d’opinion », in Le Monde, 1er novembre 2006 ; « Le retour mondial des populistes », in Le Monde,

10 décembre 2006. Se référer à l’analyse ultérieure de la corrélation entre jurys populaires et populisme.120 « Sarkozy contourne Argenteuil », in L’Humanité, 8 mars 2007. Voir aussi dans la même veine : « Populisme et guerre

à droite », in L’Humanité, 25 septembre 2006.121 Voir à ce sujet A. Prost, « Les mots », in R. Rémond (dir.), Pour une histoire politique, op cit., p. 267. Pour plus de détails ausujet de la seconde méthode d’analyse : voir P. Lafon et A. Salem, « L’inventaire des segments répétés d’un texte », Mots, n°6, 1983,p. 161-177.

Page 29: Les usages du terme « populisme » dans la campagne ...doc.sciencespo-lyon.fr/.../MFE2007/.../ledroit_o.pdf · cette course électorale. Par ailleurs, force est de constater l’éruption

1ère partie : La campagne présidentielle de 2007 : De la réussite sociale du terme « populisme »

LEDROIT Orianne_2007 29

Pour autant, certains articles et notamment ceux rédigés par un analyste extérieurau quotidien, peuvent fournir des définitions claires et précises du mot « populisme ».Cependant, il convient, dès à présent, de remarquer que ces explications notionnelles nedélimitent pas forcément les mêmes contours du concept.

« Pierre Poujade, en 1956, voulait jeter à la Seine les «pourris» et appelait à «sortirles sortants». Ce populisme a aujourd'hui trois expressions distinctes : à l'extrême droite,Jean-Marie Le Pen ; à l'extrême gauche, Arlette Laguiller ; au centre, sous une formeplus policée, François Bayrou. Le discours de François Bayrou se garde bien de tomberdans l'antiparlementarisme ; il repose néanmoins sur l'idée populiste que, si tous les gensdu monde voulaient se donner la main, on formerait une chouette équipe de copains quigouverneraient la France dans le sens de l'intérêt général »122 .

Cet extrait d’une analyse de J. Julliard apporte un intérêt évident à notre analysedans la mesure où, livrant des précisions conceptuelles sur le populisme, il distinguedifférents styles pourtant classés sous la même étiquette. On aurait donc un populismeextrémiste antiparlementariste critiquant l’impuissance et la corruption des gouvernants etun populisme qui chercherait seulement à dépasser la dichotomie traditionnelle gauche-droite. En voulant donner des précisions sur son utilisation du terme « populisme », l’auteurrajoute à la confusion. Dans cette même veine, F. Auguste, vice-président PCF de la régionRhône-Alpes, décrit le populisme comme un phénomène « qui se nourrit de l’attaque frontalecontre les élus, de la remise en cause de la démocratie représentative »123.

J. Rancière donne sa définition plus concise du mot :« Le populisme, c'est quand un leader politique établit un rapport personnel direct avec

la population »124.Dans le sillage de cette précision, P. Perrineau affirme, de manière plus détaillée, que :

« Le populisme définit un style d'action politique marqué par le souci de nouerentre un leader et le peuple un lien direct en méprisant les médiations. Il estsouvent marqué par la démagogie et un discours qui donne en pâture desgroupes, et peut prendre une connotation xénophobe »125.

En outre, certains articles du corpus traitent d’un populisme favorisé par les pratiquesnouvelles des médias notamment de la télévision visant à opposer frontalement lescandidats et le peuple :

« Ainsi, ceux de l'audiovisuel public […] ont lancé, lundi, une pétition pourrefuser de ‘cautionner la dérive populiste qui consisterait seulement à donner laparole à des panels de citoyens interpellant directement les candidats’ »126.

Par ailleurs, le sociologue D. Wolton apporte une contribution intéressante pour lacompréhension du mot « populisme » dans la mesure où il met en évidence la coexistence

122 « Ce centrisme imaginaire », in Libération, 14 mars 2007.123 « La démocratie participative, ce n’est pas la méfiance », in L’Humanité, 31 octobre 2006.124 «On est revenu à une campagne traditionnelle» Entretiens avec Jacques Rancière, in Libération, 21 avril 2007. Il faut

préciser que le philosophe plaide, dans cet article, pour une plus grande participation des citoyens aux processus de décisions.125 « L'extrême droite se nourrit du désenchantement démocratique ». Entretien avec P. Perrineau, in Le Figaro, 11

décembre 2006.126 « Ebranler le confort intellectuel », in Le Figaro, 23 février 2007 et aussi « Appel de journalistes à des débats

contradictoires », in Le Monde, 14 février 2007.

Page 30: Les usages du terme « populisme » dans la campagne ...doc.sciencespo-lyon.fr/.../MFE2007/.../ledroit_o.pdf · cette course électorale. Par ailleurs, force est de constater l’éruption

Les usages du terme « populisme » dans la campagne présidentielle de 2007 Du succès desutilisations stratégiques d’un mot équivoque

30 LEDROIT Orianne_2007

de deux pôles en tension : les élites et la société. Ainsi, le populisme vient soit d’un rejet desélites coupées de la réalité, soit d’une volonté d’abolir la distinction et de faire que chacunpuisse être consulté, et partie prenante du processus démocratique :

« Le risque du populisme vient autant du fait que la société ne se retrouve pasdans ses élites, que dans la tentation d’effacer l’inévitable différence entre lesdeux, et de faire de la société l’arbitre final de tout »127.

Proche de l’étude définitionnelle précédente, F. Jost livre une analyse détaillée descaractéristiques du populisme soulignant l’importance d’un discours orienté vers le peuple,notion ambiguë (comme nous avons pu l’expliquer auparavant en convoquant l’étymologiedu terme), et empreint de démagogie :

« Si l’on devait les résumer en un mot, on pourrait dire que Nicolas Sarkozyest un véritable cas d’école du populisme comme le montre cette idéalisationdémagogique du « petit peuple », des « vrais gens », de « ceux qui se lèvent tôt »,de ceux qui « savent ce que c’est que travailler ».[…] outre qu’en bon populiste,il parle du « peuple » sans jamais le définir – […] Il y a enfin un dernier aspectdu discours de Sarkozy éminemment populiste, c’est son rapport à la vérité :Sarkozy dit le vrai et, estimant d’une manière très démagogique que le « peuple» (sans jamais le définir) a toujours raison, sait ce qu’est le vrai » 128.

Dans la même logique, le sociologue, Michel Wieviorka, annonce une vision d’un populismeselon laquelle « tout ce qui vient du peuple est bon, tout ce qui vient d'en haut estdouteux... »129.

Ainsi, se parant de la légitimité scientifique d’un spécialiste du populisme comme P.-A.Taguieff (dont les analyses ont fait date), Eric Le Boucher confirme :

« Un « populiste » peut être défini « comme celui qui prend publiquement le partidu peuple contre les élites », note Pierre-André Taguieff (Le Dictionnaire dessciences humaines, PUF). Il lance « un appel au peuple qui vise à se passer demédiation » et qui présuppose l'existence d'« un leader charismatique » »130. Enrésumé, « si l’on s’en tient à une définition stricte », le populisme consiste en« une vision fantasmée de la structure sociale qui réduit la société à deux blocsantagonistes, le peuple et les élites […] »131 .

Par ailleurs, et de manière originale, le journaliste M. Schifres voit dans le populisme uneattitude qui dénoncerait des élites présentées comme différentes mais qui seraient en faitidentiques, rejoignant ainsi implicitement la thèse de l’impuissance des élites développéepar J. Julliard :

127 « Tout le monde parle politique et tant mieux, pour n’être évidemment jamais d’accord sur rien », Entretien avec

Dominique Wolton, in Le Figaro, 5 janvier 2007.128 « Une certaine idée de la vérité », in L’Humanité, 5 mai 2007.129 « On peut parler d'un retour du politique dans cette campagne électorale », in Le Monde, 10 mai 2007.130 « Le retour mondial des populistes », in Le Monde, 10 décembre 2006. Voir Annexe n°6, p. XXVII.131 « L’équilibre entre capacité et proximité a été rompu ». Entretien avec P. Rosanvallon, in Le Monde, supplément

spécial « Débats : Les intellectuels jugent la présidentielle », 22 mars 2007.

Page 31: Les usages du terme « populisme » dans la campagne ...doc.sciencespo-lyon.fr/.../MFE2007/.../ledroit_o.pdf · cette course électorale. Par ailleurs, force est de constater l’éruption

1ère partie : La campagne présidentielle de 2007 : De la réussite sociale du terme « populisme »

LEDROIT Orianne_2007 31

« Mais se complaire dans le vieux cri populiste et démagogue – bonnet blanc etblanc bonnet – conduirait à nier les vertus de la République »132.

Enfin, il parait utile d’évoquer la notion de « populisme pénal » énoncée par D. Salas (etreprise, au cours de la campagne présidentielle, dans un article de l’Humanité du 26 mars2007) compte tenu du fait que cette notion mobilise certaines caractéristiques développéesci-devant (notamment l’appel direct au peuple) :

« On peut le rapprocher de ce que j’appelle le populisme pénal. C’est-à-direun appel direct au « peuple », qui disqualifie totalement les institutions dansle règlement des problèmes de société. [..] lui utilise l’émotion suscitée par lecrime et se pose comme le dépositaire d’une volonté de révélation, de rechercheinstantanée de l’auteur. Ainsi, tout à la fois, il épouse la colère de la victime,discrédite les instances chargées de répondre à la violence et à la délinquance, etbrouille les frontières de la démocratie en en appelant à l’opinion publique »133.

Ainsi, les quelques précisions notionnelles qui irriguent le corpus ne semblent pas dégagerun réel consensus sur le terme « populisme ». A noter cependant que la grande majorité deces définitions nous a été livrée dans les articles par des analystes, universitaires en toutgenre ; quasiment aucun journaliste ne se risquant à des développements sémantiques.D’ailleurs, cette indétermination lexicale se trouve confirmée par les quelques utilisationsétrangères du terme (soit par des journaux étrangers repris par les quotidiens français, soitpar des spécialistes) qui inscrivent majoritairement134 le terme « populisme » dans le registrede l’économie ; ce qui n’a pas été explicité par les commentateurs français.

Effectivement :« L’hebdomadaire [ The Economist ] reproche également au candidat de l’UMP

son ‘ populisme économique’ et son protectionnisme » 135 .

De la même manière, P. Gordon, « Senior fellow » en relations internationales à la BrookingsInstitution, à Washington, DC, affirme que :

« Le plaidoyer pour la globalisation est remplacé par des critiques populistescontre la spéculation et la politique monétaire européenne »136.

Et Eric Chaney, économiste de Morgan Stanley :

132 « Place de la Concorde », in Le Figaro, 16 mars 2007.133 Voir « Les dégâts du bilan Sarkozy », in L’Humanité, 26 mars 2007 et voir aussi pour plus de précision sur la notion de

« populisme pénal » : « Entretien avec D. Salas », in L’Humanité, 28 juin 2005.134 Pour un exemple d’article citant un journal étranger utilisant le terme « populisme » sans référence explicite au domaineéconomique, voir « La presse ibéro-américaine juge que la France a bougé vers la droite », in Le Monde, 7 mai 2007 : « El Paisajoute que le nouvel élu devra maintenant ‘se battre contre celui qui peut devenir son plus grand ennemi : lui-même et sa tendanceau populisme’, car ‘ le président ne peut plus se comporter comme le candidat’. Dans cette optique, le vainqueur du scrutin doitimpérativement ‘rectifier le tir sur ses déclarations de campagne au risque de déchirer la société française’ […] faisant référence auxallusions sur l’identité nationale ».135 « The Economist vote Nicolas Sarkozy », in Le Figaro, 12 avril 2007.136 « Les français préfèrent l’apparence du changement », in Le Figaro, 17 avril 2007.

Page 32: Les usages du terme « populisme » dans la campagne ...doc.sciencespo-lyon.fr/.../MFE2007/.../ledroit_o.pdf · cette course électorale. Par ailleurs, force est de constater l’éruption

Les usages du terme « populisme » dans la campagne présidentielle de 2007 Du succès desutilisations stratégiques d’un mot équivoque

32 LEDROIT Orianne_2007

« d'implorer les candidats de ne pas céder au « populisme », qui reviendrait à «laisser penser aux Français que le gouvernement a le pouvoir d'isoler la Francede la mondialisation » en renforçant le protectionnisme »137.

2. Un usage conjoncturel du mot

Il apparaît primordial de suggérer au lecteur quelques usages récurrents du mot« populisme » en référence à un événement conjoncturel précis ou à une propositionélectorale qui rythme la campagne ; laissant entrevoir ainsi une mobilisation du conceptautour de quelques thèmes spécifiques acceptés par les acteurs. Ainsi en est-il de laproposition de jurys citoyens formulée par S. Royal qui a entraîné une vague de réactionsnoyant la candidate sous le terme « populisme ». Pour saisir réellement cette hypothèsed’une explication conjoncturelle dans l’utilisation du terme « populisme », il apparaîtapproprié d’utiliser des représentations graphiques illustratives que nous avons faites aucours de l’analyse138 .

En outre, le ‘chronologue’ de J. Véronis illustrant la fréquence du terme « populisme »dans les pages Internet francophones au cours du temps [il s’agit ici du nombre d’apparitionsdu terme dans les pages elles-mêmes] complète notre graphique précédent en confirmantl’importance prise par le terme « populisme » en novembre sur le ‘web’, donc dans le sillagede la proposition de jurys citoyens de la candidate. Néanmoins, ce graphique seul ne peut

137 « Le droit opposable au sérieux », in Le Monde, 7 janvier 2007. Voir aussi dans ce sens un article qui ne se trouve pas

dans notre corpus de référence : « Comment haïr un si gentil garçon ? » par The Economist (Londres), in « Tout le mal

qu’ils pensent de Sarkozy et de Ségolène (sans oublier Bayrou) », Courrier International, n° 854 du 15 au 21 mars 2007,

p.17.138 Voir Annexe n°7, p. XXXIV.

Page 33: Les usages du terme « populisme » dans la campagne ...doc.sciencespo-lyon.fr/.../MFE2007/.../ledroit_o.pdf · cette course électorale. Par ailleurs, force est de constater l’éruption

1ère partie : La campagne présidentielle de 2007 : De la réussite sociale du terme « populisme »

LEDROIT Orianne_2007 33

pas servir de base d’analyse. Il est uniquement utilisé ici pour confirmer notre recherchepersonnelle139.

http://www.up.univ-mrs.fr/veronis/Presse2007/chrono-mots/_populisme.png

Ainsi observe-t-on, sur le 1er graphique, une concordance temporelle flagrante entre lepic dans l’utilisation du terme à l’égard de la candidate qui a lieu entre octobre et novembre etsa proposition de jurys citoyens. Cette corrélation peut être confirmée par l’emploi du terme« populisme » complété de l’utilisation, à proximité, de l’expression de « jury citoyen »140.

Par ailleurs, nous pouvons formuler un constat plus confus à l’égard de F. Bayrou. Eneffet, le candidat centriste a, dès le départ, décidé de faire campagne contre « le système »et sur la dénonciation des médias141, thèmes auparavant réservés au leader frontiste J.MLe Pen. Rappelons au passage que la critique des médias provient de l’intervention de F.Bayrou au journal télévisé de TF1 le 2 septembre 2006 et que sa déclaration de candidaturedu 2 décembre 2006 reprend la thématique d’une impuissance gouvernementale due à uneopposition stérile que F. Bayrou veut dépasser142. Pourtant, ce n’est réellement qu’en mars-

139 Voir aussi l’Annexe n°8 sur l’outil LéxiMédia 2007, p. XXXV.140 Voir par exemple « Si la dissidence électorale augmente, elle ébranlera le système ». Entretien avec D. Reynié, in Libération,

3 mars 2007 ou encore « 2007 : Renouveau de la démocratie participative » par J.F Durantin, in Libération, 23 février 2007 ; et « Juryscitoyens, Huchon parle de ‘populisme’ », in L’Humanité, 30 octobre 2006. De plus, à ce sujet, il faut aussi convoquer l’ensemble desarticles reprenant la formule de Fabius selon lequel les jurys populaires seraient une tentation d’ « épouser une forme de populismeextrêmement dangereux qui ferait le lit de l’extrême droite » (expression tirée du deuxième débat télévisé entre les trois prétendantssocialistes) : in « PS : petites escarmouches entre amis », in Libération, 24 octobre 2006 ; in « Le ton monte entre les trois candidats àl’investiture socialiste», in Le Monde, 25 octobre 2006 ; in « PS : Le débat s’organise autour des propositions de Ségolène Royal », inLe Monde, 26 octobre 2006; in « Fabius, Royal et Strauss-Kahn exposent leurs différences sur les sujets de société », in Le Monde,26 octobre 2006; in « Editorial : démocratie en crise », in Le Monde, 27 octobre 2006.

141 Voir notamment « Si la dissidence électorale augmente, elle ébranlera le système », in Libération, 3 mars 2007 dans lequelle chercheur évoque aussi « la collusion UMP-PS » ; voir aussi « Le grand écart de Bayrou », in Le Monde, 9 mars 2007. De plus, unarticle reprend l’ensemble des trois thèmes : « Bayrou ou le ‘général de l’armée morte’ » par S. Baumont, in Le Monde, 16 mai 2007.

142 Déclaration de candidature du F. Bayrou, 2 décembre 2006 : « Chaque semaine, à l’Assemblée nationale, voir la moitiéde l’Assemblée, avec le doigt accusateur, qui hurle : « c’est la faute de la gauche ! ». Et voir l’autre moitié, avec la même violence,hurler : « c’est la faute de la droite ! », d’abord on se dit que c’est ridicule, et puis on éprouve un sentiment de honte… Ce sont, pourla plupart, des gens intelligents, ils se sont succédés au pouvoir, sans aucune interruption, depuis vingt-cinq ans. C’est la politiquecomme nous la faisons depuis cinquante ans qui les rend bêtes».

Page 34: Les usages du terme « populisme » dans la campagne ...doc.sciencespo-lyon.fr/.../MFE2007/.../ledroit_o.pdf · cette course électorale. Par ailleurs, force est de constater l’éruption

Les usages du terme « populisme » dans la campagne présidentielle de 2007 Du succès desutilisations stratégiques d’un mot équivoque

34 LEDROIT Orianne_2007

avril que les emplois du terme « populisme » se sont multipliés à son égard. Mais la présencede ces thèmes, bien avant le pic de l’utilisation du mot « populisme » à l’égard de F. Bayrou,est confirmée dans certains articles publiés avant mars 2007143. Ainsi, nous pourrionsémettre l’hypothèse que cette récurrence plus forte en mars et avril du terme « populisme »au sujet du leader centriste est moins la cause d’une thématique particulière nouvelle lancée

par le candidat (malgré le projet de suppression de l’ENA annoncé le 1er avril 2007 à Fortde France144) mais plutôt le fait d’une popularité croissante dans les sondages, popularitéinquiétante pour ses adversaires ainsi que d’une virulence particulièrement exacerbée en2007, comparée au relatif modérantisme du début de la campagne (période au cours delaquelle il insistait plus volontiers sur le thème de la dette publique et de l’éducation)145 .

Par ailleurs, concernant Nicolas Sarkozy, nous devons analyser avec précaution lesemplois récurrents (surtout en mai) du mot « populisme » à l’égard de N. Sarkozy. En effet,le candidat fraîchement élu fait l’objet d’un traitement médiatique plus important que sesanciens adversaires compte tenu de sa victoire. Dès lors, le graphique ne mesurant pas lesfréquences dans l’utilisation du terme mais les emplois eux-mêmes, cette récurrence n’estpas forcément significative pour notre recherche comme celle de la corrélation entre juryspopulaires et populisme pour S. Royal. Cependant, en appuyant notre réflexion sur l’analysedes articles de mai 2007 qui utilisent le terme de « populisme » à l’égard de N. Sarkozy, nouspouvons constater que, au-delà d’un simple effet de ‘sur-médiatisation’, la récurrence du mots’explique aussi par une observation post-électorale selon laquelle N. Sarkozy aurait gagnégrâce à une rhétorique largement empruntée à l’extrême droite frontiste facilement qualifiéede « populiste ». Effectivement, sur 16 articles faisant référence à N. Sarkozy pour l’emploide la notion de « populisme », 6 traitent aussi explicitement de la proximité avec l’extrêmedroite lepéniste ou encore d’un héritage pétainiste pour N. Sarkozy. Pour le spécialiste duFront national, Erwan Lecœur146, « l'utilisation de termes issus du vocabulaire lepéniste(bandes ethniques, racisme anti-Français, quitter la France...) a mis Nicolas Sarkozy dansla situation d'héritier d'une partie de la vulgate frontiste des trente dernières années »147.Aussi sont-ils évoqués « les gros clins d’œil de M. Sarkozy à l’extrême droite » au sujetde « l’immigration et de l’identité nationale »148. De la même façon, l’article du Mondereprenant l’analyse du quotidien espagnol El Pais rappelle le « populisme » de N. Sarkozy,concept attribué au candidat-président du fait des « allusions sur l’identité nationale »149.Enfin, plusieurs articles mobilisent l’héritage pétainiste au sujet de certains aspects de lacampagne de N. Sarkozy tels notamment les références à « l’ordre [et] à l’autorité » qui

143 Voir notamment « F. Bayrou invente l’extrême centre » par A. Duhamel, in Libération, 29 novembre 2006 ; « Le mystèreBayrou » par A. Duhamel, in Libération, 10 janvier 2007 ou encore « F. Bayrou peut-il créer la surprise en 2007 ? Débat avec P.Perrineau », in Le Monde.fr, 12 décembre 2006.

144 Voir à ce sujet « Bayrou cherche un moyen de relancer sa campagne », in Le Figaro, 2 avril 2007.145 Voir à ce sujet l’article de A. Duhamel « Le mystère Bayrou », op cit.146 Erwan Lecœur est l’auteur d’ « Un néo-populisme à la française. Trente ans de Front national », Paris, Ed. La Découverte,

Coll. Cahiers libres, 2003.147 « Aux législatives, l’électorat tenté par le FN pourrait faire le pari d’une vague bleu foncé », in Le Monde. fr, 22 mai 2007.148 « Un successeur pour Jacques Chirac », in Le Monde, 16 mai 2007.149 « La presse ibéro-américaine juge que la France a bougé vers la droite », in Le Monde, 7 mai 2007.

Page 35: Les usages du terme « populisme » dans la campagne ...doc.sciencespo-lyon.fr/.../MFE2007/.../ledroit_o.pdf · cette course électorale. Par ailleurs, force est de constater l’éruption

1ère partie : La campagne présidentielle de 2007 : De la réussite sociale du terme « populisme »

LEDROIT Orianne_2007 35

s’inscrivent « clairement, d’une manière plus générale, dans le fameux triptyque ‘travail,famille, patrie’»150.

Toutefois, nous pouvons voir dans cette analyse une illustration de la « circulationcirculaire de l’information » entre les journaux, contribuant à l’uniformisation de l’informationelle-même151. Suivant cette logique, le mot « populisme » pourrait se retrouver dans lapresse écrite en raison d’un fonctionnement en vase clos des médias. Pour autant, il fautnuancer cela puisque l’on retrouve souvent le terme dans les citations (d’acteurs diversnotamment hommes politiques) qui sont les mêmes d’un quotidien à l’autre.

Enfin, l’utilisation du terme « populisme » peut se retrouver dans une questionrhétorique par laquelle le journaliste ou le commentateur politique s’interroge sur lecaractère populiste ou non d’un candidat. Mais, la question ouverte reste souvent ensuspens ; l’auteur étant incapable de trancher et d’appliquer le terme une fois pour toute àun candidat. Par exemple, D. Mayaffre se demande :

« Franc parler ou populisme ? Parler vrai ou démagogie ? Le discours de Sarkozy estun discours de l’extrême lexical là où le discours républicain est souvent euphémisé »152.

Et l’historien linguiste ne convoquera jamais le terme « populisme » directement àl’égard de N. Sarkozy. De la même façon, un article du Monde interroge : « Débatsparticipatifs : populisme ou démocratie rénovée ? ». Pour autant, le chercheur interviewén’utilise à aucune reprise le terme populiste dans son développement153. Enfin, toutel’ambiguïté du terme apparaît avec force dans un article d’Eric Le Boucher. En effet, lejournaliste utilise cette notion « populisme » pour faire référence notamment à J.M Le Pen, àJ. Haider ou encore pour citer des propos tenus par d’autres acteurs au sujet des candidatsà l’élection présidentielle. Puis, il s’interroge sur la vraie nature de N. Sarkozy et de S. Royalde son point de vue, établissant qu’en vertu de la définition de P.-A. Taguieff, on ne peutraisonnablement pas employer ce terme à leur égard :

« Mais, malgré quelques adhérences, on ne peut pas y classer les deux autrescandidats issus des deux grands partis représentatifs classiques, UMP et PS »154.

Toutefois, le journaliste admet à la suite de cela, qu’il existe une « tentation » voire des« propos » populistes chez chacun des deux principaux concurrents à la présidence. Celaprouve une nouvelle fois l’équivocité du terme dans la campagne présidentielle.

Ainsi, « la ‘populismité’ n’est qu’une entité fictive, qu’il serait vain de chercher àsaisir »155. Effectivement, « les concepts sont souvent utilisés pour des raisons de simplecommodité. Ils se substituent à la pensée critique et sont empruntés aux disciplines voisinespar des historiens [ou autres commentateurs] peu désireux de dépenser du temps et del’énergie dans le délicat processus qui consiste à élaborer et à perfectionner leurs propresidées. Les concepts deviennent ainsi des mots codés et des symboles d’une analyse dont

150 « Un populisme social de droite », in L’Humanité, 5 mai 2007. Voir aussi à ce sujet « Une certaine idée de la vérité », inL’humanité, 5 mai 2007 et « Langue de bois et discours de fer », in L’Humanité, 26 mai 2007.

151 Voir P. Bourdieu, Sur la Télévision, Paris, Raisons d’agir, 1996, p22 et suivantes.152 « Langue de bois et discours de fer », in L’Humanité, 26 mai 2007.153 Article du Monde.fr, 6 février 2007.154 « Le retour mondial des populistes », in Le Monde, 10 décembre 2006. Voir Annexe n°6, p. XXVII.155 P.-A. Taguieff, L’Illusion populiste, op cit., p. 161-162.

Page 36: Les usages du terme « populisme » dans la campagne ...doc.sciencespo-lyon.fr/.../MFE2007/.../ledroit_o.pdf · cette course électorale. Par ailleurs, force est de constater l’éruption

Les usages du terme « populisme » dans la campagne présidentielle de 2007 Du succès desutilisations stratégiques d’un mot équivoque

36 LEDROIT Orianne_2007

la validité est plus invoquée que réellement démontrée »156. Et notre analyse confirmeque « les principaux utilisateurs contemporains, journalistes et acteurs politiques, du mot« populisme » […] supposent la validité [du…] consensus dénominatoire : on postule qu’est« populiste », tout ce qui est ordinairement qualifié de « populiste ». C’est là se satisfaire dela connaissance par ouï-dire, et penser sous la dictée de la rumeur »157.

II) Un terme facilement mobilisable par les acteurs

1. La question de la légitimité des usages immodérés : le populisme commestyle politique « syncrétique » ?Il s’agit ici de s’interroger sur le caractère approprié et justifié de l’emploi fréquent du terme« populisme » au cours de la période étudiée. En effet, nous pouvons nous demandersi, malgré la polysémie du terme, les usages journalistiques ou langagiers de ce mot neretrouvent pas un écho dans les analyses savantes ; analyses perçues comme modede légitimation des propos de la presse écrite. Le concept de « populisme » n’est-il pasmobilisable par les journalistes du fait de la caution intellectuelle donnée à un usage fréquentdu mot ? N’est-il pas possible de rapprocher la démarche journalistique étudiée ici (d’unerécurrence équivoque du terme « populisme ») à une thèse dominante selon laquelle lepopulisme serait un matériau utilisable par tout homme politique ?

Selon certains auteurs, « la caractéristique formelle peut-être la plus spécifique despopulismes est leur haute compatibilité avec n’importe quelle idéologie politique (de droiteou de gauche, réactionnaire ou progressiste, réformiste ou révolutionnaire), avec n’importequel programme économique (du dirigisme étatique au néolibéralisme), avec diversesbases sociales et divers types de régimes. […] Ce qui produit l’irréductible ambiguïté despopulismes, c’est qu’ils sont régis par un principe d’omnipotence syncrétique : ils peuvententrer en composition avec n’importe quel contenu idéologique, se jumeler avec n’importequelle orientation politique »158. Ainsi, le populisme ne peut-il être « considéré ni commeune idéologie politique, ni comme un type de régime, mais comme un style politique ». Ilest « une forme vide remplie à sa manière par chaque leader »159. Suivant Y. Mény et Y.Surel, nous pourrions préciser cette lecture et penser que le populisme « consiste en uneressource mobilisable par la plupart des acteurs politiques contemporains, avec des degrésd’instrumentalisation variables selon le positionnement des acteurs, les configurationspolitico-institutionnelles particulières à chaque pays et la nature des cadres idéologiqueslégitimes dans un espace donné »160. Et les deux auteurs de préciser : « le populismedépasse sans doute assez largement cette dichotomie [gauche-droite], pour alimenter aucontraire des dynamiques transversales. En tant que tension constitutive des démocratiesreprésentatives occidentales, il constitue une ressource parmi d’autres du jeu politique,

156 Voir G. Eley, « Social Imperialism in Germany : Reformist Synthesis or Reactionary Sleight of Hand? » dans G. Eley, FromUnification to nazism. Reinterpreting the German Past, Boston-London, Allen & Unwin, 1986, p. 155, in J.-P. Rioux (dir.), op cit., p. 85.

157 P.-A. Taguieff, ibid, p. 109.158 P.-A. TAguieff, L’Illusion populiste, op cit., p. 168-169.159 P.-A. Taguieff, ibid, p. 9.160 Y. Mény et Y. Surel, Par le peuple, pour le peuple, op cit., p. 256.

Page 37: Les usages du terme « populisme » dans la campagne ...doc.sciencespo-lyon.fr/.../MFE2007/.../ledroit_o.pdf · cette course électorale. Par ailleurs, force est de constater l’éruption

1ère partie : La campagne présidentielle de 2007 : De la réussite sociale du terme « populisme »

LEDROIT Orianne_2007 37

diversement mobilisée par les acteurs politiques dans des contextes précis »161. Dans cetouvrage, l’exemple est donné de la campagne présidentielle de J. Chirac en 1995 qui aurait,pour les auteurs, eu recours à « une rhétorique populiste rampante » sans pour autantpouvoir pertinemment qualifié celui-ci de leader populiste162. En effet, il est admis que lalangue est un outil précieux pour tout homme politique. Et A. Dorna ira même jusqu’à émettrel’hypothèse qu’une attitude populiste serait la « constituante de tout discours politique »dans la mesure où il n’existerait pas « de discours politique sans référence au peuple »163.Dans la campagne étudiée, ce point de vue devrait se vérifier par une analyse en profondeurdes « cooccurrences » au terme « populisme » afin d’identifier les « expansions gauche etdroite » du mot164. En effet, pour certains des articles de presse envisagés, le populismecaractérise, de manière générale, le « discours » des candidats visés par le terme :

Cooccurrences au terme « populisme » Nombre d’articles« discours »

7 165

« rhétorique »3

166

« registre »2

167

« langage »1

168

« argument »1

169

« art oratoire »1

170

« franc parler »1

171

« propos »1

172

« messes »1

173

Ainsi, quelques journalistes utilisent le mot « populisme » accompagné d’unecooccurrence relative au champ lexical de la parole, validant les propos de Y. Meny et Y.Surel.

Néanmoins, force est de constater que la plupart des acteurs emploie le terme demanière vague et imprécise caractérisant les candidats eux-mêmes de « populistes » etnon leurs discours ; allant alors à l’encontre de l’analyse faite sur J. Chirac par les deuxchercheurs. Cet emploi serait l’illustration parfaite d’un usage journalistique approximatifqui confirmerait la thèse plus large d’une « omnipotence syncrétique » du populisme174. Eneffet, pour apporter une argumentation chiffrée, sur les 27 articles de Libération étudiés,on retrouve un complément sémantique au terme « populisme » et relatif au champ lexical

161 Y. Mény et Y. Surel, ibid, p. 244.162 Y. Mény et Y. Surel, ibid., p. 258. Voir aussi au sujet de la campagne de J. Chirac : J. Chirac, La France pour tous, Paris,

NiL Editions, 1994.163 A. Dorna, op cit., p. 11.164 A. Prost, « Les mots », in R. Rémond (dir.), op cit., p. 267. Ici, en l’occurrence, nous nous attacherons surtout aux termes

précédant directement le mot « populisme ».174 P.-A. Taguieff, L’Illusion populiste, op cit., p. 169.

Page 38: Les usages du terme « populisme » dans la campagne ...doc.sciencespo-lyon.fr/.../MFE2007/.../ledroit_o.pdf · cette course électorale. Par ailleurs, force est de constater l’éruption

Les usages du terme « populisme » dans la campagne présidentielle de 2007 Du succès desutilisations stratégiques d’un mot équivoque

38 LEDROIT Orianne_2007

du discours seulement dans 4175. Notons au passage qu’en plus de cette faible minorité,un journaliste utilise, dans l’article du 5 septembre 2006, le terme de « discours » adjointau mot « populisme » dans une citation reprenant un étudiant. Pourtant, nous pouvonsavec G. Hermet réaffirmer que « le populisme n’est pas une idéologie. Il n’est pas attachépar définition à un courant autoritaire ou fasciste ». Bien au contraire, le populisme seretrouverait dans « une attitude et un discours »176.

Il y aurait donc un traitement extensif et non spécifiquement savant de la catégoriede « populisme » dans la presse écrite lors de cette campagne, condamnant le mot àperdre toute signification. En outre, cette désignation d’un « populisme » comme « stylepolitique », vague et pouvant se référer à quelque idéologie politique que ce soit, favoriseaussi le recours immodéré à ce mot dans le discours des candidats eux-mêmes ; discoursétudiés en tant que tels ou repris dans les quotidiens nationaux. Les thèses des spécialistesseraient ainsi utilisées comme des modes de légitimation d’une utilisation extensive du mot.Puisque tout homme politique peut avoir recours à ce genre de registre de langage, alors,tout candidat peut livrer le mot comme une formule vague et imprécise en attendant quecelui-ci produise ses effets. Néanmoins, le lecteur doit être informé du fait qu’à ce stade dela réflexion, nous nous refusons à analyser les connotations sémantiques prises par le mot.

Par exemple, Ségolène Royal a recours à ce mot dans son discours de Rennes,argumentant :

« Cette façon de faire, démagogique, est insupportable. Là se trouve lepopulisme. Moi je vous le dis, le service public, on en a besoin ! »177.

De plus, J.M Le Pen évoque dans son discours de Marseille :« partout sur le Vieux Continent, les peuples veulent un durcissement de lapolitique d’immigration de leur pays, en liaison avec la montée électorale demouvements de droite populiste, parfois d’ailleurs associés aux gouvernementsdominés par la droite établie »178.

Pour sa part, N. Sarkozy reproduit dans la majorité des discours étudiés ce paragraphereprenant le mot populisme :

« Vous en avez assez que l’on ne puisse pas parler de la nation sans êtreaccusé de nationalisme, que l’on ne puisse pas parler de protection sans êtreaccusé de protectionnisme, que l’on ne puisse pas dénoncer la surévaluation del’euro sans être accusé d’être anti-européen, que l’on ne puisse pas dénoncerl’accaparement du pouvoir par la technocratie ou montrer du doigt les patronsvoyous sans être aussitôt accusé de démagogie, que l’on ne puisse pas évoquerla France qui souffre sans être immédiatement taxé de populisme »179,

Affirmant enfin :175 Voir les articles de Libération : « Les étudiants et Sarkozy », 5 septembre 2006 ; « 2007 : Renouveau de la démocratie

participative ? », 23 février 2007 ; « Si la dissidence augmente, elle ébranlera le système », 3 mars 2007 ; « Robien exclu de laclasse », 26 mars 2007.

176 « Du bon usage du populisme » Entretien avec G. Hermet, in Le Monde 2, 4 novembre 2006, p. 48.177 Voir Discours de S. Royal à Rennes, le 20 février 2007. Voir Annexe n° 2, p. IV.178 Voir Discours de J.M Le Pen à Marseille, le 3 mars 2007.179 Voir les discours de N. Sarkozy à Villebon-sur-Yvette, le 20 mars 2007 (voir Annexe n°3, p. X) ; à Lille, le 28 mars 2007 ;

à Lorient, le 3 avril 2007 ; à Meaux, le 13 avril 2007 ; à Clermont-Ferrand, le 27 avril 2007.

Page 39: Les usages du terme « populisme » dans la campagne ...doc.sciencespo-lyon.fr/.../MFE2007/.../ledroit_o.pdf · cette course électorale. Par ailleurs, force est de constater l’éruption

1ère partie : La campagne présidentielle de 2007 : De la réussite sociale du terme « populisme »

LEDROIT Orianne_2007 39

« Je veux être le candidat du peuple sans être traité de populiste »180.Ainsi en est-il des utilisations du terme par les candidats à la présidentielle. Nous pouvonsrappeler, de la même manière, et pour compléter l’illustration, certaines citations depersonnalités politiques reprises dans les journaux.

D’abord, L. Fabius au sujet de la proposition de S. Royal d’instaurer des juryspopulaires :

[Ce serait] « épouser une forme de populisme extrêmement dangereux qui feraitle lit de l'extrême droite»181.

Puis V. Pécresse, toujours à propos de la suggestion royaliste :

« C'est une proposition démagogique et populiste »182.Une évidence saute aux yeux du lecteur attentif : le mot « populisme » n’est (presque) jamaisutilisé par un candidat pour se désigner soi-même. Ainsi sera-t-il intéressant d’analyserultérieurement les représentations, les enjeux qui se cachent derrière l’usage de ce mot etsaisir les ressorts de son emploi par les acteurs politiques et sociaux.

2. De l’importance d’une analyse de l’entourage lexicalDépassant une analyse selon laquelle « les leaders populistes se situent d’une extrémitéà l’autre du spectre politique » ; le populisme étant alors « difficilement classable surles échelles idéologiques habituelles »183, nous nous devons de déchiffrer précisémentl’environnement lexical proche du mot « populisme » afin de confirmer la thèse d’un conceptdont l’équivocité joue en faveur de sa réussite sociale.

Nous avons précédemment vu que « repérable de l’extrême gauche à l’extrême droite,sous des formes explicites autant que diffuses et non thématisées […], le populismesemble incarner « l’esprit du temps » (Zeitgeist)184 » puisque la plupart des spécialistespartageraient l’« impression qu’il est identifiable, selon divers dosages, dans tout l’espacepolitique »185. Pour autant, il paraît judicieux de voir dans quelle mesure l’entourage lexicaldu mot « populisme » établirait l’omniprésence du phénomène ainsi que la permanence deson opacité. Le « populisme » serait donc un « ‘cluster concept’, pour reprendre le termecouramment employé dans les conceptions les plus élaborées du discours politique, c’est-à-dire un concept d’une grande complexité interne doublée d’un faisceau de relations ouvertessur d’autres concepts environnants »186.

180 Voir Discours de N. Sarkozy à Montpellier, le 3 mai 2007.181 Voir à ce sujet les différents articles reprenant cette citation:note n° 140.182 Voir à ce sujet: « Les jurys de citoyens proposés par Mme Royal font ‘reculer la démocratie’, martèle l'UMP », in Le

Monde, 23 octobre 2006 ; et « Les propos de Ségolène Royal troublent la gauche et réjouissent la droite », in Le Monde, 24

octobre 2006.183 « Du bon usage du populisme » Entretien avec G. Hermet, in Le Monde 2, 4 novembre 2006, p. 48.

184 C. Mudde, « The populist Zeitgeist », Government and Opposition, 39(4), 2004, p. 541-563 in P.-A Taguieff, L’Illusionpopuliste, op cit., p. 65.

185 P.-A. Taguieff, L’Illusion populiste, ibid, p. 65.186 P. Pombeni, « Typologie des populismes en Europe », in J.P Rioux (dir.), op cit., p. 88. Voir au sujet de la notion de « cluster

concept » : W. E. Connolly, The Terms of Political Discourse, Massachusetts, Lexington, 1974.

Page 40: Les usages du terme « populisme » dans la campagne ...doc.sciencespo-lyon.fr/.../MFE2007/.../ledroit_o.pdf · cette course électorale. Par ailleurs, force est de constater l’éruption

Les usages du terme « populisme » dans la campagne présidentielle de 2007 Du succès desutilisations stratégiques d’un mot équivoque

40 LEDROIT Orianne_2007

D’une part, l’environnement lexical du mot « populisme » permet dans une certainemesure d’établir la présence, pour les commentateurs, sur l’ensemble de l’échiquierpolitique. En effet, nombres d’articles utilisent des précisions afin de situer sur l’échelledroite-gauche le populisme qu’ils évoquent187. Citons quelques exemples tirés du traitementmédiatique de la course à la présidence.

Dans un portrait de N. Sarkozy, Sophie Pedder (chef du bureau de The Economist,hebdomadaire britannique, à Paris), constate indistinctement la présence dans la campagned’un « populisme de droite et de gauche »188. Dans la même veine, le député travaillistebritannique, Denis MacShane, dépeint « un retour en force du populisme, à droite comme àgauche » alors que la campagne devrait faire l’objet d’un réinvestissement « pédagogique »de la part des candidats189. Ainsi se dresserait le tableau d'un « populisme qui n'épargneplus aucune famille politique et qui, régnant déjà sur les partis protestataires, atteintdésormais plusieurs présidentiables des partis de gouvernement »190. Confortant l’analysede N. Sauger selon laquelle « tous les populismes ne sont pas d’extrême droite »191,« un populisme social de droite » s’inscrivant dans l’héritage pétainiste d’un « travail-famille-patrie » est attribué à N. Sarkozy par le sociologue L. Mucchielli192. Au contraire,une député UMP de Paris, Martine Aurillac observe « un populisme de gauche »193, toutcomme C. Duflot, responsable des Verts, évoquant une « gauche populiste »194. Demanière plus vague, des « populismes d'extrême gauche et d'extrême droite » sontrelevés par A. Duhamel195. Ainsi, cette énumération de quelques articles dans lesquels il estprécisé la situation dans le champ politique du populisme évoqué souligne-t-elle de manièreindiscutable l’intérêt de l’entourage lexical du mot.

D’autre part, outre la détermination d’un positionnement sur l’échelle gauche-droite, lecadre lexical va même jusqu’à tenter d’apporter des nuances quant au degré présumé du« populisme » d’un candidat. Notons que, voulant percer les usages du mot « populisme »,celui-ci est ici envisagé comme une « boîte noire » dont on ne connaît pas lescaractéristiques essentielles.

Tout d’abord, on peut remarquer une profusion de termes appelant le champ lexical del’adoucissement, de l’atténuation. Ce constat témoignerait d’une certaine modération dansle degré de populisme évoqué ; sous-entendant qu’il existerait un modèle de référence plusdur. Cette remarque est surtout valable pour les candidats que sont S. Royal et F. Bayrou.Ainsi, les deux personnalités politiques sont caractérisées par l’expression de « populisme

187 Au sujet de la pertinence actuelle du clivage gauche-droite, S. Rozès met en avant un paradoxe selon lequel les mêmesFrançais, qui considèrent ces catégories comme dépassées dans le champ politique, y ont recours majoritairement lorsqu’il s’agit dese définir ». Pour plus de détail, voir le dossier « Gauche/droite », Philosophie magazine, n° 6, février 2007.

188 « Nicolas Sarkozy. Entre rupture et clientélisme », in Le Monde, 18 avril 2007.189 « Sacrifier les vaches sacrées », in Le Figaro, 16 avril 2007.190 « La contagion du populisme », in Libération, 8 novembre 2006.191 « Bayrou, un extrême centre ? », in L’Humanité, 22 avril 2007.192 « Un populisme social de droite », in L’Humanité, 5 mai 2007.193 « Les bonnes recettes des femmes de l'UMP pour battre la candidate socialiste », in Le Figaro, 28 novembre 2006.194 « Voynet veut conjurer le ‘vote utile’ à gauche », in Le Figaro, 6 avril 2007.195 « La nostalgie Jospin », in Libération, 4 octobre 2006.

Page 41: Les usages du terme « populisme » dans la campagne ...doc.sciencespo-lyon.fr/.../MFE2007/.../ledroit_o.pdf · cette course électorale. Par ailleurs, force est de constater l’éruption

1ère partie : La campagne présidentielle de 2007 : De la réussite sociale du terme « populisme »

LEDROIT Orianne_2007 41

soft »196 . De la même manière, A. Duhamel évoque le « populisme léger » de la candidatesocialiste197. En outre, F. Bayrou est affublé d’autres traits variés, s’inscrivant plus ou moinsdans cette logique d’euphémisation du mot « populisme ». En effet, son « populismedes classes moyennes »198 consisterait en un « nouveau populisme », prenant « lepositionnement de Le Pen en plus présentable »199, ou de Poujade « sous une forme pluspolicée »200. Pourtant, certains rappellent son « populisme bon teint »201.

Cependant, des termes plus cassants et cinglants peuvent aussi entourer le terme« populisme ». Bref aperçu de la multiplicité des appellations employées : du populisme «protestataire »202, voire « moralisant »203, au « destructeur et réducteur »204, en passantpar « inquiétant »205, « pénal » (selon une expression de Denis Salas)206, ou encore, dansla presse européenne, « conservateur » pour The Independent 207 et « ambitieux » selonles mots du quotidien conservateur allemand FAZ 208.

Enfin, nous pouvons observer la récurrence d’un champ lexical lié aux médias dansles adjectifs apposés au mot « populisme » puisque certains commentateurs font état d’un« populisme médiatisé »209, « télépopulisme »210, « télécratique » et « industriel »211.

Ainsi, le mot « populisme » reste, bien que parfois entouré de complémentssémantiques, un concept flou et équivoque. D’ailleurs, l’emploi de telles précisions lexicalestémoignent de sa nature énigmatique ; nature « mystérieuse »212 que nous avons cherchéà retransmettre durant cette première étape de l’analyse. Le traitement médiatique de lacampagne ainsi que les discours des candidats sont des preuves manifestes et limpides

196 Voir pour S. Royal : « 2007 : Renouveau de la démocratie participative ? », in Libération, 23 février 2007 et pour F. Bayrou :« Alerte ! », in L’Humanité, 12 mars 2007.

197 Voir « Impressions de campagne PS », in Libération, 15 novembre 2006.198 Voir « Quatre paradoxes au cœur d’une campagne électorale », in Le Figaro, 6 avril 2007 et aussi l’expression d’un

populisme qui « s’adresse aux classes moyennes » dans « Bayrou, un extrême centre ?», in L’Humanité, 22 avril 2007.199 Voir « Bayrou, cathodique pratiquant », in Libération, 10 mars 2007.200 Voir « Ce centrisme imaginaire », in Libération, 14 mars 2007.201 « Les mensonges au Zénith », in L’Humanité, 23 mars 2007.202 « Une certaine idée de la vérité », in L’Humanité, 5 mai 2007.203 « Ségolène Royal veut une campagne ‘participative’, les antilibéraux cherchent à s'organiser », in Le Monde, 21 novembre

2006.204 « La démocratie sous surveillance », in Le Monde, 27 octobre 2006.205 « La guerre des trois aura-t-elle lieu ? », in L’Humanité, 17 octobre 2006.206 « Les dégâts du bilan Sarkozy », in L’Humanité, 26 mars 2007.207 « Le nouveau visage de la ‘Sarkofrance’ intrigue la presse internationale », in Le Monde, 7 mai 2007.208 « L’élection présidentielle en France suscite des appréhensions dans les capitales européennes », in Le Monde, 1er mars

2007. L’expression a été reprise lors d’un chat avec X. Jardin sur LeMonde.fr du 11 mai 2007 : « Chez Nicolas Sarkozy, il y a autantde continuité que de rupture ».

209 « Bayrou ou le ‘général de l’armée morte’ », in Le Monde, 16 mai 2007.210 Voir par exemple : « Une certaine idée de la vérité », in L’Humanité, 5 mai 2007.211 « Halte au populisme ‘télécratique’ », in Le Monde, 25 janvier 2007.212 P.-A. Taguieff, L’Illusion populiste, op cit., p. 96.

Page 42: Les usages du terme « populisme » dans la campagne ...doc.sciencespo-lyon.fr/.../MFE2007/.../ledroit_o.pdf · cette course électorale. Par ailleurs, force est de constater l’éruption

Les usages du terme « populisme » dans la campagne présidentielle de 2007 Du succès desutilisations stratégiques d’un mot équivoque

42 LEDROIT Orianne_2007

de l’épaisseur de la notion. Rappelons d’ailleurs à ce sujet, que le mot « populisme » n’estpas né avec la campagne présidentielle et que notre analyse a pris en compte l’histoiredu terme en établissant que les usages présents s’inscrivent dans le processus d’une« désémantisation » croissante de cette « catégorie d’usage courant »213.

Aussi la catégorie de « concepts obscurs » développée brillamment par M. Weberse trouve-t-elle d’une profonde pertinence à ce stade de notre avancement214. En effet,l’obscurité du concept de « populisme » ici étudié procéderait de son « double statutd’instrument d’analyse et d’arme pour la lutte politique »215. Aussi ne serait-il pas nécessaireet fonctionnel de suggérer « une clarification logique » de ces concepts.

« D’une part, cela prive de comprendre les raisons de leur réussite sociale qui résidentjustement dans « ce flou conceptuel » et les multiples appropriations qu’il rend possibles.D’autre part, cela revient à débarrasser ces concepts obscurs des enjeux cognitifs etpolitiques sur lesquels ils se sont édifiés et, partant, à faire oublier que la nouvelle définitionavancée, aussi cohérente soit-elle, est tout aussi prisonnière de préoccupations politiqueset intellectuelles que le flou conceptuel précédent »216.

La réussite lexicale d’une formule s’expliquerait donc par le fait qu’elle est polysémique.Par ailleurs, nous avons aussi cherché à mettre en évidence le fait que le mot a

dépassé les limites d’un usage strictement savant puisque, étant étudié dans le domainedu traitement médiatique et celui des discours de campagne, le mot s’inscrit plutôt dansle registre du polémique ; registre amplifié par le contexte de la bataille électorale et del’affrontement politique pour la magistrature suprême. Aussi le mot n’existerait-il pas en tantque tel et ses contours seraient difficilement saisissables hors de tout contexte. Les usagesqu’en font les politiques ainsi que les commentateurs (journalistes ou autres spécialistes)donneraient la substance au terme lui-même. A cet égard, nous pouvons rappeler l’analyseperspicace de P. Zawadzki selon laquelle certains termes « qui tout en relevant du registredescriptif se chargent de connotations normatives ou polémiques finissant par les vider deleur pertinence cognitive »217.

Il s’agit dorénavant de se pencher sur la force symbolique et les enjeux de l’utilisationd’un tel terme dans la course à la présidence de la République. Effectivement, nous avonsvu que les ambiguïtés du « populisme », « mot en caoutchouc »218, expliquaient pourune grande part que celui-ci continue à être employé de manière fréquente tant par lescommentateurs extérieurs à la campagne que par les personnalités politiques y prenantdirectement part. Aussi, est-il possible de mettre en évidence des causes rationnellesexpliquant la récurrence du terme ? Ou au contraire, ce mot n’est-il seulement utilisé qu’àdes fins électoralistes et stratégiques, une campagne présidentielle étant alors la périodeidéale pour l’étude d’un tel mot ? Quelles sont les idées et les représentations véhiculées parce mot ? Comment fonctionne-t-il dans l’argumentaire des candidats ? A qui est-il destiné ?

213 P.-A. Taguieff, L’Illusion populiste, ibid , p. 114.214 M. Weber, Essai sur la théorie de la science, Paris, Plon, 1965, cité dans A. Collovald, op cit., p. 79.215 A. Collovald, ibid, p. 79.216 A. Collovald, ibid., p. 79-80.217 P. Zawadzki, « Entre ethnos et dêmos : les populismes en Pologne », Mots/Les langages du politique, n°55, Juin 1998, p. 27.218 Voir cette formule au sujet de la démocratie dans P. Rosanvallon, La démocratie inachevée. Histoire de la souveraineté du

peuple en France, Paris, Gallimard, Bibliothèque des Histoires, 2000, p. 153.

Page 43: Les usages du terme « populisme » dans la campagne ...doc.sciencespo-lyon.fr/.../MFE2007/.../ledroit_o.pdf · cette course électorale. Par ailleurs, force est de constater l’éruption

2ème partie : Le triomphe des usages polémiques et stratégiques du concept. Analyse desreprésentations cachées derrière ce mot : entre hyperdémocratisme, pseudo-démocratisme et

anti-démocratisme

LEDROIT Orianne_2007 43

2ème partie : Le triomphe des usagespolémiques et stratégiques duconcept. Analyse des représentationscachées derrière ce mot : entrehyperdémocratisme, pseudo-démocratisme et anti-démocratisme

Section 1 : Un usage tactique : diaboliser l’adversaire« Les mots n’ont pas de sens mais seulement des usages »

Selon l’aphorisme de Wittgenstein, in Y. Mény et Y. Surel, Par le peuple, pour le peuple,op cit., p. 182.

Le lecteur attentif aura pu remarquer que les termes utilisés dans notre réflexion,pour introduire la mobilisation du terme « populisme » dans le corpus, n’ontété jusque là que des termes neutres, des verbes introductifs généraux et nonconnotés (tels que constater, observer, évoquer). Pour autant, nous allonsvoir, désormais, la force idéologique du mot « populisme ». Aussi les termesdorénavant utilisés seront-ils empreints d’une connotation péjorative récurrentesoulignant la dénonciation qu’il y a dans l’usage d’un tel mot.

I) Analyse des désignants et des désignésNous allons étudier dès à présent l’usage dépréciatif du mot « populisme » dans notrecorpus de référence en analysant les deux catégories 1/ de l’émetteur responsable del’emploi du terme (ou encore désignant) et 2/ du destinataire visé ou désigné ; catégoriesde base pour toute réflexion sémantique. Pour cela, il faut préciser que nous prendrons encompte uniquement les textes (articles ou discours) pour lesquels les deux entités désignéet désignant sont clairement définies. Les emplois du mot « populisme » à l’encontre de J.MLe Pen ainsi que ceux dont il est l’auteur seront traités séparément, compte tenu du rapportsingulier qu’entretient le leader frontiste avec le concept de « populisme ».

1. L’importance de l’identité du désignant

Page 44: Les usages du terme « populisme » dans la campagne ...doc.sciencespo-lyon.fr/.../MFE2007/.../ledroit_o.pdf · cette course électorale. Par ailleurs, force est de constater l’éruption

Les usages du terme « populisme » dans la campagne présidentielle de 2007 Du succès desutilisations stratégiques d’un mot équivoque

44 LEDROIT Orianne_2007

D’emblée, force est de constater qu’un mot aussi ambigu contient en lui-même sa chargesymbolique négative que l’on saisit nettement en déchiffrant l’identité de l’émetteur parrapport à l’identité du destinataire. Néanmoins, la prudence est de rigueur pour ce qui est del’analyse des articles de presse dans la mesure où nombre d’entre eux ne font que reprendredes citations de personnalités le plus souvent politiques ; le journaliste n’étant ainsi pasl’émetteur direct du mot « populisme ».

Tout d’abord, lors de notre étude, nous avons pu observer que l’orientation politiquemarquée à gauche du journal L’Humanité se trouvait confirmée par les utilisations du mot« populisme » lors de la campagne présidentielle. En effet, les attaques envers N. Sarkozys’avèrent être largement plus nombreuses que celles visant F. Bayrou, S. Royal ou encorel’extrême gauche. Même si ce constat peut être nuancé par le fait que certains articlesont été rédigés par des commentateurs extérieurs au quotidien ou lors d’interviews, lavoix du Parti communiste français reste très nettement ancrée à gauche de l’échiquierpolitique. Quantitativement, sur les 20 articles écrits par les journalistes eux-mêmes (surles 34 articles recensés dans notre corpus de L’Humanité), 7 s’en prennent explicitementà N. Sarkozy sous le terme « populisme » ou « populiste »219 contre seulement 1220 et3221 visant respectivement le leader centriste et la socialiste. Notons au passage queseulement un article stigmatise à la fois le leader de l’UMP et S. Royal222. L’Humanitéest le seul quotidien étudié pour lequel une telle remarque est possible. Effectivement,malgré certaines inclinations à droite voire au centre-droit, le nombre d’occurrences de laforme générique « populisme » dans Le Figaro ne marque quasiment aucune différenceentre les deux principaux acteurs de la campagne présidentielle puisque sur 20 articlesétudiés dans notre recueil, 5 dénoncent S. Royal223 et autant épinglent N. Sarkozy224. Il fautnéanmoins observer que, pour la plupart, ces dénonciations ne sont pas directement le faitd’un journaliste du quotidien lui-même ; exception faite de l’article du 6 avril fustigeant ladémocratie participative « populiste et très 1789 » de S. Royal225.

Par ailleurs, l’identité même du locuteur peut explicitement connoter l’usage du mot« populisme » de manière péjorative ; le mot serait ainsi une injure envoyée à son adversaire.Cette hypothèse est d’autant plus pertinente que notre étude se situe dans le contexted’une bataille électorale engagée en vue de la conquête de la magistrature suprême. Eneffet, depuis la révision constitutionnelle de 1962 instaurant l’élection du président de laRépublique au suffrage universel direct, l’élection présidentielle est devenue le temps fort dela vie politique française. En témoigne l’intérêt prononcé des citoyens pour cet événement ;intérêt confirmé dans un article de M. Abélès selon lequel « le cru 2007 confirme que ceux-ci [les Français] sont toujours aussi passionnés par ce qui relève à la fois du rituel et dufeuilleton »226. Ainsi, le mot « populisme » serait utilisé à des fins stratégiques à l’encontre

219 Voir les articles de L’Humanité des 25 septembre 2006, 17 octobre 2006, 19 décembre 2006, 20 décembre 2006, 11 janvier2007, 8 mars 2007 et 7 mai 2007.

220 Voir « Alerte ! », in L’Humanité, 12 mars 2007.221 Voir les articles de L’Humanité des 17 octobre 2006, 15 Novembre 2006 et 16 novembre 2006.222 « La guerre des trois aura-t-elle lieu ? », in L’Humanité, 17 octobre 2006.223 Voir les articles du Figaro des 17 novembre 2006, 28 novembre 2006, 1er décembre 2006, 15 mars 2007 et 6 avril 2007.224 Voir les articles du Figaro des 15 janvier 2007, 29 mars 2007, 12 avril 2007, 17 avril 2007 et 25 avril 2007.225 « Présidentielle : point par point, les programmes décryptés », in Le Figaro, 6 avril 2007.226 Voir M. Abélès, « L’entrée en scène des citoyens désacralise les candidats », in Le Monde, supplément spécial « Débats :

Les intellectuels jugent la présidentielle », 22 mars 2007.

Page 45: Les usages du terme « populisme » dans la campagne ...doc.sciencespo-lyon.fr/.../MFE2007/.../ledroit_o.pdf · cette course électorale. Par ailleurs, force est de constater l’éruption

2ème partie : Le triomphe des usages polémiques et stratégiques du concept. Analyse desreprésentations cachées derrière ce mot : entre hyperdémocratisme, pseudo-démocratisme et

anti-démocratisme

LEDROIT Orianne_2007 45

de l’adversaire ; le désignant respectant alors le traditionnel clivage gauche-droite pours’attaquer à la figure majeure du camp opposé. Pour illustrer cette suggestion analytique,nous ne retiendrons que les articles de journaux reprenant les propos d’une personnalitépolitique ou publique dont les positionnements politiques sont clairement connus et nonambigus ainsi que les discours dans lesquels les candidats s’en prennent directement àleurs rivaux.

Voyons, tout d’abord, ce qu’il en est du traitement médiatique. La « summa divisio »227

de la vie politique française, à savoir la dichotomie gauche-droite, se confirme dans l’étudede l’usage stigmatisant du terme « populisme » ; les personnalités de droite fustigeantles pratiques ou les discours des candidats politiques situés à gauche et inversement.D’une part, les critiques formulées en réaction à la proposition de la socialiste S. Royald’instaurer des jurys populaires ont été d’une violence inouïe et d’une fréquence élevée(cette corrélation a d’ailleurs été mise en évidence précédemment dans l’analyse et illustréeau moyen d’un graphique228). Ainsi, ce projet, qualifié « d’outrancièrement populiste » parN. Sarkozy lui-même229, a fait, auparavant, vivement réagir la porte parole de l’UMP, ValériePécresse mais aussi Brice Hortefeux et Dominique Bussereau, ténors sarkozystes230. De lamême façon, un article du Figaro cite une député UMP de Paris, Martine Aurillac, épinglantsévèrement la pratique de S. Royal qui oscillerait entre « un populisme de gauche et unvide assez sidéral »231. Enfin, même le premier ministre de l’époque s’en mêle, Dominiquede Villepin, qui dénonce le « populisme » présidant à la pré-campagne socialiste au coursde laquelle règnent « la démagogie […], l’image »232.

Dans le sillage des attaques de la droite en direction de la gauche, il faut noter que N.Sarkozy critique expressément la gauche dans son discours de Tours :

« Cette gauche-là elle ne parle plus de la République parce qu’elle choisit le nivellementplutôt que l’égalité. Cette gauche-là elle ne comprend plus le peuple qu’elle trouvepopuliste »233.

Dans cette citation, ce n’est pas directement la gauche qui est épinglée de populismemais la véhémence et la force symbolique du concept de « populisme » fonctionne ici quandmême comme « opérateur d’illégitimation »234.

Enfin, les propos et le comportement d’E. Besson largement médiatisés apportent unetouche d’originalité à la campagne ; singularité qui se trouve être une preuve indéniable duconstat fait dans notre recherche d’un usage disqualificatoire de l’étiquette populiste teintéici d’une volonté revancharde. En effet, nul n’ignore les péripéties du « feuilleton Besson »,ce député socialiste de la Drôme qui a démissionné (le 14 février 2007), avec fracas,

227 Selon les termes de R. Rémond.228 Voir p. 40. A noter que cette analyse précédente n’avait en aucun cas révélé le caractère péjoratif et dénonciateur du

mot « populisme ».229 Voir « Sarkozy se gausse du populisme de Royal », in Libération, 28 octobre 2006.230 Voir « Les jurys de citoyens proposés par Mme Royal font ‘reculer la démocratie’, martèle l'UMP », in Le Monde, 23 octobre

2006 et « Les propos de Ségolène Royal troublent la gauche et réjouissent la droite », in Le Monde, 24 octobre 2006.231 Voir « Les bonnes recettes des femmes de l'UMP pour battre la candidate socialiste », in Le Figaro, 28 novembre 2006.232 Voir « Villepin déplore le règne du ‘populisme’ et de ‘l’image’ », in L’Humanité, 5 octobre 2006.233 Voir le discours de N. Sarkozy à Tours, le 10 avril 2007.234 P.A Taguieff, « le populisme et la science politique », in J. P Rioux, op cit., p. 19.

Page 46: Les usages du terme « populisme » dans la campagne ...doc.sciencespo-lyon.fr/.../MFE2007/.../ledroit_o.pdf · cette course électorale. Par ailleurs, force est de constater l’éruption

Les usages du terme « populisme » dans la campagne présidentielle de 2007 Du succès desutilisations stratégiques d’un mot équivoque

46 LEDROIT Orianne_2007

de son poste de secrétaire national du PS en charge de l’économie, avant de rejoindrel’équipe sarkozyste ; écrivant au passage un livre sans ambages, à l’égard de S. Royal235.La parution de cet ouvrage retentissant a fait l’objet d’une large couverture médiatique dontles principaux articles reprennent la citation d’E. Besson dans laquelle il vitupère contre « lepopulisme » de la candidate socialiste236, cultivant un possible esprit de vengeance.

Intéressons-nous désormais aux blâmes lancés par des personnalités de gauche àl’égard du candidat de la droite au moyen de l’utilisation du mot « populisme ». D’abord,nous pouvons évoquer ironiquement qu’E. Besson a aussi été partie prenante (indirecteil est vrai) de la stigmatisation de N. Sarkozy dans la mesure où, comme le rappellel’article de L’Humanité du 11 janvier 2007, c’est lui qui a présenté à la presse une « étuderéalisée à partir de travaux d’universitaires, de chercheurs, de politologues » et mettant« à nu les références idéologiques du ministre candidat » dénonçant « le populisme » decelui-ci237. Par ailleurs, des courants de la gauche non socialiste ont aussi jeté l’anathèmesur le candidat de droite durant cette bataille électorale. En effet, une mobilisation de la« gauche réformiste » a fait campagne contre le candidat UMP au travers notamment d’unfilm dont la première image se résume à l’inscription dévastatrice « Populiste, ultralibéral,démagogique, communautariste, sécuritaire, calculateur »238. En outre, le candidat dela Ligue Communiste Révolutionnaire fustige au soir de la victoire de N. Sarkozy « ladémagogie populiste utilisée dans cette campagne » par le candidat de la droite, craignanten contrecoup des « mesures antisociales, sécuritaires et antidémocratiques »239. Enfin,Grégory Roux, le secrétaire de la fédération CGT des cheminots (dont le rôle dans laconfédération syndicale nous permet de l’évoquer à proximité des forces de la « gauche anti-libérale ») stigmatise le « populisme » du leader de l’UMP dans un article de L’Humanité 240.

Achevons ce tableau des attaques provenant de la gauche en direction du candidatde l’UMP par les interventions de S. Royal. Reprenant les paroles de la candidate lors del’émission ‘A vous de juger’ sur France 2, un article du Figaro illustre la critique de celle-ci envers son rival de droite accusé de « draguer les voix populistes »241. La dénonciationavait été plus explicite lors du meeting à Tours (dont le discours est évoqué par un articledu Figaro) durant lequel la candidate a regretté « qu'au nom de je ne sais quel populisme,on dresse les fonctionnaires contre ceux qui ne sont pas fonctionnaires » 242, allusionévidente à son principal adversaire dont l’un des points du programme comprend le nonremplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite. Cet aspect du programmede N. Sarkozy a d’ailleurs fait l’objet de critiques véhémentes de la part de S. Royal dansun discours de notre corpus. En effet, elle s’en prend violemment à son adversaire dansle discours de Rennes :

235 Voir à ce sujet E. Besson, Qui connaît Madame Royal ?, Paris, Grasset et Fasquelle, 2007.236 Voir «Eric Besson ‘redoute’ la victoire de Royal », in Le Figaro, 15 mars 2007 ; « Un règlement de comptes à chaud », in

Le Monde, 17 mars 2007 et « Diatribe d’un déçu de ‘Madame Royal’ », in Le Monde, 17 mars 2007.237 Voir « Le PS démonte le sarkozysme », in L’Humanité, 11 janvier 2007.238 Voir « Une vidéo contre Nicolas Sarkozy, tête de pont d'une campagne sur Internet », in Le Monde, 31 octobre 2006.239 Voir « Nicolas Sarkozy élu à la présidence de la République à une large majorité », in Le Monde, 6 mai 2007 et « Olivier

Besancenot veut un ‘front unitaire’ contre Nicolas Sarkozy », in Le Monde, 6 mai 2007.240 Voir « Les retraites au régime spécieux », in L’Humanité, 7 février 2007.241 Voir « Royal se prépare à ‘l'épreuve’ du débat avec Sarkozy », in Le Figaro, 25 avril 2007.242 Voir « Au nom de ‘l'ordre juste’, Ségolène Royal se défend de tout laxisme », in Le Figaro, 29 mars 2007.

Page 47: Les usages du terme « populisme » dans la campagne ...doc.sciencespo-lyon.fr/.../MFE2007/.../ledroit_o.pdf · cette course électorale. Par ailleurs, force est de constater l’éruption

2ème partie : Le triomphe des usages polémiques et stratégiques du concept. Analyse desreprésentations cachées derrière ce mot : entre hyperdémocratisme, pseudo-démocratisme et

anti-démocratisme

LEDROIT Orianne_2007 47

« Et à ceux qui tentent d’opposer les uns aux autres, […] les fonctionnaires opposés auxsalariés du privé, [...]. Cette façon de faire, démagogique, est insupportable. Là se trouvele populisme. »243.

Ceci explicité, nous pouvons nous questionner sur l’attitude équivoque du journalistede Libération, A. Duhamel, durant la campagne. Effectivement, nombre des articles denotre corpus du quotidien sont des chroniques d’analyse de la bataille présidentielle, danslesquelles il livre ses inquiétudes, ses craintes quant à l’affadissement et à la dégradationdu débat public mais aussi décortique les percées du leader centriste F. Bayrou. Et c’estce point qui mérite réflexion. « L’éditorialiste politique le plus célèbre de France »244, s’estengagé en faveur du candidat béarnais lors d’une réunion à l’Institut d’Etudes Politiquesde Paris organisée par les jeunes de l’UDF, le 27 novembre 2006 ; lui valant, au passage,d’être notamment interdit d’antenne sur France 2 durant toute la campagne245 et ce, à partird’une décision de la direction de France Télévisions prise le 15 février. Pour autant, cetengagement favorable à F. Bayrou ne l’a pas empêché de stigmatiser, à deux reprises,les tendances « populistes » de celui-ci ; brossant néanmoins un tableau plutôt flatteur etgénéreux à l’égard de l’homme politique, considéré notamment comme le « dernier grand

orateur de la IIIe République encore en activité »246. D’une part, Bayrou et ses thématiques« anti-système » s’opposant à « l’oligarchie au pouvoir […] frisent le populisme »247. Etd’autre part, le leader centriste n’aurait pas « peur de frôler le populisme »248. Ainsi, n’allantpas jusqu’à penser que le terme ne pourrait être utilisé objectivement par un journalisteneutre se contentant de décrire une rhétorique particulière d’un candidat, ce constat minorela charge négative contenue dans le mot « populisme » et comprise du seul fait de l’identitéde l’émetteur.

2. Un désigné souvent gênantAu-delà de notre analyse précédente en vertu de laquelle l’indice de la connotationstigmatisante du mot « populisme » se trouve d’emblée dans la qualité de l’émetteur, etnotamment dans sa place au sein de la campagne et sa position dans le champ politiquefrançais, force est de constater que l’attaque par l’intermédiaire du mot « populisme »dépasse le traditionnel clivage droite-gauche. Aussi est-il donc indispensable d’étudier enprofondeur les rapports entretenus entre l’émetteur et le destinataire ainsi que l’identité dudésignant lui-même ; identité mise en relation avec la périodicité de la campagne.

En effet, nous observons, dans notre corpus, des articles qui reprennent des citations depersonnalités politiques socialistes attaquant S. Royal. En effet, lors de la primaire socialistequi a réellement débuté avec le premier débat télévisuel du 18 octobre, la député des Deux-Sèvres, qui n’était encore que candidate à l’investiture, a fait l’objet de critiques acerbes etrécurrentes de la part de ses concurrents socialistes notamment à propos de son idée dejurys populaires. Par exemple, la presse s’est largement fait l’écho des paroles de L. Fabiusà l’égard de la suggestion d’instaurer ces jurys au cours du second débat télévisé interne

243 Voir discours de S. Royal à Rennes, le 20 février 2007.244 Selon une formule extraite de « A. Duhamel. Les présidents passent, lui reste », in Le Monde, 7 février 2007.245 Voir à ce sujet « A. Duhamel suspendu pendant la campagne électorale », in Le Monde, 17 février 2007.246 Voir « Le mystère Bayrou », in Libération, 10 janvier 2007.247 Voir « François Bayrou invente l’extrême centre », in Libération, 29 novembre 2006.248 Voir « Le mystère Bayrou », op cit.

Page 48: Les usages du terme « populisme » dans la campagne ...doc.sciencespo-lyon.fr/.../MFE2007/.../ledroit_o.pdf · cette course électorale. Par ailleurs, force est de constater l’éruption

Les usages du terme « populisme » dans la campagne présidentielle de 2007 Du succès desutilisations stratégiques d’un mot équivoque

48 LEDROIT Orianne_2007

au PS ; lequel épinglait la candidate dans sa tentation d’ « épouser une forme de populisme

extrêmement dangereux qui ferait le lit de l'extrême droite» 249 . De la même façon, le

troisième candidat du PS, D. Strauss-Kahn a aussi brocardé la candidate de « populiste »,

comme le rappelle un article du Monde du 18 octobre 2006 250 . Dans le sillagede cette attaque, le président PS de la région Ile-de-France, J.P Huchon, a fustigé cetteproposition « la qualifiant de populiste » lors d’une intervention radiophonique sur FranceInter251. Ensuite, on peut convoquer les paroles de A. Montebourg, lequel fait directementpart des attaques internes dont il serait victime ainsi que S.Royal ; allant même jusqu’à citerdes noms de responsables :

« Son approche par la démocratie, la morale, me mettent très à l'aise, affirme ledéputé de Saône-et-Loire. Comme elle, on m'a traité de populiste - les mêmesd'ailleurs, Martine Aubry, Jean Glavany - parce que je traitais aussi de sujetsorphelins »252.

Enfin, il faut noter que les commentaires formulés immédiatement en réaction à la victoirede S. Royal pour l’investiture socialiste ont été particulièrement durs provenant dessympathisants des deux adversaires battus. En témoignent, par exemple, les propos d’unesupportrice de D. Strauss-Kahn, « Noémie Bauer, ‘très déçue’ de voir à quel point ‘la Franceest sensible aux discours populistes’ »253.

Ces différents énoncés témoignent du rapport particulier qu’a entretenu (et continued’entretenir) S. Royal avec son parti et soulignent une approche nouvelle de la politique quela candidate a prônée lors de cette campagne ; approche contre laquelle les « Eléphants »se sont soulevés de manière virulente, concentrant leurs dénonciations durant la campagnedes primaires. Après le triomphe de S. Royal au référendum interne le 16 novembre etson investiture en tant que candidate du PS à la présidentielle dix jours plus tard, lescritiques envers elle ont été plus timides de la part de ses adversaires directs qui canalisaientdésormais leur force contre N. Sarkozy. Cette périodicité transparaît clairement dans notreanalyse du traitement médiatique. Une belle illustration de ce retournement, et de l’évolutiondynamique de la campagne que nous analysons à travers l’usage du terme « populisme »,provient d’un article du Monde à mettre en relation avec les propos vigoureux de J.PHuchon contre S. Royal ; propos précédemment cités. En effet, dans cet article, le journalisterapporte la réaction sobre et mesurée de cet ancien rocardien dont le cœur balançait plusvolontiers du coté strauss-kahnien :

« Jean-Paul Huchon, cherchait lui aussi des motifs de satisfaction : « Le Parti socialistese réveille plus social-démocrate qu'il ne l'était », assurait-il, promettant de participer à lacampagne de Ségolène Royal « dans la mesure où elle le souhaitera ». « J'ai bien collé desaffiches pour Mitterrand, j'en collerai pour Ségolène, ce n'est pas un souci » »254.

Par ailleurs, outre les attaques internes au PS, les journaux se sont aussi fait l’écho depersonnalités de gauche jetant l’anathème sur S. Royal, en tant que candidate à l’investiture

249 Pour tous les articles reprenant cette citation,voir note n° 140.250 Voir « DSK dilettante repenti », in Le Monde, 18 octobre 2006.251 Voir « Jurys citoyens. Huchon parle de ‘populisme’ », in L’Humanité, 30 octobre 2006.

252 Voir « Ségolène Royal l'opiniomane », in Le Monde, 8 novembre 2006.253 Voir « ‘DSK’ voudrait enraciner son courant social-démocrate », in Le Monde, 18 novembre 2006.

254 « ‘ DSK’ voudrait enraciner son courant social-démocrate », ibid.

Page 49: Les usages du terme « populisme » dans la campagne ...doc.sciencespo-lyon.fr/.../MFE2007/.../ledroit_o.pdf · cette course électorale. Par ailleurs, force est de constater l’éruption

2ème partie : Le triomphe des usages polémiques et stratégiques du concept. Analyse desreprésentations cachées derrière ce mot : entre hyperdémocratisme, pseudo-démocratisme et

anti-démocratisme

LEDROIT Orianne_2007 49

d’abord puis postulante à la présidentielle. Ainsi réagissant au projet de jurys citoyens,F. Auguste dénonce la proximité de cette proposition avec le « populisme » ; rejetantles dérives de la candidate qui consisteraient à introduire de la défiance vis-à-vis desélus255. Les divers courants du rassemblement anti-libéral ne ménagent pas non plus lacandidate socialiste comme l’illustre la dénonciation cinglante de l’orientation « vers unlibéralisme autoritaire et un populisme moralisant »256 au sein du PS. En outre, CécileDuclos, responsable du parti des Verts, stigmatise :

« Il n'y a rien de pire qu'une gauche populiste qui déçoit »257.D’autre part, malgré la moindre importance des critiques internes à la droite (preuve possibled’une candidature sarkozyste autour de laquelle la plupart des personnalités de droite sesont sincèrement ou stratégiquement ralliées), nous pouvons quand même en évoquer laprésence à deux reprises dans le traitement médiatique. Tout d’abord, considérant queF. Bayrou peut encore être classé à droite de l’échiquier politique compte tenu de sonpassé politique et de ses participations antérieures aux seuls gouvernements de droite, unarticle de Libération fait état du reproche de G. de Robien, ancien lieutenant du candidatUDF, qualifiant son discours de « populiste » et refusant de soutenir la candidature de cedernier258. A ce sujet, nous pouvons rappeler que les critiques envers F. Bayrou ont été plusimportantes sur la période mars-avril (voir le graphique en Annexe n°7, p. XXXIV), marquantun traitement médiatique accru pour le candidat gagnant en visibilité et en popularité etdevenant ainsi un rival dangereux pour les deux autres principaux leaders en compétition, àsavoir N. Sarkozy et S. Royal. D’autre part, dans un article du Monde rédigé après l’électionprésidentielle, une journaliste extrapole au sujet des caractéristiques que J. Chirac pourraitévoquer à l’égard de son ancien ministre. Reprenant les adjectifs de « libéral, atlantiste etcommunautariste » déjà invoqués par le Président à propos de N. Sarkozy, la journaliste sepermet d’ajouter, dans le respect présumé de la logique et de la vision chiraquienne, le terme« populiste ». En effet, le Président aurait, selon elle, pu conclure de la sorte ce tableau noirdressé contre N. Sarkozy en raison de son attitude consistant à aller chercher les voix duFN, confirmée notamment par sa proposition de « ministère de l’immigration et de l’identiténationale ». Aussi, connaissant le lourd passé qui unit l’ancien chef du RPR et le nouveauprésident de l’UMP (passé chargé de « trahison », de « rupture » et d’opposition), et prenanten considération les efforts mis en œuvre par J. Chirac dans sa lutte contre la banalisationde l’extrême droite, le mot « populisme » prend ici toute sa signification disqualificatoire etblâmante. Ceci valide donc notre hypothèse selon laquelle l’étiquette dépréciative attachéeà l’usage du mot « populisme » peut se déduire de l’analyse du rapport entre désignantet désigné.

Enfin, quelquefois, l’absence d’un mot peut être aussi significative que la présencede celui-ci. Et le postulat présidant à notre réflexion sur les désignés met largement enévidence l’absence totale des petits candidats dans le traitement médiatique du corpusretenu. Exception faite d’un article de J. Julliard dans lequel il fustige la posture populiste d’A.Laguillier259. En effet, la course à la présidentielle serait « une épreuve d’un genre particulierque tous les participants n’ont pas une chance égale de gagner. Malgré le mythe gaulliste

255 « La démocratie participative, ce n’est pas la méfiance », in L’Humanité, 31 octobre 2006.256 Selon les propos de Christian Picquet, chef de file du courant minoritaire de la LCR. Voir « Ségolène Royal veut une

campagne ‘participative’, les antilibéraux cherchent à s'organiser », in Le Monde, 21 novembre 2006.257 « Voynet veut conjurer le ‘vote utile’ à gauche », in Le Figaro, 6 avril 2007.258 « Robien exclu de la classe », in Libération, 26 mars 2007.

259 « Ce centrisme imaginaire », in Libération, 14 mars 2007.

Page 50: Les usages du terme « populisme » dans la campagne ...doc.sciencespo-lyon.fr/.../MFE2007/.../ledroit_o.pdf · cette course électorale. Par ailleurs, force est de constater l’éruption

Les usages du terme « populisme » dans la campagne présidentielle de 2007 Du succès desutilisations stratégiques d’un mot équivoque

50 LEDROIT Orianne_2007

de la rencontre entre un homme et un peuple, chacun sait que certaines candidatures sontde témoignage, et d’autres plus ambitieuses »260. Les gros candidats (lire ici N. Sarkozy, S.Royal et F. Bayrou ; J.M Le Pen faisant l’objet d’une explication spécifique ci-après) ignorentdonc les outsiders et « se critiquent entre eux »261.

Ainsi la preuve de la force péjorative du mot « populisme » se déduit-elle de lacompréhension des rapports qu’entretiennent le désigné et le désignant, rapports qui sedoivent d’être forcément resitués dans la dynamique temporelle de la campagne. L’emploidu mot vise le plus souvent un adversaire direct gênant, concurrent réel et non virtuel.Cette hypothèse est parfaitement illustrée par l’étude des comportements des personnalitéspolitiques socialistes à l’égard de S. Royal.

3. Le paradoxe du Front nationalPoursuivant notre réflexion sur les usages dégradants du mot « populisme » dans lacampagne, nous nous heurtons à un paradoxe singulier concernant le Front national etson leader J.M Le Pen. En effet, nous venons de voir que le terme servait à disqualifierun adversaire en dénonçant une pratique ou un discours inacceptables. Or, l’étude desusages du mot dans le langage frontiste et dans le traitement médiatique du FN lors de cettecampagne met en évidence un retournement dans l’utilisation du label « populisme » dansun sens positif. Approfondissons cette originalité.

Dans son discours du Bourget, J.M Le Pen se revendique fièrement d’un « populisme »qui « en transcendant la gauche et la droite […] n’aspire qu’à la réconciliation des Françaispar la reprise en main de leur destin »262. Et celui-ci de préciser : « ce populisme […] qu’ilsexècrent », prenant à parti les « pseudo-élites ». De la même manière, il décide, lors dudiscours de Marseille, d’inscrire son action et ses propos dans le mouvement de la « droitepopuliste » européenne qui gagne en importance et en poids politique263.

Cette auto-qualification positive en tant que « populiste » n’est pas une nouveautéde la campagne présidentielle. Il nous parait dès lors judicieux et éclairant de retracer ceprocessus de conquête du mot par le leader du Front national264. En effet, dans le sillagede ce qu’évoquait Clifford Geertz au sujet du terme « idéologie » qui serait « lui-mêmedevenu idéologique »265, P.-A Taguieff retrace l’appropriation par le « discours populiste »du mot « populisme » qui serait ainsi « devenu un terme populiste »266. Le FN a donc mis

260 Voir Denis Bertrand, Alexandre Dézé et Jean Louis Missika, Parler pour gagner. Sémiotique des discours de campagneprésidentielle de 2007, Paris, Les presses de Sciences Po, Nouveaux débats, 2007, p. 96.

261 Voir D. Bertrand, A. Dézé et J.L Missika, ibid, p. 97.262 Voir Discours de Jean-Marie Le Pen au Bourget, le 12 novembre 2006 ; et voir aussi « Au Bourget, le chef du FN tente de

séduire les petits patrons, les ouvriers et les fonctionnaires », in Le Monde, 14 novembre 2006.263 Voir le discours de J.M Le Pen à Marseille, le 3 mars 2007. On peut d’ailleurs rappeler qu’un seul mouvement politique en

France prend le nom de « parti populiste ». Créé par des dissidents du FN et du MNR, celui-ci a rejoint l’Union Patriotique de J.M LePen dans le but de rassembler au-delà de son propre camp pour la bataille présidentielle. Voir à ce sujet « M. Le Pen mise sur unecampagne audiovisuelle avec sa fille », in Le Monde, 6 février 2007.

264 Pour plus de précisions sur le Front national, voir E. Lecoeur, Un néo-populisme à la française. Trente ans de FN, op cit.et aussi Voir M. Souchard, S. Wahnich, I. Cuminal et V. Wathier, Le Pen, les mots. Analyse d’un discours d’extrême-droite, op cit.

265 C. Geertz, « L’idéologie comme système culturel » [1973], tr. fr. Daniel Cefaï, dans D. Cefaï (dir.), Cultures politiques, Paris,PUF, 2001, p. 35 cité in P.-A. Taguieff, L’Illusion populiste, op cit., p. 244.

266 P.-A. Taguieff, L’Illusion populiste,ibid, p. 244-245.

Page 51: Les usages du terme « populisme » dans la campagne ...doc.sciencespo-lyon.fr/.../MFE2007/.../ledroit_o.pdf · cette course électorale. Par ailleurs, force est de constater l’éruption

2ème partie : Le triomphe des usages polémiques et stratégiques du concept. Analyse desreprésentations cachées derrière ce mot : entre hyperdémocratisme, pseudo-démocratisme et

anti-démocratisme

LEDROIT Orianne_2007 51

à « l’œuvre une stratégie discursive de réappropriation positive d’un terme polémique, afind’en neutraliser la polémicité »267. Vers le milieu des années 1990, les dirigeants lepénistesont « non seulement accepté l’étiquette « populiste/populisme », mais ils l’ont assuméeglorieusement, en tant qu’auto-désignation positive »268. Aussi Bruno Mégret affirme-t-il enmars 1988 :

« Jean-Marie Le Pen doit rester lui-même. Il doit en particulier rester proche dupeuple et conserver ce coté ‘populiste’ qu’il est le seul à exprimer sur la scènepolitique »269.

Et J.-P. Stirbois de poursuivre :« Allons ensemble vers ces Français et faisons confiance au discours populistede notre président : la meilleure ouverture se fera à la base »270.

Suivant la voie entamée par ces deux dirigeants lepénistes, l’université d’été du Frontnational de la jeunesse (FNJ), qui a lieu du 15 au 22 juillet 1994, officialise explicitement« le retournement du terme » ; cette redéfinition claire se trouvant dans l’intitulé durassemblement : « Populiste et fier de l’être ». Dans la même veine, Samuel Maréchal,directeur national du FNJ affirme :

« L’histoire est pleine de ces mots repris par ceux à qui on les avait lancés et transformésdu même coup en bannière. On nous a traités de fascistes, d’extrémistes de droite…aujourd’hui, prenons la balle populiste au bond ! 271 »

A noter que J.-M. Le Pen ne reprend en personne le qualificatif de « populiste » qu’àpartir de 1994, après l’avoir « dépéjoré, lavé de ses connotations négatives »272. Aussiannonce-t-il une « République populiste » lors de la fête des « Bleu-Blanc-Rouge » enseptembre 1994 :

« Vive la VIe République à construire avec le septennat de 1995-2002 et bien sûrl’approbation du peuple français par référendum. Que sera cette République ?[…] Une République populiste, mais oui populiste […] »273

Ainsi, le lecteur se trouve informé au sujet du processus d’intégration du mot « populisme »dans le discours frontiste. Ce mot est donc sujet à un usage valorisant spécifique au leaderdu Front national. En témoigne, par exemple, les propos tenus au Bourget ainsi qu’à Nicepar J.-M. Le Pen. Après avoir suggéré ce que le « populisme » signifierait pour les « pseudo-élites », il pose sa propre définition positive du mot ; terme qui consisterait « en l’amour et

267 P.-A. Taguieff, L’Illusion populiste, ibid, p. 244.268 P.-A. Taguieff, L’Illusion populiste, op cit., p. 248.

269 Bruno Mégret cité par J-P Stirbois, Tonnerre de Dreux. L’avenir nous appartient, Paris, Editions National-Hebdo, 1988,

p. 162 cité dans P.-A. Taguieff, L’Illusion populiste, ibid, p. 248-249.270 J-P Stirbois, ibid, p. 163.

271 Voir S. Maréchal, « Populiste : le débat », Présent, n° 3168, 17 septembre 1994, in P.-A. Taguieff, L’Illusion populiste, opcit., p. 258.

272 P.-A. Taguieff, L’Illusion populiste, ibid, p. 258.273 J.-M. Le Pen, dans National-Hebdo, 15 septembre 1994 ; passage cité dans M. Souchard, S. Wahnich, I. Cuminal et V.

Wathier, op cit., p. 138-139.

Page 52: Les usages du terme « populisme » dans la campagne ...doc.sciencespo-lyon.fr/.../MFE2007/.../ledroit_o.pdf · cette course électorale. Par ailleurs, force est de constater l’éruption

Les usages du terme « populisme » dans la campagne présidentielle de 2007 Du succès desutilisations stratégiques d’un mot équivoque

52 LEDROIT Orianne_2007

[la] défense des intérêts du peuple »274. En outre, il se détache d’une utilisation péjorantedu mot, marquant ainsi sa distance avec la connotation ordinaire de ce terme et légitimantsa réappropriation :

« Derrière les effets d’estrade et les discours bien léchés, ils regardent toujoursavec un mépris dégoûté les millions de Français qui vivent, souvent difficilement,loin des beaux quartiers, sans prendre garde à leur colère qui gronde, et qu’ilsqualifient avec dédain de populisme »275.

On peut, dès lors, se demander quelle est la signification de la faiblesse du nombre d’articlesdu corpus dans lesquels nous retrouvons une stigmatisation des discours lepénistes sousl’étiquette de « populistes ». En effet, nous n’enregistrons dans l’ensemble de notre recueilque 15 articles dans lesquels le chef du Front national est dénoncé comme « populiste »276.Ce phénomène s’explique-t-il par ce retournement sémantique opéré par l’homme politiquelui-même ? Et, traiter J.M Le Pen de « populiste » équivaudrait-il, dès lors, à validercette étiquette qu’il s’est réapproprié de manière positive ? Au contraire, ne serait-il pasaussi possible de voir dans ce constat quantitatif un moindre traitement médiatique dela campagne du candidat, campagne généralement moins mouvementée que celles deses concurrents. Difficile de trancher. Par contre, alors que pour les autres candidats, lescritiques de populisme provenaient souvent des reprises de propos d’autres personnalitéspolitiques, force est ici de constater que les dénonciations à l’endroit de Le Pen sonteffectuées directement par les journalistes ou commentateurs extérieurs (exception faitede deux occurrences pour lesquelles les journalistes citent un étudiant et un secrétaire desection PS du Nord277). Dessinent-elles un consensus intellectuel et journalistique sur leFront national ? Nous ébaucherons quelques tentatives de réponses dans la suite de larecherche.

La bataille électorale est une lutte dans laquelle les mots tiennent une place primordialeet possèdent une force disqualificatoire ou au contraire élogieuse extraordinaire. On peutciter à ce sujet J.M Le Pen affirmant que « comme toujours et plus que jamais, la politique[est] d’abord et avant tout une guerre du langage, une guerre des signes, une guerre desmodèles, des symboles »278.

Ainsi, nous avons mis en évidence le fait que la force de l’attaque au moyen du mot« populisme » peut être comprise par la simple étude des émetteurs (de leurs identitéset plus précisément de leur affinités ou même de leurs positionnements politiques), desdestinataires et de leurs places dans la campagne ; exception faite du candidat frontiste quis’inscrit dans un rapport particulier à la notion de « populisme ». Le retournement du labelpopuliste comme auto-qualification positive du FN force à nous intéresser aux réalités quele mot véhicule. Effectivement, en dépit du fait que le leader frontiste endosse fièrementcette appellation, il en fait aussi un usage disqualifiant à l’égard de ses adversaires lors decette campagne. Par exemple, selon un article du Monde, le candidat a fustigé, dans undéplacement en Indre-et-Loire, le « populisme » des candidats des deux grands partis de

274 Voir le discours de J.-M. Le Pen au Bourget, le 12 novembre 2006.275 Voir le discours de J.-M. Le Pen à Nice, le 19 avril 2007.276 Voir par exemple « Le discours à la loupe », in Le Figaro, 8 mars 2007 ; « Si la dissidence électorale augmente, elle ébranlera lesystème », op cit. ; « Bayrou, cathodique pratiquant », op cit. ; ou encore « La stratégie des candidats à trois semaines du but », op cit.277 Voir « Les étudiants et Sarkozy », in L’humanité, 5 septembre 2006 et « Semaine anti-Le Pen », in Le Monde, 25-26 avril 2007.

278 J.-M. Le Pen, « J’accèderai au pouvoir par la voir démocratique » (entretien avec Philippe Giraud et Nicolas Kessler),Aspects de la France, n° 220, 10 octobre 1991, p.9, in P.-A. Taguieff, L’Illusion populiste, op cit., p. 250.

Page 53: Les usages du terme « populisme » dans la campagne ...doc.sciencespo-lyon.fr/.../MFE2007/.../ledroit_o.pdf · cette course électorale. Par ailleurs, force est de constater l’éruption

2ème partie : Le triomphe des usages polémiques et stratégiques du concept. Analyse desreprésentations cachées derrière ce mot : entre hyperdémocratisme, pseudo-démocratisme et

anti-démocratisme

LEDROIT Orianne_2007 53

gouvernement que sont le PS et l’UMP279. Ainsi, y aurait-il plusieurs dimensions dans lepopulisme ? L’ambiguïté constitutive du terme que nous avons mise en évidence dans lapremière partie de notre réflexion resurgit à ce stade de l’explication. En outre, il ne fautpas oublier que certains emplois dans les articles ou les discours du recueil ne peuvent êtreexplicités en se cantonnant à cette analyse des désignants et des désignés. Il faut, pourrendre intelligible les usages du mot « populisme », porter son attention sur l’environnementlexical (entendu au sens large du discours ou de l’article entier), afin de mettre en évidencedes récurrences au sein même des textes, et des continuités transversales aux textes.

II) Au-delà de la force péjorante du mot lui-mêmeAprès avoir réfléchi sur les modalités (désignant, désigné et contexte temporel) del’énonciation du mot en tant que tel afin d’éclairer la charge dégradante que contient le motlui-même, nous allons désormais déchiffrer notre objet d’étude en détaillant l’environnementlexical du mot. En effet, même si le mot peut agir tout seul (la charge négative étantalors saisie au moyen de l’analyse des rapports entre émetteur et destinataire selon unepériodicité établie), les divers champs lexicaux présents autour du terme offrent une entréealternative à la compréhension du fonctionnement de « populisme » dans l’argumentairejournalistique ou politique. Quelles sont les continuités dans l’entourage lexical du mot« populisme » que nous avons repérées dans l’ensemble de notre corpus ? Dans quellesmesures participent-elles à un usage péjoratif du mot ? Dans la première partie de notreétude, le flou du mot « populisme » a été grandement souligné. Et c’est gardant à l’espritce désordre sémantique que nous allons analyser les différents environnements lexicauxdu mot.

1. Des verbes introductifs dénonciateursTout d’abord, les verbes introduisant dans les articles de journaux des citations danslesquelles se trouve le mot « populisme » sont significatifs de la charge disqualificatoire duterme. Afin d’éviter tout catalogue indigeste, nous nous proposons de faire une typologiedes verbes introductifs repérés dans notre corpus en fonction du registre dans lequel ilspeuvent s’inscrire.

Registre des verbes introductifs ExemplesRegistre de la dépréciation (13) « traiter » (4), « qualifier avec dédain » (1), « taxer » (8)Registre de la désapprobation(8)

« reprocher » (4), « jeter l’anathème » (1), « réagir » (1),« crier » (2)

Registre du regret (1) « déplorer » (1)Registre de la dérision, de lamoquerie (1)

« brocarder » (1)

Registre de la culpabilisation(10)

« accuser » (9), « dénoncer » (1)

Registre de la critique violente(8)

« asséner » (2), « attaquer » (1), « fustiger » (2), « faireassaut » (1), « exécrer » (1), « étriller » (1)

279 Voir « Jean-Marie Le Pen prône un ‘matin des paysans’ contre les ‘abattoirs de la mondialisation’ », in Le Monde, 30octobre 2006.

Page 54: Les usages du terme « populisme » dans la campagne ...doc.sciencespo-lyon.fr/.../MFE2007/.../ledroit_o.pdf · cette course électorale. Par ailleurs, force est de constater l’éruption

Les usages du terme « populisme » dans la campagne présidentielle de 2007 Du succès desutilisations stratégiques d’un mot équivoque

54 LEDROIT Orianne_2007

Nous devons préciser d’emblée que les chiffres entre parenthèses correspondent auxnombres d’occurrences du mot ou du registre observés dans notre recueil. Force est deconstater l’importance du registre de la simple dépréciation comme si le mot « populisme »lui-même suffisait déjà à apporter la preuve de la force de l’attaque. Preuve en estéventuellement faite par une analyse des émetteurs. En effet, les verbes dépréciatifs quesont « traiter » et « taxer » sont majoritairement utilisés par des personnalités politiquesdans les articles les citant ou directement dans leur discours. A l’inverse, le terme véhément« asséner » est employé, à chaque fois, par le journaliste qui voudrait, de la sorte, connoterla citation elle-même d’une forte animosité280. Au contraire, le peu d’occurrences dans leregistre de la dérision marquerait peut-être le sérieux d’une telle accusation281.

Nous pouvons illustrer brièvement cette analyse par quelques extraits, en évitant detomber dans le piège de la liste confuse et inintéressante pour l’analyse.

S. Royal rappelle des attaques reçues personnellement:«On m'a traitée de populiste. (...) Mais les gens veulent savoir au nom de quoinous décidons»282.

Et Montebourg de rajouter :

« Comme elle, on m'a traité de populiste »283 .De plus, N. Sarkozy fait un usage récurrent du terme « taxer » comme verbe introducteurdu « populisme ». Il répète, en effet, dans ses discours :

« Vous en avez assez que l’on ne puisse pas évoquer la France qui souffre sansêtre immédiatement taxé de populisme »284.

Ou encore :« Pendant des décennies, celui qui s'aventurait à prononcer le mot « immigration» se voyait taxé d'extrémisme, de populisme, voire de racisme »285.

Dans le registre de la désapprobation, on peut évoquer le terme de « réagir » qui introduit,dans un article du Monde, la formule de L. Fabius à l’égard de la proposition de juryspopulaires ; formule selon laquelle « il ne faut surtout pas épouser une sorte de populismequi serait extrêmement dangereux et qui ferait le lit de l’extrême droite ». L’emploi du verbe« réagir » par le journaliste peut être compris dans un double sens soit en tant que réaction,réponse à un propos tenu, soit au sens de désaccord et donc de prise de distance ; ladeuxième signification précisant la première. Ainsi, le journaliste souligne-t-il, au moyen duseul verbe introductif, le rejet par le candidat à l’investiture du PS de la suggestion de sonadversaire au sein de la primaire socialiste ; confirmant de la sorte la force dégradante dumot « populisme »286.

280 Voir « Les étudiants et Sarkozy », in Libération, 5 septembre 2006 ; et voir « Bayrou cathodique pratiquant », in Libération,10 mars 2007.

281 « Jurys citoyens. Huchon parle de ‘populisme’ », in L’Humanité, 30 octobre 2006.282 Voir «Le dialogue avec le peuple» selon Royal », in Libération, 23 octobre 2006.283 Voir « Ségolène Royal l'opiniomane », in Le Monde, 8 novembre 2006.284 Voir les discours de N. Sarkozy à Villebon-sur-Yvette, le 20 mars 2007 ; à Lille, le 28 mars 2007; à Lorient, le 3 avril

2007; à Meaux, le 13 avril 2007 et enfin à Clermont-Ferrand, le 27 avril 2007.285 Voir la Conférence de presse de N. Sarkozy, le 11 décembre 2006.286 Voir « PS : Le débat s’organise autour des propositions de Ségolène Royal », in Le Monde, 26 octobre 2006.

Page 55: Les usages du terme « populisme » dans la campagne ...doc.sciencespo-lyon.fr/.../MFE2007/.../ledroit_o.pdf · cette course électorale. Par ailleurs, force est de constater l’éruption

2ème partie : Le triomphe des usages polémiques et stratégiques du concept. Analyse desreprésentations cachées derrière ce mot : entre hyperdémocratisme, pseudo-démocratisme et

anti-démocratisme

LEDROIT Orianne_2007 55

Enfin, nous pouvons remarquer que les verbes qui mobilisent le registre de ladénonciation virulente s’inscrivent majoritairement dans un contexte lexical particulier ainsique dans une situation d’énonciation qui viennent conforter voire expliquer cet emploi. Eneffet, cette catégorie de verbes est convoquée par un journaliste pour expliciter les diatribesde J.M Le Pen à l’encontre des deux principaux candidats :

« Le plus vieux des candidats à la présidentielle, qui a fustigé le même jour le‘populisme’ de Ségolène Royal et de Nicolas Sarkozy […] »287.

Dans la même veine, le leader frontiste utilise lui-même un verbe du registre de lavéhémence pour qualifier l’attitude des « pseudo-élites » à l’égard du populisme :

« Ce populisme - qui signifie d’abord amour et défense des intérêts du peuple -qu’ils exècrent, qui leur fait peur, puisqu’en transcendant la gauche et la droite,il n’aspire qu’à la réconciliation des Français par la reprise en main de leurdestin »288.

De la même façon, le verbe « attaquer » qui dépend, dans notre typologisation, du registrede la dénonciation avec violence est exploité par un journaliste citant les propos de S. Royalà l’endroit de N. Sarkozy ; propos dont nous devinons la force et la teneur :

« «Trouver des explications faciles et démagogiques en pointant du doigtl'autorité judiciaire, c'est basculer dans une forme de populisme», a-t-elleattaqué »289.

Ainsi, tous ces verbes fonctionnent de manière claire dans le domaine de la condamnationou, de manière plus neutre, de la critique, mobilisant pour chacun un registre spécifique etvenant expliciter l’usage disqualifiant du mot « populisme ».

En outre, certains verbes à proximité du mot traduisent aussi cette connotationnégative apportant une précision sur le mot « populisme ». En effet, la plupart de ces verbestendraient à affirmer une sorte de faiblesse coupable dans le recours à une telle attitude ouà un tel discours. Ainsi remarquons-nous pêle-mêle les formes verbales « abandonner » ou« s’abandonner », ou encore « basculer », « cèder » et même « se dégrader dans ». Lepopulisme serait donc un signe de défaillance, d’affaiblissement, une facilité qui emporte.En effet, pour A. Duhamel, « la campagne télévisée […] n’a cessé de s’abandonner aupopulisme ambiant »290. Dans la même logique, Royal dénonce le comportement de N.Sarkozy qui consisterait à « basculer dans une forme de populisme»291. En outre, nouspouvons relever la récurrence du terme « céder ».

Pour certains :

« Tous ne cèdent pas aux sirènes du populisme »292.Mais pour d’autres, moins optimistes :

287 Voir « Jean-Marie Le Pen prône un ‘matin des paysans’ contre les ‘abattoirs de la mondialisation’ », in Le Monde, 30octobre 2006.288 Voir le discours de J.M Le Pen au Bourget, le 12 novembre 2006.289 Voir « ‘Le dialogue avec le peuple’ selon Royal », in Libération, 23 octobre 2006.

290 Voir « Présidentielle, la perplexité française », in Libération, 4 avril 2007.291 Voir « ‘Le dialogue avec le peuple’ selon Royal », in Libération, 23 octobre 2006.292 Voir « La grande désillusion des salariés électeurs », in L’Humanité, 27 avril 2007.

Page 56: Les usages du terme « populisme » dans la campagne ...doc.sciencespo-lyon.fr/.../MFE2007/.../ledroit_o.pdf · cette course électorale. Par ailleurs, force est de constater l’éruption

Les usages du terme « populisme » dans la campagne présidentielle de 2007 Du succès desutilisations stratégiques d’un mot équivoque

56 LEDROIT Orianne_2007

« […] tous les candidats cèdent à des tentations populistes […]»293.Dès lors, quelques-uns sont tentés tel Eric Chaney :

« […]d’implorer les candidats de ne pas céder au «populisme»294.Et de ne pas, selon les propres mots de N. Sarkozy :

« dégrader la politique dans le populisme »295.Pour autant, cette démission de la volonté voire cette lâcheté n’apparaît pas irrémédiablepour certains comme D. de Villepin qui se « refuse à considérer qu’il y a une fatalité à ceque l’emportent la démagogie, le populisme, l’image »296.

D’ailleurs, nous pouvons rajouter que le constat d’une forme de populisme est souventconsidéré comme une tendance à s’en rapprocher plus qu’à une totale assimilation. En effet,A. Duhamel considère, par exemple, que les discours de F. Bayrou « frisent »297 voire vontjusqu’à « frôler le populisme»298. De la même façon, un journaliste de L’Humanité suggèreque le candidat centriste « change de registre pour verser dans un populisme bon teint »299.

2. Populisme et démagogieUn constat s’est imposé de manière évidente durant notre analyse. Le mot « démagogie »apparaît de façon récurrente à proximité du mot « populisme »300. Aussi pouvons-nous nousquestionner sur les relations qu’entretiennent ces deux concepts : Sont-ils synonymes ?Sont-ils substituables ? Fonctionnent-ils de la même manière ?

D’emblée, la proximité dans le fonctionnement de ces deux termes s’affirme. En effet,tout comme le mot « populisme », le mot « démagogie » est souvent utilisé dans uneoptique dégradante, sans précision définitionnelle ou sémantique complémentaire. En effet,l’émetteur peut attaquer un destinataire contre lequel il s’oppose avec ces deux termes. Parexemple, un article très critique du journal L’Humanité vis-à-vis de N. Sarkozy le dénoncecomme utilisant « démagogie et populisme », sans autre explication sémantique301. Lelecteur saisit, néanmoins, de suite la force dépréciative virulente de ces deux termes comptetenu de l’identité de l’émetteur ainsi que de l’ensemble des propos tenus, dans l’article, àl’égard du désigné.

En outre, le coté négatif du mot seul transparaît aussi à la lumière du lexiqueenvironnant ; nous permettant de saisir les ressorts d’un tel usage, étant entendu que

293 Voir « L’équilibre entre capacité et proximité a été rompu », in Le Monde, Supplément spécial, op cit., 22 mars 2007.294 Voir « Le droit au sérieux opposable », in Le Monde, 7 janvier 2007.295 Voir Discours de N. Sarkozy à Montpellier, le 3 mai 2007.296 Voir « Villepin déplore le règne du ‘populisme’ et de ‘l’image’, in L’Humanité, 5 octobre 2006.

297 Voir « François Bayrou invente l'extrême centre », in Libération, 29 novembre 2006. De la même façon, on retrouve, dansun article de Courrier International, l’expression « flirter » : « Monsieur ‘c’est moi qui commande’ », El Pais, in le Dossier « Tout le malqu’ils pensent de Sarkozy et de Ségolène (sans oublier Bayrou) », Courrier International, n° 854 du 15 au 21 mars 2007, p. 15.

298 Voir « Le mystère Bayrou », in Libération, 10 janvier 2007.299 Voir « Les mensonges au Zénith », in L’Humanité, 23 mars 2007.

300 Voir à ce sujet l’Annexe n°8.301 Voir « Une droite dure s’installe à l’Élysée », in L’humanité, 7 mai 2007. Voir aussi à « Populisme et guerre à droite », in

L’Humanité, 25 septembre 2006 et encore « Le moment social-démocrate », in Le Monde, 13 octobre 2006.

Page 57: Les usages du terme « populisme » dans la campagne ...doc.sciencespo-lyon.fr/.../MFE2007/.../ledroit_o.pdf · cette course électorale. Par ailleurs, force est de constater l’éruption

2ème partie : Le triomphe des usages polémiques et stratégiques du concept. Analyse desreprésentations cachées derrière ce mot : entre hyperdémocratisme, pseudo-démocratisme et

anti-démocratisme

LEDROIT Orianne_2007 57

les deux mots ne sont pas explicitement détaillés dans l’article correspondant. En effet,comme nous venons de le voir précédemment avec le terme « populisme » seul, lesverbes introductifs des mots « démagogie » et « populisme » sont chargés en connotationdépréciative. Nous retrouvons par exemple les termes « accuser »302, « attaquer »303,« faire assaut de »304, et « étriller de »305. A noter, néanmoins, que dans les discours deN. Sarkozy, le terme « démagogie » est introduit par un verbe s’inscrivant dans le registrede la culpabilisation (« accuser ») alors que pour le mot « populisme », le candidat utiliseun verbe du domaine de la dépréciation seule (à savoir « taxer »). Aussi serait-il possiblede voir une différence de degré dans la dénonciation. De la même façon, les mots adjointsaux termes « populisme » et « démagogie » traduisent ce coté négatif. C’est le cas, parexemple, de l’adjectif « fâcheuse »306 pour qualifier la « démagogie ». D’ailleurs, ainsi quenous l’avons vu plus haut avec le terme « populisme », certains articles (utilisant le terme« populisme » à proximité) décrivent seulement la démagogie comme une tendance, uneinclination prononcée307.

Nous pouvons, enfin, ajouter que la force négative de ces deux mots se renforcemutuellement dans l’emploi d’une expression convoquant ensemble les deux notions. Ainsien est-il d’une attaque de O. Besancenot fustigeant, le soir du deuxième tour électoral,« la démagogie populiste » de N. Sarkozy308. Les deux mots viendraient alors seconforter dans leur dénonciation virulente des pratiques et des discours du désigné. Entémoigne, par exemple, l’accumulation des termes « populiste, ultralibéral, démagogique,communautariste, sécuritaire, calculateur » à l’endroit de N. Sarkozy; tous ces mots étantperçus négativement par les émetteurs en raison de leur positionnement idéologique ausein d’une « gauche réformiste » (certains termes ayant d’ailleurs aussi une connotation trèspéjorante dans l’imaginaire français tout entier comme c’est le cas de « communautariste »en raison d’un idéal français d’intégration-assimilation des populations étrangères ou encore« d’ultra-libéral » dans un pays de tradition étatiste forte)309.

De plus, quand ils ne sont pas utilisés comme une critique adressée à l’encontrede personnalités politiques précises, les mots « démagogie » et « populisme » serventà détailler les aspects d’une situation critique et dégradée de la vie politique française.En effet, à l’image de S. Royal évoquant « le populisme, cette maladie des démocratiesaffaiblies, cette démagogie qui flatte les pulsions et endort la raison »310, un député

302 Voir « La synthèse libérale et ferme du candidat de l'UMP », in Libération, 12 février 2007 ; voir aussi les discours de N.Sarkozy du 20 mars 2007, du 28 mars 2007, du 3 avril 2007, du 27 avril 2007 et du 3 mai 2007.

303 Voir «’Le dialogue avec le peuple’ selon Royal », in Libération, 23 octobre 2006.304 Voir « Sarkozy distribue les promesses », in L’humanité, 19 décembre 2006.305 Voir « A. Duhamel. Les présidents passent, lui reste », in Le Monde, 7 février 2007.306 Voir « Impressions de campagne PS », in Libération, 15 novembre 2006.307 Voir « F. Bayrou invente l’extrême centre », in Libération, 29 novembre 2006 ; voir aussi « Impressions de campagne PS »,

in Libération, 15 novembre 2006.308 Voir « Olivier Besancenot veut un ‘front unitaire’ contre Nicolas Sarkozy » et « Nicolas Sarkozy élu à la présidence de

la République à une large majorité », in Le Monde, 6 mai 2007. Dans la même logique, voir les propos de V. Pécresse contre laproposition de jurys populaires de S. Royal «C'est une proposition démagogique et populiste », in « Les jurys de citoyens proposéspar Mme Royal font ‘reculer la démocratie’, martèle l'UMP », in Le Monde, 23 octobre 2006.

309 Voir « Une vidéo contre Nicolas Sarkozy, tête de pont d'une campagne sur Internet », in Le Monde, 30 octobre 2006.310 Voir le débat interne à Toulouse du 9 novembre 2006.

Page 58: Les usages du terme « populisme » dans la campagne ...doc.sciencespo-lyon.fr/.../MFE2007/.../ledroit_o.pdf · cette course électorale. Par ailleurs, force est de constater l’éruption

Les usages du terme « populisme » dans la campagne présidentielle de 2007 Du succès desutilisations stratégiques d’un mot équivoque

58 LEDROIT Orianne_2007

travailliste britannique constate (sans utiliser le terme « démagogie » mais en recourant àson antonyme « pédagogie ») que :

« la campagne électorale devrait être l'occasion privilégiée d'un effortpédagogique. Au lieu de quoi, on assiste à un retour en force du populisme »311.

Dans le sillage de ce constat, M. Wieviorka signale que, pour lui, « la campagne a d'abordété people, puis démagogique et populiste, et enfin sérieuse »312. Et tout comme l’analyseprécédente des verbes introduisant l’utilisation du mot « populisme » laissait entrevoir, ladémagogie est aussi envisagée comme une lâcheté facile, un abandon, une complaisanceintellectuelle313 dans laquelle on pourrait « sombrer »314.

Pour autant, ces deux termes seraient quelquefois utilisés de manière proche maisnon équivalente afin de nommer deux caractéristiques distinctes mais conjointes, symbolesde l’altération de la politique et d’un « recul de la démocratie » actuelle315. En effet, cesdeux mots ont un usage descriptif des dysfonctionnements actuels en matière politique.Cependant, pour la plupart des textes du corpus, ils ne caractérisent pas exactement lesmêmes défaillances. Pour illustrer ceci, A. Duhamel nous rappelle que la politique esten proie « aux populismes d’extrême droite et d’extrême gauche ». Dans le sillage duconstat de cette menace pour la politique, il dénonce la « démagogie » pratiquée par lespolitiques et envisagée comme un danger pour l’opinion316. Et le journaliste de poursuivredans une autre chronique : « C’est en effet la victoire […] de la démagogie sur la pédagogie,donc finalement du populisme sur la démocratie »317. Ainsi, ne recouvrant pas les mêmesréalités, les deux mots se retrouvent néanmoins dans une dénonciation commune d’unphénomène négatif pour la vie politique et la démocratie auquel on ne serait pourtant pascondamné318. Les usages des mots « démagogie » et « populisme » traduiraient la fin d’unevision de la politique comme art dans « l’utilisation du temps et de la ruse, comme l’ontthéorisé déjà les dirigeants des Républiques italiennes de la Renaissance »319 .

Par ailleurs, les deux notions s’inscriraient dans le domaine du langage. En effet, A.Duhamel précise que la démagogie consiste en une « habileté » langagière320. De la mêmefaçon, pour D. Bègles, la « démagogie » et « le populisme » sont « érigés en art oratoire »321.Aussi, D. Voynet affirme-t-elle au sujet de N. Hulot :

311 Voir « Sacrifier les vaches sacrées », in Le Figaro, 16 avril 2007.312 Voir « Michel Wieviorka : ‘On peut parler d'un retour du politique dans cette campagne électorale’ », in Le Monde, 10 mai 2007.313 Voir à ce sujet « La nostalgie Jospin », in Libération, 4 octobre 2006 ; et « Place de la concorde », in Le Figaro, 16 mars 2007.314 Voir « 2007 : les sondages dicteront-ils les élections ? », in L’Humanité, 6 janvier 2007.

315 Voir « Les jurys de citoyens proposés par Mme Royal font ‘reculer la démocratie’, martèle l'UMP », in Le Monde, 23 octobre2006.

316 Voir « La nostalgie Jospin », in Libération, 4 octobre 2006.317 Voir « La démocratie d'opinion triomphe », in Libération, 11 avril 2007.318 Voir « La contagion du populisme », in Libération, 8 novembre 2006 ; « Villepin déplore le règne du ‘populisme’ et de

‘l’image’ », l’Humanité, 5 octobre 2006.319 Voir Entretien avec G. Hermet, in Le Monde 2, 4 novembre 2006. Voir aussi à propos de Machiavel pour qui la politique

était un « art singulier » : P. Rosanvallon, La démocratie inachevée, op cit., p. 390-391.320 Voir « Impressions de campagne PS », in Libération, 15 novembre 2006.321 Voir « Sarkozy contourne Argenteuil », in L’humanité, 8 mars 2007.

Page 59: Les usages du terme « populisme » dans la campagne ...doc.sciencespo-lyon.fr/.../MFE2007/.../ledroit_o.pdf · cette course électorale. Par ailleurs, force est de constater l’éruption

2ème partie : Le triomphe des usages polémiques et stratégiques du concept. Analyse desreprésentations cachées derrière ce mot : entre hyperdémocratisme, pseudo-démocratisme et

anti-démocratisme

LEDROIT Orianne_2007 59

« Nicolas a su trouver les mots pour rendre compte, sans démagogie, sanspopulisme, des doutes que lui inspire une vie politique souvent réduite auxpostures, aux petites phrases »322.

Suivant cette inscription de la « démagogie » et du « populisme » dans le registrede la parole, certains journalistes s’interrogent sur la différence entre « parler vrai » et« démagogie » ou « populisme ». La « démagogie » et le « populisme » auraient donc unusage disqualificatoire pour celui qui fait l’objet de la réflexion, contrairement à l’expressionde « franc-parler » mobilisant le répertoire de l’honnêteté, de la sincérité323.

Toutefois, force est de constater que pour beaucoup d’articles, la « démagogie »consiste aussi en une ressource mobilisable par un politique au style « populiste ». Ainsi,la démagogie serait un moyen langagier auquel recouraient les hommes aux politiquespouvant être qualifiés de « populistes » à certains égards. Le « populisme » couvrirait dèslors un champ plus vaste de signification. Dans cette veine, nous pourrions évoquer laremarque de E. Le Boucher : « Ces propos sont populistes au sens de démagogique »324,sous entendant, par là même, qu’il y aurait d’autres sens possibles pour « populiste ».L’un serait donc partie de l’autre. Preuve en est faite dans nombres d’articles. Voyantle « populisme » comme un phénomène ambiant généralisé, A. Duhamel stigmatise le« cortége de dénigrement systématique des élites » ou encore « la démagogie affleurante »qui caractérise ce style politique325. Sur ce point, l’analyse définitionnelle de P. Perrineaus’avère significative pour notre recherche. En effet, selon le chercheur du CEVIPOF :

« Le populisme définit un style d'action politique marqué par le souci de nouer entreun leader et le peuple un lien direct en méprisant les médiations. Il est souvent marqué parla démagogie […] »326.

Aussi S. Royal dénonce-t-elle :« Cette façon de faire, démagogique, est insupportable. Là se trouve lepopulisme »327.

Cependant, reprenant A. Dorna, « le leader charismatique [populiste] épouse la rhétoriquemais rarement la démagogie. […]. La vraie éloquence populiste se moque des artifices del’éloquence démagogique »328. Aussi les textes de notre corpus montreraient-ils l’absencede réflexion réelle sur les termes « populisme » et « démagogie », expliquant cettesignification apparemment proche des deux termes329.

Ainsi, le mot « démagogie » renforce-t-il de manière évidente l’usage disqualifiant faitdu mot « populisme » dans les textes de notre recueil ; fonctionnant de la même façon,à savoir en mot souvent évoqué sans précision notionnelle (mais dont les modalités de

322 Voir la déclaration à la presse de D. Voynet, le 22 janvier 2007.323 Voir à ce sujet « Sarkozy, de la prise de l'UMP à la bataille de l'Élysée », in Le Figaro, 15 janvier 2007 ; « Comment NicolasSarkozy a conquis l’Elysée », in Libération, 6 mai 2007 ; et « Langue de bois et discours de fer », in L’Humanité, 26 mai 2007.

324 Voir « Le retour mondial des populistes », in Le Monde, 10 décembre 2006.325 Voir « La contagion du populisme », in Libération, 8 novembre 2006.326 Voir « Perrineau : ‘L'extrême droite se nourrit du désenchantement démocratique’ », in Le Figaro, 11 décembre 2006.

327 Voir le discours de la candidate à Rennes, le 20 février 2007.328 Voir A. Dorna, op cit., p. 12.329 P.-A. Taguieff, « Le populisme et la science politique », in J.P Rioux (dir.), op cit., p. 18.

Page 60: Les usages du terme « populisme » dans la campagne ...doc.sciencespo-lyon.fr/.../MFE2007/.../ledroit_o.pdf · cette course électorale. Par ailleurs, force est de constater l’éruption

Les usages du terme « populisme » dans la campagne présidentielle de 2007 Du succès desutilisations stratégiques d’un mot équivoque

60 LEDROIT Orianne_2007

l’énonciation et/ou les entourages lexicaux précisent la valeur dégradante). En outre, nousdevons aussi préciser que le mot « démagogie » est quelquefois utilisé pour qualifier unaspect du « populisme » ; la démagogie étant dans ce cas une ressource mobilisable par le« populisme ». De la même manière que le mot « populisme », le mot « démagogie » ne faitdonc pas l’objet d’un consensus quant à sa définition conceptuelle. Pour autant, il sembleévident que ces deux mots, très présents dans la campagne notamment dans le traitementmédiatique, ont été mobilisés dans un usage disqualifiant.

Par ailleurs, le mot « nationalisme » peut aussi être évoqué comme terme quelquefoisadjacent au mot « populisme » puisque pour certains, la résurgence de thèmes telsque l’identité nationale lors de la campagne témoignerait d’un populisme à consonancenationaliste. Mais, cette proximité entre les deux termes apparaît de manière moins évidenteque celle qui existerait entre « populisme » et « démagogie » dans la mesure où lemot « nationalisme » semblerait être largement connoté à l’extrême droite de l’échiquierpolitique330.

3. Une crise démocratique Enfin, le champ lexical présent de manière continue et qui transparaît à l’évidence dansla grande majorité des textes analysés est celui d’une crise démocratique. En effet, unconstat s’impose lors de cette campagne : la démocratie française souffrirait de gravesdysfonctionnements. Aussi, dans quelles mesures pouvons nous établir un lien entre cetteobservation commune d’un malaise démocratique et l’usage comme étiquette diabolisantedu mot « populisme » ?

Comme nous l’avons brièvement suggéré lors de l’analyse du rapport entretenu entre« populisme » et « démagogie » dans les textes du corpus, le terme « populisme »serait rattaché au champ lexical de la crise démocratique et d’un appauvrissement, d’unedégradation de la politique. Il s’agit ici de faire le constat de ce lexique pour essayerd’analyser ensuite (dans notre deuxième section) les explications et les conséquences surl’usage du mot « populisme ». Pour cela, nous nous proposons de mettre en évidenceles mots les plus couramment employés et traduisant les manifestations de la crisedémocratique. Aussi pouvons-nous répertorier trois grands thèmes généraux :

Thèmes retrouvés de manièrerécurrente dans les textes

Exemples de termes ramenés sous leur forme nominale

Thème de la désillusion descitoyens

« insatisfaction », « mécontentement », « déception »,« désenchantement », « défiance », « méfiance »,« scepticisme »

Thème du discrédit des

gouvernants 331

« impuissance », « corruption », « absence detransparence », « distance », « fossé », « coupure »

Thème d’une crise économiqueet sociale diffuse

« blocage dans le dialogue social », « coma profond dansla négociation sociale », « mondialisation», « chômage »« délocalisation », « épuisement de l’Etat Providence »,« insécurité », « intégration »

330 Voir à ce sujet l’interview de P. Perrineau, « L'extrême droite se nourrit du désenchantement démocratique », in Le Figaro,11 décembre 2006. Mais aussi « La stratégie des candidats à trois semaines du but », in Le Monde, 4 avril 2007 ; « La ibéro-américainejuge que la France a bougé vers la droite », in Le Monde, 7 mai 2007.

Page 61: Les usages du terme « populisme » dans la campagne ...doc.sciencespo-lyon.fr/.../MFE2007/.../ledroit_o.pdf · cette course électorale. Par ailleurs, force est de constater l’éruption

2ème partie : Le triomphe des usages polémiques et stratégiques du concept. Analyse desreprésentations cachées derrière ce mot : entre hyperdémocratisme, pseudo-démocratisme et

anti-démocratisme

LEDROIT Orianne_2007 61

Ces thèmes seraient ainsi notamment le reflet d’une « très grande rupture affective »entre « l’élite et la base sociale »332. De plus, le thème de l’émergence de la « démocratied’opinion » liée à l’importance accrue donnée aux médias et aux sondages (rôle primordialévoqué par D. Wolton333) est très fréquemment utilisé dans les articles ou dans les discoursdes candidats, à la fois comme un indice et comme une conséquence d’une crise présuméede la démocratie. Par exemple, la démocratie d’opinion « racoleuse et trompeuse »334

« qui s’impose désormais »335 « sur la démocratie représentative »336 selon les termes d’A.Duhamel, est vivement dénoncée par S. Royal dans ses discours de Rennes et de Rouen àproximité de son utilisation du terme « populisme »337. Nous remarquons, dans cette logique,une condamnation transversale de la « pipolisation »338, du règne de « l’image »339 et du« spectacle »340 souvent rapproché de la pratique « berlusconnienne »341.

Ainsi, l’historien J.-P. Scot évoque une « triple crise de la démocratie » basée sur une« crise de la représentation » doublée d’une « crise de la participation » et d’une « crise dela souveraineté »342. Dans cette logique, l’article intéressant de F. Miquet-Marty dans lequelle directeur du département Opinion de LH2 (Institut de sondage français) distingue quatreniveaux de la crise de représentation politique dont l’intensité varie :

une dissension, une discordance entre les vues des citoyens et des représentantsune « difficile transcription du social en politique »un sentiment de frustration des citoyens par rapport à « une dépossession

démocratique »une déconsidération des hommes politiques tombés en disgrâce se manifestant par un

« désamour entre les élus et les citoyens »343 (c’est cet aspect que l’on retrouve sous lacatégorie « discrédit » dans le tableau ci-devant)344 .

L’usage diabolisant du mot « populisme » baignerait donc dans des textes où la crise dela démocratie, « le malaise français » selon les propos d’A. Duhamel345, serait simplementconstatée voire dénoncée. Notons à ce sujet qu’il existerait donc « un paradoxe de la

332 A. Dorna, op cit., p. 3.333 Voir « Tout le monde parle politique et tant mieux, pour n’être évidemment jamais d’accord sur rien », in Le Figaro, 5 janvier

2007. Voir aussi au sujet de la démocratie d’opinion : F. Larzorthes, « La droite et la crise du gouvernement national », Le Débat, n°131, octobre 2004 et J. Jaffré, « Réflexions sur la ‘sondomanie’ », Pouvoirs, n°33, 1985.

334 Voir « Présidentielle, la perplexité française », in Libération, 4 avril 2007.335 Voir « La nostalgie Jospin », in Libération, 4 octobre 2006.336 Voir « La démocratie d'opinion triomphe », in Libération, 11 avril 2007.337 Voir les discours de S. Royal à Rennes, le 20 février 2007 et à Rouen, le 24 février 2007.338 Voir « La nostalgie Jospin », in Libération, 4 octobre 2006.339 Voir « Villepin déplore le règne du ‘populisme’ et de ‘l’image’ », in L’Humanité, 5 octobre 2006.340 Voir « Gauche de la gauche, pour une campagne commune », in Le Monde, 2 février 2007.341 Voir « Les étudiants et Sarkozy », in Libération, 5 septembre 2006.342 Voir « Ne pas se tromper de crise politique ! », in L’Humanité, 17 février 2007.343 Voir S. Rozès, « Aux origines de la crise politique », Le Débat, n° 134, mars-avril 2005, p. 4.344 F. Miquet-Marty, « Les quatre crises de la représentation politique », Esprit, n°2, Février 2006, p. 79-89.345 Voir « Présidentielle, la perplexité française », in Libération, 4 avril 2007.

Page 62: Les usages du terme « populisme » dans la campagne ...doc.sciencespo-lyon.fr/.../MFE2007/.../ledroit_o.pdf · cette course électorale. Par ailleurs, force est de constater l’éruption

Les usages du terme « populisme » dans la campagne présidentielle de 2007 Du succès desutilisations stratégiques d’un mot équivoque

62 LEDROIT Orianne_2007

démocratie », selon la formule de R. Dahl, dans la mesure où coexisteraient « l’érosionmarquée de la confiance envers les institutions clés de la démocratie avec le maintiend’une attitude favorable à l’égard de la démocratie en tant que régime »346. L’idéal toujoursimparfait d’un « gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple » (selon la formulede Périclès reprise par A. Lincoln), serait devenu une « source de frustration »347.

Dans cette première section, nous nous sommes attachés à démontrer l’usagestratégique du terme « populisme » dans la campagne présidentielle. En effet, cetteétiquette vise à disqualifier un adversaire souvent gênant ou une pratique critiquable dela politique. Nous avons réussi à mettre en évidence la charge péjorante de cet usagegrâce à l’analyse des modalités de l’énonciation (identité de l’émetteur et du destinataire,temporalité de l’énoncé et rapport contextualisé entre les deux catégories précédentes)complétée d’une réflexion sur les environnements lexicaux présents dans les textes ducorpus. Ainsi, le terme « populisme » agit comme « une étiquette disqualificatoire », un« opérateur d’amalgame […] illégitime en pathologisant ou en criminalisant l’adversaire »348.Ce mot serait ainsi « une espèce de crêpe conceptuelle [,] plate, étalée, aux contoursmal définis…Sa polysémie le prédestine à être un slogan éprouvé dans les controversespolitiques : il est facile de le balancer à la figure de l’adversaire »349. Il s’agit désormaisd’achever notre réflexion par l’analyse des représentations cachées derrière un tel mot ;représentations qui expliqueraient ainsi l’usage qu’en font les acteurs.

Section 2 : Un usage symptomatique de l’état globalde la société : le nouvel opium des élites ?« Le populisme : juste un mot et non un mot juste »

A. Collovald, Le populisme du FN, un dangereux contresens, op cit., p. 46.Il nous faut désormais analyser en profondeur les ressorts de l’usage disqualificatoire

du mot « populisme » dans la campagne présidentielle. En effet, quelles sont les réalitésdiffusées et portées par ce mot « populisme » ? L’ambiguïté constitutive analysée audébut de notre réflexion engendre-t-elle une ambivalence des interprétations du mot ?Dans quelles mesures le terme populisme fait-il l’objet de luttes de pouvoir au sein duchamp politique et médiatique? Les usages d’un tel mot ne dépendraient-ils pas de la visiontransmise par celui-ci ? N’y aurait-il pas une oscillation possible entre hyper-démocratisme,pseudo-démocratisme et anti-démocratisme ?

346 L. Morel, « Vers une démocratie directe partisane. En relisant Ian Budge », Revue Française de Science Politique, n°4-5,Vol. 50, août-octobre 2000. Voir aussi R. Dahl, The Past and Future of Democracy, Occasional Papers, Circap, Siena, n°5, 1999, in Y.Mény et Y. Surel, op cit., p. 27-29. Voir aussi M. Gauchet, La démocratie contre elle-même, Paris, Gallimard, coll. « Tel », 2002. Pourplus de détails sur la crise de la représentation, voir : G. Grunberg, N. Mayer et P.M. Sniderman (dir.), La démocratie à l’épreuve. Unenouvelle approche de l’opinion des Français, Paris, Presses de sciences po, 2002.

347 A. Dorna, op cit., p. 9. Voir aussi à ce sujet l’expression de W. Churchill qui disait en substance que la démocratie est le« plus mauvais des systèmes à l’exception de tous les autres ».

348 P.-A. Taguieff, « Populismes et antipopulismes », op cit., p. 8.349 W. Kraushaar, « Die neue Leutseligkeit », in H. Dubiel (dir.), Populismus und Aufklarung, Francfort, 1986, p. 278-315, in

P. Ayçoberry, « La version allemande », in J.P Rioux (dir.), op cit.,p. 179-180.

Page 63: Les usages du terme « populisme » dans la campagne ...doc.sciencespo-lyon.fr/.../MFE2007/.../ledroit_o.pdf · cette course électorale. Par ailleurs, force est de constater l’éruption

2ème partie : Le triomphe des usages polémiques et stratégiques du concept. Analyse desreprésentations cachées derrière ce mot : entre hyperdémocratisme, pseudo-démocratisme et

anti-démocratisme

LEDROIT Orianne_2007 63

I) Le pendant d’un usage diabolisant l’adversaireOutre le fait que le mot « populisme » soit généralement utilisé comme une attaque virulenteenvers un candidat, nous nous devons de considérer désormais l’usage symétrique quien est fait par un homme politique visé par ce qualificatif. Puisque ce terme est considérécomme une charge dégradante, les candidats se trouvent dans l’obligation de réagir auxpropos et de rectifier leur image. A ce sujet, nous allons voir que les candidats ne sont pasles seuls à tenter de s’opposer à l’usage péjorant. Notons, enfin, que J. M Le Pen ne serapas pris ici en considération pour les raisons explicitées auparavant ; étant le seul hommepolitique à revendiquer fièrement l’étiquette populiste.

1. Un second usage du mot « populisme » par un candidat : se dédouanerd’une telle critiqueTout d’abord, au-delà de l’usage simplement disqualifiant du mot « populisme », la virulenceet la récurrence d’une telle dénonciation oblige les candidats visés à mettre en place desstratégies afin de la réfuter. Aussi pouvons-nous évoquer les propos révélateurs tenus parles candidats eux-mêmes ainsi que la présentation qu’en font les journalistes ; soulignantcette volonté de se dédouaner.

Cette objection à tout populisme peut se traduire, tout d’abord, par une locutionadverbiale marquant le rejet, l’opposition. Reprenant les propos de la candidate, un articlede Libération évoque cette réfutation :

« «On m'a traitée de populiste. (...) Mais les gens veulent savoir au nom de quoi nousdécidons», a persisté Ségolène Royal »350.

De la même façon, S. Royal affirme dans un entretien au Monde :

« Le populisme, c’est cela. Moi, au contraire, je crois […] »351.Par ailleurs, la négation de tout populisme peut faire l’objet d’une explicitation par

le journaliste lui-même commentant des propos et les introduisant par une expressionrévélatrice. Dans ce cas, on retrouve des verbes introducteurs marquant la contestation.Par exemple, le journaliste peut employé un verbe comme « récuser » :

« Elle a à sa façon récusé les critiques de populisme qui lui sont adressées »352.Ou « réfuter » :

« Les nouveaux démocrates américains, Nicolas Sarkozy, Ségolène Royalréfutent le qualificatif de « populiste »353.

Ou enfin « s’indigner » :

« ‘On m’a traitée de populiste’, s’est-elle indignée »354.

350 Voir « ‘Le dialogue avec le peuple’ selon Royal », in Libération, 23 octobre 2006.351 Voir « On a trop souffert de l’obstination des décideurs », in Le Monde, 11 novembre 2006.352 Voir « Les axes de campagne de la candidate socialiste », in L’Humanité, 22 novembre 2006.

353 Voir « Le retour mondial des populistes », in Le Monde, 10 décembre 2006 ; voir aussi le verbe réfuter « N. Sarkozy

réfute toute accusation de populisme » in « Nicolas Sarkozy, la France et son histoire », in Le Monde, 10 mai 2007.354 Voir « Mme Royal propose une ‘surveillance populaire’ de l’action des élus », in Le Monde, 24 octobre 2006.

Page 64: Les usages du terme « populisme » dans la campagne ...doc.sciencespo-lyon.fr/.../MFE2007/.../ledroit_o.pdf · cette course électorale. Par ailleurs, force est de constater l’éruption

Les usages du terme « populisme » dans la campagne présidentielle de 2007 Du succès desutilisations stratégiques d’un mot équivoque

64 LEDROIT Orianne_2007

Ces verbes appuient et donnent toute sa force à la négation de l’accusation émise. Dans lamême veine, le journaliste peut seulement sous-entendre la réfutation que fait le candidatd’une telle attaque:

« Ses rivaux ont jeté l'anathème du populisme ? La candidate à l'investitureprésidentielle du PS reste inébranlable. […] Elle le décrypte. Et même mieux queça. ‘Je suis en phase avec les profondeurs de la société’, dit-elle comme uneévidence. […]Populisme ? Ségolène Royal hausse des épaules : « Tout le monderegarde l'opinion. » »355.

Dans cet extrait, le journaliste souligne une double posture de la candidate socialiste àl’égard de la dénonciation qui la vise. D’abord la candidate resterait impassible face auxcritiques, sûre de ces pratiques. Ensuite, au-delà de cette première phase, S. Royal adopteune position de rejet de cette accusation, au moyen d’une légitimation de ses discours etde ses méthodes. De la même façon, un géographe et ancien recteur, A. Frémont, évoqueun N. Sarkozy qui « plutôt que populiste, s’affiche ‘people’ »356.

Enfin, le candidat visé peut directement dans son discours récuser l’usage diabolisantdu mot « populisme » que l’on ferait à son encontre. Ainsi en est-il de S. Royal dans sesdiscours à Rennes et à Rouen s’exclamant :

« Alors que l’on cesse de crier au populisme parce que j’ai pris la peine, avantd’agir, d’entendre ce que le peuple a à nous dire »357.

Dans ce paragraphe, la candidate marque clairement sa désapprobation quant à cetteétiquette apposée à sa pratique et affirme sa volonté d’y mettre fin. Dans la même logique,mais de manière plus détournée et implicite, F. Bayrou considère :

« qu'une campagne électorale, au lieu d'être populiste, doit êtredémocratique »358.

Outre la réfutation opérée par les candidats eux-mêmes ou par les journalistesretransmettant les propos des hommes politiques, nous pouvons évoquer certains articlesde presse dans lesquels les auteurs, journalistes ou pas, prennent explicitement le contre-pied des accusations tenues à l’égard d’un candidat.

2. Quelques exemples complémentaires d’affranchissement du mot« populisme »Même s’ils sont loin d’être majoritaires, quelques articles de notre corpus réfutentouvertement l’utilisation diabolisante faite du mot « populisme » à l’égard de certainscandidats en course pour la présidentielle. Il s’agit ici d’illustrer la désapprobation énoncéepar des personnalités tierces. Tout d’abord, nous retrouvons, dans notre recueil, deuxarticles rédigés par des personnalités extérieures au monde journalistique dans lesquelscelles-ci prennent publiquement position en faveur de la candidate socialiste S. Royal. Lesattaques de « populiste » contre la député des Deux-Sèvres ayant été très fréquentes et

355 Voir « Ségolène Royal l'opiniomane », in Le Monde, 8 novembre 2006.356 Voir «Géographie mentale des candidats », in Le Monde, 7 avril 2007.357 Voir les discours de Rennes, le 20 février 2007 et de Rouen, le 24 février 2007. Voir aussi le traitement médiatique fait

par Le Monde dans « Mme Royal pose les bases de son pacte avec les ‘éléphants’ », 27 février 2006.358 Voir le discours de F. Bayrou à Nice, le 17 mars 2007.

Page 65: Les usages du terme « populisme » dans la campagne ...doc.sciencespo-lyon.fr/.../MFE2007/.../ledroit_o.pdf · cette course électorale. Par ailleurs, force est de constater l’éruption

2ème partie : Le triomphe des usages polémiques et stratégiques du concept. Analyse desreprésentations cachées derrière ce mot : entre hyperdémocratisme, pseudo-démocratisme et

anti-démocratisme

LEDROIT Orianne_2007 65

véhémentes notamment au sujet de l’instauration de formes de démocratie participative, lesdeux auteurs récusent explicitement cette appellation. Ainsi, A. Cohen affirme :

« Il faut se demander pourquoi elle a pris le temps de ces « débats participatifs »audacieux qui sont autre chose que du populisme »359.

Dans la même logique, J. Le Goff, célèbre historien, rejette aussi toute accusation depopulisme au sujet de l’introduction d’une dose de démocratie participative :

« La démocratie participative, qui, maintenue loin du populisme, est un progrèsdémocratique, ne se laisse pas affaiblir par les utopies de l’ultragauche »360.

Enfin, François Hollande prend aussi clairement la défense de la candidate du partidont il est le premier secrétaire, récusant « les accusations de populisme […] considérantsimplement qu'elle était ‘populaire, sans doute’»361.

Par ailleurs, il est intéressant de noter que dans trois articles d’analyse de la campagneprésidentielle, nous retrouvons une réfutation plus ou moins franche de l’apposition del’étiquette populiste à certains candidats. Notons que ces analyses sont pertinentes dansnotre réflexion dans la mesure où les commentateurs récusent cette étiquette à l’aune d’unedéfinition précise de ce que serait un « populiste ». Tout d’abord, E. Le Boucher, après s’êtrelivré à un rappel notionnel en convoquant la définition fournie par un spécialiste du populismequ’est P.-A. Taguieff, rejette cette appellation pour les deux principaux concurrents à laprésidence de la République.

« Un « populiste » peut être défini « comme celui qui prend publiquement le partidu peuple contre les élites », note Pierre-André Taguieff (Le Dictionnaire des scienceshumaines, PUF). Il lance « un appel au peuple qui vise à se passer de médiation » et quiprésuppose l'existence d' «un leader charismatique ». On reconnaîtra là un Jean-Marie LePen. Mais, malgré quelques adhérences, on ne peut pas y classer les deux autres candidatsissus des deux grands partis représentatifs classiques, UMP et PS »362.

D’ailleurs, P. Rosanvallon en arrive à la même conclusion après avoir détaillé ce qu’ilentendait par « populisme ».

« Si l’on s’en tient à une définition stricte –c’est-à-dire une vision fantasmée de lastructure sociale qui réduit la société à deux blocs antagonistes, le peuple et lesélites-, seule l’extrême droite peut être qualifiée de populiste »363.

Enfin, mais de manière beaucoup moins précise, et dans une logique moins savante cardépourvue d’une définition de « populisme », X. Jardin, spécialiste des droites, dans unchat sur Internet, contredit un intervenant qui affirme le « populisme » de N. Sarkozy, en luiopposant une vision moins « simpliste » selon laquelle le candidat de l’UMP serait surtout

359 Voir « Pourquoi je vote Ségolène Royal », in Le Monde, 9 février 2007.360 Voir « Madame la présidente », in Le Monde, 24 février 2007.361 Voir « François Hollande : ‘Ce sont tous les socialistes qui ont gagné’ », in Le Monde, 17 novembre 2006.362 Voir « Le retour mondial des populistes », in Le Monde, 10 décembre 2006.

363 Voir « L’équilibre entre capacité et proximité a été rompu », Entretien avec P. Rosanvallon, in Le Monde, Supplément

spécial op cit., 22 mars 2007. P. Rosanvallon est notamment l’auteur de La contre-démocratie, la politique à l’âge de la

défiance, Paris, Seuil, 2006. Voir aussi pour cette même définition du populisme un article intéressant de G. Derville, « Le

discours du ‘Bébête Show’ de TF1 : populaire ou populiste ? », Mots, n° 48, septembre 1996, p. 115-126. Voir aussi P.

Birnbaum, Le peuple et les gros, Paris, Grasset, 1979.

Page 66: Les usages du terme « populisme » dans la campagne ...doc.sciencespo-lyon.fr/.../MFE2007/.../ledroit_o.pdf · cette course électorale. Par ailleurs, force est de constater l’éruption

Les usages du terme « populisme » dans la campagne présidentielle de 2007 Du succès desutilisations stratégiques d’un mot équivoque

66 LEDROIT Orianne_2007

« un bon professionnel de la politique capable d’utiliser toutes les ressources disponiblespour convaincre les électeurs de voter pour lui »364.

Ainsi analysant un sondage réalisé en février 1995 par l’institut SOFRES et intitulé« Le phénomène populiste dans la société française », G. Grunberg met en évidence lefait que chaque électorat condamne aujourd’hui le populisme, lui attribuant une connotationnégative. En effet, pour ceux qui ont un avis sur la question, le mot est majoritairementcompris comme péjoratif. 59% des sondés considéreraient que le populisme consisteà « chercher à séduire le peuple par des propositions démagogiques ». Pour autant,c’est toujours « le populisme de l’autre que l’électeur condamne », n’attachant jamais cequalificatif à la même personne365.

Il apparaît clairement que les candidats réagissent vivement aux propos les taxant de« populistes ». En effet, la charge dévastatrice du mot est telle qu’ils se doivent de réfutercette accusation et de défendre leurs positions. Nous avons vu aussi que cette récusationpeut être le fait d’une personne extérieure au monde politique, commentateur informé ousimple partisan conjoncturel. Néanmoins, dans la plupart des formules de réfutation, onretrouve une volonté de légitimer la démarche personnelle qui aurait amené les critiques.Ainsi, serait-il possible de comprendre le terme « populisme » sous des angles différents.

II) Le mot « populisme » : objet de luttes symboliquesIl s’agit ici de mettre en évidence que les médias ainsi que les hommes politiques et lescommentateurs « acclimatent trop paresseusement l’adjectif »366, s’en servant à des finsmajoritairement tactiques afin de marquer « d’indignité et d’irrespectabilité ceux qui en sontaffublés »367.

1. Entre un usage stratégique consistant à se poser en experts « en menaces

démocratiques » 368 et un usage descriptif d’une réalité concrète

« La lutte politique [serait] une lutte sémantique » selon les propres mots de B.Gollnisch369.Aussi pouvons-nous observer dans notre corpus que l’usage du mot « populisme » en tantque label disqualifiant l’adversaire ou en tant qu’étiquette désapprouvée par les candidats(exception faite du Front national) n’est ni anodin ni aléatoire. Bien au contraire, il s’inscriraitdans une optique politique de légitimation de sa propre pratique et de son propre discours.Et serait ainsi l’objet de manipulations sémantiques.

364 Voir « Xavier Jardin :’chez N. Sarkozy, il y a autant de continuité que de rupture’ », in Le Monde.fr, 11 mai 2007. X. Jardin estnotamment l’auteur avec F. Foggaci, F. Haegel, N. Sauger du Dictionnaire de la droite, Paris, Larousse, 2007.

365 Voir « La mesure du populisme. Sur quelques questions de méthodes », Mots/Les langages du politique, n°55, juin 1998,p. 122-127. Afin d’utiliser un tel outil de manière appropriée dans une réflexion scientifique, nous nous devons néanmoins de garderà l’esprit les limites des sondages notamment celles formulées par P. Bourdieu dans un célèbre article « L’opinion publique n’existepas », Les Temps modernes, n°318, janvier 1973.366 Voir J.P Rioux, « Le peuple à l’inconditionnel », in J.P Rioux (dir.), op cit., p. 7.367 C. Goirand, « De Vargas à Collor, visages du populisme brésilien », in J.P Rioux (dir.), op cit., p. 267.368 Voir l’expression de A. Collovald, op cit., p. 41.369 Voir Le Figaro, 21 juin 1996, cité dans A. Collovald, ibid, p. 208.

Page 67: Les usages du terme « populisme » dans la campagne ...doc.sciencespo-lyon.fr/.../MFE2007/.../ledroit_o.pdf · cette course électorale. Par ailleurs, force est de constater l’éruption

2ème partie : Le triomphe des usages polémiques et stratégiques du concept. Analyse desreprésentations cachées derrière ce mot : entre hyperdémocratisme, pseudo-démocratisme et

anti-démocratisme

LEDROIT Orianne_2007 67

Il faut rappeler à ce stade que certaines études ont posé le constat d’une récupérationdémagogique de ce terme « populisme » à l’encontre de certains groupes en vue de les« démoniser »370 ou afin de se légitimer soi-même. La réflexion de P.-A. Taguieff est à cesujet éclairante. Comme le montre ce spécialiste, « depuis le début des années 1990, dansla plupart des pays européens, le discours incluant une quelconque référence au populismese présente donc globalement comme un discours antipopuliste. « Populisme », dans lediscours médiatique ordinaire, nomme en effet une menace. Mais une menace indistincte,quasi indéfinissable »371. Et le chercheur de citer un dossier dans la revue Cosmopolitiquesdu 18 février 1991 intitulé « Populisme : le mal européen ? ». Dans le sillage de cela, J.MColombani, dans son essai La gauche survivra-t-elle aux socialistes, met en garde : « seuleune nouvelle synthèse, à la fois libérale et sociale, permettra de faire face à la menacenationale-populiste »372. Les différents aspects présumés du « populisme » sont dénoncés,de « la légitimation de l’instinct des masses » à la protestation. Réduisant le populisme à« un pari sur les pulsions, de préférence à la raison », A. Minc participe de cette « démagogie

antipopuliste » au travers notamment de L’Ivresse démocratique 373 . Ainsi, la plupart des

écrits dédiés au populisme seraient « des pamphlets déguisés » dans lesquels celui-ciserait épinglé comme « un -isme intrinsèquement pervers, voire comme la position politiquemauvaise par excellence »374. La plupart des auteurs, A. Minc le premier, distingueraientdeux camps : d’une part le populisme (incarnant le registre de l’émotion) et d’autre part laraison, une raison qui est d’ailleurs non moins « mythique » que le peuple lui-même375.

Pouvons-nous donner une nouvelle actualité à cette hypothèse ? Force est de constaterque la campagne de 2007 illustrerait à bien des égards une telle vision de l’utilisation dumot « populisme ». En effet, cette thèse se trouverait, par exemple, validée dans certainsdes articles et discours de notre corpus opposant le champ lexical de la passion et despulsions à celui de la rationalité et situant le populisme dans le premier. Pour ce qui est dupremier thème, nous retrouvons pêle-mêle des termes comme « passion », « émotivité »376,mais aussi des mots faisant allusion à la séduction377. Par exemple, nous pouvons citer« séduire », « plaire », « charmer », « flatter »378 (les formes sont ici réduites à la formeverbale mais peuvent se retrouver dans les textes du recueil sous les formes nominalesvoire adjectivées). A l’inverse, le deuxième camp serait plus volontiers caractérisé par desmots tels que « sérieux », « pédagogie », « réflexion ». Un extrait d’une chronique de A.Duhamel dans Libération résume parfaitement bien cette vision dichotomique. Ainsi l’auteurdénonce-t-il la singularité de la campagne présidentielle dans le fait qu’elle marquerait :

« La victoire de la posture sur le contenu, de l'émotion sur la réflexion, de l'imagesur le projet, de la subjectivité sur la rationalité, de la flatterie sur la conviction,

370 P.-A. Taguieff, « Populismes et antipopulismes », op cit., p. 13.371 Voir P.-A Taguieff, L’Illusion populiste, op cit.,p. 94.372 Voir J.M Colombani, La gauche survivra-t-elle aux socialistes ?, Paris, Flammarion, 1994, p. 4 de couverture.373 Voir A. Minc, L’Ivresse démocratique, Paris, Gallimard, 1995.374 Voir P.-A Taguieff, « Populismes et antipopulismes », op cit., p. 7.375 P.-A. Taguieff, « Populismes et antipopulismes », ibid, p. 9.376 Voir pour ces deux termes « passion » et « émotivité » l’article de Duhamel, « La nostalgie Jospin », op cit.377 Voir notamment à ce sujet les analyses de E. Enriquez, De la horde à l’Etat. Essai de psychanalyse du lien social, Paris,

Gallimard, 1983.378 Nous retrouvons tous ces termes dans l’article de A. Duhamel « La nostalgie Jospin », in Libération, 4 octobre 2006.

Page 68: Les usages du terme « populisme » dans la campagne ...doc.sciencespo-lyon.fr/.../MFE2007/.../ledroit_o.pdf · cette course électorale. Par ailleurs, force est de constater l’éruption

Les usages du terme « populisme » dans la campagne présidentielle de 2007 Du succès desutilisations stratégiques d’un mot équivoque

68 LEDROIT Orianne_2007

[…], de la démagogie sur la pédagogie, donc finalement du populisme sur ladémocratie »379. Par ailleurs, nous pouvons convoquer les propos de S. Royalselon laquelle « le populisme […] flatte les pulsions et endort la raison »380.

Aussi, les épithètes au mot « populisme » consacrés dans les articles tels que « menace »,« dérive », « tentation » soulignent-ils le coté « dégradant » de l’étiquette. Par exemple, A.Duhamel dénonce la « contagion », les « dangers » ou même le « péril » du populisme 381;la politique étant « menacée » par ce phénomène382.

Par ailleurs, continuant son raisonnement, P.-A. Taguieff épingle « le discours anti-populiste [comme étant] une variante médiatique de la posture « modérée » se constituant ets’affirmant par le rejet des « extrémistes » (réels ou supposés, de droite ou de gauche) »383.Et le spécialiste de préciser que « l’accusation de populisme fonctionne comme une ceinturede sécurité face à toute interrogation critique sur la « Noblesse d’Etat » et comme unearme prévenant toute dénonciation de la confiscation du pouvoir (politique, économique etmédiatique) par une élite de type nomenklaturiste ». Elle serait donc le moyen d’assurer« son immunité idéologique ». Ainsi l’auteur met-il clairement en évidence le caractèretactique dans l’usage de la notion de « populisme », puisqu’il s’agirait de construire « lerepoussoir d’une démocratie d’opinion instable et dégradée pour souligner le rôle desgarants et des experts »384 mais aussi pour affirmer un nouveau positionnement modéré.

Dans notre corpus, nous pourrions constater des articles de journaux significatifs d’untel usage stratégique du mot « populisme ». Preuve en serait, par exemple, de ceux ausujet de la pétition lancée par des journalistes de l’audiovisuel public et dans laquelleils « refusent de ‘cautionner la dérive populiste qui consisterait seulement à donner laparole à des panels de citoyens interpellant directement le candidat’, visant implicitementl'émission de TF1 ‘J'ai une question à vous poser’ »385. Ainsi revendiqueraient-ils desdébats contradictoires entre les candidats. Validant ce constat, A. Duhamel fustige unecampagne télévisée qui « n’a cessé de s’abandonner dans le populisme ambiant » etqui, « au lieu d'organiser des débats entre les candidats et des confrontations entre lesprogrammes, […] a méthodiquement favorisé des simulacres de dialogue entre candidatset électeurs »386. Dans la même veine, F. Jost validerait cet usage du mot « populiste »attachant aux valeurs véhiculées par la télévision une « consonance populiste »387. Suivantla vision de P.-A. Taguieff, cette utilisation du terme « populiste » témoignerait bien d’unusage tactique du corps journalistique voulant pérenniser leur domination sur la mise enscène de la campagne. Aussi une lettre d’un lecteur du Figaro titre-t-elle : « Ebranler

379 « Le triomphe de la démocratie d’opinion », in Libération, 11 avril 2007.380 Voir le débat interne à Toulouse, le 9 novembre 2006.381 « La contagion du populisme », in Libération, 8 novembre 2006.382 « La nostalgie Jospin », in Libération, 4 octobre 2006.

383 P.-A. Taguieff, « Populismes et antipopulismes », op cit., p. 8.384 O. Mongin, « Quand règne l’opacité. Les malentendus de la démocratie d’opinion », Esprit, mars-avril 1995, p. 59-76, in

P.-A. Taguieff, « Populismes et antipopulismes », ibid, p. 11.385 Voir « Appel de journalistes à des débats contradictoires », in Le Monde, 14 février 2007.386 Voir « Présidentielle, la perplexité française », in Libération, 4 avril 2007.387 Voir « Bayrou, cathodique pratiquant », in Libération, 10 mars 2007.

Page 69: Les usages du terme « populisme » dans la campagne ...doc.sciencespo-lyon.fr/.../MFE2007/.../ledroit_o.pdf · cette course électorale. Par ailleurs, force est de constater l’éruption

2ème partie : Le triomphe des usages polémiques et stratégiques du concept. Analyse desreprésentations cachées derrière ce mot : entre hyperdémocratisme, pseudo-démocratisme et

anti-démocratisme

LEDROIT Orianne_2007 69

leur confort intellectuel »388. « L’antipopulisme radical est [donc] interprétable soit commeune manifestation d’autodéfense idéologique de la caste des « experts », soit commel’expression d’un nouveau modérantisme, lié à l’idéologie du consensus –transfiguration ducentrisme »389.

Pour autant, P.-A. Taguieff limite la portée de son hypothèse argumentant « le fait de cesmanipulations n’implique pas l’inexistence du phénomène sociopolitique ainsi nommé »390,légitimant par là même certains usages du mot notamment par les commentateursmédiatiques qui s’attacheraient à décrire et à analyser la campagne. Force est de constaterque se dégage dans les journaux ainsi que dans les discours un accord consensuelsur le diagnostic d’une crise de la démocratie actuelle. En témoigne notre analyse de larécurrence de ce thème de manière transversale au corpus retenu tant dans les articlesde presse que dans les discours des candidats. Il y aurait des dysfonctionnements, desproblèmes (notamment un jugement de plus en plus sévère des citoyens sur la classepolitique) auxquels il faudrait remédier. Dans cette perspective, la plupart des analyses surle populisme envisage celui-ci comme un symptôme d’une démocratie malade. En effet,nombre de spécialistes s’accordent pour voir dans le populisme la manifestation d’unepathologie, un « accès de fièvre »391. Pour autant, le populisme ne peut être assimilé (commeles analyses de Wiles l’affirmaient392) à la maladie elle-même puisqu’un telle vision n’auraitde signification rationnelle que par rapport à la définition d’une normalité démocratique ;définition inaccessible et problématique. En témoigne la célèbre analyse de G. Orwell ausujet de la démocratie selon laquelle « non seulement il n’existe pas de définition admise,mais toute tentative qui tend à y parvenir fait l’objet de résistances de toutes parts »393.Convoquer ces théories n’est pas suffisant dans un raisonnement qui se voudrait préciset détaillé. Encore faut-il illustrer l’acceptation et l’intériorisation de cette vision par desexemples tirés de notre recueil. Notre but est ici de montrer qu’au-delà d’un usage purementtactique de ce mot, le terme « populisme » peut aussi être convoqué dans un usagedescriptif, reflet d’un diagnostic sur la société elle-même. Ainsi A. Duhamel alerte-t-il :

« Le populisme gagne chaque année du terrain et témoigne ainsi que la crise de ladémocratie représentative s'approfondit »394.

Ainsi « la fièvre populiste est-elle un indicateur d’une démocratie souffrante »395, voirepour certains un salutaire rappel à l’ordre, un « SOS »396, « une sonnette d’alarme »397

388 Voir Le Figaro, 23 février 2007.389 P.-A. Taguieff, « Populismes et antipopulismes », op cit., p. 9.390 P.-A. Taguieff, « Populismes et antipopulismes », ibid, p. 12.391 A. Dorna, op cit., p. 124.392 Voir notamment à ce sujet : P. Wiles, « A syndrome, Not a doctrine », in E. Gellner et G. Ionescu (dir.), Populism, London,

Weidenfeld and Nicholson, 1969, in Y. Mény et Y. Surel, op cit., p. 17.393 G. Orwell, « Politics and the English Language » in Selected Essays, Baltimore, 1957, p. 149, in Y. Mény et Y. Surel, op

cit., p. 215.394 Voir « La contagion du populisme », in Libération, 8 novembre 2006.395 Voir Y. Mény et Y. Surel, op cit., p. 61. Voir aussi l’expression célèbre des « fièvres hexagonales » de M. Winock, La Fièvre

hexagonale : Les grandes crises politiques de 1871 à 1968, Paris, Seuil, Points Histoire, 1999.396 Voir « La double mort de la Vème République », in Le Monde, 24 avril 2002, republié le 20 avril 2007.397 A. Dorna, op cit., p. 12.

Page 70: Les usages du terme « populisme » dans la campagne ...doc.sciencespo-lyon.fr/.../MFE2007/.../ledroit_o.pdf · cette course électorale. Par ailleurs, force est de constater l’éruption

Les usages du terme « populisme » dans la campagne présidentielle de 2007 Du succès desutilisations stratégiques d’un mot équivoque

70 LEDROIT Orianne_2007

visant à réintroduire de la pratique démocratique dans nos démocraties libérales pluralistesdevenues trop nettement procédurales.

Au-delà de cette vision d’un populisme comme symptôme d’une crise, il transparaîtdans certains articles que l’usage du mot « populisme » pourrait se trouver justifié parune conjoncture plus spécifique liée à la période même que nous étudions, à savoirla campagne présidentielle de 2007. Effectivement, plusieurs commentateurs suggèrentque l’utilisation du terme « populisme » pourrait, par nature, être liée au contexte d’unecampagne présidentielle. Pour certains, l’élection même du président de la République ausuffrage universel direct est un contexte favorable à faire naître des formes de populisme.

Ainsi J. Rancière affirme-t-il :« Le populisme, c'est quand un leader politique établit un rapport personneldirect avec la population. Or, tel est le fondement de l'institution présidentielle

dans la Ve République »398.De la même façon, J.F Durantin caractérise le « populisme » comme un « avatar » de ladémocratie participative telle qu’elle a été introduite, en France, dans les années 1960 avecnotamment « l’élection au suffrage universel direct du chef de l’Etat »399.

Par ailleurs, au-delà de cette explication, pouvons-nous évoquer l’analyse que font troisuniversitaires français des discours de la course à la présidentielle de 2007, suggérant que« l’étrangeté de cette campagne tient au fait que tous les candidats apportent la mêmeréponse à ces questions [sur le malaise démocratique]. Tous ont décidé d’épouser cettedéfiance [que nous avons explicitée précédemment], de se l’approprier, et de reconquérirun crédit en la restituant comme si elle était la leur. Ce qui était hier l’apanage des candidatsanti-système, des candidats des extrêmes, devient le lot commun de tous ». « Il flotte[rait]sur tous les discours de cette campagne un parfum anti-establishment»400, expliquant ainsil’omniprésence des critiques du « populisme » des candidats. Et les auteurs d’indiquer :

« François Bayrou […] incorpore quelques thèmes populistes à son discours (l’anti-establishment, le hold-up sur les médias) »401.

Ainsi pourrions-nous affirmer qu’au-delà d’un usage stratégique du mot par lescandidats mais aussi, dans une certaine mesure par les commentateurs extérieurs, lecorpus analysé peut mettre en évidence une utilisation symptomatique lié à un contextefavorable, à savoir la reconnaissance d’une crise démocratique (et en ce sens, le motpopulisme désignerait un aspect de ce malaise) ainsi que plus conjoncturellement lesspécificités d’une campagne électorale pour la magistrature suprême.

Pour autant, si la plupart des analyses mettent en évidence la réalité d’une rhétoriquepopuliste d’un candidat, comment expliquer que tous les candidats, à l’exception du leaderfrontiste continuent à rejeter cette dénomination ? Pourquoi ces derniers fustigent-ils le« populisme » de l’adversaire tout en réfutant une telle thèse à leurs égards ?

2. De la pluralité des représentations véhiculées par le mot

398 Voir « On est revenu à une campagne traditionnelle », in Libération, 21 avril 2007.399 Voir « 2007: Renouveau de la démocratie participative? », in Libération, 23 février 2007.

400 Voir D. Bertrand, A. Dézé et J.L Missika, Parler pour gagner, op cit., p. 96.401 Voir D. Bertrand, A. Dézé et J.L Missika, Parler pour gagner, ibid, p. 73.

Page 71: Les usages du terme « populisme » dans la campagne ...doc.sciencespo-lyon.fr/.../MFE2007/.../ledroit_o.pdf · cette course électorale. Par ailleurs, force est de constater l’éruption

2ème partie : Le triomphe des usages polémiques et stratégiques du concept. Analyse desreprésentations cachées derrière ce mot : entre hyperdémocratisme, pseudo-démocratisme et

anti-démocratisme

LEDROIT Orianne_2007 71

Au-delà de l’analyse d’un usage stratégique, il s’agit ici d’achever notre réflexion par unemise en évidence des raisons d’un usage si fréquent et pour autant toujours si flou etproblématique du mot « populisme ». Notre objet d’étude aurait été soumis à des luttessémantiques féroces durant toute la campagne ; étant donné les différentes possibilités decompréhension et d’appropriation du terme lui-même. En effet, les candidats conscientsd’une crise démocratique réelle, useraient du mot à des fins stratégiques afin de se posercomme défenseur réel de la démocratie. Nous étudierons ainsi les ressorts de ce termepour suggérer des pistes d’analyse quant à l’usage de rejet du mot « populisme » qui estfait par les candidats des partis de gouvernement (voire même au-delà par la gauche anti-libérale notamment) alors que J.M Le Pen s’en ferait glorieusement l’apôtre. Quelles sontles réalités cachées derrière le mot ?

D’emblée remarquons avec A. Collovald que « l’activité de labellisation desphénomènes sociaux est partie prenante des processus de construction sociale de laréalité ; elle l’est même doublement dans le cas de l’univers politique puisque l’une desdimensions du métier politique consiste justement à nommer, classer et identifier les autrespour mieux se repérer et anticiper les actions et réactions des adversaires et des alliés »402.

La rhétorique opérée par les candidats dans cette campagne consiste enune interprétation du populisme comme « anti-démocratisme » voire « pseudo-démocratisme » (celui des « flatteurs intéressés du peuple »403) qui interpréteraient le peuplenégativement au sens de populace. Rejetant cette appellation à son égard, le candidatlégitimerait son analyse de la situation et les remèdes qu’il propose d’apporter comme étantun vrai « démocratisme ». Aussi, chaque candidat à la présidentielle expose-t-il sa propresolution au malaise démocratique ; solution qu’il juge être la meilleure, accusant au passagel’autre de « populisme », et délivrant sa définition particulière de ce phénomène. Suivantles analyses de P.-A Taguieff, nous émettons l’hypothèse que les candidats cherchent à seprésenter eux mêmes comme des « experts en menaces démocratiques » (selon la formuled’A. Collovald) afin d’imposer leur solution miracle, basée sur une nouvelle manière de fairede la politique : S. Royal avec sa démocratie participative, F. Bayrou avec sa « coalitionde compétences » et enfin N. Sarkozy avec son « parler vrai ». Nous n’étudierons ici queles approches de ces trois principaux candidats, les autres concurrents n’étant pas pris enconsidération dans les articles analysés ou n’utilisant dans leurs discours aucune fois leterme « populisme » de manière révélatrice.

Tout d’abord, pouvons-nous évoquer une chronique de A. Duhamel mettantprécisément en lumière l’équivocité du terme qui oscille entre pseudo-démocratisme voireanti-démocratisme:

« Les uns se font accuser de boulangisme, voire de péronisme ou de polpotisme,les autres sont taxés d'élitisme aveugle, d'oligarchisme méprisant. Le peupledevient un projectile avec lequel il s'agit de blesser l'adversaire, qu'il soit accuséd'en avoir peur ou qu'il soit dénoncé comme manipulateur »404.

Pour S. Royal, le populisme serait le fait de son adversaire principal N. Sarkozy lequelaurait tendance à « opposer [les français] les uns aux autres » et à adopter des pratiques

402 A. Collovald, op cit., p. 52. Voir à ce sujet P. Berger et Th. Luckmann, La construction sociale de la réalité, Paris, MéridiensKlincksieck, 1986.

403 Voir P.-A. Taguieff, L’Illusion populiste, op cit., p. 172.404 Voir « La contagion du populisme », in Libération, 8 novembre 2006.

Page 72: Les usages du terme « populisme » dans la campagne ...doc.sciencespo-lyon.fr/.../MFE2007/.../ledroit_o.pdf · cette course électorale. Par ailleurs, force est de constater l’éruption

Les usages du terme « populisme » dans la campagne présidentielle de 2007 Du succès desutilisations stratégiques d’un mot équivoque

72 LEDROIT Orianne_2007

« démagogiques » 405. Même si la signification du mot « démagogie » est ici obscure,nous entrevoyons une possible compréhension au sens négatif de manipulation du peuplebasée sur des mensonges et des fausses promesses. Dans cette perspective, le remèdequ’elle propose, son « rempart contre le populisme »406, s’inscrit dans une volonté d’instaureren complément de la démocratie représentative une dose de démocratie participative afind’associer les citoyens aux processus démocratiques (et notamment à la rédaction de sonpacte présidentiel) et à la décision publique. D’ailleurs, elle voudrait assigner à l’actionpublique une obligation de résultats407, et prendre le temps d’écouter « ce que le peuplea à [nous] dire »408. La candidate va jusqu’à affirmer, dans la suite du discours, que cetemps d’écoute consiste simplement en « un temps d’humilité républicaine, élémentaire ».Ainsi met-elle en évidence sa volonté de défendre la cause du peuple, faisant appel à« l’intelligence collective »409 contre toute Psychologie des foules chère à G. Le Bon. Notonsà ce sujet que, convaincu de l’incapacité de la plupart des hommes à « diriger leur vie entoute autonomie », G. Le Bon suggère, pour les Etats modernes, « un modèle de dirigismepolitique centré sur la figure du meneur de foules ». « Le meneur de foules doit doncrestaurer artificiellement la capacité des masses à croire en une autorité indiscutable, quis’adresse directement à elles avec des discours qui apparaissent comme l’écho renforcéde la vox populi, la traduction efficace de ce que chacun voudrait s’entendre dire »410. Bienau contraire, la candidate ferait le pari d’un réel retour « aux sources de la démocratie dontle premier principe est […] qu’on gouverne avec le peuple et pas contre lui »411. Cettevolonté affichée de revenir à la lettre de la Constitution établissant une souverainetépopulaire412 notamment par l’intermédiaire des débats participatifs serait une méthodepositive et prometteuse qui offrirait l’avantage de dépasser le risque d’une « confiscation dudébat public » par les experts, fuyant ainsi tout populisme. Dans cette logique, dénonçantla posture de certains intellectuels, M. Wieviorka en tête, qui fustigent les méthodes de lasocialiste et implorent de réserver une digne place aux experts dans cette campagne, A.Gauron s’interroge :

« N'est-ce pas au contraire du refus d'écouter les hommes et femmes de ce paysque se nourrissent populistes et démagogues? »413.

La candidate a fait de cette volonté de rapprochement avec le peuple l’axe principalde sa campagne, se revendiquant comme « serviteur du peuple »414. Afin de répondreaux critiques et de contre-attaquer à toute stigmatisation de populisme, elle précise savision nuancée d’un peuple qui ne peut, toutefois, pas décider de tout ; les politiquespouvant être les plus compétentes dans certains domaines ou encore des personnes

405 Voir le discours de S. Royal à Rennes, le 20 février 2007.406 Voir le débat interne à Toulouse, le 9 novembre 2006.407 Voir le débat interne à Toulouse, ibid.408 Voir le discours à Rennes, ibid. et de Rouen, le 24 février 2007.409 Voir le débat interne à Toulouse, ibid.410 Voir« Les populistes. Des xénophobes à la conquête de l’Europe », Courrier international, n° 683, 4 au 10 décembre 2003, p. 52.411 Voir le discours de Rennes, op cit., et de Rouen, op cit.412 Voir Article 3 de la Constitution de 1958 : « la souveraineté nationale appartient au peuple ».413 Voir « Prétentieux intellectuels! », in Libération, 31 janvier 2007.414 Voir le discours de Rennes, ibid.

Page 73: Les usages du terme « populisme » dans la campagne ...doc.sciencespo-lyon.fr/.../MFE2007/.../ledroit_o.pdf · cette course électorale. Par ailleurs, force est de constater l’éruption

2ème partie : Le triomphe des usages polémiques et stratégiques du concept. Analyse desreprésentations cachées derrière ce mot : entre hyperdémocratisme, pseudo-démocratisme et

anti-démocratisme

LEDROIT Orianne_2007 73

légitimement investies pour « trancher » les questions délicates415. Elle proposerait doncune synthèse entre l’expertise et l’appel au peuple, loin de tout populisme, dénonçant, dansses discours de Rennes et de Rouen « les beaux projets des réformes sortis des cartonsdes technocrates qui y retourneront aussi vite, parce qu’ils seront inapplicables »416. Ainsi ladémocratie serait-elle vaccinée contre toute forme de dérive populiste grâce à l’introductiond’une « démocratie plus participative »417.

Ce thème de l’association du peuple aux décisions publiques et notamment auxréformes basées sur la pédagogie du président est aussi mobilisé par Bayrou qui, dansson discours de Nice, promet « d’investir le peuple de responsabilités » afin de lutter contre« cette absence de démocratie »418. Par ailleurs, F. Bayrou fournit sa réponse à la crisedémocratique et au populisme, vu comme une réaction anti-démocratique, dans sa volontéde modérantisme centriste ; volonté résumée avec humour et ironie par J. Julliard dans unarticle de Libération. En effet, sa politique se résumerait à l’idée selon laquelle :

« si tous les gens du monde voulaient se donner la main, on formerait une chouetteéquipe de copains qui gouverneraient la France dans le sens de l'intérêt général »419.

Comme l’affirme J.M Colombani dans un remarquable éditorial intitulé « Impératifdémocratique », François Bayrou incarnerait une « posture nouvelle », « une forme d’unionnationale »420.

Enfin, N. Sarkozy s’impose en candidat du « parler vrai » notamment au travers de cesdiscours. En effet, il affirme :

« Vous en avez assez que l’on ne puisse pas parler de la nation sans être accuséde nationalisme, […] que l’on ne puisse pas évoquer la France qui souffre sansêtre immédiatement taxé de populisme. Vous en avez assez de la langue de boiset vous avez raison »421.

Cette posture revendiquée est mise en avant dans certains articles de notre corpusconstatant son « franc parler »422. Il se pose dans une logique de récusation d’un populismeen tant que critique adressée à un candidat qui oserait prendre en considération les couchespopulaires, « la France qui souffre ». Ainsi le leader de la droite rejette la vision de la gauched’un peuple « populiste »423 ; propos démontrant que la gauche se serait détournée de la« France d’en bas » (pour reprendre une expression célèbre de J.P Raffarin) ne retenant

415 Voir le discours de S. Royal à Rouen, ibid.416 Voir les discours de Rennes et de Rouen, ibid.417 Voir le débat interne de Toulouse, op cit.

418 Voir le discours de F. Bayrou à Nice, le 17 mars 2007.419 Voir « Ce centrisme imaginaire », in Libération, 14 mars 2007.420 Voir l’éditorial qui ne fait pas partie intégrante de notre recueil : « Impératif démocratique », in Le Monde, 20 avril 2007.

421 Voir notamment les discours de N. Sarkozy à Villebon-sur-Yvette, le 20 mars 2007, à Lille, le 28 mars 2007, à Meaux, le

13 avril, et à Clermont-Ferrand, le 27 avril 2007422 Voir notamment à ce sujet : « Les étudiants et Sarkozy », in Libération, 5 septembre 2006 ; « Sarkozy, de la prise de l'UMP àla bataille de l'Élysée », in Le Figaro, 15 janvier 2007 ; « Comment Nicolas Sarkozy a conquis l’Elysée », in Libération, 6 mai 2007 ;« Langue de bois et discours de fer », in L’Humanité, 26 mai 2007. Voir, pour une critique de cette posture : « Une certaine idée dela vérité », in L’Humanité, 5 mai 2007.423 Voir notamment le discours de Tours, du 10 avril 2007.

Page 74: Les usages du terme « populisme » dans la campagne ...doc.sciencespo-lyon.fr/.../MFE2007/.../ledroit_o.pdf · cette course électorale. Par ailleurs, force est de constater l’éruption

Les usages du terme « populisme » dans la campagne présidentielle de 2007 Du succès desutilisations stratégiques d’un mot équivoque

74 LEDROIT Orianne_2007

que l’étymologie négative du peuple comme populace et non comme plèbe éclairée. Enoutre, comme il le souligne dans son discours de Lorient, le populisme serait aussi uneéchappatoire potentielle pour un peuple qui a perdu confiance dans ses élites, et qui seraittenté par l’extrémisme. Ainsi, pour combattre un populisme vu comme pseudo- voire un anti-démocratisme, il se pose en candidat de l’action et du résultat et vante les mérites de sapolitique ; une politique de l’honnêteté, de la vérité, de la sincérité, de « la transparence » enrupture par rapport au passé et aux pratiques des autres hommes politiques. Aussi affirme-t-il :

« Je veux en finir avec le politiquement correct et avec la pensée unique »424.Et le candidat de poursuivre :

« Je ne vous mentirai pas, je ne vous tromperai pas, je ne vous trahirai pas. Jecontinuerai de vous dire la vérité »425.

Au passage, le candidat de l’UMP épingle la proposition de jurys populaires faite par lacandidate socialiste qui seraient assimilés à des « soviets ». Enfin il atteste :

« Moi c’est aux Français que je veux parler »426.Ainsi résume-t-il sa position, dans un discours de l’entre-deux tours, en se parant des vertusd’un « hyper-démocratisme » ambitieux, maintenant la politique loin du populisme anti-démocratique :

« Je veux être le candidat du peuple sans être traité de populiste. Je veux êtrele candidat du peuple, non pour dégrader la politique dans le populisme maispour l’élever en lui donnant cette dimension populaire qui est la seule susceptiblede la rendre humaine. Je veux être le candidat du peuple parce que dans unedémocratie il n’y a pas d’autre légitimité pour la politique que la légitimitépopulaire »427.

N. Sarkozy clame son intention de rétablir la dimension populaire de la démocratie, revenantà l’héritage grec. Il pratique donc un appel au peuple afin de démocratiser une démocratiemalade et détournée de son idéal.

Les candidats chercheraient donc à être, pour continuer de filer la métaphore médicalesi répandue quand on parle de populisme, les thérapeutes de la campagne émettant dessuggestions de traitements pour soigner la démocratie souffrante. Ce faisant, les praticiens-candidats428 se couvrent des vertus d’un démocratisme réel, rejetant le populisme dansle domaine de l’anti-démocratisme, et reprenant à leur compte la formule de J. Julliardselon laquelle le populisme constitue « le peuple sans la démocratie »429. En effet, dansson discours de Nice, le candidat centriste oppose très explicitement l’adjectif « populiste »

424 Voir les discours de N. Sarkozy référencés noten° 421.425 Voir la note précédente, note n° 421.426 Voir notamment le discours de Tours, le 10 avril 2007.427 Voir le discours de N. Sarkozy à Montpellier, le 3 mai 2007. Voir au sujet à ce sujet un article qui ne fait pas partie

intégrante du corpus : « Nicolas Sarkozy contre-attaque et se pose en ‘porte-parole du peuple’ », in Le Monde, 29-30 avril

2007.428 On peut rappeler à ce sujet l’expression « candidate-infirmière » au sujet de S. Royal dans « Ébranler le confort intellectuel »,

in Le Figaro, 23 février 2007. Voir aussi l’expression de Nietzsche « médecin de la civilisation ».429 J. Julliard, La faute aux élites, Paris, Gallimard, 1997, p. 232.

Page 75: Les usages du terme « populisme » dans la campagne ...doc.sciencespo-lyon.fr/.../MFE2007/.../ledroit_o.pdf · cette course électorale. Par ailleurs, force est de constater l’éruption

2ème partie : Le triomphe des usages polémiques et stratégiques du concept. Analyse desreprésentations cachées derrière ce mot : entre hyperdémocratisme, pseudo-démocratisme et

anti-démocratisme

LEDROIT Orianne_2007 75

à celui de « démocratique » se revendiquant comme fervent opposant au premier etauthentique défenseur du second. Ainsi, il estime :

« qu'une campagne électorale, au lieu d'être populiste, doit être démocratique »430

.Les trois principaux candidats ont donc mis en avant un nouveau rapport avec le peuplelors de cette campagne, n’ayant à la manière de S. Royal « pas peur du peuple », mais« le respect[ant] »431. Dans cette logique, C. Arnaud met en évidence un paradoxe de lacampagne électorale :

« nos candidats s’efforceraient plutôt de paraître l’organe du peuple. […]. Plus lepeuple leur donne tort, plus ils tendent à lui donner raison »432.

Au contraire, comme nous l’avons vu précédemment, le Front national s’est réappropriéle label populiste. Mais seulement au prix d’un retournement sémantique, redonnant àcette étiquette une connotation positive. En effet, J.M Le Pen revendique désormais leterme populisme comme désignation de l’hyper-démocratisme de son courant, prônantla démocratie directe notamment au travers des référendums d’initiative populaire. Ainsi,ces adversaires ne seraient que des faux démocrates. Pour autant, A. Collovald démontebrillamment le concept de « populisme du FN » ; concept reconnu par la plupart desspécialistes. Celui-ci serait « un dangereux contresens », « dangereux » au sens où ilrévèlerait un traitement dédaigneux et méprisant des couches populaires ainsi qu’uneeuphémisation fâcheuse du Front national. Il constituerait ensuite un « contresens » dans lamesure il ne serait pas prouvé dans les faits. « Le populisme est une pure abstraction pourintellectuels politiques affectionnant les universaux dépouillés de tout référent concret » leurservant aussi « d’instrument de lutte pour la refondation de la démocratie représentativedonnée pour plus légitime lorsqu’elle se fonde sur l’expertise » 433.

Aussi faudrait-il suivant les recommandations du philosophe Alain « résister à toutopinion qui se donne pour évidente » car elle cacherait des enjeux de pouvoir et declassement. Le mot « populisme » se trouve donc bien à la croisée de luttes symboliqueset de luttes électorales intenses. Son ambivalence constitutive facilite ses appropriationsstratégiques multiples et variées.

430 Voir le discours de F. Bayrou à Nice, op cit.431 « ‘Le dialogue avec le peuple’ selon Royal », in Libération, 23 octobre 2006.432 Voir « Qui dit ‘je’ en eux », in Le Monde, Supplément spécial, op cit., 22 mars 2007.433 A. Collovald, op cit., p. 47 et p. 17. Voir aussi l’entretien avec A. Collovald, « Les groupes populaires ont une culture politique », inL’Humanité, 18 novembre 2006. Au sujet du rejet de la posture antipopuliste des élites libérales, voir aussi S. Halimi, « Le populisme,voilà l’ennemi ! », Le Monde diplomatique, avril 1996, repris dans Mots, n°55, juin 1998, p. 115-121 et J.F Kahn, « Dynamiter lestabous », dans D. Martin-Castelnau (dir.), Combattre le Front national, Paris, Editions Vinci, 1995, p. 43.

Page 76: Les usages du terme « populisme » dans la campagne ...doc.sciencespo-lyon.fr/.../MFE2007/.../ledroit_o.pdf · cette course électorale. Par ailleurs, force est de constater l’éruption

Les usages du terme « populisme » dans la campagne présidentielle de 2007 Du succès desutilisations stratégiques d’un mot équivoque

76 LEDROIT Orianne_2007

Conclusion : De la force des mots enpolitique

« Et j’en ai assez de toutes ces étiquettes que l’on colle sur les mots, sur lesidées, sur les gens et qui n’ont aucun sens, qui ne reflètent rien d’autre que lespréjugés de ceux qui les fabriquent »

N. Sarkozy, discours de Tours, le 10 avril 2007.Conclure.Mais comment conclure sur un sujet aussi vaste, passionnant et sur un objet d’étude

en mouvement, en construction, en déconstruction voire en reconstruction permanente ?Un objet d’étude complexe puisque familier ; au sens où nous entendons à profusion

le mot « populisme » utilisé dans toutes sortes de domaines autres que la politique, dela gastronomie434 à la sociologie. Rappelons brièvement le livre référence Le savant etle populaire. Misérabilisme et populisme en sociologie et en littérature de C. Grignon etJ.C Passeron435 dans lequel les sociologues soulignent le fait que « les approches descultures populaires [oscillent] entre deux dérives » que sont le populisme et le légitimisme ; lapremière dérive étant le fait d’une sacralisation des « cultures populaires comme des entitésdotées d’une d’autosuffisance symbolique »436 . Un objet d’étude délicat puisqu’analysédans le contexte d’une campagne électorale à laquelle en tant que citoyen nous avonspris part. Objet d’étude d’autant plus compliqué que nous avons des convictions politiquesaffirmées et établies, orientant ainsi notre vision de la bataille électorale, notre approchedes différents candidats ; et nous laissant sujets à des préjugés et des préconçus quisont des obstacles à une recherche scientifique, visant l’intelligibilité. Telle est la principalepierre d’achoppement d’un travail sur un objet qui s’inscrit dans une temporalité présente.Aussi avons-nous essayé de prendre nos distances avec notre objet d’étude et, suivantles conseils des sociologues P. Bourdieu et J.C Passeron de travailler à une ruptureépistémologique afin de séparer les connaissances spontanées et riches en prénotions desconnaissances scientifiques437. Il nous a donc fallu déconstruire notre réalité a priori afin dereconstruire une analyse, d’approcher une objectivité savante au travers d’une distanciationsalutaire. En effet, comme nous l’indique si justement Alain : « Penser, c’est dire non »438.L’ironie est que, travaillant à cette prise de distance par rapport au mot « populisme », nousavions à étudier des textes (articles ou discours) qui n’ayant bien souvent aucune prétention

434 Voir à ce sujet dans le supplément Télévision du Nouvel Observateur, un article de P. Couderc intitulé « L’événement d’unguide. Michelin : centenaire, jésuite, moderniste et populiste », n°238, 21-27 mars 1998, TéléObs, p. 66.

435 C. Grignon et J.C Passeron, Le savant et le populaire. Misérabilisme et populisme en sociologie et en littérature, Paris,EHESS-Gallimard-Seuil, 1989.

436 Voir P. Corcuff, Les nouvelles sociologies, Paris, Nathan, Coll. « 128 », 1995, p. 42.437 Voir notamment à ce sujet : P. Bourdieu, J.C Chamboredon et J.C Passeron, Le métier de sociologue, Paris, Mouton-

Bordas, 1968438 Cité dans A. Bellon, « Votez bien, ils feront le reste », Le Monde Diplomatique, n° 616, juillet 2005.

Page 77: Les usages du terme « populisme » dans la campagne ...doc.sciencespo-lyon.fr/.../MFE2007/.../ledroit_o.pdf · cette course électorale. Par ailleurs, force est de constater l’éruption

Conclusion : De la force des mots en politique

LEDROIT Orianne_2007 77

intellectuelle, mobilisent la plupart du temps des préjugés et des représentations subjectiveset orientées de la réalité.

Ainsi se trouvent les difficultés à surmonter et les barrières à franchir quand l’on décidede s’attacher à une réflexion située sur un objet d’autant plus éloigné de nous que nousen sommes proches. Toutefois, rejetant toute prétention à l’exhaustivité, notre travail nefournit que des pistes de réflexion et ouvre des fenêtres pour une analyse sémantiquedu terme « populisme ». Il n’y aurait pas de vérités établies sur le sujet ; en témoignentd’ailleurs les importantes confrontations savantes autour du concept de populisme et de samatérialisation empirique réelle ou illusoire dans le champ du politique. Notre raisonnementa cherché à démontrer que le flou conceptuel de la notion de « populisme », résidant dansune étymologie polysémique, a rendu difficile tout usage savant du concept. Confirmantcette difficulté, la campagne présidentielle de 2007, dans son traitement médiatique ainsique dans les discours des candidats, a été le lieu d’un usage souvent grossier (au sensd’approximatif et ascientifique) et stratégique du mot. Le populisme serait devenu, à l’imagedu peuple dans un article de A. Duhamel, « un projectile avec lequel il s’agit de blesserl’adversaire »439, chaque candidat réfutant l’appellation à son égard. D’ailleurs, force estde constater que la campagne présidentielle trouve son originalité dans l’omniprésence dumot « populisme » qui a été utilisé à l’égard des principaux candidats à la magistraturesuprême, quatuor formé par S. Royal, N. Sarkozy, F. Bayrou et enfin J.M Le Pen. Dans unelutte sémantique aussi acharnée, le populisme a « volé » de part et d’autre des tribunes demeetings et des articles de quotidiens nationaux, naviguant entre les commentateurs, lesacteurs politiques et même les électeurs. Le mot « populisme » serait ainsi un terme qui agitbien plus qu’un mot qui informe ou décrit. Aussi « les mots en ‘isme’ » sont-ils pour P.-A.Taguieff des « mots avec lesquels on fait des choses (attaquer, stigmatiser, [...] etc.), maisau moyen desquels on n’analyse pas. Moyens d’agir et non de connaître » 440.

Au-delà de notre objet d’étude lui-même, cette réflexion souligne la prépondérance dela parole et du langage dans la vie politique actuelle. La politique est l’art du langage441.Preuve en est s’il faut, qu’un homme politique ne peut réussir s’il n’est pas bon orateur,capable de joutes verbales et d’envolées lyriques, mais aussi un grand communicant. Ainsi,« l’amour de la langue et la passion du discours en France conduit à attribuer, à tort ouà raison, un caractère décisif à des événements de parole »442. Cette affirmation viendraitainsi justifier une réflexion de la campagne présidentielle basée sur une entrée lexicale. Lepoids des mots expliquerait d’ailleurs pourquoi les plus grands candidats ont recours à des« plumes » (de plus en plus médiatisées aujourd’hui alors qu’elles restaient dans l’ombreauparavant) spécialisées dans l’art de la rhétorique. Ainsi en était-il du rôle de H. Guainopour N. Sarkozy à partir du discours de Nîmes de mai 2006.

Toutefois, ne pourrions-nous pas suggérer, reprenant les pensées de R. Debray, quedorénavant, le « choc des photos », de « l’Image » (un des « quatre chevaliers de notreApocalypse ») viendrait à remplacer le poids des mots443. Faut-il, pour autant, opposer

439 Voir « La contagion du populisme », in Libération, 8 novembre 2006.440 P.-A. Taguieff, L’Illusion populiste, op cit., p. 87.441 Voir l’article du Monde qui n’est pas partie intégrante de notre corpus : « Par mon verbe, je vaincrai », in Le Monde, 3

janvier 2007.442 D. Bertrand, A. Dézé et J.L Missika, Parler pour gagner, op cit., p. 65.443 Voir notamment à ce sujet : R. Debray, Que vive la République !, Paris, Odile Jacob, 1989.

Page 78: Les usages du terme « populisme » dans la campagne ...doc.sciencespo-lyon.fr/.../MFE2007/.../ledroit_o.pdf · cette course électorale. Par ailleurs, force est de constater l’éruption

Les usages du terme « populisme » dans la campagne présidentielle de 2007 Du succès desutilisations stratégiques d’un mot équivoque

78 LEDROIT Orianne_2007

frontalement ces deux domaines ? N’agissent-ils pas de concert dans la vie politique ? Lemot « populisme » n’agirait-il pas comme une image péjorante ?

Avec l’importance du média télévision et le reflux relatif de la presse écrite ouradiophonique, force est de constater que les images envahissent les foyers des Françaisbien plus que les mots. Rappelons à ce sujet que J.M Cotteret affirme : « Gouverner, c’estparaître »444. Lors de cette campagne présidentielle, les apparences semblent avoir joué unrôle essentiel. En témoigne par exemple, l’importance consacrée aux modalités de la miseen scène des débats télévisés de la primaire socialiste, ainsi que de l’incontournable débatde l’entre-deux tours opposant N. Sarkozy à S. Royal. Tout est réglé à la lettre, de la positiondes candidats, à la couleur des tenues portées par les participants, en passant par le décor.Aussi L. Kritzman énonce-t-il, analysant une « campagne à l’américaine » :

« ce qui est le plus frappant dans cette campagne électorale, c’est que les idéescomptent moins que les gestes ‘publicitaires’. Les candidats sont surtout préoccupés parleur propre image. Comme Hillary Clinton, Ségolène Royal est devenue la cible des médiasqui détaillent ses tenues et épient ses moindres gestes »445.

Symbole du triomphe de la politique-spectacle ? De « l’Etat spectacle » pour reprendrele titre d’un ouvrage célèbre de R.G. Schwartzenberg446 ? D’une « démocratie de laséduction »447 ?

Malgré cet apparent triomphe de l’image, nous voudrions souligner qu’il est nécessaired’entrevoir l’importance d’un mot, par exemple, le mot « populisme » dans le langagepolitique contemporain, ce qui justifie a posteriori une telle analyse sémantique. En effet, sile « poids médiatique […] et les concours des images semblent l’avoir emporté », ce n’estpas tant sur le poids des mots, mais plus sur « l’argumentation de fond »448. Dans cettelogique, D. Strauss-Kahn a résumé l’ambiance de cette campagne, lançant le 6 mars :

« Aujourd’hui, le fond n’a plus d’importance. Ce qui compte, ce n’est pas ce qu’on dit,mais la façon dont on le dit »449.

Et « l’émotion, le mot qui fait mouche […] ont plus d’importance et d’influence qu’unlong raisonnement »450. Ainsi, sortant d’une « dénonciation pieuse » (selon l’expressionde R. Barthes), il s’agit ici de comprendre que le poids des images participe d’uneévolution inéluctable de la politique, s’adaptant à son temps et aux nouvelles techniquesde communication, qui offre aussi l’avantage d’un accès facilité et démocratisé pour lamajorité des citoyens. La politique rentrerait dans les foyers par l’intermédiaire de la petite« lucarne ». Au risque de « flirter avec le degré zéro de la politique », les candidatsdéploient une « énergie [considérable] pour ressembler à un ‘Français moyen’ »451. « Certes,aucune politique ne peut se réduire à la théâtralité, mais elle ne peut pas non plus s’en

444 J.M Cotteret, Gouverner, c’est paraître, Paris, PUF, Coll. Quadrige, 2002.445 Voir « C’est une campagne à l’américaine », in Le Monde, Supplément Spécial, op cit., 22 mars 2007.446 R.G Schwartzenberg, L'Etat spectacle, Paris, Flammarion, 1977.447 Voir R. Debray, op cit.448 Voir « La guerre des trois aura-t-elle lieu ? », in L’Humanité, 17 octobre 2006.449 Voir « La présidentielle des gens ordinaires », in Le Monde, 4 avril 2007.450 Y. Mény et Y. Surel, op cit., p. 124-125.451 Voir « La présidentielle des gens ordinaires », in Le Monde, 4 avril 2007.

Page 79: Les usages du terme « populisme » dans la campagne ...doc.sciencespo-lyon.fr/.../MFE2007/.../ledroit_o.pdf · cette course électorale. Par ailleurs, force est de constater l’éruption

Conclusion : De la force des mots en politique

LEDROIT Orianne_2007 79

passer »452. Pour autant, la « thèse du ‘vidéo-pouvoir’ simplifie considérablement la politiqueen la réduisant à n’être qu’une simple technique de communication »453. « La politiquetraditionnelle est donc en crise car elle n’a pas su ajuster ses modes de parler et de fairedans le nouvel environnement médiatique »454.

452 Voir « Du duce au vidéocrate » par R. Bodei de La Repubblica (Rome), in « Les populistes. Des xénophobes à la conquêtede l’Europe », Courrier International, n° 683 du 4 au 10 décembre 2003, p. 52.

453 Voir A. Collovald, op cit., p. 195. Voir aussi à ce sujet E. Neveu, Une société de communication ?, Paris, Montchrestien, 1994.454 Y. Mény et Y. Surel, op cit., p. 125-126.

Page 80: Les usages du terme « populisme » dans la campagne ...doc.sciencespo-lyon.fr/.../MFE2007/.../ledroit_o.pdf · cette course électorale. Par ailleurs, force est de constater l’éruption

Les usages du terme « populisme » dans la campagne présidentielle de 2007 Du succès desutilisations stratégiques d’un mot équivoque

80 LEDROIT Orianne_2007

Bibliographie

1/ Les ouvrages

Ouvrages spécifiques au thème abordé

CHIRAC, Jacques, La France pour tous -Paris : NiL Editions, 1994.137 p.COLLOVALD, Annie, Le « populisme du FN » un dangereux contresens

-Broissieux :Editions du Croquant, Coll. Savoir/Agir 2004. 253 p.DORNA, Alexandre, Le populisme –Paris : PUF, Coll. « Que sais-je ? », 1999. 126 p.LECOEUR, Erwan, Un néo-populisme à la française. Trente ans de Front national –

Paris : Ed. La Découverte, Coll. Cahiers libres, 2003. 280 p.RIOUX, Jean-Pierre (dir.), Les populismes -Paris : Presses de la Fondation nationale

des sciences politiques et Perrin, Coll. Tempus, 2007. 433 p.MENY, Yves et SUREL, Yves, Par le peuple, pour le peuple. Le populisme et les

démocraties - Paris : Fayard, 2000. 326 p.TAGUIEFF, Pierre-André, L’Illusion populiste. Essai sur les démagogies de l’âge

démocratique - Paris : Champs Flammarion, 2007. 455 p.

Ouvrages sur l’analyse lexicale

AUSTIN, John Langshaw, Quand dire, c’est faire - Paris : Seuil, Points Essais, 1991.202 p.

BERTRAND, Denis, DEZE, Alexandre et MISSIKA, Jean-Louis, Parler pour gagner.Sémiotique des discours de la campagne présidentielle de 2007 - Paris : Presses deScience Po, Coll. Nouveaux Débats, 2007. 145 p.

CALVET, Louis-Jean, VERONIS, Jean, Combat Pour l’Elysée - Paris : Seuil, 2006. 205p.

MAYAFFRE, Damon, Paroles de Président. Jacques Chirac (1995-2003) et le discoursprésidentiel sous la Vème République - Paris : Honoré Champion, 2004. 292 p.

SOUCHARD, Maryse, WAHNICH, Stéphane, CUMINAL, Isabelle et WATHIER, Virginie,Le Pen, les mots. Analyse d’un discours d’extrême-droite - Paris : Le Monde Edition,1998. 280 p.

TROGNON, Alain et LARRUE, Janine, Pragmatique du discours politique - Paris :Armand Colin, Coll. U, 1994. 183 p.

Page 81: Les usages du terme « populisme » dans la campagne ...doc.sciencespo-lyon.fr/.../MFE2007/.../ledroit_o.pdf · cette course électorale. Par ailleurs, force est de constater l’éruption

Bibliographie

LEDROIT Orianne_2007 81

Ouvrages généraux de la science politique et des sciences sociales(sociologie, histoire…)

BERGER, Peter et LUCKMANN, Thomas, La construction sociale de la réalité -Paris :Méridiens Klincksieck, 1986. 357 p.

BOURDIEU, Pierre, CHAMBOREDON, Jean-Claude et PASSERON, Jean-Claude, Lemétier de sociologue - Paris : Mouton-Bordas, 1968. 357 p.

BOURDIEU, Pierre, Sur la Télévision - Paris : Raisons d’agir, 1996. 95 p.

BRAUD, Philippe, L’émotion en politique - Paris : Presses de Science Po, Coll.Références Inédites, 1996. 256 p.

CORCUFF, Philippe. Les nouvelles sociologies - Paris : Nathan, Coll. « 128 », 1995.126 p.

DEBRAY, Régis. Que vive la République ! - Paris : Odile Jacob, 1989. 217 p.

ENRIQUEZ, Eugène. De la horde à l’Etat. Essai de psychanalyse du lien social -Paris :Gallimard, 1983. 460 p.

GRIGNON, Claude et PASSERON, Jean-Claude. Le savant et le populaire.Misérabilisme et populisme en sociologie et en littérature - Paris : EHESS-Gallimard-Seuil, 1989. 260 p.

GRUNBERG, Gérard, MAYER, Nonna et SNIDERMAN, Paul M. (dir.). La démocratieà l’épreuve. Une nouvelle approche de l’opinion des Français - Paris : Presses desciences po, 2002. 349 p.

JULLIARD, Jacques. La faute aux élites - Paris : Gallimard, 1997. 238 p.

MINC, Alain. L’Ivresse démocratique -Paris : Gallimard, 1995. 266 p.

ROSANVALLON, Pierre. Le peuple introuvable. Histoire de la représentationdémocratique en France -Paris : Gallimard, Bibliothèque des Histoires, 1998. 379 p.

ROSANVALLON, Pierre. La démocratie inachevée. Histoire de la souveraineté dupeuple en France - Paris : Gallimard, Bibliothèque des Histoires, 2000. 441 p.

WEBER, Max. Le savant et le politique - Paris : Plon, 1963. 221 p.

Dictionnaires et encyclopédies

Dictionnaire encyclopédique Larousse, Librairie Larousse, 1979.

Le dictionnaire historique et géopolitique du 20 ème siècle, La Découverte, 2ème

édition augmentée, 2005.

2/ Les articles de référence

Page 82: Les usages du terme « populisme » dans la campagne ...doc.sciencespo-lyon.fr/.../MFE2007/.../ledroit_o.pdf · cette course électorale. Par ailleurs, force est de constater l’éruption

Les usages du terme « populisme » dans la campagne présidentielle de 2007 Du succès desutilisations stratégiques d’un mot équivoque

82 LEDROIT Orianne_2007

Articles sur les populismes 455

DERVILLE, Grégory, Le discours du ‘Bébête Show’ de TF1 : populaire ou populiste ?Mots/Les langages du politique, n° 48, septembre 1996, p. 115-126.

GRUNBERG, Gérard, La mesure du populisme. Sur quelques questions de méthodes.Mots/Les langages du politique, n°55, juin 1998, p. 122-127.

HALIMI, Serge, Le populisme, voilà l’ennemi ! Le Monde diplomatique, avril 1996, reprisdans Mots, n°55, juin 1998, p. 115-121.

HERMET, Guy (entretien avec), Du bon usage du populisme. Le Monde 2, 4 novembre2006, p. 46-50.

KOBI, Silvia, Entre pédagogie et démagogie populiste. Mots/les langages du politique, n°43, juin 1995, p33-50.

TAGUIEFF, Pierre-André, Populismes et antipopulismes : le choc des argumentations.Mots/Les Langages du politique, n°55, juin 1998, p. 5-26.

ZAWADZKI, Paul, Entre ethnos et dêmos : les populismes en Pologne. Mots/Leslangages du politique, n°55, Juin 1998, p. 27-44.

Articles sur l’analyse lexicale en science politique

LAFON, Pierre et SALEM, André, L’inventaire des segments répétés d’un texte. Mots, n°6, 1983, p. 161-177.

De MONTVALON, Jean-Baptiste, Par mon verbe, je vaincrai. Le Monde, 3 janvier 2007.

PROST, Antoine, Les mots. in R. Rémond (dir.). Pour une histoire politique-Paris :Seuil, 1988, p. 255-282.

Articles sur la démocratie et la campagne présidentielle de 2007

ANDREANI, Jean-Louis, La présidentielle des gens ordinaires. Le Monde, 4 avril 2007.

ARNAUD, Claude, Qui dit ‘je’ en eux. Le Monde, Supplément spécial, « Débats : lesintellectuels jugent la présidentielle », 22 mars 2007.

BELLON, André, Votez bien, ils feront le reste. Le Monde Diplomatique, n° 616, juillet2005.

COLOMBANI, Jean-Marie, Impératif démocratique. Le Monde, 20 avril 2007.

GODET, Michel, Démocratie ou démagogie ? Le Monde, 24 janvier 2007.

GOULLIAUD, Philippe, Bayrou cherche un moyen de relancer sa campagne, Le Figaro,2 avril 2007.

455 A noter que les articles de la revue Vingtième siècle. Revue d’histoire n° 56, octobre-novembre 1997 se trouvent dans

l’ouvrage collectif sous la direction de J.-P. Rioux (cité précédemment dans la bibliographie).

Page 83: Les usages du terme « populisme » dans la campagne ...doc.sciencespo-lyon.fr/.../MFE2007/.../ledroit_o.pdf · cette course électorale. Par ailleurs, force est de constater l’éruption

Bibliographie

LEDROIT Orianne_2007 83

JAFFRE, Jérôme, Réflexions sur la ‘sondomanie’. Pouvoirs, n°33, 1985.

LAZORTHES, Frédéric, La droite et la crise du gouvernement national. Le Débat, n°131, octobre 2004.

MIQUET-MARTY, François, Les quatre crises de la représentation politique. Esprit, n°2,Février 2006.

MOREL, Laurence, Vers une démocratie directe partisane. En relisant Ian Budge.Revue Française de Science Politique, n°4-5, Vol. 50, août-octobre 2000.

RIDET, Philippe,Nicolas Sarkozy contre-attaque et se pose en ‘porte-parole du peuple’,Le Monde, 29-30 avril 2007.

ROZES, Stéphane, Aux origines de la crise politique. Le Débat, n° 134, mars-avril 2005.

WEILL, Nicolas. Entretien avec L. Kritzman, ‘C’est une campagne à l’américaine’. LeMonde, Supplément spécial, « Débats : les intellectuels jugent la présidentielle », 22mars 2007.

Dossiers spéciaux dans les revues

« Les crises de la démocratie ». L’Histoire, n°275, avril 2003, p. 33-57.

« Les populistes. Des xénophobes à la conquête de l’Europe ». Courrier International, n° 683 du 4 au 10 décembre 2003, p. 48-54.

« Tout le mal qu’ils pensent de Sarkozy et de Ségolène (sans oublier Bayrou) ».Courrier International, n° 854 du 15 au 21 mars 2007, p. 10-19.

« C’est moi la patronne ». Nouvel Observateur, 29 mars-4 avril 2007, p. 48-61.

« Gauche/droite », Philosophie magazine, n° 6, février 2007.

3/ Sites Internet

VERONIS, Jean. Technologies du Langage [en ligne, consulté tout au long de larecherche] : <http://aixtal.blogspot.com>

BOURIGUAULT, Didier et SAJOUS, Franck.LexiMédia 2007 [en ligne, consulté tout aulong de la recherche]: <http://erss.irit.fr:8080/LexiMedia2007/search/forme.jsp>

Centre de Recherches Politiques de Sciences Po [en ligne, consulté en juillet 2007] :<http://www.cevipof.msh-paris.fr/bpf/index.htm>

Portail de l’université Lyon II pour l’accès aux dictionnaires et encyclopédies [enligne, consulté en juillet 2007] :<http://etu.univ-lyon2.fr/index_frame.html>

Journal Le Monde [en ligne, consulté tout au long de la recherche]: <http://LeMonde.fr>

L’Humanité [en ligne, consulté tout au long de la recherche]: <http://www.humanite.fr>

Page 84: Les usages du terme « populisme » dans la campagne ...doc.sciencespo-lyon.fr/.../MFE2007/.../ledroit_o.pdf · cette course électorale. Par ailleurs, force est de constater l’éruption

Les usages du terme « populisme » dans la campagne présidentielle de 2007 Du succès desutilisations stratégiques d’un mot équivoque

84 LEDROIT Orianne_2007

Le Figaro [en ligne, consulté tout au long de la recherche]: <http://www.lefigaro.fr>

Libération [en ligne, consulté tout au long de la recherche]: <http://www.liberation.fr>

Page 85: Les usages du terme « populisme » dans la campagne ...doc.sciencespo-lyon.fr/.../MFE2007/.../ledroit_o.pdf · cette course électorale. Par ailleurs, force est de constater l’éruption

Annexes

LEDROIT Orianne_2007 85

Annexes

ANNEXE N°1 : LISTE DES DISCOURS UTILISES DANSLE CORPUS456

Marie-George Buffet : Déclaration publique du 22 décembre 2006.Dominique Voynet : Déclaration à la presse du 22 janvier 2007.François Bayrou : Discours au Nice, le 17 mars 2007.Jean Marie Le Pen :Discours au Bourget, le 12 novembre 2006,à Marseille, le 3 mars 2007,à Nice, le 19 avril 2007.Ségolène Royal :Débat interne à Toulouse, le 9 novembre 2006,à Rennes, le 20 février 2007*,à Rouen le 24 février 2007.Nicolas Sarkozy :Conférence de presse sur l’immigration, le 11 décembre 2006,discours à Villebon-sur-Yvette, le 20 mars 2007*,à Lille, le 28 mars 2007,à Lorient, le 3 avril 2007,à Tours, le 10 avril 2007,à Meaux le 13 avril 2007,à Clermont, le 27 avril 2007,à Montpellier, le 3 mai 2007*.Après avoir listé les 17 discours qui sont dans le corpus, nous pouvons aussi calculer

la fréquence de l’occurrence du terme « populisme/populiste » dans le discours de chaquecandidat (en prenant en compte le nombre de discours répertoriés pour chaque candidatsur le site de J. Véronis) :

456 Les discours suivis d’un astérisque sont reproduits, en partie, dans la suite des annexes (Annexes n° 2 et 3 et 4) car

ils nous paraissent illustratifs de l’usage du terme « populisme » par les deux principaux candidats (leurs autres discours

reprenant généralement les mêmes formulations).

Page 86: Les usages du terme « populisme » dans la campagne ...doc.sciencespo-lyon.fr/.../MFE2007/.../ledroit_o.pdf · cette course électorale. Par ailleurs, force est de constater l’éruption

Les usages du terme « populisme » dans la campagne présidentielle de 2007 Du succès desutilisations stratégiques d’un mot équivoque

86 LEDROIT Orianne_2007

BUFFET : 1/16 = 0,0625BAYROU : 1/43 = 0,02325VOYNET : 1/12 = 0,0833LE PEN : 3/27 = 0,111ROYAL : 3/ 42 = 0,0714SARKOZY : 8/63 = 0,127

ANNEXE N°2 : EXTRAIT DU DISCOURS DESEGOLENE ROYAL A RENNES LE 20 FEVRIER 2007

Chers amis, je suis heureuse de vous retrouver si nombreux, foule amicale, rassemblementjoyeux et qui autorise tous les espoirs. Nous commençons ici notre marche vers la victoire.Je veux d’abord saluer Rennes, une ville que la gauche avec Edmond Hervé et son équipea su mettre à l’avant-garde de la technologie, du développement durable, avec un pari sur letransport collectif qu’il a su excellemment relever. Edmond, au moment où tu as annoncé tadécision de mettre un terme en 2008 à ton mandat, je veux dire que pour tous les socialistestu es une référence morale et un exemple pour toute une génération d’élus dont je suis.

[…]Moi, j’ai confiance dans notre mouvement, votre présence nombreuse en est le signe.

J’ai confiance dans la lucidité des Français sur le bilan des uns comme sur celui des autres.Et ceux qui ont été responsables de l’échec d’aujourd’hui ne peuvent pas être les mieuxplacés pour permettre le succès de la France demain.

J’ai confiance dans la confrontation des projets et dans la défense du Pacte présidentielque je propose aux Français. La France que nous voulons ne ressemble pas à celled’aujourd’hui et encore moins à celle que nos concurrents de droite nous proposent.

Alors, oui, nous avons un devoir de victoire, non pas pour nous-mêmes, non pas lavictoire d’un camp contre l’autre, mais celle d’une France qui sait que pour être forte ilconvient d’abord d’être juste.

Il nous faut gagner et gagner dans la clarté. La clarté commence dans lareconnaissance des idées politiques. Celle, bien sûr, ou celui, je préfère le féminin, bienévidemment, qui sera élu sera le président ou la présidente de tous les Français, et devracertes diriger…, et cette présidente devra diriger le pays en fonction bien évidemment dece Pacte présidentiel et dans le respect de chacun.

Mais c'est aussi l’honneur de la politique de ne pas dissimuler d’où l’on vient. De moncôté, il n’y a aucune ambiguïté : je suis une élue socialiste depuis quatre mandats, j’ai étéministre de François Mitterrand puis de Lionel Jospin, et j’ai participé à l’une des actionsréformatrices les plus honorables de la Ve République. Je suis présidente d’une région,comme ici, au nom d’une majorité rassemblant toute la gauche, car telle est ma stratégie,l’union des forces de progrès. Seule cette stratégie permet de battre toute la droite. Alors,je vous pose une question : est-ce que par le passé, dans la vie politique, ceux qui se disentni de droite ni de gauche n’ont-ils pas toujours fini par tomber du même côté ?

Page 87: Les usages du terme « populisme » dans la campagne ...doc.sciencespo-lyon.fr/.../MFE2007/.../ledroit_o.pdf · cette course électorale. Par ailleurs, force est de constater l’éruption

Annexes

LEDROIT Orianne_2007 87

Dans cette campagne, ceux qui y ont intérêt cherchent à brouiller les cartes, soit parcequ’il faut oublier qu’ils sont comptables du bilan, ou alors pour faire oublier que les élusdont ils relèvent dans toutes les assemblées locales gouvernent pratiquement partout avecla droite.

[…]Et vous êtes venus très nombreux pour m’aider à construire ce pacte dans cette phase

de débat, plus de 2 millions ! C’est ce qui en fait la solidité, la modernité, et qui en garantitl’efficacité et la justice. Plus de deux millions d’entre vous sont venus, d’une façon ou d’uneautre, dire ce qu’ils avaient sur le cœur et que la société politique ne voulait plus entendre.Eh bien, cette parole, vous l’avez prise. Non seulement je vous demande de la garder, nonseulement à ceux qui ne l’ont pas prise, je vous demande de la prendre au plus vite sur cePacte présidentiel, mais je vous annonce qu’avec moi, plus jamais la politique ne se ferasans vous, et de cela, de cette phase d’écoute, oui, j’en suis fière. Et cela ne veut pas dire,comme feignent de le croire ceux qui me critiquent et qui font tout pour caricaturer, quej’ai oublié en chemin que la politique, c’est l’art de choisir, de trancher, et de le faire d’unemanière qui n’est pas nécessairement populaire. Cela ne veut pas dire, non, que j’ai oubliéque l’un des premiers gestes de François Mitterrand, l’un des plus beaux, l’un de ses plusgrands gestes, l’un de ces vrais actes qui donnent à la politique sa noblesse fut l’abolitionde la peine de mort, à laquelle il savait qu’une majorité de Français n’était pas favorable.De la même façon, lorsque je dis, et je sais que cela bouscule les habitudes, lorsque jedis que nous construirons la France métissée, c’est-à-dire la France qui fait de toutes sesdifférences, y compris de ses identités régionales, qui fait de toutes ses différences avectous ses enfants, d’où qu’ils viennent, ceux qui sont issus de la première, de la deuxième,de la troisième génération, et je ne veux plus qu’on utilise cette expression, que l’on n’utilisejamais pour les enfants venus des pays d’Europe, cette France métissée, c’est-à-dire cellequi est faite de toutes ces différences, cette France-là doit se lever, parce qu’on a besoinde toutes ces forces, de tous ces talents, dans leur diversité et dans leur authenticité. Alorsque l’on cesse de crier au populisme parce que j’ai pris la peine, avant d’agir,d’entendre ce que le peuple a à nous dire. Qu’on cesse de me brandir devant le nezl’épouvantail de la démocratie d’opinion parce que je reviens tout simplement auxsources de la démocratie, dont le premier principe est, que je sache, qu’on gouverneavec le peuple et pas contre lui.

Faut-il que notre culture démocratique soit tombée bien bas pour que ce geste toutsimple, ce geste et ce temps d’humilité républicaine, élémentaire, ce geste qui dit quenous sommes justes, nous, les femmes et les hommes aspirant à gouverner la France, lesserviteurs du peuple, faut-il que la démocratie ait perdu le sens de ce qu’elle est, et quel’arrogance du pouvoir ne connaisse plus de limites pour que ce geste surprenne à ce point ?

Je vais vous dire, chers amis, ce Pacte présidentiel, il est le fruit de la parole desFrançais, mais il est aussi le fruit de toute une équipe, et le fruit d’une série d’arbitrages et dechoix. Jamais, vous m’entendez, jamais non plus je n’oublierai tout ce qui m’a été dit. Odile,cette mère célibataire, admirable de courage et de dignité, qui attend un logement depuisquatre ans et qui m’a raconté sa honte de vivre avec ses deux filles dans une chambre de12 mètres carrés. Je n’oublierai jamais ces petits retraités qui sont venus tout discrètementdire que depuis quelques années, ils ne faisaient plus qu’un repas par jour. Je n’oublieraijamais cette dignité des pères des familles bafouées parce qu’ils sont au RMI et qu’ils fontsemblant de se lever le matin pour que leurs enfants aient le sentiment qu’ils ont un vraitravail. Jamais je n’oublierai ces cris de détresse silencieuse, ces vies brisées, ces familleshumiliées, ravagées par l’injustice, ces destins marqués au sceau d’une malédiction qui ne

Page 88: Les usages du terme « populisme » dans la campagne ...doc.sciencespo-lyon.fr/.../MFE2007/.../ledroit_o.pdf · cette course électorale. Par ailleurs, force est de constater l’éruption

Les usages du terme « populisme » dans la campagne présidentielle de 2007 Du succès desutilisations stratégiques d’un mot équivoque

88 LEDROIT Orianne_2007

dit pas son nom, les inégalités et les précarités. C’est cela qui me donne, qui nous donneaujourd’hui le désir de nous battre, de vaincre et de proposer cette politique d’alternance, levrai changement, celui qui sera capable de répondre à leur attente et à leurs espérances.

C’est à cause et grâce à cette écoute et à ce travail que ce Pacte présidentiel est solide.Et je suis fière, je vous le répète, et c’est pourquoi je me sens solide et sereine, parce queje l’ai construit, ce pacte, ce sont les fondations de la maison France. Je suis fière d’avoirrenoué le temps de son élaboration avec cette tradition française qui est celle des cahiersde doléances et que j’ai appelés les cahiers de l’espérance.

Et d’ailleurs, je vais vous dire : je crois qu’aujourd’hui, on ne peut tout simplement pasfaire autrement. Je crois qu’on ne peut pas prétendre présider aux destinées d’un payscomme la France si l’on ne commence pas par entendre ce que les Français ont à dire.Parmi tous les candidats, je suis la seule à avoir accompli cette démarche, car je crois toutsimplement que l’on ne peut plus diriger un pays moderne sans écouter tous ses citoyens etleur intelligence collective, sinon c’est la crise sociale assurée, sinon c’est les beaux projetsde réformes sortis des cartons des technocrates qui y retourneront aussi vite parce qu’ilsseront inapplicables.

Je dis aux Français aujourd’hui que le temps de l’imagination et de l’audace est revenu,et souvent, ils en ont davantage que les responsables politiques, et c’est pour ça qu’il fautêtre à l’écoute. Et je vous le dis, l’attente de changement, elle est profonde, et donc, jesuis la candidate qui incarne ce changement profond, et je suis la seule à avoir fait cettedémarche d’écoute. C’est pourquoi, avec vous, je sens que cette force collective, que cetteforce populaire est en marche. C’est avec la vérité des paroles qui ont été évoquées que jeporte aujourd’hui la vérité d’une France neuve et qui veut se relever.

Je suis allée à la rencontre de tous et de toutes. Et tous les élus ici présents, et je lesen remercie, ont fait cette démarche. Et vous, militants, sympathisants, citoyens, qui êtesvenus et qui allez continuer, je l’ai dit et je vous le demande, à prendre la parole sur cePacte présidentiel pour nous dire dès maintenant comment nous allons faire pour l’appliquerparce que les engagements que je prends devant vous, ils seront tenus puisqu’ils ont étéconstruits avec vous.

[…]Aujourd’hui, l'État et les collectivités locales dépensent plus de 65 milliards d’euros

en aides diverses aux entreprises, avec des effets d’aubaine invraisemblables, sansréelle évaluation de leur efficacité. Je veux reconsidérer cette façon de faire et consacrerprioritairement ces crédits publics à l’investissement dans les secteurs d’avenir, dans lesinfrastructures nécessaires et dans les efforts faits pour l’exportation.

On me parle chiffrage, on me somme d’indiquer comment je ferai face aux dépensesd’avenir, et c’est légitime. Je vous le dis pour y répondre, je m’engagerai sur une profonderéforme de l'État et des finances publiques, pour faire en sorte qu’un euro dépensé soitun euro utile, pour que toutes les dépenses de l'État soient productives et qu’on mette finà toutes les formes de gaspillage, pour les orienter massivement vers les ressorts de lacroissance et vers la protection des personnes. Voilà la France du travailler mieux et dutravail pour tous, qui conjugue réussite et efficacité, droits et devoirs, progrès et modernité.C’est une France qui permet à la réussite de chacun de contribuer à la réussite de tous,c’est une France, bien sûr, qui travaille plus mais qui travaille plus en donnant du travail auplus grand nombre, c’est une France d’harmonie.

Et à ceux qui tentent d’opposer les uns aux autres, les salariés opposés auxchômeurs, les retraités du régime général contre les retraités des régimes spéciaux,

Page 89: Les usages du terme « populisme » dans la campagne ...doc.sciencespo-lyon.fr/.../MFE2007/.../ledroit_o.pdf · cette course électorale. Par ailleurs, force est de constater l’éruption

Annexes

LEDROIT Orianne_2007 89

les fonctionnaires opposés aux salariés du privé, ces fonctionnaires qu’on humiliede façon indigne lorsqu’on leur dit qu’un départ sur deux à la retraite ne sera pasremplacé, c’est une façon de leur dire : mais un agent public sur deux ne sert à rien !Cette façon de faire, démagogique, est insupportable. Là se trouve le populisme .Moi je vous le dis, le service public, on en a besoin ! Bien sûr, il doit se réformer ;bien sûr il doit avancer.

Et je le répète, je veux articuler la solidarité et l’efficacité, c’est-à-dire, et je le redis parceque c’est important, tout le contraire de l’assistance. La droite la dénonce, mais finalementelle l’organise chaque jour en renforçant les exclusions et les précarités. Moi, j’affirme quechacun a droit, lorsqu’il trébuche, de trouver les sécurités qui lui permettront de s’en sortiret on lui demandera les efforts en contrepartie de cette solidarité nationale. Le jeune, l’élèvequi a peine à suivre l’école doit bien sûr faire l’effort indispensable pour renouer à la réussitescolaire, mais il a droit aussi à un soutien scolaire gratuit et à l’aide aux devoirs si sa famillene peut pas lui donner.

[…]Voilà, je veux être la présidente de cette République-là !Oui, je veux être la présidente d’une République où l’on saura se montrer intraitable

partout où seront bafouées les valeurs liées à notre tradition d’humanisme et de lumière. LePacte présidentiel que je vous propose est exigeant. Je ne tomberai jamais dans la facilité dela promesse électorale qui n’engage que le temps de la formuler. Relever la France supposeque nous nous y mettions tous, mais aussi que l’effort soit justement réparti. J’ai besoin devous pour porter ce pacte. Il est le vôtre. Oui, j’ai besoin de vous, ce pacte est le vôtre, ilm’oblige, pourquoi est-ce que je parle de pacte et non pas de projet et de programme ?Parce que c’est un engagement réciproque, un engagement que je prends à l’égard dupeuple français et un engagement que le peuple français prend parce qu’il a pris la paroleet qu’il veut se reconnaître dans la France que je veux construire avec vous tous et qu’il saitbien, parce que nous l’avons entendu, la France qu’il ne veut pas, il ne veut pas de la Francedes brutalités, des ruptures, des fractures, des faux-semblants, des fausses promesses, desinjustices, des avantages toujours donnés à ceux qui en ont le plus, et du mépris toujoursdonné à ceux qui sont au bord du chemin. Cette France-là, nous n’en voulons pas et c’esttout le sens du Pacte présidentiel.

[…]J’ai compris aussi vos doutes, vos inquiétudes, à chaque fois on me dit : « Mais demain,

elle joue à quitte ou double. » Eh bien, à chaque fois je double et c’est avec vous que jevais doubler. A chaque étape on me dit de faire mes preuves, à chaque mot prononcé onme dit : « Mais qu’est-ce qu’elle raconte ! » Mais j’en ai autant qu’eux de l’expérience et desexigences. Et je suis plus forte qu’eux parce que c’est avec vous que j’avance.

Oui, mon équipe de campagne, c’est vous, déployez-vous, partez convaincre, soyezfiers de cette espérance. N’ayez peur de rien !

Vous êtes là, non pas pour gagner, non pas un camp contre un autre, vous êtes là pourme porter parce que je porte vos idées, parce que je porte une France neuve, une France quia envie de se relever, une France qui a envie de se rassembler et de s’aimer en elle. Alors,je suis là pour être avec vous si vous le décidez, celle qui vous conduira vers le changement,la voulez-vous cette France neuve ? La voulez-vous cette France juste ? Le voulez-vousce désir d’avenir ? La voulez-vous cette France forte ? La voulez-vous cette République durespect ? Le voulez-vous ce progrès pour tous ? Le voulez-vous ce travail pour chacun, cepouvoir d’achat défendu, ces inégalités qui reculent, ces enfants qui réussissent à l’école,

Page 90: Les usages du terme « populisme » dans la campagne ...doc.sciencespo-lyon.fr/.../MFE2007/.../ledroit_o.pdf · cette course électorale. Par ailleurs, force est de constater l’éruption

Les usages du terme « populisme » dans la campagne présidentielle de 2007 Du succès desutilisations stratégiques d’un mot équivoque

90 LEDROIT Orianne_2007

cette excellence environnementale, les familles sécurisées ? Oui, cette France neuve quise relève grâce à votre voix, je la veux avec vous. Cette victoire, nous la voulons et nousdevons la mériter. Nous devons y travailler.

Vive la République !Vive la France que nous allons relever !

ANNEXE N°3 : EXTRAIT DU DISCOURS DE NICOLASSARKOZY A VILLEBON-SUR-YVETTE LE 20 MARS2007

Mes chers amis,Merci ! Merci d’être là ce soir si nombreux, si enthousiastes, si mobilisés à quatre

semaines du premier tour de cette élection présidentielle qui va être décisive pour notreavenir, pour celui de nos enfants, pour la France qui ne peut plus attendre, qui a déjà tropattendu.

On disait que les Français ne s’intéressaient plus à la France.On disait que la France c’était fini, que vous n’aviez plus envie d’en entendre parler.Et pourtant vous êtes là !On disait que vous en aviez assez de la politique, que pour vous la politique c’était fini,

que les élections vous vous en moquiez.Et pourtant vous êtes là !On disait que les réunions publiques c’était démodé.On disait que les campagnes ça ne se passait plus qu’à la télévision et sur Internet.Et pourtant vous êtes là !On disait que les Français ne s’engageaient plus, ne militaient plus, ne votaient plus !Et pourtant vous êtes là !On vous a souvent trompés. Je le sais.On vous a parfois menti. Je le sais.On vous a même trahis. Je le sais.Et pourtant vous êtes là !Vous êtes là, parce que la France pour vous ce n’est pas fini !Vous êtes là, parce que la politique pour vous ce n’est pas fini !Vous êtes là, parce que vous savez que l’élection présidentielle c’est un enjeu capital.Vous êtes là, parce que vous avez envie que l’on vous parle, parce que vous avez

envie que l’on dise les choses en face, parce que la télévision ne dit pas tout, parce quela télévision vous en dit moins sur la vérité d’un homme qu’un discours devant six millepersonnes.

Page 91: Les usages du terme « populisme » dans la campagne ...doc.sciencespo-lyon.fr/.../MFE2007/.../ledroit_o.pdf · cette course électorale. Par ailleurs, force est de constater l’éruption

Annexes

LEDROIT Orianne_2007 91

Vous êtes là, parce que vous avez plus que jamais envie de défendre vos idées, parceque pour vous voter est un devoir, parce que vous ne voulez plus que l’on vous trompe,vous ne voulez plus que l’on vous mente, vous ne voulez plus que l’on vous trahisse, parceque vous êtes bien décidés à prendre votre destin en mains, parce que vous ne voulez plusvous en remettre à d’autres pour juger à votre place, pour décider à votre place.

Vous êtes là, parce que vous avez compris que je ne vous tromperais pas, que je nevous mentirais pas, que je ne vous trahirais pas.

Vous avez compris que je dirais tout avant et que je ferais tout après, que je dirais toutavant pour tout faire après.

Vous êtes là, parce que vous avez compris que je ne ferais pas ce que l'on vous a tropsouvent fait depuis trente ans.

Vous avez compris que si je suis élu je ne ferais pas après l’élection le contraire de ceque j’avais promis de faire la veille de l’élection.

Vous êtes là, parce que vous avez compris que je n'accepterai pas que la technocratiegouverne ce sont les élus qui doivent assumer leurs responsabilités.

Vous avez compris que je ne veux pas de la politique des experts mais celle que vousaurez choisie.

Depuis trente ans on vous dit :« Laissez-nous faire, c’est trop compliqué pour vous ! »Depuis trente ans on vous dit :« Ne vous occupez de rien, nous nous occupons de tout ! »Depuis trente ans c’est :« Circulez, il n’y a rien à voir ! »Depuis trente ans on parle à votre place, on pense à votre place, on décide à votre

place.Vous en avez assez.[…]Vous en avez assez que la démocratie abdique devant la soi-disant dictature des

marchés.Vous en avez assez que l’Etat abdique devant les bureaucraties, les corporatismes et

les lobbies.Vous en avez assez que l’Europe ne soit pas démocratique.Vous en avez assez que des gens qui ne sont pas élus, qui ne sont responsables devant

personne, qui n’ont de comptes à rendre à personne décident de votre vie, de votre avenir,de celui de vos enfants.

Vous en avez assez de tous ces gens qui décident à votre place et qui ne supportentjamais pour eux-mêmes les conséquences de ce qu’ils décident.

Vous en avez assez de tous ces gens qui veulent toujours vous imposer des sacrificesqu’ils ne sont pas capables de s’imposer à eux-mêmes.

Vous en avez assez que l’on vous répète sans arrêt qu’il n’y a qu’une seule politiquepossible et que vous n’avez pas le choix.

Page 92: Les usages du terme « populisme » dans la campagne ...doc.sciencespo-lyon.fr/.../MFE2007/.../ledroit_o.pdf · cette course électorale. Par ailleurs, force est de constater l’éruption

Les usages du terme « populisme » dans la campagne présidentielle de 2007 Du succès desutilisations stratégiques d’un mot équivoque

92 LEDROIT Orianne_2007

[…]Vous en avez assez que l’on ne puisse pas parler de la nation sans être accusé

de nationalisme, que l’on ne puisse pas parler de protection sans être accusé deprotectionnisme, que l’on ne puisse pas dénoncer la surévaluation de l’euro sansêtre accusé d’être anti-européen, que l’on ne puisse pas dénoncer l’accaparement dupouvoir par la technocratie ou montrer du doigt les patrons voyous sans être aussitôtaccusé de démagogie, que l’on ne puisse pas évoquer la France qui souffre sans êtreimmédiatement taxé de populisme .

Vous en avez assez que l’on ne puisse pas dire que le niveau de l’école baisse alorsque c’est une évidence.

Vous en avez assez que l’on ne puisse pas dire que la mise en place de l’euro s’estaccompagnée d’une hausse des prix dont tout le monde a éprouvé les conséquences surson pouvoir d’achat.

Vous en avez assez de la langue de bois et vous avez raison.Vous êtes là parce que vous en avez assez que l’on cherche à vous imposer ce qu’il

faut penser.Vous êtes là parce que vous en avez assez du conformisme intellectuel.Vous êtes là parce que vous en avez assez de la pensée unique.Parce que vous en avez assez que l’on vous dise ce qu’il faut faire, ce qu’il faut dire,

ce qu’il faut penser.Je veux vous rendre votre liberté.Votre liberté de choix.Votre liberté de parole.Votre liberté de penser.Je veux en finir avec le politiquement correct et avec la pensée unique.Je veux en finir avec la pensée unique qui est le point de rencontre de tous les

renoncements, de tous les sectarismes, de toutes les arrogances.Je veux en finir avec la pensée unique qui nous a mis dans la situation où nous sommes,

qui s’est trompée sur tout, qui a échoué sur tout, qui a creusé les déficits, qui a augmenté lechômage, qui a fait exploser la pauvreté, l’exclusion, la précarité, qui a raté l’intégration, quia laissé se développer les discriminations, qui a installé le communautarisme, qui a abaissél’autorité de l’Etat, qui a affaibli l’identité nationale, qui a fabriqué l'échec de l’école, qui adévalorisé les diplômes et le travail, qui a favorisé l’assistanat.

Je veux en finir avec la pensée unique qui dit que la politique ne peut rien faire pourchanger quoi que ce soit et qu’elle ne peut rien dire sur rien. Parce qu’à force de ne rienfaire, à force de ne rien dire, à force de ne rien penser, on finit par laisser le champ libreà tous les extrémismes.

On ne fera pas cette rupture en abandonnant la Ve République pour revenir à la IVesous couvert de faire la VIe.

Car c’est bien de cela qu’il s’agit.Leur VIe République c’est le retour au régime de l’impuissance, c’est le retour au régime

des partis, c’est le retour à l’instabilité. Ils ont oublié 1958, l’agonie d’une IVe République

Page 93: Les usages du terme « populisme » dans la campagne ...doc.sciencespo-lyon.fr/.../MFE2007/.../ledroit_o.pdf · cette course électorale. Par ailleurs, force est de constater l’éruption

Annexes

LEDROIT Orianne_2007 93

incapable de faire face à la crise financière et de conjurer le péril de la guerre civile. Ils ontoublié que depuis prés de cinquante ans, les institutions de la Ve République ont permisà la France d’être gouvernée en toutes circonstances et que depuis que la Ve Républiqueexiste, ni la démocratie ni les libertés individuelles ni la paix civile n’ont été mises en dangerà aucun moment.

Ils imputent aux institutions ce qui n’est en réalité imputable qu’à la défaillance deshommes et des politiques. Ils ne veulent pas voir que le problème n’est pas institutionnelmais qu’il est intellectuel et moral. Ils ne veulent pas regarder la réalité en face pour ne pasavoir à répondre à la question de savoir quelle politique ils veulent faire, sur quelles valeurs,sur quels critères ils veulent les fonder, pour ne pas avoir à prendre leurs responsabilités.Qui peut croire que c’est en revenant aux errements du passé qu’on résoudra les problèmesd’aujourd’hui ? Qui peut croire que l’on arrivera mieux à restaurer l’autorité de l’Etat, àparvenir au plein emploi, à augmenter le pouvoir d’achat, à freiner les délocalisations avecune République affaiblie et instable dominée par les manœuvres d’appareils ?

Leur démocratie participative, c’est la fin de toute volonté politique, c’est la fin de lapolitique qui prend ses responsabilités. Il faut avoir le courage d’appeler les choses parleur nom leur démocratie participative ce n’est pas le remède contre la dictature de lapensée unique, c’est la fin de la démocratie représentative dans le soupçon généralisé.Leur démocratie participative ce n’est pas une nouvelle manière d’associer le peuple auxdécisions qui le concernent, c’est juste la forme ultime de la démagogie.

C’est sûr, quand on proclame « vos idées sont les miennes, » on ne prend pas beaucoupde risques, on ne prend pas beaucoup ses responsabilités, on n’assume pas grand-choseet l’on apporte quoi à son pays ?

A la crise morale, sociale, économique que traverse notre pays je n’ajouterai pasun bouleversement institutionnel. Ce qu’il faut changer ce sont les comportements, lespratiques.

[…]Je veux remplacer l’irresponsabilité technocratique par la responsabilité politique.Je veux remplacer l’opacité par la transparence.Je ne veux plus que les places soient distribuées en fonction des solidarités de corps

et des connivences de partis.Je veux que ceux qui décident, que ceux qui gouvernent, que ceux qui dirigent soient

responsables, qu’ils soient contrôlés, qu’ils rendent des comptes.Je veux que la démocratie ne soit plus confisquée par quelques-uns, je veux que l’Etat

ne soit pas accaparé par une caste ou par un clan ou par un parti.Je veux une démocratie irréprochable et un Etat impartial..Je veux que les nominations aux postes les plus importants soient approuvées par le

Parlement avec une majorité qualifiée qui permette à l’opposition d’avoir son mot à dire. Jene veux pas installer desjurys populaires qui ressembleraient à des soviets mais je veuxremplacer l’opacité par la transparence.

Je veux une démocratie irréprochable fondée sur le principe de l’équilibre des pouvoirsmais je ne souhaite pas que l’Etat soit paralysé par un jeu de contre-pouvoir dans le seulbut serait de se contrecarrer les uns les autres. Je ne souhaite pas que par démagogie onrevienne à une situation qui jadis aura rendu l’Etat impuissant et fait le malheur de la France ;

Page 94: Les usages du terme « populisme » dans la campagne ...doc.sciencespo-lyon.fr/.../MFE2007/.../ledroit_o.pdf · cette course électorale. Par ailleurs, force est de constater l’éruption

Les usages du terme « populisme » dans la campagne présidentielle de 2007 Du succès desutilisations stratégiques d’un mot équivoque

94 LEDROIT Orianne_2007

Je veux surtout reconstruire une démocratie où l’on est libre de parler et de penser,où l’on est pas prisonnier de préjugés absurdes, de clivages intellectuels dépassés, où lesconvictions et les compétences comptent davantage que les étiquettes.

Car notre démocratie marche sur la tête. Que dire d'autre en effet, quand le débat publicdevient à ce point caricatural ?

[…]Je revendique le droit contre la pensée unique, de dire qu'on a trop confondu le courage

politique avec la politique des sacrifices, qu'on a trop cherché le salut collectif dans la vertudu sacrifice.

Les sacrifices sont parfois nécessaires. Mais dans ce cas tout le monde doit en faire.Je trouve que c'est cela la morale de la politique.

Cela fait 25 ans que les Français font des sacrifices. Les Français n’en peuvent plus defaire des sacrifices pour rien. Je veux proposer aux Français non une politique de sacrifice,mais une politique d’effort.

Le sacrifice c’est moins pour tout le monde.L’effort c’est la récompense du mérite.Le sacrifice c’est travailler plus pour gagner moins. L’effort c’est travailler plus pour

gagner plus.Le sacrifice c’est la flexibilité sans contrepartie.L’effort c’est moins protéger l’emploi et davantage protéger les personnes.Le sacrifice c’est la baisse des allocations chômage.L’effort c’est d’être obligé de suivre une formation et de reprendre un travail qui

correspond à ses qualifications et de bénéficier en même temps, lorsque l'on est licenciééconomique, d'un contrat avec le service public de l'emploi et d’une assurance salaire.

Je revendique le droit de sortir de la pensée unique, de sortir des vieux clivages et desvieux schémas.

Je revendique le droit de penser librement en dehors des préjugés et des a priori.Je veux vous dire que l'avenir sera comme nous serons capables de l'imaginer.Je veux vous dire que la France se relèvera dès lors que nous serons de nouveau

capables de regarder la réalité en face et de dire la vérité sans avoir peur.Je ne vous mentirai pas, je ne vous tromperai pas, je ne vous trahirai pas.Je continuerai de vous dire la vérité, ma vérité, la vérité d'un homme qui a mis longtemps

à devenir un homme libre, mais qu'il est désormais, qu'il est pleinement, qui veut vous fairepartager cette liberté, qui veut vous rendre libre de pensée et de choisir, qui veut vous direqu'il n'y a pas de fatalité, qui veut mettre sa liberté et sa vérité au service de tous les Français,au service de la France, au service de la République et qui veut vous dire ce soir, du fonddu cœur, avec une immense espérance, avec une immense foi dans l'avenir

Vive la République !Vive la France !

Page 95: Les usages du terme « populisme » dans la campagne ...doc.sciencespo-lyon.fr/.../MFE2007/.../ledroit_o.pdf · cette course électorale. Par ailleurs, force est de constater l’éruption

Annexes

LEDROIT Orianne_2007 95

ANNEXE N°4 : EXTRAIT DU DISCOURS DE NICOLASSARKOZY A MONTPELLIER LE 3 MAI 2007

Mes chers amis,C’est ici en Languedoc que finit cette campagne qui fut longue, qui fut rude, qui fut

passionnée, et dont tous les Français ont senti à quel point elle était importante, à quel pointelle était lourde de conséquences. Tous ont eu ce pressentiment que ce qui allait se passerserait décisif, que cela ne pouvait pas se passer sans eux, que trop de rendez-vous avaientété manqués dans le passé, que trop de choix avaient été différés, que trop de retardsavaient été accumulés et que maintenant la France avait trop attendu, qu’elle ne pouvait plusattendre, qu’elle ne pouvait plus en rester là. Et le peuple qui ne disait plus rien, le peuplequi gardait pour lui sa déception et sa colère, le peuple qui était découragé, qui n’allait plusvoter que par devoir ou qui s’abstenait de plus en plus, le peuple s’est levé, le peuple a reprisla parole, il a dit : « Je ne laisserai personne décider à ma place ». Dans ce Languedocoù tant de peuples et de religions se sont affrontés et mêlés les uns aux autres, où dansles luttes qui furent si féroces et les passions si vives, s’est forgé un caractère vigoureux,prompt à s’opposer, prompt à défendre ses libertés. Michelet disait : « C’est une bien vieilleterre que ce Languedoc. Vous y trouverez partout les ruines sous les ruines, les Camisardssur les Albigeois, les Sarrasins sur les Goths, sous ceux-ci les Romains, les Ibères ».

[…]On n’avait pas le droit de parler de la nation, de parler de la République, de parler de

l’Etat depuis que l’idéologie de mai 68 avait pris le pouvoir intellectuel, le pouvoir médiatique,le pouvoir politique, depuis que l’idéologie de mai 68 avait imposé sa pensée unique,son politiquement correct qui interdisait de parler de la nation sous peine d’être traité denationaliste, qui interdisait de parler de la République sous peine d’être traité de jacobin,qui interdisait de parler de l’Etat sous peine d’être traité d’étatiste et de dirigiste.

Je veux pouvoir parler de la nation sans être traité de nationaliste.Je veux pouvoir parler de la République sans être traité de jacobin.Je veux pouvoir parler de l’Etat sans être traité d’étatiste ou de dirigiste.Comme je veux pouvoir parler de la protection sans être traité de protectionniste.Comme je veux pouvoir parler de l’ordre sans être traité deconservateur.Comme je veux pouvoir parler de l’autorité sans être accusé d’autoritarisme.Comme je veux pouvoir parler de la moralisation du capitalisme sans être accusé d’être

anticapitaliste.Comme je veux pouvoir critiquer Mai 68 sans être traité de pétainiste ;Comme je veux pouvoir parler des problèmes des Français sans être accusé de

démagogie. Comme je veux pouvoir parler au peuple français, comme je veux pouvoirêtre le porte-parole de ce peuple qu’on veut tenir à l’écart de tout, que l’on ne veut plusécouter, que l’on ne veut plus entendre, comme je veux parler au nom de cette Franceexaspérée, de cette France dont la vie est devenue si lourde, si dure, si pénible, et dontpersonne ne cherche plus à comprendre et à partager la souffrance, je veux être le candidatde cette France qui souffre et non celui des appareils, celui des notables, celui des élitesqui prétendent penser et décider à la place du peuple. Je veux être le candidat du peuplesans être traité de populiste.

Page 96: Les usages du terme « populisme » dans la campagne ...doc.sciencespo-lyon.fr/.../MFE2007/.../ledroit_o.pdf · cette course électorale. Par ailleurs, force est de constater l’éruption

Les usages du terme « populisme » dans la campagne présidentielle de 2007 Du succès desutilisations stratégiques d’un mot équivoque

96 LEDROIT Orianne_2007

Je veux être le candidat du peuple, non pour dégrader la politique dans lepopulisme mais pour l’élever en lui donnant cette dimension populaire qui est laseule susceptible de la rendre humaine.

Je veux être le candidat du peuple parce que dans une démocratie il n’y a pas d’autrelégitimité pour la politique que la légitimité populaire. Je ne veux pas rassembler des partis.Je veux rassembler les Français. Je ne veux pas rassembler un camp. Je veux rassemblerle peuple français au-delà des clivages partisans. Je veux rassembler sur des valeurs etsur des convictions, parce que pour moi les valeurs et les convictions c’est plus importantque les étiquettes.

[…]Deux jours pour liquider l’héritage de mai 68. Deux jours pour renoncer au renoncement.

Deux jours pour que jaillisse des tréfonds du pays une énergie nouvelle.Deux jours pour que se lève le grand mouvement populaire qui emportera tous les

obstacles, toutes les hésitations, toutes les peurs, toutes les angoisses par-dessus lapensée unique, par-dessus le politiquement correct, qui libérera la pensée, qui libéreral’action. Il nous reste deux jours pour que soient créées les conditions du renouveau.

Deux jours pour que le doute soit vaincu.Deux jours pour que tout devienne possible.Deux jours pendant lesquels j’ai besoin de votre ardeur, de votre enthousiasme.Vive la République !Vive la France !

ANNEXE N°5 : LISTE DES ARTICLES DU CORPUS(Classés par journaux et par ordre chronologique)457

1/ Articles de Libération (26 articles)G. Echalier et S. Legrand, « Les étudiants et Sarkozy », 5 septembre 2006.

A. Duhamel, « La nostalgie Jospin », 4 octobre 2006.D. Revault d’Allonnes, « ‘Le dialogue avec le peuple’ selon Royal », 23 octobre 2006.« PS : petites escarmouches entre amis », 24 octobre 2006.« Sarkozy se gausse du populisme de Royal », 28 octobre 2006.A. Duhamel, « La contagion du populisme », 8 novembre 2006*.A. Duhamel, « Impressions de campagne PS », 15 novembre 2006.A. Duhamel, « François Bayrou invente l’extrême centre », 29 novembre 2006.A. Duhamel, « Le mystère Bayrou », 10 janvier 2007.A. Gauron, « Prétentieux intellectuels », 31 janvier 2007.

457 Les articles suivis d’un astérisque sont reproduits intégralement à la suite de la liste des articles en Annexe n°3.

Page 97: Les usages du terme « populisme » dans la campagne ...doc.sciencespo-lyon.fr/.../MFE2007/.../ledroit_o.pdf · cette course électorale. Par ailleurs, force est de constater l’éruption

Annexes

LEDROIT Orianne_2007 97

M. Weitzmann, « La synthèse libérale et ferme du candidat de l'UMP », 12 février 2007.J.F Durantin, « 2007: Renouveau de la démocratie participative? », 23 février 2007*.J.-D. Merchet et P. Quinio, « L'élection dans le miroir aux sondages », 27 février 2007.C. Forcari, Entretien avec D. Reynié, « Si la dissidence électorale augmente, elle

ébranlera le système », 3 mars 2007.R. Garrigos et I. Roberts, « Bayrou, cathodique pratiquant », 10 mars 2007.J. Julliard, « Ce centrisme imaginaire », 14 mars 2007.E. Aeschimann, « Catalyseur de la gauche errante ? », 15 mars 2007.N. Raulin, « Robien exclu de la classe », 26 mars 2007.A. Duhamel, « Présidentielle, la perplexité française », 4 avril 2007.P. Quinio et N. Raulin, « Retour à la rupture version Bayrou », 5 avril 2007.A. Duhamel, « la démocratie d’opinion triomphe », 11 avril 2007.P. Virot, « 21 avril: la mémoire vive des électeurs », 17 avril 2007.E. Aeschimann, Entretien avec J. Rancière, « On est revenu à une campagne

traditionnelle», 21 avril 2007.« Comment Nicolas Sarkozy a conquis l’Elysée », 6 mai 2007.E. Aeschimann, Entretien avec E. Todd, «DSK ou Fabius auraient pu gagner», 10 mai

2007.S. Baumont, G. Benhamou et A. Dorna, « Le parti centriste sera radical », 22 mai 2007.

2/ Articles de l’Humanité (33 articles)D. Bègles, « Populisme et guerre à droite », 25 septembre 2006.

R. Moussaoui, « Villepin déplore le règne du ‘populisme’ et de ‘l’image’ », 5 octobre2006.

D. Bègles, « La guerre des trois aura-t-elle lieu ? », 17 octobre 2006.« Jurys citoyens. Huchon parle de ‘populisme’ », 30 octobre 2006.J. Sellem, Entretien avec F. Auguste, « La démocratie participative, ce n’est pas la

méfiance », 31 octobre 2006.M. Ulrich, « Allô, la Terre ? », 2 novembre 2006.D. Bègles, « Un scénario plus ouvert que prévu », 15 novembre 2006.D. Bègles, « L’heure des urnes », 16 novembre 2006.L. Degoy, Entretien avec A. Collovald, « Les groupes populaires ont une culture politique

», 18 novembre 2006.D. Bègles, « Les axes de campagne de la candidate socialiste », 22 novembre 2006.D. Bègles, « Ségolène Royal à la reconquête du peuple », 18 décembre 2006.G. Marin, « Sarkozy distribue les promesses », 19 décembre 2006.M. Guilloux, « Carpe et lapin », 20 décembre 2006.

Page 98: Les usages du terme « populisme » dans la campagne ...doc.sciencespo-lyon.fr/.../MFE2007/.../ledroit_o.pdf · cette course électorale. Par ailleurs, force est de constater l’éruption

Les usages du terme « populisme » dans la campagne présidentielle de 2007 Du succès desutilisations stratégiques d’un mot équivoque

98 LEDROIT Orianne_2007

M.-G. Buffet, « Oui, je rentre en campagne », 23 décembre 2006.J.-E. Ducoin, « 2007 : les sondages dicteront-ils les élections ? », 6 janvier 2007.D. Bègles, « Le PS démonte le sarkozysme », 11 janvier 2007.S. Homer, Entretien avec C. Artufel, « Sarkozy ? Il aurait voulu être journaliste... », 26

janvier 2007.L. Guilloux, « Les amis du peuple », 29 janvier 2007.« Appel des élu(e)s qui ne se résignent pas », 30 janvier 2007.G. Roux, « Les retraites au régime spécieux », 7 février 2007.J.-P. Scot, « Ne pas se tromper de crise politique ! », 17 février 2007.D. Bègles, « Sarkozy contourne Argenteuil », 8 mars 2007.P. Le Hyaric, « Alerte ! », 12 mars 2007.L. Venturini, « Les mensonges au Zénith », 23 mars 2007.J.-E. Ducoin, « Identité(s) », 24 mars 2007.L. Mouloud, « Les dégâts du bilan Sarkozy », 26 mars 2007.L. Venturini, Entretien avec N. Sauger, « Bayrou, un extrême centre ? », 22 avril 2007.Lé. B. et T. L., « La grande désillusion des salariés électeurs », 27 avril 2007.S. Homer, Entretien avec F. Jost, « Une certaine idée de la vérité », 5 mai 2007*.L. Mucchielli, « Un populisme social de droite », 5 mai 2007.J.-P. Piérot, « Une droite dure s’installe à l’Elysée », 7 mai 2007.E. Rive, Entretien avec G. Noiriel, « « Un classique du discours nationaliste », 21 mai

2007.D. Mayaffre, « Langue de bois et discours de fer », 26 mai 2007.

3/ Articles du Figaro (20 articles)P. Goulliaud et J. Waintraub, « Les chiraquiens relancent les hostilités contre Sarkozy »,16 novembre 2006.

L. Suply, « La presse mondiale ausculte le phénomène Royal », 17 novembre 2006.S. Huet, « Les bonnes recettes des femmes de l'UMP pour battre la candidate

socialiste », 28 novembre 2006.

C. Jaigu et J. Waintraub, « Nicolas Sarkozy veut ‘porter le changement’ », 1er décembre2006.

P. Perrineau, « L'extrême droite se nourrit du désenchantement démocratique », 11décembre 2006.

D. Wolton, « Tout le monde parle politique et tant mieux, pour n’être évidemment jamaisd’accord sur rien », 5 janvier 2007.

E. Zemmour, « Sarkozy, de la prise de l'UMP à la bataille de l'Élysée », 15 janvier 2007.« Ébranler le confort intellectuel », 23 février 2007.

Page 99: Les usages du terme « populisme » dans la campagne ...doc.sciencespo-lyon.fr/.../MFE2007/.../ledroit_o.pdf · cette course électorale. Par ailleurs, force est de constater l’éruption

Annexes

LEDROIT Orianne_2007 99

V. Aubert, « Les discours à la loupe », 8 mars 2007.N. Barotte, « Eric Besson ‘redoute’ la victoire de Royal », 15 mars 2007.F. D’Orcival, « Le modèle Clinton de François Bayrou », 16 mars 2007.M. Schifres, « Place de la Concorde », 16 mars 2007.M. Lévy, « Au nom de ‘l'ordre juste’, Ségolène Royal se défend de tout laxisme », 29

mars 2007.M. Betti-Cusso, M. Durin-Valois, G. De Montalembert, S. Pierre-Brossolette et D. Rizet,

« Présidentielle : point par point, les programmes décryptés », 6 avril 2007.E. Dupin, « Quatre paradoxes au coeur d'une campagne électorale », 6 avril 2007.R. Geisler, Voynet veut conjurer le ‘vote utile’ à gauche », 6 avril 2007.« The Economist vote Nicolas Sarkozy », 12 avril 2007.D. MacShane, « Sacrifier les vaches sacrées », 16 avril 2007.P. Gordon, « Les Français préfèrent l'apparence du changement », 17 avril 2007.« Royal se prépare à ‘l'épreuve’ du débat avec Sarkozy », 25 avril 2007.

4/ Articles du Monde (79 articles)« François Hollande donne le coup d'envoi de la campagne pour l'investiture socialiste »,7 octobre 2006.

J.-C. Cambadélis, « Le moment social-démocrate », 13 octobre 2006.R. Bacqué, « DSK dilettante repenti », 18 octobre 2006.« Les jurys de citoyens proposés par Mme Royal font ‘reculer la démocratie’, martèle

l'UMP », 23 octobre 2006.I. Mandraud, « Mme Royal propose une ‘surveillance populaire’ de l’action des élus »,

24 octobre 2006.« Les propos de Ségolène Royal troublent la gauche et réjouissent la droite », 24

octobre 2006.« Le ton monte entre les trois candidats à l'investiture socialiste », 25 octobre 2006.I. Mandraud, « PS : le débat s’organise autour des propositions de Ségolène Royal »,

26 octobre 2006.Extrait du débat télévisé entre les trois candidats à l’investiture PS, « Fabius, Royal,

Strauss-Kahn exposent leurs différences sur les sujets de société », 26 octobre 2006.J.-M. Colombani, « Démocratie en crise », 27 octobre 2006.G. Courtois, « La démocratie sous surveillance », 27 octobre 2006.S. Gherardi, Entretien avec Y. Mény, « Aux grands mots de la démocratie les grands

remèdes des mots vrais », 29 octobre 2006.A. Piquard « Jean-Marie Le Pen prône un ‘matin des paysans’ contre les ‘abattoirs de

la mondialisation’ », 30 octobre 2006.« Une vidéo contre Nicolas Sarkozy, tête de pont d'une campagne sur Internet », 30

octobre 2006.

Page 100: Les usages du terme « populisme » dans la campagne ...doc.sciencespo-lyon.fr/.../MFE2007/.../ledroit_o.pdf · cette course électorale. Par ailleurs, force est de constater l’éruption

Les usages du terme « populisme » dans la campagne présidentielle de 2007 Du succès desutilisations stratégiques d’un mot équivoque

100 LEDROIT Orianne_2007

J.-L. Andreani, « Mme Royal et la démocratie d’opinion », 1er novembre 2006.I. Mandraud, « Ségolène Royal l'opiniomane », 8 novembre 2006.« Dernière passe d'armes entre les trois présidentiables socialistes », 10 novembre

2006.A. Leparmentier et I. Mandrau, Entretien avec S. Royal, « On a trop souffert de

l’obstination des décideurs », 11 novembre 2006.C. Chombeau, « Au Bourget, le chef du FN tente de séduire les petits patrons, les

ouvriers et... les fonctionnaires », 14 novembre 2006.J. Birnbaum, « Qui veut tuer le « loup » démocratique ? », 16 novembre 2006.« François Hollande : ‘Ce sont tous les socialistes qui ont gagné’ », 17 novembre 2006.C. Baudry, « Sur le blog de DSK, les militants s'interrogent sur la défaite de leur

candidat », 17 novembre 2006.J.-B. de Montvalon, « ‘DSK’ voudrait enraciner son courant social-démocrate », 18

novembre 2006.I. Mandraud et J.-B. de Montvalon, « Ségolène Royal : ‘N'ayons pas peur des idées

neuves’ », 19 novembre 2006.« Ségolène Royal veut une campagne ‘participative’, les antilibéraux cherchent à

s'organiser », 21 novembre 2006.E. Le Boucher, « Le retour mondial des populistes », 10 décembre 2006*.S. Atlan et C. Baudry, Débat avec P. Perrineau, « François Bayrou peut-il créer la

surprise en 2007 ? » débat sur le site du Monde, 12 décembre 2006.G. Courtois, « Le nouveau style de Le Pen passe mieux auprès des Français », 15

décembre 2006.« Le droit au sérieux opposable », 7 janvier 2007.M.-B. Baudet, « La « valeur travail » : au-delà du slogan, un enjeu de société », 23

janvier 2007.B. Stiegler, « Halte au populisme ‘télécratique’ », 25 janvier 2007.J. Bidet, « Gauche de la gauche, pour une campagne commune », 2 février 2007.« Nicolas Sarkozy a confirmé qu'il quittera le gouvernement en mars », 6 février 2007.C. Baudry, Débat avec H. Rey, « Débats participatifs : populisme ou démocratie

rénovée ? », débat sur le site du Monde, 6 février 2007.R. Bacqué, « Les présidents passent, lui reste », 7 février 2007.P. Ridet, « Sur TF1, Nicolas Sarkozy se rêve en ‘président de l’ouverture politique’, 7

février 2007.A. Cohen, « Pourquoi je vote Ségolène Royal », 9 février 2007.« Appel de journalistes à des débats contradictoires », 14 février 2007.P. Smolar, « A Toulouse, la police en mal de proximité et de résultats », 17 février 2007.J. Le Goff, « Madame la présidente », 24 février 2007.

Page 101: Les usages du terme « populisme » dans la campagne ...doc.sciencespo-lyon.fr/.../MFE2007/.../ledroit_o.pdf · cette course électorale. Par ailleurs, force est de constater l’éruption

Annexes

LEDROIT Orianne_2007 101

G. Deffrennes, « Semaine ‘anti-Le Pen’ à Lille pour accueillir la Convention du FN »,25-26 février 2007.

R. Besse Desmoulières, Débat avec C. Lemieux, « Certains journalistes n’ont qu’unevision partielle des politiques », débat sur le site du Monde, 26 février 2007.

I. Mandraud, « Mme Royal pose les bases de son pacte avec les ‘éléphants’ », 27février 2007.

J.-J. Bozonnet, C. Calla, C. Chambraud, R. Rivais et J.-P. Stroobants, « L’élection

présidentielle en France suscite des appréhensions dans les capitales européennes », 1er

mars 2007.J.-B. de Montvalon, « Le grand écart de François Bayrou », 9 mars 2007.M.-C. Decamps, « Ahmadinejad, le grand frère du peuple », 15 mars 2007.G. Courtois, « Le grand bazar des populismes », Le Monde des Livres, 16 mars 2007.Extrait du livre de E. Besson, « Diatribe d’un déçu de ‘Madame Royal’ », 17 mars 2007.I. Mandraud, Un règlement de comptes à chaud », 17 mars 2007.D. Dhombres, « Le mouton enragé et les rigolos », 21 mars 2007.Supplément spécial : « Débats : Les intellectuels jugent la présidentielle », 22 mars

2007.

M. Noblecourt, « La VIe République de Ségolène Royal », 28 mars 2007.

E. Le Boucher, « Les économies face au populisme », 1er-2 avril 2007.« La stratégie des trois candidats à trois semaines du but », 4 avril 2007.P.-J. Catinchi, « Si j'étais président(e)... », 6 avril 2007.A. Frémont, « Géographie mentale des candidats », 7 avril 2007.L.-B. Robitaille, « Une exception tellement française », 13 avril 2007.P. A. Paranagua, « Le président équatorien Correa a été plébiscité », 17 avril 2007.S. Pedder, « Nicolas Sarkozy. Entre rupture et clientélisme », 18 avril 2007.E. Le Boucher, « Trois doutes, trois paris », 22-23 avril 2007.C. Jakubyszyn, « Au Front national, l'heure des comptes », 26 avril 2007.« Avec le dialogue Royal-Bayrou, on rentre enfin dans les choses concrètes », 30 avril

2007.J.-J. Larrochelle, « Ségo et Sarko passés à la moulinette de Karl Zéro », 2 mai 2007.« Nicolas Sarkozy élu à la présidence de la République à une large majorité », 6 mai

2007.« Olivier Besancenot veut un ‘front unitaire’ contre Nicolas Sarkozy », 6 mai 2007.J.-M. Manach, « Le nouveau visage de la ‘Sarkofrance’ intrigue la presse

internationale », 7 mai 2007.« La presse ibéro-américaine juge que la France a bougé vers la droite », 7 mai 2007.C Legrand, « Les positions ‘néolibérales’ de la présidente chilienne Michelle Bachelet

sont critiquées au sein de sa majorité », 8 mai 2007.

Page 102: Les usages du terme « populisme » dans la campagne ...doc.sciencespo-lyon.fr/.../MFE2007/.../ledroit_o.pdf · cette course électorale. Par ailleurs, force est de constater l’éruption

Les usages du terme « populisme » dans la campagne présidentielle de 2007 Du succès desutilisations stratégiques d’un mot équivoque

102 LEDROIT Orianne_2007

« La presse européenne salue la volonté de changement en France », 9 mai 2007.A.-G. Rico, Entretien avec M. Wieviorka, « On peut parler d'un retour du politique dans

cette campagne électorale », 10 mai 2007.B. Le Gendre, « Nicolas Sarkozy, La France et son histoire », 10 mai 2007.Chat avec X. Jardin, « Chez Nicolas Sarkozy, il y a autant de continuité que de rupture »,

débat sur le site du Monde, 11 mai 2007.Chat avec B. Badie, « Nicolas Sarkozy rompt avec la vision gaullo-chiraquienne de la

grandeur française », débat sur le site du Monde, 15 mai 2007.S. Baumont, « Bayrou ou le ‘général de l’armée morte’ », 16 mai 2007.B. Gurrey, « Un successeur pour Jacques Chirac », 16 mai 2007.A.-G. Rico, Débat avec E. Lecœur, « Aux législatives, l'électorat tenté par le FN pourrait

faire plutôt le pari d'une vague bleu foncé », débat sur le site du Monde, 22 mai 2007.S. Le Bars, Entretien avec S. Fath, « La tentation évangélique », 3-4 juin 2007.E. Le Boucher, « Vive la pensée unique ! », 3-4 juin 2007.M.-B. Baudet, « Appel à la vigilance », 5 juin 2007.

ANNEXE N°6 : ARTICLES DE JOURNAUXREPRODUITS458

1/ A. Duhamel, « La contagion populiste », Libération, 8 novembre2006.

Sans doute est-ce inévitable, à moins de six mois de l'élection présidentielle, mais ce n'enest pas moins déplorable : la polémique à propos du populisme prend un tour beaucoupplus politicien et manoeuvrier que substantiel, comme si le sujet avait irrésistiblement déteintsur le style du débat. On se lance des anathèmes à la tête, on s'entre-ostracise, on se clouemutuellement au pilori. Les uns se font accuser de boulangisme, voire de péronisme ou depolpotisme, les autres sont taxés d'élitisme aveugle, d'oligarchisme méprisant. Le peupledevient un projectile avec lequel il s'agit de blesser l'adversaire, qu'il soit accusé d'en avoirpeur ou qu'il soit dénoncé comme manipulateur. On présente les élus comme coupés deleurs électeurs, alors même qu'ils sont, par principe, ceux qui se trouvent au contact descitoyens. On triomphe en soulignant la fracture politique entre les France, on met en scènedes enquêtes accablant collectivement, pour corruption, un monde politique dont l'immensemajorité des membres n'a heureusement rien à se reprocher dans ce domaine. La violencedu débat escamote l'importance de l'enjeu. A force d'outrances et d'injures réciproques, decalomnies et de mauvaise foi symétriques, on perd de vue l'essentiel : le populisme gagnechaque année du terrain et témoigne ainsi que la crise de la démocratie représentatives'approfondit.

458 Articles choisis dans la mesure où nous retrouvons plusieurs occurrences intéressantes du terme « populisme ».

Page 103: Les usages du terme « populisme » dans la campagne ...doc.sciencespo-lyon.fr/.../MFE2007/.../ledroit_o.pdf · cette course électorale. Par ailleurs, force est de constater l’éruption

Annexes

LEDROIT Orianne_2007 103

Qu'il y ait, bien au-delà du cas français, contagion du populisme , presque pandémie,c'est un fait peu contestable. En Amérique latine (Chávez, après Fujimori), en Amériquecentrale (Ortega), la tradition se poursuit. Elle progresse spectaculairement au Japon, oùle populisme nationaliste ne cesse de marquer des points. Elle domine actuellementen Turquie, elle pèse lourd dans la campagne électorale américaine. L'Europe n'est pasépargnée, tant s'en faut, elle apparaît même de plus en plus exposée. Cela va de soi ausein de la Russie pseudo-démocratique. Cela envahit de plus en plus l'Europe de l'Est,Biélorussie comme Ukraine, Slovaquie comme Hongrie ou Roumanie. Pire : dans des pays àla culture démocratique parfaitement enracinée et même longtemps cités en modèle commele Danemark, la Norvège ou la Suède, elle progresse, elle enfle. En Suisse, en Hollande, enFlandre belge, à nos frontières, et, s'agissant de nations considérées comme exemplairesselon tous les critères de la démocratie, elle est une force ascendante. Silvio Berlusconia incarné l'arrogance, la puissance et malheureusement le professionnalisme impeccableet cynique d'une version médiatique du populisme . La liste n'est pas limitative, elle estimpressionnante, elle mérite plus de sérieux et de réflexion que les noms d'oiseaux quis'échangent à Paris.

Car, bien entendu, la France échappe de moins en moins à l'emprise du populisme, avec son cortège de dénigrement systématique des élites, coupables de tous les échecs,de toutes les régressions mais jamais gratifiées des progrès ou des succès, avec aussisa violence verbale, son autoritarisme diffus, sa démagogie affleurante, ses simplificationsdélibérées. Elle témoigne, cela va de soi, de ce qui est vécu comme autant de menaces,de pressions, de régressions, de dangers, de doutes, même si la réalité est infiniment pluscomplexe : la mondialisation, le capitalisme financier, les délocalisations, ces décisionsmystérieuses et funestes prises de l'extérieur, la dépossession du pouvoir national, lapersistance du chômage, l'augmentation de la précarité, la vulnérabilité face aux violencesphysiques, sociales, culturelles, l'essaim terrible des insécurités, l'impasse redoutée del'intégration, de l'ascension sociale, de l'espérance.

Depuis une génération, l'humus français porte en lui les germes du populisme .La pratique institutionnelle de la Ve République en dramatise encore les risques avecles blocages éternels du dialogue social, l'absence aberrante, archaïque, destructrice, detout contrôle de l'action présidentielle et gouvernementale par le Parlement. Donc avec laconfusion des pouvoirs soudés derrière un exécutif omnipotent donc fragile. Avec enfinl'absence de transparence et le refus d'une communication démocratique sur les décisionset les initiatives de ceux qui gouvernent.

La crise démocratique française complique ainsi la crise sociale, culturelle etpsychologique qui caractérise notre pays. Pour ceux qui seraient tentés de relativiser lesdangers du populisme , on peut rappeler que les Français sont aujourd'hui, au sein del'Union européenne, le peuple le plus pessimiste sur son destin, sur son identité et sur sonavenir. En ce sens, la montée du populisme ne constitue ni une surprise ni certes unemaladie vénielle.

Qu'il faille réinventer une démocratie de participation, qu'il faille imaginer les voies etles moyens d'un autre équilibre des pouvoirs avec un président assumant clairement seschoix, expliquant attentivement sa politique, ayant conscience de s'adresser à des citoyensattentifs et critiques et non pas à des sujets passifs et incultes, bref un chef de l'Etatéclairant, décidant mais expliquant et endossant, cela va de soi. Qu'il faille aussi un contrôleparlementaire digne de ce nom, une séparation des pouvoirs effective, l'association activede tous ceux qui le veulent au débat, à l'information et à la proposition sur un plan local,complétant ainsi la panoplie majestueuse des votes quasi annuels, pourquoi pas ? Dans

Page 104: Les usages du terme « populisme » dans la campagne ...doc.sciencespo-lyon.fr/.../MFE2007/.../ledroit_o.pdf · cette course électorale. Par ailleurs, force est de constater l’éruption

Les usages du terme « populisme » dans la campagne présidentielle de 2007 Du succès desutilisations stratégiques d’un mot équivoque

104 LEDROIT Orianne_2007

de nombreux pays, cela s'expérimente et parfois réussit. La France n'est pas condamnéeau consulat ambigu. Elle ne l'est pas non plus à la démagogie et au péril d'un populismequi n'épargne plus aucune famille politique et qui, régnant déjà sur les partis protestataires,atteint désormais plusieurs présidentiables des partis de gouvernement.

2/ E. Le Boucher, « Le retour mondial des populistes », Le Monde, 10décembre 2006.

En Amérique latine, en Russie, en Europe de l'Est, mais aussi à Washington, La Hayeou Paris : le fond de l'air a un parfum de populisme . Sauf à désigner l'extrême droite,Jean-Marie Le Pen ou Jörg Haider, le mot avait disparu du vocabulaire, selon Guy Hermet,directeur de recherche à Sciences Po ( Le Monde 2 du 4 novembre). Il réapparaît partout.

Les nouveaux élus démocrates du Kansas, de l'Arizona ou de la Caroline du Nord,qui ont fait basculer les deux Chambres lors des dernières élections de mi-mandat auxEtats-Unis, ont des sensibilités « populistes », note le New York Times. Parfois anti-avortement ou pro-armes, sur le plan économique ils reviennent en arrière par rapport auxannées Clinton, favorables au libéralisme, et veulent « répondre à l'angoisse montantedes électeurs » par une remise en question du libre-échange et par un come-back del'intervention publique. En France, Nicolas Sarkozy comme Ségolène Royal ont été accuséspar leurs adversaires de « populisme ». Lui pour sa politique sécuritaire et pour parlerde « racaille », elle pour vanter « la démocratie participative » et pour dénoncer le savoir-tout des « experts ».

Ce retour du populisme dans le monde est à mettre au compte « du discrédit dela démocratie, des élections, de la classe politique », mais aussi de « l'épuisement del'Etat-providence », comme l'explique Guy Hermet. La mondialisation, les délocalisations,le creusement des inégalités réelles ou ressenties, la montée des craintes de déclassementsocial nourrissent la critique contre les dirigeants incapables de garantir l'avenir de tous. Laconfiance dans les institutions s'amenuise, les classes les plus meurtries ont tendance àvoter pour les extrêmes. Vient, mondialement, l'heure des gourous et des démagogues.

Les nouveaux démocrates américains, Nicolas Sarkozy, Ségolène Royal réfutent lequalificatif de « populiste » et rétorquent qu'il est temps de s'occuper des gens qui souffrentet d'écouter les classes populaires. Ils ont raison : on ne peut reprocher à un homme ou àune femme politique de vouloir améliorer le sort des électeurs, notamment « populaires ».

Alors, populaire ou populiste ? Qu'est-ce qui distingue les deux ? Un « populiste »peut être défini « comme celui qui prend publiquement le parti du peuple contre les élites», note Pierre-André Taguieff ( Le Dictionnaire des sciences humaines, PUF). Il lance « unappel au peuple qui vise à se passer de médiation » et qui présuppose l'existence d'« unleader charismatique ». On reconnaîtra là un Jean-Marie Le Pen. Mais, malgré quelquesadhérences, on ne peut pas y classer les deux autres candidats issus des deux grandspartis représentatifs classiques, UMP et PS.

Sur le terrain économique pourtant, on repère dans des promesses de l'un et l'autreune tentation populiste . Celle du protectionnisme, par exemple : « Redonner vie àla préférence communautaire » (Sarkozy), « taxer les entreprises qui délocalisent et lesproduits lorsqu'elles les réimportent » (Royal). Ces propos sont populistes au sens dedémagogiques, puisque la France étant soumise aux lois européennes, élever des frontièresest impossible, sauf à quitter l'Union, ce que le candidat ne propose pas. En outre, commel'écrivent Patrick Artus, Elie Cohen et Jean Pisani-Ferry, « les lignes Maginot ont toujours le

Page 105: Les usages du terme « populisme » dans la campagne ...doc.sciencespo-lyon.fr/.../MFE2007/.../ledroit_o.pdf · cette course électorale. Par ailleurs, force est de constater l’éruption

Annexes

LEDROIT Orianne_2007 105

même effet : créer l'illusion de la sécurité et retarder les vraies réponses » (« La diversionprotectionniste », Le Monde du 6 décembre).

Même constat concernant la Banque centrale européenne, quand nos deux candidatsréclament, à l'unisson, un retour au contrôle politique sur la monnaie. C'est populistepour la même raison : la France est isolée sur cette ligne et les faiblesses des économieseuropéennes proviennent de bien d'autres motifs plus profonds que les taux (faible gain deproductivité, absence des secteurs high-tech, rigidités).

La frontière entre populisme et populaire passe là : promettre la lune ou donner uneréponse efficace et applicable. Or le personnel politique mondial, la France ne faisant pasexception, a senti l'ampleur de « l'angoisse du déclassement » qui gagne les populations,mais n'a pas trouvé une réponse d'ensemble capable de refonder l'Etat-providence. D'oùun registre ambigu, populisto -populaire. Et, en France, la multiplication des promessesdésordonnées et parfois contradictoires de M. Sarkozy comme de Mme Royal. Lui, tantôtlibéral, tantôt dirigiste. Elle, tantôt blairiste, tantôt gauchiste.

Les vieilles recettes de l'Etat-providence étaient basées sur le « toujours plus » deredistribution monétaire (les impôts) et de « moyens » pour les services publics. Mais ellesmarchent à faux : 1. La protection sociale est plus un coût dans la compétitivité internationalequ'un avantage ; 2. L'école publique, par exemple, a beau avoir multiplié ses effectifs, elleest devenue impuissante devant le phénomène qui cause l'inégalité la plus massive : lesenfants de familles pauvres ont moins de chances de grimper que les enfants de famillesriches. L'économiste danois Gosta Esping-Andersen nous apprend que tout se joue dansla toute petite enfance, quand se déterminent les « capacités » des enfants. C'est là qu'ilfaudrait agir.

Le discours politique traditionnel (protectionniste, « bouc émissairiste », fiscal...) resterapopuliste , lire faux, tant que le système social ne sera pas remis au service de lacompétitivité et tant qu'il n'affrontera pas les nouvelles causes, plus complexes, desinégalités et de l'angoisse populaire.

3/ J.-F. Durantin, « 2007: Renouveau de la démocratie participative? »,Libération, 23 février 2007.

Pendant la campagne des élections présidentielles, on voit poindre le thème de ladémocratie participative chez plusieurs candidats. On distinguera la réalité et les objectifspolitiques de ce type de démocratie en présentant les avatars et les points forts de ladémocratie participative et en soulignant les écueils et les risques de déviation, sans omettreles exemples étrangers. En France, la réalité de la démocratie participative s'est manifestéeà deux reprises dans les années 60 : l'élection au suffrage universel du Chef de l'Etatimpulsée par le Général de Gaulle en octobre 1962 qui s'est traduite, à la suite de la motionde censure renversant le gouvernement Pompidou, par une défaite des corps intermédiaires( Parlement, classe politique). Ceux-ci ont pris leur revanche le 27 avril 1969, lors duréférendum transformant le Sénat et les Régions. Parallèlement, l'autogestion dans lesentreprises proposée par Michel Rocard dans les années 70 correspond à une pratiqueentrepreneuriale de la démocratie participative. Cette forme de démocratie s'exerce defaçon directe entre un responsable charismatique et le peuple. D'où, un premier avatar : lepopulisme . On constate que celui-ci n'est pas attaché par définition à un courant autoritaireou fasciste. En ce qui concerne Jean-Marie Le Pen, il est évidemment de la droite extrème,au même titre que Jörg Haider en Autriche et Vladimir Meciar en Slovaquie. Partisans du

Page 106: Les usages du terme « populisme » dans la campagne ...doc.sciencespo-lyon.fr/.../MFE2007/.../ledroit_o.pdf · cette course électorale. Par ailleurs, force est de constater l’éruption

Les usages du terme « populisme » dans la campagne présidentielle de 2007 Du succès desutilisations stratégiques d’un mot équivoque

106 LEDROIT Orianne_2007

libéralisme économique, ceux-ci regroupent tout autant des électeurs d'extrême-gauche qued'extrême-droite. Ils sont favorables à des solutions à l'emporte pièce, niant les contrainteséconomiques, ce qui constitue la preuve de leur populisme .

En Europe, c'est au Danemark et en Norvège que sont nés les partis populistescontemporains. Opposés à la pression fiscale des sociaux-démocrates, ils sont les alliésdes gouvernements conservateurs. En Italie, on peut affirmer que Silvio Berlusconi, à la têtede la coalition Forza Italia, allié à la Ligue du Nord d'Umberto Bossi et à l'Alliance Nationalede Gianfranco Fini, s'identifiant à une forme de paléo-gaullisme, aura été incontestablementle premier chef de gouvernement populiste de l'Europe contemporaine. Quant à ladémocratie participative,-qui se veut en fait un complément de la démocratie représentative,dans laquelle les élites sont souvent dénigrées par le corps électoral-, celle-là tend d'autantplus à se développer que la démocratie représentative repose sur un postulat : l'ignorancedu peuple. Aujourd'hui, le fossé n'est plus aussi grand entre le peuple et ses représentants.D'ailleurs, l'article 3 de la Constitution de 1958 dispose que le peuple détient la souveraineténationale et l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum. Le citoyen étantsitué au centre du jeu politique dans la démocratie participative, le second écueil que tented'éviter Nicolas Sarkozy, c'est le multiculturalisme pour la France et l'acceptation d'uneéconomie de marché pas assez régulée, malgré la force de la mondialisation Dans le cascontraire, on peut parler de consentement à la financiarisation de l'économie.

Désormais, en France c'est à l'intérieur des grands partis parlementaires que se sontinstallés des formes de populisme , liées à la réforme de l'Etat providence. Dans cecontexte, Ségolène Royal ainsi que Nicolas Sarkozy utilisent des arguments populistesavec une grande prudence. Ils évitent de mettre de côté le personnel politique classique.Le « populisme soft » consiste à insister sur les problèmes de la sécurité, de la famille,de l'éducation, ce que pratique Ségolène Royal sans mettre en question l'Etat providence.Bien plus que Nicolas Sarkozy, Ségolène Royal mobilise les thèmes de la démocratieparticipative (dont ses jurys populaires). Ceux-ci prennent souche à Porto Alegre, sanctuairede l'altermondialisme. Cela évoque la démocratie participative à la brésilienne pratiquée parle Président Lula.

Quand Ségolène Royal évoque le tirage au sort, elle veut éviter d'engendrer unpersonnel de militants de la participation, afin qu'il n'y ait pas de professionnels de ladémocratie participative. Enfin le grand mérite de Ségolène Royal c'est de se référer augouvernement athénien et à ses citoyens qui débattent sur l'agora. C'est en prenant sesexemples dans les pays nordiques, en puisant ses modèles dans les gouvernementsde la Grèce Antique et de l'altermondialisme que Ségolène Royal est la plus pertinente,puisqu'elle se tourne vers des expériences réussies dans le temps et dans l'espace.François Bayrou, en ce qui le concerne, est un cas à part : il marie la démocratiereprésentative,- avec des élections à la proportionnelle intégrale-, à la démocratieparticipative. Dans cette dernière acception, il constitue un bon populiste : il considère qu'ilfaut être davantage à l'écoute des citoyens et leur confier un rôle plus actif dans les affairesdu pays : « Nous voulons, dit-il, qu'on écoute les Français, que le Parlement représentetous les courants du peuple, qu'on cesse de passer en force sur tout sujet. L'éducationdoit être la priorité de toutes les priorités ». Ceci rejoint la démarche de Ségolène Royalconsistant à chercher les solutions avec les Français : « On a trop souffert de l'obstinationdes décideurs ». Ainsi que le précise Ségolène Royal, « Je suis socialiste, je ne suis pas pourdresser les Français les uns contre les autres. Le populisme , c'est cela. Moi, au contraire,je crois à l'intelligence collective d'un peuple majeur auquel je fais appel ». Il convientavant tout de permettre le fonctionnement de la démocratie participative en s'appuyant sur

Page 107: Les usages du terme « populisme » dans la campagne ...doc.sciencespo-lyon.fr/.../MFE2007/.../ledroit_o.pdf · cette course électorale. Par ailleurs, force est de constater l’éruption

Annexes

LEDROIT Orianne_2007 107

des critères juridiques efficients et des mesures économiques et sociales qui facilitent sonépanouissement. « Lorsque l'Etat central et les Régions fonctionneront en harmonie, » lesinvestissements seront nombreux et la croissance retrouvée favorisera le plein-emploi. Ainsisera assurée pour les salariés une meilleure répartition des parts respectives du capital etdu travail. Dès lors, selon l'expression de Jean Jaurès, l'émancipation collective autoriseral'individu à « devenir la mesure de toute chose ».

4/ S. Homer, Entretien avec F. Jost, « Une certaine idée de la vérité »,L’Humanité, 5 mai 2007.

Quelles sont les valeurs qui « transpirent » des apparitions et des discours médiatiques deNicolas Sarkozy ?

François Jost. Si l’on devait les résumer en un mot, on pourrait dire que NicolasSarkozy est un véritable cas d’école du populisme comme le montre cette idéalisationdémagogiquedu « petit peuple », des « vrais gens », de « ceux qui se lèvent tôt », de ceuxqui « savent ce que c’est que travailler ». On pourrait même parler de « télépopulisme ».Car, on peut faire un parallèle entre le fonctionnement de la télévision et celui de cet hommepolitique. Car ces valeurs-là ce sont celles qui ont fait le succès de la téléréalité, au pointque, lorsqu’est apparu Loft Story sur M6, nombre d’intellectuels, dans leur enthousiasme,se sont laissés leurrer par cette idée selon laquelle on n’avait pas vu depuis des années de« vrais gens à la télévision » et que la téléréalité nous les montrait enfin, les « anonymes »,les « humbles », les « sans-grade ». On peut d’ailleurs faire un lien entre le populisme« protestataire » d’un Sarkozy et le discours contre les élites de la télévision. Et plusparticulièrement des producteurs, à l’époque, des émissions de téléréalité. Pour eux, latélé était « le pouvoir laissé aux gens d’en haut » et ils disaient à qui voulait les croire :« Maintenant, c’est à vous de prendre le pouvoir. » Or que dit Sarkozy, si ce n’est « vousqui n’êtes rien, vous allez parler à travers moi » ? Et ce, sans dialogue ! Car, ce qui estremarquable - outre qu’en bon populiste , il parle du « peuple » sans jamais le définir -c’est qu’il ne parvient pas à être en cohérence avec son slogan, « ensemble, tout devientpossible ». C’est le « ensemble » qui pose problème. Car, quoi qu’il fasse, sur ses affichescomme dans ses meetings, il apparaît toujours comme étant seul, isolé. Dans ses clips decampagne, on le voit serrer des mains mais les autres, en fait, ne sont jamais en situationde dialogue. Ils sont là en fond, comme un décor. Son affiche est, à ce titre, frappante :on a évoqué Pétain et Mitterrand. Mais derrière lui, en fait, ce n’est ni village ni vraiment lacampagne : c’est avant tout un désert.

Pétain a en effet été évoqué. Et il est vrai que la devise « liberté, égalité, fraternité »semble avoir du plomb dans l’aile...

François Jost. En tout cas, lors du face-à-face avec Ségolène Royal, avant-hier, onn’a pas eu droit uniquement à la mise en avant de la « valeur travail » dont Sarkozy estcoutumier mais aussi au couplet sur la famille avec le « droit de succession ». Quant à lapatrie, on a été là aussi copieusement servi avec ce qu’il a dit de l’immigration.

Pensez-vous que ce substrat idéologique irrigue le petit écran ?François Jost. Si on considère que l’information et les émissions, c’est d’abord et

avant tout une vision du monde, il ne fait aucun doute que TF1 partage la même visiondu monde que Sarkozy. Prenez le JT de Jean-Pierre Pernault. Ou bien l’émission deCharles Villeneuve, le Droit de savoir : des reportages sur ces « chômeurs qui arnaquentles ASSEDIC », sur des médecins qui « font des arrêts de travail sans même voir leurs

Page 108: Les usages du terme « populisme » dans la campagne ...doc.sciencespo-lyon.fr/.../MFE2007/.../ledroit_o.pdf · cette course électorale. Par ailleurs, force est de constater l’éruption

Les usages du terme « populisme » dans la campagne présidentielle de 2007 Du succès desutilisations stratégiques d’un mot équivoque

108 LEDROIT Orianne_2007

patients » et qui, donc, « creusent le trou de la Sécu »... On retrouve cela systématiquementdans les discours d’un Sarkozy qui n’a de cesse de marteler qu’il ne sera jamais du côtédes « fraudeurs ». Mais qu’il se mettra toujours, en revanche, du côté des victimes. Et ce,même au prix de l’impartialité. En cela, d’ailleurs, on peut faire un parallèle avec un autretype d’émissions, celles qui ont précédé la « téléréalité », en l’occurrence les reality-showscomme Perdu de vue ou Témoin nº 1 où Jacques Pradel développait systématiquementun discours de victimisation. Regardez comment Sarkozy annonce qu’il compte remettreen cause le droit de grève, notamment dans les transports : en érigeant en « victimes »ces gens qui « attendent des heures » pour aller au travail... Il y a enfin un dernier aspectdu discours de Sarkozy éminemment populiste , c’est son rapport à la vérité : Sarkozydit le vrai et, estimant d’une manière trèsdémagogiqueque le « peuple » (sans jamais ledéfinir) a toujours raison, sait ce qu’est le vrai. Au point d’affirmer que la pédophilie, c’estgénétique. Ce qui n’est pas sans faire penser à la présence de Mme Ceaucescu jadis ausein de l’Académie des sciences en Roumanie. Et c’est là que transpire ce qui est le plusinquiétant chez lui : non pas sa communication gestuelle, ces coups de menton, mais lafaçon dont il veut incarner une certaine idée de la vérité.

ANNEXE N°7 : OCCURRENCE DU TERME« POPULISME » SELON LES MOIS ET LESCANDIDATS

Au cours de notre réflexion, nous avons souhaité illustrer graphiquement certaines de nospistes d’analyse. Voici un tableau créé grâce à notre corpus d’articles sélectionnés danslequel il s’agit de mettre en évidence les évolutions dans l’usage du mot « populisme » aucours des mois de la campagne et en fonction des désignés visés par le terme.

Page 109: Les usages du terme « populisme » dans la campagne ...doc.sciencespo-lyon.fr/.../MFE2007/.../ledroit_o.pdf · cette course électorale. Par ailleurs, force est de constater l’éruption

Annexes

LEDROIT Orianne_2007 109

ANNEXE N° 8 : ANALYSE DES OUTILSINFORMATIQUES ET QUELQUES ILLUSTRATIONSPOUR NOTRE REFLEXION

Nous nous proposons dans cette annexe de faire part des divers outils informatiques trouvéspar l’intermédiaire du site Internet de J. Véronis et utiles pour illustrer notre analyse sur leterme « populisme ».

1/ Analyse de l’outil LéxiMédia 2007459

L'outil LexiMédia2007 offre la possibilité de suivre l'actualité des élections présidentiellesde 2007 semaine après semaine. En effet, cet outil, réalisé par Didier Bourigault et FranckSajous du laboratoire CLLE-ERSS, unité mixte du CNRS et de l'Université Toulouse-Le Mirail, donne l'évolution au fil des semaines de la fréquence d’utilisation de cessyntagmes, globalement et par journal. Pour chaque recherche lexicale, l’outil fait apparaîtreun graphique montrant l’évolution dans l’utilisation de cette entrée lexicale dans les troisquotidiens nationaux que sont Le Figaro, Le Monde et Libération. Cet outil ne prend doncpas en compte un des quotidiens que nous avons retenu dans notre corpus (L’Humanité).Pour autant, la fréquence du mot « populisme » dans les trois journaux analysés noussemble révélatrice ; confirmant ainsi notre analyse au sujet d’une corrélation possible entrecertains thèmes (comme la démocratie participative) et la récurrence du mot.

459 Voir sur le site : http://erss.irit.fr:8080/LexiMedia2007/infos/accueil.jsp

Page 110: Les usages du terme « populisme » dans la campagne ...doc.sciencespo-lyon.fr/.../MFE2007/.../ledroit_o.pdf · cette course électorale. Par ailleurs, force est de constater l’éruption

Les usages du terme « populisme » dans la campagne présidentielle de 2007 Du succès desutilisations stratégiques d’un mot équivoque

110 LEDROIT Orianne_2007

Pour le terme « populisme » :

Selon la légende suivante : Le Figaro Le Monde LibérationTotal

Pour le terme « démagogie »460 :

Selon la légende suivante : Le Figaro Le Monde LibérationTotalPour le terme de « démocratie participative » :

Selon la légende suivante : Le Figaro Le Monde LibérationTotalPour interpréter ce graphique, il faut néanmoins préciser au lecteur les dates

correspondant aux références temporelles inscrites sous une forme codée.Ainsi chaque code correspond à une semaine précise:s34 : 21/08/06 au 27/08/06s35 : 28/08/06 au 3/09/06s36 : 4/09/06 au 10/09/06s37 : 11/09 au 17/09…s52 : 25/12/06 au 31/12/06s1 : 1/ 01/07 au 7/01/07et ainsi de suite.Pour notre analyse sur le terme « populisme », nous pouvons établir grâce à

ces graphiques la corrélation possible entre l’utilisation des termes « populisme » et

460 Nous nous permettons ici de mettre le graphique correspondant à la fréquence dans l’utilisation du terme « démagogie »dans la mesure où nous avons établi lors du raisonnement la proximité de ce terme avec notre objet d’étude.

Page 111: Les usages du terme « populisme » dans la campagne ...doc.sciencespo-lyon.fr/.../MFE2007/.../ledroit_o.pdf · cette course électorale. Par ailleurs, force est de constater l’éruption

Annexes

LEDROIT Orianne_2007 111

« démocratie participative ». Par exemple, nous remarquons un pic dans l’emploi de cesdeux concepts lors de la semaine 43 (du 23/10 au 29/10).

2/ L’outil Discours 2007Discours 2007 regroupe les discours de tous les candidats durant la campagneprésidentielle avec un moteur de recherche par mots clés. Il y a 239 discours actuellementdisponibles. Cet outil a été d’une aide précieuse concernant les discours analysés dansnotre corpus afin de repérer rapidement ceux qui contenaient les termes « populisme/populiste ».