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Introduction Depuis les premières observations, rapportées en 1880 par EBERTH, jusqu'à nos jours, le genre Salmonella n'a pas cessé de présenter une importance considérable dans les domaines vétérinaire et médical, tant par les pertes écono- miques dues à la maladie animale, que par la forte incidence chez l'homme des fièvres typhoïdes et des toxi-infections à salmonelles. La recrudescence, ces dix dernières années, en France comme dans de nombreux pays, des cas de salmonelloses dus au sérotype Enteritidis a mis en évidence l'importance majeure des produits de l'aviculture dans l'épidémiologie des toxi-infections alimentaires. Dans le contexte actuel de l'agro-alimentaire, où une totale sécurité des produits est exigée par le consommateur, la maî- trise de la contamination salmonellique des viandes de volailles est devenue un argument économique pour certains industriels, qui proposent sur le marché français des produits annoncés comme "sans salmonelles". La valeur des garanties apportées et leur intérêt réel pour la collectivité ne manquent pas de susciter des controverses, jusqu'au plus haut niveau des instances vétérinaires euro- péennes. 1. La filière aviaire dans l'épidé- miologie des toxi-infections ali- mentaires à salmonelles Si les épidémies récentes de listériose ont retenu l'atten- tion des médias, les salmonelloses restent au centre des préoccupations des autorités chargées de la sécurité ali- mentaire. SYNTHÈSE SCIENTIFIQUE Le poulet sans salmonelles : mythe ou réalité ? G. BORNERT Groupe de Secteurs vétérinaires interarmées, B.P. 16, F-35998 Rennes Armées. RÉSUMÉ Compte-tenu du contexte épidémiologique, l'éradication de l'infection salmonellique en élevage aviaire apparaît comme l'une des priorités actuelles pour assurer la sécurité alimentaire. Les succès récents obtenus dans ce domaine par les pays scandinaves constituent un exemple pour les autres bassins de production. Premières causes de toxi-infections alimen- taires collectives, les salmonelles sont des bactéries ubiquitaires, très large- ment implantées dans les élevages de volailles, de sorte que leur élimination nécessite la mise en œuvre de moyens considérables. Les techniques les plus performantes de microbiologie alimentaire constituent des outils incon- tournables de validation de l'efficacité des actions entreprises, sous réserve de veiller à l'emploi de plans d'échantillonnage adaptés. MOTS-CLÉS : salmonelle - viande - toxi-infection alimen- taire - poulet. SUMMARY Salmonella-free chicken meat : myth or reality ? By G. BORNERT. In the current epidemiological context, the eradication of salmonellic infection in poultry appears as a priority to ensure food safety. As they met recently with success, scandinavian countries are regarded as a model for the other production areas. First causative agent of collective food poiso- nings, Salmonellae are ubiquitous bacterias, widely met in poultry, so that considerable means are necessary for their elimination. The most efficient microbiological techniques are essential tools in order to validate the effi- ciency of undertaken actions, on condition that suitable sampling plans are used. KEY-WORDS : salmonella - meat - food poisoning - chi- cken. Revue Méd. Vét., 2000, 151, 12, 1083-1094

Le poulet sans salmonelles : mythe ou réalité · 2010-05-08 · Introduction Depuis les premières observations, rapportées en 1880 par EBERTH, jusqu'à nos jours, le genre Salmonella

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IntroductionDepuis les premières observations, rapportées en 1880 par

EBERTH, jusqu'à nos jours, le genre Salmonella n'a pascessé de présenter une importance considérable dans lesdomaines vétérinaire et médical, tant par les pertes écono-miques dues à la maladie animale, que par la forte incidencechez l'homme des fièvres typhoïdes et des toxi-infections àsalmonelles.

La recrudescence, ces dix dernières années, en Francecomme dans de nombreux pays, des cas de salmonelloses dusau sérotype Enteritidis a mis en évidence l'importancemajeure des produits de l'aviculture dans l'épidémiologie destoxi-infections alimentaires.

Dans le contexte actuel de l'agro-alimentaire, où une totalesécurité des produits est exigée par le consommateur, la maî-trise de la contamination salmonellique des viandes de

volailles est devenue un argument économique pour certainsindustriels, qui proposent sur le marché français des produitsannoncés comme "sans salmonelles".

La valeur des garanties apportées et leur intérêt réel pour lacollectivité ne manquent pas de susciter des controverses,jusqu'au plus haut niveau des instances vétérinaires euro-péennes.

1. La filière aviaire dans l'épidé-miologie des toxi-infections ali-mentaires à salmonelles

Si les épidémies récentes de listériose ont retenu l'atten-tion des médias, les salmonelloses restent au centre despréoccupations des autorités chargées de la sécurité ali-mentaire.

SYNTHÈSE SCIENTIFIQUE

Le poulet sans salmonelles : mythe ou réalité ?

G. BORNERT

Groupe de Secteurs vétérinaires interarmées, B.P. 16, F-35998 Rennes Armées.

RÉSUMÉ

Compte-tenu du contexte épidémiologique, l'éradication de l'infectionsalmonellique en élevage aviaire apparaît comme l'une des prioritésactuelles pour assurer la sécurité alimentaire. Les succès récents obtenusdans ce domaine par les pays scandinaves constituent un exemple pour lesautres bassins de production. Premières causes de toxi-infections alimen-taires collectives, les salmonelles sont des bactéries ubiquitaires, très large-ment implantées dans les élevages de volailles, de sorte que leur éliminationnécessite la mise en œuvre de moyens considérables. Les techniques lesplus performantes de microbiologie alimentaire constituent des outils incon-tournables de validation de l'efficacité des actions entreprises, sous réservede veiller à l'emploi de plans d'échantillonnage adaptés.

MOTS-CLÉS : salmonelle - viande - toxi-infection alimen-taire - poulet.

SUMMARY

Salmonella-free chicken meat : myth or reality ? By G. BORNERT.

In the current epidemiological context, the eradication of salmonellicinfection in poultry appears as a priority to ensure food safety. As they metrecently with success, scandinavian countries are regarded as a model forthe other production areas. First causative agent of collective food poiso-nings, Salmonellae are ubiquitous bacterias, widely met in poultry, so thatconsiderable means are necessary for their elimination. The most efficientmicrobiological techniques are essential tools in order to validate the effi-ciency of undertaken actions, on condition that suitable sampling plans areused.

KEY-WORDS : salmonella - meat - food poisoning - chi-cken.

Revue Méd. Vét., 2000, 151, 12, 1083-1094

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A) DONNÉES GÉNÉRALES SUR L'ÉPIDÉMIOLOGIEDES TOXI-INFECTIONS ALIMENTAIRES À SALMO-NELLES

Le nombre de cas de salmonelloses humaines recensés enFrance est d'environ 16.000 à 20.000 chaque année depuis1989 [11]. Les salmonelles restent les principaux agents detoxi-infections alimentaires collectives, responsables en1997 de 851 foyers [11], soit 76 % des foyers pour lesquelsl'agent causal a été identifié [20]. A l'échelle de l'Europe, l'in-cidence des salmonelloses chez l'homme est de 73 cas pour100.000 habitants et par an [24].

Les données du Centre national de référence des Salmo-nella et Shigella [11] concernant les isolements effectuéschez l'homme permettent d'observer que quatre sérotypessont à l'origine de près de 80 % des cas. Il s'agit de Salmo-nella Typhimurium (35 %), Enteritidis (34 %), Hadar (7 %)et Virchow (3 %).

Le sérotype Enteritidis reste aussi fréquemment isolé qu'en1994, alors que Typhimurium progresse régulièrementchaque année. Hadar est le sérotype qui a connu la plus forteprogression ces dernières années.

En ce qui concerne les cas groupés, les sérotypes mis encause sont dans 73 % des cas Salmonella Enteritidis et Sal-monella Typhimurium, qui prennent une place de plus enplus prédominante dans le "paysage épidémiologique" fran-çais.

Salmonella sérotype Typhimurium DT 104, pour determi-native type 104, a émergé ces dernières années en tantqu'agent pathogène chez l'homme [24]. En raison de résis-tances multiples aux anti-infectieux, ampicilline, chloram-phénicol, streptomycine, sulfaméthoxazole et tétracycline[11], elle pose un important problème thérapeutique, en par-ticulier chez les jeunes enfants, principale population àrisques en matière de salmonelloses.

Selon les statistiques du Center for disease control, le typeDT 104 serait responsable de 8,5 % des cas actuels de salmo-nelloses chez l'homme aux États-Unis [23]. Il fait l'objetd'une attention particulière de la part de l'ensemble des auto-rités chargées de la protection de la santé publique.

B) LES SALMONELLES DANS LA FILIÈRE AVICOLE

L'existence d'un fort taux d'infection salmonellique desanimaux est un phénomène largement décrit en aviculture.Une étude menée en Belgique de 1993 à 1996 [25] dans desabattoirs de poulets révèle un taux de contamination superfi-cielle des carcasses variant de 17,6 % à 27,2 %, tandis que34,6 % à 49,0 % des produits de découpe sont porteurs de sal-monelles.

La flore microbienne à la surface d'une carcasse de volailleabattue dans des conditions normales est de l'ordre de 103 à105 micro-organismes aérobies mésophiles par cm2.

Selon les études, et en fonction des plans d'échantillonnageutilisés, la contamination salmonellique mise en évidencedans les abattoirs peut varier sensiblement, mais reste engénéral de l'ordre de 30 % des carcasses. Le taux de contami-nation, exprimé en nombre d'unités formant colonies dans

100 grammes de peau, est généralement faible, de 1 à 30,mais peut atteindre des valeurs plus élevées, jusqu'à 104 [13].

Parmi les sérotypes les plus fréquemment incriminés lorsde toxi-infection à salmonelles, Salmonella Enteritidis,Hadar et Virchow sont considérés comme assez typiques dela filière aviaire. Quoique moins spécifique des volailles, lesérotype Typhimurium est aussi très fréquemment rencontrédans les élevages de poulets, de dindes et de canards, et jus-qu'à 30 % des souches isolées d'élevages aviaires présententune polychimiorésistance de type DT 104 [23].

Le fort taux d'infection salmonellique des oiseaux d'éle-vage est la cause de la fréquente contamination des produitsavicoles par des salmonelles. On explique ainsi que les pré-parations à base d'œufs représentent la principale famille dedenrées incriminée lors de l'apparition d'une toxi-infectionalimentaire.

Le rôle des viandes de volailles dans l'épidémiologie des sal-monelloses chez l'homme apparaît, par contre, moins évident.

C) RÔLE DES VIANDES DE VOLAILLES DANS LATRANSMISSION À L'HOMME DES SALMONELLESD'ORIGINE AVIAIRE

a) Salmonelloses dues à la consommation de viandes devolailles

1) Fréquence

Les viandes de volailles sont assez rarement mises en causeen tant qu'aliments à l'origine de toxi-infections alimentaires.Bien que très fréquemment contaminées par des salmonelles,ces denrées sont habituellement consommées très cuites, lacuisson constituant généralement un traitement assainissantefficace.

La viande de poulet est incriminée dans seulement 4,4 %des cas de toxi-infections alimentaires [13] survenus entre1973 et 1987 aux États-Unis et a été mise en cause occasion-nellement lors d'épidémies survenues en Grande-Bretagne[12, 23]. Dans ces pays, la viande de dinde serait responsablede deux fois plus de cas de salmonellose chez l'homme queles produits à base de viande de poulet [13].

En France, les viandes de volailles sont suspectées dans 16 % des foyers de salmonellose documentés survenus en1997 [20]. Des épidémies, assez clairement associées à laconsommation de viande de poulet, ont été rapportées [10,15, 17].

2) Facteurs de risque

L'inactivation des salmonelles dépend de nombreux fac-teurs et il a été montré que la survie de ces bactéries pouvaitêtre observée lors de certains traitements thermiques réputésassainissants, tels que la cuisson des œufs durs [14].

La composition de l'aliment et le sérotype de salmonelle en présence peuvent faire varier de façon considérable lerésultat obtenu en matière d'assainissement par la cuisson(tableau I).

Il est donc possible d'envisager que des salmonelles survi-vent à des traitements de cuisson, notamment ceux utilisant lesmicro-ondes. L'essor de procédés de cuisson à basse tempéra-

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ture, ainsi que certaines modes culinaires de consommation deviandes crues ou très peu cuites renforcent ce risque. Le goûtde certains consommateurs pour le poulet cuit "rosé" a déjà étéconstaté lors d'épidémies de salmonellose [18]. Ce mode deconsommation serait usuel chez un quart des français [17].

Il faut enfin noter que l'incorporation de viandes ou mêmede peau de poulet dans de nombreux produits élaborés,salades, plats cuisinés, charcuteries, accroît la diversité despréparations culinaires susceptibles de véhiculer des salmo-nelles d'origine aviaire.

b) Importance des contaminations croisées

La notion de contamination croisée fait généralement réfé-rence à un transfert de contamination d'une denrée vers uneautre, s'effectuant le plus souvent de façon indirecte par l'in-termédiaire des mains des opérateurs, des ustensiles de cui-sine, des plans de travail ou des planches à découper.

Les études réalisées dans ce domaine démontrent claire-ment que, sans précautions suffisantes, les bactéries pré-sentes à la surface des carcasses de poulets peuvent être dis-séminées dans la cuisine à la suite des opérations de découpedes viandes crues [16, 19]. Ce mécanisme a été évoqué lorsde toxi-infections alimentaires collectives dues à la consom-mation de viandes de volailles [15]. Lorsqu'une "recontami-nation" des viandes de poulet survient après la phase de cuis-son, tout le bénéfice du traitement thermique, en matière d'as-sainissement, est perdu.

Utilisant une souche d'Enterobacter aerogenes comme tra-ceur de contaminations croisées, ZHAO et coll. [27] ont pré-cisé l'importance quantitative des transferts de bactéries sus-ceptibles de se produire à partir de viandes de poulet conta-minées en surface (figure 1).

S'il est facile de reproduire expérimentalement des transfertsde contaminations, leur importance réelle est beaucoup plusdélicate à évaluer lors des enquêtes effectuées à la suite destoxi-infections alimentaires. Il n'est donc pas possible de préci-ser le nombre de cas de salmonelloses directement associés àdes contaminations croisées, donc de quantifier le risque.

Il faut cependant remarquer que le nombre de cas de sal-monelloses chez l'homme, impliquant majoritairement dessalmonelles d'origine aviaire, n'est pas en régression malgréles mesures de prévention prises à l'égard des œufs et l'usagetrès large des ovoproduits pasteurisés.

Ces éléments doivent conduire à ne pas sous-estimer l'im-portance des viandes de volailles en tant que vecteurs de sal-monelles en cuisine. La théorie selon laquelle les viandes devolailles sont des aliments sans danger, car destinés à êtrecuits, doit donc être activement combattue.

On peut en particulier déplorer que les critères microbiolo-giques en vigueur en France, en particulier "absence dans 25 grammes de muscles pectoraux" pour les viandes en car-casses [1], ne prennent pas en compte la contamination loca-lisée au niveau de la peau, qui constitue pourtant un facteurde risque pour le consommateur.

En cuisine, le respect de règles de sectorisation ainsi que denettoyage et de désinfection pourrait en théorie suffire à limi-ter l'incidence des contaminations croisées, tandis qu'une par-faite maîtrise des protocoles de cuisson peut garantir l'assai-nissement des préparations. Cependant, les plans d'assurance-sécurité mis en œuvre dans de nombreux établissements derestauration ne placent pas clairement le travail des viandes devolailles parmi les activités contaminantes. Il est même para-doxal d'observer que les cartons d'emballage sont interditsd'accès en cuisine, car considérés comme de dangereusessources de contaminations, tandis que des produits vecteursde salmonelles ne font l'objet d'aucune mesure particulière.

Compte tenu du niveau élevé de contamination salmonel-lique des viandes de volailles, les moyens à mettre en œuvreen cuisine pour prévenir le risque salmonellique sont trèscontraignants et une réelle maîtrise n'est pas possible. Toutrelâchement dans l'application par le personnel de règles trèsstrictes d'hygiène des manipulations, en particulier en ce quiconcerne le lavage des mains, est un facteur favorable à destransferts de contaminations.

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TABLEAU I. — Temps de réduction décimale mesuré pour différents sérotypes de salmonelles, dans des produits ali-mentaires [14, 22]. Le temps de réduction décimale D est le temps de chauffage à température constante permet-tant de détruire 90 % de la population bactérienne.

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La prévention de la contamination salmonellique des pro-duits de l'aviculture, à tous les stades de leur production,constitue de toute évidence une priorité pour la protection dela santé des consommateurs.

2. Principes de prévention de lacontamination salmonelliquedes viandes de volailles

L'industrie agro-alimentaire, les éleveurs et les pouvoirspublics s'emploient à mettre en place des plans d'action visantà garantir l'absence de salmonelles dans les produits alimen-taires. Ce type de mesures a pris récemment une ampleur par-ticulière dans la filière avicole, en raison du contexte épidé-miologique actuel.

A) OPTIONS TECHNIQUES

Parmi les solutions techniques proposées pour maîtriser lacontamination salmonellique des viandes de volailles, desprocédés d'assainissement ont été proposés. Les principauxsont l'ionisation, l'aspersion des carcasses à l'aide de subs-tances à activité antimicrobienne et le flambage superficiel.

Le traitement des viandes de volailles par les rayonnementsionisants n'a connu de réel essor que dans le cas des viandesséparées mécaniquement, produits destinés à l'industrie duplat cuisiné et de la charcuterie. Ce procédé est assez large-ment rejeté par le consommateur dès qu'il en est fait mentionsur l'étiquetage des produits.

C'est aussi le cas pour les traitements chimiques, en parti-culier celui utilisant l'orthophosphate trisodique autorisérécemment en France [4].

Le flambage et les traitements chimiques ne permettentqu'une réduction de la contamination superficielle desviandes, sans assurer une complète élimination des salmo-nelles. Leur mise en œuvre ne garantit donc pas une parfaitesécurité alimentaire et pourrait même encourager un relâche-ment dans l'application stricte des bonnes pratiques hygié-niques, en élevage comme dans les abattoirs.

Il n'est, par ailleurs, pas souhaitable de laisser perdurer lacolonisation des élevages par les salmonelles, favorisantainsi une large dispersion de ces bactéries dans l'environne-ment, et notamment sur les terres cultivées, à l'occasion del'épandage des effluents d'élevages ou d'abattoirs.

La Communauté européenne a donc adopté une autre stra-tégie, fondée non pas sur le traitement du produit mais surl'éradication de l'infection salmonellique dans les élevagesaviaires. Le plan d'action retenu se fonde sur la connaissancedes particularités de l'écologie des salmonelles.

B) PARTICULARITÉS ÉCOLOGIQUES DES SALMO-NELLES

Les salmonelles présentent deux particularités écologiquesessentielles qui expliquent leur très large distribution et ren-dent difficile leur élimination de l'environnement des ani-maux de rente.

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FIGURE 1. — Transferts de contamination observés en cuisine à partir de viandes de poulet [27]. Les taux de contamina-tion bactérienne sont exprimés en nombre d'unités formant colonies (U.F.C.) par gramme ou par centimètre-carré.

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a) Réservoir naturel

Le réservoir naturel des salmonelles s’étend à tout lemonde animal. Les vertébrés, en particulier les mammifèresdomestiques et les volailles, peuvent héberger ces bactériesau niveau de leur tube digestif.

Certains sérotypes sont adaptés à une espèce hôte en parti-culier, notamment Gallinarum chez les volailles, mais la plu-part n’ont pas d’hôte préférentiel et peuvent infecter aussibien l’homme que l’animal. C'est dans ce dernier groupe quese trouvent les principaux sérotypes agents de toxi-infectionsalimentaires. L'animal, le plus souvent porteur asymptoma-tique, constitue un réservoir pour les salmonelles et les pro-ductions animales, viandes et œufs en particulier, sont desvecteurs de la contamination.

Chez un animal porteur sain, les salmonelles sont générale-ment hébergées au niveau du tube digestif et font l'objet d'uneexcrétion fécale intermittente. Elles peuvent aussi migrervers certains organes. Chez la poule pondeuse, il a été décritune colonisation des ovaires, de la rate et du foie par Salmo-nella sérotype Enteritidis, phénomène à l'origine de la trans-mission verticale de l'infection salmonellique.

b) Survie et diffusion dans l'environnement

Les salmonelles possèdent une grande capacité de surviedans l’environnement, en particulier dans les eaux rési-duaires, chargées en matière organique, dans les boues issuesdes stations d'épuration et sur les terres agricoles.

Leur diffusion dans l’environnement est très importante :on parle de cycle des salmonelles pour décrire leur aptitude àse transmettre d’une espèce animale à une autre, à contami-ner tous les biotopes, en particulier les élevages d’animauxde rente, et à infecter l’homme par l’intermédiaire de son ali-mentation (figure 2).

La présence de salmonelles dans l'environnement directdes animaux d'élevage semble, dans ces conditions, inéluc-table. Certains intervenants de la filière aviaire en viennentmême parfois à présenter ces bactéries comme des hôtes nor-maux du tube digestif des volailles, théorie largement contes-tée par les spécialistes [13] mais qui sert d'alibi pour retarderla mise en œuvre des mesures drastiques d'éradication quis'imposent.

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FIGURE 2. — Le cycle de diffusion des salmonelles dans l'environnement [21].

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C) PRINCIPES DE LUTTE

a) Bases réglementaires

Le programme européen d'éradication de l'infection salmo-nellique en élevage aviaire s'inscrit dans le cadre de la luttecontre les zoonoses, visée par la directive communautaire n°92 / 117 du 17 décembre 1992 [5], texte dont la transcriptionen Droit français date d'octobre 1998 [2, 3] pour les filières"chair" et "ponte".

b) Fondements de la "lutte intégrée"

Pour tenir compte de la possibilité d'une transmission verti-cale des salmonelles, une approche impliquant l'ensemble desintervenants de chaque filière (figure 3) est indispensable.

L'éradication ne peut se faire que de l'amont vers l'aval, encommençant par les élevages de sélection et de reproduction.

La "lutte intégrée" repose sur des mesures de prophylaxiesanitaire associant l'élimination des sources de contaminationau dépistage et à l'abattage des lots de volailles contaminés.

Les mesures de prophylaxie médicale n'ont pas été rete-nues. La vaccination des volailles contre plus de 2.000 séro-

types de salmonelles n'est pas envisageable. L'efficacitéd'une antibiosupplémentation est totalement illusoire. Cetraitement ne ferait que favoriser la sélection de souches bac-tériennes antibiorésistantes.

c) Mise en œuvre en France

1) Dépistage

La mise en œuvre, par les pouvoirs publics, du dépistagedes lots de reproducteurs infectés s'effectue par prélèvement,dans les locaux d'élevage, de méconiums de poussins et defientes. Des prélèvements pour la recherche des salmonelles"résidentes", sur les murs, les sols et les matériels, sont réali-sés à l'aide de "chiffonnettes" stériles.

Le plan d'échantillonnage fixé par la réglementation fran-çaise [2] est détaillé dans le tableau II.

2) Conduite des élevages

Pour bénéficier de subventions de l'État, en cas d'abattagede lots d'animaux infectés, l'éleveur doit adhérer à la "chartesanitaire", c'est-à-dire respecter des règles fixées par la régle-mentation en matière de conduite de l'élevage.

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FiGURE 3. — Différents intervenants de la filière "chair".

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Ces règles concernent notamment les locaux et matériels,qui doivent être conçus pour permettre des opérations effi-caces de nettoyage et de désinfection et pour éviter l'intro-duction de salmonelles dans l'environnement immédiat desanimaux.

La maîtrise de la qualité sanitaire de l'eau de boisson et del'alimentation des volailles est nécessaire.

En complément du plan de nettoyage et de désinfection,des contrôles bactériologiques des surfaces doivent être misen place dans les couvoirs.

Ces mesures, qui ne présentent pas de réelle originalité, nesont pour l'instant applicables, en France, qu'aux élevages dereproduction et d'accouvaison. La multiplicité des sources desalmonelles ne facilite pas la tâche des éleveurs.

La question de la mise en œuvre de la lutte intégrée auniveau des élevages de poulets de chair proprement dits restel'objet d'un large débat au niveau européen. La France doitdéfendre en particulier ses productions de poulets élevés enplein air sur sol de terre, développées dans le cadre de labels,et qui s'accommodent difficilement des règles de base du net-toyage et de la désinfection.

3. Les viandes de poulet garan-ties sans salmonelles

Certains pays d'Europe du Nord ont entrepris depuis unevingtaine d'années une démarche d'éradication de l'infection

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TABLEAU II. — Plan d'échantillonnage fixé par la réglementation en France pour le dépistage des lots de pouletsinfectés par Salmonella sérotype Enteritidis et Salmonella sérotype Typhimurium [2].

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salmonellique aviaire identique à celle de la France, qui aatteint son objectif durant les années 1990 [26].

A) DONNÉES GÉNÉRALES

La Suède a été le premier pays européen à commercialiserà grande échelle des viandes de poulet garanties sans salmo-nelles, bientôt suivie par le Danemark et les Pays-Bas.

Ce produit n'est apparu de manière significative sur le mar-ché français que depuis 1998.

Le prix de vente du poulet sans salmonelles a longtempsété très supérieur aux cours mondiaux. Ce surcoût, de l'ordrede un à deux francs par kilogramme de produit, était la consé-quence des investissements consentis par les éleveurs pourmoderniser les bâtiments d'élevage, des pertes liées aux abat-tages d'animaux infectés et des imposants plans de sur-veillance mis en place.

A mesure que la campagne d'éradication a atteint son but,les volumes disponibles de viandes garanties sans salmo-nelles ont augmenté tandis que les prix ont progressivementbaissé.

En trois ans, le poulet sans salmonelles s'est imposé defaçon significative sur certains marchés en France (figure4), même si les volumes prévisionnels des ventes pour l'an-née 2000 représentent moins de 0,5 % de la consommationtotale.

En France, le ministère de la défense a été un précurseurdans la prise en compte des garanties sanitaires apportées par

le poulet sans salmonelles. Les services du Commissariat dela marine et de l'armée de terre ont constitué, en 1998 et 1999,les principaux acheteurs de ce type de denrées, rapidementrattrapés depuis par les sociétés de restauration (figure 4).

B) GARANTIES APPORTÉES

a) Plan d'action

Les actions menées au Danemark ces dernières annéesconstituent un modèle pour la filière avicole en France.

Le plan d'action retenu depuis 1994 ne présente pas en soide particularité majeure, les principes de base de la prophy-laxie sanitaire restant invariables.

L'originalité du travail accompli réside, tout d'abord, dansla rapidité avec laquelle la directive communautaire n° 92/117 a fait l'objet d'une transcription en Droit national,le législateur répondant ainsi à une forte demande du marchéau Danemark.

La cohérence du système repose sur l'application desmesures d'éradication à toute la filière, des élevages jus-qu'aux abattoirs. Mis en œuvre à grande échelle, le systèmede contrôle danois est aussi sensiblement plus contraignantque celui défini au niveau communautaire, l'objectif étantd'optimiser la sensibilité des méthodes de dépistage des ani-maux et des produits contaminés.

Les rares possibilités d'assainissement sont exploitées plei-nement : les œufs à couver subissent systématiquement unedésinfection à l'aide de rayons ultraviolets ; à l'abattoir, la

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FIGURE 4. — Évolution des ventes de viandes de poulet garanties sans salmonelles sur le marché français de la restauration collective (Source :WHITE-SHARK S.A.R.L.). Les chiffres indiqués pour l'année 2000 correspondent à des prévisions de ventes établies sur la base descontrats signés au jour de la rédaction de ce document.

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température des bains d'échaudage des carcasses est maîtri-sée et maintenue supérieure à + 55°C, afin de garantir un effetlétal, même limité, vis-à-vis des contaminants de surface.

La traçabilité mise en place autorise un suivi de l'ensembledes lots de volailles et de produits tout au long de la filière.La mise en évidence d'un lot de reproducteurs contaminéspermet de déclencher très simplement l'élimination de tousles animaux et produits qui en sont issus.

La traçabilité est associée à une organisation du travailvisant à créer un parfait isolement de chaque lot d'animaux etde produits, afin qu'un lot infecté ne puisse pas en contaminerun autre.

Les lots de poulets qui ne seraient pas reconnus "Salmo-nellafri", c'est-à-dire indemnes de contamination salmonel-lique, sont abattus uniquement le vendredi, en fin de journée,afin de pouvoir procéder, à l'issue, à des opérations de net-toyage et de désinfection selon un protocole renforcé et deprofiter d'un "vide sanitaire" durant les deux jours du week-end.

Le souci de créer des "forteresses" sanitaires autour desanimaux atteint son paroxysme au niveau des écloseries, sou-vent citées en exemple [9], auxquelles on n'accède qu'aprèsplusieurs douches et changements d'effets vestimentaires.

L'expérience acquise permet de disposer, pour chaque opé-rateur de la filière, d'un historique détaillé. Les élevages sontainsi classés en différentes catégories, selon leur statut sani-taire. Seuls sont considérés comme aptes à la production delots "Salmonellafri" les élevages pour lesquels aucun lotinfecté n'a été mis en évidence depuis au moins trois "géné-rations" de poulets de chair.

Si le constat de la bonne application des règles de prophy-laxie sanitaire est en soi une solide garantie, l'assurance del'absence de salmonelles est fournie au travers d'un plan decontrôle analytique qui valide l'ensemble des actions menées.

b) Plan d'échantillonnage

Chaque pays, voire chaque entreprise, a défini un ensembled'objectifs à respecter dans le cadre de l'application de ladirective communautaire n° 92/117. Le problème qui se poseest de parvenir à optimiser le nombre d'échantillons afin d'ap-porter les meilleures garanties de représentativité de l'échan-tillonnage tout en limitant les frais d'analyse.

Le schéma retenu par le ministère de l'agriculture duDanemark en matière d'échantillonnage est indiqué dans letableau III.

Le plan d'échantillonnage est mis en œuvre pour chaque lotd'élevage, c'est-à-dire pour chaque bâtiment où est élevée unebande de poulets, et non pour une ferme dans son ensemble.Sachant qu'une ferme d'élevage comporte en moyenne auDanemark six bâtiments, cette interprétation de la réglemen-tation conduit à effectuer six fois plus d'analyses que le mini-mum requis.

Par comparaison à ce que la France réalise actuellement, leplan d'échantillonnage en vigueur au Danemark comprend unnombre sensiblement plus élevé d'échantillons et ne se limitepas à des examens bactériologiques de fientes.

c) Nature des échantillons

L'excrétion fécale des salmonelles constitue la cause prin-cipale de la diffusion de ces bactéries au sein des effectifsanimaux et les tests de dépistage de l'infection sont donc enpremier lieu effectués à partir de matières excrémentielles.La collecte des fientes peut être remplacée par le recours à latechnique dite des "chiffonnettes", que l'on frotte sur les dif-férentes surfaces dans les bâtiments. Certaines entreprisesdanoises utilisent des bandes de tissu fixées sous la semelledes chaussures des personnels, pour procéder à un recueillarge de matières fécales dans les locaux d'élevage.

Le système des chiffonnettes apparaît, avec l'expérience,comme le plus efficace pour le dépistage de l'excrétion fécaledes salmonelles. Il permet de recueillir sans difficultés unnombre important de fientes dans l'ensemble des bâtiments.

L'expérience acquise [24] a conduit à diversifier les prélè-vements, afin d'améliorer la sensibilité de la détection desanimaux infectés. Cette évolution est apparue d'autant plusnécessaire que le taux d'infection a très sensiblement diminuéen quelques années.

La sérologie prend tout son sens dans le contexte épidé-miologique actuel, du fait de la grande fréquence du sérotypeEnteritidis, hébergé au niveau du foie, de la rate et desovaires chez la poule, sans que l'excrétion fécale de salmo-nelles soit systématique. Les anticorps étant d'apparition tar-dive, ce type d'examen est essentiellement utilisé en fin depériode d'élevage. Il est possible d'en améliorer la sensibilitéen le pratiquant sur des œufs, dans la mesure où il est habitueld'observer un phénomène de concentration des anticorpsdans l'albumen des œufs produits par une poule infectée.

La mise en œuvre de recherches à partir d'organes de pous-sins ou de poulets est aussi destinée à détecter une infectionsans excrétion fécale. Il est souvent d'un grand intérêt demettre en œuvre ce type d'examens à partir d'organes depoussins morts dans l'œuf, l'infection salmonellique étant unecause importante de mortalité embryonnaire.

Dans les abattoirs, les analyses post-mortem sont effec-tuées à partir d'échantillons de peau de cou prélevés sur lescarcasses en sortie de tunnel de ressuage. Lorsque des échan-tillons de produits de découpe sont analysés, la prise d'essaiintéresse à la fois le muscle et la peau. Ces choix techniquesvisent à permettre une détection maximale des salmonelles.Ils sont en opposition complète avec le protocole préconisépar la réglementation française [1, 8].

En France, la prise d'essai pour recherche des salmonellesest effectuée sur les carcasses au cœur des masses muscu-laires, après cautérisation de la peau et flambage de la surfacedes muscles. Dans ces conditions, seules les salmonellesayant essaimé au cœur des masses musculaires depuis le tubedigestif peuvent éventuellement être détectées.

d) Méthodes mises en œuvre

La recherche des salmonelles dans les différents typesd'échantillons est effectuée selon les méthodes suivantes.

La technique immunoenzymatique automatisée de typeE.I.A. Foss® est assez largement utilisée dans ce contexte,car elle fournit une réponse en environ 24 heures, délai compatible avec une procédure de libération de lot. Cette

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méthode bénéficie depuis peu en France d'une validationdélivrée par l'association française de normalisation, quiconstitue une garantie de fiabilité. La validation est en effetaccordée dès lors qu'il a été démontré que les résultats four-nis par une méthode alternative présentent une bonne corré-lation avec les résultats obtenus par la méthode de référence.

Tout résultat positif par la technique E.I.A. Foss® fait l'ob-jet d'une confirmation, par une technique traditionnelle, cequi permet de caractériser la souche, principalement par séro-typage.

Deux types de méthodes traditionnelles peuvent être utili-sées. Les expertises sont réalisées en utilisant la méthode

internationale, selon la norme ISO 6579 [6], tandis que laméthode traditionnelle "de routine", équivalent de la normefrançaise NF V 08-052 [7], est celle définie par le "Nordiskmetodikkommitté för livsmedel", organisme scandinave denormalisation.

C) DISCUSSION

a) Résultats obtenus

Malgré des années d'efforts et des investissements impor-tants, de l'ordre de 200 millions de francs ces trois dernièresannées, la politique d'éradication n'a pas encore totalement

TABLEAU III. — Plan d'échantillonnage fixé par la réglementation au Danemark, en matière de dépistage des salmo-nelles dans la filière "poulet de chair". Le nombre d'échantillons à prélever est fixé par bâtiment d'élevage et nonpar exploitation, chaque ferme comportant en moyenne de 4 à 8 bâtiments différents.

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atteint son objectif et des lots de volailles contaminés sontencore détectés dans les élevages au Danemark. Leur nombreest cependant de plus en plus faible. Dans le cas de la sociétéROSE POULTRY, l'un des principaux opérateurs de la filière,le nombre de fermes infectées est passé de 33 à une en deuxans, avec seulement 1 à 2 % de lots contaminés contre 60 %en 1995.

La filière est structurée pour détecter précocement et effi-cacement les animaux infectés et pour les éliminer sansattendre une contagion au sein des élevages.

b) Réalité des garanties fournies

Garantir l'absence de salmonelles au travers de résultatsd'analyses est impossible, du fait de l'incertitude associée àtout plan d'échantillonnage quant à la validité des résultatsobtenus. Tout au mieux peut-on minimiser le risque de non-détection de la contamination en multipliant le nombred'échantillons.

Pour les viandes en carcasses, les services vétérinairesdanois ont opté pour la réalisation de 300 échantillons par lot,ce qui, au regard des Lois statistiques autorise la détectiond'une contamination salmonellique de 1 % des carcasses avecune probabilité de 95 % (tableau IV). A titre de comparaison,le plan d'échantillonnage usuel en France, à 5 échantillonsélémentaires, ne permet d'obtenir une probabilité de détec-tion équivalente que si le lot est contaminé à raison de 45 %des carcasses (tableau IV).

Procéder à l'analyse de séries de 60 échantillons de fientes,comme cela est pratiqué dans les élevages, conduit à la détec-

tion d'un taux d'infection de 5 % des animaux avec une pro-babilité de 95 %, sous réserve évidemment que les animauxinfectés excrètent des salmonelles dans leurs fientes.

Il n'est donc pas totalement prouvé que les viandes "Salmo-nellafri" sont effectivement sans salmonelles, mais la proba-bilité qu'une contamination salmonellique existe dans un telproduit est infime. Chaque échantillonnage pris séparémentest critiquable, mais les contrôles effectués tout au long de lafilière se complètent et constituent autant d'arguments solidespour garantir la qualité sanitaire du produit.

Aussi critiquable soit-elle, cette démarche est très enavance par rapport aux pratiques usuelles de l'industrie de lavolaille. L'un des arguments essentiels qui conduisent à lamontrer en exemple est que la contamination superficielledes viandes n'est enfin plus négligée. Le consommateur nepeut y trouver que des avantages et une évolution à la baissedes statistiques des intoxications alimentaires à salmonellesest espérée.

c) Perspectives

A ce stade du plan d'éradication, il est légitime de s'interro-ger sur la possibilité d'une totale élimination des salmonellesd'une filière aussi complexe.

Les techniques de la bactériologie ne sont pas infaillibles.Il se pose notamment le problème des formes viables maisnon cultivables de bactéries, qui mettent en échec les tech-niques usuelles de détection des contaminations mais pour-raient être à l'origine d'une réintroduction de salmonellesdans les élevages, notamment par l'intermédiaire des ali-ments industriels.

Tableau IV. — Efficacité des plans d'échantillonnage utilisés pour le dépistage de la contamination salmonellique descarcasses de volailles. La probabilité théorique de détection de la contamination salmonellique d'un lot de car-casses de poulets a été calculée en fonction de différents plans d'échantillonnage, en postulant que les échantillonssont prélevés au hasard et sans tenir compte des limites techniques spécifiques à la microbiologie alimentaire (dif-ficultés de revivification, validité des méthodes d'analyse..). Si E est l'effectif total du lot, M le nombre de poulets sains au sein de ce lot et e le nombre d'échantillons prélevés,la probabilité P que un échantillon au moins soit porteur de salmonelles est :

(M !)___________

(e !) x [(M-e) ! ]__________________P = 1 -

(E !)____________

(e !) x [(E-e) ! ]

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Le caractère ubiquitaire des salmonelles laisse aussi persis-ter en permanence un risque important, une seule moucheintroduite dans un bâtiment pouvant compromettre le résultatde plusieurs années d'efforts...

Pour l'aviculture française, l'expérience acquise en Europedu Nord doit permettre de progresser rapidement, notammenten exploitant au mieux les techniques de dépistage de l'infec-tion salmonellique mises au point. Il convient aussi de restertrès vigilants quant à l'évolution de la situation épidémiolo-gique. En concentrant tous ses efforts sur les seuls sérotypesEnteritidis et Typhimurium, le risque pour la France est delaisser s'installer une infection par des sérotypes tels queHadar, qui ne sont pas pour le moment visés par les mesuresd'éradication.

ConclusionPremières causes de toxi-infections alimentaires identi-

fiées actuellement en France, les salmonelles d'origineaviaire font l'objet d'un vaste plan d'éradication en Europe.

La filière scandinave de production de viandes de poulet"sans salmonelles" est l'illustration de l'ampleur du travail àmener pour apporter des garanties sérieuses d'absence decontaminations salmonelliques.

L'essor commercial de ce type de viandes sur le marchéfrançais permet d'espérer une diminution significative dunombre de cas de salmonelloses chez l'homme.

Des garanties équivalentes paraissent indispensables àterme pour l'ensemble des produits de l'aviculture, le pouletne représentant que la moitié des 24 kg de viandes devolailles consommés chaque année par habitant en France.Des œufs "sans salmonelles" pourraient aussi offrir une alter-native aux ovoproduits pasteurisés, alliant la sécurité à desqualités gustatives optimales pour le plus grand plaisir desamateurs d'œufs à la coque ou de mayonnaise "maison".

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