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UNIVERSITE PARIS OUEST NANTERRE LA DEFENSE UFR Droit et Sciences Politiques
Ecole doctorale Droit et Sciences Politiques Centre de Recherches sur le Droit Public (CRDP - EA 381)
N attribu par la bibliothque
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LE POUVOIR DE GESTION DU DOMAINE PUBLIC
Thse pour le doctorat en droit public Prsente et soutenue publiquement le 28 novembre 2013
par
Monsieur Aurlien CAMUS
Sous la direction de Madame Jacqueline DOMENACH
Professeur luniversit Paris Ouest Nanterre la Dfense Membres du Jury : Madame Sabine BOUSSARD Professeur lUniversit Paris Ouest Nanterre la Dfense Madame Jacqueline DOMENACH Professeur lUniversit Paris Ouest Nanterre la Dfense Monsieur Norbert FOULQUIER Professeur lUniversit Paris I Panthon Sorbonne (Rapporteur) Monsieur Frdric ROLIN Professeur lUniversit Paris-sud Monsieur Philippe YOLKA Professeur lUniversit Pierre Mends France Grenoble (Rapporteur)
LUniversit nentend donner aucune approbation ni improbation aux opinions mises dans cette thse. Ces opinions doivent
tre considres comme propres leur auteur.
Julie
Remerciements
Je tiens dabord exprimer ma profonde reconnaissance au Professeur Jacqueline Domenach pour avoir
dirig ce travail. Son soutien, sa disponibilit, ses conseils mont permis de le mener bien.
Mes remerciements sadressent galement aux membres du jury qui mont fait lhonneur daccepter de lire
et et de juger ce travail.
Jai aussi une pense toute particulire pour mes parents et pour mes frres, Rmi, Florian, Hugo et
Arthur, qui connaissent tout le sens du verbe soutenir, et pour Thomas, mon autre frre.
Je suis galement infiniment reconnaissant envers Anne et Lon pour leur prsence et leur soutien.
Mes remerciements sont aussi destins mes amis, qui nont plus faire la preuve de leur amiti. Je leur
serai toujours toujours redevable. Je remercie particulirement Alexandre, Antonin, Laura, Jean et Victor qui ont,
en plus de leurs qualits humaines, des qualits de logistique et dorganisation qui mont permis de finir ma thse.
Je remercie galement Manon, Christophe, Jean et Benoit qui ont bien volontiers accept de relire des passages de
mon tude, leurs conseils et leurs critiques nont t quenrichissement.
Quelques mots, en guise de ddicace, sont adresss Arnaud, Benot, Grgory et Christophe. Etre leur
contact est un chance inestimable pour tout doctorant. Je suis aussi trs rconnaissant vis--vis des membres du
Centre de recherche en droit public, et particulirement des Professeurs Matthieu Conan et Bertrand du Marais,
qui mont toujours encourag et soutenu dans mon travail.
Mes derniers mots devraient tre pour Julie. Ce travail lui doit tout. Mais aucun mot ne peut tre
exprim, moins de minorer limportance quelle a dans ma vie.
Principales abrviations
ACCP Actualit de la commande publique et des contrats publics AFDA Association franaise pour la recherche en droit
administratif Aff. Affaire AJCT Lactualit juridique Collectivits territoriales AJDA Lactualit juridique du droit administratif AJPI Lactualit juridique Proprit immobilire APD Archives de philosophie du droit Art. Article Ass. Assemble Aut. conc. Autorit de la concurrence BDP Bibliothque de droit public BJCL Bulletin juridique des collectivits locales BJCP Bulletin juridique des contrats publics BOCCRF Bulletin officiel de la concurrence, de la consommation et
de la rpression des fraudes C. civ. Code civil CA Cour dappel CAA Cour administrative dappel Cass. Cour de cassation CCC Contrats concurrence consommation CCI Chambre du commerce et de lindustrie CE Conseil dEtat CGCT Code gnral des collectivits territoriales CGPPP Code gnral de la proprit des personnes publiques Ch. Chapitre Chron. Chronique CJA Code de justice administrative CJCE Cour de justice des communauts europennes CJEG Cahiers juridiques de llectricit et du gaz CJUE Cour de justice de lUnion europenne CMP Contrats et marchs publics Coll. Collection Comm. Commentaire Comm. Commission europenne Concl. Conclusions Cons. conc. Conseil de la concurrence Cons. const. Conseil constitutionnel Contrats-Marchs publ. Contrats et marchs publics CP-ACCP Contrats publics, actualit de la commande et des contrats
publics CPCE Code des postes et des communications lectroniques D. Recueil Dalloz-Sirey DA Droit administratif DDHC Dclaration des droits de lhomme et du citoyen Dc. Dcision DH Recueil Dalloz hebdomadaire
Dir. Direction DP Dalloz priodique d. dition EDCE tudes et documents du Conseil dEtat Fasc. Fascicule GAJA Grands arrts de la jurisprudence administrative Gaz. Pal. La Gazette du Palais GDCC Grandes dcisions du Conseil constitutionnel GDDAP Grandes dcisions du droit administratif des biens Ibid. Ibidem J.-Cl. Adm Juris-classeur Administration J.Cl. Proprits publiques Juris-classeur Proprits publiques JCP A. La Semaine Juridique Administration et Collectivits
territoriales JCP G La Semaine Juridique Edition gnrale JCP La semaine juridique JO Journal officiel JOAN Journal officiel de lAssemble Nationale JOCE Journal officiel des Communauts europennes Jurispr. Jurisprudence L. Loi La Doc. Fr. La Documentation Franaise LGDJ Librairie gnrale de droit et de jurisprudence LPA Les Petites Affiches NBT Nouvelle bibliothque de thses Nouv. Cah. Cons. const. Nouveaux cahier du Conseil constitutionnel Obs. Observations Op. cit. Opus citatum Ord. Ordonnance Prc. Prcit PUAM Presses universitaires dAix-Marseille PUF Presses universitaires de France PUS Presses universitaires de Strasbourg RDI Revue de droit immobilier RDP Revue du droit Public et de la science politique en France
et ltranger RDS Revue des socits RDSS Revue du droit sanitaire et social RDT com. Revue trimestrielle de droit commercial Rec. T. Tables du receuil Lebon Rec. Recueil Rd. Rdition Rimp. Rimpression Rp. civ. Dalloz Rpertoire Dalloz de droit civil Rp. Cont. Adm. Dalloz Rpertoire de contentieux administratif Dalloz Rp. droit comm. Rpertoire de droit communautaire Rev. des concessions Revue des concessions dpartementales et communales Rev. Lamy conc. Revue Lamy de la concurrence RFDA Revue franaise de droit administratif RFDC Revue franaise de droit constitutionnel RFF Rseau ferr de France
RGA Revue gnrale dadministration RGD Revue gnrale du droit RIDE Revue Internationale de droit conomique RJEP Revue juridique dconomie publique RJF Revue de jurisprudence fiscale RLC Revue Lamy de la concurrence RLCT Revue Lamy des collectivits territoriales RLT Revue de lgislation toulousaine RRJ Revue de la recherche juridique RTD Civ. Revue trimestrielle de droit civil RTD com. Revue trimestrielle de droit commercial RTD eur Revue trimestrielle de droit europen S. Recueil Sirey s. suivant Sect. Section Spc. Spcifiquement t. Tome TFUE Trait sur le fonctionnement de lUnion europenne TPICE Tribunal de premire instance des communauts
europennes Trad. Traduction TUE Trait sur lUnion europenne V. Voir
Sommaire
PARTIE I. LE POUVOIR DE GESTION DU DOMAINE PUBLIC : UNE PUISSANCE PUBLIQUE PROPRITAIRE
TITRE I. LA FORMATION DE LA PUISSANCE PUBLIQUE GESTIONNAIRE
Chapitre I. La gnalogie dune puissance publique propritaire
Chapitre II. Ldification dune puissance publique patrimoniale
TITRE II. LA RECONSTRUCTION DE LA PUISSANCE PUBLIQUE GESTIONNAIRE
Chapitre I. Le constat dune spcificit du pouvoir de gestion en droit positif
Chapitre II. La redfinition thorique dun pouvoir spcifique *
* *
PARTIE II. LE POUVOIR DE GESTION DU DOMAINE PUBLIC : UNE PUISSANCE PUBLIQUE EN INTERACTION
TITRE I. LES INTERACTIONS AU STADE DE LACCS AU DOMAINE PUBLIC
Chapitre I. Penser un droit subjectif au domaine public face au pouvoir de gestion
Chapitre II. Identifier les droits subjectifs au domaine public face au pouvoir de gestion
TITRE II. LES INTERACTIONS AU STADE DE LUTILISATION DU DOMAINE PUBLIC
Chapitre I. Les droits rels : une relecture des interactions entre le pouvoir de gestion et les occupants
Chapitre II. La prdominance du pouvoir de gestion sur les utilisations du domaine public
1
INTRODUCTION GNRALE Grer un patrimoine, cest sans doute le conserver, mais chacun sait quune gestion heureuse dpend de lhabilet avec laquelle on a su, temps, en renouveler les lments. De la mme faon, sur le plan politique, les activits gestionnaires sont celles [] qui tendent utiliser les nergies incluses dans la socit pour promouvoir son dveloppement dans le sens du bien commun 1.
1. Le pouvoir de gestion est devenu une telle vidence quon nprouve mme plus le
besoin de revenir dessus 2. sen tenir aux propos du Professeur C. Chamard-Heim, une tude
sur le pouvoir de gestion du domaine public serait surabondante. Lexistence du pouvoir de
gestion est en effet acquise dans le droit positif, en tant quincarnation de la relation entre la
personne publique et le domaine public. Et pourtant, si la doctrine sest largement saisie du
pouvoir de gestion, elle ne saccorde pas sur sa dfinition, qui reste un champ dexploration
thorique. Or, toute thorie est une vue de lesprit 3. Comme le rappelle le Professeur P.
Amselek, la science ne dcrit pas, les lois scientifiques ne sont pas des descriptions : Ce sont
[] des outils labors partir d'observations ou de descriptions, mais qui ne dcrivent pas eux-
mmes le monde, qui ne constituent pas des tableaux de ce qui se donne voir, mais des espces
de clefs ou grilles de lecture qui, mentalement surimposes au monde, permettent de se
reprer dans ses productions 4. Si la doctrine a dbattu ardemment sur la question du pouvoir de
gestion, sur ses fondements et sur ses effets, il nest pas vain dimprimer un nouveau regard, et de
renouveler les outils qui ont permis son apprhension, afin de proposer une autre vue du
pouvoir de gestion du domaine public.
2. Il nest gure de chapitres du droit administratif qui doivent autant la source doctrinale
que le droit de proprit et du domaine public 5. Laffirmation du Professeur Y. Gaudemet se
confirme pleinement au sujet de la construction de la gestion du domaine public. Prsente ds le
dbut du XIXe sicle dans la littrature juridique, la notion de gestion, lato sensu, est dabord une
notion doctrinale, mais elle na pas encore de vritable profondeur thorique, il ny a pas non plus
1 G. BURDEAU, Ltat, Seuil, Points-Politique , 1970, rd. 2009, p. 170-171. 2 C. CHAMARD-HEIM, comm. sur CE, Sect., 20 dc. 1957, Socit nationale dditions cinmatographiques, GDDAB, comm. n 41, p. 363-364. 3 Thorie , in A. LALANDE (dir.), Vocabulaire technique et critique de la philosophie, PUF Quadrige , rd. 2010, p. 1127. 4 P. AMSELEK, La part de la science dans les activits des juristes , D., 1997, p. 337. 5 Y. GAUDEMET, prf. Ph. YOLKA, La proprit publique. lments pour une thorie, LGDJ, BDP , 1997, p. XII.
2
daccord sur sa signification. Elle merge des premires tentatives de dfinition de la matire
administrative. Son usage a alors une vertu descriptive et explicative des interventions
administratives, principalement au sujet des patrimoines publics6. Ce nest qu partir de la fin du
XIXe sicle que la notion de gestion recouvre une signification plus prcise travers la clef de
rpartition de comptences entre les deux ordres de juridiction, et travers la distinction entre les
actes dautorit et les actes de gestion. Une dynamique se cre et le besoin de grouper
systmatiquement certains faits administratifs autour de lide de gestion 7 est au cur dun dbat
thorique intense au moment de lge dor du droit administratif 8. La doctrine ne sarrte pas
un travail de systmatisation. Un travail rflexif et conceptuel samorce et se dveloppe. La
gestion est rapproprie par Hauriou dans son opuscule consacr La gestion administrative9.
Bien que la thorie de la gestion administrative ne soit pas circonscrite au domaine public, elle
fournit une assise thorique certaines interventions de ladministration, elle pose les jalons dune
nouvelle vision des rapports avec les administrs. De mme, Duguit et Jze produisent une
rflexion sur le pouvoir des agents prposs la gestion du domaine public. En dpit de leurs
prsupposs thoriques divergents, la gestion est assigne une mme fonction dans leur
discours : rendre compte des nouvelles modalits de lintervention conomique de
ladministration domaniale. La construction juridique du pouvoir de gestion est une des situations
o la doctrine prcde la jurisprudence. Dans tous les cas, la gestion sinscrit dans un ensemble
conceptuel plus vaste. Elle a sa place la fois dans la thorie institutionnelle de Hauriou et dans la
doctrine objectiviste de lcole du service public. La thse dA. de Laubadre est aussi le moment
dune refonte de la matrise du domaine public autour de la proprit administrative et, par
extension, autour de la gestion10.
3. Nanmoins, le juge administratif est le principal architecte de la matire domaniale,
appuy par la doctrine organique 11 qui joue une fonction premire dexplicitation et donc de
lgitimation. Le pouvoir de gestion merge de conclusions clbres, telles que celles du
Commissaire du gouvernement Chenot12. Surtout, par la jurisprudence Socit nationale dditions
6 G. J. GUGLIELMI, La notion dadministration publique dans la thorie juridique franaise, de la Rvolution larrt Cadot (1789-1889), LGDJ, BDP , 1991. 7 M. HAURIOU, La gestion administrative. tude thorique de droit administratif, Dalloz, 1899, rd. 2012, p. 1. 8 N. HAKIM et F. MELLERAY (dir.), Le renouveau de la doctrine franaise. Les grands auteurs de la pense juridique au tournant du XXe sicle , Dalloz, Mthodes du droit , 2009. 9 Ibid. 10 A. DE LAUBADRE, Lautomobile et le rgime de lusage des voies publiques, Sirey, 1935. V. aussi, G. WATRIN, Quelques rapports entre les notions de police, domaine public et service public , RDP, 1936, p. 147. 11 Sur la nation de doctrine organique, v. J.-J. BIENVENU, Remarques sur quelques tendances de la doctrine contemporaine en droit administratif , Droits, 1985, p. 153. 12 B. CHENOT, concl. sur CE, 5 mai 1944, Compagnie maritime de lAfrique orientale, RDP, 1944, p. 236.
3
cinmatographiques en date du 20 dcembre 195713, le juge administratif consacre lexistence de la
gestion, en mentionnant pour la premire fois lautorit charge de la gestion du domaine
public et ces pouvoirs de gestion 14. Cest partir de cette priode qumerge vritablement
laccolade entre le pouvoir et la gestion. Par paralllisme smantique, en rfrence au pouvoir de
police, le juge, suivi par la doctrine, rige cette terminologie afin de souligner les nouveaux
mcanismes qui gouvernent les pouvoirs de ladministration domaniale sur les dpendances du
domaine public. Mais, entre la jurisprudence SNEC et lpoque contemporaine, le pouvoir de
gestion recouvre-t-il les mmes ralits ? Les mutations de son objet, le domaine public, en
complexifient lvidence .
1. LAPPRHENSION DU POUVOIR DE GESTION COMME POUVOIR JURIDIQUE
1. Le domaine public, objet du pouvoir de gestion. Le domaine public, catgorie particulire du droit
administratif, rpond la ncessit doffrir une protection particulire certains biens publics
15, proprits des personnes publiques. Plongeant ses racines dans le droit de lAncien Rgime16,
le domaine public fait partie des notions fondatrices du droit administratif, au cur de laction de
ltat et de la matrise de son territoire17. Ces origines expliquent sans doute que la domanialit
publique concerne majoritairement les biens immobiliers et certains biens meubles corporels18, et
non les biens incorporels19. Le domaine public est, parmi les catgories de droit administratif20, le
dernier bastion dune apprhension stricte du critre organique : un bien ne peut appartenir au
domaine public sil nest pas pralablement la proprit dune personne publique. Le domaine
public pouse aussi les finalits de laction administrative : il sagit dun bien affect une utilit
publique, usage de tous ou service public, et amnag cet effet.
13 CE, sect., 20 dc. 1957, Socit nationale dditions cinmatographiques (SNEC) : Rec., p. 702 ; S., 1958, p. 73, concl. Guldner ; JCP, 1959, 2, 10913, note Mimim ; D., 1958, somm. 45 ; RFDA, 1957, p. 1958. 14 Le pouvoir de gestion est mentionn aussi dans larrt CE, 2 mai 1969, St Affichage Giraudy : Rec., p. 238 ; AJDA, 1970, II, p. 110, note A. de Laubadre. 15 F. BURDEAU, Histoire du droit administratif, PUF, Thmis Droit public , 1995, p. 351. 16 V. de manire gnrale, G. LEYTE, Domaine et domanialit publique dans la France mdivale (XIIe-XVe sicle), Presses universitaires de Strasbourg, 1996 ; du mme auteur, Domaine (Public et priv) , in D. ALLAND et S. RIALS (dir.), Dictionnaire de la culture juridique, PUF Quadrige , 2003, p. 406. V. aussi, M. MONTEIL, Formation et volution de la notion de la domanialit publique, Sirey, 1902 ; J.-M. HUET.GUYARD, La distinction du domaine public et du domaine priv, Domat-Montchrestien, 1939 ; P. CHRTIEN, La distinction des domaines comme forme symbolique. Recherches relatives au droit des biens publics, Thse Paris I, 1990. 17 Ch. LAVIALLE, De la fonction du territoire et de la domanialit dans la gense de ltat en France sous l'Ancien Rgime , Droits, 1992, p. 19. 18 G. CLAMOUR, Libert contractuelle et proprit publique mobilire , in G. CLAMOUR (dir.), Contrats et proprits publiques, LexisNexis, Colloques & dbats , 2011, p. 237. 19 Au sujet de lextension de la domanialit publique mobilire aux biens incorporels, v. O. DE DAVID BEAUREGARD-BERTHIER, Le patrimoine immatriel de l'tat , in Bien public, bien commun. Mlanges en lhonneur dtienne Fatme, Dalloz, 2011, p. 23 ; P.-A. ROHAN et R. LEONETTI Vers une dfinition prtorienne d'un domaine public mobilier praeter legem : propos de l'affaire APRR , AJDA, 2012, p. 208. 20 Sur ce point, v. P. SABOURIN, Peut-on dresser le constat de dcs du critre organique en droit administratif franais ? , RDP, 1971, p. 589.
4
2. Mais le domaine public est contest, jug inapte aux relations marchandes21. Dnonant
son hypertrophie pathologique 22, la doctrine invite un recentrage autour des biens
indispensables la collectivit ou, au moins, une rvaluation des critres de la domanialit
publique23. Le Professeur J. Morand-Deviller voque la crise du domaine public 24, G.
Bachellier sinterroge sur la pertinence du concept 25, le Professeur Ch. Lavialle appelle son
renouveau 26. Le domaine public est effectivement concurrenc par des modles alternatifs de
biens privs affects un service public27 ; la privatisation des grands E.P.I.C est galement un
vecteur de rduction du champ du domaine public. Ces causes externes saccompagnent aussi de
causes internes. Depuis la fin du XXe sicle, le domaine public, comme dautres catgories du
droit administratif, subit un processus de rcriture conomique28, impuls par le droit de
lUnion europenne. Ds lors, faut-il considrer le domaine public comme une catgorie
menace , en voie de disparition, ce qui invaliderait la pertinence dune tude dont il serait
lobjet ? Bien que contest, le domaine public reste le cur du droit administratif des biens. Il
reste un rgime pertinent, remodel au gr des volutions et des ncessits de laction
administrative, preuve de son adaptabilit. Le juge administratif, par petites touches, et le
lgislateur, par lexercice de la codification29, confortent et renouvellent la domanialit publique,
et de ce fait, les modalits de lexercice du pouvoir de gestion.
4. Dans son sens commun, la gestion implique ladministration dun bien pour le compte
dune autre personne, dune collectivit [ou] dune entreprise 30. Pour la science administrative, la
gestion est une activit particulire de la vie administrative, distincte des activits de direction31.
Pour les juristes, la gestion est un procd 32 spcifique de la vie juridique33. Appliqus au
21 H. MOYSAN, Le droit de proprit des personnes publiques, LGDJ, BDP , 2001. 22 Y. GAUDEMET, La circulation des proprits publiques , JCP N, 2006, tude n 1343. 23 F. MELLERAY, La recherche dun critre rducteur de la domanialit publique. Remarques sur la modernisation annonce du domaine public , AJDA, 2004, p. 490. M. WALINE a la paternit de lexpression, v. Les mutations domaniales. tude des rapports des administrations publiques l'occasion de leurs domaines publics respectifs, Jouve, 1925, p. 29. 24 J. MORAND-DEVILLER, La crise du domaine public. la recherche dune institution perdue , in Le droit administratif, permanences et convergences. Mlanges en l'honneur de Jean-Franois Lachaume, Dalloz, 2007, p. 737. 25 G. BACHELIER, Le concept du domaine public : un concept toujours pertinent , in Juger ladministration, administrer la justice. Mlanges en lhonneur de Daniel Labetoulle, Dalloz, 2007, p. 35. 26 Ch. LAVIALLE, Le domaine public : une catgorie menace ? , RFDA, 1999, p. 578. 27 Sur cette question, v. C. LOGAT, Les biens affects lutilit publique, LHarmattan, 2011. 28 J. CAILLOSSE, Le droit administratif franais saisi par la concurrence , AJDA, 2000, p. 99. 29 Sur le Code gnral de la proprit des personnes publiques, v. Ord. n 2006-460 du 21 avril 2006, en vigueur depuis le 1er juillet, ratifie par la loi n 2009-526 du 12 mai 2009 : JO, 13 mai 2009. Sur ce point, v. C. MAUGE et G. BACHELIER, La ratification du code gnral de la proprit des personnes publiques, enfin ! , AJDA, 2009, p. 1177. 30 Gestion , in Dictionnaire de lAcadmie franaise, 9e d., version informatise, atilf.atilf.fr/acadmie9. 31 E. PISANI, Administration de gestion, administration de mission , RFSP, 1956, p. 315. V. aussi, Ch. DEBBASCH, Science administrative, 3e d., Dalloz, 1976, p. 407 et s. 32 P. DUEZ, La responsabilit de la puissance publique, 1938, rd. Dalloz, 2012, p. 271. 33 La locution pouvoir de gestion est utilise en droit du travail au sujet du pouvoir de lemployeur (F. GAUDU, Droit du travail, 4e d., Dalloz, Cours , 2011, p. 106 ; E. LAJUS-THIZON, Labus en droit pnal, Dalloz, NBT , 2011, p.
5
domaine public, en rfrence la dfinition large propose par le Professeur Ph. Yolka, les actes
de gestion sont [] des mesures dadministration du domaine qui emportent des effets de droits
lgard des particuliers, mais qui se distinguent des pouvoirs de police 34. La gestion incarne
donc sur un plan juridique la relation entre les personnes publiques et le domaine public, tout en
produisant des effets sur les usagers. Mais la gestion sinsre dans une grande incertitude
terminologique. En confondant les vocables utiliss par la doctrine et par le juge administratif,
peuvent tre recenss lacte de gestion , le procd de gestion , la logique gestionnaire et
l opration de gestion . Surtout, dans le langage du droit, la gestion est pense principalement
la fois comme une activit juridique et comme un pouvoir juridique. Mais, signe du temps ou
signe dun abandon ? On ne parle plus gure du pouvoir de gestion du domaine public 35,
comme si lapprhension de la gestion par le biais de la notion dactivit juridique semblait plus
pertinente, notamment pour rendre compte des mcanismes dexternalisation ou des finalits de
valorisation. La notion dactivit juridique bnficie clairement dune acception plus large, elle
permet dagrger lensemble de la production des actes juridiques et matriels. Cependant, si le
choix dune dfinition large peut faciliter lanalyse dune matire, il compromet aussi le rsultat de
lenqute. Trop gnrique, lactivit juridique a galement la seule vertu fonctionnelle de dlimiter
une sphre dintervention, elle nexplique pas son fondement, ni ses modalits, ni ses effets
juridiques. En outre, sous un autre aspect, lactivit juridique nest pas la source du pouvoir, objet
de notre tude, mais plutt le produit de son exercice36. se rfrer la dfinition propose par
Bonnard, la base de toute activit juridique, on trouve, procdant de rgles de droits, des
pouvoirs et des devoirs en vertu desquels elle sexerce. Un ensemble de pouvoirs et de devoirs relatifs
une certaine matire constitue une situation juridique 37. Il est donc prfrable de garder le terme
de pouvoir de gestion qui offre une perspective plus pertinente : en effet, lenjeu de notre tude nest
pas seulement de dterminer le champ et le rgime des actes de gestion, il est de proposer une
lecture plus globale, de sinterroger sur son identit et sur ses interactions avec les administrs.
Mais si la gestion du domaine public est envisag comme un pouvoir juridique, il faut encore
dfinir ces derniers termes.
62), et en droit de la famille au sujet du pouvoir de tuteur (F. TERR et D. FENOUILLET, Droit civil. Les personnes, 8e d., Dalloz, 2012, p. 298). 34 Ph. YOLKA, La proprit publique. lments pour une thorie, LGDJ, BDP , 1997, p. 213. 35 C. CHAMARD-HEIM, comm. sur CE, sect., 20 dc. 1957, Socit nationale dditions cinmatographiques : GDDAB, 1re d., Dalloz, 2013, p. 355. 36 Sur ce point, R. SALEILLES, De la personnalit juridique, 2e d., Rousseau, 1922, p. 563 : Toute entit constitue titre suffisamment autonome, et productrice dactivit juridique, devient un sujet de droit, ds quelle a une volont qui lui soit affecte pour exercer les pouvoirs qui lui sont attribus titre de droits . V. aussi, J. DABIN, Le droit subjectif, Dalloz, 1952, rd. 2008. 37 R. BONNARD, Prcis de droit public, 6e d., Sirey, 1944, p. 6 (soulign par lauteur).
6
5. Le pouvoir juridique est une puissance lgitime et rgle par le droit38, qui
structure un rapport entre son bnficiaire et son destinataire. Cest la conclusion laquelle
parvient Jellinek au sujet du pouvoir de commandement : le pouvoir de commander devient
juridique par cela mme quil est limit. Le Droit, cest le Pouvoir juridiquement limit. [] Le
pouvoir de ltat nest donc pas purement et simplement un pouvoir, cest un pouvoir exerc
dans certaines limites juridiques ; par l, cest un pouvoir juridique 39. Une telle analyse, suppose
cependant des apports complmentaires pour cerner davantage la notion de pouvoir juridique.
Dabord, le pouvoir juridique est un moyen daction attribu son titulaire et qui lui permet de
jouir dune position privilgie par rapport aux tiers. Ensuite, le pouvoir juridique est un moyen
de produire du droit. Le pouvoir juridique est donc synonyme dhabilitation, galement proche
des notions de comptence ou de capacit40. Enfin, le pouvoir juridique sexprime de diffrentes
manires. En rfrence la dfinition dEisenmann de la norme juridique, le pouvoir juridique
permet de viser des actes ou des actions, soit pour les prescrire, pour prescrire de les accomplir,
soit pour les interdire, interdire de les accomplir, soit pour les permettre, cest--dire permettre ou
de les accomplir ou de ne pas les accomplir 41. Le pouvoir juridique revt aussi diffrentes
modalits, il peut tre un pouvoir de volont , un pouvoir dobtenir , un pouvoir
dexiger 42, un pouvoir dagir 43. Il peut tre aussi un pouvoir sur les personnes44 ou, sil
sapparente la proprit, il est un pouvoir juridique sur la chose [qui] se caractrise par le
pouvoir den exclure autrui 45. Il ny a donc pas une seule manire de dfinir le pouvoir juridique
et lensemble de ces dfinitions illustre les difficults saisir cet objet juridique, et par voie de
consquence, les difficults dfinir le pouvoir de gestion.
38 O. BEAUD, La puissance de ltat, 1994, PUF Lviathan , 1994, p. 9. 39 G. JELLINEK, Ltat moderne et son droit, 2nde Partie, 1911, rd. Panthon Assas, LGDJ, Les introuvables , 2005, p. 6-7. V. aussi, R. CARR DE MALBERG, Contribution la thorie gnrale de ltat, t. I, 1920, red. Dalloz, 2003, p. 230. 40 H. KELSEN, Thorie pure du droit, op.cit., p. 152 : En tant quil sagit de la fonction qui consiste exercer un pouvoir juridique confr par lordre juridique, cette limitation de la notion de comptence nest pas justifie. Capacit de faire des actes infra-lgislatifs et droits subjectifs privs ou politiques sont attributions ou comptences au mme sens que la facult attribue certains individus de voter des lois, de prendre des dcisions juridictionnelles ou ddicter des mesures administratives . V. aussi, E. MAULIN, Comptence, capacit et pouvoir , in Travaux de lAFDA, La comptence, LexisNexis, Colloques et dbats , 2008, p. 33. 41 Ch. EISENMANN, Cours de droit administratif, t. I, LGDJ, 1982, p. 375, cit par N. CHIFFLOT, Les prrogatives de puissance publique. Une proposition de dfinition , in Travaux de lAFDA, La puissance publique, LexisNexis, Colloques et dbats , 2012, p. 182. 42 Sur les diffrentes acceptions du pouvoir juridique, v. L. DUGUIT, Ltat, le droit objectif et la loi positive, 1901, rd. Dalloz, 2003, p. 138 et s. 43 Ch. EISENMANN, Cours de droit administratif, t. II, op. cit., 1983, p. 269. Sur ce point, v. N. CHIFFLOT, Le droit administratif de Charles Eisenmann, Dalloz, NBT , 2009, p. 272. 44 Sur la distinction entre pouvoir sur les personnes et pouvoir sur une chose, v. X. DUPR DE BOULOIS, Le pouvoir de dcision unilatrale. tude de droit compar interne, LGDJ, BDP , 2006, p. 369. 45 M. LVIS, Lopposabilit du droit rel. De la sanction judiciaire des droits, Economica, 1989, p. 123.
7
6. Le pouvoir juridique est souvent pens travers la notion de prrogative juridique, tel
point que leur usage apparat presque interchangeable, ainsi quen tmoignent les termes du
Professeur F. Moderne qui, au sujet des prrogatives administratives, voque les pouvoirs de
dcision et dexcution 46. Dabord, dans son sens commun la prrogative est un avantage , un
droit , un pouvoir li certaines fonctions 47. Dans le dictionnaire de lAcadmie franaise, la
prrogative est une facult, [un] avantage dont certains tres jouissent exclusivement . Ensuite,
dans la dfinition propose par le Vocabulaire juridique de Cornu, la prrogative est un pouvoir de
droit, fond en droit 48. Enfin, les thories du droit administratif et le juge administratif, trs
coutumiers de la notion de prrogative, en font un usage rcurrent, si lon songe notamment la
prrogative de puissance publique, pour qualifier le pouvoir de ladministration. Le pouvoir
juridique de ladministration relve de lordre de lautorit et de la puissance publique, il est
parfois associ la souverainet49. Mais, la prrogative tant rapproche du pouvoir et
rciproquement, leur rapport relve de la synonymie et, en consquence, ninforme en rien sur
leurs dfinitions respectives. La dfinition du pouvoir juridique par le biais de la prrogative
juridique nest donc pas assez discriminante. Seule la pense privatiste relativise la synonymie
stricte entre le pouvoir et la prrogative, le premier est considr comme une sous-composante
du second : la prrogative est un droit subjectif lorsquelle est exerce dans lintrt personnel de
son titulaire, elle est un pouvoir lorsquil en fait un usage altruiste pour le compte dautrui50. Une
telle thorisation est nanmoins peu satisfaisante puisquelle relgue le pouvoir un rang
secondaire sous lgide de la prrogative juridique. Pour souligner la richesse du pouvoir de
gestion, un autre choix de dfinition du pouvoir juridique est effectuer : le pouvoir de gestion
nest pas en soi une prrogative, mais un ensemble de prrogatives ncessaires la matrise du domaine
public. Nanmoins, cette esquisse de dfinition npuise pas les potentialits du pouvoir de
gestion, et ne renseigne ni sur sa titularit, ni sur son fondement, ni sur son champ, ni sur ses
46 F. MODERNE, Recherches sur la puissance publique et ses prrogatives en droit administratif franais, Thse Bordeaux IV, 1960, t. I, p. 37 et s. V. aussi, C. COMBE, Prrogative , in D. ALLAND et S. RIALS (dir.), Dictionnaire de la culture juridique, PUF, Quadrige , p. 1187. 47 Le Trsor de la Langue Franaise informatis, article prrogative , atilf.atilf.fr 48 Pouvoir , G. CORNU (dir.), Vocabulaire juridique, 9e d., PUF, Quadrige , 2011. 49 M. HAURIOU, Principes de droit public, Dalloz, 1re d., 1910, rd. 2010, p. 417 : La souverainet est la suprema potestas, elle appartient la nation, elle est inalinable et indivisible. Elle est un pouvoir juridique, mais elle nest pas la source du droit ; D. GRIMM, La souverainet , in M. TROPER et D. CHAGNOLLAUD (dir.), Trait international de droit constitutionnel, t. I, Dalloz, Traits , 2012, p. 558. 50 P. ROUBIER, Droits subjectifs et situations juridiques, 1963, rd. Dalloz, 2005, p. 190 et s. ; E. GAILLARD, La notion de pouvoir en droit priv, Economica, 1985. Contra H. KELSEN, Thorie pure du droit, Bruylant LGDJ, La pense juridique , 2e d., 1962, rd., 1999. Selon lauteur, condition dadmettre une dfinition technique du droit subjectif, le droit subjectif peut tre apprhend comme un pouvoir juridique : ce pouvoir juridique est une donne distincte de lobligation juridique que son exercice doit faire valoir ; cest seulement dans lexercice de ce pouvoir juridique que lindividu apparat comme sujet dun droit distinct de lobligation juridique. Cest seulement lorsque lordre juridique confre un semblable pouvoir juridique quexiste un droit au sens subjectif, distinct de lobligation juridique, un droit au sens technique .
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effets juridiques. Lenjeu de notre tude est de rpondre ces diffrentes interrogations et de
proposer une dfinition qui rende compte de la particularit du pouvoir de gestion du domaine
public, et particulirement de la puissance publique quil incarne, dont le fondement et lintensit
posent des questions thoriques.
2. UNE PROPOSITION DE DFINITION DU POUVOIR DE GESTION
7. Le pouvoir de gestion : une construction thorique. Selon Latournerie, si le juge participe sa
cration , le savant observe le droit 51. linstar de ce quaffirme Esmein au sujet de lanalyse
du droit civil52, la jurisprudence est (et doit tre) le principal objet dtude de la doctrine, qui
adhre dailleurs au modle du juge constructeur du droit 53, consciente que les catgories
domaniales se sont construites, selon la formule clbre de Rivero, sur les genoux de la
jurisprudence 54. Cependant, dans la jurisprudence SNEC et dans ses suites jurisprudentielles55,
le juge administratif naffirmant rien, ou peu de choses, sur le fondement ou sur ltendue du
pouvoir de gestion, rdigeant les motifs de ses arrts avec une concision qui frise parfois
lhermtisme 56, il laisse le champ libre au dbat doctrinal. Les analyses aussi bien technicistes et
contentieuses que conceptuelles foisonnent. La doctrine runit les diffrentes consquences
imputes la gestion du domaine public. Elle procde par induction, elle regroupe les donnes du
droit positif, majoritairement jurisprudentielles, autour de grands thmes, tels que lexploitation
du domaine public 57, elle sinterroge sur lmergence des catgories juridiques58, elle se livre un
travail de systmatisation.
8. Lmergence des manuels de Droit administratif des biens, la multiplication des thses et des
articles sont la preuve dun questionnement continu au sujet dune matire en constante
volution. La cration doctrinale nest peut-tre plus structure par un systme dcole de
pense59. Mais la matire domaniale est pargne par la rduction considrable du champ
rflexif 60 dnonce par le Professeur J.-J Bienvenu. Dans sa construction doctrinale, le pouvoir
51 R. LATOURNERIE, Essai sur les mthodes juridictionnelles du Conseil dtat , in Le Conseil dtat. Livre jubilaire publi pour commmorer son cent cinquantime anniversaire, Sirey, 1952, p. 259. 52 A. ESMEIN, La jurisprudence et la doctrine , RTD Civ., 1902. t. I, p. 5. 53 Y. POIRMEUR et E. FAYET, La doctrine administrative et le juge administratif. La crise dun modle de production du droit , in Le droit administratif en mutation, CURAPP, PUF, 1993, p. 97. 54 J. RIVERO, Jurisprudence et doctrine dans llaboration du droit administratif , EDCE, 1955, p. 30. 55 CE, 2 mai 1969, Socit Affichage Giraudy : Rec., p. 238 ; AJDA, 1970, II, p. 110, note A. de Laubadre. 56 J. RIVERO, Prcis de droit administratif, 1re d. 1960, rd. Dalloz, 2011, p. 27. 57 J.-F. DENOYER, Lexploitation du domaine public, LGDJ, 1969. 58 Ch. LAVIALLE, La doctrine universitaire et le droit domanial , in Les Facults de Droit inspiratrices du Droit ?, Actes des Colloques n3, PUT, 2005, p. 121. 59 J. CHEVALLIER, La fin des coles , RDP, 1997, p. 690. 60 J.-J. BIENVENU, Remarques sur quelques tendances de la doctrine contemporaine en droit administratif , Droits, 1985, p. 153.
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de gestion est au confluent dinfluences diverses provenant dhorizons juridiques diffrents. Le
pouvoir de gestion est trait dans la littrature juridique, dans des tudes consacres la proprit
publique61, la distinction des biens publics et des biens privs62, la circulation des biens des
personnes publiques63, la police sur le domaine public64. Le pouvoir de gestion est loin dtre le
parent pauvre de la matire domaniale, considr par beaucoup comme le rvlateur dune
conception moderne de la domanialit publique. Mais il faut convenir que la proprit publique a
exerc un tropisme et a quelque peu clips le pouvoir de gestion dans les analyses doctrinales. Le
pouvoir de gestion est souvent une sous-composante dune analyse plus globale axe sur le
rapport entre les personnes publiques et leur dpendance domaniale. Seuls quelques auteurs
consacrent ce sujet leur thse de doctorat, celle du Professeur . Fatme65, celle
particulirement de P. Lafage66, sans oublier larticle du Professeur Ch. Lavialle consacr Lacte
de gestion domaniale67. Que ce soit de manire directe ou indirecte, la doctrine sempare de ce sujet
de manires diverses, soit en sintressant son fondement et son tendue, soit sous un angle
analytique ou conceptuel. Observatrice du droit positif, la doctrine souligne aussi la mutation
dune prrogative administrative 68 oriente vers la valorisation du domaine public 69 et
confronte la monte en puissance des droits des administrs. Certains travaux insistent
galement sur lvolution du cadre normatif, notamment au regard de la rencontre entre la
gestion du domaine public et lordre concurrentiel70.
9. Bien que de nombreux aspects aient t dj explors, ltude du pouvoir de gestion du
domaine public reste une matire rflexion. Si le pouvoir de gestion est un champ doctrinal trs
riche, sa signification fait dbat. Les auteurs, tels que les Professeurs C. Chamard-Heim71, Y.
Gaudemet72, Ch. Lavialle73 et Ph. Yolka74 sopposent au Professeur J. Dufau75 et H. Moysan76 au
61 Ph. YOLKA, La proprit publique. lments pour une thorie, LGDJ, BDP , 1997 ; H. MOYSAN, Le droit de proprit des personnes publiques, LGDJ, BDP , 2001. 62 C. CHAMARD-HEIM, La distinction des biens publics et des biens privs. Contribution la dfinition de la notion de biens publics, Dalloz, NBT , 2004. 63 N. BETTIO, La circulation des biens des personnes publiques, LGDJ, BDP , 2009. 64 . PICARD, La notion de police administrative, LGDJ, BDP , 1984, spc. p.845 et s. ; C. KLEIN, La police du domaine public, LGDJ, 1966. 65 . FATME, Le pouvoir de rglementer lutilisation sur le domaine public affect lusage de tous, Thse Caen, 1974. 66 P. LAFAGE, Le pouvoir de gestion du domaine public. Essai sur les mutations dune prrogative administrative, Thse Chambry, 2000. 67 Ch. LAVIALLE, Lacte de gestion domaniale , in Mlanges F. Moderne, Dalloz, 2004, p. 265. 68 P. LAFAGE, Le pouvoir de gestion du domaine public. Essai sur les mutations d'une prrogative administrative, Thse Chambry, 2000. 69 J. MORAND-DEVILLER, La valorisation conomique du domaine public , in Lunit du droit. Mlanges en hommage Roland Drago, Economica, 1996, p. 276. 70 G. CLAMOUR, Intrt gnral et concurrence. Essai de prennit du droit public en conomie de march, Dalloz, NBT , 2006, p. 277 et s. ; A. ANTOINE, Prrogatives de puissance publique et droit de la concurrence, LGDJ, BDP , 2009, p. 42 et s. 71 C. CHAMARD-HEIM, Les proprits publiques , in P. GONOD, F. MELLERAY et Ph. YOLKA (dir.), Trait de droit administratif, t. II, Dalloz, 2011, p. 314 et s. 72 Y. GAUDEMET, Droit administratif des biens, t. II, 14e d., LGDJ, 2011, p. 195 et s.
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sujet du fondement du pouvoir de gestion. Les premiers prnent une approche moniste de son
fondement loppos de lanalyse dualiste porte par les seconds. Il ny a pas non plus daccord
sur ltendue du pouvoir de gestion. Si certains auteurs, tels que le Professeur Ph. Yolka et P.
Lafage, militent pour lintgration de lensemble des occupations du domaine public dans le
pouvoir de gestion, dautres dfinissent les permis de stationnement comme des actes de police.
Lanalyse du pouvoir de gestion oscille entre les deux prsupposs mthodologiques traditionnels
de la doctrine administrativiste : entre le conceptualisme et lempirisme juridique77. Les analyses
doctrinales produisent des rsultats diffrents qui souvent se compltent et qui parfois
sopposent. En effet, parce que la matire est riche en notions fondamentales du droit :
proprit, souverainet, personnalit juridique publique, elle est forcment au cur de conflits
thoriques portant sur les lments constitutifs de ltat et de la vie sociale 78. Cest dans le
croisement de ces problmatiques que sinscrit notre dmarche Une mme jurisprudence peut
faire lobjet de multiples interprtations, elle peut sinscrire dans divers systmes de pense.
Comme jadis, pour Hauriou et Duguit, la jurisprudence est le principal matriau des
constructions doctrinales qui vhiculent une certaine reprsentation du droit. Sur ce point, la
pense de Michoud reste parfaitement pertinente : Ce que lon trouve dans les arrts, ce sont les
matriaux de la construction juridique, non la construction juridique elle-mme 79. Le pouvoir de
gestion sinscrit donc dans un rapport dialogique entre les acteurs du droit et la doctrine. La
disputatio thorique qui entoure le pouvoir de gestion est encore vive, elle est mme ravive depuis
le Code gnral de la proprit des personnes publiques. En tmoigne le dbat qui entoure lobjet
ou les effets (vis--vis de ladministration ou des tiers) des droits rels sur le domaine public. En
position dextriorit par rapport au droit positif80, la doctrine domaniale est soucieuse de
rationnaliser une matire autour dune ide fondamentale, en particulier la proprit publique, la
puissance publique ou laffectation domaniale. Il sagit de prendre part cette discussion
doctrinale, en inscrivant notre analyse non seulement dans une fonction explicative du pouvoir de
gestion, mais dans la perspective dune construction thorique et dune dfinition.
73 Ch. LAVIALLE, Lacte de gestion domaniale , in Mlanges F. Moderne, Dalloz, 2004, p. 265-285 74 Ph. YOLKA, La proprit publique, op. cit., p. 212 et s., spc. p. 259 et s. 75 J. DUFAU, Proprit publique et domanialit publique , prc. 76 H. MOYSAN, Le droit de proprit des personnes publiques, LGDJ, BDP , 2001, p. 88 et s. 77 T. FORTSAKIS, Conceptualisme et empirisme en droit administratif franais, op. cit. ; M. WALINE, Empirisme et conceptualisme dans la mthode juridique : faut-il tuer les catgories juridiques ? , in Mlanges en lhonneur de Jean Dabin, Bruylant, t. 1, 1963, p. 359 et s. 78 Ch. LAVIALLE, La doctrine universitaire et le droit domanial , in Les Facults de Droit inspiratrices du Droit ?, Actes des Colloques n3, op. cit., p. 131. 79 L. MICHOUD, Compte-rendu : Prcis de droit administratif par Maurice Hauriou , RGA, 1893, t. 48, p. 6. 80 Contra J. CHEVALLIER, Doctrine juridique et science juridique , Droits et Socit, n 50, 2002, p. 103.
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10. Lintrt dune approche historique et gnalogique. La construction juridique du pouvoir de
gestion sinscrit dans une perspective diachronique. Lensemble des concepts et thories qui ont
permis son mergence faonnent ncessairement lidentit du pouvoir de gestion, et sont un
prisme pour apprhender les dbats relatifs son fondement et les enjeux actuels qui traversent la
domanialit publique. Le pouvoir de gestion est un objet juridique atypique. En effet, il peut
apparatre curieux de constater que [] la gestion du domaine public est qualifie [] dactivit
de puissance publique, alors que la notion de gestion renvoie davantage lconomique quau
politique, la puissance prive que publique 81. La locution pouvoir de gestion tonne car elle
est presque dans ses termes un oxymore : laccolade de la gestion et du pouvoir semble tre une
ingnieuse alliance de mots contradictoires 82, tmoignant de la rencontre de deux mondes.
Alors que la gestion renvoie, dans son sens commun, au monde des affaires, lconomie, aux
intrts privs, la patrimonialit83, le pouvoir est de lordre du politique, de ladministration,
sinon de lautorit84. La construction juridique du pouvoir de gestion du domaine public est
effectivement historiquement le fruit dun syncrtisme. Cette singularit explique les controverses
doctrinales passes et prsentes. Les problmatiques qui ont entour la gense du pouvoir de
gestion ressurgissent : la distinction entre souverainet et proprit, et celle entre patrimonialit et
puissance publique, les tensions entre lintrt gnral et les intrts particuliers sont au cur des
dbats. Dans cette perspective, il importe de se pencher sur la gnalogie du pouvoir de gestion,
autrement dit sur sa gestation, afin de dceler les obstacles qui ont frein son mergence. En
effet, ironie de lHistoire, ces mmes obstacles thoriques ressurgissent lheure de la
confrontation du domaine public avec les exigences conomiques. La dmarche analytique et
historique est donc ici privilgie, au dtriment dune approche technicienne ou contentieuse. La
comprhension du pouvoir de gestion comme construction juridique implique dentremler la
fois ses diffrentes thorisations en les discutant dans un esprit critique, tout en remontant le fil
de lHistoire, et les donnes du droit positif, prcisment la production normative faite par les
acteurs du droit. Cest pourquoi, au-del des questions actuelles, une apprhension conceptuelle
simpose. Ltude du pouvoir de gestion du domaine public suppose de plonger dans le cadre
conceptuel qui a permis son mergence. Convaincu que toute analyse doctrinale ne peut
81 Ch. LAVIALLE, Lacte de gestion domaniale , in Mouvement du droit public, du droit administratif au droit constitutionnel, du droit franais aux autres droits. Mlanges en l'honneur de Franck Moderne, Dalloz, 2004, p. 265. 82 Oximoron in A. REY (dir.), Le Robert. Dictionnaire historique de la langue franaise, p. 2515. 83 Gestion , in Dictionnaire de lAcadmie franaise : Administrer pour le compte d'une autre personne, d'une collectivit, d'une entreprise, etc., ou, par extension, pour son propre compte . 84 V. Pouvoir , in A. LALANDE (dir.), Vocabulaire technique et critique de la philosophie, 3e d., PUF Quadrige , rd. 2010, p. 801-802. Pour une distinction entre pouvoir et autorit, v. B. QUELQUEJEU, La nature du pouvoir selon Hannah Arendt , Revue des sciences philosophiques et thologiques, 2001, p. 511.
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sloigner dans le cadre de son travail, de lhistoire 85, le choix de notre tude est dabord
dapprhender le pouvoir de gestion comme une construction juridique modele par le chur
deux voix 86 compos par la doctrine et par la jurisprudence pour ensuite en proposer une
dfinition. Notre tude repose sur le postulat selon lequel le pourvoir de gestion est le produit
dune volution qui touche aux rapports entre les personnes publiques et le domaine public, entre
les personnes publiques et les administrs. Lenjeu est donc double : il sagit de croiser la
perspective historique et gnalogique non seulement avec les problmatiques qui traversent
actuellement la notion, mais aussi avec une approche structurelle susceptible dinscrire dans la
dfinition du pouvoir de gestion sa dimension relationnelle, cest--dire les rapports de droit quil
institue avec les administrs.
11. Un conflit de la technique juridique. La comprhension du pouvoir de gestion est une question
de technique juridique . Sa construction juridique est dabord le choix dun outillage
juridique 87. Or, le pouvoir de gestion du domaine public est tributaire des fonds conceptuels qui
traversent le droit administratif, il est au cur dun conflit dans le champ de la technique
juridique 88 : la tension entre lobjectivisme et le subjectivisme juridique. Cette tension, qui
traverse lensemble du droit administratif, est dj largement retrace par les thses des
Professeurs N. Foulquier89, B. Plessix90 et Ph. Yolka91 et celle de A.-L. Girard92. Des auteurs
sinspirent des schmes offerts par les thories subjectivistes des civilistes et des publicistes
allemands, dautres les rejettent et forgent des concepts dans un moule exclusivement
objectiviste. De manire gnrale, lopposition entre lobjectivisme et le subjectivisme juridique
est une opposition sur la structuration du droit. Alors que les partisans dune conception
subjective du droit placent le vinculum juris unissant deux sujets de droit au cur de leur discours ,
les zlateurs de lobjectivisme accordent, au contraire, une place centrale la rgle de droit dans
leur entreprise de conceptualisation 93. Selon les points de vue, les vocables changent. La
conceptualisation objectiviste use plutt des notions de rgle de droit, de pouvoir lgal, de
situation juridique, de patrimoine daffectation. Le discours subjectiviste privilgie le rapport de
droit, la personnalit juridique, la proprit, la volont, le droit subjectif ou le commerce 85 Y. GAUDEMET, Rflexions sur le rle de la doctrine en droit public aujourdhui , RDA, 2011, p. 32. 86 J. RIVERO, Jurisprudence et doctrine dans llaboration du droit administratif , EDCE, 1955, p. 27. 87 Sur cette notion, C. GIVERDON, Loutillage juridique , in Lavenir du droit. Mlanges en lhommage de Franois Terr, PUF Dalloz d. du JurisClasseur, 1999, p. 276. 88 P. ROUBIER, Droits subjectifs et situations juridiques, 1963, rd. Dalloz, 2005, p. 78. 89 N. FOULQUIER, Les droits publics subjectifs des administrs. mergence d'un concept en droit administratif franais du XIXe au XXe sicle, Dalloz, NBT , 2003. 90 Sur ce point, B. PLESSIX, Lutilisation du droit civil dans llaboration du droit administratif, d. Panthon-Assas, 2003. 91 Ph. YOLKA, La proprit publique, op. cit. 92 A.-L. GIRARD, La formation historique de la thorie de lacte administratif unilatral, Dalloz, NBT , 2012. 93 Ibid., p. 30.
13
juridique. En consquence, selon [] que lon adopte un point de vue objectiviste ou
subjectiviste, la vision du domaine [public] change 94, tout comme celle du pouvoir de gestion.
12. Le domaine public, plus que toute autre catgorie du droit administratif, est travers par
des influences diverses provenant en grande partie de la thorie civiliste. Au XIXe sicle, lapport
le plus significatif la thorie du domaine public provient dun civiliste : Proudhon. Les emprunts
dinstruments civilistes sont surtout luvre la fin du XIXe et au dbut du XXe sicle. Hauriou
et Michoud tablissent des ponts entre le droit public et le droit priv. La thorie de la
personnalit juridique propose par Michoud entend transcender la frontire entre le droit public
et le droit priv. Lminent privatiste, Saleilles, participe aussi ldification de la matire95 en
apportant une contribution notable la thorie du domaine public96. Il nest pas tonnant que de
nombreux auteurs se rfrent au fonds conceptuel du droit civil, les thories slaborent dans un
milieu juridique imprgn de tendances et de traditions civilistes, grce l'action
d'administrateurs, de juges, de membres du Parlement ou d'auteurs qui avaient t eux-mmes
forms l'cole du droit civil et du droit romain 97. la suite de la conscration jurisprudentielle
de la gestion domaniale, les emprunts aux thories civilistes sintensifient. La doctrine recourt aux
concepts de proprit, de droit personnel, de droit rel, de servitude pour caractriser le pouvoir
de ladministration et les rapports de celle-ci avec les administrs. Dailleurs, pour comprendre ce
processus demprunt, il est prfrable, comme le propose le Professeur B. Plessix, de recourir au
terme d utilisation : utiliser, c'est rendre utile, c'est satisfaire un besoin, c'est mme faire
servir, une fin prcise ce qui n'y tait pas ncessairement ou spcialement destin . Lemprunt
relve dun choix, dun processus volontaire dans une optique dinstrumentalisation. Les concepts
civilistes sont transposs, adapts, remodels afin dpouser la spcificit de lintervention de
ladministration98. Mais lutilisation des concepts civilistes est pour dautres auteurs une vaine
entreprise. Pour Berthlemy, le pouvoir de ladministration ne peut tre pens ni par le prisme du
droit subjectif, ni par celui par la proprit. tant conus strictement pour des relations entre
particuliers, ces concepts ne peuvent servir, selon lauteur, ltude du pouvoir de
ladministration qui sexprime par le biais de prrogatives de puissance publique et qui incarne un
94 Ch. LAVIALLE, La doctrine universitaire et le droit domanial , in Les Facults de Droit inspiratrices du Droit ?, op. cit., p. 121. 95 Sur ce point, L. MICHOUD, Raymond Saleilles et le droit public , RDP, 1912, p. 369. 96 V. de manire gnrale, R. SALEILLES, Le domaine public Rome et son application en matire artistique, L. Larose et Forcel, 1889. 97 A. HAURIOU, L'utilisation en droit administratif des rgles et principes du droit priv , in Recueil dtudes sur les sources du droit en lhonneur de Franois Gny, t. III, Sirey, 1934, p. 92. 98 Sur la transposition de la proprit en droit public, v. M. XIFARAS, Le Code hors du Code. Le cas de la transposition de la proprit au droit administratif , Droits, 2006, p. 49. V. aussi M. WALINE, Les mutations domaniales, op. cit., p. 15 : Les notions juridiques du droit priv sont en quelque sorte la matire premire que le juriste de Droit public doit mettre en uvre, la glaise quil doit ptrir, pour les adapter aux ncessits publiques .
14
rapport de domination vis--vis de ladministr99. La rponse objectiviste porte par Duguit et
Jze sinscrit galement dans ce projet dautonomisation du droit administratif. Duguit est mme
convaincu que la marche inluctable du droit public est son objectivisation, qui doit liminer
terme toute rfrence au subjectivisme juridique100. La rgle juridique objective, le concept de
situation juridique et le service public doivent supplanter tout autre instrument juridique dans
la comprhension de la gestion du domaine public.
13. Cependant, lide selon laquelle la doctrine administrativiste est strictement spare entre
le subjectivisme et lobjectivisme juridique est caricaturale, autant que celle qui consiste affirmer
que le droit administratif est construit sur des fondations strictement objectivistes. Il est plus juste
de parler de circulation des concepts. Les deux champs de la technique juridique irriguent les
diffrentes conceptualisations. Hauriou prne les instruments subjectivistes mais il nen fait pas
un usage gnralis, il circonscrit lexistence de rapports de droit avec les usagers du domaine
public des hypothses limites. Duguit construit la gestion du domaine public sur des
fondations objectivistes, mais il use du concept de volont afin de rendre de compte des pouvoirs
des agents sur le domaine public. Bonnard nie, dans un premier temps, le concept de personnalit
juridique et celui de proprit, mais il recourt par la suite ces concepts en complment de celui
de droit subjectif, dans son tude des pouvoirs des administrs vis--vis de ladministration
domaniale. Encore plus rvlateurs sont les travaux de de Laubadre, de Waline et de Rivero. Ces
auteurs enchevtrent les vocables et les instruments relevant des deux champs de la technique
juridique. Le pouvoir de ladministration sur le domaine public est pens dans une perspective
subjectiviste partir de la proprit dite administrative101 loppos des rapports avec les usagers
structurs autour dun concept objectiviste : celui de situation juridique 102.
14. Dans la doctrine contemporaine, des outils danalyse se sont imposs pour dcrire telle ou
telle facette du pouvoir de gestion. En raison de leur valeur pratique, les instruments,
subjectivistes ou objectivistes, de la technique juridique sont donc entremls dans les discours.
99 G. BIGOT, Personnalit publique et puissance publique , in Travaux de lAFDA, La personnalit publique, LexisNexis, Colloques et dbats , 2007, p. 17. 100 Sur ce point, v. L. DUGUIT, Les transformations du droit public, A. Colin, 1913, p. 33 et s. ; G. JZE, De lutilit pratique des tudes thoriques de jurisprudence pour llaboration et le dveloppement de la science du droit public. Rle du thoricien dans lexamen des arrts des tribunaux , RDP, 1914, p. 311, spc. p. 319. V. galement, A. MESTRE et M. HAURIOU, Analyses et comptes rendus : Ltat, le droit positif et la loi positive par Lon Duguit , RDP, 1902, p. 346. 101 A. DE LAUBADRE, Trait de droit administratif, t. II, 6e d., LGDJ, 1975, p. 139-140 ; J. RIVERO, Prcis de droit administratif, 1re d. 1960, rd. Dalloz, 2011, p. 483-484 ; M. WALINE, Trait lmentaire de droit administratif, 6e d., Sirey, 1951, p. 510-511. 102 A. DE LAUBADRE, Trait de droit administratif, t. II, 6e d., op. cit., p. 209. Sur la notion de situation juridique, v. R. LATOURNERIE, tude sur la classification des diverses situations juridiques , RDP, 1933, p. 327.
15
Dautre part, le conflit entre le subjectivisme et lobjectivisme juridique reste vivace, mme sil
seffectue un autre niveau danalyse. Dans la mesure o les acteurs du droit, le juge administratif
et le lgislateur, oprent eux-mmes des emprunts au droit civil, la doctrine se concentre
davantage sur la dfinition des notions utilises dans ldification du pouvoir de gestion. Les
conceptualisations civilistes continuent tre des modles, que ce soit pour lauteur qui milite
pour lunit du concept partag par le droit priv et le droit public, que pour celui qui souligne la
spcificit du concept subjectiviste administratif. Ces rfrences au droit civil sont critiques par
certains auteurs qui restent attachs lautonomie de la domanialit publique103 ou alors elles sont
juges ncessaires pour comprendre les mcanismes existant sur le domaine public, limage des
analyses du Professeur Y. Gaudemet qui opre un rapprochement entre la proprit publique et
la proprit prive104 ou entre le droit rel et le droit de superficie105.
15. Le choix dune grammaire subjectiviste du droit : une approche structurelle. Lenjeu de ltude nest
pas seulement de retracer historiquement lambivalence entre lobjectivisme et le subjectivisme
juridique qui traverse le pouvoir de gestion du domaine public mais doprer un choix : privilgier
la mthodologie subjectiviste. Celle-ci marque ladhsion une certaine grammaire du droit 106,
cest--dire un ensemble doutils pour comprendre le pouvoir de gestion. Dans la continuit du
mouvement de subjectivisation du droit administratif107, une telle mthodologie simpose en
raison des volutions qui touchent le pouvoir de gestion : les phnomnes de valorisation et
dexploitation, linvocabilit des liberts, la soumission lordre concurrentiel, lapplication du
droit europen, lintroduction des droits rels, la cession des droits sur le domaine public
renforcent linsertion du pouvoir de gestion dans un cadre relationnel. Le fonds conceptuel de la
thorie du pouvoir de gestion semble mme donner une large place aux instruments
subjectivistes, que lon songe la personnalit juridique, la proprit publique ou au commerce
juridique. Lanalyse de ce fonds conceptuel est un passage oblig pour ltude du pouvoir de
gestion, mais il est approfondir afin doffrir une lecture subjectiviste plus aboutie du pouvoir de
103 J.-B. AUBY, Proprit et gestion domaniale , DA, 2011, repre 7. 104 Y. GAUDEMET, Droit administratif des biens, t. II, 14e d., op. cit., 2011, p. 22 et s. 105 Ibid., p. 308 et s. 106 Sur la notion de grammaire du droit , v. O. JOUANJAN, Lmergence de la notion de droits publics subjectifs dans la doctrine de langue allemande , in Travaux de lAFDA, Les droits publics subjectifs des administrs, LexisNexis, Colloques et Dbats , 2011, p. 25 ; N. FOULQUIER, Rapport de synthse , in Travaux de lAFDA, Les droits publics subjectifs des administrs, op. cit., p. 231, spc. p. 233. 107 J. CHEVALLIER, Lobligation en droit public , APD, 2000, p. 179 ; Ph. YOLKA, Pour une thorie des droits subjectifs des personnes publiques , AJDA, 2013, p. 313 ; P. DELVOLV, Propos introductifs. Droits subjectifs des administrs et subjectivisation du droit administratif , in Travaux de lAFDA, Les droits publics subjectifs des administrs, op. cit., p. 3.
16
gestion. Les thories des droits publics subjectifs108, de la proprit publique, du droit rel
administratif doivent tre prises en compte mais aussi values et discutes. Des rfrences aux
concepts civilistes sont faire mais condition de prendre des prcautions mthodologiques en
raison de leur dimension originellement individualiste. Le renouvellement conceptuel de la
proprit prive et du droit rel ou les nouvelles recherches sur les rapports obligationnels dans la
doctrine civiliste fournissent des outils danalyse dun intrt fonctionnel 109 indniable pour
comprendre les nouvelles modalits de lexercice du pouvoir de gestion.
16. Le choix du subjectivisme juridique comme mthodologie danalyse nest pas seulement le
choix de tels ou tels concepts, il offre une lecture plus gnrale de lobjet de notre tude dans une
perspective dynamique 110. Pour reprendre la dfinition subjective de la norme propose par
Eisenmann, le pouvoir de gestion fonde un rapport entre deux [ou plusieurs] personnes, [] il
y a lieu de distinguer les sujets actifs et les sujets passifs 111. La mthodologie subjectiviste
sintresse donc la structure relationnelle du pouvoir de gestion par le prisme de la notion de
rapport juridique et notamment de rapport de droit (vinculum juris). Cependant, pour ltude du
pouvoir de gestion, la prise en compte de relations uniquement entre personnes nest pas
suffisante. Lensemble des rapports juridiques tourne autour de laccs et de lutilisation dun bien
appartenant au domaine public. Cest pour cette raison que, dans le paysage des pouvoirs
administratifs, le pouvoir de gestion occupe une place toute particulire. Le pouvoir de gestion
est un rapport sur une chose entremlant des rapports avec des personnes. Sa dfinition suppose
une dcomposition de sa structure, et suppose de saisir les deux extrmits du rapport dont le
domaine public est la scne : le gestionnaire et lusager du domaine public.
3. PLAN DE LA RECHERCHE
17. Le pouvoir de gestion incarne la maitrise des personnes publiques sur le domaine public.
Il est aussi le produit dune construction juridique historique, qui a russi dpasser
lantagonisme entre puissance publique et proprit. Cette construction du pouvoir de gestion
doit tre confronte aux volutions rcentes du droit positif et linterprtation jurisprudentielle.
108 R. BONNARD, Le contrle juridictionnel de ladministration, 1934, rd. Dalloz, 2006 ; J. BARTHLEMY, Essai dune thorie des droits subjectifs des administrs dans le droit administratif franais, Larose et Forcel, 1899. 109 Sur lide de notion fonctionnelle, G. VEDEL, De larrt Septfonds larrt Barinstein (La lgalit des actes administratifs devant les tribunaux judiciaires) , JCP G, 1948, I, n 682. V. aussi, G. TUSSEAU, Critique dune mtanotion fonctionnelle. La notion (trop) fonctionnelle de notion fonctionnelle , RFDA, 2009, p. 641. 110 A.-L. GIRARD, La formation historique de la thorie de lacte administratif unilatral, op. cit. Lauteur distingue lapproche dynamique propre aux thories subjectivistes et lapproche statique propre aux thories objectivistes. 111 Ch. EISENMANN, Cours de droit administratif, t. II, op. cit., p. 251, cit par N. CHIFFLOT, Le droit administratif de Charles Eisenmann, op. cit., p. 259.
17
Il sagira, tout en tenant compte des incertitudes et des contradictions thoriques, de proposer
une dfinition du pouvoir de gestion par rfrence au concept de dominium. Une telle lecture est
susceptible dclairer ltude et la comprhension de la spcificit du pouvoir de gestion du
domaine public, et particulirement de la spcificit de la puissance quil incarne (Partie I), dont
il sagira, dans un second temps, de mesurer lintensit au regard de ses interactions avec les
administrs. Lapprhension subjectiviste du pouvoir de gestion constitue donc une tentative de
dfinition du pouvoir de gestion qui tienne aussi compte de sa structure relationnelle avec les
administrs. Sur le fondement de cette lecture, il est alors possible de comprendre lvolution et la
nature des rapports entre ladministration propritaire et les administrs. Seront pris en compte
les conditions de laccs au domaine public, dune part, et les conditions de son utilisation, dautre
part (Partie II).
PARTIE I. LE POUVOIR DE GESTION DU DOMAINE PUBLIC : UNE PUISSANCE PUBLIQUE PROPRITAIRE
PARTIE II. LE POUVOIR DE GESTION DU DOMAINE PUBLIC : UNE PUISSANCE PUBLIQUE EN INTERACTION
19
PARTIE I LE POUVOIR DE GESTION DU DOMAINE PUBLIC : UNE PUISSANCE PUBLIQUE
PROPRITAIRE 18. Llaboration thorique du pouvoir de gestion sollicite les matriaux de la mthodologie
subjectiviste, emprunts la doctrine civiliste, notamment la personnalit publique et la proprit,
qui ne simposent dans la thorie du domaine public quau terme dun vif dbat. Plus quun
simple exercice de transposition, une circulation des ides est luvre, un dialogue sinstalle
entre les publicistes et les privatistes ds le dbut du XIXe sicle, au sujet du domaine public. La
thorie domaniale slabore sur les travaux de lcole de lexgse, elle est surtout le produit de la
rflexion de Proudhon, nourrie par la suite par celle de la doctrine publiciste. Lorsque le cadre de
pense volue au dbut du XXe sicle, Hauriou, Rigaud, Bernard, Bonnard, de Laubadre et
Maroger convoquent les instruments issus de la glose civiliste, paralllement Saleilles qui
apporte la thorie domaniale des contributions fondatrices. Fruit de cette rflexion, le pouvoir
de gestion constitue laboutissent dune construction juridique relative la matrise du domaine
public. Il incarne ainsi un rapport juridique entre les personnes publiques et les dpendances
domaniales, travers le prisme de ltre et de lavoir. Fleuron conceptuel de la doctrine civiliste, la
proprit devient la pierre angulaire de la thorie du pouvoir de gestion, au prix de quelques
ajustements et en dpit des tentatives de Berthlemy, de Duguit et de Jze pour lvacuer des
thorisations relatives au domaine public. Cest surtout la suite de la conscration de la gestion
domaniale par le juge administratif que la proprit sinstalle dans les discours comme clef de
lecture de la jurisprudence.
19. La proprit nassure pas seulement une titularit, un lien dappartenance entre les
personnes publiques et le domaine public, elle assure le fondement dune volont impute une
personne publique. Comme le synthtise Bernard, la base de tout droit de proprit repose sur
un acte matriel, la dtention ; les manifestations de volont qui se produisent loccasion de
certains biens peuvent tre encore considres un point de vue objectif, mais du jour o lon
pntre au milieu des relations du commerce juridique, la ncessit simpose de rattacher la
personne juridique des droits que lon qualifie de subjectifs 112. Le pouvoir de gestion reprsente
surtout la facette subjective de la proprit et peut tre rapproch du concept de domaine ou de
dominium. Ce concept cristallise le rapport entre la personne et la chose et il dtermine le cadre des
112 L. BERNARD, Du droit de proprit de ltat sur les biens du domaine public, Paris, Sirey, 1910, p. 17 (on souligne).
20
pouvoirs que dtient le propritaire. Le domaine, attach la personne 113, est ainsi lexpression
de la dimension subjective de la proprit et postule la dualit de lobjet et du sujet 114.
20. Mais une autre perspective, quelque peu minore, est explorer : la construction
thorique de la puissance publique gestionnaire , ainsi dsigne car le pouvoir de gestion
reprsente une volont laquelle le droit accorde une force juridique particulire afin de satisfaire
certains intrts. La particularit de cette volont impute au pouvoir de gestion tient son
caractre de puissance publique. Or, si lidentit de puissance publique du pouvoir de gestion
semble acquise, elle est en ralit le produit dune longue maturation doctrinale. la suite de
dbats sur son fondement, sur son identit et sur son champ, une premire dfinition du pouvoir
de gestion sest impose : il sagit dun pouvoir juridique ayant pour fondement la proprit
publique, tout en tant une expression de la puissance publique. Pour comprendre lassociation,
au sein du pouvoir de gestion, des prrogatives propritaires (cest--dire issues du droit de
proprit) et des prrogatives de puissance publique, la question est replacer dans un dbat
doctrinal domin par la distinction entre la souverainet et la proprit, axiome de la science
juridique 115 dont une partie de la doctrine russit promouvoir une lecture moins radicale.
21. Lapproche gnalogique simpose, car si lobjet de notre tude est un carrefour associant
des lments pralablement spars, il faut dabord comprendre les tenants et les aboutissants de
leur sparation, afin de saisir les enjeux de leur association, et par extension, les enjeux du
pouvoir de gestion sur le domaine public. Lmergence du pouvoir de gestion est le tmoin dune
volution du domaine public, qui sest rapproch du dominium et qui sest dlest [en
consquence] dun peu dimperium 116. Le pouvoir de gestion est aussi au cur dune rflexion
cherchant insrer la puissance publique dans un commerce juridique tout en prservant son
unit catgorielle. Un quilibre est dtermin entre puissance publique, patrimonialit et
exploitation du domaine public. partir dune sollicitation des outils subjectivistes, la
construction juridique du pouvoir de gestion russit rationaliser la matire domaniale et fournit
une clef de lecture du rapport entre les personnes publiques et le domaine public (Titre I).
Lapproche gnalogique met en exergue les problmatiques entourant lidentit de puissance
publique du pouvoir de gestion, ainsi que les mcanismes qui ont permis de rapprocher la
113 C.-B.-M. TOULLIER, Droit civil franais suivant lordre du Code, ouvrage dans lequel on a tch de runir la thorie et la pratique, t. III,, 5e d. Renouard, 1839, p. 55, cit par M. XIFARAS, La proprit. tude de philosophie du droit, PUF, Fondements de la politique p. 94 114 A.-J. ARNAUD, Imperium et dominium : Domat, Pothier et la codification , Droits, 1995, p. 55. 115 L. BERNARD, Du droit de proprit de ltat sur les biens du domaine public, op. cit., 1910, p. 10. 116 Ph.YOLKA, Personnalit publique et patrimoine , in Travaux de lAFDA, La personnalit publique, LexisNexis, 2007, p. 35.
21
puissance publique, la proprit et la patrimonialit. Mais les termes de cette association restent
en dbat. Lapprhension du pouvoir de gestion par le droit positif, notamment par le droit de la
concurrence, offre loccasion de repenser les rapports entre le pouvoir de gestion et la puissance
publique, et claire sa spcificit par rapport aux autres expressions de puissance publique,
spcificit quil sagit de saisir et de dfinir. En somme, il est possible de reconstruire la puissance
publique, incarne par le pouvoir de gestion, autour du dominium et de la considrer comme
synonyme de puissance sur une chose . Le pouvoir de gestion du domaine public reste une
puissance publique propritaire 117, mais sa signification change : il ne sagit plus dune
proprit publique irrigue par la puissance publique, il sagit dune proprit publique en
puissance. En dautres termes, si la thorie de la proprit administrative dfendait une
proprit dfinie par la puissance publique 118, lenjeu est alors de conceptualiser une puissance
publique dfinie par la proprit (Titre II).
TITRE I. LA FORMATION DE LA PUISSANCE PUBLIQUE GESTIONNAIRE
TITRE II. LA RECONSTRUCTION DE LA PUISSANCE PUBLIQUE GESTIONNAIRE
117 M. HAURIOU, Prcis de droit administratif : lusage des tudiants en licence et en doctorat s-sciences, 4e d., Larose, 1900, p. 630. 118 H. MOYSAN, Le droit de proprit des personnes publiques, Paris, LGDJ, BDP , 2001, p. 116.
23
TITRE I. LA FORMATION DE LA PUISSANCE PUBLIQUE GESTIONNAIRE
22. Lmergence du pouvoir de gestion du domaine public signe le passage de la
sparation lassociation : entre puissance publique et proprit, entre puissance publique et
patrimonialit. Il convient donc, dans un premier temps dobserver le processus de cette
mergence, cest--dire le mouvement par lequel ces notions, dabord opposes par la
doctrine, ont fait lobjet dun rapprochement, dans lequel est venu senraciner le pouvoir de
gestion du domaine public. En effet, le pouvoir de gestion dcline deux conceptions de la
proprit : la proprit comme aptitude gouverner des choses et comme aptitude
administrer des patrimoines 119. Ces deux manires dapprhender les rapports la chose
sentrecroisent dans les thories relatives au domaine public. Les apprhender de manire
distincte permet de rendre compte des deux aspects du pouvoir de gestion dans son rapport
au domaine public : la matrise dun bien et son exploitation patrimoniale. Si la proprit est la
possession dun bien, la patrimonialit implique la jouissance de cette possession, la capacit
den tirer profit ou de linscrire dans un commerce juridique. Le pouvoir de gestion a t
consacr par la jurisprudence afin dpouser ces proccupations propritaires et patrimoniales.
Son dification procde donc de deux mouvements presque concomitants : le dpassement de
lantagonisme entre les notions de puissance publique et de proprit, et la conciliation entre
puissance publique et patrimonialit. Cest effectivement parce que le domaine public a pu tre
peru comme objet de proprit que les proccupations patrimoniales lont touch. La
reconnaissance de lexploitation patrimoniale du domaine public drive de la reconnaissance la
proprit du domaine public. Au dbut du XXe sicle120, la proprit du domaine public
correspond ladministration dun bien, elle ne sera synonyme que quelques temps plus tard
dexploitation patrimoniale. Ainsi, il faut dabord aborder la gnalogie du pouvoir de gestion
comme puissance publique propritaire (Chapitre I) avant de lenvisager comme une
puissance publique patrimoniale (Chapitre II).
119 Sur ces deux acceptions de la proprit, v. M. XIFARAS, La proprit. tude de philosophie du droit, op.cit. 120 Sur la reconnaissance jurisprudentielle de la proprit, CE, 21 juil. 1870, Ville de Chlons-sur-Marne : Rec., p. 938 ; CE, 7 mai 1909, Chemins de fer du Nord : D., 1911, III, p. 30 ; CE, 24 fvr. 1911, Jacquemin : S., 1912, III, p. 73 ; C. cass., 8 nov. 1909, Vergnes c/ Verdet et a. : S., 1912, I, p. 521 ; CE, 17 janvier 1923, Ministre c/ Sieurs Piccioli : Rec., p. 44 ; S., 1925, III, p. 17, note Hauriou ; D., 1923, III, p. 29 ; RDP, 1923, p. 567, concl. Corneille, note Jze. Sur ce point, Ph. YOLKA, comm. CE, 17 janvier 1923, Ministre c/ Sieurs Piccioli : GDDAB, n 1.
25
CHAPITRE I. LA GNALOGIE DUNE PUISSANCE PUBLIQUE PROPRITAIRE
23. La construction juridique du pouvoir de gestion du domaine public est un confluent.
Au carrefour de la puissance publique et de la proprit, son dification est la synthse de
concepts que la pense juridique du XIXe sicle a pris soin de distinguer au nom du dogme de
la sparation entre la souverainet et la proprit, obstacle toute mergence dun pouvoir de
gestion sur le domaine public. Produit de la pense rvolutionnaire, la dissociation entre la
proprit et la souverainet cristallise la dispute relative la nature de ltat dans ses rapports
aux biens 121, et formalise surtout une limitation de la souverainet. Il sagit dune limitation
immanente touchant sa dfinition matrielle122 : la souverainet nemporte pas la proprit et
ne donne ltat aucun droit [rel] minent sur les biens des citoyens 123 et elle nest plus le
produit de lexercice de la proprit du souverain. Luvre de clarification 124
rvolutionnaire sest prolonge dans la pense juridique du XIXe sicle. La distinction entre la
souverainet et la proprit simpose avec force comme principe matriciel dans la littrature
juridique et dans la jurisprudence du XIXe sicle. Elle se pose en principe juridico-politique
autour duquel sarticule un grand nombre de notions juridiques dont, en premier lieu, le
domaine public (Section I). Cest pour cette raison que la ralisation de lassociation entre la
proprit et la puissance publique, qui dbute la fin du XIXe sicle dans la thorisation du
domaine public, ne seffectue quau prix dune vision renouvele du droit administratif et
dune refonte profonde des instruments de la technique juridique. La doctrine pioche dans le
fonds conceptuel de la doctrine civiliste les instruments ncessaires la comprhension du
rapport entre ltat et les choses. Sujet de droit, personnalit juridique, proprit et commerce
juridique forment un terreau pour le dveloppement du concept de gestion dans une
perspectiviste subjectiviste. Particulirement, la personnalit juridique est le point darticulation
dun ensemble de droits et obligations, elle appelle notamment lexercice du droit de proprit.
Concept lutilit reconnue, la personnalit juridique dans son acception strictement civiliste
est nanmoins, pour la doctrine publiciste, un carcan qui gne la conceptualisation dune
puissance publique propritaire sur le domaine public. cette fin, les concepts de personnalit 121 M. XIFARAS, La proprit. tude de philosophie du droit, PUF, 2004, p. 183. 122 R. CARR DE MALBERG, Contribution la thorie gnrale de ltat, Sirey, 1920, red. : CNRS, 1962, t. I, p. 79 : Dans son sens originaire, il dsigne le caractre suprme de la puissance tatique. Dans une seconde acception, il dsigne lensemble des pouvoirs compris dans la puissance dtat, et il est par suite synonyme de cette dernire [nous retrouvons ici la dfinition matrielle de la souverainet]. Enfin, il sert caractriser la position quoccupe dans ltat le titulaire suprme de la puissance tatique et ici la souverainet est identifie avec la puissance de lorgane , cit par M. TROPER, La thorie du droit, le droit, ltat, PUF, Leviathan , 2001, p. 315. 123 J.-L HALPRIN., Proprit et souverainet de 1789 1804 , Droits, 1995, p. 67. 124 M. BOULET-SAUTEL, De Chopin Proudhon : naissance de la notion moderne de domaine public , Droits, 1995, p. 91.
26
juridique et de proprit sont remodels par la doctrine publiciste qui sollicite, entre autres, les
travaux des juristes allemands. La personnalit publique acquiert une nouvelle dimension dans
les discours doctrinaux : elle forme une unit laquelle lensemble des interventions
administratives est rattach. Ce moment crucial pour la science juridique prcde le renouveau
de la thorie du domaine public et pose les fondements de lmergence du pouvoir de gestion
sur le domaine public : la personnalit publique suppose une proprit sur le domaine public
et elle est le vecteur de lassociation entre les prrogatives de puissance publique et les
prrogatives propritaires (Section II).
SECTION I. LA DICHOTOMIE ENTRE LA PUISSANCE PUBLIQUE ET LA PROPRIT AU XIXE SICLE : UN OBSTACLE LMERGENCE DU POUVOIR DE GESTION
24. Sieys rsume parfaitement la pense dominante au moment de la Constituante :
afin dcarter toute quivoque, je remarque que la nation est propritaire en ce sens, que tous
les biens tant des corps que des particuliers sont dans la nation, et doivent contribuer la
dpense publique ; mais gardons-nous de croire quelle soit propritaire en ce sens que les
biens des associations ou des particuliers lui appartiennent 125. Dans sa version sublime par
les rvolutionnaires126, la distinction entre limperium et le dominium se traduit par lexclusion de
toute ide de proprit dans lexercice de la puissance tatique127 et par un rejet de la puissance
tatique dans lexercice de la proprit des citoyens ou de la Nation. Comme laffirme plus
tard Portalis, Au citoyen appartient la proprit, et au souverain lempire 128. La distinction entre
souverainet et proprit a travers le XIXe sicle. Son succs doctrinal est d sa force
dogmatique. Pour les privatistes, la dichotomie entre souverainet et proprit a confort un
certain nombre de prsupposs libraux, elle leur a surtout permis de sapproprier le concept
de proprit129. Elle a galement t utile pour les publicistes parce quelle a ouvert la voie de
lautonomie du droit public vis--vis du droit priv130. Si la distinction entre la souverainet et
la proprit constitue le cadre thorique du rapport entre ltat et les choses partir duquel
125 Observations sommaires sur les biens ecclsiastiques, 10 aot 1789, p. 3, in uvres de Sieys, Paris, EDHIS, 1989, t. II ; Les Archives parlementaires, t. VIII, p. 389, cit par J.-L. HALPRIN, Proprit et souverainet de 1789 1804 , Droits, 1995, p. 67. 126 J. GAUDEMET, Dominium et imperium, les deux pouvoirs sous la Rome ancienne , Droits, 1995, p. 22. Lauteur montre que la distinction entre le dominium et limperium ntait pas aussi bien tablie en droit romain, notamment vers la fin de lEmpire romain. 127 A.-J. ARNAUD, Imperium et dominium : Domat, Pothier et la codification , Droits,1995, p. 55. 128 J.-E.-M. PORTALIS, Discours, rapports et travaux indits sur le Code civil, Joubert, 1844, p. 215 et s. Sur ce point, F. LINDITCH, La notion de personnalit morale en droit administratif, LGDJ, BDP , 1997, p. 111 et s. 129 Ph. YOLKA, La proprit publique, op. cit., p. 116. V. aussi Y. GAUDEMET., Du domaine de la couronne au domaine public. tude dhistoire des doctrines , in Mlanges J.-F. Lachaume. Le droit administratif : permanences et convergences, Dalloz, 2007, p. 525. 130 Ph. YOLKA, La proprit publique, op. cit., p. 128.
27
slabore la dualit domaniale, la science juridique du XIXe sicle tire nanmoins de ce dogme
des consquences indites et plus radicales. La doctrine rejette lexistence de la proprit
publique et dune gestion patrimoniale sur le domaine public, alors que celles-ci paraissaient
compatibles avec le dogme dans la pense rvolutionnaire (1). La sparation entre
souverainet et proprit est aussi conforte par des thorisations de la personnalit de ltat
et de ses dmembrements qui confinent aux relations de droit priv le commerce juridique et
la proprit, les deux piliers de la gestion (2).
1.- LA DISTINCTION ENTRE LA SOUVERAINET ET LA PROPRIT AU XIXE SICLE AU FONDEMENT DE LA CONSTRUCTION DU DOMAINE PUBLIC
25. Mentionn pour la premire fois en 1790, le domaine public na pas encore de
signification prcise. Synonyme de domaine national, le domaine public comprend lensemble
des biens qui appartiennent ltat131, cest--dire, selon larticle 1er du dcret des 22 novembre
et 1er dcembre 1790, toutes les proprits foncires et [] tous les droits rels ou mixtes .
La synonymie entre le domaine public et le domaine national signifie que la proprit de la
Nation concerne les biens affects une utilit autant que ceux contribuant la fortune
publique132. Les rvolutionnaires nont pas entendu oprer une diffrenciation de la nature de
la proprit en fonction de la particularit des biens publics133. Seules quelques rgles
encadrent leur gestion en raison de la nature publique de leur propritaire 134. La vritable
dichotomie produite par le droit intermdiaire spare les biens publics, hors du commerce, et
les biens privs in commercium135. La dualit domaniale, qui concide avec une dualit de rgime,
merge surtout des crits du dbut du XIXe sicle, elle signe une sparation stricte entre la
proprit et la souverainet qui exclut une gestion sur le domaine public. Systmatise par
Proudhon (I), la dualit domaniale est rinvestie par la doctrine publiciste qui lui apporte des
ajustements (II).
131 Sur ce point, v. C. CHAMARD-HEIM, La distinction des biens publics et des biens privs. Contribution la dfinition de la notion de biens publics, op. cit., p. 119 et s. ; W.-G. VEGTING, Domaine public et res extra commercium, Paris, Sirey, 1950, p. 108 ; Ph. YOLKA, La proprit publique. Elments pour une thorie, op. cit., p. 95 et s.