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Le problème de l'intégration de la monnaie De B. Schmitt, Universités de Dijon etFribourg Introduction \Jn pourrait espérer que, forte de plus de 200 ans de recherches, la science éco- nomique serait à même de trancher, au-delà de toute objection possible - c'est-à- dire, avec le degré de certitude propre aux résultats des sciences exactes une question aussi clairement posée en des termes qui paraissent si simples : dans quelle mesure le niveau des prix absolus est-il sensible à une variation de la masse monétaire détenue par l'ensemble des sujets d'une communauté ? Pourtant, il est certain que la solution se dérobe encore, au point que deux éco- nomistes pris au hasard donneraient, selon toute probabilité, des réponses diffé- rentes, sinon divergentes. En les simplifiant beaucoup, essayons de montrer, par une critique positive, que les travaux contemporains ouvrent la voie à une solution nouvelle, véritable- ment synthétique. Puisqu'il s'agit d'étudier les effets d'une variation de la masse monétaire, il paraîtrait logique de définir d'entrée ce que l'on entend par la monnaie et par l'accroissement (positif ou négatif) de sa masse. Or, même sui' ce point particu- lier, les théoriciens sont en grave désaccord. Empruntons au professeur Jean- Pierre Daloz un petit tableau résumant quelques acceptions proposées par les auteurs. M ± : espèces + dépôts à vue M 2 : M ± -f- dépôts à terme auprès des banques commerciales (Friedman) M 5 : M 2 + dépôts d'épargne (Laidler) M 4 : M 5 -\- engagements des intermédiaires financiers (Gurley et Shaw) Quelle définition choisir? C'est là une question de fond, qui ne saurait être décidée par une simple convention préliminaire. La définition de la masse 203

Le problème de l'intégration de la monnaie

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Page 1: Le problème de l'intégration de la monnaie

Le problème de l'intégration de la monnaie

De B. Schmitt, Universités de Dijon etFribourg

Introduction

\Jn pourrait espérer que, forte de plus de 200 ans de recherches, la science éco­nomique serait à même de trancher, au-delà de toute objection possible - c'est-à-dire, avec le degré de certitude propre aux résultats des sciences exactes — une question aussi clairement posée en des termes qui paraissent si simples : dans quelle mesure le niveau des prix absolus est-il sensible à une variation de la masse monétaire détenue par l'ensemble des sujets d'une communauté ?

Pourtant, il est certain que la solution se dérobe encore, au point que deux éco­nomistes pris au hasard donneraient, selon toute probabilité, des réponses diffé­rentes, sinon divergentes.

En les simplifiant beaucoup, essayons de montrer, par une critique positive, que les travaux contemporains ouvrent la voie à une solution nouvelle, véritable­ment synthétique.

Puisqu'il s'agit d'étudier les effets d'une variation de la masse monétaire, il paraîtrait logique de définir d'entrée ce que l'on entend par la monnaie et par l'accroissement (positif ou négatif) de sa masse. Or, même sui' ce point particu­lier, les théoriciens sont en grave désaccord. Empruntons au professeur Jean-Pierre Daloz un petit tableau résumant quelques acceptions proposées par les auteurs.

M± : espèces + dépôts à vue M2: M± -f- dépôts à terme auprès des banques commerciales

(Friedman) M5 : M2 + dépôts d'épargne (Laidler) M 4 : M5 -\- engagements des intermédiaires financiers (Gurley

et Shaw)

Quelle définition choisir? C'est là une question de fond, qui ne saurait être décidée par une simple convention préliminaire. La définition de la masse 203

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monétaire M et de ses accroissements /±M résulte de la théorie des auteurs: il faut donc l'examiner en conclusion et non dès l'introduction de cet exposé.

Quelle que soit leur définition, la masse monétaire et ses accroissements doivent être rapportés aux biens et aux services de la production courante. Précisément, c'est dans ce rapport nécessaire entre monnaie et biens réels que nous voyons le problème central. A quelle force économique concrète attri­buer le rapprochement, de période en période, de la monnaie disponible et du produit national en biens et en services non monétaires? Dans la littérature anglo-saxonne contemporaine, on parle à cet égard de la nature du méca­nisme (ou encore, de la transmission) monétaire : « On the Nature of the Mone­tary Mechanism»1. Nous préférerons une expression plus forte, l'intégration monétaire2. Au chapitre 21 de sa Théorie Générale, Keynes avait déjà excel­lemment formulé la question fondamentale :

« So long as economists are concerned with what is called the Theory of Value, they have been accustomed to teach that prices are governed by the conditions of supply and demand; and, in particular, changes in marginal cost and the elasticity of short-period supply have played a prominent part. But when they pass in volume II, or more often in a separate treatise, to the Theory of Money and Prices, we hear no more of these homely but intelligible concepts and move into a world where prices are governed by the quantity of money, by its income-velocity, by the velocity of cir­culation relatively to the volume of transactions, by hoarding, by forced saving, by in­flation and deflation et hoc genus omne; and little or no attempt is made to relate these vaguer phrases to our former notions of the elasticities of supply and demand3. »

La dichotomie vient de là, que la monnaie et les biens réels sont produits séparément, l'une par le système bancaire, et les autres par l'ensemble des entreprises des deux secteurs. La théorie des prix suppose une monnaie de compte. Il faut une unité - un « numéraire » - pour mesurer la valeur de tout bien produit, de consommation et d'investissement. Mais, émise par les ban­ques, la monnaie est plus qu'une unité de compte: elle est une collection d'unités de paiement, c'est-à-dire, en langage walrasien, de bons d'achat. Si les entreprises produisant les biens réels émettaient elles-mêmes les bons d'achat correspondants, l'intégration ne ferait pas problème. En réalité, cependant, il ne semble pas douteux que l'émission des bons d'achat est le fait des banques et non des entreprises de production. La situation est donc curieusement dou­ble : d'une part, les entreprises produisent les biens réels et, d'autre part, les banques émettent les bons d'achat qui servent à écouler cette production.

1 Don Patinkin, Wicksell Lectures (Stockolm 1967). 2 Patinkin lui-même parle de l'intégration en ce sens; voir le second titre de son

ouvrage cité plus bas. 3 The General Theory of Employment, Interest, and Money (Macmillan, 1946,

204 p. 292).

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Résumons les deux dichotomies que nous venons de rencontrer.

I II 1. Les entreprises produisent les biens 1. Les biens produits par les entreprises

de consommation et d'investissement. ont une valeur « relative » détermi­née par les forces de l'offre et de la demande.

2. Les banques créent les bons d'achat 2. La valeur «absolue» des biens pro­servant à écouler les biens de consom- duits procède de la masse monétaire mation et d'investissement. créée par les banques.

Dans la colonne II, nous retrouvons bien la division artificielle dénoncée par Keynes, entre la théorie de la valeur et la théorie de la monnaie. La valeur réelle des biens — série des prix relatifs — est déterminée par la produc­tion. La valeur monétaire de ces mêmes biens - leur valeur absolue - est au contraire la conséquence de la quantité de monnaie émise par le système ban­caire. La cause de la dichotomie II se trouve dans la colonne I. Si une seule et même catégorie de sujets produisait à la fois les biens réels et les bons d'achat correspondants, l'unité entre monnaie et biens produits serait parfaite, chaque bien pouvant être considéré identiquement selon ses deux aspects, réel et nominal. Et les prix relatifs ne seraient qu'une application des prix absolus. Or, n'est-il pas évident que les entreprises produisent les biens réels et nonsles bons d'achat, tandis que les banques produisent les bons et nullement les biens auxquels ils se rapportent? Dans ces conditions, la théorie économique se trouve nécessairement scindée en deux domaines : (i) les prix relatifs résul­tent de la production et ils sont soumis à la règle de l'ajustement entre l'offre et la demande ; (ii) les prix absolus découlent de l'émission, si bien que leur déter­mination dépend de l'activité de la banque centrale et de celle des banques périphériques.

Dès ici, deux prises de position peuvent être envisagées. — On reconnaît la prornière dichotomie (I). La seconde dichotomie (II) en

résulte aussitôt. D'où la tâche essentielle du théoricien: il doit trouver un pont, un lien entre l'analyse des prix relatifs et celle des prix absolus.

— On rejette la première dichotomie. La seconde tombe aussitôt. En effet, l'unité de la théorie des prix, absolus et relatifs, est alors immédiatement assu­rée. Mais le problème s'est déplacé. Comment est-il possible que les mêmes sujets - les entreprises — produisent à la fois les biens réels et les bons qui per­mettront de les acheter? Le théoricien doit donc s'expliquer sur un nouveau terrain: malgré les apparences, soutenues par le «sens commun», les banques ne sont pas la source émettrice du pouvoir d'achat de la monnaie.

Dans cette brève étude, nous examinerons les deux principaux essais, néo­classique et keynésien, fondés sur la première prise de position. Dans une troi­sième partie, nous esquisserons la solution qui résulterait du changement de 205

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l'hypothèse de base. Ainsi, nous nous efforcerons de montrer que la banque centrale et les banques commerciales, s'il est évident qu'elles créent la mon­naie, ne suscitent pourtant aucun pouvoir d'achat positif, tous les bons don­nant droit au produit courant étant émis par les entreprises.

Il est intéressant de noter que le renouveau actuel de la théorie néo-classi­que coïncide avec la recherche d'un effet direct — par la demande globale - de l'accroissement de la quantité monétaire sur le niveau général des prix. On sait que la théorie keynésienne conclut à l'effet indirect, par les variations du taux de l'intérêt. Or, la nouvelle solution proposée revient à l'effet direct, mais par une voie que le néo-classicisme n'admettrait pas.

1. La solution néo-classique L'effet direct d 'un accroissement de la masse

monétaire sur le niveau général des prix

Les deux interprétations de la théorie quantitative

1. Depuis Irving Fisher («The Purchasing Power of Money»), la théorie quantitative se situe à deux niveaux: celui des flux et celui des stocks. Adop­tons les signes choisis par Jean Denizet, les lettres surmontées d'un accent désignant les flux par opposition aux stocks. Les deux équations suivantes n'ont pas du tout la même signification:

(1) MV = PT (2) MV = PT

La relation (1) représente l'équation des échanges. L'échange d'une masse de monnaie M s'écrit M. Cet échange ayant lieu V fois, la valeur globale des biens réels donnés en contrepartie est par définition égale à MV. Le flux réel T est mesuré en valeur par le flux monétaire M (V fois). Il est clair que l'équation des échanges est une pure tautologie 5 son pouvoir d'explication est strictement nul. Il s'agit d'un simple truisme: les flux monétaires mesurent les flux réels correspondants, exprimés en monnaie.

L'équation (2) est une proposition, une information positive, vraie ou fausse. Deux masses sont confrontées, la monnaie disponible dans les encaisses (M) les biens réels offerts à la vente (T). La théorie affirme ici que V étant donné (grandeur exogène ou stable), les deux masses se font nécessairement contre­poids, le prix absolu de la collection de biens T\V étant défini par le stock de monnaie M.

2. Les deux sens de l'équation de Fisher étant ainsi posés, nous pouvons 206 suivre une règle absolument claire. Tout auteur prenant la voie de l'équation

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des échanges s'avance dans une impasse. Les démonstrations ne sont dignes d'intérêt que sur le plan de l'équation (2), lorsque la monnaie est prise en son stock et non en son flux.

5. Dans «Money, Interest, and Prices»*, Don Patinkin fonde son argumen­tation essentiellement sur l'équation des échanges. C'est qu'il ne suffit pas, pour que l'analyse soit conduite en termes de stocks, de partir des encaisses réelles: «people increase their flow of expenditures because they feel that their stock of money is too large for their needs» (p. 165). Comme l'auteur le reconnaît, il est en effet équivalent de dire que les sujets ajustent leurs stocks afin de les maintenir dans un rapport voulu avec les dépenses, ou de dire qu'ils ajustent leurs dépenses relativement à un stock d'encaisses données (voir p. 18).

Soit une analogie élémentaire. Les encaisses réelles sont représentées par un lac. L'accroissement de la quantité de monnaie est un flux, injecté dans le lac. Deux analyses sont possibles, (i) On prolonge l'injection par un flux de sortie égal. Dans ce cas, l'accroissement de la masse monétaire se transforme immédiatement en une augmentation équivalente des dépenses d'achat, (ii) On s'arrête momentanément au stock disponible des encaisses réelles, c'est-à-dire que l'on gonfle le lac en y déversant la monnaie nouvellement créée, le niveau général des prix étant d'abord supposé constant. Puis, on remarque que le niveau du lac est désormais trop élevé au gré des sujets, qui s'efforcent de ramener les encaisses disponibles à égalité avec les encaisses désirées. D'où transformation de la monnaie additionnelle en un accroissement des dépenses d'achat, et augmentation conséquente de la moyenne des prix absolus. Il est bien évident que la deuxième méthode (ii) n'est qu'un moyen détourné de présenter la première (i). C'est en ce sens que nous acceptons le jugement de H. G.Bieri, qui parle d'un effet de «calligraphie»5.

4. On peut encore formuler l'argument du paragraphe précédent d'une manière légèrement differente. Lors de toute création de monnaie, deux ques­tions importantes se posent successivement, (i) Selon quelle loi s'opère la trans­formation de la monnaie nouvelle en revenus monétaire supplémentaires ? (ii) Dans quelle proportion ces revenus supplémentaires seront-ils dépensés dans les achats de la production courante ?

La première question est vraiment préjudicielle. Si on l'esquive, on manque le pas essentiel. Or, Patinkin l'ignore totalement. Il n'aperçoit que la deuxième question. Encore n'y apporte-t-il qu'une réponse peu satisfaisante. Il suppose que l'accroissement des dépenses se poursuivra jusqu'à ce que les prix absolus

4 « An Integration of Monetary and Value Theory » (New York, deuxième édition, 1965).

5 Voir «Der Streit um die klassische Dichotomie», Schweizerische Zeitschrift für Volkswirtschaft und Statistik (1963, vol.XCIX, pp. 180-181). 207

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soient haussés dans la proportion exacte de la masse monéta i re - «as long as

prices have not risen in t h e same proportion as t h e quant i ty of m o n e y » 6 .

Cette conclusion éclaire l 'ensemble de l 'appareil théor ique dont elle procède.

E n dernière analyse, /\M est assimilé à /\M, condition nécessaire et suffi­

sante (V é tant donné) pour que

AP _AM

P ~ M

La théorie rénovée de Don Patinkin

(«Wicksell Lectures», 1967)

5. Dans Money, Interest, and Prices, l ' au teur , malgré lu i , ne s 'était guè re

écarté de l 'équation des échanges. E t il est tautologique d'affirmer que

l 'accroissement des dépenses d 'achat ~ serait-ce par l'effet des encaisses rée l ­

les—se t radui t en l 'accroissement égal du pr ix monéta i re total des biens achetés.

6. I l existe u n cri tère e x t r ê m e m e n t simple et précis p e r m e t t a n t de r ange r

les analyses dans l ' une ou l ' au t re des deux catégories de là théor ie quant i ta t ive

définies au § 1. Si l 'accroissement de la quant i té monéta i re doit donner l ieu à

u n accroissement égal des dépenses d'achat, sans que l 'on ait pris soin d'expli­

quer la t ransformation de la monna ie en revenus , on assimile / \ M à / \ M et,

qu 'on le veuille ou non, on d e m e u r e au n iveau du t ru i sme de l 'équat ion des

échanges. E n revanche, si l 'accroissement de la masse de monna ie est consi­

déré comme u n e addition aux avoirs pa t r imoniaux, aux capitaux possédés pa r

les sujets, de telle sorte que l ' augmenta t ion des dépenses qui en résul te n e soit

égale qu'au revenu de ce capital supplémentaire, on échappe au truisme pour accéder au plan de la théor ie quant i ta t ive p roprement dite.

7. Ce progrès est inscrit dans les «Wicksell Lec tu res» . L ' a u t e u r ne re je t te

pas le principe des encaisses ou des richesses réelles. Il le confirme :

«At first sight there seems to be something artificial in talking about the wealth effect of a monetary expansion. Nevertheless, the representative individual who finds himself with a larger stock of money — all other things, including prices, being equal - surely does consider his wealth to have increased. True, when he — and all the other individuals in the economy — attempt to spend this increased wealth (and for the moment you will forgive me if I speak somewhat loosely in these terms), they will drive prices up. Indeed, under certain assumptions as to price flexibility and absence of money illusion, prices will continue moving upward until the real value of the money balances is the same as it originally was. Correspondingly, in the new equili­brium position that will thus be achieved, real wealth is unaffected by the monetary change. But in the dynamic process of reaching this new equilibrium position, a vital role is played by the very fact that — as long as prices have not risen in the same pro-

208 6 On the Nature of ..., op.cit., p .23.

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portion as the quantity of money - the individual considers his wealth to have increa­sed, and increases his demand for goods accordingly. It is indeed this very increase in demand which is the motive force of the upward price movement itself» (p. 23).

Puis, Don Patinkin s'interroge. Quelle est la puissance de l'effet des encais­ses réelles? La réponse immédiate devrait être que cette puissance est telle que les prix sont multipliés par le coefficient m ê m e de la multiplication des signes monétaires. Cependant, à s'en tenir là, on ne peut éviter - d'après le critère dégagé au § 6 — de donner prise à la critique: l'analyse se réduit à une tautologie. Afin de la rendre significative, il est nécessaire de transformer la richesse ajoutée par la monnaie fraîchement émise en un flux de revenus, égal à la dixième partie, par année, de cette nouvelle tranche de capital, si l'intérêt qui en est attendu est calculé au taux de 10%. La puissance de l'effet se trouve ainsi divisée par 10, à condition encore que la propension à dépenser les accroissements de revenus soit égale à l'unité. C'est au prix de cette sévère atténuation que l'analyse devient positive.

«What, then, is the strength of this wealth effect? Consider first the effect on cur­rent consumption. If we assume that the rate of interest which the individual uses to compute the permanent income flowing from his wealth is 10 per cent, and if we further assume that the marginal propensity to consume out of permanent income is 0.80, then the marginal propensity to consume out of wealth is the product of these two figures, or 0.08. And various empirical studies have indeed yielded estimates in this neighborhood. »

« In order to see what this means in more concrete terms, let us consider the U. S. economy in the full-employment year 1957, with (roughly) a GNP of J 440 billions, a level of consumption of nondurables and services of $240 billions, and a volume of outside money (broadly defined) of $100 billions. If the quantity of outside money had then been increased by 10 per cent, the wealth of individuals would in the first instance have increased by $10 billions, and the consumption of nondurables and ser­vices by $0.8 billion ( = 0.08 X $10 billions). That is, an increase of 10 per cent in outside money would have caused a direct increase of roughly 0.33 of one per cent ( = $0.8 — $240.0) in the demand for current consumption goods. Thus it does not seem likely that the wealth effect in this form plays a major role in explaining the dynamics of an inflationary price movement. Correspondingly, if this were the only form of the wealth effect, then it would indeed be true that the major burden of the dynamic adjustment process would be thrown on the interest rate, which — as a result of the increase in the total money supply — would temporarily decline» (pp.23-24).

Pour tenter de sauver l'effet direct de AM sur le niveau des prix, Don Patinkin avance une curieuse interprétation de son «effet». La variation induite des dépenses courantes de consommation ne représente, il est vrai, qu'une puissance beaucoup trop faible pour expliquer le mouvement inflation­niste des prix. Le professeur de Jerusalem confesse ainsi ses « péchés anté­rieurs». H avait à tort mis l'accent sur l'ajustement des encaisses disponibles aux encaisses désirées par le déversement du trop-plein en un flot de dépenses 209

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courantes. «But this need not be the most important form of the wealth effect in this context - though, if ,my sins I recount today', I must admit that it is the major one to which I myself have given attention in the past. For the direct wealth effect of a monetary increase can manifest itself not only in the demand for current consumption goods, but also in the demand for the goods which make up the individual's porfolio of assets» (p.24).

La critique fondamentale de la théorie quantitative rénovée

8. Le portefeuille des sujets est composé de monnaie et d'obligations. Mais, à cette enumeration trop restrictivement keynésienne, il convient d'ajouter, selon Patinkin et Friedman1, de nombreuses autres valeurs patrimoniales, tel­les que les propriétés foncières et les biens de consommation durables.

9. En bref, le raisonnement est dès lors le suivant. Dans un premier temps et en conséquence d'une création monétaire, les portefeuilles des particuliers se chargent d'une quantité de monnaie supplémentaire. On pourrait songer à répartir ce patrimoine nouveau entre tous les portefeuilles, des entreprises et des ménages. Mais il est plus simple de limiter l'analyse aux ménages, les entreprises ayant des comportements moins saisissables8. L'accroissement de la monnaie détenue dans les patrimoines modifie leur composition or­ganique. Or, loin d'être arbitraire, cette composition est déterminée par les préférences des sujets. Ceux-ci ne manqueront donc pas d'accroître dans la même proportion toutes les autres valeurs patrimoniales de leur portefeuille. « From the assumption of fixed portfolio composition, it follows that in such a case [expansion of outside money] there takes place a proportionate increase in the demand for the stock of each of the assets which make up the portfo­lio» {Patinkin, op.cit., p.26). Friedman décrit un «mécanisme monétaire» plus complexe, où tout est possible et où rien n'est précis95 on apprend ainsi qu'il convient d'inclure les vêtements et le capital humain dans les «porte­feuilles»: «consumer inventories of clothing and the like and, maybe also, such human capital as skills acquired through training, and the like». Le résultat final varie également suivant les deux auteurs. Pour Patinkin, l'aug­mentation des prix consécutive à / \ M doit se déclarer surtout dans le secteur des biens de consommation durables. Mais Friedman admet — sans soumettre cette propagation à une loi quelconque - que tous les biens économiques finis­sent par être touchés.

7 L'analyse de Friedman est très proche de celle de Patinkin, nouvelle manière. Aussi la critique sera-t-elle adressée aux deux auteurs.

8 Voir Patinkin, op. cit., p.27. 9 Voir par exemple Money and Business Cycles (Milton Friedman and Anna

210 J.Schwartz, University of Chicago and National Bureau of Economic Research).

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10. A présent, tournons-nous vers la critique proprement'dite. 1 ° Le mouvement initial de la création monétaire par une opération

d'«open market» contredit l'hypothèse retenue par les auteurs. Sauf au prix d'une incohérence, on ne peut pas admettre la fixité de la composition des portefeuilles et la modification de cette composition par l'effet de la cré-action monétaire. Seule la voie d'un accroissement direct de la demande courante est conciliable avec l'optique des valeurs détenues en portefeuille : on peut, comme le fait Patinkin (p.21), parler de la «planche à billets» qui permet à l'Etat de dépenser des revenus que personne n'a gagnés. Mais, encore une fois, il est illogique de se donner au départ une nouvelle valeur patrimoniale sous forme de monnaie, alors que les autres valeurs, dont les propriétés et les biens de consommation durables, demeurent, ne serait-ce que temporaire­ment, à leur niveau antérieur.

2° Pour vaincre cette première difficulté formelle, il suffirait cependant d'ajouter que les banques offrent un bon prix pour les valeurs qu'elles achè­tent en contrepartie de la monnaie nouvellement créée. « Although the initial sellers of the securities purchased by the central bank were willing sellers, this does not mean that they want to hold the proceeds indefinitely. The bank offered them a good price, so they sold; they added to their money balances as a temporary step in rearranging their portfolios. »

Ici, il est évident que Friedman n'évite une objection qu'en s'exposant à une objection encore plus forte. Si le mouvement initial de la création moné­taire par une opération d'«open market» était compatible avec la théorie quantitative, l'analyse devrait supposer que l'accroissement de la masse moné­taire peut s'accompagner d'une variation du prix relatif des biens composant le portefeuille. Dans ces conditions, il ne serait plus légitime d'admettre que AM se traduit en une augmentation proportionnelle de la demande et des prix monétaires de toutes les valeurs patrimoniales. Plus généralement, l'aug­mentation des prix absolus pourrait suivre n'importe quelle «loi ».

3° La critique qui nous paraît décisive est d'un autre ordre. Un raisonne­ment très rapide démontre que la valeur dite patrimoniale, AM, est en réa­lité une valeur-revenu: le stock n'est qu'un écran devant un flux.

— Soit AM. Cette valeur syajoute-t-elle aux biens patrimoniaux? Les prix monétaires demeurant d'abord à leur niveau antérieur, il semble que la réponse doive être positive. Cependant, Patinkin dit expressément que AM se ventile en un accroissement de toutes les valeurs patrimoniales, dans une proportion partout égale, de telle sorte que la composition organique des portefeuilles soit tenue fixe. Or, il est impossible que les sujets conservent AM sous forme de monnaie, s'ils se servent de cette même valeur pour accroître leurs achats en biens patrimoniaux de toutes sortes.

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— Reproduisons la démonstration rigoureuse suivie par Patinkin lui-même (pp. 26-27). Soit An la 72e valeur patrimoniale. Etant donné l'hypothèse de comportement, selon laquelle tout sujet désire maintenir ses avoirs dans une proportion fixe entre eux, d'après le taux de leur rendement attendu, on peut écrire

où W est la richesse patrimoniale totale et kn une constante déterminée par le taux de rendement de la ne valeur.

A présent, donnons-nous un accroissement de la richesse totale, qui passe de IV k W -\- AW> P a r 1'©ffet de l'augmentation de la quantité de monnaie externe («an expansion of outside money»). L'accroissement AWn.% modifie pas le coefficient kn, car la proportion des valeurs détenues sous une forme quelconque dépend de leur rentabilité propre et non de l'importance du capi­tal total. « From the assumption of fixed portfolio composition, it follows that in such a case there takes place a proportionate increase in the demand for the stock of each of the assets which make up the portfolio. »

D'où:

A^n = KAtr En faisant l'addition de tous les coefficients k, on trouve nécessairement le

nombre 1, l'accroissement A ^ étant finalement absorbé par la somme des accroissements AA.

A partir de là, on revient à la conclusion que nous venons d'énoncer. L'accrois­sement de la monnaie (externe) est totalement dépensé dans les achats des valeurs patrimoniales non monétaires.

— En résumé, l'argumentation de Patinkin débouche sur les flux mêmes qu'elle prétendait éviter, (i) L'accroissement initial, A w ou /\W, ne produit qu'un flux de dépenses bien inférieur, (ii) Dans sa totalité, l'accroissement AM doit donc être considéré comme un stock et non comme un flux, (iii) Cependant, le stock AW est entièrement dépensé — l'auteur écrit même qu'il l'est immédiatement (p.26) - en achat de biens patrimoniaux de toutes sortes, (iv) Si A W est entièrement transformé en dépenses, A W est un flux et non un stock, (v) Il en résulte que Patinkin introduit une discrimination dont le fondement logique est inexistant. Pourquoi A W serait-il dépensé seulement en achats de biens patrimoniaux? Puisque la masse monétaire additionnelle est entièrement déversée dans un nouveau flux d'achats, la distinction entre stocks et flux perd sa raison d'être et le flux supplémentaire se dirige aussi bien vers l'achat des produits de consommation non durables que vers l'acqui­sition de terres, de maisons et de frigidaires, (vi) Finalement, toute l'analyse

212 se résout de AM en AM. L'intégration est manquée. Parce qu'elle reste pri-

Page 11: Le problème de l'intégration de la monnaie

sonnière de la première interprétation de l'équation quantitative, la théorie est tautologique.

11. Il reste une seule possibilité: concilier les deux aspects apparemment contradictoires de AM. On peut en effet envisager AM comme une valeur faisant partie du patrimoine des sujets, bien que le même accroissement soit dans la même période entièrement dépensé en achats de biens produits. Il suf­fit de supposer que les premiers bénéficiaires de la monnaie nouvellement injectée la prêtent sur le marché financier. Bien qu'elle soit déposée auprès des intermédiaires financiers, la monnaie est comptée dans l'avoir patrimonial des prêteurs. D'autre part, elle est dépensée par les emprunteurs finals.

Mais l'influence de l'accroissement AM sur le niveau général des prix s'exerce alors indirectement, par le jeu d'une variation du taux de l'intérêt.

2. La solution keynésienne:

L'effet indirect d 'un accroissement de

la masse monétaire sur le niveau général des prix

Le problème d'où est née la solution keynésienne

La Théorie Générale comporte un seul graphique (p. 180, éd. anglaise).

1. Les courbes X et Y sont parfaitement classiques $ elles représentent des fonctions d'offre et de demande. Les fonds demandés aux fins de l'investisse­ment net décroissent à mesure qu'augmente le taux de l'intérêt (courbes X). 215

Page 12: Le problème de l'intégration de la monnaie

Les fonds offerts par les épargnants sont au contraire croissants avec le taux de l'intérêt (courbes Y).

2. Keynes se donne d'abord les deux courbes Y± et Xu supposées compati­bles entre elles pour un taux de l'intérêt égal à r±. On remarque bien que l'auteur évite de déterminer r± à l'intersection des deux courbes. Nous en examinerons la raison un peu plus loin.

5. A présent, la courbe de l'investissement se déplace de XXX[ >en X2X'2. Il est essentiel de noter que ce déplacement n'est pas dû à une soudaine variation du revenu national. Si le revenu varie, sa variation sera Veffet du déplacement de la courbe. Il serait gravement illogique d'inverser la causalité, pour faire de la variation du revenu national la cause du déplacement de la courbe. La véri­table cause est exogène: il y a mutation technologique ou psychologique, qui modifie le comportement des entreprises: dans la représentation choisie par Keynes, elles investissent systématiquement moins pour un taux de l'intérêt donné, la courbe s'étant rapprochée de l'origine des axes.

4. La critique keynésienne formulée à l'encontre de la théorie classique10

surgit ici. La courbe de l'investissement s'étant déplacée en X2X'2, les Classi­ques considéraient le nouveau point d'intersection avec l'ancienne courbe de l'épargne, Yi9 comme donnant la valeur du taux de l'intérêt recherchée. Cependant, selon Keynes, le nouveau point d'intersection n'a aucune significa­tion. C'est que la courbe Y± correspond à un revenu donné. Or, puisque la courbe X se déplace, il est inconséquent de supposer que, de son côté, le revenu national demeure fixe à son niveau Yv «Now, if the investment de­mand-schedule shifts from X±X[ to X2X'2y income will, in general, shift also » (p. 181). Ainsi, la courbe Y peut venir en Y29 YS9 etc. Et le point d'intersection entre les courbes X et F ne sera pas le même selon le cas réalisé.

La grave déviation théorique de l'analyse Hicks-Hansen

5. Ne nous interrogeons pas encore sur le bien-fondé de la critique keyné­sienne. Commençons par dénoncer une analyse dont on connaît la fortune, mais qui est née d'un malentendu que Richard Kahn combat depuis long­temps dans son cours de Cambridge.

6. La démonstration par les courbes IS et LM ne nous intéresse pas en elle-même, car notre objet présent est la théorie keynésienne: nous devons donc nous borner à prouver que l'analyse Hicks-Hansen s'écarte tellement de la Théorie Générale qu'elle la dénature.

7. Les courbes IS et LM sont construites d'après deux familles de courbes, tout niveau du revenu national définissant une courbe d'épargne et une

10 Nous dirions néo-classique. Keynes inclut, selon son acception personnelle (p. 3), 214 Marshall, Edgeworth et Pigou parmi les économistes classiques comme Ricardo.

Page 13: Le problème de l'intégration de la monnaie

courbe d'investissement. On aboutit ainsi à une explication d'après laquelle le revenu national et le taux de l'intérêt seraient déterminés simultanément. Keynes aperçoit une tout autre interdépendance: (i) le montant du revenu national a une influence sur la détermination de la position des deux courbes de l'épargne et de l'investissement représentés en fonction du taux de l'intérêt 5 (ii) la position des courbes exerce une influence réciproque sur le revenu national. La détermination simultanée, en théorie keynésienne, n'est donc pas celle du revenu national et de l'intérêt, mais celle de la position des deux courbes et de la valeur du revenu National.

8. Soit le problème de déterminer le taux de l'intérêt qui sera réalisé dans une période quelconque, ainsi au jour J0.

Analyse Hicks-Hansen

1. La valeur du revenu national n'est pas connue. Il faut la déterminer en même temps que le taux de l'intérêt recherché.

2. Il est nécessaire de trouver deux relations distinctes entre le revenu national et le taux de l'intérêt. L'une de ces relations est constituée par l'éga­lité de / et de S en fonction du revenu et du taux de l'intérêt. La seconde relation requise se trouve dans une deuxième égalité, fonction des mêmes variables R et r, l'égalité entre M et L. Au point d'intersection des courbes représentatives, le taux de l'intérêt et le revenu sont déterminés ensemble.

Analyse keynésienne

1. La valeur du revenu national est unique à l'intérieur de la période consi­dérée. Elle est déterminée par la demande effective au jour / 0 . Le revenu est donc arrêté dans une opération logiquement antécédente à la détermination de l'intérêt.

2. Essayons d'appliquer la solution des économistes classiques. Nous cons­truisons les courbes de l'épargne et de l'investissement en fonction du taux de l'intérêt. Il est vrai que ces courbes (si l'épargne et l'investissement entrent dans la demande effective) réagissent sur le niveau du revenu natio­nal. Mais cette interdépendance n'est pas critique. Pour en neutraliser les effets, il suffit de fixer simultanément la position des courbes et le niveau du revenu national. Les courbes étant tracées, leur point d'intersection fournit le taux de l'intérêt recherché.

5. Cependant, ce taux est déjà connu, implicitement: c'est là le point où l'analyse classique est en défaut, car elle dérive l'intérêt des courbes, alors qu'il est logiquement fixé dans une opération préalable. Car R est une fonc­tion de l'investissement, qui est une fonction de l'intérêt.

4. L'absurdité de la position classique est dénoncée par Keynes au moyen du déplacement de l'une des deux courbes. Mais ce déplacement n'est pas néces- 215

Page 14: Le problème de l'intégration de la monnaie

saire pour faire naître V indétermination. Il n'est utile qu'à la faire apparaître, didactiquement. Si l'une des deux courbes se déplace, le revenu change de niveau, ce qui entraîne une redéfinition de la position de l'autre courbe. L'indétermination est ainsi mise en lumière. Mais sa seule cause est dans T enchaînement

R = R{I) et / = I(r).

5. Prenons le problème à revers. Le taux de l'intérêt est fixé à r0 dans la période JQ. Cet intérêt correspond au point d'intersection (E) entre les courbes de l'épargne et de l'investissement désirés en fonction des taux, car il n'est pas possible que ces courbes ne se rencontrent pas à la verticale de r 0 . On constate ainsi que l'analyse keynésienne part de r0 pour remonter au point d'intersec­tion E et qu'elle ne dérive pas inversement, comme l'analyse classique, r0

de E. Cela fournit l'explication que nous avions réservée plus haut, au

L'intérêt r0 est compatible avec le point d'intersection des courbes, bien que E ne détermine pas r0.

9. La «théorie» de l'intérêt a donc pour tâche primordiale d'expliquer la détermination de cette grandeur, variable indépendante, par des facteurs exo­gènes, autrement dit avant le revenu, l'épargne et l'investissement.

Cette tâche est remplie par la relation M = L(r) l'égalisation de l'offre (M) et de la demande de monnaie (Z,), en fonction des taux de l'intérêt (r). La relation plus complexe M = L(R,r) contredit la théorie keynésienne. «..., we have M = L(r). This is where, and how, the quantity of money enters into the economic scheme» (p. 168).

10. La relation M = L(r) est opposée à la théorie classique, tandis que la relation M = L{R,r) ne l'est pas. Il est certain que Pigou et Robertson auraient admis que les positions des courbes (...représentatives de l'épargne et de l'investissement désirés en fonction des taux de l'intérêt) dépendent du niveau du revenu national. Mais dans une période donnée, le revenu réalisé revêt une seule valeur. Face à ce revenu, l'épargne et l'investissement s'égali­sent pour un certain taux de l'intérêt, qui se trouve ainsi fixé selon une déter­mination simultanément classique et néo-classique. Keynes rompt avec cette tradition, car, même dans le cas d'un revenu unique — le revenu national réalisé dans la préiode J0 - l'intérêt n'est pas déterminé à l'intersection des deux courbes, mais dans une opération antécédente (M = L(r(), à laquelle cette intersection doit se conformer.

11. Cependant, il est certain qu'en 1970, un tiers de siècle après la publica­tion de la Théorie Générale, la solution proposée par Keynes ne peut plus être

216 tenue pour satisfaisante. Critiquons-la très brièvement.

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Critique de la solution keynésienne

12. L'ajustement supposé de L à M met en jeu quatre grandeurs et non deux seulement, comme il le semblerait. Les sujets définissent leurs liquidités désirées face à la masse monétaire disponible. D'où les quatre catégories sui­vantes :

M ^ p : Masse de monnaie disponible Mdés : Masse de monnaie désirée Aiisp.: Liquidités disponibles Z/dés : Liquidités désirées

15. La liquidité est une fraction du revenu national, égale à l'épargne non placée (non investie) $ elle est formée sur les revenus que le sujet perçoit dans la période courante ou sur ceux qu'il a perçus dans les périodes antérieures, «out of his current income or from previous savings» (p. 166). Il en résulte que M et L ne sont pas des grandeurs homogènes, car M n'est pas un revenu mais une masse monétaire. La relation de Keynes doit donc être modifiée pour s'écrire:

(1) Mdisp. = Mdés. (r) ou

" (2) L ^ = Z,dé8. (r)

14. La relation (1) signifie que les sujets doivent adapter leurs encaisses désirées aux encaisses disponibles, imposées par les banques.

L'hypothèse du caractère exogène de MàÌB est déjà très fragile. Mais admettons-la. Ainsi, l'offre globale de monnaie est rigide. Ne peut-on supposer que la demande globale de monnaie est une fonction du taux de l'intérêt? Deux inégalités peuvent être imaginées :

(3) Mdés. < M ^ . et

W ^ d é s . > ^disp .

L'inégalité (3) est impossible: toute monnaie en circulation ou à l'arrêt est désirée par quelque sujet. L'inégalité (4) est-elle logiquement possible? Cer­tainement. Or, si la masse monétaire est insuffisante et complètement inélas­tique, il faut que la vitesse circulatoire de la monnaie augmente ou que baisse le niveau général des prix. Dans les deux cas, le taux de l'intérêt est inchangé, puisque le déséquilibre est absorbé par /^ou par P. La sensibilité du taux de l'intérêt ne pourrait être que la conclusion d'un argument fondé sur l'épargne (L). Dès que l'on saisit la monnaie dans sa masse globale, indiffé­renciée, on l'implique en sa fonction véhiculaire, ce qui met en jeu la vitesse 217

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circulatoire de M et le niveau des prix absolus, mais nullement le taux de l'intérêt qui concerne les épargnes monétaires et réelles.

15. La relation (2) signifie que les sujets doivent adapter le montant de leur demande d'épargne aux épargnes disponibles. Cette fois, les inégalités sont toutes deux sensées :

(5) Z,dé8. < LMg?m

(6) Aies. > ^disp.

L'inégalité (5) est levée par la baisse du taux de l'intérêt, baisse qui stimule le premier terme et qui réduit le second. Inversement, l'inégalité (6) entraîne la hausse du taux.

Cette fois, l'analyse est exacte. Mais elle est rigoureusement classique. Le taux d'intérêt d'équilibre se forme à l'intersection d'une courbe X et d'une courbe Y. Puisque la logique nous a ramenés sur nos pas, c'est que l'hypo­thèse de la chaîne des fonctions, R = R(I) et i* = I(r), est inexacte. Un nou­vel examen établirait que le revenu national n'est pas une fonction de l'inves­tissement réalisé. Nous avons apporté cette preuve ailleurs. Dans la troisième partie, nous ne pourrons qu'esquisser la conséquence qui s'ensuit quant à l'objet de cet exposé. On retrouve un effet direct.

5. Une nouvelle preuve d 'un effet direct

L7hypothèse de départ: Sa modification radicale

1. Toutes les difficultés rencontrées ont même origine: la dichotomie (1) définie plus haut. Rappelons-la.

(i) Les banques créent les bons d'achat à faire valoir sur la production cou­rante.

(ii) Les entreprises produisent les biens et les services qui forment l'objet de ces bons.

D'où le problème que l'on peut énoncer ainsi: existe-t-il une loi précise aussurant la correspondance bi-univoque («one-to-one relationship») entre les bons et les produits ? Sinon, les banques risquent de créer plus ou moins de bons d'achat qu'il n'est nécessaire; et, identiquement, les entreprises s'expo­sent à produire des biens au-delà ou en deçà des bons d'achat disponibles. En un mot, l'équilibre ne sera que le fait du hasard 5 le plus souvent, on trouvera une situation caractérisée par des «biens sans bons» ou des «bons sans biens».

2. Aussi longtemps que les deux centres de décision, banques et entreprises, 218 conserveront le moindre degré de liberté l 'un par rapport à l'autre, la corres-

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pondance nécessaire ne pourra être établie entre les bons et les biens. L'inté­gration doit donc rester sans solution.

3. Comme il arrive fréquemment, le problème est insoluble parce qu'il est mal posé. Il suffit de changer l'hypothèse de base pour que l'obstacle dirimant soit levé. Pourquoi les biens et les bons d'achat seraient ils produits par deux catégories distinctes de sujets? Le théoricien se fonde-t-il sur des vérifications expérimentales? A notre connaissance, aucune recherche ne s'est jamais pro­posé d'établir par l'observation des faits que les banques créent directement les bons d'achat constituant le revenu des sujets. La supposition qu'il en est bien ainsi est donc purement d'origine intellectuelle. Et l'on voit parfaite­ment sa force. Le «bon sens» ne distingue pas entre monnaie et valeur monétaire. Il en résulte, selon l'assimilation en quelque sorte silencieuse que l'on opère entre la monnaie, dette bancaire, et la monnaie, créance réelle, que les banques augmentent les capitaux ou les revenus (nominaux) des sujets, dès qu'elles émettent de la monnaie additionnelle. Mais, encore une fois, l'identité

dettes bancaires = bons d'achat, est un postulat implicite, c'est-à-dire l'une des ces « vérités premières » qui

deviennent fragiles dès qu'elles entrent dans le champ de la réflexion. Partons donc de l'hypothèse inverse, qui a immédiatement deux grandes

supériorités sur l 'autre: elle attaque l'intégration, apparemment insoluble, par une nouvelle méthode, et elle transforme un postulat en une supposition verifiable. Les entreprises produisent à la fois les biens réels et les bons qui ser­viront à les écouler.

Les banques créent la monnaie,• seules les entreprises produisent le pouvoir d'achat monétaire

4. Nous ne pouvons pas prétendre apporter la démonstration complète, dans le cadre de ce modeste exposé11. Traitons toute la question en quelques propo­sitions très simples.

5. Aujourd'hui, la monnaie n'est plus qu'une collection de dettes bancaires, autrement dit de créances détenues par l'économie productive sur les ban­ques. Les deux formes de la monnaie moderne sont les billets («high-powe­red» money, Friedman^ «outside money», Gurley, Shaw) et les dépôts des banques commerciales. Fondamentalement, la forme des deux monnaies est unique; elles sont l'une et l'autre représentatives d'un engagement bancaire, qui sera repris à l'échéance.

11 Signalons trois études antérieures: La Formation du Pouvoir d'Achat {Sirey, 1960), Monnaie, Salaires et Profits (Presses Universitaires de France, 1966) et L'ana­lyse macroéconomique des revenus {Sirey, 1970, sous presse). 219

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6. Telles qu'elles résultent de l'émission, les dettes bancaires n'offrent aucun pouvoir d'achat net sur les biens économiques. La raison en est claire. Les banques apportent et reprennent le même pouvoir d'achat à l'intérieur de la période de production (courte). Toute dépense de pouvoir d'achat faite au moyen de la création monétaire doit donc être relayée par le revenu. En défi­nitive, c'est le revenu seul qui permet d'acheter les biens et les services de la production courante.

7. La transformation de la monnaie en pouvoir d'achat est l'effet de la rémunération des facteurs de production. Les facteurs ne doivent la monnaie perçue qu'à leur travail. Ainsi, les entreprises conservent la dette (l'obligation de rembourser les prêts bancaires), alors que les titulaires de revenus ont des créances nettes. On démontre que cette dissociation des deux aspects - la dette et la créance étant nettes chacune de son côté — opère transformation de la monnaie bancaire en pouvoir d'achat sui- la production courante. Et on prouve aussi que cette transformation se produit dans tous les cas, même lorsque le «fonds des salaires» est propre aux entreprises.

Ueffet possible de la création monétaire sur le niveau général des prix est direct

8. Définition de M. On peut la donner à présent. La monnaie est tout endettement ayant sa

source première en banque. Si la dette vient de plus haut, la fonction bancaire est d'intermédiation et non de créaction. Les dépôts d'épargne sont constitués par le public et ils sont simplement transmis et non créés par les banques. C'est donc la solution restrictive Mx qui doit être retenue.

Toutefois, il est important d'ajouter que AMX est net, même si une somme égale est reprise simultanément. Les deux monnaies ne sont pas com­parables: la monnaie injectée est «fraîche» et elle est prête à recevoir la valeur nouvellement produite; la monnaie refluée est «usée», car elle s'est déchargée de la valeur produite antérieurement.

9. L'effet de AMX sur le niveau des prix. (i) L'effet indirect est très difficile à prouver. Il est possible que la théorie de

Knut Wicksell air encore aujourd'hui un fond de vérité. La variation du taux monétaire relativement au taux réel de l'intérêt pourrait donc avoir une influence sur le niveau général des prix.

Mais le problème qui nous occupe est différent dans sa position même. On ne manipule pas le taux monétaire face au taux réel invariant. Par définition, on se donne un accroissement de la monnaie. Or, rien ne prouve que la créa­tion monétaire ait un effet sur le taux; c'est plutôt le taux de l'argent sur le marché à court terme qui contribue à déterminer le montant des créations

220 monétaires.

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(ii) L'effet direct est, en règle générale, nul. Créant de la monnaie, les ban­ques n'augmentent pas les revenus nominaux. Il n'y a donc pas lieu de s'inter­roger plus avant, afin de savoir si les nouveaux revenus nominaux correspon­dent à de nouveaux revenus réels. Les revenus monétaires se forment dans une opération subséquente à l'émission des dettes bancaires. Il faut admettre, par conséquent, qu'en elles-mêmes les émissions n'exercent aucune pression sur le niveau général des prix.

(iii) Il est impossible d'avancer ici une théorie de l'inflation. Mais la distinc­tion entre la monnaie bancaire et son pouvoir d'achat conduira peut-être à une explication plus profonde du phénomène.

L'effet direct de la création monétaire sur le niveau des prix se produit cha­que fois qu'une pure dette bancaire est assimilée à un bon d'achat et, qu'à ce titre, elle se trouve, en concours avec les revenus régulièrement gagnés, lan­cée dans les dépenses d'achat de la production courante. Les entreprises pro­duisent tous les bons correspondant aux biens réels, de consommation et d'in­vestissement, qui apparaissent dans la prériode. Si, par une voie oblique (défi­cit budgétaire, excédent de la balance des paiements), les banques créent de la monnaie qui ne sera pas refluée à l'intérieur de la période de production, mais dans un temps plus éloigné, peut-être même indéterminé, les bons d'achat sont désormais plus nombreux que les biens offerts en regard. Les prix absolus sont haussés: le même produit est au pouvoir d'un nombre plus élevé de bons d'achat.

L'écart inflationniste peut être combattu de deux façons a) A la source, il ne peut être empêché que par une politique monétaire.

Deux conditions sont préalables. — Une meilleure connaissance, analytique et statistique, du phénomène monétaire, dans le cadre de l'hypothèse nouvelle, la production des bons d'achat étant le fait des entreprises et non des banques. - La création d'une vraie monnaie internationale 5 selon nous, l'inflation mondiale du XXe sièclo a sa principale racine dans le « Dollar exchange stan­dard».

b) Lorsqu'il est trop tard pour empêcher l'écart inflationniste de se former, on peut le neutraliser par une politique fiscale. Mais il faut que les fonds drai­nés soient définitivement détruits, c'est-à-dire éteints comme les dettes ban­caires, lorsqu'elles sont reprises à l'échéance du terme. L'équilibre se réalisera ainsi dans l'égalité de deux déséquilibres : si la monnaie usurpe la fonction des bons, il faut que des bons véritables soient déchus au rang d'une simple mon­naie.

Le problème de Vintégration de la monnaie

Le problème de l'intégration de la monnaie coïncide avec celui de la détermination des prix absolus. Les économistes néo-classiques ont, depuis un siècle, cherché à le 221

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résoudre par l'étude préalable des prix relatifs. Dans un premier mouvement, on explique les rapports d'échange entre biens réels; dans le second mouvement, on s'efforce de passer du troc aux échanges monétaires. Cette méthode est inopérante; elle aboutit à une impasse. Keynes avait proposé une autre voie, que cet article pour­suit. Les prix monétaires ne sont pas des cas particuliers des prix réels. Il faut étudier directement les prix absolus.

La détermination des prix absolus ou monétaires n'est autre que celle du pouvoir d'achat de la monnaie sur la production nationale. La théorie dominante attribue ce pouvoir acquisitif à la quantité de monnaie opposée à la masse des produits disponi­bles. On parle ainsi de théorie quantitative de la monnaie. Le signe distinctif de cette théorie est qu'elle confond totalement les deux qualités, de monnaie et de pouvoir d'achat. Cependant, la définition de la monnaie s'est précisée depuis les travaux d'Ir-ving Fisher, et les théoriciens s'entendent aujourd'hui à reconnaître qu'elle n'est qu'une dette bancaire. D'où l'idée principale de cet art cle.

Les banques s'endettent et, ce faisant, elles créent de la monnaie. Mais les «signes» ainsi émis ne sont que des dettes « personnelles », c'est-à-dire, par définition, les engagements du système bancaire face aux clients. Une autre opération est nécessaire pour transformer ces dettes personnelles en créances réelles. Ainsi, si les banques peu­vent librement ajouter à la masse monétaire disponible, elles n'ont pas la faculté d'augmenter le pouvoir d'achat dont la société dispose pour écouler les biens produits. Les entreprises de production — distinctes des banques — sont la seule source du pou­voir d'achat monétaire : elles créent à la fois les biens réels et le revenu monétaire (la monnaie intégrée) correspondant. Le pouvoir d'achat de la monnaie ne peut donc être utilisé plusieurs fois. Il disparaît définitivement dans les achats finals.