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Le Professeur Pierre Mollaret (1898-1987)* par Jean THÉODORIDÈS ** Avec le décès du Professeur Pierre Mollaret survenu le 3 décembre 1987, notre Société a perdu un de ses membres les plus éminents et les plus assidus. P. Mollaret, né le 10 juillet 1898 à Auxerre (Yonne), commença en 1916 ses études de médecine, interrompues par la guerre de 1914-18 jusqu'en 1920. Nommé interne des hôpitaux en 1925, il fut médecin des hôpitaux en 1935 et agrégé de médecine en 1936. Pendant plus de vingt ans, il fut l'assistant de Georges Guillain à la Salpêtrière, hôpital dont il connaissait les moindres recoins, comme nous le verrons plus loin. Pendant des années, il y dirigea le Centre de malariathérapie. Parallèlement à son activité de clinicien, P. Mollaret fit à la Sorbonne une licence ès sciences et soutint une thèse de doctorat ès sciences sur la physiologie nerveuse, entreprise sous la direction de L. Lapicque. Il travailla également à l'Institut Pasteur de Paris dans les services des professeurs A. Pettit et Dujarric de la Rivière, s'intéressant à diverses maladies infectieuses ou parasitaires (spirochétoses et leptospiroses, fièvre jaune, paludisme, etc.). Il succéda ensuite à A. Lemierre à la chaire de clinique des maladies infectieuses à l'Hôpital Claude Bernard où sa triple compétence de clinicien, hospitalier et pastorien fit merveille. En 1954 après l'épidémie de poliomyélite survenue à Copenhague, prévoyant le risque pour la France d'avoir à faire face à une situation semblable, il organisa dans son service l'assistance respiratoire endotrachéale. * Eloge prononcé à la séance du 17 décembre 1988 de la Société française d'Histoire de la Médecine. ** 16 square Port Royal, 75013 Paris. 35

Le Professeur Pierre Mollaret (1898-1987)* · Attentif lors de la présentation des exposés, il demandait ensuite la parole, ... "Une curiosité intrépide, une persévérance infatigable,

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Page 1: Le Professeur Pierre Mollaret (1898-1987)* · Attentif lors de la présentation des exposés, il demandait ensuite la parole, ... "Une curiosité intrépide, une persévérance infatigable,

Le Professeur Pierre Mollaret (1898-1987)*

par Jean THÉODORIDÈS **

Avec le décès du Professeur Pierre Mol la re t survenu le 3 décembre 1987, notre Société a perdu un de ses membres les plus éminents et les plus assidus.

P. Mollaret , né le 10 juil let 1898 à Auxer re (Yonne), c o m m e n ç a en 1916 ses études

de médec ine , in terrompues par la guerre de 1914-18 jusqu 'en 1920.

N o m m é interne des hôpitaux en 1925, il fut médec in des hôpi taux en 1935 et agrégé de médec ine en 1936.

Pendan t p lus de vingt ans , il fut l 'assistant de Georges Gui l la in à la Salpêt r ière , hôpital dont il connaissa i t les mo ind res recoins , c o m m e nous le ver rons p lus loin. Pendant des années , il y dirigea le Centre de malar ia thérapie .

Paral lè lement à son activité de clinicien, P. Mol lare t fit à la Sorbonne une l icence ès sc iences et sout int une thèse de doc tora t ès sc iences sur la phys io log ie ne rveuse , entreprise sous la direction de L. Lapicque .

Il travailla éga lement à l'Institut Pasteur de Paris dans les services des professeurs A. Pet t i t et Duja r r i c de la R iv i è r e , s ' in té ressan t à d ive r se s m a l a d i e s in fec t i euses ou parasitaires (spirochétoses et leptospiroses, fièvre j aune , pa ludisme, e t c . ) .

Il succéda ensui te à A. Lemierre à la chaire de cl inique des maladies infectieuses à l 'Hôpital Claude Bernard où sa triple compétence de clinicien, hospital ier et pastorien fit mervei l le .

En 1954 après l 'épidémie de po l iomyél i t e su rvenue à C o p e n h a g u e , p révoyan t le r isque pour la France d'avoir à faire face à une situation semblable , il organisa dans son service l 'assistance respiratoire endotrachéale .

* Eloge prononcé à la séance du 17 décembre 1988 de la Société française d'Histoire de la Médecine.

** 16 square Port Royal, 75013 Paris.

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C'est lui qui fut le c réa teur de cet te d isc ip l ine nouve l l e : la r éan ima t ion , née à l 'Hôpi ta l C l a u d e B e r n a r d et m a i n t e n a n t g é n é r a l i s é e dans le m o n d e ent ier . E l le a t ransformé le pronost ic non seulement de la pol iomyél i te , mais aussi du tétanos, des comas infectieux, e t c . .

Il c réa par la sui te avec l 'aide du Prés iden t du G a b o n , Léon M'ba , l ' Insti tut de

Médec ine tropicale et d 'Epidémiologie africaine.

L 'oeuvre scientifique et médicale de P. Mollaret est considérable , comprenant une d o u z a i n e d ' o u v r a g e s t r a i t a n t r e s p e c t i v e m e n t d e la m a l a d i e d e F r i e d r e i c h

(hérédodégénérescence spino-cérébel leuse) , du trai tement du tétanos, de la physiologie nerveuse (sa thèse de sciences) et de divers autres sujets.

Il laisse également plusieurs centaines d'articles concernant diverses maladies telles que la méningi te mult i récurrente , la lymphorét iculose bénigne d' inoculation (maladie des griffes de chat) , la physiopathologie et le t rai tement de l ' intoxication barbi tur ique, la pyré tho thérap ie des ma lad ies ne rveuses , les c o m a s dépassés "dont on lui doit la notion et la dénominat ion" (A. Lemai re ) .

D'un caractère ferme et décidé, P. Mollaret m e n a avec fougue divers combats , qu'il s 'agisse de ceux cont re les autor i tés d 'occupat ion de 1941 à 1944 pour défendre la p r e s s e m é d i c a l e f r ança i se ou c o n t r e la S é c u r i t é soc i a l e et la r é f o r m e h o s p i t a l o -universitaire de R. Debré .

P. Mollaret j oua un rôle important c o m m e chroniqueur médical , tant dans la Presse médicale dont il fut un des directeurs à partir de 1946 que dans la Revue neurologique dont il fut pendant longtemps le secrétaire général .

Très intéressé par l 'histoire de la médec ine , P. Mol lare t fut un m e m b r e assidu de notre Société pendant les dernières années de sa longue existence.

A la séance du 28 mai 1975 qui se tint except ionnel lement à la Salpêtrière, il fit un très brillant exposé retraçant la longue histoire de cet hôpital qu'il connaissai t mieux que personne , suivi d'une pass ionnante visite faite sous sa direction (1).

Quelques années plus tard, en 1979, il accepta très a imablement sur m a demande , de la refaire pour un g roupe de médec ins amér ica ins séjournant à Paris qui en furent enchantés .

Ses interventions à diverses séances de notre Société à propos de communica t ions c o n c e r n a n t la n e u r o l o g i e ou la p a t h o l o g i e infec t ieuse furent toujours b r i l l an tes et pert inentes, dénotant une connaissance parfaite des sujets traités.

C'est a insi qu ' en 1975 , il pr i t la pa ro le après des c o m m u n i c a t i o n s de M M . A. Bouchet et M. Boucher sur l 'histoire de l 'anatomie et de la physiologie du corps calleux (2), en 1976 après celle de P. Atanasiu et J. Théodor idès sur Negri et Noguch i (3), en 1978 après celle de M . Boucher sur J. Déjerine qu'il avait bien connu (4).

En 1980, année du centenaire de la découver te de l 'hématozoaire du pa lud isme par A. Laveran , P. Mol la re t fit une c o m m u n i c a t i o n à la séance du 22 n o v e m b r e sur le microscope de Laveran (5).

Cette découver te de Laveran intéressait beaucoup P. Mollaret qui lui avait consacré en 1949 un important travail (6) ré impr imé en 1980 dans la Presse médicale.

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Cette m ê m e année , P. Mol lare t et son épouse , qui était docteur en médec ine , avaient assisté au Sympos ium Laveran de Strasbourg (2-3 mai 1980) où j ' eus le plaisir de les rencontrer.

En 1 9 8 1 , à la suite de la présenta t ion de m a c o m m u n i c a t i o n sur la mys té r i euse ma lad i e infect ieuse décr i te par Aga th ia s ( V i e s iècle A .D. ) (7) , P. Mol la re t fit une intéressante intervent ion sur les maladies d isparues , en évoquan t le cas de la suette miliaire.

On entendit encore ses pert inentes remarques à l 'occasion d 'exposés sur le centenaire de la découver te du bacil le de Koch , le cycle exo-érythrocytaire des Plasmodium ou sur les préoccupat ions médicales de Saint-François-d 'Assise (8).

En 1983, P. Mollaret présenta après celle de notre ami le Dr Ph . Decour t une très intéressante et originale communica t ion sur James Reilly qu'il avait très bien connu à l 'Hôpital Claude Bernard (9).

En 1984, à l 'occasion de celle du Dr M. Schachter sur la psychose du roi de Prusse Frédéric II (complexe du nain) , P. Mollaret avait apporté des exemplai res des oeuvres de ce m o n a r q u e p r o v e n a n t de sa b i b l i o t h è q u e et c o m m e n t a avec br io son o e u v r e musicale (10) .

Il intervint encore cette m ê m e année à l 'occasion d'un exposé sur la Cl inique Tarnier

( H ) .

Par la suite, son grand âge l 'empêcha de venir à nos séances où sa présence si vivante et son érudit ion furent regret tées de tous.

Je le vois encore arrivant dans la salle du Consei l , toujours vêtu avec é légance et venant saluer avec une grande courtoisie les membres du Bureau avant de s'asseoir dans les premiers rangs à cause de sa vue déficiente.

A t t en t i f lors de la p r é s e n t a t i o n d e s e x p o s é s , il d e m a n d a i t e n s u i t e la p a r o l e , s 'exprimant d 'une voix bien t imbrée qui lui rendait inutile l 'usage du micro .

Le Professeur A. Lemai re qui l'a bien connu en a laissé un très vivant portrait (12) :

"L'aspect général exprimait un parfait équilibre : visage aux traits réguliers, resté longtemps jeune et sans rides, cheveux blonds clairs séparés par une raie strictement médiane, cravate papillon parfaitement horizontale, costume trois pièces sobre et correct. L'abord un peu froid était bien fait pour décourager ceux qui se croyant importants pouvaient n'être qu'importuns".

Son b i o g r a p h e A. L e m a i r e a é g a l e m e n t é v o q u é la r ig id i té d e son ca r ac t è r e et l 'inflexibilité de ses décis ions, tempérées , il est vrai , par le "caractère généreux, altruiste et to ta lement désintéressé" de ses mobi les (12).

Cela expl ique sa farouche indépendance qui l 'amena à refuser les décorat ions et les honneurs .

C'est ainsi qu'il ne fut pas m e m b r e de l 'Académie des Sciences ni de l 'Académie de Médec ine où il eût dû siéger, vu l ' importance de son oeuvre scientifique.

O n p o u r r a i t p a r f a i t e m e n t a p p l i q u e r à P. M o l l a r e t les qua l i f i ca t i f s q u e B a r b e y d'Aurevil ly avait attribués au célèbre savant et voyageur Alexandre de Humbold t :

"Une curiosité intrépide, une persévérance infatigable, une sagacité extrêmement perçante, le tout revêtu d'une organisation d'acier fin qui dura près de cent ans".

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Pour ceux qui ont connu et apprécié ce grand seigneur de la médec ine , sa dispari t ion

est une grande perte c o m m e elle l'est pour notre pays .

Au n o m de notre Société et en m o n n o m propre , qu'il m e soit pe rmis d 'adresser notre

s incère sympa th i e à son fils, le Professeur Henr i Mol la re t et à ses enfants , en les assurant que le souvenir de Pierre Mollaret restera à j amais gravé dans notre mémoire

et dans notre coeur.

N O T E S

(H.S.M. : Histoire des Sciences médicales)

( l )CfH.S .M. , 9, 1975-76, 181-83.

(2) H.S.M. Ibid., 181.

(3) H.S.M., 10, 1976, 134.

(4) H.S.M., 12, 1978, 326.

(5) H.S.M., 14, 1980, 370.

(6) P. MOLLARET, La découverte de l'hématozoaire du paludisme, In : Les grandes découvertes françaises

en biologie médicale, Flammarion, Paris, 1949, 95-126.

(7) J. THÉODORIDÈS, Quelle était la maladie décrite par l'historien Agathias ? H.S.M., 15, 1981, 153-58.

(8) H.S.M., 16, 1982, 62, 64, 144.

(9) P. MOLLARET, Evocation de l'exceptionnelle personnalité de James Reilly, H.S.M., 17, 1983, 37-40.

(10) H.S.M., 18, 1984, 101. R Mollaret qui était mélomane (il adorait Wagner) aimait associer musique et médecine, comme en témoigne l'article suivant : Prélude, choral et fugue au XIXe siècle : de la curarisation dans le tétanos. Presse Méd., 73 , 1965, 2313-17 et Cahiers Anesth., 18, 1984, 201.

(11) H.S.M., 18, 1984, 201.

(12) A. LEMAIRE, Pierre Mollaret, 1898-1987, Presse Médicale, 17, n° 8, 1988, 356-57. Voir aussi : A. LEMAIRE, Pierre Mollaret 1898-1987, Eloge prononcé le 3 juin 1988 à la Société médicale des Hôpitaux de Paris (à paraître dans Bulletin et Mémoires de cette société).

I N T E R V E N T I O N : L e D o c t e u r Vassal r a p p e l l e les t rès be l l e s c o n f é r e n c e s su r

l 'épidémiologie et l 'histoire de la gr ippe depuis l 'antiquité données par le Professeur

Pierre Mollaret à l 'Hôpital Caude-Bernard en 1948-49. Etant externe du service, il avait

dû c o m m e ses col lègues être vacciné contre la gr ippe car l'on attendait une des grandes

ép idémies t rentenaires qui n 'avait j ama i s m a n q u é depuis l 'antiquité (grippe de 1888,

g r ippe e s p a g n o l e de 1918 , e t c . ) . Or, ne su rv ien t q u ' u n e sér ie de "g r ippe t t e s " , et

parlasuite le ry thme trentenaire sembla rompu.

M o n s i e u r M o l l a r e t , n e u r o l o g u e et m é l o m a n e , s 'é ta i t i n t é r e s s é a u x c a p a c i t é s

musicales des hémiplégiques tout c o m m e le médec in norvégien Hans-Jacob Ustvedt ,

d 'Oslo, auteur d'une thèse remarquée sur amusie et aphasie.

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