If you can't read please download the document
Upload
ngokhue
View
218
Download
0
Embed Size (px)
Citation preview
AL-USTATH No 028 Volume Two 2014 AD, 1435 AH
41
Le rapport entre le paysage et ltat dme dans le pome
Chanson dAutomne de Verlaine Dr. Tagrid Abdul Zahra Abood
Dpartement de Franais
Introduction Entre lHomme et la Nature se tisse un rapport trs fort qui est clairement
dvelopp au cours du XIXe sicle, surtout lorsque les romantiques ont recouru la
Nature pour se dlivrer de cette angoisse appele lpoque le Mal du Sicle .
Elle est donc devenue le lieu de sa contemplation et son refuge, car elle le protge
de lui-mme. Lhomme, peut-on, dire est trs attach la Nature. Le rapport entre
les deux sest renforc avec le temps au point que lhomme essaie parfois de
projeter ses sentiments et ses motions au paysage contempl, considr comme
une force vidente agissant sur lui. Cest pour cela quil vise lhumaniser et lui
attribuer des caractres humains ; ou linverse cest le paysage qui correspond
mieux sont tat dme. Lme et le paysage agissent alors lun sur lautre ; les
effets peuvent tre joyeux ou tristes.
Pote romantique et symboliste la fois, Paul Verlaine chante, dans Les
Pomes Saturniens, la relation entre le monde intrieur et le monde extrieur. Cette
relation peut tre dintimit et de proximit ; elle prend des modalits diffrentes,
ou elle se mle dans un mme passage. Lhomme se trouve parfois trs proche de
la nature : puisquils se sont rapprochs, ltat dme et le paysage changent leurs
caractres, leur identit grce lhumanisation des objets. Pour ce faire, le pote se
rfre aux figures du style plus prcisment la mtaphore et la comparaison
pour raliser cet objectif. Ces procds permettent de raliser parfaitement cet
objectif et dtablir le rapport entre le monde humain et le monde naturel, entre le
sentiment et le dcor.
Ainsi les lments naturels, saptio-temporels (arbres, feuilles, jardin, bord
de rivire, crpuscule, claire de lune, automne) ont dans ce recueil potique une
valeur suggestive et non pittoresque. Autrement dit, ils ne tiennent pas ici une
fonction esthtique, au contraire, ils jouent un rle considrable dans le projet
potique et ils rvlent ltat dme du pote. Puisque leur choix nest pas gratuit,
on va donc tudier ces lments descriptifs en eux-mmes et voir ensuite comment
par leur choix et leur disposition, ils expriment les sentiments du pote.
Les Pomes Saturniens
dit en 1866, ce recueil peut tre considr le fruit mr du
pote qui montre bien ses inspirateurs comme Victor Hugo,
Thophile Gautier, Charles Baudelaire et dautres. travers ce
livre, le pote veut repenser la notion du paysage potique avec un
ton musical.
Le pome Chanson dAutomne appartient la partie
paysages tristes de ce recueil potique, ainsi que les pomes de cet
ouvrage sont placs, comme lindique le titre, sous le signe
malfique de la plante Saturne. Cette plante trane, selon
lastrologie, une existence maussade et cafardeuse. Ce nest donc
AL-USTATH No 028 Volume Two 2014 AD, 1435 AH
42
pas tonnant que ces pomes portent un timbre sombre ou
malheureux li ltat dme du pote. Verlaine explique, dans une
pice liminaire ddie au peintre Eugne Carnire, ce titre, en
exprimant linspiration gnrale du recueil :
Or, ceux l qui sont ns sous le signe Saturne,
Fauve plante chre aux ncromanciens,
Ont entre tous, daprs les grimoires anciens,
Bonne part de malheur et bonne part de bile.
Limagination inquite et dbile
Vient rendre nul en eux leffort de la Raison 1
Caractres de lart Verlainien
Certes il est considr comme pote symboliste, mais
Verlaine na jamais pratiqu le symbole. Pour lui, la sensation
porte en elle le symbole de son tat. Pour clbrer le moi troublant,
Paul Verlaine vite les effets rhtoriques, cest--dire les anciens
procds de la posie. Il prconise la forme fluide et la musique qui
est la seule capable de transporter sa douleur, sa souffrance au
lecteur. Pour cela, il prfre des paysages nocturnes,
crpusculaires, automnaux ou paysage brumeux o le monde
humain se mle avec le monde naturel au point quil devient
difficile de les distinguer. De mme, le choix dune sonorit si
raffine, de vers impaire, dun rythme inhabituel permet
llaboration du malheur, de la tristesse de son tat.
Encore une des caractristiques de lart verlainien est que
tout lment intellectuel est inexistant dans ses pomes. La pense
en est toujours absente. Tout subit la tyrannie de la sensation.
Dailleurs, le pote ne dcrit mme pas, il suggre, la faveur du
charme de la musique et de la magie des mots, son angoisse et sa
tristesse. Par l, le pote nous fait vivre avec lui latmosphre du
Pome.
Chanson dAutomne
Les sanglots longs
Des violons
De lautomne
Blessent mon cur
Dune langueur
Monotone.
1 Verlaine (Paul), Pome Saturniens, Confessions, Garnier-Flammarion, Paris, 1977, p. 37.
AL-USTATH No 028 Volume Two 2014 AD, 1435 AH
43
Tout suffoquant
Et blme, quand
Sonne lheure,
Je me souviens
Des jours anciens
Et je pleure.
Et je men vais
Au vent mauvais
Qui memporte,
De a, de l,
Pareil la
Feuille morte.
Pomes Saturniens
Premire Strophe
Saison de la chute des feuilles darbres, du dclin de la
nature, lautomne est explicitement voqu dans ce pome :
dabord par le titre, puis par le mot automne deux fois rpt.
Lcho intime de cette saison se montre clair sur le pote, il blesse
son intimit dune langueur monotone .
Leffet automnal exerc sur le pote se dveloppe en fait par
une fusion totale entre le moi et le paysage. Les violons de
lautomne signifie mtaphoriquement le vent, dont le sifflement
fait penser une fois au son de cet instrument de musique, et une
autre fois des sanglots, car le paysage est triste. Dautre part, le
mot sanglots qui appartient au registre humain a pour deux
complments dterminatifs traduisant deux sens diffrents. Si ces
Sanglots se contentent par le premier dterminatif des
violons , un monde purement extrieur mais modifi par la
mtaphore se produit : lorchestre de violon personnifi devient
une personne qui pelure. Mais grce au deuxime complment
dterminatif de lautomne parat une autre image potique, se
rapportant au paysage automnal puisque ces violons suggrent
lautomne. Cette image agit dsormais sur le moi bless du pote.
Bref, la strophe commence et finit sur lvocation dune
souffrance qui rapproche le monde intrieur avec celui de
lextrieur en les confondant la faveur des images et de la
syntaxe.
AL-USTATH No 028 Volume Two 2014 AD, 1435 AH
44
Deuxime Strophe
Cette strophe explique linquitude de son me. Le paysage
touffant et ple en automne provoque la tristesse du pote. Cette
tristesse est lie aussi au pass : Des jours anciens . Certes
Verlaine nindique pas ici lautomne dune manire explicite, mais
les deux adjectifs suffocant et blme qualifient latmosphre
et le paysage en cette saison. De mme, lautomne rappelle le pote
au passage du temps et au dclin de lge, parce que cette saison
labore le dclin de lanne. Cela aggrave la douleur du pote.
Troisime Strophe
Cette strophe sbauche par la conjonction de coordination
Et qui peut tre lie ces vers aux vers prcdents. Elle nous aide
comprendre la cause essentielle de linquitude du pote : la
crainte de se sentir emport par le vent mauvais sans pouvoir
ragir comme cette feuille morte . Cette ide est illustre par la
comparaison entre le pote fragile et la feuille morte , symbole
de la fragilit humaine. La comparaison est ralise par le mot de
la comparaison pareil .
Donc, la contemplation du paysage en automne appelle
lattention du pote non seulement au dclin de lanne, mais aussi
au dclin de lme. On trouve ici lide de lautomne de la premire
strophe est clbre galement par limage potique et la syntaxe.
Rime, Rythme et Sonorit
Ce pome est compos de trois strophes symtriques. Dans
chaque strophe, les 1er
, 2e , 4
e , 5
e vers ont quatre syllabes, les 3
e et
6e vers en ont trois :
Les / san / glots / Longs 4 syllabes
Des / Vi / o / lons 4
De / Lau / tomne 3
Bless / ent / mon / cur 4
Dun / e / Lan / gueur 4
Mo / no / tone 3
Ces vers de quatre et trois syllabes traduisent avec le rythme
fluide linquitude de son me. Cette inquitude concide avec le
paysage triste en automne, au point que le pote mle les
sanglots avec le soupir du vent et le son de la musique. La
dirse pour vi-o-lons rend sensible cette ide.
AL-USTATH No 028 Volume Two 2014 AD, 1435 AH
45
Le recours la mme voyelle orale [o] et au nasal [] permet
Verlaine de dire sa Langueur Monotone : (Sanglots, long,
violon, automne, mon). Les allitrations sifflantes en [s], liquide en
[l] ont pour effet de prolonger les souffrance de son me bless. Ce
prolongement fait sentir en mme temps la syllabe sur laquelle
porte la rime.
De mme, ces mtres courts donnent la rime, qui revient
intervalle trs rapproche, des rsonances particulirement
suggestive.
Dans la dernire strophe, on peut distinguer la paronomase (
men vais / mauvais ) qui traduit la parent entre ltat du
pote et le paysage. Lallitration de la consonne sonore en [v]
renforce cette ide.
Enjambement
On peut remarquer que ce pome est construit sur un jeu
dlicat denjambement. Ce jeu est presque identique pour toutes
les strophes. On distingue les plus vocateurs de la tristesse du
pote et de la nature, se rapportant sur les 3e et 6
e vers :
Violons / De lautomne ; Dune langueur / Monotone
Quand / sonne lheure ; Des jours anciens / Et je pleure
Au vent mauvais / Qui memporte ; pareil la feuille /
morte .
Un examen rapide sur ces vers nous fait trouver que ces
enjambements illustrent aussi le rapport perptuel entre lhomme
et la nature.
Conclusion
Verlaine peut assurer, dans ce pome, autant par les
expressions que par la musique le lien entre le paysage et son tat
dme. Le choix de lautomne nest absolument arbitraire ; la
tristesse du paysage vient correspondre son angoisse et son
inquitude. Le titre est dj vocateur, il tire sa cohrence et sa
fluidit de laire des violons qui domine le pome.
De mme, le rythme et la sonorit aident, comme nous le
voyons, traduire la sensation du pote, crer une pure
harmonie trs voisine de la musique : que ce soit par les effets
sonores de la rime ou par la magie des mots. Par-l, Paul Verlaine
russit toucher aussi notre sensibilit. Enfin on peut dire que le charme musical permet aussi ce
passage du paysage ltat dme. Autrement dit, le pote peut
AL-USTATH No 028 Volume Two 2014 AD, 1435 AH
46
bien traduire la parent entre son moi et le paysage par le recours lcriture potique.
Bibliographie Day Lewis (C.) et Peres (Yves), Clef pour la posie, Seghers, Paris, 1973. Grammont (Maurice), Petit trait de versification franaise, Armond Colin, Paris, 1940. Micha (Alexandre), Verlaine et les potes Symbolistes, Larousse, Paris, 1943. Preiss (Axel) et Aubrit (Jean-Pierre), Lexplication littraire et le commentaire compos, Armond Colin, Paris, 1994. Schmidt (Albert-Marie), La Littrature Symboliste, Que sais-je ? Presse Universitaire de France, Paris, 1950. Sevreau (Didier), La Posie au XIX et XX sicle, Problmatique essentielles , Hatier, Paris, 2000. Verlaine (Paul), Pomes Saturniens, Confessions, Garnier-Flammarion, Paris, 1977.
Le rapport entre le paysage et ltat dme dans le pome Chanson dAutomne de Verlaine
La recherche aborde ce rapport ancien entre lHomme et la Nature dvelopp clairement au cours du XIX
e sicle, surtout lorsque les romantiques ont recouru la
Nature pour se dlivrer de cette angoisse appele lpoque le Mal du Sicle . Dsormais, elle devient le lieu de la contemplation des potes, car elle les protge d'eux-mmes. Ceux-ci essaient de projeter leurs sentiments et leurs motions au paysage contempl, considr comme une force vidente agissant sur eux. Cest le cas de Paul Verlaine qui, pour se librer de son angoisse, humanise le paysage et lui attribue des caractres humains; parfois le paysage correspond mieux sont tat dme. Lme et le paysage agissent alors lun sur lautre ; les effets peuvent tre joyeux ou tristes