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4/4/2014 Mots Passants de Sainte-Anne http://www.blogs-sainte-anne-brest.fr/mots_passants/spip.php?article165 1/2 "Cette première pièce exhale une odeur sans nom dans la langue, et qu’il faudrait appeler l’odeur de pension. Elle sent le renfermé, le moisi, le rance ; elle donne froid, elle est humide au nez, elle pénètre les vêtements ; elle a le goût d’une salle où l’on a dîné ; elle pue le service, l’office, l’hospice. Peut-être pourrait-elle se décrire si l’on inventait un procédé pour évaluer les quantités élémentaires et nauséabondes qu’y jettent les atmosphères catarrhales et sui generis de chaque pensionnaire, jeune ou vieux. Eh bien ! malgré ces plates horreurs, si vous le compariez à la salle à manger, qui lui est contiguë, vous trouveriez ce salon élégant et parfumé comme doit l’être un boudoir. Cette salle, entièrement boisée, fut jadis peinte en une couleur indistincte aujourd’hui, qui forme un fond sur lequel la crasse a imprimé ses couches de manière à y dessiner des figures bizarres. Elle est plaquée de buffets gluants sur lesquels sont des carafes échancrées, ternies, des ronds de moiré métallique, des piles d’assiettes en porcelaine épaisse, à bords bleus, fabriquées à Tournai. Dans un angle est placée une boite à cases numérotées qui sert à garder les serviettes, ou tachées ou vineuses, de chaque pensionnaire. Il s’y rencontre de ces meubles indestructibles, proscrits partout, mais placés là comme le sont les débris de la civilisation aux Incurables. Vous y verriez un baromètre à capucin qui sort quand il pleut, des gravures exécrables qui ôtent l’appétit, toutes encadrées en bois verni à filets dorés ; un cartel en écaille incrustée de cuivre ; un poêle vert, des quinquets d’Argand où la poussière se combine avec l’huile, une longue table couverte en toile cirée assez grasse pour qu’un facétieux externe y écrive son nom en se servant de son doigt comme de style, des chaises estropiées, de petits paillassons piteux en sparterie qui se déroule toujours sans se perdre jamais, puis des chaufferettes misérables à trous cassés, à charnières défaites, dont le bois se carbonise. Pour expliquer combien ce mobilier est vieux, crevassé, pourri, tremblant, rongé, manchot, borgne, invalide, expirant, il faudrait en faire une description qui retarderait trop l’intérêt de cette histoire, et que les gens pressés ne pardonneraient pas. Le carreau rouge est plein de vallées produites par le frottement ou par les mises en couleur. Enfin, là règne la misère sans poésie ; une misère économe, concentrée, râpée. Si elle n’a pas de fange encore, elle a des taches ; si elle n’a ni trous ni haillons, elle va tomber en pourriture. Cette pièce est dans tout son lustre au moment où, vers sept heures du matin, le chat de madame Vauquer précède sa maîtresse, saute sur les buffets, y flaire le lait que contiennent plusieurs jattes couvertes d’assiettes, et fait entendre son rourou matinal. Bientôt la veuve se montre, attifée de son bonnet de tulle sous lequel pend un tour de faux cheveux mal mis ; elle marche en traînassant ses pantoufles grimacées. Sa face vieillotte, grassouillette, du milieu de laquelle sort un nez à bec de perroquet ; ses petites mains potelées, sa personne dodue comme un rat d’église, son corsage trop plein et qui flotte, sont en harmonie avec cette salle où suinte le malheur, où s’est blottie la spéculation et dont madame Vauquer respire l’air chaudement fétide sans en être écœurée. Sa figure fraîche comme une première gelée d’automne, ses yeux ridés, dont l’expression passe du sourire prescrit aux danseuses à l’amer renfrognement de l’escompteur, enfin toute sa personne explique la pension, comme la pension implique sa personne. Le bagne ne va pas sans l’argousin, vous n’imagineriez pas l’un sans l’autre. L’embonpoint blafard de cette petite femme est le produit de cette vie, comme le typhus est la conséquence des exhalaisons d’un hôpital. Son jupon de laine tricotée, qui dépasse sa première jupe faite avec une vieille robe, et dont la ouate s’échappe par les fentes de l’étoffe lézardée, résume le salon, la salle à manger, le jardinet, annonce la cuisine et fait pressentir les pensionnaires. Quand elle est là, ce spectacle est complet. Agée d’environ cinquante ans, madame Vauquer ressemble à toutes les femmes qui ont eu des malheurs. Elle a l’œil vitreux, l’air innocent d’une entremetteuse qui va se gendarmer pour se faire payer plus cher, mais d’ailleurs prête à tout pour adoucir son sort, à livrer Georges ou Pichegru, si Georges ou Pichegru étaient encore à livrer." En quoi peut on dire que la description de la pension Vauquer est un récit réaliste ? Dans cet extrait du Père Goriot de Balzac, le narrateur utilise différents procédés du réalisme pour permettre au lecteur de mieux s’imaginer la pièce. Tout d’abord, l’ensemble de la description est péjoratif. En effet, le narrateur emploie de nombreux adjectifs péjoratifs tels que ’’moisi’’ ligne 2, ’’nauséabondes’’ et ’’gluants. De plus, le champ lexical de la saleté est présent à travers les termes ’’crasse’’, ’’tachées’’ et ’’grasse’’. Tous ces mots entraînent une vision négative et une atmosphère inhospitalière de la pièce. Cela illustre bien le refus de l’embellissement voulu par les réalistes. De plus, sont présents, dans le texte, des pièces et objets du quotidien tels que ’’la salle à manger’’ et le ’’salon’’ ou encore ’’des carafes’’, ’’des ’’assiettes’’ et des ’’serviettes’’. D’autre part, la description est très précise parce que l’état, les matières et l’origine des objets sont cités. Par exemple, les ’’chaufferettes’’ ligne 21 sont ’’misérables, à trous cassés’’ avec des ’’charnières défaites’’ et en ’’bois’’. Tous les éléments qui composent la pièce sont décrits. Par ailleurs, des références à la réalité sont présentes telles que une toponymie précise puisque ’’Tournai’’ est une ville située en Belgique. Enfin, tous les sens sont sollicités. En effet, le verbe ’’pue’’ sollicite l’odorat, les tach[es]’’ sur les ’’serviettes’’ sollicitent la vue,

Le Realisme Balzacien

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Le Realisme Balzacien

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  • 4/4/2014 Mots Passants de Sainte-Anne

    http://www.blogs-sainte-anne-brest.fr/mots_passants/spip.php?article165 1/2

    "Cette premire pice exhale une odeur sans nom dans la langue, et quil faudrait appeler lodeur de pension. Elle sent

    le renferm, le moisi, le rance ; elle donne froid, elle est humide au nez, elle pntre les vtements ; elle a le got

    dune salle o lon a dn ; elle pue le service, loffice, lhospice. Peut-tre pourrait-elle se dcrire si lon inventait un

    procd pour valuer les quantits lmentaires et nausabondes quy jettent les atmosphres catarrhales et sui

    generis de chaque pensionnaire, jeune ou vieux. Eh bien ! malgr ces plates horreurs, si vous le compariez la salle

    manger, qui lui est contigu, vous trouveriez ce salon lgant et parfum comme doit ltre un boudoir. Cette salle,

    entirement boise, fut jadis peinte en une couleur indistincte aujourdhui, qui forme un fond sur lequel la crasse a

    imprim ses couches de manire y dessiner des figures bizarres. Elle est plaque de buffets gluants sur lesquels sont

    des carafes chancres, ternies, des ronds de moir mtallique, des piles dassiettes en porcelaine paisse, bords

    bleus, fabriques Tournai. Dans un angle est place une boite cases numrotes qui sert garder les serviettes, ou

    taches ou vineuses, de chaque pensionnaire. Il sy rencontre de ces meubles indestructibles, proscrits partout, mais

    placs l comme le sont les dbris de la civilisation aux Incurables. Vous y verriez un baromtre capucin qui sort quand

    il pleut, des gravures excrables qui tent lapptit, toutes encadres en bois verni filets dors ; un cartel en caille

    incruste de cuivre ; un pole vert, des quinquets dArgand o la poussire se combine avec lhuile, une longue table

    couverte en toile cire assez grasse pour quun factieux externe y crive son nom en se servant de son doigt comme

    de style, des chaises estropies, de petits paillassons piteux en sparterie qui se droule toujours sans se perdre jamais,

    puis des chaufferettes misrables trous casss, charnires dfaites, dont le bois se carbonise. Pour expliquer

    combien ce mobilier est vieux, crevass, pourri, tremblant, rong, manchot, borgne, invalide, expirant, il faudrait en

    faire une description qui retarderait trop lintrt de cette histoire, et que les gens presss ne pardonneraient pas. Le

    carreau rouge est plein de valles produites par le frottement ou par les mises en couleur. Enfin, l rgne la misre sans

    posie ; une misre conome, concentre, rpe. Si elle na pas de fange encore, elle a des taches ; si elle na ni trous

    ni haillons, elle va tomber en pourriture.

    Cette pice est dans tout son lustre au moment o, vers sept heures du matin, le chat de madame Vauquer prcde

    sa matresse, saute sur les buffets, y flaire le lait que contiennent plusieurs jattes couvertes dassiettes, et fait entendre

    son rourou matinal. Bientt la veuve se montre, attife de son bonnet de tulle sous lequel pend un tour de faux

    cheveux mal mis ; elle marche en tranassant ses pantoufles grimaces. Sa face vieillotte, grassouillette, du milieu de

    laquelle sort un nez bec de perroquet ; ses petites mains poteles, sa personne dodue comme un rat dglise, son

    corsage trop plein et qui flotte, sont en harmonie avec cette salle o suinte le malheur, o sest blottie la spculation

    et dont madame Vauquer respire lair chaudement ftide sans en tre cure. Sa figure frache comme une premire

    gele dautomne, ses yeux rids, dont lexpression passe du sourire prescrit aux danseuses lamer renfrognement de

    lescompteur, enfin toute sa personne explique la pension, comme la pension implique sa personne. Le bagne ne va pas

    sans largousin, vous nimagineriez pas lun sans lautre. Lembonpoint blafard de cette petite femme est le produit de

    cette vie, comme le typhus est la consquence des exhalaisons dun hpital. Son jupon de laine tricote, qui dpasse

    sa premire jupe faite avec une vieille robe, et dont la ouate schappe par les fentes de ltoffe lzarde, rsume le

    salon, la salle manger, le jardinet, annonce la cuisine et fait pressentir les pensionnaires. Quand elle est l, ce spectacle

    est complet. Age denviron cinquante ans, madame Vauquer ressemble toutes les femmes qui ont eu des malheurs.

    Elle a lil vitreux, lair innocent dune entremetteuse qui va se gendarmer pour se faire payer plus cher, mais dailleurs

    prte tout pour adoucir son sort, livrer Georges ou Pichegru, si Georges ou Pichegru taient encore livrer."

    En quoi peut on dire que la description de la pension Vauquer est un rcit raliste ?

    Dans cet extrait du Pre Goriot de Balzac, le narrateur utilise diffrents procds du ralisme pour permettre au lecteur

    de mieux simaginer la pice.

    Tout dabord, lensemble de la description est pjoratif. En effet, le narrateur emploie de nombreux adjectifs pjoratifs

    tels que moisi ligne 2, nausabondes et gluants. De plus, le champ lexical de la salet est prsent travers les

    termes crasse, taches et grasse. Tous ces mots entranent une vision ngative et une atmosphre

    inhospitalire de la pice. Cela illustre bien le refus de lembellissement voulu par les ralistes. De plus, sont prsents,

    dans le texte, des pices et objets du quotidien tels que la salle manger et le salon ou encore des carafes,

    des assiettes et des serviettes. Dautre part, la description est trs prcise parce que ltat, les matires et

    lorigine des objets sont cits. Par exemple, les chaufferettes ligne 21 sont misrables, trous casss avec des

    charnires dfaites et en bois. Tous les lments qui composent la pice sont dcrits. Par ailleurs, des rfrences

    la ralit sont prsentes telles que une toponymie prcise puisque Tournai est une ville situe en Belgique. Enfin,

    tous les sens sont sollicits. En effet, le verbe pue sollicite lodorat, les tach[es] sur les serviettes sollicitent la vue,

  • 4/4/2014 Mots Passants de Sainte-Anne

    http://www.blogs-sainte-anne-brest.fr/mots_passants/spip.php?article165 2/2

    gluants sollicite le toucher, elle a le got dune salle o lon a dn sollicite le got. Cela participe rendre plus

    prcise la description.

    Tous ces lments nous permettent de dire que cette description est raliste.