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1 A la base de cette communication se trouve l’ouvrage de Contentieux administratif de P. LEWALLE et L. DONNAY (coll.), 3 ème édition, publié chez Larcier en 2008. L’auteur y a ajouté les développements jurisprudentiels intervenus depuis cette publication. 2 Pour une mise en perspective du recours en annulation, voy. M. PÂQUES, « Le recours en annulation », A.P.T., 2006, pp. 202 à 216. Le recours en annulation devant le Conseil d’Etat : évolutions législatives et jurisprudentielles récentes Luc DONNAY Maître de conférences à l’ULg Auditeur adjoint au Conseil d’Etat 1 Introduction Ces dernières années, le contentieux administratif a été marqué par d’importantes mutations. L’une des plus visibles est sans conteste la loi du 15 septembre 2006 réformant le Conseil d’Etat et créant un Conseil du Contentieux des Etrangers, publiée au Moniteur belge du 6 octobre 2006. A côté des modifications apportées aux lois sur le Conseil d’Etat, coordonnées le 12 janvier 1973, l’abondante jurisprudence de la juridiction administrative a apporté toute une série de développements et de précisions utiles dont il convient également de faire état. Cet exposé tente de faire le point sur la compétence du Conseil d’Etat en matière d’excès de pouvoir (I) et sur les conditions de recevabilité du recours en annulation (II) à la lumière des récentes évolutions législatives et jurisprudentielles 2 . La dernière (et brève) partie de l’exposé (III) sera consacrée à la loi du 25 juillet 2008 modifiant le Code civil et les lois coordonnées du 17 juillet 1991 sur la comptabilité de l’Etat en vue d’interrompre la prescription de l’action en dommages et intérêts à la suite d’un recours en annulation devant le Conseil d’Etat. Section I. Les conditions de compétence du Conseil d’Etat On rappelle tout d’abord que la compétence du Conseil d’Etat est essentiellement déterminée par rapport à celle des pouvoirs législatif et judiciaire ainsi que par rapport à celle de l’administrateur actif. Sur la base de l’article 14 des lois coordonnées sur le Conseil d’Etat, celui-ci n’est compétent que lorsque trois conditions sont réunies. En effet, il faut que, tout d’abord, le recours tende à l’annulation de l’acte attaqué, qu’ensuite, celui-ci émane d’une autorité administrative et qu’enfin, aucune action de nature à aboutir à un résultat équivalent à l’annulation par le juge de l’excès de pouvoir ne soit ouverte à l’intéressé devant une Cour ou un tribunal de l’ordre judiciaire.

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1 A la base de cette communication se trouve l’ouvrage de Contentieux administratif deP. LEWALLE et L. DONNAY (coll.), 3ème édition, publié chez Larcier en 2008. L’auteur y a ajoutéles développements jurisprudentiels intervenus depuis cette publication.

2 Pour une mise en perspective du recours en annulation, voy. M. PÂQUES, « Le recoursen annulation », A.P.T., 2006, pp. 202 à 216.

Le recours en annulation devant le Conseil d’Etat :évolutions législatives et jurisprudentielles récentes

Luc DONNAYMaître de conférences à l’ULg

Auditeur adjoint au Conseil d’Etat1

Introduction

Ces dernières années, le contentieux administratif a été marqué par d’importantesmutations. L’une des plus visibles est sans conteste la loi du 15 septembre 2006 réformant leConseil d’Etat et créant un Conseil du Contentieux des Etrangers, publiée au Moniteur belge du6 octobre 2006.

A côté des modifications apportées aux lois sur le Conseil d’Etat, coordonnées le 12janvier 1973, l’abondante jurisprudence de la juridiction administrative a apporté toute une sériede développements et de précisions utiles dont il convient également de faire état.

Cet exposé tente de faire le point sur la compétence du Conseil d’Etat en matière d’excèsde pouvoir (I) et sur les conditions de recevabilité du recours en annulation (II) à la lumière desrécentes évolutions législatives et jurisprudentielles2.

La dernière (et brève) partie de l’exposé (III) sera consacrée à la loi du 25 juillet 2008modifiant le Code civil et les lois coordonnées du 17 juillet 1991 sur la comptabilité de l’Etat envue d’interrompre la prescription de l’action en dommages et intérêts à la suite d’un recours enannulation devant le Conseil d’Etat.

Section I. Les conditions de compétence du Conseil d’Etat

On rappelle tout d’abord que la compétence du Conseil d’Etat est essentiellementdéterminée par rapport à celle des pouvoirs législatif et judiciaire ainsi que par rapport à celle del’administrateur actif.

Sur la base de l’article 14 des lois coordonnées sur le Conseil d’Etat, celui-ci n’estcompétent que lorsque trois conditions sont réunies. En effet, il faut que, tout d’abord, le recourstende à l’annulation de l’acte attaqué, qu’ensuite, celui-ci émane d’une autorité administrativeet qu’enfin, aucune action de nature à aboutir à un résultat équivalent à l’annulation par le jugede l’excès de pouvoir ne soit ouverte à l’intéressé devant une Cour ou un tribunal de l’ordrejudiciaire.

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3 C.E., 16 mai 2007, Jodrillat, n/ 171.287. Tous les arrêts cités au cours de cet exposésont téléchargeables sur le site internet du Conseil d’Etat.

4 C.E., 4 mai 2005, Taft, n/ 144.181.5 Les « adjonctions législatives » seront traitées au point 2.3.

1. Le recours doit tendre à l’annulation de la décision attaquée

Etant uniquement doté du pouvoir d’annuler les actes administratifs illégaux, c’est sanssurprise que l’on lit que le Conseil d’Etat s’est déclaré incompétent pour annuler des actesauthentiques financiers d’une liquidation judiciaire, constater qu’un prêt est nul, condamner unebanque à la restitution d’une somme d’argent, ordonner la restitution d’une arme de poing,déclarer l’action publique irrecevable,...3

Le sort à réserver à une demande d’annulation partielle d’un acte administratif estnettement plus problématique. En effet, si rien ne paraît empêcher un requérant de solliciter nonpas l’anéantissement total d’un acte administratif illégal mais uniquement de l’une ou l’autredisposition qui lui fait grief, cette annulation partielle ne peut en aucun cas conduire à uneréformation de celui-ci, sous peine de modifier le choix fait par l’autorité compétente.

Dès lors, la requête en annulation partielle n’a de chance d’aboutir que si elle laisseintact l’essentiel de l’acte attaqué, en ne s’en prenant par exemple qu’aux modalités de sa miseen vigueur. Elle devrait être rejetée au contraire si elle tendait à dissocier des dispositions"intimement liées" d’un même acte, à imposer une solution différente de celle voulue parl’autorité administrative.

Il a été jugé par exemple qu’une disposition du Code de déontologie de l’Institutprofessionnel des agents immobiliers, dont l’illégalité avait été retenue à la suite de l’examend’un des moyens, était certes importante mais restait aisément dissociable des autres dispositionspour faire l’objet, seule, de la censure du Conseil d’Etat. Compte a été tenu, au surplus, du faitque l’annulation globale de ce Code aurait des conséquences manifestement hors de proportionavec l’illégalité établie en ce qu’elle affecterait d’autres dispositions régulières et qu’elle auraitpour effet de supprimer tout le Code alors que celui-ci comporte un ensemble de règles destinéesà réglementer la profession sur d’autres aspects tout aussi importants4.

2. L’acte ou le règlement attaqué doit avoir été accompli par une autorité administrative

2.1 Le critère organique de l’autorité administrative

A) Définition et implications

Nul n’ignore que l’article 14 des lois coordonnées spécifie qu’en principe5, les actes etrèglements soumis à la censure du Conseil d’Etat doivent avoir été accomplis par l’une desdiverses "autorités administratives".

Inchangée depuis la création du Conseil d’Etat par la loi du 23 décembre 1946, cettecondition a fait l’objet d’une interprétation jurisprudentielle particulièrement étoffée, d’autantplus difficile à synthétiser qu’elle émane tant de la Cour de cassation et de la Courconstitutionnelle que du Conseil d’Etat lui-même.

La notion d’autorité administrative, véritable bouteille à encre du contentieuxadministratif, ne se laisse pas appréhender aisément. Notre seule ambition est d’en brosser le

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6 Sur le sujet, voy. par exemple X. DELGRANGE, « S.O.S. Bonheure », R.C.J.B., 2005, p.26 et s.; D. DÉOM, « Enseignement libre et autorité administrative : dis moi oui, dis-moi non »,A.P.T., 2004, p. 95 et s.; M. LEROY, Contentieux administratif, 4ème éd., Bruylant, 2008, pp. 289à 311; P. LEWALLE et L. DONNAY (coll.), op. cit., pp. 641 à 714 ; S. LUST, « Wat is eenadministratieve overheid ? », N.J.W., 2004, p. 1046 et s.

7 Soit le Roi, les ministres et secrétaires d’Etat, membres du Gouvernement fédéral, lesmembres des Gouvernements communautaires et régionaux, les membres du collège de laCommission communautaire française et de la Commission communautaire commune.

8 Par exemple les universités publiques ressortissant à la Communauté.9 Organes des provinces, des communes, de l’agglomération bruxelloise, de la plupart des

établissements publics, des entreprises publiques économiques, des associationsintercommunales, ...

10 Infra, n/ 2.3.11 Rappelons toutefois que « l’acte détachable au contrat » adopté par une autorité

administrative relève bel et bien de la compétence d’annulation de la juridiction administrative.Pour une analyse critique de la théorie des actes détachables, voy. M. LEROY, Contentieuxadministratif, op. cit., pp. 231 à 255.

portrait à gros traits sans se perdre dans les méandres de son interprétation et de renvoyer àd’autres synthèses plus complètes6 le lecteur intéressé par les détails de cette véritable saga.

En la considérant au sens premier, l’autorité administrative semble tout naturellementdevoir s’inscrire dans l’orbite du pouvoir exécutif, qu’il soit fédéral, communautaire ou régional.On concevrait mal, en effet, que l’on qualifiât d’autorité administrative une personne physiqueou morale privée.

Dans son sens originel, l’autorités administrative visée à l’article 14, § 1er, des loiscoordonnées, regroupe, d’une part, les organes qui, en vertu de la Constitution et des loisspéciales de réformes institutionnelles, exercent le pouvoir exécutif 7, et, d’autre part, les organesqui, en vertu d’une norme de rang constitutionnel ou législatif, sont soumis au contrôlehiérarchique8 ou au contrôle de tutelle9 du Gouvernement fédéral, communautaire ou régional.

Par application du critère organique de l’autorité administrative, sont notamment exclusde la compétence du Conseil d’Etat les actes accomplis par le pouvoir législatif fédéral,communautaire ou régional, ainsi que ceux émanant du pouvoir judiciaire. Toutefois, ainsi quenous allons le voir, le Conseil d’Etat est compétent pour connaître du recours introduit contrecertains actes de ce type, non pas par le biais de la notion d’autorité administrative mais en raisondes adjonctions législatives apportées à l’article 14 des lois coordonnées10.

En application du critère organique de l’autorité administrative, le Conseil d’Etat estégalement amené à décliner sa compétence pour connaître des contrats et marchés conclus entreune autorité administrative et un particulier ou une personne morale de droit privé11. Uneattention particulière doit être accordée cependant à un arrêt prononcé le 12 avril 2005 : alors quela requête visait à l’annulation de la décision du conseil communal de la ville de Liège du 9novembre 1998 « de modifier les clauses et conditions du marché conclu avec la société PAGEM et relatif à la collecte des déchets ménagers et des déchets encombrants sur (son) territoire(...) par l’adoption d’un avenant n/ 4 et, notamment, de proroger la durée de ce marché jusqu’àla date du 30 juin 2005 », le Conseil d’Etat s’est déclaré compétent en affirmant que « l’acteattaqué est un acte unilatéral du conseil communal certes impuissant à modifier à lui seull’ordonnancement juridique, lequel ne le serait que si le contractant accepte ce qui n’est qu’uneoffre, même précédée de négociations entre les services de la ville et ledit cocontractant auquelil est loisible de refuser et de s’adresser au juge du contrat pour obtenir des dommages etintérêts; que l’acte attaqué est un acte administratif unilatéral détachable tant du contrat initial

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12 C.E., 2 avril 2005, Watco, n/ 142.998; J.T., 2005, p. 622, obs. D. LAGASSE et C.E. 9mars 2006, Watco, n/ 156.161. En revanche, le Conseil d’Etat est incompétent pour connaîtredu recours en annulation ayant pour objet l’acte par lequel une autorité administrative met fin àun contrat en vertu d’un droit de résiliation consacré par le contrat lui-même (C.E., 4 septembre2008, A.S.B.L. Tourisme social de Chimay, n/ 186.074).

13 C.E., 8 mars 2006, Brynaert, n/ 156.078; C.E., 28 mars 2006, Vanbergen, n/ 157.044;sur ces arrêts, voy. les observations de D. RENDERS et Th. BOMBOIS, J.T., 2006, p. 317 et s.

que de l’éventuelle convention résultant de l’acceptation de l’offre par le contractant; que leConseil d’Etat a le pouvoir d’annuler les actes des autorités administratives lorsque ceux-cipeuvent faire l’objet d’un recours objectif, par opposition au recours dont l’objet véritable etdirect est de faire consacrer l’existence d’un droit subjectif, civil ou politique, ou de faire assurerle respect d’un tel droit ; que le recours en annulation de la requérante, tiers tant au contratinitial qu’à l’éventuelle convention future, ne porte pas sur la méconnaissance d’un droitsubjectif mais vise au respect de la légalité, en raison du grief que, selon elle, lui cause l’acteattaqué dans la mesure où il la prive de la possibilité de poser sa candidature pour la collectedes déchets sur le territoire de la partie adverse durant la nouvelle période qui fait l’objet del’acte attaqué; que le déclinatoire de juridiction ne peut être accueilli »12 .

B) Examen d’une application particulière : la motion de méfianceconstructive

Etudier les contours du critère organique de l’autorité administrative conduitinévitablement à se demander si certains actes adoptés par ces autorités ne resteraient pas malgrétout en dehors de la compétence d’annulation du Conseil d’Etat en raison de leur caractèrehautement politique.

En d’autres termes, existe-t-il, en droit belge, des actes qui, en dépit du fait qu’ils ontété pris par des autorités administratives, demeurent à l’abri du contrôle de la juridictionadministrative à cause de leur nature juridique particulière?

Rappelons qu’en droit belge, doctrine et jurisprudence rechignent à reconnaîtrel’existence de ce que l’on a coutume d’appeler « les actes de gouvernement ».

Cette problématique a fait l’objet de développements récents lorsque le Conseil d’Etata dû déterminer la nature juridique de la motion de méfiance constructive que le législateurwallon avait décidé d’introduire dans le Code de la démocratie locale et de la décentralisation.

Les premières applications qui en ont été faites par le conseil communal de La Louvièrepuis par celui de Charleroi ont donné lieu à des arrêts de suspension prononcés en extrêmeurgence par le Conseil d’Etat13. Dans les deux cas, la motion a été considérée comme un actede portée individuelle accompli par une autorité administrative et le moyen pris de laméconnaissance du principe "Audi alteram partem" a été reconnu sérieux.

Dans une troisième espèce, la motion de méfiance visait un échevin de Sambreville.Le Conseil d’Etat a rejeté le recours de celui-ci, en affirmant que les moyens n’étaient pas sérieuxen ce qu’ils étaient pris d’une illégalité de procédure (violation du droit d’être entendu) et deforme (défaut de motivation). Mais le Conseil d’Etat n’a pas jugé plus sérieux le moyen pris dudéfaut de motif : il a affirmé à cet égard que « les motifs de la confiance ou de la méfiance quipeut régner entre les membres d’une assemblée ou d’un collège démocratiquement élu, tel unconseil communal ou un collège des bourgmestre et échevins, paraissent relever exclusivementde l’appréciation de ses membres; que l’examen des motifs de cette confiance ou de cette

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14 C.E., 17 mai 2006, Maniscalco, n/ 158.939. Voy. D. DÉOM et Th. BOMBOIS, « Du neufpour les communes et provinces wallonnes ou quand la nouvelle loi communale devintl’ancienne », R.B.D.C., 2006, pp. 47 et 48. Ceux-ci critiquent la dissociation introduite entre lecontrôle de la motivation formelle, qui doit être adéquate, et le refus de contrôler les motifs dela motion.

15 C.E., 11 juillet 2006, Vanbergen, n/ 161.253. La demande a été rejetée après examendes moyens soulevés, aucun n’apparaissant sérieux et de nature à justifier l’annulation de l’acteattaqué.

16 C.C., n/ 156/2007 du 19 décembre 2007.

méfiance est étranger au contrôle de légalité que le Conseil d’Etat peut exercer sur la base del’article 14, § 1er, des lois coordonnées le 12 janvier 1973 »14.

Le contentieux qui s’est ainsi développé a vivement contrarié l’autorité politique, quientendait très manifestement que la motion de méfiance échappât aux contrôles administratifsou juridictionnels. C’est dans cet esprit qu’a été voté le décret du 8 juin 2006 modifiant le Codede la démocratie locale et de la décentralisation.

On peut observer que, dès le 29 juin 2006, le conseil communal de Charleroi a faitapplication de la nouvelle mouture de l’article L 1123-14 de ce Code en votant une motion deméfiance à l’encontre de M. Vanbergen. Celui-ci en a poursuivi la suspension, en extrêmeurgence. Le Conseil d’Etat a accepté de connaître de cette demande : il a rejeté l’exceptiond’irrecevabilité de la ville de Charleroi, qui soutenait que la décision attaquée n’était pas un acteou un règlement d’une autorité administrative, mais la manifestation d’une méfiance politiqueexprimée par un organe politique sur base de considérations politiques à l’égard d’un élu15.

Tout était-il réglé sur ce plan d’importance ? Rien n’était moins sûr ! Par un recoursintroduit le 15 décembre 2006, M. Vanbergen a poursuivi devant la Cour constitutionnellel’annulation du décret modificatif du 8 juin 2006. Il lui reprochait, notamment, d’exclure toutcontrôle juridictionnel de la motion de méfiance et, singulièrement, celui du Conseil d’Etat.

La Cour constitutionnelle a rappelé que si la volonté du législateur wallon avait été desoustraire la motion de méfiance à la compétence du Conseil d’Etat, celui-ci n’avait pas moinsaccepté d’en connaître, en sorte que les dispositions attaquées n’avaient pas pour effetd’empêcher tout contrôle juridictionnel. Tout en affirmant qu’elle n’avait pas à se prononcer enl’espèce sur la compétence du Conseil d’Etat, la Cour constitutionnelle a jugé que le moyendonnait aux dispositions attaquées une interprétation qui n’était pas celle retenue par le Conseild’Etat et qu’il n’était pas fondé16. Il nous paraît que cette conclusion se comprendraitdifficilement si la Cour constitutionnelle jugeait que la motion de méfiance devait échapper, parsa nature, au recours pour excès de pouvoir.

2.2 Le critère matériel ou fonctionnel de l’autorité administrative

L’examen de la jurisprudence fait ressortir que des institutions, associations,établissements, créés par des particuliers et revêtant une forme de droit privé, ont été reconnusdans certaines hypothèses comme autorités administratives. C’est qu’il faut tenir compteaujourd’hui, dans l’opération de repérage des autorités administratives, de l’activité exercée etdes prérogatives attribuées à l’organisme considéré.

A partir de ce critère s’est développée sur le sujet une jurisprudence particulièrementsinueuse qui, tantôt, conduit à la reconnaissance de la qualité d’autorité administrative (A); tantôtempêche la reconnaissance de la même qualité (B).

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17 Cass. 6 septembre 2002, précité; R.C.J.B., 2005, p. 5 et s., obs. X. DELGRANGE ; F.TULKENS et J. SOHIER, « Chronique de jurisprudence 2001-2002 », R.B.D.C., 2003, p.449.

A) L’incidence positive du critère matériel

A.1) Les établissements d’enseignement libre

L’application la plus spectaculaire du critère matériel est sans conteste celle qui conduità reconnaître, dans certains cas, la qualité d’autorité administrative aux établissementsd’enseignement libre lorsqu’ils agissent dans leurs rapports avec leurs élèves et étudiants.

A cet égard, l’arrêt de référence demeure celui prononcé par la Cour de cassation le 6septembre 2002, en cause de Gert Meulenijzer et de l’Instituut Zusters van de onbevlekteontvangenis (Soeurs de l’Immaculée Conception).

Le pourvoi était dirigé contre un arrêt n/ 96.316 prononcé le 12 juin 2001 par le Conseild’Etat qui s’était déclaré incompétent pour connaître du recours visant la décision par laquellele conseil de classe de la 6ème année sciences-mathématiques de l’Instituut Zusters van deOntbevlekte Ontvangenis avait délivré une attestation C au requérant Gert Meulenijzer. L’arrêtdu 12 juin 2001 s’appuyait lui-même explicitement sur l’arrêt n/ 93.289 prononcé parl’assemblée générale de la section d’administration le 13 février 2001 sur recours de MelleDeschutter.

La Cour de cassation a cassé cet arrêt du 12 juin 2001 en s’exprimant comme suit : « Attendu que l’article 14 des lois coordonnées sur le Conseil d’Etat dispose que le Conseild’Etat statue sur les recours en annulation pour violation des formes soit substantielles, soitprescrites à peine de nullité, excès ou détournement de pouvoir, formés contre les actes etrèglements des diverses autorités administratives; que des institutions créées par des personnesprivées mais agréées par les pouvoirs publics fédéraux, les pouvoirs publics des communautéset des régions, des provinces ou des communes, constituent des autorités administratives au sensde cet article dans la mesure où leur fonctionnement est déterminé et contrôlé par les pouvoirspublics et où elles peuvent prendre des mesures obligatoires à l’égard des tiers, plusspécialement en déterminant de manière unilatérale leurs propres obligations à l’égard des tiersou en constatant unilatéralement les obligations des tiers; que les actes posés par cesétablissements peuvent faire l’objet d’une annulation lorsque ceux-ci exercent une partie del’autorité publique; Attendu que le Conseil d’Etat se déclare incompétent pour connaître du recours du demandeurpar le motif que : 1. le défenderesse est un établissement d’enseignement libre;2. la défenderesse a été créée par des personnes privées;3. des personnes privées règlent le mode de fonctionnement de la défenderesse;4. des personnes privées peuvent décider de la supprimer;que le Conseil d’Etat en en déduit que la défenderesse n’a aucun lien organique avec lespouvoirs publics;[...]Attendu que le fait que la défenderesse est un établissement d’enseignement libre créé par despersonnes privées et qu’il peut être supprimé par des personnes privées n’exclut pas que ladéfenderesse puisse être autorisée à prendre des décisions obligatoires à l’égard des tiers; quele seul fait qu’une institution n’a pas de lien organique avec les pouvoirs publics n’exclut pasla compétence du Conseil d’Etat; que l’arrêt n’est pas légalement justifié; que le moyen est fondé[...] » 17.

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18 Cass., 14 février 1997.19 C.E., 8 octobre 2002, Hofmans, n/ 111.088, R.A.B.G., 2003, p. 60, obs. S. LUST.

La Cour de cassation affirme que cinq indices ou critères concourent à caractériserl’autorité administrative : le premier est d’être créé ou agréé par les pouvoirs publics, ledeuxième est d’être chargé d’un service public, le troisième est de n’être pas partie du pouvoirjudiciaire ou législatif, le quatrième est d’être contrôlé ou déterminé dans son fonctionnementpar les pouvoirs publics, le cinquième est de pouvoir prendre des décisions obligatoires à l’égarddes tiers18.

N’est autorité administrative que l’entité qui réunit ces cinq indices ou critères : ils sontcumulatifs.

L’arrêt du 6 septembre 2002 nous paraît particulièrement significatif des rapportsimposés par la Cour de cassation entre critère organique et matériel de l’autorité administrative:le premier ne peut plus être considéré comme une condition nécessaire de l’autoritéadministrative, puisque la Cour de cassation affirme que « le seul fait qu’une institution n’a pasde lien organique avec les pouvoirs publics n’exclut pas la compétence du Conseil d’Etat ».

Par son arrêt n/ 41/2003 du 9 avril 2003, la Cour constitutionnelle nous paraît avoircorroboré l’arrêt du 6 septembre 2002 prononcé par la Cour de cassation.

Les implications de cette prise de position sont considérables : elles aboutissent à unélargissement certain, mais difficilement mesurable, de la notion d’autorité administrative et,partant, de la compétence de la section du contentieux administratif du Conseil d’Etat. Il suffiten effet qu’une personne, physique ou morale, de droit privé exerce, dans l’intérêt général, uneactivité contrôlée par les pouvoirs publics pour qu’elle ait la qualité d’autorité administrative,dans la mesure en tout cas où elle peut, dans ce cadre, prendre des décisions obligatoires vis-à-visdes tiers.

Les répercussions de cette jurisprudence sont très nettes en ce qui concerne les décisionsprises par les établissements d’enseignement libre à l’égard de leurs étudiants : celles-ci relèventde la compétence du Conseil d’Etat si elles procèdent du pouvoir de prendre des décisionsobligatoires vis-à-vis des tiers. Mais ceci ne se vérifie que pour certaines, et non pas pour toutes,les décisions prise par les pouvoirs organisateurs de tels établissements, ce qui exige une grandecirconspection.

La délivrance ou le refus de délivrance d’un diplôme, en vertu d’une loi ou d’un décret,a été considérée comme l’exercice d’un tel pouvoir : telle fut la position prise, en termesprudents, dès le 8 octobre 2002, par le Conseil d’Etat statuant en référé au sujet du refus de ladélivrance de l’attestation de réussite d’un examen par la V.Z.W. Sint-Bavohumanoria19; telleest sans nul doute la portée des arrêts prononcés par l’assemblée générale de la sectiond’administration le 4 juin 2003 dans les causes Zitoumi c/ Institut technique CardinalMercier-Notre-Dame du Sacré Coeur n/ 120.131 et Van den Brande c/ A.S.B.L. InrichtendeMacht van de Vlaamse Katholieke Hogeschool voor wetenschap en Kunst, n/ 120.143.

Il n’en est pas de même de l’exclusion définitive d’un élève, prononcée par le pouvoirorganisateur d’un établissement d’enseignement libre, à en juger d’après les termes de l’arrêt du18 mai 2004, Dupont c/ Le centre scolaire Saint-Stanislas, n/ 131.565, par lequel le Conseild’Etat a refusé d’en connaître. Un arrêt du 15 juin 2004 rejette encore la demande de suspensionen extrême urgence de l’exécution d’une décision du 27 mai 2004 par laquelle le pouvoirorganisateur de l’Ecole Pratique des Hautes Etudes Commerciales confirme la décision

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20 C.E., 15 juin 2004, Tonnelier, n/ 132.434.21 C.E., 6 juillet 2005, Gillet c/ A.S.B.L. Comité organisateur des instituts Saint-Luc, n/

147.376 ; C.E., 22 mai 2006, Bakhati et El Jaouani c/ A.S.B.L. le jury de l’Institut MarieImmaculée Montjoie, n/ 159.070 ; C.E., 13 avril 2007, Metens c/ Collège Sainte-Gertrude deNivelles, n/ 170.005.

22 C.E., 25 juin 2007, Rozenzweig c/ U.L.B., n/ 172.698 ; comp. toutefois avec C.E., 12novembre 2007, Bassomo c/ U.L.B.,n/ 176.712, dans lequel un recours contre un refusd’inscription est rejeté non pour incompétence mais pour défaut d’exercice d’un recours préalableorganisé.

23 Ainsi, par un arrêt n/ 125.889, prononcé le 2 décembre 2003, le Conseil d’Etat a décidéque l’attribution par une Haute Ecole d’un marché public de travaux en application de la loi du24 décembre 1993 relative aux marchés publics et à certains marchés de travaux, de fournitureset de services, ne l’amène pas à prendre une décision obligatoire vis-à-vis des tiers. Pareilledécision n’est donc pas celle d’une autorité administrative dont le Conseil d’Etat peut connaître.

24 Cass., 6 septembre 2002, Leman c/ K.U.L. Cet arrêt confirme la jurisprudenceantérieure (Cass., 18 décembre 1997, Hoge School Sint-Lucas).

d’exclusion définitive prise à l’égard d’un étudiant, en considérant qu’elle s’inscrit dans le cadrede la convention d’inscription signée par celui-ci en début d’année académique20.

S’inscrivent encore dans cette perspective, des arrêts du 6 juillet 2005, du 22 mai 2006et du 13 avril 2007 qui décident qu’un établissement libre subventionné n’agit en qualitéd’autorité administrative que lorsqu’il prend des actes administratifs unilatéraux qui lient lestiers; qu’une décision d’exclusion définitive d’un élève, mineur aussi bien que majeur, d’un telétablissement, à titre disciplinaire, ne rentre pas dans cette catégorie; qu’elle ne fait en effet pasobstacle à l’inscription de l’élève qui en fait l’objet dans un autre établissement; que, de manièregénérale, les élèves qui choisissent de faire leurs études dans un établissement d’enseignementlibre, fût-il subventionné, se trouvent normalement placés dans une situation contractuelle demanière telle que les contestations qui y ont trait relèvent en principe de la compétence exclusivedes cours et tribunaux de l’Ordre judiciaire21.

Il a été précisé par l’arrêt n/ 159.070 du 22 mai 2006, précité, que même si le pouvoirde l’établissement d’enseignement subventionné d’exclure définitivement un élève régulièrementinscrit ne peut s’exercer que pour des causes et selon les modalités prévues par un décret, cetencadrement législatif n’a pas pour effet de soustraire les contestations portant sur l’exercice dece pouvoir à la compétence des cours et tribunaux de l’Ordre judiciaire et de les attribuer auConseil d’Etat .

On peut penser qu’ainsi s’explique encore que le Conseil d’Etat ne puisse connaître durefus d’inscription aux examens décidé par une université libre sur la base de l’article 6, § 3,alinéa 2, de l’arrêté du Gouvernement de la Communauté française du 31 octobre 1996 réglantl’organisation et le fonctionnement des jurys d’enseignement universitaire de la Communautéfrançaise ; il a été décidé que ce refus ne produit pas d’effet à l’égard des tiers, les autresuniversités n’étant pas obligées de refuser d’inscrire l’étudiant concerné aux examens de la mêmeannée d’études22.

En conclusion, il ne faut pas se méprendre sur la portée de ces développementsjurisprudentiels : les établissement d’enseignement libre ne sont considérés comme des autoritésadministratives que lorsqu’ils adoptent une décision que l’on peut « raccrocher » à la délivranced’un diplôme. Sont dès lors exclues de la compétence du Conseil d’Etat les décisions parlesquelles ceux-ci passent des marchés publics23, celles qui concernent les rapports entre cesinstitutions et les membres de leur corps enseignant24 et celles qui, prises à l’égard des élèves ou

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25 Par un arrêt Elorza de la Fuente, n/ 185.150 du 3 juillet 2008, le Conseil d’Etat a jugéque la décision, prise par une université libre, refusant d’admettre un étudiant à s’inscrire enqualité d’étudiant régulier à l’année préparatoire à un master ne produit pas d’effet à l’égard destiers, les autres universités n’étant pas obligées, en raison de son existence, de refuser à cetétudiant l’admission aux études de deuxième cycle.

26 C.E., 6 mai 2004, BVBA Peter Van De Velde, n/ 131.123.27 C.E., 6 mai 2004, NV Bouw en Renovatie, n/ 131.122 ; R.A.B.G., 2004, obs. F.

VANDENDRIESSCHE; C.D.P.K., 2006/2, p. 422 et s., avis de J. STEVENS.28 Cass., 10 juin 2005, n/ de rôle C040278N; C.D.P.K., 2006/2, p. 420. Voy. P. JOASSART,

« Les sociétés de logement social et leur personnel : des relations d’incertitude », J.T., 2007, p.19 et s. Voy. encore, C.E., 20 novembre 2007, NV Bouwcentrale Modern, n/ 176.890, cité parE. THIBAUT , « Actualités de la jurisprudence de la section du contentieux administratif duConseil d’Etat relative aux marchés publics », A.P.T., 2009, pp. 23 à 69.

29 Cass. 28 octobre 2005, n/ de rôle : C040575N ; Pas., I, 2005, p. 2060.

étudiants, concernent le domaine disciplinaire ou touchent aux conditions d’inscription et nonà la délivrance d’un diplôme25.

A.2) Trois applications dans le domaine économique et social

1) Par un arrêt du 6 mai 200426, le Conseil d’Etat avait rejeté un déclinatoire decompétence, et conclu que, comme il l’avait décidé par un arrêt antérieur du même jour27, unesociété de logement social devait être considérée comme une autorité administrative.

Il avait décidé en ce sens en observant que, la base de l’article 84, 85 et 90 du décret du15 juillet 1997 contenant le Code flamand du logement, la société de logement social pouvaitprendre des décisions obligatoires à l’égard des tiers en exécution de la mission d’intérêt généraldont elle est investie. Il s’agissait du droit de "reprendre", à certaines conditions, les habitationssociales vendues ou de demander une indemnité aux acheteurs d’une habitation sociale quirevendent ou louent celle-ci, du droit de préemption sur les habitations dans lesquelles elles ontexécuté des travaux d’adaptation, de rénovation ou d’amélioration, et du droit de gestion socialesur certaines habitations incluant notamment le droit de donner ces habitations en location ou d’yeffectuer des travaux sans l’autorisation du propriétaire, du superficiaire, de l’emphytéote ou del’usufruitier.

La Cour de cassation devait décider ensuite, à l’inverse du Conseil d’Etat, « Qu’il ressortuniquement de ces dispositions que le législateur décrétal a subordonné les droits des sociétésde logement social à l’égard de tiers à certaines conditions ; qu’il ne peut être déduit de cesdispositions que ces sociétés de logement social ont été investies du pouvoir de prendre desdécisions obligatoires à l’égard des tiers ; Qu’ainsi, la demanderesse n’est pas une autoritéadministrative au sens de l’article 14 des lois coordonnées sur le Conseil d’Etat »28.

2) Des observations analogues peuvent être formulées au sujet de la position prise parla Cour de cassation dans son arrêt du 28 octobre 2005, par lequel elle considère commelégalement justifié l’arrêt du Conseil d’Etat du 10 novembre 2004 déclarant, sur recours ensuspension d’extrême urgence, que l’A.S.B.L. BOFAS (Bodemsaneringsfonds voorbenzinestations - Fonds d’assainissement des sols des stations-service) n’est pas une autoritéadministrative, faute pour celle-ci de disposer du pouvoir de prendre des décisions obligatoiresvis-à-vis des tiers29.

3) La jurisprudence de la Cour de cassation obligeait-t-elle à conclure que la Sociétéwallonne de Financement Complémentaire des infrastructures, en abrégé SOFICO, créée pardécret sous la forme d’une personne morale de droit public dont les statuts étaient fixés par le

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30 C.E., 6 novembre 2007, S.A. Algemene aannemingen Van Laere, n/ 176.478.31 Par exemple, la promulgation d’un décret par un Gouvernement.32 Par exemple, un arrêté royal refusant une grâce ou la décision du ministre de la Justice

portant libération conditionnelle, refus ou révocation de celle-ci (voy. notamment C.E., 29 mai2000, Maes, n/ 87.664, ainsi que C.E., 14 novembre 2002, Alagozlu, n/ 112.558 ; voy. encoreY. VAN DEN BERGE, « De bevoegdheid van de Raad van State inzake de strafuitvoering »,R.A.B.G., 2006/ 12, p. 913 et s.

Gouvernement wallon, n’était pas une autorité administrative, à défaut pour elle, au moment desfaits, de disposer du « pouvoir de prendre des décisions obligatoires vis-à-vis des tiers » ? C’estce qui fut soutenu dans le litige qui l’opposait à la société anonyme Algemene Aannemingen VanLaere au sujet du marché de travaux ayant abouti à la construction du pont-canal àHoudeng-Aimeries.

Ce déclinatoire de compétence fut rejeté par le Conseil d’Etat au motif que, telle quecréée et contrôlée par les pouvoirs publics et chargée de mettre, à titre onéreux, à la dispositiondes utilisateurs, des infrastructures d’intérêt régional dont elle assurait le financement, laréalisation, l’entretien et l’exploitation, la SOFICO avait le caractère d’une autoritéadministrative tant du point de vue organique que fonctionnel30.

Cet arrêt pourrait indiquer que si le "pouvoir de prendre des décisions obligatoiresvis-à-vis des tiers" peut servir à qualifier une institution de droit privé d’autorité administrative,un organisme créé par les pouvoirs publics sous la forme d’une personne morale de droit publicet chargée d’une mission d’intérêt général est une autorité administrative, même en l’absenced’un tel pouvoir.

B) L’incidence négative du critère matériel

La prise en compte du critère matériel obligera à écarter de la compétence du Conseild’Etat toute une série d’actes juridiques qui, bien qu’accomplis par des autorités organiquementadministratives, sortent du cadre strict de la fonction administrative; il en est ainsi s’il s’avèreque par son objet, par la matière qu’il traite, l’acte se rattache aux activités du pouvoir législatifou judiciaire.

Le critère matériel, ou fonctionnel, joue ainsi un rôle réducteur de la catégorie desautorités administratives, et par conséquent de la compétence du Conseil d’Etat. Ainsidevra-t-on exclure les actes émanant d’organes administratifs collaborant à l’exercice du pouvoirlégislatif31, ainsi que ceux accomplis par des organes collaborant à l’exercice du pouvoirjudiciaire, qui concourent à l’exercice de la fonction judiciaire, ou à l’exécution des arrêts etjugements du pouvoir judiciaire32.

Dans ce secteur frontière situé entre les "actes judiciaires" et les "actes des autoritésadministratives", la jurisprudence nous paraît être orientée dans le sens d’une interprétationplutôt extensive de la compétence du Conseil d’Etat, notamment lorsqu’il s’agit de mesuresprises par des autorités administratives vis-à-vis de personnes privées de liberté à la suite de ladécision d’un juge judiciaire.

Ainsi, le Conseil d’Etat s’est déclaré compétent pour apprécier la légalité de la décisiondu même directeur de placer un détenu au cachot pendant 9 jours et de lui imposer trois mois de

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33 C.E., 21 décembre 2001, Wadeh, n/ 102.343; Journal des procès, 2002, obs. R. DEBECO et S. CUYKENS, n/ 432 (pp. 27 à 30), n/ 433 (pp. 14 à 17) et n/ 434 (pp. 24 et 25). On litdans cet arrêt que : « l’exécution des peines prononcées par les Cours et tribunaux relève dupouvoir exécutif; que les autorités compétentes de celui-ci doivent dès lors nécessairementprendre des décisions concernant l’exécution des peines, soit par la voie réglementaire, soit pardes actes individuels; qu’à l’égard de ces derniers, quelque "discrétionnaire" que soit la mesureprise par l’autorité administrative, celle-ci est tenue au respect de normes et de règles tant dedroit international que de droit interne; qu’en tant qu’organe prêtant son concours à unedécision prononcée par les Cours et tribunaux, en prenant une décision telle que celle dont lasuspension est demandée, la partie adverse agit en tant qu’autorité administrative relevant dupouvoir exécutif et ses actes sont des actes émanant d’une autorité administrative agissant dansl’exercice des compétences qu’elle tient de la Constitution ».

34 C.E., 16 novembre 2000, Goldenberg, n/ 90.826, J.T., 2001, obs. J.M.35 Sur ce sujet, voy. B. CUVELIER, « Le Conseil d’Etat et le contentieux pénitentiaire : acte

II », A.P.T., 2003, p. 182.36 C.E., 25 février 2003, Kacorri, n/ 116.447 ; C.E., 25 mars 2005, F’Dillate , n/ 142.686;

C.E., 12 juillet 2005, El Amrani, n/ 147.592 ; C.E., 9 mai 2006, Magy, n/ 158.525 et C.E., 29décembre 2007, Bamouhammad, n/ 178.255.

régime strict33 ou de la décision du ministre de la Justice refusant à un détenu la possibilité debénéficier du système de surveillance électronique34.

Par un arrêt De Smedt, n/ 116.899 du 11 mars 2003, prononcé en assemblée générale,le Conseil d’Etat s’est déclaré compétent pour connaître de la légalité de la décision de ladirection du complexe pénitentiaire de Bruges infligeant à un condamné à une peined’emprisonnement une sanction disciplinaire de deux fois neuf jours de cellule d’isolement, unjour de cellule de sécurité, deux mois de régime strict et la privation de son travail à l’atelierquatre : « conformément à l’article 40, alinéa 2, de la Constitution, et sous réserve de son article157, alinéa 4, les peines prononcées par les cours et tribunaux sont exécutées par le pouvoirexécutif; que le directeur d’un établissement pénitentiaire ressortit au pouvoir exécutif; que lesimple fait qu’il exerce ses compétences "dans le cadre de l’exécution de la peine", ainsi qu’ilest affirmé dans le mémoire en réponse, ne suffit pas pour lui dénier la qualité d’autoritéadministrative au sens de l’article 14 des lois sur le Conseil d’État coordonnées le 12 janvier1973; qu’il n’y aurait lieu de le faire que dans la mesure où il collaborerait directement àl’exécution des jugements et arrêts répressifs; que tel n’a pas été le cas en l’espèce; que l’onn’aperçoit pas de lien suffisamment direct entre les peines d’emprisonnement auxquelles lerequérant a été condamné et la sanction disciplinaire attaquée qui lui a été infligée en raison desfaits qui se sont produits début avril 2000; qu’en outre, la décision attaquée a été prise dans lecadre de l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire et le requérant ne fait pas valoir qu’elleconstitue une violation de ses droits subjectifs; que, dès lors, le recours n’a pas pour véritableobjet la reconnaissance ou le rétablissement d’un droit subjectif »35.

D’autres arrêts récents vont dans le même sens36.

On ne perdra pas de vue que les arrêts dont il vient d’être succinctement rendu compterépondent à un contexte législatif précis. A partir de leur mise en vigueur, laquelle n’a rien d’unesinécure, il s’imposera de tenir compte des lois du 12 janvier 2005 de principes concernantl’administration pénitentiaire ainsi que le statut juridique des détenus, du 17 mai 2006 relativeau statut juridique externe des personnes condamnées à une peine privative de liberté et auxdroits reconnus à la victime dans le cadre des modalités d’exécution de la peine et du 17 mai2006 instaurant des tribunaux d’application des peines.

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37 C.A., n/ 31/96 du 15 mai 1996.38 C.A., n/ 33/94 du 26 avril 1994.39 La proposition appelée à devenir la loi du 15 mai 2007 visait à prendre en compte un

arrêt n/ 89/2004 de la Cour d’arbitrage du 19 mai 2004. Par cet arrêt, la Cour constitutionnelle,alors Cour d’arbitrage, avait constaté que les fonctionnaires des assemblées législatives ne

La loi du 12 janvier 2005 ne paraît pas faire obstacle à la compétence du Conseil d’Etat,précédemment affirmée, pour connaître par exemple d’un recours en annulation et,éventuellement, en suspension d’une mesure de transfert d’une prison à une autre, sur la base del’article 17 de la loi précitée, ou de la décision de suppression de visites, sur la base de l’article59 de la même loi. De même d’une mesure disciplinaire prise par le directeur de la prison enapplication de l’article 127, § 1er, de la même loi. En application de la loi du 17 mai 2006relative au statut juridique externe des personnes condamnées à une peine privative de liberté,le Ministre de la Justice peut fixer les modalités d’exécution de la peine, telle la permission desortie et le congé pénitentiaire. Selon les travaux préparatoires, le Conseil d’Etat est compétentpour connaître d’un recours à l’égard du refus de la première, alors que le refus de congépénitentiaire n’est susceptible d’aucun recours.

Enfin, la loi du 17 mai 2006 instaurant des tribunaux de l’application des peines prévoit,en son article 42, que ceux-ci sont compétents pour les condamnés détenus dans lesétablissements pénitentiaires situés dans le ressort de la Cour d’appel où il sont établis, saufexceptions prévues par le Roi. Cette disposition doit être combinée avec la loi du 17 mai 2006relative au statut juridique externe des personnes condamnées à une peine privative de liberté,articles 21 et suivants, qui réservent au juge de l’application des peines ou au tribunald’application des peines, selon qu’il s’agit de peines privatives de liberté de moins de trois ansou de plus de trois ans, le soin de décider de la détention limitée et de la surveillanceélectronique, de la libération conditionnelle et de la mise en liberté provisoire en vue del’éloignement du territoire ou de la remise.

Il nous paraît clair que les décisions du juge ou du tribunal d’application des peines,n’émanant pas d’une autorité administrative, ne relèvent pas de la compétence du Conseil d’Etat.

2.3 L’autorité administrative et ses adjonctions dans la législation sur le Conseil d’Etat

La formulation originelle de l’article 14 des lois coordonnées sur le Conseil d’Etat, quine rendait cette juridiction compétente que pour les actes des autorités administratives, estapparue, au fil du temps, trop étroite.

Des difficultés se sont élevées, entre autres, au sujet de recours visant à l’annulation dedécisions prises à l’égard de leurs agents par des assemblées législatives37 et d’une sanction priseà l’égard d’un greffier par un Procureur général38.

Le Conseil d’Etat ne paraissait pas compétent pour connaître d’un recours en annulationde tels actes. Mais cette solution était malaisément justifiable, eu égard aux articles 10 et 11 dela Constitution, la plupart des agents des pouvoirs publics étant en mesure de saisir le Conseild’Etat en vue de défendre leurs intérêts.

Par une loi du 25 mai 1999, le législateur est dès lors intervenu une première fois pourremédier à ces manquements. Cette formulation a été complétée encore par la loi du 15septembre 2006 réformant le Conseil d’Etat et créant un Conseil du Contentieux des Etrangers,puis par la loi du 15 mai 2007, laquelle a ouvert le recours en annulation contre les actesréglementaires des organes énumérés dans cette disposition39.

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pouvaient, lors d’un recours en annulation d’un acte individuel, contester par voie d’exceptionun acte réglementaire adopté par cette assemblée, ni introduire directement un recours enannulation contre un tel acte réglementaire devant le Conseil d’Etat. Elle avait conclu quel’absence de ces garanties générait une discrimination. La proposition de loi visait donc àcompléter le texte de l’article 14, § 1er, des lois coordonnées sur le Conseil d’Etat en précisantqu’étaient attaquables les actes administratifs tant individuels que réglementaires des assembléeslégislatives, des juridictions et des organes connexes. Mais elle ne réglait pas la secondeinconstitutionnalité constatée par la Cour d’arbitrage, à savoir l’impossibilité de soulever àl’encontre de ces actes une exception ou un moyen d’illégalité dans le cadre d’un recours enannulation dirigé contre un acte individuel basé sur un acte administratif réglementaire. C’est surla suggestion de la section de législation du Conseil d’Etat que cette proposition a été complétée.Le fondement de ces adaptations a été trouvé dans l’article 160 de la Constitution (Doc. parl.,Ch., sess. 2006-2007, n/ 51 2863/002). Voy. S. LUST, « De hervorming van de Raad van Stateanno 2006 », C.D.P.K., 2007, p. 248 et M. NIHOUL, « Les affres de la législation en matièred’"autorité administrative" et le respect de la Constitution », J.T., 2008, p. 71 et s.

40 Ainsi, par deux arrêts prononcés par l’assemblée générale de la section d’administrationle 19 juillet 2004, le Conseil d’Etat a accepté de connaître d’une demande de suspension del’exécution de décisions du Bureau de la Chambre des représentants nommant diverses personnesaux fonctions de premier assistant de direction non permanent au cadre du service du Compterendu intégral (C.E., ass., 19 juillet 2004, Verheyden, n/ 134.022; Bauwens, Peeters et Ingels, n/134.023, J.L.M.B., 2006, pp. 24 à 42, obs. L. DONNAY : « Le risque de préjudice gravedifficilement réparable en matière de nomination ou de promotion dans la fonction publique »).

41 Voy., par exemple, C.E., 19 janvier 2006, Vande Casteele, n/ 153.986 et C.E., 9 mars2006, Vande Casteele, n/ 156.149.

42 Le législateur a entendu répondre par cette modification à une observation faite par lasection de législation du Conseil d’Etat sur l’article 141 de l’avant-projet de loi soumis à sonavis. Cette disposition traitait du personnel du Conseil du contentieux des étrangers. Il convenaitde préciser sous quelle autorité serait placé ce personnel. Il avait été rappelé que la sectiond’administration n’était pas compétente pour connaître des recours dirigés contre des actes prispar des organes de juridictions administratives à l’égard des membres de leur personnel. En écho,le législateur a entendu attribuer expressément cette compétence au Conseil d’Etat, en l’étendantnon seulement aux actes administratifs des juridictions administratives, mais encore à ses propresactes administratifs, lorsqu’ils sont relatifs aux marchés publics et aux membres de leur personnel(Doc. Parl., Ch., sess. 2005-2006, n/ 51 2479/001, p. 22 et 338, note 146).

Depuis le 18 juin 2007, l’article 14, § 1er, des lois coordonnées se lit comme suit :

« La section statue par voie d’arrêts sur les recours en annulation pour violation des formes soitsubstantielles, soit prescrites à peine de nullité, excès ou détournement de pouvoir, formés contreles actes et règlements

1/ des diverses autorités administratives;

2/ des assemblées législatives ou de leurs organes40, en ce compris les médiateursinstitués auprès de ces assemblées41, de la Cour des comptes et de la Cour d’arbitrage, duConseil d’Etat et des juridictions administratives42 ainsi que des organes du pouvoir judiciaireet du Conseil supérieur de la Justice relatifs aux marchés publics et aux membres de leurpersonnel.

L’article 159 de la Constitution s’applique également aux actes et règlements visés au 2/ ».

On remarque cette adjonction à la compétence du Conseil d’Etat n’affecte nullement lanotion même d’autorité administrative puisque le législateur n’affirme aucunement que lesorganes des assemblées législatives, les médiateurs, la Cour des comptes, la Cour d’arbitrage, le

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43 Le Conseil d’Etat considère que l’énumération de ces actes est exhaustive et que, dèslors, il est incompétent pour connaître du recours formé contre la décision d’échec à l’examenoral adoptée par le Conseil supérieur de la magistrature dans le cadre de la procédure de latroisième voie d’accès à la magistrature. La Cour constitutionnelle estime que cette situationn’est pas discriminatoire au motif que l’échec du candidat à l’épreuve orale n’a pas pour effet delui refuser l’accès à la magistrature mais uniquement de ne pas le dispenser de l’examend’aptitude professionnelle (C.C., n/ 136/2009 du 17 septembre 2009).

44 Ch. HUBERLANT, Le Conseil d’Etat et la compétence générale du pouvoir judiciaire,Larcier, 1960, p. 23 et s. Il n’en irait autrement que dans le cas où, exceptionnellement, lelégislateur aurait expressément admis les recours parallèles. Ainsi ressort-il explicitement del’article 1er de la loi du 12 janvier 1993 concernant un droit d’action en matière de protection del’environnement que l’action en cessation qui peut être portée devant le président du tribunal depremière instance à la requête du procureur du Roi, d’une autorité administrative ou d’unepersonne morale telle que définie à l’article 2 ne porte pas préjudice à la compétence du Conseild’Etat et donc à la possibilité d’introduire devant lui un recours tendant à obtenir un résultatéquivalent en fait à celui auquel peut conduire une action en cessation, sous la réserve cependantde l’autorité de chose jugée dont est revêtue la décision judiciaire. Voy. C.E., 23 janvier 2001,Dessard, n/ 92.536.

Conseil d’Etat, les juridictions administratives ainsi que les organes du pouvoir judiciaire ou leConseil supérieur de la Justice rentreraient dans la catégorie des autorités administratives.

De plus, l’élargissement demeure sectoriel. Il ne concerne les actes et règlementsadministratifs des organes précités que lorsque ceux-ci sont relatifs aux marchés publics et auxmembres de leur personnel43.

Enfin, on ne manquera pas de suivre avec intérêt la réponse que la Cour constitutionnelledonnera à la question posée par le Conseil d’Etat dans son arrêt Georges, n/ 194.561 du 22 juin2009 :« L’article 14, § 1er, 2/, des lois coordonnées sur le Conseil d’Etat, coordonnées le 12 janvier1973, viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution, lus seuls ou en combinaison avec l’article6, § 1er, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertésfondamentales, s’il est interprété en ce sens que le Conseil d’Etat ne serait pas compétent pourconnaître du recours en annulation introduit par un candidat à la fonction de membre de lacommission de nomination de langue française pour le notariat en qualité de chargé de coursou de professeur de droit d’une faculté de droit d’une université belge qui n’est pas notaire,candidat notaire ou notaire associé, dirigé contre la désignation d’un autre membre de cettecommission au seul motif qu’il aurait été désigné par le Sénat, alors que les notaires sont admisà contester les désignations des membres de cette commission qui relèvent de leur profession,pour avoir été désignés par une autre autorité ? ».

3. Incompétence résultant de la compétence du pouvoir judiciaire

Malgré la généralité des termes de l’article 14 des lois coordonnées, il faut décider quela compétence d’annulation du Conseil d’Etat doit être écartée chaque fois que les intéressés ontla possibilité d’introduire, devant une juridiction de l’ordre judiciaire, une action de nature àaboutir à un résultat équivalent à celui d’un recours pour excès de pouvoir44.

La règle n’est pas formellement exprimée par l’article 14 des lois coordonnées. Il ne faitpas de doute néanmoins qu’elle revête une importance fondamentale : elle a été mise en reliefà plusieurs reprises au cours des travaux préparatoires de la loi du 23 décembre 1946. Audemeurant, sa sanction se trouve formellement énoncée par la loi : les articles 33 et 34 des loiscoordonnées le 12 janvier 1973 permettent de déférer à la Cour de cassation tous les arrêts du

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45 C.E., 6 mars 2008, Dandumont, n/ 180.588. On observe dans cet arrêt que le Conseild’Etat a considéré que l’acte attaqué n’était pas détachable du contrat lui-même. En revanche,par un arrêt prononcé en assemblée générale, le Conseil d’Etat a jugé que les décisionsadministratives en lien avec la législation sur le bien-être des travailleurs n’étaient pas soustraitesà sa compétence : « Considérant que ni l’article 79 de la loi du 4 août 1996 relative au bien-êtredes travailleurs lors de l’exécution de leur travail, ni du reste l’article 578, 11/, du Codejudiciaire n’impliquent que le Conseil d’État est incompétent pour connaître de recours enannulation de décisions afférentes aux dispositions du chapitre Vbis susvisé concernant laviolence et le harcèlement moral et sexuel au travail; que de tels recours sont d’autant moinssoustraits à la compétence du Conseil d’État qu’ils n’invoquent pas exclusivement la violationdes dispositions du chapitre Vbis de la loi du 4 août 1996 mais – comme c’est le cas en l’espècepour les premier et deuxième moyens – se fondent sur la violation d’autres règles de droit; qu’ils’ensuit que le Conseil d’Etat est compétent pour connaître du recours » (C.E., ass., 27 mai2008, Gillain, n/ 183.478).

46 C.E., 27 février 2009, Peersegaele, n/ 190.952.47 Sur ce thème, voy. notamment M. LEROY, Contentieux administratif, op. cit., p. 354

et s., ainsi que B. LOMBAERT, F. TULKENS et A. VAN DER HAEGEN, « Cohérence et incohérencesde la théorie de l’objet véritable et direct du recours », in La protection juridictionnelle ducitoyen, La Charte, 2007, p. 17 et s.

48 Selon la Cour de cassation, l’existence d’un droit subjectif « suppose que la partiedemanderesse fasse état d’une obligation juridique déterminée qu’une règle du droit objectifimpose directement à un tiers et à l’exécution de laquelle cette partie a un intérêt. Pour qu’unepartie puisse se prévaloir d’un tel droit à l’égard de l’autorité administrative, il faut que lacompétence de cette autorité soit liée. » (voy. not. Cass., 20 décembre 2007, n/ de rôleC.06.0574.F).

Conseil d’Etat qui se prononcent au sujet de la compétence respective du pouvoir judiciaire etdu Conseil d’Etat statuant au contentieux de l’annulation.

L’analyse de ce titre d’incompétence nous amène à distinguer deux hypothèses : celleoù une disposition législative particulière attribue spécialement compétence au pouvoir judiciaireà l’égard d’actes administratifs déterminés et celle où la compétence judiciaire – et doncl’incompétence du Conseil d’Etat – repose exclusivement sur les articles 144 et 145 de laConstitution.

Illustration de la première hypothèse, l’article 578, 1/, du Code judiciaire donnecompétence au tribunal du travail pour connaître des contestations relatives aux contrats delouage de travail. Il s’ensuit que le Conseil d’Etat doit se déclarer incompétent tant pour trancherun recours ayant pour objet la décision de ne pas prolonger le détachement d’un agent contractuelet lui demandant de reprendre ses anciennes fonctions45, que pour connaître d’une sanctiondisciplinaire infligée à un agent engagé sous contrat46.

S’agissant du second titre d’incompétence, il importe tout d’abord de rappeler queconformément à l’article 158 de la Constitution, c’est la Cour de cassation qui est amenée àtrancher les conflits d’attributions. Dès les premiers arrêts sur le sujet, elle imposa de dépasserl’objet apparent de la demande pour examiner l’objet véritable et direct du recours47. Elle décidaqu’il convenait à cette fin de vérifier, d’une part, si la requête introduite devant le Conseil d’Etatne tendait pas à la protection d’un droit subjectif48, tâche réservée aux cours et tribunauxjudiciaires, et si, d’autre part, le moyen articulé au soutien de la demande d’annulation était bienpris de la violation de la disposition qui fondait le droit subjectif.

Ainsi, la réunion de deux éléments est nécessaire avant de conclure à l’incompétencedu Conseil d’Etat en vertu des articles 144 et 145 de la Constitution. Il ne suffit pas, en effet, quele demandeur fasse état de la violation de son droit subjectif par l’administration. Encore faut-il

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49 Ch. HUBERLANT, « Le Conseil d’Etat et la compétence générale du pouvoir judiciaireétablie par les articles 92 et 93 de la Constitution », J.T., 1960, p. 73 et s., ici p. 97.

50 C.E., 13 novembre 2007, Soumoy, n/ 176.794.51 C.E., 9 juillet 2008, Ceuppens, n/ 185.271. Dans le même sens, voy. C.E., 24

septembre 2008, Samyn, n/ 186.485. Comp. avec C.E., 27 novembre 2008, De Salle et Autenne,n/ 188.253.

52 Pour une illustration récente, voy. C.E., ass., 2 avril 2009, Simons, n/ 192.198.53 C.E., 12 janvier 2006, Van De Velde, n/ 153.703.

que le moyen qu’il invoque à l’appui de son recours soit bien particulier. Dans son étudefondatrice, Ch. HUBERLANT formule ainsi ces deux conditions: elles sont réunies dansl’hypothèse où « l’acte attaqué consiste dans le refus de l’Administration d’exécuter uneobligation correspondant à un droit civil et si, en second lieu, l’excès de pouvoir invoqué àl’appui de la demande n’est autre que la violation de la disposition légale ou réglementaireapplicable en tant qu’elle met cette obligation à charge de l’administration »49. Rappelons enfinqu’il appartient toujours au législateur d’attribuer la contestation portant sur un droit politiqueà un juge administratif, tel, par exemple, le Conseil d’Etat.

A titre d’illustration récente, nous relèverons que le Conseil d’Etat a décliné sacompétence lorsque le requérant poursuivait l’annulation du refus d’aide à la surface apportéeaux agriculteurs, au motif que les dispositions européennes et nationales ne laissent aucunpouvoir d’appréciation à l’autorité chargée d’examiner la demande ; il faut, mais il suffit, quel’agriculteur remplisse les conditions énoncées par les réglementations communautaires etnationales pour qu’il perçoive les aides; le fait que l’autorité nationale a examiné lescirconstances relatives à un éventuel cas de force majeure n’est pas de nature à lui reconnaîtreun quelconque pouvoir d’appréciation excluant l’existence d’un droit subjectif50.

De la même manière, le Conseil d’Etat a décliné sa compétence pour connaître durecours portant sur le refus d’octroi d’une prime à la rénovation en Région de Bruxelles-Capitaleau motif qu’il ressortait des réglementations qui l’instituaient que les conditions qui devaient êtreremplies pour qu’elle soit accordée étaient déterminées de manière objective, indépendammentde tout pouvoir d’appréciation du ministre et que, par conséquent, le demandeur avait un droitsubjectif à la prime sollicitée à partir du moment où ces conditions étaient réunies51.

La situation serait différente si le requérant attaquait devant le Conseil d’Etat un actesusceptible d’avoir des répercussions sur des droits subjectifs, mais procédant dans le chef del’administration d’une compétence discrétionnaire, d’un pouvoir d’appréciation52, et non d’unecompétence absolument liée.

La circonstance que l’arrêt d’annulation puisse se répercuter sur la situation desrequérants en ce qui concerne quelque droit civil ou politique n’exclut pas, selon la Cour decassation, la compétence du Conseil d’Etat. Ainsi s’explique la jurisprudence par laquelle leConseil d’Etat accepte de connaître de la décision mettant un agent en disponibilité de plein droitpour cause de maladie; cette mesure a pour objet de déterminer la position administrative decelui-ci; l’objet véritable du recours est relatif non au droit subjectif du requérant à un traitementdéterminé mais à sa situation administrative et aux relations qu’il entretient, en tant que membredu personnel, avec la partie adverse53.

Enfin, il faut noter enfin qu’aucune objection ne pourrait être opposée si l’on demandaitau Conseil d’Etat l’annulation d’un règlement; le juge de l’excès de pouvoir resterait compétentpour l’annuler, même si son anéantissement avait des répercussions sur des droits subjectifs.

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54 Voy. notamment deux arrêts du 20 décembre 2007, (n/ de rôle C.06.0596.F etC.06.0574.F). Comp. avec C.E., 25 février 2009, Calbert, n/ 190.776, J.L.M.B., 2009, p. 925 ets., avec extrait de l’avis contraire de M. JOASSART. Dans sa dernière leçon, le ProfesseurLEWALLE tint les propos suivants : « Il faudrait repenser la répartition des rôles entrejuridictions administratives et judiciaires et avoir la clairvoyance de reconnaître que les règlesqui la déterminent, inchangées depuis 1831, sont depuis longtemps dépassées. De ce point devue, je n’hésite pas à affirmer que les articles 144, 145, 146 et 158 de la Constitution devraientêtre révisés d’urgence! » (Rev. dr. Ulg, 2009, pp. 431 à 440 ; ici p. 436).

55 C.E., 21 décembre 2001, Wadeh, n/ 102.343.

Nous concédons que cette présentation est incomplète en ce qu’elle ne rendvolontairement pas compte de toutes les difficultés liées à l’interprétation de ces concepts et nousnous bornons à renvoyer aux arrêts récents de la Cour de cassation rendu dans cette matière54.

Section II. Les conditions de recevabilité de la requête en annulation

Les conditions de recevabilité sont celles qui doivent être remplies pour que,indépendamment des conditions de compétence, le recours puisse être examiné au fond « en sesmoyens et conclusions ».

Pour la clarté de l’exposé, nous les analyserons sous trois rubriques successives :certaines conditions touchent en effet à la nature et à la portée de l’acte attaqué (1) ; d’autres serapportent à la situation personnelle du requérant (2) ; d’autres encore sont relatives au respectdes règles de procédure propres à la demande d’annulation (3).

Nous allons examiner très succinctement le contenu de ces trois rubriques;l’interprétation des exigences de recevabilité découle d’une jurisprudence particulièrementabondante et variée, dont nous ne mentionnerons que quelques arrêts récents.

1. Recevabilité tenant à la nature et à la portée de l’acte

Pour faire bref, le recours devant le Conseil d’Etat n’est recevable que s’il poursuitl’annulation d’un acte juridique unilatéral, qui fait grief, et contre lequel aucun recours préalableobligatoire n’est organisé ou après épuisement d’un tel recours.

1.1 Acte juridique unilatéral

Seules sont annulables les manifestations unilatérales de volonté, émanant d’une autoritéadministrative, et visant à produire un effet de droit; peu importe, au surplus, que l’acte ainsiévoqué soit un règlement ou une décision individuelle.

Le plus souvent, les actes de l’administration sont explicites et écrits; le requérant n’auradonc pas de peine, dans la plupart des cas, à préciser la nature et l’objet de l’acte attaqué. Larecevabilité d’un recours dirigé contre un acte explicite, mais non écrit (ordre verbal d’undirecteur de prison, par exemple55) ne paraît pas exclue a priori; mais il faudra évidemment quela preuve de l’existence de l’acte verbal puisse être rapportée .

La recevabilité d’un recours dirigé contre un acte administratif implicite n’est pasdavantage à écarter. Toutefois, on rappellera à cet égard que l’article 14, § 3, des lois

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56 Aux termes de cette disposition, « lorsqu’une autorité administrative est tenue destatuer et qu’à l’expiration d’un délai de quatre mois prenant cours à la mise en demeure destatuer qui lui est notifiée par un intéressé, il n’est pas intervenu de décision, le silence del’autorité est réputé constituer une décision de rejet susceptible de recours ».

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Un sort particulier est toutefois réservé au contrat de gestion conclu entre deux institutionspubliques. Selon la juridiction administrative, « nonobstant sa dénomination, le « contrat degestion» n’apparaît pas comme un texte de nature contractuelle, mais comme la source demultiples obligations qui s’imposent à la requérante, dont l’inexécution ne peut être sanctionnéepar les procédés contractuels de droit commun, et au respect desquelles le Collège d’autorisationet de contrôle du Conseil supérieur de l’audiovisuel, qui est un organisme tiers au contrat degestion, est chargé de veiller de la même manière qu’il veille au respect des lois, décrets etrèglements en matière de radiodiffusion ». Dès lors, le Conseil d’Etat considère « que ce «contrat de gestion» est en réalité un règlement particulier applicable à la seule R.T.B.F., dontl’élaboration est négociée avec elle; que, dans la mesure où elles imposent des obligations ouinterdictions, les règles qu’il contient sont de nature réglementaire, et que les décisions quienfreignent ces règles ou en donnent une mauvaise application sont entachées d’excès depouvoir» (C.E., 13 octobre 2008, R.T.B.F., n/ 187.032).

58 Pour un exemple récent en matière disciplinaire, voy. C.E., 16 février 2008, Vieujean,n/ 179.876.

59 Sur ce thème, voy. notamment Ph. BOUVIER, Eléments de droit administratif, DeBoeck, 2002, p. 36 et s.

coordonnées sur le Conseil d’Etat56, vise uniquement le défaut d’exercice d’une compétenceobligatoire.

Etant donné que seul l’acte juridique unilatéral est attaquable devant le Conseil d’Etat,il s’ensuit, d’une part, que le recours visant à l’annulation non d’un acte juridique, mais d’uneopération matérielle – fût-elle accomplie en exécution d’un acte juridique – est irrecevable etque, d’autre part, le recours dirigé contre un acte non encore accompli serait de même irrecevablecomme prématuré .

Enfin, le recours visant une convention conclue entre l’administration et une ouplusieurs personnes de droit privé se heurterait simultanément à une objection d’incompétenceet d’irrecevabilité, la convention n’étant ni un acte ni un règlement au sens de l’article 14 des loiscoordonnées le 12 janvier 197357.

1.2 Mesure de nature à faire grief

Pour satisfaire aux conditions de recevabilité, le recours doit poursuivre l’annulationd’un acte administratif exécutoire; la décision visée doit produire, par elle-même, des effets dedroit tels qu’ils fassent immédiatement grief au requérant.

Aussi les recours isolément dirigés contre des actes qui se limitent à préparer, reproduire,expliquer, divulguer d’autres actes, de même que les recours dirigés contre des abstentions pureset simples d’user d’une faculté, seront-ils rejetés par le Conseil d’Etat.

En principe, ne font pas non plus grief les avis simples58, les actes confirmatifs, les actesrecognitifs, ainsi que les circulaires59, dépêches et notes de service qui ne font qu’énoncer desinstructions ou des recommandations.

On observe que la juridiction administrative a considéré que, « fût-elle motivée », laprésentation à une nomination de magistrat à l’autorité investie du pourvoir de nomination

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60 C.E., 18 mars 2008, Tilliet, n/ 181.202.61 C.E., 1er avril 1998, S.A. de droit espagnol Induyco, n/ 72.901 ; C.E. 8 juillet 2002, S.A.

Varec, n/ 108.956.62 C.E., ass., 2 décembre 2005, S.A. Labonorm, n/ 152.173; C.D.P.K., 2006/3, obs. J.

MOSSELMANS. Cette solution fait jurisprudence : voy. C.E., 2 juillet 2007, S.A. Eo DesignPartners, n/ 173.073.

63 C.E., ass., 2 décembre 2005, S.A. Amec Spie Belgium, n/ 152.174.

demeurait un acte purement préparatoire, non susceptible de faire l’objet d’un recours enannulation60.

En guise d’illustration de notre propos, nous nous proposons d’évoquer le sort des actespréparatoires en marchés publics et celui des mesures d’ordre intérieur adoptées parl’administration des établissements pénitentiaires vis-à-vis des personnes détenues.

A) Les décisions préalables en marchés publics

En matière de marchés publics, le recours à la notion de « décision préalable » facilitedorénavant la tâche des soumissionnaires évincés.

A cet égard, les mentions de nature technique du cahier spécial des charges ont faitl’objet d’une intéressante évolution, s’agissant de déterminer leur nature d’actes faisant ou nongrief.

Dans un premier temps, il a été décidé qu’elles ne constituaient que des actespréparatoires, éléments de l’opération complexe qui aboutirait, si elle était menée à son terme,à l’attribution du marché. De telles mentions n’étaient donc pas susceptibles de recours. C’étaitla décision d’attribution du marché qui, en arrêtant définitivement les conditions juridiques,permettait d’apprécier dans quelle mesure et quels actes préparatoires avaient pu faire grief61.

Mais, dans un second temps, il a été jugé qu’un soumissionnaire potentiel ou effectifpouvait former un recours en annulation et, le cas échéant, une demande en suspension, contrela décision d’arrêter un cahier spécial des charges ou des prescriptions de celui-ci, si cettedécision, bien que préparatoire à la décision définitive d’attribution de ce marché, n’apparaîtplus, à l’égard de ce soumissionnaire comme une décision purement préparatoire, mais commeune "décision préalable", emportant des effets juridiques définitifs pour celui-ci; tel est le casnotamment si la décision prive ce soumissionnaire de toute possibilité de participation au marchéet, partant, de toute possibilité d’attribution et, en ce qui le concerne, lui fait dès lors directementgrief.

Il a été décidé, par le même arrêt, que la faculté d’introduire immédiatement un recoursen annulation et une demande de suspension contre la décision d’adopter le cahier spécial descharges n’empêchait pas que les irrégularités qu’un soumissionnaire reprochait à une prescriptionde ce cahier pussent encore être invoquées de manière recevable contre des décisions ultérieuresprises dans le cadre de la procédure de passation62.

Le même raisonnement a été tenu au sujet du refus de sélection préalable à un appeld’offres restreint : le soumissionnaire non retenu a la faculté d’introduire immédiatement unrecours en annulation et une demande de suspension contre la décision de non-sélection de sacandidature ; ce qui ne l’empêche nullement d’invoquer l’illégalité de cette décision à l’appuide son recours contre les décisions ultérieures prises dans le cadre de la procédure restreinte depassation63.

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64 C.E., 27 mars 2008, S.A., Octir Belgique, n/ 181.524.65 Comp. C.E., 13 octobre 2006, Thunus, n/ 163.597 avec C.E., 17 février 2009, Scokaert,

n/ 190.605. 66 C.E., ass. 11 mars 2003, De Smedt, n/ 116.899. Voy. B. CUVELIER, « Le Conseil d’Etat

et le contentieux pénitentiaire : acte II », A.P.T., 2003, p. 182 et s., ainsi que M.A. BEERNAERT,« Sanctions disciplinaires versus mesures de sécurité : deux poids, deux mesures dans le droitpénitentiaire », J.T., 2008, p. 146 et s.

67 C.E., 4 décembre 2003, Forthomme, n/ 126.073.68 C.E., 15 mars 2007, Skala et Covaci, n/ 169.026.

On observe que la notion d’opération complexe est parfois retenue par le Conseil d’Etatégalement dans le domaine de l’urbanisme64.

S’agissant de la fonction publique, l’application de la théorie des décisions préalablesest rendue délicate65.

B) Les mesures d’ordre intérieur adoptées par l’administration desétablissements pénitentiaires vis-à-vis des personnes détenues

La véritable mesure d’ordre intérieur ne produit aucun effet quelconque en dehors del’administration et, en outre, n’opère pas non plus, en ce qui concerne les services et les agentsdont l’administration dispose, de modifications à l’ordonnancement juridique.

Les repérer n’est pas toujours chose aisée, spécialement lorsqu’il s’agit de mesuresadoptées par l’administration des établissements pénitentiaires vis-à-vis des personnes détenues.

Dans ce domaine, la référence est l’arrêt De Smedt déjà évoqué, n/ 116.899 du 11 mars2003. A cette occasion, l’assemblée générale de la section du contentieux administratif duConseil d’Etat a considéré que le directeur d’un établissement pénitentiaire est chargé de veillerau bon fonctionnement de celui-ci, ainsi qu’au maintien de l’ordre; qu’à cette fin, il peut prendrede nombreuses mesures susceptibles d’occasionner certains désagréments ou certainescontrariétés au détenu; que pour autant que ces mesures soient exclusivement ou principalementdictées par un souci de sécurité ou de prudence, elles s’avèrent être de simples mesures d’ordreintérieur qui, en principe, ne sont pas susceptibles d’annulation; qu’il en va autrement si lamesure a pour objet exclusivement ou principalement de punir un détenu en raison demanquements disciplinaires; que, dans ce cas, la mesure est avant tout motivée par lecomportement reconnu fautif du détenu et par la volonté que celui-ci soit puni; que pareillemesure, telle la décision attaquée, est effectivement susceptible d’annulation devant le Conseild’Etat66.

Ainsi, par exemple, la juridiction administrative a estimé que la décision de transfertprise pour assurer la continuité de soins médicaux est considérée comme une mesure d’ordreintérieur67.

Elle a également jugé que la décision du directeur d’une prison d’interdire à un visiteurl’accès à l’établissement pour une période de trois mois n’apparaît, dans le chef du visiteurconcerné, que comme une mesure d’ordre intérieur visant à garantir la tranquillité dansl’établissement pénitentiaire68.

On relève encore qu’a été considérée comme une mesure d’ordre à l’égard de laquellele Conseil d’Etat n’était pas compétent l’instruction donnée par le Directeur général de

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69 C.E., 22 janvier 2008, Trabelsi, n/ 178.806. Dans le même sens, C.E., 19 janvier 2009,Bastin, n/ 189.570 et C.E., 21 août 2009, Di Mauro, n/ 195.598.

70 C.E., 20 octobre 2004, Safar, n/ 136.368.71 C.E., 13 mai 2004, El Amrani, n/ 131.388.72 C.E., 23 janvier 2008, Koussiantas, n/ 178.879.73 On observe que le recours organisé par l’article L3133-3 du Code wallon de la

démocratie locale et de la décentralisation, lequel permet au fonctionnaire de contester, devantle gouvernement wallon, la révocation ou la démission d’office qui lui est infligée, doit êtreconsidéré comme un recours de réformation et non d’annulation (C.E., ass., 20 février 2009,Darville, n/ 190.728, J.L.M.B., 2009, p. 912 et s., avec extrait de l’avis contraire de J.-F.NEURAY).

l’administration pénitentiaire au directeur de la prison de Nivelles de placer le détenu NizarTrabelsi, pour une durée de deux mois, sous le régime particulier individuel conformément autitre VI, section III de la loi du 22 janvier 2005 concernant l’administration pénitentiaire et lestatut juridique des détenus69.

Ont, en revanche, été reconnus comme faisant grief le refus de transfert70 (au motif quecelui-ci s’inscrit dans le cadre de modalités de l’exécution de la peine privative de liberté queconstituent les congés pénitentiaires et la liberté conditionnelle), ainsi que la privation de deuxsemaines de visite à table71.

De même, il a été jugé qu’un détenu avait intérêt à contester la décision le soumettantà un régime carcéral strict pour une durée déterminée, dès lors que cette mesure était, aussilongtemps que durait le temps de la détention, de nature à retarder son reclassement, voire à pesersur son futur carcéral s’il venait à faire l’objet d’une nouvelle procédure disciplinaire72.

1.3 Mesure contre laquelle aucun recours préalable n’est organisé

Un recours pour excès de pouvoir ne peut prendre pour cible un acte administratif àl’égard duquel un recours préalable est ouvert au requérant par une disposition législative ouréglementaire. Il est de jurisprudence constante que, pour être recevable, le recours en annulationdoit viser :- soit une mesure prise "en dernier ressort", après épuisement des voies de recours organisées;- soit une mesure prise "en premier et dernier ressort", en ce sens à tout le moins qu’elle n’est passusceptible de faire l’objet d’un recours organisé, aucun texte n’instituant à son égard une voiede recours particulière.

Il faut y insister : cette condition de recevabilité n’est posée que là où la normelégislative ou le règlement institue au profit du requérant un véritable recours (et non une simplevoie facultative de réclamation) devant un organe de décision (et non devant une autoritésimplement consultative)73.

Il est bien entendu que l’épuisement des voies de recours préalables doit s’entendre deleur exercice infructueux : l’administré qui aurait négligé d’introduire en temps utile le recourspréalable perdrait du même coup la faculté de saisir le Conseil d’Etat.

2. Recevabilité tenant à la situation du requérant

Un acte ou un règlement administratif ne peut être valablement attaqué devant le Conseild’Etat que par un requérant, personne physique ou personne morale qui, d’une part, dispose dela capacité requise pour agir devant lui (1); qui, ensuite, a qualité pour ce faire (2) ; et qui, enfin,justifie d’un intérêt suffisant à l’annulation postulée (3).

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74 C.J.C.E., 8 septembre 2005, aff. C-129/04 ; C.E., 31 janvier 2006, S.A. Constructionsélectriques Schneider, n/ 154.363; C.E., 7 mars 2006, S.A. Bioxpr et société de droit françaisSibio S.A.S, n/ 155.960; ainsi que C.E., 23 mai 2006, Mathy, n/ 159.135.

75 Infra, point 3.1, A).76 C.E., ass., 10 décembre 2002, S.A. Belgacom Directory Services, n/ 113.490. Voy.

encore récemment, C.E., 18 novembre 2008, S.C.R.L. Alter Events, n/ 188.039. Pour une analysecritique de cette position, voy. not. R. JAFFERALI, « L’auberge espagnole ou la représentation dessociétés devant le Conseil d’Etat », C.D.P.K., 2006, p. 623 et s., ainsi que E. VAN NUFFEL , « Lareprésentation des personnes morales devant le Conseil d’Etat ou quand la validité externe del’acte de l’organe s’apprécie par sa validité interne », J.T., 2007, p. 275 et s.

2.1 Capacité du requérant

Sur ce point, on se contentera de signaler qu’il a été décidé qu’une associationmomentanée, dénuée de personnalité juridique, ayant déposé une offre en tant que telle, nepouvait valablement introduire de requête en annulation de l’attribution du marché à une autresociété que sur décisions des deux sociétés membres de cette association, sous réserve de clausesde représentation arrêtées dans la convention de constitution de l’association momentanée. Cettesolution a été jugée conforme à la directive 89/665 CEE du Conseil du 21 décembre 1989 par laCour de Justice des Communautés européennes74.

2.2 Qualité du requérant

S’agissant de la qualité du requérant, on insistera sur l’importance des règles expriméespar les articles 3, 4/, et 3bis de l’arrêté du Régent du 23 août 1948 déterminant la procéduredevant la section du contentieux administratif du Conseil d’Etat, tel que modifié par l’arrêté royaldu 25 avril 2007, applicables aux recours introduits à partir du 1er juin 2007. Il y est exigé quela personne morale requérante joigne à sa requête une copie de ses statuts en vigueur et l’acte dedésignation de ses organes ainsi que la preuve que l’organe habilité a décidé d’agir en justice. Adéfaut, la requête n’est pas enrôlée75.

On notera également que, par un arrêt du 10 décembre 2002, prononcé en assembléegénérale et critiqué par la doctrine76, le Conseil d’Etat décidé que « la notion de "gestionjournalière" dont l’administrateur délégué peut être chargé en vertu de l’article 63 des loiscoordonnées sur les sociétés commerciales (devenu 525 du Code des sociétés) n’a pas été définiepar le législateur; qu’il convient d’entendre par "actes ou opérations de gestion journalière desaffaires d’une société" ceux qui sont commandés par les besoins de la vie quotidienne de lasociété ou ceux qui, tant en raison de leur peu d’importance qu’en raison de la nécessité d’uneprompte solution, ne justifient pas l’intervention du conseil d’administration lui-même; qu’à cepoint de vue, la nécessité d’introduire un recours en annulation d’un acte administratif devantle Conseil d’Etat ne saurait être regardée comme relevant de la notion de gestion journalière,dans la mesure où il ne s’agit aucunement d’un "acte de peu d’importance", puisqu’un telrecours tend à faire disparaître de l’ordonnancement juridique, avec effet rétroactif, un acteexécutoire posé par une autorité publique; qu’il s’ensuit que la décision d’agir devant le Conseild’Etat excède les limites légales de la gestion journalière et ne pouvait être prise que par leconseil d’administration , ou le cas échéant par l’organe auquel une clause expresse des statutsde la société aurait pu donner une délégation en vue de représenter la société en justice, ouencore par un mandataire spécial désigné à cette fin par le conseil d’administration ».

Enfin, il ne nous paraît pas inutile d’insister sur l’intérêt du mécanisme prévu à l’article522, § 2, du Code des société. Comme le rappelle le Conseil d’Etat, « en vertu de l’article 522du Code des sociétés, qui a fait l’objet de la loi du 7 mai 1999, seul le conseil d’administration

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77 C.E., 13 mai 2009, S.A. Mediapub, n/ 193.255. Dans cette espèce, les statuts de lasociété anonyme prévoyaient que celle-ci était représentée dans tous les actes, y compris enjustice, par deux administrateurs agissant conjointement. La juridiction administrative a doncconsidéré que cette société avait bien agi en conformité avec ses statuts dès lors qu’elle produisaitun procès-verbal de la réunion de son conseil d’administration attestant de la décisiond’introduire le recours en annulation devant le Conseil d’Etat qui était signé par les deuxadministrateurs désignés par l’assemblée générale des actionnaires.

78 Sur le sujet, voy. l’examen de jurisprudence publié dans le rapport annuel du Conseild’Etat couvrant l’année 2007-2008, pp. 61 à 81.

79 C.E., ass., 23 juin 2004, Hendrix, n/ 132.915. Comp. avec C.A., n/ 117/99, du 10novembre 1999.

d’une société anonyme a en principe le pouvoir de prendre, au nom de la société, la décisiond’intenter un procès et d’ester en justice comme représentant au procès; que les actions enjustice devant le Conseil d’Etat excèdent en effet les limites de la gestion journalière; qu’en vertudu paragraphe 2 de la même disposition, les statuts peuvent toutefois donner qualité à un ouplusieurs administrateurs pour représenter la société, soit seuls, soit conjointement »77.

2.3 Intérêt du requérant78

A la différence des conditions de recevabilité envisagées jusqu’ici, l’exigence de l’intérêtsuffisant est formulée explicitement par une disposition des lois coordonnées sur le Conseild’Etat : on lit en effet à l’article 19, alinéa 1er, de ces lois que les demandes, difficultés, recoursen annulation et recours en cassation peuvent être portés devant la section du contentieuxadministratif par toute partie qui justifie d’une lésion ou d’un intérêt.

L’intérêt invoqué dans la requête délimite le débat judiciaire, notamment en ce quiconcerne la recevabilité du recours et des moyens d’annulation ainsi que des droits de la défensede la partie adverse. Il s’agit d’une question d’ordre public qui peut être soulevée à n’importequel stade de la procédure.

Il faut reconnaître, une fois encore, que la définition de l’intérêt suffisant reste difficileà rapporter; à lire la jurisprudence – surabondante – et ses commentaires, on a l’impression quela satisfaction de cette exigence particulière de recevabilité est, plus que toute autre, fonction del’espèce à trancher : c’est le juge qui apprécie la "valeur" de l’intérêt allégué, et ceci nonseulement en fonction de l’ensemble de l’action introduite, mais encore par rapport à chacun desmoyens invoqués.

A) La perspective indemnitaire est-elle suffisante?

L’avantage que représente l’annulation pour excès de pouvoir de l’acte attaqué à la seulefin d’une action ultérieure à intenter contre son auteur devant les Cours et tribunaux, est-elleconsidérée comme répondant à l’exigence d’intérêt formulée par l’article 19 des loiscoordonnées?

Sur le sujet, il convient de se référer à l’arrêt Hendrix prononcé le 23 juin 2004 parl’assemblée générale de la section d’administration du Conseil d’Etat, lequel nous paraît marquerune position restrictive79.

Le requérant contestait la décision prise le 20 juillet 1995 par le Gouvernement de laRégion de Bruxelles-Capitale qui, en présentant une liste de candidats membres du conseild’administration de la Société régionale d’investissements pour Bruxelles (S.R.I.B.) et en en

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80 C.E., 18 mai 2006, S.A. LD Logistics, n/ 158.995.

nommant le président et le vice-président, le démettait implicitement de ses fonctionsd’administrateur délégué, vice-président de cette société.

Le même requérant poursuivait encore l’annulation de la décision prise le 4 août 1995par l’assemblée générale de la même société régionale de mettre fin à son mandatd’administrateur, de déclarer échues ses fonctions de vice-président et d’élire ou de réélired’autres membres du conseil d’administration.

La difficulté provenait de ce que les administrateurs de la S.R.I.B. étaient désignés poursix ans, et que, si la requête avait été introduite le 1er septembre 1995, le Conseil d’Etat étaitamené à se prononcer, après réouverture des débats ordonnée par un arrêt n/112.685 du 19novembre 2002, alors que le terme de six ans était largement dépassé.

Le requérant soutenait qu’il conservait un intérêt au recours, en ce que, notamment, laprocédure en cours avait une influence sur son dossier de pension; il affirmait qu’en jugeant quele mandat qu’il briguait ne pouvait plus utilement être attribué, le Conseil d’Etat se prononceraitsur la façon dont pouvait et devait être réparé le préjudice que la faute avait causé.

Il fut jugé sur cette requête, outre que l’impact de l’annulation éventuelle sur le dossierde pension du requérant n’était qu’une allégation extrêmement vague, que « dans la mesure oùun arrêt d’annulation pourrait faciliter une demande d’indemnité au juge judiciaire, il ne s’agitque d’un aspect accessoire de l’intérêt, qui est en premier lieu de faire disparaître l’acte attaquéde l’ordre juridique, ce qui est la finalité du recours en annulation auprès du Conseil d’Etat; quele juge judiciaire peut lui aussi vérifier si l’administration n’a pas outrepassé son pouvoir et acommis une faute; que, sur ce point, le requérant ne peut tirer argument du fait que, dans lecontentieux des marchés publics, un tel intérêt est néanmoins admis, cette jurisprudence étantspécifique à cette matière ».

B) Caractéristiques de l’intérêt

Ainsi que l’enseigne classiquement la doctrine, l’intérêt doit être certain et direct;légitime; moral ou matériel; actuel et suffisamment individualisé. Dans le cadre de cet exposé,nous nous bornons à fournir quelques exemples jurisprudentiels récents éclairant certainesfacettes de cet intérêt.

L’intérêt lié au maintien d’une situation illégale ne peut être considéré comme légitime.C’est ce qu’il ressort notamment d’un arrêt S.A. LD Logistics du18 mai 2006 par lequel leConseil d’Etat a décidé que l’intérêt au recours en annulation qui consiste à poursuivrel’exploitation d’une installation pour laquelle aucun permis d’environnement n’a été délivré estillégitime et ne peut être admis. L’affirmation selon laquelle la décision attaquée seraitdéraisonnable en ce qu’elle ordonne la fermeture immédiate de l’établissement n’enlève rien àla pertinence de ce constat80. Cette position est également au coeur du raisonnement de l’arrêtCariat, n/ 180.328 du 3 mars 2008 : « Considérant, sans qu’il faille qualifier les faits sur le planpénal – ce qui échapperait à la compétence du Conseil d’Etat –, qu’il est établi que lerequérant, lorsqu’il a posé sa candidature, a fait état d’un diplôme de l’enseignement supérieuren sciences sociales qu’il ne possédait pas; que c’est sur la foi de cette déclaration que la partieadverse a décidé d’engager le requérant comme attaché à partir du 1er septembre 1992, de luiaccorder l’échelle barémique 1.1.63, reconnue aux gradués de l’enseignement supérieur, de luioctroyer une indemnité pour diplôme et ensuite de le nommer à titre définitif; que la nominationde l’intéressé repose sur une tromperie et que cette tromperie se répercute sur les désignations

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81 C.E., ass., 2 décembre 2005, S.A. Boucher et autres, n/ 152.172. Cet arrêt précise quela seconde procédure de passation ne peut être considérée comme distincte, autonome etindépendante de la première, dès lors que, d’une part, c’est par une seule et même décision quela partie adverse a renoncé à la première procédure et engagé la seconde et que, d’autre part, lestravaux qui font l’objet des deux procédures sont identiques.

82 C.E., ass., 2 décembre 2005, S.A. Amec Spie Belgium, n/ 152.174.83 Voy. néanmoins en sens contraire : C.E., 24 janvier 2002, Bernard et autres, n/

102.855. Cet arrêt reconnaît expressément au Front démocratique des francophones, associationde fait, le pouvoir de poursuivre l’annulation de l’arrêté royal du 25 mars 1999 portant exécutionde l’article 7 de la loi du 23 mars 1999 relative à l’organisation judiciaire en matière fiscale.Selon les requérants, l’arrêté attaqué leur faisait grief dès lors qu’il les contraignait à introduireleur action en langue néerlandaise devant le tribunal de première instance de Louvain et ensuiteà interjeter appel devant la Cour d’appel de Bruxelles dans la même langue, alors qu’ils avaientantérieurement le libre choix de la langue de la procédure en tant qu’habitants d’une communeà facilités de la périphérie bruxelloise. On lit dans l’arrêt « qu’une association de fait estrecevable à agir devant le Conseil d’Etat, pour autant que le recours entre dans son objet socialtel qu’il est défini par ses statuts; qu’il en va ainsi en l’espèce puisque l’arrêté attaqué fait griefà ses affiliés dont il assure la protection des intérêts ».

ou promotions dont le requérant a ultérieurement fait l’objet et dont l’engagement initial est lesupport nécessaire; que la situation n’est pas comparable à celle de la promotion d’un agentdont la nomination est attaquée; qu’en l’espèce en effet, ce n’est pas un tiers évincé qui contesteune nomination et des promotions, mais l’auteur de ces actes qui constate avoir été trompé parune déclaration mensongère; que le but du recours est d’obtenir, par l’annulation de l’acteattaqué, le retour à une situation antérieure illégale parce que fondée sur une tromperie; quec’est à cette aune que l’intérêt doit être qualifié, quelle que soit la conséquence de cettequalification sur le sort du recours; que l’intérêt du requérant n’est pas légitime ».

Pour illustrer la position rigoureuse de la juridiction administrative, s’agissant del’appréciation de l’actualité de l’intérêt, l’on fait état de deux arrêts prononcés, le 2 décembre2005, en assemblée générale. Dans la première espèce, il a été jugé que l’intérêt d’un requérantà attaquer la décision d’attribution d’un marché public consiste idéalement à retrouver au moinsune chance de se le voir attribuer et de l’exécuter lui-même, en sorte que l’intérêt à attaquer unedécision portant renonciation à une procédure d’attribution disparaît si le requérant sedésintéresse de la nouvelle procédure, soit qu’il néglige d’y participer, soit qu’il s’abstienne decontester une décision qui attribue le marché à un concurrent81. La seconde illustration suit lamême tendance : le juge administratif considère que l’intérêt d’un soumissionnaire à attaquer ladécision de non-sélection de sa candidature disparaît s’il s’abstient de contester la décision quiattribue le marché à un concurrent82.

C) Les intérêts collectifs

Se prévaloir d’un intérêt suffisamment individualisé à l’annulation de l’acte attaqué estune caractéristique qui ne devrait pas être prise dans une acception trop étroite : si l’intérêtstrictement personnel satisfait, par nature, à la condition d’individualisation suffisante, il peuttout aussi bien en aller de même d’intérêts collectifs ou fonctionnels.

La prise en compte d’intérêts collectifs est toutefois appréciée avec rigueur par leConseil d’Etat.

Ainsi, la jurisprudence du juge de l’excès de pouvoir est très généralement opposée àce que des groupements non personnalisés poursuivent l’annulation d’actes contraires à desintérêts collectifs83. On peut penser que cette position vise à éviter que le recours en annulation

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84 Voy. les arrêts Brassinne-Vandergeeten, n/ 165.965 du 15 décembre 2006 et n/ 185.638du 8 août 2008.

85 C.E. 13 juin 2002, Brysse, A.S.B.L. Comité pour l’aménagement et la défense del’environnement de Comines-Warneton et A.S.B.L. Interenvironnement Wallonie, n/ 107.820.Pour une analyse critique de cet arrêt et de la jurisprudence qui l’a suivi voy. Th. HAUZEUR,

ne se transforme en recours populaire, l’absence de statut officiel des associations de fait rendantimpossible ou aléatoire la vérification de leur intérêt à agir dans un cas donné . Le groupementnon personnalisé ne paraît pas pouvoir agir davantage pour la défense des intérêts individuels deses membres.

En revanche, il ne faut pas exclure qu’une personne physique soit recevable à agir pourla défense d’un intérêt collectif. Ainsi en fut-il d’une licenciée en histoire qui poursuivaitl’annulation d’un permis d’urbanisme relativement à un bien sis à Waterloo et à Braine-l’Alleud,en faisant valoir sa qualité de licenciée en histoire, très attachée au site de la bataille de Waterloo,y ayant vécu 63 ans84.

Quant aux associations personnalisées constituées pour assurer la défense des intérêtscommuns de leurs membres, elles peuvent poursuivre l’annulation d’actes qu’elles prétendentcontraires à ces intérêts collectifs, pourvu que ceux-ci relèvent de leur spécialité.

L’intérêt à agir de l’association Inter-environnement Wallonie a été analysé avec un soinparticulier dans un arrêt du 13 juin 2002.

Il fut rappelé que, selon ses statuts, l’A.S.B.L. avait pour objet social « la défense del’intégrité et de la diversité des environnements et la promotion d’un milieu de vie de qualité »et que son action s’étendait sur tout le territoire de la Région wallonne.

L’association requérante exposait, pièces à l’appui, que la région géographique danslaquelle l’exploitation litigieuse se trouvait connaissait de sérieux problèmes de saturationextrême en effluents d’élevage – un des taux les plus élevés de Wallonie – alors qu’en mêmetemps toute cette région était particulièrement sensible, à l’estime même de la Région wallonne,en ce qui concerne la nappe aquifère. Il y allait donc d’une partie non négligeable du territoirewallon. Dans ces circonstances, l’intérêt de l’A.S.B.L. Inter-environnement Wallonie devait êtreadmis.

L’arrêt du 13 juin 2002 est remarquable en ce qu’il contient des considérations deprincipe quant à la recevabilité des requête introduites par les associations de défense del’environnement : celles-ci doivent satisfaire aux conditions exigées de toutes les autrespersonnes physiques ou morales, à savoir justifier d’un intérêt direct, personnel et légitime, ainsique de la qualité requise; elles témoignent de cette dernière condition lorsqu’elles agissent dansle but qu’elles se sont fixé dans leurs statuts et que ce but ne coïncide pas avec la défense del’intérêt général ni avec l’intérêt personnel de leurs membres; pour apprécier le caractère généraldu but statutaire poursuivi par une association, deux critères doivent être pris en compte : uncritère social et un critère géographique; sur le plan social, est irrecevable le recours enannulation introduit par une association dont l’objet est à ce point large que l’intérêt collectifqu’elle poursuit ne serait guère distinct; sur le plan géographique, lorsque l’acte attaqué a uneportée géographique bien délimitée, il ne peut être attaqué par une association dont l’action n’estpas limitée territorialement ou couvre une large étendue territoriale sauf si cette association a unobjet social spécialisé; par ailleurs, une association dont l’objet social s’étend à une vaste étendueterritoriale n’est recevable à attaquer un acte administratif que si celui-ci a une incidence sur toutou une grande partie du territoire visé par les statuts de cette association85.

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«L’intérêt à agir des associations de défense de l’environnement devant le Conseil d’Etat : quelleliberté pour le juge et quel rapport à la nature ? », Amén., 2006/3, p. 105 et s. Voy. aussi lesobservations critiques de B. JADOT, sous C.E., 24 septembre 2004, A.S.B.L. Grez-Doiceau,Urbanisme et Environnement, n/ 135.408 et C.E., 13 juillet 2004, A.S.B.L. Réserves naturelleset autres, n/ 133.834 : « Ces deux arrêts font application de l’idée selon laquelle l’intérêtpoursuivi par des associations dont l’objet est défini au regard de considérations assez généralesde protection de l’environnement ou de conservation de la nature manquerait de la spécificitérequise pour se distinguer de l’intérêt général.[...] De telles exigences n’emportent pas laconviction » (« Les associations de protection de l’environnement devant le Conseil d’Etat : uneespèce en voie de disparition », J.T., 2005, p. 120 et s.). Voy. encore C.E., 30 novembre 2005,A.S.B.L. Interenvironnement wallonie et autres, n/ 152.037 et C.E., 14 février 2006, Defrance,n/ 154.970.

86 Voy. très récemment, C.E., 28 mai 2009, V.Z.W. Milieufront Omer Wattez, n/ 193.593.87 C.E., 19 février 2007, A.S.B.L. Gerfa, n/ 179.879. 88 C.E., 17 mars 2009, A.S.B.L. M.R.A.X., n/ 191.533, J.T., 2009, p. 252 et s., avec les

observation critiques de S. VAN DROOGHENBROECK.

Il se pourrait toutefois que la Convention d’Aarhus, spécialement ses articles 2.5 et 9.2,ait pour effet d’adoucir la jurisprudence de la juridiction administrative relative à cette question86.

L’environnement n’est pas le seul domaine où l’appréciation par le Conseil d’Etat del’intérêt d’une association se fait avec rigueur.

Ainsi, par un arrêt du 19 février 2007, la juridiction a considéré que l’A.S.B.L.requérante, active dans la fonction publique, ne justifiait pas un intérêt suffisant pour obtenirl’annulation d’un arrêté ministériel déterminant les règles de calcul d’une allocation annuellecompensatoire : « l’étendue de l’objet social que se fixe une personne morale ne l’autorise pas,en soi, à attaquer sans restriction tout acte administratif entaché d’une des irrégularités qu’ellese donne pour mission de combattre; que la seule allégation selon laquelle l’acte attaquéméconnaîtrait des dispositions constitutionnelles, légales ou réglementaires ne suffit pas àdémontrer l’intérêt de la requérante, sauf à admettre, ce qui ne se peut, qu’elle serait autoriséeà introduire un recours populaire; que la requérante ne démontre pas, en l’espèce, quel’annulation de l’acte attaqué lui apporterait quelque chose de plus tangible que la satisfactionde voir disparaître une éventuelle illégalité’ 87.

Enfin, par un arrêt remarqué du 17 mars 2009, le Conseil d’Etat a considéré quel’A.S.B.L. Mouvement contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie (« M.R.A.X. »)n’avait pas intérêt à demander l’annulation du règlement d’ordre intérieur de l’Athénée royal deGilly qui interdisait à ses élèves le port de tout couvre chef, de signe ostensible d’appartenancepolitique ou religieuse dans l’enceinte de l’établissement au motif que « le règlement attaqué,loin de porter atteinte à l’objet social de la requérante, a pour effet de le rencontrer et de leconforter »88...

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89 Sur le sujet, voy. M. PÂQUES, « Le recours en annulation », A.P.T., 2007, pp. 202 à 216,ainsi que N. FORTEMPS et N. VAN DAMME , « Procédures en annulation et en référé devant leConseil d’Etat revues par la loi du 15 septembre 2006 et son arrêté d’exécution », in P. Lewalle(dir.), Le Contentieux administratif, Questions d’actualités, Anthémis, CUP vol. 105, 2008, pp.7à 64.

90 Arrêté royal du 25 avril 2007 modifiant divers arrêtés relatifs à la procédure devant lasection du contentieux administratif du Conseil d’Etat, M.B., 30 avril 2007.

91 Le contenu de la requête mobilise le jeu d’autres dispositions. Ainsi, par exemple,l’article 84, § 2, alinéa 1er, du Règlement général de procédure fait désormais obligation à toutepartie à une procédure (à l’exception des autorités administratives belges) d’élire domicile enBelgique dans le premier acte de procédure qu’elle accomplit.

92 Ces précisions paraissent conforter la jurisprudence selon laquelle les personnesmorales requérantes doivent, en introduisant leur requête, faire la preuve que la décision de saisirle Conseil d’Etat a été valablement prise par leur organe qualifié. Toutefois, elles ne nousparaissent pas suffire à éliminer les objections fort bien mises en lumière par certainsobservateurs (voy. notamment R. JAFFERALI, op.cit., C.D.P.K., 2006, p. 623 et s. ; E. VANNUFFEL, op.cit., J.T., 2007, p. 275 et s.) relativement à la représentation des sociétés anonymes,des sociétés privées à responsabilité limitée et des sociétés en commandite par action devant leConseil d’Etat : l’article 9 de la première directive sur le droit des sociétés (68/151/CEE du 9mars 1968) et les articles 257 et 522 du Code des sociétés qui le transposent n’obligent-ils pasà admettre que la validité de la décision d’agir ne se pose que dans l’ordre interne de la société,entre celle-ci et son organe, et non pas à l’extérieur, à l’égard duquel la société est présuméetoujours valablement engagée même si l’organe qui déclare agir pour elle n’en a pas le pouvoir?Ces normes ne sont-elles pas supérieures à celles de l’arrêté royal de procédure ? Celui-ci trouve,certes, son fondement dans l’article 30, § 1er , des lois coordonnées sur le Conseil d’Etat, maisaucune habilitation à déroger à la directive précitée et au Code des sociétés n’y est prévue …

93 D’autres obligations non rencontrées – à savoir celles énoncées à l’article 3bis précité–sont également passibles de cette sanction.

3. Recevabilité tenant au respect du règlement de procédure

3.1 Principales modifications procédurales issues de la loi du 15 septembre 2006 et del’arrêté royal du 25 avril 200789

La procédure à respecter dans le cadre d’un recours en annulation a été fixée par unarrêté du Régent du 23 août 1948 déterminant la procédure devant la section du contentieuxadministratif du Conseil d’Etat, maintes fois modifié, en particulier par un arrêté royal du 25 avril200790. On sait que, devant cette juridiction, les lois coordonnées elle-mêmes contiennentégalement des dispositions procédurales importantes, dont certaines ont fait l’objet demodifications sensibles par le biais de la loi du 15 septembre 2006.

Dans le cadre de cet exposé, nous nous limiterons à mentionner les principauxchangements apportés par ces modifications législative et réglementaire.

A) Le contenu de la requête en annulation

Le contenu de la requête en annulation a été revu par l’arrêté royal du 25 avril 2007,lequel a notamment modifié les articles 2 et 3 du Règlement général de procédure91.

Il nous paraît important d’insister à nouveau sur l’obligation faite par ces dispositionsde joindre, dans les cas où la partie requérante est une personne morale, une copie des statuts envigueur et de l’acte de désignation de ses organes ainsi que la preuve que l’organe habilité adécidé d’agir en justice92. S’il n’est pas satisfait à cette obligation93, l’article 3bis, inséré dans

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94 Articles 68 et s. du Règlement général de procédure. 95 Article 6, § 4, du Règlement général de procédure. 96 Le rapport au Roi qui précède l’arrêté royal du 25 avril 2007 fait ressortir la volonté de

modifier le système antérieur sur ce point : le rapport de l’auditeur était toujours notifié enpremier lieu à la partie requérante. Celle-ci avait trente jours pour déposer sa demande depoursuite de la procédure dans l’hypothèse où le rapport de l’auditeur concluait au rejet de sonrecours en annulation (article 14quater du règlement général) et son dernier mémoire. Ensuiteseulement, le rapport était notifié à la partie adverse. Avec l’arrêté royal du 25 avril 2007, lerapport est notifié simultanément à toutes les parties, de sorte que chacune d’elles, y comprisdésormais la partie intervenante (voy. S. LUST, « De hervorming van de Raad van State anno2006 », C.D.P.K., 2007, p. 265), dispose d’un délai de trente jours pour déposer sa demande depoursuite de la procédure et son dernier mémoire.

97 Ainsi que l’observent pertinemment N. FORTEMPS et N. VAN DAMME (op. cit., p. 27),« l’absence de demande de poursuite de la procédure des parties adverse et intervenante neconduit pas, ipso facto, à l’annulation de l’acte, mais accélère le traitement de l’affaire ».

l’arrêté du Régent du 23 août 1948 par l’arrêté royal du 25 avril 2007, prévoit que la requête n’estpas enrôlée.

Toutefois, cette disposition précise, en ses alinéas 2 et suivants, que le greffier en chefadresse un courrier à la partie requérante précisant la cause du non-enrôlement et l’invitant àrégulariser sa requête dans les quinze jours. La partie requérante qui régularise sa requête dansles quinze jours de la réception de cette invitation est censée l’avoir introduite à la date de sonpremier envoi tandis qu’une requête non régularisée ou régularisée de manière incomplète outardive est réputée non introduite.

Enfin, on notera que si le recours en annulation donne lieu en principe au paiementd’une taxe de 175 euros, celle-ci ne doit plus être acquittée au moment de l’introduction de larequête puisque, après bien des péripéties, le Roi a opté pour un système de liquidation des taxesen débet94.

B) Echange des mémoires et notification du rapport

Nous pointons les nouveautés suivantes.

Par l’effet de l’arrêté royal du 25 avril 2007, précité, la partie adverse dispose d’un délaide 60 jours pour transmettre son mémoire en réponse également dans l’hypothèse où la procédureen annulation suit une procédure en suspension95.

L’article 14 du Règlement général de procédure prévoit désormais que le greffe notifiele rapport de l’auditeur à toutes les parties simultanément, lesquelles ont ensuite, chacune, trentejours pour déposer un dernier mémoire avec, le cas échéant, leur demande de poursuite de laprocédure96.

On observe que l’obligation de solliciter la poursuite de la procédure à la suite du rapportde l’auditeur n’est plus réservée au seul requérant puisque, conformément à l’article 30, § 3, deslois coordonnées, l’article 14quinquies met en place une procédure accélérée97 pour pouvoirannuler l’acte ou le règlement dans l’hypothèse où la partie adverse ou celui qui a un intérêt aurèglement du litige n’introduit aucune demande de poursuite de la procédure dans un délai de 30jours à compter de la notification du rapport de l’auditeur dans lequel l’annulation est proposée.

En exécution de l’article 17, § 4, alinéa 2, des lois coordonnées, l’article 15quater del’arrêté royal du 5 décembre 1991 déterminant la procédure en référé devant le Conseil d’Etat

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98 De ce fait, en cas d’application de la procédure de débats succincts prévue à l’article93 du Règlement général de procédure, l’intervenant volontaire n’a plus la possibilité de déposerun mémoire postérieurement à la notification du rapport de l’auditeur (sur ce point, voy. lesexplications de N. FORTEMPS et N. VAN DAMME , op. cit., pp. 39 à 41).

99 Art. 4, al. 3, de l’arrêté du Régent du 23 août 1948 modifié par l’arrêté royal du 25 avril2007.

octroie à l’auditeur rapporteur la possibilité de communiquer le dossier au greffe en indiquantqu’il ne déposera pas de nouveau rapport sur le recours en annulation, dans l’hypothèse où, aprèsle prononcé d’un arrêt ayant statué sur la demande de suspension et après l’échange desmémoires en réponse et en réplique ou du mémoire ampliatif, il constate que les partiesn’invoquent aucun élément nouveau depuis l’arrêt qui a suspendu l’exécution de l’acte attaquéou qui a déclaré tous les moyens non sérieux ou qui a rejeté la demande de suspension pourirrecevabilité du recours.

Autre nouveauté : conformément à l’article 30, § 1er, alinéa 2, des lois coordonnées,l’article 26 du Règlement général de procédure prévoit que, « dans les quinze jours del’expiration du délai prescrit pour les derniers mémoires, les parties peuvent déciderd’introduire une déclaration commune selon laquelle la cause ne sera pas appelée à l’audiencerelative au recours en annulation dans les cas où, à la fois, le rapport conclut soit au rejet soità l’annulation, sans réserve ni demande de renseignements ou d’explications et qu’aucun derniermémoire n’est déposé ».

C) L’intervention volontaire

L’intervention est possible tant à l’appui de la requête (l’intervenant n’étant pas admisdans ce cas à soulever d’autres moyens que ceux qui ont été formulés dans la requête introductived’instance) qu’en défense (l’intervenant n’étant pas lié, dans cette hypothèse, par les argumentsprésentés par la partie adverse).

L’article 52 du Règlement général de procédure précise désormais le contenu de larequête en intervention.

Depuis sa modification par la loi du 15 septembre 2006, le paragraphe 3 de l’article21bis des lois coordonnées prévoit que la requête en intervention vaut tant pour la demande desuspension que pour le recours en annulation si celui qui a intérêt à la solution de l’affaireintervient dans le cadre d’une demande de suspension qui a été introduite par une requêteunique98.

Rappelons que, depuis sa modification par l’arrêté royal du 25 avril 2007, l’article 14du Règlement général de procédure permet à la partie intervenante de déposer un derniermémoire, avec le cas échéant une demande de poursuite de la procédure, dans les trente jours dela communication qui lui est faite par le greffe du rapport de l’auditeur.

3.2 Le délai de recours

Les recours en annulation « sont prescrits soixante jours après que les actes, règlementsou décisions incriminés ont été publiés ou notifiés. S’ils ne doivent être ni publiés ni notifiés, ledélai court à dater du jour où le requérant en aura connaissance »99.

Celui-ci se compte « de die ad diem » : selon l’article 88 du règlement de procédure, lejour de l’acte qui est le point de départ d’un délai (en l’espèce, la publication, la notification ou

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100 Pour un cas où la fermeture des bureaux de poste lors d’un jour non férié (le 26décembre, en l’occurrence,) a été assimilée à un cas de force majeure justifiant que le recourspuisse être introduit le premier jour utile suivant, voy. C.E., 24 octobre 2008, Stiennier, n/187.345.

101 C.A., n/ 67/2001 du 17 mai 2001.102 C.C., n/ 71/2009 du 5 mai 2009.

l’acquisition de connaissance, selon le cas) n’y est pas compris; le jour de l’échéance par contreest compté dans le délai; si cette échéance a lieu un samedi, un dimanche ou un jour férié légal,le délai est prorogé jusqu’au plus prochain jour ouvrable100.

On notera que seule importe l’expédition de la requête avant l’expiration du délai; il n’yaurait pas tardiveté si le recours, expédié dans le délai, ne parvenait au Conseil d’Etat qu’aprèsle 60ème jour.

A) Prise de cours du délai

A.1) L’acte doit être publié

Les actes de portée réglementaire doivent en principe être publiés. La manière dont cettepublication doit être opérée est fréquemment fixée par des lois, des décrets et des règlements.

Lorsqu’une formalité particulière de publication est prévue, son accomplissementdétermine le point de départ du délai, quelle que soit la connaissance que les parties ont eue del’acte attaqué avant ce moment.

Les articles 112 et 114 de la nouvelle loi communale (art. L1133-1 et 1133-2 duC.D.L.D.) qui déterminent les modalités de publication des règlements communaux (à savoir,par voie d’affichage,) n’ont pas été sans faire difficulté du point de vue de la prise de cours dudélai.

Interrogée une première fois par le Conseil d’Etat, la Cour constitutionnelle, alors Courd’arbitrage, avait estimé que, en tant qu’ils instauraient un mode de publication par voied’affichage des règlements et ordonnances des autorités communales, qui est opposable àquiconque, y compris aux personnes étrangères à la commune, notamment pour le calcul du délaide prescription des recours en annulation devant le Conseil d’Etat, les articles 112 et 114 de lanouvelle loi communale ne créaient pas une discrimination dans le chef desdites personnes parrapport aux habitants de la commune101.

Dans un second temps, la juridiction administrative interrogea à nouveau la Cour afinde savoir si l’application de ces mêmes dispositions demeurait encore compatible avec le principed’égalité et de non-discrimination lorsque sont en cause des tiers qui n’ont aucun intérêt directdans cette commune. La Cour constitutionnelle vit dans l’hypothèse soumise une source dediscrimination : « lorsque ces règlements et ordonnances règlent une matière qui ne se limite pasà l’intérêt de la commune concernée mais a également une influence sur des tiers qui n’ont, enprincipe, pas d’intérêt direct dans cette commune, une publication par affichage telle qu’elle estprévue par les dispositions en cause impose un devoir de vigilance rigoureux qui estdisproportionné, notamment parce que cet affichage fait courir le délai de soixante jours viséà l’article 4, alinéa 3, de l’arrêté du Régent du 23 août 1948 déterminant la procédure devantla section du contentieux administratif du Conseil d’Etat »102.

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103 Dans un arrêt du 28 avril 2004, la Cour constitutionnelle, alors Cour d’arbitrage, s’estfondée sur le « principe général selon lequel un acte administratif à portée individuelle doitfaire l’objet d’une communication individuelle aux personnes concernées » (C.A., 28 avril 2004,n/ 64/2004).

104 C.E., 15 mars 1996, Labie, n/ 58.836, J.L.M.B., 1996, p. 657, rapport et avis Ph.BOUVIER; dans le même sens : C.E., 30 juin 2005, Sallaberry, n/ 147.071 ; C.E., 11 octobre2005, Kuciapa, n/ 150.042 ; ainsi que C.E., 27 juin 2007, Chitsaz, n/ 172.797.

105 C.E., 18 février 2003, Van Roey, n/ 116.061. 106 On notera que la jurisprudence de la Cour constitutionnelle est ferme sur le sujet : elle

est en ce sens que, pour éviter toute insécurité juridique, il est raisonnable que le législateur fassecourir les délais de procédure à partir d’une date qui ne soit pas tributaire du comportement desparties. Ainsi, le choix de la date d’expédition du pli judiciaire comme point de départ du délaide recours apporte une restriction disproportionnée au droit de défense des destinataires, lesdélais de recours commençant à courir à partir d’un moment où ces derniers ne peuvent pas avoirconnaissance du contenu du pli. En ce qu’ils sont interprétés comme faisant courir les délais derecours à partir de la date de l’expédition du pli judiciaire, lorsque ce mode de notification estprévu par la loi, les articles 32, 2/, 46, § 2, et 792, alinéa 2, du Code judiciaire ne sont pascompatibles avec les articles 10 et 11 de la Constitution (C.A., n/170/2003 du 17 décembre2003). La Cour constitutionnelle a tenu le même raisonnement au sujet de l’article 71 de la loidu 8 juillet 1976 organique des centres publics d’action sociale (voy. C.A., n/ 166/2005 du 16novembre 2005 et C.A., n/ 43/2006 du 15 mars 2006). Voy. encore, C.C., n/ 85/2007 du 7 juin2007.

107 Voy., par exemple, C.E., 19 mars 2004, Brunin, n/ 129.473.

A.2) L’acte doit être notifié au requérant

En principe , les décisions à portée individuelle, qui déterminent la situation juridiqued’une ou de plusieurs personnes, doivent leur être notifiées103.

Ce principe est assorti d’une exception notable touchant aux décisions des jurysd’examen dans l’enseignement : il a été jugé de manière répétitive que si d’autres modalitésd’information avaient été prévues par la législation applicable, telle la proclamation des résultats,celle-ci suffisait à faire courir le délai de recours et que l’article 19, alinéa 2, des lois coordonnéessur le Conseil d’Etat ne trouvait pas à s’y appliquer104.

La publication d’une décision à portée individuelle, qu’elle soit antérieure ou postérieureà la notification, reste sans incidence sur le délai; de même, la connaissance antérieure de ladécision.

Le délai commence à courir dès que la décision est notifiée au requérant dès lors que,par cette notification, la décision est reproduite correctement dans son intégralité; il importe peuque la notification ne soit pas faite de la manière prescrite par l’article 32, 2/, du Code judiciaire.

La jurisprudence paraît faire application en la matière de la théorie de la réception : lanotification est réalisée, et donc le délai commence à courir, à la suite du dépôt d’une lettrerecommandée, ou d’avis du dépôt de courrier recommandé105, à l’adresse indiquée par lerequérant106; peu importe que celui-ci néglige, ou soit empêché, sauf par force majeure, d’enassurer la réception. L’autorité compétente doit cependant tenir compte des conséquencesattachées aux mesures prises par le destinataire du pli et visant à le mettre le plus rapidementpossible en possession de son courrier107.

Lorsque la décision attaquée a été notifiée au requérant sous pli recommandé à la poste,selon la jurisprudence traditionnelle du Conseil d’Etat, cette décision est réputée lui avoir étéremise le lendemain. Par contre, en appliquant par analogie l’article 53bis du Code judiciaire, le

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108 Voy. en ce sens C.E., 19 octobre 2006, Stad Aalst, n/ 163.785, R.D.J.P., 2007, p. 279.109 C.E., 27 octobre 2006, Mandungu Minba, n/ 164.228.110 C.E., ass., 19 juillet 2004, Lecoq, n/ 134.024. Il a été jugé qu’aucun abus de droit ne

pouvait être reproché au requérant qui avait introduit la requête en annulation de la décisionl’admettant à la pension prématurée plus de quatre ans après la notification ne comportant pasles mentions requises (C.E., 3 octobre 2007, Hatzizervoudakis, n/ 175.286). Comp. avec C.E.,17 décembre 2008, Khamrichi et Khamrichi, n/ 188.929 : dans cette espèce, le Conseil d’Etat arejeté le recours formé contre une décision prononçant l’exclusion d’un élève au motif « que,certes, elle ne mentionne pas les voies de recours, mais [...] la circonstance que la requête enannulation n’a été introduite que près d’une année plus tard démontre que le requérant s’estdésintéressé de la sanction prononcée ».

délai d’annulation ne commence à courir que le troisième jour ouvrable qui suit celui où le plia été remis aux services de la Poste. Lorsque le recours est recevable ratione temporis si onapplique l’article 53bis du Code judiciaire108 mais irrecevable si on se réfère à la jurisprudencetraditionnelle du Conseil d’Etat, les débats succincts ne suffisent pas à établir que la requête estirrecevable109.

La notification doit porter sur l’intégralité de l’acte, ce qui implique une connaissancesuffisante du contenu de l’acte et de son approbation éventuelle. Il a été jugé que lorsqu’unedécision doit être motivée, elle n’est régulièrement notifiée que si sa motivation estcommuniquée à la personne à qui il en est donné connaissance.

A.3) L’acte ne doit être ni publié, ni notifié au requérant

L’hypothèse se présente lorsqu’un acte individuel est attaqué par un tiers, qu’il s’agissed’une décision explicite ou implicite. Le délai prend cours, en pareil cas, à la prise deconnaissance de l’acte par le requérant ou par son avocat.

Il faut une connaissance suffisamment claire, ce qui n’implique pas nécessairement lacommunication du texte intégral de l’acte, mais la connaissance de son contenu et de sa portée.Rappelons que la connaissance requise porte sur l’acte; elle ne s’étend pas, en principe, àl’illégalité dont il peut être affecté.

Cette prise de connaissance dépend essentiellement des circonstances de fait. En cas decontestation, la charge de la preuve incombe à la partie qui soutient que le requérant avaitconnaissance de l’acte. Cette connaissance peut s’établir par présomption, mais celle-ci doit êtrefondée sur des éléments concrets qui, en droit et en équité, ne laissent subsister aucun doute enla matière.

Le requérant doit veiller à s’informer. La législation sur la liberté d’accès des citoyensà l’information relative à l’environnement lui en apporte notamment les moyens. Il ne peutdifférer par son propre fait la prise de connaissance et retarder ainsi le point de départ du délai.

B) Dispositions législatives imposant l’information du ou desdestinataires de l’acte individuel

Il faut être attentif à la règle inscrite à l’article 19, alinéa 2, des lois coordonnées sur leConseil d’Etat, introduite par la loi du 24 mars 1994 et modifiée par la loi du 25 mai 1999, puispar la loi du 15 septembre 2006, en raison de l’étendue de son champ d’application.

Il ressort de cette disposition, laquelle est d’ordre public110, que les délais de prescriptionpour les recours visés à l’article 14, § 1er, ne prennent cours que si la notification de l’acte ou de

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111 Doc. Parl., Ch., sess. 2005-2006, n/ 51 2479/001, p. 33.

la décision à portée individuelle de n’importe quelle autorité administrative indique l’existencede ces recours ainsi que les formes et délais à respecter.

L’article 7, 1/, de la loi du 15 septembre 2006 a ajouté à l’alinéa 2 de l’article 19 des loiscoordonnées la disposition suivante : « Lorsque cette condition n’est pas remplie, les délais deprescription prennent cours quatre mois après que l’intéressé a pris connaissance de l’acte oude la décision à portée individuelle »111.

La notification de l’acte ou de la décision d’une autorité administrative, au sens del’article 14, § 1er, des lois coordonnées, qui ne contiendrait pas ces mentions suffirait à rendre ladécision obligatoire; mais elle ne déterminerait pas la prise de cours du délai, sous la réserve quiprécède.

Sans doute faut-il souligner que la règle ne vaut pas pour la notification des décisionsdes juridictions administratives, dont le Conseil d’Etat peut avoir à connaître non en applicationnon du § 1er, mais du § 2 de l’article 14 des lois coordonnées.

Enfin, on rappellera l’existence des législations relatives à la publicité del’administration. Bon nombre d’entre elles contiennent une disposition consacrée à l’obligationde mentionner les voies de recours lors de toute notification d’un acte administratif : ainsi en est-il notamment de l’article 2, 4/, de la loi du 11 avril 1994 relative à la publicité del’administration.

C) L’interruption du délai

En principe, la réclamation administrative n’a pas d’effet interruptif au regard du délaide recours au Conseil d’Etat.

Toutefois, l’examen de la jurisprudence fait ressortir que l’introduction d’un recoursadministratif peut, dans certains cas, avoir pour effet d’interrompre le délai de recours au Conseild’Etat, et de restituer à un intéressé un délai entier de 60 jours dont le point de départ est reportébien au delà de ce que prescrit l’article 4, alinéa 2, de l’arrêté du Régent du 23 août 1948.

C.1) L’effet interruptif de la réclamation à l’autorité de tutelle

La jurisprudence de notre Conseil d’Etat reconnaît qu’un recours non prévu par un texte,adressé à l’autorité de tutelle disposant d’une compétence de suspension ou d’annulation, peutavoir pour effet d’interrompre ce délai.

Deux conditions sont nécessaires pour que se produise cet effet interruptif : d’une part,l’autorité de tutelle qui a à connaître du recours doit être compétente quant à la matière, au lieuet au temps ; d’autre part, elle doit être saisie avant l’expiration du délai de 60 jours calculéconformément à l’article 4, alinéa 3, du règlement de procédure.

Un arrêt prononcé par l’assemblée générale de la section d’administration le 13 février2001 a réaffirmé que « le délai imparti pour former un recours en annulation est interrompu enfaveur de celui qui introduit une réclamation auprès de l’autorité de tutelle habilitée à exercerla tutelle générale, à condition que cette réclamation soit introduite avant l’expiration du délai

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112 C.E., ass., 13 février 2001, Van Middel, n/ 93.290, A.P.T., 2001, p. 236 et s., rapportF. DE BUEL.

113 Novelles, Droit administratif, T.VI, Le Conseil d’Etat, Bruxelles, Larcier, 1975, n/939.

114 Voy. l’article 25, § 1er, 2 et 3, l’article 51, § 1er, 2 et 3, et l’article 80, § 1er, 2 et 3, del’arrêté royal du 8 janvier 1996 relatif aux marchés publics de travaux, de fournitures et deservices et aux concessions de travaux publics.

de recours et du délai dont dispose l’autorité de tutelle pour exercer ses pouvoirs de suspensionet d’annulation »112.

C.2) L’effet interruptif du recours gracieux ou du recours hiérarchique

En principe, la réclamation gracieuse ne se voit pas reconnaître d’effet interruptif dudélai de recours au Conseil d’Etat. La décision prise sur semblable réclamation n’apparaît eneffet, le plus souvent, que comme la confirmation de la décision antérieure .

Par exception cependant, le Conseil d’Etat a reconnu que certains recours gracieuxpouvaient, dans des circonstances très spéciales, provoquer l’interruption du délai de recours auConseil d’Etat. « Ces circonstances spéciales peuvent varier d’une affaire à l’autre. Il sembleque le Conseil d’Etat tienne compte surtout de l’attitude de la partie adverse et qu’il admettel’interruption du délai principalement lorsque cette partie adverse a tenu la décision en suspens,parce qu’elle envisageait de la modifier ou de la rapporter »113.

C.3) La demande d’information du soumissionnaire écarté del’attribution d’un marché public

La réglementation faite en application de la loi du 24 décembre 1993 relative auxmarchés publics de travaux, de fournitures et de services prend en compte la situation dusoumissionnaire écarté d’un marché en lui garantissant une information effective.

S’agissant de déterminer à partir de quelle date doit se compter le délai du recours enannulation introduit par un soumissionnaire dont l’offre n’a pas été choisie, il a été constaté quele pouvoir adjudicateur est soumis à une double obligation : d’une part, une information d’officeet dans les moindres délais des candidats non sélectionnés ou de ceux dont l’offre a été jugéeirrégulière ou n’a pas été choisie; d’autre part, à la suite d’une demande écrite, unecommunication des motifs de non-sélection, d’éviction ou de la décision motivée d’attributiondu marché dans un délai de quinze jours après réception de la demande écrite114.

L’information effectuée d’office a été considérée comme la notification d’une décisionde nature à faire courir le délai de recours en annulation pour autant qu’y figurent les mentionsexigées par l’article 19, alinéa 2, des lois coordonnées.

Mais il a été décidé encore que le délai de recours était interrompu pour autant que lesoumissionnaire régulièrement informé de son éviction ait demandé par écrit, dans un délairaisonnable de quinze jours en principe, communication des motifs de la décision, étant entenduque ce soumissionnaire est tenu de faire diligence et de s’informer dans un délai raisonnable ducontenu de la décision.

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115 C.E., 28 mai 2008, S.A. Axis Engineering, n/ 183.512.116 Aux termes de cette disposition, « Nonobstant l’écoulement des délais prévus par les

lois et règlements particuliers, les actes et règlements des diverses autorités administratives ainsique les décisions des juridictions autres que celles visées à l’article 16 de la présente loi peuvent,s’ils sont fondés sur une disposition d’une loi, d’un décret ou d’une règle visée à l’article 134de la Constitution, qui a été ensuite annulée par la Cour d’arbitrage, ou d’un règlement pris enexécution d’une telle norme, faire, selon le cas, l’objet des recours administratifs oujuridictionnels organisés à leur encontre dans les six mois à dater de la publication de l’arrêtde la Cour d’arbitrage au Moniteur belge ».

117 C.E.,13 mai 1993, Walravens, n/ 43.010.118 Cass., 16 février 2006, n/ de rôle C050022N ; Pas., 2006, I, p. 397 et s., concl. P.

CORNELIS ; R.W., 2005-2006, liv. 41, 1618, obs. A. VAN OEVELEN; R.A.B.G., 2007, obs. C.LEBON.

119 Voy. Doc. parl., Sénat, sess. extra. 2007, n/ 4-140/1 et 4-140/2; n/ 4-10/1 à 4-10/8;Doc. parl., Ch., sess. 2007-2008, n/ 52-832/1 à 52-832/8. Pour une analyse approfondie de sesdispositions, voy. E. BREWAEYS, « De stuiting van de verjaring van de schuldvorderingen tegen

Dans ce cas, un nouveau délai de soixante jours commence à courir à partir de lacommunication des motifs par le pouvoir adjudicateur, laquelle n’a pas à être assortie desmentions requises par l’article 19, alinéa 2 des lois coordonnées sur le Conseil d’Etat115.

D) L’ouverture d’un nouveau délai

L’expiration du délai de 60 jours, calculé selon les dispositions de l’article 4, alinéa 3,du règlement de procédure, n’a pas invariablement des conséquences irréversibles.

Il est arrivé que le législateur lui-même prévoit la réouverture d’un délai spécial derecours dans certaines circonstances qu’il détermine : l’article 18 de la loi spéciale du 6 janvier1989 sur la Cour d’arbitrage en offre un exemple116.

Le juge, pour sa part, a reconnu qu’en certaines circonstances, qui demeurent jusqu’iciexceptionnelles, un acte administratif devenu définitif pour n’avoir pas été attaqué dans le délaipouvait encore faire l’objet d’un recours en annulation; le requérant retrouve alors un nouveaudélai de 60 jours, à compter de la survenance de l’événement "restitutif", pour introduire sarequête en annulation117.

Section III. La prescription de l’action en dommages et intérêts à la suite d’unrecours en annulation devant le Conseil d’Etat

Par un arrêt du 16 février 2006, la Cour de cassation a décidé que : « Le recours enannulation formé contre un acte administratif devant le Conseil d’Etat n’interrompt ni nesuspend la prescription du droit de réclamer une indemnisation devant le tribunal civil en sefondant sur un acte illicite des autorités »118.

Cette jurisprudence pouvait avoir cette fâcheuse conséquence que le requérant qui avaitobtenu gain de cause devant le Conseil d’Etat se retrouvait hors délai pour introduire une actionen dommages et intérêts découlant de l’acte administratif annulé lorsque la procédure devant lajuridiction administrative avait été particulièrement longue.

Afin de palier cet inconvénient, le législateur est intervenu en adoptant la loi du 25 juillet2008 modifiant le Code civil et les lois coordonnées du 17 juillet 1991 sur la comptabilité del’Etat en vue d’interrompre la prescription de l’action en dommages et intérêts à la suite d’unrecours en annulation devant le Conseil d’Etat119, publiée au Moniteur belge le 22 août 2008.

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de overheid », R.W., 2008-2009, pp. 562 à 568; ainsi que A. LEBRUN, « Une nouvelle caused’interruption de la prescription civile : le recours au Conseil d’Etat », Rev. dr. commun., 2009/2,pp. 18 à 25.

120 Au surplus, la même loi remplace l’article 101 des lois coordonnées du 17 juillet 1991sur la comptabilité de l’Etat par la disposition qui suit : « La prescription est interrompueconformément aux règles du droit commun ».

121 Ces dispositions « transitoires » inscrites l’article 4 de la loi précitées font l’objet deplusieurs recours pendants devant la Cour constitutionnelle.

Il en ressort que l’article 2244 du Code civil est complété par deux alinéas, rédigéscomme suit:« Une citation en justice interrompt la prescription jusqu’au prononcé d’une décisiondéfinitive.

Pour l’application de la présente section, un recours en annulation d’un acteadministratif devant le Conseil d’Etat a, à l’égard de l’action en réparation du dommage causépar l’acte administratif annulé, les mêmes effets qu’une citation en justice »120.

La clarté de cette nouvelle disposition n’est qu’apparente : son champ d’applicationlimité pourrait bien réserver des surprises désagréables au requérant. Nous songeons par exempleà l’hypothèse où, en cours d’instance devant le Conseil d’Etat, la partie adverse viendraitprocéder au retrait de l’acte querellé, ce qui aurait pour effet de priver le recours en annulationde son objet et, partant, d’entraîner le rejet de celui-ci.

Enfin, on notera que la loi du 25 juillet 2008, qui est entrée en vigueur le 1er septembre2008, se déclare applicable aux recours en annulation introduits devant le Conseil d’Etat avantson entrée en vigueur. Elle n’est toutefois pas applicable lorsque l’action en dommages etintérêts a été déclarée prescrite par une décision passée en force de chose jugée avant son entréeen vigueur contre laquelle un recours en cassation n’est pas introduit121.

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Tables des matières

Introduction

Section I. Les conditions de compétence du Conseil d’Etat

1. Le recours doit tendre à l’annulation de la décision attaquée2. L’acte ou le règlement attaqué doit avoir été accompli par une autorité administrative

2.1 Le critère organique de l’autorité administrative A) Définition et implicationsB) Examen d’une application particulière : la motion de méfiance constructive

2.2 Le critère matériel ou fonctionnel de l’autorité administrativeA) L’incidence positive du critère matériel B) L’incidence négative du critère matériel

2.3 L’autorité administrative et ses adjonctions dans la législation sur le Conseil d’Etat3. Incompétence résultant de la compétence du pouvoir judiciaire

Section II. Les conditions de recevabilité de la requête en annulation

1. Recevabilité tenant à la nature et à la portée de l’acte1.1 Acte juridique unilatéral1.2 Mesure de nature à faire grief

A) Les décisions préalables en marchés publics B) Les mesures d’ordre intérieur adoptées par l’administration des établissements pénitentiairesvis-à-vis des personnes détenues

1.3 Mesure contre laquelle aucun recours préalable n’est organisé2. Recevabilité tenant à la situation du requérant

2.1 Capacité du requérant2.2 Qualité du requérant2.3 Intérêt du requérant

A) La perspective indemnitaire est-elle suffisante?B) Caractéristiques de l’intérêtC) Les intérêts collectifs

3. Recevabilité tenant au respect du règlement de procédure3.1 Principales modifications procédurales issues de la loi du 15 septembre 2006 et del’arrêté royal du 25 avril 2007

A) Le contenu de la requête en annulationB) Echange des mémoires et notification du rapportC) L’intervention volontaire

3.2 Le délai de recoursA) Prise de cours du délaiB) Dispositions législatives imposant l’information du ou des destinataires de l’acte individuelC) L’interruption du délai. D) L’ouverture d’un nouveau délai

Section III. La prescription de l’action en dommages et intérêts à la suite d’unrecours en annulation devant le Conseil d’Etat