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1 Le respect de la personne agée dépendante en institution (mon mémoire de juin 2003) Introduction Depuis longtemps, mon projet professionnel est de devenir infirmière. Au fil des expériences, pendant mes trois années de formation, mon envie de travailler auprès des personnes âgées s’est accrue. En effet, j’ai vécu diverses situations auprès de cette population, qu’elles soient professionnelles ou privées, et une seule m’a vraiment troublée : celle du manque de respect envers une personne âgée dépendante en institution médicalisée. Pour quelles raisons ai-je choisi ce sujet ? Je pense que les personnes âgées ont un passé, qu’ils savent beaucoup de choses grâce à leur maturité et à leur âge. « Durant les siècles derniers, « les vieux » étaient considérés comme des sages, avec un grand savoir, qu’il fallait écouter et respecter » 1 Durant mon enfance, j’ai eu une éducation basée sur le respect des « plus âgés que moi » - personnes toujours présentes et dont les conseils étaient écoutés attentivement par le reste de la famille. J’ai gardé cette image de la personne âgée, c’est pourquoi le manque de respect envers eux me touche plus que d’autres problèmes. Mais en fin de compte, qu’est-ce que le respect ? Ce terme est utilisé maintes et maintes fois, dans plusieurs situations. La définition qui suit définit bien ce mot : « Respecter une personne âgée c’est prendre en compte sa vie passée, présente et future ; ce n’est pas voir uniquement ses défauts mais aussi ses capacités : c’est tolérer sa présence peu importe le moment. La personne âgée dépendante est plus fragilisée que la personne indépendante, par le fait qu’elle a toujours besoin d’une tierce personne pour les gestes de la vie quotidienne. Cet autre individu va rentrer dans son intimité, cela peut être une situation humiliante, le respect est d’autant plus important ici. » 2 Le terme de dépendance est aussi très relatif, cela pourrait être la conséquence d’une accumulation de troubles divers, malgré tout ce mot est défini comme tel : « incapacité d’accomplir au moins trois actes de la vie courante. » 3 La situation que j’ai choisie se passe dans une institution médicalisée, car, tout simplement, ayant travaillé à domicile pendant un an, je n’ai jamais eu l’occasion de constater un manque de respect envers la personne âgée, que ce soit par sa famille ou par le personnel qui la prenait en charge. Donc, pour tenter de comprendre les raisons pour lesquelles un soignant peut manquer de respect envers une personne âgée ; pour peut-être pouvoir apporter une solution en tant que future infirmière, mon mémoire sera présentée comme ceci : - la présentation de la situation et la problématique posée - le contexte actuel avec la législation, la place de la personne âgée, les formes de maltraitance - l’analyse ou comment cette situation a pu se produire - mon positionnement, les solutions que je pourrais apporter en tant que professionnelle, pour éviter que la situation ne se reproduise 1 www.plan-retraite.fr 2 Profession santé IDE n°25, avril 2001,« maltraitance, des aspects souvent feutrés », Y. Stahan, p : 27-28 3 Les cahiers de l’infirmière, octobre 2001, « Soins infirmiers aux personnes âgées et gérontopsychiatrie » p :27

Le respect de la personne agée dépendante en institution ...Les différents membres de l’équipe se parlaient très peu, hormis pour les transmissions à propos des patients, et

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Page 1: Le respect de la personne agée dépendante en institution ...Les différents membres de l’équipe se parlaient très peu, hormis pour les transmissions à propos des patients, et

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Le respect de la personne agée dépendante en institution (mon mémoire de juin 2003)

Introduction Depuis longtemps, mon projet professionnel est de devenir infirmière. Au fil des expériences, pendant mes trois années de formation, mon envie de travailler auprès des personnes âgées s’est accrue. En effet, j’ai vécu diverses situations auprès de cette population, qu’elles soient professionnelles ou privées, et une seule m’a vraiment troublée : celle du manque de respect envers une personne âgée dépendante en institution médicalisée. Pour quelles raisons ai-je choisi ce sujet ? Je pense que les personnes âgées ont un passé, qu’ils savent beaucoup de choses grâce à leur maturité et à leur âge. « Durant les siècles derniers, « les vieux » étaient considérés comme des sages, avec un grand savoir, qu’il fallait écouter et respecter »1 Durant mon enfance, j’ai eu une éducation basée sur le respect des « plus âgés que moi » - personnes toujours présentes et dont les conseils étaient écoutés attentivement par le reste de la famille. J’ai gardé cette image de la personne âgée, c’est pourquoi le manque de respect envers eux me touche plus que d’autres problèmes. Mais en fin de compte, qu’est-ce que le respect ? Ce terme est utilisé maintes et maintes fois, dans plusieurs situations. La définition qui suit définit bien ce mot :

« Respecter une personne âgée c’est prendre en compte sa vie passée, présente et future ; ce n’est pas voir uniquement ses défauts mais aussi ses capacités : c’est tolérer sa présence peu importe le moment. La personne âgée dépendante est plus fragilisée que la personne indépendante, par le fait qu’elle a toujours besoin d’une tierce personne pour les gestes de la vie quotidienne. Cet autre individu va rentrer dans son intimité, cela peut être une situation humiliante, le respect est d’autant plus important ici. »2

Le terme de dépendance est aussi très relatif, cela pourrait être la conséquence d’une accumulation de troubles divers, malgré tout ce mot est défini comme tel : « incapacité d’accomplir au moins trois actes de la vie courante. »3

La situation que j’ai choisie se passe dans une institution médicalisée, car, tout simplement, ayant travaillé à domicile pendant un an, je n’ai jamais eu l’occasion de constater un manque de respect envers la personne âgée, que ce soit par sa famille ou par le personnel qui la prenait en charge.

Donc, pour tenter de comprendre les raisons pour lesquelles un soignant peut manquer de respect envers une personne âgée ; pour peut-être pouvoir apporter une solution en tant que future infirmière, mon mémoire sera présentée comme ceci :

- la présentation de la situation et la problématique posée - le contexte actuel avec la législation, la place de la personne âgée, les formes de maltraitance - l’analyse ou comment cette situation a pu se produire - mon positionnement, les solutions que je pourrais apporter en tant que professionnelle, pour éviter que la situation ne se reproduise

1 www.plan-retraite.fr 2 Profession santé IDE n°25, avril 2001,« maltraitance, des aspects souvent feutrés », Y. Stahan, p : 27-28 3 Les cahiers de l’infirmière, octobre 2001, « Soins infirmiers aux personnes âgées et gérontopsychiatrie » p :27

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La situation et sa problématique

Lors de mon deuxième stage de ma première année de formation, je me suis trouvée dans un service de gériatrie. Dans cet établissement, les locaux étaient vétustes, très sombres, inadaptés aux situations de dépendance de la personne âgée ; l’ambiance entre le personnel était maussade, la hiérarchie était très présente entre les médecins, les infirmières et le personnel aide-soignant – agent de service hospitalier. Les différents membres de l’équipe se parlaient très peu, hormis pour les transmissions à propos des patients, et ne mangeaient jamais ensemble.

A l’époque, les agents de services hospitaliers faisaient le même travail que les aides-soignants : ils réalisaient les soins de nursing, prenaient les températures, donnaient les médicaments, etc.….sans pour autant avoir eu la formation requise.

Après le repas du midi, les aides-soignants et agents de services hospitaliers emmenaient les personnes âgées aux toilettes. Ce passage était obligatoire, c’est à dire que le personnel ne demandait pas à la personne si elle avait besoin d’aller sur les WC. En tant que stagiaire débutante, je les aidais à accomplir cette tache.

Le service présentait beaucoup d’agitation ce jour là, les patients ne mangeaient pas autant que ce que le personnel espérait ; le matin, il y avait eu du retard dans les toilettes ; beaucoup de bruit pendant le repas ; il faisait très sombre à cause du mauvais temps qui durait depuis plusieurs jours.

Il y avait alors une dame âgée, je pense de plus de 70 ans, dépendante et démente, dans un fauteuil roulant où elle était attachée par une ceinture abdominale de contention. L’agent de service hospitalier venait de finir de lui donner à manger. Elle avait plus de 15 ans de carrière derrière elle déjà, dans le même établissement.

J’ai donc été témoin de cette scène : cet agent de service hospitalier, exerçant donc une fonction d’aide-soignante, assoit cette dame sur les toilettes. Elle attend un moment, moins de 5 minutes, puis lui dit : « dépêche-toi de pisser la vieille ! » La personne âgée n’a pas réagi, n’a pas uriné, et l’agent de service hospitalier lui a remis sa protection et l’a réinstallé sur son fauteuil pour la conduire à la sieste. Ces gestes étaient très rapides, très saccadés aussi.

Lors de cette phrase, j’étais seule présente dans le couloir, j’observais comment se déroulait, pour la première fois, ce que l’on appelle un change.

La problématique de cette scène est le fait que l’agent de service hospitalier a manqué de respect envers cette dame dépendante. Comment un soignant peut arriver à dire de telles choses ? Jusqu’à quel point pourrait-il aller ? C’est donc ce que je vais tenter d’analyser.

Le contexte actuel

a) la législation concernant les personnes âgées

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Il existe actuellement une charte des droits et libertés des personnes âgées dépendantes. Cette charte a été crée par la fondation nationale de gérontologie en 1987 et a été diffusée par une circulaire ministérielle en 1996.

Certains articles paraissaient importants pour le respect de la personne âgée, les voici :

« La vieillesse est une étape pendant laquelle chacun doit pouvoir poursuivre son épanouissement : - Article 2, le lieu de vie de la personne âgée dépendante doit être choisi par elle et

adapté à ses besoins. L’architecture de l’établissement doit répondre aux besoins de la vie privée de la personne.

- Article 3, toute personne âgée doit conserver la liberté de communiquer, de se déplacer et de participer à la vie en société. La vie quotidienne doit prendre en compte le rythme et les difficultés des personnes âgées dépendantes.

- Article 6, toute personne âgée a droit à des activités. Développer des centres d’intérêt évite la sensation de dévalorisation et d’inutilité.

- Article 9, la prévention de la dépendance est une nécessité pour l’individu qui vieillit. Aucune personne âgée ne doit être considérée comme un objet passif de soins.

- Article 10, les soins que requiert une personne âgée dépendante doivent être dispensés par des intervenants formés, en nombre suffisant.

- Article 13, toute personne en situation de dépendance devrait voir protégés non seulement ses biens mais aussi sa personne. La sécurité physique et morale contre toutes agressions et maltraitances doit être sauvegardée.

- Article 14, l’ensemble de la population doit être informé des difficultés qu’éprouvent les personnes âgées dépendantes. C’est le meilleur moyen de lutte contre l’exclusion. »4

Cette charte donne déjà des pistes de réflexion pour éviter des abus auprès des personnes âgées.

Un autre article est important : l’article 434-3 du code pénal qui déclare : « le fait, pour quiconque ayant eu connaissance des mauvais traitements ou privations infligés à une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge, de sa maladie, d’une infirmité, d’une déficience physique ou psychique de ne pas en informer les autorités judiciaires ou administratives, est puni de trois ans d’emprisonnement et de 300 000F d’amende »5

Une charte, moins officielle ici, a été crée spécifiquement pour les personnes âgées dépendantes en institution par un groupe d’études, en 1991, du service de long séjour du CHU de Strasbourg. Certains points me semblent importants :

« 1. Tout résident doit bénéficier de la charte des droits et libertés des personnes âgées dépendantes

3. Comme tout citoyen adulte : la dignité, l’identité et la vie privée du résident doivent être respectés.

4. Le résident a le droit d’exprimer ses choix et ses souhaits. 5. L’institution s’efforce de répondre à ses besoins et de satisfaire ses désirs 12. Le droit à la parole est fondamental pour les résidents. »6

Mais avant de pouvoir affirmer qu’il y a mauvais traitement sur une personne, il faut en définir le terme. C’est ce que nous allons voir dans le prochain chapitre qui va nous démontrer les différentes formes que le manque de respect envers une personne peut prendre. 4 www.ch-tulle.fr 5 www.almafrance.org, « code pénal », 1994 6 AMYOT Jean-Jacques, risque, responsabilité, éthique dans les pratiques gérontologiques, Ed. Dunod, 2001, 213 pages, p : 78

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b) les formes de maltraitance en institution, quelques chiffres

« En 2002, il y avait 350 000 places dans les maisons de retraite en France, 74 000 places en unités de soins longue durée. 4% des 75-79 ans vivent en institution, 17% des 85-89 ans, et 33% des 90 ans et plus. Une estimation a été faite, en 2001, près de 5% de la population âgée de plus de 65 ans subirait des maltraitances. »7 Ce chiffre semble pourtant sous-estimé.

Un mauvais traitement désigne tous les actes abusifs commis à l’égard d’une personne. L’association française de protection et d’assistance aux personnes âgées estime qu’il existe six grandes formes de violence, en institution ou non. Les voici :

« - mauvais traitements psychologiques : dévalorisation, jugement : comme donner des surnoms (mémère, la vieille, grand-mère…), le tutoiement, faire des remarques sur les visites, culpabiliser la personne, négliger de soulager la douleur malgré les plaintes Abus d’autorité : prendre les décisions à la place de la personne, mettre systématiquement une protection ou des bavettes à tout le monde, changer la chambre sans demander l’avis, lui dire qu’elle n’a plus toute sa tête, ne pas respecter le rythme biologique de la personne, les forcer à agir vite, faire des chambres mixtes. Assaut verbal, menace, chantage : provoquer la peur en menaçant d’isolement, agresser verbalement, intimider, traiter la personne comme un enfant Abus social : ignorer la présence de la personne, la priver de soins et de rôle social, avoir des préjugés Violence par omission : ne pas tenir compte du vécu de la personne, ne pas tenir compte des habitudes vestimentaires - mauvais traitements matériels : vols d’argent, de chèques, escroquerie, réclamation de l’héritage - mauvais traitements physiques : alimentation inadéquate : les forcer à manger rapidement, mauvaise installation, acharnement sur la stricte observance diététique, mixer toute la nourriture sans nécessité Soins infirmiers non-donnés : non-respect de l’intimité lors du nursing, négliger de faire les soins nécessaires, ne pas répondre aux besoins de la personne, ne pas l’écouter, donner trop de médicaments ou s’acharner dans les soins. Violence à l’image de soi : infliger des souffrances corporelles, ligotement à un lit ou une chaise, coups et blessures délibérés, assaut grave tel que viol ou meurtre - violation du droit : empêcher une personne d’exercer un contrôle sur sa vie, non-respect des droits et des besoins - mauvaises conditions de l’environnement : chauffage inadéquat, suppression des objets personnels, espace mal adapté, lit trop haut, absence de lieu pour recevoir en privé - mauvaises organisations des soins et des services prestataires : règlement sur les heures de lever et de coucher, obligation des repas, prescription inutile de somnifères, laisser au lit la personne toute la journée par le fait qu’il s’agit d’un dimanche ou d’un jour férié, absence de loisirs et d’activités. »8 7 profession santé infirmière n° 30, octobre 2001, « maltraitance des personnes âgées », A-L.P. 8 www.afpap.org, « la maltraitance des personnes âgées », Association Française de Protection et d’Assistance aux Personnes Agées

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Alors à quoi sont dues ces formes de mauvais traitements ? Le milieu de la gériatrie serait-il favorable plus particulièrement à ces manifestations de manque de respect ? La place de la personne âgée a t-elle changée au fil des temps ? C’est ce que nous allons voir dans le prochain chapitre.

c) la place de la personne âgée dans notre société actuelle

De nos jours, avec le renouvellement rapide des techniques, les besoins de productivité des personnes toujours accru, la personne âgée est vite dépassée ; elle n’est plus une référence, un exemple, contrairement aux sociétés passés. Il lui est donné le statut de « vieux » qui a une connotation péjorative. « On n’est plus un citoyen quand on est vieux, on est transparent »9

« En France on n’aime pas les gens qui ont l’air vieux. Alors qu’ils n’ont jamais été aussi nombreux, les vieillards font peur, parce qu’ils nous forcent à nous projeter dans notre propre vieillissement. Ce qui est demandé aux vieux, c’est de conserver au maximum les attributs de la jeunesse, la beauté, la santé, la forme physique. »10

Quelques fois, la personne âgée peut donner l’impression de ne pas entendre, de ne plus voir ce qu’il se passe à l’extérieur. La société moderne véhicule des images négatives sur les « vieux » : personnes inutiles, acariâtres, avares, grincheuses, égocentriques, rigides…

Elle donne aussi une image de mort, surtout pour la personne dépendante. Cette symbolique, cette mort est rejetée ; tout le monde doit être jeune, beau et en bonne santé.

Les « vieillards » ne doivent pas manifester de déchéance, ne doivent pas être trop visibles dans le paysage social, surtout lorsque leurs corps ne correspondent plus aux normes en vigueur. L’anthropologue Bernadette Puijalon déclare même que : « Les personnes âgées sont écartées dans des structures ghettos ! On les fait vivre dans une ambiance de pensionnat, avec une bouffe de pensionnat ! »

La société exprime également un refus de voir des individus vieillir, la mode actuelle étant à la jeunesse éternelle. Le « vieux » est représenté par les médias en bonne santé (publicité pour une eau minérale) ou utilisant de la crème de soins pour atténuer les effets physiques du vieillissement. La personne âgée dépendante n’est que l’ombre d’elle–même, elle est presque honteuse, du fait que le monde présent lui reproche sa faiblesse, sa marginalité par rapport aux normes sociales de beauté éternelle.

Malgré tout cela, depuis 1985, les études, colloques et publications concernant la qualité de vie des personnes âgées en institution se multiplient. Ils témoignent d’une réflexion et d’un regard nouveau sur la place de la personne âgée. Cette évolution est malgré tout très lente car l’image du « vieillard » est ambivalente : il y a le « vieux » respectable, enrichissant, affectueux ; et puis celui qui est figé, intolérant, vulgaire et agressif.

9 VETEL Jean-Marie, responsable du service de gérontologie au CHU du Mans 10 PUIJALON Bernadette, présidente du comité personnes âgées de la fondation de France

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Pour finir ce paragraphe, un texte est présent en annexe avec pour titre « je fus une petite fille heureuse », annexe 1. C’est l’histoire d’une femme qui vieillit en institution. Il permet de nous donner une autre vision de la personne qui vit dans un service de gériatrie.

Cette annexe nous amène à nous poser des questions troublantes : Avons–nous oublié, que nous–mêmes, soignants, allons un jour vieillir aussi ? Pourquoi le respect que l’on doit apporter à toute personne n’a pas été appliqué dans la situation présente ?

L’analyse tentera d’apporter une réponse à ces questions.

L’analyse

L’analyse va s’organiser comme ceci : pour qu’un évènement se produise, il faut des facteurs favorisants. Je vais donc prendre ces derniers un par un et les analyser. Mon écrit aura pour objectif de trouver les raisons pour laquelle la situation s’est produit.

Plusieurs facteurs m’ont paru important, comme le travail dans l’équipe, l’épuisement professionnel, le milieu particulier de la gériatrie, et l’environnement. Chaque point va donc être repris dans cette partie d’analyse.

a) le travail dans l’équipe

Les relations dans une équipe, les conditions de travail peuvent avoir une influence sur la qualité de la relation soignant–soigné. Si le soignant se sent respecté, écouté, il renverra au patient une image rassurante de lui–même.

*la formation et le rôle

Dans la situation présente, l’agent de service hospitalier exerçait le même rôle qu’un aide-soignant. « Selon les textes législatifs, les acteurs d’une équipe sont les suivants :

- le cadre infirmier - les infirmiers qui sont les seuls à avoir un rôle défini par les textes (décret du 15 mars

1993) - les aides-soignants, qui collaborent avec les infirmiers qui leur délèguent leur rôle

propre - Les agents de services hospitaliers qui n’ont pas de formation particulière. Ces derniers

ne doivent pas avoir de relation de soin avec les patients. Malgré tout, les agents de service hospitaliers ont souvent le même travail que l’aide-soignant, surtout le week-end, les jours fériés et pendant les vacances. »11

En effet, pendant ces jours particuliers, le manque de personnel se fait plus sentir. « Selon le gouvernement, 10 000 postes infirmiers seraient vacants ! Cette pénurie, que ce soit en personnel infirmier ou aide-soignant, est due au départ à la retraite de plusieurs personnes, au passage aux 35 heures, à l’augmentation de l’offre de soins, à l’augmentation de la population vieillissante, au manque de valorisation de la profession…. »12

11 www.cec-formation.net,« Sévices en institution pour personnes âgées », Rosette Marescotti, Octobre 98 12 www.infirmiers.com, « la pénurie d’infirmiers », Jocelyne lalonde directrice d’IFSI

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Un autre élément intervient : dans les services, les plannings sont adaptés pour que, la plupart du temps, chaque membre du personnel puisse prendre un week-end par mois au moins. Il manque déjà des personnes la semaine, ce phénomène est donc accentué le week-end, les jours fériés et les vacances. Selon une statistique, il y aurait « 0,35 agent soignant par place pour des résidents dépendants »13 Cela semble peu lorsque l’on connaît la charge de travail que représente un patient qui a constamment besoin d’une tierce personne pour l’aider.

Pour en revenir au texte cité, l’agent de service hospitalier n’est pas censé faire partie de l’équipe soignante ni d’avoir de relation de soin avec les patients. Dans la situation présente, l’employé possède sûrement une expérience personnelle, vu son ancienneté, qui lui permet de dépasser son niveau de compétence. Mais, pour cet agent, il n’y a pas de textes législatifs qui lui indique quelles sont ses compétences propres à son travail. Cela ne lui garantit aucune sécurité juridique en cas d’erreur. L’amalgame entre le travail de l’aide-soignant et de l’agent de service hospitalier est alors facile à imaginer, surtout lorsqu’il y a un manque de personnel.

La compétence de cet employé repose alors uniquement sur sa propre expérience ; il réalise de nombreux actes qu’il n’est pas autorisé à effectuer si l’on regarde uniquement la législation. Aucune formation ne lui a donc enseigné la manière de gérer des émotions qui sont fortes dans le milieu de la gériatrie, de rentrer en relation avec le patient.

De plus, ce statut est particulier. L’agent de service hospitalier avait un rôle soignant mais ne participait pas aux transmissions orales et écrites avec le reste de l’équipe. Cela a pu entraîner une frustration de ce dernier, car il a pu avoir l’impression de ne pas participer au projet de soin du patient, à son bien-être ; de ne pas être écouté, et peut-être même de ne pas être respecté dans son travail.

Un autre élément est à prendre en compte. Dans cette situation, l’agent de service hospitalier a un salaire plus bas que celui de l’aide-soignant alors qu’il réalise le même travail, cela peut être source d’une grande déception et aussi signe d’une absence de reconnaissance professionnelle.

Ensuite d’autres facteurs peuvent être difficiles à gérer pour ce membre de l’équipe, surtout en ce qui concerne les conditions de travail.

*place dans l’équipe

Dans tous les lieux ou j’ai été, en gériatrie, l’équipe est réduite au minimum. L’aide-soignant et l’agent de service hospitalier sont les membres les plus proches du patient, l’infirmier restant de plus en plus au bureau pour effectuer une fonction de secrétariat. Le rôle propre de l’infirmier est peu effectué par lui–même, ce qui va le désolidariser petit à petit du reste de l’équipe. Il est donc fréquent que, dans un service, les infirmiers et médecins font un bloc contre les aides-soignants et agents de services hospitaliers. Cela ne contribue donc pas à des relations de travail basées sur le respect de la compétence de chacun. En effet, la deuxième catégorie va reprocher à la première de ne pas les aider, et les infirmiers vont reprocher à l’institution de les cantonner à un cadre administratif et dans un rôle de plus en plus technique, le rôle sous prescription.

13 op-cit « risque, responsabilité, éthique dans les pratiques gérontologiques », p : 29

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Il peut y avoir alors une absence de travail d’équipe, de transmissions orales ou écrites. Le groupe « médical » des infirmiers et médecins n’écoutera pas forcément les opinions du groupe « nursing ». Le compte-rendu de la société française de médecine du travail tente d’expliquer ce phénomène : « c’est la violence entre les personnels : le mobbing. On parle de mobbing lorsque les frictions, les incidents évitables au cours de l’activité se multiplient, s’accompagnent de vexations, de hargne ou de harcèlement, et cela quotidiennement. Les agresseurs peuvent alors dire que la situation découle du comportement de la victime. »14

Cet ensemble de frustrations de toute l’équipe va entraîner une anxiété palpable qui s’exprimera par différents moyens tels que l’agressivité envers les patients.

Les horaires également de chaque personne sont revus et modifiés régulièrement suivant le cadre infirmier qui les fait. Ce dernier peut, par exemple, privilégier les horaires infirmiers au détriment des horaires des agents de service hospitalier ou aide-soignant. Cela aura comme conséquence l’apparition de nombreux conflits au sein de l’équipe.

Il peut y avoir aussi de la part du cadre un manque de supervision. Il n’exerce pas son rôle qui est, dans ce cas là, d’ouvrir un espace de dialogue pour tenter de désamorcer les tensions ; de recadrer le personnel qui va trop loin de par leur propos ou actes inadaptés ; d’essayer de comprendre les raisons pour lesquelles l’équipe se sent mal à l’aise, produit un travail médiocre et faire tout ce qui lui est possible pour remédier aux difficultés présentes.

Un autre facteur très important intervient dans la survenue de ce genre de situation. Au fil des ans, le terme « d’épuisement professionnel » ou « burn–out » est devenu de plus en plus fréquent. Alors que désigne exactement ce mot ? Le prochain chapitre va l’expliquer.

b) l’épuisement professionnel

Dans les services de gériatrie le travail est particulier (voir chapitre suivant). Il va entraîner une charge mentale importante pour l’équipe qui devra assurer une présence et une disponibilité continue. Le dialogue entre les membres du personnel étant parfois restreint, l’émotion n’a ni le temps, ni l’espace pour s’exprimer, les moments d’isolement pour la réflexion étant rares également. Alors le personnel, avec cette lourde charge va peut-être présenter ce qui est appelé « l’épuisement professionnel » ou « le burn-out ».

L’épuisement professionnel est un syndrome qui survient suite à la pénibilité d’un travail. Il a plusieurs facteurs tels que : l’ambiance d’équipe, les conditions de travail difficiles avec une pénibilité physique, un manque de soutien entre collègues de par la hiérarchie et des horaires insatisfaisants, etc.….et il toucherait de préférence, apparemment, les professions à caractère sanitaires et sociales.

« Le burn-out est essentiellement vocationnel. Je veux dire qu’il atteint surtout des gens qui ont choisi leur profession pour l’image qu’ils s’en font et dont l’orientation professionnelle tient de la vocation. Ces métiers donnent l’impression d’apporter quelque chose aux autres. Ces personnes, du fait de l’image qu’elles projettent d’elles–mêmes, n’acceptent pas volontiers d’être en manque. A

14 op-cit mémoire « sévices en instituions », Rosette Marescotti

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leurs yeux, ce sont les autres qui ont des besoins auxquels elles ont pour vocation de répondre ! Et reconnaître qu’elles-mêmes souffrent d’un burn-out revient pour ainsi dire à un aveu d’échec. »15

Cet épuisement est dommageable pour le soignant et pour le patient, les signes sont nombreux selon madame Maslach (1974) :

« La première dimension recouvre l’épuisement émotionnel tant physique que psychique. Le soignant se sent vidé intérieurement et ressent des difficultés à entrer en relation avec l’autre. Le repos n’atténue pas sa fatigue, son malaise peut se traduire par des attitudes explosives ( crises de larme, colère), une froideur, un désintérêt, un hypercontrôle de ses émotions par réaction de défense.

La seconde dimension est la déshumanisation de la relation à l’autre ou la perte d’empathie. Pour se protéger, le soignant met une distance avec l’autre, la personne soignée est réduite à un numéro de chambre voire à un organe dont l’on s’occupe. Le patient est traité comme un objet.

La troisième dimension est le sentiment de diminution de l’accomplissement personnel. Elle est la conséquence des deux premiers symptômes et fait souffrir le soignant qui éprouve un sentiment d’échec douloureux. Celui-ci réalise qu’il ne fait plus du bon travail. Il commence à ressentir des frustrations, à se dévaloriser, à culpabiliser, et à être démotivé. Il peut alors avoir deux attitudes : la fuite avec un absentéisme répété, un manque de rigueur, des attitudes inadaptées au patient ; ou un acharnement au travail sans pour autant être efficace. »16

Mais de quelle manière survient l’épuisement professionnel ? Pour quelles raisons telle personne est plus touchée qu’une autre ? le texte qui suit explique ce phénomène :

« L'épuisement survient lorsque l'individu se heurte à un mur. Lorsqu'il s'aperçoit que la tâche qu'il s'était fixée est impossible à accomplir. Encore rattaché à ce rêve de réussite, plusieurs croyances poussent l'individu à redoubler d'ardeur et à ne ménager aucun effort pour atteindre ses objectifs. Pour s'accomplir il ne nous suffit donc pas d'être le meilleur, il faut aller au bout de nos forces comme nous le véhiculent les héros de cinéma et ceux de notre enfance. Même l'éducation qui nous est transmise par nos parents nous pousse à travailler toujours plus fort, à être les plus vertueux ou les plus respectueux. En fait, les influences sont multiples et tout notre système de croyances qui détermine nos convictions personnelles et notre manière d'être dans la société, nous amène trop souvent à valoriser la perfection, le travail acharné, et tout ce qui est mieux que bien. L'individu risquant le plus de s'épuiser professionnellement a de nombreux buts à atteindre, se jette de toutes ses forces dans ce qu'il entreprend et s'attend à ce que ses efforts soient récompensés à leur juste valeur. Cette personne, est convaincue que l'énergie ne lui fera jamais défaut. »17

La personne, qui a ses convictions, va donc s’éparpiller dans une multitude de tâches jusqu’à l’épuisement le plus total.

D’autres éléments favorisent le « burn-out » qu’il faut trouver dans le caractère de la personne elle-même, mais aussi dans le travail particulier de la santé :

« Les individus sujets à l’épuisement ont tendance à ne voir que les aspects négatifs de leur vie. Malheureusement, il est plus facile de perdre son objectivité face à ses réalisations lorsque nous sommes constamment entourés par la souffrance d'autrui. Les gens qui exercent des professions à 15 http://iquebec.ifrance.com/alainriouxpq/burn.htm, « l’épuisement professionnel, la brûlure interne », livre de H. Freudenberger, Ed. Gaétan Morin, 1987, adapté par Alain Rioux, 2000 16 http://membres.lycos.fr/dupontthierry, « épuisement professionnel en gériatrie », Natacha Noel, 1999 17 op-cit « L'épuisement professionnel : La Brûlure interne »

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caractère sanitaires et sociales sont presque uniquement exposés aux cotés négatifs des individus. De plus, il est généralement reconnu que ce sont des gens sensibles qui travaillent dans ces domaines ; ils sont attentifs au malheur d'autrui et ont une conscience sociale plus développée. L’épuisement prend souvent naissance lorsqu'une personne lutte pour préserver quelque chose qu'elle juge important. »18

Voilà donc plusieurs éléments qui nous apportent une piste de réflexion sur ce phénomène d’épuisement qui devient de moins en moins rare. Toutes ces sources ont été principalement écrites pour les infirmiers et les médecins, mais il peut être adapté au travail de l’agent de service hospitalier, qui, dans cette situation, exerçait un rôle soignant.

Comme nous avons pu le voir dans les facteurs de l’épuisement professionnel, le type de travail semble avoir son importance. En gériatrie, les actions de tous les jours ont un sens particulier. Nous allons le voir dans le chapitre suivant.

c) le travail particulier de la gériatrie

Mis à part les relations conflictuelles dans les équipes, le travail en gériatrie est particulier. Il incombe une pénibilité physique et se double d’une pression affective et émotionnelle importante. Le travail est empreint d’affectivité. Que ce soit en unité de long séjour ou en maison de retraite, la personne âgée reste longtemps dans le service, le personnel a le temps de la connaître et, par la même occasion, de s’y attacher. Les équipes sont confrontées continuellement à la mort. Le soignant est quelques fois dans l’impossibilité de faire un deuil normal. La formation, parfois peu humaine, leur interdit de montrer des sentiments envers un patient. Ces mêmes sentiments affectifs vont être refoulés, et cela peut être un facteur d’une tension interne qui peut s’exprimer par la suite.

Inconsciemment, une autre cause peut apparaître. Il y a entre le personnel et le patient une inversion des rôles « parent–enfant », le plus âgé semble en effet à la merci intégrale du soignant, plus jeune. Ceci renvoie aux souvenirs enfouis de la petite enfance avec des relents de situation de revanche par rapport aux diverses frustrations encaissées. Cette difficulté peut faire survenir inconsciemment un désir de faire du mal à une personne plus âgée, un sentiment de toute puissance par rapport à elle. Donc lorsque de la fatigue professionnelle se présente, le passage à l’acte est possible.

Les aides-soignants ont une vision de leur rôle souvent restreinte à la satisfaction des besoins corporels, leur activité étant souvent perçue comme une succession de tâches à remplir à la chaîne. La personne âgée est placée en objet passif de soins et d’affection, et non en tant que partenaire de la relation. De ce travail, où le rythme du patient est peu pris en compte, le personnel aide-soignant, et ici agent de service hospitalier, ressent un sentiment d’insatisfaction.

La confrontation constante avec le vieillissement renvoie automatiquement le soignant vers une image obsédante du risque de sa propre dépendance. Cela peut entraîner une peur de sa vieillesse dans une société qui prône la jeunesse éternelle (voir chapitre « la place de la personne âgée dans notre société actuelle »). L’agent de service hospitalier peut s’identifier au patient dont il s’occupe, s’imaginer dans sa peau, dans quelques années (voir annexe 2 : « imagine »). Un malaise intérieur va donc pouvoir s’installer et il s’exprimera selon plusieurs modes qui peut être l’absentéisme, le manque de respect envers la personne, la dépression, etc.….

Un autre élément intervient. A l’extérieur, le personnel qui travaille en gériatrie n’a pas la même considération que celui qui est dans des services plus techniques. Le soin gérontologique n’est pas

18 op-cit mémoire « épuisement professionnel en gériatrie »

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toujours vu comme une réussite par les intervenants extérieurs comme les membres de l’entourage, les collègues d’autres services, etc.…. Il est également difficile de sortir du milieu de la gériatrie car cela nécessite une remise en question de ses capacités à effectuer des soins techniques. Dans la situation présente, l’agent de service hospitalier peut avoir une crainte de changer de secteur de travail. Cela imposerait pour lui, peut-être, une diminution des tâches qui lui sont incombées et un retour à un rôle plus adéquat par rapport à sa qualification. Ce fait peut être source d’angoisse pour cette personne.

Son entourage peut également la rabaisser par rapport au fait qu’elle travaille avec des « vieux ». Si cette culpabilité est constante, pesante sur sa vie professionnelle, elle peut exprimer son malaise par le biais du manque de respect envers les patients dont elle s’occupe. Ses problèmes d’ordre privés peuvent alors s’extérioriser par ce moyen là.

La relation à la personne ne sera donc pas vécue positivement si le membre de l’équipe qui s’en occupe ressent un mal-être. En effet, cette charge émotionnelle et physique sera ressentie différemment selon l’aptitude du soignant à gérer ses émotions :

« L'agressivité est le résultat de l'interaction entre un individu possédant ses caractéristiques propres et un environnement spécifique. L'individu, comme l'environnement, influencent l'agressivité. Pour l'un, telle situation engendre l'agressivité; l'autre dans le même contexte ne sera pas affecté. Chacun interprète les situations subjectivement, en fonction de sa personnalité et de ses apprentissages antérieurs. Par ailleurs, pour la plupart des gens, certaines situations sont beaucoup plus génératrices d'agressivité que d'autres. L'environnement influence le comportement même si tous n'y sont pas sensibles de façon identique. »19

Enfin, en dernier lieu, la personne âgée n’est pas toujours agréable avec le soignant, ce qui provoque, chez certains, une anxiété. De par sa démence possible, de par son caractère habituel, la personne soignée arrive à être elle-même agressive ; le manque de respect de la part du soignant ne serait alors qu’une réponse à une agression.

Donc nous avons vu que les conditions de travail dans la gériatrie, une mauvaise ambiance dans l’équipe, la confrontation avec ses propres angoisses personnelles rend la tâche de l’agent de service hospitalier pénible.

Un autre facteur intervient dans l’apparition de la situation présente. L’environnement, la beauté du lieu, l’ambiance, si elle est positive, aide l’équipe à surpasser les difficultés énoncées ci-dessus. C’est ce que nous allons voir dans le chapitre suivant.

d) L’environnement du lieu de travail

Dans cette situation, la maison de retraite possédait un environnement qui renvoyait une ambiance négative. Les murs étaient gris, sans couleurs chatoyantes, le bruit était constamment présent, il faisait sombre, les chambres étaient faites de deux lits avec de petites salles d’eau non fonctionnelles, le mobilier était vieux.

L’établissement est fait de plusieurs étages tous agencés à l’identique. Quand le personnel arrive en haut de l’escalier, il découvre un long couloir bénéficiant de peu de lumière naturelle, avec de

19 www.collegeem.qc.ca/cemprog/sh/rpesh/diash/webzine/h99/psychologie/psychologie.htm, « démarche d’intégration des acquis en sciences humaines », Marie-Hélène Hamel, mémoire de juin 1999

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chaque coté les portes des chambres ouvertes. Il peut aussi découvrir, selon l’heure à laquelle il arrive, les patients en train d’attendre que l’équipe les emmène dans la salle à manger. Ce salon, où tous les résidents sont réunis durant toute la journée, a des murs sombres, de vieilles tables abîmées, une télévision qui ne fonctionne jamais, et reçoit peu d’animations extérieures comme de la musique, du théâtre, des visites, etc.….

« Un environnement malsain, mal adapté au travail provoque un sentiment dépressif, une certaine irritation de l’équipe dans un travail déjà pénible. Pourtant les maisons de retraite reçoivent peu de moyens financiers provenant de l’état…un peu comme si ces établissements étaient oubliés volontairement »20 Dans la situation présente, l’environnement semble en effet peu adapté à la gériatrie.

Plusieurs sciences, plus ou moins reconnues, se sont penchées sur l’influence que l’environnement peut avoir sur l’état psychologique d’une personne. Ces dernières affirment que les couleurs, la position du mobilier, la place de l’établissement peuvent harmoniser l’état intérieur de l’individu ou, au contraire, le rendre nerveux, angoissé, déprimé, etc.…

La géobiologie est une discipline de plus en plus utilisée dans l’architecture des maisons.

« La géobiologie traite de l'influence d'un lieu, de l'environnement local, de l'écosystème bâti sur le bien-être, le comportement des êtres vivants et leur santé. Le terme peut se définir étymologiquement. Il s'agit d'une association de la racine géo (la terre) et biologie ( l'étude de tout ce qui est vivant) »21

Cette science était déjà très utilisée dans des temps plus anciens, comme au moment de la Rome antique. Il appliquait des méthodes, infaillibles selon eux, pour prouver la salubrité du sol :

« L’architecte romain Vitruve conseille, pour choisir un site d’implantation salubre : L'emplacement salubre devra être élevé et non brumeux... et pas trop exposé aux grandes chaleurs. Les ancêtres, après avoir immolé des bêtes qui paissaient dans les lieux où l'on installait les places fortes, en inspectaient les foies ; si les premiers (examinés) étaient livides ou vicieux, ils en immolaient d'autres... Quand ils avaient reconnu que la nature des foies était ferme et non attaqués par l'eau ou le pâturage, là ils établissaient les fortifications.

Remarquons au passage la méthode analogique des observations des Anciens : Foie ferme, fortifications fermes, salubres, et valables »22

Ces méthodes, semblant rustres, permettaient de déterminer à l’époque l’emplacement des bâtiments importants.

Une autre science est appliquée pour déterminer l’influence de l’environnement sur la personne, ici il s’agit plutôt d’une thérapie qui se nomme la chromathérapie.

Cette technique est une aide naturelle de guérison de certaines maladies par les couleurs. Là aussi, elle semble utilisée depuis des temps très anciens :

20 op-cit « l’épuisement professionnel, la brûlure interne » 21 www.geobiologie.fr.st; « l’architecture du sensible », V. Kayser, projet de fin d’études, Octobre 1999 22 http://cdcp.free.fr/dossiers/geobio/geobio1.htm, « biologie topique », A. Birolini

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« La chromathérapie a joué un rôle important dans les médecines traditionnelles de l'Inde, de la Chine et de la Grèce. »23

Selon les expériences d’Isaac Newton (1642-1727), physicien, mathématicien et astronome anglais, la lumière blanche est décomposable en couleurs au travers d'un prisme de verre. Les couleurs constituant la lumière blanche sont des radiations de différentes longueurs d'ondes. Ces vibrations auraient une influence physique, psychique et émotionnelle sur l’individu.

« Les couleurs ou associations de teintes ont un impact sur le ressenti, elles renvoient parfois à un état de bien-être, de sérénité, alors que d'autres provoquent un malaise, un dégoût, selon les expériences et souvenirs associés de chacun. »24

Les couleurs sont présentes dans tous les instants de notre vie, nous entourant à chaque moment. On peut alors aisément imaginer les conséquences qu’elles peuvent avoir.

Si sur le lieu de l’activité professionnelle de la personne, des éléments environnementaux interviennent négativement, si le travail comprend aussi des facteurs de pénibilité, la personne peut alors être irritée, déprimée, et ne plus avoir envie de travailler dans ces conditions.

Quelles sont donc les solutions qu’une infirmière peut apporter pour éviter que cette situation de fatigue, de baisse de motivation, de manque de respect envers un patient se produise ? Dans le chapitre suivant, en même temps que mon positionnement sur la question, je tenterais d’apporter des réponses pour éviter l’apparition de défaillance par rapport au respect de la personne âgée dépendante en institution.

Mon positionnement et solutions

En tant que future professionnelle, je vais sûrement être, à un moment ou à un autre, confrontée à la situation présente ou peut-être même éprouvée des sentiments d’épuisement, de découragement dans mon métier. Il est donc important de réfléchir, dès à présent, aux solutions qui peuvent prévenir ce genre d’événement. Le rôle de l’infirmière sera toutefois restreint, il aura surtout pour objectif de limiter les facteurs favorisants l’épuisement professionnel, de faire de l’information, mais il ne pourra pas modifier la personnalité propre de l’employé. Ici, l’agent de service sera considéré comme soignant, je vais l’intégrer donc dans mon explication qui est également valable pour le reste d’une équipe. Voici donc les différents éléments sur lesquelles le personnel pourra travailler.

a) Le travail dans l’équipe : rôle et formation

Un personnel mal formé ne peut pas reconnaître ses erreurs quand elles se produisent parce que personne ne leur aura enseigné le sens de leurs actes. L’infirmière, dans son rôle, peut apporter une ligne de conduite qui va aider le personnel à se situer dans une équipe.

Tout commence par le recrutement du personnel. Il doit être rigoureux, même si le besoin en employés est très important. Il faut qu’il prenne en compte l’expérience personnelle, les qualités

23 www.naturamedic.com, « dossier : la chromathérapie » 24 www.naturovie.ch, « Chromathérapie, origine »

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morales et les motivations de celui qui se présente. L’intérêt pour la gériatrie doit paraître évident, ainsi que de grandes capacités relationnelles (communication, respect, écoute). L’infirmière du service peut exprimer ces idées-là au cadre qui les prendra en compte ou non.

Ensuite, à l’arrivée d’un nouvel agent, l’accueil est primordial. Si le responsable du service est absent, l’infirmière, qui dispose de suffisamment de temps, pourra présenter l’unité et les membres de l’équipe au nouvel employé. Cela va permettre au « nouveau » de s’intégrer rapidement et de lui donner le sentiment d’être écouté.

Venons-en au rôle qu’exerçait cet agent de service hospitalier dans l’unité. Un point important, qui l’isolait du reste de l’équipe, était qu’il ne participait pas aux transmissions orales et écrites. Pourquoi ne pas proposer alors aux autres infirmiers de le faire s’exprimer lors du passage de témoin aux changements d’horaires ? Je pense que, en tant que professionnel, je serais allée voir le cadre du service pour lui faire part de mon sentiment. Il aurait été possible de parler de ce phénomène avec le reste des membres de l’équipe lors d’une réunion organisée particulièrement pour ce problème. Cela pourrait rétablir un équilibre hiérarchique dans une équipe divisée de par leurs rôles définis.

La formation est un autre facteur qui intervient. Pour être efficace en gériatrie, il faut posséder de grandes capacités relationnelles, il est préférable de savoir être observateur et à l’écoute du patient. Soigner les personnes âgées ne s’improvise pas. Un soignant se sentant mal dans son travail renvoie une image négative qui peut rendre le malade nerveux et agressif. C’est alors la mise en place d’un cycle : l’agent de service hospitalier ressent de l’anxiété à venir travailler ; la personne âgée lui renvoie cette nervosité ; le soignant peut alors éprouver jusqu’à de la haine pour ce malade. Pour casser ce phénomène, il faut donc limiter les facteurs favorisants l’épuisement professionnel. L’infirmière peut aussi informer l’agent que la plupart du temps, le travail auprès de la personne avec le sourire et une certaine gaieté facilite la relation soignant-soigné.

Cet emploi nécessite également des notions théoriques et des pratiques spécifiques. Une remise en question régulière est nécessaire sur, par exemple, l’apprentissage de l’écoute, comment communiquer avec la personne âgée démente, l’épuisement professionnel, etc.….

L’hôpital, dont dépend le service, propose régulièrement ces formations mais l’information ne passe pas toujours : les tracts sont perdus, mal affichés, etc.…. L’infirmière devrait alors aller demander au cadre de quelle manière les membres de l’équipe qui le souhaitent, peuvent accéder à tel ou tel stage. Cette dernière peut également, lors des transmissions ou lors d’une pause, informer le reste des employés que des stages sont mises en place par l’hôpital.

Je trouve qu’il est en effet important de se poser certaines questions dans ce travail de la gériatrie : « Le dément comprend quoi ? Comment gérer la douleur des patients ? Comment les personnes âgées voudraient qu’on les soigne ? Quel est le rôle des soins du corps ? Quels objectifs mettons nous dans notre travail ?… » Les professionnels évoquent souvent un sentiment d’impuissance lié aux difficultés d’expression du patient, à la peur de voir augmenter la charge de travail, à la crainte d’entendre la personne exprimer des choix auxquels il ne pourrait pas répondre, etc.…Par rapport à tous ces questionnements, il me semble plus facile de les exprimer lors d’un rassemblement de personnes qui viennent de différents services de gériatrie. En effet, ces réunions de formations vont apporter un échange d’opinions qui permettra à l’employé d’avoir son propre avis sur ses interrogations, cela va être une piste de réflexion pour lui. La verbalisation permet toujours de soulager un soignant en souffrance, de le déculpabiliser, et de lui faire prendre conscience de ses propres limites.

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L’enseignement devrait aussi apporter des connaissances législatives. Le personnel doit connaître les droits de la personne âgée, la nature et le degré de sa responsabilité envers elle. En tant qu’infirmière dans ce service, et ayant fait ce travail, je pourrais afficher la charte des personnes âgées dépendante, les codes de déontologie, et des textes de loi sur les rôles de chacun.

Un changement des pratiques n’est envisageable que si l’ensemble du personnel peut s’en approprier le sens, la formation pouvant apporter donc des réponses. Mais d’autres méthodes peuvent aider à la cohésion de l’équipe sur une situation particulière, cela s’appelle le projet de vie ou projet de soin. Je vais vous présenter cela dans le chapitre suivant

b) Projet de soins ou de vie

Ce projet est la prise en compte des habitudes de vie du patient, mais aussi des capacités du service à pouvoir répondre à ses attentes. Il est une évaluation objective et multidisciplinaire de la situation du malade. Il nécessite, tout d’abord, avant sa mise en place, de faire un bilan posant les questions suivantes :

-Le service : quelles sont les ressources du service ? L’organisation est-elle adaptée ? La surveillante est-elle suffisamment proche de l’équipe ? Le mobilier est-il adéquat ? Quel est le rôle de chacun ? Le médecin est-il un soutien suffisant pour l’équipe ?

-Le patient : quel projet pour le résident ? Quels sont ses habitudes de vie ? Existe t-il des ressources au niveau de l’entourage ? Quel est le potentiel du patient ?

Le projet de vie semble être la garantie que l’établissement s’est posé ces questions là objectivement ; interrogations qui sont essentielles pour la prise en charge de la personne âgée. L’institution doit en effet anticiper les situations auxquelles elle peut être confrontée et construire des explications.

« Ce projet va être constitué selon des contrats : Contrat institutionnel : qui aidons-nous ? Quelle est notre mission ? Quelle qualité de soins je veux offrir aux personnes âgées ? Contrat éthique : quelles sont les valeurs qui fondent notre action ? Contrat de prestation : Quels moyens mettons-nous en œuvre pour atteindre les objectifs ? Quel support théorique utilisons-nous ? Contrat moral : jusqu’où allons-nous dans la relation à l’autre ? »25

Ces différents points vont donner une ligne directive à suivre, par toute l’équipe, lors de la prise en charge du patient. Cela va être un moyen d’éviter des abus tels que l’usage exagéré de la contention, le non-respect du rythme de la personne, l’obligation du patient à manger, etc.… Ils vont permettre également de vérifier si le règlement intérieur est conforme aux droits du patient ; si les valeurs sont adéquates à l’organisation du projet de soins, médical et d’animation. Ils devront être réévalués régulièrement par une équipe pluridisciplinaire (soignants, kinésithérapeute, assistante sociale, famille, directeur de l’établissement, membre d’équipe du travail à domicile, etc.….) et indiqués dans le dossier du patient. Ces réunions vont créer une sorte d’instance de décision collective pour chaque résident. Il est important que la personne âgée ait également son avis à donner. Le rôle de l’infirmière ici serait de l’informer sur le fait qu’il possède la possibilité de s’exprimer, même s’il

25 op-cit « risque, responsabilité, éthique dans les pratiques gérontologiques », p : 100

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est dément. Il faut en effet respecter la capacité du patient à donner son accord ou non, son avis doit toujours être recherché.

Le projet de vie est, selon moi, un outil indispensable dans un service. Il va donner un objectif pour une équipe qui va pouvoir s’investir plus dans des actions dont ils connaîtront le sens. Il va éliminer un facteur favorisant l’épuisement professionnel, une mauvaise ambiance dans l’équipe car chacun va pouvoir donner son opinion et trouver son rôle propre.

« Participer à un projet de vie dans un établissement de personnes âgées devrait enrichir l’aide-soignant, lui apporter compétence et sagesse ; lui enseigner la disponibilité, la discrétion, l’attention et surtout la délicatesse, la faire aller au-delà des soins de confort et d’hygiène, lui permettre de se remettre en cause, d’avoir une autre vision de soi. »26

Et cette affirmation est, je pense, valable pour tous les soignants.

Le projet de vie est donc un point important pour éviter qu’une situation de maltraitance ne se produise. D’autres éléments n’ont pas encore trouvé de réponse. Dans le chapitre suivant, l’infirmière a un champ d’action limité. Toutefois, il me semblait important de mentionner ces différents points.

c) autres facteurs

* Architecture et mobilier

La conception des locaux va influencer la qualité du travail. Malheureusement, nous avons vu plus haut que les unités de gériatrie reçoivent peu de moyens financiers. Un service classique possède la plupart du temps une quarantaine de lits. Des unités de 15 lits, par exemple, conçues sur un mode plus convivial, et plus pratique par rapport aux soins de nursing (cabinet de douche, chambre seule…) favoriseraient les relations humaines, que ce soit dans l’équipe ou dans la relation au patient. Dans les différents stages de gériatrie où je me suis rendue, j’ai pu constater l’influence du mobilier entre le service présenté dans la situation, unité crée il y a plus de vingt ans, et un autre qui était une maison de retraite récente. Le personnel et les patients paraissaient détendus dans ce dernier, les pièces étaient vastes et remplies de fleurs, je sentais une certaine sérénité dans ces lieux là. Il faudrait donc une prise de conscience de l’Etat sur ce point qui me semble important.

* contrôle des établissements

La création d’un programme spécifique de l’Etat, à mon avis, limiterait les abus sur les personnes âgées. Ce texte assurerait une qualité de soins et une vérification de l’équipe de direction par une inspection régulière des établissements de gériatrie ; une procédure simplifiée des plaintes qui proviendrait de l’équipe, de la famille ou du patient ; des enquêtes lors d’un abus signalé et des conséquences juridiques pour l’abuseur. Ce texte de loi, s’il est fait, serait alors diffusé dans tous les établissements de gériatrie, et le contrôle, par des spécialistes, pourrait se faire tous les 6 mois par exemple.

26 l’aide-soignante, n°3, mars 1998, « la personne âgée comme objet passif de soins », Véronique Oudin, p : 4 à 7

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*Quota de personnel

Le manque de personnel est un fléau difficile à éradiquer actuellement. L’Etat fait beaucoup d’efforts pour fidéliser le personnel soignant : ouverture de plusieurs écoles de formation ; mise en place de campagnes d’informations sur le manque de personnel ; médiatisation du phénomène ; création de fonds pour faciliter l’ouverture ou l’agrandissement des écoles ; versement d’une allocation d’études aux élèves en échange d’un engagement à servir dans l’hôpital auquel ils sont rattachés pendant la durée de la cotisation ; arrivée d’infirmières étrangères dans les services ; information du grand public dans les salons étudiants ; et accès facilité à l’obtention du diplôme d’état infirmier avec la mise en place d’un contrôle continu à la place d’une épreuve écrite unique.

Toutes ces mesures, malheureusement, n’arrivent pas ou peu à attirer les personnes vers ces métiers de soignants (aide-soignant, infirmier) qui restent toutefois difficiles. Je pense que certains individus ne pourraient pas exercer ce genre de profession qui demande une grande motivation. De plus, un autre phénomène intervient dans nos départements ou dans d’autres régions limitrophes : le personnel va travailler en suisse ou en Belgique car les salaires sont plus attractifs et les conditions de travail moins pénibles. Il sera donc difficile, je pense, pour l’Etat de pallier à ce manque de personnel.

*information du public

Il serait aussi préférable, selon moi, d’informer un plus large public sur la maltraitance des personnes âgées. « La violence en milieu gériatrique est encore peu étudiée en France et à l’étranger ; elle semble faire l’objet d’un tabou. Seuls les pays anglo-saxons et scandinaves ont étudié largement ce thème. »27

Cette information permettrait aux individus proches d’une personne âgée de signaler plus facilement des abus. Elle limiterait aussi ce tabou de la vieillesse, cela serait une prise de conscience sur le fait que le « vieux » vit encore. Deux affichages de campagne d’information ont été mis en place, ce sont les deux images sur la couverture de mon mémoire, mais il y a eu peu de réaction sur ces éléments de la part du grand public. La société me donne parfois l’impression d’oublier nos aînés, qui nous apportent pourtant tout leur savoir.

conclusion

Lorsque que j’ai découvert cet agent de service hospitalier sur le fait, j’étais très en colère et intolérante. Ce travail de mémoire m’a permis d’essayer de comprendre pourquoi il avait pu dire de tels propos envers cette personne âgée. Avec tous ces éléments, dans ce service de gériatrie, est-ce que moi-même j’aurais pu avoir de telles paroles ? Est-ce que j’aurais pu atteindre un état d’épuisement tel que je n’aurais même plus respecter une personne malade ? L’agent de service, avec ce questionnement, m’apparaît maintenant comme un individu fragile, alors que je le voyais auparavant comme quelqu’un de tyrannique.

Son geste, malgré tout, ne me paraît pas adapté. En tant qu’infirmière, je serais allée discuter avec cette personne pour essayer de la comprendre et pour l’informer des risques judiciaires qu’elle encourt si quelqu’un venait à en parler aux autorités. Peut-être que si cet agent de service avait pris un peu de repos, avait eu la possibilité de parler de son malaise, la situation ne se serait pas produit ? Cette question restera sûrement sans réponse, mais il est important, en tant qu’infirmière,

27 op-cit : « la maltraitance des personnes âgées », de www.afpap.org

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de limiter les facteurs qui pourrait favoriser ce manque de respect. Et ce rôle va surtout passer par l’information du reste de l’équipe et du patient.

Les personnes âgées ne sont pas encore mortes dans les maisons de retraite. Elles ne doivent pas représentées la finitude de la vie qui nous fait si peur. Il est important de respecter tout ce qu’elles ont vécu et tout ce qu’elles ont encore à vivre. Elles sont le lien nécessaire entre le passé et l’avenir de notre communauté ! Les services de gériatrie ne doivent pas être des mouroirs où tout semble permis. Ils seraient préférables que ces lieux savent être à l’écoute de ses résidents, et que le personnel se sente bien dans son travail.

Certaines maisons de retraite utilisent le projet de vie, font attention à l’architecture des locaux, prennent en considération chacun des membres de leur personnel. Les conditions pénibles sont pourtant les mêmes : la charge de travail est la même, le quota de personnel est identique à d’autres institutions. Et pourtant, en éradiquant quelques facteurs favorisant la maltraitance, il est possible de faire un lieu de vie agréable que ce soit pour le patient et pour l’équipe.

Alors, j’ai l’espoir que, dans les années à venir, la personne âgée soit vue différemment, que des finances soient apportées par l’état pour son bien-être et celui du personnel qui travaille auprès d’elle chaque jour.

ANNEXE 1 Soins gérontologie, n°6, 1997, « Je fus une petite fille heureuse » de Françoise Tallefer, cadre infirmier « Je fus une petite fille heureuse….Ma famille était d’origine ouvrière et très tôt, je pris le chemin de l’usine. Je me mariais alors que j’avais juste 20 ans. Peu après, j’appris que j’étais enceinte et cela nous rendit fou de joie ! C’est une jolie petite fille qui entra dans notre vie au moment où mon mari partit pour le front. Et un jour, ce fut la visite de deux agents avec une enveloppe, sa montre, sa gourmette, et la photo de la petite….Je compris….. Je me remis à travailler pour élever mon enfant, payer le loyer, lui donner un peu de douceur. Mais un hiver, la petite attrapa une mauvaise grippe et je perdis ma fille chérie ! Je n’avais plus personne à aimer ! J’ai beaucoup travaillé pour oublier. J’avais mes collègues à l’usine pour partager quelques moments d’amitié. J’avais partagé la peine de mes voisins d’immeuble, partagé le café, dépanné pour un morceau de pain…. Puis ce fut mon tour, il fallut m’aider pour les courses l’hiver. Une nuit, je me suis pris les pieds dans une descente de lit et je suis restée sur le carreau jusqu’au matin. Je me suis retrouvée à l’hôpital…. Un jour, lors de la visite du grand docteur, j’ai entendu dire (car je ne suis pas encore sourde) : « et celle là, elle est encore là ? Débrouillez-vous pour lui trouver une place quelque part. » J’ai donc été transféré en long séjour. Je n’ai comme affaires, que ce que j’avais sur le dos le matin où l’on m’a trouvée par terre. Tout est resté à la maison. Je me fais du souci pour mon chat, le seul être cher que je pouvais entourer de tendresse et qui me le rendait bien ! Qui s’en occupe maintenant ? J’espère qu’ils ne l’ont pas fait piquer…. J’ai demandé aux infirmières de retourner chez moi, au moins pour voir ma maison, prendre des vêtements en attendant d’y retourner ! Elles répondent à coté ou alors « il faut prendre patience ». Prendre patience, elles en ont de bonnes ! Quand je suis entourée de folles !! Je ne suis pas folle moi, j’ai toute ma tête, mais personne ne me parle, personne ne m’écoute, elles n’ont pas le temps. Je sens que si çà continue, je vais moi aussi devenir folle !

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Un jour, j’ai reçu un petit paquet ficelé : c’était quelques photos, des lettres anciennes, des souvenirs….Ce petit paquet minuscule…le reste de ma vie…. Alors j’ai compris ! J’ai compris qu’ils avaient touché à mes affaires, qu’ils avaient disposé de ma vie ! « Votre tuteur a fait un peu de rangement » m’a dit la chef ! J’ai réalisé que je n’avais plus rien….Plus de chez moi….Plus la valise avec les petits vêtements de ma fille et la belle redingote de mon mari…. J’ai donc décidé que j’allais mourir. J’ai refusé de manger ! Ils ont essayé de me forcer, je recrachais ! Le médecin a dit : « il faut lui passer une sonde » Une nuit je l’ai arrachée alors ils m’ont attaché les mains ! Ils m’ont condamné à vivre ! Alors plutôt que d’ouvrir les yeux sur les gens qui m’entourent, je les ferme et je m’évade vers mon enfance ! Je fus une petite fille heureuse….. Je fus une petite fille heureuse…. Oh, comme j’aimerais que l’on m’offre une poupée…… ANNEXE 2 « I M A G I N E », Poème retrouvé dans les affaires d'une vieille dame irlandaise, après son décès...Transmis par Nathalie Rieux – Sicard, infirmière Imagine : je pourrais être ton frère ou ta sœur, ton père ou ta mère, ton grand-père ou ta grand-mère. Imagine : mon passé, ma famille, mon travail, mes envies, mes émotions, mes joies, mes douleurs, mes enfants... ma solitude. Maintenant pense à ta vie, ton quotidien. Maintenant pense à tes enfants et les problèmes que tu connais pour les élever mais aussi aux joies qu'ils peuvent t'apporter. Maintenant pense aux premiers jours de ton travail comme tu étais content(e) de venir tous les matins, soirs ou même le dimanche, car tu avais le sentiment d'aller de l'avant. Maintenant pense à ta fatigue, à tes douleurs multiples qui apparaissent, à la course que tu aimerais stopper ou ralentir un peu pour respirer. Car certains jours, il y a de quoi devenir fou... Maintenant pense à tes parents, plus les années passent et plus tu les sens vulnérables, dépassés par l'époque et dont le quotidien ne te permet pas de t'occuper ou simplement d'aller voir comme tu le souhaiterais. Je pourrais continuer pendant des heures ; tu vois ta vie je la connais. Mais en plus moi, j'ai dû me battre pour obtenir tout ce que tu as aujourd'hui. La liste serait longue et j'en suis fier. Tes journées ont été les miennes, et un jour mes journées seront les tiennes. Et j'en suis triste car tu pourrais être mon frère ou ma sœur, mon fils ou ma fille, mon petit- fils ou ma petite fille. Pourtant, si tu savais, j'ai besoin de si peu pour continuer paisiblement le chemin qui me reste à faire. Un jour peut-être toi aussi tu seras impotent(e) et dépendant(e). Un jour peut-être toi aussi tu attendras que l'on vienne te faire la toilette pour entendre le son de la voix de quelqu'un, même si cette personne fait comme si elle ne t'entendait pas quand tu lui parles ou essayes t'attirer son attention. Un jour peut-être toi aussi tu préfèreras manger à la petite cueillere parce que " ça ne passe plus " plutôt qu'avec une grosse cueillere qui en plus me fait mal une fois sur deux car je n'ouvre pas la bouche assez rapidement. Un jour peut-être toi aussi tu seras content de voir que quelqu'un a bien voulu aller te chercher un dessert supplémentaire pour compenser.

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Un jour peut-être toi aussi malgré ta solitude tu rencontreras une personne dont la présence à nouveau te réconforte et avec qui tu souhaites simplement rester quelques instants, et tu ne comprendras pas que par pur jeu cruel, parce que tu n'es plus autonome on éloigne cette personne dans une autre pièce. Un jour peut-être toi aussi, tu apprécieras de porter tes vêtements, ceux que tu as choisis ou que ta petite fille t'a offert pour la fête des grands-mères. Un jour peut-être toi aussi, tu auras un corps douloureux et fatigué, qui au moindre choc a une nouvelle plaie qui apparaît. Un jour peut-être toi aussi tu auras un corps qui a besoin d'un minimum d'attention, et tu seras comme moi une personne qui a besoin que l'on prenne le temps " de prendre le temps " de s'apercevoir que j'existe, et que je suis capable de voir, parler, sentir, ressentir, comprendre. Et si tu me vois enfin j'aurai à nouveau tout simplement envie de vivre. N'oublie pas que dans ma solitude c'est ton regard, ta main, ton oreille, ta présence que j'attends tous les jours.

Bibliographie

- REVUES : * Actualité et dossier de santé publique, n°31 juin 2000, « la maltraitance et les personnes âgées », de Françoise Busby, p : 35 à 37

* L’aide-soignante, n°3 mars 1998, « la personne âgée comme objet passif de soin », de Véronique Oudin, p : 4 à 7 * Les cahiers de l’infirmière, Octobre 2001, « Soins infirmiers aux personnes âgées et gérontopsychiatrie » p :27

* Profession santé infirmier, n°25 avril 2001, « maltraitance, des aspects feutrés », Yanka Stahan (formatrice en gérontologie), p : 27-28 * Profession santé infirmier, n°30 octobre 2001, « maltraitance des personnes âgées, un devoir d’intervention », de A-L. P., p :43 - SITES INTERNET : * www.afpap.org, « la maltraitance des personnes âgées », M. Fernandez, président de AFPAP (Association Française de Protection et d’Assistance aux Personnes Agées)

* www.almafrance.org, « la maltraitance des personnes âgées, expérience du réseau d’écoute et de prévention ALMA », 24 novembre 1999, Françoise Busby et Céline Caure, association Alma (ligne téléphonique pour les personnes âgées maltraitées * www.cec-formation.net, « Sévices en institution pour personnes âgées », Rosette Marescotti, mémoire, octobre 1998 * www.cec-formation.net, « L’infirmier général et la violence en gériatrie », Jean René Martin, mémoire de 1991

* http://cdcp.free.fr/dossiers/geobio/geobio1.htm,« biologie topique »,A. Birolini * www.ch-tulle.fr, « charte des droits et libertés des personnes âgées dépendantes, fondation

nationale de gérontologie, 1987 *www.collegeem.qc.ca/cemprog/sh/rpesh/diash/webzine/h99/psychologie/psychologie.htm,

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* www.geobiologie.fr.st; « l’architecture du sensible », V. Kayser, projet de fin d’études, octobre 1999

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* http://iquebec.ifrance.com/alainriouxpq/burn.htm, « l’épuisement professionnel, la brûlure interne », livre de H. Freudenberger, Ed. Gaétan Morin, 1987, adapté par Alain Rioux, 2000

* http://membres.lycos.fr/dupontthierry, « épuisement professionnel en gériatrie », mémoire de Natacha Noel, 1999

* www.naturamedic.com, « dossier : la chromathérapie » * www.naturovie.ch, « Chromathérapie, origine » * www.plan-retraite.fr

- LIVRES * AMYOT Jean-Jacques, risque, responsabilité, éthique dans les pratiques gérontologiques, Ed. Dunod, 2001, 213 pages