4
48 voilier fétiche A’CAPELLA A’CAPELLA EN CONSTRUCTION DANS LE CHANTIER DE WALTER GREENE EN 1980. LÈCHE-COCOTIERS PEU APRÈS LA ROUTE DU RHUM 1 982. LE TRIMARAN ÉCHOUÉ SUR UNE PLAGE ESPAGNOLE. IL AURA MIS UN PEU PLUS DUN AN POUR TRAVERSER L ’ATLANTIQUE SUR LE TOIT. DE RETOUR D’ESPAGNE EN 2002 SOUS GRÉEMENT DE FORTUNE. Le Rhum de trop ?

Le Rhum de trop? - goldenoldies.biz Capella FR - Loisirs Nautiques dec 2006.pdf · 49 Des courses, des skippers, des sponsors, il en a connu, A’Capella. Des naufrages, aussi. Charlie

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Le Rhum de trop? - goldenoldies.biz Capella FR - Loisirs Nautiques dec 2006.pdf · 49 Des courses, des skippers, des sponsors, il en a connu, A’Capella. Des naufrages, aussi. Charlie

48

voilier fétiche

A’CAPELLA

A’CAPELLA EN CONSTRUCTION

DANS LE CHANTIER DE

WALTER GREENE EN 1980.

LÈCHE-COCOTIERS PEU APRÈSLA ROUTE DU RHUM 1982.

LE TRIMARAN ÉCHOUÉ SUR UNE

PLAGE ESPAGNOLE. IL AURA MIS

UN PEU PLUS D’UN AN POUR

TRAVERSER L’ATLANTIQUE

SUR LE TOIT. DE RETOUR D’ESPAGNE EN 2002SOUS GRÉEMENT DE FORTUNE.

Le Rhum de trop ?

Page 2: Le Rhum de trop? - goldenoldies.biz Capella FR - Loisirs Nautiques dec 2006.pdf · 49 Des courses, des skippers, des sponsors, il en a connu, A’Capella. Des naufrages, aussi. Charlie

49

Des courses, des skippers, des sponsors, il en aconnu, A’Capella. Des naufrages, aussi. CharlieCapelle a déjà construit et reconstruit deux fois ce plan Walter Greene de 12 mètres. Avec sontrimaran fétiche, il s’est lancé dans la Route duRhum pour chavirer après quelques dizainesd’heures de course.TEXTE GILLES RUFFET - PHOTOS DE L’AUTEUR, DR, ET CHARLIE CAPELLE.

CHARLIE CAPELLE

TIRE QUELQUES

BORDS DANS LA BAIE

DE QUIBERON AVANT

DE S’ATTAQUER À LA

ROUTE DU RHUM.L

’histoire serait trop simple sielle se résumait à trois naufra-ges. C’est aussi l’aventured’un homme qui a consacré

son existence aux voiliers, mais pasn’importe lesquels: les plus beaux, enbois moulé. Qui aurait pu imaginer quece « croquant pur jus », comme il se qua-lifie lui-même, né dans les Vosges,deviendrait des années plus tard unorfèvre de la construction en bois ?« J’étais alors prothésiste dentaire, com-mence Charlie. En 1980, je naviguais encroisière à bord d’un Armagnac, du côtéde Deauville. Plusieurs multicoquess’étaient réunis pour des régates. » Parmieux, quelques vétérans de l’Ostar, latransat anglaise en solitaire. Charlieraconte: « Sur le quai, j’ai vu arriver unAméricain à bord d’un joli petit trima-ran. Il s’agissait de Phil Stegall, et sonbateau était un A’Capella, Friends &Lovers », le sistership de Olympus Photoqui, deux années plus tôt, avait rem-porté la première édition de la Route duRhum aux mains de Mike Birch. Ilarrive directement de Boston. Charlierécupère ses amarres. Il ne sait pasencore que ce simple geste de marin vatransformer sa vie. Les deux hommesprennent un verre à bord de l’Armagnacet sympathisent. « Je ne fais alors pas lerapprochement avec Olympus Photo »,raconte Charlie. Phil Stegall laisse lebateau à Deauville, file à Paris. Charliepart aussi. Pourtant, « sans que je sachebien pourquoi, quelques jours plus tard,je décide de revenir à Deauville. » Il yretrouve Phil Stegall, seul sur son trima-ran. Son épouse est rentrée aux États-Unis. Plus que quelques jours et il lar-guera les amarres en direction dePlymouth pour prendre le départ del’Ostar. Phil fait alors à Charlie une pro-position qu’il ne peut pas refuser: « Tuviens? » « J’ai vécu l’une des nuits les plusmagiques de ma vie, avoue Charlie. Phil

est allé dormir, il m’a confié le bateau quiallait faire l’Ostar. Ensuite, à Plymouth,j’ai fait la connaissance de WalterGreene, de Mike Birch. »

Naviguer avec Phil Stegall,ça ne se refuse pasCharlie participe (bénévolement) à lapréparation du bateau jusqu’au jour dudépart. Friends & Lovers est dansl’écluse, l’histoire doit normalements’arrêter là. Mais Phil remet à Charlieune enveloppe qui contient… un billetd’avion pour aller l’attendre aux États-Unis! Quelques semaines plus tard, lejeune Vosgien débarque en Amérique. Ilbaragouine à peine l’anglais et doitmême se faire aider pour téléphoner. LeFrançais retrouve alors le skipper améri-cain à Marble Head où il est consultantpour la voilerie Hood. À Newport, navi-guent les grands bateaux de la Cup.Charlie se souvient: « J’allais livrer lesvoiles sur les bateaux, des maxi yachtsaméricains. » Il fait beau en été dans leMaine mais quand l’hiver s’installe,Charlie se retrouve sans le moindre souvaillant pour payer son retour enEurope. Il se rend alors au chantier deWalter Greene pour y travailler et gagnersa croûte. « J’y suis resté un an, j’y aiappris le métier. Nous avons construitdeux 50 pieds, un pour Mike Birch, TéléSept Jours, un autre pour PaoloMartinoni, Star Point. Des plans WalterGreene, bien sûr. »

Greene ou la meilleureécole du bois mouléCharlie navigue alors sur des bateauxprestigieux comme le Moxie de PhilWeld, fait la connaissance de DickNewick. Surtout, son destin croise pourla première fois celui du bateau qui vadevenir la passion d’une vie, A’Capella.« À Salem, près de Boston, il y avait unAméricain qui construisait un A’Capella.

ÉTÉ 2006 : LE MULTI EST REMISÀ L’EAU POUR LA TROISIÈMEFOIS. IL CHAVIRE LE1ER

NOVEMBRE, PEU DE TEMPSAPRÈS LE DÉPART DE LA ROUTEDU RHUM.

Page 3: Le Rhum de trop? - goldenoldies.biz Capella FR - Loisirs Nautiques dec 2006.pdf · 49 Des courses, des skippers, des sponsors, il en a connu, A’Capella. Des naufrages, aussi. Charlie

50

voilier fétiche

À LA MANŒUVRE

EN PIED DE MÂT :UN AVANT-GOÛT

DE RHUM.

Le détail jusqu’au bout : laconnectique du panneau solairebénéficie de son propre carénage.

La table à cartes fait face à lacuisine, et entre les deux, leskipper se repose sur un siège deveille ; devant lui, une petite tablese déplie pour les repas ; le luxe!

Les panneaux de pont, ronds, sur les flotteurs bénéficient d’undéflecteur qui en fait le tour. Ilssont donc ainsi parfaitementprotégés.

Le poids dans les hauts est unpoint particulièrement sensible à bord d’un multicoque car ilfavorise le tangage. Plus encorequ’un mât carbone par rapport àun profil en alu, le gréementtextile, en lieu et place de l’inox,permet un réel gain de poids etpour un investissement bienmoindre! Le ridoir inox est luiaussi remplacé par un brêlage en Vectran.

Le rail d’écoute de solent estremplacé par un barber ; l’écoutepasse au travers d’un anneau entitane, le point d’écoute se règledonc selon l’allure soit parl’écarteur (cordage en Vectran,gris), soit par le rentreur (palanbleu). On notera la manille defixation de la poulie, remplacéeelle aussi par un brêlage enVectran.

CARÉNAGE PERSONNEL

GRÉEMENTTEXTILEPOURGAGNERDU POIDS

PANNEAUX DE PONT PROTÉGÉS

L’Arthur (palan rouge) permet leréglage du mât rotatif ; pardéfinition, un tel mât empêche lesmanœuvres de revenir au cockpit.Le winch de drisse est doncpositionné sur le mât, il dessertaussi le Cunningham. Le winch sur la bôme est dédié, quant à lui,aux bosses de ris.

UN SEUL BRINPOUR LE PALAN

Le paland’écoute degrand-voileest réduit à saplus simpleexpression:

un brin ! À noter la cravate textilequi le frappe sur la bôme.

Une place pour chaque chose et chaque chose à sa place. Lacuisine est peut-être minimalistemais très fonctionnelle !

COIN

NAVIGATION

GRAND

CONFORT

FINI

LE RAIL

D’ÉCOUTE

RECONSTRUIT DANS LES MOINDRES DÉTAILS

MÂTPIVOTANT =MANŒUVRESSPÉCIFIQUES

SOUPE

OU

CAFÉ ?

Page 4: Le Rhum de trop? - goldenoldies.biz Capella FR - Loisirs Nautiques dec 2006.pdf · 49 Des courses, des skippers, des sponsors, il en a connu, A’Capella. Des naufrages, aussi. Charlie

51

Il l’avait commencé mais il n’avait pasd’argent pour le terminer. J’étais avide deconnaissances et je lui ai proposé de l’ai-der à le terminer. J’y allais le week-end;on a réussi à presque finaliser le bateau.Mais il était toujours fauché. »Au même moment, de l’autre côté del’Atlantique, la Twostar est lancée. Cettecourse emprunte le même parcours quel’Ostar, mais en double. PhilippePoupon veut prendre le départ. Il cher-che un bateau, si possible un planWalter Greene. « À cette époque, c’est surla côte Est que ça se passait », reconnaîtCharlie. Philippe Poupon fait le voyageaccompagné de Jean-François Costes.Charlie précise: « Philou a été emballépar le bateau, mais auparavant, il a fallule finir. Il a trouvé un sponsor, on aramené le bateau, qui s’est appeléChaussettes Kindy, on a fait la qualifica-tion, et on a gagné la Twostar dans notrecatégorie. Et là, tout s’est enchaîné. »

A’Capella entre dans la courseAu retour de la course, Charlie fait laconnaissance d’Eugène Riguidel et parttraverser l’Atlantique dans l’autre sens.Puis Charlie monte son chantier,Technologie Marine, à Saint-Philibert,tout près de La Trinité-sur-Mer. En sor-tiront des bateaux de course: Fuji 1,Laiterie Mont-Saint-Michel. MaisRevenons à A’Capella. Le trimaran,skippé par Yves Le Cornec lors de laRoute du Rhum 1982, s’est ensuiteappelé Télégramme de Brest, puis Elle. Àl’issue de la course, revenu en France, lebateau navigue au large de la Bretagne,avec des journalistes à bord. Soudain, lechoc: le multi heurte violemment uneépave, détruisant un flotteur.Gravement endommagé, A’Capella estpris en charge par l’Abeille Flandre quile remorque à Camaret. Le bateau estdéclaré épave. Un passionné décide dele reconstruire, sans y parvenir. Charlie,l’ange gardien, ne supporte pas de lais-ser A’Capella dans ce triste état: en 1985,il rachète l’épave, reconstruit une partiedes coques sur la plage du Fret, àCrozon, et convoie le tri blessé sousgréement de fortune vers La Trinité. En1990, Charlie se met à l’ouvrage, consa-crant à la reconstruction du bateau toutson temps libre et une bonne partie de

son énergie. Le chantier va durer septannées, ce qui représente environ5000 heures de travail. Car Charlie s’estfixé un objectif: « Je voulais absolumentcourir la cinquième Route du Rhum,celle du vingtième anniversaire. » Lebateau est terminé à temps. A’Capelladevient Chaussettes Olympia.

Rhum 1998 : 2ème dans sa catégorieNovembre 1998, Saint-Malo : Charlies’élance seul à bord d’« A’ca » et accro-che une belle deuxième place en Classe3. En Guadeloupe, il confie le bateau àClaude Bistoquet et à François Forestier,qui partent en croisière à son bord avantde le convoyer vers la France. Mais ilsmontent très nord. Sous l’île Sable, àTerre-Neuve, lors d’une tempêtemémorable, le bateau chavire.L’équipage passe trois jours dans lenavire retourné avant d’être secouru.A’Capella est donc abandonné à l’en-vers, en Atlantique Nord.Près de deux ans s’écoulent. Charlie adésormais tiré un trait sur son bateauqu’il considère comme définitivementperdu… « jusqu’à ce jour où je reçois uncourriel de l’architecte britannique NigelIrens qui, lui-même, avait été contactépar un Scandinave qui prétendait vou-loir racheter mon bateau. On s’est parléau téléphone ; je lui ai expliqué qu’ildevait faire erreur parce que mon trima-ran avait été perdu au Canada. Et là, ilm’a expliqué qu’il se trouvait en Espagne,à Ovicedo, à l’ouest du Cap Ortegal, etqu’il avait devant lui A’Capella, avec lesautocollants de la course, ChaussettesOlympia, dans un sale état certes, maispresque entier. » Quelques jours plustard, Charlie découvre l’épave, qui adonc traversé l’Atlantique à l’envers, enquatorze mois de dérive. Auxquels sesont rajoutés neuf mois le long d’unquai d’un port de pêche, toujours à l’en-vers et sans protection aucune. Ce quifut un trimaran de course gît sur uneplage, couvert de concrétions. Pillé, il estdevenu un terrain de jeu pour lesenfants. Pour récupérer les restes,Charlie menace les autorités d’un pro-cès et finalement, se résout au rachat,pour la seconde fois. Remis à l’eau,A’Capella arbore de nouveau un grée-ment de fortune, mais démâte rapide-

ment. « J’ai alors contacté Jean-Luc Vanden Heede, qui préparait, avec Adrien, satentative de record du tour du mondecontre vents et courants. Je savais qu’ilnaviguait dans le golfe de Gascogne. Ona fixé un rendez-vous, et le jour dit, Jean-Luc était là, avec son grand bateau. Il m’apassé une remorque, je suis resté à labarre de A’Capella, et trois jours plustard, on entrait à La Trinité. »L’épave est sortie de l’eau, ramenée auchantier de Saint-Philibert, et Charliecommence les travaux de reconstruc-tion. « Il m’a fallu à nouveau trois annéesde travail, au bas mot 3000 heures, pourtout reconstruire. A’Capella 2006, audépart de sa troisième Route du Rhum,est donc un bateau entièrement neuf. »Le 21 septembre, Switch. fr était baptisépar Mike Birch à l’occasion du GrandPavois. Un grand honneur pour Charlie,qui espérait bien décrocher la victoireen Classe 3. Finalement, après son cha-virage au large des côtes espagnoles,c’est un troisième sauvetage qui se meten place. Au fait: la ressemblance entre‘Capelle’et ‘A’Capella’ n’est que purecoïncidence. ■ GR

Matériau : bois époxyArchitecte : Walter GreeneLongueur : 12,00 mLargeur : 7,80 mHauteur du mât :16,80 mDéplacement : 2,50 t

1980 : Construction de A’Capella dans le Maine.1981 : Twostar avec Philippe Poupon. Victoire en

Classe 3.1982 : Yves Le Cornec participe à la Route du Rhum.1983 : Collision avec une épave en Bretagne.1985 : Charlie Capelle rachète l’épave et la ramène

par la mer à La Trinité-sur-Mer.1990 : Début du chantier de reconstruction.1998 : Charlie participe à la Route du Rhum.1999 : Naufrage d’A’Capella au large du Canada.2000 : Le trimaran est retrouvé en Espagne.2002 : Charlie rachète l’épave pour la deuxième fois.

A’Capella est ramené en Bretagne grâce àl’aide Jean-Luc Van den Heede. Le bateau est à nouveau en chantier.

2006 : Charlie prend le départ de la Route du Rhum et chavire à 200 milles du cap Finisterre.

Trois naufrages n’auront pas sa peau.