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U NIVERSITE P ARIS I-P ANTHEON L A S ORBONNE Master Coopération Internationale, Action Humanitaire, et Politiques de Développement Céline LAPERRIERE La gestion des migrations de transit : quelles réponses apportées au Maroc ? Année universitaire 2006-2007 Sous la direction de M. Adda Bekkouche Stage réalisé au BIT à Alger et au HCR à Rabat du 1/07/07 au 31/10/07

Chapitre I - Les migrations de transit au Maroc : exposé ... · Sur la chaîne de radio Medi I, la radio du Maghreb, les flashs infos portant sur les naufrages de « pateras »,

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UNIVERSITE PARIS I -PANTHEON LA SORBONNE

Master Coopérat ion Internat ionale , Act ion Humanitaire , e t Pol i t iques de Développement

Céline LAPERRIERE

La gestion des migrations de transit : quelles réponses

apportées au Maroc ?

Année universitaire 2006-2007 Sous la direction de M. Adda Bekkouche

Stage réalisé au BIT à Alger et au HCR à Rabat du 1/07/07 au 31/10/07

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Remerciements

Je tiens à remercier M. Adda Bekkouche, pour ses conseils et l’attention qu’il m’a portée durant ces quatre mois de stage. Je souhaite également adresser à M. Sadok Bel Hadj Hassine, comme à M. Johannes Van der Klaauw ma sincère reconnaissance pour leur supervision tout au long de ce stage. Je remercie aussi chaleureusement Mme Naima Senhadji, grâce à qui j’ai bénéficié d’une vue inestimable sur le Maroc d’aujourd’hui, et pour son accueil. Remerciements également à toutes les personnes rencontrées entre Alger et Rabat.

3

Sommaire

Table des sigles p. 4

Introduction p. 5

I- Les migrations de transit au Maroc : du phénomène au « problème » p. 8

A- Bref exposé des faits p. 8 B- Les données du « problème » p. 13 C- L’absence de réponses constructives jusque-là p. 18

II- Les tentatives de solutions apportées p. 25

A- Les volontés politiques p. 25 B- Les actions au Maroc p. 28 C- Des obstacles, des limites p. 41

III- Vers l’élaboration de quel cadre juridique ? p. 46

A- L’universalisation des réponses apportées p. 46 B- De la gouvernance globale en matière de migrations ? p. 48 C- Quelles autres solutions plus « idéales » ? p. 51

Conclusion p. 56 Bibliographie p. 57 Annexes p. 61 Table des matières p. 78

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Table des Sigles AA : Accords d’Association

AENEAS : Assistance technique et financière en faveur des pays tiers dans le domaine de l’asile et

des migrations

AFVIC : Association des Familles et Victimes de l’Immigration Clandestine

AGR : Activités Génératrices de Revenus

AMERM : Association Marocaine d’Etudes et de Recherche sur les Migrations

ANAPEC : Agence Nationale de Promotion de l’Emploi et des Compétences

BIT : Bureau International du Travail

CCDH : Centre Consultatif des Droits de l’Homme

CEDEAO : Communauté des Etats d’Afrique de l’Ouest

CICR : Comité International de la Croix Rouge

CISP : Comité International pour la Sauvegarde des Peuples

CREAD : Centre de Recherche en Economie Appliquée pour le Développement

FNUAP : Fonds des Nations Unies pour la Population

FOO : Fondation Orient Occident

GFMD : Global Forum on Migration and Development

GTM : Groupe Thématique Migrations

HCR : Haut Commissariat aux Réfugiés

JAI : Justice et Affaires Intérieures

MAE : Ministère des Affaires Etrangères

MAEC : Ministère des Affaires Etrangères et de la Coopération (marocain)

MDG : Millenium Development Goals Achievement Fund (Fonds espagnols)

MDM : Médecins du Monde

MEDA : Programme de coopération euro-méditerranéen

MRE : Marocains Résidents à l’Etranger

MSF : Médecins sans frontières

OIM : Organisation Internationale des Migrations

OIT : Organisation Internationale du Travail

OMDH : Organisation Marocaine des Droits de l’Homme

ONG : Organisation non gouvernementale

OUA : Organisation de l’Union Africaine

PEV : Politique européenne de Voisinage

UE : Union européenne

UMA : Union du Maghreb arabe

UNCT : United Nations Country Team (composée des chefs d’Agence)

UNECA (ou CEA) : Nations Unies - Commission Economique pour l’Afrique

5

Introduction

Sur la chaîne de radio Medi I, la radio du Maghreb, les flashs infos portant sur les naufrages de

« pateras », ces bateaux de fortune utilisés par les migrants pour gagner l’Europe sont monnaie

courante, et en deviennent aussi banales que des accidents de voiture. Surtout pendant l’été, période la

plus propice aux départs.

Ceux qui échouent, ou ceux qui hésitent à « brûler le Détroit », resteront dans l’un des pays du

Maghreb des mois, voire des années, coincés dans cette partie du monde à cause de sa proximité avec

l’Europe.

Au Maroc, les migrants en provenance d’Afrique subsaharienne deviennent visibles dans la

société. Les media participent largement à leur notoriété, loin d’être positive. De même en Algérie,

même si, au-delà de certains articles foncièrement xénophobes à leur égard, certains titres de journaux

dénoncent : « La migration clandestine est manipulée par l’Occident ».1 Le traitement des migrants

irréguliers est bien entendu différent lorsqu’il s’agit des ressortissants des pays du Maghreb qui tentent

la traversée ; pour les « haraga », on est souvent tout de même plus indulgent.

Les migrations de transit renvoient à ce phénomène migratoire d’Africains subsahariens pour

la plupart, qui passent par ces pays du Maghreb en vue de gagner l’Europe. Mais le terme « migrants

de transit » pour désigner ces personnes est quelque peu trompeur, non seulement car certains migrants

considèrent l’Afrique du Nord – et en particulier la Libye – comme leur destination finale, mais aussi

parce qu’une proportion considérable de migrants qui échouent ou qui n’ont pas le courage de

traverser vers l’Europe préfère rester en Afrique du Nord comme option de deuxième choix, plutôt que

de retourner vers leur pays d’origine plus instable, plus dangereux ou plus pauvre.

On le sait, les migrations irrégulières sont devenues une préoccupation majeure pour les pays

européens dans leurs relations avec ceux d’Afrique du Nord. En externalisant vers la rive sud de la

Méditerranée sa politique de gestion des flux migratoires, l’Europe a fait des pays du Maghreb des

zones tampon où se joue le sort de milliers de migrants subsahariens. Par conséquent, désormais pays

de départ, de transit et d’accueil de migrants et de réfugiés, ces pays du Nord de l’Afrique se trouvent

dans une situation difficile à gérer, et les défis sont grands à relever, surtout dans le contexte actuel de

blocage des frontières européennes.

Aussi, comme l’écrit Mehdi Lahlou, « Alors que le nombre de migrants irréguliers du Maroc

vers l’Espagne a baissé durant les deux dernières années, la question migratoire s’est radicalisée, ce

qui a entraîné l’accentuation des risques pris par, et pour les migrants en situation irrégulière. Cette

1 Titre de la une de Liberté, quotidien algérien, le 3 juillet 2007.

6

radicalisation s’exprime notamment par des lois plus restrictives sur l’entrée et le séjour des

étrangers, et par une approche sécuritaire renforcée des deux côtés de la Méditerranée »2.

Les études sur le sujet ne manquent pas ; mais, aussi renouvelées conceptuellement soient-

elles, ces recherches n’ont pas encore vraiment analysé les nouvelles formes de gestion des flux

migratoires. Pour Antoine Pécoud, « L’indifférence vis-à-vis du cadre juridique dans lequel se

déplacent les migrants s’inscrit dans la perception dominante des migrations transnationales et des

circulations migratoires, généralement décrites en opposition aux logiques politiques et étatiques. Les

déplacements de migrants s’effectueraient contre la volonté des Etats de fixer les populations sur le

territoire national et de les assujettir à leur juridiction »3.

L’objet de notre étude est justement de tenter d’analyser les réponses apportées actuellement

au Maroc par différents acteurs pour résoudre ce « problème » de migrations de transit, et plus

largement des migrations irrégulières. Antoine Pécoud évoque « une dialectique entre les initiatives

des migrants et les contraintes institutionnelles imposées par les Etats », dialectique qui caractérise à

point nommé l’émergence d’une forme de transnationalisme, et qui s’applique avec justesse au

phénomène des migrations de transit au Maroc.

Pour nous, il s'agira donc de voir si, au Maroc, on est en train d’assister à l'émergence, ou non,

d'un cadre plus ou moins normatif destiné à gérer les migrations. Car l’une des questions

fondamentales posée est de savoir comment concilier le durcissement des politiques migratoires et la

fluidité des itinéraires des migrants, et leur nature transnationale. Cette situation, intenable à long

terme, débouchera donc t’elle sur l’émergence de nouvelles formes de gestion des migrations ? Aussi,

on parle depuis peu d’une « multilatéralisation » du traitement de la question migratoire, mais qu’en

est-il vraiment ? Et quelles solutions ces différents acteurs proposent-ils ? Sur quelles idées ces

solutions se basent-elles ?

La notion de « mondialisation par le bas » utilisée par Alejandro Porto4 illustre cette

opposition entre la fluidité des trajectoires migratoires et la rigidité des cadres nationaux. Cette

situation nécessiterait-elle une « désétatisation des migrations », pour reprendre la formule d’Antoine

Pécoud5 ?

2 M. Lahlou, « Les migrations irrégulières entre le Maghreb et l’Union européenne : évolutions récentes », CARIM (Consortium Euro-méditerranéen pour la recherche appliquée sur les migrations internationales), Institut universitaire européen, Florence, Robert Schuman Center for advanced studies, 2005, p. 6. 3 A. Pécoud, « Circulations migratoires et contrôle aux frontières », Migrations Société, vol. 18 n° 107, sept.-oct. 2006, p. 57. 4 Alejandro Portes, « La mondialisation par le bas : l’émergence des communautés transnationales », in Actes de la Recherche en Sciences Sociales, n° 129, sept. 1999, pp. 15-25. 5 Ibid. p. 59.

7

En tant que stagiaire au sein du Système des Nations Unies à Rabat6, et chargée d’un groupe

thématique inter-agences onusiennes sur les migrations, j’ai pu, en rencontrant les autres acteurs

concernés par le phénomène au Maroc, appréhender les différentes faces du problème et les solutions

que chacun tente d’apporter aujourd’hui. D’un point de vue théorique, nous nous inspirerons

essentiellement des nouveaux concepts utilisés dans les recherches sur les migrations, et en particulier

le transnationalisme ; cette approche permet justement de rendre compte de manière assez fine la

réalité des migrations de transit : en effet, elle permet de capter la complexité des phénomènes

migratoires, qui ne sont plus forcément linéaires, d’Etat à Etat. Elle apporte de surcroît une vision

dynamique, qui dépasse ainsi la position statique habituellement adoptée sur les migrations, à savoir

un déplacement entre deux « sédentarités »7. En outre, pour notre réflexion sur les solutions apportées

au problème des migrations de transit au Maroc, nous solliciterons également les concepts de

gouvernance globale, développés notamment par Josepha Laroche ou encore d’autres chercheurs en

relations internationales du même courant théorique8.

Dans un premier temps, nous décrirons le phénomène des migrations de transit au Maroc, puis

nous montrerons en quoi et pourquoi ce phénomène pose problème. Dans un second temps, il s’agira

principalement d’énoncer les solutions prises par différents acteurs au Maroc et les limites ou les

obstacles rencontrés. Enfin, dans une dernière partie plus analytique, nous tenterons de déceler les

nouvelles formes possibles de gestion des migrations, voire même de gouvernance globale en matière

de migrations, en terminant par lister des solutions qui, pas encore appliquées, représentent pourtant

des lueurs d’espoir.

6 Auprès du BIT à Alger pour un mois puis au HCR à Rabat pour trois mois. 7 Cf. Tarrius, 1992. 8 Cf. notamment J. Nye et R. Keohane.

8

I - Les migrations de transit au Maroc : du phénomène au « problème » A- Bref exposé des faits i) Description du phénomène

Dans cette partie, nous ne présenterons pas les caractéristiques sociologiques des migrants

subsahariens présents au Maroc de façon très détaillée. Notre propos ici est plutôt de dessiner les

grands contours du phénomène, de façon concise, pour se focaliser davantage dans les deux parties

suivantes, sur les réponses qui y sont apportées.

Présentation générale

Les migrants subsahariens proviennent de différents pays, parmi lesquels le Sénégal, la

Gambie, le Sierra Leone, le Libéria, le Mali, la Côte d'Ivoire, le Ghana et le Nigeria ainsi que la

République Démocratique du Congo, le Cameroun, le Soudan, les pays de la Corne de l’Afrique.

Il faudrait également ajouter la venue de migrants d’Asie, et quelques uns des pays du Golfe,

notamment d’Irak. Mais nous nous attacherons ici qu’à ceux des pays africains au sud du Sahara.

Les études récentes ont montré qu’une part importante des migrants a des niveaux de

qualification ou d’éducation de plus en plus élevés, et ils appartiennent à des couches socio-

économiques moyennes ou relativement hautes. Selon M. Mohamed Khachani, chercheur et directeur

de l’AMERM – Association Marocaine d’Etudes et de Recherches sur les Migrations –, près de 24 %

des migrants subsahariens ont des niveaux d’études supérieures. L’une des évolutions actuelle de la

migration est la présence croissante de femmes, ainsi que d’enfants mineurs, parfois non

accompagnés.

Le coût du voyage est généralement supporté par plusieurs membres de la famille voire de la

communauté d’origine. S’il s’agit de projets personnels, la dimension collective reste toutefois

importante. En outre, lorsque les migrants sont amenés à rester des mois voire des années au Maroc (et

c’est également le cas ailleurs), de par leur situation extrêmement précaire de migrants irréguliers, ils

se regroupent et vivent en communauté. Les différentes communautés se côtoient, un chef les dirige

souvent : il s’agit d’une organisation à part entière, qui mériterait une étude sociologique approfondie,

mais ça n’est pas notre objet ici.

Les migrants quittent leur pays à cause d’un manque général d’opportunités, d’une crainte de

persécution ou de violence, ou une combinaison des deux.

L’un des problèmes auxquels se trouve d’ailleurs confrontée une organisation comme le Haut

Commissariat aux Réfugiés tient à ce « mélange » des types de migrants, dans ce que l’on appelle les

« flux migratoires mixtes » ; parmi les personnes arrivant au Maroc, il se révèle en effet difficile de

distinguer les demandeurs d’asile et les réfugiés d’une part, des migrants purement

9

« économiques » d’autre part. L’une des raisons est qu’ils empruntent souvent les mêmes routes

migratoires, à travers le Sahara. L’autre raison, peut-être, est que les raisons des départs sont sans

doute la combinaison de facteurs, aussi bien d’ordres économiques que politiques.

Cette question de la gestion des flux migratoires mixtes sera détaillée dans la partie afférant

aux solutions qui sont apportées au Maroc.

C’est durant les années 1990 que le phénomène de migration trans-saharienne s’est

particulièrement développé. A cette époque, le rôle de la Libye pour accueillir ces migrations était

important ; en effet, sous embargo occidental jusqu’à 2000, la Libye s’était tournée vers ses « frères »

du Sud, en développant d’effectives politiques « pro-africaines ». Cela coïncida avec le fait que dans

de nombreux pays d’Afrique de l’Ouest, ou de la Corne de l’Afrique ainsi qu’en République

Démocratique du Congo, un déclin économique se faisait fortement ressentir.

Mais après 2000, le climat en Libye à l’égard des populations subsahariennes s’est dégradé9,

ce qui en a incité un nombre de plus en plus important à migrer vers d’autres pays maghrébins ou vers

l’Europe. Ainsi, de plus en plus de migrants subsahariens se sont retrouvés avec les Maghrébins dans

les « pateras » pour tenter de traverser la Méditerranée. Les Subsahariens ont maintenant dépassé les

Nord-africains en terme de nombre de migrants irréguliers interceptés par les gardes aux frontières

avec l’Europe10.

Les principales routes migratoires

L’un des points de départ des migrants se trouve à Agadez, au Niger, carrefour historique de

voies commerciales entre l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique Centrale. De là, les chemins s’orientent

vers l’oasis de Sebha en Libye et vers Tamanrasset au sud de l’Algérie. Du sud de la Libye, ils se

dirigent ensuite souvent vers les villes côtières, et notamment Tripoli, ou vers la Tunisie11.

La traversée de la Méditerranée a pour destination Malte, les îles italiennes de Lampedusa,

Pantalleria ou encore la Sicile. De Tamanrasset, les migrants remontent jusqu’au Nord du pays,

notamment à Alger. Certains partiront ensuite pour le Maroc, en passant la frontière au niveau de la

ville de Oujda. Les traversées par la mer à partir du Maroc se font au niveau du Détroit de Gibraltar,

depuis Tanger, mais la tendance actuelle et de descendre vers le Sud du pays en direction du Sahara

Occidental pour gagner les îles Canaries.

9 Le pays a connu une forte réaction hostile aux immigrés subsahariens : des confrontations violentes entre Libyens et ouvriers africains en 2000 ont provoqué la mort de dizaines d’immigrés subsahariens. Selon Hein De Haas, entre 2003 et 2005, le gouvernement libyen a refoulé approximativement 145 000 migrants irréguliers, en majorité vers des pays subsahariens. 10 Dès 2003, le nombre de migrants clandestins originaires de l’Afrique sub-saharienne (23 850) qui traversaient le détroit de Gibraltar était presque le double de celui des Marocains (12 400). Source : A. Adepoju, « The Challenge of Labour Migration Flows Between West Africa and the Maghreb », International Migration Papers, Geneva, ILO, 2006, p. 17). 11 Cf. annexe 2.

10

Le voyage à travers le Sahara se fait généralement en plusieurs étapes, et peut prendre entre un

mois et plusieurs années. En route, les migrants s’installent souvent temporairement dans des

carrefours migratoires pour travailler et épargner suffisamment d’argent pour la prochaine étape.

En outre, les informations nationales marocaines ont révélé en octobre 2007 l’ouverture d’une

nouvelle voie de migration maritime clandestine, partant cette fois-ci directement des côtes

algériennes.

Sur la limite occidentale du continent, un nombre croissant de migrants ouest-africains évitent

les routes centrales du Sahara en naviguant à partir des côtes Mauritaniennes, du Cap Vert, du Sénégal

et d’autres côtes ouest-africaines vers les Iles Canaries.

ii) Mesure de l’ampleur

Il est par définition difficile d’établir des statistiques précises sur les migrations irrégulières.

Souvent, les seules données disponibles proviennent des arrestations de migrants irréguliers, enfermés

ou reconduits à la frontière ou dans leur pays d’origine. Dans d’autres pays, l’évaluation du nombre

d’immigrés en situation irrégulière peut parfois être établie à l’occasion des « vagues » de

régularisation, comme il y en a eu en Espagne ou en Italie par exemple. Mais aucun pays maghrébin

n’a encore connu de régularisation. Donc selon les estimations, les chiffres varient. Les estimations de

la migration irrégulière sont souvent gonflées par les politiciens, les media et les organismes de

sécurité.

Concernant le nombre de Subsahariens au Maghreb, « Selon les différentes estimations, entre

65.000 et 120.000 Subsahariens entreraient au Maghreb chaque année [ici compris comme le

« Grand » Maghreb, incluant la Mauritanie, le Maroc, la Tunisie, l’Algérie et la Libye] dont on croit

que 70 à 80 pourcent migrent vers la Libye et 20 à 30 pourcent migrent vers l’Algérie et ensuite le

Maroc »12.

D’après une étude de M. Lahlou citée dans l’article de Delphine Perrin, les chiffres proposés

sont un peu différents : « Il semblerait que 65 000 à 80 000 Subsahariens passent annuellement la

frontière maghrébine, 80 % d’entre eux se dirigeant vers la Libye, les autres vers l’Algérie. Il y aurait

entre 6 000 et 15 000 clandestins au Maroc, moins de 2 000 en Tunisie, entre 50 000 et 150 000 en

Algérie et entre 750 000 et 1.2 millions en Libye »13.

12 Hein De Haas, « Migrations trans-sahariennes vers l’Afrique du Nord et l’UE : Origines historiques et tendances actuelles », Université d’Oxford, nov. 2006, p. 1. 13 D. Perrin, « Le Maghreb sous influence : le nouveau cadre juridique des migrations transsahariennes », in Maghreb-Machrek, n° 185, automne 2005, p. 69.

11

Pour l’Algérie, selon M. Musette14, le nombre estimé de migrants irréguliers serait plutôt de

20 000 environ. Il est établi sur la base du nombre moyen d’arrestations par an entre 2001 et 2006 (soit

environ 5 000), multiplié par 4.

Selon lui, sur ces 20 000 migrants irréguliers présents en Algérie, 40 % ont l’intention d’y

trouver un travail et donc de s’y installer relativement durablement, et 40 % utilisent l’Algérie comme

lieu de passage pour aller vers d’autres pays, en particulier l’Europe.

Pour ce qui est du Maroc, on parle actuellement d’environ 10 000 immigrés irréguliers15. A

cela, s’ajoutent les réfugiés et demandeurs d’asile qui, selon le HCR, représentaient fin 2006

respectivement 476 et 2206 personnes16. En 2007, le HCR recensait 680 réfugiés et sensiblement le

même nombre de demandeurs d’asile que l’année précédente.

Relativiser l’ampleur du phénomène

Si l’on compare le nombre d’Africains établis dans un autre pays que le leur en Afrique

subsaharienne avec le nombre de migrants subsahariens au Maroc, on se rend très vite compte que le

phénomène au Maroc est relativement restreint ; et il faut donc souligner le fait qu’il s’agit d’une

minorité d’Africains subsahariens qui se dirige vers le Maroc, de même que vers l’Algérie ; il est

néanmoins vrai que la communauté d’immigrés au Maroc a tendance à croître – composée de ceux qui

choisissent l’Afrique du Nord comme leur destination première et ceux qui y restent à cause de

multiples échecs pour passer de l’ « autre côté ».

Selon diverses estimations, au moins 100 000 migrants subsahariens vivraient actuellement en

Mauritanie ainsi qu’en Algérie, 1 à 1,5 millions en Libye, et entre 2,2 et 4 millions, principalement des

Soudanais, en Egypte. La Tunisie et le Maroc abritent donc des communautés d’immigrés

subsahariens moins nombreuses mais croissantes.

Ainsi faut-il souligner le fait que les migrations entre pays subsahariens restent plus intenses que

les migrations trans-sahariennes. Ce point est rarement mis en évidence lorsque les migrations sont

étudiées du point de vue des pays du Nord.

Même si le Maroc reste un pays africain et en voie de développement, il faut savoir que de

manière générale, « Plus de 60% des migrants ne quittent pas l’hémisphère sud et les trois quarts des

réfugiés s’installent dans des pays du Tiers Monde, chez leurs voisins »17.

14 Entretien avec M. Mohamed Saïb Musette, chercheur au CREAD, le 14/07/07. 15 M. Collyer, « States of Insecurity: Consequences of Saharan Transit Migration », Centre on Migration, Policy and Society, Working paper n° 31, University of Oxford, 2006, p. 27. Cité dans Groupe Thématique Migrations, « Proposition et Termes de Références ». 16 UNHCR Rabat, 31 décembre 2006. Dont environ 23 % de femmes et 12 % de mineurs. 17 Catherine Wihtol de Wenden, « La mondialisation des flux migratoires », sous la direction de Josepha Laroche, La mondialisation, table-ronde, Lille, sept. 2002, p. 2.

12

En outre, il faut relativiser l’ampleur du phénomène de migration clandestine à partir du

Maghreb vers l’Europe, même si l’on relève qu’en 2006, il y aurait eu une croissance remarquable du

nombre de tentatives d’atteindre l’Europe. « Entre janvier et septembre 2006, quelques 24000

migrants arrivaient sur les Iles Canaries, comparé à 4772 en 2005 et 9900 en 2002. Pendant les

premiers sept mois de 2006, 10400 migrants ont été appréhendés sur l’île italienne de Lampedusa au

sud de la Sicile, comparé à 6900 durant la même période en 2005 » 18.

Ce qui est intéressant de souligner, c’est que ces traversées maritimes ne représentent qu’une

fraction minime de l’immigration irrégulière en Europe. A titre indicatif, « Selon certaines estimations

récentes de l’Union européenne, le nombre de migrants en situation irrégulière en Europe se situerait

entre 4,5 et 8 millions de personnes, avec une augmentation de 350 000 à 500 000 par an ».19 Aussi,

faut-il rappeler que la grosse majorité les migrants en situation irrégulière en Europe n’y sont pas

entrés « clandestinement », mais sont restés illégalement dans le pays après la fin de validité de leur

permis de séjour. On estime à moins de 3% les sans-papiers vivants en Europe qui ont emprunté les

routes migratoires clandestines.

Extrêmement médiatisées à cause de leur caractère souvent dramatique, les traversées en

« pateras » surchargées ne représentent en outre qu’un moyen parmi beaucoup d’autres pour tenter de

pénétrer en Europe : escalader les grillages des enclaves espagnoles au nord du Maroc, se cacher sous

les camions en partance pour l’Espagne à partir de Tanger, etc.

Après ce bref aperçu des faits, nous allons rechercher les différentes faces du problème qui se

pose au Maroc. N’impliquant pas, comme on l’a vu, de grands flux de personnes, nous allons tenter de

comprendre pourquoi le sujet est encore si délicat à aborder au Maroc.

En octobre 2005, les « assauts » de migrants à Ceuta et Melilla ont eu une forte résonnance ;

les violences survenues à ce moment-là ont été médiatisées dans le monde entier. L’événement a aussi

déclenché une certaine prise de conscience pour régler le problème au niveau national, voire

international, comme nous le verrons plus loin. Le Conseil Consultatif des Droits de l’Homme

(CCDH) a produit un rapport, écrit peu de temps après les faits, donc sans grand recul ; bien que

critiqué de toute part, certains passages sont éclairants pour comprendre une vision marocaine des

événements. Ainsi, il est écrit : « Le Conseil Consultatif des Droits de l’Homme n’a, à aucun moment,

douté de la complexité du sujet ni de ses ramifications multiples. De par sa nature, la question est

multifactorielle. Elle se situe aussi bien au niveau national qu’international, au niveau politique

autant qu’au niveau social. Elle pose des exigences de droit au même titre que des nécessités

humanitaires. Le problème dépasse, par ses embranchements, les seules capacités du Maroc à y

répondre. »20.

18 Hein de Haas, op. cit., p. 7. 19 Piyasiri Wickramasekara, « Les jeunes, le travail décent et la migration irrégulière en provenance de l’Afrique de l’Ouest : problématique et stratégies », Programme des migrations internationales, Document d’Information du BIT, Genève, juillet 2007, p. 6. 20 Rapport du CCDH concernant les événements de Ceuta et Melilla, p. 15.

13

Tentons donc de voir en quoi ce phénomène des migrations de transit constitue un « problème ».

B- Les données du « problème »

i) Les victimes : les migrants eux-mêmes

Au Maroc, les mesures policières pour freiner les migrations irrégulières sont très fortes. Cette

répression se fait d’ailleurs parfois même à l’égard de réfugiés normalement protégés par le HCR. Les

migrants subsahariens vivent donc avec la peur d’être arrêtés, incarcérés et déportés ou se voir

confisquer tous leurs biens. Malgré des remises à la frontière, les migrants tentent souvent de revenir.

Certains ont été renvoyés de l’autre côté de la frontière au niveau de Oujda à plusieurs reprises, parfois

deux, trois, voire huit fois, puis reviennent, avec tous les risques que ces déplacements leur font courir.

Certains de ces migrants blaguent sur cette situation quelque peu risible.

Aussi, lorsqu’il y a des « rafles » de migrants irréguliers dans les quartiers populaires où ils se

sont regroupés, les blessés sont souvent nombreux ; début novembre 2007, l’ONG Caritas présente à

Rabat a dû négocier l’hospitalisation de trois personnes qui se sont défenestrées pour échapper à une

arrestation. Et d’après la chargée du secteur santé de Caritas à Rabat, ce genre d’urgence arrive

fréquemment.

En 2004, MSF Espagne produisait un rapport intitulé « Violence et immigration : Rapport sur

l’immigration d’origine subsaharienne (ISS) en situation irrégulière au Maroc »21, dans lequel étaient

recensés les types de violence que subissent les migrants irréguliers. Rafles, détentions, refoulements

dans des conditions illégales, refoulement à la frontière de personnes qui légalement – ne serait-ce

qu’au regard de la loi marocaine 02-03 – ne devraient pas l’être, notamment les mineurs et les femmes

enceintes, etc.

Lorsque des centaines d’Africains subsahariens ont tenté d’entrer à Ceuta et Melilla en octobre

2005, au moins 13 migrants subsahariens sont morts. Plusieurs d’entre eux ont été tués par des gardes-

frontières. Après ces événements, les autorités marocaines ont procédé à des arrestations dans des

villes et des camps provisoires, notamment dans les forêts de Gourougou et de Bel Younes, à

proximité de Ceuta et Melilla. Un groupe d’environ 1500 migrants était expulsé et abandonné dans le

désert à la frontière marocaine.

Ensuite, leurs conditions de vie sont très difficiles au Maroc ; ils n’ont accès à aucune

assistance légale. Le HCR doit même se battre pour faire reconnaître les droits des réfugiés, leur faire

obtenir des permis de séjours, qui leur permettraient notamment d’accéder aux services publics de

base, comme la santé ou l’éducation.

Aussi, les migrations de Subsahariens au Maroc sont liées à des phénomènes de traite et de

trafic encore mal connus, mais qui existent. Des réseaux à relativement petite échelle sont constitués

21 MSF (Médecins sans Frontières), Violence et immigration : Rapport sur l’immigration d’origine subsaharienne (ISS) en situation irrégulière au Maroc, sept. 2005, 27 p.

14

par des anciens migrants. En général, ils coopèrent avec des policiers et des douaniers locaux

corrompus ainsi que des intermédiaires qui leur font la liaison avec l’Europe. Tout au long de leur

chemin migratoire, les migrants dépensent des centaines de dollars, sans compter les dépouillements

dont ils sont très souvent victimes. En 2003, le chercheur marocain Mehdi Lahlou estimait que le coût

de la traversée du Maroc vers l’Espagne était autour de 200 dollars pour les mineurs, de 500 à 800

dollars pour des Marocains, et entre 800 et 1 200 dollars pour des migrants subsahariens.

Selon l’Organisation Internationale pour les Migrations (OIM) au Maroc, les autorités concernées

manquent de données fiables concernant ces phénomènes, ce qui rend une analyse ponctuelle de la

situation de la traite au Maroc difficile sinon impossible pour les autorités locales. De surcroît, la

protection nécessaire aux victimes de ce commerce illicite ne peut pas être assurée.

D’après l’OIM, le Ministère de l’intérieur aurait récemment mené des campagnes de

démantèlement des réseaux criminels au Maroc en tant que pays de transit de victimes de trafic d’êtres

humains, mettant en évidence la nécessité d’un programme élargi et cohérent de prévention, de

protection des victimes et de poursuites des criminels.

Le phénomène au Maroc se pose donc en premier lieu en termes de problème humanitaire,

d’assistance à des victimes, d’urgence.

Enfin, il est clair que la situation socio-économique du Maroc, et en particulier le taux de

chômage élevé des jeunes, y compris des jeunes diplômés, apporte une difficulté supplémentaire. Pour

les populations, l’équation chômage fortement ressenti conjugué à l’arrivée de migrants équivaut

souvent à la crispation et à la diffusion de sentiments xénophobes néfastes à leur possible intégration.

Au-delà de l’aide humanitaire, le phénomène des migrations de transit pose un problème en

termes de relations internationales, que nous allons à présent détailler.

ii) Un problème « international » posé au Maroc

Il s’agit, comme on s’en rend compte en étudiant le parcours des migrants aboutissants au

Maroc, d’un problème qui, d’un point de vue géographique, dépasse bien évidemment les frontières du

Maroc. C’est en effet un phénomène régional, continental, voire inter-continental si l’on intègre

l’Europe comme objectif souvent affiché à atteindre par les migrants. La situation en Algérie est

sensiblement la même qu’au Maroc, certains migrants subsahariens demeurant plusieurs mois voire

plusieurs années en Algérie. Mais le cas du Maroc garde sa particularité d’être le pays où les points de

passage avec l’Europe sont les plus nombreux (îles des Canaries, enclaves espagnoles, Détroit de

Gibraltar).

Aussi, le problème implique différents pays, et les relations politiques qui les lient. « Le

contrôle des frontières extérieures de l’UE et la lutte contre les migrations irrégulières en amont, dès

les pays de départ et de transit, sont tributaires de contraintes qui n’ont rien à voir avec les flux

migratoires. Les volontés politiques de la part des gouvernements des pays de départ et de transit à

15

collaborer avec les pays européens sont variables et s’inscrivent dans un jeu de négociations

politiques avec l’UE et les Etats membres (notamment Espagne, Italie, France). Les contextes

politiques des pays de départ et de transit ne sont pas toujours propices à la fermeture des frontières

de ces pays à l’émigration vers l’espace Schengen : opinions publiques hostiles, forte politisation de

la question migratoire, émergence d’une société civile d’opposition aux politiques gouvernementales.

Il existe parfois une forte sensibilité à propos des migrations qui concerne aussi les relations entre les

différents pays de la région (Maroc/Algérie, Egypte/Soudan, etc.) ».22

Ainsi, le problème des migrations de transit n’est pas simplement un problème auquel une

réponse humanitaire est attendue, mais également un problème dont la cause et les conséquences se

situent au niveau des relations entre Etats.

Les rapports entre le Maroc et l’Union européenne

Le Maroc entretient, avec l’Union européenne, des relations de coopération fortes ; dans le

cadre du Partenariat Euro-méditerranéen23, approfondi et complété en 2003 avec la Politique

européenne de Voisinage24, le Maroc bénéficie d’une aide au développement particulièrement élevée.

Depuis le 1er janvier 2007, à travers cet instrument, une enveloppe budgétaire pour la période

2007-2010 de 654 millions d’euros a été prévue, ce qui fait du Maroc le premier bénéficiaire des fonds

européens dans la région. Mais en échange, comme désormais chacun le sait, les autorités européennes

exigent de la part du Maroc une plus grande maîtrise des flux migratoires, c’est-à-dire : empêcher la

venue en Europe de migrants irréguliers, qu’ils soient Marocains ou issus des pays subsahariens25.

Cette politique européenne n’est plus à démontrer : la conséquence est bien de faire supporter

au Maroc, comme à d’autres pays du Maghreb (l’Algérie, et la Tunisie, voire la Libye), les problèmes

inhérents à la fermeture drastique des frontières européennes.

Même si le Maroc ne souhaite pas admettre sur son territoire des camps comme ceux de

Sangatte par exemple, même si certaines voix s’élèvent pour refuser le rôle de gendarme que veut lui

assigner l’Union européenne, il n’empêche que le pays s’est doté, en 2003, d’une loi en matière

d’entrée des étrangers sur son territoire des plus répressives qui soient.

Par ailleurs, il faut noter que les Marocains Résidents à l’Etranger (MRE) sont nombreux et,

car ils transfèrent des liquidités très importantes (première ressource en devises proviennent des ces

fonds des migrants), le Maroc a bien évidemment tout intérêt à ne pas forcément empêcher les départs

de migrants marocains vers l’Europe ; la position est donc complexe, et ces relations mi-donnant mi-

donnant entre le Maroc et l’Union européenne font partie intégrantes du problème.

22 Conclusions d’une étude menée par Christophe Bertossi, « L’immigration clandestine dans l’espace Schengen en provenance d’Afrique Etude », IFRI, 2006. 23 Initié par le Processus de Barcelone en 1995. 24 Cf. http://ec.europa.eu/world/enp/index_fr.htm. 25 Suite à la Conférence euro-méditerranéenne de Valence de 2002, la coopération est liée à l’effectivité et à l’efficience du contrôle aux frontières.

16

Les rapports entre le Maroc et l’Algérie

Comme nous l’avons déjà décrit, la plupart des migrants subsahariens présents au Maroc sont,

au préalable, passés par l’Algérie.

Or les relations sont difficiles. Pour preuve, la frontière terrestre entre les deux pays est fermée

depuis 1994. Le conflit du Sahara Occidental, dans lequel l’Algérie soutient ouvertement le Front

Polisario indépendantiste, toujours pas résolu à ce jour, est l’élément qui fait obstacle à une meilleure

entente entre les deux pays.

Cette relation problématique entre l’Algérie et le Maroc est un élément important à prendre en

considération, dans la mesure où elle empêche un développement effectif de l’Union du Maghreb

Arabe (UMA) et donc la possibilité de politiques régionales. L’article 2 du Traité de 1989 organisant

l’UMA vise progressivement à réaliser la libre circulation des personnes, des services, des

marchandises et des capitaux entre les Etats membres de l’UMA.

Concernant les flux migratoires de transit, les deux pays connaissent relativement le même

phénomène. Pourtant, chacun fait peser sur l’autre les responsabilités de telle ou telle négligence en

matière de gestion des flux migratoires. Pour s’en rendre compte, il suffit par exemple de lire ce

passage du rapport du CCDH déjà cité, écrit à chaud après les événements de Ceuta et Melilla :

« Le Nord du Maroc n'a jamais été la destination finale du Subsaharien. Pas plus que le Pas-

de-Calais n’est une destination finale pour l’Afghan qui veut rejoindre Londres, en traversant la

Manche. Le Maroc, qui a ses propres nationaux candidats à l’émigration clandestine, n’est pas apte à

accueillir une population étrangère. Il n’a pour elle ni le travail, ni la richesse. Le transit par le

Maroc fut, jusqu’à dernièrement, l’objet d’une forme de complaisance du voisin algérien. A l'Ouest et

au Sud, non seulement l'Algérie ne ferme pas délibérément ses frontières, elle ne se gêne pas pour

aussi fermer les yeux quand des flots de jeunes migrants africains prennent comme destination le

Maroc. Il n’y a pas beaucoup de risque de se tromper en affirmant que l'Algérie n’hésite pas à

instrumentaliser la question des migrants clandestins avec pour objectif de poser des difficultés au

Maroc. […] Il n’est pas naïf au point de ne pas s’apercevoir que cela pourra être une valeur ajoutée

diplomatique pour l’Etat algérien qui entend brouiller le Maroc avec ses amis africains traditionnels.

Le tout, avec pour arrière-plan la question du Sahara marocain »26.

26 Rapport du CCDH, op. cit. p. 8-9.

17

Les rapports entre le Maroc et l’Afrique subsaharienne

Le Maroc entretient de relativement bons rapports avec ses voisins du Sud, malgré le conflit du

Sahara Occidental, qui peut parfois apparaître comme un point de crispation.

Depuis 1984, le Maroc a quitté en tant que membre l’Organisation de l’Union Africaine (OUA) à

cause de l’admission dans celle-ci de la République Arabe Sahraouie. Malgré cela, le Maroc a

maintenu des relations privilégiées avec de nombreux pays du continent.

Par exemple, en 1986, a été créée l’Agence Marocaine de Coopération Internationale (AMCI) et

de nombreux traités furent signés, instituant des agences de coopérations : l’Agence Guinéo-

Marocaine de Coopération (AGUIMCO), l’Agence Maroco-Malienne de Coopération (AMAMCO), le

Centre Marocain de Promotion des Exportations (CMPE), etc.

En outre, des bourses sont accordées à des étudiants maliens, sénégalais, ivoiriens, guinéens, etc.

leur permettant de suivre des cursus dans les universités ou les écoles marocaines.

Le problème des migrations de transit au Maroc est donc complexe parce qu’éminemment

politique ; en effet, en termes de chiffres, l’enjeu n’est pas tant considérable. Mais les préoccupations

politiques se focalisent toujours sur les possibles évolutions immaîtrisables des flux, et les effets

d’appel d’air qui peuvent être créés dès la moindre ouverture. On s’aperçoit aussi que des éléments

qui ne relèvent pas uniquement des compétences du Maroc viennent alimenter la dimension multiple,

internationale, complexe, du problème. Avant d’analyser les réponses actuellement en germe ou déjà

mises en œuvre, nous allons revenir quelque peu en arrière pour dresser un bilan des cadres normatifs

et des décisions politiques existantes.

18

C- L’absence de réponse constructive jusque-là

i) Défaillance des cadres normatifs existants

C’est finalement récemment que le Maroc s’est doté d’une loi pour réguler les entrées d’étrangers

sur son territoire ; avant cette loi de 2003, la politique du Maroc en matière de migrations reposait sur

cinq dahirs, un dispositif qui datait du Protectorat.

La loi 02-03 adoptée le 11 novembre 2003 relative à l’entrée et au séjour des étrangers au Maroc,

à l’émigration et à l’immigration irrégulières, s’inspire pour une grande partie des législations

européennes les plus restrictives et répressives en la matière. Pour saisir aussi l’esprit de cette loi, il

faut également préciser qu’elle a été déposée au Parlement marocain en même temps qu’un projet de

loi sur la lutte contre le terrorisme.

Cette nouvelle législation marocaine contient des éléments pour le traitement des migrants

irréguliers, en énumérant les personnes protégées contre l’expulsion : il s’agit d’une part des étrangers

résidant au Maroc depuis l’âge de 6 ans ou depuis plus de 15 ans, l’étranger marié depuis plus d’un an

avec un ressortissant marocain, ou qui subvient aux besoin de son enfant marocain, l’étranger en

possession d’un titre de séjour et en l’absence de condamnation d’au moins un an. D’autre part, sont

protégés de l’expulsion les femmes enceintes et les mineurs. Toutefois, cette protection peut être levée

en cas de « nécessité impérieuse pour la sûreté de l’Etat ou pour la sécurité publique » (art. 27) et en

cas de « condamnation pour terrorisme, trafic de stupéfiants, infractions aux mœurs ou à la législation

du travail » (art. 26).

Aussi, cette loi prévoit les sanctions contre l’émigration irrégulière : l’article 42 établit ainsi une

peine d’amende de 2 000 à 20 000 dirhams et un emprisonnement de 1 à 6 mois pour toute personne

qui a pénétré (ou tenté de le faire) sans document de voyage en règle ou qui a dépassé la durée légale

de son séjour au Maroc. L’article 43 punit tout séjour sans carte d’immatriculation ou de résidence

d’une peine d’amende de 5 000 à 30 000 dirhams et d’emprisonnement de 1 à 6 mois. L’article 47,

quant à lui, punit les transporteurs qui facilitent l’entrée de migrants irréguliers. Pour ce qui est de

l’émigration illégale, la loi prévoit une peine d’amende de 3 000 à 10 000 dirhams et de prison de 1 à 6

mois pour toute personne quittant clandestinement le territoire marocain (art. 50). Une peine de prison

de 15 à 20 ans est prévue en cas de transport de clandestin entraînant une incapacité permanente pour

le transporté et une peine de réclusion à vie si celui-ci décède (art. 52).

Concernant les mesures d’expulsion, elles peuvent être prononcées à l’encontre d’un étranger

considéré comme représentant une menace grave pour l’ordre public (art. 25), sauf pour certaines

personnes qui ne peuvent pas être expulsées, dont les femmes enceinte et les mineurs comme il vient

d’être spécifié plus haut.

Avec cette loi, le gouvernement marocain a créé une direction chargée de la migration et de la

surveillance des frontières au sein du Ministère de l’intérieur.

19

Si l’on se penche sur le cas d’autres pays, on voit que la Tunisie également s’est dotée en 2004

d’un arsenal juridique plus sévère en matière de contrôle des migrations27.

Ces nouvelles lois peuvent suggérer que le Maroc et la Tunisie cèdent à la pression de l’Union

européenne pour jouer le rôle du « gendarme » de l’Europe. Bien que ces lois fassent référence à des

conventions internationales pertinentes, les droits des migrants et des réfugiés sont souvent ignorés en

pratique.

Pour ce qui est des Conventions Internationales justement, le Maroc a ratifié dès 1993 la

Convention internationale des Nations Unies sur la protection des droits de tous les travailleurs

migrants et des membres de leur famille de 1990.

Elle étend aux travailleurs migrants qui entrent ou résident clandestinement dans le pays

d’accueil, ainsi qu’aux membres de leur famille, les droits auparavant réservés aux travailleurs

migrants réguliers. Elle défend aussi l’égalité de traitement entre nationaux et étrangers.

La partie V de cette convention contient huit articles qui font état de la nécessité de mettre en

place une consultation internationale, intergouvernementale et une coopération sur la gestion de la

migration internationale. De plus, son article 22 stipule que l’expulsion ne doit jamais être collective,

qu’elle doit être dûment motivée et examinée sur une base individuelle. Selon la même disposition,

l’étranger a également le droit de faire valoir ses raisons contre cette mesure, de faire examiner son cas

par une autorité compétente et d’en demander la suspension, sauf circonstances exceptionnelles liées à

« des raisons impératives de sécurité nationale ». Ce point est intéressant à mettre en parallèle avec les

refoulements collectifs opérés par les autorités marocaines ; de même, certaines organisations des

Nations Unies, ou encore l’OIM, et même des ONG développent des activités d’aide au retour

volontaire des migrants irréguliers ; or, il faudrait s’assurer, dans tous les cas, que ces retours soient

réellement volontaires…

La Convention de 1990 est entrée en vigueur seulement en juillet 2003 à cause d’un nombre

resté insuffisant de ratifications jusque-là. Les pays l’ayant ratifiée sont souvent des pays

d’« exportation de main d’œuvre ». Au Maghreb, les autres pays l’ayant ratifiée sont la Libye en 2004

et l’Algérie en 2005.

L’élément intéressant à noter est qu’aucun pays de l’Union européenne n’a ratifié cette

Convention. Comme le remarque bien Mme Khadija Elmadmad, chercheur spécialisée en Droit des

migrants et des réfugiés au Maroc, la non signature de cette convention par les pays européens met en

cause tout le problème de la protection internationale des travailleurs migrants.28

27 Loi organique n° 2004-6 adoptée le 3 février 2004, cf. annexe 4. 28 K. Elmadmad, « La place de la convention sur la protection des droits des travailleurs migrants marocains », in M. S. Musette, Les Maghrébins dans la migration internationale, Alger, CREAD, 2006, p. 65. Rencontrée à Rabat, elle dirigeait également la chaire Migration de l’UNESCO à Rabat.

20

En termes de Conventions internationales émanant du Bureau International du Travail, le

Maroc n’en a signées aucunes sur les migrations ; bien que concernant davantage la protection des

migrants réguliers, les dispositions qu’elles contiennent en matière de migration de travail sont très

positives.

L’Organisation Internationale du Travail (OIT) est à l’origine de plusieurs conventions et

recommandations spécifiquement destinées aux droits des travailleurs migrants ; parmi elles, deux

conventions encore en vigueur aujourd’hui sont importantes. La convention 97 de 1949 sur les

travailleurs migrants, qui contient des droits pour les travailleurs migrants réguliers, tels que le droit

d’être informés, l’égalité de traitement avec les nationaux – principe de non discrimination sur la base

de la nationalité –, la protection contre l’expulsion.

Au Maghreb, seule l’Algérie l’a ratifiée en 1962, essentiellement dans l’optique de protéger

ses propres émigrés à l’étranger.

L’autre convention est la convention 143 de 1975 sur les travailleurs migrants (dispositions

complémentaires) : ratifiée par aucun des pays maghrébins. La C 143 vise en particulier la lutte contre

le travail clandestin et renforce les droits des travailleurs réguliers. L’article 3 – a) précise que « tout

membre doit prendre toutes les mesures nécessaires et appropriées […] pour supprimer les

migrations clandestines et l’emploi illégal de migrants et, article 3 – b), à l’encontre des organisateurs

de mouvements illicites ou clandestins de migrants aux fins d’emploi, en provenance ou à destination

de son territoire, ou en transit par celui-ci, et à l’encontre de ceux qui emploient des travailleurs

ayant immigré dans des conditions illégales ».

Le BIT est également à l’origine du « Cadre multilatéral de l’OIT pour les migrations de main

d’œuvre – Principes et lignes directrices non contraignants pour une approche des migrations de main

d’œuvre fondée sur les droits » de 200629. Selon M. Juan Somavia, directeur général du BIT, la

commission mondiale sur la dimension sociale de la mondialisation établie par l’OIT avait entre autre

avancé que l’absence d’un « cadre multilatéral permettant de gérer les déplacements transfrontaliers

est la cause de nombreux problèmes, notamment l’exploitation des travailleurs migrants, l’essor des

migrations irrégulières et de la traite des êtres humains et la fuite des cerveaux des pays en

développement »30. Ce cadre est le fruit d’une réunion tripartite d’experts tenue à Genève du 31

octobre au 2 novembre 2005. Il a été validé par le Conseil d’Administration de l’OIT en mars 2006

(295e session). Il contient un recueil des pratiques optimales (annexe II) régulièrement mises à jour par

le BIT.

Les différents points abordés dans le document sont des indications non contraignantes pour

les Etats, le droit souverain des Etats à déterminer une politique migratoire propre étant toujours

respecté.

29 En anglais : ILO Multilateral Framework on Labour Migration – Non Binding principles and guidelines for a rights-based approach to labour migration, ou MLF. 30 Cadre Multilatéral de l’OIT pour les migrations de main d’œuvre, BIT Genève, 2006, p. 6 (préface).

21

Le principe 5 du Cadre multilatéral de l’OIT pour les migrations de main d’œuvre énonce

ceci : « Il convient d’examiner la possibilité de développer les moyens permettant des migrations de

main d’œuvre régulières, compte tenu des besoins du marché du travail et des tendances

démographiques »31.

L’une des positions de l’OIT est en effet d’affirmer que « Tous s’accordent à reconnaître que

c’est l’absence de politique d’ouverture à l’immigration régulière dans les pays à court de main

d’œuvre qui explique ces flux de migrations irrégulières »32.

Pour ce qui est des réfugiés, La Convention de Genève sur le statut des réfugiés de 1951 et son

Protocole de 1967 ont été ratifiés par le Maroc : théoriquement, est attribué le statut de réfugié à toute

personne qui, « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa

nationalité ou de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve

hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de

la protection de ce pays » (art. 1). En outre, l’article 33 de cette même Convention de Genève stipule

l’interdiction de refoulement d’un étranger vers un pays où sa vie ou sa liberté serait menacée, et

l’article 31-1 interdit la pénalisation de son entrée irrégulière dans un pays.

Mise à part la Libye – qui n’a pas ratifié la convention de 1951 et ne reconnaît donc pas le

statut de réfugié sur son territoire –, les pays maghrébins adhèrent aux principes de la Convention de

Genève. Le Maroc est également signataire de la Convention de l’OUA, régissant les aspects propres

des réfugiés en Afrique.

Or, la reconnaissance officielle du HCR par les autorités marocaines a pris du temps : c’est en

juillet 2007 que l’accord de siège a été accordé ; même si cela constitue une étape positive, la

reconnaissance des droits des réfugiés et demandeurs d’asile au Maroc est, comme nous l’avons

montré en première partie, loin d’être partagée.

Aussi, en matière d’arsenal juridique international qui concerne notre sujet, nous pouvons citer

la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée de 2000, accompagnée

de ses deux protocoles :

- prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants.

- trafic illicite de migrants par terre, air et mer.

Entrée en vigueur en 2004, ratifiée par la Tunisie, l’Algérie et la Libye, elle ne l’est toujours pas par le

Maroc.

Enfin, il existe un flou juridique très grand en ce qui concerne les sauvetages des naufragés en

mer. Pour cela, le HCR a organisé depuis 2002 trois réunions d’experts sur le thème du sauvetage et

31 Idem, p. 14. 32 Piyasiri Wickramasekara, op. cit., p. 8.

22

de l’interception en mer, notamment en collaboration avec l’Organisation Internationale Maritime,

chargée de veiller au respect de deux conventions importantes en la matière33.

Ainsi, on remarque que les instruments normatifs internationaux en matière de migration sont peu

encadrant / contraignant, et souvent ratifiés par un nombre restreint de pays. Les traités internationaux

ont peu d’impact, de manière générale, sur les migrations, et ce, quelque soient les pays.

En outre, l’absence d’harmonisation des législations nationales montre l’incapacité qu’ont les pays

à réellement appliquer ces conventions, qui sont, elles, du coup quelques peu désuètes dans un tel

paysage.

ii) « Background » sur le néant

Les Etats du Sud de l’Europe ont principalement répondu à la persistance de la migration

irrégulière en intensifiant les contrôles frontaliers. Outre la construction des grillages qui séparent

Ceuta et Melilla du Maroc, le gouvernement espagnol a aussi installé un system de radar d’alerte

rapide (SIVE - Système Intégral de Vigilance Externe) au niveau du détroit de Gibraltar. Puis, ce

système a été également déployé aux Iles Canaries.

Vis-à-vis du Maroc, les politiques européennes ont eu pour but d’externaliser le contrôle aux

frontières. Cela passe par la négociation d’accords de réadmissions – toujours en cours pour le Maroc,

en échange d’aide au développement, de supports financiers pour augmenter et perfectionner les

contrôles aux frontières. Par exemple, la Tunisie a signé avec l’Italie un accord de réadmission,

s’engageant ainsi à réadmettre les migrants entrés de façon irrégulière en Italie à partir de la Tunisie.

Des accords similaires ont été entrepris entre les pays européens du Sud et des pays d’Afrique

subsaharienne, comme le Sénégal. Et en octobre 2005, ce fut au tour du Maroc de conclure des

accords d’expulsion avec le Sénégal et le Mali.

Depuis 2003, l’Espagne et le Maroc, ainsi que l’Italie et la Libye collaborent en termes de

patrouilles pour surveiller les frontières côtières.

La seule politique européenne commune en matière de migrations pour l’instant est l’Agence

Frontex, mise en place pour contrôler les frontières de l’Union européenne. Ainsi par exemple, des

patrouilles coordonnées entre plusieurs pays comme l’Italie, la Grèce et Malte ont été mises en place

pour contrôler cette zone maritime. Mais, jusqu’à ce jour, l’Union européenne n’a pas de politique

commune en matière de migrations. En a-t-elle une d’ailleurs en matière de politique étrangère, c’est

difficile à dire… Malgré tout, l’Europe parvient, avec l’absence de politiques, à imposer l’une des

conséquences de cette absence, à savoir, la répression et l’extériorisation du problème.

33 Convention Internationale pour la Sauvegarde de la Vie Humaine en Mer (SOLAS, 1974) et Convention sur la recherche et le sauvetage maritime (SAR, 1979) ; amendements adoptés en mai 2004 et entrés en vigueur en juillet 2006. UNHCR, IMO, « A Guide to principles and practice as applied to migrants and refugees ».

23

Si l’on prend l’exemple de la Libye, on voit à quel point la pression européenne est grande : si

le Président libyen a émis la volonté d’améliorer ses relations avec l’ensemble de la communauté

internationale, il a, pour ce faire, accru sa collaboration avec l’Union européenne de façon très claire,

notamment en acceptant sur son territoire la présence de camps de détention pour des migrants

irréguliers, chose que le Maroc refuse pour l’instant.

En 2004, le premier ministre italien Berlusconi et le Président Khadafi concluaient un accord

pour lutter contre la migration irrégulière vers l’Italie. Depuis, la Libye aurait accepté de refouler des

migrants subsahariens non autorisés à travers le territoire libyen vers leur pays d’origine et de fermer

les frontières méridionales. Deux mois après cet accord Libyen-Italien, l’Union européenne, sous la

pression de l’Italie, acceptait de lever son embargo sur les armes mis en place dix-huit ans auparavant,

notamment pour que la Libye puisse importer des équipements militaires pour contrôler ses frontières.

Entre août 2003 et décembre 2004, le gouvernement italien aurait financé près de cinquante vols

charter vers la Libye, qui se chargeait de renvoyer quelques 5 600 personnes vers leurs pays d’origine

supposés, comme le Bangladesh, l’Egypte, l’Erythrée, le Ghana, le Mali, le Niger, le Nigeria, le

Pakistan, le Soudan et la Syrie.

Nous appellerons donc le « Néant » l’absence de politiques de gestion des flux migratoires ;

comme nous l’avons vu, sous la pression de l’Union européenne, sur laquelle nous reviendrons plus en

détail encore dans ses mécanismes et dans son impact, la plupart des pays du Nord de l’Afrique n’ont

répondu pour l’instant qu’à des objectifs liés à la répression et à la lutte pure et simple des migrations

irrégulières.

Rappelons ici que la position du Maroc est complexe dans la mesure où le pays a intérêt à ce

que les migrations de Marocains à l’étranger, et notamment en Europe toute proche, perdurent. En

effet, il faut rappeler que les transferts des émigrés marocains rapportent beaucoup en termes de

devises au pays34. Si la politique marocaine vise à défendre la condition de ses ressortissants à

l’étranger, et si pour cela le pays s’est enrichi d’institutions, d’associations reconnues, soutenues par le

Royaume35, cela ne concerne pas les migrations de Subsahariens au Maroc ; pour eux, il n’y a donc

rien.

En même temps, et il s’agit de l’une des grandes questions transversales de ce mémoire, peut-

on espérer, ou exiger du Maroc, en proie à ses propres difficultés d’ordre socio-économiques, et ayant

lui-même de nombreux jeunes Marocains près à émigrer de façon irrégulière, d’intégrer des migrants

subsahariens, qui, de surcroît, préfèreraient dans leur grande majorité gagner eux aussi l’Europe ?

34 Selon une étude menée par le BIT sur cette thématique, les transferts représentent pour les pays d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient trois à quatre fois l’équivalent de l’aide publique au développement selon les années et deux à quatre fois l’équivalent des IDE (Investissements Directs à l’Etranger). Source : « Summary Report on Migration and Development in Central Maghreb », International Migration Papers, Geneva, ILO, p. 15. 35 Citons par exemple la Fondation Hassan II, très active au Maroc.

24

Sur cette question, les avis sont d’ailleurs partagés ; certains, souvent militants, affirment que

faire du Maghreb un pays d’accueil c’est servir les intérêts de la politique sécuritaire de l’Europe, à

l’instar, par exemple, de M. Jemmah, Président de l’association des Amis et Familles des Victimes de

l’Immigration Clandestine (AFVIC).

Cette différenciation dans le traitement des migrations se ressent également fortement au

niveau des politiques européennes ; ainsi, en ce domaine, la Délégation de la Commission européenne

au Maroc a mis sur pied deux programmes de coopération importants avec l’Etat marocain36. D’une

part, il s’agit, avec le Ministère de l’Intérieur, d’un appui budgétaire pour le contrôle des frontières,

s’élevant à 67 millions d’Euros. D’autre part, avec l’ANAPEC – Agence Nationale de Promotion de

l’Emploi et des Compétences, l’équivalente marocaine de l’ANPE française –, il s’agit du

« Programme d’Appui Institutionnel à la Circulation des Personnes (PAICP), financé dans le cadre de

Meda II.

Ce projet, débuté en décembre 2005, vise l’organisation de départs réguliers de Marocains en

Europe. Les trois objectifs du projet sont d’une part de renforcer les structures chargées de l’emploi à

l’international, de développer le rôle d’intermédiation internationale de l’ANAPEC dans le marché de

l’emploi européen, et de préparer les candidats à l’émigration et adapter leurs compétences aux

exigences de l’Union européenne. De sorte que, au final, on s’aperçoit que la volonté de l’Union

européenne est que le Maroc prenne en charge tout seul ces migrants subsahariens sans donc offrir à

ces migrants de transit au Maroc des possibilités d’émigration légale vers l’Europe.

Ainsi, on voit bien que les cadres normatifs existants ou encore les politiques pour l’instant

élaborées en matière de migrations au Maroc ou avec le Maroc, sont non seulement orientées

uniquement vers les Marocains ou vers la lutte contre les migrations irrégulières, mais en plus, sont

finalement très restreintes d’un point de vue de leur impact malgré les financements colossaux qu’elles

exigent.

Seulement, depuis quelques années, des initiatives, qui ne remontent pas plus tard qu’à l’année

2006 en particulier, ont été prises au Maroc, et une certaine prise de conscience d’une nécessaire

réponse à apporter aux problèmes générés par ces migrations de transit est donc en train de prendre

place chez divers acteurs.

36 Informations recueillies lors d’un entretien à la DCE avec le chargé de programmes de la DCE – Justice, Migration, Droits Humains – le 26/09/07 à Rabat.

25

II- Les tentatives de solutions apportées

Lorsqu’on lit, en 2007, le très bon article d’Abdelkrim Belguendouz intitulé « Expansion et

sous-traitance des logiques d’enfermement de l’UE. L’exemple du Maroc »37, écrit en 2005, on peut

quand même voir que des évolutions sont apparues au Maroc, et des initiatives ont ou sont en train de

voir le jour qui, même si elles sont loin d’être porteuses de solutions définitives, sont au moins là, et

ce, à plusieurs niveaux. Les choses seraient-elles réellement en train de changer ?

Le Maroc est, comme nous venons de le voir, en quelque sorte pris en étau ; mais ce constat,

auquel beaucoup d’acteurs se bornent, ne suffit pas ; nous allons tenter de voir, dans cette situation,

quels types de réponses sont apportées, et ce, par plusieurs acteurs concernés par les migrations au

Maroc.

A- Les volontés politiques

i) Au niveau international

Depuis peu, un consensus global est apparu sur la nécessité d’apporter des solutions durables en

matière de gestion des migrations.

Un Dialogue de Haut Niveau sur les migrations et le développement eut lieu en septembre 2006 à

New York, dans le cadre de la 62ème session de l’Assemblée Générale des Nations Unies.

Ce dialogue, le premier du genre, marque l’aboutissement d’une longue coopération interétatique

menée dans le cadre de plusieurs initiatives mondiales : Commission Globale, Processus de Helsinki,

Groupe de Genève, Initiative de Berne, Agenda de l’Organisation Internationale des Migrations, et les

processus consultatifs régionaux tels que le dialogue 5+5. Le Maroc est d’ailleurs coordonnateur du

Groupe africain sur les questions migratoires à Genève et co-président du Groupe Ad hoc sur la

migration.

Pour la première fois dans son histoire, l’Organisation des Nations Unies organisait ainsi un

sommet sur les migrations, qui réunit plus de cent pays ; l’expérience fut plutôt positive et donc on

décida de créer, sur proposition de M. Kofi Annan, un « Global Forum on Migration and

Development » (GFMD). Ce forum eut lieu les 10 et 11 juillet 2007 à Bruxelles, et 800 délégations de

plus de 140 pays y participèrent.

A cette occasion, le nouveau secrétaire général des Nations Unies, M. Ban Ki-moon, appela à

l’action immédiate en direction des quelques 200 millions de migrants dans le monde, et caractérisa

les migrations comme « one of the great global challenges of our century ».

37 Abdelkrim Belguendouz, « Expansion et sous-traitance des logiques d’enfermement de l’UE. L’exemple du Maroc », in Cultures & Conflits, n° 57, 2005.

26

ii) Au niveau du SNU au Maroc : le Groupe Thématique Migrations

Dans le Système des Nations Unies, l’heure est à la mise en œuvre d’actions coordonnées entre les

différentes agences, sur des thématiques transversales. Pour ce faire, de plus en plus, les Systèmes des

Nations Unies dans les pays mettent donc en place ce qu’on appelle des Groupes thématiques ;

l’invective étant donc de se coordonner pour proposer des activités plus cohérentes.

Au Maroc, le SNU a ainsi formé des groupes thématiques sur la jeunesse, le genre, le sida, et, plus

récemment, en décembre 2006, sur les migrations. Mais ces initiatives pour accroître la cohérence des

activités des Agence des Nations Unies sont récentes, et, comme nous le détaillerons plus loin dans le

paragraphe consacré aux obstacles, ces nouvelles méthodes de travail exigent des efforts qui ne sont

pas toujours fournis.

Les chefs d’agence des Nations Unies ont profité d’un contexte institutionnel favorable au

traitement de la question migratoire dans la région du Maghreb pour constituer en décembre 2006 ce

Groupe Thématique Migrations (GTM) à Rabat. L’équipe des chefs d’agence du SNU au Maroc – UN

Country Team–, lors d’une réunion en février 2007, a décidé de lui accorder une attention prioritaire.

L’objectif de la création de ce groupe est de placer cette question en haut des priorités des

Nations Unies et de tenter de formuler des réponses « multi-sectorielles » au « problème » des

migrations. En pratique, le support à une meilleure gestion des flux migratoires englobe plusieurs

domaines d’intervention comme par exemple : la mise en conformité du cadre législatif et

administratif aux normes internationales afin d’assurer le droit des migrants et réfugiés/demandeurs

d’asile, le renforcement des capacités institutionnelles nationales, ainsi que l’assistance pour subvenir

aux besoins des migrants et des réfugiés dans les domaines de la santé, de l’éducation, de la génération

de revenus et des services communautaires.

Sous la direction du Coordinateur Résident des Nations Unies au Maroc, le groupe est

actuellement présidé par le HCR. Les autres agences onusiennes associées sont le PNUD, l’ONUDI,

ONUSIDA, UNICEF, UNIFEM, FNUAP, FAO, UNESCO, CEA, BIT, UNHABITAT et le

programme GOLD (Gouvernance Locale pour le Développement) – il s’agit de promouvoir la

démocratie participative dans le cadre du développement économique et humain –. De même que

l’OIM.

Selon les promoteurs de ce Groupe thématique, la valeur ajoutée d’une telle collaboration

entre les Agences du SNU et les autres organisations concernées se mesurera non seulement par la

qualité des réponses apportées et la possibilité de financement accrue, mais aussi par le rôle que le GT

en tant qu’instance commune pourra éventuellement mener auprès des autorités marocaines.

L’objectif principal de ce groupe thématique est de soutenir les autorités marocaines à la mise en

œuvre d’une meilleure gestion des flux migratoires, respectueuse des droits humains, en conformité

avec le Plan Cadre des Nations Unies pour la période 2007-2011.

27

iii) Au niveau national

Sans doute alertées par les événements peu glorieux de Ceuta et Melilla de l’automne 2005, les

autorités marocaines, qui jusque-là ne se préoccupaient que de leurs propres ressortissants à l’étranger,

ont dû réagir pour se pencher sur ces problématiques migrations de transit.

Cet impératif de réaction a été bien entendu également le fruit d’une incessante pression

européenne, sur laquelle nous nous sommes suffisamment étendus. Mais rappelons à titre d’exemple

qu’en juin 2002, lors du Conseil européen de Séville, plusieurs Etats européens et en particulier

l’Espagne avaient menacé de bloquer les aides financières aux pays de départ et de transit s’ils ne les

aidaient pas à lutter contre la venue de clandestins en Europe38.

Ainsi, après qu’eut lieu une Conférence inter-ministérielle euro-africaine à Rabat sur les

migrations en juillet 2006, les 26 et 27 juillet 2006, le gouvernement marocain organisa son Atelier

National sur la Migration. Cet événement est l’élément qui constitue le début d’un processus de

dialogue national sur cette thématique, avec comme objectif final la constitution d’une véritable

politique nationale migratoire pour le Maroc, qui dépasserait les seuls impératifs de répression de la

migration irrégulière.

Même si, depuis, les arrestations et les reconduites arbitraires de migrants subsahariens à la

frontière persistent, cette initiative marocaine marque un pas en avant, et c’est sur les

recommandations issues de cet Atelier national que le SNU au Maroc doit embrayer.

Cette possibilité de voir émerger une politique marocaine cohérente et intégrée sur la question des

migrations prises dans toute leur dimension est donc nouvelle, puisqu’elle date de juillet 2006, et elle

constitue, finalement, l’ouverture de toute action coordonnée des Nations Unies au Maroc en ce

domaine. Car, rappelons-le ici, le Système des Nations ne peut pas décider, ni imposer quoique ce soit

au gouvernement, et ce d’autant plus sur cette question des migrations qui reste, encore aujourd’hui,

un domaine sensible et réservé au gouvernement marocain, notamment au puissant Ministère de

l’Intérieur.

Mais l’une des questions qui reste à éclaircir, et à laquelle c’est l’avenir qui répondra, concerne la

concrétisation de ces recommandations. Cet Atelier national de juillet 2006, était-ce pour la forme ?

Car en effet, depuis 2006, rien n’a été fait. Et le groupe thématique migrations du SNU attend l’aval

des autorités pour pouvoir aller plus en avant dans ces initiatives.

A l’heure actuelle, le gouvernement marocain, en l’occurrence le Ministère des Affaires

Etrangères, a simplement pris connaissance de l’existence d’un Groupe Thématique Migrations et des

grandes lignes stratégiques proposées. Ce sera à lui de rendre une réponse durant le mois de novembre

sur l’intérêt que le gouvernement porte à cela et sur les points sur lesquels il accepterait de collaborer

avec les agences onusiennes pour formuler et mettre en œuvre une politique globale de gestion des

migrations au Maroc.

38 S. Boukhari, « La longue traque des migrants clandestins au Maroc », in Le Monde Diplomatique, mai 2007, pp. 16-17.

28

On voit qu’à l’échelle nationale, mais aussi dans une tendance plus large à l’international, que la

question de mieux gérer les migrations est désormais admise comme l’une des priorités pour les

années à venir.

Au-delà des volontés politiques affichées, et en tout cas sans lesquelles bien souvent rien n’est

possible, voyons quelles actions sont menées au Maroc pour cet objectif d’apporter une réponse à ce

problème des migrations de transit.

B- Les actions au Maroc

i) Par les acteurs de la société civile

Dans le paysage associatif marocain, très dynamique39, il y a les associations humanitaires,

d’assistance, d’une part, et les organisations de défense des droits humains d’autre part.

Dans cette partie, nous étudierons le cas de trois associations : AFVIC, la Fondation Orient

Occident, et MSF, les deux premières étant des associations marocaines.

Ces exemples, avec les entretiens réalisés, nous permettront d’analyser les stratégies des acteurs de

la société civiles, et de comprendre à quels problèmes ils doivent faire face au Maroc.

Pour ce qui est des grandes ONG internationales, mentionnons la présence de MSF, Caritas, MDM, du

CICR, du Croissant Rouge, de la Cimade, toutes s’occupant entre autres des questions migratoires.

En octobre 2004, la Cimade produisait un rapport intitulé « La situation alarmante des

migrants subsahariens en transit au Maroc et les conséquences des politiques de l’Union

européenne »40. Dans ce document, plusieurs recommandations étaient faites à l’égard des autorités

marocaines, de l’Union européenne, des Nations Unies au Maroc, et notamment du HCR.

Les ONG, qu’elles soient locales ou internationales, remplissent parfois ce rôle de

recommandations à émettre au gouvernement, ou aux organisations internationales présentes au

Maroc. Toutefois, il s’avère qu’elles sont soit peu écoutées, soit débordées par leur travail quotidien

d’assistance aux migrants en difficulté et n’ont pas forcément le temps de remplir ce rôle d’alarmer

justement les autorités sur des réalités.

En outre, les petites associations sont souvent très occupées à rechercher de nouveaux

financements. Par conséquent, elles s’alignent sur les appels à proposition des grands bailleurs,

prévoient pour ce faire des stratégies pour 2010, et oublient parfois de « penser » leur action du

quotidien, du moment présent41.

39 Surtout si l’on compare avec l’Algérie. 40 Sophie Wender, Gourougou, Bel Younes, Oujda. La situation alarmante des migrants subsahariens en transit au Maroc et les conséquences des politiques de l’Union Européenne, Paris, CIMADE, 2004, 50 p. (cf. www.cimade.org/downloads/rapportMaroc.pdf). 41 Ces éléments proviennent de discutions informelles avec des membres de diverses associations travaillant sur les migrations, rencontrées à Rabat et Casablanca tout au long de mon stage.

29

L’exemple de AFVIC42

AFVIC (Association des Amis et Familles de Victimes de l’Immigration Clandestine) est née

en 2001. Elle a été créée par un groupe d’amis ayant perdu des proches dans les traversées

clandestines par bateau vers l’Europe. Au départ, ils travaillaient surtout sur les migrations

marocaines ; leur objectif était de tenter de développer des « espaces de réalisation », c’est-à-dire

permettre aux individus marocains de se « réaliser » là où ils sont, car selon les fondateurs de

l’association, avant de défendre la liberté de circulation, il fallait défendre le droit de rester chez soi.

C’est à partir de 2003-2004 qu’ils se sont occupés aussi des migrants subsahariens. Puis ils ont

reçu la proposition du CISP43, une ONG italienne très active à Alger : AFVIC a été choisie pour être le

sous-traitant dans la mise en œuvre d’un projet élaboré par le CISP, financé par les fonds européens

AENEAS44. Ce projet s’appelle Réseau Afrique Migration (RAM)45. A l’heure actuelle, le RAM

regroupe une vingtaine d’associations. L’objectif affiché du RAM est le « Renforcement de

l’engagement opérationnel et de la collaboration régionale des acteurs de la société civile sur la gestion

des flux migratoires de transit dans le Maghreb ». Le réseau regroupe des associations d’Algérie, du

Bénin, du Cameroun, de Côte d’Ivoire, du Maroc, du Mali, du Niger, de la RDC et du Sénégal.

Avant cela, AFVIC a eu d’autres projets, parmi lesquels un projet de réinsertion

professionnelle de migrants marocains refoulés d’Italie : il s’agissait de leur faire bénéficier d’une

formation professionnelle de six mois avec une petite indemnité, et une aide psychologique. Ce projet

a été mené en partenariat avec COPI, une autre ONG italienne, basée à Tanger.

Dans le domaine des migrations, il faut souligner l’importante implantation d’ONG italiennes

qui mènent ce type de projets au Maroc, c'est-à-dire l’aide à la réinsertion de Marocains refoulés

d’Italie.

Pour ce qui est du projet RAM, il comprend trois grands volets : en premier lieu, il y a un volet

proximité qui est accompli par deux agents subsahariens. L’objectif est de fournir des services de

proximité aux migrants subsahariens qui sont dans le besoin. L’idée est que les gens concernés ne se

rendent pas au bureau de l’AFVIC pour demander de l’assistance, la crainte étant que les lieux où se

rendent les migrants subsahariens pour bénéficier des services de l’association soient arrêtés par la

police marocaine et refoulés. Cela ne ferait pas une superbe publicité pour l’association… Les services

de proximité concernent surtout les soins : l’association tente, auprès des responsables de centres

hospitaliers, d’obtenir la gratuité des soins pour les personnes qu’elles prennent en charge.

L’association privilégie aussi quand elle le peut l’entraide intra-communautaire des migrants 42 Entretien avec Colombe Cretin le 27/08/07 à Casablanca. 43 Comitato Internazionale per lo Sviluppo dei Populi – Comité International pour la Sauvegarde des Peuples 44 Financial and technical assistance to third countries in the field of migration and asylum, cf. annexe 7. 45 www.ram-network.org

30

subsahariens. Pour assurer d’autres services de proximité, l’association essaye de trouver des relais

dans le tissu associatif marocain local ; le rôle d’AFVIC est aussi d’informer les associations

marocaines existantes sur les migrations, son but étant de ne constituer qu’un intermédiaire entre les

migrants et les associations marocaines.

L’une des critiques de MSF faite à l’égard de ces associations qui fournissent de l’assistance

aux migrants subsahariens est leur absence d’expertise en matière médicale. Une certaine collaboration

serait désirée de la part de ces associations, mais elle reste difficile en la matière. Nous reviendrons sur

ce point dans la partie relative aux obstacles.

. Le deuxième volet des activités d’AFVIC est le volet sensibilisation. Au Maroc, le défi en la

matière est immense tant la méfiance voire la xénophobie à l’égard des Subsahariens est grande. En

partenariat avec l’Institut Panemo, AFVIC travaille avec les media, en proposant de petites formations

de journalistes. Un projet similaire avait été réalisé par CISP en Algérie, qui avait débuté par recenser

les mots négatifs présents dans la presse algérienne46. La sensibilisation passe aussi par la culture :

AFVIC va diffuser un film réalisé à Alger par le CISP, et ils organisent aussi des concours

d’expression libre (dessins, poèmes) dans quelques écoles de Casablanca.

Le troisième volet est le volet recherche. Il s’agit de réaliser une étude sur le profil des

migrants subsahariens au Maroc, comme ça l’a déjà été fait en Algérie par le CISP.

Ainsi, les activités de AFVIC visent l’assistance aux migrants irréguliers les plus vulnérables,

mais également à sensibiliser et éveiller la société marocaine à ce multiculturalisme. En tant

qu’exécutant d’un projet conçu par CISP pour la ligne de fonds AENEAS, il faut reconnaître que la

marge de manœuvre de la petite association marocaine, même si bien dotée financièrement, reste

réduite. Nous reviendrons sur ce point particulièrement important dans le paragraphe consacré aux

obstacles à la résolution du « problème » des migrations de transit au Maroc.

L’exemple de la Fondation Orient Occident47

La Fondation Orient Occident est une association de droit marocain à but non lucratif et

reconnue d’utilité publique, créée en 1994. En 1999, la première pierre du centre de Yacoub el

Mansour était posée, et le premier centre de la Fondation fut ainsi ouvert, en 2001, dans un quartier

populaire de Rabat.

Au départ, il s’agissait essentiellement d’y développer des activités culturelles, à destination des

jeunes marocains défavorisés, ce que l’association continue de faire.

La question des migrations est apparue pour la FOO en 2005 : un événement y a été organisé :

la « semaine méditerranéenne », financé par l’Union européenne, avec la participation de migrants

46 Mohamed Mehdi, « Entre harraga et migrants clandestins », in Le Quotidien d'Oran, 25 avril 2007. 47 Entretien avec Rachid Badouli, directeur de la coordination des centres de la Fondation Orient Occident, le 20/09/07 à Rabat.

31

subsahariens. En 2006, c’est la question des flux de réfugiés qui est apparue. Contactée par le HCR, la

FOO a convenu de travailler avec lui. Le partenariat concerne l’offre de formations professionnelles

pour les réfugiés. Avant cela, il y avait déjà eu un projet avec le PNUD (formation professionnelle,

centre d’appel, cours de langue, etc.). Le projet qui suit se focalise plus sur les réfugiés subsahariens

parce qu’il est financé par le HCR, mais aujourd’hui, Rachid Badouli souhaiterait s’ouvrir de nouveau

aux migrants en général.

Aujourd’hui, le directeur du centre de Yacoub el Mansour explique vouloir s’émanciper des

subventions du gouvernement marocain qui représentent près de 30 % de son budget, et donc profiter

davantage des fonds internationaux, en l’occurrence avec l’Union européenne et à travers des

partenariats avec des agences onusiennes.

Un projet en cours d’élaboration de la FOO consisterait en la mise sur pied de centres

d’accueil pour migrants et réfugiés. La FOO disposant de cinq centres au Maroc – Oujda, Larache,

Casablanca, Rabat, Safi –, le principe consiste à y aménager des espaces d’accueil ; plusieurs

possibilités seraient ainsi offertes aux migrants et réfugiés, comme de l’assistance juridique, des

formations, des orientations professionnelles, des soins, de l’écoute, etc.

L’exemple de MSF48

Au Maroc, MSF travaille avec les migrants depuis le début de l’année 2003, à travers des

programmes purement médico-humanitaires destinés à améliorer les conditions de vie des immigrés

d’origine subsaharienne en situation d’extrême précarité. Au début, les autorités empêchaient l’accès

des équipes MSF aux « camps » informels de migrants dans les forêts de Bel Younes et Gourougou,

ou près de Oujda. Avant de travailler sur les migrations, MSF était déjà présente au Maroc dès 1999,

avec des programmes de prévention contre le VIH Sida ou la mortalité infantile. La stratégie de MSF

fut d’assister les migrants avec ou sans l’autorisation des autorités marocaines. De cette manière,

l’ONG a pu gagner la confiance des migrants.

Ainsi, et avec le soutien des autorités sanitaires marocaines, MSF contribue à améliorer l’accès

aux soins et aux services sanitaires des immigrés subsahariens ayant des problèmes de santé. Au

début, leurs interventions étaient concentrées dans la région Nord du pays, dans les zones de Tanger,

Nador et Oujda. Mais, car la plupart des migrants subsahariens ont quitté les forêts de Bel Younes et

de Gourougou à partir de 2006 pour s’installer dans les quartiers populaires de grandes villes comme

Rabat ou Casablanca, MSF y a ainsi renforcé ses capacités. C’est ainsi que MSF vient de démarrer un

nouveau projet couvrant les zones urbaines pour 2007 et 2008.

Ces trois exemples nous permettent d’affirmer qu’en termes d’actions auprès des migrants de

transit au Maroc, il s’agit majoritairement, à l’heure actuelle, d’actions d’assistance aux migrants en

difficulté, ou bien de sensibilisation. Les activités de lobbying restent encore au Maroc relativement 48 Entretien avec Javier Gabaldon, responsable de MSF au Maroc, le 12/09/07 à Rabat.

32

discrètes. Certes, certaines associations marocaines vont quelque peu au-delà de la simple assistance

d’urgence, en proposant aux migrants et aux réfugiés des formations professionnelles, tel que le fait la

Fondation Orient Occident par exemple.

A ce panel d’activités de types humanitaires pour les migrants en situation irrégulière, il faudrait

mentionner également des associations spécialisées en droit des migrants et des réfugiés, telle que

celle tout récemment créée par Mme Khadija Elmamad, « Droit et Migrations ».

Aussi, l’OMDH – Organisation Marocaine des Droits de l’Homme –, qui a une réelle influence au

Maroc car relativement liée aux autorités du royaume, se consacre elle aussi aux droits des migrants et

des réfugiés ; le HCR vient d’ailleurs de signer avec l’OMDH un partenariat en vue de diffuser et de

former les acteurs marocains aux droits des réfugiés.

Voyons à présent les actions entreprises du côté des acteurs institutionnels.

ii) Le gouvernement marocain

Si actuellement rien n’est fait pour les migrants de transit par le gouvernement marocain, il

n’empêche que certains espoirs sont possibles pour l’avenir.

Un Atelier national sur la migration organisé par le gouvernement marocain eut lieu en juillet

2006 et avait pour but l’élaboration d’un plan d’action pour le renforcement de la politique nationale

migratoire.

Ce plan d’action comprend quatre domaines dans lesquels le Maroc entend prendre des

mesures ; le premier, relatif au lien entre migration et développement, contient comme objectifs une

meilleure organisation des transferts de fonds, la facilitation des investissements de ces fonds dans des

projets de développement locaux, régionaux, l’incitation des Marocains à l’Etranger à investir dans

leur pays. En outre, il s’agit également de renforcer l’attractivité du pays pour inciter le retour des

compétences marocaines à l’étranger. Le FINCOME (Forum International des Compétences

Marocaines à l’Etranger), dont le protocole de sa mise en œuvre a été signé le 7 juillet 2006, pourrait

jouer, à travers l’action de ses partenaires opérationnels – Ministère chargé de la Communauté

Marocaine Résidant à l’Etranger, la Confédération Générale des Entreprises du Maroc, l’ANAPEC,

l’Association Marocaine Recherche-Développement – un rôle de catalyseur et gagnerait à être promu.

Le deuxième domaine mentionné dans le plan d’action national concerne les migrations

irrégulières et la gestion des flux migratoires. Entre autre, il s’agit de lutter contre les départs

irréguliers, en promouvant des activités de développement local dans les régions à fort taux de départs.

Encourager les migrations temporaires fait également partie d’une des solutions envisagées par le

gouvernement marocain pour lutter contre les départs irréguliers.

Le Maroc envisage aussi dans son plan d’action de traiter la question migratoire comme une

question transversale des politiques publiques. Au-delà des politiques actuelles de coordination, une

33

mise en convergence est nécessaire entre les politiques sectorielles, de même qu’une gestion régionale

solidaire des flux migratoires facilitée est mentionnée.

Le troisième volet concerne l’intégration des migrants dans les sociétés d’accueil ; promouvoir

la diversité culturelle, respecter les droits fondamentaux des migrants, inciter les pays d’accueil à

ratifier la convention internationale des travailleurs migrants et des membres de leur famille de l’ONU

(2000) et les conventions de l’OIT n° 97 et 143.

Egalement, promouvoir les politiques d’intégration et de lutte contre toutes les

discriminations.

Enfin, est prévu dans le plan d’action de procéder à la mise en œuvre d’un observatoire

national sur la migration et la création d’antennes régionales afin d’aider à la collecte systématique des

données, au suivi de l’évolution du phénomène migratoire et à l’élaboration des programmes et

stratégies appropriés.

Ce plan d’action constitue une avancée dans la mesure où il implique l’élaboration au niveau

national d’une véritable politique migratoire, qui ne se résume pas qu’à la dimension exigée de

l’Union européenne, à savoir la lutte contre les départs irréguliers.

Le problème reste sa mise en application qui, un an après, n’a toujours pas commencée. L’un

des autres objectifs de cet Atelier national, outre l’élaboration de ce plan d’action, était de constituer

un « comité de suivi », théoriquement chargé de la mise en œuvre des recommandations et du plan

d’action de l’atelier.

Le FNUAP, représentant le SNU au sein de ce comité de suivi, précise que les réunions dudit

comité sont espacées, et donc qu’il n’y a pas de grande dynamique pour l’instant. Mais le Maroc a

connu un changement de gouvernement suite aux élections parlementaires de septembre 2007. Les

changements ont pu retarder encore davantage les initiatives prises en fin de législature.

iii) Les Nations Unies

Certaines agences des Nations Unies ont des activités qui concernent les migrations,

notamment l’UNESCO, le FNUAP, le PNUD, le HCR, le BIT, l’UNECA (ou CEA), ainsi que l’OIM.

Nous allons dans un premier temps développer brièvement les actions qu’elles mènent chacune de leur

côté – en nous concentrant sur le HCR et le BIT, les deux agences onusiennes fréquentées durant mon

stage –, puis nous exposerons les stratégies d’action conjointe dans le cadre du Groupe thématique

Migrations.

L’OIM développe des activités dont le but est de renforcer les capacités institutionnelles

marocaines dans le domaine des migrations. La « spécialité » de l’OIM est constituée de programmes

d’accompagnement au retour volontaire et de réintégration dans les pays d’origine des migrants.

34

L’OIM agit également dans le renforcement des liens entre les diasporas et le développement local,

ainsi, que, plus généralement dans le développement d’un dialogue régional sur les migrations.

L’UNESCO a surtout comme spécialité la recherche, et donc le développement des

connaissances en matière de migrations.

La CEA développe une stratégie en matière de migration à l’échelle régionale, en organisant

notamment des ateliers régionaux en la matière. En mars 2007, la CEA a ainsi conçu un plan d’action

pour renforcer les aspects positifs de la migration internationale et limiter ses effets négatifs sur le

développement des pays d’Afrique du Nord, en se concentrant notamment sur les questions des

transferts des migrants et sur la question des compétences expatriées.

Le HCR, dans le cadre de son mandat qui se limite aux réfugiés et demandeurs d’asile au

Maroc, est, comme nous l’avons déjà signalé, très concerné par ces migrations subsahariennes

irrégulières. Même si la proportion des réfugiés et demandeurs d’asile dans les flux mixtes est

relativement faible, le HCR se doit d’améliorer la protection de ces personnes et garantir leurs droits

en vertu de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés, que le Maroc a d’ailleurs ratifiée.

Parmi ces droits, deux principes particulièrement importants sont souvent bafoués par les autorités, les

forces de sécurité : le principe de non pénalisation de l’entrée irrégulière de réfugiés ou demandeurs

d’asile, et le principe de non refoulement de ces personnes pendant l’examen de leur demande d’asile.

Pour tenter d’apporter une solution à ce problème lié à la gestion des migrations mixtes, le

HCR a adopté en janvier 2007 un Plan d’Action en 10 points sur « La protection des Réfugiés et les

Mouvements Migratoires Mixtes ». Dans ce cadre, le HCR propose notamment l’élaboration d’un

système d’accès différencié au territoire, permettant d’identifier dès leur arrivée les nouveaux venus et

les orienter vers les institutions ou organismes appropriés selon leurs profils (« Profiling and Referral

system ») ; de sorte que les personnes identifiées comme réfugiés et demandeurs d’asile puissent

bénéficier des protections prévues par la Convention de Genève, pendant que les autres migrants sont

orientés vers d’autres procédures : vers l’OIM pour le retour volontaire dans le pays d’origine, vers

des organismes pour une prise en charge des victimes de traite ou de trafic, une orientation vers des

associations capables d’apporter des soins médicaux aux personnes en ayant besoin, une prise en

charge des mineurs non accompagnés, des femmes victimes de violence, une orientation pour les

travailleurs migrants, etc.

Ce système d’accès différencié au territoire marocain serait, selon le HCR l’une des solutions

pour empêcher le refoulement de réfugiés ou demandeurs d’asile au même titre que les migrants

irréguliers.

C’est pourquoi le HCR souhaite financer une recherche dont l’objet sera l’étude de faisabilité

d’un système d’accès différencié au territoire selon les profils des migrants pour une meilleure gestion

des migrations mixtes au Maroc. L’étude de faisabilité devra notamment prendre en compte la

situation particulière du Maroc : le profil des migrants et des demandeurs d’asile arrivant au Maroc, les

dispositifs juridiques existants, les capacités socio-économiques des autorités marocaines

35

réceptionnant ces migrants, les organisations non gouvernementales locales pouvant participer à

l’élaboration d’un tel système d’accès différencié au territoire marocain, etc.

Il s’agira également d’évaluer l’impact d’un tel système sur la protection des réfugiés et

demandeurs d’asile. Elle vise également à améliorer les dispositifs juridiques existants en matière de

sauvetage et d’arrestation de personnes en mer. Cette étude est censée permettre de dégager des

recommandations applicables pour améliorer la protection des réfugiés et demandeurs d’asile au

Maroc dans ces flux migratoires mixtes qui caractérisent les migrations de transit au Maroc.

Cette solution, quoique l’on en dise, pourrait peut-être avoir le mérite de rompre l’amalgame

souvent fait de l’asile avec la clandestinité, qui fait partie de cette criminalisation de la question

migratoire.

Le HCR a obtenu son accord de siège par les autorités marocaines en juillet 2007, ce qui est

très récent. Par conséquent, la position du HCR au Maroc est encore assez fragile ; il a donc tout à

mettre en place, et avant toute chose, établir une relation de confiance avec les autorités marocaines.

Du côté du gouvernement marocain, il est craint que le bureau du HCR au Maroc, qui accorde des

statuts aux réfugiés et les droits qui vont avec, crée un appel d’air et attire vers le Maroc d’autres

migrants subsahariens. De sorte que, par exemple, le HCR se doit de ne pas dépasser certains taux de

reconnaissance du statut de réfugié – environ 20 % –, pour pouvoir justifier au gouvernement

marocain qu’il ne va pas participer à l’amplification des migrations de Subsahariens au Maroc.

En outre, le HCR en est à la phase de proposer et d’élaborer avec le gouvernement une loi en

matière d’asile, afin que les procédures de reconnaissance du statut de réfugié puissent être prises en

charge au niveau national.

Les défis du HCR au Maroc sont donc grands49. En matière de promotion des droits des

réfugiés également, le chantier est vaste. Dans cette phase cruciale, délicate, la stratégie adoptée par le

représentant du HCR est la prudence. Il ne faudrait pas se mettre à dos les autorités marocaines. En

partenariat avec l’OMDH, il vise ainsi à améliorer la protection juridique des réfugiés et demandeurs

d’asile au Maroc, ainsi qu’à développer des activités de sensibilisation au droit d’asile, auprès des

magistrats marocains et dans les universités, ainsi qu’à destination des forces chargées de la sécurité

des frontières.

Une question qui reste sans réponse claire est de savoir si l’ouverture d’un bureau du HCR au

Maroc a été soutenue par l’UE, qui, en plus de vouloir externaliser sa politique de lutte contre les

migrations irrégulières au Maroc, souhaiterait également externaliser sa politique en matière

d’asile50…

49 Même si le nombre de réfugiés et de demandeurs d’asile au Maroc n’est pas si élevé… 50 Dans le cadre du Programme de la Haye de 2004 de l’Union européenne, est prévu un soutien technique et financier pour la création avant 2010 de systèmes d’asile nationaux au Maghreb.

36

Le BIT se préoccupe lui, davantage des migrations régulières. Il faut préciser que le siège pour

les trois pays du Maghreb se situe à Alger. Ce n’est que depuis juillet 2007 qu’une administratrice des

programmes a été nommée à Rabat, pour représenter le BIT au Maroc.

Entre 2004 et 2006, un vaste projet a été entrepris par l’organisation dans le domaine des

migrations, s’intitulant « Migration de Main d’œuvre pour l’Intégration et le Développement en

Afrique »51. Financé par la Commission Européenne, ce projet a été l’initiative du bureau « Migrant »

à Genève. Au départ, il ne devait concerner que l’Afrique subsaharienne, puis il a finalement été

étendu aux pays du Maghreb.

La première phase du projet a consisté en la réalisation de trois vastes études dans les trois pays du

Maghreb, le Maroc, l’Algérie et la Tunisie. L’une sur les statistiques en matière de migrations52, une

autre sur les cadres légaux des migrations53, et une troisième sur le thème migration et

développement54.

La deuxième phase de ce vaste projet a pour but de renforcer les capacités des trois pays du

Maghreb et en Egypte dans la gestion des migrations de travail. Les objectifs de cette deuxième phase

de projet sont les suivants :

- Développer les activités de recherche en multipliant le nombre de séminaires et d’ateliers

tripartites nationaux, régionaux et inter-régionaux.

- Améliorer la récolte de données statistiques sur le phénomène migratoire

- Accentuer la coopération/assistance technique comme moyen de renforcer les capacités des

nationaux à bien gérer les migrations.

- Promouvoir des cadres standards de politiques au Maghreb pour faire des migrations de main

d’œuvre un instrument de développement.

Par ailleurs, il faut noter que le BIT a été à l’initiative en avril 2006, d’un séminaire sous-régional

tripartite sur les mouvements migratoires entre l’Afrique subsaharienne, le Maghreb et l’Europe, à

Rabat.

Les participants étaient des membres des ministères du travail, des affaires étrangères,

d’organisations syndicales et d’employeurs de huit pays du Maghreb et d’Afrique de l’Ouest,

d’organisations internationales, de la Commission européenne, d’ONG, ou encore des chercheurs.

L’organisation de ce séminaire à Rabat en 2006 était dans le prolongement d’autres séminaires

similaires tenus à Alger (avril 2005), Tunis (septembre 2005), Dakar (juillet 2005) ou encore Bruxelles

(avril 2006).

51 Cf. http://migration-africa.itcilo.org 52 « Les Systèmes d’Informations Statistiques sur les Travailleurs Migrants au Maghreb Central », Cahier des Migrations Internationales, PMI, Genève, BIT, 2006, 80 p. 53 M. S. Musette (dir.), « Rapport sur les législations relatives à la migration internationale au Maghreb Central », Projet Migrant – Maghreb, Alger, nov. 2005, 50 p. 54 « Summary Report on Migration and Development in Central Maghreb », International Migration Papers, Geneva, ILO, 2006, 62 p.

37

L’objectif de celui de Rabat était de « développer les outils permettant de mieux appréhender

les phénomènes migratoires et d’analyser les tendances en vue de l’identification des mesures et

activités adéquates pour préparer une politique de migration régionale concertée ».

Lors de ce séminaire, M. Baâllal, alors directeur de la coopération au Ministère marocain de

l’emploi et de la formation professionnelle, a insisté sur le fait que « la question de la migration doit

faire l’objet d’une stratégie globale et exhaustive, qui prenne en compte aussi bien la protection des

travailleurs migrants, que la nécessité de dépasser les considérations strictement sécuritaires, et celle

d’ouvrir les voies d’une migration légale ».

En guise de présentation lors de la session d’ouverture, Mme Pasquetti, représentant la

Commission européenne – Direction Générale, Justice et Liberté – a fait part de l’effort de l’Union

européenne pour tenter de « développer une politique globale et exhaustive centrée sur la migration

légale, et la lutte contre la migration irrégulière ». Elle a ensuite indiqué qu’ « essayant de sortir

d’une logique strictement sécuritaire, l’Union européenne se soucie désormais davantage de sa

politique d’intégration des migrants dans son espace, ainsi que de l’aide au développement des pays

émetteurs ». Elle a enfin réitéré le désir de l’Union européenne de financer toute forme de dialogue

inter-régional sur la migration, comme lors de la Conférence interministérielle euro-africaine qui eut

lieu à Rabat en juillet 2006.

Quant à M. Niang, de la Confédération générale des travailleurs de Mauritanie (CGTM), il a

déclaré que « le projet « Migration de main d’œuvre pour le développement et l’intégration en

Afrique » avait permis de renforcer les capacités des différents acteurs impliqués dans la question de

la migration, et d’élaborer des feuilles de route assez pertinentes ». Et, conclut-il, « tout l’enjeu

désormais consiste à les mettre en œuvre ».

La principale conclusion de ce séminaire a sans doute été d’envisager désormais une gestion

des migrations au niveau régional. Mais concrètement… ?

Le Groupe Thématique Migrations (GTM) du SNU au Maroc

Le GTM, né fin décembre 2006, a pour fonction de définir les priorités et planifier les axes

d’action en matière de migration pour la période 2007-2011, à l’intérieur d’un « Cadre stratégique

commun », et en accord avec la programmation stratégique du SNU au Maroc (UNDAF). Ce cadre

stratégique ne se limite pas à identifier des actions de terrain conjointes ou complémentaires, il

englobe aussi un volet politique, visant à soutenir les autorités marocaines à développer une gestion

des mouvements migratoires respectueuse des droits humains.

Le GTM est ainsi chargé de promouvoir le développement d’interventions jugées prioritaires en

élaborant des propositions de projets conjoints pour les bailleurs de fonds (notamment dans l’optique

38

d’un financement espagnol, le MDG Achievement Fund55) et en facilitant la mise en œuvre et le suivi

de tels projets ».

Chaque agence participante a nommé un point focal qualifié chargé de représenter son Agence

durant les réunions du GT. Le plan de travail et le cadre stratégique commun élaborés par le GT

doivent être validés par le UN Country Team (les chefs d’agence).

Le cadre stratégique a été élaboré à partir du mois d’août 2007 et validé le 5 septembre 2007.

L’intérêt de ce document est de définir les grandes stratégies du SNU au Maroc en matière de

migrations pour le Maroc, prises dans toutes leurs dimensions56. Il s’inspire en partie du plan d’action

adopté lors de la conférence ministérielle euro-africaine sur les migrations et le développement de

Rabat les 10 et 11 juillet 2006, ainsi que des recommandations élaborées par l’Atelier National sur la

Migration les 26 et 27 juillet 2006.

La stratégie envisagée par le Groupe Thématique Migrations est en priorité axée sur le respect

des droits fondamentaux des migrants et des réfugiés, ainsi que sur l’amélioration de leurs conditions

de vie. Une place centrale est également accordée à une meilleure organisation de la migration

régulière afin de prévenir les migrations irrégulières et les risques qui en découlent pour les Etats

concernés comme pour les migrants irréguliers eux-mêmes. Aussi, le lien entre migrations et

développement est censé être renforcé, d’une part pour optimiser les retombées positives des

migrations dans les pays d’origine et dans les pays d’accueil, et d’autre part, pour pouvoir envisager

des alternatives socio-économiques aux migrations.

Un plan d’action est tiré de ce document, répertoriant les opérations à mener par les

différentes agences du Système des Nations Unies au Maroc pour atteindre les objectifs fixés.

Cinq grands objectifs constituent la ligne stratégique développée par le Groupe Thématique

Migrations du Système des Nations Unies au Maroc :

- Le soutien aux autorités marocaines dans l’élaboration et la mise en œuvre d’une politique de gestion

des flux migratoires ;

- La promotion et le respect des droits des migrants, réfugiés, demandeurs d’asile, et l’amélioration de

leurs conditions de vie (dans les domaines de l’emploi ou de l’autosubsistance, de la santé, de

l’éducation et du logement) ;

- La contribution à une meilleure gestion de la migration régulière ;

- Le développement d’alternatives socio-économiques aux migrations ;

- La lutte contre les phénomènes de traite et de trafic des migrants.

55 Cf. annexe 6. 56 Dans le document, est précisé ceci : le terme « migrations » est entendu dans ses multiples dimensions : régulières, irrégulières, forcées, volontaires, involontaires ; vers le Maroc, à partir du Maroc et en transit.

39

Dans l’objectif n° 1 qui nous intéresse particulièrement ici, il a été prévu notamment de

renforcer les capacités nationales en termes de ressources et de formation du personnel pour la

formulation, la mise en place et le suivi de la politique migratoire marocaine ; de veiller à la cohérence

de la politique nationale en matière de migrations avec les autres politiques en vigueur au Maroc

(développement économique, commerce, politique de l’emploi, sécurité intérieure, droits humains,

etc.) ; de soutenir la mise en place de programmes de formation pour les parlementaires, les magistrats,

les forces de l’ordre (y compris la police des frontières) et les représentants des ONG en matière de

protection des droits des migrants et des réfugiés ; de soutenir le Comité de suivi créé lors de l’Atelier

national de 2006 ou d’autres cercles de réflexion et de consultation qui se chargent de l’élaboration

d’une politique nationale de migration, dans la mesure où ceux-ci fassent part au Groupe thématique

Migrations des domaines sur lesquels le SNU pourrait collaborer.

Dans cet objectif, est également prévu d’encourager une gestion régionale des flux

migratoires, et ce, à travers trois types d’actions : en appuyant les processus de consultation régionale

en matière de migrations – encourager la tenue de conférences et forum de discussions régionaux entre

les pays d’Afrique du Nord, ainsi qu’entre les pays d’origine, de transit et d’accueil – en développant

l’échange d’information sur les migrations – données statistiques, profils des migrants, base de

données régionale sur les compétences nord-africaines à l’étranger, politiques en vigueur dans les

différents pays, etc.– , et en encourageant la mise en place et l’échange de bonnes pratiques et de

politiques en matière de migrations et d’asile à l’échelle régionale.

Enfin, une troisième stratégie consiste à renforcer les liens entre la recherche et les acteurs

politiques et associatifs en matière de droits des réfugiés et des migrants.

L’autre objectif pouvant retenir une attention particulière ici est celui consacré à « une

meilleure gestion des migrations régulières ». Il s’agit en ce domaine de « mieux gérer les migrations

économiques et notamment de faciliter les migrations circulaires et temporaires entre le Maroc et les

pays de destination en tenant compte des besoins des marchés du travail ». Cela suppose notamment

de « plaider pour une application pleine et entière des accords existants entre pays en matière de main

d'œuvre et d'emploi », d’encourager les mesures facilitant la circulation des travailleurs dans le cadre

de programmes de migrations temporaires, en impliquant aussi bien les Etats que le secteur privé

(employeurs), et d’améliorer l'information sur les besoins et les conditions d’accès aux marchés du

travail dans les différents pays d’accueil des migrants, ainsi qu’au Maroc.

La meilleure gestion des migrations régulières comprend également un volet destiné à

optimiser les retombées positives des migrations pour le Maroc, et ce, à travers différentes

actions telles que le soutien des agences et des organisations d’émigrés qui s’impliquent dans le

développement du Maroc ; l’appui à l’Etat et aux institutions financières pour rendre les transferts de

fonds des migrants plus simples et moins coûteux ; l’optimisation de l’usage des fonds des migrants,

en favorisant les investissements qui sont bénéfiques au développement socio-économique du Maroc,

comme par exemple le financement de l’amélioration des services publics et les investissements vers

40

des secteurs productifs et générateurs d’emploi ; et enfin, en encourageant les transferts de

compétences des diasporas vers le Maroc, en termes de savoir-faire, d’innovation technologique,

d’idées.

Quant à l’objectif 4 qui retient également notre attention, dont le but est de développer des

« alternatives socio-économiques aux migrations », il comprend trois volets : d’une part un soutien aux

projets de développement socio-économique dans les régions à fort taux de départ – notamment à

travers l’appui aux projets pour des activités génératrices de revenus (AGR) –, d’autre part, un volet

destiné à sensibiliser les candidats à l’émigration aux risques liés à la migration irrégulière ; et enfin, le

volet consacré aux actions favorisant et accompagnant la réinsertion socio-économique des migrants

(subsahariens) retournant volontairement dans leur pays d’origine.

Fruit de grands compromis entre les différentes agences onusiennes, cette stratégie globale

pour la gestion des migrations au Maroc contient des innovations – notamment les migrations

circulaires régulières, mais également des formules déjà appliquées, notamment l’accompagnement au

retour volontaire dans les pays d’origine, ou les activités ayant pour but de « fixer les populations »,

pour freiner les départs.

Par ailleurs, non seulement les volontés des différentes agences ont dû être prises en compte,

mais il a également fallu inscrire des formules qui « plairaient » au gouvernement marocain, sans

l’aval duquel la mise en œuvre du plan d’action découlant de ce cadre stratégique serait impossible.

L’une de ces formules est notamment celle en faveur d’un encouragement des transferts de fonds des

migrants (supposés alors Marocains).

L’intérêt de ce cadre stratégique est qu’il prend compte, dans l’énoncé des objectifs, du fait

que le Maroc est un pays de départ, d’arrivée et de transit, et qu’il intègre cette complexité. Le fait de

ne pas toujours mentionner des formules du type « à destination des migrants marocains » ou au

contraire « à destination des migrants subsahariens » permettra peut-être, de voir naître une politique

nationale en matière de migrations qui intègre justement cette globalité.

Ce que certains n’ont pas hésité à reprocher à ce groupe thématique est le fait que les ONG

locales et les autres partenaires marocains n’aient pas été impliqués dans l’élaboration même du cadre

stratégique et du plan d’action. Le risque encouru est donc un rejet en bloc, auquel cas, il sera très

difficile de le mettre en œuvre, de convaincre le gouvernement marocain et donc, de parvenir à des

résultats.

Néanmoins, les migrations au Maroc – et c’est le cas dans la plupart des pays du monde, au

premier rang desquels nos pays européens –, restent, pour l’Etat, un sujet délicat. Cette particularité

des migrations est donc à prendre en considération, et c’est la raison pour laquelle il a été préféré

d’obtenir l’aval du gouvernement marocain avant de l’ouvrir aux acteurs de la société civile.

41

Après avoir présenté les actions ou les intentions d’action en matière de migrations chez

différents acteurs, au Maroc, nous allons nous pencher sur les obstacles qu’elles rencontrent et les

limites qu’elles contiennent.

C- Des obstacles, des limites

De manière générale, on peut affirmer qu’en matière de migrations, la marge de manœuvre est

réduite, et ce pour tous les acteurs étudiés. Dans le cas du Maroc, cela s’explique essentiellement pour

deux raisons.

En premier lieu, parce que l’Etat, en l’occurrence ici le royaume, comme partout ailleurs en ce

domaine, reste l’acteur clé dans la gestion des migrations. Cela s’applique y compris aux organisations

internationales, qui ne peuvent pas lui imposer de politique. Et sur la question des migrations, l’Etat

souhaite souvent garder une certaine exclusivité de décision.

i) La « main Europe »

En second lieu, parce que l’Union européenne, par les financements qu’elle octroie à travers le

programme Meda II par exemple, et les lignes de financement AENEAS, sans compter aussi la

coopération bilatérale, qu’elle soit espagnole, ou italienne, et dont profitent aussi bien les organisations

internationales que les ONG, ainsi que, indirectement, les associations locales, empêchent toute liberté

en termes de stratégie d’action, et toute originalité aussi.

De sorte que, les projets menés au Maroc, comportent souvent les même grandes lignes : aide

au retour volontaire des migrants dans leur pays d’origine, activités génératrices de revenus ciblées

dans les régions à fort taux de départ, sensibilisation aux risques liés à l’émigration irrégulière, etc.

A cet égard, l’exemple de AFVIC est assez illustratif. Un mémoire réalisé sur la dépendance et

l’instrumentalisation des ONG qui œuvrent dans le domaine des migrations via les fonds européens est

très intéressant. Ainsi, Nina Marx, qui a rédigé ce mémoire, explique comment les ONG deviennent de

véritables « relais institutionnels » de l’Union européenne. Pour cela, elle prend d’ailleurs l’exemple

de CISP. « Ceci traduit bien la tendance qui est en marche. Où les fonds sont-ils disponibles en ce

moment ? Sur les projets migratoires, du côté de l’Europe. La brèche est tellement large que les ONG

en recherche de financements courent le risque de s’y engouffrer »57.

L’Union européenne est donc extrêmement présente grâce aux financements qu’elle accorde

aux différents acteurs concernés par les migrations au Maroc.

57 Nina Marx, Europe-Mali : les ONG de développement, nouveaux acteurs de la question migratoire ? Positionnement des ONG face à la stratégie européenne “aide contre fermeture de l’espace Schengen”, Mémoire de recherche, Master Science Politique, spécialité Etudes Africaines, Université Paris I - Sorbonne, Paris, 2006, p. 65.

42

Dix-huit projets en cours sont actuellement financés par la ligne AENEAS pour le Maroc. Ce

programme est géré à et depuis Bruxelles. La délégation de la Commission européenne58 recueille les

appels à propositions de leur pays mais la décision d’allouer les subventions au projet se prend à

Bruxelles. Le programme qui succède à AENEAS vient d’être lancé ; il s’appelle « Asile et

Migration » et est sensiblement le même que AENEAS59.

L’une des conditions pour obtenir des fonds est d’être une ONG européenne. Les allocations

étant conséquentes, de petites associations locales ne pourraient les absorber directement. Or ce

mécanisme induit une deuxième étape, qui est que les ONG européennes, pour mettre en œuvre leurs

projets dans les pays concernés font appel à des associations locales, comme c’est le cas entre le CISP

et AFVIC, lesquelles appliquent des projets « déjà-faits », servant, au final les mêmes intérêts, ceux de

l’Union européenne.

De sorte que l’on peut légitimement se demander, à l’instar de Nina Marx dans son mémoire,

« dans quelle mesure les ONG de développement deviennent la « main gauche de l’Empire »

européen, selon le concept élaboré par Michel Agier60. Si la main droite est la main policière qui

ferme les frontières, la main gauche, celle qui soigne, n’est-elle pas celle qui prend en charge le volet

de l’aide au développement dans la thématique du contrôle de l’immigration ? »61.

ii) L’Europe qui bloque

Lors de l’entretien réalisé à la Délégation de la Commission européenne avec le chargé de

programme « Justice, Migration et Droits Humains » à Rabat, à la question d’une éventuelle libre-

circulation des travailleurs – et pas que des marchandises ou des capitaux – dans l’optique de la future

zone de libre-échange prévue dans les accords pour 2012, on m’a répondu ceci : « Le projet de l’entrée

du Maroc dans la zone de libre-échange de l’UE à l’horizon de 2012 exclut pour le moment la libre

circulation des personnes entre les deux espaces géographiques ; prenez l’exemple de l’Espagne ou

des pays de l’Est récemment entrés dans l’UE : pour l’Espagne, il a fallu attendre 7 ans pour obtenir

la libre circulation dans l’UE après son adhésion. Et puis pour le Maroc, il existe ce projet Meda II

PAICP : il s’agit d’appui à la circulation et non pas à la libre circulation »62.

Or si l’on suit l’argument de Abdelkrim Belguendouz, le projet d’Appui institutionnel à la

circulation « tel que formulé initialement, fait peu cas de l’existence de structures étatiques au Maroc

qui ont organisé l’émigration vers l’étranger depuis l’indépendance. Pour les auteurs de la

proposition, tout se passe comme si le ministère de l’Emploi n’existait pas avec ses structures

58 Entretien avec le chargé de programmes de la DCE – Justice, Migration, Droits Humains, le 26/09/07 à Rabat. 59 Après la ligne budgétaire B7-667 (2001-2003), AENEAS (2004-2006 : prévue au départ pour la période 2004-2008), ce nouveau programme leur succède et couvrira la période 2007-2013. Nouvelle approche notamment en termes de « routes migratoires ». 60 Cf. Michel Agier, La main gauche de l’Empire, Multitudes, hiver 2003. 61 Nina Marx, Ibid. p. 18. 62 Entretien avec le chargé de programmes de la DCE – Justice, Migration, Droits Humains, le 26/09/07 à Rabat.

43

centrales et régionales et que la gestion des recrutements et des départs vers l’étranger de manière

légale en application de plusieurs conventions de main-d’œuvre, n’avait jamais eu lieu63. Bien

entendu, l’organisation du ministère a évolué et conformément à la loi n°51/99 promulguée le 4 juin

2000 et portant création de l’Agence Nationale de Promotion de l’Emploi et des Compétences, les

attributions en matière d’émigration relèvent, depuis cette date, de cette institution qui dépend elle-

même du ministère de l’Emploi64. Ce n’est que plus tard, que le projet a tenu compte de l’existence de

cette structure. Dès lors, on peut se poser la question de la crédibilité et du degré de sérieux de la

démarche de Bruxelles concernant le Maroc, dans la mesure où la réalité institutionnelle marocaine

est pratiquement ignorée… ».65

Aussi, comme le note Josepha Laroche, « L’Europe est la seule région d’accueil au monde à

avoir suspendu ses flux migratoires de main-d’œuvre salariée depuis plus d’un quart de siècle (1974),

à tarder à reconnaître l’immigration comme partie prenante de son identité collective et à continuer

d’afficher la fermeture malgré ses perspectives de vieillissement démographique et de manque de

main d’œuvre »66.

Nous conclurons sur ce paragraphe consacré aux obstacles en citant de nouveau Abdelkrim

Belguendouz : « On constate ainsi que l’Europe cadenasse ses frontières, délègue le contrôle, exporte

et sous-traite la répression supposée dissuasive vis-à-vis des migrants. Ce faisant, on devient au

niveau des officiels du Nord moins regardant sur le non respect par le Sud des droits de l’Homme à

l’égard des migrants, puisque le service rendu arrange d’abord les autorités du continent européen

qui se voient débarrassées du travail besogneux et de bas étage et, surtout, protégées de la venue des

populations du sud indésirables »67.

Ce faisant, dans cette situation, les acteurs sont confrontés à un autre obstacle qui diminue de

façon conséquente les effets des réponses qu’ils tentent d’apporter au « problème » des migrations de

transit au Maroc.

63 Pour l’Europe, il s’agit de la signature par le Maroc de conventions de sélection et de recrutement de travailleurs avec les pays suivants : Allemagne (28 mai 1963), France (1er juin 1963), Belgique (17 février 1964), Pays-Bas (14 mai 1969). A cela, il faut ajouter l’accord administratif en date du 30 septembre 1999 entre l’Espagne et le Maroc, relatif aux travailleurs saisonniers marocains en Espagne. Mentionnons également les accords de main-d’œuvre signés par le Maroc avec la Libye (août 1965), Qatar (17 mai 1981), Emirats Arabes Unis (22 décembre 1981), l’Irak (25 mai 1982), Jordanie (20 avril 1983). 64 C’est dans ce cadre que s’inscrit l’affaire « Annajat » dans laquelle quatre vingt mille jeunes marocains, dont trente mille étaient destinés à travailler sur des bateaux de croisière, ont été floués, ayant fait l’objet d’une « arnaque » par la société émiratie, après paiement des frais médicaux de sélection. 65 Abdelkrim Belguendouz, « Expansion et sous-traitance des logiques d’enfermement de l’UE. L’exemple du Maroc », in Cultures & Conflits, n° 57, 2005, http://www.conflits.org/document1754.html. 66 Catherine Wihtol de Wenden, « La mondialisation des flux migratoires », sous la direction de Josepha Laroche, La mondialisation, table-ronde, Lille, sept. 2002, p. 6. 67 Abdelkrim Belguendouz, Ibid.

44

iii) Les « guerres » entre acteurs

Le deuxième obstacle à relever dans l’élaboration de solutions pour le « problème » des

migrations de transit est à rechercher du côté du paysage associatif marocain.

Selon le directeur de MSF au Maroc, ce qui caractérise l’environnement au Maroc est la

confusion totale, et le manque de coordination absolue. Il est vrai qu’un grand nombre d’associations

s’occupent désormais des migrations. La même impression de confusion totale se ressent également

chez les membres d’autres acteurs rencontrés. Au-delà d’un manque de coordination, il s’agit aussi

parfois de climat « litigieux » entre associations, qui n’hésitent pas parfois à mettre des bâtons dans les

roues d’autres associations.

Aussi, l’une des caractéristiques du milieu associatif marocain est la grande personnification

des organisations. Cet élément vient sans doute parfois accroître les difficultés d’entente entre

associations.

Parmi le manque de collaboration, on peut citer l’exemple de certaines grandes ONG

internationales qui, sous le prétexte de détenir une expertise en matière médicale, dénigrent tous les

autres acteurs et rechignent à partager leur expertise pour étendre l’accès aux soins médicaux de

personnes prises en charges ou recueillies dans l’urgence par d’autres associations. Ces relations

impliquent par conséquent un manque d’efficacité dont les premières victimes sont les migrants eux-

mêmes. Ainsi, à trop vouloir faire corps avec son association ou son institution, certains en oublient

les bénéficiaires.

Comme conséquence du manque de coordination, l’un des aspects les plus négatifs à relever

sont les doublons d’actions. Ainsi, par exemple, l’association AFVIC a mené, au Maroc, une vaste

étude sur le profil des migrants de transit, leur parcours, leurs motivations, etc. L’OIM et le FNUAP

sont eux sur le point de financer le même type d’étude. Le manque de communication étant déjà patent

au sein d’une organisation, il est gigantesque entre les différents acteurs.

Aussi, le manque de coordination est également aigu au sein du Système des Nations Unies. Si

l’heure, comme nous l’avons vu, est à l’élaboration d’actions conjointes, on s’aperçoit que le but est

encore loin d’être atteint. Les difficultés que rencontrent les différents groupes thématiques en

témoignent.

Cet aspect mériterait amplement la mobilisation d’outils d’analyse de la sociologie de la

décision ou de la sociologie des organisations pour être étudié en finesse. Paresses individuelles,

manque de volontés, obstacles organisationnels, les facteurs sont sûrement nombreux, et c’est bien

dommage.

45

Malgré ces marges de manœuvre limitées et ces obstacles, verra-t-on émerger une solution

pour les migrations de transit ? Si oui, sur quel cadre juridique faudrait-il se baser, et de quelles idées

élaborées actuellement s’inspirer ?

Dans cette dernière partie, nous allons tenter d’analyser d’un point de vue plus global les

réponses apportées, en montrant qu’en matière de migrations, une certaine universalisation des

réponses existe. Il s’agira aussi de réfléchir à la possibilité, ou non, de voir émerger une gouvernance

globale en matière de migrations, qui dépasserait les Etats. Et en dernier lieu, nous proposerons des

pistes encore trop peu explorées, pas encore « universalisée », mais qui pourraient régler de façon plus

directe, plus juste, les problèmes migratoires, aussi bien au Maroc que dans d’autres parties du monde.

46

III- Vers l’élaboration de quel cadre juridique ?

A- L’universalisation des réponses apportées

Ce qu’il serait bon de déplorer, concernant les migrations, c’est l’absence de propositions

nouvelles, y compris de la part des chercheurs ; davantage de liens entre les deux mondes permettrait

par exemple d’apporter de nouvelles solutions, plus neutres par rapports aux politiques des grands

bailleurs de fonds, qui desservent au final toujours l’intérêt d’un Etat, ou d’un groupe d’Etats.

Comme nous l’avons vu, un grand nombre de recherches sont entreprises pour connaître les profils

des migrants, leurs parcours, leurs motivations, leur nombre, leur provenance, etc.

Mais finalement, très peu de recherches portent sur la question du comment dépasser une gestion

sécuritaire et criminalisante des migrations, ou bien comment dépasser le cadre juridique pour l’instant

encore très étatique en matière de migrations, alors que le phénomène est, par nature, transnational.

A l’heure actuelle, comme nous avons pu le voir pour le cas du Maroc, deux grands types de

solutions prédominent en matière de migrations. Les deux buts sous-jacents de ces solutions sont :

d’une part, tenter de « fixer les populations » là où elles se trouvent ; d’autre part, tenter de les faire

retourner chez elles.

Pour la première de ces solutions, on voit resurgir la notion de développement accolée à celle

de migration : il s’agit de faire du développement local pour que les populations ne partent pas à cause

du mal-développement ; dans le cas du Maroc, l’idée est donc de tenter de « fixer les populations », et

en l’occurrence, les Marocains candidats à l’émigration. Comme nous avons pu le voir, en particulier

dans le cadre stratégique du SNU au Maroc, la formule des « Activités génératrices de revenus » est

mentionnée pour atteindre cet objectif de développement local.

La thématique du développement pour lutter contre les migrations irrégulières est à la bouche

de la plupart des acteurs : associations, ONG, Organisations Internationales, Gouvernements,

Commission européenne, etc. Pour exemple, la Conférence ministérielle Euro-Africaine sur la

Migration et le Développement les 10 et 11 juillet 2006 qui eut lieu à Rabat a encore consacré le co-

développement comme l’un des outils essentiels dans la lutte contre la migration irrégulière.

En deuxième lieu, il y a la formule des retours accompagnés au pays d’origine. C’est ce que

l’Italie fait par exemple pour les Marocains via des ONG. C’est aussi ce que commencent à faire

certaines ONG au Maroc ou l’OIM ainsi que le PNUD pour les Subsahariens présents au Maroc.

La notion de « co-développement », actuellement très prisée, date en fait des années 1970. Ce

qu’il faut noter, c’est que bien souvent, la mise en place de programmes de co-développement, dont

47

l’objectif est de développer les zones d’émigration, intervient comme contrepoint d’autres mesures du

type incitation au retour.

Finalement, si l’on analyse ces deux « solutions », on s’aperçoit que, l’idéal, finalement, serait

que les populations, prises dans leur ensemble, c'est-à-dire sans distinguer les personnes très qualifiées

de celles moins qualifiées, ne quittent leur pays.

Lors d’un entretien avec le responsable d’un centre de la Fondation Orient Occident, à la

question relative à l’alignement de ses activités sur les volontés de l’Union européenne, il avait

répondu : « pour moi, ce qui compte, c’est la dignité des personnes. Dans la situation actuelle, où

l’Union européenne bloque ses frontières, je préfère aider les Subsahariens à retourner dignement chez

eux plutôt que de les voir dans des situations épouvantables au Maroc ». Cette observation est

intéressante et montre à quel point la résolution du problème des migrations de transit est complexe.

Or, il faut bien admettre que cette situation est contraire à la marche du monde actuel. De plus,

exige-t-on aux européens, quel qu’ils soient – étudiants, chômeurs, retraités, très qualifiés – de rester

chez eux ?

C’est pourquoi, le recours à la rhétorique du développement dans le domaine des migrations

contente beaucoup plus les autorités du Nord que les pays du Sud. A cela, certains répondront qu’il

s’agit-là au contraire d’une solution « win - win », « gagnant-gagnant ». Peut-être, mais tout de même

injuste.

En outre, ce qu’il faut préciser, c’est que cette idée, jusqu’à aujourd’hui, n’a jamais été vérifiée

de manière théorique ni empirique d’ailleurs, selon laquelle le développement freinerait les départs.

Ainsi, bien que les recherches se soient multipliées et en dépit du fort intérêt porté à la thématique

liant migrations et développement depuis quelques années, « le travail scientifique réalisé jusqu’à

présent n’a pas produit de modèles analytiques permettant de saisir ces liens de manière claire et

opérationnelle, en vue de développer des politiques efficaces et pertinentes. Une des difficultés est liée

au fait que le sens du mot « développement » n’est pas toujours défini et en tous cas pas de manière

suffisamment nuancée et opérationnelle »68.

L’une des conclusions ressortie des travaux d’une table ronde organisée lors du Global Forum

on Migration and Development à Bruxelles en juillet 2007 était la suivante : « Toujours plus de

programmes en Europe comprennent des programmes de retour et de réintégration, souvent décrits

comme de « co-développement » (France-Maroc, Espagne-Colombie/Equateur), car ils permettent de

renforcer les capacités des migrants, et de fournir une aide financière en vue de créer de petites

entreprises ou d’exercer une activité d’indépendant au retour. Cela semble bien fonctionner dans le

68 S. Ammassari, « Gestion des migrations et politiques de développement : optimiser les bénéfices de la migration internationale en Afrique de l’Ouest », Cahier des Migrations Internationales, Genève, BIT, 2004, p. 5.

48

cadre de ces programmes particuliers, mais pourraient garantir une évaluation supplémentaire de

leur impact sur le développement »69.

Une étude réalisée par Georges Tapinos et Denis Cogneau, intitulée « Migrations

internationales, libre-échange et intégration régionale »70 montre aussi que les liens entre ces deux

notions et ces deux réalités sont extrêmement complexes et que finalement, le développement

économique n’est pas forcément une condition suffisante pour stopper des migrations, y compris dans

le cadre d’intégrations régionales.

Ainsi, et il s’agit simplement d’une hypothèse, moins que le mal-être économique et social

d’un pays, ou d’une région, en soit, c’est plutôt le déséquilibre entre deux régions qui, à mon sens,

pousse les gens à partir.

Le recours à cette rhétorique de développement des pays de départ apparaît donc comme une

formule « passe-partout » qui ne répond pas à la question d’une meilleure gestion des migrations. Elle

contribue à argumenter l’objectif de freiner les migrations, dans un monde qui au contraire, appelle et

nécessite la circulation des personnes.

La notion de « management » des migrations, qui renvoie à l’objectif de gérer les flux migratoires

sur les plans régionaux et internationaux, commence peu à peu à s’universaliser. Il en ressort des

contradictions ou tout au moins des incompatibilités fortes : le contrôle est et demeure une

préoccupation nationale, alors que la gestion des migrations appelle dorénavant à une gestion

multilatérale. Pour autant, peut-on penser que nous sommes en marche vers une gouvernance globale

en matière de migrations ?

B- De la gouvernance globale en matière de migrations ?

En théorie des relations internationales, dans les années 1970-1980, il faut se rapporter au

transnationalisme étudié par J. Nye et R. Keohane, ainsi qu’à l’analyse structurelle de l'économie

politique internationale conduite par Susan Strange ou Robert Cox.

Selon Josepha Laroche, la gouvernance définit un ensemble de mécanismes de gestion d’un

système social national ou international en vue d’assurer des objectifs communs – en matière de

sécurité, de santé publique, ou encore de protection de l’environnement –. Généralement, la

gouvernance peut se comprendre comme étant l’établissement et la mise en œuvre d’un ensemble de

règles qui définissent des pratiques, assignent des rôles et guident les interactions afin de traiter les

problèmes collectifs. En d’autres termes, elle ne renvoie pas nécessairement à une structure d’autorité

69 Global Forum on Migration and Development, Table ronde 1 : Développement du capital humain et mobilité du travail : Maximiser les opportunités et minimiser les risques, Session 1.2. : Travail de migration temporaire comme contribution au développement : partager les responsabilités, Bruxelles, 9-11 juillet 2007, 19 p. 70 Denis Cogneau, Georges Tapinos, « Migrations internationales, Libre-échange et Intégration régionale », DIAL Développement et Insertion internationale, nov. 2000, 19 p.

49

hiérarchique, mais aussi à une possible mise en réseau horizontal, avec des relations asymétriques. La

gouvernance induit une autre définition de l’autorité. Loin du schéma wébérien de l’Etat elle signifie

aussi ingénierie sociale, coopération et négociation71.

La gouvernance mondiale évoque aussi une multiplicité d’acteurs transnationaux, leurs

interactions et les négociations dans lesquelles ils s’engagent.

Les migrations constituent un phénomène de dimension globale, politique, économique,

sociale et culturelle, et parce qu’elles sont de nature transnationale, elles entraînent, qu’on le veuille ou

non, une certaine érosion du cadre étatique, notamment avec l’apparition de réseaux transfrontières.

Cette situation supposerait alors de nouveaux modes d’élaboration des normes. Dans ce

domaine, il existe déjà, comme nous l’avons vu, une interaction entre des lois nationales, qui priment,

et des conventions internationales, qui, même si elles sont intégrées dans le droit national des pays, ont

du mal à être appliquées ; d’autre part, du droit non normatif (soft law, ou droit mou) apparaît, comme

par exemple ce « cadre multilatéral de l’OIT pour les migrations de main d’œuvre – principes et lignes

directrices non contraignants pour une approche des migrations de main d’œuvre fondée sur les

droits » publié en 2006. Nous assistons donc aujourd’hui à une confrontation entre ce qu’on appelle la

hard law ou droit dur72 et la fuzzy law ou droit flou, qui lui correspond surtout à la protection des

droits de l’homme.

Alfred Wisskirchen, analysant les principes et normes de l’OIT pour laquelle il a travaillé,

explique dans un article73 à quel point la technicité et le nombre de normes rendent complexes les

ratifications, le respect, et « l’opérationnalité » de celles-ci. Il défend l’idée qu’avec la mondialisation,

un besoin de davantage de souplesse se fait sentir. Ce souhait n’est pourtant pas si simple à émettre car

l’exigence de souplesse risque bien d’aller de paire avec une perte en technicité des normes, et donc,

de promouvoir des déclarations de principes aux contenus extrêmement généraux ; de se retrouver

donc, au final avec un large panel de softlaws.

Et face à cela, les lois nationales pourront avec plus d’aisance contourner les objectifs visés

par ces soflaws, même si, formellement, elles y adhéreront.

Dans ce contexte caractérisé par une forte hétérogénéité des acteurs mais aussi des auteurs de

normes, on peut se demander comment est-il encore possible qu’en matière de migrations, l’Etat reste

seul, pour l’instant le décideur. Il faut peut-être compter sur l’avenir, en supposant que ce nouveau

droit hétérogène soit diffusé puis repris par les Etats entérinant alors progressivement ces normes.

En tous cas, il est devenu quasiment inévitable de gérer les migrations non plus à partir d’une

approche en termes d’Etats souverains, mais à partir de réseaux d’acteurs et d’actions publiques

transnationaux.

71 Cours de J. Laroche, « Mondialisation », Master CIAHPD, Paris I – Sorbonne. 72 Jus cogens, c'est-à-dire normes impératives. 73 Alfred Wisskirchen, « Le système normatif de l’OIT : pratiques et questions juridiques », in Revue Internationale du Travail, vol. 144 n° 3, 2005.

50

L’obstacle principal à l’émergence d’une telle gouvernance globale en matière de migrations tient

au fait que les migrations ont toujours été et le sont encore peut-être davantage aujourd’hui, associées

aux notions de criminalité, de terrorisme, etc. Par conséquent, les migrations sont toujours traitées du

point de vue des Etats car elles sont considérées comme relevant des affaires de la sécurité de l’Etat.

Cette obsession sécuritaire renforce quelque part la force des Etats.

Depuis peu, nous avons vu qu’un certain nombre d’acteurs ont pris conscience de la nécessité de

gérer les migrations à un niveau global ; il est donc reconnu que les relations d’Etats à Etats ne

suffisent plus à gérer les flux de manière efficace, d’autant plus que ceux-ci concernent souvent plus

que deux Etats, notamment avec l’existence de ces pays de transit. Ainsi, comme l’écrit Catherine

Wihtol de Wenden, « La légitimité de la fermeture des frontières étatiques se trouve ébranlée par la

diversité des formes de mobilité avec lesquelles les législations d’entrée et de séjour accusent souvent

un décalage de plusieurs années de retard, source de dysfonctionnements. […] L’idée que [les Etats]

ne peuvent pas indéfiniment empêcher la mobilité des hommes commence à se répandre, en même

temps qu’un timide droit de migrer commence à être revendiqué dans les milieux associatifs, même si

le droit à quitter un pays, y compris le sien (affirmé dans la déclaration Universelle des Droits de

l’Homme de 1948), demeure fort peu respecté de par le monde tant les conditions d’entrée sont

devenues difficiles » 74.

En outre, faut-il rappeler que « partout dans le monde, la mondialisation des migrations n’est

que superficiellement affectée par les politiques de maîtrise des flux et d’intégration engagées par les

pays d’accueil. […] Durant ces dernières années, face à une déferlante migratoire redoutée qui ne

s’est pas produite, on a tendu à considérer que la fermeture des frontières était un cadre général et

permanent. […] Seule la reconnaissance d’un droit plus élargi à la mobilité peut permettre une plus

grande démocratisation du passage des frontières, faute de quoi il ne profitera qu’aux plus nantis,

qu’aux mieux introduits et alimentera les filières de passage clandestin »75.

Ensuite, les migrations ont changé de visage : aujourd’hui, plutôt que de migrations

permanentes, c’est de mobilité dont il faut parler, caractérisée par des situations de « co-présence ».

Malgré cela, l’autorité en matière de migrations de l’Etat demeure, comme menacée par ce

contexte « transnationaliste ». Les difficultés du contrôle aux frontières devraient lui servir de sonnette

d’alarme, mais, au contraire, tendent à le raffermir encore davantage sur sa position.

Pourtant, les bouleversements qu’engendrent les phénomènes migratoires sont grands et

entament déjà la souveraineté des Etats ; comme l’écrit Josepha Laroche, « la question des frontières

et de leur transgression fait de passer de l’international au transnational (réseaux, identités) ». Quant

aux migrants eux-mêmes, « ils interrogent une autre dimension de l’international, le co-

74 Catherine Wihtol de Wenden, op. cit., p. 4. 75 Idem, p. 9.

51

développement, d’ailleurs de moins en moins d’Etat à Etat que partie d’un ensemble régional à un

autre et surtout sous de la forme de coopération régionale décentralisée à travers de nouveaux

acteurs non étatique (ONG, associations, groupes informels de migrants, etc.) »76

Mais cette analyse, si intellectuellement stimulante soit-elle, est à nuancer quelque peu sur le

terrain maghrébin, et en particulier au Maroc, comme nous avons pu le voir.

La contradiction entre l’Etat qui reste souverain dans le domaine des migrations et contre

lequel les autres acteurs finalement ne peuvent pas encore grand-chose, et un environnement en

relations internationales qui au contraire tend à faire diminuer la place centrale de l’Etat est très

intéressante.

Citons pour terminer Marie-Claude Smouts, écrivant sur le phénomène de déterritorialisation :

« L'apparition d'un système-monde n'a pas favorisé la même harmonie : c'est bien là le fondement

essentiel de la crise. Celle-ci s'incarne assez clairement dans plusieurs dilemmes que révèlent les

errements du principe de territorialité. Ces derniers nous placent entre la confirmation fragile et

hasardeuse de la grammaire ancienne des relations internationales et l'invention d'une grammaire

nouvelle fondée sur une conception inédite de l'espace dont il faut bien admettre qu'elle reste encore à

composer et même à imaginer. De même, nous trouvons-nous dans l'inconfort d'une souveraineté

stato-nationale qui a perdu l'efficacité de son vecteur territorial sans que ne s'impose une conception

alternative de la domination, à mesure que les souverainetés se défont sous les coups de la

déterritorialisation, les formes nouvelles de pouvoir ont le plus grand mal à se définir, se codifier et

s'harmoniser. A mi-chemin entre une anomie aggravée et une hypothétique réinvention de l'espace, la

scène mondiale se caractérise par une recherche active de solidarités nouvelles qui compenseraient la

défection des modèles territoriaux classiques ». Et d’ajouter : « Comme dans tous dilemmes, cette

mutation n'est pas acquise par avance : on peut même faire l'hypothèse que la remise en cause du

territoire crée les conditions d'une sorte de dédoublement du monde. » 77

Puisque la gouvernance globale en matière de migrations n’est pas encore arrivée, et qu’elle

reste pour l’instant encore dans la tête des chercheurs, sur quelles solutions pourrions-nous compter

aujourd’hui pour améliorer la gestion des flux migratoires ?

76 Catherine Wihtol de Wenden, Idem, p. 11. 77 Marie-Claude Smouts, « L’international sans territoire », in Cultures & Conflits, n° 21-22, 1996, pp. 9-18.

52

C- Quelles autres solutions plus « idéales » ?

Nous allons à présent décliner, dans cet ultime paragraphe, trois pistes de solutions possibles qui,

même si elles sont loin d’être parfaites, constituent des voies à suivre pour une meilleure gestion des

migrations en général, et a fortiori, des migrations de transit également.

Certaines de ces solutions sont entrain de prendre forme, et s’inscrivent désormais à l’agenda

politique de certaines grandes organisations, comme par exemple lors du « Global Forum on

Migration and Development » tenu les 10 et 11 juillet 2007 à Bruxelles, mais également au sein même

d’institutions comme l’Union européenne, qui prennent ainsi conscience que la fermeture des

frontières n’est pas une politique de gestion des flux migratoires.

i) L’intégration régionale renforcée et effective

En premier lieu, il s’agit de montrer comment la « région » est l’une des meilleures échelles de

gestion des flux migratoires. La région occupe aujourd’hui une place importante sur les agendas

politiques, diplomatiques, ainsi que dans les programmes de recherche.

Bien que « rebelle à toute définition » comme le note Marie-Claude Smouts, elle permet, dans

ce contexte de déterritorialisation complexe, de reconstituer un semblant de territoire opérationnel,

dans lequel et pour lequel des politiques peuvent y être développées et mises en œuvre.

Toujours selon Smouts, « La région est un espace souvent auto-proclamé, subjectif. Elle

englobe sous un même terme des espaces territoriaux très disparates : tantôt plusieurs États, tantôt

des portions de territoires appartenant à des États différents, parfois contigus, parfois éloignés »78.

Dans la situation des pays du Maghreb, une réactivation de l’Union du Maghreb Arabe (UMA)

est donc plus que nécessaire. Inévitablement, une intégration régionale renforcée accentuera la

circulation des personnes au sein de l’entité, ce qui diminuera cette impression de « pression

migratoire » d’un pays du Maghreb vers l’entité « Union européenne » qui existe aujourd’hui.

Non pas tant dans l’optique de développer la région dans le but de freiner les migrations, point

sur lequel, comme nous l’avons, rien n’est assuré, il s’agira plutôt de tenter une harmonisation des

législations nationales en matière de migrations, et de développer les échanges réguliers entre ces

pays. Par exemple, la gestion des compétences pour l’étranger en Tunisie est un bel exemple qui

mériterait d’être également développé dans les autres pays du Maghreb. Il s’agit d’une forme

d’organisation des migrations temporaires, grâce à une structure étatique, l’ATCT79, qui assure le

placement de travailleurs tunisiens à l’étranger.

Ainsi, l’une des visions qu’il faudrait avoir est celle de régler le problème des migrations de

transit par une gestion du travail au niveau régional et inter-régional de surcroît.

78 Idem. 79 Agence Tunisienne de Coopération Technique.

53

ii) Les migrations temporaires, ou circulaires

Cette notion de migrations temporaires commence à être sérieusement examinée dans les instances

de décisions de différents grands acteurs, y compris par l’Union européenne. Une très récente

communication de la Commission européenne portait ainsi sur les Migrations circulaires et

partenariats pour la mobilité entre l'Union européenne et les pays tiers (Commission européenne

2007b).

L'un des éléments de base de la réflexion est que l'Europe aura besoin d'un plus grand nombre

d'immigrants, étant donné que les pénuries de main-d’oeuvre et de qualifications se font déjà sentir

dans un certain nombre de secteurs et qu'elles auront tendance à s'aggraver. Les projections

démographiques d'Eurostat indiquent que la part de la population en âge de travailler dans la

population totale devrait fortement diminuer, passant de 67,2 % en 2004 à 56,7 % en 2050, ce qui

représente une baisse de 52 millions de personnes (Commission européenne 2005c). Cette évolution

démographique touchera certains Etats membres plus que d'autres, mais il s'agit cependant d'une

tendance commune.

Le programme d'action relatif à l'immigration légale de la Commission européenne recense

clairement les besoins de travailleurs hautement qualifiés comme de travailleurs peu qualifiés qui

devront être comblés par l'immigration afin de satisfaire les besoins des marchés du travail.

Aussi, lors du Global Forum on Migration and Development à Bruxelles en juillet 2007, a été

émise l’idée de la nécessité de mettre en place des voies de migration légales et de les développer afin

de promouvoir les migrations temporaires et circulaires.

Suite à une série d’ateliers organisés en 2003 et en 2004 par l’OMC, l’OIM, l’OCDE et la

Banque mondiale sur la migration et le commerce, une étude serait en cours sur ces éléments viables

compris dans les accords bilatéraux, qui pourraient aider les pays développés à élargir leurs

engagements pour les mouvements temporaires de main d’œuvre peu qualifiée originaire de pays en

développement.

Ce genre de schémas appelle toutefois à une surveillance drastique des principes

fondamentaux du travail décent. Des exemples déplorables montrent qu’un encadrement normatif

puissant est nécessaire, comme par exemple le cas du Liban, qui importe un grand nombre de

« bonnes » de différents pays d’Asie, des Philippines ou d’ailleurs, dans des conditions inhumaines,

que l’Etat se refuse pour l’instant de réglementer.

Du point de vue des pays importateurs de main d’œuvre, il est clair que l’un de leur souci

majeur est le caractère effectivement temporaire de ces migrations. Or, cela ne devrait pas poser de

problème dans le sens où la plupart des candidats à l’émigration aujourd’hui désirent migrer pour une

54

période assez courte, et revenir chez eux. Une enquête de la Banque mondiale menée en 2007 montre

ainsi que la plupart des jeunes émigrants souhaite émigrer temporairement.

Ainsi, il faudrait miser sur le développement et l’encadrement juridique des migrations

temporaires, sans pour autant les assimiler à des « migrations jetables ».

Enfin en termes de migrations circulaires, des avancées pourraient être prises, comme le

témoigne ce récent article de presse marocaine : « Une nouveauté. Aujourd'hui, on parle de la

migration circulaire. Une idée à l'état embryonnaire certes mais qui, selon de nombreuses personnes,

peut profiter et aux pays d'accueil et aux pays émetteurs. Elle se définirait comme la solution pour

faciliter la mobilité du migrant vers les autres pays mais surtout vers son pays d'origine afin de

pouvoir partager ses compétences et en faire bénéficier d'autres citoyens. Mais encore faut-il établir

des conditions préalables à ce nouveau concept de la migration. Comment la Commission européenne

compte-t-elle donner corps à cette nouvelle approche sachant que le sujet de la migration reste encore

très partagé et souvent sujet de discorde entre les pays membres de l'Europe? »80.

Enfin, il faudrait pouvoir permettre l’obtention de visas et permis de séjour de courte durée

mais renouvelables à souhait. Rendre plus facile l’accès au territoire européen développera les

mouvements d’aller-retour dans la mesure où un retour au pays ne signifiera pas forcément retour

définitif. La peur de ne plus pouvoir revenir en Europe est l’une des raisons expliquant le fait que

nombre de migrants irréguliers sont entrés de façon régulière mais sont restés au-delà de la durée

autorisée.

iii) Vers un droit à la mobilité ?

Un tel droit, revendiqué par certaines associations, tire sa légitimité de la Déclaration

Universelle des Droits de l’Homme de 1948, dont l’article 13-1 stipule que « Tout homme a le droit de

quitter un pays, y compris le sien ».

Comme le remarque Catherine Wihtol de Wenden, « Certes, la mobilité vers laquelle

s’orientent bien des types de migrations et de migrants qui en ont fait leur mode de vie, est différente

de la sédentarisation et les problématiques des flux sont de plus en plus dissociées de celles relatives

aux stocks, c’est à dire à l’installation et au séjour, surtout dans les vieux pays d’immigration comme

la France. Faut-il soutenir le pari selon lequel favoriser la liberté de circulation est un rempart contre

la migration d’installation et qu’à l’inverse, restreindre ou interdire la mobilité, c’est favoriser la

80 « Maroc : la migration circulaire – la nouvelle voie centre des débats », in Libération, Casablanca, 4 août 2007.

55

sédentarisation aléatoire de ceux qui, craignant de ne plus pouvoir revenir, restent dans les pays

d’accueil et font venir leurs familles ? »81.

Et de citer : « Hier, Voltaire, dans l’article ‘Egalité’ du Dictionnaire Philosophique de 1764,

écrivait déjà : ‘On a prétendu dans plusieurs pays qu’il n’était pas permis à un citoyen de sortir de la

contrée où le hasard l’a fait naître ; le sens de cette loi est visiblement : ce pays est mauvais et si mal

gouverné que nous défendons à chaque individu d’en sortir, de peur que tout le monde n’en sorte.

Faites mieux : donnez à tous vos sujets envie de demeurer chez vous et aux étrangers d’y venir’. Cette

réflexion, qui dénonce la fermeture des pays européens à l’égard des sorties du territoire au dix-

huitième siècle, qui s’est poursuivie dans quelques régions du monde, notamment à l’est, jusqu’à la

chute du Mur de Berlin, est à l’inverse de la conception européenne actuelle : si l’Europe a eu le

courage de créer un espace sans frontières comprenant 25 pays, elle s’en tient à une conception des

flux migratoires dominée par l’idée d’interdire les entrées »82.

Des formules telles que « droit à une démocratisation des frontières » se font de plus en plus

entendre. Ou encore, et cela, dans un document de projet du BIT financé par l’Union européenne, on

peut lire : « circulation-friendly policies », ce qui serait déjà bien.

En attendant la libre-circulation qui est loin d’apparaître entre le Maghreb et l’Europe, voire

même entre l’Afrique toute entière et l’Europe, politiquement bien trop sensible, il serait bon

d’envisager sérieusement le développement des migrations régulières, comme le préconise l’un des

seuls points vraiment novateur et positif du cadre stratégique du Groupe thématique Migrations du

Système des Nations Unies au Maroc. Cet ajout a d’ailleurs été fortement soutenu par le BIT, alors

que d’autres le trouvaient trop « osé ». Reste maintenant à savoir si le gouvernement marocain, qui a

actuellement entre les mains ce document, acceptera de collaborer avec ses partenaires sur cette

question de soutien à la migration régulière. Même si l’on peut déjà penser que s’il accepte, ce point

concernera uniquement les Marocains pour migrer à l’étranger, l’idée de promouvoir les migrations

régulières aura toujours fait un pas. Restera alors à convaincre ensuite l’Union européenne de

réellement mettre en œuvre ces programmes de migrations temporaires.

81 Catherine Withol de Wenden, « Les frontières de la mobilité », Draft Article of the Migration Without Borders Series, UNESCO, mai 2004, 13 p. 82 Idem.

56

Conclusion

Le HCR mais aussi les acteurs d’associations portant assistance aux migrants subsahariens

irréguliers au Maroc subissent de plein fouet la difficulté à apporter des solutions au Maroc pour gérer

les migrations de transit : insultés, accusés de servir les intérêts de l’Union européenne, ils doivent

faire face à des migrants ou des réfugiés qui se constituent eux-mêmes en associations solides, et

affronter leur colère. Au printemps 2007, les locaux du HCR ont été pris « d’assaut » par des réfugiés

et des demandeurs d’asile.

Ainsi, on voit bien qu’au Maroc, en matière de gestion des flux migratoires, tout reste à faire.

Cette période est intéressante à suivre, dans la mesure où rien n’est encore acquis en terme de cadre

juridique pour les migrations, et il sera sans doute très instructif de voir dans quel sens vont aller les

mesures, si mesures prises il y a.

Le nombre de séminaires, d’ateliers, que ce soit à l’échelle nationale, régionale, internationale

ou mondiale est impressionnant. La quantité de plans d’actions, de recommandations, de déclarations

l’est aussi, mais, comme on le voit, pour l’instant rien ne bouge du côté marocain, ni même du côté

européen.

Car si l’on exige du Maroc qu’il développe une politique globale de gestion des flux

migratoires, ce qui est certes indubitablement nécessaire, pourquoi les recommandations relatives aux

migrations circulaires par exemple ne sont pas mises en œuvre du côté de l’Union européenne ?

Dans cette situation de blocage, on soulignera alors que, dans le domaine des migrations, les

marges de manœuvre pour les acteurs, quel qu’ils soient, sont finalement bien réduites.

Si l’on peut avoir de l’espoir dans l’idée qui commence à se faire de plus en plus entendre de

promouvoir les migrations régulières comme seul moyen d’endiguer les migrations irrégulières, on ne

peut occulter le fait que pour l’instant, les tendances restent les mêmes : retour des migrants chez eux

et « fixation des populations ». Et ce, sous l’emballage douteux du développement.

L’expression désormais en vogue de « gestion des migrations » – et non plus forcement de

maîtrise des flux migratoires, ou tout bonnement de lutte contre l’immigration clandestine – permet, au

moins dans sa portée langagière, de dépolitiser les enjeux liés aux migrations. Or, ceci est plus que

nécessaire si l’on veut un jour voir émerger des cadres juridiques qui ne soient plus seulement

répressifs, et desservant les intérêts des nations les plus puissantes.

Pour l’heure, les « élucubrations » sur les notions de gouvernance globale, ou de

« désétatisation des migrations » sont loin d’être à l’ordre du jour, en tout cas au Maroc.

57

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58

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- Marjolein Veldman, L’implication des migrants algériens en France dans les projets de développement collectif en Algérie ; étude de cas sur les “transmigrants” algériens à travers les Organisations de Solidarité Issues de l’Immigration, Mémoire de DEA “Sociétés Contemporaines du Maghreb”, Université Paris VIII, Institut Maghreb-Europe, Paris, 2005, 139 p. Productions du BIT : - « Les Systèmes d’Informations Statistiques sur les Travailleurs Migrants au Maghreb Central », Cahier des Migrations Internationales, PMI, Genève, BIT, 2006, 80 p. - « Summary Report on Migration and Development in Central Maghreb », International Migration Papers, Geneva, ILO, 2006, 62 p. - M. S. Musette (dir.), « Rapport sur les législations relatives à la migration internationale au Maghreb Central », Projet Migrant – Maghreb, Alger, nov. 2005, 50 p. - Savina Ammassari, « Gestion des migrations et politiques de développement : optimiser les bénéfices de la migration internationale en Afrique de l’Ouest », Cahier des Migrations Internationales, Genève, BIT, 2004, 92 p. - Aderanti Adepoju, « The Challenge of Labour Migration Flows Between West Africa and the Maghreb », International Migration Papers, Geneva, ILO, 2006, 38 p. - Piyasiri Wickramasekara, « Les jeunes, le travail décent et la migration irrégulière en provenance de l’Afrique de l’Ouest : problématique et stratégies », Programme des migrations internationales, Document d’Information du BIT, Genève, juillet 2007, 34 p. - Piyasiri Wickramasekara, Notes sur les migrations irrégulières, 2005 - Alfred Wisskirchen, « Le système normatif de l’OIT : pratiques et questions juridiques », in Revue Internationale du Travail, vol. 144 n° 3, 2005. - Cadre multilatéral de l’OIT pour les migrations de main d’œuvre – Principes et lignes directrices non contraignants pour une approche des migrations de main d’œuvre fondée sur les droits, Bureau International du Travail, Genève, 2006, www.ilo.org/public/protection/migrant/download/tmmflm-en.pdf Autres : - Programme AENEAS Assistance Technique et Financière en faveur de pays tiers dans le domaine des migrations et de l’asile, Lignes directrices à l’intention des demandeurs de subventions dans le cadre de l'appel à propositions, 2004 - Conseil Consultatif des Droits de l’Homme, Rapport sur l’établissement des faits relatifs aux événements de l’immigration illégale – événements de Ceuta et Melilla durant l’automne 2005, 46 p. - MSF (Médecins sans Frontières), Violence et immigration : Rapport sur l’immigration d’origine subsaharienne (ISS) en situation irrégulière au Maroc, sept. 2005, 27 p. - Global Forum on Migration and Development, Table ronde 1 : Développement du capital humain et mobilité du travail : Maximiser les opportunités et minimiser les risques, Session 1.2. : Travail de migration temporaire comme contribution au développement : partager les responsabilités, Bruxelles, 9-11 juillet 2007, 19 p.

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- Sophie Wender, Gourougou, Bel Younes, Oujda. La situation alarmante des migrants subsahariens en transit au Maroc et les conséquences des politiques de l’Union Européenne, Paris, CIMADE, 2004, 50 p. (cf. www.cimade.org/downloads/rapportMaroc.pdf). - Commission Economique pour l’Afrique, Bureau pour l’Afrique du Nord, « Migration internationale et développement en Afrique du Nord », janv. 2007, 63 p. - Jean-Pierre Cassarino (dir.), Migrants de retour au Maghreb : Réintégration et enjeux de développement, Rapport général, MIREM, RSCAS/EUI, Novembre 2007. France Culture, programme « Sur les docks », 5 émissions « Tanger et son Détroit », sept. 2007.

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Table des annexes Annexe 1. Carte « Migrations subsahariennes, camps d’étrangers, et contrôles migratoires » p. 62 Annexe 2. Carte « les routes africaines de l’immigration clandestine » p. 63 Annexe 3. Carte « Morts aux frontières » p. 64 Annexe 4. Recension des principaux cadres juridiques p. 65 Annexe 5. L’Accord d’Association Maroc – UE p. 72 Annexe 6. Le Millenium Development Goals Achievement Fund – MDG Fund p. 74 Annexe 7. Le Programme AENEAS p. 75 Annexe 8. Personnes rencontrées (formellement interviewées) p. 76

Annexes Annexe 1.

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Annexe 2.

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Annexe 3. Carte « Morts aux frontières »

Source : Monde diplomatique

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Annexe 4. Liste (non exhaustive) des principaux cadres juridiques

Législations nationales

Algérie Le texte législatif algérien de base en matière de migration, toujours en vigueur aujourd’hui est : l’Ordonnance n°66-211 du 21 juillet 1966 relative à la situation des étrangers en Algérie. La législation distingue les étrangers résidents des étrangers non résidents, ces derniers comprenant les étrangers en transit ou qui séjournent trois mois maximum. Pour les étrangers résidents, la carte de résident octroyée a une durée de validité fixée à deux ans renouvelables. Le décret présidentiel n°03-251 du 19 juillet 2003 établit la liste des différents visas d’entrée en Algérie (ils sont au total 12 : étudiant, affaire, tourisme, etc.) En matière de droit du travail, il faut se référer à la loi n° 81-10 du 11 juillet 1981 relative aux conditions d’emploi des étrangers en Algérie. La loi pose le principe de préférence nationale dans la mesure où l’employeur doit justifier de l’absence de main d’œuvre nationale ayant la capacité d’assurer le poste de travail en question avant de proposer l’emploi de main d’œuvre étrangère. De plus, une limite de qualification est exigée (niveau de technicien) en dessous de laquelle l’emploi d’un étranger peut être refusé. Pour le reste, les travailleurs étrangers en Algérie bénéficient en principe des mêmes droits que les travailleurs nationaux. Enfin, l’Algérie est actuellement sur la voie de ratifier la Convention internationale des Nations Unies sur la protection de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille de 1990.

Maroc Loi n° 02-03 adoptée le 11 novembre 2003 relative à l’entrée et au séjour des étrangers au Maroc, à l’émigration et à l’immigration irrégulières. Cette loi regroupe et complète l’ancien dispositif en matière de migration qui datait du Protectorat (5 Dahirs). La nouvelle législation marocaine contient des éléments pour le traitement des migrants irréguliers, en énumérant les personnes protégées contre l’expulsion : il s’agit d’une part des étrangers résidant au Maroc depuis l’âge de 6 ans ou depuis plus de 15 ans, l’étranger marié depuis plus d’un an avec un ressortissant marocain, ou qui subvient aux besoin de son enfant marocain, l’étranger en possession d’un titre de séjour et en l’absence de condamnation d’au moins un an. D’autre part, sont protégés de l’expulsion les femmes enceintes et les mineurs. Toutefois, cette protection peut être levée en cas de « nécessité impérieuse pour la sûreté de l’Etat ou pour la sécurité publique » (art. 27) et en cas de « condamnation pour terrorisme, trafic de stupéfiants, infractions aux mœurs ou à la législation du travail » (art. 26). Aussi, cette loi prévoit les sanctions contre l’émigration irrégulière : l’article 42 établit ainsi une peine d’amende de 2 000 à 20 000 dirhams et un emprisonnement de 1 à 6 mois pour toute personne qui a pénétré (ou tenté de le faire) sans document de voyage en règle ou qui a dépassé la durée légale de son séjour au Maroc. L’article 43 punit tout séjour sans carte d’immatriculation ou de résidence d’une peine d’amende de 5 000 à 30 000 dirhams et d’emprisonnement de 1 à 6 mois. L’article 47, quant à lui, punit les transporteurs qui facilitent l’entrée de migrants irréguliers. Pour ce qui est de l’émigration illégale, la loi prévoit une peine d’amende de 3 000 à 10 000 dirhams et de prison de 1 à 6 mois pour toute personne quittant clandestinement le territoire marocain (art. 50). Une peine de prison de 15 à 20

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ans est prévue en cas de transport de clandestin entraînant une incapacité permanente pour le transporté et une peine de réclusion à vie si celui-ci décède (art. 52). Concernant les mesures d’expulsion, elles peuvent être prononcées à l’encontre d’un étranger considéré comme représentant une menace grave pour l’ordre public (art. 25), sauf pour certaines personnes qui ne peuvent pas être expulsées, dont les femmes enceinte et les mineurs comme il vient d’être spécifié plus haut. Enfin, le gouvernement marocain créa une direction chargée de la migration et de la surveillance des frontières au sein du Ministère de l’intérieur. Loi n° 03-03 adoptée le 28 mai 2003 relative à la lutte contre le terrorisme. Le Maroc a conclu des accords d’expulsion avec le Sénégal et le Mali en octobre 2005.

Tunisie Loi organique n° 2004-6 adoptée le 3 février 2004 : cette loi vient compléter la loi du 14 mars 1975 relative aux passeports et aux documents de voyage, déjà modifiée le 3 novembre 1998. La loi n° 2004-6 contient entre autre dans son chapitre IV l’organisation de la répression de l’entrée et de la sortie irrégulières du territoire tunisien. Aussi, la loi impose le devoir de signalement de tout étranger irrégulier (même pour les médecins ou encore les avocats par exemple), mesure qui tend à limiter considérablement les droits fondamentaux des clandestins. Loi n° 2003-75 adoptée le 10 décembre 2003 relative au soutien des efforts internationaux de lutte contre le terrorisme et la répression du blanchiment d’argent. Loi n° 2004-4 du 20 janvier 2004 : elle modifie et complète le code de commerce maritime et le code de la police administrative de la navigation maritime, de sorte d’instituer un contrôle accru des autorités sur les navires et une surveillance accrue des côtes tunisiennes. En ce qui concerne plus particulièrement la gestion de la migration de transit, la Tunisie a signé avec l’Italie un accord de réadmission, s’engageant ainsi à réadmettre les migrants entrés de façon irrégulière en Italie à partir de la Tunisie. Selon l’OIM (source), il existerait 13 « centres d’accueil » en Tunisie, pour lesquels la Commission Européenne octroie une aide financière. En 2006 : création de l’Union Maghrébine des Travailleurs…

Libye Parmi les quatre pays, seule la Libye accepte l’établissement de « camps de transit » sur son territoire. La Communauté des Etats sahélo-sahariens (COMESSA), instituée en 1998 à Tripoli comprend 21 membres dont le Maroc, la Tunisie, l’Egypte, la Libye, la Côte d’Ivoire, etc. Elle forme une union économique dotée en plus d’un organe de sécurité. Dans le cadre de la COMESSA, une convention sur la libre circulation des personnes a été signée. Ce que l’on peut brièvement conclure sur ces législations nationales en matière de migrations, c’est que si la loi organise et protège certains droits des travailleurs migrants en situation régulière, rien n’est en revanche prévu pour les migrants irréguliers, ou presque. Seule la législation marocaine assure une protection pour un certain type de migrants irréguliers, en particulier les femmes enceintes et les mineurs. De plus, on peut déplorer la difficile reconnaissance du statut de réfugié par la plupart de ces législations nationales. Seule la Libye n’a pas ratifié la Convention de Genève, mais les autres pays, bien que reconnaissant le statut de réfugié, le bafouent encore trop souvent.

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L’Union européenne : - Les Accords d’Association (AA) : ils comprennent des dispositions pour le rapatriement des clandestins, et pour le renforcement des capacités de l’administration des pays du Maghreb en matière de « bonne gouvernance des migrations ». cf. annexe 5. - Les Accords de Cotonou : signés en 2000 entre l’Union Européenne et les pays ACP (Afrique-Caraïbes-Pacifique), constituent le nouveau cadre de la coopération européenne à l’égard de ces pays après les premiers accords de Lomé (1975). Dans ces accords de Cotonou, trois articles contiennent directement des dispositions en matière de migration (art. 13, 79, 80). L’article 13 se rapporte au principe de réadmission.

ARTICLE 13 Accords de Cotonou

Migrations

1. La question des migrations fait l'objet d'un dialogue approfondi dans le cadre du partenariat ACP-UE.

Les parties réaffirment leurs obligations et leurs engagements existant en droit international pour assurer le respect des droits de l'homme et l'élimination de toutes les formes de discrimination fondées notamment sur l'origine, le sexe, la race, la langue et la religion.

2. Les parties sont d'accord pour considérer qu'un partenariat implique, à l'égard des migrations, un traitement équitable des ressortissants des pays tiers résidant légalement sur leurs territoires, une politique d'intégration ayant pour ambition de leur offrir des droits et obligations comparables à ceux de leurs citoyens, à favoriser la non-discrimination dans la vie économique, sociale et culturelle et à mettre en place des mesures de lutte contre le racisme et la xénophobie.

3. Chaque État membre accorde aux travailleurs ressortissant d'un pays ACP exerçant légalement une activité sur son territoire, un traitement caractérisé par l'absence de toute discrimination fondée sur la nationalité par rapport à ses propres ressortissants, en ce qui concerne les conditions de travail, de rémunération et de licenciement. Chaque État ACP accorde, en outre, à cet égard un traitement non-discriminatoire comparable aux travailleurs ressortissants des États membres.

4. Les parties considèrent que les stratégies visant à réduire la pauvreté, à améliorer les conditions de vie et de travail, à créer des emplois et à développer la formation contribuent à long terme à normaliser les flux migratoires.

Les parties tiennent compte, dans le cadre des stratégies de développement et de la programmation nationale et régionale, des contraintes structurelles liées aux phénomènes migratoires en vue d'appuyer le développement économique et social des régions d'origine des migrants et de réduire la pauvreté.

La Communauté soutient, dans le cadre des programmes de coopération nationaux et régionaux, la formation des ressortissants ACP dans leur pays d'origine, dans un autre pays ACP ou dans un État membre de l'Union européenne. En ce qui concerne la formation dans un État membre, les parties veillent à ce que ces actions soient orientées vers l'insertion professionnelle des ressortissants ACP dans leur pays d'origine.

Les parties développent des programmes de coopération visant à faciliter l'accès à l'enseignement pour les étudiants des États ACP, notamment par l'utilisation des nouvelles technologies de la communication.

5. a) Le Conseil des ministres examine, dans le cadre du dialogue politique, les questions liées à l'immigration illégale en vue, le cas échéant, de définir les moyens d'une politique de prévention.

b) Dans ce cadre, les parties conviennent notamment de s'assurer que les droits et la dignité des personnes sont respectés dans toute procédure mise en œuvre pour le retour des immigrants illégaux dans leur pays d'origine. À cet égard, les autorités concernées accordent les facilités administratives nécessaires au retour.

c) Les parties conviennent également que:

i) - chaque État membre de l'Union européenne accepte le retour et réadmet ses propres ressortissants illégalement présents sur le territoire d'un État ACP, à la demande de ce dernier et sans autres formalités;

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- chacun des États ACP accepte le retour et réadmet ses propres ressortissants illégalement présents sur le territoire d'un État membre de l'Union européenne, à la demande de ce dernier et sans autres formalités.

Les États membres et les États ACP fourniront à leurs ressortissants des documents d'identité appropriés à cet effet.

Vis-à-vis des États membres de l'Union européenne, les obligations au titre du présent paragraphe s'appliquent seulement à l'égard des personnes qui doivent être considérées comme leurs ressortissants au sens de la Communauté, en conformité avec la déclaration n°2 annexée au traité instituant la Communauté européenne. Vis-à-vis des États ACP, les obligations au titre du présent paragraphe s'appliquent seulement à l'égard des personnes qui doivent être considérées comme leurs ressortissants au sens de leurs législations nationales respectives;

ii) à la demande d'une partie, des négociations sont initiées avec les États ACP en vue de conclure, de bonne foi et en accord avec les principes correspondants du droit international, des accords bilatéraux régissant les obligations spécifiques de réadmission et de retour de leurs ressortissants. Ces accords prévoient également, si l'une des parties l'estime nécessaire, des dispositions pour la réadmission de ressortissants de pays tiers et d'apatrides. Ces accords précisent les catégories de personnes visées par ces dispositions ainsi que les modalités de leur réadmission et retour.

Une assistance adéquate sera accordée aux États ACP en vue de la mise en œuvre de ces accords;

iii) aux fins du présent point c), on entend par «parties», la Communauté, chacun de ses États membres et tout État ACP.

Cadres régionaux africains/subsahariens (ne concerne pas directement les pays du Maghreb)

- La Charte africaine des droits de l’Homme et des Peuples, adoptée le 27 juin 1981. - Tous les pays du Maghreb, sauf le Maroc depuis 1984 sont membres de la Convention de l’OUA (Organisation de l’Union Africaine) de 1969 régissant les aspects propres des réfugiés en Afrique. Cette Convention a été ratifiée par 44 Etats africains au total. - Dans le cadre de la CEDEAO (Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest) (traité du 28 mai 1975) ou ECOWAS (Economic Community of West African States) L’article 1 mentionne la libre circulation des personnes dans les Etats membres. La CEDEAO regroupe 16 Etats membres : 7 pays de l’ex-CEAO (Communauté économique de l’Afrique de l’Ouest) avec en plus le Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Mali, Mauritanie, Niger, Sénégal, Guinée, Togo, Ghana, Gambie, Libéria, Nigeria, Sierra Léon, Cap Vert, Guinée Bissau. La Mauritanie a quitté la CEDEAO en 1999. Selon l’étude du BIT intitulée « Gestion des migrations et politiques de développement : optimiser les bénéfices de la migration internationale en Afrique de l’Ouest »83, le protocole de 1979 énonçant les étapes devant aboutir à la liberté totale de circulation : seule la première étape, permettant de voyager sans visa dans les pays membres si ce voyage se limite à 90 jours a été atteinte. Le droit de résidence, lié au droit de s’employer à une activité rémunérée était l’objectif de la seconde étape, n’a toujours pas été rendu opérationnel. Il en est de même pour le droit d’établissement, qui doit constituer la troisième étape. Malgré ces dispositions prises au niveau sous-régional pour faciliter les mobilités de main d’œuvre, les conclusions de l’étude pré-citée mettent en avant le peu d’impact de ces traités régionaux sur les flux migratoires. - Dans le cadre de l’UEMOA (Union Economique et Monétaire Ouest-africaine) (traité du 10 janvier 1994) (ex-UMOA) :

83 S. Ammassari, « Gestion des migrations et politiques de développement : optimiser les bénéfices de la migration internationale en Afrique de l’Ouest », Cahier des Migrations Internationales, Genève, BIT, 2004, p. 34.

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Libre circulation des personnes et non discrimination à l’égard des travailleurs étrangers. L’UEMOA compte 8 Etats membres : Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée Bissau, Mali, Niger, Sénégal, Togo. Dans tous les pays de l’UEMOA, la Loi bancaire de 1990 régit les transferts d’argent : les transferts de fonds, réalisés vers ou hors de ces pays, ne peuvent être opérés que par des établissements financiers agréés par les Banques centrales. En outre, les volumes transférés sont plafonnés. - Dans le cadre de l’EAC (East African Community), instituée en juillet 2000 et qui regroupe le Kenya, la Tanzanie, l’Ouganda. A l’horizon de 2013, une fédération politique est envisagée entre ces trois pays. Les négociations sur le protocole concernant la libre circulation des personnes, du travail, des services et concernant le droit d’établissement et de résidence ont commencé début 2006. Volonté de rendre opérationnels les « East African Passports », qui coûtent 10 dollars et sont valables 6 mois avec entrées multiples possibles.

Cadres régionaux arabes - Conventions de la Ligue arabe : - Convention arabe sur le placement de la main d’œuvre (n° 2) de 1967 : elle vise la réalisation de l’union économique et sociale grâce à la mise en place de la liberté de circulation des personnes entre les pays arabes. - Convention arabe sur le déplacement de main d’œuvre (n° 4) de 1975 : elle tend à favoriser la mobilité de main d’œuvre selon les besoins économiques et sociaux des pays et prévoit aussi le regroupement familial. - Convention arabe sur la formation (n° 9) de 1977 La Mauritanie, membre de la Ligue arabe ne les a pas ratifiées faute de nombre conséquent de travailleurs migrants arabes sur son territoire et faute de migrants mauritaniens dans d’autres pays membres de la Ligue arabe. - L’Union du Maghreb Arabe (UMA) (traité de 1989) : son article 2 vise progressivement à réaliser la libre circulation des personnes, des services, des marchandises et des capitaux entre les Etats membres de l’UMA. Problème : l’intégration régionale des pays maghrébins est en panne, en particulier à cause des différents opposant l’Algérie et le Maroc au sujet du Sahara Occidental.

Principales normes et conventions internationales

ILO L’Organisation Internationale du Travail (OIT) est à l’origine de plusieurs conventions et recommandations spécifiquement destinées aux droits des travailleurs migrants ; parmi elles, deux conventions encore en vigueur aujourd’hui sont sur ce point importantes : - La convention 97 de 1949 sur les travailleurs migrants (Migration for employment convention). La C 97 contient des droits pour les travailleurs migrants réguliers, tels que le droit d’être informés, l’égalité de traitement avec les nationaux (principe de non discrimination sur la base de la nationalité), la protection contre l’expulsion. Parmi les pays qui nous concernent, seule l’Algérie l’a ratifiée (en 1962), essentiellement dans l’optique de protéger ses propres émigrés à l’étranger.

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- La convention 143 de 1975 sur les travailleurs migrants (dispositions complémentaires) : ratifiée par aucun des pays qui nous concernent. La C 143 vise en particulier la lutte contre le travail clandestin et renforce les droits des travailleurs réguliers. L’article 3 – a) précise que « tout membre doit prendre toutes les mesures nécessaires et appropriées […] pour supprimer les migrations clandestines et l’emploi illégal de migrants et, article 3 – b), à l’encontre des organisateurs de mouvements illicites ou clandestins de migrants aux fins d’emploi, en provenance ou à destination de son territoire, ou en transit par celui-ci, et à l’encontre de ceux qui emploient des travailleurs ayant immigré dans des conditions illégales ». - Le Cadre multilatéral de l’OIT pour les migrations de main d’œuvre – Principes et lignes directrices pour une approche des migrations de main d’œuvre fondée sur les droits de 200684 : Selon M. Juan Somavia, directeur général du BIT, la commission mondiale sur la dimension sociale de la mondialisation établie par l’OIT avait entre autre avancé que l’absence d’un « cadre multilatéral permettant de gérer les déplacements transfrontaliers est la cause de nombreux problèmes, notamment l’exploitation des travailleurs migrants, l’essor des migrations irrégulières et de la traite des êtres humains et la fuite des cerveaux des pays en développement »85. Ce cadre est le fruit d’une réunion tripartite d’experts tenue à Genève du 31 octobre au 2 novembre 2005. Il a été validé par le Conseil d’Administration de l’OIT en mars 2006 (295e session). Il contient un recueil des pratiques optimales (annexe II) régulièrement mises à jour par le BIT. Les différents points abordés dans le document sont des indications non contraignantes pour les Etats, le droit souverain des Etats à déterminer une politique migratoire propre étant toujours respecté. Le principe 5 du Cadre multilatéral de l’OIT pour les migrations de main d’œuvre énonce ceci : « Il convient d’examiner la possibilité de développer les moyens permettant des migrations de main d’œuvre régulières, compte tenu des besoins du marché du travail et des tendances démographiques »86. NU - La Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (DUDH) de 1948 : Article 13 § 2 : « Toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien et de revenir dans son pays ». - La Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille de 1990 : Elle étend aux travailleurs migrants qui entrent ou résident clandestinement dans le pays d’accueil, ainsi qu’aux membres de leur famille, les droits auparavant réservés aux travailleurs migrants réguliers. Elle défend aussi l’égalité de traitement entre nationaux et étrangers. La partie V de cette convention contient 8 articles qui font état de la nécessité de mettre en place une consultation internationale, intergouvernementale et une coopération sur la gestion de la migration internationale. La Convention de 1990 est entrée en vigueur seulement en juillet 2003 à cause d’un nombre resté insuffisant de ratifications jusque là. Les pays l’ayant ratifiée sont souvent des pays d’« exportation de main d’œuvre ». Maroc (1993), Libye (2004), Algérie (2005). Aucun Etat membre de l’Union Européenne.

84 En anglais : ILO Multilateral Framework on Labour Migration – Non Binding principles and guidelines for a rights-based approach to labour migration, ou MLF. 85 Cadre Multilatéral de l’OIT pour les migrations de main d’œuvre, BIT Genève, 2006, p. 6 (préface). 86 Idem, p. 14.

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- La Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée de 2000 : accompagnée de deux protocoles : - prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants. - trafic illicite de migrants par terre, air et mer. (Entrée en vigueur : 28 janvier 2004). Protocole ratifié par la Tunisie, l’Algérie et la Libye, mais pas encore par le Maroc. - La Convention de Genève sur le statut des réfugiés de 1951 : est attribué le statut de réfugié à toute personne qui, « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité ou de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays » (art. 1). En outre, l’article 33 de cette même Convention de Genève stipule l’interdiction de refoulement d’un étranger vers un pays où sa vie ou sa liberté serait menacée, et l’article 31-1 interdit la pénalisation de son entrée irrégulière dans un pays. Mise à part la Libye (qui n’a pas ratifié la convention de 1951 et ne reconnaît donc pas le statut de réfugié sur son territoire), les pays maghrébins adhèrent aux principes de la Convention de Genève.

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Annexe 5. Maroc: Accord euro-méditérranéen d'association Source : site web de la Délégation de la Commission européenne à Rabat

Arrimer le Maroc à l’espace européen

Le 1er mars 2000, l'Accord euro-méditerranéen établissant une association entre les Communautés européennes et leurs états membres et le Royaume du Maroc est entré en vigueur après avoir été ratifié par les Parlements des Quinze états membres de l’ Union européenne. Cet Accord avait été signé le 26 février 1996 respectivement par :

• Mme Susanna AGNELLI, Ministre des Affaires étrangères de l'Italie et Président en exercice du Conseil

• M. Manuel MARIN, vice-Président de la Commission pour la Communauté européenne,

• M. Abdellatif FILALI, Premier Ministre et Ministre des Affaires étrangères et de la coopération pour le Royaume du Maroc

• et par les Ministres des Affaires étrangères ou ministre délégué aux Affaires étrangères des Quinze états membres de la Communauté européenne.

Le nouvel accord d'Association, qui remplace l'accord de coopération de 1976 et les Protocoles d'adaptation successifs, revêt une importance toute particulière. Il constitue en effet le troisième d'une série de nouveaux accords dont la conclusion est prévue dans le cadre du renforcement de la politique méditerranéenne de l'Union qui a comme objectifs de donner une nouvelle dimension à ses relations avec ses partenaires du Bassin méditerranéen et de participer, sur un plan bilatéral et régional au développement de cette région dans un climat de paix, de sécurité et de stabilité. Cet accord est conclu pour une durée illimitée et il permettra de renforcer les excellents liens existant entre les Communautés européennes et leurs états membres d'une part, et le Maroc, d'autre part, en instaurant sur des bases équilibrées des relations fondées sur la réciprocité, le partenariat et le co-développement dans le respect des principes démocratiques et des droits de l'homme. Ce nouvel accord représente donc, suite à la Conférence euro-méditerranéenne de Barcelone des 27 et 28 novembre 1995, une réalisation concrète du nouveau schéma durable de relations avec les partenaires de la Méditerranée fondées sur un partenariat euro-méditerranéen comportant trois grands volets : un volet politique et de sécurité, un volet économique et financier et un volet social et humain. Les principaux éléments de l'accord sont les suivants :

• un dialogue politique régulier • l'établissement progressif d'une zone de libre-échange en conformité avec les

dispositions de l'OMC • des dispositions relatives à la liberté d'établissement, la libéralisation des

services, la libre circulation des capitaux et les règles de concurrence • le renforcement de la coopération économique sur la base la plus large possible

dans tous les domaines intéressant les relations entre les deux parties • une coopération sociale complétée par une coopération culturelle ; une

coopération financière comportant des moyens financiers appropriés destinés à apporter au Maroc un soutien significatif pour ses efforts de réforme et d'ajustement au plan économique ainsi que de développement social liés à la création d'une zone de libre-échange. La coopération financière est mise en oeuvre à travers le Programme MEDA.

Sur le plan institutionnel, l'Accord prévoit un Conseil d'association au niveau ministériel et un Comité d'association au niveau des fonctionnaires. La troisième réunion du Comité d’ Association s’est déroulé à Rabat le 15 février 2002 (un résumé des conclusions est disponible sous la rubrique « Bulletins d’information » (édition du mois de mars 2002). En outre, l'accord vise à faciliter la coopération entre le Parlement

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européen et le Comité économique et social, d'une part, et leurs homologues marocains, d'autre part. L’ Accord avec le Maroc était le troisième à entrer en vigueur après la Tunisie et l’Autorité Palestinienne. Lors de la conférence euro-méditerranéenne qui s’est tenue à Valence les 22 et 23 avril, un nouveau Accord A été signé avec l’Algérie. Le tableau ci-dessous récapitule l’état d’avancement de ces Accords avec les pays partenaires méditerranéens.

PARTENAIRE SITUATION SIGNATURE DE L’ACCORD

ENTRÉE EN VIGUEUR

Tunisie Juin 1995 Juillet 1995 Mars 1998 Israël Septembre 1995 Novembre 1995 En vigueur Maroc Novembre 1995 Février 1996 Mars 2000 Autorité palestinienne Accord coopération intérimaire

Décembre 1996 Février 1997 Juillet 1997

Jordanie Avril 1997 Novembre 1997 Attendue très prochainement

Égypte - Juin 2001 -

Liban Paraphé en janvier 2002 17 Juin 2002 -

Algérie Paraphé en décembre 2001 22 avril 2002 -

Syrie Négociations en cours - -

Chypre En vigueur Malte En vigueur

Turquie Union douanière en vigueur

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Annexe 6. Le Millenium Development Goals Achievement Fund – MDG Fund cf. http://www.undp.org/mdgf/ In December 2006, UNDP and the Government of Spain signed a far-reaching agreement to establish a new fund to accelerate efforts to reach the Millennium Development Goals, and to support UN reform efforts at the country level. The Spanish Government has committed €528 million to the MDG Achievement Fund (MDG-F), to be programmed between 2007 and end-2010.

The Fund will operate through the UN development system and finance, typically, collaborative UN activities that leverage the clear value-added of the UN in the sector and country concerned, particularly where the UN’s collective strength is harnessed in order to address multi-dimensional development challenges. 57 countries are eligible to apply for assistance from the Fund.

The MDG-F will intervene in a number of thematic areas, including democratic governance, gender equality and women’s empowerment, basic social services, economic and private sector development, environment and climate change, culture and development and conflict prevention and peace building.

Les 5 fenêtres thématiques du MDG Fund sont :

- Gender equality and women’s empowerment

- Environment and climate change

- Culture and development

- Economic governance

- Youth, Employment and Migration

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Annexe 7.

Programme AENEAS Assistance Technique et Financière en faveur de pays tiers dans le domaine des migrations et de l’asile, Lignes directrices à l’intention des demandeurs de subventions dans le cadre de l'appel à propositions, 2004 Type d'actions pour lesquelles une demande de financement AENEAS peut être reçue : En matière de promotion d’une migration légale, (Règlement (CE) N°491/2004, Art.2, §1.b)) : - la migration légale, compatible avec l’analyse de la situation démographique, économique et sociale dans les pays d’origine et le pays hôtes, ainsi qu’une meilleure information de la population sur les avantages de la migration légale, les conséquences de la migration illégale. Pour atteindre ces objectifs le programme peut soutenir en particulier les actions suivantes : - étude des flux migratoires, légaux et illégaux, pertinence de la question des faux documents. - Etablissement, développement ou soutien de dialogues régionaux ou sous-régionaux dans le domaine de la gestion de la migration et de l’asile. - développement des capacités des autorités nationales et régionales à évaluer leurs besoins et perspectives en matière de main d’oeuvre étrangère et mise en oeuvre de stratégies appropriées et de projets pilotes. - développement de la formation des personnels et de l’échange d’information et d’expérience, mise en place des réseaux pour l’information relative à l’émigration à des fins économiques. - diffusion d’informations et de conseils juridiques sur les modalités pour la migration légale et sur les risques de l’immigration illégale et le trafic des êtres humains. - développement des capacités de documentation des personnes, de collecte et de traitement d’informations. En matière d’élaboration de législations et de développement de pratiques nationales en

matière d’asile et de protection internationale, (Règlement (CE) N°491/2004, Art.2, §1. c)): - l’élaboration dans les pays bénéficiaires de leur législation et le développement de pratiques nationales en matière de protection internationale, notamment en vue de satisfaire aux dispositions de la convention de Genève de 1951 sur le statut des réfugiés, du Protocole de 1967 et des autres instruments internationaux pertinents, d’assurer ainsi le respect du principe de non-refoulement et d’améliorer les capacités des pays tiers concernés à accueillir des demandeurs d’asile et des réfugiés. Pour atteindre ces objectifs le programme peut soutenir en particulier les actions suivantes : - le soutien à l’amélioration du cadre législatif et institutionnel des pays tiers en matière de protection internationale et d’asile. - promotion de l’adhésion aux conventions internationales dans ce domaine et amélioration de l’accès à la protection internationale. - favoriser l’amélioration des conditions d’accueil des réfugiés et des demandeurs d’asile, amélioration des capacités en matière d’enregistrement et de documentation et développement d’expertise des administrations. En matière de lutte contre la migration illégale, (Règlement (CE) N°491/2004, Art.2, §1.d)) : - l’établissement, dans les pays tiers concernés, d’une politique efficace et préventive en matière de lutte contre les migrations illégales, incluant la lutte contre le trafic des êtres humains et la traite des migrants ainsi que l’élaboration d’une législation en la matière ; Pour atteindre ces objectifs le programme peut soutenir en particulier les actions suivantes : - promouvoir la collaboration et le dialogue régional et sous-régional en matière de gestion des flux migratoires, en particulier la migration de transit, l’immigration illégale, le trafic des êtres humains. - encourager la coopération interrégionale en matière de gestion et de contrôle aux frontières. - promouvoir la création de capacités dans les domaines de la sécurité des documents de voyage et de visas, touchant notamment à leurs conditions d’émission, à l’identification et à la documentation des migrants illégaux, y compris les propres ressortissants des pays concernés, et à la détection des faux documents et visas. - l'aide à la création des capacités dans les domaines de l'élaboration, de la mise en oeuvre et du contrôle de l'efficacité de la réglementation nationale et des systèmes de gestion en matière de

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migrations et de lutte contre les activités criminelles, en ce inclus le crime organisé et la corruption, liés à l'immigration illégale; le développement de la formation du personnel employé dans le domaine des migrations. - l'évaluation et l'amélioration éventuelle du cadre institutionnel et administratif et de la capacité à appliquer le contrôle aux frontières, ainsi que l'amélioration de la gestion des contrôles aux frontières, y compris au moyen de la coopération opérationnelle. En matière de réadmission et de réintégration des personnes en retour, (Règlement (CE)

N°491/2004, Art.2, §1.e)): - la réadmission dans le plein respect du droit et la réintégration durable dans le pays tiers concerné des personnes entrées ou séjournant illégalement sur le territoire d’un Etat membre ou des personnes dont la demande d’asile a été rejetée dans l’Union européenne ou qui ont bénéficié d’une protection internationale. Pour atteindre ces objectifs le programme peut soutenir en particulier les actions suivantes : - le soutien à la création des capacités dans les pays tiers concernés dans les domaines de conditions d’accueil et de la protection dans le cadre de la réadmission. - le soutien à la réintégration durable des personnes en retour et aux programmes de réinstallation. - le soutien à une réinsertion socio-économique ciblée des personnes qui rentrent dans leur pays d’origine, y compris à la formation et la création de capacités en vue de faciliter leur intégration sur le marché du travail. - l'assistance dans les négociations par les pays tiers concernés de leurs propres accords de réadmission avec les pays intéressés. - support à la mise en oeuvre des accords de réadmission conclus avec les pays tiers. - développement des échanges d’informations et amélioration de l’identification des personnes en retour.

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Annexe 8.

Personnes rencontrées :

En Algérie : - Mohamed Saïb Musette, chercheur, CREAD, le 14/07/07 - Samia Kazi Aoul, coordinatrice de recherche, CISP, le 23/07/07 Au Maroc : - Colombe Cretin, AFVIC - le 27/08/07 à Casablanca - Khadija Elmadmad, Responsable de la chaire migrations de l’Unesco - Javier Gabaldon, responsable de MSF au Maroc, le 12/09/07 - Rachid Badouli, directeur du centre de Yacoub el Mansour de la Fondation Orient Occident, le 20/09/07 à Rabat - Louis Dey, chargé de programmes de la DCE – Justice, Migration, Droits Humains, le 26/09/07 à Rabat - Habib Belkouch, Président du Centre d’Etudes en Droits Humains et Démocratie, membre du conseil du CCDH, le 8/10/07 - Caritas (1ère rencontre à la journée festive femmes migrantes, COMFESVIM87, Fondation Orient-Occident, 1/09/2007) Ainsi que les personnes travaillant dans les Agences du SNU : HCR, BIT, PNUD, OIM, BIT, etc.

87 Le COMFESVIM (comité des femmes et enfants subsahariens victimes de l’immigration) est un comité d’entraide à caractère apolitique et non lucratif crée par des femmes réfugiées, demandeurs d’asile et migrantes vivant au Maroc.

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Table des matières

Sommaire ........................................................................................................................................................... 3Table des sigles .................................................................................................................................................. 4 Introduction ........................................................................................................................................................ 5

I - LES MIGRATIONS DE TRANSIT AU MAROC, DU PHENOMENE AU « PROBLEME » ......................................................................................................... 8

A – Bref exposé des faits ...................................................................................................................... 8 i) Description du phénomène ............................................................................................................................. 8 ii) Mesure de l’ampleur .................................................................................................................................... 10

B – Les données du « problème »....................................................................................................... 13 i) Les victimes, les migrants eux-mêmes.......................................................................................................... 13 ii) Un problème « international » posé au Maroc............................................................................................. 14

C – L'absence de réponse constructive jusque-là ............................................................................. 18i) Défaillance des cadres normatifs existants ................................................................................................... 18ii) Background sur le « Néant »........................................................................................................................ 22

II - LES TENTATIVES DE SOLUTIONS APPORTEES ......................................... 25

A – Les volontés politiques ................................................................................................................. 25 i) Au niveau international................................................................................................................................. 25 ii) Au niveau du SNU au Maroc : le Groupe Thématique Migrations............................................................. 26iii) Au niveau national...................................................................................................................................... 27

B – Les actions au Maroc.................................................................................................................... 28 i) Par les acteurs de la société civile................................................................................................................. 28 ii) Le gouvernement marocain ......................................................................................................................... 32 iii) Les Nations Unies....................................................................................................................................... 33

C – Des obstacles, des limites ............................................................................................................. 41 i) La « main » Europe....................................................................................................................................... 41ii) L’Europe qui bloque .................................................................................................................................... 42iii) Les « guerres » entre acteurs....................................................................................................................... 44

III - VERS L’ELABORATION DE QUEL CADRE JURIDIQUE ? ............................. 46

A – L’universalisation des réponses apportées ................................................................................. 46

B – De la gouvernance globale en matière de migrations ? ............................................................. 48

C –Quelles autres solutions plus « idéales » ? ................................................................................... 52 i) L’intégration régionale renforcée et effective............................................................................................... 52 ii) Les migrations temporaires, circulaires ....................................................................................................... 53 iii) Vers un droit à la mobilité ? ....................................................................................................................... 54 Conclusion........................................................................................................................................................ 56Bibliographie.................................................................................................................................................... 57 Table des ........................................................................................................................................... 61AnnexesTable des matières............................................................................................................................................ 78 Résumé – Abstract – Keywords ....................................................................................................................... 79

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Résumé

Les migrations de transit au Maroc, bien que ne constituant pas un phénomène massif,

représentent cependant un problème important. Par leur existence, elles témoignent d’un dérèglement

criant en matière de migrations internationales, de l’absence de politiques de gestion des migrations,

que ce soit à l’échelle nationale ou internationale. Le Maroc se retrouve, face à l’Europe, dans une

situation extrêmement complexe à gérer.

Ce qui s’avère nécessaire, ce sont bien des règlements politiques et juridiques de la question.

Or, le problème ne concerne, bien évidemment pas que le Maroc, mais plusieurs pays d’Afrique

subsaharienne, ses voisins pays d’Afrique du Nord, et aussi, et peut-être surtout, l’Union européenne.

Quelques initiatives sont tout juste en train de voir le jour, qu’elles proviennent du

gouvernement ou des organisations internationales. Mais l’analyse des réponses apportées par

différents acteurs au Maroc, que ce soient les ONG, les associations locales, ou encore les

organisations internationales montre à quel point les marges de manœuvre en matière de migrations

son réduites, à quel point aussi le cadre étatique reste puissant pour encadrer des migrations qui sont,

par nature, transnationales. A quel point, enfin, les solutions seront difficilement applicables tant que

l’Union européenne ne se décide à abandonner cette vision sécuritaire et répressive des migrations.

Abstract

The transit migrations through Morocco, although they do not represent a great number of

people, pose an important problem. Just by the fact they exist, they expose a flagrant “abuse” of

international migration, the absence of political management of migration whether it be on a national

or international scale. As a consequence, Morocco finds itself, facing Europe, in a very difficult

situation.

What is necessary are political and juridical laws to solve this problem. But the question not

only concerns Morocco but also several sub-Saharan countries, its neighbours of North Africa and

also, perhaps especially, the European Union.

A few initiatives are now beginning to appear in Morocco. But the analysis of these replies

brought together by the different organisations, whether they be NGOs, local associations or

international organisations, show how much the margins in manoeuvring in migration is limited and to

what point the state remains powerful in regulating migrations, which are, by their very nature,

transnational. And, to what point also, the solutions will be difficult to apply as long as the European

Union does not decide to abandon its vision concerning security and repression of migrations.

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Keywords

Migrations ; transit migrations ; irregular migrations ; subsaharian migrations ; management of

migrations ; global governance ; Morocco ; Maghreb countries

Mots clés

Migrations ; migrations de transit ; migrations irrégulières ; migrations trans-sahariennes ; gestion des

migrations ; gouvernance globale ; Maroc ; Maghreb