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LE ROMAN DU LÉVRIER ARCHJLÈS FRAGMENT D'UN POÈME FRANÇAIS COMPOSÉ EN ITALIE Deux feuillets de parchemin, dc om,164 de large sur 0m,240 de haut, communiqués par M. Jacques Rosenthal, de Munich, à M. Henri Omont, conservateur des manuscrits à la Biblio- thèque nationale, au mois de septembre 1909, sont tout ce qui nous est parvenu du Roman du. lévrier An-bilés, qui fut aujourd'hui son entrée dans l'histoire littéraire. Cette entrée ne sera pas sensationnelle, et Fon peut se consoler de n'en posséder que les 5 i premiers vers, plus un autre fragment de 50 vers, séparé du premier par une lacune que l'on ne saurait évaluer exactement. Le facsimilé de la première page, qui est joint à cette notice, me dispensera d'une trop minutieuse description. Le poème débute, sans titre, par un O majuscule en or décoré à l'intérieur et à l'extérieur de rosaces, filets, rinceaux et autres enjolivures à l'encre bleue, pointillés de rouge. Chaque page a régulièrement 25 lignes; mais le scribe ayant passé un vers après le 48e, une main postérieure a réparé cet oubli en inscrivant le vers passé à droite et sur la lnùmc ligne : de là au total ior vers au lieu de ioo. L'écriture me paraît remonter au premier quart du xve siècle, et je n'hésite pas à l'attribuer à une main fran- çaise. En revanche, il inc paraît certain que l'auteur de notre poème doit être un Italien. Mais avant d'aborder cette ques- tion délicate, il est indispensable de donner l'analyse de nos deux fragments. Le premier feuillet ne nous a pas conservé tout le pro- logue de l'auteur, qui paraît avoir été long. Voulant faire d'un lévrier le héros de son poème, il invoque d'abord l'au- t BLtJO lhf \( - - Document -. - II Il II il II If I f III 11111 11111 0000005568239 •--- -• •-"--

Le roman du levrier Archiles

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Page 1: Le roman du levrier Archiles

LE ROMAN DU LÉVRIER ARCHJLÈS

FRAGMENT D'UN POÈME FRANÇAIS COMPOSÉ EN ITALIE

Deux feuillets de parchemin, dc om,164 de large sur 0m,240

de haut, communiqués par M. Jacques Rosenthal, de Munich,à M. Henri Omont, conservateur des manuscrits à la Biblio-thèque nationale, au mois de septembre 1909, sont tout cequi nous est parvenu du Roman du. lévrier An-bilés, qui futaujourd'hui son entrée dans l'histoire littéraire. Cette entréene sera pas sensationnelle, et Fon peut se consoler de n'enposséder que les 5 i premiers vers, plus un autre fragment de50 vers, séparé du premier par une lacune que l'on ne sauraitévaluer exactement.

Le facsimilé de la première page, qui est joint à cettenotice, me dispensera d'une trop minutieuse description. Lepoème débute, sans titre, par un O majuscule en or décoréà l'intérieur et à l'extérieur de rosaces, filets, rinceaux etautres enjolivures à l'encre bleue, pointillés de rouge. Chaquepage a régulièrement 25 lignes; mais le scribe ayant passé unvers après le 48e, une main postérieure a réparé cet oubli eninscrivant le vers passé à droite et sur la lnùmc ligne : de làau total ior vers au lieu de ioo.

L'écriture me paraît remonter au premier quart duxve siècle, et je n'hésite pas à l'attribuer à une main fran-çaise. En revanche, il inc paraît certain que l'auteur de notrepoème doit être un Italien. Mais avant d'aborder cette ques-tion délicate, il est indispensable de donner l'analyse de nosdeux fragments.

Le premier feuillet ne nous a pas conservé tout le pro-logue de l'auteur, qui paraît avoir été long. Voulant faired'un lévrier le héros de son poème, il invoque d'abord l'au-

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2 A. THOMAS

torité d'Ovide, puis, avec plus d'insistance, celle du Roman de

Renart : ici et là l'on trouve des bêtes qui parlent. Il passeensuite à.l'éloge des lévriers, principale source de ( plaisance »pour les grands seigneurs; or, d'après lui « plaisance )) est un« tresor grant » car il n'est richesse en ce monde

Qui vaille envers plesance l'elie d'un papeillon (y . 40).

Enfin, se disposant à nous dire pourquoi il a choisi cesujet, il rappelle que les nobles étrangers ont toujours affluéen Lombardie, « le bon païs peuplé »... Ici s'arrête notrefragment initial.

Le deuxième fragment s'ouvre par seize vers qui formentla fin d'un discours. Nous apprenons par la suite que l'ora-teur est e Arcliilès li courtois e le lévrier le mieux dressé

Qui otiques fust menez a champz n'a boys ramage (y. 99).

S'adressant à ses compagnons, Archilès leur apprend queson maître e Monseigneur le comte e a décidé de lui « don-ner moullier e pour perpétuer sa race, destinée à faire l'admi-ration de l'Italie

S'en fera mension ii peuples d'Ytalye ( y. 67).

Le reste du fragment est consacré à l'éloge du e courtoisArchilès. L'auteur énumère en grand détail ses avantages phy-siques, puis il passe au moral, et ne craint pas d'entrer dansdes détails qu'un poète plus retenu se serait fait scrupule deprésenter à son lecteur:

Ii est puis debonnaires q'uns agnelet chastrez,N'onques jour de sa vie - ce fait est bien provez -Ne fist ordure en chambre, tant fust bien enfermés,Ainssois attandroit il .ij. ou iii. jours passez.S'il voit levriere chaude, il est si dottrinésQue jamais ne feroit nesunes nicetésAinsy qu'autres levriés ors et deshordenez ( y . 87 et s.).

L'éloge d'Archilès reprend avec une nouvelle tirade, maisla page se termine au cinquième vers, et nous ne savons riendu reste du poème.

Comme le lecteur a déjà pu s'en rendre compte, le

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LE ROMAN DU LÉVRIER ARCHILéS 3

Roman du lévrier Archilés est écrit en vers de douze syllabesexactement rimés et répartis en tirades plus ou moins longues.Le style est de la dernière faiblesse, sans vie, sans couleur. Larime est obtenue à l'aide des plus misérables chevilles. L'au-teur possède assez bien le français qu'on écrivait de son temps:toutefois il emploie pour au lieu de par (y . 26), et il fautnoter qu'il fait usage de inainnion (y . 23), mot peu répandu enFrance au moyen âge. Ces deux indices, quoique légers,dénoncent un Italien. Ce qui parle surtout dans le mêmesens, ce sont les deux passages où il est question de l'Italie(y. 47 et s., y . 67), et que je ne crois pas qu'un Français aitpu écrire. La forme même du nom du héros, Archilès (pourAchilês), me paraît aussi (bien que je n'aie pas d'exemple pré-cis à alléguer) indiquer une provenance italienne. Quant àl'idée de donner à un lévrier le nom d'un guerrier illustredans le cycle de Troie, elle a pu se présenter à l'esprit d'unécrivain quelconque : je rappelle que dans la 8e pastourellede Froissart, il est question d'un lévrier qui s'appelle Hector.

Où vivait l'auteur de notre poème? Selon toute vraisem-blance, dans l'une des nombreuses cours princières du nordde l'Italie, où la culture française est restée florissante jusqu'audébut du Kyc siècle. Mais il est impossible de préciser davan-tage, si l'on ne veut pas s'abandonner aux conjectures. Il fautattendre aussi quelque découverte ultérieure pour se prononcerdéfinitivement sur le caractère général de cette oeuvre tron-quée où, à défaut de mérite littéraire, il y aurait probable-ment, si on la possédait tout entière, à relever quelquestraits intéressants pour la peinture de la vie aristocratiquedans la vallée du Pô au déclin du moyen tige.

I

On dist aucune fois en commune ravsonQue ravson figurce est une ficcion.Les figures d'Ovide nous monstrent par raysonQu'on puet bicn figurer par bonne opinionLes choses de ce monde que tous les jours voit on.

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A. T1IOMAS

Li livres de Renars L flOUS en fait mcncion,Quant il mena la guerre contre le roy LionMainte belle figure par consolacionY est bien figuree, et par bonne accion,

so Dont on puet bien sentir, en l'operacion,De bons enseingnelnens en bonne advision,Quant on a de I'ouir bonne devocionEt de bien retenir certaine entencion.A ce tamps que Renars fist la dissencion

15 Contre Lyon son rov, qui dominacionDoit avoir sur les bestes senz contradiccion,l'arloient moult de bcstcs, faisans colacionDe la guerre morteuse qui dura gram foisonOurs, lyon et liepart, leu, renars et taisson,

20 Cerf et daing, porc sauvaige, connin et hcrisson,Lievre, gouppil' et chas, tigre, serpent, dragon,Kastor et porc espy et singes et maiurnon3,Pantere et le chaniiau, olifant et griffon,Lvcorne et coq basille 4, qui d'un regart felon

25 Met creature humaine a exeçucion,Vaches, buefs et toreaux, chievre, brebis, moutonEt autres plus[eur]s bestes de diverse façonsQui nommer les vouidroit, trop [temps 6] y mettrait onMais pour nostre matiere mettre a conclusion

30 Selon nostrey[ n itroïte fortnee de raison,Vouldray exerciter 7 et par prohacionLa matiere que j'ay pris par eleccion.Il est bien venté que grande mencionFont li noble seigneur de haulte estracion

35 De lcvriés, quant il sont courtois et bel et bon,Car c'est pour un seigneur grant rccrcacionEt moult grande plaisance, selon m'opiuionJe l'appelle tresor gram par coniparison,

I- Ici et plus loin (vv, 14 et 19) la dernière syllabe du mot renars paraitavoir été grattée intentionnellement, mais la leçon n'est pas douteuse, carles quatre dernières lettres transparaissent encore sous le grattage.

2. L'auteur ne parait pas s'être aperçu que renars et gouppil faisaientdouble emploi.

3 Variété de singe. Sur ce mot nsainmon, voir Romania, XXXVIII, 556et s., où j'ai préciéinent cité ce vers de notre poème.

4. Basilic; cf. Godefroy, COQOASILE.. Ms. JOCO,L

6. Mot passé p:lr le scri[,c.7. Ms. execci'ï.

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LE ROMAN DU LÉVRIER ARCH1LS

Car il n'est en ce monde argent, or en mangon40 Qui s'aille envers plesance l'elie d'un papeillon,

Car plesance nourist homme en compleccionEt Poste de penser de tribiilacionOn en voit tous les jours vraye apparicion.

Or escoutés pour quoy j'ay ceste auctorité45 Formee en retorique, dont li ver sont rimé

Chascuns doit aujourdv savoir pour ventéQue dedens Lonibardyc, le bon pais peuplé,Sont jadiz voulenticrs venu et arivéPluiseur homme d'estat, de bien faire apresté

;o Qui vont cerchant le monde de bonne voulenté,Car li noble estranger y Ont toudiz trouvé

Lii

« Envoyent l'un a l'autre par amour conioe« Choses dont vraye amour soit en chascun nourrie.« Nous sommes des gcntilz norry toute no vie,

55 « Et si sommes gentil et de gentil lignie,Et guardé et nourrv en dottrine prisie,

« Dont chascuns de nous doit luy garder de folye.cc On dist en cest chastel, j'en av la voix ope,« Que pour ce que Nature, par sa noble maistnie,

6o « M'a formé si parfait en beauté addrecie 3,

« Que Mons[eigneur] le conte, ou j'ay m'amour fichie 4,

s Me vueit 5 donner moullier, pour acroistre lignic 6

s Et pour avoir enfans, qui lés ne seront mie,« Adfin qu'en tamps futur, quant je leray la vie,

6; « Demeurent mes enfans et de ma progenie,« Qui seront, se Dieu plest, de voulenté hardie,s S'en fera mension li peuples d'Ytalye. »

Archilês li courtois, qui tant est bien amés,Fu de ses compaïgnons doulcernent escoutés,

70 Obe?s et cremus, servis et honuorés,Quar sur trestous les autres est li plus esmerés.

i. Pour au lieu de par est un italianisme flagrant.2. Le vers 49, passé par le scribe, a été ajouté par une main postérieure

à la suite du vers précédent et sur la même ligne.3. Ms. addrecee.

4. Ms. flcbee.

5. Ms. vuelst.6. Ms. lignee.

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A. THOMAS

Je vous vueil deviser de ses grandes beautés11 a moult belle teste, amont ploiant le nés,Large entroeil et bons ieulx, hardiz et redoubtez,

75 Courtes oreilles, jointes justement, l'advisez,Gros col et longue echine large par les costés,Grossez cuissez, et s'est t de poitrinne avalez,Bas devant, et les pies a il gros et fourmés;Des .ij. fesses darrieres est il bien estoffés,

8o Et au bout de ]'eschine a grosse queue assezEn agrelyant jus. Et s'est 4 acousturnésDes plus nobles coustumes, et li mielz avisezQu'onques fust nuiz levriés qu'en ce inonde (u nc,Quar, avec ce qu'il est gentement fassonnez,

85 Doulz est et amoureux, debonnaire et privezOnques honis ne levriés ne fust par luy grevez.Il est plus debonnaires qu'uns agnelet chastrez,N'onqucs jour de sa vie - ce fait est bien provez -Ne fist ordure en chambre, tant fust bien enfermés,

90 Ainssoys attandroit il .ij. ou .iij. jours passez.S'il voit levriere chaude 6, il est si dourinésQue jamais ne feroit nesunes nicetésAnsy qu'autres levriés ors et deshordenezNon mye qu'il 7 ne soit vrays levriés naturez,

95 Car il a des levriés en son tanips engenrezPlus[eurs], qui sont moult bel - je les ay regardez -.Archilés le courtoys, qui tant a le cuer saige,Est 8 li plus addreciés 9 levriés et par usageQui onques fust menez a champs n'a boys ramage,

100 Flardiz et" preux et fors, et scet son avantaigePrandre a son eunemy grever par vasselage

Antoine THOMAS.

i. Ms. gratis, corrigé en grandes par une main postérieure.2. Ms. eut roiel.3. Ms. cest.4. Ms. cesi.5. Ms.priue.6. Ms. chaude.. Ms. qui.

8. Ms. Et.9. Ms. aidreies, à moins qu'on ne voie entre o et r une sorte de double

d dont la partie inférieure est géminée et dont la partie supérieure estsimple, mais plus développée que dans la forme ordinaire.

10. Et manque dans lems.

MACON, PROTAT FRÈRES, IMPRIMEURS

Page 7: Le roman du levrier Archiles

P. 18[

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