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14 Nouvelle Revue Pédagogique - Lycée / n° 22 / novembre 2006 I. Une représentation fictionnelle > p. 15 1/ L’invention du personnage par le romancier 2/ Le personnage et son lecteur 3/ Le portrait 4/ L’identité narrative II. Le personnage et l’action > p. 18 1/ Fonction du personnage 2/ Un « modèle actantiel » III. Le personnage : un signe > p. 20 1/ Typologie 2/ Les personnages référentiels 3/ La signification du nom IV. Crise du personnage et héros problématique > p. 21 1/ La remise en cause du personnage 2/ Le héros, une notion problématique 3/ L’individu et le type 4/ La production des valeurs V. En guise de conclusion > p. 23 Le romancier et ses personnages (1) Par Nathalie Piégay-Gros* L’histoire du roman nous invite à considérer le personnage comme une évidence du genre : c’est souvent le héros qui identifie le roman, depuis Don Quichotte jusqu’à Harry Potter, en passant par Manon Lescaut, Madame Bovary, Mrs Dalloway et tant d’autres figures qui peuplent l’imaginaire romanesque… Pourtant, le personnage est d’abord secondaire, selon Aristote, qui considère qu’il est toujours subordonné à l’action (dramatique ou narrative) ; c’est l’intrigue qui commande le récit, celui qui agit (c’est ainsi que le personnage apparaît d’abord) n’intervenant que secondairement. Si le roman devient le règne du personnage, c’est que celui-ci n’est plus seulement un rôle, mais une entité existentielle et psychologique de plus en plus individualisée. Henry James renverse ainsi les termes du postulat aristotélicien : « qu’est-ce que l’action sinon l’illustration du personnage ? » Aussi le personnage est-il le pilier de l’invention et le nerf du plaisir de lecture propre au roman. Mais c’est aussi lui qui cristallisera les critiques du genre, chaque fois que le roman est remis en cause. Quelle que soit l’importance du personnage dans le roman, il ne saurait donc suffire à définir le genre. SOMMAIRE DOSSIER

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I. Une représentation fictionnelle > p. 15

1/ L’invention du personnage par le romancier

2/ Le personnage et son lecteur

3/ Le portrait

4/ L’identité narrative

II. Le personnage et l’action > p. 18

1/ Fonction du personnage

2/ Un « modèle actantiel »

III. Le personnage : un signe > p. 20

1/ Typologie

2/ Les personnages référentiels

3/ La signification du nom

IV. Crise du personnage et héros problématique > p. 21

1/ La remise en cause du personnage

2/ Le héros, une notion problématique

3/ L’individu et le type

4/ La production des valeurs

V. En guise de conclusion > p. 23

Le romancier et ses personnages (1)Par Nathalie Piégay-Gros*

L’histoire du roman nous invite à considérer le personnagecomme une évidence du genre : c’est souvent le héros qui identifie le roman, depuis Don Quichotte jusqu’à HarryPotter, en passant par Manon Lescaut, Madame Bovary, Mrs Dalloway et tant d’autres figures qui peuplent l’imaginaireromanesque… Pourtant, le personnage est d’abord secondaire,selon Aristote, qui considère qu’il est toujours subordonné à l’action (dramatique ou narrative) ; c’est l’intrigue qui commande le récit, celui qui agit (c’est ainsi que le personnage apparaît d’abord) n’intervenant que secondairement.Si le roman devient le règne du personnage, c’est que celui-cin’est plus seulement un rôle, mais une entité existentielle et psychologique de plus en plus individualisée. Henry Jamesrenverse ainsi les termes du postulat aristotélicien : « qu’est-ce que l’action sinon l’illustration du personnage ? »Aussi le personnage est-il le pilier de l’invention et le nerf du plaisir de lecture propre au roman. Mais c’est aussi lui qui cristallisera les critiques du genre, chaque fois que le romanest remis en cause. Quelle que soit l’importance du personnagedans le roman, il ne saurait donc suffire à définir le genre.

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Dans un second volet de ce dossier,nous analyserons la façon dont le romanse soustrait aux délimitations formelles etgénériques : genre lawless, sans règle,selon le mot de Gide, le roman a unesouplesse qui lui permet de se modifieret de se renouveler sans cesse. Aussinous tenterons non pas de le définir maisde montrer comment il a pu être l’objetde conceptions très diverses. Qu’ils’agisse de l’impérialisme qu’il exerceaujourd’hui sur tous les autres genres oude ses enjeux philosophiques (le romanest affaire de connaissance et de pen-sée), il reste une expression majeure dela plasticité et de la complexité litté-raires.

I. Une représentationfictionnelle

1/L’invention du personnage par le romancier

L’invention du personnage est souventconçue comme le moment-clé de l’écri-ture romanesque. Elle peut être penséecomme un enfantement ; la correspon-dance de Flaubert est pleine de notationsqui développent cette image. La naturelyrique de cet auteur (d’aucuns diraienthallucinée) le conduit en effet à s’exalteret à s’exorciser dans des créatures quiparaissent l’habiter autant qu’il lesenfante (Emma Bovary par excellence,mais aussi Léon, Homais, Charles) : créerun personnage, ce serait donner vie à unepersonne. Henry James remarque « àmon avis, l’intensité de l’effort créateurfourni pour entrer dans la peau de sacréation témoigne toujours d’une passionadmirable ; c’est un acte de possessiond’un être par un autre poussé à sonextrême1 ».

Les romanciers sont nombreux à par-ler de leur personnage comme s’il étaitréel, comme si se nouait avec lui unerelation de personne à personne. Ainsi,Marguerite Yourcenar, dans les Carnets

de notes de L’Œuvre au Noir confie, defaçon très émouvante, comment, sou-vent dans ses insomnies, elle a eu« l’impression de tendre la main àZénon se reposant d’exister, couché surle même lit ». Suit une description trèsprécise et sensuelle de cette main dontelle dit connaître « la pression », « [le]degré exact de chaleur » (Gallimard,Folio, p. 464).

C’est que le personnage est conçucomme la transposition d’une expérienceou d’une personne réelle. Sans vouloirsimplifier cette alchimie complexe parlaquelle le roman puise dans l’expériencedu romancier, bien souvent l’inventions’enracine dans la réalité pour aboutir àune figure fictionnelle : non qu’elle ladécalque purement et simplement, maiselle la déplace, lui impose différents pro-cédés de grossissement, atténuation,hybridation… Ce dernier point est sansdoute le plus important : jamais un per-sonnage de roman n’est purement et sim-plement la transposition d’une personneréelle ; il est le produit d’un croisemententre différents traits de personnes dis-tinctes et le romancier s’y trouve lui-même mêlé. Ainsi, dans la préface deson roman Aurélien, Aragon reconnaîtque son personnage n’est ni DrieuLa Rochelle ni lui-même, mais qu’il a puchercher « dans l’un et l’autre une sortede vérification du personnage créé ».Comme Drieu, Aurélien a fini la guerre àl’armée d’Orient en 1918, mais Aragonéloigne Aurélien de l’évolution de Drieuvers l’extrême droite, refusant, mêmelorsqu’il écrit contre ses personnages, deles noircir. Il s’agit toujours pour lui decomprendre Aurélien Leurtillois, même siderrière lui « se profile un paysageatroce », même s’il devient « l’instrumentde tout ce qui [lui] est ennemi ».

Mauriac affirmait, lui, que seuls sespersonnages secondaires pouvaient avoirété empruntés à la vie et formulait larègle selon laquelle moins un personnagea d’importance dans le récit, « plus il ade chances d’avoir été pris tel quel dansla réalité ». Pour les autres, s’il a toujourssitué ses personnages dans son milieu

d’origine (la province bordelaise, bour-geoise et catholique), il a profondémentmodifié son atmosphère, déchaînant « enimagination les plus terribles drames aufond de ces honnêtes maisons provin-ciales » ; dans le roman, il y a de l’arse-nic (Nœud de vipères) là où les vieillesdames dont dérive Thérèse Desqueyrouxne servaient au petit garçon qu’il fut quedes « crèmes pâtissières, des pâtes decoing et un grand verre un peu écœurantde sirop d’orgeat2 ». Le personnage estfait de cette part maudite que le roman-cier exorcise par l’écriture.

Le roman est une « loupe » qui ampli-fie et simplifie les tentations et les pas-sions, jusqu’à les rendre monstrueuses. Ilest alors le lieu où se reconfigure l’expé-rience personnelle, autorisant la libertéde déplacer ce que l’on est et ce que l’ona vécu. Il y aurait donc une part de véritéplus grande dans le roman que dans l’au-tobiographie (c’est, par exemple, l’hypo-thèse que fait Thibaudet à propos deFlaubert) : il permet de dire l’expériencepersonnelle à travers le prisme de person-nages inventés, au plus près de la com-plexité de l’existence. Sans doute est-ceainsi que l’on peut comprendre pourquoi

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Le romancier et ses personnages (1)

Frontispice pour une édition de Madame Bovary.

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c’est dans des romans que certains écri-vains ont situé la quête d’une vérité sursoi qu’ils permettaient de formuler auplus juste : c’est par excellence le casd’À la recherche du temps perdu deProust ou, dans un autre registre, du Pre-mier homme de Camus. Ce dernierinvente Jacques Cormery pour raconter,au plus près de ce qu’il a vécu, sa propreenfance à Alger. Pourquoi sinon ne pasavoir écrit son autobiographie ?

Cette conception du personnagecomme représentation fictionnelle d’unepersonne explique que l’on cherche àidentifier « derrière » le personnage deroman la ou les personnes qui luiauraient servi de modèle. C’est ainsi quel’on a pu voir dans madame Arnoux ÉlisaSchlesinger, le grand amour de Flaubert,ou, plus grave, imputer à Flaubert lespropos et pensées qu’il prête à EmmaBovary. Le réquisitoire du procureurPinard (publié en annexe de l’éditionFolio de l’œuvre) montre parfaitementcomment la condamnation du roman en1857 procède de l’assimilation pure etsimple du personnage fictionnel à unepersonne réelle, dont on juge la moralité.Une telle démarche a quelque chose deréducteur puisque aussi bien tout person-nage est la projection et la reconfigura-tion complexes de moments autant quede constantes, de tendances refoulées oufantasmées autant que de traits assumésd’une personnalité.

2/ Le personnage et son lecteur

Mais une telle conception a égalementpour corollaire d’autoriser tous les effetsd’identification. Proust a très bien analysédans Du côté de chez Swann comment lepersonnage, parce qu’il n’est pas réel(même Françoise le remarque), susciteune émotion et une compréhension parti-culièrement intenses : « La trouvaille duromancier a été d’avoir l’idée de rempla-cer ces parties impénétrables à l’âme[celles qui font l’opacité des personnesréelles avec lesquelles nous pouvons sym-pathiser] par une quantité égale de par-

ties immatérielles, c’est-à-dire que notreâme peut assimiler ». Alors, les aventureset les émotions des personnages nousarrivent à nous-mêmes lecteurs et « tien-nent sous leur dépendance, tandis quenous tournons fiévreusement les pages dulivre, la rapidité de notre respiration etl’intensité de notre regard » (Du côté dechez Swann, Garnier-Flammarion, 1987,p. 187). C’est que le roman a la particu-larité irremplaçable de nous faire pénétrerdans la « tête » des personnages et denous les faire connaître mieux que toutautre genre – mieux même, comme le ditProust, que la connaissance réelle ne lepermet : supériorité de la fiction ! (Nousreviendrons dans le deuxième volet decette étude sur ce type de connaissanceque le roman peut délivrer).

Le chapitre V de Bouvard et Pécu-chet met en scène une expérience delecture romanesque très précieuse pourcomprendre ce que Vincent Jouve aappelé « l’effet-personnage3 ». Les deuxcomparses retirés à Chavignol s’em-ploient à lire des romans historiques. Ilssont alors emportés dans un mondemerveilleux qui les captive et voient pro-gressivement les personnages qui audépart n’étaient pour eux que « desnoms » devenir des « êtres vivants, rois,princes, sorciers, valets, gardes-chasse,moines, bohémiens, marchands et sol-dats […] ». Grâce au personnage, la fic-tion s’anime et produit une forteillusion : Bouvard et Pécuchet suiventles aventures narrées par Walter Scott,s’identifiant aux personnages (le pas-sage du pronom personnel au pronomindéfini le montre), pénètrent dans unmonde qui n’est que mouvement etaventures : « On suit des yeux un cava-lier qui galope le long des grèves. Onaspire au milieu des genêts la fraîcheurdu vent, la lune éclaire des lacs oùglisse un bateau […] ». L’effet-person-nage conjugue l’animation, l’identifica-tion et la transformation (du lecteur parle personnage) : « Il [Bouvard] s’enthou-siasma pour les belles adultères [deGeorge Sand] et les nobles amants,aurait voulu être Jacques, Simon, Béné-

dict, Lélio et habiter Venise ! Il poussaitdes soupirs, ne savait ce qu’il avait, setrouvait lui-même changé ».

3/ Le portrait

� La descriptionLa représentation du personnage est

principalement assurée par son portrait.C’est lui qui nous détaille les caractéris-tiques morales et physiques qui formentle substrat de son identité. Souvent prisen charge par le narrateur (songeons aufameux portrait de Charles Bovary à lacasquette au début du roman), il peutaussi être focalisé par le regard d’untiers : ainsi au début de L’Éducation sen-timentale, le portrait de madame Arnouxest tout entier livré par le regard de Fré-déric Moreau. La description du person-nage caractérise aussi celui qui leregarde : ce qu’il voit, la manière dont ilregarde nous apprend quels sont sesdésirs, sa culture… Ainsi, dans Un amourde Swann le portrait d’Odette permet à lafois au narrateur de décrire celle dontSwann est éperdument amoureux et demontrer comment il se complait à retrou-ver dans les êtres qu’il côtoie les souve-nirs et les images de représentationsartistiques. Odette est référée à Zéphoratelle qu’elle apparaît dans une fresque deBotticelli si bien qu’elle est encore plusprécieuse aux yeux de Swann. D’unemanière générale, dans À la recherche dutemps perdu, les personnages sontdécrits avec un luxe de détails et unepassion méticuleuse et sensible (les por-traits de madame Swann dans À l’ombredes jeunes filles en fleurs sont à cetégard très remarquables) ; mais cetteluxuriance du portrait ne permet pas tou-jours de saisir une identité stable : aucontraire, ce qui intéresse Proust, c’est latension vers une individualisation d’abordproblématique. Qu’il s’agisse d’Odette,référée par Swann à une peinture de Bot-ticelli, ou du narrateur découvrant à Bal-bec la bande des jeunes filles (« bouquetde roses », « grappe de fleurs », « bandesde mouettes ») d’où peu à peu desvisages singuliers vont émerger, la

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Le romancier et ses personnages (1)

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démarche est la même : le portrait estl’occasion de mettre à l’épreuve l’indivi-dualité d’un être, extraite d’une série ourapportée à une généralité qui l’englobeet la dépasse.

� La focalisation interneLa focalisation interne permet égale-

ment d’articuler étroitement le portraitdu personnage et l’action narrative, évi-tant ainsi que la description ne soit tropautonome par rapport à la narration ; àcet égard, elle s’oppose très nettementaux galeries de portraits qui font d’aborddéfiler les personnages avant de les faireentrer dans l’histoire (c’est le cas, parexemple, de Modeste Mignon de Balzac,construit sur un modèle dramatique quifait des premiers chapitres l’équivalentd’une scène d’exposition où l’on pré-sente les personnages). Dans Le Hussardsur le toit, Giono exploite très habile-ment les procédés de la focalisationinterne. Lorsqu’Angélo voit pour la pre-mière fois celle qui sera longuementnommée « la jeune femme » (avant queson identité, Pauline de Théus, soit fina-lement révélée), il ne perçoit d’abord queson costume : « une jupe verte, courte etronde sur des bottes qu’une cravache

battait ». Puis son regard s’arrête sur lamain de la jeune femme, sur son cha-peau : « Tout cela appartenait à un petitfeutre Louis XI jaune soufre et à unenuque très blanche ». C’est à la fin seu-lement qu’un visage apparaît : « Angélovit un petit visage de fer de lance enca-dré de lourds cheveux noirs » (Gallimard,1951 ; Folio, 1972, p. 300). Le portraitdu personnage, strictement limité à ceque voit et sait Angélo, est donc parcel-laire, garde une part d’indétermination ;il est étroitement subordonné à l’histoireracontée et plus particulièrement à larelation qui se noue entre les person-nages. Mais c’est là une constante dupersonnage de roman : il est toujourslacunaire et comporte nécessairementune part d’indétermination. Ainsi, dansManon Lescaut, malgré le grand nombrede portraits de Manon, nous ne savonspas grand-chose de sa physionomie ; soncharme, sa beauté, son caractère insai-sissable, l’ambivalence de sa condi-tion… sont mis en avant, comme s’il fal-lait justement laisser une marge derêverie et d’indétermination. Pourtant, etnous reviendrons sur ce point dans ladeuxième partie de ce dossier, le propredu roman est aussi de nous introduiredans la vie psychique des personnages.Mais la caractérisation est toujours par-tielle et il faut s’interroger sur les choixqui président au portrait : mettre l’ac-cent sur le physique plutôt que sur lepsychologique, sur le costume plutôt quesur la manière de parler, etc. est toujourssignificatif. Les romans de Balzac secaractérisent souvent par la façon dontle portrait du personnage est solidaire deson milieu : sa maison, son mobilier sontdécrits aussi précisément que sa physio-nomie et son costume et sont présentésdans la continuité l’un de l’autre, poursuggérer que l’homme ne peut êtreappréhendé indépendamment des condi-tions matérielles dans lesquelles il vit.Ainsi, au début du Père Goriot, lacélèbre description de la pension Vau-quer aboutit au portrait de madame Vau-quer, mais seulement après que le narra-teur nous a fait pénétrer d’abord dans le

quartier, puis dans la rue, puis dans lamaison, dont il décrit d’abord le jardin,puis la cour, puis le premier étage, puisles suivants. Dans Les Travailleurs de lamer, la maison où vit Gilliatt est elleaussi longuement décrite par Hugo avantque le portrait du personnage ne soitentrepris. Mais ici, c’est moins l’impor-tance du milieu qui motive cette solida-rité de la maison et du personnage quel’histoire et les rumeurs qu’elle permetde raconter. L’identité et le portrait dupersonnage font naturellement place àsa biographie et à sa généalogie : en nar-rant son histoire, le narrateur nousapprend à le connaître. L’histoire de Gil-liatt est affaire de réputations, derumeurs qui épaississent le mystère dupersonnage. Il faut ainsi attendre ledébut du chapitre VI pour que son por-trait physique soit ébauché : « Les fillesle trouvaient laid.

Il n’était pas laid. Il était beau peut-être. Il avait dans le profil quelque chosed’un barbare antique. Au repos, il res-semblait à un Dace de la colonne Tra-jane. Son oreille était petite […] » (Galli-mard, Folio, 1980, p. 112).

4/ L’identité narrative

Élément constitutif du personnageromanesque, le portrait, nous l’avons vu,est rarement séparé de l’histoire et de labiographie du personnage. L’identité dupersonnage de roman, et c’est là unespécificité essentielle, se construit dansle temps. Le roman, à maints égards,est un art du temps, et assurément lepersonnage romanesque est un élémentessentiel de cette configuration tempo-relle : pris dans une évolution, ilchange, vieillit ; même lorsque la dié-gèse est restreinte (nombreuses sont lesœuvres qui ont pour cadre diégétiqueune seule journée : Ulysse, de Joyce ;La Mort de Virgile, d’Hermann Broch ;Histoire, de Claude Simon…), le travailde la mémoire et, à de moindres égards,la projection des personnages dansl’avenir élargissent de façon considé-rable l’empan temporel du roman. Aussi

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Zéphora, détail de « Les deux filles de Jéthro » de Botticelli. Chapelle Sixtine, Rome.

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l’identité du personnage ne sauraitrésulter de son seul portrait. Comme l’amontré le philosophe Paul Ricœur,l’identité ne peut être pensée seulementcomme permanence dans le temps.Mais il n’est pas pour autant réductibleà la « mêmeté » (c’est ce que signifie lelatin idem) ; elle est aussi affaired’« ipséité » (du latin ipse) qui met l’ac-cent sur le maintien de soi dans letemps. C’est justement le propre del’identité narrative que de montrer ladialectique entre l’identité commemêmeté et l’identité comme ipséité ; enoutre, le récit, et plus particulièrementle roman, est un laboratoire qui montreles variations de l’identité et s’emploie àles explorer (Ricœur considère le récitnon seulement comme un espace dereprésentation, mais surtout commecelui où ont lieu des expériences depensée). Si le récit le plus simple (leconte, par exemple) met en scène sur-tout le personnage comme caractèrestable et identifiable par ses traits(mêmeté), le roman classique (de LaPrincesse de Clèves à Flaubert) montrecomment l’identification du mêmedevient problématique : le personnagene peut être appréhendé qu’au termed’une dialectique qui croise le sujetcomme idem et comme ipse (égal à lui-même dans le temps). Le propre duroman d’apprentissage est justement defaire passer notre appréhension du per-sonnage de la mêmeté à l’ipséité. C’estle cas du Wilhelm Meister de Gœthe, deRastignac dans Le Père Goriot ou deLucien de Rubempré dans Illusions per-dues. « Le récit construit l’identité dupersonnage, qu’on peut appeler sonidentité narrative, en construisant cellede l’histoire racontée. C’est l’identité del’histoire qui fait l’identité du person-nage » (Paul Ricœur, Soi-même commeun autre, Seuil, Points Essais, p. 175).Mais dans le roman moderne et contem-porain, l’identité du personnage estbeaucoup plus problématique, et le pôledu idem s’affaiblit considérablement : lepôle de l’ipséité est dominant, l’identité,à la limite, est appréhendée au défaut

de la mêmeté ; le personnage ne peutplus s’égaler à son caractère. C’est ceque l’on nomme crise d’identité du per-sonnage avec, par exemple, L’Hommesans qualité (ohne Eigenschaft : sanspropriété plus exactement) de Musil.Une telle évolution du personnagerepose bien sûr sur une modificationprofonde du roman lui-même : l’intriguene tend plus à la clôture, le récit peine àconfigurer une totalité qui fasse sens.Le roman tend alors à se défaire et àêtre gagné par l’essai, la méditation phi-losophique.

Cette importance de la clôture et del’achèvement avait bien été notée parAlbert Camus dans L’Homme révolté.Pour lui, le propre du roman est de repré-senter un monde imaginaire qui corrige lenôtre : c’est un monde plus absolu « oùles passions ne sont jamais distraites, oùles êtres sont livrés à l’idée fixe et tou-jours présents les uns aux autres ». Lacorrection opérée sur le roman n’est nid’ordre moral ni d’ordre formel (il nes’agit ni d’idéaliser ni d’enjoliver) : elleest métaphysique. Elle transforme lesaléas de la vie en destin : elle tend àcontrecarrer tout ce qui relève du hasard.Le roman concourt toujours à produire dusens : il « fabrique du destin surmesure ». C’est pourquoi ses person-nages sont à la fois comme nous et fon-damentalement différents :

« La souffrance est la même, le men-songe et l’amour. Les héros ont notrelangage, nos faiblesses, nos forces. Leurunivers n’est ni plus beau ni plus édi-fiant que le nôtre. Mais eux, du moins,courent jusqu’au bout de leur destin et iln’est même jamais de si bouleversantshéros que ceux qui vont jusqu’à l’extré-mité de leur passion, Kirilov et Stavro-guine, Mme Graslin, Julien Sorel ou leprince de Clèves. C’est ici que nous per-dons leur mesure, car ils finissent alorsce que nous n’achevons jamais » (Galli-mard, Bibliothèque de la Pléiade,p. 666).

Façon de dire que le roman s’achèveavec le destin du personnage : avec samort. Le cours du roman est si bien cal-

qué sur celui de la vie du personnage quenous savons (et redoutons) que l’avancéevers la mort va bientôt nous contraindre àfermer le livre (comme le note PierreMichon, « le vieux Goriot, le beauRubempré, la chaude Esther, la gentilleHenriette Rastignac […] à la fin, ils sonttous morts et […] c’est pour cela quenous les aimons », Mythologies, Troisauteurs, Lagrasse, Verdier, 1997, p. 12).Un des plaisirs les plus forts de la lecturedu roman, comme l’a noté justement lephilosophe allemand Walter Benjamin,est donc non pas de nous faire partagerdes expériences de la vie, mais plus fon-damentalement de nous faire apprivoiserla mort qui aimante l’histoire que nouslisons comme le destin des personnagesauquel nous nous attachons.

II. Le personnage et l’action

1/ Fonction du personnage

Nous avons jusqu’à présent considéréle personnage romanesque comme unereprésentation fictionnelle. Mais le per-sonnage est aussi un élément essentielde l’action narrative (c’est pourquoi,nous l’avons rappelé, Aristote pouvaitconsidérer qu’il est toujours second parrapport à l’intrigue). Il n’est plus alorsperçu à l’instar de la personne (avec sonidentité, ses signes caractéristiques…),mais comme un rôle dans un systèmed’actions. La fonction principale du per-sonnage ne serait donc pas de représen-ter tel ou tel aspect de la psychè ou dela condition humaine mais de concourirà la progression de la narration et audéveloppement de l’intrigue. Ainsi, Chk-lovski, représentatif de tout un courantthéorique, le formalisme russe, dontl’influence est considérable sur le struc-turalisme et plus largement les théoriespoétiques du récit, pouvait-il dire à pro-pos de Gil Blas de Lesage : « Gil Blasn’est pas un homme, c’est le fil qui relieles épisodes du roman » (« La construc-tion de la nouvelle et du roman », Théo-

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rie de la littérature, textes réunis parT. Todorov, Le Seuil, 1965, p. 193).

Le personnage n’est donc plus conçucomme une entité anthropomorphe maiscomme une fonction dans le développe-ment de l’intrigue et de l’action narrative.

Ces approches en termes d’action ontprofondément contribué à modifier notreconception du personnage romanesque ;en évitant la perspective psychologique etanthropomorphe, on a ainsi pu considérerque le personnage d’un roman pouvaitêtre la ville, la foule… toute entité nonhumaine. De plus, ce sont les tensions,les rapports de force, les systèmes derelations entre les personnages qui ont puêtre pris en compte, plutôt que tel per-sonnage isolé.

2/ Un « modèle actantiel »

Le formaliste russe Vladimir Propp ad’abord tenté de classifier les diffé-rentes structures du personnage à partirdu corpus spécifique du conte folklo-rique russe. Analysant la « morphologiedes contes », il dégage trente et unefonctions des personnages. Elles sontdéfinies comme « “l’action du person-nage”, envisagée du point de vue de sasignification dans le déroulement del’intrigue » (Morphologie du conte, LeSeuil, p. 31). Elles visent, par-delà ladiversité des contes, à dégager, indé-pendamment de tout critère psycholo-gique, des constantes et permettentd’analyser la succession des épisodesdu récit : ainsi, le conte nous conduiraittoujours d’un éloignement (fonction pre-mière) à un mariage (fonction ultime),au cours d’un cheminement qui fait sesuccéder un interdit, sa transgression,une épreuve, un combat… À la suite decette tentative de formulation, le sémio-ticien Greimas a essayé de simplifier unschéma jugé trop peu économique et aproposé d’analyser le système des per-sonnages par le biais d’un « modèleactantiel » ; il s’articule selon trois axes(la communication, le désir, l’épreuve)et une matrice de six actants, répartisselon les fameux couples :

– sujet / objet ;– donateur / destinataire ;– adjuvant / opposant.Il s’agit de combiner les paradigmes

de l’action et le déroulement diachro-nique du récit, déroulement pensé selonun modèle linguistique (le récit obéit àune syntaxe et enchaîne des élémentsselon un ordre à la fois motivé et pros-pectif). Une telle approche permet depenser le récit non plus comme un arbi-traire (les épisodes s’enchaîneraient sansvéritable nécessité, les actions des per-sonnages étant parfois hasardeuses) maiscomme un engendrement motivé. Toutesituation romanesque évolue en combi-nant des événements dans un devenir àla fois imprévisible (de multiples combi-naisons sont possibles) et néanmoins ennombre défini et codifiables (les para-digmes de l’action sont limités et lesactants engagés dans des relations réper-toriées). Ainsi, se dessinent les linéa-ments d’une logique du récit penséeselon des modèles aussi bien linguis-tiques qu’anthropologiques.

Lorsque Todorov analyse le statut despersonnages dans Les Liaisons dange-reuses, il définit le récit comme la « pro-jection syntagmatique d’un réseau derapports paradigmatiques » (le modèlelinguistique fonctionne à plein) et envient à déterminer trois « rapports debase » : le désir, la communication et laparticipation. Toutes les autres relationspeuvent leur être référées, selon une loide dérivation qui elle-même peut se sub-diviser en règle d’opposition et règle depassif. La première, par exemple, permetde montrer comment le rapport de confi-dence entre deux personnages a pourcorrélat le fait de rendre public unsecret ; la seconde permet de mettre enévidence les homologies entre les rela-tions de désir entre Valmont et Tourvel etles rapports de haine entre Valmont etVolanges, Valmont et Danceny… La rela-tion entre les personnages est alors pen-sée selon le modèle linguistique(sujet/verbe/objet : Valmont hait Volangeset est haï par Danceny ; Valmont désireTourvel et est désiré par elle, etc.), indé-

pendamment de toute considération psy-chologique.

Ce qui est visé n’est ni l’explication nil’interprétation des comportements despersonnages, mais une logique du récitqui permette de formaliser sa progressionet l’enchaînement de ses actions. On està l’exact opposé des critiques qui com-mentent le portrait de Valmont ou de laMerteuil et déduisent de leurs actionsdes caractéristiques psychologiques etmorales : c’est un des aspects de la lec-ture que propose Baudelaire (Notes surLes Liaisons dangereuses, in Œuvrescomplètes, Gallimard, Bibliothèque de laPléiade, 1976) ou Léon Blum qui voitdans Valmont un « roué imaginaire, etfanfaron qui n’attendait pour aimerqu’une femme capable de sentirl’amour ! » (cité par Caroline Jacot-Grapa,Les Liaisons dangereuses, Gallimard,Foliothèque, 1997, p. 201-202).

Penser le personnage comme un« actant » aboutit donc à établir une cor-rélation radicale entre l’intrigue et le per-sonnage, indépendamment, ou peut-êtreantérieurement à toute figurationsensible ; car celle-ci peut retrouver saplace, dès lors que l’on considère cesstructures comme constitutives d’un ima-ginaire (et non seulement d’un pro-gramme narratif). C’est ce que fait Jean-Pierre Richard lorsqu’il met en évidence,dans les romans de Balzac, les jeux dedoubles, qu’il relie à la conception dupersonnage balzacien comme puissanceet au « cousinage » de tous les person-nages « taillés dans la même étoffe sub-stantielle, mus par les mêmes pulsions,porteurs, dépositaires de la mêmeessence énergétique4 ». Cette unité pre-mière est reliée par J.-P. Richard à l’ana-lyse de la « grammaire situationnelle »de Balzac, selon laquelle l’actionimplique la réaction, l’élan, le contre-élan. L’étude du personnage est alorsdésenclavée et l’analyse porte sur lamanière dont un rôle peut se fractionnerselon différents personnages (deux per-sonnages – Vautrin et Rastignac – occu-pent deux fonctions antagoniques), ou,réciproquement, sur la façon dont un

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même personnage peut être tantôt bour-reau, tantôt victime (Lucien de Rubem-pré dans Un grand homme de province àParis) ; le personnage n’est plus isolé parl’analyse, qui prend en compte le fais-ceau des relations engagées par unthème (la paternité concerne Goriot, maisaussi Vautrin, mentor de Rastignac, dontle père n’est pas mentionné dans leroman). De plus, en analysant, parexemple, la manière dont Vautrin sedémasque à mesure que Rastignac semasque, on observe comment l’identitédu personnage se construit au fil de laconstruction de l’intrigue.

III. Le personnage : un signe

1/Typologie

Le même souci de ne pas céder àl’évidence trompeuse qui consiste àcroire que le personnage est une per-sonne a conduit certains critiques à rap-peler que dans le roman il n’y a que dessignes : point d’être de chair et de sang,mais un assemblage de lettres. C’est, enparticulier, le point de vue qu’a déve-loppé Philippe Hamon dans un article quia fait date, « Pour un statut sémiologiquedu personnage5 ». Hamon distingue, enhomologie avec les signes linguistiques,trois types de personnages :

– les personnages référentiels (commeles signes référentiels renvoient aumonde extérieur, ils renvoient à un sensplein et bien fixé dans la culture ou dansl’histoire : Napoléon, l’ouvrier…) ;

– les personnages embrayeurs (per-sonnages qui, à l’instar des signes quirenvoient à une instance d’énonciation,indiquent la présence dans le texte del’auteur ou du lecteur : conteur, écrivain,etc.) ;

– les personnages anaphoriques (ilsfont référence au système de l’œuvre,comme les pronoms, par exemple, sontles signes qui renvoient à des énoncésdéjà formulés) : ils permettent deconstruire la cohérence, voire la redon-

dance de l’œuvre ; ce sont, par exemple,ceux qui jouent le rôle de prédicateurs oud’informateurs.

2/ Les personnagesréférentiels

Les personnages référentiels sont cer-tainement les plus intéressants de cettetypologie : ils posent la question du sta-tut du personnage référentiel et histo-rique dans la fiction.

Napoléon, dans La Chartreuse deParme, est aux côtés de personnagespurement fictifs (Fabrice del Dongo). Cequi les distingue, dans cette perspective,n’est pas tant que les uns sont « réels »,au sens où ils auraient une consistance,une épaisseur physiques, et les autresimaginaires (ils n’ont pas de réalité tan-gible), mais le fait que les premiers sontdes signes attestés dans le dictionnaire etl’encyclopédie de notre culture. Ils ren-voient à un savoir, à un ensemble devaleurs (qu’on peut appeler ici idéologie)dont les autres sont d’abord dépourvus.C’est pourquoi, comme l’a justementnoté Barthes, la mention du nom propredu personnage référentiel est souventsuffisante : nul besoin de le faire parlercomme dans la réalité, ou de le représen-ter comme l’Histoire nous apprend qu’il aété. Il suffit qu’il soit « en passant »,« peint[s] dans le décor » (S/Z, in Œuvrescomplètes, III, Le Seuil, « Tel quel »,p. 203). En un mot, il vaut mieux qu’il

apparaisse comme signe que pourvud’une contingence historique qui ledéréaliserait. En voisinant avec ses com-parses inventés, ces personnages réfé-rentiels « réintègrent le roman commefamille, et tels des aïeuls [sic] contradic-toirement célèbres et dérisoires, ils don-nent au romanesque le lustre de la réa-lité, ou celui de la gloire : ce sont deseffets superlatifs de réel ».

3/ La signification du nom

La seconde question intéressante quepermet de poser le personnage conçucomme signe6 est la motivation du nompropre : qu’est-ce qui fonde le choix detel ou tel nom pour le personnage de fic-tion ? Sans doute pendant longtemps,était-ce le respect d’un code (Barthesrappelle que Furetière, dans Le Romanbourgeois, nomme ses personnagesJavotte ou Nicodème par souci du codemi-classique mi-bourgeois) ; puis les per-sonnages seront nommés à l’effigie duréel : Goriot, Lescaut, Bovary, etc. Lechoix des noms est souvent motivé : il y adéjà quelque chose de bovin dansCharles Bovary, un goût probable pourl’argent et la finance dans Mercadier (LesVoyageurs de l’impériale d’Aragon). Qu’ils’agisse de motivation par dénotationexplicite ou par connotation, les nomsdes personnages ne sont pas arbitraires ;et lorsqu’ils ne le paraissent pas, ils peu-

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Le romancier et ses personnages

Vautrin, gravure de Daumier. Rastignac, lithographie de Gavarni.

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vent jouer comme énigme que le romanpourra s’employer à éclaircir.

La quête du sens des noms propres(de personnages et de lieux) est unaspect très important de la rêverie poé-tique dans le roman proustien. Il n’estpas rare que la motivation du nom soitdonnée par le narrateur lui-même. Ainsiau début de Modeste Mignon, un calem-bour motive d’abord le nom du jeunebanquier du Havre, Gobenheim, appelépar Butscha « gobe-or » et un peu plusloin le portrait de Dumay se conclut parces mots : « Quoique petit, trapu, grêlé,parlant tout bas, ayant l’air de s’écouter,ce Breton, ancien lieutenant de la Garde,offre la résolution, le sang-froid si biengravés sur son visage […]. Ses petitsyeux d’un bleu calme ressemblent àdeux morceaux d’acier. Ses façons, l’airde son visage, son parler, sa tenue, toutconcorde à son nom bref de Dumay ». Laphysionomie, le caractère et le nom sonten harmonie : le personnage est parfaite-ment cohérent (c’est une caractéristiqueessentielle du réalisme) et tous lessignes qui le constituent concourent à laredondance.

Barthes souligne très justement, dansS/Z, que toucher au nom propre du per-sonnage, c’est toucher à son état civil, àson statut d’être plein, pourvu d’uneidentité stable, quoique souvent énigma-tique ; le fait que le personnage principald’À la recherche du temps perdu ne soitpas dénommé (« le Narrateur ») est ainsile signe probant du statut miné du per-sonnage romanesque. Évolution quiconduira à l’emploi d’un même nom pourplusieurs personnages (cf. Le Bruit et lafureur, de Faulkner), ou à la disjonctionforte du nom et de l’identité (cf. Molloy,de Beckett), ou encore à la disparition dunom ; comme le remarque Nathalie Sar-raute dans L’Ère du soupçon, le person-nage « était très richement pourvu, com-blé de biens de toute sorte, entouré desoins minutieux ; rien ne lui manquait,depuis les boucles d’argent de sa culottejusqu’à la loupe veinée au bout de sonnez. Il a, peu à peu, tout perdu : sesancêtres, sa maison soigneusement bâtie,

bourrée de la cave au grenier d’objets detoute espèce […] ses vêtements, soncorps, son visage, et, surtout, bien pré-cieux entre tous, son caractère qui n’ap-partenait qu’à lui et souvent jusqu’à sonnom ». Plus le nom est l’objet, dans leroman, de dramatisation7, de motivation,plus le personnage est fort ; moins il estprésent et signifiant, plus l’identité dupersonnage est minée, voire caduque8.

IV. Crise du personnage ethéros problématique

1/La remise en cause du personnage

La crise du nom propre est donc unindice probant de la crise du personnage,qui se développe, lentement mais sûre-ment, tout au long du XXe siècle, pouraboutir à sa remise en cause essentiellepar le Nouveau Roman.

Nathalie Sarraute, on vient de le rap-peler, a pourfendu avec beaucoup d’intel-ligence l’assignation du roman au person-nage et la paresse du lecteur qui s’attendtoujours à pouvoir s’identifier à tel ou telpersonnage. Elle s’attaque aussi bien auxressorts de cette identification (le person-nage est pour elle un « trompe-l’œil »,bâti hâtivement à grands coups de psy-chologie) et à l’illusion qui consiste àcroire non seulement que ce personnagea une consistance réelle, mais surtoutqu’il est porteur d’une vérité9. Or, pourelle, il n’est que mensonges et approxi-mations : il est construit à l’aide de codeset de facilités rhétoriques qui nousconduisent au plus loin de l’authentiquevie psychique, faite de failles, de rup-tures, d’incertitudes… Aussi voudrait-elleque les « nouveaux romans » soientchiches en indices permettant au lecteurde construire, vaille que vaille, un per-sonnage et l’empêchent finalement defocaliser toute son attention sur lui.L’écriture des tropismes qu’elle va déve-lopper, le choix de récits brefs (Vous les

entendez ?), du dialogue (Tu ne t’aimespas), etc. disjoignent le roman et le per-sonnage.

Comme le notait Sartre, dans sa pré-face à Portrait d’un inconnu, en 1947,« un homme, pour elle, ce n’est pas uncaractère, ni d’abord une histoire nimême un réseau d’habitudes : c’est leva-et-vient incessant et mou entre le par-ticulier et le général » (Gallimard, Folio,p. 14). La réflexion sur l’écriture et sur lelangage, dans les romans de NathalieSarraute, ne rencontre que très accessoi-rement celle de l’invention du person-nage ; ce sont sur le rythme des phrases,la palpitation des mots, la naissancelente des images « floconneuses » quil’intéressent (Entre la vie et la mort, Gal-limard, Folio, p. 165).

On retrouve dans Pour un NouveauRoman d’A. Robbe-Grillet des attaquessemblables contre le personnage, pilierdu roman comme histoire que l’onraconte à un lecteur qui fait semblant d’ycroire10. La désagrégation de l’intrigue, ladévalorisation du romanesque vont ainside pair avec la crise du personnage : cer-tains ont pour nom une simple initiale,tel « O. » dans La Bataille de Pharsale ouLes Géorgiques. Le « personnage » deClaude Simon est d’abord un foyer per-ceptif et une mémoire assaillis par dessensations et des souvenirs qui se pré-sentent à lui en désordre et qui ne com-posent pas, linéairement, une identité niune histoire.

Mais, nous l’avons dit, le NouveauRoman n’est en un sens que l’aboutisse-ment d’une crise du personnage bienantérieure. Dès les premières années dusiècle, Valéry associait la critique duroman et celle du personnage : symbolepour lui de l’arbitraire, le roman inventedes personnages, ces « vivants sansentrailles », en feignant d’oublier leurstatut purement verbal, c’est-à-dire litté-raire (Tel Quel, Gallimard, Bibliothèquede la Pléiade, tome II, p. 569). Bretonpoussera dans ses derniers retranche-ments une telle critique, en interdisantpurement et simplement aux surréalistesl’invention de personnages. Dans le pre-

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mier Manifeste, il n’a que sarcasmesenvers la création de figures fiction-nelles : « On ne m’épargne aucune deshésitations du personnage : sera-t-ilblond, comment s’appellera-t-il, irons-nous le prendre en été ? Autant de ques-tions résolues une fois pour toutes, aupetit bonheur […] ».

Le personnage est la concrétion del’arbitraire du récit ; seuls devraientavoir droit de cité les personnages quele narrateur a réellement connus, etqu’il ne doit en rien transposer dans lafiction : dans le début de Nadja, Bretonfustige les « empiriques du roman quiprétendent mettre en scène des person-nages distincts d’eux-mêmes » et qui les« campent physiquement, moralement »comme cela les arrange (par exemple,en transposant une femme brune enblonde, pour éviter qu’elle ne soit tropreconnaissable). Petite manipulationminable, pour Breton, et qui doit àjamais faire rejeter aux surréalistes l’in-vention de personnage et l’écritureromanesque, au profit du récit authen-tique et poétique.

2/ Le héros, une notionproblématique

Cette dissolution du personnage nousconduit exactement à l’opposé de sonassimilation au héros. Mais qu’est-cequ’un héros de roman ? Le personnageprincipal ? Ce sont alors des critèresstructuraux et internes à l’œuvre qui ledéfinissent : le héros est le personnagedoté d’un portrait particulièrement riche,ou qui fournit l’action la plus détermi-nante, ou encore qui intervient le plussouvent…

La détermination du héros revientdonc à établir entre les différents person-nages du roman une hiérarchie. Cettedéfinition n’est évidemment pas suffi-sante ; déterminer qui est le héros duroman, c’est aussi poser la question entermes de valeurs : le héros est celui quiest doté de qualités positives, que le nar-rateur, ou les autres personnages, inter-prètent comme telles en fonction d’un

système axiologique particulier. Iciencore, le héros permet de distinguerentre les différents personnages duroman : il est plus positif que d’autres,opposant certaines valeurs à d’autres,comme le courage à la lâcheté, la beautéà la laideur, la probité à la malhonnêteté,etc. Comme l’a montré avec la plusgrande clarté Philippe Hamon, le hérosest donc à la fois, dans le roman, unequestion de hiérarchie et une question devaleur (Texte et idéologie, PUF, 1984,rééd. Quadrige).

3/ L’individu et le type

Le naturalisme impose au héros roma-nesque une dévalorisation certaine. Zolas’est montré particulièrement attentif àcette question, en soulignant, àde nombreuses reprises, que lepersonnage peut êtremédiocre11 (comme la vie cou-rante) et qu’il faut renoncer au« grandissement » du person-nage si l’on veut qu’apparaissepleinement la vérité du docu-ment humain. De même quel’intrigue est l’objet d’une bana-lisation et d’une dédramatisa-tion, le héros est ravalé au rangd’un personnage quelconque.Zola voudrait un personnagequi sorte du général (tel JulienSorel) mais sans tomber dans

la monstruosité ; pour lui, ThérèseRaquin représente le personnage excep-tionnel, sans être pour autant un type12.Car, sur ce point, le romancier naturalistes’oppose à Balzac qui « grossit » ses per-sonnages, en fait des colosses extraordi-naires (Goriot, « Christ de la Paternité »,par exemple).

Ce « grossissement », chez Balzac,répond également à un souci de générali-sation et d’explication : le personnage,quelque « individualisé » qu’il soit, tendle plus souvent au « type ». Dans la pré-face à Une ténébreuse affaire (1842),Balzac définit le type comme « un per-sonnage qui résume en lui-même lestraits caractéristiques de tous ceux quilui ressemblent plus ou moins […] ». Iln’est pas un emprunt direct au réel, maisau contraire une transposition de la réa-lité qui tend à la généralité. Le type estdonc un facteur essentiel de vraisem-blance, tant il est vrai, pour Balzac, quele roman doit corriger la vérité parfoistrop scandaleuse que la vie réelle placesous nos yeux. En « typant » un individu,Balzac l’arrache à sa singularité parfoisinvraisemblable et le leste d’un poids devraisemblance et de généralité qui enfont un principe explicatif (du fonctionne-ment de la société, du cœur humain,etc.). Comme il l’écrit à madame Hanska

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Le romancier et ses personnages

Caricature de Zola, parue dansL’Éclipse, illustration d’André Gill,1876.

Thérèse Raquin, gravure de Casztelli.

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en commentant la succession des« études de mœurs » et des « études phi-losophiques », les premières mettent enscène des « individualités typées » et lessecondes des « types individualisés »(lettre du 26 octobre 1834) ; c’est ainsique le personnage est un facteur essen-tiel du principe d’explication de lasociété que Balzac poursuit avec le formi-dable édifice de La Comédie humaine ;en donnant la pensée à l’individu et endonnant la vie au type en l’individuali-sant, Balzac crée et explique la Création.

4/ La production des valeurs

Plus le statut héroïque du personnagedevient problématique, plus les juge-ments sur sa conduite, ses sentimentssont importants et multiples, voire discor-dants (c’est ce que Philippe Hamonappelle la « polyfocalisation générale dusystème des personnages »). La composi-tion du roman peut alors s’en trouver pro-fondément décentrée.

Le personnage n’est plus celui quivéhicule et incarne les valeurs positivesmais est marqué par son ambivalence.La façon dont le narrateur de La Char-treuse de Parme établit, par-dessus ledos du personnage, une complicité avecle lecteur pour lui signifier que son com-portement manque de grandeur, est toutà fait révélatrice de cette complexité del’évaluation : nommé de façon récur-rente, dans le chapitre III « notrehéros », Fabrice est moqué par ceux quil’entourent (comme la cantinière, alorsqu’il devient vert à la vue d’un cadavre :« Puis, levant les yeux sur notre héros,elle éclata de rire » ; ou un maréchaldes logis, qui voit en lui un « blanc-bec,qui avait l’air si peu militaire »), par lenarrateur lui-même (« Nous avoueronsque notre héros était fort peu héroïqueen ce moment ») et par le personnagequi, enchanté d’abord de participer à labataille, perd peu à peu ses illusions etse met « à pleurer à chaudes larmes »lorsqu’il se voit trahi par les hussardsqui lui prennent son cheval : « Il défai-

sait un à un tous ses beaux rêves d’ami-tié chevaleresque et sublime, commecelle des héros de La Jérusalemdélivrée ». C’est alors le terme de« héros » lui-même qui devient ambigu,coupé qu’il peut être d’une action fran-chement héroïque. On observerait lamême ambiguïté dans L’Œuvre où Zolaqualifie de « héros » Lantier, parexemple, mais montre ses échecs, sonimpuissance…

Les personnages concourent dansleur ensemble à l’évaluation desconduites et réactions, le roman deve-nant un croisement de jugements éva-luatifs. Le regard, le langage, le savoir-faire et le savoir-vivre des personnagesconstituent ce que P. Hamon appelle des« foyers normatifs » : ce à partir de quoiun discours de valeurs peut se dévelop-per et l’évaluation, comme la hiérarchiedes personnages, se fonder. Dans LePère Goriot, les scènes de bal sont à cetégard particulièrement importantes : aubal, les personnages observent et sontobservés, se parlent, dansent, tentent deséduire ou de conquérir. Tour à tourregard, langage, action, savoir-faire etsavoir-vivre sont l’occasion de développerdes jugements sur tel ou tel (Rastignac,au premier chef) ; la répétition de cesscènes marque également l’évolution despersonnages (Rastignac s’habille mieux,parle mieux, etc.)13.

En guise de conclusion

Au terme de ce parcours, nous voyonsque le personnage, notion a priori évi-dente, et « naturelle », au roman, est fon-damentalement complexe :

– elle nécessite des analyses qui repo-sent sur des fondements différents, etparfois antinomiques ;

– elle permet aussi de saisir combienle roman est un genre indéterminé etmouvant.

C’est sur cet aspect du genre roma-nesque que nous mettrons l’accent dansle second volet de ce dossier.

Mais pour conclure, laissons la plumeà Flaubert, qui, après avoir si souventsouligné l’emprise que ses personnagesexerçaient sur son imagination, reconnaîtau héros romanesque une intensitéexceptionnelle : « Quelle pauvre créationque Figaro, à côté de Sancho ! Commeon se le figure sur son âne, mangeant desoignons crus et talonnant le roussin touten causant avec son maître ! Comme onvoit ces routes d’Espagne qui ne sontnulle part décrites ! Mais Figaro où est-il ? À la Comédie-Française14 ».

*Maître de conférences à l’université Paris 7-Denis Diderot.

1. Cité par D. Cohn, Le Propre de la fiction, LeSeuil, « Poétique », 2001, p. 131.2. Le Romancier et ses personnages, I, Galli-mard, Bibliothèque de la Pléiade, 1979,p. 842.3. Vincent Jouve, L’Effet-personnage dans leroman, PUF, « Écriture », 1992.4. « Balzac, de la force à la forme », Poétique,n° 1, 1970.5. Poétique, 1972, repris dans Poétique durécit, Seuil, « Points », 1977.6. Sur ce statut sémiologique du personnage,voir Christine Montalbetti, Le Personnage, GF-Corpus, 2003.7. Dans Les Travailleurs de la mer, le nom deGilliatt apparaît inscrit sur la neige par une joliepassante au seuil du premier chapitre : façonsymbolique de renforcer l’énigme du person-nage, traversé par la rumeur.8. Pour le philosophe Gilles Deleuze, ce n’esten rien le propre du roman du XXe siècle deprendre pour personnage « un anti-héros, unêtre absurde, étrange et désorienté qui ne cessed’errer, sourd et aveugle. […] c’est la substancedu roman : de Beckett à Chrétien de Troyes, deLawrence à Lancelot, en passant par tout leroman anglais et américain. » (G. Deleuze,C. Parnet, Dialogues, Flammarion, « Champs »,1996, p. 89-90).9. L’Ère du soupçon, Gallimard, 1957, rééd.Folio.10. Alain Robbe-Grillet, « Sur quelques notionspérimées : le personnage », Pour un nouveauroman, Minuit, 1963.11. « Bien peindre le médiocre », c’est uneambition sur laquelle Flaubert revient souventdans sa Correspondance.12. Voir « Notes générales sur la nature del’œuvre », Écrits sur le roman, Le Livre depoche, « Références », 2004, p. 109.13. Hamon analyse aussi la façon dont les« objets sémiotiques » (livres, œuvres d’art…)cristallisent le discours évaluatif du et sur lepersonnage (le livre lu par un personnage carac-térise avec force sa mentalité, ses désirs, sonsavoir et sa culture, etc.).14. Lettre citée par A. Thibaudet, GustaveFlaubert, Gallimard, « Tel », 1965, p. 91.

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